Chapitre 6 : Acte 6
Table des matières
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Chapitre 6 : Acte 6
Partie 1
« Huaaaah… » Mitsuki s’était assise dans son lit, bâillant et s’étirant.
Elle se relevait d’un bon et long repos, mais elle sentait encore le poids de la fatigue qui ne l’avait pas totalement quittée.
Comparés au monde moderne, les lits de cette époque n’étaient pas aussi bons pour dormir… mais ce n’était pas la raison. Elle s’y était déjà habituée depuis un moment.
Non, le vrai problème qui l’avait fait se réveiller fatiguée était…
« Même quand je dors, je m’entraîne tout le temps avec Lady Rífa. Je n’ai pas l’impression d’avoir le moindre dormie…, » Mitsuki se frotta ses yeux fatigués et soupira profondément.
Il ne restait que deux semaines avant la nuit de la prochaine pleine lune. Il ne restait plus beaucoup de temps. Elle devait se pousser, même si c’était un peu imprudent pour sa santé.
« Mitsuki ᛋᛃᛋᚦᛖᛉ, ᚷᛟᛞ ᛗᛟᛉᚷᛟᛜ. » La voix de Félicia était venue de l’extérieur de la porte de la chambre, qui s’était rapidement ouverte.
Un sourire s’était dessiné sur le visage de Mitsuki dès qu’elle l’avait vue. C’était la preuve que toutes les deux s’étaient vraiment ouvertes l’une à l’autre au cours de la semaine passée.
« Oh, juste une seconde, s’il te plaît. » Mitsuki ferma les yeux, et prit une longue et profonde inspiration. Elle concentra son esprit sur le pouvoir qui était en elle.
Quand elle rouvrit les yeux, la paire de symboles dorés brillait à l’intérieur.
« ♪ ~~ ! » Elle injecta le pouvoir magique dans sa voix et traça une certaine mélodie. « Voilà. Bonjour, Félicia. »
« … Bonjour. Il semble que tu maîtrisais parfaitement le galdr “Connexions”, et cela en l’espace d’une semaine seulement. Honnêtement, je crains de perdre confiance en mes propres capacités. »
Félicia posa une main sur sa joue et soupira. Elle le suivit rapidement d’un autre sourire, bien qu’il soit facile de voir qu’elle ne faisait que plaisanter.
« C’est parce que j’ai un bon professeur ! » Mitsuki sourit. « Et tu es après tout prête à travailler avec moi du matin au soir. »
Mitsuki avait en effet passé presque tous ses moments de veille (et de sommeil) la semaine dernière à s’entraîner à contrôler son pouvoir.
Elle avait travaillé avec Félicia pendant ses heures de veille et avec Rífa dans ses rêves, recevant des instructions approfondies de la part de ces deux personnes.
Grâce à cela, Mitsuki pouvait maintenant invoquer librement les runes jumelles dans ses yeux, et elle avait atteint le point où elle était aussi capable de gérer des sorts simples de Galdr.
« Tu progresses encore à un rythme stupéfiant, » dit Félicia. « À ce rythme, nous pourrions très bien réussir. »
« Mais la complaisance est le plus grand ennemi ! Nous ne pouvons pas échouer la prochaine fois, quoi qu’il arrive. » Mitsuki avait serré les poings devant elle, pour se préparer.
Lorsque Mitsuki avait dit aux autres qu’elle avait rencontré Rífa dans ses rêves et qu’elle avait obtenu sa coopération pour invoquer Yuuto, ils avaient tous douté d’elle.
Bien sûr, le fait qu’ils l’aient aussi à moitié crue était quelque chose dont on pouvait être reconnaissant.
S’il s’était agi du monde moderne, avec sa culture de la science pure, une histoire aussi fantaisiste aurait été tout simplement passée sous silence.
C’est un domaine où le fait qu’Yggdrasil soit un monde avec des Einherjars, des galdrs, des seiðrs, et divers autres phénomènes mystérieux, faisait vraiment la différence.
Finalement, lorsque Mitsuki avait commencé à contrôler son pouvoir, les personnes qui avaient douté d’elle au début avaient commencé à lui faire confiance et à placer leurs attentes en elle. C’était d’autant plus vrai qu’elle ressemblait beaucoup à Rífa.
Et donc maintenant, Mitsuki passait ses journées à faire de son mieux pour gérer la lourde pression des attentes de l’ensemble du Clan du Loup.
« Heehee, tu as tout à fait raison, » dit Félicia. « Dans ce cas, pourquoi ne pas passer directement à ton entraînement une fois le petit-déjeuner terminé ? »
« Oui ! Merci beaucoup ! » répondit Mitsuki.
« Phewww ! Je suis si fatiguée… ! » En poussant un gémissement, Mitsuki s’était effondrée sur la table où elle était assise.
Elle était sur une terrasse qui donnait sur la cour intérieure du palais. Elle était bien éclairée par le soleil et c’était devenu l’un des endroits préférés de Mitsuki.
Dans le monde des jeux vidéo fantastiques, le trope veut que les utilisateurs de magie soient physiquement faibles, mais les magies Seiðr d’Yggdrasil demandent en fait beaucoup d’endurance physique. Après tout, tout n’était que danse et chant.
Son entraînement physique commençait par au moins une heure de course, suivie d’exercices musculaires comme des pompes et des abdominaux, puis des exercices d’assouplissement et des entraînements de la voix. Tout cela ressemblait beaucoup à l’entraînement des acteurs de théâtre professionnels.
Mitsuki avait été dans le club de jardinage au collège, et les seuls vrais sports qu’elle avait faits étaient les cours de gym normaux, donc tout cela était assez dur pour elle. Elle s’était finalement habituée à tout cela maintenant, mais au début, elle avait souffert de terribles douleurs musculaires.
« Merci pour votre travail acharné aujourd’hui encore, Dame Mitsuki, » déclara une jeune fille. « Voici votre lait et votre jus de datte. »
« Oh, merci, Éphy ! ♥ » Mitsuki avait accepté le verre d’Éphelia et l’avait aussitôt bu.
Le jus du fruit utilisant le palmier dattier était incroyablement sucré en soi, Mitsuki préférait donc le boire mélangé à du lait pour en adoucir la saveur.
C’était une boisson qui se digérait rapidement et qui était riche en nutriments, donc parfaite pour un corps fatigué.
« Le déjeuner d’aujourd’hui est une soupe de légumes et du saumon grillé, » ajouta Éphelia.
« Wôw, ça a l’air si savoureux ! » Mitsuki avait rapidement placé ses mains ensemble et avait dit le traditionnel itadakimasu, avant de manger la nourriture à un rythme rapide.
« Quand on est à Rome, on fait comme les Romains. », mais pour Mitsuki, deux repas par jour n’étaient pas suffisants. Elle venait tout juste d’arriver d’un monde avec un mode de vie à trois repas, et travaillait dur toute la journée, donc son corps ne pourrait pas tenir le coup avec seulement un repas le matin et le soir.
« Heehee, Grande Sœur Mitsuki, il semblerait après tout, que ton estomac tienne le coup, » déclara Félicia, en s’asseyant nonchalamment sur une chaise à côté d’elle. « C’était ma plus grande inquiétude pour toi, et je suis si heureuse de voir que ce n’était pas nécessaire. »
« Ohhh, oui, maintenant que tu le dis… »
Apparemment, quand Yuuto était arrivé à Yggdrasil, pendant un bon moment, la nourriture n’était pas compatible avec son estomac, et il avait été très malade. Mais Mitsuki n’avait pas eu de problèmes d’estomac jusqu’à présent, donc il semblait qu’elle n’avait rien à craindre à cet égard.
Peut-être qu’elle avait un estomac plus solide que Yuuto, ou peut-être que cela avait quelque chose à voir avec le pouvoir mystérieux qui résidait dans les runes de ses yeux.
Quoi qu’il en soit, c’était suffisamment bon pour elle pour qu’elle n’ait pas besoin d’utiliser les médicaments pour l’estomac contenu dans le sac à dos qu’elle avait apporté.
Ses journées et ses nuits étaient remplies de multiples sessions d’entraînement et d’étude, et les repas étaient l’une de ses seules occasions de se détendre et de se relaxer. Si elle avait dû s’inquiéter des problèmes de santé provoqués par les repas ici, le stress l’aurait probablement poussée à bout.
La soupe était délicieuse, avec une saveur dont elle sentait qu’elle pouvait vraiment devenir accro. Le bouillon ne goûtait pas tellement salé, mais les légumes étaient bien plus doux et leurs saveurs uniques étaient plus fortes que celles du monde moderne.
Mitsuki avait lu sur Internet que, en raison de tous les produits chimiques utilisés dans l’agriculture moderne, les légumes possédaient moins de saveur et de valeur nutritive qu’il y a longtemps. Ces repas étaient le type d’expérience qui lui faisait croire que cela devait être vrai.
Le saumon présentait un goût qui aurait pu être un peu plus salé, mais c’était un poisson pêché le matin même, bien plus frais que celui qu’elle aurait pu acheter au supermarché de sa ville natale.
Le lait mélangé au jus de dattes qu’elle venait de boire était lui aussi fraîchement trait.
Son déjeuner pouvait sembler simple à première vue, mais pour quelqu’un du Japon moderne, c’est un repas de luxe.
Mitsuki, en tout cas, avait appris à apprécier la nourriture et la cuisine d’Yggdrasil.
« Hm ! Mais vous savez, j’ai vraiment envie de riz blanc…, » avait-elle murmuré.
« Haha ! Yuuto dit toujours la même chose, » ajouta Ingrid depuis son siège de l’autre côté de la table. « Ce riz est-il vraiment si bon que ça ? » ajouta-t-elle, visiblement intéressée.
Si elle avait entendu Yuuto en parler autant de fois, il n’était pas surprenant qu’elle soit curieuse de savoir si c’était bon.
« Hm… Eh bien, ce n’est pas comme si le riz lui-même était super délicieux en soi, c’est plus comme si… le fait de l’avoir avec votre repas rend les autres aliments meilleurs. »
« Hein, vraiment ? En l’entendant décrit comme ça, j’ai vraiment envie de l’essayer. »
« Oh, eh bien, j’en ai apporté une petite quantité quand je suis venue ici. Donc, une fois que les choses se seront un peu calmées, je vous en offrirai à tous. »
Après une courte pause silencieuse, Ingrid afficha un sourire éclatant. « … Je suis impatiente de voir ça. »
En parlant avec elle comme ça, Mitsuki avait l’impression que la personnalité d’Ingrid, facile à aborder, lui rappelait un peu Ruri. Mais elle possédait toujours un air digne d’un officier de sixième rang du Clan du Loup.
Compte tenu de la gravité de la situation dans laquelle se trouvait le Clan du Loup en ce moment, il était probablement difficile pour elle d’être joyeuse et optimiste.
« Ces charmantes réunions entre filles sont devenues beaucoup plus solitaires. » Mitsuki regarda les chaises vides à la table. « Je veux que nous soyons toutes capables de faire les choses aussi joyeusement qu’avant — non, pas seulement nous, je veux aussi inclure Linéa. »
Sigrun et les jumelles du Clan de la Griffe avaient quitté Iárnviðr cinq jours plus tôt pour agir contre les forces envahissantes du Clan de la Foudre.
Il était possible qu’elles soient déjà engagées dans une bataille contre le Clan de la Foudre. Cette pensée avait rempli Mitsuki d’inquiétude pour elles.
C’était un sentiment auquel elle avait été confrontée tant de fois avec Yuuto, mais elle ne s’y était jamais vraiment habituée.
On s’attendait à ce que les batailles soient particulièrement féroces cette fois-ci, et tout ce qu’elle pouvait faire était de prier avec ferveur pour qu’elles rentrent chez elles en un seul morceau.
Après le déjeuner, Mitsuki avait repris son entraînement spécial avec Félicia.
L’entraînement du matin était axé sur les principes fondamentaux et l’amélioration de l’endurance physique, tandis que la séance de l’après-midi était consacrée à la pratique de techniques réelles.
Elles avaient fait ces cours dans le hörgr au sommet de la tour Hliðskjálf elle-même, ayant conclu qu’il serait préférable de s’entraîner à l’endroit même où ils accompliraient le rite réel.
L’atmosphère religieuse à l’intérieur de la salle du sanctuaire avait augmenté l’énergie et la concentration de Mitsuki.
« Fa, Fagra, himn, fibulr… » Mitsuki bégayait les mots. Son énergie et sa concentration n’étaient pas suffisantes pour plier la réalité à sa volonté.
« Incorrect. Pas “fibulr”, mais ᚠᛁᛞᛒᚢᛚ. »
« Bien ! »
Les incantations pour un rituel de seiðr devaient toutes être récitées dans la langue d’Yggdrasil.
Et comme il fallait les faire en exécutant une danse, il était hors de question d’utiliser une antisèche pour s’aider. La mémorisation automatique était la seule option.
Mais, pour une jeune fille japonaise comme Mitsuki, les mots ne ressemblaient à rien de plus qu’à des lignes de syllabes sans signification. Il était donc difficile pour elle de s’en souvenir.
Elle avait aussi des problèmes avec la prononciation.
Et ces incantations s’allongeaient jusqu’à durer trois minutes entières. Le simple fait de se souvenir de tout cela était une tâche vraiment épuisante.
Elle avait répété les incantations, jusqu’au coucher du soleil.
« Je pense que nous devrions en rester là pour aujourd’hui, » annonça enfin Félicia. « Tu as fait des merveilles. »
« Merci beaucoup. » Mitsuki avait à peine réussi à terminer un remerciement correct avant de s’effondrer sur le sol. Tout son corps lui semblait lourd et léthargique.
C’est donc pour ça que les gens du club de théâtre s’appellent eux-mêmes un club d’athlétisme, pensa-t-elle, fatiguée.
« Bon… Je vais aller de l’avant et appeler Yuu-kun. » Mitsuki avait sorti son smartphone et, d’un pas chancelant, s’était dirigée vers un coin de la pièce.
Il s’agissait techniquement d’un appel avec son petit ami, elle serait donc gênée qu’une autre personne l’écoute.
Elle se retourna une dernière fois pour confirmer qu’elle était suffisamment éloignée de Félicia avant d’appeler le numéro de Yuuto.
« Bonjour ? » demanda Yuuto.
« C’est Mitsuki. Bonsoir, Yuu-kun ! »
« Salut, bonsoir. Comment vas-tu ? »
« Argh, je suis tellement fatiguée ! Mais je suppose qu’on peut dire que les choses se passent bien ? Félicia et Lady Rífa ont dit qu’à ce rythme, ça pourrait marcher. »
« Je vois… c’est génial. Tout se passe si vite, cependant, comme… ça ne semble toujours pas réel. Qui aurait cru que tu étais une Einherjar aux runes jumelles, hein ? »
« Haha ! Je pense que je suis toujours celle qui a le plus de mal à y croire. Avant de venir à Yggdrasil, je n’étais rien de plus qu’une lycéenne ordinaire et moyenne… »
« Attends, » objecta Yuuto. « Te traiter de “moyenne et ordinaire” ? C’est une insulte à toutes les lycéennes normales qui existent. »
« Hé, qu’est-ce que ça veut dire !? »
« Je plaisante, je plaisante. Enfin, à moitié. »
« Donc, tu es à moitié sérieux. » La voix de Mitsuki était devenue froide et rude.
Bien sûr, le ton de sa voix était aussi une blague. En partie.
***
Partie 2
« Non, mais sérieusement, tu as attendu trois années entières que je revienne, et tu as décidé d’aller à Yggdrasil avec moi. Je sais à quel point tu as un grand cœur, » déclara Yuuto. « Félicia m’a même dit quelque chose à ce sujet ! Comme prévu pour la femme que Grand Frère a choisie. Elle est vraiment digne d’être l’épouse d’un souverain. Tu aurais dû voir ma tête. Et puis, quand j’ai entendu ce que tu as dit après ça, donnant ton approbation officielle aux affaires conj... J’ai eu du mal à fermer ma mâchoire après ça. »
« C’était… J’ai fait des recherches sur les épouses de la période des États en guerre, et j’ai beaucoup réfléchi à tout, et donc… »
« Cependant, tu réfléchis trop. Je suis loyal envers toi, et toi seule. »
« Oui. Je sais que je suis la personne que tu aimes le plus. Mais la deuxième personne que tu aimes le plus est Félicia, non ? »
« … »
« Je vais interpréter le silence comme un aveu. »
« N-Non, attends, attends un peu. Maintenant, hum… »
Yuuto avait commencé à bégayer et à paniquer, ce qui avait fait glousser Mitsuki.
« Écoute, je n’essaie pas de t’attaquer ou de te blâmer ou quoi que ce soit. C’est une belle femme, et elle s’est occupée de tes besoins, professionnels et personnels, pendant si longtemps. Je pense qu’il serait impossible de te demander de ne pas avoir ressenti quelque chose pour elle. »
« Mais je t’ai quand même choisie. Et tu as abandonné tant de choses, juste pour être avec moi. J’ai une responsabilité envers… »
« Yuu-kun, tu as la responsabilité de penser d’abord à ton clan, pas à moi, » déclara Mitsuki sans ambages. « Parce que tu es leur patriarche. »
Elle avait poursuivi :
« Par exemple… Si tu prenais Linéa, ou Al et Kris, comme épouses, cela approfondirait les relations entre les clans, non ? »
« … Eh bien, oui, ça le ferait. »
« Et garde à l’esprit que je n’ai pas l’intention de céder le siège de “première épouse et reine” à qui que ce soit, bien sûr. Mais si tu le faisais, si tu prenais des filles d’autres clans comme épouses secondaires et autres, ce serait un énorme avantage pour le Clan du Loup. Est-ce que ce scénario a un sens ? »
« … » Une fois de plus, Yuuto resta silencieux d’une manière qui servait d’aveu tacite. Puis, il poussa un long soupir. « Es-tu vraiment sûre que tu serais d’accord avec quelque chose comme ça ? »
« Si tu m’aimes vraiment toujours plus que tout, alors oui. »
« … Tu es vraiment, vraiment trop bien pour moi. Je ne mérite pas une femme comme toi. »
« Alors, tu ferais mieux de me traiter correctement. » Mitsuki avait dit cette dernière déclaration d’une manière presque ludique. Mais le ton de la voix dans la réponse qui lui était revenue était presque sinistrement sérieux.
« Oui, je le ferai, quoi qu’il arrive… Je t’aime. »
« Et il a vraiment dit ça — ! Aaaah ! » Mitsuki s’était exclamée. « Quand j’ai entendu ça, j’étais tellement émue que j’ai cru que j’allais m’évanouir ! »
« O-Oh, je vois. C’est merveilleux. » Rífa s’était physiquement retirée, submergée par Mitsuki, qui sautait partout avec excitation pendant qu’elle parlait.
Elles s’étaient retrouvées toutes les deux dans le jardin familier de fleurs blanches.
Mitsuki, pour sa part, semblait ne pas prêter attention à la façon dont Rífa réagissait.
« N’est-ce pas impressionnant !? Yuu-kun est un type de gars assez vieux jeu, tu sais, alors j’étais tellement sûre qu’il n’allait jamais me dire “je t’aime”. Je pensais que si je l’entendais, ce serait sur son lit de mort ou autre. Mais de penser que j’allais l’entendre cette même année ! Je me suis dit : “Ça y est, je n’ai plus de regrets…” »
« Oh, tu vas te taire ! » grogna Rífa. « Tu as tellement insisté pour que je t’écoute que j’ai cru que c’était quelque chose d’important, et qu’est-ce que j’obtiens, sinon ta vantardise ridicule sur ta vie amoureuse ! Ça suffit à me rendre malade ! »
Rífa avait fini de crier et avait gonflé ses joues, toujours visiblement en colère.
Il semblerait qu’elle était à bout de patience.
Cependant, étant donné qu’elle avait passé toute sa vie à être le centre d’attention, il y avait peut-être quelque chose à dire sur le fait qu’elle ait tenu aussi longtemps.
« Tu n’es pas venue t’entraîner pour qu’on puisse invoquer Yuuto !!! » s’emporta-t-elle. « On n’a pas de temps à perdre en bavardages inutiles ! »
« O-oui, c’est vrai… »
« Bien, alors retournons à la pratique de l’incantation pour Mistilteinn. »
« Bien ! »
La séance d’entraînement de ce jour-là avait été beaucoup plus dure que d’habitude.
Il n’est pas inapproprié de dire que c’était, en partie, dû à la jalousie.
« Feu, feu, feu ! Lâchez tout ce que vous pouvez ! » Sigrun hurla, encourageant ses hommes, tandis qu’elle-même dirigeait son arc et ses flèches vers un ennemi et se déchaînait.
L’arc qu’elle utilisait était un nouveau modèle, qu’Ingrid avait fabriqué pendant l’hiver pour Sigrun et les membres de ses forces spéciales.
Le type d’arc commun utilisé à Yggdrasil était en forme de croissant, mais ces nouveaux arcs avaient la forme de deux montagnes jointes en leur milieu.
Selon Yuuto, cette forme permettait de tirer plus fortement sur la corde de l’arc, augmentant ainsi la puissance des flèches.
Grâce à cela, même si ces arcs étaient de petite taille pour pouvoir être utilisés à cheval, ils tiraient plus loin que les arcs normaux, et ils étaient également plus faciles à manier.
Alors que les soldats du Clan de la Foudre commençaient à passer à la contre-attaque et à avancer, Sigrun donna rapidement l’ordre de se retirer. « Ghh. Très bien, reculez ! »
Cependant, dans une rare démonstration des membres d’élite de son unité, les hommes avaient été lents à réagir.
Ce délai avait permis aux troupes du Clan de la Foudre de réduire la distance.
« Rrraaagh ! Je vais tous vous tuer ! »
« Vous pensiez vraiment pouvoir nous affronter et gagner avec un si petit nombre de personnes ? »
Les soldats du Clan de la Foudre avaient avancé avec encore plus de férocité.
Dans une bataille de terrain comme celle-ci, le plus grand nombre de tués et de capturés provenait toujours de l’attaque de votre ennemi lorsqu’il battait en retraite.
La grande majorité des soldats avaient été enrôlés dans l’armée par décret, mais ils étaient toujours désireux d’obtenir des récompenses pour leurs exploits militaires qui constitueraient un juste prix pour avoir risqué la mort au combat.
Les ennemis tués pouvaient rapporter des récompenses de la part de son patriarche, sans compter que les armes et les effets personnels de l’ennemi pouvaient être saisis pour soi et vendus plus tard.
En ce moment, les soldats attaquants étaient convaincus sans aucun doute que c’était l’occasion parfaite de faire fortune.
« On dirait qu’ils ont mordu à l’hameçon, » murmura Sigrun pour elle-même, et fit accélérer son cheval. Elle fit ensuite glisser le haut de son corps dans une position faisant face à l’arrière, et commença à tirer.
Les forces de Múspell sous son commandement avaient toutes suivi son exemple, et avaient libéré flèche après flèche.
C’était la technique de leur ennemi détesté, les archers montés du Clan de la Panthère — le Tir parthe.
À l’automne de l’année précédente, le Clan du Loup avait souffert face à la tactique du Tir parthe. Ainsi au cours de l’hiver dernier, ils s’étaient furieusement entraînés pour pouvoir eux-mêmes l’utiliser.
Leur exécution était bien sûr encore très imparfaite par rapport au clan dont ils s’étaient inspirés, mais leurs ennemis avaient baissé leur garde.
Les soldats du Clan de la Foudre avaient été la proie des flèches si facilement que c’en était presque comique.
Et pourtant, ils n’avaient pas arrêté leur poursuite.
Bien que les forces spéciales du Clan du Loup utilisaient cette technique pour attirer délibérément l’ennemi vers elles, du point de vue de l’ennemi, elles donnaient toujours l’impression de fuir.
Ainsi, plutôt que de faiblir, les soldats du Clan de la Foudre avaient poursuivi les cavaliers du Clan du Loup avec encore plus d’énergie.
Ils se présentaient sur un plateau d’argent.
Attirer l’ennemi à proximité, puis tirer et fuir. Attirer, et tirer. L’unité de Sigrun avait répété ce processus.
Ils ont finalement dépensé toutes leurs flèches et, après avoir réussi à infliger un nombre satisfaisant de pertes, il était temps de se retirer.
C’est à ce moment-là que c’est arrivé.
Un seul cavalier à cheval était sorti des troupes du Clan de la Foudre, laissant un énorme nuage de poussière dans son sillage.
Même de loin, Sigrun pouvait distinguer le rouge ardent des cheveux du cavalier, et elle frissonna.
« On s’en va ! » avait-elle crié. « Battez en retraite à toute vitesse ! »
À son ordre, les membres des forces spéciales avaient tous éperonné leurs fidèles chevaux au pas de course, penchant leurs corps vers l’avant et se concentrant uniquement sur la fuite.
Ils se déplaçaient à une vitesse incroyable, incomparable à leur prétendue « fuite » de tout à l’heure, et en un clin d’œil, les troupes du Clan de la Foudre disparurent derrière eux.
Cependant, Steinþórr lui-même restait toujours sur leurs talons. Loin d’être laissé derrière, il les rattrapait chaque seconde.
« Khh… il est si rapide ! » Sigrun grimaça amèrement en jetant un coup d’œil derrière elle.
Le commandant en chef de l’ennemi avait chargé en avant pour les poursuivre seul, sans aucun allié ni protection. Normalement, cela aurait été une occasion en or. Cependant, le bon sens était inutile contre cet ennemi — Steinþórr, le guerrier surhumain sans égal.
Si elle l’attaquait maintenant avec les 300 soldats d’élite de ses forces spéciales, elle pensait avoir de bonnes chances de gagner. Mais cela se ferait indéniablement au prix d’énormes pertes de son côté.
Bien sûr, il y avait suffisamment de valeur à le tuer pour que même ce prix en vaille la peine. Le problème était que, selon toute vraisemblance, avant qu’ils ne parviennent à l’épuiser suffisamment pour l’achever, ses troupes les rattraperaient. C’était l’issue la plus prévisible, et cela rendrait toutes leurs pertes complètement inutiles.
Bien sûr, à ce rythme, ce n’était qu’une question de temps avant qu’il ne les rattrape de toute façon.
« Allez… allez… où est-il… !? » murmurait Sigrun pour elle-même, presque comme un chant, ne pouvant réprimer son impatience.
Il devrait être juste un peu plus loin devant.
Chaque seconde qui passait semblait désespérément longue.
« Guaah ! » Un cri était venu de derrière elle, le cri de mort d’un homme.
Un des membres de son unité avait pris du retard, et Steinþórr l’avait rejoint.
« Rrgh… ! Est-ce encore loin !? » Un rayon de lumière frappa les yeux de Sigrun — le reflet de la lumière du soleil sur l’eau. « Ah ! C’est là ! »
Une rivière était apparue, son eau était d’un gris-brun sale. C’était l’Élivágar, la rivière qui avait été autrefois la frontière entre les territoires du Clan du Loup et du Clan de la Foudre.
« En avant ! On y va ! » Immédiatement, elle avait aboyé l’ordre.
L’un après l’autre, ses cavaliers avaient fait sauter leurs chevaux dans la rivière avec un grand plouf ! et ils avaient avancé dans l’eau.
Leur vitesse avait visiblement baissé, car le courant leur avait fait perdre pied.
Cela signifiait l’opportunité parfaite pour Steinþórr. Cependant, il tira fermement sur les rênes de son cheval et s’arrêta brusquement, refusant de s’approcher du bord de l’eau.
Son comportement était tout à fait naturel.
C’est au cours de la bataille de la rivière Élivágar, en fait sur cette même rivière, que les eaux en furie avaient infligé à Steinþórr la toute première défaite de sa vie.
C’était un homme qui avait toujours foncé sans relâche, mais en ce moment, il ne pouvait qu’hésiter.
Et ainsi, l’unité des forces spéciales de Múspell échappa à la poursuite de Steinþórr.
Ce soir-là, après que Steinþórr se soit regroupé avec son armée principale, il s’était trouvé confronté à une tempête d’un autre genre.
« Combien de fois… combien de fois dois-je te le dire avant que tu n’écoutes !? Ne le fais pas ! Charger… en avant… tout seul ! »
Les cris de Þjálfi lui tombaient dessus comme des coups de tonnerre, entrecoupés de petites pauses pour respirer.
Bien qu’il ait crié à perdre haleine, il semblait avoir encore beaucoup de choses à dire. La colère semblait irradier de tout son corps comme de la vapeur, et c’était suffisant pour même faire trembler les soldats du Clan de la Foudre, qui regardaient de loin.
Mais Steinþórr lui-même ne semblait pas être dérangé le moins du monde. Il retirait paresseusement la saleté dans son oreille avec un doigt.
« Père ! » Þjálfi avait crié.
« Hé, tu n’as pas besoin de crier si fort. Je peux très bien t’entendre. Mais allez, je n’avais pas le choix. »
« Comment, exactement, pouvais-tu ne pas avoir eu le choix !? »
« Écoute, si je n’avais pas fait ça, on se serait retrouvé avec beaucoup plus de morts et de blessés que ce qu’on a eu, non ? »
« Nngh. » Þjálfi avait froncé les sourcils et n’avait pas répondu.
L’attaque de la cavalerie du Clan du Loup avait tué près d’une centaine de membres du Clan de la Foudre, laissant plusieurs fois ce nombre de blessés.
« Je nous ai aidés en chassant ces gars de l’autre côté de la rivière. Maintenant, ils savent qu’ils ne peuvent plus essayer cette merde avec nous, n’est-ce pas ? »
« Rrrrgh… ! » Þjálfi avait senti ses dents grincer.
Il voulait se mettre en colère, mais ne pouvait pas. Il n’avait nulle part où diriger sa colère, et cela déformait son visage.
***
Partie 3
Ce que Steinþórr avait fait était plus que stupide, c’était carrément idiot. Mais cela avait produit des résultats. Les pertes du Clan de la Foudre avaient été réduites au minimum.
C’était la façon dont les choses se passaient habituellement avec ce jeune homme.
Þjálfi n’avait encore que vingt-neuf ans, mais il avait récemment remarqué que sa ligne de cheveux commençait à reculer, et il était absolument certain que c’était à cause du stress causé par son père juré, égocentrique et irréfléchi.
« Ohh oui, encore une chose, » ajouta Steinþórr, comme s’il venait de se souvenir de quelque chose.
« Qu’est-ce que c’est ? »
« Ces types ont comme d’habitude traversé la rivière. Plutôt bizarre quand il y a eu toutes ces fortes pluies hier et le jour d’avant. »
« Je vois… c’est certainement étrange. Nous devrions fouiller la zone en amont à partir de la première heure demain matin. »
« Tu comprends vite. C’est pour ça que j’aime t’avoir dans le coin, mec. Ça rend les choses tellement plus faciles pour moi. »
Þjálfi grimaça et haussa les épaules. « En attendant, être près de toi ne fait que me causer toutes sortes de maux de tête. »
Après des pluies aussi abondantes, le fleuve aurait dû couler beaucoup plus haut et plus vite. Le fait que l’ennemi ait traversé si facilement était suspect, même si on tenait compte du fait qu’ils étaient à cheval.
« Je pense qu’il est plus probable qu’ils aient organisé quelque chose… Quand même, ils doivent nous prendre pour des idiots. Même si c’est de toi qu’il s’agit, pensent-ils sérieusement qu’ils peuvent faire marcher le même tour deux fois ? »
« Attends, » commença Steinþórr. « Je suis sûr que ça veut dire que tu viens de me traiter d’idiot. »
« C’est ton imagination, Père, » répondit Þjálfi.
C’était un mensonge, bien sûr, mais vu ce que Þjálfi avait dû endurer, on pouvait peut-être lui pardonner.
Steinþórr ne semblait pas y prêter plus d’attention, et continua. « Eh bien, oui, je ne pense pas qu’ils s’attendent sérieusement à ce que nous tombions dans ce piège à nouveau. Ils l’ont probablement fait dans l’espoir d’une chance que nous le fassions. »
« Ah, c’est logique. Et vu sous cet angle, c’est assez impressionnant de leur part. Pour faire un barrage sur la rivière, les sacs de sable et les ouvriers nécessaires demanderaient une quantité assez importante de fonds et de préparation. Peut-être d’autant plus cette fois, puisqu’ils ont probablement fait cela au pied levé. »
Même si le Clan du Loup avait réalisé d’énormes profits grâce au commerce de ses verreries, ce genre de dépenses ne pouvait pas être anodin pour eux.
Pour une stratégie qui permettrait de repousser ou d’anéantir leurs ennemis, il s’agirait bien sûr d’un prix bon marché à payer, mais si elle ne donnait aucun résultat, tout cet argent et ce travail n’auraient servi à rien.
Steinþórr gloussa. « Héhé, ça montre bien que notre ennemi n’a pas peur de montrer à quel point il est désespéré. Ils ont perdu Suoh-Yuuto, et ils sont acculés dans un coin. Peut-être que c’est tout ce qui leur reste ? »
Pendant ce temps, les rares jours consécutifs de fortes pluies avaient également fait monter les eaux de la rivière Körmt, freinant efficacement l’avancée du Clan de la Panthère.
Pour un temps, au moins, le Clan de la Corne avait les cieux eux-mêmes de son côté. Cependant, le Clan de la Panthère restait campé près de la rive sud de la rivière.
Cinq jours avaient passé, et cette période de bonne fortune avait pris fin.
« Le niveau de l’eau a baissé…, » dit Haugspori, l’assistant du commandant en second du Clan de la Corne, en jetant un regard noir sur la rivière Körmt. « Ils peuvent nous attaquer à tout moment maintenant. »
Son regard se dirigea vers la rive lointaine de la rivière jusqu’aux rangs des troupes du Clan de la Panthère qui attendaient là, et il se gratta nerveusement l’arrière de sa tête d’une main.
Il avait reçu l’ordre de son patriarche Linéa de retenir le Clan de la Panthère au bord de la rivière, mais cela allait être assez difficile à faire.
Après tout, l’ennemi avait trois fois plus de soldats.
S’ils s’appuyaient sur cette différence de taille écrasante et attaquaient de toutes leurs forces d’un seul coup, le Clan de la Corne n’aurait franchement aucun moyen de les arrêter.
Bien sûr, les chances que le Clan de la Panthère essaie une telle méthode de force brute étaient probablement assez faibles. Après tout, ils ne seraient pas prêts à sacrifier la vie d’un grand nombre de leurs hommes juste pour franchir ce point.
« Si l’un d’entre nous montre une ouverture, tout va s’écrouler en une seconde…, » murmura Haugspori pour lui-même.
Deux armées, toutes deux en formation, se regardant en silence. C’était une situation courante dans les grandes batailles de terrain.
La clé de cette « bataille silencieuse avant la bataille » était de savoir si l’on pouvait maintenir le moral de ses propres troupes et affecter celui de l’ennemi.
Une impasse prolongée allait saper le moral des troupes, tout comme les épisodes de mauvais temps comme ceux qu’ils venaient de connaître.
De plus, lorsque les forces de l’ennemi avaient un avantage clair, maintenir le moral avec cette connaissance était une tâche difficile en soi.
Presque tous les soldats ici étaient des recrues enrôlées dans la population, généralement les deuxième ou troisième fils de fermiers et autres. On ne pouvait pas simplement exiger que de tels hommes se battent et meurent pour leur nation avec une loyauté sans faille.
Si leur fortune prenait un mauvais tournant, ces hommes s’enfuiraient probablement.
Une coordination et une discipline sans faille, comme celles montrées par les troupes du Clan du Loup, étaient totalement anormales selon les normes communes.
Debout sur l’autre rive, un homme masqué jetait un regard dans sa direction, l’observant.
« Bon sang ! Même de loin, la vue de ce type me fait froid dans le dos, » murmura Haugspori. Soudain, il eut la sensation que quelque chose n’allait pas. « Hm ? »
Une des choses les plus importantes pour un archer est une bonne vision. En tant que meilleur archer du Clan de la Corne, Haugspori avait également les meilleurs yeux du clan.
C’est pourquoi il avait été capable de réaliser ce qui se passait.
Cependant, il était arrivé un peu trop tard.
« L’ennemi attaque ! Attaque ennemie ! Cavaliers armés, approchant de nous par l’ouest ! »
« Héhé, ils sont tombés dans le panneau. » Hveðrungr sourit en faisant courir son cheval le long de la rive de la rivière Körmt — la rive nord.
L’homme qui se tenait si effrontément à la vue de tous sur la rive sud du fleuve était un imposteur, un homme de même corpulence et de même chevelure à qui Hveðrungr avait fait porter un masque semblable au sien.
L’apparence de Hveðrungr était si infâme que dans les terres occidentales d’Yggdrasil, il était déjà connu sous le surnom de Grímnir, le Seigneur Masqué. De ce fait, quiconque voyait une personne portant son masque de fer noir supposait que c’était lui. Il avait simplement utilisé ce fait à son avantage.
Avec « Hveðrungr » et la majorité de l’armée qu’il commandait, visibles sur le rivage, à l’affût d’une ouverture, le Clan de la Corne n’aurait bien sûr d’autre choix que de leur consacrer toute son attention.
Et en attirant leur attention sur sa force principale et son faux, le vrai Hveðrungr avait pu prendre trois mille cavaliers avec lui dans une unité séparée, se rendre à un autre point de passage et prendre son temps pour passer la rivière à gué.
La traversée avait encore été quelque peu difficile, mais sans la menace supplémentaire des troupes du Clan de la Corne, ce n’était pas un problème.
Et une fois qu’ils avaient traversé, il n’y avait plus rien à craindre.
Le Clan de la Corne était formé pour faire face aux forces du Clan de la Panthère sur la rive opposée, et donc leur flanc non protégé était exposé.
« Héhé, nous allons les anéantir d’un seul coup ! » Hveðrungr avait avancé sa main, signalant à ses hommes de charger.
« Rrraaaaaaaaghh !!! »
Les cavaliers du Clan de la Panthère poussèrent un cri de guerre puissant et foncèrent à pleine charge vers le Clan de la Corne à une vitesse féroce.
À ce moment-là, ils avaient supposé qu’il ne leur restait plus qu’à écraser et à anéantir leurs ennemis dans un massacre unilatéral.
Cependant…
Un fort grondement était venu des profondeurs des rangs du Clan de la Corne. C’était le grondement sinistre de dizaines de roues de chariots lourds.
« Ngh ! Le mur de wagon !? » Hveðrungr avait fait claquer sa langue en signe d’irritation. « Tch… Comment ont-ils pu en acquérir autant par leurs propres moyens !? »
Il n’avait pas prévu le moins du monde qu’ils auraient préparé ça.
Jusqu’à présent, l’évaluation de Linéa par Hveðrungr avait été tout sauf favorable. Il avait, en bref, complètement écarté ses capacités.
Cette évaluation était, d’une certaine manière, inévitable. Les compétences de Linéa en matière militaire étaient absolument médiocres, si l’on s’en tenait aux résultats de ses batailles.
Elle avait attaqué le Clan du Loup avec deux fois leur nombre de soldats, et elle avait perdu de façon spectaculaire. Par la suite, elle n’avait rien pu faire pour arrêter les incursions du Clan de la Panthère, perdant même des villes fortifiées comme Myrkviðr et Sylgr.
Bien qu’elle soit la souveraine de la nation juste à côté de celle de Steinþórr, elle ne pouvait même pas mériter qu’il se souvienne de son nom.
Pendant l’invasion du Clan de la Panthère, et même avant, pendant l’invasion du Clan du Sabot, elle n’avait défendu la survie de sa nation que grâce à la protection du Clan du Loup.
C’est pourquoi Hveðrungr avait supposé qu’il serait capable de la vaincre avec la facilité d’un tigre chassant un petit.
Mais…
« Merde, » cracha-t-il avec frustration, « Arrêtez-vous, messieurs, arrêtez-vous ! Retirez-vous pour l’instant ! » Il avait fait demi-tour avec son cheval.
La force détachée qu’il dirigeait actuellement n’avait pas assez d’effectifs pour percer la défense de la forteresse de wagons.
« Je suppose que même un patriarche de second rang reste un patriarche, » grommela-t-il. « Donc elle était au moins digne d’atteindre sa position. »
Les chariots utilisés dans le mur de wagons étaient spécialement renforcés par des plaques de fer, et la création d’un seul de ces chariots avait dû coûter très cher.
Même si le savoir de Yuuto avait rendu sa production possible, le fer restait très, très cher. Et le Clan de la Corne aurait importé les matériaux du Clan du Loup, ce qui rendrait le prix de production encore plus élevé.
En seulement six mois, le Clan de la Corne les avait produits en masse. Linéa avait pleinement saisi la valeur militaire de la défense du mur de wagons, et même si sa nation se débattait dans son état politique affaibli, elle avait trouvé le moyen de réunir l’argent nécessaire pour couvrir l’énorme budget nécessaire. Ce n’était pas le travail d’un dirigeant médiocre.
Hveðrungr devrait repenser complètement sa stratégie d’invasion.
Après que la force détachée des cavaliers du Clan de la Panthère ait réussi à s’échapper à une certaine distance de la zone du champ de bataille, ils avaient trouvé un village agricole proche et l’avaient attaqué, capturant à la fois des vivres et un endroit pour établir une base.
Les cadavres des habitants assassinés jonchaient le sol ici et là. On pouvait entendre de divers endroits à l’extérieur du village, les gémissements et les cris des femmes.
Prenons par exemple Uesugi Kenshin, qui était considéré dans l’histoire du Japon comme un exemple de général vertueux et héroïque : on raconte qu’en pénétrant en territoire ennemi, il pillait agressivement les villages de leurs récoltes d’automne et capturait les habitants pour les vendre comme esclaves.
Aussi inhumain que cela puisse être, le pillage réduisait les ressources et la force d’un pays ennemi tout en soutenant sa propre armée, faisant ainsi d’une pierre deux coups. Ainsi, ça avait toujours été un élément légitime de la stratégie militaire, étant même recommandé par Sun Tzu.
« Pourtant, il semble qu’ils aient pris le dessus sur nous. » Le général du Clan de la Panthère, Narfi, soupira et secoua la tête. « Je n’aurais jamais pensé qu’ils auraient préparé ces “forteresses de chariots” contre nous… »
C’était un homme mince aux traits nets et délicatement beaux, ce qui le distinguait des hommes du Clan de la Panthère, qui avaient généralement l’air plus sauvages, virils et durs.
Cependant, contrairement à son apparence quelque peu faible, il était un Einherjar avec la rune de Hrímfaxi, le Frostmane, et le troisième plus fort combattant du Clan de la Panthère.
« Alors, que devons-nous faire ? Nous ne pouvons pas exactement utiliser la force brute pour nous frayer un chemin, comme pourrait le faire l’oncle Steinþórr du Clan de la Foudre. Et je crois que faire infiltrer nos hommes dans leur formation sous un déguisement, comme nous l’avons fait à Gashina, sera un peu difficile cette fois-ci. »
« Hmph, c’est vrai, percer ce mur défensif n’est pas un mince exploit, » dit Hveðrungr, assis en face de Narfi avec un air frustré sur le visage. Il haussa les épaules. « Même si nous nous coordonnions avec nos forces principales sur la rive sud de la rivière et lancions une attaque en tenaille, nous pourrions de toute façon être repoussés par leurs défenses. »
Narfi avait silencieusement acquiescé.
Lors de leur précédente bataille à Náströnd, ils avaient attaqué le mur de wagons du Clan du Loup avec deux fois plus de troupes et avaient été totalement vaincus sans même pouvoir infliger de pertes significatives à leur ennemi.
Ils avaient trois fois plus de troupes que leur ennemi en ce moment, mais même avec cela, il semblait clair que foncer tête baissée sans plan ne ferait que répéter l’histoire.
« Toutefois, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de solution, » annonça Hveðrungr.
« Ohh, comme prévu de votre part, mon Père. Alors, quel genre de méthode avez-vous en tête ? » Narfi était intérieurement frappé par l’impression que cet homme réussissait à trouver une astuce après l’autre pour percer la défense apparemment impénétrable du mur de wagons.
« Il y a longtemps, j’ai entendu ceci de la part d’une certaine personne : apparemment, mener cent batailles et gagner chacune d’entre elles n’est pas le résultat idéal en tant que commandant. »
« Eh bien, gagner toutes les batailles que vous livrez me semble être une chose merveilleuse, » objecta Narfi.
« Le croiriez-vous ? Apparemment, la plus grande victoire est de vaincre son ennemi sans jamais avoir à le combattre. » Hveðrungr ricana et gloussa doucement pour lui-même.
Narfi savait que lorsque Hveðrungr souriait de cette façon, c’était toujours lorsqu’il avait eu une idée particulièrement mauvaise.
À ce moment-là, Narfi avait vraiment eu pitié de ses ennemis du Clan de la Corne.