Le Maître de Ragnarok et la Bénédiction d’Einherjar – Tome 8 – Acte 2

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Chapitre 2 : Acte 2

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Chapitre 2 : Acte 2

Partie 1

« Voilà, c’est fait. La lune est levée maintenant… » Mitsuki soupira, levant un regard mélancolique vers la pleine lune. D’abord seulement visible entre les interstices des arbres denses, elle s’était silencieusement élevée hors de la ligne de la canopée dans le ciel nocturne.

Alors que Mitsuki et Yuuto avaient poursuivi leurs préparatifs, les jours avaient semblé passer à toute vitesse.

Durant le dernier demi-mois qui lui restait, elle avait passé consciencieusement du temps avec ses parents, et avait également passé autant de temps que possible à s’amuser avec Ruri et ses autres amies, afin de ne laisser aucun regret derrière elle.

La nuit précédente, sa famille et Ruri lui avaient organisé une énorme fête d’adieu.

Et pourtant, le fait que ce soit peut-être la dernière fois qu’elle leur dise au revoir à tous lui avait donné l’impression que ce n’était pas encore assez pour la satisfaire.

Si j’avais fait les choses différemment à l’époque… Si seulement j’avais fait cette chose pour cette personne quand je le pouvais… Si j’avais pu avoir la chance de… L’esprit de Mitsuki s’était rempli d’une montagne de choses qu’elle n’avait pas faites, de choses qu’elle n’aurait jamais la chance d’essayer. Sa vision était brouillée par les larmes.

« Mitsuki, assure-toi de prendre soin de ta santé, d’accord ? » Sa mère avait parlé à travers ses propres larmes et l’avait serrée très fort dans ses bras.

Mitsuki pensa que c’était la dernière fois qu’elle ressentait cette chaleur, et les coins de ses yeux devinrent plus chauds. Elle s’était promis de dire au revoir avec un sourire, et de ne pas s’effondrer en pleurant, mais les larmes avaient quand même coulé sur son visage.

« Toi aussi, maman. Je suis désolée… Je suis désolée de ne pas avoir été une meilleure… fille… »

« De quoi parles-tu, chérie ? Si tu dis ça, alors fais-le pour moi : assure-toi de vivre une vie heureuse là-bas. C’est… c’est la meilleure chose qu’un enfant puisse faire pour son parent. »

« Ok… ok… » Mitsuki avait hoché la tête encore et encore, tout en reniflant.

Elles s’étaient tenues pendant un long moment, puis finalement, Miyo avait posé ses mains tremblantes sur les épaules de Mitsuki et l’avait fermement repoussée.

« Ce n’est pas juste pour moi de te garder pour moi toute seule, n’est-ce pas ? » Souriant à travers ses larmes, Miyo se pencha un peu pour faire un geste vers l’homme à ses côtés.

Shigeru, le père de Mitsuki, se tenait là, les dents serrées, le visage froncé comme s’il essayait de se retenir.

« Vas-y, chéri, toi aussi, » avait insisté Miyo.

« D-D’accord. » Shigeru avait parlé d’une voix tremblante. « Ahh… hum, eh bien, tu sais, juste… reste en contact avec nous autant que tu le peux. »

Mitsuki avait pu voir que ses yeux étaient larmoyants.

Après avoir eu une meilleure impression de Yuuto en tant que personne, son père l’avait reconnu à contrecœur comme quelqu’un digne de donner sa fille, mais il ne faisait aucun doute qu’il ne pouvait toujours pas supporter de se séparer d’elle.

Mitsuki pouvait lire ces sentiments derrière ses mots. Elle avait hoché la tête profondément.

« Oui, je le ferai. Je t’appellerai tous les jours, quand ce sera possible. »

« Si jamais tu commences à détester les choses là-bas, tu peux toujours revenir chez nous, d’accord ? Je suis ton père. Je peux trouver un moyen pour que ça arrive. »

« Merci, papa. Mais ça va aller. Je vais être heureuse. »

« … Oui, d’accord. » Shigeru avait relevé la tête, essayant de retenir ses larmes, et lui avait tourné le dos.

Ses épaules tremblaient. Sa fierté de père ne lui permettait pas de laisser sa fille le voir pleurer.

Mitsuki s’était inclinée profondément vers le dos de son père. « Merci d’avoir pris soin de moi, merci pour tout. J’ai eu la chance de naître en tant que ta fille, papa. S’il te plaît, assure-toi de bien t’entendre avec maman, d’accord ? »

« Ne parle pas à ton père comme ça ! Tu n’es encore qu’une enfant. Tu dois juste t’inquiéter de prendre soin de toi, c’est tout ce que tu… uuugh… augh…, » à la fin, Shigeru n’avait pas pu finir sa phrase, sa voix s’était brisée en sanglots.

Des gouttes de larmes pleuvaient aussi des yeux de Mitsuki.

Alors qu’elle se tenait là, elle avait senti une main lui taper soudainement sur l’épaule.

« Mitsuki, bonne chance là-bas, et sois sûre de vivre une bonne vie ! »

« Ruri-chan… Oui, oui ! Je le ferai certainement ! » Mitsuki regarda sa meilleure amie, qui était venue ici au milieu de la nuit juste pour la voir partir comme ça, et lui montra le plus grand sourire qu’elle pouvait avoir.

Le visage de Ruri était aussi couvert de larmes, elle avait dû être poussée à ça en voyant la mère et le père de Mitsuki s’effondrer en pleurant. Malgré cela, elle avait affiché son sourire espiègle caractéristique et avait fait un signe à Mitsuki avec le pouce en l’air.

« Quand tu auras des enfants, assure-toi de m’envoyer des photos. »

« Quoi ? Tu vas trop loin, Ruri-chan ! »

« Qu’est-ce que tu dis ? » Ruri sourit. « Yuuto-san est comme un roi là-bas. Si tu dois être sa reine, avoir un bébé tout de suite pour assurer le prochain héritier est un de tes rôles, non ? »

« Y-Yggdrasil ne fait pas de succession par la lignée du sang… »

« Hein ? Attends, vraiment ? » Ruri avait penché la tête sur le côté, perplexe.

En y repensant maintenant, Mitsuki se souvient que Ruri avait été distraite ou endormie chaque fois qu’il y avait eu des discussions sur les détails les plus fins d’Yggdrasil.

« Attends un peu, Mitsuki, » dit Ruri avec confiance. « Je vais aussi me trouver un petit ami génial, aussi cool que ton “Yuu-kun”. Je t’enverrai des photos quand ce sera fait. »

« Ah ha ha ! Je suis impatiente de voir ça. »

« Mitsuki ! Prends soin de toi, » ajouta Ruri, qui semblait un peu étouffée.

« Oui, toi aussi, Ruri-chan, » Mitsuki avait pris une profonde inspiration. « Très bien, alors. Je vais y aller maintenant. »

Elle ne voulait pas dire adieu, mais elle parvint tout de même à sortir les mots, et se baissa pour ramasser le sac à dos posé à ses pieds et l’enfiler.

Il était trop grand pour sa petite taille, et semblait pouvoir l’écraser sous elle à tout moment. Il était bien rempli avec tout l’assortiment d’articles qu’elle avait achetés en prévision de ce jour.

Mitsuki avait fait une dernière révérence à tout le monde, et s’était retournée pour partir.

Un peu plus loin devant elle se trouvait Yuuto, qui regardait dans sa direction, le visage froncé et l’air souffrant. Il portait également un grand et lourd sac à dos.

Plus loin, derrière Yuuto, se tenait son père, Tetsuhito. Il semblait que Yuuto avait aussi fini de faire ses derniers adieux.

Avec des pas lourds et légèrement instables sous le poids du sac, Mitsuki s’était dirigée vers Yuuto.

« Désolée de t’avoir fait attendre. »

« … Es-tu vraiment d’accord avec ça ? » dit Yuuto tranquillement, en jetant un regard à la famille de Mitsuki. « Tu peux toujours faire marche arrière, tu sais. »

« Non, je vais bien. » Mitsuki avait essuyé ses yeux avec sa manche et avait fait un visage courageux, se forçant à regarder devant elle.

Son regard se posa sur le petit sanctuaire Shinto usé et partiellement pourri situé devant eux. Tout avait commencé ici il y a trois ans, lorsqu’ils étaient venus ici pendant une épreuve pour tester leur courage.

 

 

Ils avaient tous deux fait leurs adieux. Il ne restait plus qu’à attendre que le rituel d’invocation à Yggdrasil commence, puis, lorsque le moment serait venu, à regarder dans le miroir divin en utilisant un miroir opposé.

« Bon, alors. Je vais leur dire de commencer le rituel de leur côté. » Yuuto sortit un nouveau smartphone, et le plaça à son oreille.

C’était un nouveau modèle qu’il avait acheté il y a une semaine. Il était censé être équipé des derniers écrans LCD et l’autonomie de la batterie était incroyablement meilleure que celle des modèles précédents.

Ils s’étaient assurés d’acheter des batteries solaires de grande capacité, de sorte que leur situation en matière de batteries de l’autre côté était sûre d’être radicalement améliorée, mais il n’en restait pas moins que leur puissance avait une limite stricte.

Yuuto avait décidé d’acheter le nouveau téléphone, à la durée de vie plus longue, pensant qu’il valait mieux l’avoir que pas, juste en cas d’imprévu.

« Félicia ? Est-ce que tout est prêt là-bas ? … D’accord, alors vas-y et commence. »

C’était ça.

Dans quelques instants, Mitsuki quittera pour toujours le Japon, le pays où elle était née et avait grandi.

À l’instant où cette pensée lui avait traversé l’esprit, l’anxiété avait soudainement commencé à monter en elle.

Pourrait-elle supporter de ne plus jamais voir ses parents ? Pourrait-elle vraiment se débrouiller dans ce pays étranger qu’elle n’avait jamais vu et dont elle ne comprenait pas la langue ?

Elle savait qu’il était un peu tard pour avoir peur, mais elle ne pouvait pas s’en empêcher.

Mais elle ne pouvait pas non plus faire demi-tour.

« Très bien… Mitsuki. » Yuuto s’était tourné vers elle et lui avait tendu la main.

« D’accord ! » Avec un hochement de tête enthousiaste, Mitsuki avait saisi la main de Yuuto et avait regardé l’écran du smartphone qu’il tenait.

L’application caméra était déjà active, et le cadre était centré sur Yuuto et Mitsuki, leurs expressions raides et nerveuses. Centré entre eux, le miroir divin captait la lumière de la lune et émettait une lueur étrange.

(ᚠᛟᛉ ᛟᛋᛋ ᛋᛖᚷᛖᛉᛜ)

Tout à coup, Mitsuki avait entendu une voix de femme, belle et claire comme une cloche, qui semblait résonner au loin. C’était une voix qu’elle avait entendue plusieurs fois auparavant, en arrière-plan pendant ses conversations téléphoniques avec Yuuto.

Ohh, alors ça doit être la voix de Félicia, avait-elle pensé. Puis l’image d’une femme s’était matérialisée dans son esprit.

Même si elle continuait à regarder l’image d’elle-même et de Yuuto sur l’écran du smartphone dans la réalité, c’était comme si elle regardait simultanément une scène différente avec l’œil de son esprit. C’était une sensation très étrange.

La femme dans son esprit portait un diadème doré finement travaillé et décoré par endroits de gemmes, ainsi qu’une tenue d’un blanc pur qui rappelait à Mitsuki les robes d’un ange. Elle était complètement absorbée par l’exécution d’une sorte de danse.

« Wow, elle est si jolie… » Mitsuki avait chuchoté et avait laissé échapper un souffle qu’elle n’avait pas réalisé avoir retenu.

Elle avait déjà vu des images de Félicia, sur des photos que Yuuto lui avait envoyées, mais ce n’était rien comparé au fait de voir sa silhouette glamour en vrai comme ça.

(ᚷᚢᛞ, ᛋᛖᚷᛖᛉᛜ ᚦᛁᛚᛚ ᛟᛋᛋ !)

La voix avait résonné dans son esprit à nouveau, beaucoup plus clairement qu’avant.

La vision de Mitsuki dans le monde réel avait commencé à vaciller.

Il semblait que le rituel d’invocation allait fonctionner.

Ils n’avaient pas vraiment compris la méthode exacte pour voyager du Japon du 21ème siècle à Yggdrasil, donc ils avaient essayé de reproduire le plus fidèlement possible les mêmes événements qui avaient conduit à l’invocation de Yuuto la dernière fois.

La perspective de s’en remettre simplement à cette vague méthode avait laissé Yuuto inquiet, argumentant : « Alors que faisons-nous si ça ne marche pas !? » Il y avait toujours la menace des Clans de la Foudre et de la Panthère, après tout, et il était désespéré d’arriver à Yggdrasil aussi vite que possible.

Heureusement, il semblait qu’il n’aurait pas à s’inquiéter à ce sujet.

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Partie 2

« Hein !? » Mitsuki s’écria de surprise en sentant disparaître la sensation de la main de Yuuto dans la sienne.

Elle avait serré sa main fermement, déterminée à ne pas la lâcher quoi qu’il arrive, et pourtant c’était comme s’ils avaient été séparés en un instant. Comme s’il avait disparu.

« Yuu-kun… ! » Paniquée, Mitsuki s’était retournée pour regarder dans la direction de Yuuto.

« Mitsuki ! » Yuuto avait crié son nom, son visage était en état de choc. Sa voix semblait lointaine. Sa silhouette semblait floue et faible.

Sans même réfléchir, Mitsuki avait, par réflexe, tendu la main vers lui.

Yuuto se tendit aussi, et attrapa sa main… et sa main glissa à travers la sienne.

« Quoi ? Mitsuki, tes yeux… ! »

Yuuto disait quelque chose, mais c’était trop faible pour l’entendre clairement. Sa silhouette se brouillait et s’estompait…

… et la vision de Mitsuki était devenue sombre.

 

 

Quand Mitsuki avait retrouvé la vue, la première chose qu’elle avait vue était un miroir à l’aspect familier.

Sa surface était soigneusement polie et ne contenait pas un grain de rouille, mais sinon sa forme et son apparence étaient exactement les mêmes que celles du miroir divin transmis de génération en génération dans la famille de Mitsuki.

Le miroir était enchâssé sur un autel rectangulaire entouré de torches, ainsi que ce qui ressemblait à des idoles d’argile.

Mitsuki avait senti un groupe de personnes derrière elle, chuchotant entre elles, et s’était retournée pour voir une foule de plusieurs dizaines de personnes.

« Ah… ! » Mitsuki ne put s’empêcher de sursauter et de se crisper instinctivement, c’était un grand groupe, et ils étaient tous clairement étrangers, avec des traits ciselés et des cheveux blonds et bruns. Mais ils semblaient tout aussi surpris par elle, peut-être même plus.

Les yeux écarquillés, ils l’avaient tous regardée fixement, puis avaient commencé à regarder autour d’eux nerveusement. C’était comme s’ils cherchaient quelqu’un.

« Ah, c’est vrai ! Et pour Yuu-kun !? » Mitsuki avait également commencé à regarder frénétiquement autour d’elle, à la recherche de l’ami d’enfance qui aurait dû être convoqué à ses côtés.

La pièce dans laquelle ils se trouvaient était à peu près de la taille d’un petit gymnase d’école, mais il n’y avait aucun signe d’une personne aux cheveux noirs foncés.

Mitsuki avait baissé les yeux sur la paume de sa main droite.

Jusqu’au dernier moment, sa main avait été jointe à celle de Yuuto. Mais maintenant, elle était vide.

Ça ne pouvait vouloir dire qu’une chose.

« Suis-je… venue ici seule ? » Alors que les mots quittaient sa bouche, Mitsuki pouvait sentir le sang s’écouler hors de son visage.

Elle avait prévu la possibilité que seul Yuuto soit invoqué, ou que ça échoue et qu’aucun d’eux ne le soit. Mais elle n’avait pas envisagé le scénario où elle serait invoquée seule.

« Attendez, non, ce n’est pas possible… » Mitsuki avait commencé à paniquer. Qu’était-elle censée faire, seule dans un monde où elle ne pouvait même pas communiquer avec qui que ce soit ?

« Mitsuki ᛋᛃᛋᚦᛖᛉ ? » Une femme l’avait appelée, la même femme qu’elle avait vue dans sa vision plus tôt — Félicia.

C’était la première fois qu’elles se rencontraient face à face, mais elle avait beaucoup entendu parler de Félicia par Yuuto. Le fait de voir quelqu’un qu’elle connaissait lui avait permis de retrouver un peu de calme.

« Ah, oui ! O-oui, c’est vrai. Je suis Mitsuki. Je suis Mitsuki. » Elle avait répété son propre nom, en se montrant du doigt.

Félicia hocha la tête pour montrer qu’elle avait compris, puis répondit par une question. « Yuuto ᛒᛉᛟᛉ ? »

Elle utilisait le mot « Yuuto », donc Mitsuki avait compris qu’elle devait demander ce qui lui était arrivé.

C’était aussi la question à laquelle Mitsuki voulait le plus répondre en ce moment.

« Oh, c’est vrai ! » Mitsuki s’était exclamée.

Si elle ne le savait pas, elle devait juste lui demander elle-même. Si elle était à côté de ce miroir divin, elle pourrait contacter le monde du Japon moderne.

Elle était un peu gênée que sa panique lui ait fait mettre si longtemps à s’en souvenir.

« Euh, voyons voir, smartphone, smartphone… » Elle avait essayé de plonger la main dans son sac pour le récupérer, mais l’énorme sac à dos sur son dos faisait en sorte que ses bras ne pouvaient tout juste pas l’atteindre.

Elle laissa tomber le lourd paquet, et reprit le sac à main pour chercher le téléphone.

Taaaa ! Ta la laaaa !

Une vieille mélodie familière était parvenue à ses oreilles. C’était une chanson qui avait été populaire il y a un peu plus de trois ans, elle se souvenait que Yuuto l’avait choisie comme sonnerie à l’époque.

Mitsuki s’était tournée dans la direction du son pour voir une fille aux cheveux argentés.

« Félicia, » dit la fille aux cheveux argentés.

Elle avait un air dur et vaillant. En appelant le nom de Félicia, elle avait montré un objet que Mitsuki avait reconnu immédiatement.

C’était un modèle de smartphone un peu plus ancien, celui que Yuuto avait utilisé il y a trois ans. Son écran était un peu petit pour sa taille, et il était un peu plus épais que les téléphones qu’elle avait l’habitude de voir de nos jours.

« ᛒᛉᛟᛉ !? » Félicia avait couru vers la fille aux cheveux argentés et avait pris le téléphone, le plaçant à son oreille. Elle avait crié dans des mots que Mitsuki n’avait pas compris. La personne à l’autre bout du fil devait être Yuuto.

Mitsuki pouvait facilement dire à quel point Félicia devait être inquiète à cause de son ton, même sans comprendre les mots eux-mêmes.

C’était probablement naturel. Yuuto était la personne que le Clan du Loup voulait absolument récupérer, mais ils n’avaient pas réussi à invoquer l’homme lui-même, et n’avaient eu que son passager supplémentaire. Bien sûr, ils étaient confus.

Mitsuki elle-même avait ressenti la même chose, remplie d’effroi à l’idée de ce qui allait se passer maintenant.

Son anxiété était encore aggravée par les regards étranges que lui lançait la foule, et leurs voix dans une langue qui n’avait aucun sens pour elle.

« Mitsuki ᛋᛃᛋᚦᛖᛉ. » Félicia se tourna vers Mitsuki, qui l’avait nerveusement regardée parler avec Yuuto, et lui tendit le smartphone.

Sans réfléchir, Mitsuki l’avait arraché de ses mains.

« Yuu-kun !? » avait-elle crié.

« Hé, c’est Mitsuki ? Oui, c’est moi. Je ne sais pas pourquoi, mais on dirait que tu es la seule à avoir été convoquée. »

Yuuto lui répondit d’une voix beaucoup plus calme que la sienne. Peut-être était-ce parce qu’il avait eu l’occasion de parler d’abord avec Félicia et de prendre le contrôle de la situation.

« Il se pourrait que Félicia n’ait assez de puissance magique que pour invoquer une personne à la fois. Elle va refaire le rituel de la Gleipnir pour nous, alors reste tranquille un moment, d’accord ? »

« O-okay. » Mitsuki avait hoché la tête, et avait expiré avec soulagement.

L’idée d’être toute seule dans ce monde étranger était terrifiante.

Au moins, ils savaient maintenant que l’exécution du rituel de Gleipnir de cette façon avait fonctionné pour amener quelqu’un du Japon moderne à Yggdrasil.

Dans ce cas, on peut supposer que la prochaine invocation de Yuuto sera une tâche facile…

 

« Oh, c’est vrai, ce soir c’est la pleine lune. »

Debout sur sa terrasse, le patriarche du Clan de la Panthère, Hveðrungr, regarda le ciel et se dit à haute voix, comme s’il venait de se souvenir.

La lumière de la lune qui éclairait son visage faisait scintiller le masque noir de jais qui en recouvrait la moitié supérieure. Ce masque étrange lui avait valu le surnom de Grímnir, le Seigneur Masqué parmi les gens de la région, un nom sous lequel il était largement craint.

S’occuper des conséquences de la grande bataille de Gashina l’avait tenu incroyablement occupé pendant la dernière moitié du mois, à tel point qu’il avait même perdu la trace de la date du calendrier.

« Sigyn ! » Hveðrungr appela sa femme, qui attendait à proximité. Son regard et son ton étaient froids, bien plus froids que ce que l’on pourrait attendre d’un mari appelant sa femme.

Cette femme l’avait loué et défendu alors qu’il n’était encore qu’un étranger pour elle et son clan, et après avoir aidé à son ascension au pouvoir, elle lui avait été dévouée, il lui devait sûrement une dette extraordinaire pour cela.

Cependant, cette femme avait également utilisé son pouvoir pour expulser de ce monde l’homme que Hveðrungr avait juré à maintes reprises de tuer de ses propres mains. Maintenant, il était dans un endroit hors de portée.

Son geste semblait déclarer que Hveðrungr n’était pas de taille pour Yuuto. Sa femme, parmi tous les autres, avait fait ça. Il ne pouvait pas le lui pardonner.

Franchement, il pourrait la découper en morceaux et ne serait toujours pas satisfait, mais elle était aussi la précédente dirigeante de ce clan, et celle qui l’avait publiquement nommé comme son successeur. S’il faisait ce qu’il voulait, il savait qu’il perdrait son pouvoir d’unifier le Clan de la Panthère sous son règne.

Cela dit, il n’était plus d’humeur à partager un lit avec cette femme. Leur relation s’était donc refroidie et s’était irrémédiablement effondrée.

« Qu’y a-t-il, Rungr ? » La réponse de Sigyn était aussi froide.

Comme toujours, sa tenue révélatrice ne cachait rien de la beauté de sa peau brune ni de ses formes sulfureuses, mais sa grâce sensuelle habituelle était étouffée par son expression sombre.

« Quelles sont les chances que Yuuto puisse revenir dans ce monde ce soir ? » demanda Hveðrungr. « Est-ce vraiment impossible ? »

Il est vrai qu’il y a deux ans, Yuuto ne souhaitait que retourner dans son pays natal. Mais les gens changent.

Yuuto était maintenant l’un des grands souverains de l’ouest d’Yggdrasil, et avait obtenu une grande richesse et un grand pouvoir. Ses coffres étaient remplis d’or, d’argent et de trésors, il avait le privilège de pouvoir choisir de belles femmes pour le servir à son gré chaque nuit, et tout le monde sous ses ordres s’agenouillait à ses pieds et suivait ses ordres.

Après être devenu un homme vivant une vie au sommet, une vie dont les autres ne pouvaient que rêver, il semblait impossible d’envisager que Yuuto puisse si facilement jeter tout cela.

Et le Clan du Loup, quant à lui, désirait sûrement bénéficier encore plus des connaissances qu’il pouvait leur apporter, car elles leur avaient apporté tant de gloire et de prospérité.

Ainsi, ce soir étant la pleine lune, sa petite sœur Félicia pourrait très bien être en train d’accomplir le rituel d’invocation une fois de plus.

« Aucune chance. » Sigyn avait répondu sans détour et fermement, abattant le mince espoir de Hveðrungr comme si elle avait coupé un fil. « Le prêtre impérial Alexis m’a parlé de l’utilisatrice de seiðr du Clan du Loup, et de son pouvoir. C’est bien plus faible que ce que j’ai. Je suis la Sorcière de Miðgarðr, et j’ai versé ma vie et mon âme dans le façonnage du Fimbulvetr — elle ne sera jamais capable de le surmonter. »

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