Acte 3
Partie 2
Avec un sourire timide, Linéa s’était agenouillée devant Yuuto et avait tendu le pichet vers lui. « Si je peux me permettre… »
C’était un fait de la vie que les filles de son jeune âge avaient tendance à devenir plus charmantes de jour en jour, mais de le voir de ses propres yeux… comparé à il y a seulement quelques mois, c’était comme si la douceur de son sourire était à un tout autre niveau.
C’est dommage que je sois pris, se dit Yuuto avec un sourire ironique, et tendit sa tasse.
« Oui, je te remercie. Et permets-moi, moi aussi. » Une fois la coupe de Yuuto remplie, il prit le pichet de Linéa.
« Bien sûr que oui. » Linéa avait permis à Yuuto de verser pour elle.
« Je compte aussi sur toi cette année. »
« Bien sûr ! Et j’espère pouvoir compter sur toi cette année aussi, Grand Frère. »
Ils cognèrent leurs tasses l’une contre l’autre et prirent chacun une petite gorgée, assez pour se mouiller les lèvres.
Chacun d’entre eux savait parfaitement combien de toasts ils allaient échanger avant la fin de la nuit, avec des boissons servies par leurs frères et sœurs et leurs enfants assermentés. Il était important de comprendre et de maintenir un bon rythme dans ces situations, afin d’éviter de s’enivrer et de se ridiculiser par inadvertance.
« Merci encore pour toute l’année dernière, » dit Yuuto. « J’ai entendu dire que la reconstruction à Myrkviðr et Sylgr se passe bien. »
« C’est ainsi parce qu’en premier lieu, tu as pu les reprendre pour nous, Grand Frère, » dit Linéa. « Et nous avons reçu beaucoup d’aide entre-temps. »
Au cours de la saison hivernale actuelle, une grande quantité de nourriture et d’argent avait été envoyée du Clan du Loup au Clan de la Corne pour aider à leur récupération. Linéa faisait probablement référence à cela.
Yuuto rit et haussa les épaules. « C’est tout à fait normal. Un frère qui aide sa petite sœur quand elle en a besoin est la chose naturelle à faire. »
Linéa regarda Yuuto droit dans les yeux, puis inclina profondément la tête vers lui. « Je tiens à exprimer la gratitude de mon peuple, en leur nom. Merci pour tout. »
Comme d’habitude, cette fille avait toujours eu son peuple au centre de ses pensées. Abaisser sincèrement la tête en remerciement au nom de quelqu’un d’autre, et encore plus pour une nation n’était pas exactement quelque chose que n’importe qui pouvait faire. Et bien sûr, ce n’était pas un geste politique — ça venait de son cœur.
C’était parce qu’elle était une personne d’un caractère si merveilleux et admirable que Yuuto s’était senti obligé de l’aider de toutes les manières possibles.
Bien sûr, c’était aussi la dure réalité que le Clan de la Corne bordait les territoires du Clan de la Panthère, du Clan du Sabot et du Clan de la Foudre, et si géopolitiquement parlant, il était aussi une nation tampon occidentale incroyablement importante pour le Clan du Loup. Cette raison avait également été prise en compte.
Yuuto commença à se sentir mal à l’aise de recevoir une expression de gratitude aussi sincère et solennelle de sa part, alors il changea de sujet d’une manière assez peu subtile. « En parlant de travail dans l’ouest, comment va Skáviðr ? S’en sort-il bien ? »
Skáviðr, l’adjoint au commandant en second du Clan du Loup, était actuellement stationné à Myrkviðr, la ville fortifiée la plus importante sur le plan stratégique du côté ouest du Clan de la Corne. Il y commandait une force de soldats entraînés à utiliser la tactique de la « forteresse de chariots ».
La grande armée de cavalerie entièrement équipée du Clan de la Panthère était la plus grande menace de cette époque, et Yuuto voulait donc affecter un général expérimenté et de confiance pour sécuriser cet endroit.
Sur ce point, l’homme qui était l’ancien Mánagarmr était parfait pour la tâche.
« Oui, il va bien, » dit Linéa. « Ses blessures des batailles précédentes ont guéri, et il est en bonne santé. Il s’est aussi beaucoup dévoué au maintien de la paix dans la ville, ce qui nous a beaucoup aidés. Au début, j’ai eu l’impression qu’il pouvait être une personne très effrayante, mais il est en fait très gentil. »
« Oui, c’est un homme bien, n’est-ce pas ? » Yuuto s’était mis à sourire.
Skáviðr avait une propension à jouer le rôle du méchant, en assumant des tâches et des responsabilités qui étaient nécessaires, mais qui le mettaient dans une situation défavorable. Yuuto était donc heureux de voir que même lorsque l’homme travaillait sur le territoire d’un autre clan, il y avait quelqu’un comme Linéa qui le comprenait pour ce qu’il était vraiment.
En y repensant, Linéa et Skáviðr, tous deux avaient une nature d’abnégation, mettant les besoins des autres avant les leurs. Peut-être étaient-ils du genre à s’entendre à l’improviste les uns avec les autres.
« Il l’est, » Linéa était d’accord. « Le Clan de la Panthère fait des mouvements contre nous de temps en temps, mais chaque fois, Skáviðr fonce vers eux et les chasse tout de suite. »
« Je vois. Donc, ils sont toujours en train de faire des mouvements, alors…, » hochant la tête, Yuuto plaça une main sur son menton.
Dans les batailles de la fin de leur dernière guerre, Yuuto avait employé une tactique historique étrange et astucieuse connue sous le nom de « forteresse de chariots », utilisant des chariots à bords hauts renforcés par des plaques de fer comme armure. Ces chariots pouvaient voyager avec une armée et ensuite former un mur autour des soldats à l’intérieur, construisant ainsi sur place une forteresse de fortune aux murs de fer, sur le terrain. Cette tactique avait mené le Clan du Loup à la victoire.
En étant capables de faire peu de choses contre le mur de chariots, après avoir reçu la plupart du temps des attaques unilatérales et d’énormes pertes, les forces du Clan de la Panthère avaient été obligées de battre en retraite.
Yuuto croyait que l’impact de cet événement était suffisant pour que le Clan de la Panthère se méfie d’une autre guerre totale contre le Clan du Loup. Mais d’un autre côté, il se sentait étrangement certain que les choses ne s’arrêteraient pas là.
Il se souvenait encore de la haine et de la folie manifestées par Hveðrungr, le patriarche du Clan de la Panthère, lors de leur dernière bataille.
Yuuto n’arrivait pas à croire que cet homme puisse abandonner sa quête de vengeance contre lui.
« Cela me fait penser à quelque chose…, » dit Linéa. « Rasmus n’a cessé de faire des remarques sur la façon dont je devrais profiter de cette paix et faire le prochain héritier de ma famille. »
« Ahh, c’est vrai que Rasmus en a après moi depuis depuis des années, donc je peux comprendre. »
Si Yuuto avait pensé selon les lignes du bon sens du Japon moderne, il aurait pris « faire un héritier » pour signifier donner naissance à un enfant, mais les choses étaient différentes à Yggdrasil, et l’héritage n’était pas par le sang, mais par le plus haut rang de ses enfants ayant juré par le Serment du calice.
Ainsi, si le pire devait arriver à un patriarche, le successeur choisi (habituellement le commandant en second) hériterait du poste, mais dans le cas de Linéa et du Clan de la Corne, son commandant en second Rasmus avait déjà bien plus de cinquante ans.
Dans un pays du premier monde comme le Japon au 21e siècle, la cinquantaine était encore potentiellement une partie vitale de l’âge moyen, mais à Yggdrasil, il était assez vieux.
Ce n’était pas une bonne situation politique si le successeur présumé du clan était déjà si vieux qu’il pourrait décéder peu après son entrée en fonction.
« Donc il dit qu’il est prêt à abandonner la place, et qu’il veut que tu choisisses un nouveau second, hein ? » dit Yuuto, acquiesçant de la tête, les bras croisés. « Ce n’est pas quelque chose que n’importe qui peut faire. Je suis impressionné. »
Le statut et le pouvoir étaient attrayants et créaient une dépendance pour la plupart des gens. Il était beaucoup plus courant pour les vieux hommes d’État de refuser de laisser la place à la génération suivante et d’essayer plutôt de conserver le pouvoir pour le reste de leur vie naturelle. C’était certainement un phénomène que l’on pouvait voir assez souvent au Japon au XXIe siècle.
Conseiller sa propre destitution du pouvoir était vraiment honorable et courageux.
« Non, ce n’est pas ce qu’il voulait dire, » dit Linéa.
« Hein ? »
« Il veut que je me dépêche de donner naissance à un enfant. »
« Quoi… ! Un enfant !? Linéa, tu es encore si jeune ! »
Il semblerait que Yuuto se soit trompé, et ses mots avaient vraiment un sens plus littéral.
Yuuto sentait son visage rougir. Bien sûr, il était assez âgé pour connaître déjà les détails de la fabrication des bébés.
« Oui, oui, eh bien, » Linéa bégaya. « C’est son point de vue, que je devrais me dépêcher d’avoir un enfant maintenant, alors que je suis encore jeune et en bonne santé, et que nous avons une paix temporaire. »
« Oh… euhh…, » la seule réponse que Yuuto pouvait faire était quelque chose d’ambigu qui ressemblait plus à un gémissement.
C’était un domaine où les valeurs qu’il portait du monde dans lequel il était né et avait grandi étaient très différentes. Dans le Japon d’où il venait, il serait inouï qu’une personne de l’âge de Linéa soit contrainte d’avoir un enfant, mais dans ce monde, son groupe d’âge était considéré comme le plus sain et le plus apte à avoir des enfants, tant pour la mère que pour le bébé.
« Et, eh bien, et alors… » Linéa n’avait pas eu de mal à parler jusque-là, mais tout à coup elle avait commencé à bégayer et à pousser ses deux index l’un contre l’autre avec timidité, regardant Yuuto avec son visage rougissant.
Yuuto ressentait un vrai sentiment de naufrage, mais il ne pouvait pas refuser de l’écouter et de la laisser finir.
« Si possible, si je pouvais avoir ta… ta… ta semence, Grand Frère… »
Yuuto s’étouffa et lutta pour ne pas cracher son verre.
Il s’attendait à ce que sa question aille dans ce sens, mais sa formulation dépassait ce à quoi il avait été mentalement prêt.
« E-En Yggdrasil, les capacités de chacun déterminent tout, » poursuit-elle. « Grand Frère, si c’est ton enfant, je suis sûre qu’il ou elle grandirait pour devenir un splendide patriarche. »
« Attends, attends, attends un peu !! Dans le système clanique, l’héritage par lignée n’est pas… »
« Ce n’est pas complètement impossible, » dit-elle. « J’ai succédé à mon père, après tout. Et d’ailleurs, pense à Félicia, qui est la fille de naissance du commandant en second du Clan des générations précédentes. Et Kristina et Albertina, filles biologiques du patriarche Botvid du Clan de la Griffe. C’est un fait que des gens incroyables donnent souvent naissance et élèvent des enfants qui sont aussi exceptionnels. »
« O-Oui, mais, mais, mais, tu vois… »
Alors que Yuuto s’éloignait en reculant, Linéa s’approchait de lui, luttant pour achever sa discussion d’un seul coup.
« Bien sûr, je ne te demande pas de m’épouser. Grand Frère, je sais et je comprends qu’un jour ou l’autre tu devras retourner sur la terre céleste d’où tu viens. Mais… Je… si je pouvais, je… je veux juste quelque chose pour me souvenir de toi… »
Yuuto avait paniqué. « Mais je ne peux pas faire ça ! »
merci pour le chapitre
»Elle veut faire un bébé toute seule » !
https://youtu.be/zuNmzTLwjcc