Acte 5
Table des matières
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Acte 5
Partie 1
« Tch, je sais que j’ai utilisé la même stratégie, mais c’est vraiment agaçant quand on s’en sert contre toi, » Yuuto regarda dans la direction d’où l’ennemi était apparu, faisant claqué sa langue en raison de l’irritation.
Actuellement, l’armée du Clan du Loup avait quitté Sylgr, et elle se dirigeait vers Myrkviðr afin de la reprendre.
Le problème se posant actuellement à Yuuto était lié à la même tactique qu’il avait ordonné à Sigrun d’utiliser contre le Clan du Sabot, et c’était la même que celle qu’il avait utilisée à cheval. Le Clan de la Panthère était apparu comme un coup de vent soudain venu de nulle part pour créer une perturbation parmi l’ennemi avec quelques attaques rapides, puis avait disparu tout aussi rapidement.
Pendant la guerre avec le Clan du Sabot, l’Unité de Múspell s’était simplement enfuie après avoir attaqué, mais le Clan de la Panthère laissait toujours un cadeau d’adieu sous la forme d’une pluie de flèches, les rendant d’autant plus mauvais comme adversaires.
Yuuto avait ordonné à ses hommes d’entrer dans des formations carrées d’infanterie capables de faire face à des attaques de toutes parts, de sorte qu’il ne subissait réellement pas trop de pertes. Mais ces derniers jours, la menace constante et l’incertitude quant à la date de la prochaine attaque les avaient empêchés d’avoir un moment de paix.
Il pouvait déjà voir les signes de fatigue physique et mentale apparaître sur les visages de ses soldats. Les choses commençaient à aller dans une mauvaise direction.
« Grand Frère, s’il te plaît, baisse-toi ! » cria Félicia.
« Ah ! Wôw !? » s’écria Yuuto.
En entendant les paroles de Félicia, le corps de Yuuto avait bougé par instinct. Tandis qu’il s’esquivait, une flèche fila au-dessus de la tête.
En succession rapide, une deuxième flèche claqua sur le côté du chariot de Yuuto, rebondissant en produisant un claquement.
« Ouf… ! Je suis si content qu’on ait renforcé ce truc avec des feuilles de fer, » déclara Yuuto.
L’ennemi utilisait des flèches à pointe de fer. Celle-là aurait pu le percer s’il avait roulé dans un chariot garni uniquement de planches de bois, comme celles qu’ils utilisaient auparavant. Rien que d’y penser, ça lui avait fait froid dans le dos.
« Pourtant, l’ennemi doit être un archer d’une force et d’une habileté extraordinaires pour être capables de te tirer dessus avec précision de si loin, » déclara Félicia. « Il est peut-être encore plus fort que le maître archer Haugspori du Clan de la Corne. Et tout cela à cheval, ce qui, de plein droit, devrait faire vaciller son objectif… »
« C’est à peu près ce qu’il faut pour être celui qui a réussi à blesser Skáviðr. Mais nous ne les laissons pas seulement nous tirer dessus gratuitement, » déclara Yuuto.
Actuellement, la seule arme dont disposait le Clan du Loup pour faire face à la tactique des Parthes était leur arbalète, qui avait une portée supérieure à celle des arcs du Clan de la Panthère.
L’arbalète avait historiquement été utilisée dans la Chine antique comme contre-mesure contre les attaques des Xiongnus du nord. Le piège était qu’une arbalète prenait beaucoup plus de temps à préparer et à tirer un projectile. En une minute environ, un soldat pouvait tirer une dizaine de flèches d’un arc standard, mais une arbalète ne pouvait tirer que deux coups au maximum.
Et c’est là que Yuuto avait adopté une autre tactique.
Les ordres de Skáviðr résonnaient dans l’air, sa voix était froide, mais digne. « Premier rang, feu ! Deuxième rang, passez les arbalètes au premier. Passez les arbalètes utilisées au troisième rang ! »
La vérité était que, même avant de faire des recherches en ligne sur les stratégies anti-cavalerie, Yuuto avait déjà connu la tactique de tir de volée à trois rangs qu’Oda Nobunaga avait utilisée pour vaincre la cavalerie du clan Takeda lors de la bataille de Nagashino. C’était l’une des choses des temps anciens qui étaient relativement bien connus au Japon au travers des médias et de la culture populaire.
Quand il l’avait consulté, il avait lu que le récit de Nobunaga utilisant le tir à la volée était contesté comme ayant probablement été ajouté dans les années suivantes. D’ailleurs, le Clan du Loup n’avait dès le départ pas de fusils, alors il était sur le point d’abandonner l’idée comme tactique viable pour sa situation.
Cependant, trois cents ans avant Nobunaga, sous la dynastie des Song en Chine, il y avait des preuves évidentes de tirs de volée de trois rangs, à l’arbalète. Les soldats du troisième rang replaçaient la corde d’arbalète en place, puis passaient les arbalètes au deuxième rang qui chargeait le carreau, et le premier rang n’avait plus qu’à se concentrer sur le tir avec les arbalètes préparées pour lui. Cela compensait la vitesse de tir lente de l’arme.
C’était une technique militaire 2 500 ans avant l’âge de Yggdrasil, et Yuuto l’avait maintenant mise en œuvre dans l’armée du Clan du Loup.
« Ils se sont beaucoup améliorés, n’est-ce pas ? » Jetant un coup d’œil sur le côté de son véhicule, Yuuto regardait avec fierté ses arbalétriers dignes de confiance.
Naturellement, la théorie était une chose, mais sa mise en pratique avait toujours été une autre histoire.
Pour que cela soit efficace, il fallait tirer des volées de flèches sans décalage entre les mouvements requérait de la pratique, et de la discipline de la part de chaque soldat de la formation.
Même les soldats du Clan du Loup, plus habitués à la vie sous des ordres stricts, ne pouvaient pas accomplir ce genre de chose du jour au lendemain.
Lors de leur premier véritable engagement avec le Clan de la Panthère, leur coordination s’était détériorée et ils n’avaient pas réussi à tirer plus de deux ou trois salves consécutives.
Mais tout comme Yuuto avait personnellement fait l’expérience de l’apprentissage d’une nouvelle langue, lorsque les gens étaient menacés et luttaient désespérément, cela avait tendance à les faire apprendre beaucoup plus rapidement.
Dans le onzième chapitre de l’Art de la guerre de Sun Tzu, intitulé « Les neuf situations », il y a un passage particulièrement pertinent : « … les hommes de Wu et les hommes de Yue sont ennemis, mais s’ils traversent une rivière dans la même barque et sont pris dans une tempête, ils s’entraident comme la main gauche aide la droite. »
L’important, c’est que, face à une menace commune et mortelle, même les ennemis historiquement farouches pouvaient mettre de côté leurs différences pour travailler ensemble et survivre. Cela impliquait que, sous ce même type de contrainte en temps de guerre, les camarades d’armes devraient être capables d’atteindre un niveau encore plus élevé de coopération et de coordination, et être vraiment comme les deux mains d’un même corps.
C’est l’origine d’un vieil idiome japonais assez célèbre, « Wu et Yue dans le même bateau », utilisée pour décrire des étrangers ou des ennemis forcés à partager leur destin.
Et comme l’avaient laissé entendre les paroles de Sun Tzu, dans leur situation menaçante actuelle, les soldats du Clan du Loup avaient amélioré leur coordination. C’était inévitable, en un sens.
Ces derniers jours, les attaques constantes du Clan de la Panthère avaient en effet causé beaucoup de stress aux soldats du Clan du Loup. Mais en même temps, ils avaient servi de forme de formation encore plus importante.
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« Merde ! C’est quoi le problème avec eux !? » Váli avait maudit et utilisa son épée pour dévier les carreaux d’arbalète alors qu’ils accéléraient vers lui.
Au cours de ce premier combat, il avait été piégé par l’utilisation de soldats en embuscade, mais depuis lors, il avait tout fait dans les règles de l’art.
Il attaquerait l’ennemi encore et encore, alors ils seraient incapables de se défendre complètement contre les attaques soudaines de la cavalerie venant de Dieu sait où. Il les poussait mentalement dans un coin et leur brisait le moral.
C’était ainsi que les choses devraient se passer.
Mais au lieu de cela, chaque attaque successive avait vu une augmentation de la vitesse de tir des arbalètes des ennemis. À ce moment-là, l’intervalle entre les volées n’était rien comparé à ce qu’il était au début.
Avec une véritable pluie de carreaux qui s’abattait sur eux, même les combattants d’élite du Clan de la Panthère devaient maintenant utiliser tout ce qu’ils avaient pour détourner les tirs, et ils n’avaient pas le temps de préparer et de tirer avec leurs propres armes. Après tout, leurs armes avaient moins de portée que celles de l’ennemi.
Même s’ils chargeaient avec des arcs armés et prêts, le fait d’être exposés à l’attaque était une menace suffisante pour perturber leur concentration, et il devient de plus en plus difficile de maintenir leur objectif sur leurs cibles.
« Gyaah ! » « Guhagh… ! »
Váli entendit les cris de plusieurs de ses camarades qui tombaient, leurs chevaux hurlants. Il avait lâché une malédiction alors qu’il avait les dents serrées. « Kh… Va te faire foutre ! »
La différence de nombre était trop grande pour qu’il puisse faire quoi que ce soit.
S’il avait eu assez d’hommes de son côté, il aurait pu profiter du fait que l’adversaire n’utilisait que des arbalètes. Il aurait pu fermer les yeux sur un certain nombre de blessés, et faire charger ses hommes avec les lances, frappant dans toutes les directions pour les perturber. Mais avec autant d’ennemis en formation, s’il essayait cela, il n’arriverait qu’à abattre toutes ses forces avant qu’elles ne puissent charger au centre.
Les tactiques de Frappe et Fuir de Váli avaient bien fonctionné pour lui précisément parce qu’il avait utilisé un petit groupe de cavaliers, mais maintenant il se retrouvait soudainement incapable d’agir face à la force de l’ennemi en nombre.
« Grrgh, ces gars sont vraiment un cauchemar ! » Váli grogna encore une fois, puis cria à ses hommes. « D’accord, bande de salauds, on s’en va d’ici ! »
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Partie 2
« Grand Frère, l’ennemi se retire ! » s’exclama Félicia avec enthousiasme.
« Oh ? On dirait qu’ils n’ont pas pu nous lâcher un tir cette fois-ci non plus, » dit Yuuto avec sarcasme, le coin de sa bouche se dressant en un sourire.
Comme toujours, la retraite du Clan de la Panthère fut rapide et coordonnée, mais les tirs de volée de trois rangs avaient bien réduit leur nombre.
Les cadavres des soldats tombés au champ d’honneur du Clan de la Panthère et leurs chevaux avaient permis de donner toutes les indications que le Clan du Loup avait réussi un exploit remarquable dans cette série de batailles. D’après les chiffres de leur première bataille, ils auraient pu éliminer environ la moitié des soldats de la bande de guerres de l’ennemi.
Il semblait que même les guerriers d’élite de la cavalerie du Clan de la Panthère ne pouvaient pas se défendre complètement contre une telle rafale de carreaux d’arbalète.
Yuuto n’avait pas réussi à vaincre le commandant ennemi, mais le fait de leur infliger autant de pertes les empêcherait d’être trop désireux de mener des raids simples pour le moment. Cela devrait donner à ses propres soldats une pause suffisante pour se détendre et dormir un peu.
« Pourtant, je suppose qu’en premier lieu, il n’y avait aucune chance que nous perdions contre leur seule unité d’avant-garde, » murmurait Yuuto.
Il savait que la vraie force de l’armée du Clan de la Panthère n’était pas dans ce genre de raid avec seulement quelques centaines d’hommes, même s’ils étaient des combattants d’élite. Le corps principal de leur armée était ailleurs.
L’unité qu’ils combattaient n’avait pour but que de les affaiblir.
Il venait de recevoir un rapport de Kristina, qu’il avait envoyée en avant, selon lequel les forces ennemies s’amassaient à Myrkviðr.
Ils étaient environ trois milles.
Et à en juger par le talent incroyable de l’unité d’avant-garde, on pouvait imaginer que ces trois mille hommes seraient assez forts pour mettre facilement à terre sa propre cavalerie des forces spéciales, l’Unité Múspell.
Yuuto avait tant lutté, pendant des jours, contre une force d’attaque de quelques centaines seulement. Ils étaient beaucoup moins nombreux que les forces du Clan du Loup, mais assez forts pour exiger toute leur attention.
Cela étant, il avait eu la chance que ses troupes soient capables d’utiliser des tirs de volée de trois rangs en combat réel maintenant, avant que le conflit principal ne commence.
Avec cela, il avait enfin acquis une tactique utile à utiliser contre la cavalerie.
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« … Voici le blé, l’orge, le sel et le vinaigre, et voici les munitions pour les arbalètes. » Ginnar désigna une par une la cargaison sur différents wagons tirés par des chevaux, en vérifiant chacun d’eux par rapport à une liste qu’il avait sur papier.
C’était un ravitaillement pour l’armée de Yuuto.
De toute évidence, les soldats ne pourraient pas survivre sans un approvisionnement suffisant en nourriture.
Ce qui était particulièrement frappant à la lumière de la dernière bataille, cependant, c’était qu’ils ne pouvaient pas se battre sans un nombre suffisant de flèches.
Et plus ils se battaient, plus ils épuisaient ces réserves.
Yuuto demandait à Ginnar et à d’autres commerçants de son réseau d’acheter des marchandises dans les villes voisines pour qu’ils puissent le ravitailler périodiquement.
La logistique militaire était le terme utilisé pour décrire la discipline et la compréhension des divers types de soutien du service de combat dont une armée avait besoin pour se maintenir en fonction.
L’importance accordée à la logistique militaire au XXIe siècle pourrait se résumer par une citation populaire de l’époque moderne. « Les amateurs en guerre parlent de stratégie. Les anciens combattants parlent de logistique. »
« Merci, Ginnar, » dit Yuuto. « Je commençais à m’inquiéter un peu, puisque nous avons abandonné beaucoup de nos rations à Sylgr, j’ai vraiment de la chance d’avoir un enfant aussi capable que toi. »
« Père ! Devez-vous vraiment continuer à faire ça, même dans un moment pareil ? » protesta Gunnar.
Yuuto avait ri. « Non, je suis aussi sérieux que possible cette fois-ci. »
Même si Yuuto avait suffisamment ri pour donner l’impression qu’il plaisantait, en vérité, il s’était vraiment senti profondément soulagé et reconnaissant.
Le Clan du Loup avait repris la ville de Sylgr en peu de temps, mais le Clan de la Panthère l’avait déjà privée de ravitaillement, y compris jusqu’au dernier morceau de nourriture, et les citoyens n’avaient même rien eu pour les amener au lendemain.
Il y avait bien sûr beaucoup de gens qui avaient été tués, ou kidnappés pour être utilisés ou vendus comme esclaves, mais il restait encore près de dix mille survivants dans la ville et ses environs.
Dans Yggdrasil, un membre de la population vivant dans un territoire ou un fief particulier était appelé « konr ». C’était un mot signifiant « descendant ».
Suivant la logique du système formé par le calice d’allégeance et les clans, les citoyens de son pays étaient en effet les descendants d’un patriarche, les enfants au bas de l’arbre généalogique.
Ce n’était pas tout à fait aussi idéaliste que le concept de « toute l’humanité comme des frères ». Mais Yuuto ne pouvait pas simplement fermer les yeux face à la souffrance des enfants d’un clan sous sa protection. De son point de vue de chef d’un clan fondé sur les liens familiaux, ils appartenaient à sa famille élargie.
« Pourtant, vous êtes vraiment un homme bon, Père, » dit Gunnar. « C’est un peu nai — euh, non, je veux dire, c’est juste un peu cra — ahhh, non… »
« Ha ha ha, ouais, ouais, ouais, je sais, je suis vraiment trop doux, » déclara Yuuto en riant d’un rire autodérisoire.
Dans son désir d’étudier, il avait lu des chroniques de guerre et des romans de ce genre, et c’était à peu près un point commun que l’importance de la logistique figurait dans chacun d’entre eux.
En ce qui concerne les événements du monde réel, l’importance d’une armée capable de produire et de se procurer ses propres approvisionnements de manière indépendante n’était apparue qu’à des époques ultérieures, après que les canons et les armes à feu se soient généralisés.
C’était parce que les armées individuelles ne pouvaient utiliser que des munitions qui correspondaient aux spécifications de leur propre équipement. La distribution correcte des munitions était désormais plus vitale que l’approvisionnement en vivres.
En ce qui concerne la nourriture en temps de guerre, la meilleure méthode était de se la procurer sur le théâtre de guerre plutôt que de stocker et de transporter des quantités incroyablement importantes de vivres. C’était une tactique qui était apparue dans les travaux écrits sur la stratégie militaire dès Sun Tzu, et c’était un élément fondamental de la logistique depuis les temps anciens jusqu’à juste avant l’ère moderne.
Se ravitailler sur le théâtre de guerre, c’est-à-dire soit par réquisition, soit par pillage. C’était également le cas à Yggdrasil.
Ce n’est qu’après le développement des chemins de fer motorisés et de l’automobile qu’il était devenu possible de transporter une quantité suffisante de vivre aux troupes en guerre.
Avec un petit rire à ses dépens, Yuuto haussa les épaules. « Même ainsi, si je ne peux pas jouer le rôle du héros ici, même si ce n’est qu’une imitation bon marché, alors à quoi bon utiliser toutes ces tricheries, non ? »
En vérité, le transport de grandes quantités de nourriture depuis Iárnviðr avait été un cauchemar.
Traditionnellement, la composition d’une armée à cette époque dépassait 90 % des troupes de combat, mais le corps de transport du Clan du Loup représentait plus de 20 % de son armée.
De plus, le corps de transport n’était pas armé pour le combat, de sorte que les pertes ou les vols qu’il subissait auraient un impact sur l’armée dans son ensemble. C’était potentiellement une faiblesse critique dans son armée.
C’était le territoire du Clan de la Corne, donc si le pillage était hors de question, il y avait encore des réquisitions. Avec une démonstration de leur menace en tant que puissance militaire, ils pourraient forcer la population locale à leur vendre des fournitures à un prix très bon marché, ce qui serait à la fois beaucoup moins risqué et beaucoup moins un fardeau pour son armée.
Dans une situation d’urgence comme celle-ci, il serait insensé d’accepter de plein gré de payer le prix normal des biens et services, et encore plus fou de payer plus que cela pour répondre à la demande.
Cependant, à notre époque, il n’y avait pas vraiment beaucoup de marge de manœuvre en ce qui concerne les magasins d’alimentation. Yuuto demandait aux gens de se séparer de la nourriture qu’ils avaient accumulée pendant la saison des récoltes en préparation de l’hiver, donc payer un prix juste pour cela semblait la chose naturelle et juste à faire.
Utiliser son pouvoir pour acheter leurs provisions au rabais aurait été la même chose que de leur dire de mourir de faim.
« Ginnar, la seule raison pour laquelle les choses fonctionnent pour nous comme ça, c’est en raison de gens comme mon second, comme Linéa, et comme toi, » déclara Yuuto. « Vous avez donc vraiment mes remerciements. »
Le mot « logistique » tenait ses racines dans le mot grec « logistikós », signifiant soit « actions avec une base en calcul rationnel », soit « doué en calcul ».
Acheter des fournitures au hasard et les transporter ne servirait à rien. Les taux de consommation étaient différents pour chaque article, de même que leurs prix. Il fallait être capable de calculer et d’estimer ce qui devait être transporté, en quelle quantité et jusqu’où.
Il était également important de choisir des itinéraires qui se heurteraient à moins de raids ennemis et de choisir de bons endroits pour effectuer les ravitaillements.
Et à cet égard, le Clan du Loup était doté d’un talent incroyable.
« Ha ha ha, » ria Ginnar. « Je pense que tante Linéa y est beaucoup plus impliquée que quelqu’un comme moi. J’ai fait un arrêt à Sylgr avant de venir ici, et c’était incroyable. De la distribution des fournitures à l’attribution du travail, en passant par d’innombrables autres choses, elle était incroyablement bien préparée à ce travail pendant la période de rétablissement. Cela ne fait que deux jours qu’elle a été libérée, et elle fonctionne déjà comme une ville normale. »
« Wôw… Comme toujours, cette fille est tellement plus douée que les autres quand il s’agit de ces trucs, » Yuuto se remémora le visage de sa chère petite sœur qui lui fit ses adieux à Sylgr il y a trois jours, et se trouva en train de pousser un profond soupir qui pouvait être pris pour de l’admiration ou de l’exaspération.
Si Sylgr avait recommencé à fonctionner comme une ville, cela signifiait aussi qu’elle avait été récupérée comme base et point de ravitaillement.
Tant que Linéa était là pour commander et contrôler le service et le support, le Clan du Loup n’avait pas à se soucier de sa logistique.
« Oh, mais même tante Linéa ne pouvait pas faire quelque chose à partir de rien, » dit Ginnar. « En fin de compte, c’est l’argent qui fait tourner le monde, après tout. Vous n’avez pas besoin d’être modeste, Père. Tout cela a été possible grâce à votre collecte d’une si grande quantité d’argent. »
« Et c’est quelque chose que je n’aurais pas non plus pu faire moi-même. Nous devons remercier Ingrid pour cela, » déclara Yuuto.
Il y avait maintenant les articles en verre, le papier, le pain sans grains et toutes sortes d’autres produits spéciaux sur le marché. Et grâce à cet afflux d’échanges commerciaux, le Clan du Loup disposait désormais de grandes quantités d’argent, utilisable comme moyen de paiement partout dans Yggdrasil.
C’était grâce à cette abondance de pouvoir économique que le Clan du Loup pouvait maintenant se permettre d’envoyer son armée en campagne militaire sans avoir à le réquisitionner ou à le voler aux habitants.
Yuuto avait exprimé ses sentiments à haute voix. « C’est grâce à tout le monde que je peux mettre de côté tous mes autres soucis et me concentrer sur la victoire. »
Il était conscient de sa propre ignorance. Il connaissait les limites de son pouvoir et de ses capacités. Ainsi, sans fausse bravade ni orgueil hautain, il pouvait respecter et compter sur ceux qui, autour de lui, pouvaient faire ce qu’il ne pouvait pas faire, et il comprenait combien il était important de le faire.
« Montrez-leur par l’exemple, instruisez-les, faites-les faire, puis félicitez-les, sinon les gens ne feront rien. Communiquez, prêtez l’oreille, reconnaissez-les et confiez-leur des responsabilités, sinon les gens ne progresseront pas. Veillez sur eux, avec de la gratitude dans votre cœur, et placez votre confiance en eux, sinon les gens ne s’épanouiront pas. »
C’était les célèbres paroles d’Isoroku Yamamamoto, amiral et commandant de la marine impériale japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. Yuuto ne connaissait pas cette citation, mais sans s’en rendre compte, il les avait mises en pratique.
Et c’est ainsi que les plans et les desseins abstraits de Yuuto, en vertu de la sagesse et de la force de ses nombreux alliés, avaient finalement pu prendre forme en tant que « sagesse vivante », et affecter le monde.
Et, ironiquement, celui qui lui avait fait réaliser et reconnaître ses propres défauts était maintenant l’homme qu’il devait combattre.
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Partie 3
« Hmph, tu t’es tant vanté, mais à la fin ça n’a pas été grand-chose, n’est-ce pas, Váli ? » Hveðrungr fixa froidement son subordonné tremblant, qui était venu le rejoindre alors qu’il voyageait avec la force principale de l’armée du Clan de la Panthère.
Váli avait la réputation d’être le plus grand guerrier du Clan de la Panthère, mais maintenant il était dans un triste état, et son corps était couvert de blessures occasionnées par des flèches.
Et c’était sans parler du fait qu’il avait aussi perdu la moitié des combattants d’élite qu’il avait sous ses ordres.
En repensant à la façon dont il s’était vanté d’avoir pu écraser toutes les forces restantes du Clan du Sabot avec sa propre petite bande de guerres, ce résultat n’était rien de moins que pathétique.
« Les rapports à leur sujet étaient tous faux, Père ! » protesta Váli. « Ils… ils ont pu tirer rapidement avec des arbalètes ! N’était-on pas censés pouvoir tirer cinq tirs pour chacun des leurs !? »
« … Hm. Donne-moi plus de détails, » déclara Hveðrungr.
« Eh bien, je ne pouvais pas vraiment voir tout ça très bien, mais on aurait dit qu’ils l’avaient installé de façon à ce que le gars à l’avant tire, tandis que deux gars derrière lui préparaient une arbalète pour le tir suivant, pour qu’ils puissent charger et tirer plus rapidement… »
Váli était le plus grand archer à cheval du Clan de la Panthère, et ses yeux étaient aussi les plus aiguisés. Même au milieu de la bataille — non, surtout au milieu de la bataille — ses yeux étaient capables de repérer et de suivre les mouvements de son ennemi à distance.
« Oho, je vois, » déclara Hveðrungr. « C’est donc son jeu. Bon travail. Tu peux te retirer maintenant. »
« S’il vous plaît, attendez, Père ! Je peux encore me battre ! S’il vous plaît, donnez-moi une chance de me racheter pour cette humiliation et de me venger ! Je vous en supplie ! » déclara Váli.
« Hm ? Qu’est-ce que tu racontes ? Bien sûr que je vais te laisser faire ça. » Hveðrungr descendit agilement de son cheval et frappa une main sur l’épaule de Váli. « Tu as fait ton travail, comme je te l’ai ordonné. Je récompense correctement mes loyaux subordonnés pour leur travail, et même s’ils échouent, je leur donne une seconde chance. Alors, Váli, je peux m’attendre à ce que ton service fidèle continue, n’est-ce pas ? »
« Oui, Père ! Je vous remercie ! Merci infiniment ! » En entendant des paroles si généreuses de son patriarche, Váli leva la tête inclinée pour montrer un visage étouffé par les larmes.
Hveðrungr avait souri et hocha la tête fermement en réponse, et saisit l’épaule de Váli de plus près.
Et alors que l’aura de méchanceté nichée dans ses yeux semblait soudain émaner vers l’extérieur, cela avait écrasé Váli en raison d’une pression invisible.
« Et si tu désobéis à mes ordres… si tu me trahis… tu sais ce qui va se passer, non ? » demanda Hveðrungr.
« Oui, Père… Je l’ai déjà pris à cœur, » déclara Váli.
« Bien, alors. J’attends avec impatience tes performances lors de la prochaine mission. » Hveðrungr hocha de nouveau la tête, satisfait du tremblement terrifiant qu’il pouvait ressentir de l’épaule de Váli. Il se leva et monta sur son fidèle coursier.
Il avait eu tout le temps pour se reposer. L’ennemi devrait être assez proche maintenant, alors il devait se dépêcher.
« Heehee ! On dirait que tu as fini par domestiquer Váli, » fit remarquer Sigyn depuis sa position au sommet d’un cheval à côté de lui.
Hveðrungr s’était moqué. « Oui, et maintenant l’imbécile n’agira plus tout seul ou ne reviendra plus en arrière. C’était un bon remède pour lui. »
Sigyn avait souri à son mari et elle ajouta. « Et j’étais là, si inquiète que tu puisses le faire exécuter sur le champ, après tout ce qui s’est passé. »
« Qu’est-ce que tu veux dire ? Je suis un homme généreux envers les gens qui suivent mes ordres et montrent leur loyauté. Et l’homme a fait du bon travail pour moi. Il n’y a aucune raison de le punir, » alors que Hveðrungr disait ça, un sourire malicieux s’était répandu sur son visage.
Il savait depuis le début qu’un imbécile aussi simple d’esprit que Váli ne s’avérerait pas être un adversaire redoutable pour son ennemi juré. Ce gosse excellait dans les plans rusés et lâches, tout comme celui qui avait poussé Hveðrungr dans cet exil.
Hveðrungr avait prédit que Yuuto trouverait une sorte de contre-mesure contre sa cavalerie.
Si Hveðrungr avait simplement permis à son avant-garde de faire une retraite propre, presque indemne, l’ennemi serait sûrement resté sur ses gardes. Mais, en faisant perdre à Váli certains de ses hommes et en subissant un certain degré de défaite avant de s’enfuir, il pouvait maintenant renforcer la confiance de l’ennemi dans sa victoire contre le Clan de la Panthère. Cela les inciterait certainement, de bonnes humeurs, à venir reprendre Myrkviðr.
Oh oui, Váli avait bien fait son travail.
« Selon le rapport de Narfi, le Clan du Loup compterait environ huit mille soldats, non ? » demanda Hveðrungr.
« C’est exact, » confirma Sigyn avec désinvolture. « On dirait qu’ils ont passé l’année dernière à s’agrandir à un bon rythme. Il est peut-être encore jeune, mais il semble que ce garçon soit un leader compétent. »
Les clans nomades de Miðgarðr croyaient fermement à l’importance de la capacité par-dessus tout.
Comme c’était le cas avec l’actuel patriarche du Clan de la Panthère Hveðrungr, même quand il s’agissait de gens de l’extérieur, ils n’avaient aucun scrupule à voir quelqu’un digne d’une place à leur tête.
C’était une différence entre eux et le Clan du Loup : si ce dernier maintenait une méritocratie qui valorisait la force et la compétence, il permettait aussi l’existence de personnes comme Bruno et son groupe d’anciens, qui refusaient d’échanger le Serment du Calice avec le patriarche Yuuto, mais qui avaient toujours un certain statut.
C’était un point de fierté pour le Clan de la Panthère et pour Sigyn de reconnaître et de respecter même l’ennemi qu’ils combattaient.
« Hmph. En fin de compte, il ne s’agit que d’un pouvoir emprunté. Lui-même n’a rien de spécial, » la voix de Hveðrungr était faible et douce, mais il y avait une tension de haine qui semblait se trouver violemment dans le sous-entendu.
Sigyn n’avait jamais demandé à Hveðrungr ce qui lui était arrivé dans le passé. Une bonne femme sait qu’il ne faut pas fouiller dans le passé d’un homme, se dit-elle. Mais elle pouvait sentir la haine et la rage terrifiantes qui semblaient se répandre dans les yeux derrière ce masque. À en juger par cette réaction, il ne faisait aucun doute qu’il partageait un destin tordu avec le jeune patriarche du Clan du Loup.
« Kh-heheheheheh, viens me voir, Yuuto. Cette fois, c’est moi qui te tendrai un piège, » ses lèvres de Hveðrungr s’étaient tordues en un sourire sombre, ravies par ce qu’il anticipait.
D’après Váli, les forces du Clan du Loup devraient bientôt entrer dans la région, une région connue sous le nom de Náströnd.
Les mauvaises pulsions commencèrent à se répandre en lui.
Un peu plus, juste un peu plus.
Il connaissait très bien Yuuto. Les valeurs du garçon étaient un peu différentes de celles d’Yggdrasil, mais en y repensant maintenant, il avait aussi un état d’esprit propre à une personne résidant à l’étranger.
« Nous avons aussi plus de soldats. Mon armée ne peut pas perdre, » déclara Hveðrungr avec un ricanement confiant.
Si l’on excluait les anciens citoyens du Clan du Sabot qu’il avait réduits en esclavage, la population totale du Clan de la Panthère était inférieure à cinquante mille personnes. Il n’était pas si différent du Clan du Loup dans sa période la plus faible.
Cependant, lorsqu’un pays agricole était entré en guerre, au moins un dixième de sa population en âge de combattre ou plus devait rester à la maison pour entretenir ses fermes et son industrie. En revanche, pour les nations nomades comme le Clan de la Panthère, à l’exclusion des bébés, des personnes âgées et des esclaves, chaque homme du clan était un soldat participant.
De plus, la plupart des soldats enrôlés dans les armées d’une nation agricole n’avaient aucune formation militaire sérieuse, tandis que tous les hommes du Clan de la Panthère passaient leurs journées à chasser le gibier et à affûter leurs compétences à l’arc.
Et au cours de l’année écoulée, la pratique des étriers avait également permis à chaque membre du clan de se battre à cheval à l’aide d’armes.
La raison pour laquelle Hveðrungr n’avait stationné que trois mille soldats pour garder Myrkviðr était aussi pour mettre en scène une ruse — pour tenter son ennemi avec une force de nombre inférieur et leur faire baisser leur garde.
Et pour couronner le tout, la cavalerie du Clan de la Panthère possédait une autre arme toute-puissante en plus de son tir à l’arc à cheval mortel.
Hveðrungr ne voyait plus la moindre chance de défaite.
« Viens, Yuuto. Cette terre de Náströnd sera ta tombe. »
Náströnd.
***
Partie 4
Náströnd.
Il s’agissait d’une zone de vastes terres humides herbeuses qui s’étendait sur la partie nord-ouest du territoire du Clan de la Corne.
Si l’on se dirigeait plus à l’ouest vers la région de Myrkviðr, le paysage changeait et des forêts profondes commençaient à apparaître, mais dans cette région, le sol ne semblait pas pouvoir supporter de grands arbres, donc la végétation était dominée par les roseaux, le carex, les mousses et autres petites plantes aquatiques. Et au fil des longs mois et des longues années, dans ce climat perpétuellement doux et humide, cette végétation s’était lentement transformée en tourbe.
À Yggdrasil, il n’y avait pas encore de technique ou de technologie pour drainer les marécages ou les marais, donc dans toute la région, seule la route principale reliant Sylgr et Myrkviðr était à peine solide et bien entretenue pour permettre le passage des charrettes lourdes.
« OK, je suis très désavantagé par ici, » chuchota Yuuto en regardant les herbes vertes qui s’étendaient ici et là à travers la terre inondée.
Avec cette terre dégagée et large, la cavalerie armée pourrait utiliser au maximum son avantage supérieur en matière de mobilité.
Bien sûr, avec un sol aussi mou et détrempé, ils ne pourraient pas bouger ou manœuvrer à pleine vitesse, mais les jambes d’un cheval étaient beaucoup plus puissantes que celles d’un humain. Même les chevaux qui tiraient les charrettes derrière lui se déplaçaient sur le terrain avec peu de difficulté.
Par comparaison, la progression des soldats du Clan du Loup s’était ralentie au point de ramper à mesure que leurs pas devenaient moins réguliers et que leurs bottes glissent ou s’enlisent dans la boue.
« Cependant, si nous parvenons à traverser cette zone, nous serons à Myrkviðr, » déclara Félicia.
« Oui, tu as raison, » répondit Yuuto d’un signe de tête.
Linéa lui avait déjà donné beaucoup de détails à ce sujet tout à l’heure. Pourtant, cela le dérangeait que le seul moyen de se rendre directement à Myrkviðr fût de passer à travers cette fange.
S’il allait combattre la cavalerie avec l’infanterie, ce qu’il voulait, c’était des rivières ou des lacs, des falaises ou des ravins de montagne ou une forêt — le genre de terrain qui limiterait plus sévèrement les mouvements de leurs chevaux, et les obligerait à une confrontation frontale.
Ce genre d’endroit l’attendait beaucoup plus loin, là où le terrain devenait de plus en plus boisé.
S’il pouvait s’y rendre, et mettre en place sa formation…
Buooooooooh !
Soudain, le son aigu des cornes d’avertissement se répandit dans l’air.
« Merde ! L’ennemi !? » cria Yuuto. « J’aurais dû me dire qu’ils ne seraient pas assez gentils pour nous laisser passer ! »
Trouver un terrain avantageux pour vos propres forces et forcer la bataille, c’était une règle de guerre constante et à toute épreuve depuis des temps immémoriaux. Bien sûr, l’ennemi ne voudrait pas laisser passer l’occasion de les empêcher de prendre le contrôle de ce terrain avantageux.
Pour reprendre Myrkviðr, Yuuto savait qu’il devait continuer à aller de l’avant. Et c’est pourquoi il s’était déplacé lentement, prudemment et délibérément en route vers ce but, étudiant et notant les mouvements de l’ennemi.
Il n’avait pas encore eu de nouvelles de Kristina, qu’il avait envoyée à Myrkviðr. Mais il avait aussi envoyé Albertina, une Einherjar qui pouvait contrôler le flux du vent. Les deux filles étaient petites et très légères.
Peu importe à quel point les chevaux de Miðgarðr étaient étonnants, la cavalerie se déplaçant ensemble en tant qu’armée ne pouvait pas surpasser la vitesse de ses messagers personnels aux pieds rapides opérant indépendamment.
Par conséquent, il n’aurait pas dû y avoir trop d’ennemis dans cette attaque. Cependant…
« C’est quoi ce bordel !? C’est quoi ce nombre ? » demanda Yuuto.
Cette vue était si intimidante qu’elle avait failli couper le souffle à Yuuto.
Devant lui, un nuage de poussière géant soufflait au loin.
Il n’avait pas pu obtenir un chiffre précis par la simple vue, mais même en faisant une estimation approximative à partir de ce qu’il pouvait voir maintenant, il devait y en avoir au moins cinq mille.
Et ce n’était pas la fin.
« Grand Frère ! Ils viennent aussi de cette direction ! » s’écria Félicia en pointant du doigt, son visage tout aussi empli de choc que celui de Yuuto.
Dans la direction indiquée par ce doigt tremblant, les silhouettes d’innombrables cavaliers s’élevaient au-dessus de l’horizon de la plaine humide.
Les silhouettes avaient continué à se multiplier, apparemment sans fin. Le grondement de la terre causé par leurs chevaux au galop devint fort et autoritaire.
« Ils sont si rapides ! » La vitesse à elle seule avait laissé Yuuto avec les yeux écarquillés.
Les forces ennemies ne les avaient pas attaqués en ligne droite. Ils s’étaient séparés à mesure qu’ils s’approchaient, comme déviés par une force invisible, leur formation s’étendant autour du groupe de Yuuto jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sol visible dans la moindre direction.
Les forces du Clan du Loup, avec leur mobilité nettement inférieure, ne pouvaient que rester les bras croisés et regarder les choses se passer si vite.
Les troupes du Clan du Loup étaient lentes à réagir, et l’instant d’après, elles étaient complètement encerclées.
***
« Khhhahahahaha ! Hahahahaha ! HAAAA HA HA HA HA HA !! »
Le rire fou de Hveðrungr avait retenti. Une fois sa formation d’encerclement présente autour des forces de Yuuto, il était complètement assuré de sa victoire. Il était inondé de joie, car tout s’était passé exactement comme il l’avait voulu.
Appâter l’ennemi avec une force d’avant-garde plus petite, le laisser se rapprocher, puis l’encercler et l’anéantir — c’était la stratégie gagnante du Clan de la Panthère.
En tant que clan nomade, ils n’avaient jamais eu besoin de s’accrocher à des bases ou à des bastions.
Et tant qu’ils avaient des moutons et des kumis, ils pouvaient subvenir à leurs besoins, peu importe où ils voyageaient.
Bien sûr, cela signifiait qu’ils n’avaient pas besoin de rester dans les villes, de transiter par elles ou de s’y réapprovisionner. C’est pourquoi les habitants avaient eu tant de mal à prévoir leurs mouvements.
Ils étaient apparus dans des endroits inattendus, à des moments inattendus. C’était le vrai caractère du peuple du Clan de la Panthère.
« Il semble que tu aies trop cru en la puissance de ton smartphone, Yuuto, » avait souri Hveðrungr.
Le Clan de la Panthère était resté constamment en mouvement et avait complété son approvisionnement en élevant du bétail, de sorte que le commerce et l’interaction avec les marchands de diverses terres étaient encore une autre compétence vitale pour leur culture. Naturellement, cela signifiait que beaucoup d’informations sur le Clan du Loup étaient parvenues aux oreilles de Hveðrungr.
En un mot, le Clan du Loup était puissant. Ils s’étaient attaqués au Clan de la Griffe, au Clan de la Corne et au Clan du Sabot, qui étaient tous plus nombreux les uns que les autres, et avaient chaque fois gagné dans une confrontation directe.
Quant au Clan de la Foudre et à son Tigre Affamé, ils avaient mis au point un plan astucieux pour s’attaquer à cet imbécile téméraire, mais incroyablement fort, et ils avaient ensuite détruit leur ennemi apparemment sans aucun effort réel.
Cette fois encore, face à des archers à cheval et à des techniques de cavalerie armée qui devraient encore être inconnues à Yggdrasil, cet ennemi haïssable avait réussi à trouver plusieurs contre-mesures.
« Mais une fois que je saurai ce que tu as essayé d’utiliser contre moi, je pourrai livrer la bataille en ma faveur ! » déclara-t-il.
Le smartphone de ce petit morveux et les connaissances qu’il pouvait lui apporter étaient dangereux et exigeaient la plus grande vigilance et la plus grande prudence.
Il était beaucoup trop dangereux de jeter toutes les ressources de son armée sur Yuuto avant de savoir exactement ce qu’il pourrait essayer d’utiliser ensuite.
Et c’est pourquoi Váli avait été si utile.
Contre les hautes fortifications de la ville, ils n’avaient qu’à utiliser le trébuchet, comme Váli lui-même l’avait fait auparavant. Cela amènerait l’ennemi vers eux, qu’ils le veuillent ou non.
Les arbalètes pouvant tirer rapidement allaient être un peu difficiles, mais d’après ce que Hveðrungr avait entendu, ils ne pouvaient toujours pas tirer plus vite que ses propres archers à cheval.
La seule raison pour laquelle la bande de Váli avait perdu tant d’hommes était la différence de nombre entre la bande de guerres et l’armée du Clan du Loup.
La principale tactique d’infanterie du Clan du Loup, la phalange, était assez forte à l’avant pour repousser même une charge de cavalerie, mais Hveðrungr avait appris que sur les flancs ou à l’arrière elle était complètement fragile.
Dans ce cas, Hveðrungr n’avait besoin que d’entourer Yuuto d’un nombre largement supérieur, sur un terrain qui mettait ses propres forces à un avantage écrasant, puis d’utiliser la charge de cavalerie, leur deuxième atout, pour mettre fin à l’histoire.
« Keheheheh, comment l’appelait-on d’où tu viens ? “Échec et mat” ? Dis-moi, Yuuto… Hm ? » déclara-t-il.
Juste au moment où Hveðrungr se préparait à donner des ordres à toute sa troupe pour une pleine charge, il aperçut quelque chose d’étrange.
Les chariots qui avaient été au centre de la formation du Clan du Loup étaient poussés vers l’avant avec un cliquetis bruyant.
Hveðrungr fixa cela d’un regard vide pendant une seconde, puis frappa une paume à son masque de fer et rugit d’un rire fou, se penchant en arrière avec ses mains tendant vers le ciel.
« Kkhahahahaha ! Kahahahahaha ! Allez, Yuuto, tu te rends déjà !? “Je vais te donner ce que tu veux, alors épargne-moi, s’il te plaît”, c’est ce que tu penses ? Oh, bon spectacle, Yuuto, c’est vraiment le meilleur ! C’est une fin convenable pour un misérable et lâche bâtard comme toi ! » cria le patriarche du Clan de la Panthère.
Hveðrungr avait enfin appelé ses hommes.
« Ignorez-les ! Écrasez tous jusqu’aux derniers soldats sous vos sabots ! À toutes les troupes, chargez ! » cria-t-il.
« Raaaaaaaaaaaagh !! »
Hveðrungr tira en l’air sa flèche sifflante et, avec un cri de guerre rugissant, ses soldats commencèrent tout de suite à charger vers les forces du Clan du Loup au centre.
Les cavaliers d’élite du Clan de la Panthère avaient soulevé d’épais nuages de terre en s’approchant du Clan du Loup de toutes parts.
Les soldats du Clan du Loup avaient été pris comme un rat dans un piège. À ce rythme, ils ne pourraient pas s’échapper, ni même se défendre. Ils seraient juste écrasés.
Une série de bruits bruyants avaient soudain rempli l’air.
« Hein ? » Hveðrungr avait été légèrement surpris. Il était sûr que le Clan du Loup était sur le point de demander une reddition dans une telle situation d’impuissance, mais au lieu de cela une volée de flèches s’échappait de l’intérieur de la formation.
Plusieurs des combattants du Clan de la Panthère qui avaient baissé leur garde pendant la charge avaient reçu des tirs directs et étaient tombés de leurs chevaux.
« Alors tu as fait comme si tu allais te rendre, pour lancer une attaque surprise. Tu es aussi lâche que tu l’as toujours été ! » Hveðrungr n’avait pas tenté de cacher son mépris intense, car il avait pratiquement craché les mots à Yuuto. « Très bien, nous répondrons de la même façon. Mes hommes, répliquez ! »
Utilisant leur mobilité supérieure, les cavaliers du Clan de la Panthère avançaient, se faufilant à travers les carreaux d’arbalète du Clan du Loup, et en un clin d’œil, ils étaient assez près pour tirer.
***
Partie 5
Relâchant leurs mains des rênes, utilisant les selles pour stabiliser leurs corps, et guidant les chevaux avec seulement leurs jambes, ils avaient tendu les cordes de leur arc et tiré.
C’était une technique d’une dextérité sublime, une œuvre d’art et tous les soldats du Clan de la Panthère avaient réussi à le faire.
Il y avait encore une fois le sifflement unique d’innombrables flèches qui se faufilaient dans l’air. La pluie de projectiles tomba vers le Clan du Loup de toutes les directions.
Clang ! Cl-cl-cl-cl-cl-clang !
Avec des sons métalliques creux, les flèches rebondissaient toutes sur les chariots couverts qui avaient été poussés vers l’extérieur de la formation du Clan du Loup.
Ils avaient été recouverts de toiles de lin, et Hveðrungr avait supposé qu’elles devaient protéger le contenu de la poussière ou d’autre chose semblables, mais quand les flèches avaient frappé, les toiles s’étaient détachées. Ce qu’il y avait en dessous n’était clairement pas du bois, mais une carapace métallique de couleur terne.
Et derrière cette coquille protectrice, les soldats du Clan du Loup avaient monté des arbalètes dans les chariots. Ils avaient visé et avaient commencé à riposter.
« Gyargh ! »
« Gwa ! »
Les cris des cavaliers et des chevaux remplissaient l’air. Le Clan de la Panthère n’avait aucun outil utile pour bloquer la volée de tirs. Et ils étaient en train de charger à toute vitesse vers leurs ennemis.
L’un après l’autre, les cavaliers étaient frappés et tombés, et leurs chevaux aussi.
Malgré cela, le Clan de la Panthère refusa d’abandonner et lança une autre volée massive de flèches sur le Clan du Loup. Mais comme avant, elles étaient toutes déviées par le bouclier de protection des chariots placés en hauteur.
La troisième volée de carreaux d’arbalète du Clan du Loup s’était abattue sur les cavaliers du Clan de la Panthère, volant leur vie les uns après les autres.
« Qu’est-ce que c’est que ça ? » Une voix rauque qui était presque un croassement échappa des lèvres de Hveðrungr.
Il ne pouvait pas croire ce qu’il voyait.
C’était censé être un massacre unilatéral du Clan du Loup par le Clan de la Panthère, mais au lieu de cela, c’était exactement le contraire.
Depuis des temps immémoriaux, les plus grands généraux recherchaient toujours des terrains qui donnaient un avantage à leurs propres forces, en utilisant pleinement les caractéristiques de ces terrains pour assurer la victoire.
C’est ainsi que l’humanité avait mené ses guerres pendant des milliers d’années.
Mais l’histoire avait finalement vu l’apparition d’un nouveau concept.
Plutôt que d’utiliser simplement le terrain naturel existant, on pourrait changer les caractéristiques du champ de bataille, le restructurer d’une manière qui donnait l’avantage à ses forces.
C’était l’avènement des fortifications de campagne construites par l’homme.
L’histoire bien connue d’Oda Nobunaga utilisant un tir de volée de trois rangs lors de la bataille de Nagashino était soupçonnée de n’être qu’une invention, et c’était peut-être vrai. Cependant, il y avait un autre fait à propos de cette bataille en 1575, moins connu, mais incontesté : c’était la première bataille enregistrée dans l’histoire militaire japonaise où une armée utilisa des fortifications rapidement construites sur le terrain pour changer le terrain du champ de bataille.
C’était à peu près la même chose en Europe à cette époque. Au début du XVIe siècle, l’ancienne tactique offensive des charges menées par des chevaliers lourdement blindés commença à être remplacée, car de plus en plus de preuves démontraient la force supérieure des tactiques défensives comportant des fortifications de campagne. Des lignes improvisées de lanceurs et des palissades faites de piquets de bois pourraient gêner la charge de l’ennemi, tandis que des arbalètes, des fusils ou des canons pourraient tirer sur eux depuis derrière la ligne défensive.
Puis il y avait eu les guerres hussites qui avaient commencé en Bohême cent ans plus tôt, en 1419, et un général du nom de Jan Žižka, qui était devenu d’une grande importance durant cette période.
Sa faction hussite était principalement composée de citoyens ordinaires et de paysans, sans guère de formation militaire. D’autre part, ses ennemis étaient les croisés de l’Église catholique et du Saint Empire romain, dont beaucoup étaient des chevaliers avec un avantage incomparable en équipement et en formation. Et bien sûr, ils détenaient un avantage écrasant en nombre.
Ce qui avait permis à Jan de surmonter son terrible désavantage, c’était une tactique novatrice. Il renforça les chariots tirés par des chevaux des paysans avec une plaque de fer, de sorte que lorsqu’une bataille commençait, ils pouvaient être assemblés en une formation en anneau, créant ainsi un mur de forteresse simple et improvisé. C’était la tactique du « fort à chariots », plus tard connue sous le nom allemand de Wagenburg.
Ses tireurs étaient regroupés en équipes de trois, les rôles de tir, de chargement et de nettoyage des armes étant répartis entre eux afin qu’ils puissent tirer sans interruption sur l’ennemi.
La cavalerie armée avait été le fléau redouté de l’infanterie pendant des milliers d’années avec leurs volées de tir à l’arc en mouvement et leurs charges féroces. Mais ils ne pouvaient pas faire grand-chose contre une forteresse mobile aux murs de fer avec des tireurs utilisant des tirs de volée, alors ils avaient complètement perdu contre les forces hussites plus petites. On disait que les hussites réussirent même à s’emparer des étendards de combat et des documents de commandement des forces du Saint Empire romain, et que les routes menant à l’Allemagne et à la Hongrie étaient remplies de croisés fuyant les batailles avec les hussites.
La tactique du fort de chariots était toujours en usage au 21e siècle. Dans les drames de la police japonaise et dans les reportages d’outre-mer, on pouvait voir des policiers utiliser leurs voitures comme barricades mobiles ou boucliers pendant une fusillade.
« Dire que tu as réussi à rassembler autant de soldats sous ton commandement en seulement un an et demi…, » au centre de son propre fort, Yuuto essuyait la sueur de son front.
La fin de l’automne approchait, et le vent froid portait déjà les premières traces de l’hiver à venir. Et pourtant, les mains et le front de Yuuto transpiraient abondamment.
La taille massive de l’armée qui s’en prenait à lui était un peu plus importante qu’il ne l’avait estimé.
Même s’il était protégé par un mur de fer, même si Jan Žižka avait utilisé la même tactique pour gagner contre une armée ennemie beaucoup plus importante, l’impact intense des forces du Clan de la Panthère qui fonçaient vers lui de toutes parts avec des cris de guerre assourdissants suffisait à le terrifier.
« Tu es vraiment un homme incroyable, Grand Frère, » murmura Yuuto. « Mais je ne suis pas non plus resté inactif depuis un an et demi. »
Afin de porter un coup décisif contre le Clan de la Panthère, dont la cavalerie se vantait d’une mobilité supérieure, Yuuto avait d’abord besoin d’un moyen d’attirer la plus grande partie de son armée à sa position.
D’après l’histoire qu’il avait apprise jusque-là, les nations nomades dont les armées se battaient à cheval préféraient les tactiques d’escarmouche et avaient tendance à éviter les batailles décisives à grande échelle. Cela signifiait qu’il lui fallait quelque chose de comparable à la tactique de Li Mu, qui avait brillamment attiré une armée de cent mille xiongniens dans un piège.
Yuuto était une personne différente du garçon qui n’avait pas été capable d’imaginer et de considérer les sentiments de son frère aîné. « Je ne suis plus un gamin qui n’utilise plus que des tricheries technologiques… »
Il s’était rappelé les paroles de Sun Tzu : « Ce qui pousse les opposants à venir de leur propre chef, c’est la perspective d’un gain. »
S’il voulait qu’une force ennemie avance vers sa position, il devait leur montrer qu’il y aurait un gain évident pour eux. C’était dans cette même ligne de pensée qu’il avait formulé ses stratégies lors de ses combats avec le Clan de la Corne et celui de la Foudre.
Yuuto pouvait maintenant se mettre à la place de ses adversaires et penser à partir de leurs points de vue.
La stratégie conventionnelle du clan nomade consistait à utiliser un petit nombre de combattants à cheval pour appâter leurs ennemis et les attirer sur un terrain découvert, puis les encercler et les écraser rapidement.
Et Loptr lui-même avait subi une défaite humiliante aux mains des forces combinées des clans de la Griffe des Crocs et des Cendres lorsqu’ils l’avaient complètement entouré. Ce fut le début d’une série d’événements qui l’avaient conduit à tuer son patriarche et donc à s’exiler du Clan du Loup.
Loptr connaissait intimement la terreur et la supériorité de cette tactique.
Et c’est exactement la raison pour laquelle Yuuto avait choisi de diriger lentement ses forces à travers ce marais.
Il était certain qu’avec un terrain boueux aussi large qui donnait à la cavalerie un avantage écrasant contre son infanterie, son adversaire saisirait l’occasion d’amener l’essentiel de ses forces et d’encercler complètement Yuuto.
Et il s’était également assuré d’interdire l’utilisation de la tactique du fort à chariot jusqu’à ce moment précis, afin que son ennemi ne puisse pas se laisser tenter par une contre-mesure et qu’il finisse par mordre à l’hameçon.
Tout cela s’inscrivait dans une stratégie de faiblesse feinte suivie d’une attaque de force, résumée par le dicton « timide comme une jeune fille, puis rapide comme un lapin », qui avait ses racines dans un autre passage de l’Art de la guerre de Sun Tzu.
« Hehe… Je vais vraiment aller en enfer quand je mourrai, » déclara Yuuto avec un petit rire autodérision.
N’as-tu pas prêté serment de te battre pour protéger ta famille ? Lui chuchota une voix au fond de son cœur. Alors pourquoi attirer ton frère aîné assermenté, ta précieuse famille, dans un piège mortel ?
Il avait déjà la réponse. La partie calme et rationnelle de l’esprit de Yuuto savait qu’en tant que patriarche de clan, il devait être impartial, voire cruel, afin de protéger tout le monde. Mais ça n’avait pas fait disparaître l’oppression dans sa poitrine.
Même à cette heure tardive, Yuuto était incapable de se débarrasser de ses hésitations. Même ainsi, il était toujours le patriarche. Il devait aller jusqu’au bout.
Il ferma les yeux un moment, se disant qu’il aurait le temps de regretter quand tout cela serait terminé. Il se concentra tranquillement sur le renforcement de son cœur. Enfin, il ouvrit à nouveau les yeux et, fixant l’armée du Clan de la Panthère, il donna froidement un ordre à ses hommes :
« Tirez jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. »
***
Partie 6
« Qu’est-ce que vous foutez tous !? » Hveðrungr cria à ses hommes dans un accès de rage, comme un enfant perdu dans une crise de colère.
L’ennemi était tombé dans le piège de Hveðrungr et était allé dans ces vastes marais, et maintenant il les avait entièrement entourés d’une force beaucoup plus grande. Son équipe devrait avoir l’avantage en ce moment.
Ses combattants du Clan de la Panthère ressentaient exactement la même chose. Leur victoire devrait déjà être décidée à ce stade. L’ennemi venait d’utiliser ses chariots pour faire un mur de désespoir. Ce n’étaient que de simples chariots !
Depuis des générations, le clan nomade savait que les chariots étaient faiblement défendus et remplis de denrées alimentaires et d’autres objets de valeur, la cible idéale pour les raids. Le fait de ne pas être capable de repousser quelques chariots comme celui-ci avait fait honte au fier nom du Clan de la Panthère.
Si leurs flèches ne pouvaient pas percer les murs du chariot, ils n’avaient qu’à se précipiter pour les attaquer et les briser en morceaux.
Mais même leurs charges avaient été repoussées.
Il était donc clair qu’ils n’avaient qu’à sauter par-dessus les chariots. Mais les chevaux étaient trop effrayés pour le tenter, peut-être à cause de l’instabilité supplémentaire du sol mou et boueux.
Alors les soldats sautèrent de leurs chevaux et montèrent sur les calèches. Mais ils furent rapidement abattus par les longues lances de l’ennemi.
Et pendant que tout cela se passait, les carreaux d’arbalète pleuvaient continuellement sur eux, volés après volée.
« En avant ! » cria Hveðrungr. « En avant ! Détruisez leurs petits chariots et montrez-leur de quoi nous sommes vraiment faits ! »
Hveðrungr n’avait pas reconnu la réalité de la situation.
Il était censé être celui qui les avait attirés dans un piège. Il ne pouvait pas supporter d’admettre que c’était lui qui avait mordu à l’appât depuis le début.
Il était censé être le commandant militaire supérieur.
Il passerait de force ce petit tour de Yuuto d’un moment à l’autre.
Cette illusion, et l’attente qu’elle lui avait données avaient retardé sa capacité de prendre des décisions rationnelles.
Du côté du Clan du Loup, Yuuto ne pouvait pas non plus nier le sentiment que sa stratégie manquait d’un avantage décisif.
Jan Žižka avait remporté des victoires écrasantes contre la cavalerie grâce à sa stratégie de fort de chariots et à l’utilisation de volées continues et concentrées avec des armes à feu, mais le Clan du Loup n’avait pas vraiment de remplaçant pour ce dernier.
Après tout, il y avait une différence marquée de force entre les armes à feu et les arbalètes.
Par rapport aux carreaux d’arbalète, les balles étaient plus petites, plus difficiles à voir et beaucoup plus rapides. Les flèches et les carreaux étaient comparativement plus faciles à dévier ou à esquiver.
Les volées d’arbalètes n’avaient pas non plus le bruit explosif des armes à feu qui terrifieraient les chevaux.
Cette tactique n’avait donc pas suffi à désespérer l’ennemi. L’ennemi pouvait encore s’accrocher à la croyance qu’avec un peu plus d’efforts, il pouvait vaincre les défenses de Yuuto.
La bataille semblait devenir de plus en plus féroce.
***
Cinq heures s’étaient écoulées depuis le début de la bataille entre le Clan de la Panthère et le Clan du Loup.
À ce moment, la zone entourant le fort de chariots de l’armée du Clan du Loup était remplie de cadavres de combattants du Clan de la Panthère et de leurs chevaux.
Le Clan de la Panthère avait changé de tactique et avait commencé à tirer vers le haut pour envoyer ses flèches en arc de cercle, et avait finalement pu commencer à infliger des blessures et des pertes du côté du Clan du Loup, mais c’était vraiment faible.
Tirer de manière si courbée signifiait que leurs flèches frappaient avec moins de puissance et étaient moins précises à cause du vent. Le Clan du Loup, quant à lui, visait régulièrement à chaque tir de derrière les murs du chariot, et pouvaient viser facilement les soldats du Clan Panthère grâce à la plus grande portée de leurs tirs directs.
Il était clair qu’un seul camp verrait ses pertes augmenter dans ces circonstances.
« Rrrggghghhhh ! » Hveðrungr se mordait le pouce, incapable de réprimer sa colère. Il y avait déjà de profondes marques de morsures sur la peau et les ongles qui attestaient à quel point il était irrité.
« Hé, Rungr, » dit Sigyn. « Retirons-nous. C’est frustrant de l’admettre, mais on a perdu cette fois. On perdra plus d’hommes sans raison, à ce rythme-là. »
Sigyn avait offert son conseil avec une expression déchirante. L’un de ses devoirs en tant qu’épouse du souverain était de soutenir son mari en lui disant ce que les autres ne pouvaient pas lui dire.
Ils avaient déjà envoyé chercher les trois mille hommes qui avaient été laissés à Myrkviðr, mais même avec ces renforts, le Clan de la Panthère n’avait pas réussi à percer les défenses du Clan du Loup.
En tant que fière membre du Clan de la Panthère, elle était peinée de dire qu’ils avaient perdu contre un groupe de personnes dans les chariots, mais accepter les faits et prendre les meilleures décisions basées sur eux était la responsabilité de ceux qui régnaient au-dessus des autres.
Ils ne devaient pas se laisser berner par l’apparence des chariots. Quoi qu’il en soit, l’ennemi avait en fait un mur de forteresse. Et ce qui était encore plus ridicule, c’était qu’il était mobile.
On disait qu’il fallait au moins cinq à dix fois plus de troupes que l’ennemi pour percer une forteresse avec un assaut direct, et la cavalerie était mal adaptée pour attaquer des fortifications dans les deux cas. Poursuivre leurs attaques de cette façon ne ferait rien de plus qu’augmenter leurs propres pertes.
« Ne sois pas stupide, » cria Hveðrungr. « Comment pourrions-nous nous retirer maintenant, alors qu’il semble que nous allons pouvoir franchir leur mur ? »
« Rungr… calme-toi et écoute. On ne peut pas franchir ces chariots. Ça ne marchera pas, peu importe combien de fois on essaiera. »
Pour Sigyn, Hveðrungr avait clairement perdu son sang-froid.
C’était le genre d’homme qui semblait calme et recueilli, mais qui était en fait animé par des émotions très fortes. Elle pensait qu’il s’était perdu dans sa haine et sa rage intérieure.
Cependant, le fait est que Hveðrungr était maintenant parfaitement calme.
Certes, jusqu’à il y a un instant, il avait été agité par la colère, ce qui avait entraîné la mort inutile d’un nombre incalculable de ses hommes.
Mais comme il avait envoyé ses fils du clan à la mort, il les avait utilisés comme cobayes pour travailler sur une contre-mesure pour les défenses de Yuuto. Et enfin, sur le dos de tous ces sacrifices, il avait entrevu la voie à suivre.
Se retirer maintenant serait la chose la plus inutile qu’il puisse faire.
« Ça va marcher, » lui déclara Hveðrungr. « Au moins, cela fonctionnera maintenant. Et Sigyn, je vais avoir besoin de ton pouvoir pour le faire. »
Sur ce, Hveðrungr avait expliqué le plan qu’il avait élaboré.
Les habitants d’Yggdrasil avaient eu une vision beaucoup plus simple et plus dure de l’éthique par rapport au 21e siècle, pourtant le contenu du plan de Hveðrungr était dérangeant même selon ces normes. En effet, tous les autres officiers du Clan de la Panthère s’en étaient troublés.
Cependant, Sigyn seule était différente, riant bruyamment et de tout son cœur. « Ahahahahahaha ! Parfais, Rungr, exactement ce que j’attends de l’homme que j’ai choisi ! Je suis d’accord. C’est parti pour ça. »
« Je pensais bien que tu dirais cela, » répondit Hveðrungr, les coins de sa bouche se tordant en un sourire.
Les deux personnes souriantes et riantes l’une à l’autre s’étaient révélés dans leur vraie nature, comme des démons impitoyables qui ne voyaient les autres que comme des choses.
***
Partie 7
« Le soleil commence à se coucher, » murmura Yuuto en regardant le ciel rougissant de l’ouest.
Le mur de fer créé par sa tactique de fort de chariots avait tenu bon contre le tir à l’arc à cheval et les charges de cavalerie, deux des plus grandes menaces tactiques dans Yggdrasil.
Cela dit, il ne pouvait pas se permettre de se détendre le moindre instant.
Les guerriers du Clan de la Panthère avaient continué à porter des attaques suicidaires sans hésiter, et il n’y avait aucun moyen de savoir ce qui allait se passer ensuite.
Yuuto ne pouvait pas se débarrasser de la peur qu’une flèche perdue le prive soudainement de sa vie.
Il ne pouvait pas se débarrasser de l’inquiétude qu’un problème inattendu puisse se produire et puisse faire que son mur défensif soit brisé.
Il pouvait ressentir le stress lentement mais sûrement qui réduisait sa force mentale.
« Il semble que… nous pourrions enfin nous reposer un moment. » Le visage soulagé de Félicia avait aussi l’air très usé.
Il faudrait qu’il y ait une pause dans les combats une fois la nuit tombée. Les nuits d’Yggdrasil étaient interminablement sombres, avec seulement la faible lumière des étoiles et de la lune. Dans cet état, il devenait plus difficile de voir les obstacles et le terrain sous ses propres pieds, sans parler de la difficulté de déterminer les positions relatives et de repérer les alliés de l’ennemi dans l’obscurité.
Bien sûr, il y avait encore la possibilité d’une attaque furtive lancée sous le couvert de l’obscurité, donc il fallait rester vigilant, mais il semblait au moins qu’il y aurait une chance pour Yuuto de prendre une petite pause.
« Ouais, bien que j’aimerais bien qu’ils saisissent cette chance de partir, » déclara Yuuto.
Dans son pays natal, Yuuto commençait à être traité comme un dieu de la guerre, mais en vérité, il n’aimait pas du tout la bataille. En fait, il n’aurait préféré rien de plus qu’une alternative qui éviterait complètement les combats.
C’était particulièrement vrai aujourd’hui, en raison de ses propres sentiments dans ce cas.
« Après tout, notre objectif ici est simplement de leur faire comprendre qu’ils ne pourront plus nous attaquer sans pertes importantes, » déclara Yuuto.
Yuuto n’avait aucun désir d’exterminer ses ennemis, même s’ils essayaient de le tuer. Il s’était dit qu’il n’avait pas le choix quand il devait les tuer, mais bien sûr, il se sentait encore coupable.
C’est pourquoi, même si cela peut sembler contradictoire, il devait utiliser cette bataille pour blesser l’ennemi aussi fortement et complètement que possible.
En effet, il avait besoin de les faire souffrir suffisamment pour que chaque soldat restant ressente le désespoir du fond du cœur.
« Si une blessure doit être infligée à un homme, elle doit être si grave qu’il ne faut pas craindre sa vengeance. » C’était l’enseignement de Nicolas Machiavel.
Bien qu’un grand nombre d’entre eux puissent mourir dans un court laps de temps, à long terme, cela entraînerait moins de décès totaux et moins de souffrance en général… c’était la théorie, en tout cas.
Il n’y avait aucun moyen de garder une trace précise, mais le Clan du Loup avait déjà tué plus d’un millier de soldats du Clan de la Panthère.
En revanche, le Clan du Loup n’avait perdu qu’une vingtaine ou une trentaine de personnes.
Si l’on se contentait de ces chiffres, on pouvait dire que c’était une victoire totale pour le Clan du Loup.
Yuuto espérait qu’une fois la nuit tombée et que les deux camps cesseraient temporairement les combats, l’ennemi s’attaquerait aux faits et se retirerait, décidant qu’il ne devrait plus jamais tenter la guerre contre le Clan du Loup.
« Quoi… !? L’ennemi prépare quelque chose ! Les soldats se rassemblent dans le nord-ouest ! » cria Félicia.
« Tch ! Merde ! Bon sang ! Ils n’abandonnent toujours pas ? » Yuuto fit claquer sa langue et jura face aux nouvelles. Cela aurait dû être plus que suffisant !
À la fin, une partie de lui voulait encore éviter de combattre Loptr.
« D’accord, » cria Yuuto, « Alors nous les repousserons autant de fois qu’il le faudra ! Renforcez les défenses de notre côté nord-ouest ! »
L’une des forces terrifiantes de la tactique du fort de chariots était que ses défenses à toute épreuve étaient également mobiles. On pouvait rapidement repositionner les soldats le long du mur défensif de la formation en fonction des mouvements de l’ennemi.
« Raaaaaaaahhhhh !! »
Alors que leurs beuglements résonnaient dans les airs, l’immense masse de soldats de l’armée du Clan de la Panthère lança sa charge.
Les forces concentrées dégageaient un sentiment d’intimidation féroce comme Yuuto n’en avait jamais ressenti jusque-là. C’était suffisant pour effrayer certains soldats du Clan du Loup, même s’ils savaient qu’ils étaient derrière la protection du mur de chariots.
Cependant, bien que ce soit une autre histoire dans le combat en mêlée, un soldat effrayé pourrait quand même tirer facilement sur la détente d’une arbalète. On pourrait même dire que leur peur et le désir d’empêcher l’ennemi de s’approcher les encourageraient à charger et à tirer avec encore plus d’ardeur.
Si les murs étaient percés, ils seraient tous envahis en un clin d’œil. Yuuto regarda l’action, retenant son souffle.
« Uuuuooooogh ! »
À la tête de la charge se trouvait un homme aux cheveux courts que Yuuto reconnut comme le maître archer Váli du Clan de la Panthère, qui avait donné tant de mal aux troupes du Clan du Loup avec sa bande d’avant-gardes.
L’homme avait poussé vers l’avant tout en balançant son épée pour dévier les flèches qui approchaient, se rapprochant rapidement de la ligne défensive. C’était un guerrier sans peur, comme on l’attendait de l’homme qui s’était battu à égalité avec Skáviðr.
Et, dans le minuscule espace entre les volées d’arbalètes, il avait sorti rapidement son arc et y plaça une flèche. Alors qu’un soldat du Clan du Loup surgit de derrière le bord du mur du wagon pour lui tirer dessus, Váli le visa et lui tira dessus entre les deux yeux.
Son élan furieux et son talent avaient fait de lui le type de combattant qui était à la hauteur d’une centaine d’hommes normaux. Mais, même un guerrier aussi grand qu’il n’était, à la fin, qu’un seul soldat mortel.
« Guh… ! »
Váli grogna alors qu’une flèche du Clan du Loup toucha sa cible et le transperça près de son épaule. L’impact avait forcé son corps à reculer, et il était tombé de son cheval, envoyant une éclaboussure d’eau boueuse quand il avait touché le sol.
Yuuto ne pouvait pas dire si l’homme était mort ou non de là où il se tenait, mais il était sûr de dire que l’un de ses ennemis les plus puissants venait d’être retiré du combat.
Cependant, la défaite du héros du Clan de la Panthère n’avait rien fait pour atténuer la force ou l’élan de leur assaut.
Leurs vagues d’attaques continuelles semblaient devenir de plus en plus furieuses par la suite, comme un violent orage, comme si le Clan de la Panthère déversait toute sa force restante dans ses troupes.
Yuuto regarda et attendit, se demandant combien de temps cela allait durer. Un peu moins d’une heure s’était écoulée, mais cela semblait durer une éternité. Lorsque la couleur du ciel s’était installée dans le bleu foncé du crépuscule, les attaques de l’ennemi avaient enfin commencé à s’estomper en intensité.
« D’accord, on dirait que nous nous en sommes sortis, » dit Yuuto en serrant les poings alors qu’il s’assurait enfin de sa victoire.
Et c’est là que c’était arrivé.
« Le temps est venu pour l’obscurité de remplacer la lumière du soleil. »
« Gh… ! Qu’est-ce que c’est que ça !? » Yuuto entendit soudain une voix qui résonnait dans son esprit et sentit son cœur se mettre à battre plus fort.
C’était la voix d’une femme, et il ne la connaissait pas du tout.
« Que les chaînes de la Sainte-Alliance se délient maintenant, afin que le loup affamé emprisonné soit libéré. »
La voix continuait à chanter l’incantation.
Yuuto avait vu dans son esprit l’image d’une femme dansant.
Il ne l’avait toujours pas reconnue.
Elle semblait avoir à peu près la vingtaine, une belle femme aux longs cheveux argentés, attachée à une queue de cheval.
Sa tenue était provocante, pas plus qu’une fine couche de tissu drapé autour de sa poitrine et une autre autour de ses hanches, mais en même temps elle avait aussi un air de dignité sacrée et inviolable. Son apparence ressemblait beaucoup à celle de Félicia qui offrait ses danses sacrées en tant que prêtresse dans le sanctuaire d’Iárnviðr.
« Qui êtes-vous !? Qu’est-ce que vous faites !? » Yuuto cria et regarda autour de lui, mais il n’aperçut personne qui ressemblait à la femme dans sa vision.
Il ne comprenait pas ce qui causait ce phénomène.
Cependant, il avait l’impression d’avoir déjà vécu quelque chose.
Il ne pouvait s’empêcher de penser à l’époque où il avait été convoqué pour la première fois à Yggdrasil.
À l’époque, Yuuto avait vu une vision dans son esprit de Félicia dansant, tout comme ce qui se passait maintenant. Les deux situations étaient trop semblables pour être une coïncidence.
« L’ennemi attaque aussi par le sud-est ! » cria Félicia.
« Quoi !? » s’écria Yuuto.
Malheureusement, sans égard pour l’état d’esprit de Yuuto, la bataille en cours avait connu un développement surprenant.
Alors même que le gros de l’armée du Clan de la Panthère maintenait son assaut concentré depuis le nord-ouest, une petite bande de cavaliers habillés entièrement en noir était apparue de la direction complètement opposée, galopant droit vers le chariot. Ils étaient déjà inopinément proches.
Leurs vêtements noirs et leur petit nombre les avaient aidés à se fondre dans l’obscurité, tandis que l’assaut plus important avait servi de diversion. Ces facteurs combinés avaient suffi à retarder leur repérage par le Clan du Loup jusqu’à maintenant.
Yuuto avait ordonné que les défenses se concentrent sur le nord-ouest. Cependant, il y avait encore au moins un nombre minimum nécessaire de soldats en défense partout ailleurs. Un groupe de cette taille n’était pas assez puissant pour vaincre les murs du Wagenburg.
Yuuto s’était immédiatement préparé à donner l’ordre de contre-attaquer. Mais au moment où il levait la main…
« Ô crocs glacés, brise l’idole de la folie, et engendre le chaos de la calamité… Fimbulvetr !! »
La belle femme dans la vision dans l’esprit de Yuuto avait terminé sa danse d’offrande, et avait levé les deux mains vers le ciel. L’instant d’après, dans le monde réel que Yuuto vit de ses yeux, le groupe de cavaliers du Clan de la Panthère en embuscade était entouré d’une lumière pâle et faible, comme la lueur des lucioles.
Qu’est-ce que c’est !? pensa Yuuto. Mais juste au moment où il commençait à s’y intéresser…
« Grand Frère !? Ton corps est… ! » Félicia cria soudainement vers lui d’une voix tremblante.
Par pur réflexe, Yuuto baissa les yeux vers son propre corps, pour douter de ce qu’il voyait de ses propres yeux. « Qu’est-ce qu’il y a ? »
Son corps était très légèrement, mais de façon perceptible, transparente.
Il ressentit une sensation étrange, comme si quelque chose qui couvrait et pénétrait son corps s’était légèrement affaibli. Cependant, cela n’avait duré qu’une fraction de seconde, et le corps de Yuuto était revenu à son état solide normal.
« Qu’est-ce qui vient de m’arriver ? » demanda Yuuto.
C’était le milieu d’une bataille, et pas le temps de se concentrer sur des visions ou des hallucinations. Il le savait dans sa tête, mais il ne pouvait pas rester calme. Il ne pouvait pas se concentrer sur autre chose.
Rentrer chez soi au Japon du 21e siècle était le plus grand souhait de Yuuto. Pendant deux ans et demi, il avait essayé de trouver un moyen de rentrer chez lui sans succès, et ici et maintenant, il avait enfin trouvé un vrai indice pour trouver une solution. Il n’y avait aucune chance que ça n’attire pas son attention.
À ce moment-là, alors que son cœur était troublé par ce dilemme, Yuuto le vit.
Au sortir de l’obscurité parmi le groupe de cavaliers du Clan de la Panthère, un homme au visage supérieur dissimulé par un imposant casque en fer noir. Un homme aux cheveux longs et dorés comme l’adjudante de Yuuto, Félicia !
« Attendez, ne tirez pas, c’est… ! » Sans réfléchir, c’était les mots que Yuuto avait criés.
Si Yuuto ne l’avait pas vu, il aurait calmement donné l’ordre de tirer. Mais donner l’ordre de tuer son propre frère aîné tout en regardant l’homme de ses propres yeux était quelque chose qui exigeait une incroyable force de volonté et de conviction.
Yuuto avait supposément compris le fait qu’il devait infliger une défaite complète et décisive à son ennemi, mais dans ce moment fatidique, son manque de concentration et son manque de détermination vraiment solide pour combattre son frère avaient eu une conséquence terrible.
L’armée du Clan du Loup avait été guidée vers la victoire à maintes reprises par les ordres de Yuuto. La confiance de ses soldats en lui restait donc absolue.
Il y avait aussi le fait qu’après avoir repoussé tant d’attaques du Clan de la Panthère, ils avaient l’impression que la défense du fort était impénétrable.
Cette pause toujours aussi brève dans le feu de l’arbalète du Clan du Loup avait suffi pour que le groupe de cavaliers du Clan de la Panthère atteigne les chariots.
Et puis…
Plusieurs soldats à la tête du groupe avaient sauté de leurs chevaux. Ils s’étaient mis à quatre pattes dans la boue et avaient renforcé leur corps dans cette position.
Les cavaliers qui les suivaient, toujours au sommet de leurs chevaux, s’étaient placés sur leur dos sans hésitation ni remords, et avaient sauté par-dessus les murs de chariots.
« Quoi !? » Yuuto avait été stupéfait de cette incroyable tournure des événements.
Même si l’on se servait du corps humain comme d’un tremplin, les chevaux, de par leur nature même, n’aimaient pas sauter par-dessus de grands obstacles. Il était impossible de les amener à surmonter cette peur fondée sur l’instinct sans un entraînement spécial très long et ardu.
Alors, comment ont-ils fait ? L’esprit de Yuuto tournait en rond, et presque immédiatement il avait pensé à une possibilité.
Il y a un instant, les cavaliers du Clan de la Panthère étaient enveloppés d’une lumière pâle inquiétante, tout comme la lumière émise par le miroir divin de la tour sacrée du Clan du Loup lorsque Yuuto avait reçu ses appels téléphoniques avec Mitsuki.
Cette lumière était probablement d’ásmegin, la mystérieuse « énergie divine » présente dans ce monde.
Puis il y avait eu le mot « Fimbulvetr » qu’il avait entendu pendant cette incantation, qu’il avait déjà entendu auparavant. C’était pendant l’explication de Kristina de différentes magies seiðr.
Fimbulvetr était un seiðr qui pouvait transformer ses alliés en berserkers intrépides et frénétiques.
***
Partie 8
« HAHAHAHAHAHA ! Enfin, je l’ai fait, j’ai passé le mur ! » Hveðrungr se mit à rire bruyamment en triomphant alors qu’il se frayait enfin un chemin au milieu de la formation de son ennemi.
Il avait fait usage de la puissance de l’art secret de sa femme, le seiðr Fimbulvetr. Hveðrungr lui avait ordonné de le lancer non pas sur ses hommes, mais sur leurs chevaux.
Cela avait éliminé la peur instinctive qu’ils ressentaient en essayant de sauter la tête la première par-dessus les obstacles, mais aussi toute hésitation naturelle de leur esprit, leur permettant de libérer toute leur force et d’atteindre les limites de leur capacité à sauter.
« Hors de mon chemin ! » cria Hveðrungr.
Hveðrungr coupa une zone avec sa lance, fauchant les soldats du Clan du Loup qui étaient les plus proches de lui.
« Urgh... ! »
« Gyaahhhh ! »
Derrière lui, les autres cavaliers vêtus de noir du groupe de l’embuscade avaient suivi son avance et avaient sauté par-dessus les murs du fort.
Cependant, il n’y en avait pas eu beaucoup. Les chevaux poussés dans une furie sauvage par Fimbulvetr étaient trop violents pour être contrôlés par des moyens normaux. Les seuls capables d’un tel exploit étaient l’élite de l’élite, les membres triés sur le volet des forces spéciales de Hveðrungr, l’unité Skyndi.
De plus, les sorts seiðr épuisaient considérablement l’énergie mentale de l’utilisateur. Même pour une femme aussi puissante que Sigyn, l’une des rares utilisatrices habiles de la magie seiðr de tout Yggdrasil, elle ne pouvait toucher qu’une trentaine de chevaux, et elle ne pouvait pas l’utiliser plus d’une fois par jour.
C’était exactement le genre d’atout qu’il fallait garder pour des moments importants comme celui-ci.
« Aaahhhh ! »
« Non ! Noooooon ! »
La plupart des soldats du Clan du Loup qui occupaient les chariots étaient des arbalétriers et leurs assistants. Face à la cavalerie qui sautait soudainement au milieu d’eux, ils étaient tombés dans une panique.
Parce que les murs du fort en fer plaqué de chariot de fer avaient fourni une telle défense solide et fiable jusqu’à présent, avoir cette défense cassée avait été efficace pour briser leur sang-froid.
En temps normal, les soldats du Clan du Loup étaient des hommes courageux, capables de surmonter leur peur de la mort et d’affronter résolument l’ennemi, mais c’était parce qu’ils avaient normalement d’abord le temps de rassembler leur détermination à affronter le danger avant.
Et parce qu’ils s’en tenaient à utiliser des arbalètes à longue portée derrière un mur fortifié, ils n’avaient pas eu la chance de se préparer mentalement à affronter les ennemis qui se trouvaient soudainement juste devant eux, une cavalerie d’élite terrifiante qui se vantait de plusieurs fois leur taille et puissance.
Mais le Clan du Loup avait toujours un général qui restait intrépide et ferme.
« Je ne vous laisserai pas passer ! »
Cet homme sauta sur son cheval et se déplaça pour bloquer le chemin de Hveðrungr, seul. Son apparence était mince et malade, avec un air de mauvais augure.
Son instinct s’était développé en luttant pour survivre et trouver un chemin à travers de nombreuses batailles sans espoir, et ils lui avaient dit que l’homme au casque noir était, sans aucun doute, le chef des combattants du Clan de la Panthère.
« Hyaah ! » Skáviðr avait mis toute sa force derrière sa première attaque à la lance, mais Hveðrungr n’avait pas utilisé sa force pour la bloquer. Au lieu de cela, il avait en quelque sorte détourné l’attaque à la dernière seconde, modifiant habilement sa trajectoire.
« Quoi !? » s’exclama Skáviðr.
Un militaire expérimenté comme Skáviðr n’aurait guère été surpris si l’ennemi avait simplement bloqué ou paré son attaque. Il aurait rapidement fait la transition vers son prochain mouvement.
Cependant, Hveðrungr avait utilisé la « technique du saule », la technique personnelle de Skáviðr qu’il avait développée et affinée au cours de longues années de combat et d’entraînement, et qui utilisait la puissance surnaturelle de sa rune.
Pendant un instant, une fraction de seconde, Skáviðr s’était figé.
Dans une bataille entre deux combattants experts, une telle ouverture pourrait facilement s’avérer mortelle.
« Ghh… ! » Le visage de Skáviðr s’était tordu de douleur lorsque la lance de Hveðrungr avait frappé son épaule d’une frappe perforante.
Même l’homme connu sous le pseudonyme Níðhǫggr, le Boucher Ricanant, était vulnérable à la douleur et aux blessures.
Hveðrungr avait suivi avec une poussée de lance impitoyable visant directement la poitrine de Skáviðr.
Skáviðr avait rapidement tenté de se tortiller, mais il n’avait pas pu se soustraire complètement au coup. Du sang frais avait coulé de sa poitrine.
« Hmph, tu t’es affaibli, mon frère. Ou peut-être que je viens de devenir encore plus fort ? » Certain de sa victoire, Hveðrungr avait souri et se moqua de son adversaire vaincu. Mais à ce moment-là, les yeux de Skáviðr s’ouvrirent avant de saisir la poignée de la lance de Hveðrungr.
« Hein !? Tu ne sais pas quand abandonner, imbécile ! » D’une voix irritée, Hveðrungr tenta d’arracher sa lance des mains de son ennemi.
Mais Skáviðr ne voulait pas lâcher prise, son visage était mortellement sombre. C’était une force incroyable pour un homme souffrant d’une blessure profonde.
« Cette voix… toi… tu es Loptr ! Je ne te laisserai pas… atteindre le Maître… ! » cria Skáviðr.
« Tch, comme si j’avais du temps à perdre avec des gens comme toi. » Hveðrungr était rapidement passé de la traction sur la lance à la poussée.
Le changement soudain avait fait tomber le corps de Skáviðr en arrière. Tandis que Skáviðr essayait d’utiliser la lance comme levier pour redresser son corps, Hveðrungr avait soudainement lâché prise.
« Non… ! » Le corps de Skáviðr avait continué à tomber en arrière.
Il essaya une fois de plus de s’empêcher de tomber, mais comme il renforçait ses muscles du torse, plus de sang s’était répandu de sa blessure. Ses forces l’avaient laissé tomber, et il était tombé de son cheval.
« Grhhh ! »
Alors qu’il était sur le point de toucher le sol, il s’était encore une fois tordu le corps et s’était écrasé sur le sol en roulant plutôt qu’à plat sur le dos afin d’étaler l’impact.
Il s’était rapidement relevé.
Mais c’était tout ce qu’il pouvait faire. Ses jambes s’étaient pliées et il était retombé sur un genou.
Skáviðr avait fixé Hveðrungr avec un regard perçant. Il était toujours prêt à se battre en esprit, mais après les blessures qu’il avait subies à la lance et la chute, le corps de l’ancien Mánagarmr ne pouvait plus continuer à avancer.
« Tu as toujours été l’homme qui ne voulait pas mourir, » ricana Hveðrungr. « Mais je n’ai plus aucun intérêt pour le soi-disant “Loup d’argent le plus fort”. »
Appuyant une main sur la blessure à la poitrine, Skáviðr avait invoqué sa force restante et avait crié vers ses hommes. « Urgh... Longues Lances, qu’est-ce que vous attendez !? Il n’y en a qu’un petit nombre ! Abattez-les, maintenant ! »
Au son de la voix de leur général, les soldats du Clan du Loup revinrent à la raison et se souvinrent de leur devoir. Ils s’étaient précipités pour attaquer Hveðrungr et ses cavaliers.
Un moment plus tard, les deux camps se débattaient dans une mêlée chaotique.
« De la racaille sans valeur ! Ne vous mettez pas en travers de mon chemin ! » cria Hveðrungr d’irritation après l’un des soldats du Clan du Loup, parant la frappe de la lance de l’homme et poursuivant avec un puissant coup de tête qui lui fendit le crâne et le casque.
Il avait ensuite fait avancer son cheval vers un deuxième lancier du Clan du Loup au milieu de son attaque, l’envoyant voler.
La phalange était une puissante formation d’infanterie dans les combats en mêlée, mais c’était seulement parce que lorsque les lanciers pouvaient maintenir une formation serrée et propre, elle formait un « mur de lances » qui ne permettait pas d’attaquer ou de l’éviter.
Grâce à l’embuscade, les lanciers n’avaient pas eu le temps de créer leur formation, et dans des combats individuels, ils n’étaient plus une menace grave.
Entre les mains de jeunes recrues à peine entraînées et de paysans, ces longues lances étaient trop lourdes pour être contrôlés correctement. Dès qu’ils avaient commencé à se battre individuellement, les tout-puissants soldats du Clan du Loup n’étaient devenus rien de plus qu’une bande de soldats faibles.
« Je vous laisse le reste de ces petits merdeux, » rappela Hveðrungr à ses subordonnés, alors qu’il se frayait un chemin à travers les ennemis devant lui. Il était concentré sur un seul point droit devant.
Finalement, il avait fait poser les yeux avec sa cible.
« Heh heh heh heh. On se retrouve enfin, Yuuto… ! » cria Hveðrungr.
Avec son ennemi détesté enfin devant lui, les lèvres de Hveðrungr s’étaient lentement tordues en un sourire maléfique.
En revoyant le jeune homme pour la première fois en un an et demi, Hveðrungr pouvait dire qu’il avait un peu grandi. Il était visiblement plus grand, et son visage était plus dur et plus masculin, et il n’y avait rien de la puérilité d’avant.
Mais ils étaient toujours les traits de l’homme dont il se souvenait. Il n’y a pas eu d’erreur sur le fait que c’était lui.
Yuuto regardait Hveðrungr avec une expression de choc. « Grand Frère… est-ce vraiment toi !? »
Entendant cela, Hveðrungr avait automatiquement grimacé et avait fait claquer sa langue. Ces mots l’irritaient tellement qu’il n’en pouvait plus.
« Nous ne sommes plus frères, toi et moi ! » cria-t-il. « Nous ne le sommes plus depuis ce jour-là ! »
L’homme qui avait été Loptr du Clan du Loup, qui vivait maintenant comme Patriarche Hveðrungr du Clan de la Panthère, ponctua sa remarque criée d’un coup de pied à son cheval, et fonça droit sur Yuuto.
« Je te ferai payer pour m’avoir tout volé ! Espèce de sale traître !! » cria Hveðrungr.
Tandis qu’il déchaînait son profond ressentiment dans un cri, il avait dégainé l’épée à sa hanche et avait fait basculer la lame vers Yuuto.
C’était l’épée que Yuuto lui avait donnée, l’arme détestable qui avait tué son cher patriarche Fárbauti.
Hveðrungr l’avait gardée sur lui depuis cet incident, comme un rappel physique pour qu’il n’oublie pas sa haine et sa rancune sans fin. Il avait depuis longtemps décidé que c’était cette même lame qui devait prendre la vie de son ennemi par vengeance.
Mais son attaque avait été détournée par nul autre que Félicia, sa propre chair et son propre sang. « Je ne te laisserai pas faire ! »
« Gah ! »
Hveðrungr avait flanché. Une légère hésitation scintilla dans les yeux derrière son masque de fer. À son avis, sa sœur ne devrait pas être ici en ce moment. Il s’était convaincu que sa petite sœur bien-aimée avait été enfermée derrière les murs d’Iárnviðr, emprisonnée là par son ennemi si traître.
« Pourquoi !? » s’exclama-t-il. « Pourquoi es-tu ici, Félicia !? Et pourquoi te mettrais-tu en travers de mon chemin !? »
« Je devrais te demander la même chose ! Qu’est-ce que tu crois faire ici !? Non seulement tu as tué notre père juré, mais tu attaques le Clan du Loup que tu as toujours juré de protéger ! » cria Félicia.
« Non, ce n’est pas ça, Félicia ! Cet homme te trompe ! Maintenant, écarte-toi. Écoute ton grand frère ! » déclara Hveðrungr.
« Je ne t’écouterai pas ! » déclara Félicia. « En ce qui me concerne maintenant, il est mon seul et unique grand frère ! »
Félicia se tenait devant Yuuto, pointant le bout de son épée directement sur Hveðrungr, et ses paroles étaient fermes et définitives, rompant ainsi le lien avec son frère de naissance.
Tous les deux se regardèrent férocement l’un l’autre pendant un moment. Puis Hveðrungr avait éclaté de rire.
« Heh ! Heh heh heh heh heh… tes lâches tours ne cessent de m’étonner, Yuuto ! Espèce de serpent ! Tu as même préparé cette imitation pour essayer de me déstabiliser, n’est-ce pas !? »
Yuuto avait été choqué. « Qu’est-ce que tu racontes, Grand Frère !? C’est la vraie Félicia, c’est ta petite sœur ! »
« Silence ! » Hveðrungr cria sauvagement. « Ma petite sœur ne se retournerait jamais contre moi !! »
Sa lame avait rapidement coupé une fine ligne à travers l’obscurité, comme un petit éclair.
***
Partie 9
« Khh ! » Félicia avait à peine bloqué l’attaque avec sa propre arme, mais s’était effondrée en raison de la force.
Félicia était une Einherjar, mais c’était une « Adapte de tous les métiers, maître de rien ». Elle avait un talent avec une épée, mais c’était plusieurs niveaux inférieurs à ceux de combattants comme Sigrun ou Skáviðr.
« Va-t’en, espèce d’impostrice ! » Hveðrungr avait encore frappé. C’était une frappe sans aucune hésitation, chaque once de sa force étant dirigée avec l’intention de tuer.
Félicia n’avait pas été assez rapide pour y répondre.
Cependant, un bruit fort avait résonné lorsque son coup mortel avait été arrêté au dernier moment.
« Grrrrrrr, Yuuuuto... ! » cria Hveðrungr.
« Ghh ! » avait été la réponse.
Les anciens frères assermentés se poussaient les uns contre les autres, leurs lames verrouillées se grattant.
Yuuto tenait sa lame à deux mains, Hveðrungr tenait la sienne en une seule. Mais c’était quand même ce dernier qui avait pris le dessus, avec une force physique supérieure.
Hveðrungr ricana, sûr de sa victoire, mais comme il le fit, ses yeux rencontrèrent ceux de Yuuto. Les dents serrées, le jeune homme dans les yeux avec un regard de désespoir féroce, et Hveðrungr sentit une sensation de froid descendre dans son dos.
« Je comprends si tu me détestes, » grogna Yuuto. « Mais comment as-tu pu... Félicia… c’est la seule famille qu’il te reste !! » rugit Yuuto, sa rage semblait s’envoler hors de lui comme de la vapeur. Hveðrungr sentit son corps tressaillir par réflexe.
Cela aussi n’aurait pas dû être possible.
Comment un homme comme lui peut-il être intimidé par l’aura d’un si misérable petit morveux ? La lame de Hveðrungr était presque à sa gorge ! De quoi pouvait-il avoir peur ?
Il avait ressenti une douleur aiguë s’infiltrant depuis la cicatrice sur son visage.
C’est exact… En y repensant, c’était cette mystérieuse présence intimidante de Yuuto qui avait en premier lieu conduit à une dispute sur la succession.
L’ancien patriarche Fárbauti avait été un homme réfléchi, mais il avait aussi été indécis. Chaque fois qu’il proposait de nouvelles politiques ou de nouvelles réformes, l’ancien patriarche avait tellement donné la priorité à l’harmonie et à la modération qu’il n’avait jamais rien mis en œuvre, sauf des demi-mesures.
Hveðrungr avait souvent été secrètement furieux contre lui à ce sujet, se demandant comment l’homme pouvait être si négligemment irrésolu face à la pire crise du clan.
Mais cet étrange trait de caractère de Yuuto avait charmé l’homme, déclenchant en lui une passion qui ne convenait pas à son âge, et l’avait tellement affecté que cela l’avait poussé à aller à l’encontre des valeurs auxquelles il s’était attaché jusque-là. L’aura de Yuuto était un charisme à la hauteur de la magie.
Peut-être était-il vraiment doué de l’esprit et de la présence d’un seigneur… d’un souverain suprême.
Les flammes de la haine avaient brûlé les mots qui avaient commencé à obscurcir l’esprit de Hveðrungr, et il avait de nouveau placé sa force dans son bras armé. « Tu crois qu’un bluff comme ça marcherait sur moi ? Quelqu’un comme toi… quelqu’un comme toi ne pourrait jamais être… ! »
Rien que cela avait suffi à maîtriser Yuuto, le forçant à s’agenouiller avec un genou posé contre le plancher du chariot.
« Keh ha ha ha ha ha, tu es impuissant contre moi, » jubilait Hveðrungr.
Honnêtement, tu as toujours été un homme faible, pensa-t-il avec mépris. En fin de compte, quelqu’un comme lui ne pourrait jamais espérer s’opposer à lui.
Hveðrungr se moqua de Yuuto en riant, et écarta facilement la lame du jeune homme. Il avait élevé le sien en haut.
« Meurs, et disparais de ma vie pour toujours ! » Il avait fait descendre sa lame. Mais à cet instant, son cheval s’était soudain mis à se débattre.
« Quoi !? » Hveðrungr avait pris les rênes et avait réussi à ne pas se faire éjecter. Mais comme il essayait d’utiliser ses genoux pour guider son cheval, il avait refusé de se calmer de sa panique.
« Qu’est-ce qui se passe !? » cria-t-il.
« Moi, Sigrun, je ne te permettrai plus d’agresser Père ! »
Hveðrungr était haut sur son cheval, mais la lance qui le frappait venait d’encore plus haut. Il l’avait déviée au dernier moment avec son épée et avait levé les yeux vers son nouvel ennemi.
C’était la personne qui avait été sa sœur cadette assermentée au sein du Clan du Loup, la jeune femme aux cheveux d’argent dont il avait tenté d’aider à l’éclosion du talent au combat. Elle le regardait fixement, montée sur un chameau.
« Ha ! » cria-t-il. « Penses-tu qu’une petite fille comme toi va vraiment faire une différence à ce stade ? Tu n’as toujours aucune chance de… Gahh ! Wôw ! Calme ! Calme, j’ai dit ! »
Hveðrungr n’avait pas pu terminer, car son cheval avait continué à agir. Il ignorait complètement ses ordres. Il avait agité la tête dans tous les sens et s’était mis à reculer.
C’était comme s’il avait peur de Sigrun…
Non, il avait réalisé qu’il n’avait pas peur.
C’était plus comme si c’était simplement repoussé par quelque chose.
De derrière Sigrun, il avait repéré plus d’une douzaine d’autres chameliers se dirigeant dans cette direction.
Regardant rapidement derrière lui, il vit que les chevaux des subordonnés d’élite qu’il avait emmenés avaient aussi commencé à mal se comporter, s’arrêtant sur place et se débattant malgré les ordres de leurs cavaliers d’avancer. Certains d’entre eux avaient même jeté leurs cavaliers et s’étaient enfuis.
« Grrrrrr… ! » Hveðrungr grogna comme une bête. La cible de sa vengeance était si proche, mais son cheval ne voulait pas faire un pas en avant.
Les soldats du Clan du Loup, jetés dans un chaos paniqué, retrouvèrent également la raison après avoir vu leur patriarche en danger mortel. Reprenant leur rôle le plus important, ils s’étaient alignés devant lui en formation serrée et avaient préparé leurs longues lances.
« … Tch ! À tous, reculez ! » Hveðrungr cria l’ordre, puis détourna son cheval.
C’était la situation la plus vexante qu’il pouvait imaginer.
Ces soldats n’auraient présenté aucun défi à Hveðrungr et à son élite de soldats du Clan de la Panthère s’ils avaient été capables de se battre à leur meilleur. Mais ils ne pouvaient pas espérer se battre avec leurs chevaux dans cet état.
« Je m’en souviendrai, Yuuto ! Ne crois pas que ça veut dire que c’est fini ! La prochaine fois, je t’arracherai la tête ! » cria Hveðrungr.
Tandis qu’il encourageait son cheval, Hveðrungr laissa ces mots derrière lui, ses paroles d’adieu en colère.
Une fois son cheval éloigné des chameaux, il était revenu à la raison et avait recommencé à suivre fidèlement ses ordres.
Le bord intérieur de la paroi des chariots était bordé de petites plates-formes, susceptibles de faciliter la tâche des arbalétriers. Les cavaliers de Hveðrungr avaient guidé leurs chevaux sur ces escaliers de fortune et avaient sauté par-dessus le mur.
Le démon masqué et sa bande de cavaliers vêtus de noir disparurent dans l’obscurité.
***
« Père, es-tu blessé ? » Sigrun sauta du chameau et se précipita aux côtés de Yuuto.
Yuuto était au sol avec le dos contre la paroi de son chariot. Il lui fit un sourire fatigué et lui fit un signe de la main pour rejeter son inquiétude.
« Non, d’une façon ou d’une autre, je m’en suis sortie en un seul morceau. Tu m’as sauvé, Run, » répondit Yuuto.
« Non, Père, je dois m’excuser d’arriver si tard. Quand je t’ai vu bloquer ton épée avec celle de l’ennemi, ça m’a fait à moitié mourir de peur…, » Sigrun s’arrêta et elle prit une longue et profonde respiration, la tête basse et une main agrippée aux vêtements de Yuuto.
Elle tremblait.
Des larmes étaient tombées de son visage baissé, les gouttelettes faisant de minuscules taches sur le plancher du chariot en bois.
Yuuto posa doucement sa main sur la tête de Sigrun et caressa ses cheveux, un geste pour lui montrer qu’il était là, vivant.
Quand il l’avait fait, elle bondit en avant et enterra son visage contre sa poitrine. Ses larmes chaudes avaient trempé sa chemise, mais il avait laissé la fille aux cheveux argentés faire ce qu’elle voulait, lui tapotant doucement le dos alors qu’elle pleurait pour lui.
Après un moment, Sigrun s’était finalement calmée et s’était éloignée de lui.
« Pardonne-moi mon impolitesse ! Je suis si contente que tu n’aies pas été blessé, Père, » dit-elle, toujours en reniflant un peu.
« Ce n’est pas grave. Je suis désolé de t’avoir inquiété, » répondit Yuuto. Il tendit la main et essuya une larme sur la joue de Sigrun en un geste rassurant de plus.
À ce moment-là, Yuuto avait aussi vraiment voulu sentir le toucher d’une autre personne vivante. La chaleur du corps de Sigrun avait été un rappel direct et une preuve qu’il était toujours vivant.
« C’était beaucoup d’ennuis, mais je suis content que nous ayons amené les chameaux, » ajouta Yuuto, en jetant un coup d’œil sur le chameau depuis lequel Sigrun était descendue avec un soupir de soulagement.
Il avait appris que les chevaux avaient une aversion incroyablement intense pour l’odeur corporelle produite par les chameaux.
Au VIe siècle avant J.-C., ce fait avait été utilisé au combat par le général Harpagus de l’Empire achéménide, dans une bataille avec le royaume de Lydie. Harpagus avait utilisé des chameliers armés sur les lignes de front pour déranger et disperser la cavalerie lydienne, lui attribuant la victoire achéménide.
Ainsi, Yuuto avait également gardé un groupe de chameliers au sein de son armée, en attente au cas où, par hasard, la forteresse des chariots serait percée.
Cela dit, les chameaux n’étaient pas bien adaptés aux climats humides, et ils tombaient facilement malades. Leurs corps n’étaient pas faits pour voyager sur un terrain aussi humide.
Après avoir dû se précipiter à l’endroit où se trouvait Yuuto à l’improviste, leurs mouvements avaient été lents et ils avaient été lents à arriver. Cependant, ils l’avaient quand même fait juste à temps, lui sauvant la vie.
La terrible odeur de chameau qui s’accrochait à Sigrun avait fait frémir le nez de Yuuto, mais il avait même trouvé cela réconfortant après son épreuve.
Félicia semblait elle-même au bord des larmes en regardant Yuuto docilement, parlant formellement avec une expression douloureuse sur son visage, qui était terriblement pâle. « Grand Frère, je te demande de me pardonner. Te protéger est mon devoir, et j’ai échoué. »
Elle semblait vouloir se précipiter à ses côtés également, mais elle se retenait désespérément de le faire.
Ses yeux ressemblaient à ceux d’un chiot abandonné dans la rue, mais elle ressemblait aussi à un criminel condamné en attente de sa sentence.
Son frère de sang venait d’essayer de tuer Yuuto, et elle n’avait pas été capable de le protéger. Elle avait certainement ressenti un fort sentiment de responsabilité à l’égard de ces deux choses.
Yuuto pouvait facilement dire cela, même si elle était prête à être déchargée de ses responsabilités de garde du corps personnel, elle voulait rester son adjudante et son assistante.
« Ne t’inquiète pas, » lui dit Yuuto d’une voix douce et gentille. « Tu avais un mauvais adversaire cette fois. Tu seras toujours mon adjudante de confiance, Félicia. » Puis il l’avait tapotée doucement sur l’épaule.
Toute cette situation l’avait mise dans une position difficile sur le plan émotionnel, et Yuuto voulait s’assurer qu’il était prévenant envers elle.
« D-D’accord ! Merci, Grand Frère ! » L’expression de Félicia s’était adoucie, et elle répondit d’une voix vive et soulagée.
« Maintenant, Père, » Sigrun regarda dans la direction où l’homme masqué s’était enfui. « Poursuivons-nous l’ennemi ? »
La pratique courante en temps de guerre consistait à poursuivre activement et minutieusement un ennemi en retraite.
Cependant, Yuuto secoua lentement la tête. « Non, on attend jusqu’au matin. Pour commencer, tout le monde doit être épuisé par cette bataille acharnée. »
Alors même qu’il disait cela, Yuuto sentit ses mains se serrer dans ses poings. S’il était honnête, il voulait s’en prendre à eux tout de suite.
En ce moment même, Yuuto n’arrêtait pas de penser à cette étrange vision au milieu de la bataille, celle d’une femme et de sa danse envoûtante. Plus précisément, il n’arrêtait pas de penser à l’étrange phénomène qui s’était produit dans son corps lorsque cette danseuse avait terminé le façonnage de son seiðr.
Il ne se souvenait pas de toute l’incantation, mais une ligne lui avait laissé une forte impression : « Que les chaînes de la Sainte-Alliance se détachent maintenant, afin que le loup affamé emprisonné soit libéré. »
Yuuto avait été entraîné dans Yggdrasil par le seiðr de Félicia, Gleipnir. C’était une magie avec le pouvoir de capturer et de lier des choses d’une certaine nature venant d’un autre monde.
Très probablement, le seiðr appelé Fimbulvetr avait, pendant juste un instant, affaibli le pouvoir qui liait Yuuto à Yggdrasil.
Peut-être la raison pour laquelle cela n’avait fonctionné qu’un instant était parce que le pouvoir du seiðr n’avait pas été jeté sur Yuuto, mais sur les chevaux du Clan de la Panthère, et Yuuto n’avait été touché que par une partie de l’énergie résiduelle à la suite du sort.
Pris d’une autre façon, même l’énergie résiduelle du sort avait été suffisante pour affecter le corps de Yuuto.
Il n’y a pas eu d’erreur : Cette danseuse avait la clé du retour de Yuuto au Japon.
Il voulait la trouver et la capturer plus que tout en ce moment. Mais peu importe le désespoir qu’ils avaient à la poursuivre, le Clan du Loup n’allait pas rattraper la cavalerie.
Avec l’utilisation de la tactique de la forteresse de chariots et les tirs de volée rapides des arbalètes, les stratégies de Yuuto avaient fait pas mal de victimes chez le Clan de la Panthère, mais leur force restante était toujours égale en nombre à celle du Clan du Loup.
Déplacer son armée la nuit, alors que la visibilité était si mauvaise, serait beaucoup trop dangereux. Si l’ennemi parvenait à les faire tomber avant qu’ils ne puissent s’arrêter et reconnecter les chariots, ils seraient forcés au combat en mêlée, et pourraient subir des pertes qui effaceraient facilement leurs gains de leur victoire aujourd’hui.
En fait, logiquement, il l’avait bien compris. Il était pleinement conscient de ce qu’il devait faire.
C’était le moment de se reposer et d’attendre.
Mais Yuuto ne pouvait pas apaiser ses pensées ni calmer son impatience.
« Merde ! Bon sang ! Et juste au moment où j’ai enfin trouvé un indice ! »
Yuuto n’avait pas réussi à avoir un instant de sommeil ou un moment de repos en attendant la lumière du matin.