Acte 6
Table des matières
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Acte 6
Partie 1
Frottement, frottement, frottement, frottement, frottement...
Bruit d’eau...
Frottement, frottement, frottement, frottement, frottement...
L’atelier était calme, sauf pour le bruit d’une arête métallique qui s’affûtait, et le bruit occasionnel de l’eau.
Yuuto tenait méticuleusement la lame à la lumière du soleil matinal qui affluait par la fenêtre, l’examinant de très près. Puis, sans un mot, il était revenu la frotter contre la pierre à aiguiser.
Ingrid s’était assise sur une chaise à proximité, observant attentivement chaque mouvement de son travail, sans même cligner des yeux.
Yuuto continuait inlassablement à répéter ce processus et cela jusqu’à ce qu’enfin —,
« C’est... fait..., » fixant la lame qui tenait dans la lumière, Yuuto parlait presque d’une manière distraite, et laissait échapper une longue respiration.
Après une si longue période de concentration mentale continue, son visage montrait des signes marqués de fatigue, mais il était également rempli de l’expression d’accomplissement venant de quelqu’un qui avait mis toute son énergie dans une tâche.
« C’est tellement... incroyable, » Ingrid soupira en profondeur en raison d’admiration. « Rien qu’en la regardant, j’ai un frisson dans le dos... »
Sa réputation de forgeron et d’artisan qualifié avait même atteint la Capitale Impériale de Glaðsheimr. Elle était saluée par tous comme étant l’une des cinq personnes les plus compétentes de tout Yggdrasil. Et malgré ça, elle était complètement envoûtée par les actions de Yuuto.
« Tu n’as pas besoin d’en dire autant, » dit Yuuto. « Je ne suis pas vraiment satisfait de ce que cela a donné. »
« M-Même pas avec ça !? » s’écria Ingrid.
« Tout à fait. C’est encore loin d’être parfait. Mais je pense au moins dire qu’il obtient de peu la note de passage. Eh bien, j’ai rendu la lame plus épaisse puisqu’elle va être utilisée dans de vraies batailles, donc je suppose qu’il n’y a rien à faire si elle s’avère être un peu grossière. »
« Attends ! Si tu as pu faire quelque chose d’aussi incroyable, pourquoi ne l’as-tu pas fait tout de suite ? Tu as eu plus qu’assez de temps pour le faire, n’est-ce pas ? » Ingrid continua à fixer la lame avec admiration pendant qu’elle parlait, comme si elle était fascinée par elle.
Yuuto lâcha un petit rire moqueur. « J’ai fait beaucoup de choses différentes ici jusqu’à présent, mais c’est une chose sur laquelle je n’ai jamais vraiment pu me mettre à faire. Comme il s’agit du travail et de la passion d’un homme que je déteste tant que je pourrais le tuer, alors j’ai tout autant détesté tout ce qui avait un rapport avec lui. Pour être honnête, j’étais sûr que je n’aurais plus jamais rien à voir avec lui pour le reste de ma vie. »
« Oh, » s’exclama Ingrid. « Alors comment se fait-il que tu aies décidé maintenant que tu allais faire quelque chose avec lequel tu as une si mauvaise histoire ? »
« Quand cette guerre avec le Clan de la Griffe sera terminée, ma mission ici sera terminée, et je retournerai dans mon propre monde, » déclara Yuuto.
« H-hey... tu n’as pas besoin d’être pressé pour partir. » Ingrid interrompit l’explication de Yuuto, l’air un peu agité.
Yuuto lui avait fait comprendre qu’il venait d’un autre monde. Et qu’il finirait par y retourner.
« Tu sais, » déclara Yuuto, en indiquant l’arme dans sa main, « Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai été fasciné par ces choses. Au lieu de traîner avec les enfants de l’école, je passais tout mon temps à frapper avec un marteau comme celui-ci. »
Yuuto prit un marteau de forge placé à côté de lui et il fait avec lui quelques balancements dans les airs, comme s’il revivait un vieux souvenir.
« En fait, la seule personne avec qui je suis “proche”, c’est mon amie d’enfance, une fille d’environ un an plus jeune que moi, » déclara Yuuto.
« Oh... une fille, » déclara Ingrid.
« Hm ? Pourquoi as-tu répété cette partie ? » lui demanda Yuuto.
« E-Euh, s-sans raison. T-Tu... peux continuer ! » déclara Ingrid.
« Euh, d’accord. C’est comme ça que j’ai viré finalement. Ce que je veux dire par là, c’est que j’ai beau avoir des personnes que je connais, en gros, des connaissances, je n’ai personne que je pourrais vraiment considérer comme étant un ami. »
« Alors, tu es pareil que moi, » Ingrid lui parlait doucement, les bras croisés.
C’était vrai. C’était aussi quelqu’un qui avait consacré toute sa jeunesse à l’art de l’artisanat. Et en tant que porteuse de la rune Ívaldi, L’Enfanteuse de Lames, son talent dépassait tout ce qui l’entourait. Il n’y avait personne à son niveau avec qui elle pouvait avoir une vraie discussion.
Elle avait des subordonnés et des apprentis, mais pas d’amis ou de rivaux à ses côtés pour améliorer ses compétences. Dans le monde d’Yggdrasil, cette fille avait été isolée.
Yuuto était maintenant le premier. La première personne qui avait pu lui apporter une stimulation créative.
« Une fois cette guerre terminée, je pourrai rentrer chez moi, » déclara Yuuto. « Chaque fois que j’y pense, je commence alors à ressentir un fort sentiment, comme si je voulais laisser quelque chose derrière moi. »
« Tu nous as déjà beaucoup donné, » déclara Ingrid. « Il y a le fer, le pain sans grain et le papier. »
« Tout le monde a droit à ce genre de choses. Je ne parle pas de ça. Pour le frère et la sœur qui se sont occupés de moi tout ce temps... Je les considère comme de vrais amis du fond du cœur, et je veux leur laisser quelque chose de spécial. Comme un souvenir, afin qu’ils ne m’oublient pas. Ce n’est pas comme si j’allais mourir, ou un autre truc dans le genre, » répondit Yuuto.
Il prévoyait de laisser son smartphone et sa batterie solaire à Félicia. Et le cadeau d’adieu pour son frère aîné serait l’arme qu’il venait de fabriquer.
C’était une arme faite pour lui, unique au monde. Yuuto ne pouvait pas dire qu’il s’agissait d’une pièce impeccable, pas même comme une vaine flatterie, mais c’était quand même quelque chose qu’il avait mis tout son cœur et son âme à faire.
« Hmph, alors nous en faisons un autre, » déclara Ingrid.
« Quoi ? » lui demanda Yuuto.
« T-Tu dois m’en donner un aussi. J’ai moi-même dû m’occuper de toi. J-J’ai alors aussi les droits d’en avoir un à moi. Espèce d’abruti sans cœur, » s’écria Ingrid.
Ingrid avait détourné son visage de lui. Ce visage devenait rapidement rouge comme une pomme.
Yuuto avait alors fait un sourire ironique et haussa les épaules. « C’est vrai. Maintenant que tu le dis, j’imagine que j’ai une autre bonne amie. Et c’est également ma meilleure complice. »
« Comment as-tu pu oublier !? » s’écria Ingrid.
« Hehe, c’est de ma faute, » déclara Yuuto.
« Ce ne sont pas de vraies excuses ! » Ingrid croisa les bras puis elle fit gonfler ses joues en signe de déplaisir.
Elle était enjouée et expressive dans ses émotions, digne d’une fille de son âge.
Pour la stoïque Sigrun, cela allait de soi, mais Félicia semblait aussi toujours essayer de garder le contrôle de son propre comportement, et parfois sa politesse et sa courtoisie créaient un sentiment de distance.
En revanche, Yuuto avait l’impression qu’il pouvait parler avec cette fille de la même façon qu’un ami masculin, et c’était avec elle qu’il avait découvert qu’il pouvait communiquer le plus facilement.
Juste au moment où cette pensée lui traversait l’esprit, il remarqua qu’elle le regardait avec un regard beaucoup plus sérieux dans ses yeux.
« A-Alors, Yuuto ? Tu n’as pas d’amis dans l’autre monde, mais il y a plein de personnes p-proche de toi dans celui-ci. Sigrun et Félicia, et Grand Frère Loptr, et, e-e-et je suis l-là, aussi. E-E-E-En tant qu’amie, je veux dire, en tant qu’amie. Je ne voulais pas dire ça d’une façon bizarre, » déclara Ingrid.
« Ne t’inquiète pas, je l’ai compris. Pourquoi aurais-je mal interprété cette partie ? Je viens de te dire que tu es mon amie proche, non ? Celle qui me comprend le mieux, » déclara Yuuto.
« T-Tu ne comprends pas du tout..., » Ingrid murmura à elle-même.
« Hm ? Je n’ai pas entendu tout à l’heure ce que tu as dit, » déclara Yuuto.
Yuuto ne savait pas pourquoi, mais pour une raison inconnue, sa bonne amie était actuellement sur les mains et à genoux, frappant le sol avec son poing.
« Je n’ai rien dit ! » Elle lui avait crié ça en colère, les larmes aux yeux, le laissant de son côté cligner des yeux en raison la confusion.
Ingrid avait normalement une personnalité pleine d’entrain et une tendance à s’occuper des autres comme une grande sœur, mais pour Yuuto, il semblait qu’elle était de mauvaise humeur aux moments les plus étranges.
« D-De toute façon ! » s’exclama-t-elle. « J’aime faire des choses avec toi. Je suis toujours excitée à l’idée de ce qu’on va faire ensuite. A-Alors, c-c’est pour ça que t-tu devrais r-r-rester ici avec a-avec... —. »
*Claquement de porte* ! Soudain, la porte de l’atelier s’était ouverte.
Il s’agissait d’un soldat. Il devait être très pressé, car son visage était rouge et il était clairement essoufflé. Il était évident d’après ces détails que quelque chose d’important s’était produit pour qu’il vienne ici ainsi.
Le soldat avait pris plusieurs longues et profondes respirations, avant de se redresser, et de crier son message. « Seigneur Yuuto ! Vous êtes convoqué à une réunion d’urgence ! S’il vous plaît, allez tout de suite au palais ! »
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Partie 2
« Une défaite... totale... ? » Yuuto restait immobile, choqué par le rapport de Sigrun.
Le visage de la jeune fille aux cheveux argentés était couvert de perles de sueur, et elle respirait difficilement. Elle avait dû forcer son cheval à voyager à grande vitesse pendant un long moment pour courir ici avec ce rapport. Elle semblait très mal à l’aise juste là. Il n’y avait aucune trace de son air froid et digne.
Dans la salle d’audience du palais étaient rassemblés tous les officiers supérieurs du Clan du Loup qui, pour diverses raisons, n’avaient pas participé à l’expédition. Chacun de leurs visages était raide et dépourvu de couleur.
« Attends, alors qu’est-il arrivé à Félicia !? Qu’est-il arrivé à Loptr !? » Yuuto fit entendre sa voix, pressant Sigrun afin d’obtenir des réponses.
C’était très impoli d’interrompre un rapport destiné au patriarche, mais pour Yuuto, ces deux-là étaient une famille irremplaçable. Il n’avait pas pu avoir une pensée pour l’étiquette en ce moment.
« ... Je ne sais pas, » répondit Sigrun.
« Q-Qu’est-ce que tu veux dire par : je ne sais pas !? » s’écria Yuuto.
« Grand Frère Skáviðr a lancé une attaque suicidaire qui a réussi à forcer une ouverture dans les rangs ennemis, et grâce à cela, la plupart des autres commandants, dont moi, ont pu s’échapper des lignes de front en restant en vie, » déclara Sigrun. « Cela inclut Grand Frère Loptr, et Félicia. Mais comme je sais monter à cheval, j’ai dû les laisser derrière moi pour transmettre ce message à mon Père le plus rapidement possible. Je veux croire qu’ils vont bien tous les deux, mais les troupes à leur poursuite seront aussi féroces. Je ne peux rien garantir. »
« Qu’est-ce que c’est que ce... non... Je ne veux pas que ce soit comme ça qu’on se dise au revoir..., » ses forces commencèrent à quitter le corps de Yuuto.
Sans aucune honte et sans égard pour l’apparence, Yuuto s’était accroupi sur place, s’enroulant faiblement en boule.
Il avait supposé qu’il leur ferait ses adieux une fois la bataille terminée. Mais c’était supposé être avec les deux personnes encore en vie, chacun souhaitant le bonheur de l’autre pendant qu’ils se séparaient. Il ne pensait pas à une situation désespérée où ils auraient été séparés par la mort.
« Pourquoi en est-il ainsi ? » demanda Fárbauti. « Nous n’étions peut-être pas assez forts pour gagner une bataille, mais avec des armes de fer et quatre Einherjars, et l’ensemble de notre armée combattant comme un seul homme, nous aurions certainement dû gagner cette bataille. Comment nos forces ont-elles été vaincues ? »
Le vieux patriarche se pencha vers l’avant de sa chaise alors qu’il posait la question à Sigrun. Son manque de sang-froid s’était manifesté dans la manière exigeante dont il l’avait pressée.
Sigrun serra les poings en colère et répondit d’une voix qui donnait l’impression qu’elle luttait pour faire sortir les mots.
« C’était... une embuscade. Comme vous l’avez dit, Père, tout au long de la bataille contre le Clan de la Griffe, notre armée a eu l’avantage. Cependant, alors que nous étions à un pas de la victoire, nous avons soudain été attaqués des deux côtés par les troupes de Clan du Croc et le Clan des Cendres... »
« Impossible ! Pourquoi ces deux clans voudraient-ils... !? » Fárbauti s’était levé si vite dans sa confusion que sa chaise avait failli basculer.
C’était la première fois que Yuuto voyait le vieux patriarche, habituellement imperturbable, visiblement perturbé à un tel degré.
Un mélange de voix, certaines rancunières et d’autres déconcertantes, s’éleva des autres officiers de clan rassemblés dans la salle d’audience.
« Je n’arrive pas à le croire. Ces deux clans étaient censés avoir des relations hostiles avec le Clan de la Griffe. »
« Et le patriarche du Clan de la Griffe, il y a deux générations, a été tué par le Clan du Croc, ils devraient donc être des ennemis acharnés. »
« J’ai entendu dire que le Clan de la Griffe se bat pour le contrôle du territoire avec le Clan des Cendres depuis de nombreuses années maintenant. »
« Qu’ils soient maudits ! Quand ont-ils tous uni leurs forces... !? »
« Grrr. Tout a commencé parce qu’ils ont eu le culot d’abattre leur chef de famille. Ils ne savent rien de l’honneur et de la loyauté. »
Avec les mots qu’il pouvait déchiffrer et comprendre à partir des remarques des officiers, Yuuto fouilla désespérément sa propre mémoire. Il se souvenait d’avoir au moins entendu parler des Clans du Croc et des Cendres.
Il s’agissait de deux clans qui détenaient des territoires dans une région plus à l’est du Clan de la Griffe. À l’origine, dans le passé, ces deux-là et le Clan de la Griffe avaient été comme des familles filiales du Clan du Loup, leurs patriarches ayant été à l’époque des frères et sœurs plus jeunes ou des enfants subordonnés du patriarche du Clan du Loup.
Bien sûr, il n’y avait plus de Serment du Calice liant leurs chefs actuels, et chacun était plus prospère que leur ancienne « famille principale » maintenant diminuée.
« Encore une fois... Je me suis encore fait avoir par ce Botvid..., » Fárbauti s’affaissa sur sa chaise et fixa le plafond.
Sa voix était remplie de ressentiment, d’humiliation et de défaite. Le visage du vieux patriarche avait perdu tout semblant de couleur et de vie, et il avait l’air d’avoir vieilli de dix ou vingt ans dans ces quelques instants.
« En y repensant maintenant, il nous montrait délibérément ses propres mouvements de troupes, afin de nous distraire des mouvements des Clans du Croc et des Cendres. » La voix du vieux patriarche était presque un gémissement maussade, alors que son visage était tordu par une grimace peinée.
Donc il nous a mal orientés en faisant un détournement de l’attention, se dit Yuuto.
C’était un terme qu’il avait appris d’un manga populaire de basket-ball, mais il décrivait une technique utilisée dans le tour de passe-passe d’un magicien et dans des romans policiers.
En montrant un objet ou une action manifestement suspects, on pourrait attirer l’attention de l’auditoire sur lui, et l’éloigner du véritable cœur de l’astuce.
En rassemblant ce que les autres officiers de clan avaient dit, ces deux autres clans étaient en si mauvais termes, voire hostiles, avec le Clan de la Griffe qu’ils n’auraient jamais dû fournir de renforts dans la bataille. Cette façon de penser était une tache aveugle, et elle avait été bien exploitée.
Les deux clans s’étaient donc faufilés sur les flancs non gardés des troupes du Clan du Loup, et s’étaient soudain jetés sur eux en une seule attaque-surprise.
Fárbauti parlait souvent du patriarche du Clan de la Griffe comme d’un renard rusé, et ce niveau de stratégie rusée semblait digne de ce surnom.
« J’ai toujours su qu’il avait le goût pour les tours de passe-passe, mais quand je pense qu’il avait un plan si méticuleux et si audacieux... ! Je l’ai totalement sous-estimé ! » Fárbauti avait gémi.
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Partie 3
« Aaaah-tchooum ! »
« Qu’est-ce qui ne va pas, Kris ? » demanda Albertina. « As-tu un rhume ? »
« Ne t’inquiète pas pour moi, Al, mais viens ici une minute, » Kristina avait tendu la main puis elle avait serré sa sœur dans ses bras.
« Hmm ? Pourquoi me prends-tu tout d’un coup dans tes bras ? Hahahaha, Kris, tu es si démunie parfois, » déclara Albertina.
« Depuis les temps anciens, on dit que donner son rhume à quelqu’un d’autre le fait partir plus vite, » déclara Kristina.
« Ohh, j’ai aussi entendu ça... Hé, ne parles-tu pas de moi !? » s’écria Albertina.
Toux, toux, toux, toux !
« Ahhhh, stoooop ! Je vaaaais l’attraperrrrr ! » cria Albertina.
« Oh mon Dieu, mais Al ! Ta douce et précieuse sœur est ici, souffrant d’un rhume. Veux-tu dire que tu ne veux pas m’aider à aller mieux aussi vite que possible !? Quelle personne sans cœur tu es ! » répliqua Kristina.
« Ehhhh !? Mais je veux que tu ailles vite mieux, et je vais aussi m’occuper de toi, alors n’est-ce pas mieux ? » demanda Albertina.
« Mon Dieu ! Donc tu dis que je devrais continuer à souffrir de ce rhume !? Comme c’est cruel ! » s’exclama Kristina.
« D’accord, j’ai bien compris ! Je ferai de mon mieux ! » s’exclama Albertina.
Alors qu’un regard de tragique détermination née de l’amour se solidifia dans ses yeux, Albertina enlaça sa sœur jumelle.
Cette sœur était de loin la plus insensible parce qu’elle était plus que disposée à l’infecter juste pour se remettre d’un rhume un peu plus vite, mais Albertina n’y avait pas réfléchi en profondeur.
Il n’y avait aucune chance que sa sœur lui fasse quelque chose de cruel. Elle le croyait du fond du cœur.
C’était là aussi une forme d’erreur d’orientation. Après tout, Kristina n’avait pas de froid, donc il n’y avait en premier lieu rien à transmettre.
Alors que son visage était enfoui dans la poitrine de sa sœur, Kristina gloussa d’une manière machiavélique.
« Hehe hehe, je vais considérer ça comme une récompense pour moi-même. Je suis contente que tout semble s’être bien déroulé. Pourtant, nous avons dû nous contenter d’un Serment du Calice avec le Clan du Croc qui nous place dans une position désavantageuse à 60:40. De plus, nous avons dû céder ce territoire au Clan des Cendres pour lequel nous nous battons depuis tant d’années maintenant, et notre clan a dû fournir toute la nourriture et les fournitures pour cette guerre. Si nous ne prenons pas tout ce que nous pouvons, ce sera quand même une lourde perte pour nous. Eh bien, on dirait que tout ça vaut la peine de prendre ce risque, alors je vais m’assurer que nous recouvrerons toutes nos dépenses. N’est-ce pas, Gleipsieg ? » déclara Kristina.
☆☆☆
« Je suis si content que vous soyez revenu en vie ! » s’écria Yuuto.
Loptr et Félicia étaient retournés à Iárnviðr deux jours après l’arrivée de Sigrun. Pendant ces deux jours, Yuuto s’était enveloppé dans des couvertures, après s’être introduit de force dans le poste de vigile près de la porte de la ville, et les attendait tous les deux tout le temps. Puis, repérant leurs silhouettes parmi les nombreux soldats battus et fatigués qui franchissaient la porte, il s’était précipité vers eux en criant et en pleurant.
Il les revoyait maintenant pour la première fois depuis deux semaines, et il pouvait savoir d’un seul coup d’œil le genre de terrible bataille qu’ils avaient vécue avec leurs vêtements, qui étaient couverts de boue dans certains endroits et de sang séché dans d’autres. Leurs luxueux cheveux d’or étaient recouverts de poussière et de gravier, et leurs visages étaient desséchés et affaissés par la fatigue et la faim. Ils n’affichaient rien de leur beauté naturelle.
Mais leurs vêtements et leurs corps pouvaient être lavés. Ils pouvaient se reposer et guérir de leur épuisement. S’ils étaient affamés, ils n’avaient qu’à manger.
Toutes ces choses étaient possibles, parce qu’ils étaient tous les deux vivants ! Sans oublier qu’ils étaient tous les deux en un seul morceau, sans blessures permanentes.
Yuuto n’était pas très conscient de la terrifiante situation qui s’annonçait pour le Clan du Loup, mais pour l’instant, il était simplement reconnaissant du fond du cœur par ce qu’il voyait là.
« Moi aussi, je suis reconnaissante à la déesse Angrboða d’avoir pu te revoir, Grand Frère. » Les larmes commencèrent à monter dans les yeux de Félicia, puis elle sauta dans les bras de Yuuto et se mit à pleurer en se tenant contre sa poitrine. « Il y a eu tant de fois..., tant de fois où j’ai cru que je ne te reverrais plus... »
Cela avait fait une forte impression sur Yuuto. Bien qu’elle soit normalement si calme et posée, bien qu’elle soit une sainte guerrière Einherjar, elle était après tout encore une jeune fille encore dans son adolescence.
« Moi aussi..., moi aussi ! J’étais si inquiet de ne plus jamais te revoir... ! » Yuuto avait enlacé Félicia.
Il voulait sentir sa chaleur. Il avait besoin de savoir qu’elle n’était pas une illusion, mais qu’elle était vraiment et réellement vivante et présente devant lui.
« Je... Je suis vraiment désolée, » bégaya Félicia. « C’était honteux de ma part. Mais une fois que j’ai vu ton visage, les larmes n’ont pas cessé... »
« C’est très bien. Tu as dû avoir si peur. Tu peux pleurer autant que tu —, » déclara Yuuto.
« Hum ! » Le son était comme un seau d’eau glacée jeté sur leur échange dramatique.
C’était, bien sûr, quelque chose venant de leur frère aîné.
« Hé, mon frère, » déclara Loptr. « Il se trouve que j’ai aussi réussi à rentrer chez moi vivant, tu sais ? »
« Ah ! B-Bien sûr, je suis aussi vraiment heureux que tu sois vivant, Grand Frère Loptr, du fond de mon cœur ! » Sentant le regard méprisant de son frère aîné, Yuuto lâcha rapidement Félicia et se retira.
Il pouvait la voir faire la moue en raison de son insatisfaction, mais il avait vite retrouvé son sang-froid. Et avec leur frère aîné et commandant en second juste devant eux, il n’avait pas eu l’audace de la tenir dans ses bras.
« Est-ce vraiment le cas ? » interrogea Loptr. « J’avais l’impression que vous étiez tous les deux dans votre petit monde, et j’ai été complètement ignoré et oublié. »
« Ce n’est pas ainsi que cela s’est passé, vraiment ! » s’exclama Yuuto, agité.
« Non, non, non, c’est bon, vraiment. En fait, je préférerais essayer de te faire prendre soin d’elle à ce stade, tu sais, » déclara Loptr.
« É-Écoute, comme je l’ai déjà dit, je ne peux pas faire —, » commença Yuuto.
« Ne dis pas ça, je t’en supplie. Ce pays est déjà fini. Même s’il ne s’agit que de Félicia, pourrais-tu t’échapper et l’emmener avec toi dans ton propre pays ? » lui demanda Loptr.
Les yeux qui fixaient Yuuto étaient tout à fait sérieux, mais en même temps, ils ressemblaient à ceux d’un homme qui s’était complètement égaré.
***
Partie 4
« À l’heure actuelle, environ un millier de soldats ont pu rentrer sains et saufs à Iárnviðr, » annonça Loptr. « Je crois qu’il reste encore quelques survivants qui ne sont pas encore arrivés, mais ils sont probablement au maximum une centaine d’hommes. En supposant que le Clan de la Griffe était notre seul ennemi, je n’ai pas remarqué l’embuscade du Clan du Croc et le Clan des Cendres, et j’ai perdu beaucoup de précieuses vies que vous m’avez confiées, Père. Je ne peux rien dire pour ma propre défense. S’il vous plaît, punissez-moi par tout moyen que vous jugerez bon. »
Dans la salle d’audience du palais, Loptr s’était agenouillé devant son patriarche avant de baisser la tête.
Son visage était galant, rempli de la sinistre détermination d’un pécheur qui désirait volontiers recevoir sa juste punition.
La salle était remplie des autres officiers éminents du Clan du Loup, et chacun de leurs visages affichait une expression sombre. Ceux qui avaient participé à la bataille avec Loptr avaient un regard de sympathie dans leurs yeux, tandis que les regards de ceux qui n’avaient pas vu le combat étaient pleins de reproches et de blâmes.
Au milieu de cette tension douloureusement oppressante, le vieux patriarche secoua lentement la tête, puis parla calmement.
« Non, tu n’es pas responsable de ça. Pas une seule personne ici, y compris moi, n’avons été capable de percevoir les mouvements du Clan du Croc et du Clan des Cendres. Tu as bien fait de rassembler tes troupes paniquées au milieu d’une attaque en tenaille et de nous en ramener un si grand nombre. Sans toi, nos pertes auraient été bien pires qu’elles ne le sont actuellement. »
« Vos bonnes paroles et votre générosité me remplissent de gratitude, Père, » déclara Loptr avec soulagement. « C’est grâce au Frère Ská, qui s’est porté volontaire pour être l’arrière-garde pendant que nous battions en retraite. Sans les combats acharnés de mon frère, il ne fait aucun doute que nous aurions perdu beaucoup plus de soldats. »
« Je vois. Comme prévu du Mánagarmr, » déclara Fárbauti. « Cependant, j’ai entendu dire que Ská lui-même souffrait de blessures graves. »
« Oui, Père. La bataille semble avoir été très féroce, et bien qu’il ait survécu, je crois qu’en son état actuel, même quelqu’un d’aussi grand que lui sera incapable de se battre pour l’instant, » répondit Loptr.
« Hm... ça va être dur sans lui. » Le vieux patriarche reposa son menton dans ses mains et soupira, en semblant être en pure perte.
Même Yuuto avait entendu parler du Mánagarmr, le Loup Argenté le plus Fort, stationné au Fort de Gnipahellir. Il était le professeur en compétences martiales de Loptr, et il était supposé être un maître combattant au point de pouvoir mener Sigrun par le bout de son nez.
Même dans le contexte de la guerre actuelle, Yuuto avait vu le nom de l’homme apparaître ici et là dans les rapports du front, et il semblait que ses efforts furieux méritaient le titre de plus fort dans le Clan du Loup.
Cela avait dû rendre son incapacité à continuer à se battre d’autant plus difficile à supporter pour le vieux patriarche, qui était déjà acculé au pied du mur.
« Et qu’en est-il de l’ennemi ? » demanda Fárbauti.
« Père. Après avoir vaincu nos forces, l’ennemi s’est emparé du fort de Gnipahellir, et même maintenant ils marchent vers Iárnviðr. Leur nombre est... d’environ six mille, » déclara Loptr.
« ... ! » le vieux patriarche avait fait un léger halètement, puis avait froncé les sourcils indiquant qu’il réfléchissait. Toutes les couleurs avaient été drainées de son visage. Il s’était probablement préparé à cela, et il n’était donc pas visiblement bouleversé, mais il était clair que l’impact de ces chiffres l’avait durement frappé.
Le vieux patriarche ferma les yeux et croisa les bras tout en restant dans de profondes réflexions pendant un moment, puis regarda vers le haut dans le vide et parla. « Nous n’avons qu’un millier d’hommes. Ce ne serait même pas un combat possible. Même si nous nous retranchions dans les murs et scellions les portes, nous ne tiendrions pas longtemps contre une force de cette taille. »
Les paroles du vieux patriarche étaient détachées et réalistes, et personne dans cette salle avaient fait entendre sa voix afin de lancer des arguments contre lui.
Contre une armée ennemie deux fois plus importante, ils auraient quand même pu se convaincre que leur perte n’était pas certaine, qu’ils saisiraient une opportunité et changeraient les choses. Mais face à une force six fois plus grande, les mots optimistes et encourageants ne sonnaient que creux.
Pour ajouter à cela, les milliers de soldats du Clan du Loup avaient déjà misérablement perdu dans la dernière bataille, puis ils avaient fui le champ de bataille tout en se faisant poursuivre, et ils étaient maintenant vraiment épuisés. Il y avait aussi beaucoup de ses personnes qui étaient grièvement blessées et tous avaient vu leur moral mis à terre.
Avec un moral si bas, il serait même difficile d’éveiller leur esprit combatif au point de les amener à affronter l’ennemi.
Dans toute la salle d’audience, la force lourde et silencieuse connue sous le nom de désespoir planait sur tout le monde.
Le premier à rompre le silence fut le jeune frère assermenté du patriarche et prêtre principal, Bruno.
« Grand Frère ! À ce stade, toute résistance supplémentaire ne ferait que gâcher en vain la vie de nos soldats. Je pense que nous n’avons pas d’autre choix que de nous rendre honorablement, et d’espérer que le Clan de la Griffe fera preuve de bonté, » déclara Bruno.
Alors qu’il avait supplié pour ça, il leva les yeux vers le patriarche. Ses yeux étaient un mélange de culpabilité, d’attente et de servilité abjecte.
« Ahh ! Donc vous seriez prêt à offrir la tête du Père sur un plateau juste pour que vous-même, vous puissiez survivre, espèce de chien éhonté. » Sigrun cracha froidement ces mots sur Bruno, avec un regard de mépris total et vaste.
Le Clan du Loup et le Clan de la Griffe étaient engagés dans une guerre sanglante depuis des années. Le Clan du Loup avait été du côté des perdants pendant presque tout ce temps, mais ce n’était pas comme s’il n’y avait pas eu de pertes pour le Clan de la Griffe.
Ce n’était pas quelque chose qui serait pardonné avec juste une reddition et des excuses. Le chef du camp perdant devrait prendre ses responsabilités d’une façon ou d’une autre.
Le fait d’être forcé de prêter le Serment du Calice de l’Enfant et de devenir le subordonné et le vassal de Botvid était une possibilité, mais Fárbauti était déjà un homme très vieux, et on ne savait pas combien de temps il vivrait encore. Une fois qu’un nouveau patriarche aurait pris le pouvoir, l’ancien serment de Fárbauti ne signifiait rien, et cette option n’avait donc que peu de mérite pour le Clan de la Griffe. Et avec cette différence de nombre, ils n’avaient même pas besoin d’offrir un compromis.
Une tête exposée serait un moyen approprié pour le Clan de la Griffe de satisfaire ses propres troupes, tout en produisant une forte impression aux habitants d’Iárnviðr afin de démontrer que leur dirigeant avait changé.
« Au cours des quarante dernières années, le vin que vous avez bu dans votre calice a-t-il été échangé contre de l’eau boueuse ou autre chose ? » s’écria Sigrun.
En ce qui concerne les liens du calice, l’enfant avait le devoir de protéger le parent auquel il avait juré de son allégeance, et cela même au prix de sa vie. Pour Sigrun, l’idée que cet homme voulait laisser mourir son parent assermenté pour qu’il puisse lui-même se sauver était absolument ignoble.
Mais Bruno n’avait pas encore abandonné. Il lui répondit en criant avec toute la force dans une soudaine explosion de colère. « Ferme ta gueule ! Tu n’es qu’une petite gamine dont le seul talent est de se battre ! »
« Qu’est-ce que vous dites !? » Sigrun haussa la voix en réponse à l’insulte faite sans ménagement.
L’esprit intense derrière ses cris était normalement suffisant pour faire reculer un adulte, mais Bruno continuait à parler.
« Tu penses peut-être que c’est bien tant que tu peux te battre, mais qu’en est-il des autres !? À ce rythme, ils seront tous tués ! Tu sais très bien quel choix sauvera le plus de vies, n’est-ce pas ? Et d’ailleurs, ce n’est même pas gravé dans la pierre qu’ils vont tuer Grand Frère Fárbauti ! Ils pourraient le forcer à se retirer ! Si la prochaine personne à réussir comme patriarche abdiquait de la position en faveur de quelqu’un acceptée par le Clan de la Griffe, alors nous pourrions faire avancer les choses dans une direction plus pacifique ! » déclara Bruno.
« C’est une façon beaucoup trop optimiste de voir les choses, » ricana Sigrun. « Pensez-vous vraiment que ce chef au visage de renard du Clan de la Griffe ait vraiment un cœur si bon ? »
« Mais c’est notre seule option, n’est-ce pas ? Dans tous les cas, cela minimiserait les dommages et les pertes en ville ! Si nous continuons à nous battre, la ville elle-même sera vraiment détruite ! Est-ce ce que tu veux !? » s’écria Bruno.
« Ghh... ! »
« Assez, Sigrun. » Le vieux patriarche leva la main, et sa voix douce fit taire la jeune fille aux cheveux argentés en colère.
Il avait tourné son regard sur chacune des personnes qui étaient rassemblées dans la salle d’audience avant de prendre la parole.
« Il a raison. Nous n’avons pas d’autre voie que de nous rendre. Si j’offre ma tête, Botvid devrait retarder le saccage de la ville d’environs un ou deux jours, et ils ne nous voleront pas tout, » déclara Fárbauti.
« Un... saccage ? Même si vous vous rendez, et même leur offrez votre vie, Père !? » Yuuto n’avait pas pu s’empêcher de se poser des questions.
S’ils cédaient la ville et permettaient son occupation, elle serait nouvellement sous la domination du Clan de la Griffe. Cela n’avait aucun sens qu’ils commettent des pillages et des violences contre leurs nouveaux sujets.
Le vieux patriarche fronça les sourcils, puis hocha lentement la tête, laissant apparaître sur son visage le regret et le déplaisir.
« C’est peut-être quelque chose que tu ne comprends pas parce que tu n’as toi-même jamais été sur les champs de bataille. La guerre libère la bête qui sommeille dans le cœur des hommes. S’ils ne permettent pas une telle chose, ils ne pourront pas reprendre le contrôle de leurs soldats par la suite. »
« Comment cela peut-il... ? » Yuuto était à court de mots.
Il vivait dans cette ville depuis plus de dix mois maintenant. S’il se rendait au bazar, il verrait quelques connaissances qu’il croisait souvent, et grâce à Ingrid, il interagissait aussi avec les artisans et les ouvriers de la ville.
Les connaissances de Yuuto avaient permis de fabriquer divers objets, et cela avait rendu le Clan du Loup plus prospère. Cela avait même déjà atteint les gens du peuple de la ville, et ces jours-ci, en parcourant les rues, il avait même obtenu un : « Bonne chance à vous ! », de plus en plus souvent de la part d’étrangers.
Naturellement, il y avait beaucoup de femmes et d’enfants dans la ville.
N’avaient-ils eu d’autre choix que d’être piétinés et violés sans recours ?
« Loptr, je suis désolé, » déclara Fárbauti. « Il est plus que probable qu’en tant que commandant en second, tu seras exécuté en même temps que moi. Après tout, en tant que futurs dirigeants de la ville, le Clan de la Griffe pensera que ton existence est une menace. »
« Je m’y attendais depuis le jour où j’ai pris le poste de commandant en second, » avait déclaré Loptr.
« Quant à vous deux, Félicia et Sigrun, » continua Fárbauti.
« Oui, mon Père. »
« Père ! »
Avec un regard de culpabilité et une grande honte, les yeux du patriarche s’assombrirent un instant. « Je sais que ce sera une expérience douloureuse pour vous deux, mais... quand bien même, je vous en prie, continuez à vivre. Si vous continuez à vivre, de bonnes choses vous attendent à l’avenir. »
« ... Grrr ! » Yuuto n’était pas assez bête pour ne pas comprendre le sens dans les paroles du patriarche.
La ville allait être saccagée et envahie. Il n’était pas possible que ces hommes fous de sang, affamés quant à l’assouvissement de leurs désirs, oublient deux filles aussi belles que Félicia et Sigrun.
« Ce n’est que des conneries ! Ils ne devraient pas pouvoir s’en tirer comme ça ! Je veux dire, comment peux-tu permettre ça !? » Dépassé par son indignation, Yuuto avait oublié qu’il était en public et avait crié directement sur le patriarche.
Son père assermenté et le frère aîné qu’il respectait seraient exécutés et leurs corps seraient exposés cruellement dans les rues, et ses précieuses petites sœurs seraient violées et dégradées.
Il n’y avait aucune chance qu’un tel résultat soit pour le mieux.
Il n’y avait absolument aucun moyen pour qu’il le permette.
« Il n’y a rien que nous puissions faire, » déclara Fárbauti avec lassitude. « Ce sera une expérience cruelle et douloureuse pour beaucoup de personnes, mais c’est toujours le choix qui entraînera le moins de morts. À ce stade, sans une sorte de miracle, il n’y a aucun espoir de victoire pour nous... »
Forçant les mots d’une voix crispée à travers les dents serrées, le vieux patriarche ferma les yeux et pencha la tête.
Peu de temps après, presque tout le monde dans la salle d’audience regardait le sol. Les bruits de sanglotements étouffés se faisaient entendre ici et là.
Le désespoir dominait tout.
Cependant, il restait encore une personne qui n’avait toujours pas abandonné.
***
Partie 5
Un jeune homme qui s’était dit à lui même : il doit y avoir un moyen, et il avait désespérément rejeté l’idée d’abandonner.
Piégé dans une obscurité totale, sans aucune issue en vue, il erra encore et encore à la recherche d’une solution, jusqu’à ce que — .
— enfin, dans les profondeurs de l’esprit de Yuuto, un unique rayon de lumière perça l’obscurité.
« C’est ça ! Il y a un moyen ! » cria-t-il subitement.
Il leva la tête et se rapprocha de Fárbauti avec une expression frénétique.
« Père ! Tout ce dont nous avons besoin, n’est-ce pas qu’un miracle se produise !? » demanda Yuuto.
C’est ainsi que Yuuto avait commencé à révéler le plan qui lui était venu à l’esprit en un éclair d’inspiration.
Il était excité et pensait à voix haute, alors ses paroles étaient maladroites et hésitantes, et l’idée elle-même était étrange, voire saugrenue, si bien que la salle d’audience s’était rapidement mise à s’agiter avec des murmures et des mouvements de malaises.
Toutes les personnes présentes avaient réagi avec scepticisme. Leurs yeux semblaient tous dire : « C’est impossible de faire quelque chose comme ça ! »
« Es-tu vraiment en train de dire que tu peux provoquer un miracle comme celui-là, Yuuto ? » lui demanda Loptr alors que sa voix tremblait.
Le regard de Loptr aurait pu être de l’excitation, ou peut-être même de la peur devant quelque chose d’inconnu.
« Je ne prétends pas seulement que cela va se produire. » Yuuto avait regardé dans les yeux de son frère assermenté et l’avait fermement rassuré. « Je sais que ça arrivera. »
Il avait une confiance absolue en cela. Car si Yggdrasil était bien la Terre dans le passé, alors ce miracle se produirait très certainement comme il l’avait estimé.
« Si nous en faisons usage, nous aurons plus qu’assez de chances de..., » commença Yuuto.
« Ne dis pas de telles bêtises ! » Un cri échauffé tel un rugissement avait coupé les paroles de Yuuto.
Il s’agissait de Bruno.
Il fixa Yuuto avec une expression de rage pure, pratiquement mortelle. « Quelque chose comme ça ne peut pas être créé ou provoqué par de simples mortels ! C’est au-delà de nos connaissances ! Veux-tu insinuer que tu es vraiment plus qu’un simple homme, et que tu es l’Enfant de la Victoire, le Gleipsieg ? »
« C’est bien ça, » Yuuto répondit à la colère de Bruno en le regardant droit dans les yeux. « Si cela veut dire que je peux protéger tout le monde, alors je deviendrai votre maudit Gleipsieg. Je deviendrai ce qu’il faudra pour arriver à mon but. »
Bruno affichait un visage sévère et grimaçant, alors que sa voix était grave et grinçante. Plus que tout, une imposante présence née de la confiance qu’il avait acquise dans sa lutte pour atteindre sa position actuelle émanait de lui en ce moment. C’était ce genre de chose qui avait forcé les autres à se soumettre à sa volonté en cours de sa longue ascension au pouvoir.
Le genre de « professeur démoniaque » sévère et dur à cuire dont tous les enfants de l’école avaient peur n’était rien de plus qu’un chaton par rapport à cet homme se plaçant devant lui.
Un tel homme libérait maintenant toute la puissance de son animosité, ou plutôt de sa haine, directement en plein sur Yuuto. Et pourtant, en ce moment et pour une raison étrange, Yuuto n’avait pas hésité le moins du monde, comme si Bruno n’existait pas pour lui.
Un brasier dans les profondeurs de son cœur brûlait intensément, et cette chaleur incandescente faisait avancer Yuuto toujours plus loin dans sa détermination.
« Si c’est ce qu’il faut pour renverser la situation, alors je ferai même un miracle, » déclara Yuuto avec conviction et d’une voix absolument calme.
« Garde tes absurdités pour toi ! » cria Bruno. « C’est parce que tu as créé le fer que nous nous sommes retrouvés dans une telle situation. Nous avons été trompés dans l’illusion de la victoire, nous avons foncé droit dans les griffes du Clan de la Griffe, et regarde où nous en sommes en ce moment ! Tu n’es pas l’Enfant de la Victoire, morveux. En vérité, tu es l’enfant du démon. Même maintenant, tu as l’intention de nous entraîner dans une autre bataille imprudente que nous ne pouvons pas gagner et de nous voler encore plus de nos vies. Tu crois que je vais me faire avoir encore une fois ? Grand Frère ! Tout le monde ! Vous ne devez pas écouter les illusions de ce gosse inutile ! »
Plusieurs personnes avaient commencé à exprimer leur accord avec les revendications de Bruno.
« O-Oui, c’est bien vrai. C’est vraiment comme Oncle Bruno l’a dit. »
« Je ne pourrais jamais croire qu’un tel miracle puisse se produire. »
Le pouvoir divin du Gleipsieg qui aurait dû apporter la victoire avait déjà été complètement réfuté par la dernière bataille. À ce stade, aucun de ces individus n’avait pu se résoudre à croire les absurdités si évidentes que disait ce jeune homme.
À ce moment-là, ils avaient tous complètement abandonné, se résignant à l’idée que la reddition était leur seul choix. Leurs cœurs avaient été écrasés et ils avaient complètement abandonné la volonté de se battre, prêts à subir les conséquences d’une défaite totale.
« Ces satanés idiots..., » en voyant tout ça se dérouler devant lui, lui rappelant de la scène sur l’agriculture, quelque chose à l’intérieur de Yuuto s’était finalement brisé.
On disait que le nom d’une personne représentait son caractère, et pour le jeune homme nommé Yuuto Suoh, son véritable caractère brillait quand il avait besoin de protéger les êtres chers présents autour de lui.
Il protégerait sans faute ceux qui étaient précieux pour lui, sa famille et cela, quelles que soient les difficultés qu’il devrait surmonter. Il s’agissait de quelque chose qu’il s’était juré de faire au moment où sa mère était décédée après avoir été abandonnée par son père.
S’il laissait le Clan du Loup se rendre, alors il perdrait à nouveau sa famille. Il était déterminé à ne plus jamais laisser cela se reproduire.
Les flammes qui brûlaient dans les profondeurs de son cœur avaient alors surgi de là comme le magma d’un volcan en pleine éruption, bondissant hors de lui.
Alors que sa précieuse famille était placée dans une situation désespérée...
« Si tu ne veux pas gagner, alors tu n’as juste qu’à foutre le camp, la queue entre les jambes ! » déclara Yuuto d’une voix d’une intensité moyenne, inapproprié à l’état d’esprit d’une personne en colère.
— Le Lion, roi de tous les animaux, avait, en ce jour funeste, déchaîné son premier rugissement dans le monde impitoyable d’Yggdrasil.
L’air se trouvant autour du jeune homme avait complètement changé en un instant, se propageant en un instant à toute la pièce.
Tout autour de lui, cela donnait l’impression que l’air était vraiment glacial, acéré et pesant !
Pointant timidement un doigt vers Yuuto, Bruno avait alors tenté de protester d’une voix balbutiante et gémissante. « Que... Qu-Qu-Qu’est-ce que tu-tu-tu crois que tu-tu-tu fais, à me-me-me pa-pa-parler comme —, »
« OH ? » déclara Yuuto, d’une voix toujours calme. « Comme QUOI ? »
« Oek ! » cria Bruno.
Le puissant regard en provenance de Yuuto provoqua alors l’étouffement des mots dans la gorge de Bruno. À l’instant d’après, Bruno tomba sur ses fesses directement là où il se trouvait, comme si ses jambes et son dos avaient été brisés d’un coup.
Son visage était quasi instantanément recouvert d’une riche teinte de pourpre, comme s’il était devenu incapable de respirer correctement, alors qu’il commençait à transpirer de grosses gouttes de sueur. Ses dents claquaient entre elles bruyamment alors que son corps tremblait comme s’il avait été intégralement plongé dans une eau glaciale. Pour couronner le tout, une zone sombre était apparue dans une zone bien spécifique de son pantalon avant qu’un liquide d’origine douteuse ne se répande peu à peu sur le sol. Cependant, aucune des personnes présentes dans la pièce ne s’était moquée de lui pour avoir commis un acte si honteux en cet instant.
Pour tous les autres, Bruno était complètement en dehors de leur champ de vision et il n’existait même plus dans leur esprit.
Chaque paire d’yeux était actuellement fixée, sur le jeune homme dont l’aura intimidante n’était rien de moins qu’écrasante au-delà de l’imaginable, alors que tous étaient véritablement incapables de se détourner de là.
« Y-Yuuto, qu-qu’est-ce que tu es... ? » demanda Loptr d’une voix tremblante alors qu’il était étonné et effrayé par ce qu’il voyait.
Après avoir jeté un coup d’œil dans la direction de son frère assermenté, Yuuto avait serré ses poings avant de parler à nouveau à la foule.
« Je m’assurerai que vous gagnerez. Ceux d’entre vous qui ont quelque chose à protéger peuvent me suivre ! » déclara Yuuto.
Ce qui se faisait entendre n’était pas une voix particulièrement forte. Pour le dire vraiment, elle était plutôt faible et discrète. Mais en elle, tout le monde pouvait clairement sentir un puissant pouvoir, presque comme s’il s’agissait d’une magie, qui semblait exiger que tous ceux qui l’écoutaient obéissent à ce qu’elle disait sans poser de questions.
C’est à peine plus qu’un enfant ! Mais qui est ce garçon ? Tandis que ces pensées traversaient les pensées des différents membres du clan et qu’ils se tenaient figés, une silhouette aux cheveux d’or s’avança devant le jeune homme.
« C’est donc comme je l’ai toujours crue. Après tout, mon intuition ne s’est jamais trompée, » déclara Félicia avec respect. « Tu es l’Enfant de la Victoire, Gleipsieg. Mon corps et mon cœur t’ont déjà été donnés, ainsi que mon Serment du Calice. S’il te plaît, utilise-les comme bon te semble. »
Félicia s’agenouilla devant Yuuto et inclina la tête amplement face à lui. Ses joues étaient légèrement rouges et de petites larmes coulaient de ses yeux sur le sol.
« M-Moi aussi, moi aussi ! »
Poussant les gens se trouvant devant elle, une jeune fille aux cheveux roux leva la main et courut se mettre elle aussi debout devant Yuuto.
« Tu es le genre de gars qui, quand il dit qu’il va faire quelque chose, va toujours jusqu’au bout, et je le sais mieux que quiconque, » déclara Ingrid.
Alors que les coins de sa bouche se redressaient en un sourire, Ingrid avait suivi l’exemple de Félicia et s’était agenouillée devant Yuuto.
« L’Enfant... de la Victoire..., » ces mots, un simple murmure s’échappèrent des lèvres de quelqu’un dans la foule.
En un clin d’œil, l’effet de ces mots s’était répandu dans toute la salle d’audience, jusqu’à ce que tout le monde soit émerveillé, enivré par l’enthousiasme.
« C’est vrai, il doit être celui qui nous a été envoyé par le grand Angrboða, le Gleipsieg ! »
« Quelle présence dominante ! J’avais du mal à croire qu’il n’est encore qu’un enfant ! »
« Renverser une telle épreuve ne sera sûrement rien avec le Gleipsieg de notre côté ! »
« Je serai à vos côtés. »
« Moi aussi ! Je le serai aussi ! »
Dans une harmonie presque parfaite, chacun d’eux chantait des louanges à Yuuto, et tous s’agenouillaient devant lui.
Au milieu d’un sombre désespoir, la simple présence d’une petite lueur d’espoir avait suffi à leur donner envie de s’y accrocher furieusement. Cela faisait clairement partie de la nature humaine.
En ce moment, c’était en effet Yuuto qui était devenu le pilier qui soutenait leurs cœurs.
« Q-Quelle force incroyable ! » murmura Sigrun. « Je n’arrive pas à croire que je l’ai si mal jugé jusqu’à maintenant ! »
Elle était remplie d’un grand mélange d’émotions, et elle serrait les poings fermement, alors que son corps tremblait encore.
La vision qui se déroulait devant elle était incroyable.
Jusqu’à il y a quelques instants à peine, tout le monde dans cette salle d’audience regardait le sol avec un regard de mort en sursis. Mais maintenant, tous les yeux qui levaient les yeux vers Yuuto étaient remplis de l’étincelle de la vie.
Une seule personne, à elle seule, avait remplacé le désespoir écrasant de cet endroit par l’espoir. Ce n’était pas quelque chose qu’une personne ordinaire pouvait tout simplement faire.
« S’il te plaît, laisse-moi aussi te servir. » La guerrière aux cheveux argentés s’avança pour s’agenouiller devant Yuuto. « J’étais totalement aveugle quant à ma façon dont je te jugeais. Si par chance, tu pouvais m’accorder le pardon pour mes nombreux exemples de grossièreté, Grand Frère, j’espère que tu me permettras de me voir offrir ton Serment du Calice, et mon épée. Je crois maintenant fermement que c’est pour te servir que je suis née dans ce monde, et c’est pour cette raison que l’épée a pour la première fois trouvé la main pour la manier. Alors s’il te plaît, utilise ma vie comme tu le souhaiteras. »
Sigrun avait pris son épée se trouvant à sa taille, et toujours dans son fourreau, elle l’avait brandi à ses deux mains, la présentant à Yuuto.
À ce moment précis, les nuages dans le ciel se séparèrent un peu, et un unique rayon de lumière pénétra par la fenêtre.
« Ohhhhhhhh ! » Fárbauti frissonnait, car il était émotionnellement ému comme il ne l’avait jamais été au cours de sa longue vie.
C’était un spectacle divin. Ces trois jeunes filles, elles-mêmes consacrées et choisies par les dieux, s’étaient toutes alignées de leur propre gré pour jurer fidélité à ce jeune homme.
C’était quelque chose qu’il n’aurait jamais pu imaginer quand ils s’étaient rencontrés pour la première fois.
Il avait eu le pressentiment qu’il y avait de l’espoir en lui, mais bien sûr, ce n’était rien de tel à ce qu’il voyait en ce moment.
Il était presque certain que ce jeune homme avait tout simplement manqué d’une grande variété d’expériences et d’épreuves. C’est pourquoi il était tellement facile de mal évaluer son potentiel de croissance.
Des expériences répétées de privations et d’échecs avaient rapidement tempéré et affiné ses qualités étonnantes qui avaient été cachées en lui, et cette crise sans précédent avait finalement forcé leurs réveils.
Les émotions et convictions de Fárbauti s’étaient consolidées en une ferme détermination. Il avait alors pris sa décision.
Il se leva, agitant une main pour attirer l’attention pendant qu’il faisait sa déclaration. « Très bien. C’est donc décidé. Yuuto, je te laisse te charger de tout. Je te confie l’avenir du Clan du Loup, mon fils ! »
***
Partie 6
« Maintenant que c’est réglé, je te laisse tous les détails de la bataille, Grand Frère Loptr ! » Avec un large sourire, Yuuto lui fit un geste du pouce levé.
La longue réunion du conseil de guerre était enfin terminée, et la lune s’était déjà levée parmi les étoiles scintillantes visibles dans le ciel nocturne. Lors d’une nuit normale à Iárnviðr, tout le monde aurait déjà été endormi à cette heure, mais il y avait de la lumière autour d’eux à cause des feux et des torches allumées, et pendant que le groupe de Yuuto se dirigeait vers la Hliðskjálf, les gens couraient constamment dans les deux sens devant eux.
Dans quelques jours seulement, les armées alliées de trois clans ennemis commenceraient son attaque contre Iárnviðr. Tout le monde se préparait à tenir la ville à l’abri de l’assaut et du siège potentiel qui s’annonçait.
Regardeeeeee fixement... Le regard de Sigrun était avec une telle intensité que cela le rendait inconfortable.
« N’étais-tu pas celui à qui ce plan a été confié par le Père ? » Loptr répliqua d’un rire ironique.
« Voyons. Je ne sais pas ce que c’est que de commander des troupes, » Yuuto avait répondu d’une manière un peu sur la défensive.
Le jeune homme aux cheveux d’or lui fit un visage exaspéré. « Et malgré cela, tu as quand même pu annoncer que nous allions gagner tout en regorgeant d’une telle confiance en toi ? »
« Je dirais que je fais absolument tout ce qui est en mon pouvoir pour m’assurer que nous pourrons gagner. Si quelqu’un d’expérimenté et d’habitué à commander comme toi dirigeait les troupes, Grand Frère Loptr, nos chances de victoire seraient bien meilleures que si je le faisais. Il s’agit d’utiliser la meilleure personne pour chaque emploi. J’ai des choses à faire, moi aussi. Ce sont des choses que moi seul peux faire. Alors, faisons de notre mieux, et chargeons-nous de ce dont nous avons besoin. »
« Hehe, très bien alors. C’est aussi l’occasion pour moi de me racheter. Tu peux me laisser m’en occuper, » déclara Loptr.
« Oui, je compte sur toi, » déclara Yuuto.
« D’accord ! Alors, j’y vais, » avec un petit sourire, Loptr fit signe de la main et s’en alla.
Pour une raison inconnue, son dos semblait plus petit selon Yuuto. Même son sourire semblait différent de la normale, même si Yuuto n’arrivait pas à mettre le doigt sur une bonne manière de le décrire.
« Hmm, Grand Frère Loptr a l’air un peu déprimé. Je me demande s’il ne s’est pas encore remis de sa défaite d’avant. » Yuuto murmura ça à lui-même, inquiet, tandis qu’il regardait le dos de Loptr disparaître peu à peu au loin.
Même une bataille gagnable pourrait être perdue si le commandant responsable des troupes n’était pas en état de les diriger. C’était l’une des réticences de Yuuto. Mais de toute façon, et plus important encore, entre toutes les personnes présentes, il ne voulait pas voir Loptr avoir l’air découragé. Il voulait que son frère aîné assermenté soit toujours un modèle de confiance, que cela soit quelque chose de plus grand que lui et qu’il puisse ainsi toujours le poursuivre.
Regardeeeeee fixement... Le regard de Sigrun continuait à le transpercer.
« En effet, c’est aussi la première fois que je vois mon frère comme ça, » déclara Félicia. « Je suis un peu inquiète. Mais je pense aussi qu’il ira bien. Je le dis peut-être en tant que petite sœur, mais c’est une personne forte. »
« Tu as raison. » Yuuto acquiesça d’un signe de tête avec force. « Après tout, c’est le frère aîné fiable sur lequel nous comptons tous les deux. »
En pratique, il n’avait de toute façon pas le temps de s’inquiéter pour les autres.
Regardeeeeee fixement...
« C’est vrai, il faut juste qu’on se concentre sur le fait de s’occuper de nos propres affaires, » déclara Yuuto. « Cette zone devrait suffire. Ingrid ! »
« Hmm ? Quoi ? »
« Je vais te prêter ça pour l’instant, alors je veux que tu regardes la vidéo que je vais te montrer. Regarde-là en boucle jusqu’au moment où la batterie sera déchargée. Une fois la vidéo terminée, tu peux la faire rejouer en touchant ce bouton en forme de triangle ici. »
Yuuto avait chargé une page Web avec une vidéo intégrée qu’il avait sauvegardée dans la liste de signets de son navigateur, et après avoir démarré la vidéo, il avait remis le smartphone à la fille aux cheveux roux.
« Hein ? » haleta-t-elle. « Q-Qu’est-ce que tu fais ? Cette chose n’est-elle pas extrêmement importante pour toi ? Es-tu sûr que c’est bon ? »
« Oui, je le suis. Tu es ma partenaire et j’ai confiance en toi, alors je fais une exception vraiment spéciale et je te le prête pour l’instant. Ne le casse pas, d’accord ? » demanda Yuuto.
« O-okay ! J’y ferais très attention, » Ingrid avait serré le smartphone contre sa poitrine.
Son expression était remplie de joie et de fierté. Soudain, la personne qui se tenait devant Yuuto n’avait plus l’air d’être un bon copain qu’il avait l’habitude de traiter comme un ami masculin. Au lieu de cela, c’était une fille dont la beauté suffisait à faire battre la chamade au cœur de Yuuto. Cependant...
« Hé, tu devrais regarder l’écran ! Les vidéos consomment beaucoup d’énergie ! Tu ne peux pas perdre maintenant une seule seconde ! » s’écria Yuuto.
Pour l’instant, punir son erreur était plus important pour lui.
C’était un homme qui ne comprenait pas le cœur d’une femme.
« D-D’accord. O-okay, j’ai compris ! ... Qu’est-ce que c’est que ça !? » s’écria Ingrid.
« Hehe hehe, c’est parce que tout ce que j’ai entendu depuis que je suis arrivé ici, c’est que le fer est un cadeau du ciel. Si on utilise ça, ce sera un bon moyen de nous assurer qu’on gagne doublement, non ? Penses-tu que tu peux y arriver ? » demanda Yuuto.
« Je pense que je pourrais probablement le faire, mais ça va signifier une autre période de travail jour et nuit, 24 heures sur 24, » déclara Ingrid.
« Désolé, mais j’ai besoin de toi pour ça, partenaire. Tu es la seule sur qui je peux compter, » Yuuto frappa des mains et inclina la tête vers Ingrid dans un geste solennel et suppliant.
Il s’agissait d’un objet que les élèves des écoles primaires du Japon d’aujourd’hui pouvaient faire en versions miniatures dans le cadre de leurs projets d’artisanat pendant les vacances d’été. Quelqu’un comme Ingrid, parmi les meilleurs artisans d’Yggdrasil, aurait sûrement déjà une idée de la façon d’en fabriquer un.
Dans tous les cas, ce siège allait être une bataille contre le temps. Il avait besoin qu’elle travaille dur pour que tous réussissent.
« Je suis la seule, hein ? » dit Ingrid. « Ohh, eh bien, je suppose que si tu insistes comme ça... Le Clan du Loup est aussi dans le pétrin, alors oui, je vais le faire pour toi. »
Ingrid se détourna, faisant croire qu’elle acceptait à contrecœur un travail ennuyeux. Cependant, elle ne pouvait pas cacher que les coins de sa bouche étaient tournés vers le haut dans un sourire de bonheur.
Regardeeeeee fixement...
Finalement, Yuuto n’en pouvait plus et il se tourna sur ses talons pour interroger Sigrun.
« Et qu’est-ce qui t’arrive, Run !? » cria-t-il. « Tu me dévisages depuis le début ! »
Depuis qu’il avait quitté la salle d’audience, il avait senti un regard intense et chaud venant de Sigrun.
Au début, il pensait que c’était parce qu’il était le centre d’attention et de discussion au cours de la réunion, mais même après avoir quitté la salle et s’être séparée de Loptr, alors même qu’il remettait le smartphone à Ingrid, Sigrun avait gardé les yeux fixés sur son visage tout le temps.
À ce moment-là, il commençait à s’inquiéter qu’il puisse y avoir quelque chose qui cloche avec son visage.
« Euh... Hmm..., » pour sa part, Sigrun semblait nerveuse et timide quand elle lui parlait. « Je me demandais juste s’il ne serait pas possible pour moi d’échanger le Serment du Calice avec toi, et... et je sais comment les choses ont été entre nous jusqu’ici. »
D’ordinaire, c’était une fille qui parlait franchement, même envers ses supérieurs, sans aucune crainte, et c’était donc un comportement très inhabituel pour elle.
C’était la première fois que Yuuto la voyait aussi douce et agitée.
« Si ça ne te dérange pas, ça ne me dérange pas. » Avec un peu de suspicion, Yuuto acquiesça d’un signe de tête.
Il était vrai qu’à un moment donné, sa façon de lui parler l’avait vraiment énervé, mais aujourd’hui, elle lui semblait plus être comme le genre d’amie intelligente avec qui il pouvait échanger des plaisanteries. Il n’avait aucune raison réelle de refuser sa demande.
« V-Vraiment !? » s’exclama Sigrun.
« Euh, ou-oui, » répondit Yuuto.
« M-M-Merci beaucoup, Grand Frère ! » Sigrun s’inclina amplement devant Yuuto, sa tête atteignant presque ses genoux. « C’est un tel soulagement qui s’enlève de ma poitrine. J’étais franchement si inquiète. »
Quand Sigrun releva à nouveau la tête, son visage était rempli d’une joie. Cela avait donné l’impression à Yuuto que la manière d’agir habituelle de Sigrun, celle qu’elle avait toujours eue jusqu’à aujourd’hui, avec son expression stoïque, n’était qu’un faux souvenir.
Pour une raison inconnue, Yuuto pouvait voir l’image d’une queue qui remue derrière elle dans un coin de son esprit. « Mais tu en fais tout un plat pour quelque chose d’insignifiant comme mon calice. »
Yuuto n’avait franchement aucune idée quant à la raison derrière le fait qu’elle était si impatiente d’échanger le serment directement avec lui. Actuellement, les deux individus étaient techniquement déjà frères et sœurs au sein du clan, ayant tous deux pris Fárbauti comme père assermenté.
Tous les deux n’avaient pas encore échangé leurs vœux directement. Et il était vrai que deux membres du clan qui se reconnaissaient et se respectaient l’un et l’autre pouvaient prendre sur eux d’échanger le Serment du Calice en tant qu’individus, pour approfondir leurs liens l’un avec l’autre. Il l’avait appris en échangeant avant ça des serments avec Félicia et Loptr.
Mais il n’arrivait toujours pas à trouver une raison plausible pour qu’elle insiste autant pour échanger des serments directement avec quelqu’un comme lui.
« Pas du tout ! » avait-elle déclaré. « Je souhaite recevoir ton Serment du Calice plus que tout autre, Grand Frère Yuuto. Je l’ai dit pendant le conseil de guerre, mais j’aimerais vraiment que tu me permettes de consacrer mon calice et mon épée à ton service. »
« ... Hé, tu te sens bien maintenant ? Qu’est-il arrivé à cette attitude brutale et sèche que tu as toujours eue ? C’est bizarre que tu me parles comme ça, » Yuuto avait plissé son front avec un mélange de maladresse et d’inquiétude quand il lui demanda cela.
La Sigrun qu’il connaissait ne flattait pas les autres ni ne suivait leur exemple, elle ne suivait que ses propres principes, comme un fier loup solitaire.
Ses manières étaient si différentes maintenant que ça ne lui ressemblait même plus. Si Yuuto avait pu exprimer à ce moment-là les sentiments qu’il ressentait en la regardait, alors il aurait dit qu’il était un peu effrayé par ce qui se passait.
« Je ne peux plus parler ainsi à la personne que j’ai choisi d’honorer comme mon grand frère assermenté, » déclara Sigrun.
« Non, si c’est possible, j’aimerais que tu continues à me parler comme tu l’as toujours fait... »
« Pardonne-moi, s’il te plaît. La façon dont je t’ai traité jusqu’à présent est une grande source de honte pour moi. »
« ... Non, mais franchement, qu’est-ce qu’elle a ? » Yuuto décida qu’il n’arrivait pas à avancer dans la discussion avec Sigrun, et il se tourna vers Félicia.
Félicia plaça une main sur sa bouche et gloussa, comme si elle s’amusait vraiment de tout cela. « Oh, il n’y a rien qui cloche. C’est juste qu’elle a enfin pris conscience de ta grandeur, Grand Frère. »
« Grr, c’est peut-être la vérité, mais c’est vraiment gênant de l’entendre venir de toi, » grogna Sigrun. « Cela me remplit de plus grand regret possible, car j’ai perdu contre toi pour avoir juré fidélité à Grand-Frère en premier. »
« Tee hee hee, ne disais-tu pas toujours des choses comme, “Je ne comprends pas comment tu peux traiter quelqu’un comme ça comme ton grand frère” ? » demanda Félicia.
« Arrête ! Ne le répète pas ! Je n’ai rien dit de tel depuis maintenant plusieurs mois ! » s’écria Sigrun.
« Tee hee hee hee, maintenant qu’est-ce qu’il y avait d’autre..., » déclara Félicia.
« Écoute, je suis désolée ! J’avoue que j’avais tort, alors n’en dis pas plus ! Je t’en supplie ! » Sigrun paniquait, faisant de rapides coups d’œil inquiets vers Yuuto alors qu’elle l’avait suppliée.
Cette guerrière courageuse qui ne voulait pas montrer sa peur face à un ennemi était maintenant si effrayée par le fait que Yuuto ne l’aime pas qu’elle avait à peine le contrôle d’elle-même.
« Ohh, c’est trop mignoooooon ! » cria Félicia. « Je ne savais pas que tu avais un tel côté chez toi, Run. »
« Moi j’ai toujours su que tu étais quelqu’un de cruel, » Sigrun parlait presque tristement, tandis que Félicia riait et se couvrait la bouche avec ses deux mains.
Quoi que les deux filles se disent, Yuuto avait pu voir qu’elles s’entendaient bien. Alors qu’elles alternaient entre elles avec leurs répliques, il y avait un côté qui semblait presque ludique.
Il se sentait mal d’avoir interrompu leur échange, mais Yuuto avait le sentiment qu’il avait quelque chose à dire, quoi qu’il arrive.
« Écoute, Run. Je te le répète au cas où. Je ne vais pas faire ce miracle ou un autre truc dans le genre. J’ai juste la certitude que ça va arriver, rien de plus. Je ne suis qu’un humain, pas un dieu clairvoyant et omniprésent. N’as-tu pas en ce moment un malentendu vis-à-vis de moi ? » demanda-t-il.
Cela le dérangerait si c’était la raison pour laquelle elle était venue à le respecter.
En ce qui concernait la création des objets, Yuuto avait accompli les choses qu’il avait faites seulement après beaucoup d’essais et d’erreurs, et beaucoup de travail diligent à travers les difficultés et les revers, et ainsi il n’hésitait pas à accepter d’être loué ou vénéré pour cela.
Mais dans cet autre domaine en particulier, c’était vraiment quelque chose qu’il venait à peine de connaître, et il ne voulait pas d’éloges à ce sujet.
Il avait la fierté d’un véritable artisan.
« Non, Grand Frère. S’il est vrai que ta révélation pendant le conseil de guerre a été si choquante qu’elle m’a refroidi le sang, ce n’est pas ce qui m’a fait ressentir cela pour toi, » déclara Sigrun.
« Hein ? Alors, quoi ? » Dans l’esprit de Yuuto, c’était la seule cause plausible pour Sigrun d’en être venu à reconnaître quelqu’un comme lui.
Que pourrait-il y avoir d’autre ? Yuuto inclina la tête et Félicia éclata de rire une fois de plus.
« Grand Frère. La seule chose que Run reconnaît, c’est la force. Tes paroles puissantes pendant ton discours m’ont absolument hypnotisée, » déclara Félicia.
« Oui, ton aura massive et puissante était également incroyable, mais ce qui a réellement inspiré ma dévotion envers toi, c’est comment, en un instant, tu as balayé le désespoir qui s’était emparé du cœur de tous, » déclara Sigrun. « J’ai réalisé que ma force physique et mes talents martiaux étaient si mesquins et insignifiants à côté de ta force, Grand Frère. »
Sigrun ferma les yeux, posa une main sur sa poitrine alors qu’elle parlait, comme si elle se souvenait de cet événement avec le plus grand respect.
« Euh... OK... » Yuuto était plus sûr que jamais qu’il était surestimé, mais tout ce qu’il avait pu faire, c’était de répondre avec hésitation.
Du point de vue de Yuuto, toutes les raisons quant à cette réaction envers lui étaient à cause de la légende du Gleipsieg. En d’autres termes, il les avait convaincus en raison simplement de la confiance qu’ils avaient dans sa revendication, comme s’il bluffait.
« Eh bien, je suis sûr que sa fièvre va se calmer un peu après quelques jours, » murmura Yuuto. « Je ne manquerai pas de la taquiner à ce sujet après ça. »
Tout en se grattant la tête, Yuuto avait prédit que les choses redeviendraient comme elles étaient avant.
Cependant, l’admiration et la dévotion de Sigrun pour Yuuto ne s’étaient jamais estompées. En vérité, elle ne faisait que s’approfondir de jour en jour.
***
Partie 7
« L-L’ennemi va attaquer où tu es !? » La voix choquée de Mitsuki s’était adressée à lui, tremblante, venant par le haut-parleur du téléphone.
C’était tout à fait naturel.
Il lui avait déjà dit qu’il allait y avoir une guerre, mais qu’elle devait avoir lieu loin d’Iárnviðr.
Le fait d’entendre tout d’un coup que l’ennemi allait attaquer la ville où se trouvait Yuuto avait dû être un véritable bouleversement soudain pour elle.
« Oui, mais tu n’as pas à t’inquiéter, » lui assura Yuuto. « J’ai déjà un plan pour une victoire certaine ! »
« M-Même si tu dis ça... est-ce que ça va vraiment aller !? » demanda Mitsuki.
« Fais-moi confiance. Je suis l’Enfant de la Victoire, Gleipsieg. Je suis le héros qui est destiné à nous sortir de cette crise... non ? » Yuuto se vantait devant elle, empli de confiance en lui.
Bien sûr, il avait lui-même également peur, mais il voulait faire ce qu’il pouvait pour éviter à Mitsuki de s’inquiéter.
« Yuu-kun... Tu ne peux pas mourir, d’accord ? » s’exclama Mitsuki. « Ne fais rien de dangereux ! »
« Ne t’inquiète pas, je ne vais pas mourir. Je vais gagner cette bataille et terminer ma mission, puis je reviendrai vraiment au Japon, et je reviendrai vers toi ! » répondit Yuuto.
« Ok... ok... Je t’attends avec impatience, » déclara Mitsuki.
« Et quand je l’aurais fait, je veux que tu... Non, ce n’est pas grave, » déclara Yuuto.
« Quoi — Quand tu dis des choses comme ça, ça me donne encore plus envie de l’entendre, tu sais ! » s’écria Mitsuki.
« Je le dirai quand je rentrerai. » Yuuto avait ri tout en haussant les épaules.
Il aimait Mitsuki depuis avant même de venir à Yggdrasil.
Et, une fois qu’il serait arrivé dans ce monde sans l’avoir à ses côtés, il avait réalisé encore plus à quel point elle était importante pour lui.
Cependant, il s’était juré qu’il ne lui dirait ses sentiments qu’une fois qu’il serait rentré chez lui en toute sécurité.
Et un homme n’était jamais censé revenir sur quelque chose une fois qu’il l’avait décidé dans son cœur.
☆☆☆
« Forces ennemies en vue, droit devant ! L’ennemi a commencé son assaut !! » La voix perçante du guetteur retentit alors qu’il criait à pleins poumons.
Après ça, les cors de guerre rugissants, dont les notes retentissantes résonnaient sans cesse à partir de plusieurs endroits annonçant le déclenchement de l’alarme.
« Alors, ils sont enfin là..., » Yuuto chuchota à lui-même, le visage serré, et il se leva.
Deux jours seulement s’étaient écoulés depuis la réunion du conseil de guerre où ils avaient décidé de se battre jusqu’au bout. Une défense de siège comme celle-ci était une bataille contre le temps.
Franchement, il aurait aimé que l’ennemi mette un peu plus de temps à arriver. Bien sûr, cela aurait aussi été un problème s’ils étaient arrivés trop tard.
« E-Euh ? » Alors qu’il allait faire un pas en avant, ses jambes se mirent à trembler.
Il pouvait entendre son propre cœur battre dans ses oreilles avec une telle force qu’il se demandait s’il pouvait éclater.
Ses dents avaient commencé à claquer.
Loptr haussa les épaules et le taquina. « Hahaha, qu’est-ce qui ne va pas ? As-tu eu peur maintenant que la bataille est juste devant toi ? »
Le jeune homme aux cheveux d’or se tenait tout près dans sa tenue de combat, majestueuse et imposante.
J’aimerais que tu puisses partager un peu de cette quiétude avec moi, même un peu, pensa Yuuto d’un air grincheux.
« C’est méchant de ta part, Frère, » Félicia fronça les sourcils et réprimanda son frère aîné. « Après tout, on n’y peut rien si c’est sa première bataille. »
Puis elle se tourna vers Yuuto, et soudain elle lui plaqua la tête sur sa poitrine dans une étreinte serrée.
La tenue de Félicia était légère quant à la quantité de tissu et elle laissait beaucoup de peau exposée. Avant que Yuuto n’ait eu l’occasion de protester, son nez et ses lèvres se pressaient contre la douce peau de la jeune femme. En plus, il était en plein sur les symboles de sa féminité, entre tous les endroits possibles !
« Q-Quoi !? Félicia !? » s’exclama-t-il.
Les douces paroles de Félicia tombèrent sur ses oreilles alors qu’elle lui caressait doucement le dos. « Tout va bien se passer. Grand Frère, tu peux le faire. Tu peux certainement guider le Clan du Loup vers la victoire. »
Curieusement, il sentit l’anxiété dans son cœur commencer à disparaître. Il semblait que le contact avec la peau humaine avait vraiment un effet calmant.
« Comme toujours, tu me donnes trop de valeur, Félicia, » murmura-t-il. « J’ai été faible et honteux devant toi tellement de fois maintenant. Même dans un moment aussi important, je suis une véritable honte. Je n’arrive pas à croire que tu ne m’aies pas abandonné depuis tout ce temps. »
« Tee hee, même les plus grands guerriers deviennent nerveux dans leur première bataille, » répliqua Félicia.
« ... E-Est-ce que c’est vraiment le cas ? » demanda-t-il.
Il était vrai qu’il avait entendu des histoires similaires chez lui, comme celle d’un champion de boxe de classe mondiale qui avait dit que son match le plus angoissant de tous les temps n’avait pas été son match pour le titre, mais plutôt son premier match.
Si même le type de personne qui devenait le plus grand au monde trouve que sa première bataille est effrayante, alors un homme ordinaire comme lui qui aurait peur était tout naturel.
« Et on dit aussi qu’un grand général doit être prudent et avisé, » ajouta Félicia. « Un peu de lâcheté est tout à fait appropriée. En fait, je dirais que c’est la preuve de ton potentiel en tant que commandant, Grand Frère. »
« Hahaha, OK. Et maintenant, c’est aller beaucoup trop loin dans le favoritisme, » Yuuto avait fait un petit rire ironique.
Cependant, bien que Yuuto n’ait pas encore fait de telles recherches, même Cao Cao, le grand héros de la période tumultueuse des Trois Royaumes en Chine, avait déjà été cité comme disant, « Celui qui serait le commandant, doit parfois être un lâche. Il ne doit pas compter uniquement sur la bravoure. »
La déclaration de Félicia n’était ni un mensonge ni une fausseté.
Pourtant, d’une manière ou d’une autre, indépendamment de sa véracité, cela avait fait du bien à Yuuto. Il avait fait disparaître une bonne partie de sa tension antérieure.
« Je vais bien maintenant, » déclara doucement Yuuto, et il se libéra délicatement des bras de Félicia.
Son corps avait cessé de trembler.
Il sentit les yeux de quelqu’un et se tourna vers Sigrun qui le regardait de la même façon qu’elle l’avait fait l’autre jour. Elle portait son visage typique, sérieux et sans expression, mais pour Yuuto, elle semblait un peu mécontente.
Elle vient probablement de voir son image de moi brisée après m’avoir vu agir de façon si pitoyable, pensa-t-il.
Alors qu’il pensait à ça, elle s’était précipitée vers lui et avait fait une déclaration à haute voix. « Grand Frère, je te jure que je te protégerai de ma vie. Tu n’as absolument rien à craindre ! »
« Euh, d’accord, merci. Je compte sur toi, » Yuuto s’était un peu replié sur lui-même alors qu’il répondait, vaincu par son comportement féroce, presque désespéré.
Mais il semblait que ce n’était pas le genre de réponse que Sigrun avait espéré, et son énergie s’était visiblement épuisée, la laissant dans un état morose.
Pour une raison ou une autre, Félicia souriait et riait d’elle avec un regard de triomphe... qui attira un éclat de pure colère venant de la part de Sigrun.
***
Partie 8
« Ohh, c’est une belle vue. » Au sommet d’une tour de guet dans un coin des remparts de la ville, Yuuto posa un pied sur le parapet et rit en regardant ce qui était en dessous de lui.
C’était le genre de spectacle bouleversant où l’on ne pouvait que rire.
Sous lui, des rangées de soldats armés marchaient avec leurs lances prêtes. Leurs fers de lance dorés reflétaient la lumière du soleil dans un beau spectacle.
Bien sûr, il savait que le métal était du bronze, pas de l’or, mais cette couleur scintillante était toujours un beau spectacle à contempler.
À côté de lui, Félicia poussa un grand soupir et regarda avec une expression crispée. « T-Tu sembles beaucoup plus confiant, Grand Frère. Bien qu’il soit embarrassant de l’admettre, j’ai commencé à avoir un peu peur... »
Connaître les nombres ennemis dans sa tête était une chose, mais c’était totalement différent de l’impact de les voir depuis cet angle. Lors de la bataille précédente, elle avait combattu sur le terrain, et cela avait rendu plus difficile le fait de saisir la taille et l’ampleur des forces ennemies. Ce n’est que maintenant qu’elle avait pu les regarder depuis le haut qu’elle avait pu constater à quel point ils avaient un ennemi de taille.
En revanche, Yuuto était calme et détaché. « Hm, eh bien, j’ai en quelque sorte dépassé la peur en ce moment. Hahaha... »
Il avait déjà été plongé dans les profondeurs de la peur. Une fois qu’il avait touché le fond, il ne lui restait plus qu’à remonter.
Pour Yuuto, le fait qu’en tant que Japonais d’aujourd’hui, il était totalement habitué aux foules et à la présence d’un grand nombre de personnes avait fait une énorme différence.
Le festival local qui se tenait dans sa région chaque année en mai était célèbre dans tout le pays, et il y avait des dizaines de milliers de personnes qui y assistaient chaque année. Et il avait vu des images d’une foule encore plus nombreuse à la télévision, et cela un nombre incalculable de fois.
À ce moment-là, la vue d’environ cinq ou six mille personnes n’allait pas le submerger.
« Tu es vraiment incroyable, Grand Frère, » murmura-t-elle.
« Garde ces louanges pour quand nous aurons tous survécu à tout ça, » déclara Yuuto.
Félicia leva les yeux vers lui avec une confiance sincère, et Yuuto ne put s’empêcher de trouver cela un peu embarrassant.
Pendant qu’ils conversaient, les forces ennemies continuaient de se rassembler autour d’Iárnviðr.
« Alors, il est temps pour moi de faire la représentation de ma vie ! » déclare Yuuto. « Félicia, Run, préparez-vous ! »
« D’accord ! »
« Sire ! »
Les deux filles aux cheveux d’or et d’argent avaient instantanément réagi à son signal, se déplaçant avec agilité.
Félicia avait fait sonner une note aiguë en utilisant un cor de guerre en forme de coquillage, et Sigrun déploya la grande bannière de l’armée du Clan du Loup qu’ils avaient fabriquée en toute hâte, la brandissant en haut de sa tête.
Ces actions étaient suffisamment visibles pour que leurs ennemis, les troupes de l’Armée de l’Alliance des Trois Clans, prennent rapidement connaissance du groupe de Yuuto.
Après avoir déterminé à sa grande satisfaction que même les personnes qui se trouvaient à l’arrière de la masse de personnes pointaient du doigt dans sa direction, Yuuto s’était penché au-dessus du parapet et avait crié aussi fort qu’il le pouvait.
« Je vois que vous êtes arrivé jusqu’ici ! Eh oui, et cela malgré le fait que vous êtes tous des imbéciles malavisés qui défiez la volonté des dieux ! Je suis l’Enfant de la Victoire, Gleipsieg, le messager de la déesse Angrboða ! Je suis Sköll, le protecteur du Clan du Loup ! Vous tous, réunis ici, vous êtes de la famille qui êtes nées de notre clan. Vous avez oublié le Serment du Calice offert à vos ancêtres ! Angrboða, notre grande mère pour nous tous, se fâche contre ses enfants déloyaux qui tirent la lame et les flèches contre leurs parents jurés ! Si vous persistez à nous faire du mal, la rage des dieux tombera sur vos têtes. Si vous ne craignez pas les dieux, alors venez vers nous avec tout ce que vous avez ! »
Avec cette proclamation, le rideau s’était levé sur « Le siège d’Iárnviðr », comme on l’appellera plus tard parmi les membres du Clan du Loup.
« Maintenant..., » Yuuto s’était rapidement accroupi avant de s’asseoir avec les jambes croisées, et il plaça les paumes de ses mains ensemble.
Pour l’instant, le fait qu’il ait pu terminer tout son discours sans problème avait été un énorme accomplissement. À part une dernière tâche à la toute fin de tout cela, il ne restait maintenant plus rien à faire pour Yuuto. Au contraire, rester à cet endroit était maintenant le travail le plus important de Yuuto.
Sigrun avait pris la parole après avoir fixé la bannière sur un piédestal voisin. « Est-ce censé être dans une semaine ? »
Elle et Félicia étaient chargées de protéger Yuuto.
Ils étaient assez haut sur la tour de guet pour que les flèches de l’ennemi ne les atteignent pas, donc il ne devrait y avoir aucun danger réel pour eux, mais il était important d’être prêt juste au cas où.
Une partie importante de leur stratégie cette fois-ci était de s’assurer de graver fermement l’image de Yuuto dans l’esprit de leurs ennemis. Félicia et Sigrun étaient toutes les deux de belles filles, et elles étaient toutes les deux des guerrières Einherjar dont les noms étaient connus du Clan de la Griffe. Montrer qu’elles étaient toutes les deux à son service augmenterait son prestige.
« C’est exact, » déclara Yuuto. « Si l’on tient aussi longtemps, on gagnera. Même s’ils sont six fois plus nombreux, on devrait pouvoir le réaliser, non ? »
Par rapport aux combats en territoire dégagé, les sièges avaient tendance à être longs et à se prolonger. Et les grands murs qui retenaient l’ennemi étaient en fait assez solides.
Ce serait une chose si leurs ennemis avaient une grue et une boule de démolition de l’époque moderne, mais l’arme habituelle pour percer les fortifications d’Yggdrasil était un bélier fait d’un gros tronc d’arbre et porté à la main. Il faudrait beaucoup de temps et d’efforts pour faire de réels dégâts avec cela.
De plus, il y avait des soldats armés d’arcs et de frondes au sommet des murs, prêts à lancer des attaques contre ceux qui s’en approchaient. Il n’y avait aucune chance que l’ennemi fasse des progrès rapides comme ça.
Même si leurs ennemis essayaient d’installer une échelle pour grimper, ils seraient laissés sans défense en montant.
Ce genre d’attaques simples par la force brute pourrait fonctionner sur un petit fort. Cependant, face à un clan, peu importe qu’il soit faible et diminué, Iárnviðr était la capitale du Clan du Loup. Contre une ville fortifiée de cette taille, même une force attaquante six fois plus nombreuse devrait être prête à subir de très lourdes pertes si elle essayait de s’introduire de force.
C’était la raison pour laquelle il était communément admis que l’attaque d’un château ou d’une ville fortifiée nécessitait une armée avec cinq à dix fois la quantité de défenseurs.
Inversement, si leurs ennemis voulaient limiter les pertes au minimum, le mieux serait de construire des fortifications à côté du château cible pour se défendre contre les archers, et de couper toutes les lignes de ravitaillement, affamant les défenseurs et brisant leur esprit. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une stratégie spectaculaire ou passionnante, elle exploitait la faiblesse des défenseurs, et c’est ainsi qu’elle était devenue la méthode la plus souvent utilisée dans les sièges, ce qui expliquait pourquoi ils avaient tendance à se transformer en longs conflits.
« Donc pour l’instant, les choses se déroulent comme nous nous y attendions, » déclara Sigrun, en regardant les mouvements de l’Armée de l’Alliance des Trois Clans.
Les soldats de l’Armée de l’Alliance avaient encerclé Iárnviðr et commençaient à construire des fortifications en terre. Ils préparaient tous les préparatifs d’un siège à long terme.
C’était la bonne décision à prendre pour le commandant de l’ennemi. Le Clan du Loup avait perdu la majeure partie de ses forces lors de la bataille précédente, et ils n’avaient aucun espoir d’obtenir des renforts. Dans cet état, ils étaient susceptibles de se rendre assez rapidement, il était donc évidemment préférable d’opter pour une stratégie à long terme sûre plutôt que de tenter une attaque risquée.
Yuuto sourit. « Oui, on les a amenés là où on les veut. »
« Alors, vous êtes le Gleipsieg ? » Sans prévenir, une voix lugubre était venue de juste derrière lui.
Yuuto avait senti un frisson couler le long de sa colonne vertébrale.
C’était clairement quelqu’un qui le connaissait !
Il se retourna nerveusement. Il y avait là un homme dont l’apparence semblait correspondre au mot « sinistre » en tous points.
L’homme était tout habillé de noir et semblait avoir une trentaine d’années. Ses joues étaient amincies et enfoncées comme s’il était malade ou affamé, et sa peau était d’une pâleur écœurante, mais ses yeux brillaient d’une lumière vive et froide, comme les yeux de quelque bête affamée.
Est-ce un assassin qui est venu ici pour me tuer après avoir entendu ce discours !? Ce fut la première pensée qui traversa l’esprit de Yuuto, et il attrapa rapidement l’épée à sa taille.
« Grand Frère Skáviðr ! » s’exclamèrent les deux filles, évacuant toute la tension de la situation.
Yuuto avait alors fait un regard plus long et plus perspicace sur l’homme devant lui. « Eh !? Attendez... Est-ce vous qu’on appelle le Loup d’Argent le plus Fort, le Mánagarmr ? »
Il était connu comme le plus fort combattant du clan, alors Yuuto avait imaginé un homme plus musclé et bien bâti comme Jörgen, l’assistant du commandant en second. Cet homme ne correspondait pas vraiment à l’image. Franchement, son apparence ne le faisait pas du tout paraître fort. Mais il y avait quelque chose, l’aura étrangement menaçant qui le caractérisait indiquait qu’il n’était pas une personne ordinaire.
« Nous avons enfin la chance de nous rencontrer, » déclara l’homme. Il s’était présenté d’une voix grave et sereine. « Je suis Skáviðr. »
« Ah... mon nom est Yuuto Suoh. » Yuuto s’était retrouvé au garde-à-vous pour se présenter à son tour.
C’était un jeune homme qui avait l’habitude d’utiliser un langage courtois et des manières polies avec ses aînés, mais c’était rare, même pour lui, d’agir aussi loin.
La personne devant lui avait maintenant des bandages enroulés autour de diverses parties de son corps, et du sang s’infiltrait lentement à travers certains d’eux. Il s’appuyait sur une canne avec sa main gauche, sans laquelle il semblait ne pas être capable de marcher.
Ces blessures venaient de la bataille précédente, où il s’était battu sans se soucier de sa propre vie ou de sa propre sécurité, protégeant ses camarades jusqu’à la fin. Chacun d’eux était une marque de bravoure.
Yuuto se sentait obligé de montrer à l’homme tout le respect approprié, car il était l’homme qui incarnait complètement les idéaux de Yuuto.
« S’il était vivant, il aurait à peu près votre âge, » murmura Skáviðr.
« Pardon ? » demanda Yuuto.
« Ne vous inquiète pas pour ça, » Skáviðr secoua la tête et gloussa, comme s’il se moquait de lui-même.
Yuuto avait eu l’étrange impression que l’ombre qui planait sur l’homme s’assombrissait légèrement, mais il décida de ne pas poursuivre l’affaire. Il avait le sentiment que c’était quelque chose qu’il ne devait pas demander.
À la place, il avait demandé autre chose. « Au fait, qu’est-ce qui vous amène ici ? Ne devriez-vous pas vous reposer ? »
« Je suis venu ici pour vous remercier, » déclara-t-il.
« Moi ? » demanda Yuuto.
« Oui, » Skáviðr hocha la tête et dégaina son épée.
Sa lame d’argent était profondément tachée de sang et de chair, et la plus grande partie de son éclat avait disparu. Alors que Yuuto regardait de plus près, il avait vu beaucoup d’entailles dans le tranchant.
L’Armée de l’Alliance des Trois Clans devait utiliser des armes et des boucliers en bronze. Face à un équipement nettement plus faible, le fait que l’arme de Skáviðr ait subi autant de dégâts en quelques jours seulement témoignait de la violence et du désespoir de la bataille.
« Sans cela, je ne serais plus qu’un cadavre maintenant, » déclara Skáviðr. « Grâce à vous, j’ai survécu pour voir un autre jour. J’ai aussi pu sauver mes frères. Vous avez toute ma gratitude pour ça. »
« Non, je... Je ne faisais que ce que je pouvais..., » déclara Yuuto.
« Ça ne change rien au fait que vous m’ayez sauvé. En plus, j’ai appris ce qui s’est passé au conseil de guerre l’autre jour. Je vous dois déjà cette vie. Je ne peux pas faire mon travail aussi bien avec mon corps tel qu’il est, mais si cela ne vous dérange pas, je veux que vous fassiez le meilleur usage que vous pouvez de moi. »
Skáviðr avait retourné l’épée dans sa main, puis il l’avait tendue à Yuuto.
L’épée était l’outil qui protégeait la vie d’un guerrier. L’acte de l’offrir à une autre personne équivalait, par essence, à offrir sa vie.
« Oh... OK, alors. Si vous l’offrez, » déclara Yuuto nonchalamment. Il avait pris l’épée en main de manière plutôt décontractée, comme s’il n’y avait pas beaucoup réfléchi.
« Grand Frère, je ne pense pas que Grand Frère Skáviðr soit en bonne condition pour combattre en ce moment..., » une Félicia inquiète commença à l’interrompre.
Yuuto la fit taire d’une main et sourit. « Voici mon ordre. S’il vous plaît, retournez immédiatement dans la salle des malades et allongez-vous. Reposez-vous. Vous êtes après tout quelqu’un qui va être très important pour l’avenir du Clan du Loup. Nous ne pouvons pas nous permettre de vous laisser mourir ici. »
« L’avenir, dites-vous ? » Skáviðr fixa attentivement Yuuto.
« Oui, l’avenir. » Yuuto regarda droit dans les yeux de Skáviðr.
Au bout d’un moment, Skáviðr fit un petit rire et haussa les épaules. « Je vois. Alors je vais faire ce qu’on me dit et aller m’allonger un peu. »
« Oui. S’il vous plaît, faites-le, » déclara Yuuto.
« Hehe. » Avec un petit sourire ironique, Skáviðr se tourna et quitta les lieux.
Alors que Yuuto regardait le dos de l’homme partir, il leva la main sur son front dans un salut impeccable.
Il n’y avait pas de tradition chez Yggdrasil d’utiliser un tel geste, mais pour Yuuto, il sentait qu’il devait exprimer ses sentiments de respect et d’admiration d’une certaine manière pour ce héros qui avait mis sa vie en jeu lorsqu’il avait lutté pour les autres.
***
Partie 9
La semaine suivante, rien d’inhabituel ne s’était produit.
L’armée de l’Alliance lançait des attaques par intermittence, mais une fois que les archers et les frondeurs commençaient à attaquer en réaction, ils se repliaient rapidement derrière leurs fortifications en terre.
Ils laissaient aussi parfois sortir des rugissements soudainement dans un grand chœur de cris de colère rauques ou d’insultes nauséabondes, à des moments inattendus de la journée et de la nuit.
Après avoir subi ces agressions physiques et mentales maintes et maintes fois, cette agression quasi continue ne valait même pas la peine d’être mentionnée. Du point de vue de Yuuto, il ne s’était donc rien passé d’inhabituel pendant toute cette période.
Mais il serait faux de dire que cela avait facilité les choses.
En regardant le soleil se lever lentement au-dessus de l’horizon après une nuit sans sommeil, Yuuto bâilla. « Alors, nous avons finalement réussi à arriver à aujourd’hui... »
À cet instant, il fut frappé par une vague de vertiges.
Il s’était pincé l’arête du nez et s’était massé les tempes. Il avait essayé de profiter des heures sombres où l’ennemi ne pouvait pas le voir clairement pour s’endormir, mais même avec cela, il était incroyablement privé de sommeil.
Il n’arrivait pas à dormir, même quand il le voulait. Et même s’il s’était endormi, alors il se réveillait vite.
Il ne se passait rien d’anormal. Yuuto lui-même ne faisait non plus rien de spécial. Il restait assis sans bouger et faisait semblant de prier, ou dansait, ou faisait semblant de jeter des sorts avec des gestes stupides. C’était tout ce qu’il avait à faire.
Malgré tout, il se sentait mal à l’aise, avec une étrange douleur à la poitrine et un corps aussi lourd que du plomb. Il était trop fatigué pour bouger.
Ce n’était pas non plus comme si l’armée de l’Alliance utilisait les tactiques susmentionnées par désespoir. Ils n’essayaient pas sérieusement d’attaquer, ils exerçaient une pression psychologique constante.
Les humains étaient étonnamment vulnérables au stress. Sans sommeil suffisant, leur esprit allait commencer à souffrir. Si la tension et le stress continuaient, leur cœur s’userait facilement. Si vous continuiez à les exposer à une source de peur, ils deviendraient incapables de penser à autre chose qu’à leur désir d’en être libéré.
En exerçant cette pression psychologique sur ses ennemis et en les poussant à bout, on pourrait forcer certains d’entre eux à se rendre ou même à trahir les leurs. C’était l’une des bases de la guerre de siège offensive.
Et le côté défensif devait résister à la pression des inconnues : quand l’ennemi se retirerait-il ? Combien de temps durerait le ravitaillement ? Rien que de penser à une telle incertitude était effrayant.
Cela dit, tout cela se terminerait aujourd’hui.
En y repensant, Yuuto avait déclaré. « Ingrid a pu faire ce que j’avais demandé, tout est prêt pour le bon moment. Alors, maintenant cette bataille est aussi bonne que... »
« Attaque ennemie ! Attaque ennemie ! » L’un des guetteurs s’était mis à crier.
Bien sûr, les soldats de l’Armée de l’Alliance se pressaient en force vers la porte principale.
Encore ? Déjà ? Le soleil commence à peine à se lever, pensa Yuuto, déprimé.
Ils allaient sûrement battre en retraite dans quelques minutes, mais il ne pouvait pas non plus se permettre de les ignorer. Si les hommes de Yuuto étaient même un peu laxistes face aux attaques, l’ennemi pourrait profiter de cette bonne fortune et commencer à enfoncer la porte ou à installer des échelles pour escalader les murs. S’ils laissaient l’ennemi entrer dans les murs, ce serait fini.
C’était exactement le genre de situation pour laquelle l’expression : « pas de repos pour les braves » avait été inventée.
« Grand Frère Loptr doit lui aussi vraiment être en train de s’énerver, » murmura Yuuto.
Loptr, en tant que commandant en second et commandant chevronné, était beaucoup mieux informé et familier avec ces situations militaires qu’un amateur comme Yuuto. Yuuto était sûr qu’il donnerait des ordres précis et repousserait rapidement l’attaque cette fois aussi. Cependant...
« La porte a été franchie ! L’ennemi afflue ! » cria un guetteur.
« Qu’est-ce qu’il y a ? » hurla Yuuto.
Il n’était pas le seul à hausser la voix en étant en état de choc. Félicia et Sigrun, qui se reposaient contre un mur voisin, jetèrent leurs couvertures et se levèrent aussi.
« Comment est-ce possible !? » hurla Félicia.
« Quoi !? » cria Sigrun.
C’était inconcevable.
Il n’y avait absolument aucun signe avant-coureur d’une brèche dans le mur. Si un bélier avait été utilisé, il y aurait eu du bruit et des vibrations de l’impact que Yuuto et les autres auraient remarqué.
Le fait qu’il n’y avait pas de bruit — .
« On a peut-être un traître sur les bras. » Yuuto avait pratiquement craché les mots avec dégoût.
C’était la situation qu’il craignait le plus.
« Serait-ce l’oncle Bruno ? » Sigrun plissa son front en faisant cette suggestion, peut-être en se souvenant des événements du conseil de guerre.
« Euh, si je peux parler en tant que personne qui travaille sous ses ordres, Oncle Bruno a un côté lâche en lui, et est très conservateur et têtu dans sa façon de penser, mais même avec ça, il aime le Clan du Loup, » déclara Félicia. « Je ne pense pas que ce soit lui. Bien que je ne l’aime pas non plus beaucoup. »
Félicia avait fait un sourire troublé et amer à cette dernière partie.
Elle travaillait comme prêtresse de clan. Elle avait donc passé beaucoup de temps en présence de Bruno, le grand prêtre, et le connaissait probablement très bien.
« Alors qui est-ce !? » cria Sigrun.
Félicia avait souri avec amertume. « Il ne serait pas étrange que quelqu’un l’ait fait à ce niveau-là. »
« ... C’est vrai, » dit Yuuto.
Toute l’armée du Clan du Loup avait appris que Yuuto allait faire un miracle. On leur avait donc seulement dit de tenir bon jusque-là.
L’idée d’un tel miracle était absurde à première vue.
Et lors de la cérémonie précédant la précédente sortie, Fárbauti avait déclaré que, « Tant que l’Enfant de la Victoire, Gleipsieg est avec nous, la victoire du Clan du Loup est assurée. » Puis, après cette promesse audacieuse, le résultat avait été une défaite totale.
En d’autres termes, l’image dorée du Gleipsieg était déjà très ternie aux yeux du Clan du Loup.
Tout comme Bruno lors de la réunion du conseil de guerre, il y en avait sans doute beaucoup qui n’arrivaient pas à croire en lui et en son miracle.
Il était plus que possible que l’une de ces personnes ait décidé de se sauver, qu’elle ait pris contact avec l’ennemi et ouvert la porte.
C’était exactement pour cela, bien sûr, que Loptr était censé avoir posté ses soldats les plus dignes de confiance à côté de la porte...
« Merde, et après être arrivé jusqu’ici ! » Yuuto frappa ses poings contre les pierres dans une frustration désespérée, ignorant la douleur.
Juste un peu plus longtemps... Juste un peu plus longtemps, et leur miracle allait se produire ! Son poing avait frappé la pierre encore et encore...
Soudain, les paroles du vieux patriarche résonnèrent dans son esprit. « C’est parce que je n’ai jamais abandonné. Ce qui l’emporte en fin de compte, c’est... la détermination, la ferme volonté à aller au bout des choses, quoi qu’il arrive. »
Yuuto avait cessé de frapper la pierre. « C’est exact. Il est trop tôt pour abandonner maintenant ! Félicia ! Run ! »
« Oui, Grand Frère ! »
« Sire ! »
« Même s’ils l’ont ouvert, le passage à travers la porte est étroit, » déclara Yuuto. « Il y a une limite au nombre d’hommes qu’ils peuvent faire passer. Vous devez faire tout ce que vous pouvez pour les retenir jusqu’à ce que ce soit le moment ! Ils ont besoin de vos talents d’Einherjar en ce moment même ! »
Sigrun regarda à plusieurs reprises entre Yuuto et la masse de soldats de l’armée de l’Alliance en bas, son visage se brisa d’inquiétude. « Cependant, ça ne laisserait personne pour te protéger, Grand Frère. »
Bien que Yuuto soit devenu légèrement plus fort et plus fiable au cours des onze derniers mois, il était encore beaucoup plus faible que la moyenne des soldats de cette époque.
Félicia regardait aussi la situation nerveusement, se demandant probablement si c’était vraiment bien de laisser Yuuto ici tout seul.
« Ne déformez pas vos priorités ! » réprimanda Yuuto. « Si l’ennemi parvient à venir jusqu’ici, on sera dans une situation tout aussi déplorable. Alors, allez-y !! »
Il avait pointé un doigt en direction de la porte en contrebas.
Un leader devait ignorer ses sentiments personnels, examiner la situation de façon rationnelle, évaluer les options disponibles et prendre rapidement la meilleure décision. Yuuto était encore un novice pour donner des ordres aux autres, mais il avait déjà commencé à montrer des signes du grand commandant qu’il deviendrait un jour.
« Je comprends, » déclara Félicia. « Grand Frère, fais attention à toi, s’il te plaît. »
« Compris, Grand Frère, » Sigrun était d’accord. « S’il te plaît, sois prudent ! »
« D’accord. Et vous deux, soyez également prudentes. » Yuuto avait souri et leur fit un pouce en l’air.
En vérité, il avait peur d’être laissé seul. L’idée de ce qui pourrait lui arriver si un soldat ennemi le trouvait suffisait à lui faire dresser les cheveux sur la tête.
Malgré tout, Yuuto était un homme. Avec deux filles prêtes à se battre pour la vie ou la mort pour protéger tout le monde, il ne pouvait se permettre de montrer le moindre signe de peur.
S’il n’agissait pas comme un dur maintenant, il serait un échec en tant qu’homme.
« Oh, c’est vrai. Prends ça, Run. » Yuuto avait pris l’objet qu’il avait gardé à côté de lui, et le lança à la fille aux cheveux argentés. Pas plus tard qu’hier, Ingrid lui avait remis la lettre accompagnée de son rapport indiquant qu’elle avait terminé la construction de ce qu’il avait demandé.
L’attrapant d’une main, Sigrun le regarda fixement, le front plissé. « Qu’est-ce que c’est que ça ? »
« Je vais te laisser l’avoir pour l’instant. Cela te sera probablement utile, » déclara Yuuto.
« Oui, Sire ! Je te suis reconnaissante de me le prêter ! » Sigrun tenait l’objet contre sa poitrine et s’inclina devant lui.
Félicia, en revanche, semblait assez agitée. « G-Grand Frère, qu’en est-il de moi !? »
Yuuto fut légèrement déconcerté par son ardeur et il fit un léger recul, mais comme il se pencha instinctivement d’une main pour chercher, il n’y avait bien sûr rien.
« Euh !? Non, mais... c’est tout ce que j’avais sur moi, alors..., » balbutia Yuuto.
« Ne fais pas de problèmes à Grand Frère, Félicia, » déclara Sigrun. « On n’a pas le temps pour ça. Allons-y ! »
Saisissant Félicia par la peau du cou, Sigrun s’était mise à courir avec elle.
C’était en effet une situation où chaque seconde comptait. Félicia sembla s’en rendre compte également, et se résigna à courir aux côtés de Sigrun.
Yuuto les avait vues courir, toutes les deux héroïques alors — .
« Écoute ! Q-Quand il s’agit de Grand Frère, je suis la sœur aînée, compris !? » cria Félicia. « Ce n’est pas parce qu’il t’a prêté quelque chose, qu’il faut commencer à être arrogante et... »
« Hehe, je peux comprendre que tu sois jalouse, mais tu n’as pas à aboyer si fort, » rétorqua Sigrun.
« Grrr... ! » s’écria Félicia.
— alors qu’elles s’étaient absorbées dans une dispute qui n’avait aucun sens pour lui, cela n’avait fait que le rendre encore plus anxieux.
***
Partie 10
À ce moment-là, Félicia et Sigrun n’étaient pas les seules à ne pas ressentir le sentiment d’une tension à la hauteur de leur situation.
Dans les rues où la lumière de l’aube n’avait pas encore atteint, deux filles se frayèrent un chemin dans l’obscurité, main dans la main. C’étaient des sœurs jumelles, âgées de onze ou douze ans, aux cheveux légèrement colorés et aux queues de cheval sur les côtés, qui les faisaient ressembler à des reflets miroitants l’une de l’autre.
« Maintenant, nous avons fini le travail, alors partons tout de suite, Al, » dit Kristina.
« Pain sans sable..., » avait gémi sa sœur.
« En parles-tu toujours ? Sais-tu que cet endroit va se transformer en champ de bataille d’un moment à l’autre ? » demanda Kristina.
« Mais, mais, mais..., » répéta sa sœur.
« Franchement, tu es désespérante, » déclara Kristina en soupirant. « Mais je savais que tu redeviendrais comme ça, alors je t’en ai préparé. »
« Vraiment !? ... Attends, tu dis ça, mais en fait c’est du pain avec du sable dedans, n’est-ce pas !? Tu ne vas pas me piéger encore une fois ! » s’écria sa sœur.
« C-C’est impossible, » sursauta Kristina. « Al est... en train d’apprendre !? » Elle avait reculé, comme si c’était vraiment choquant pour elle.
D’autres auraient pu trouver cela choquant de voir à quel point Kristina avait fait de sa sœur une idiote. Bien qu’avec la façon dont Albertina se comportait d’habitude cela n’aurait peut-être pas été le cas.
« Je suppose que tu te souviendrais d’une farce d’il y a quelques jours à peine, » soupira Kristina.
« Ha haaaaaa ! Tu pensais qu’un simple tour comme ça tromperait la grande Albertina ? » Sa sœur avait agi ainsi.
« En fait, Al, il n’y a pas vraiment de gravier dans celui-là. »
« N-non, tu mens ! Tu dis ça pour essayer de me piéger encore une fois, non ? » demanda Albertina.
« Chère sœur, tu es si méfiante, » déclara Kristina en faisant la moue, pleinement consciente qu’elle en était elle-même la responsable.
Pourtant, dans des circonstances normales, Albertina ne serait jamais aussi têtue. Alors que Kristina se demandait pourquoi, Albertina lui donna un indice.
« Bien sûr que je le suis ! Ça m’a fait vraiment très mal la dernière fois ! » déclara Albertina.
« Ahh, après tout, tu l’as mordu de toutes tes forces, » Kristina avait souri.
Il semblait que la douleur avait permis à Albertina d’apprendre avec son corps, plutôt qu’avec son esprit. Pas étonnant qu’elle n’ait pas oublié.
« Mais celle-ci n’a vraiment pas de sable, » déclara Kristina. « En guise d’excuse pour la dernière fois, j’ai acheté du blé moulu sans grains chez un commerçant, j’ai pétri moi-même la pâte et j’ai fait cuire ce pain hier soir. »
« Est-ce vraiment le cas ? Il n’y a pas de gravier dedans ? » demanda Albertina.
« Ohh, ça me fait de la peine d’être si profondément mise en doute par ma seule et unique sœur. Je jure sur ma vie qu’il n’y a pas de gravier dans ce pain. Ce sont mes excuses, après tout, » déclara-t-elle.
« Oh... si c’est des excuses alors je vais le manger ! » Mordre. « Hmm, ça a un goût unique... »
« Oui, c’est parce que j’ai pétri des feuilles d’armoise bouillies dans la pâte. Ils sont très aromatiques et utilisés comme épices de cuisine. L’armoise est très bonne pour toi, tu sais. Ça ne marcherait pas si je ne m’assurais pas que ma sœur reste en bonne santé, » déclara Kristina.
L’armoise était un nom commun donné à plusieurs espèces de plantes différentes, mais apparentées, originaires de différentes parties du monde. Depuis l’antiquité, chacun d’entre eux était apprécié pour ses propriétés médicinales. C’était aussi vrai à Yggdrasil que sur Terre.
Même au Japon du 21e siècle, la variété d’armoises connue sous le nom de yomogi était surnommée la « reine des herbes » en raison de ses nombreux bienfaits pour la santé, et faisait partie de la médecine traditionnelle chinoise.
Et quant à son goût...
« Gaah, c’est amer ! C’est tellement amer ! » s’écria Albertina.
En guise d’anecdote, au Népal, l’armoise s’appelait Titepati, un nom qui signifiait « feuille amère ».
« Je l’ai fait juste pour toi, avec amour, alors assure-toi de tout manger et de ne pas laisser une seule bouchée, » déclara Kristina.
« Argh, c’est amer ! C’est tellement amerrrr ! » Pendant qu’elle gémissait, Albertina continuait à manger.
Yggdrasil n’était pas un monde d’abondance. Il était difficile de trouver de la bonne nourriture. Aussi amère soit-elle, elle n’allait pas gaspiller de la nourriture. Ce principe avait été inscrit dans Albertina à un niveau fondamental.
Kristina, qui en avait profité, regardait avec un air de plaisir sadique sa sœur manger en pleurant. Elle était vraiment un peu diabolique.
Et c’était par sa main diabolique qu’Iárnviðr affrontait son pire moment de crise.
Puis, regardant la porte de la ville à une certaine distance de là, elle gloussa de rire pour elle-même. Elle entendait clairement les cris de colère et le bruit des armes qui s’entrechoquaient. Il semblait que les combats avaient commencé.
« Hehe hehe hehe... une telle tâche n’était rien pour Veðrfölnir, le Silencieux des Vents. »
Aussi jeune qu’elle soit, cette jeune fille était incontestablement une Einherjar, et elle possédait l’extraordinaire capacité d’effacer sa présence. Avec cette capacité en main, elle avait infiltré Iárnviðr avec sa sœur jumelle et ouvert elle-même la porte de la ville.
Bien sûr, même pour une espionne naturellement douée comme elle, cela n’aurait normalement pas été facile de se faufiler dans un endroit aussi fortifié, surtout avec tout le monde sur ses gardes contre un ennemi toujours présent juste à l’extérieur.
Cependant, les soldats qui protégeaient Iárnviðr avaient enduré bataille après bataille en l’espace de quelques jours, et ils avaient été poussés à leurs limites de la fatigue.
Une sorte de victoire aurait peut-être permis de repousser une partie de cette lassitude, mais leur dernière bataille en plein champ avait entraîné une défaite significative, et ils avaient été forcés de fuir en retraite tout en repoussant les poursuites et les attaques supplémentaires. Même maintenant, ils étaient entourés d’une force ennemie beaucoup plus importante, et toute cette semaine, ils avaient lutté contre leurs peurs sans fin en vue.
Dans cet état, ils n’avaient aucun espoir d’être totalement alertes et vigilants, et cette jeune fille avait facilement exploité cette ouverture.
« Très bien, alors ! Hmm-hm. Quelle est la prochaine étape ? »
Fredonnant un petit air à eux-mêmes, les jeunes jumelles disparurent dans les ruelles d’Iárnviðr.
***
Partie 11
Les portes de la ville, où se rassemblaient normalement les habitants et les marchands avec leurs charrettes tirées par des chevaux, étaient actuellement inondées de soldats endiablés, brandissant leurs armes et poussant des cris de guerre.
Le Clan du Loup n’était pas resté les bras croisés. Ils essayaient de faire tout ce qu’ils pouvaient pour repousser l’ennemi, afin de pouvoir refermer les portes une fois de plus.
La zone sous la porte elle-même était devenue une zone de chaos où il était difficile de distinguer l’ami de l’ennemi.
Levant l’épée en l’air, le commandant en second du Clan du Loup appela ses hommes. « Repoussez-les hors de la ville ! Si nous tenons encore un peu plus longtemps, le Gleipsieg fera un miracle pour nous ! »
Les cheveux normalement bien entretenus de Loptr étaient effilochés et emmêlés. Son visage normalement beau était taché, avec des poches épaisses sous les yeux, qui étaient eux-mêmes injectés de sang et d’apparences diaboliques.
« Commandant en second Loptr ! » cria un soldat ennemi. « Je vais prendre ta tête ! »
« Comme si je te laisserais l’avoir ! » Loptr avait déplacé l’épée de son ennemi avec une frappe vers le bas, puis avait décapité l’homme avec le coup suivant.
Les combats avançaient et le Clan du Loup avait l’avantage.
La route qui passait par la porte n’était assez large que pour tout au plus dix hommes, de sorte que le nombre d’ennemis qui pouvait passer était limité.
Dans un combat à force et nombre égaux, le Clan du Loup et son équipement de fer pourraient submerger leurs adversaires.
Cependant...
« Merde, c’est sans fin avec eux, » grogna Loptr.
Bien qu’ils aient abattu ennemi après ennemi, il y en avait encore plus qui étaient derrière, poussant pour les remplacer sans fin. Après tout, il n’avait pas été si facile de surmonter la différence entre les nombres.
Et pour empirer les choses, les soldats du Clan du Loup étaient plus usés. S’il ne s’agissait que d’une courte bataille, ils pourraient stimuler leur corps fatigué un peu plus longtemps, mais au fur et à mesure que les combats avançaient, ils ne seraient pas capables de tenir le coup.
Alors qu’il regardait un combattant du Clan du Loup succomber à ses blessures et tomber, Loptr ne pouvait que grincer des dents avec frustration. « Merde ! À ce rythme-là... »
Clang !
« Quoi —, » tout à l’heure, son adversaire avait bloqué son attaque à l’épée.
Même après de multiples affrontements, l’épée de l’homme ne montrait aucun signe de rupture.
Mais c’était tout à fait naturel. Son ennemi tenait après tout aussi une épée de fer.
« Espèce de salauds ! » Loptr avait déclenché une série d’attaques qui avaient coincé son adversaire, culminant avec une frappe qui l’avait finalement fait tomber.
Loptr était l’un des meilleurs combattants du Clan du Loup. Son adversaire n’avait en aucun cas été faible, mais même avec une arme de fer, un tel homme n’était toujours pas à la hauteur de Loptr.
Mais malheureusement, il n’était pas le seul soldat à avoir une épée de fer. De plus en plus de soldats armés d’épées de fer commencèrent à se déverser à travers la porte.
« Espèces de monstres ! » Loptr avait craché des mots avec haine. « Vous ne pouviez pas vous contenter de tuer mes frères du Clan du Loup, vous deviez aussi souiller leurs cadavres ! »
Les épées actuellement entre les mains de ses ennemis appartenaient à l’origine au Clan du Loup. Loptr pouvait les reconnaître par leur forme et leur design.
Il n’y avait qu’une seule possibilité. L’ennemi avait volé les cadavres des combattants du Clan du Loup après la bataille précédente.
« Urraaagghhh! »
C’était impardonnable pour lui d’un point de vue émotionnel, mais plus important encore, en tant que commandant sur le terrain, il avait vu que la menace était claire et mortelle.
Avec la différence dans leur équipement égalisé, un combat entre les troupes ennemies bien reposées et nourries et ses propres combattants blessés et fatigués n’était guère égalé.
Et la situation était sur le point de s’aggraver.
« Loptr ! Je te ferais remboursé pour mon œil gauche, ici et maintenant ! » rugit une voix familière, et une hache de fer bien connu s’élança vers lui.
Loptr sauta à reculons par réflexe, et fit claquer sa langue en raison de la frustration. « Tch ! Mundilfäri ! C’est mauvais, ça. »
Avec l’arrivée du plus grand guerrier du Clan de la Griffe, la situation était vraiment trop difficile pour lui.
« Et si on reprenait là où on s’était arrêtés l’autre jour — ! » s’exclama Mundilfäri.
« Kh ! Ngah ! »
Contre les puissantes attaques de la hache de fer de Mundilfäri, c’était tout ce que Loptr pouvait faire pour se défendre, et il fut poussé vers l’arrière.
Son corps semblait pesant, et il n’arrivait pas à suivre les attaques à venir. Il s’était trop fatigué à force de se battre pendant si longtemps. Il rassemblait tout ce qui était en lui pour se maintenir debout.
« Hé, hé, qu’est-ce qui ne va pas !? » cria Mundilfäri. « Tu n’es pas aussi agile que la dernière fois ! »
Non seulement c’était vrai, mais les attaques de Mundilfäri étaient encore plus fortes que la dernière fois qu’ils s’étaient battus.
Loptr se souvint un peu de ce que Skáviðr lui avait dit sur Mundilfäri.
Sa rune Alsviðr, le Cheval qui Répond à son Cavalier, permettait d’augmenter sa force physique lorsqu’il allait affronter un ennemi avec lequel il avait des relations personnelles ou profondes.
La raison pour laquelle il continuait à pouvoir se battre avec autant de force et de succès en tant que le grand héros du Clan de la Griffe était que ses adversaires étaient haïs en tant que membres du Clan du Loup, ceux qui avaient tué ses frères, et cette connexion alimentait son pouvoir.
Et maintenant, son adversaire était Loptr, l’homme maudit qui l’avait battu une fois et lui avait enlevé l’œil gauche.
L’augmentation de la force de cette connexion avait été plus que suffisante pour compenser la perte de son œil.
D’un autre côté, si Loptr pouvait trouver un moyen de le frapper de cet angle mort, il pourrait tomber facilement. Mais il serait impossible pour l’instant de trouver une ouverture dans la succession furieuse d’attaques.
« Rrraagh ! » rugit Mundilfäri.
Et enfin, l’une des attaques de Mundilfäri avait entaillé le bras gauche de Loptr d’une coupure peu profonde.
« Gwah ! » cria Loptr.
Une autre attaque horizontale s’était produite juste après elle.
Loptr l’avait bloquée avec son épée et avait essayé de tenir le terrain, mais c’est alors qu’un jet de sang frais avait jailli de sa blessure au bras, et la force l’avait soudainement quitté.
C’était suffisant pour faire pencher la balance, et Loptr avait été déséquilibré.
« Je te tiens !! » Mundilfäri n’avait pas manqué l’ouverture. Il avait mis toute sa force dans une attaque vers son adversaire.
Loptr avait fait un coup de pied au sol au dernier moment, et avait réussi à sauter en arrière, mais...
« Gahh... ! » Avec un cri d’agonie, le sang était sorti d’une blessure sur le visage de Loptr.
Voyant cela, un sourire sinistre se répandit sur le visage de Mundilfäri — .
L’instant d’après, une entaille était présente sur la joue de Mundilfäri.
« Haah... haaah... Je... Je ne mourrai pas ici. Pas sans avoir d’abord réalisé mon rêve... ! » Respirant difficilement, Loptr prépara à nouveau son épée.
Une ligne cramoisie brillante parcourait de son front jusqu’à sa joue. La dernière attaque de Mundilfäri l’avait gravée en lui.
« Hmph, je n’ai pas coupé assez profondément. » En léchant le sang de la coupure sur sa propre joue, Mundilfäri avait laissé échapper un rire sauvage. « Mais tu ne peux pas me battre maintenant ! »
Avec ce cri, il déclencha une autre charge rapide.
L’épée de Loptr s’était affaissée. La douleur de son bras gauche l’affaiblissant, il avait été incapable de tenir son épée avec seulement sa main droite.
« C’est le moment. » Mundilfäri leva sa hache et la descendit vers le cou de Loptr — .
« Je ne te laisserai pas faire ! » cria une voix féminine un peu lointaine.
— mais à la dernière seconde, quelque chose de noir s’était enroulé autour de ses bras, les retenant en arrière.
Mundilfäri se tourna vers une jeune fille aux cheveux d’or, tirant désespérément avec toute sa force sur le fouet dans sa main. Son visage ressemblait beaucoup à celui du commandant en second qu’il avait combattu. Il semblait qu’ils étaient de la même famille.
La frénésie de la bataille avait fait ressortir la nature sombre et bestiale de son cœur. Il serait peut-être bon de tuer cette jeune fille devant son ennemi détesté, aussi cruellement que possible.
Alors qu’il pensait cela, il entendit les cris de ses camarades soldats, l’un après l’autre.
« Guaaah! »
« Gyaaah! »
« El-Elle est quoi !? »
Une tornade de couleur argentée déchirait les hommes de Mundilfäri en se dirigeant vers l’endroit où il se tenait.
En plus de recevoir les armes de fer volées, ces hommes étaient les soldats d’élite du Clan de la Griffe. Pourtant, ils n’étaient pas de taille face à elle.
« Mundilfäri ! Moi, Sigrun, je réclamerai ta tête pourrie ! » hurla la tornade argentée.
« Hmph, une petite fille à peine sortit des couches, » ricana Mundilfäri. « Comme c’est impudent ! »
Alors que la jeune fille aux cheveux argentés fonçait droit sur lui, Mundilfäri releva sa hache et se prépara à affronter son attaque.
C’était la première fois qu’il la voyait sur le champ de bataille, mais il avait entendu parler d’elle. C’était une fille à l’apparence belle et délicate, une louve dangereuse qui avait dévoré la vie de plusieurs de ses camarades guerriers du Clan de la Griffe.
Malgré cela, elle était censée être encore beaucoup plus faible que le Mánagarmr. Si elle avait été la plus forte, elle lui aurait après tout déjà pris le titre.
Mundilfäri en conclut qu’elle n’était pas de taille face à lui, car il était lui-même un rival à égalité avec le Mánagarmr.
« N-Non, Sigrun, reste en arrière ! Tu n’es pas prête à l’affronter... »
Les cris douloureux de Loptr étaient une douce musique pour les oreilles de Mundilfäri. Mais il était déjà trop tard. Mundilfäri avait déjà décidé que cette fille serait sa proie.
Il versa chaque once de sa force et de son esprit dans une grande frappe, et faisait descendre sa hache.
Son adversaire avait également déplacé son épée pour faire face à son attaque, mais bien qu’elle puisse être Einherjar, elle n’était encore qu’une fille aux bras minces. Elle avait été projetée vers l’arrière par la force derrière la frappe de Mundilfäri.
Après l’affrontement, la jeune fille aux cheveux argentés avait planté ses pieds dans le sol et avait fait claquer sa langue en s’irritant. « Tch, donc une unique frappe ne va pas marcher sur une grosse hache comme ça... »
Son expression était beaucoup trop calme et composée pour quelqu’un qui venait d’être soufflé à l’arrière par une seule attaque.
C’est alors que Mundilfäri regarda son arme et cria de surprise. « Quoi — ? »
Une énorme entaille avait été pratiquée dans la lame de la hache, et un certain nombre de petites fissures s’en étaient détachées.
« C-C’est quoi, cette arme ? » demanda Mundilfäri.
Même si l’arme de Mundilfäri avait été gravement endommagée, l’épée de la jeune fille ne présentait pas une seule égratignure.
Un motif de lignes blanches comme des vagues parcourait le côté de sa lame sans tache, et elle continuait à scintiller d’un étrange reflet, presque comme si elle venait d’un autre monde.
En regardant de plus près ses camarades tombés face à elle, chacune de leurs épées de fer avait été brisée.
Le fer était censé être un métal divin, un don qui tombait du ciel. Quel genre d’arme pourrait être plus puissante ?
« Hehe. Mon Grand Frère, l’Enfant de la Victoire Gleipsieg, me l’a gracieusement prêtée. Peut-être que l’Épée de la Victoire serait un bon nom pour elle ! » déclara Sigrun.
Sigrun avait positionné son épée puis elle avait chargé vers lui à la vitesse d’un coup de vent.
Sigrun s’était toujours considérée comme une épée. Elle avait passé toute sa vie à se dévouer à aiguiser ses compétences, son tranchant. Et enfin, elle avait rencontré un maître qu’elle estimait digne de la manier.
Ce Grand Frère assermenté qu’elle respectait tant lui avait dit de retenir l’ennemi à tout prix. Par conséquent, il ne lui restait rien d’autre à faire que de se dépêcher d’exécuter cet ordre.
« Khh ! » cria Mundilfäri.
Tandis que Sigrun brandissait l’épée en effectuant un coup d’épée aussi rapide qu’un éclair de lumière, Mundilfäri l’affronta avec sa hache. Mais elle était déjà fissurée et endommagée. Les fissures avaient parcouru le haut de la hache et, incapable de résister aux contraintes de l’impact, elle s’était brisée en deux et s’était effondrée sur le sol.
Et avec le coup de grâce suivant, l’épée de Sigrun avait entaillé Mundilfäri, de son épaule à son abdomen.
« Guah... ! » cria-t-il.
Son corps de la taille d’un ours n’était pas assez solide pour résister à une telle attaque. Du sang s’était répandu de la blessure alors qu’il tombait vers l’arrière, s’écrasant sur le sol.
À cet instant, dans le pays lointain d’Yggdrasil, le nihontou avait fait ses débuts remarqués.
Les soldats du Clan du Loup, tout près, criaient de joie et la couleur de la vie commençait à revenir sur leurs visages.
« Elle l’a fait ! Elle l’a bien fait !! Lady Sigrun a vaincu le plus grand guerrier du Clan de la Griffe ! »
« On peut gagner ce combat ! »
« Très bien, tout le monde, rassemblez-vous derrière Lady Sigrun ! »
« L’“Épée de la Victoire”... quelle arme incroyable. » Loptr serra le poing fermement. « Dire qu’il a même fait quelque chose comme ça... ! »
La chose la plus importante dans une bataille était le moral.
Pendant de nombreuses années, Mundilfäri avait été une menace pour le Clan du Loup dans son rôle de guerrier le plus puissant du Clan de la Griffe. Même le Mánagarmr n’avait pas réussi à le vaincre.
Et maintenant, cette belle jeune guerrière, âgée de moins de vingt ans, l’avait battu d’une manière stupéfiante. Les revers et les défaites allaient doubler ou tripler la fatigue d’un soldat, mais la victoire la faisait disparaître.
Sa victoire écrasante avait fait une telle impression que tous les soldats du Clan du Loup présents pensaient maintenant à quelque chose dans le genre : Avec ce monstre hors du chemin, et avec elle de notre côté, nous pouvons les repousser !
Sigrun semblait encore avoir beaucoup d’endurance. Pour les soldats qui l’entouraient, elle ressemblait presque à une déesse de la bataille. Si elle se tenait devant et les menait au combat, ils pourraient être capables de repousser les forces ennemies malgré leur nombre et de fermer les portes.
Soudain, de la porte Est, d’autres cris de guerre retentirent.
« Uooooooohhhhhhhhhhhh !! »
C’était clairement différent des cris qu’ils avaient entendus jusqu’à la nuit précédente, alors que l’ennemi ne faisait que les tester. Ils étaient plus bruyants et plus chaotiques.
« C-C’est impossible ! La porte Est s’est-elle ouverte ? » Loptr frémit à l’idée de ce scénario catastrophe.
Avec la victoire de Sigrun, les soldats avaient retrouvé un peu de leur moral, mais ce n’était encore qu’une faible quantité. Le Clan du Loup n’avait pas les effectifs restants ni la force de défendre à la fois la porte principale et la porte est.
Le soulagement des soldats du Clan du Loup à vaincre un ennemi puissant n’avait duré qu’un bref instant, puis Iárnviðr avait connu sa crise la plus désespérée.
***
Partie 12
Pendant ce temps, au sommet de la tour de guet, Yuuto avait dégluti en raison de sa peur.
Cela faisait déjà un certain temps que la porte avait été percée. Le soleil qui avait commencé à apparaître par-dessus l’horizon était maintenant placé haut dans le ciel.
Il pouvait voir la bataille à la porte d’où il était. Tandis que Sigrun tuait un ennemi après l’autre, il se disait que tout irait bien, mais alors les cris de guerre étaient venus de la porte orientale.
Il avait également été percé par là.
« Il y avait donc un traître... ou sinon, un espion ennemi s’est-il faufilé dans Iárnviðr !? » s’exclama-t-il.
Il ne restait presque plus de temps.
Même maintenant, de plus en plus de soldats allaient franchir les portes d’Iárnviðr.
Une fois que cela se serait produit, tout miracle qui se serait produit serait déjà trop tard.
« Allez... allez, où est-elle... !!? » Yuuto avait serré ses poings si fort que ses ongles avaient fait couler le sang.
Yuuto s’était assuré de tenir compte de la différence entre le calendrier solaire et lunaire, mais avait-il peut-être fait une erreur dans ses calculs ? Ou les documents historiques eux-mêmes étaient-ils incorrects ? Et s’il s’avérait qu’Yggdrasil n’était après tout pas vraiment le même monde que la Terre ?
Les doutes se succédaient dans son esprit, amplifiant son anxiété.
À ce moment précis, sa famille était en danger. Loptr, Félicia, Sigrun, Ingrid, tous. Et il ne pouvait rien y faire.
Le destin derrière un miracle ne devait-il après tout jamais se produire ? Au bout du rouleau, Yuuto leva à nouveau les yeux vers le ciel... et il se mit à sourire.
Le soleil était en train d’être dévoré par la lune.
☆☆☆
Il y avait un concept en astronomie connu sous le nom de saros.
C’était le nom donné à un cycle utilisé pour estimer le jour où une éclipse solaire ou lunaire se produirait.
Yuuto l’avait découvert en téléchargeant et en lisant des livres électroniques liés à l’astronomie, essayant de déterminer à quel lieu géographique et à quelle date il avait été envoyé.
Presque tous les Japonais de l’ère moderne savent qu’une éclipse solaire se produisait en raison de la position du soleil et de la lune par rapport à la Terre. Ce qui était moins connu, c’était le fait qu’elles se produisaient aussi dans des cycles prévisibles.
Environ 6 585,3211 jours (ou 18 ans, 11 jours et 8 heures) après une éclipse solaire, une autre éclipse avec des conditions presque identiques se produirait 120 degrés de longitude à l’ouest du premier.
Il s’agissait d’une période d’un saros.
Ainsi, après trois périodes de saros, le cycle accomplirait une rotation complète de 360 degrés de la Terre.
Par conséquent, environ 54 ans et 31 jours après une éclipse solaire, on pourrait voir la même éclipse de nouveau au même endroit.
Fárbauti avait mentionné qu’il avait été témoin d’une éclipse solaire quand il était enfant, ce qui avait amené Yuuto à se demander s’il y avait une chance que la même éclipse se reproduise pendant son séjour ici. Il avait engagé des personnes pour fouiller dans les archives des tablettes d’argile conservées dans les archives du palais, et son intuition s’était avérée juste.
Yggdrasil était un monde où des coutumes historiques absurdes et non scientifiques dominaient, comme déterminer la culpabilité ou l’innocence d’une personne par le fait qu’elle ait été ou non entraînée par le courant d’un fleuve.
En raison de l’image inquiétante du soleil brillant qui était lentement avalé par l’obscurité, les éclipses solaires avaient fait peur aux individus partout dans le monde depuis l’antiquité. Beaucoup de personnes les considéraient comme le présage d’un grand désastre.
Et elles ne s’étaient produites que très rarement.
À l’origine, Yuuto ne s’y intéressait que par instinct de conservation, il avait voulu éviter qu’on le blâme pour un tel événement et en fasse un bouc émissaire. De façon inattendue, la connaissance s’était révélée utile dans un tout autre but.
Le cycle de saros aurait été découvert par des astronomes chaldéens entre le VIIe et le VIe siècle avant Jésus-Christ. Mais c’était une connaissance complètement hors de portée des gens de la culture de l’âge du bronze d’Yggdrasil.
En utilisant cette connaissance, Yuuto faisait en effet l’impossible : il avait prévu le « miracle » qui se produisait en ce moment même !
***
Partie 13
Ce jour-là, à ce moment-là, tous les habitants d’Iárnviðr, avec une arme à la main, quel que soit leur clan ou leur affiliation, ressentaient la même sensation. Ils avaient senti qu’il faisait de plus en plus sombre même s’il faisait jour.
Au début, ils avaient supposé que c’était simplement un nuage qui était passé devant le soleil.
Cependant, au fur et à mesure que le monde devenait de plus en plus sombre, ils s’étaient rendu compte que quelque chose n’allait pas.
Le soleil était rongé par quelque chose de noir. La noirceur empiétait de plus en plus sur le disque du soleil, le teignant constamment dans sa couleur inquiétante.
Chacun de ces regards convergeait vers un point unique.
Un jeune homme se tenant seul au sommet d’une tour de guet levait les deux mains, paumes en l’air, vers le ciel.
C’était comme s’il démontrait qu’il en était lui-même le responsable !
Qu’ils le veuillent ou non, les soldats s’étaient tous rappelé les paroles que ce garçon avait prononcées avant le début de la bataille.
Il avait dit que la rage des dieux s’abattrait sur ceux qui menaçaient de faire du mal au Clan du Loup, puis il s’était assis là où il était et il avait prié vers le ciel, se levant parfois pour exécuter une danse bizarre.
En regardant de plus près la grande bannière du Clan du Loup, on y voyait l’image d’un loup en train de dévorer le soleil, tout comme ce qui se produisait maintenant.
Ajoutez à cela l’apparence extraterrestre du garçon. Aucun d’eux n’avait jamais vu un être humain avec des cheveux ou des yeux comme ça auparavant.
Peut-être était-il le « quelque chose » qui mangeait le soleil !
« Sköll... Le Dévorateur de Bénédictions, » s’écria un soldat.
« Il... Il dévore les bénédictions du ciel ! » s’écria un autre.
La majorité des soldats enrôlés pour ces batailles gagnaient normalement leur vie comme paysans. De leur point de vue, le soleil était la source de lumière et de chaleur pour leurs cultures, la bénédiction du ciel. C’était un objet de gratitude et de peur, car il pouvait aussi provoquer la sécheresse et la famine.
Contrôler le soleil à volonté était un exploit impossible même pour les saints Einherjars choisis par les dieux. Alors, si ce garçon en était capable — .
« E-Est-ce vraiment un messager envoyé par les dieux ? »
« Serait-ce une punition divine ? »
« Peut-on vraiment continuer à se battre ? »
Un sentiment de doute et de confusion s’était soudain répandu parmi les soldats de l’Armée de l’Alliance des Trois Clans.
Les personnes avaient une peur subconsciente du noir. Alors que la lumière continuait à disparaître du ciel, la peur des soldats semblait grandir et s’étendre proportionnellement à l’obscurité.
Le contrôle de l’Armée de l’Alliance sur ses hommes avait commencé à se détériorer.
Mais il y avait une personne qui n’avait pas perdu son sang-froid, et qui avait remarquablement réussi à voir à travers le plan du Clan du Loup.
« Pas de panique, les gars ! » cria le patriarche du Clan de la Griffe, Botvid. « Cela n’arrive pas souvent, mais le soleil étant couvert de noirceur, c’est quelque chose qui se passe depuis les temps anciens. Ce garçon aux cheveux noirs est connu pour avoir toutes sortes de connaissances étranges. Il a dû s’en servir pour prédire que ça arriverait, et maintenant il agit comme s’il en était la cause, rien de plus ! »
Dans les cultures tout au long de l’histoire ancienne, la tendance commune était que la plus haute figure religieuse et le dirigeant politique soient une seule et même personne. C’était la même chose à Yggdrasil. En plus d’être le patriarche de son clan, Botvid était aussi le plus haut prêtre du Clan de la Griffe.
Il ne savait peut-être pas auparavant qu’il était possible de prédire une éclipse solaire, mais il savait qu’il y avait en fait une série de règles qui régissaient les mouvements des corps célestes. Cela lui avait été secrètement enseigné par son prédécesseur, et cela faisait partie de la sagesse nécessaire à celui qui règne sur le peuple.
« Ce phénomène ne durera pas longtemps ! » cria Botvid. « Faites passer le mot tout de suite, et calmez nos troupes ! »
Botvid était un homme rusé qui avait tourmenté le Clan du Loup avec ses ruses à plusieurs reprises. La gestion et la diffusion de l’information étaient son point fort, même s’il n’était pas au même niveau que sa fille Kristina.
Il avait donné des ordres précis en une succession rapide. Grâce à cette compétence et à ces incroyables talents, le temps que le disque solaire soit complètement recouvert et que le champ de bataille soit enveloppé d’une ombre sombre, la panique parmi les soldats de l’Armée de l’Alliance avait en fait commencé à s’atténuer.
Et c’est là que c’était arrivé.
Le garçon aux cheveux noirs au sommet de la tour déplaça brusquement sa main droite levée vers le bas d’un mouvement puissant.
Il y avait un whoosh ! comme si quelque chose de grand volait dans les airs...
... et soudain, un énorme rocher tomba du ciel.
Il avait atterri à une courte distance du campement de l’Armée de l’Alliance, percutant le sol en se réverbérante avec un boom ! si puissant que cela donnait l’impression que la terre elle-même s’était effondrée.
C’était l’œuvre d’un trébuchet — une puissante arme de siège fixe.
Il fonctionnait sur le principe de la bascule de la physique, utilisant un contrepoids lourd attaché à une extrémité du levier pour faire voler l’autre extrémité vers le haut et lancer la charge utile. Il s’agissait d’un appareil assez simple sur le plan conceptuel, mais les plus anciens documents écrits sur son utilisation datent de l’Empire byzantin en 1165 apr. J.-C..
Du point de vue de la civilisation d’Yggdrasil, il s’agissait d’une arme incroyablement perfectionnée, qui serait venant de plus de 2 500 à 3 000 ans depuis le futur.
Mais dans le monde du Japon du 21e siècle, il y avait des vidéos détaillées sur Internet montrant comment construire des versions miniatures de cette « super technologie » avec des baguettes, de la colle, un petit poids, et des élastiques. Il y avait des sites Web avec des diagrammes et des explications détaillées sur leur fonctionnement.
Les versions les plus grandes de cette arme pouvaient lancer une pierre de 140 kilos jusqu’à 300 mètres.
Le Clan du Loup n’avait pas été capable de produire un modèle de cette taille sous un temps aussi court, mais il avait réussi à lancer une pierre de 100 kilos assez loin pour frapper les troupes ennemies. Pour le maître-artisan Ingrid, connue sous le nom d’Ívaldi, l’Enfanteuse de Lames, il avait été possible d’en construire un en imitant simplement le processus dans la vidéo.
Lorsque Yuuto avait conquis plus tard les forteresses et les citadelles du Clan de la Corne et du Clan de la Foudre en très peu de temps, c’est précisément parce qu’il possédait cette arme au pouvoir destructeur sans pareil.
Le jeune homme aux cheveux noirs balança sa main gauche vers le bas.
Avec un autre Whoosh ! un rocher avait encore volé dans les airs, cette fois en direction directe du campement de l’Armée de l’Alliance.
Comme on pouvait s’y attendre, le premier tir avait été mauvais. Mais Ingrid avait utilisé ce tir pour calculer et recalibrer le tir vers sa cible, et maintenant elle était verrouillée.
Même si l’on faisait abstraction du fait que les trébuchets étaient faciles à viser au début, c’était un excellent travail de sa part. Sa réputation de plus grande artisane du Clan du Loup n’était plus à démontrer.
« Aaahhhhhh ! Les dieux ! C’est la rage des dieux ! » hurla un soldat.
« Pardonnez-nous ! S’il vous plaît, pardonnez-nous... ! » hurla un autre.
Les boucliers et les remblais de terre pouvaient se défendre contre les flèches normales. Mais il n’y avait aucun moyen de se défendre contre des objets aussi gros et lourds qui s’écrasaient avec un tel élan.
Dans la panique et l’agitation, les soldats avaient fui le point d’impact comme des fourmis qui s’éparpillaient d’une fourmilière renversée.
D’une manière ou d’une autre, aucun d’eux n’avait été écrasé directement, mais les plus lents d’entre eux avaient été frappés durement par des éclats de pierre volants provenant à la fois de la pierre et du sol.
Les autres soldats de l’Armée de l’Alliance avaient tous tremblé face à cette vue. Il y en avait même qui mouillaient leur pantalon en raison de la peur, et d’autres qui se prosternaient et commençaient à prier pour obtenir le pardon.
Parce que leur environnement était si sombre, leurs yeux ne pouvaient pas percevoir que les rochers étaient lancés de l’intérieur des murs de la ville.
Les rochers étaient clairement si gros que même deux ou trois adultes de grande taille pouvaient à peine les soulever. Le fait de faire tomber ces roches avec précision sur eux du haut des airs était quelque chose qu’ils ne pouvaient pas imaginer être dans le domaine de la capacité humaine.
Pour ces soldats, cela ne pouvait être que l’œuvre des dieux.
Et c’est pourquoi Yuuto avait ajouté le trébuchet à son plan comme assurance.
« Waaaaaaaauughhhhh ! La punition divine, c’est la punition divine ! » un soldat hurla.
« Comment ça, “ça ne durera pas longtemps” ? » cria un autre. « Les dieux sont encore plus en colère ! »
« Donc notre patriarche a vraiment fait quelque chose de mal ! »
« Je ne veux pas mourir à cause de lui ! »
« À ce rythme, si je meurs ici, je pourrais finir en enfer ! »
« Fuyez, fuyez — ! »
« Je ne peux pas me battre contre le messager des dieux ! »
Alors qu’ils avaient commencé à reprendre le contrôle d’eux-mêmes, on leur avait montré un autre exemple de la colère divine.
Les soldats croyaient maintenant sans l’ombre d’un doute que les dieux s’étaient fâchés contre les actions de l’Armée de l’Alliance des Trois Clans, qu’ils avaient caché le soleil et qu’ils leur lançaient maintenant des météores.
S’ils continuaient à rester la cible de la colère des dieux et que le soleil restait couvert... leurs récoltes ne pousseraient pas, et ils seraient obligés de continuer à vivre dans cette obscurité. Et si ces météorites continuaient à tomber, leurs maisons pourraient être détruites, et ils devraient vivre chaque jour en regardant le ciel en ressentant la peur.
Ce serait l’enfer de vivre une telle vie.
Les soldats de l’Armée de l’Alliance avaient jeté leurs armes et avaient commencé à fuir dans une ruée désespérée.
Les commandants sur le terrain criaient après leurs troupes, essayant de les calmer.
« Arrêtez ! Arrêtez ! Ne battez pas en retraite ! »
« Calmez-vous, les gars ! Restez calme ! »
Normalement, selon la base de l’armée, ces commandants sur le terrain étaient des individus de rang et d’autorité si élevés que l’idée même de défier leurs ordres aurait été effrayante en soi.
Mais les soldats avaient déjà fait confiance aux paroles de leurs commandants une fois, et venaient de se faire rembourser cette confiance par d’autres punitions des dieux. Même à ce moment précis, d’autres rochers descendaient dans leur direction, l’un après l’autre. Les voix de leurs commandants leur parvenaient à l’oreille, mais n’atteignaient plus leur cœur.
L’Armée de l’Alliance, qui comptait plus de six mille hommes, avait maintenant perdu sa chaîne de commandement et était tombée dans le chaos, ses soldats fuyant pour sauver leur vie. Dans un tel état de panique, même un général chevronné et compétent n’aurait pas été en mesure de les maîtriser.
Une voix claire, froide et digne retentit, et les troupes du Clan du Loup émergèrent des portes d’Iárnviðr.
« En avant ! En avant ! Les cieux sont de notre côté ! Notre dernière défaite était uniquement là parce que nous n’avions pas assez confiance dans le Gleipsieg ! Croyez-en l’Enfant de la Victoire de tout votre cœur, et le Clan du Loup ne verra plus la défaite ! »
À la tête de la charge se trouvait une jeune fille guerrière d’une beauté divine au sommet d’un cheval, ses cheveux argentés brillants coulant derrière elle.
Les soldats du Clan du Loup, comme un seul être, poussèrent un cri de guerre exultant.
Si cette situation n’avait été qu’une source de terreur pour l’Armée de l’Alliance, pour le Clan du Loup, c’était une preuve terrifiante que les dieux avaient pris leur parti. Il n’y avait pas d’espoir plus important que ça.
Il n’y avait plus un seul membre des forces du Clan du Loup qui doutait de leur victoire. Toute leur fatigue avait été emportée par les flots. Au contraire, ils avaient senti une force indescriptible jaillir d’eux-mêmes.
Avec la force d’une vague venant en sens inverse, le Clan du Loup chargea dans l’Armée de l’Alliance.
D’un côté, il y avait un groupe qui croyait avoir obtenu la faveur des dieux, perdant toute peur de la mort et se transformant en berserkers.
De l’autre côté, il y avait un groupe qui craignait d’avoir provoqué la colère des dieux, perdant la volonté de se battre et ne faisant que fuir sans but.
Le fait qu’un côté était six fois plus grand n’était devenu rien de plus qu’un détail insignifiant.
Déroutant facilement l’ennemi et le chassant, le Clan du Loup avait été emporté dans l’ivresse de son propre triomphe.
« Ah, le soleil est... ! »
***
Partie 14
Sur une terrasse du palais de Valaskjálf, au centre de Glaðsheimr, une jeune fille avait levé les yeux vers le ciel et avait crié sous le choc.
Glaðsheimr était la capitale du Saint Empire Ásgarðr, située à trois semaines d’Iárnviðr à pied.
Même si le moment était légèrement différent, l’éclipse était observable d’ici aussi.
« Au temps de Ragnarök, un loup dévorera le soleil, et les étoiles tomberont du ciel. » La jeune fille avait récité les mots de mémoire d’une voix claire et resplendissante. « “L’Être Noir, tenant l’Épée de la Victoire forgée dans les flammes ardentes, apparaîtra en éperonnant son cheval à travers le pont qui enjambe les cieux...”... Je vois. »
C’était un verset d’une prophétie de l’époque où le premier Empereur Divin, Wotan, avait ordonné à une völva de grande renommée de prévoir l’avenir de l’empire.
Cette fille était l’Empereur Divin actuel du Saint Empire Ásgarðr. Si l’on regarde en arrière dans l’histoire de l’empire, l’étrange phénomène de l’obscurité qui effaçait le soleil s’était produit plusieurs fois. Chaque fois, les empereurs divins précédents avaient craint que cela n’annonce l’arrivée de l’Être Noir.
Cette fille, elle aussi, s’était tenue avec ses deux bras et avait tremblé de peur.
« C’est donc ce qui s’est passé dans ma génération. C’est la première fois que je le vois, mais c’est vraiment sinistre. Espérons que la prophétie ne se réalisera pas cette fois aussi... »
Il y avait bien longtemps que l’Empereur Divin n’avait pas eu assez de pouvoir réel pour contrôler et régner sur tout Yggdrasil. Il ne restait que quelques vestiges de l’autorité passée.
Cette fille ne pouvait rien faire de plus que prier.
Merci pour le chap ^^