Chapitre 2 : Acte 2
Partie 7
La nuit à Iárnviðr était sombre et profonde.
Au 21e siècle, même les villages ruraux comme celui d’où venait Yuuto possédaient la lumière des lampadaires, ou la lumière provenant des fenêtres des maisons dont les propriétaires veillaient tard. Cependant, Iárnviðr était devenue complètement silencieuse, et la seule lumière dans l’obscurité venait de la pleine lune, et de la torche que Félicia portait.
« Euh ! Donc Félicia, je voulais juste dire... euh..., » en revenant du sanctuaire, Yuuto rassembla son courage et présenta sa gratitude en mots. « Merci pour tout ce que vous avez fait pour moi ! »
Ils s’étaient séparés de Fárbauti à la base de la Hliðskjálf, il n’y avait donc que les deux de présent en ce moment.
« Oh, euh, vous n’avez pas à vous inquiéter de ce qui s’est passé au hörgr, » déclara Félicia avec honte. « Franchement, c’est moi qui suis responsable... »
Peut-être qu’il avait accidentellement déterré son sentiment de culpabilité, contrairement à ses intentions.
Yuuto se hâta d’agiter les mains dans le déni. « Non, non, non, ce n’est pas ça ! S’il vous plaît, ne refaites pas tout ça. Euh ! Bien que je suppose que c’est probablement de ma faute si j’en parle, mais... ! »
« Euh..., » balbutia Félicia.
« Alors, tout à l’heure, » dit-il rapidement, « Je me suis excusé auprès de vous, mais je ne vous ai jamais remerciée. Félicia. Ce mois-ci, vous m’avez aidé et vous avez pris soin de moi. Vous avez même fait des choses comme rester debout, tard le soir, pour m’aider quand j’étais malade, et cela même si vous aviez du travail pendant la journée, et j’ai pensé... que ce serait mal si je ne vous remerciais pas correctement pour tout cela. »
À mi-parcours, Yuuto avait commencé à être gêné par ce qu’il disait, et il avait dû détourner le regard. Ses joues étaient étrangement chaudes. Il était content qu’il fasse nuit. Son visage était certainement rouge vif, mais au moins la lumière rougeâtre de la torche aiderait à le dissimuler.
« Vraiment... Merci beaucoup ! » Yuuto inclina la tête, en y mettant tous ses sentiments.
C’était quelque chose qu’il aurait dû lui dire de retour du hörgr, et qu’il essayait de recracher depuis lors, alors qu’ils descendaient les escaliers de la Hliðskjálf et qu’ils franchissaient la porte de la ville. Maintenant, ils étaient presque de retour chez Félicia et Loptr, et il venait à peine d’être capable de rassembler son courage, se disant qu’il n’y aurait peut-être plus jamais de bon moment pour le dire s’il laissait passer celle-là.
« Je ne mérite pas de tels remerciements, » Félicia plaça une main sur son cœur et ferma les yeux. C’était comme si elle réfléchissait profondément aux paroles de Yuuto.
Au bout d’un moment, elle acquiesça d’un signe de tête fort et affirmatif.
« D’accord, j’ai décidé. Frère ! Je veux que vous soyez notre médiateur. » Alors qu’elle entrait chez elle, Félicia avait crié pour appeler Loptr.
« Euh ? » Loptr, qui était en train de savourer un dernier verre avant de se coucher, avait été totalement pris au dépourvu, et avait répondu avec un regard tout à fait ridicule. « De quoi s’agit-il, Félicia ? Et vous, qu’est-ce qui s’est passé ? N’avez-vous pas pu rentrer chez vous ? »
« C’est bien ça. Eh bien, je vais devoir rester ici un peu plus longtemps. Je suis désolé pour le dérangement. » Yuuto inclina poliment la tête.
« Hm, en attendant, on dirait que vous avez trouvé du cran. Vous avez un meilleur regard désormais, » déclara Loptr, avec un sourire doux.
« ... Du cran ? » Yuuto n’avait pas pu s’empêcher de se rappeler que lorsqu’il avait rencontré Sigrun pour la première fois, elle l’avait critiqué en utilisant une remarque similaire, sur son manque de détermination. Il n’avait pas l’impression d’avoir changé depuis, alors il ne savait pas trop quoi penser.
« Quand vous êtes parti d’ici hier soir, vous aviez ces yeux de poisson mort, comme quelqu’un qui avait tout abandonné. Mais pour l’instant, je peux voir une forte volonté en eux, » expliqua Loptr.
« Avais-je vraiment l’air si mal ? » demanda Yuuto.
« Ouais, vous aviez les yeux d’un perdant. Comme un soldat d’une armée vaincue, » répondit Loptr.
« C’est une façon affreuse de le dire. » Yuuto se sentait découragé de l’entendre dire si ouvertement, mais la description avait aussi frappé dans le mile.
Il est vrai que, jusqu’à mon départ pour le hörgr, je ne pensais qu’à fuir Yggdrasil, à fuir ma douleur et mes souffrances. J’avais une attitude complètement négative.
Loptr pouvait sembler décontracté et un peu superficiel à première vue, mais il avait en fait une profonde compréhension des gens et un bon œil pour voir leur vraie nature.
Ce n’est pas étonnant qu’il soit le commandant en second à son âge, pensa Yuuto.
« Frère, je te demanderai de ne pas utiliser un langage aussi irrespectueux pour décrire la personne qui va devenir mon grand frère assermenté, » déclara Félicia.
« ... Quoi ? Eh, euh. Ça me fait me rappeler que tu as parlé d’un médiateur tout à l’heure... tu ne veux pas dire — !? » s’exclama Loptr.
« Exact, » confirma Félicia. « Je veux que tu serves de médiateur pour que le Seigneur Yuuto et moi puissions échanger le Serment du Calice du Frère Externe. »
Félicia avait fait un petit signe de tête pendant qu’elle parlait, alors que son ton était calme et réaliste.
En revanche, Loptr avait l’air assez troublé. « Es-tu sérieuse, Félicia ? Tu as le potentiel de gravir les échelons et de devenir l’un des futurs dirigeants du Clan du Loup. Je ne dis pas cela uniquement en tant que membre de ta famille. Comprends-tu le poids de ton Serment du Calice ? »
« J’en suis pleinement consciente, » répondit Félicia.
« Aujourd’hui, lorsque j’ai visité le palais, j’ai entendu certaines choses à propos de Yuuto, et franchement, sa réputation n’est vraiment pas très bonne. Si tu commences à le traiter avec déférence en tant que grand frère, cela va aussi affecter la façon dont tu seras traitée. Ils diront des choses blessantes comme : “Pour quelqu’un qu’on appelle la Sage Louve Ráðsviðr, c’est une idiote aveugle quand il s’agit d’une personne qui l’intéresse”. Veux-tu toujours faire ça ? » demanda prudemment Loptr.
« Je suis toujours désireuse de le faire, » Félicia le regarda droit dans les yeux et hocha la tête solennellement. « J’en suis venue à admirer profondément la nature aimable et magnanime du Seigneur Yuuto, du fond de mon cœur. Après avoir été charmé à ce point, il n’y a aucune chance que je ne veuille pas obtenir son Serment du Calice. »
Loptr soupira et jeta un regard quelque peu amer dans la direction de Yuuto, puis prit sa coupe et en but son contenu en une seule fois.
« ... Wôw ! » s’exclama Loptr.
Son haleine puait l’alcool, et pour Yuuto, c’était un peu comme s’il buvait ses peines.
Même s’il n’avait connu Loptr qu’une nuit et un jour, il avait eu l’impression que l’homme était imperturbable, et le voir comme ça donnait l’impression à Yuuto qu’il lui avait fait quelque chose de terrible. Il sentait son corps tendu à l’idée d’y penser.
« E-Euh ! Alors, qu’est-ce que c’est exactement qu’un “Frère Extérieur” ? » demanda Yuuto.
« Oh, bon sang. Il ne le sait même pas, et tu vas en faire ton grand frère, » Loptr s’était mis à rire. Puis il haussa les épaules avant de l’expliquer à Yuuto.
Tout comme ceux qui partagent le même parent dans une famille normale sont frères et sœurs, le concept n’était pas différent parmi les familles claniques formées par les Calices.
Cependant, si deux personnes de « parents » assermentés différents en venaient à se reconnaître et à se respecter mutuellement, et qu’elles décidaient d’échanger le Serment du Calice, elles pourraient aussi devenir des frères et sœurs assermentés. Un tel frère ou une telle sœur de l’extérieur de la famille de son clan était connu sous le nom de frère ou de sœur extérieur.
L’échange de ce serment avec quelqu’un signifiait qu’ils pouvaient se promener en proclamant qu’ils étaient le frère d’untel, et ainsi ceux qui avaient un statut élevé ou de bonnes perspectives d’avenir au sein d’un clan devaient faire preuve de prudence quant aux personnes avec qui ils prêtaient de tels serments.
« C’est — ! Félicia, ne croyez-vous pas que c’est un peu fou de le faire tout d’un coup !? » Yuuto avait commencé à paniquer.
« Non, je suis très saine d’esprit. » Félicia lui sourit doucement. Il n’y avait aucune hésitation ou le moindre signe d’appréhension dans ses yeux.
« Mais quelqu’un comme moi n’est pas digne d’être votre frère assermenté, Félicia, » lui déclara-t-il.
« Ce n’est pas du tout vrai. Je souhaite sincèrement que je puisse recevoir votre Serment du Calice, » déclara Félicia.
« Comment pouvez-vous voir autant de valeur en moi... ? » demanda Yuuto.
« Teehee. À mon avis, les autres membres du clan n’ont tout simplement pas le discernement nécessaire pour reconnaître votre caractère. Bien qu’étant un novice complet, vous avez gagné contre Run dans un combat. Ils ont ri et rejeté votre victoire comme n’étant rien d’autre que de la chance, ce qui en dit long sur eux. Et avec ce qui vient de se passer, vous avez montré à quel point vous êtes magnanime et ouvert d’esprit ! » annonça Félicia.
« Hein ? » Yuuto était déconcerté.
« Ils voient le lionceau d’un lion et l’appellent un simple chat, se moquant de lui comme d’un faible idiot. Franchement, on se demande qui est le vrai imbécile dans cette situation. Dans un avenir proche, chacun d’entre eux se prosternera sûrement à vos pieds, Seigneur Yuuto. »
« Ohh ? » déclara Loptr en souriant malicieusement. « L’intuition de Félicia est souvent juste... Donc il va se transformer en quelque chose d’important, n’est-ce pas ? D’accord, c’est ma chance. Qu’en dites-vous, Yuuto ? Voudriez-vous devenir mon petit frère, vous aussi ? »
Loptr fixa Yuuto avec impatience. Il l’avait demandé d’un ton plaisant, mais son regard fervent était dépourvu d’humour.
« Oh, mon Dieu, tu es aveugle comme toujours, Frère, » déclara Félicia. « Es-tu en train de dire que tu essaierais de recruter même le messager de la déesse Angrboða pour travailler sous tes ordres ? »
« Il dit que ce n’est pas ce qu’il est, n’est-ce pas ? » répliqua Loptr. « Alors il n’y a pas de problème. Pour relancer le Clan du Loup, j’ai désespérément besoin de recrues prometteuses que je puisse trouver. »
« Franchement, tous les deux, vous m’accordez trop d’importance..., » Yuuto s’affaissa ses épaules de lassitude.
Après tout cela, à moitié parce qu’il suivait le courant et l’autre moitié à cause de la pression combinée du frère et de la sœur insistants, ce soir-là, Yuuto avait échangé le Serment du Calice avec chacun d’eux, avec l’indication que ce ne serait que pour le temps jusqu’à ce qu’il retourne au Japon.
« J’espère qu’on s’entendra bien à partir de maintenant, Grand Frère, » se réjouit Félicia.
« Faites pleurer notre petite sœur, et vous le paierez, petit frère, » ricana Loptr. « Ha ha ha ha ha. »
Ainsi, dans cet étrange autre monde, pour le meilleur et pour le pire, Yuuto avait gagné une nouvelle famille.
Merci pour le chapitre.
Merci pour le chapitre !
Deuxième tentative d’envoi. Un mot à mettre au féminin :
“Pour quelqu’un qu’on appelle »le » Sage Louve Ráðsviðr, c’est une idiote aveugle quand il s’agit d’une personne qui l’intéresse”.
Merci pour le chap ^^ Ça va de mieux en mieux pour Yuuto !