Acte 3
Partie 4
« Grand Frère ! C’est bon de vous revoir après tant de temps ! » Linéa avait parlé d’une voix forte.
« Euh, ouais, c’est bon aussi de vous revoir, Linéa. » Pris au dépourvu par l’arrivée soudaine de sa petite sœur assermentée dans la citadelle, Yuuto lutta maladroitement pour lui retourner son salut.
Cela faisait environ cinq jours que Yuuto était arrivé à Gimlé. Il avait visité divers endroits de la ville, posant des questions indirectes aux résidents, et venait tout juste de commencer à se rendre compte de la difficulté des problèmes auxquels il était confronté.
« Pourquoi êtes-vous ici ? » demanda Yuuto avec son visage tendu.
Ce n’est pas qu’il ne l’aimait pas ; en fait, il aimait bien Linéa. Mais pour l’instant, elle était la personne qu’il voulait le moins voir.
Grâce à l’expertise de Félicia, Yuuto avait réussi à gagner du temps pour réfléchir, mais même avec tout ce temps, il n’avait pas réussi à trouver un moyen diplomatique et sans conséquence pour refuser son offre de mariage. Il s’agissait de quelque chose pour laquelle il se creusait toujours la cervelle.
« À l’origine, cette ville était sous la domination du Clan de la Corne, » expliqua Linéa. « Bien sûr, j’ai une foi absolue que vous pouvez apporter la paix et la prospérité au peuple d’ici, Grand Frère ! C’est juste que c’est quelque chose à laquelle j’ai beaucoup pensé, et... Quand j’ai appris que vous viendriez ici, j’ai pensé que c’était une grande opportunité. Euh, et... Grand Frère, je voulais aussi vous voir..., vous aussi. »
Quand elle avait dit la dernière partie de sa phrase, la voix de Linéa avait semblé hachée et cela s’était estompé jusqu’à un murmure. Son visage était devenu rouge vif, et elle avait regardé vers le bas, embarrassée.
Yuuto était presque incapable de distinguer les mots... presque. Il pensait à quel point il se sentirait mieux s’il ne les avait pas entendus et il avait maudit son ouïe.
Il n’avait absolument aucune idée de la façon de faire face à cette situation.
Au cours des deux dernières années, il s’était plongé avec fébrilité dans l’étude du gouvernement, de l’économie et de la science militaire, mais il n’avait pas eu le temps d’apprendre à connaître ce qu’il fallait faire dans les relations avec les femmes. Et ce n’était pas comme s’il avait une expérience de vie sur laquelle s’appuyer. Il n’était qu’un novice, comme beaucoup de jeunes hommes de son âge.
« Si c’est possible, j’aimerais bientôt entendre votre réponse…, » avec ses deux index pressés l’un contre l’autre, Linéa lui demanda ça d’une petite voix. Mais ses manières vraiment douces, même adorables, ne faisaient que pousser l’épée qui était la conscience de Yuuto d’autant plus profondément dans son propre cœur.
« Ahhhh ! Donc en ce qui concerne ce, euh…, » le visage de Yuuto était tellement dans un état de sueur froide qu’on pourrait le confondre avec un crapaud tout frais sorti de l’eau.
Je dois trouver une excuse... ! L’esprit de Yuuto s’était affolé, mais il n’y avait aucune chance qu’il trouve quelque chose d’utile alors qu’il n’avait pas été capable de le faire après tout ce temps.
« Grand Frère ? » demanda Linéa.
« Euh... Hmm Hmm Hmm... »
« Je suis terriblement désolée, Grande Sœur Linéa, » déclara Félicia en inclinant la tête. « En vérité, une autre proposition de mariage nous est venue du Clan de la Griffe, et comme il s’agit d’une question politique délicate, nous espérons que vous nous accorderez un peu plus de temps. »
Finalement, c’était encore une fois de plus la talentueuse adjudante de Yuuto qui était venu à son secours dans un moment de désespoir.
« Qu’avez-vous dit au Clan de la Griffe ? » Secoué, le visage de Linéa passa de celui d’une jeune fille amoureuse à celui d’un patriarche calme. Elle avait posé son regard sur Félicia, la pressant pour les détails, quand...
« Juste ici, c’est moiiiii ! » Albertina avait levé la main et avait crié énergiquement.
« C’est du moins ce qu’elle dit, mais elle n’est rien de plus qu’une concubine, et je suis la candidate au mariage, » avait ajouté Kristina.
« Ehh !? Mais techniquement, je suis la sœur aînée, Kris ! » cria Albertina.
« La capacité et le mérite font tout dans ce monde, Al. Hehe hehe hehe…, » Kristina s’était mise à ricaner comme une dirigeante maléfique dans une fiction.
Pour quelqu’un qui avait déclaré carrément qu’elle ne s’intéressait pas au mariage, il semblait qu’elle était prête à tout pour taquiner sa sœur.
« Grr, de penser que Grand Frère vous a laissé l’accompagner dans sa tournée d’inspection... Si vous avez déjà gagné sa faveur de cette façon, je ne peux pas vous prendre à la légère, » avec une expression effrayante, Linéa avait fait un pas instable en arrière.
Il semblerait qu’elle supposait que Yuuto avait amené les jumeaux comme ses « maîtresses préférées » ou quelque chose du genre. En réalité, elles s’étaient obstinément décidées à venir de leur propre gré.
« G-Grand Frère ! » Linéa avait crié. « Avec tout le respect que je vous dois, le Clan de la Corne est plus grand que le Clan de la Griffe en termes de force nationale. Je pense qu’il est évident que l’un d’entre nous mènerait à une meilleure prospérité pour le Clan du Loup. »
« Oh, mon Dieu ! Essayez-vous de piéger un homme avec des richesses matérielles ? » Kristina ricanait. « Vous ne devez vraiment pas avoir confiance en vous en tant que femme. Heehee. »
Kristina avait placé une main sur sa bouche et avait gloussé hautainement, dans le style de votre personnage de femme maléfique typique.
Elle s’amusait bien. Alors que sa cible principale était bien sûr sa sœur, il semblerait qu’elle aimait aussi interagir de manière sadique avec les personnes en général.
C’était vraiment une fille ayant un mauvais caractère.
« Rrrrgh ! » regardant Kristina, Linéa avait grogné, probablement incapable de trouver une réponse à ses railleries.
« Heehee. » Kristina avait encore gloussé. Elle semblait heureuse de voir à quel point Linéa avait été frustrée, mais aux yeux de Linéa, il fallait que Kristina ait l’air de jubiler sur ses perspectives de mariage.
« Grr... ! » Le visage de Linéa s’était tordu de déplaisir. Cette réaction de sa part était encore plus un régal pour Kristina, mais elle ne s’en rendait pas compte.
« Plus important, Linéa, vous vous inquiétiez de l’état de la ville, n’est-ce pas ? » Yuuto avait essayé en toute hâte de changer de sujet.
En partie, c’était parce qu’il se sentait désolé pour Linéa, mais surtout parce qu’il avait déterminé que ce sujet était trop dangereux. Ce serait un vrai problème pour lui s’il était révélé qu’il avait essayé de renvoyer les jumelles chez elles. Il voulait que Linéa continue de penser qu’il luttait pour décider entre les offres de mariage des deux clans.
Pour Yuuto, c’était comme s’il jouait le rôle d’un homme qui s’enchaînerait à plusieurs femmes et ne s’engagerait jamais.
De retour à la maison au 21e siècle, je pensais que les imbéciles dégoûtants comme ça étaient les pires, alors comment ai-je fini en tant que tel ? se lamentait-il à lui-même.
« Oh, euh, oui, » déclara Linéa, semblant revenir à la raison devant les mots de Yuuto. Elle avait cessé de menacer Kristina et sa sœur. Revenant à ses premières manières courtoises, elle se tourna vers Yuuto. « En venant ici, j’ai pris la liberté de voir l’état de la ville, et j’ai été soulagée de voir que la reconstruction semble bien se dérouler. »
« C’est honteux à admettre, mais la vérité, c’est que ça ne se passe pas si bien que ça, » avait admis Yuuto.
« Vraiment !? » s’écria Linéa.
« Oui, » dit Yuuto. « Il semble que les dirigeants précédents étaient assez étonnants dans leur travail. »
« Ah... ! ! C’est, euh, qu’est-ce que je peux dire…, » Linéa avait failli faire surgir un large sourire, puis s’était arrêtée, l’air désolé. Même ainsi, sa modestie ne pouvait pas cacher complètement le bonheur présent dans ses joues, créant ainsi une expression assez mélangée.
Yuuto avait trouvé la vue réconfortante alors qu’il continuait à lui expliquer la situation. « Donc, à cause de cela, il y a quelque chose que j’ai voulu mettre en pratique ici, mais nous n’arrivons pas à obtenir l’accord de quiconque, et nous sommes dans une impasse. Je suppose qu’il n’y a pas d’autre solution que de commencer par gagner leur confiance lentement et régulièrement, n’est-ce pas ? » Yuuto avait levé les deux mains dans un large haussement d’épaules.
La hâte produit du gaspillage, comme le disait la célèbre expression. Ce n’était pas parce qu’il avait des connaissances du 21e siècle que les choses iraient toujours comme il l’entendait. Même si cela ressemblait à une longue route frustrante, il allait devoir marcher à chaque pas.
« Au fait, c’est quoi comme plan ? » s’était enquise Linéa. « Si cela va, seriez-vous prêt à me le dire ? »
« Hmm, que dois-je faire... » Yuuto n’avait hésité qu’un instant. « Ahh, bien sûr, pourquoi pas ? Donc, le truc c’est que... »
Yuuto avait donné à Linéa une explication approximative du système de rotation des cultures de Norfolk.
À une époque où il n’était pas exagéré de dire que la force nationale d’un pays était équivalente à sa productivité agricole, la mise en pratique de ce système apporterait des avantages incommensurables.
Il avait hésité un peu sur la question de savoir s’il était juste de donner des connaissances aussi précieuses à quelqu’un d’un autre clan, mais il avait décidé de lui dire. Ce n’était pas parce qu’il en était venu à aimer Linéa ou qu’il voulait apporter le bonheur aux citoyens du Clan de la Corne, bien qu’il ne pouvait nier qu’il avait aussi ce genre de sentiments naïfs. Non, en tant que patriarche, il avait une raison plus pratique pour sa décision.
Le Clan de la Corne avait récemment subi un sérieux déclin de la force nationale. Dans leur défaite face au Clan du Loup, ils avaient perdu un grand nombre de soldats et une bonne partie des terres fertiles, dont Gimlé. Et lors de leur dernière guerre avec le Clan du Sabot, leurs terres occidentales avaient subi beaucoup de dégâts. D’un point de vue géopolitique, le Clan de la Corne était ce qu’on pourrait appeler un état tampon, protégeant le côté ouest du Clan du Loup des nombreux autres clans qu’il borde. C’était comme si Tokugawa Ieyasu avait été pour Oda Nobunaga.
Maintenant qu’ils avaient formé une alliance, il ne serait pas très bon pour la sécurité nationale du Clan du Loup de laisser le Clan de la Corne s’affaiblir trop.
« Oh... Ohhhh... » Linéa hocha la tête et laissa échapper des soupirs d’émerveillement les uns après les autres lorsque Yuuto expliquait le système de rotation des cultures. Au moment où il avait terminé, elle était si profondément émue qu’elle avait tremblé d’excitation et avait commencé à le louer sans relâche. « Woooooooooooooooon ! Incroyable ! Incroyable !! C’est trop incroyable ! Non seulement vous pouvez gagner au combat, mais vous pensez même à des idées splendides comme celle-ci ! Je vous admire du fond du cœur ! Grand Frère, je pense que votre sagesse surpasse celle des dieux dans les cieux ! »
« Non, je n’y ai pas vraiment pensé, » avait dit Yuuto, en reculant face aux féroces louanges de Linéa.
À l’intérieur, il avait aussi été gêné pour une autre raison. Yuuto n’avait jamais vu une personne émotionnellement émue à un niveau aussi profond par une simple explication scientifique. Les humains ne pouvaient pas comprendre quelque chose qui était trop éloigné des limites de leur propre bon sens. Dans Yggdrasil, planter les champs tous les deux ans était encore une pratique courante. Bien que le système Norfolk ait déjà produit des résultats définitifs dans le monde de Yuuto, il n’y avait toujours pas de précédent ici.
Avec une proposition qui semblait beaucoup trop belle pour être vraie, il était normal que les gens se méfient de la fraude, et il y en avait beaucoup qui pouvaient réagir avec colère, prétendant que les dieux ne permettraient pas un tel blasphème.
« Je comprends !! » Linéa s’était soudain levée, et avec un visage plein de détermination, elle s’était donné un coup de poing dans la poitrine. « Pour mon Grand Frère, et plus que tout, pour les habitants de Gimlé ! Même si je suis indigne, moi, Linéa, je ferai tout mon possible pour vous aider ! »
Merci pour le chapitre.
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