Le Maître de Ragnarok et la Bénédiction d’Einherjar – Tome 10 – Chapitre 4 – Partie 4

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Chapitre 4 : Acte 4

Partie 4

Mais alors que Félicia n’avait rien ressenti de désagréable en regardant ce qui se passait avec ces deux-là, en ce moment, elle ressentait une douleur profonde et angoissante.

Pendant ces trois dernières années, Félicia avait été la personne la plus proche de Yuuto, toujours à ses côtés. Et donc, c’est pour cela qu’elle pouvait dire que c’était différent.

La façon dont il lui caressait les cheveux, le regard dans ses yeux, l’expression sur son visage… c’était une autre sorte d’amour que celui qu’il montrait à n’importe qui d’autre.

« Pourquoi ne suis-je pas assez bien… ? », avait-elle chuchoté.

« Hein ? » Yuuto s’était retourné pour regarder Félicia. Avec un sursaut, Félicia avait repris ses esprits.

Elle venait de murmurer ses sentiments à voix haute. Qu’est-ce qu’elle a fait ?

Elle s’était empressée de faire de son mieux pour trouver une excuse. « O-oh, non, erm. J’étais juste frustrée de ne pas être assez puissante pour faire quelque chose pour soulager sa douleur. »

C’était un terrible mensonge.

Elle n’avait rien pensé de tel.

« Es-tu toujours en train de parler de ça ? » demanda Yuuto. « Écoute, quelques jours de repos et elle ira bien. Tu n’as pas besoin de t’inquiéter pour ça. »

Elle avait menti, c’est pourquoi elle souhaitait qu’il ne réponde pas en lui souriant si gentiment.

Elle souhaitait aussi qu’il ne lui tape pas doucement sur la tête comme ça. Cela ne faisait que rendre la différence entre eux encore plus claire.

Les pensées qu’elle essayait toujours de chasser avaient recommencé à tourner dans son esprit.

Pourquoi n’était-elle pas assez bien ? Pourquoi ça ne pouvait pas être elle à la place ?

Elle connaissait de toute façon Yuuto mieux que Mitsuki.

Elle était plus utile à Yuuto que Mitsuki.

Elle pourrait aimer Yuuto davantage, se consacrer à lui encore plus intensément.

Félicia secoua la tête, en en essayant de chasser ces terribles pensées de son esprit, mais elles ne disparaissaient pas.

Elle frissonna contre elle-même, contre la superficialité et la mesquinerie de son comportement.

Son esprit avait compris la vérité de la situation.

Elle avait compris que pendant ces trois années, Yuuto avait constamment voué son amour à Mitsuki, et à elle seule.

Elle voulait leur souhaiter du bonheur à tous les deux. Elle avait l’intention de le faire. Elle pensait avoir réussi.

Mais maintenant, chaque fois qu’elle regardait Yuuto interagir avec Mitsuki, elle avait l’impression que cela lui déchirait le cœur.

☆☆☆

À la lumière d’une seule torche, Félicia grimpa la sombre cage d’escalier.

Cet endroit, la Tour Nari, était niché dans un coin reculé de l’extrémité nord des terres du palais de Gimlé. C’était une tour de prison réservée spécialement aux personnes de haut statut.

Agir avec un prisonnier de haut rang ou de statut élevé de manière trop brutale ou irrespectueuse porterait atteinte à l’honneur d’un clan. C’est pourquoi cette prison était dotée d’une nourriture et d’un mobilier de meilleure qualité que ceux que l’on pouvait trouver dans la maison d’un citoyen moyen.

Bien sûr, entrer et sortir de la tour et de ses cellules était une autre affaire. La sécurité était extrêmement stricte.

Félicia avait atteint le troisième étage, le dernier étage, où il attendait.

« Salut, Félicia. Bon travail aujourd’hui », appela nonchalamment l’homme masqué de l’autre côté des lourds barreaux de bois de sa cellule.

C’était Rungr, l’ancien patriarche du Clan de la Panthère.

Pendant des années, il avait nourri une rancune envers Yuuto et le Clan du Loup, et il avait travaillé pour les détruire. Maintenant, il passait ses journées enfermé dans cette tour.

Son nom d’origine était Loptr, et il était le grand frère biologique de Félicia.

Quand Félicia avait fini son travail, elle montait ici la nuit pour le surveiller. C’était devenu une sorte de routine nocturne ces derniers temps.

« L’intérieur d’une cellule est assez ennuyeux, alors j’ai toujours hâte de voir ton visage », dit Rungr joyeusement.

C’était le même ton de voix aimable et jovial qu’elle se rappelait lorsqu’il était le commandant en second du Clan du Loup, il y a si longtemps.

Elle regarda ses yeux, placés à l’intérieur de son masque de fer. Lorsqu’elle l’avait rencontré dans les champs marécageux de Náströnd, ces yeux étaient injectés de sang et remplis d’une colère maladive. Mais maintenant, ils semblaient calmes, comme si le démon qui l’avait possédé était parti.

Cela, en soi, l’avait vraiment irritée.

« Je vois. Eh bien, je n’ai pas du tout hâte d’y être. » Félicia lui cracha les mots froidement, en se renfrognant.

Tout cela à cause des actes jaloux et égoïstes de son frère, elle avait tant souffert, et elle avait porté un si lourd fardeau.

À cause de son frère, Yuuto avait passé ses journées à regretter douloureusement le passé, à se tourmenter pour cela.

Et malgré tout cela, il était là, assis confortablement dans cette cellule, souriant. Bien sûr, ça la contrariait.

« Mais tu viens quand même me voir », déclara Rungr.

« Tu es la seule famille vivante qu’il me reste, même si tu es affreux. Je n’ai pas vraiment d’autre choix que de m’occuper de toi, n’est-ce pas ? »

« Hm ? Tu sais, tu sembles un peu plus à cran que d’habitude aujourd’hui. Tu n’as pas non plus l’air bien. Est-ce qu’il s’est passé quelque chose aujourd’hui qui t’a bouleversée ? »

« Non, il ne s’est rien passé du tout ! » Félicia nia par réflexe, mais sa voix était trop chargée d’émotion. C’était la même chose que d’admettre qu’elle mentait.

C’était son frère, l’homme qui avait vécu avec elle pendant quinze ans. Naturellement, il l’aurait remarqué.

« Ça doit être quelque chose à propos de Yuuto, non ? » demanda Rungr. « C’est un homme dévoué, et ça peut paraître bien, mais il n’a après tout jamais été doué pour gérer les sentiments des autres à son égard. »

« N’ose pas insulter Grand Frère, ou je ne te pardonnerai pas, tu entends ? ! »

« Ohh, effrayant. Mais j’ai aussi raison, n’est-ce pas ? »

« Non, tu as tort. Vraiment tort. » Félicia s’était détournée avec un « Hmph ! » moqueur.

En effet, son frère avait tort. Il l’avait fait à l’envers, même.

« Ça n’a rien à voir avec Grand Frère Yuuto », avait-elle insisté. « C’est un problème avec moi. »

« Hm, un problème avec toi même. Cela voudrait dire, en résumé, que tu n’as pas été capable d’accepter la femme qu’il a ramenée de son monde natal. Et ta propre superficialité et ta jalousie sont si horribles que tu ne peux pas les supporter. Est-ce que ça te semble correct ? »

« Quoi ? ! » Félicia était abasourdie. La supposition n’était pas seulement correcte, elle était aussi précise.

Elle n’aurait pas dû en attendre moins de lui, pourtant. Yuuto avait souvent dit : « Sa capacité à déterminer la faiblesse d’une personne et à la frapper est phénoménale. » C’était une capacité qu’il pouvait utiliser tout aussi bien en dehors du champ de bataille.

Félicia ne pouvait rien lui répondre, sa bouche s’ouvrait et se fermait comme celle d’un poisson hors de l’eau.

Sentant qu’il avait gagné, Rungr se mit à rire. « Heh heh, on dirait que j’ai deviné juste. Si je peux te donner quelques conseils, en tant que personne ayant suivi un chemin similaire : Ne va pas trop loin en essayant d’étouffer ces sentiments à l’intérieur, et en essayant d’agir comme une bonne personne. »

« Je n’essaie pas de… »

« Mais tu le fais, n’est-ce pas ? Tu ne peux pas te pardonner d’avoir des sentiments sombres ou laids, et donc tu refuses de les reconnaître. Tu essaies de faire comme s’ils n’étaient pas là. »

« Ngh… ! » Félicia avait essayé de répondre, mais elle ne pouvait rien dire.

C’est parce que, encore une fois, il avait raison.

« Continue à faire ça, et rien de bon ne va en sortir, crois-moi, » dit Rungr. « Ces sentiments impurs ne feront que stagner encore plus profondément en toi, et ils finiront par te pourrir de l’intérieur. Tu dois être honnête avec toi-même à propos de tes sentiments. »

« Qu’est-ce que tu essaies de faire ici ? » Félicia demanda d’une voix étranglée. « Laisse-moi deviner, tu veux entrer dans ma tête, me faire penser comme tu veux, et ensuite me piéger pour que je t’aide à t’échapper de cet endroit. C’est ça ? »

« Hein ? Je n’ai jamais envisagé de faire quelque chose comme ça. Cet endroit est parfait pour moi. »

« Il y a un instant, tu disais que c’était ennuyeux ici. »

« Oui, et c’est ce qui fait aussi de cet endroit le lieu idéal pour me remettre en question. Il n’y a rien d’autre à faire pour moi, après tout. » Avec un petit sourire en coin, Rungr haussa les épaules.

Essayer d’argumenter avec cet homme était comme essayer de lutter contre le vent.

Même à l’époque où il était Loptr, il était connu pour sa personnalité difficile à cerner. Un homme dont on ne pouvait pas dire ce qu’il pensait vraiment. Mais Félicia savait que son grand frère avait aussi de l’ambition en lui.

Mais maintenant, c’est comme si tout ce feu avait disparu. Il avait la présence d’un vieil ermite, ou de quelqu’un qui avait rejeté le monde.

« Nous sommes frères et sœurs, après tout », dit Rungr. « Je peux le dire. En ce moment, tu ressembles à ce que j’étais à l’époque. »

« Je n’aurais jamais, jamais trahi Grand Frère Yuuto, comme tu l’as fait ! »

« Bien sûr que non. Mais celui dont tu es si jalouse n’est pas Yuuto, n’est-ce pas ? »

« Argh… ! » Pour la troisième fois d’affilée, le cœur intérieur de Félicia était exposé, et elle ne pouvait rien dire en réponse.

Elle ne pouvait s’empêcher de réaliser que c’était la vérité.

Et bien que ce soit si simple, elle avait essayé de ne pas le voir, de changer de sujet et de parler de Yuuto, ou d’autre chose. Elle avait inconsciemment essayé de ne pas penser à Mitsuki.

Elle aurait aussi bien pu essayer de faire un nœud à son cœur.

C’était vexant à admettre, mais c’était comme Rungr l’avait dit.

Si elle continuait comme ça, l’écart entre la réalité et sa perception tordue de celle-ci deviendrait de plus en plus grand, et à un moment donné, elle s’effondrerait.

« Si mes propres expériences amères peuvent t’apprendre quelque chose, c’est que tu devrais parler de ces choses », déclara Rungr. « Tes sentiments sont déformés parce que tu les enfermes. Parfois, tu as besoin de les laisser s’exprimer. Tu comprends ce que je veux dire ? »

« … je garderai peut-être ce que tu as dit en tête. » Félicia ne pouvait pas accepter ouvertement ce conseil de sa part. C’était mal. Elle avait donc fini par lui donner une réponse moins positive, et moins honnête.

Mais c’était son frère. Il était perspicace.

Elle était sûre qu’il serait capable de voir à travers elle, de toute façon.

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Un commentaire :

  1. merci pour le chapitre

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