Acte 4
Partie 1
« Maintenant, nous allons commencer la Cérémonie du Calice, » entonna l’homme. « Je suis Alexis, et en tant que goði, je superviserai cette procédure. Cette journée est particulièrement propice selon les augures... »
Au centre de la salle de cérémonies, un individu d’âge moyen en bonne forme avec une barbe commençait à faire son discours. Le corps de l’homme était enveloppé de vêtements lisses, brillants et haut de gamme. Ils avaient été fabriqués à partir d’un tissu incommensurablement rare connu sous le nom de « Sieke » qui ne pouvait être produit que dans des terres à l’extrême Est. À en juger par ce qu’il pouvait voir, Yuuto était certain qu’il s’agissait de la soie.
On pouvait s’attendre à une pareille chose venant d’un représentant envoyé comme intermédiaire de l’Empereur Divin. Il était naturel qu’il porte quelque chose de si cher, surtout en de telles circonstances.
« ... et cela nous a amenés ici, » continua l’homme. « Et maintenant, en ce jour des plus merveilleux, je présente les deux parties destinées à être réunies par les liens immuables de frère et sœur. En tant que frère aîné, le huitième souverain patriarche du Clan du Loup, le Seigneur Yuuto. Et en tant que jeune sœur, la souveraine matriarche du Clan de la Corne, Lady Linéa. Et grâce à l’autorité de ce Calice, le Clan du Loup et le Clan de la Corne seront liés comme des clans apparentés à partir de maintenant. »
Enchaînant encore et encore sur des choses totalement inutiles, Alexis avait finalement atteint la raison pour laquelle tout le monde était réuni ici. Yuuto ne pouvait s’empêcher de se souvenir des discours de son directeur pendant les assemblées du matin à son école. Alors même que c’était une tradition et une partie du rituel social, il ne pouvait s’éviter de devoir combattre l’envie de bâiller.
À ce propos, Yggdrasil n’avait aucun concept de noms de famille. Si l’on avait besoin d’une telle chose, ils utilisaient habituellement leur clan désigné en tant que tel. C’était ce que signifiait être un clan : ceux qui portaient le même Lignage, une famille.
« Vous serez ainsi unis... Une famille. Alors que je sais que c’est inutile, mais je vais vérifier une fois de plus le vin sacré. »
Le goði Alexis avait soulevé le pichet d’argent et l’avait fait pencher afin de faire couler le liquide par le bec verseur présent. Il sépara le flux d’alcool avec sa main pour en mettre dans les deux Calices posés sur l’autel. Une vingtaine de personnes se tenait de chaque côté du goði. Ils étaient presque tous membres du Clan du Loup, mais environ cinq membres du Clan de la Corne demeuraient également dans la pièce. Comme nous nous trouvions au cours d’une cérémonie sacrée, aucun d’eux ne créait le moindre bruit. Seul le son du liquide avait fait un étrange écho dans la pièce.
Après avoir rempli les deux Calices, Alexis en avait pris un et en avait pris une gorgée. Il le goûtait afin de tester la présence d’un poison. C’était nécessaire, car après tout, ces calices liaient les intérêts de deux pays. Alors que c’était un événement rare, le rang du goði nécessitait qu’il risque sa vie.
« En effet, c’est une fine liqueur, » dit-il. « Maintenant, Seigneur Yuuto, vous serez le frère aîné. »
Alexis reposa sur l’autel le Calice qu’il avait testé, puis se tourna de nouveau vers Yuuto et l’appela. La tension, qui avait été jusqu’à présent inconfortable, avait encore largement augmenté en intensité.
Yuuto déglutit, trouvant difficile de faire face à l’atmosphère solennelle de la cérémonie. Cela rendait sa respiration difficile. Il pouvait sentir les yeux de toutes les personnes présentes dans le hall cérémonial pointés sur lui.
« Oui, » Yuuto bomba sa poitrine puis il répondit avec une voix rauque et feutrée. Il avait essayé de maintenir autant que possible un air empli de dignité, afin de ne pas faire honte au Clan du Loup.
« En partageant le Calice avec elle, vous avez l’intention de faire d’elle votre petite sœur, » entonna Alexis. « Si c’est vraiment votre volonté de veiller les uns sur les autres dans les moments de santé comme dans les moments de maladie, dans les moments de joie comme dans les moments de tristesse, dans les moments de richesse comme dans les moments de pauvreté, alors, s’il vous plaît, buvez promptement de ce Calice. Vous pouvez procéder ! »
Yuuto fronça les sourcils face aux paroles de l’homme. Bien que ce soit normal, le discours accepté pour le Calice afin de cimenter les liens entre frères et sœurs semblait pour Yuuto aux vœux du mariage. Il n’avait encore que seize ans, et avait déjà une certaine fille dans son cœur.
Bien sûr, il comprenait qu’ils faisaient seulement le vœu d’être frères et sœurs par l’intermédiaire du Calice, mais Yuuto ne pouvait toujours pas faire disparaître l’aversion psychologique qu’il ressentait.
« Eh bien, rien ne vaut le moment présent, » murmura-t-il.
Yuuto était celui qui avait dit qu’il voulait qu’un tel état de fait se produise, et ses paroles, une fois prononcées de vive voix, ne pouvaient plus être reprises. Après s’être armé de courage, il tendit la main vers le Calice de cuivre elfique qui se situait juste en face de lui (différent de celui du goði). Le Calice lierait deux clans par l’intermédiaire de leurs souverains. Si le Calice que le Clan du Loup avait préparé était trop minable, cela refléterait négativement le clan. Et pour le Clan de la Corne, qui avait tout perdu, cela refléterait le fait que le Clan du Loup pensait encore moins à eux. Le cuivre elfique avait le même poids que l’or et avait sa propre valeur intrinsèque. Ainsi, le fait que le Clan du Loup ait choisi un tel métal était un signe de très grand respect envers le Clan de la Corne.
« Voici, » il avala une partie du contenu du Calice en une seule fois. Une sensation d’une intense brûlure emplissait sa bouche et l’avaler lui causait des brûlures à l’estomac et à sa gorge.
Honnêtement, c’était désagréable au-delà de l’imagination. Sa tête avait même commencé à être brumeuse.
Pourquoi les adultes boivent-ils ces trucs ? se demandait Yuuto, mystifié. Il avait bu ce qu’il estimait être le montant requis, puis avait présenté à Linéa le Calice.
« Et maintenant, Lady Linéa, nous vous posons la même question..., » déclara le goði.
« ... D’accord, » murmura-t-elle.
« Au moment où vous aurez bu de ce Calice, vous deviendrez la subordonnée du Seigneur Yuuto. À partir de ce moment, vous devez servir loyalement votre frère aîné et son clan sans faillir. Si vous vous êtes vraiment préparée pour ce vœu, démontrez votre résolution en buvant le contenu restant de ce Calice et en laissant cette résolution prospérer pour toujours en vous, » déclara le goði.
Linéa plissa les yeux face au Calice.
Et elle avait simplement continué à le regarder, encore et encore.
Alors que la peur qu’elle pourrait effectivement reculer face au fait de devenir sa petite sœur subalterne avait saisi Yuuto, Linéa avait violemment empoigné le Calice et en avait avalé son contenu en une gorgée.
Il n’y avait pas de cérémonial ni de dignité dans ses mouvements. Il s’agissait d’un petit acte de rébellion de sa part.
« Ouff ! » Linéa essuya le Calice maintenant vide avec un mouchoir se trouvant avant ça dans sa poche, puis, à l’aide de ses deux mains, elle le leva à mi-chemin avant de le retourner et de déclarer. « S’il vous plaît, prenez soin de moi pour toute l’éternité... Grand Frère. »
Sa voix était si faible et si pleine d’amertume qu’il était difficile de savoir qu’elle lui demandait de faire quelque chose pour elle.
Plusieurs membres du Clan de la Corne étaient présents. Bien qu’ils n’aient peut-être pas été d’accord avec l’idée du Calice, il devait y avoir quelque chose qui les avait fait accepter ça.
Dans tous les cas... la Cérémonie du Calice s’était terminée sans incident.
Le différend de longue date entre le Clan du Loup et le Clan de la Corne avait enfin pris fin. Pour une relation qui avait été comme l’huile et l’eau pendant si longtemps, ils pouvaient maintenant recommencer comme des clans apparentés. Grâce au Calice, ils pourraient au moins pour l’instant célébrer des jours paisibles sans guerre. La mission que devait accomplir Yuuto en tant que leur souverain était finalement accompli. Il pouvait dorénavant se concentrer sur son retour à la maison sans se sentir coupable.
Yuuto avait réfléchi tranquillement à la situation, ressentant un sentiment de soulagement.