Chapitre 6 : La bataille de Leen
Partie 1
Les forces du Royaume de Maluk s’étaient rassemblées dans la ville de Leen. En raison de l’armée qui y était en garnison, la ville était en proie au chaos. Les officiers de haut rang avaient sécurisé les auberges, rassemblé des provisions et s’étaient empressés d’entrer et de sortir des magasins, s’assurant que l’armée ne manquerait de rien.
« Que penses-tu de cette guerre ? » demanda Gran Ginzbel à son collègue alors qu’ils prenaient un verre à la taverne.
Gran était le commandant du troisième bataillon du premier régiment, tandis que son compagnon dirigeait le premier bataillon.
Gran était un homme d’une trentaine d’années, ce qui le rendait un peu vieux pour servir comme commandant d’un bataillon dans ce monde. Mais il avait toujours fait ses preuves à l’entraînement. La raison de sa promotion tardive était probablement due à sa tendance à parler trop franchement et trop souvent. Il avait laissé sa femme de cinq ans plus jeune et son adorable fille de trois ans dans la capitale pour venir à Leen.
« C’est une drôle de guerre, si du moins cela en est une », répondit l’autre homme avec une expression aigre.
« Difficile de croire que les elfes aient anéanti les Chevaliers de Saint-Augustin. Sais-tu que leur capitaine était capable d’invoquer l’ange ? Comment un groupe de longues oreilles armé de couteau a-t-il pu tenir tête aux plus forts chevaliers du royaume et à un ange ? »
Les Chevaliers de Saint-Augustin étaient célèbres pour leur puissance martiale. Lorsque les pays du sud avaient envahi avec une armée de 30 000 hommes, les chevaliers les avaient arrêtés par centaines et les avaient repoussés jusqu’à la rivière Themel. Les enfants de Maluk se délectaient des récits de ces chevaliers et de leurs actes d’héroïsme.
« Tu penses donc que les elfes leur ont tendu une embuscade ? », demanda Mamie.
« Non, les supérieurs pensent que Nyrnal pourrait avoir une force avancée cachée dans la forêt. La forêt des elfes leur donnerait après tout un moyen d’entrer dans notre territoire sans traverser la Themel. »
L’autre commandant mouilla son doigt avec du vin, puis l’utilisa pour dessiner une carte grossière du continent sur leur table. Avec la forêt des elfes au centre, il montrait comment les forces de l’Empire pouvaient entrer dans le territoire de Maluk sans passer par la rivière.
« L’armée impériale de Nyrnal, hein ? J’ai entendu dire qu’ils sont tous assez forts. Ils ont après tout unifié les cinq pays du sud en un seul empire en seulement quatre ans. Ils ont vraiment l’air plus effrayants que les elfes. »
« Je ferais aussi attention aux elfes. Ce sont des bâtards rusés qui aiment tendre des pièges pour attraper les humains. Et une fois qu’ils ont attrapé quelqu’un, ils lui coupent les oreilles et le nez, lui arrachent les yeux, lui arrachent la peau et le mangent. Se faire attraper par les elfes est la seule façon dont je ne voudrais jamais mourir. »
Presque toutes les rumeurs concernant les elfes étaient composées de ce genre de comte cruel. Personne n’avait évidemment cherché à confirmer leur validité. Peu d’humains étaient entrés en contact avec les elfes, mais ils avaient quand même répandu ces rumeurs, car ils avaient senti que les elfes s’étaient détournés du Dieu de la Lumière, choisissant plutôt d’adorer les dieux de la forêt. C’est pourquoi les gens étaient prêts à croire que les elfes étaient capables de faire à peu près n’importe quoi de ce genre.
Chaque fois que des enfants disparaissaient près de la forêt, les elfes étaient les premiers à être suspectés. Pas les loups, pas les ours, mais les elfes. Et chaque fois, le Royaume envoyait une force pour les supprimer, en brûlant un village en représailles. Les elfes se cachaient alors plus profondément dans la forêt par peur, rendant le contact avec eux encore plus difficile et les rumeurs encore plus scandaleuses.
Les elfes mangeaient les humains. Les elfes sacrifiaient de jeunes filles vierges qu’ils avaient volées à leurs dieux. Les elfes étaient des réincarnations de criminels. Il y avait plus de rumeurs haineuses et superstitieuses sur les elfes qu’on ne pouvait en compter.
« Mais nous sommes sous les ordres du général Tchernov, hein ? J’ai un peu peur qu’il nous fasse faire quelque chose d’inutile. La rumeur dit qu’il est très désireux d’être promu maréchal, alors il pousse ses hommes à fond. Certains l’appellent même “Tchernov le meurtrier.” »
« Ah oui ? Je l’ai toujours pris pour un type calme et posé. Il sait toujours comment être prévenant envers ses hommes. »
Le fait qu’ils n’aient pas eu à camper dehors et qu’ils aient pu dormir dans des lits chauds était dû au travail acharné et à la perspicacité de Tchernov et de son personnel militaire. Les soldats de base devaient bien sûr camper dans des tentes, mais les officiers eux-mêmes passaient leurs nuits dans des auberges et des établissements confortables.
On pouvait en dire autant de leurs repas. Grâce aux efforts des officiers d’approvisionnement, ils pouvaient manger de la viande et des légumes frais. Les soldats étaient reconnaissants de ne pas avoir à subsister avec le pain dur et le sachet de viande séchée qu’ils avaient l’habitude de manger sur le champ de bataille.
« Mais quand même, ne pas savoir à qui on a affaire est sinistre. On aimerait bien savoir si ce sont les elfes ou les hommes de Nyrnal qui ont anéanti les Chevaliers de Saint-Augustin. »
« Effectivement. Après tout, connaître notre ennemi changerait la façon dont nous les combattons. Si c’est Nyrnal, nous devrons compter sur les troupes pour les occuper. Si ce sont les elfes, nous devrons éviter les pièges et les écraser avec une grande force. », dit Gran tout en hochant la tête.
« J’espère personnellement que ce sont les elfes. »
« Au pire, ils pourraient avoir uni leurs forces et nous devrons affronter les deux factions. »
Les deux continuèrent à bavarder, leurs lèvres se déliant sous l’effet du vin doux.
« Dans ce cas, prions Dieu que ce ne soit pas le cas. Que le Dieu de la Lumière nous accorde sa protection ! », cria le commandant du premier bataillon tout en ramassant son verre d’un geste maladroit.
« Tu as raison. »
Gran sourit amèrement et leva son verre.
« Que le Dieu de la Lumière nous accorde sa protection ! »
Gran ne croyait pas tant que ça au pouvoir de Dieu. Il n’avait jamais vu les anges, et il avait grandi dans un village si pauvre que si même Dieu existait, il l’avait certainement abandonné. Il n’était pas convaincu que le Dieu de la Lumière viendrait vers eux dans le pire des cas.
Pourtant, même lui, il se sentait poussé à prier Dieu cette fois-ci. Et désespérément, à ce moment-là.
☆☆☆**
La cloche sonna à trois heures du matin, avant que l’aube ne se lève.
« Qu’est-ce que c’est ? »
Le général Tchernov, chef de toute la garnison orientale, s’était levé de son lit et consulta ses officiers d’état-major pour se faire une idée de la situation.
« Bon, eh bien, l’alarme a été déclenchée parce qu’une des portes de Leen est attaquée. Les combats se poursuivent, la milice de la ville engage le combat avec l’ennemi. »
« Les portes sont attaquées !? Pourquoi laisser ça à la milice de la ville ? ! Si un centre économique comme Leen venait à tomber, cela pourrait être un coup fatal pour le Royaume ! Envoyez immédiatement nos forces et repoussons l’assaut ! »
« O-Oui, monsieur ! »
Sur ordre du général Tchernov, les officiers s’élancèrent.
La porte en question était à l’est. Le premier bataillon avait été rapidement déployé à la rencontre de l’ennemi, celui-là même qui était dirigé par l’ami de Gran de la taverne. Son unité avait été la première à atteindre la porte de l’est.
Cependant…
« Mais qu’est-ce que c’est que ça ? »
Le sol près de la porte était devenu un grand trou béant. Et de l’intérieur de ce trou, des crocs aiguisés faisaient tomber la milice qui se battait désespérément pour protéger leur ville et les entraînaient dans la terre. Les miliciens essayaient frénétiquement de résister, tirant avec leurs arbalètes et leurs arcs longs, mais les monstres qui se cachaient dans le trou échappaient rapidement à leurs projectiles.
Le commandant du premier bataillon ne pouvait pas croire ce qu’il voyait. C’était comme s’ils avaient foncé tête baissée dans un cauchemar.
« Hé, vous là ! Si vous restez là, ils vont vous arracher la tête ! Montez à la porte ou grimpez sur un bâtiment, dépêchez-vous ! », cria un homme qui semblait être le chef de la milice.
« Vous avez entendu l’homme ! Montez, montez, je vous dis ! Au pas de course ! »
Le commandant du premier bataillon avait commencé à lancer des ordres à ses hommes, mais il était arrivé un instant trop tard.
Des crocs sortirent du sol, s’enfoncèrent dans ses hommes et les tirèrent dans les profondeurs. Même les sons de leurs cris étaient précipités vers le bas avec une force implacable.
Les autres soldats ne pouvaient que crier de terreur alors qu’ils se recroquevillaient sur place. Même s’ils avaient vu que rester sur le sol était dangereux, leur peur étouffait leur jugement, les forçant à agir de façon irrationnelle.
Les humains avaient si souvent souffert de cette affliction. Aussi illogique soit-elle, leurs instincts primaires allaient dominer leur comportement. Alors même que la peur leur remplissait les veines d’adrénaline, certains soldats devenaient complètement incapables de bouger.
« Dépêchez-vous, allez ! À ce rythme, on va nous prendre comme des mouches ! », s’écria le commandant.
Quelques braves soldats, qui avaient réussi à réprimer leur terreur, s’étaient empressés de grimper sur les murs et les bâtiments voisins. Le commandant s’était alors précipité vers les murs, grimpant jusqu’à la porte afin de mieux comprendre leur situation.
« Que se passe-t-il !? », demanda-t-il.
« Ces monstres nous attaquent depuis le sol depuis un moment déjà ! Nous ne pouvons rien faire ! », répondit le capitaine de la milice.
« Alors ces bêtes sont nos ennemis ? »
Le capitaine avait un très mauvais pressentiment. Les monstres qui attaquaient sous ses pieds étaient assez effrayants, mais son intuition lui disait qu’il devait y avoir une autre menace en jeu ici.
« Oh, mon Dieu ! D’autres monstres arrivent ! Un… Un essaim de monstres s’approche des portes ! Ils sont si nombreux que je ne peux pas tous les compter ! »
Les tripes du commandant avaient raison. Alors que la milice et le premier bataillon étaient pris en embuscade depuis le sous-sol, une importante force de monstres approchait depuis l’est. Ils ressemblaient à un croisement entre une araignée, un scorpion et une fourmi. Mais quoiqu’ils soient, ils marchaient en foule vers la porte de l’est.
Ils couvraient la terre et avançaient en colonnes organisées. Il n’y avait aucune force militaire autour d’eux capable de soumettre autant de troupes ennemies. Les 15 000 hommes envoyés par le royaume de Maluk ne seraient pas suffisants pour repousser ce raz-de-marée monstrueux. Une fois que le commandant s’en était rendu compte, il avait été tellement secoué par la peur qu’il avait brièvement oublié tout le reste.
« Les monstres détruisent la porte ! »
Les monstres des souterrains s’étaient regroupés devant la porte et l’attaquaient maintenant. Ils ressemblaient eux aussi à un croisement de plusieurs insectes réunis en un seul, sauf que chacun de leurs crocs avait la longueur d’un bras humain. Ils utilisaient ces crocs massifs pour mordre les composants de la porte, les usant progressivement.
« Archers, préparez vos arcs ! Ne les laissez pas passer ! », criait le commandant.
À son ordre, des flèches furent tirées sur les monstres, mais leur armure noire brillante déviait la plupart des flèches. Les flèches qui s’enfonçaient dans leurs articulations ou dans leurs yeux composés semblaient cependant avoir un effet… Les monstres blessés devinrent fous.
Toute bête blessée par une flèche se mettait à se débattre sur place, mettant en lambeaux les malchanceux qui se trouvaient à proximité. Ils enfonçaient même les murs avec leur corps, l’impact envoyant les soldats tomber dans les crocs frénétiques en dessous.
« Arrêtez ! Ne tirez pas ! Vous allez faire tuer les hommes là-haut ! »
« Mais, monsieur, il y a une grande armée d’insectes qui marche sur nous ! »
Non seulement des insectes géants détruisaient les portes, mais une immense force d’insectes s’approchait au loin. Le bruissement d’innombrables pas instables résonnait de façon inquiétante dans les oreilles des soldats et faisait gronder la terre sous leurs pieds.
La situation était désespérée.
« Ils ont détruit la porte ! », s’écria quelqu’un.
« Merde, merde, merde ! Qu’est-ce que c’est que ces trucs !? »
Finalement, les dernières planches avaient été cassées, et la porte s’était ouverte.
« Ces monstres auraient-ils pu tuer les Chevaliers de Saint-Augustin ? »
« Ils viennent de la forêt. Nous ne pouvons pas les arrêter. Ce doit vraiment être eux… »
Le moral des soldats s’était effondré et leurs mains avaient cessé de bouger, sauf pour trembler de peur.
« Eh bien, continuez à leur tirer dessus, à moins que vous ne vouliez finir dans leur ventre ! Tirez, je vous dis ! »
Seul le commandant du premier bataillon s’était battu pour maintenir le moral de ses hommes et poursuivre l’offensive. Cependant, l’armée de monstres avait impitoyablement fait irruption par la porte brisée et commença à escalader les murs. Les soldats furent dévorés, les uns après les autres. Non… Pas dévoré. Ils avaient simplement été déchiquetés, comme si les monstres étaient des enfants qui se battaient pour un jouet.
« Monstres maudits ! Sales monstres ! »
Le commandant brandissait son épée, essayant désespérément d’assommer les créatures… mais tout cela fut vain.
Avant qu’il ne s’en rende compte, ses subordonnés avaient tous été anéantis, et il était entouré de six des insectes géants.
« Ahaha... hahaha... »
Il lâcha son épée, alors que son expression était teintée de désespoir. En quelques secondes, il avait été découpé en morceaux.
Maintenant que l’ennemi avait percé les défenses de Leen, rien ne pouvait les empêcher d’envahir la ville.
merci pour le chapitre
super novel.
Les rumeurs sur les elfes ne sont rien par rapport à la réalité qu’ils affrontent 😈