Chapitre 11 : Altération
Partie 1
« Le Royaume de Maluk a été réduit à l’état de ruines », avais-je déclaré aux habitants de Baumfetter.
Les cicatrices de l’attaque des chevaliers sur leur village étaient encore visibles partout. Je me tenais dans la zone de rassemblement du village, qui se trouvait à proximité des tombes des soldats tombés au combat, récemment érigées. Pour compléter ma déclaration, j’avais présenté les nobles que j’avais faits prisonniers.
« N’est-ce pas la princesse Elizabeta ? »
« Avez-vous vraiment détruit le royaume de Maluk ? »
Les elfes regardaient les prisonniers avec incrédulité. Leur scepticisme ne me surprenait pas. D’après ce que je pouvais voir, le royaume les persécutait depuis longtemps. Mais avec la réalité sous les yeux, les elfes devaient comprendre que le royaume de Maluk était maintenant détruit et que l’Arachnée était terriblement puissante.
« Je le répète : il ne reste plus que des ruines dans le Royaume de Maluk, il n’y a plus personne pour vous menacer maintenant. De plus, l’Arachnée contrôle les anciennes terres du royaume. Mais ne vous inquiétez pas, nous avons l’intention de vous permettre de vivre librement dans cette forêt. Ce sera votre propre territoire autonome, et vous serez libre de le gouverner comme vous le souhaitez. Mais nous devrons superviser votre diplomatie. »
« Nous vous sommes très reconnaissants, mais êtes-vous sûr que tout ceci est bon ? », demanda l’ancien du village.
« Bien sûr, ça ne me dérange pas. Nous devrons maintenir une armée stationnée ici, et nous aurons le contrôle absolu sur votre armée. D’après ce que j’ai vu, la région autour de cette forêt est un carrefour, avec le duché de Schtraut au nord, la Papauté de Frantz à l’est, et l’empire de Nyrnal au sud. Si quelqu’un tente de mener une action militaire contre vous ou l’Arachnée, cet endroit deviendra un champ de bataille. »
« Un champ de bataille !? »
Les elfes étaient une race si complaisante. Un bon regard sur la carte aurait montré clairement que cette zone se trouvait au milieu d’une intersection entre les quatre plus grands pays du continent.
Il était vrai qu’aucune route ne passait par ici, et qu’il n’y avait pas non plus de champs. Ce monde dépendait des pieds et des chariots pour transporter les marchandises, donc maintenir la ligne de ravitaillement d’une armée serait difficile… mais pas impossible. D’innombrables victoires inattendues m’avaient appris que tout défi pouvait être surmonté avec suffisamment de motivation.
« Ne vous en faites pas. Vous êtes sous la protection de l’Arachnée. Nous nous débarrasserons de tout pays qui tentera de vous nuire. Ou préférez-vous plutôt être sous la protection d’un autre pays ? »
« Non, pas du tout ! C’est seulement grâce à vous que nous sommes en sécurité maintenant… et que les êtres chers que nous avons perdus ont été vengés. Nous avons de la chance d’être sous votre protection. »
Naturellement, pensais-je. D’après ce que j’avais trouvé, toutes les nations les plus puissantes de ce continent adoraient le Dieu de la Lumière. Des fanatiques monothéistes grossiers, tous autant qu’ils sont. Les elfes voulaient pratiquer leur propre religion en paix, mais ces pays avaient essayé de les forcer à l’abandonner pour adorer à la place le Dieu de la Lumière.
Mais maintenant qu’ils étaient sous notre protection, ils n’avaient plus à s’inquiéter de cela. Au moins, je n’avais pas l’intention d’empiéter sur les croyances des elfes. Les dieux n’existaient pas de toute façon, ils pouvaient donc croire ce qu’ils voulaient.
S’il y avait des dieux, ils auraient entendu les prières de Lysa et sauvé Linnet, et ils m’auraient punie pour avoir tué tant de gens. Je le savais parce que j’avais fait l’expérience des croyances modernes dans mon propre monde. Mais aucune de ces choses n’avait eu lieu. Selon le mythe et la légende, les dieux aimaient forcer les mortels à participer à toutes sortes d’épreuves. Ils mettaient les gens à l’épreuve pour voir s’ils pouvaient prouver qu’ils étaient purs et nobles.
À cet égard, j’étais un échec complet et total. Je n’avais aucun moyen de savoir s’il y avait un dieu, mais s’il y en avait un, je ne doutais pas qu’il ou elle me haïssait. Je serais sans doute jetée en enfer pour mes actes, et je n’aurais pas d’autre choix que d’obéir. Oui, si Dieu était réel, j’étais destinée à l’au-delà.
« J’espère donc que nous continuerons à être en bons termes à l’avenir. En fait, j’ai le contrat juste ici. »
J’avais étalé sur la table un document diplomatique détaillant nos relations.
« Ce document stipule que tant que vous restez sous la protection de l’Arachnée, vous conservez votre autonomie dans la forêt. Un de vos représentants pourrait-il le signer ? »
S’ils signaient, les elfes bénéficieraient de notre protection, auraient le droit de s’autoadministrer dans la forêt et maintiendraient des relations diplomatiques avec nous. Je ne savais pas comment écrire dans la langue de ce monde, alors j’avais demandé à Elizabeta de l’écrire pour moi.
À un moment donné, il faudrait que j’apprenne à lire et à écrire. Fort heureusement, la conscience collective de l’Essaim avait rendu l’étude beaucoup plus facile. Si l’un d’entre eux apprenait un peu de grammaire, cela se transmettait aux autres, leur permettant de l’apprendre aussi. En ce qui concernait le vocabulaire, si un individu apprenait à séparer les termes en catégories comme le militaire, la cuisine, la météo, etc. les autres l’apprendraient en un rien de temps. Je pourrais utiliser Elizabeta et les autres captifs pour apprendre à écrire.
« Je vais m’en occuper. »
Comme on pouvait s’y attendre, l’ancien s’était désigné lui-même.
« Alors, écrivez votre nom ici, en tant que représentant de Baumfetter. »
« Ici, très bien ? »
L’ancien avait délicatement écrit son nom, mais je ne pouvais pas non plus lire la langue des elfes.
Honnêtement, il aurait pu écrire « nigaud » à la place que je n’aurais pas pu faire la différence. Malgré cela, j’avais choisi de lui faire confiance. Les elfes avaient été témoins de la puissance écrasante de l’Arachnée, et ils savaient qu’ils ne gagneraient pas grand-chose en s’opposant à nous. S’ils ne s’en rendaient pas compte maintenant, nous n’aurions plus qu’à faire valoir notre point de vue plus tard.
« Alors je vais mettre mon nom ici… »
Mais au moment où les mots quittèrent mes lèvres, un choc m’avait envahie.
Quel était mon nom ?
J’avais bien un nom quand je vivais au Japon, mais là, je ne m’en souvenais pas. J’étais en train de faire un vide sur cette partie essentielle de mon identité. Mon nom avait complètement disparu de ma mémoire, comme s’il n’avait jamais existé.
« Y a-t-il un problème ? »
Moi, en revanche, j’étais sur le point de vomir. Ma conscience avait-elle été complètement consumée par l’Essaim, me conduisant à m’oublier ? C’était certainement possible.
« Votre Majesté… ? », demanda Sérignan avec inquiétude.
C’est vrai, Sérignan a un nom, et elle est connectée à la conscience collective tout comme moi… je devais donc en parler.
« Sérignan », avais-je chuchoté.
« Qu’y a-t-il, Votre Majesté ? »
« Sérignan… donne-moi un nom. »
Je m’accrochais à elle pour la soutenir.
« N’importe quoi fera l’affaire. J’ai besoin d’un nom. »
« Un nom ? »
Sérignan fronçait son front.
« Comme Grevillea ? »
« “Grevillea” ? Qu’est-ce que ça veut dire ? »
« C’est le nom d’une plante, aussi appelée fleur d’araignée. »
C’était le nom d’une fleur de ce monde… et d’une fleur qui convenait au chef de l’Essaim.
« Très bien. Merci, Sérignan. À partir d’aujourd’hui, je m’appelle Grevillea. Grevillea, reine de l’Arachnée. »
Ayant gagné un nom, j’avais eu l’impression de m’éloigner un peu plus de la conscience collective. Je ne savais pas si c’était pour le meilleur ou pour le pire, mais j’étais soulagée de pouvoir affirmer mon individualité. Cela signifiait que j’étais toujours distincte des Essaims sans nom.
« Je vais donc signer. »
J’avais écrit mon nom et mon titre sur le document.
« Avec ceci, nous avons scellé notre accord. J’espère que nos bonnes relations se prolongeront loin dans le futur. »
Et c’était ainsi que les elfes de la forêt entrèrent officiellement sous la protection de l’Arachnée. Certains d’entre eux étaient opposés à cette décision, mais en apprenant que nous avions vaincu le royaume de Maluk, et qu’ils étaient désormais menacés par les nations les plus puissantes du continent, ils avaient rapidement changé d’avis.
merci
Merci pour le travail.