Chapitre 40
Comme on pouvait s’y attendre, sortir du territoire inexploré des monstres n’était pas une tâche facile, pas même pour Kurats.
S’il n’avait pas utilisé des sorts d’investigation pour connaître sa localisation ainsi que la direction qu’il prenait, il serait toujours dans la forêt, perdu comme un enfant.
Bien qu’il ait essayé d’expérimenter divers sorts en cours de route, cela n’avait servi qu’à confirmer une fois de plus à quel point il était maladroit.
{Ne peux-tu pas un peu plus contrôler ton sort !? Tu vas entraîner tous tes alliés dans ton attaque si tu l’utilises dans une bataille !}
« Je l’ai contrôlé autant que j’ai pu... »
La magie anti-militaire de Kurats était si puissante qu’il s’était lui-même blessé. D’autre part, ses autres sorts, plus faibles, étaient beaucoup plus lents et beaucoup moins efficaces que ses coups de poing. Ses sorts étaient donc tous dans les extrêmes, ce qui faisait qu’aucun de ces sorts n’était bon.
La seule chose qu’il avait gagnée en traversant ce territoire rempli de monstres était un peu d’expérience dans l’utilisation de la magie.
{Comment en est-on arrivé là ?}
Bernst regardait la pénombre du crépuscule, avec des yeux qui scrutaient l’horizon. Et qui pourrait lui en vouloir ? Un alter ego qui partageait ses propres gènes était devenu un crétin.
En tout cas, après avoir abattu un essaim de monstres et causé une catastrophe naturelle, Kurats était arrivé en Lapland.
Bolthorn regarda avec méfiance le géant devant lui.
Il était clair que son splendide corps avait été forgé pour le combat. C’était un sublime mélange de grande endurance et d’agilité.
Et pourtant, l’homme portait une tenue typique des mages.
Mise à part sa robe, il n’avait aucun équipement. Il n’avait ni armure ni épée, et pas même un couteau.
Bolthorn n’avait aucune idée de la raison pour laquelle une personne viendrait dans cet endroit si mal préparé.
« Qui es-tu ? Et pourquoi diable es-tu ici ? »
Bolthorn regarda Tulle pour voir s’il se souvenait d’avoir vu cet homme, mais Tulle ne fit que secouer la tête en réponse.
Cela signifiait que ce n’était sûrement pas un noble de Lapland.
Et bien que Bolthorn se préoccupait de l’identité de cet homme, ce qui l’inquiétait le plus était de savoir s’il y avait d’autres personnes qui connaissaient l’existence de cette route secondaire.
Selon la réponse, cela pourrait signifier qu’il y avait une chance qu’il soit victime d’une embuscade à la fin du chemin.
Si ses troupes devaient faire face à une attaque-surprise sur une route aussi étroite et rectiligne, elles seraient toutes anéanties, quel que soit le nombre de leurs ennemis.
{Je n’y avais pas pensé, mais est-il possible que Tulle n’ait pas trahi son peuple et qu’il nous ai mené dans un piège ?}
Maintenant que Bolthorn avait commencé à avoir des doutes, toutes les actions que Tulle avait faites jusqu’ici commençaient à lui sembler étranges.
Par exemple, pourquoi le duc d’un pays trahirait-il si facilement ses alliés ?
N’était-il pas possible qu’il se sacrifie pour sauver Lapland ?
Mais la vérité était que Bolthorn surestimait complètement Tulle.
Ne sachant pas qu’il était soupçonné, Tulle avait la main sur son épée, prêt à sceller la bouche de Kurats avant qu’il ne puisse parler aux autres de cette route secondaire.
« Hé, toi. Es-tu de l’empire Asgard ? »
« Reste à ta place ! Tu parles à un Duc de Lapland, le duc de Varandi, Tulle ! »
« C’est bizarre, j’étais sûr que les armoiries sur le dos de ces soldats étaient celles de l’empire Asgard, mais... Oooh, tu es un traître, n’est-ce pas ? »
« Comment oses-tu ! »
Les mots de Kurats avaient poignardé Tulle là où ça faisait mal.
Peu importe les excuses qu’il trouvait, il allait être considéré comme un traître à vie.
Tulle n’avait pas osé y penser, mais Kurats l’avait impitoyablement évoqué.
Aveuglé par la colère, Tulle dégaina son épée pour aller lui porter un coup mortel, mais Kurats l’avait saisi facilement et l’avait écrasé avec sa main.
Regardant son épée qui ne s’était pas brisée, mais qui avait été totalement déformée, Tulle recula, terrifié, et avait crié.
« Salaud, es-tu un monstre !? »
Quant à Bolthorn, il ordonna à ses troupes de l’encercler. Il avait bien vu qu’il ne fallait pas se moquer de Kurats, même s’il était seul.
« Ne bouge pas. Si tu fais un mouvement suspect, tu seras empalé sur le champ. »
Pour qui cet homme travaillait-il ?
En supposant qu’il avait été envoyé par un autre pays, alors pourquoi avait-il été envoyé seul ?
S’il était un messager, il aurait dû aller à la capitale royale, Bernholm, et non pas à Crowdagen.
« Garde tes mains ensemble et tourne-toi lentement... Qu’est-ce que tu attends ? Dépêche-toi et fais ce qu’on te dit ! »
« Bon sang, tu penses me retenir ? Toi ? »
« On t’a déjà dit de ne pas bouger, tu l’as bien cherché. »
En réponse au haussement d’épaules exaspéré de Kurats, un soldat prit sa lance et attaqua Kurats au niveau des pieds.
« Ça ne me dérangerait pas de laisser passer ça, mais je ne veux vraiment pas que tu fasses un trou dans ma robe, désolé pour ça. »
Après que Kurats l’eut dit, la lance qui le visait avait été projetée derrière du soldat qui l’avait brandie.
Kurats avait attrapé la lance avant qu’elle ne puisse atteindre ses pieds, puis il utilisa son incroyable force pour la repousser.
Bolthorn perdit temporairement sa voix à la vue de cette scène extraordinaire.
Mais ce n’était pas le moment de capturer et d’interroger l’homme.
Il fallait le tuer le plus vite possible.
« Serrez l’encerclement ! Vous avez le droit de prendre sa vie ! »
Suivant les ordres de Bolthorn, les chevaliers formèrent un cercle étroit autour de Kurats.
Pour empirer les choses, au moment où des chevaliers avec des épées serraient le côté intérieur de l’encerclement, des chevaliers avec des lances avaient pris position sur le côté extérieur. Ils regardaient Kurats comme du bétail que l’on menait à l’abattoir.
Cependant
« Vous êtes complètement dépassés. »
Bolthorn avait dû cligner des yeux plusieurs fois avant de se rendre compte de ce qui venait de se passer.
Tous les soldats à l’intérieur du double encerclement avaient disparu, et il ne restait plus que leurs parties inférieures.
Les demi-corps formèrent une fontaine de sang géante avant de tomber au sol, étalant leurs entrailles tout autour, enveloppant toute la région d’une odeur nauséabonde.
Où étaient leurs parties supérieures ?
Et plus important encore, les forces de Bolthorn suffiraient-elles à vaincre ce monstre ?
Un sentiment d’insécurité que Bolthorn n’avait pas envisagé auparavant avait pris place en lui.
Mais cela n’avait pas duré, car le silence pesant tout autour avait été déchiré par un cri misérable du traître Tulle.
« Iiiiiiiiih !! Quelqu’un ! À l’aide ! »
Le pantalon mouillé par la peur, Tulle s’accrocha à une monture et il s’échappa aussi vite qu’il le put.
Dans un sens, cette action reflétait bien le caractère de Tulle, il était juste lui-même. Malgré cela, son comportement inesthétique restait dégoûtant aux yeux de Bolthorn et des chevaliers qui étaient sous ses ordres.
« Comment pouvons-nous avoir peur de combattre un homme seul dont nous ne connaissons même pas les antécédents !? Nous tiendrons bon jusqu’à la mort ! POUR L’HONNEUR DE L’EMPIRE ASGARD ! »
« OH ! OOOH ! OOOOOOOOOOOOH ! »
Les chevaliers rugissaient comme s’ils étaient possédés par l’esprit combatif de leur commandant.
La sublime démonstration de bravoure de ces hommes était si admirable qu’elle avait même laissé une bonne impression à Kurats.
« Je suis une personne venant d’un pays étranger. Je suis venu ici de mon plein gré. Je me nomme Kurats Hans Almadianos ! »
◆ ◆ ◆
Bolthorn devrait déjà être arrivé sur la route secondaire, pensa Cabernard en regardant les montagnes.
Si les paroles de cet arriviste étaient justes, dans quelques heures les troupes atteindraient Crowdagen par l’arrière.
En guise de camouflage pour l’opération, quelques mages, ceux qui restaient d’abord en réserve pour dissuader les unités de griffons d’attaquer, avaient été envoyés sur la ligne de front, où ils avaient formé un épais barrage de sorts.
Ce genre d’offensive lourde venant des mages signifiait généralement qu’une attaque générale était en prévision
Malgré cela, un commandant aussi compétent que Frigga ne pouvait en aucun cas négliger la défense de la ligne de front.
En fait, elle savait déjà que la bataille atteignait son apogée.
« Marcus, combien avons-nous de soldats en état de se battre ? »
« Si on compte les hommes légèrement blessés, il devrait y en avoir environ 600. »
En quatre jours, environ la moitié des forces de Crowdagen avaient été tuées.
L’armée d’Asgard avait perdu cinq fois plus de personnes, soit plus de 3000 mille hommes. Cependant, en raison des différences de nombre, il était évident que la situation de Crowdagen allait empirer de plus en plus vite.
« On peut encore leur tenir tête, mais probablement qu’une fois de plus. Une fois qu’on aura réussi à les forcer à revenir, j’irai pour une dernière attaque. Profite de l’occasion pour prendre tous les blessés et pour t’échapper. »
« Votre Altesse, vous ne pouvez pas ! Sa Majesté attend toujours votre retour ! »
« Je suis la seule à pouvoir le faire. »
En dehors de Frigga, il n’y avait personne en Lapland qui pouvait gagner du temps contre une armée composée de dizaines de milliers de soldats.
Et Marcus ne faisait pas exception à la règle.
Marcus avait essayé de dire que ce serait lui qui resterait ici, à sa place, mais ses mots étaient coincés dans sa gorge.
Tout ceci parce qu’il avait vu cette expression lumineuse et radieuse que Frigga avait sur son visage, malgré sa rencontre imminente avec la mort.
« Je sais ce qu’on dit des femmes, mais j’adore la guerre. Je m’amuse beaucoup plus que je ne l’aurais cru. Si j’ai un regret, c’est que je n’ai pas pu rencontrer un homme qui puisse me vaincre. »
Frigga disait toujours que l’homme qu’elle épouserait devrait être capable de la battre dans un combat en tête-à-tête.
Il n’y avait pas une personne dans le royaume qui ne connaissait pas le nombre d’homme qui l’avait défiée et qui avait fini couché par terre.
« Je suis sûr qu’un jour vous trouverez un homme plus fort que vous, Votre Altesse. Faites attention à votre vie, s’il vous plaît. »
« Oui, et si les fortunes de la guerre le permettent, on se reverra. »
Ils savaient tous les deux que leurs chances de se revoir étaient proches de zéro.
Cependant, tout guerrier ayant beaucoup d’expérience sur le champ de bataille savait que les miracles existaient.
Et ils étaient sur le point d’en être témoins.
Merci pour le chapitre.
Merci pour le chap ^^