Histoire annexe (2) : Les mémoires d’un vieux général
Table des matières
***
Histoire annexe (2) : Les mémoires d’un vieux général
Partie 1
[38 ans plus tôt dans le royaume d’Albeyater]
***Point de vue de Brekkar***
Le voyage était long et périlleux, mais avec mes conseils et ma protection, nous n’avions rien à craindre ! À la tombée de la nuit, nous atteindrions Drakaria, la merveilleuse capitale de notre royaume Albeyater. Demain allait être un jour glorieux pour notre famille, ma petite-fille, Seryanna, allait passer l’examen de Chevalier Royale et elle allait très certainement réussir !
Pourquoi ? Je serais un Merion desséché si cela ne se produisait pas.
J’avais moi-même formé ma petite-fille et elle avait les compétences et la sagesse nécessaires pour se tenir sur les champs de bataille à mes côtés ! C’était quelque chose dont je me vantais souvent, vers cette vieille queue de lézard, Feryumstark !
« Grand-père ? Pourquoi m’as-tu aussi traînée ? » avait demandé ma troisième petite-fille, Thraherkleyoseya.
Mon fils était sage, mais parfois son sens du nommage donnait l’impression qu’il avait été projeté sur une montagne rocheuse et qu’il n’essayait même pas d’éviter les falaises déchiquetées en descendant.
« Parce que ta grand-mère n’était pas très contente de ta dernière blague. À quoi pensais-tu en catapultant des gardes dans la salle de bain des dames de cette façon ? Les femmes de chambre ont failli avoir une crise cardiaque ! » Je lui avais ébouriffé les cheveux.
« Arrête ça, grand-père ! » se plaignit-elle.
Je souris fièrement.
Cette petite farceuse n’avait jamais été mal intentionnée. Nous savions tout cela…
Malheureusement, elle s’était éveillée comme une dragonne à écailles noires les plus détestées en raison de leur affinité avec les arts noirs. Bien qu’imbattables en tant qu’espions et assassins, leurs compétences n’avaient que peu de valeur en dehors des complots militaires et politiques.
Quand elle était jeune, elle voulait être une marionnettiste de l’ombre, mais après avoir eu le cœur brisé par ce garçon, Iolaus, les choses s’étaient dégradées pour mon petit ange. Pour aggraver les choses, il s'éveilla en tant qu’élément opposé à Thraherkleyoseya avec des écailles blanches. Et si cela ne suffisait pas, ce stupide garçon avait fini par être recruté par le Temple de la Lumière, qui méprisait absolument tous les dragons à écailles noirs.
Même avec ma renommée et ma réputation de général, je ne pouvais rien faire à ce sujet. C’était leur destin, mais si les Dieux le voulaient, je voulais qu’on me donne l’occasion de donner à ce garçon une bonne raclée ! Une qu’il n’oubliera jamais !
En effet, j’étais déterminé à le faire ! Peut-être que la prochaine fois que je le verrai, je le frapperais droit dans le visage, sans poser de question !
« Ma sœur, c’était de ta faute, tu sais ? Mais ne sois pas désespérée, nous allons voir Drakaria ! C’est incroyable ! » déclara Seryanna avec un sourire éclatant.
C’était une fille joyeuse, toujours pleine d’énergie et désireuse d’aider les autres. Si je devais le deviner, alors elle l’avait hérité de sa mère ainsi que sa brillante personnalité, même si, au lieu de devenir une femme raffinée, elle avait emprunté le chemin de la guerre comme son père.
J’avais poussé un soupir et j’avais regardé devant nous dans la grande capitale du royaume d’Albeyater, Drakaria. C’était une ville merveilleuse réputée pour sa résilience au temps et redoutée pour la force de ses gardes. Et là-bas, au cœur de la ville, ma petite-fille allait passer son examen de chevalier royal, puis prêter sa loyauté à la troisième fille de ce vieux lézard.
***
[Deux jours plus tard, après l’examen]
« Je pense qu’elle va devenir une bonne chevalière une fois éveillée, Brekkar, » fit remarquer le vieux lézard.
« Je pense qu’elle est déjà une bonne chevalière ! Ta fille sera entre de bonnes mains, je te le promets ! » répondis-je avec un sourire narquois.
Nous étions tous les deux en train de faire un petit combat. Les étincelles volaient à gauche et à droite lorsque nos épées entraient en collision. Nous n’utilisions pas le Boost ni aucun autre sort d’amélioration corporelle en plus de ceux nécessaires à la défense. Nous avions également promis de ne pas utiliser de sorts pendant le match. Si nous le faisions, nous pourrions accidentellement faire sauter la moitié de Drakaria.
« Toutefois, je me demande… tu ne rouillerais pas un peu, vieux fou ? » déclara le vieux lézard avec un sourire narquois en pointant sa lame sur mon cou.
Le bord tranchant avait été évité d’une épaisseur d’écailles, et je l’avais poussé en avant, en frappant sa poitrine avec mon épaule. Il fut repoussé de deux pas et laissa échapper une toux.
« Non ! Je me sens bien ! Toujours prêt à tirer tes écailles sur le terrain ! Tu es peut-être roi, mon ami, mais ta couronne ne peut pas m'empêcher de te mettre une culottée. ! » déclarai-je avec un large sourire.
« Non-sens ! Ce sera toi qui finiras par manger les pissenlits par la racine ! » Le vieux lézard se vantait en prenant position.
Eh bien, je pourrais l’appeler un vieux lézard, mais il n’avait pas l’air vieux. Le roi du royaume d’Albeyater était au sommet de sa force, comme il l’était il y a des siècles, peut-être même plus fort. Nous l’étions tous les deux, mais dans nos petits combats, nous étions presque égaux… eh bien, en quelque sorte… j’avais l’impression que le vieil imbécile cachait sa vraie force parce qu’il craignait que je cesse de m’entraîner avec lui si j’apprenais qu’il était beaucoup plus fort que moi.
Juste au moment où nous allions à nouveau croiser le fer, un messager était arrivé.
« Mon Roi ! Mon Roi ! Des nouvelles urgentes venant de l’Ouest ! » déclara-t-il avant de s’arrêter au bord du terrain d’entraînement pour reprendre son souffle.
« L’ouest ? Cela vient-il de mon domaine ? » avais-je demandé avec curiosité.
« Oui, Sire Brekkar..., » répondit-il, mais je n’aimais pas son regard.
Alors, il apporte de mauvaises nouvelles, hein ? avais-je pensé, mais je ne pouvais même soupçonner à quel point les nouvelles étaient mauvaises.
« Parle, dragon ! » déclara le roi.
« Oui, Votre Majesté ! » Salua-t-il en se redressant. « Les plaines de Brekkar ont été attaquées par une armée humaine envahissante. Nos éclaireurs ont découvert qu’ils étaient dirigés par un humain supérieur. Les forteresses Sendra, Callus et Thorn sont tombées et l’armée s’installe actuellement sur le territoire. L’attaque a été rapide, pas plus de trois jours. Cela s’est passé il y a un jour..., » il s’arrêta pour il déglutit.
J’avais serré la mâchoire et serré la poignée de l’épée si fort que j’avais l’impression que le métal se déformait sous ma main. Toute ma famille était installée dans ces trois forteresses. Le fils adoptif du roi, Coshun, y était aussi.
S’ils ont déjà été conquis, alors… et eux ? Sont-ils encore en vie ? Je m’étais posé la question, mais je savais que je priai pour rien.
« Pourquoi la nouvelle d’une armée qui nous envahit a-t-elle quatre jours de retard ? » Demanda le roi avec un regard noir.
Les messagers des royaumes dragons étaient des dragons connus pour être parmi les plus rapides en vol. Des plaines de Brekkar à Drakaria, cela n’aurait pas dû prendre plus d’une journée.
« Ils ont tué tous les messagers dès leur départ. Des groupes d’aventuriers cachés dans la forêt les ont abattus. Je devais emprunter la route terrestre jusqu’à ce que je sois assez loin pour me transformer, » répondit-il.
« Une telle chose… comment est-ce possible ? » Demanda le roi avec colère.
J’avais posé ma main sur l’épaule du vieux lézard, puis lui avais dit. « Laisse-moi me venger, » avais-je demandé.
Je n’avais plus besoin de demander. Mon vieil ami se serait probablement envolé sur le champ de bataille, mais compte tenu de la situation, je ne pouvais pas lui permettre de prendre un tel risque. Un roi comme lui pouvait m’aider de nombreuses autres manières sans faire face à la bataille à mes côtés.
Tout de même… comment étais-je censé annoncer la nouvelle à mes petites-filles ?
***
[Quelques heures plus tard]
L’armée de Brekkar, ce qu’il en restait, se rassemblait à la périphérie de Drakaria. Des messagers volaient dans toutes les directions pour informer mes troupes de la bataille à venir. Ils s’étaient tous précipités ici ou s’étaient dirigés vers un endroit où ils pourraient nous rencontrer. J’avais prévu de ne pas perdre la moindre seconde en attendant que l’armée soit complètement mobilisée. D’ailleurs, sur l’ordre du roi, l’autre général m’avait également prêté plusieurs de leurs troupes.
La puissance de combat de mon armée une fois que nous avions atteint les plaines de Brekkar était composée de 27 000 dragons. La moitié de la force originale de l’armée de Brekkar, mais avec moi à l’avant elle était plus forte qu’une armée de 70 000.
« Grand-père… mère… père…, » déclara Seryanna, les larmes aux yeux tout en serrant les poings.
Je laissai échapper un soupir et lui tapotai doucement la tête. « Tu devrais rester ici, jeune fille. Ta bataille n’est pas au combat. En tant que Chevalière Royale, tu as la responsabilité de te tenir aux côtés de ton seigneur et de la protéger de tous ceux qui lui porteront préjudice. Comprends-tu, Sire Seryanna ? » Demandai-je, laissant connaître mes intentions.
L’enfant hocha la tête, mais ses larmes ne s’arrêtaient pas.
En voyant son expression de colère, je m’étais rendu compte à quel point je chérissais son sourire innocent. C’était malheureux qu’elle doive traverser une chose pareille, mais tel était le destin offert par les Dieux… peut-être que le fait que ces deux enfants aient été épargnés était aussi leur volonté ?
Hélas, j’étais assez vieux pour savoir comment cacher ma propre colère…
J’avais fermé les yeux et pensais : Sendra… Je suis désolé de ne pas avoir été à tes côtés. Je prie pour que tu aies échappé aux feux de la guerre et que nous nous rencontrions quelque part en toute sécurité… J’avais ouvert les yeux puis revêtu mon armure de plaques.
Le général Brekkar Draketerus était sur le point de se présenter une nouvelle fois sur le champ de bataille, mais cette fois… le sang des humains recouvrirait le sol de rouge !
***
[Deux jours plus tard, après avoir conquis Thorn]
Les cornes de la victoire avaient sonné sur le champ de bataille, mais j’y étais sourd. Les dragons applaudissaient, car ils avaient gagné et levaient les bras au ciel, comme pour louer les dieux, tandis que les corps des humains jonchaient le sol qui les entourait.
Tous avaient été coupés en deux, déchirés, brûlés et brisés, par des épées, coupés par de la lumière, écrasés par des armes contondantes, ou avec un autre moyen horrible de mourir. J’avais même tenu dans ma main droite l’épine déchirée du général qui avait conquis cette forteresse.
Mon propre corps était trempé dans le sang de mon ennemi. Mon épée avait mis fin à la vie d’innombrables humains, mais je ne ressentais rien pour eux.
Ni la rage, ni la haine, ni la colère n’étaient présentes dans mon cœur.
Il n’y avait rien… ou peut-être était-il préférable de dire que j’étais désespéré au point que mes émotions s’étaient brisées en morceaux et m’empêchaient de ressentir quoi que ce soit.
Comment pourrais-je ? Non, qu’est-ce que j’étais supposé ressentir en regardant les corps de mes enfants et petits-enfants bien-aimés ? Qu’est-ce que j’étais supposé ressentir quand je ne voyais que de… la douleur ?
Des larmes avaient essayé de se former dans les coins de mes yeux, mais rien n’avait coulé sur mes joues. J’avais dégluti, mais je ne pouvais rien sentir dans ma bouche.
Les bâtards… ils les avaient assassinés puis les avaient suspendus aux murs comme des criminels. D’un seul coup d’œil, j’avais pu constater que leur fin n’était pas agréable. Ils avaient souffert. Ils avaient été torturés pour le plaisir… pour le plaisir.
Ces humains… étaient pires que des monstres… pires que des animaux.
C’était la raison pour laquelle nous, l’armée de Brekkar, les avions tous tués de sang-froid. Aucun ne s’en était échappé.
« Étais-je trop en retard ? » avais-je osé demander.
« Non, monsieur Brekkar, ils sont morts depuis presque trois jours maintenant. Ils n’ont jamais eu l’intention de les garder en vie. » Decizor, un honorable commandant, avait répondu en sortant avec une serviette pour que je puisse essuyer le sang de mes ennemis.
Le dragon était en forme hybride, portant ses écailles brunes et me regardant avec ses yeux noirs respectueux.
« Je vois… Des survivants ? » Demandai-je.
« Aucun. » Vint sa réponse.
Le dragon ferma les yeux et baissa la tête. « Mes condoléances, Sire Brekkar, » déclara-t-il.
« Oui..., » avais-je marmonné puis j’avais regardé les corps pendants de mes enfants.
Un père pourrait-il ressentir une douleur plus horrible que celle-ci ?
C’était une question à laquelle je ne souhaitais pas entendre la réponse...
***
Partie 2
[Un jour après la conquête de Callus]
« Deux de tombées, plus qu’une..., » déclarai-je en regardant le commandant humain capturé.
« Vous ne gagnerez pas ! L’humanité n’a pas encore montré sa puissance ! » Le pauvre imbécile me lança un regard noir.
Il parlait dans la langue humaine de son royaume.
« Est-ce vrai ? » avais-je répondu dans la même langue.
Il n’y avait même pas une goutte d’énergie dans le ton de ma voix. C’était comme si je parlai en étant enfermé dans un rêve très ennuyeux.
Je m’étais approché de lui, j’avais saisi son bras gauche et son épaule.
« Qu-qu’est-ce que tu fais ? » demanda-t-il, la peur apparaissant sur son visage.
« Moi ? Rien ? Juste… ça..., » déclarai-je. Puis j’avais arraché brutalement son bras gauche.
J’avais lancé le membre à l’animal de combat appartenant à Decizor tout en ignorant les cris de l’homme. L’animal mangea la chair fraîche en aspergeant de sang. C’était un grand Dayuk de l’élément de glace. Une bête puissante, mais pas facile à apprivoiser.
« Tu es bruyant. » Je lui avais giflé la mâchoire, puis je lui avais donné un coup de poing dans le ventre, le faisant vomir son dernier repas.
« Qu’allons-nous faire de lui ? » demanda le soldat en charge.
« Tuez-le, » répondis-je calmement, puis je me tournai vers le reste des soldats humains capturés.
Ils tremblaient tous et me regardaient avec de la peur dans les yeux.
« C’est l’armée humaine ? Pathétique..., » j’avais parlé dans la langue humaine.
Ils n’avaient montré aucune pitié aux civils, donc je n’avais aucune intention de leur montrer la moindre pitié.
Je pris une profonde inspiration puis lâchai un feu diabolique sur eux. C’était juste un sort moyen Souffle de feu sans chant. N’ayant aucun moyen de se défendre, ils avaient tous pris feu et étaient morts en hurlant de douleur.
J’avais regardé la scène, laissant leurs souffrances étancher la soif de ma vengeance.
***
[Deux heures plus tard]
Decizor marcha rapidement vers moi et m’empêcha d’avancer. La forteresse de Sendra était la suivante.
« Sire Brekkar ! Nous avons trouvé quelque chose ! » déclara-t-il.
« Qu’est-ce que c’est ? » demandai-je.
« Ceci..., » il m’avait montré une lettre inachevée.
Je l’avais pris et fronçai les sourcils. La lettre avait été écrite en langue humaine.
Laquelle est-ce ? Euh... Nocturne ? Non… Démon ? Non… Opharya ? Ah ! La langue du royaume des dix épées ! avais-je pensé après avoir réussi à le comprendre.
Connaître la langue de l’ennemi était une compétence importante que tous les généraux dragons avaient acquise au fil du temps.
« Qu’est-ce que c’est ? Est-ce vrai ? » avais-je demandé en regardant Decizor.
« Oui, Sire Brekkar. » Il acquiesça.
« Alors… cela va attrister Sa Majesté… Renvoyez un message à Drakaria et dites-lui de prendre cette lettre également. Demandez aux hommes de fouiller les champs et de rechercher le corps du prince Coshun, » avais-je ordonné.
« Oui, Sire Brekkar. Mais… Les troupes ne devraient-elles pas se reposer avant d’avancer ? » demanda-t-il.
Je lui lançai un regard noir. Un instant, j’étais sur le point de lui crier dessus avec colère. Seule la vue des soldats fatigués adossés au mur, loin derrière lui, m’avait empêché de le faire. C’est alors que j’avais réalisé que je les avais fait marcher pendant trois jours d’affilée. S’ils n’étaient pas des dragons, ils seraient certainement déjà morts ou effondrés de fatigue.
Je me perds face à mes propres émotions… Pensai-je en secouant la tête.
Poussant un autre soupir, j’avais appuyé un doigt sur mon front. Même moi j’étais fatigué, mais pas autant qu’eux. Parfois, j’oubliai que les dragons éveillés supérieurs étaient bien plus résistants que les simples éveillés. Il y avait assez d’énergie dans mes vieux os pour vaincre dix autres forteresses !
Eh bien, je me croyais vieux, mais à vrai dire, j’avais plutôt l’air jeune, tout comme ce vieux lézard sur le trône de ce royaume. C’était l’avantage des éveillés supérieurs. Malheureusement, ma chère Sendra n’était qu’une éveillée et le temps l’avait lentement rattrapée. Les rides de la vieillesse et les douleurs dans ses os avaient commencé à apparaître récemment. Eh bien, je l’aimais toujours autant que dans ma jeunesse, alors j’étais aussi en partie responsable de cela.
Je suppose que… Je n’aurai plus jamais la chance de la tenir dans mes bras… Pensai-je et la douleur de la perdre se répandit dans ma poitrine.
***
[Le matin suivant]
Je m’étais réveillé avec des larmes coulant sur mes joues. C’était la première fois que je pleurais depuis avoir entendu parler de l’invasion humaine. Pendant un moment, j’avais souhaité que ce soit un mauvais rêve, mais je n’avais pas de telle chance. L’horrible vérité était devant moi… de ma fenêtre, je pouvais voir les tombes fraîches des victimes, victime de cette invasion. Leurs corps avaient été réduits en cendre pour les empêcher de revenir en tant que morts-vivants, et il ne restait qu’un poteau en bois sur lequel était gravé le nom du défunt, s’ils avaient été identifiés. Ceux qui ne l’avaient pas encore été étaient laissés comme « victime inconnue ».
Bien sûr, j’avais suivi le difficile processus d’identification de toutes les personnes possibles. Amis, famille ou simples connaissances. Tous étaient présents, aucun n’avait survécu.
Un coup à la porte m’avait obligé à arrêter mes larmes et à me redresser. Un tel visage n’était pas celui qu’un général d’une armée était censé avoir.
« Entrez ! » avais-je ordonné.
Decizor était entré et avait salué.
Je me tenais devant la fenêtre.
« Qu’est-ce qu’il y a ? » demandai-je.
« Nous avons trouvé des survivants… mais..., » il s’arrêta et déglutit. « Il y a un humain parmi eux... »
Ses paroles m’avaient fait froncer les sourcils avec confusion.
« Que veux-tu dire par humain ? » demandai-je.
« Vous devriez vous-même parler avec lui, Sire Brekkar. Les dragons prétendent qu’il les a sauvés..., » répondit Decizor.
« Ce n’est pas possible..., » dis-je en secouant la tête. « Où sont-ils ? » demandai-je.
« Dans la caserne. Les soldats les surveillent. Ils ont pu se cacher dans une pièce du sous-sol à l’arrière du bâtiment. L’un de nos soldats les a trouvés par hasard, » répondit-il.
« Je vois..., » je fermai les yeux un instant. « Attends-moi là. Je vais me changer et j'arrive, » lui avais-je dit.
« Oui, Sire Brekkar ! » il salua avant de sortir de ma chambre.
Après son départ, j’avais secoué la tête. Je pouvais deviner que cet humain ne préparait rien de bon. Peut-être était-il l’un des aventuriers qui ont abattu les messagers ? Je n’avais pas encore découvert comment leur groupe avait réussi à s’infiltrer si facilement dans le royaume. J’imaginais qu’ils avaient utilisé une partie plus éloignée du rivage, où peut-être avaient-ils gravi le flanc d’une falaise abrupte ? Si on avait la force et les moyens, ce n’était pas impossible.
Lorsque j’étais arrivé à la caserne, j’avais trouvé l’humain en train de partager sa soupe chaude avec une dragonne. C’était une scène assez étrange, mais une fois que je m’étais présenté, ils avaient arrêté de manger.
Cet humain ne me craint pas ni ne me déteste… Pensai-je en le regardant, puis je retournai mon regard vers la dragonne. Est-elle inquiète… pour sa sécurité ?
Les signes étaient clairement présents, mais cela n’avait aucun sens. Je savais que tous les humains n’étaient pas forcément mauvais, de même que tous les dragons n’étaient pas tous bons, mais… ça… je l’ai trouvé étrange.
« Ils disent que tu as sauvé les dragons ici… Est-ce vrai ? » avais-je demandé en le regardant.
Il déglutit.
Premier signe de peur, avais-je pensé.
« Oui, Sire Brekkar. » Il acquiesça.
« Pourquoi ? »
« Ils sont mes amis et je suis désolé de ne pas avoir pu en sauver plus..., » il inclina la tête.
Non, maintenant il s’est incliné devant moi…
Est-ce qu’il verse des larmes ? Pourquoi ? avais-je pensé.
« Toi. Parle. Est-ce vrai ? » ordonnai-je à la dragonne à côté de lui.
« Oui, mon mari a dit la vérité, mon seigneur, » elle s’inclina aussi devant moi.
Mari ? Quoi ? Mon esprit avait bloqué sur ce mot.
Ce qu’elle m’avait dit m’avait non seulement surpris, mais aussi tous les autres dragons autour de moi. Je ne voyais pas cela comme une trahison, mais plutôt comme un fait impossible. Pourtant, je devais bien admettre que même si j’avais entendu la rumeur lointaine de couples dragon-humain ou dragon-elfe vivant à la périphérie du royaume. En voir un était… inattendu.
« Tu as épousé un humain ? Pourquoi ? » avais-je demandé, confus.
« Par amour, mon seigneur, » déclara-t-elle.
« Tu aimes cet humain ? » avais-je demandé à nouveau.
« Oui, » répondit-elle sans hésiter.
« Je l’aime aussi, c’est pourquoi je n’ai pas hésité à trahir les miens pour elle, » répondit l’humain sans hésiter.
Qu’est-ce que c’est ? Une sorte de blague ? Je voulais demander, mais je gardais ces questions à l’intérieur.
En regardant les survivants, j’avais vu des dragons d’âges variés, hommes et femmes, ainsi que des enfants. C’étaient tous des civils, des dragons ne sachant pas tenir une épée et n’en avait jamais tenu.
Pourtant, comment sont-ils entrés dans la caserne ? Je me demandais.
C’était une question que j’avais posée.
« Mon père est… était un noble qui travaillait pour la forteresse de la famille Draketerus. Quand j’étais jeune, il m’a parlé d’une pièce secrète à l’arrière de la caserne. Lorsque la bataille a commencé, nous nous y sommes réfugiés, alors que les autres groupes de civils s’étaient réfugiés dans la forteresse. » Répondit la dragonne.
« Elle dit la vérité, mon seigneur. » L’un des vieux dragons ici témoigna en sa présence.
Plusieurs autres avaient suivi.
« Je comprends… Et comment n’avez-vous pas été trouvé ? » avais-je demandé.
« Le soldat qui est venu vérifier cet endroit… je l’ai tué puis j’ai porté son armure afin de distraire les autres de la recherche de cet endroit. Quant votre armée est arrivée, je me suis de nouveau réfugié avec ma femme..., » répondit l’humain.
« Où sont l’armure et le corps de l’homme ? » demandai-je.
« L’armure est sur cette table. » Il la pointa du doigt. « Et le corps est dans le tonneau, là-bas. » Il déplaça sa main vers la gauche.
J’avais regardé, puis j’avais fait signe à un de mes soldats de vérifier.
Le dragon s’y dirigea et ouvrit le couvercle. Il grimaça à la puanteur.
« C’est vraiment le corps d’un humain… ça pue, » déclara-t-il.
J’avais hoché la tête.
« Très bien. Tu peux vivre humain, » déclarai-je.
« Merci, mon seigneur ! » Il inclina la tête, pareil pour sa femme.
Un couple dragon-humain… je n’aurais jamais pensé en voir un… J’avais secoué la tête, puis j’étais parti.
Cet événement m’avait fait penser que peut-être… tous les humains ne sont pas mauvais ?
***
Partie 3
[À la fin de la bataille de Sendra]
La forteresse qui portait le nom de ma femme bien-aimée avait également son corps mutilé pendu aux murs du château. Dans ma fureur et ma colère, je n’avais cherché que le désir de trouver et de tuer les responsables. Mon corps brûlait d’énergie alors que je combattais l’humain ayant atteint un éveil supérieur.
Après avoir massacré la moitié de son armée seul, je lui avais finalement fait face et laissé ma puissance se déchaîner sur le champ de bataille brûlée. La bataille était impitoyable et avait pris beaucoup plus de temps que prévu initialement. Le lâche utilisait constamment ses propres hommes pour repousser mes attaques, esquivant chaque fois qu’il en avait l’occasion, reculant plutôt que d’attaquer.
J’étais peut-être trop enragé, mais je me poussais constamment sans me soucier des dommages causés à mon corps. Pour être honnête, je n’étais même pas au courant avant qu’il soit déjà trop tard pour faire quoi que ce soit.
Ainsi, notre bataille avait continué et s’était étendue sur l’ensemble des plaines de Brekkar… eh bien, ce n’était plus qu’un champ de bataille marqué par des blessures. Des corps d’êtres humains et de dragons jonchaient l’endroit, l’herbe était brûlée et je doutais fortement que rien ne pousse ici pendant de nombreuses années.
Ma maison portait maintenant les cicatrices de ma perte et le châtiment de ma colère déchaînée…
À la fin, j’avais gagné… l’éveillé avait été tué… brisé par mes poings.
Finalement, je n’avais pas pu sauver ma famille bien-aimée, mais… j’avais à peine réussi à prendre ma revanche. J’étais en paix, alors je m’étais laissé tomber là… je m’étais évanoui de douleur.
***
[Plusieurs jours plus tard]
Je m’étais réveillé sur un lit à Drakaria. Mon armée avait fini le travail et était revenue victorieuse à la capitale. Plusieurs escouades avaient été laissées pour gérer les vestiges de l’invasion humaine, mais dans l’ensemble, c’était notre victoire.
Il s’était avéré que tous les soldats humains n’étaient pas conformes à la façon dont les royaumes humains avaient agi dans cette bataille. Ils avaient déserté les armées ou eux-mêmes sauvé des dragons. Mes hommes avaient clairement été surpris quand ils les avaient trouvés. Les rapports étaient… difficiles à croire si je n’avais pas rencontré ce couple dragon-humain.
Plus tard dans la journée, après avoir reçu les informations, mes petites-filles étaient venues me rendre visite.
La première que j’avais vue était Seryanna. Elle était en colère et ne souriait plus du tout. Il y avait des signes qu’elle pleurait depuis longtemps. Ses beaux yeux avaient répondu à la douleur dans son cœur et cela… m’avait attristé.
C’était peut-être un peu honteux pour moi de parler de cela, mais je ne souhaitais pas que Seryanna prenne en elle-même la colère que j’avais ressentie. Il valait mieux pour elle d’être forte et sage, ne pas être conduite par la haine et la colère. Une chevalière avec de tels sentiments dans son cœur finirait toujours par devenir méchante et corrompue… je ne souhaitais pas cela pour elle… après tout, pour ce vieux lézard, j’en avais massacré ma part afin de nettoyer le royaume plusieurs fois.
« Seryanna..., » je lui avais parlé, mais je ne pouvais même pas bouger un doigt.
Tout mon corps me faisait mal comme si j’avais été utilisé comme enclume par un forgeron furieux.
« Grand-père… n’essaye pas de bouger. Les guérisseurs disent que tu es malade… une sorte de maladie..., » déclara-t-elle en serrant la mâchoire et les poings.
Elle est en colère…, pensais-je.
« Ne t’inquiète pas… Je vais m’éveiller et atteindre l’éveil supérieur, et… et je tuerai tous ces humains qui ont tué ma famille ! Je vais tous les tuer ! » déclara-t-elle avec rage.
La jeune dragonne qui souriait brillamment avait disparu et avait été remplacée par un monstre assoiffé de sang...
Est-ce que je devrais être fier ou en colère ? Je me le demandais.
Bien que je veuille que ma petite-fille poursuive mon combat, elles étaient, sa sœur et elle les derniers membres de ma famille, mais je ne pouvais pas leur souhaiter de porter un avenir aussi triste.
Ainsi, je lui avais fait un doux sourire et lui avais dit. « S’il te plaît, ne fais pas ça... »
« Q-Quoi ? Pourquoi grand-père ?! Ils ont tué ma mère ! Ils ont tué mon père ! Ils ont tué tout le monde de sang-froid ! POURQUOI DEVRAIS-JE LAISSER LES HUMAINS VIVRE ! C’est à toi de me DIRE de TOUS les TUER ! » cria-t-elle en pleurant.
C’était douloureux de la voir comme ça.
Je voulais que ma petite-fille soit toujours souriante et gaie. Je ne voulais surtout pas qu’elle ait un tel regard empli de haine.
« Tout comme il y a de mauvais dragons, il y a aussi de mauvais humains, même si ceux-ci représentent la majorité de leur espèce. En tant que tels, il y en a aussi de bons..., » déclarai-je.
« Je ne comprends pas grand-père… Tu veux que je ne tue pas les humains ? » Demanda-t-elle en reniflant.
« Non… seulement les mauvais..., » déclarai-je.
« NON ! Je devrais tous les tuer ! Pourquoi devrais-je laisser les autres vivre ? Pourquoi devrais-je laisser l’un d’entre eux vivre après ce qu’ils ont fait à notre famille ?! » avait-elle demandé avec colère.
« Si tu penses qu’il y en a un qui vaut la peine d’être épargné, alors tu le devrais… après tout, ces types sont rares. » Je souris.
« Ça ne fait aucun sens..., » elle secoua la tête.
« Ma petite-fille… tu veux être une chevalière, n’est-ce pas ? » lui avais-je demandé.
« Je SUIS une chevalière ! J’ai réussi l’examen ! » déclara-t-elle.
« Ce n’est que la première étape… tu vois, une chevalière devrait être capable de distinguer le bien du mal. Ils ne devraient pas agir avec un cœur empli de vengeance, mais avec de la justice. Ils devraient être compréhensifs et sages… pas violents, sauvages et sans merci, » lui avais-je dit.
« Eh bien… c’est normal, n’est-ce pas ? » demanda-t-elle en inclinant la tête, confuse.
« Oui… mais toi qui souhaites emprunter le chemin d’une tueuse aveugle d’humains ne peux devenir une véritable chevalière. Celle qui a de telles pensées sera frappée tôt ou tard par les dieux… je veux dire, regarde-moi… ton grand-père a perdu à cause de la douleur et a souhaité se venger du fond de son cœur. Certes, j’ai épargné des humains, mais ils étaient spéciaux. Malgré tout, je n’aurais pas dû me battre comme ça..., » je secouai la tête avec regret.
C’était une vérité un peu lointaine, mais c’était la dure leçon que ma petite-fille devait apprendre en tant que chevalière.
Je souhaitais qu’elle ait un avenir meilleur, un avenir dans lequel elle serait capable de sourire à nouveau, et non pas un avenir remplit de complots et de désirs de tuer une autre espèce… cela n’était pas nécessaire à Albeyater, et j’étais certain que le vieux lézard abattrait même ma petite-fille si elle était en faute.
« Je ne comprends pas grand-père… quelle sorte d’humains as-tu pu épargner ? » demanda-t-elle, les larmes aux yeux.
« Un qui est tombé amoureux d’une dragonne… et qui a trahi ses semblables pour être avec elle, » j’avais répondu avec un sourire.
« C’est un mensonge ! Les humains sont trop égoïstes, trop ignorants, trop stupides pour faire quelque chose d’aussi noble ! » Elle refusa d’écouter.
Je laissai échapper un soupir.
« C’est correct si tu n’y crois pas, mais au moins, promets-moi que tu ne passeras pas ta vie à essayer de provoquer l’extermination d’une espèce. Tu peux mettre fin à la vie de ceux que tu trouves mauvais, mais s’il te plaît, essayes de pardonner à ceux qui ne se comportent pas comme les autres. Promets-moi que tu ne chercheras pas à te venger… Que tu ne chercheras pas à te venger de notre famille et de nos amis ! Je l’ai fait à ta place, ma petite-fille adorée… C’est assez comme ça..., » je lui avais parlé d’un ton calme et doux.
« M-Mais… ils ont tué ma mère… ils ont tué mon père… je ne pense pas pouvoir leur pardonner… je ne peux pas..., » se lamenta-t-elle.
« Tu n’en as pas besoin maintenant… tu as de nombreuses années devant toi… ne te contente pas de vivre sur de telles pensées et sentiments indignes d’une chevalière, d’accord ? » Je souris.
« Je ne te promets rien… je ne suis pas..., » elle serra les poings et baissa les yeux.
« Tout va bien… tant que tu essayes au moins... » Lui dis-je.
« Je ne vais pas..., » répondit-elle.
***
[Actuellement. Pendant l’entraînement infernal d’Iolaus]
En lisant la lettre que j’avais reçue de ma petite-fille, Seryanna, je m’étais souvenu de cette histoire douloureuse… qui savait qu’après toutes ces années, un humain nous sauverait ? Non seulement cela, mais il semblerait que cet humain ait même rendu son sourire à ma fille ainsi que la possibilité qu’elle s’éveille…
« Le destin est une chose étrange, n’est-ce pas, Alkelios ? » M’étais-je parlé en regardant par la fenêtre un pauvre dragon qui courait, poursuivi par notre écureuil de compagnie.
À l’époque, si ma chère Sandra ne m’avait pas convaincu d’escorter ces deux filles jusqu’à Drakaria, aurais-je pu vaincre la force humaine envahissante ? Hm… probablement pas… grâce à leur attaque rapide, ils avaient dispersé leur force principale en trois et j’avais pu gagner contre eux. Et même si j’aime me vanter, cet éveillé supérieur était plutôt puissant pour un humain. Si je ne l’avais pas arrêté, Sa Majesté aurait été obligée de prendre l’épée contre lui, pensais-je en poussant un soupir.
Un esprit simple ne verrait pas le détriment, mais il faudra peut-être se demander si ces quelques vies que nous avions sauvées auraient pu être sauvées à la fin. Combien de village et de villes seraient tombés face aux armes du reste de l’armée ? Et à notre victoire, les pays voisins auraient-ils pansé nos blessures ou auraient-ils lancé une attaque rapide pour nous vaincre alors que nous pouvions à peine tenir debout ?
Ce vieux lézard et moi-même avions peur pour ce dernier et nous étions reconnaissants de ne jamais l’avoir été.
J’avais plié la lettre et l’avais posée sur le bureau.
« Je me demande… si c’est leur chance ou leur destin qui a réuni ces jeunes, » avais-je dit en tapotant la lettre une fois, puis en partant pour reprendre ma formation.
Peut-être que je ne le saurais jamais, mais j’étais au moins heureux de savoir que 38 ans de plaies s’étaient finalement refermées… tout cela grâce à un humain vraiment stupide.