Wortenia Senki – Tome 8
Table des matières
- Prologue
- Chapitre 1 : Ceux qui vivent dans l’ombre : Partie 1
- Chapitre 1 : Ceux qui vivent dans l’ombre : Partie 2
- Chapitre 1 : Ceux qui vivent dans l’ombre : Partie 3
- Chapitre 1 : Ceux qui vivent dans l’ombre : Partie 4
- Chapitre 1 : Ceux qui vivent dans l’ombre : Partie 5
- Chapitre 1 : Ceux qui vivent dans l’ombre : Partie 6
- Chapitre 1 : Ceux qui vivent dans l’ombre : Partie 7
- Chapitre 2 : Un cœur agité : Partie 1
- Chapitre 2 : Un cœur agité : Partie 2
- Chapitre 2 : Un cœur agité : Partie 3
- Chapitre 2 : Un cœur agité : Partie 4
- Chapitre 3 : La renarde du Nord : Partie 1
- Chapitre 3 : La renarde du Nord : Partie 2
- Chapitre 3 : La renarde du Nord : Partie 3
- Chapitre 3 : La renarde du Nord : Partie 4
- Chapitre 3 : La renarde du Nord : Partie 5
- Chapitre 4 : La bataille du bassin d’Ushas : Partie 1
- Chapitre 4 : La bataille du bassin d’Ushas : Partie 2
- Chapitre 4 : La bataille du bassin d’Ushas : Partie 3
- Chapitre 4 : La bataille du bassin d’Ushas : Partie 4
- Chapitre 4 : La bataille du bassin d’Ushas : Partie 5
- Chapitre 4 : La bataille du bassin d’Ushas : Partie 6
- Chapitre 4 : La bataille du bassin d’Ushas : Partie 7
- Chapitre 5 : L’Église de Meneos : Partie 1
- Chapitre 5 : L’Église de Meneos : Partie 2
- Chapitre 5 : L’Église de Meneos : Partie 3
- Épilogue
- Bonus : Une femme nommée Grindiana
- Illustrations
***
Prologue
Le soleil plongeait à l’horizon. La lumière du soleil brûlait rouge en entrant dans la pièce par la fenêtre orientée vers l’ouest. Asuka Kiryuu s’était jetée sur son modeste lit, après avoir terminé son entraînement de l’après-midi et pris un bain pour se laver de la sueur qui s’en dégageait.
Sa chambre faisait à peu près cinq mètres carrés, mais le problème de la pièce n’était pas qu’elle était exiguë. À part le lit qui était appuyé contre le mur, les seules choses que la chambre avait en guise de meubles étaient une vieille chaise abîmée et une petite table. Ce n’était pas vraiment une pièce que l’on pouvait s’attendre à voir habiter par une jeune fille dans la fleur de l’âge. Elle était bien trop froide et manquait de chaleur humaine.
Selon les normes du Japon moderne, cet environnement semblait appartenir aux plus bas échelons de la société. La différence entre cette pièce et celle qu’Asuka avait au Japon était comme le jour et la nuit.
Mais à présent, cette pièce exiguë et spartiate était le seul endroit où Asuka pouvait se sentir chez elle, ou quelque chose qui y ressemblait.
Et ainsi, une autre journée… vient de passer…
Le soleil déclinant jeta une lueur cramoisie sur le visage d’Asuka. C’était le crépuscule. Heureusement, ce monde avait suffisamment de points de ressemblance avec la Terre d’Asuka. Les jours duraient 24 heures, et une année comptait 365 jours. Le soleil se levait toujours à l’est et se couchait à l’ouest. Les gens vivaient toujours dans des pays. Il était vrai que la société et les coutumes différaient, mais ce monde était encore assez similaire à sa Terre.
Sauf que…
Son champ de vision s’était déformé comme si quelque chose s’était infiltré dans ses yeux. Elle avait vu des jours se terminer un nombre incalculable de fois au Japon, mais maintenant, cette vision ne lui pesait que sur le cœur.
Sauf qu’effectivement, quelque chose était différent. Cela faisait plusieurs mois qu’elle avait été convoquée dans ce monde, et il était peut-être normal qu’Asuka devienne émotive.
Je me demande ce que fait Grand-père en ce moment…
L’image de son grand-père, Kouichirou Mikoshiba, défila dans l’esprit d’Asuka. Mais ce n’était pas la forme du vieil homme plein d’esprit et de gentillesse, bien que légèrement cynique, qu’elle connaissait trop bien. Cela faisait des mois qu’ils s’étaient séparés en s’échappant du palais de Beldzevia, et l’image gravée dans l’esprit d’Asuka était celle de Kouichirou tenant une épée ensanglantée, son visage ressemblant à celui d’un démon féroce.
Celui d’un meurtrier qui avait impitoyablement coupé la tête d’une femme hurlante, serrant sa main coupée.
Même s’il l’avait fait pour la protéger, Asuka était née dans un Japon moderne pacifiste, et l’acte de Kouichirou avait enfreint les valeurs et la morale qu’on lui avait inculquées tout au long de sa vie, d’une manière bien trop envahissante. Peut-être que le fait de voir cette scène, qui défiait son sens de l’éthique et du bon sens, se dérouler si soudainement lui infligea un traumatisme émotionnel.
Mais malgré ce traumatisme, la condamnation de cet acte était en fait une voix très faible dans son cœur. Elle ne pouvait pas l’accepter, et ne voulait pas affirmer ce que son grand-père avait fait, mais elle ne pouvait pas non plus nier catégoriquement ce qui s’était passé.
Après tout, si Kouichirou n’avait pas fait ce qu’il avait fait à l’époque, elle aurait été privée de sa pureté d’une manière terrible. Ce que Misha Fontaine, le thaumaturge de la cour du Royaume de Beldzevia, lui avait dit peu après son invocation n’était ni une menace ni une exagération. Asuka, avec sa beauté juvénile, aurait sûrement été l’objet des convoitises d’hommes influents. Puisqu’elle était une étrangère appelée de Rearth, elle aurait même égalé une femme elfe, dont on disait qu’elle était un joyau vivant, en termes de valeur.
C’était un monde où la loi ne fonctionnait pas pour protéger les gens. Ou peut-être, d’une certaine manière, elle fonctionnait, dans le sens où elle était utilisée comme un outil pour contrôler les gens. Au cours des derniers mois, elle avait appris trop bien et trop terriblement que la morale et le bon sens du Japon ne signifiaient absolument rien dans les terres maudites de ce monde.
Ce sont toute sorte de choses que vous ne pourrez jamais trouver au Japon… Tout est fondamentalement différent ici… Trop différent, en fait.
Les différents pays avaient des lois différentes. Les coutumes, la morale et la perception du bon sens des gens différaient d’un endroit à l’autre. Mais aussi évident que cela puisse être, ce n’était pas quelque chose dont elle avait été consciente jusqu’à présent. Elle n’avait jamais eu besoin d’en être consciente. Il était vrai que les lois différaient selon les régions de son monde. En particulier, les pays de la sphère islamiques avaient des lois religieuses fermes qui différaient d’une telle manière qu’un Japonais ne pourrait pas les tolérer.
Mais ces sujets n’apparaissaient pas dans la vie d’Asuka. Tout au plus, ils apparaissaient momentanément dans les nouvelles lorsqu’un commentateur social trop enthousiaste les évoquait. Ce n’était que des informations détachées de sa réalité, aussi éloignée de sa vie au Japon que ce monde l’était autrefois.
Mais la vie sur cette Terre était différente. L’image des événements sanglants d’il y a plusieurs mois lui revint en mémoire, et elle sentit son estomac se retourner de façon inconfortable. Elle plaça une main contre sa bouche, réprimant le dégoût qui s’insinuait dans sa gorge.
Elle avait été emmenée dans les ruelles de la capitale, Menestia, pour apprendre la vérité sur ce monde. Dans un coin de cet endroit se trouvait une place où d’innombrables marchands d’esclaves vendaient leurs « marchandises ». Ils parlaient avec une vigueur polie à tous ceux qui passaient devant leur devanture, comme s’ils vendaient de la viande ou des légumes. Elle avait vu des femmes qui avaient vendu leur corps dans le quartier des plaisirs pour rembourser des dettes — des femmes maquillées de façon voyante, tirant sur les manches des clients potentiels. Certaines d’entre elles se donnaient même pour une simple pièce de cuivre.
La plupart de ces femmes avaient également du mal à couvrir les intérêts de leurs dettes et ne pouvaient donc pas quitter leur vie de prostituées. Tous les cas romantiques d’une belle prostituée volant le cœur d’un client aisé qui la libérait de sa détresse étaient effectivement d’une chance sur un million, voire moins. La plupart de leurs clients étaient comme des requins qui ne voulaient pas lâcher leur proie, quoi qu’il arrive.
Après tout, ce monde n’avait aucun concept de régulation des taux d’intérêt. L’intérêt d’une dette n’était décidé que par un accord mutuel. Un accord d’intérêt quotidien, où chaque jour qui passait ajoutait un intérêt de 10 pour cent, était autorisé et était utilisé comme ce qui était presque le taux d’intérêt typique dans ce monde.
Les choses étaient cependant pires, car dans certains cas, les contrats n’étaient pas écrits à l’avance. Certains marchands prenaient même des intérêts sans prêter l’argent. Dans ces cas, il était difficile de dire s’il s’agissait d’un prêt d’argent ou d’un simple vol.
Tout cela était dû au faible taux d’alphabétisation dans ce monde. À l’époque d’Edo au Japon, même les roturiers pouvaient se vanter d’un taux d’alphabétisation de 70 à 80 %. Dans ce monde, le taux d’alphabétisation était de 10 à 20 %, et il était concentré dans certaines couches de la population, à savoir les marchands et les nobles.
La plupart des roturiers ne savaient pas écrire leur propre nom, et étaient encore moins capables de faire des calculs de base.
Je n’y ai pas vraiment pensé à ce moment-là…
Asuka s’était souvenue d’une émission politique qu’elle avait vue à la télévision. Un professeur d’université avait soutenu avec véhémence que l’éducation était essentielle pour que les populations appauvries puissent sortir des couches inférieures de la société. Lorsqu’elle l’entendit parler, elle se souvient avoir été surprise que des pays aussi pauvres existent encore dans le monde. Tout ce qu’elle avait pu dire, c’est qu’elle se sentait mal pour eux, rien de plus.
La plupart des Japonais ressentiraient probablement la même chose. Pour le meilleur ou pour le pire, les gens ne pouvaient mesurer les choses qu’en fonction du niveau de vie qu’ils connaissaient. Mais en repensant à ce qu’elle croyait à l’époque, elle réalisa à quel point l’éducation pouvait être essentielle aux fondements d’un pays.
C’était un monde où les personnes éduquées et bien informées s’en prenaient aux ignorants. Où les premiers étaient les forts et les seconds les faibles, les victimes passives. L’idée qu’il fallait répondre aux faveurs en nature, et que la bonne volonté devait être accueillie par la bonne volonté n’existait pas ici. Les faveurs se heurtaient à l’inimitié, et la bonne volonté à la malveillance.
Asuka était née et avait été élevée en tant que Japonaise, et il allait sans dire que les valeurs et l’éthique qui en découlaient étaient ancrées dans ses os. Ce monde n’était donc rien de moins que l’enfer pour elle.
Si je pense que ce monde est dans l’erreur, je dois devenir assez forte pour imposer cette opinion aux autres…
Ce furent les mots que Menea Norberg, la garante de son identité et qui l’avait également aidée à bien des égards, dit à Asuka en voyant son indignation et son dégoût pour la nature de ce monde. C’était des mots durs, mais aussi les mots les plus gentils qu’elle pouvait lui offrir. Cela montrait bien qu’elle ne se moquait pas des sentiments d’Asuka, et qu’elle ne les considérait pas non plus comme les divagations enfantines d’une jeune fille naïve.
En fait, depuis qu’elle s’était séparée de Kouichirou, elle commença à considérer Menea comme une sorte de grande sœur.
Je veux rentrer à la maison… Je veux revoir Maman et Grand-mère…
Son cœur faible avait eu raison d’elle pendant un moment. C’était un souhait que Menea ne pouvait cependant pas lui accorder. Mais personne ne pouvait lui reprocher d’être submergée par ces émotions entre deux jours d’entraînement ardu.
L’indignation qu’elle ressentit lorsque Menea lui avait montré la réalité de ce monde et son désir de le changer n’était en aucun cas factice, mais le prix à payer était trop lourd. Pour devenir plus forte, elle étudia tout ce qui concernait ce monde et apprit à manier les armes.
Son désir était facile à formuler, mais difficile à réaliser. Elle avait été entraînée un peu par Kouichirou Mikoshiba, et faisait partie du club de tir à l’arc de son lycée, qui était assez bon pour avoir une vraie chance aux compétitions interlycées. Grâce à cela, elle avait plus de force musculaire et d’endurance que la moyenne des lycéens.
Mais l’intérêt qu’elle portait aux arts martiaux était limité au niveau d’un passe-temps. Elle n’était certainement pas prête à se battre pour sa vie, et cela nécessitait un autre type de connaissances que celles qu’elle étudiait à l’école. Cela n’avait rien à voir avec des équations ou des formules chimiques. Non, elle avait besoin de connaissances plus avancées qui contribueraient à son aptitude au combat.
Elle avait choisi de s’engager dans cette voie de son plein gré, mais elle n’était encore qu’une lycéenne. C’était un chemin plein d’épines, une route semée d’embûches. Et en même temps, ce fut elle qui avait volontairement choisi de s’engager dans cette voie, de son plein gré.
Je deviendrai plus forte… Et un jour, je retrouverai grand-père et lui demanderai la vérité…
Une fois que quelqu’un trouvait son chemin dans ce monde, il ne pouvait plus revenir en arrière. C’était la vérité absolue de cette Terre. Après que Menea lui avait dit cela, Asuka fit tout ce qu’elle pouvait pour trouver un moyen de revenir en arrière. Et même dans ce cas, cette cruelle vérité était toujours présente à ses yeux.
Mais si c’était la vérité, les actions et les paroles de Kouichirou ne correspondaient pas. Alors qu’elle était allongée sur son lit, elle tourna son regard vers un katana japonais posé sur la table. Son nom était Ouka, et c’était l’un de ces katanas les plus précieux. L’existence de cette épée mystique qu’elle avait reçue de lui, avec son éclat terrible et ses pouvoirs mystérieux, était la clé de tout.
***
Chapitre 1 : Ceux qui vivent dans l’ombre
Partie 1
Le royaume de Xarooda, un royaume dont le territoire était divisé par des montagnes abruptes, était l’un des trois pays des régions orientales du continent occidental. Dans sa capitale, Peripheria, Ryoma Mikoshiba se trouvait dans la pièce qui lui avait été attribuée dans le château du royaume. Cinq garçons et filles s’étaient agenouillés devant lui. Leur âge avoisinait les 15 ans.
« Je vous ai donné des ordres difficiles à exécuter, mais vous les avez bien suivis. Bon travail, Kevin. Vous avez tous été spectaculaires », leur dit Ryoma, en prenant soin de paraître aussi dignes que possible.
Peut-être n’avait-il pas l’habitude de parler comme ça, mais Kevin ne pouvait s’empêcher de sourire en voyant son maître respecté parler avec une voix aussi aiguë et tendue.
Mlle Lione lui a probablement dit de parler comme ça… Il est un peu irrespectueux de penser à mon maître comme ça, mais c’est plutôt drôle…
Kevin considérait ce côté inattendu de son maître avec quelque chose de proche de l’affection. En regardant autour de lui, Kevin vit que les assistants de Ryoma regardaient tous délibérément ailleurs. Ils essayaient de le cacher, mais leurs épaules tremblaient de rires réprimés — ils étaient tout aussi amusés que Kevin.
Le Ryoma que Kevin connaissait était un homme au cœur beaucoup plus ouvert, avec un tempérament sauvage. Il n’était pas aussi violent ou vulgaire que les nombreux mercenaires et aventuriers avec lesquels il travaillait, mais il n’était pas non plus une personne rigide liée par les formalités et la dignité de la noblesse. Il était, pour faire simple, plutôt naturel et décontracté.
Et pourtant, c’était bien un noble de Rhoadseria. Un homme de classe privilégiée.
Remercier ses vassaux est probablement plus difficile que je ne le pensais… Mais…
Ses gestes étaient certes maladroits, mais il montrait clairement qu’il s’inquiétait du bien-être de Kevin et de ses camarades. Peu de commandants dans ce monde s’inquiéteraient autant pour la sécurité d’un soldat. Et Kevin appréciait le fait d’avoir le privilège de servir sous les ordres d’un tel commandant.
Bon sang… Tout le monde se moque de moi, hein…
Légèrement irrité par les réactions amusées autour de lui, Ryoma s’en tenait à sa façade de dirigeant. Ryoma avait l’intention d’accroître encore son territoire. Être avec des gens comme Lione et les jumelles était une chose, mais il était obligé de côtoyer des gens qui insistaient pour s’en tenir aux formalités.
Ryoma lui-même préférait rester amical quand c’était possible, mais il reconnaissait qu’il ne pouvait pas toujours avoir cette attitude dès le départ. Dans certaines situations, il fallait que l’autre personne se sente mal à l’aise ou sous pression. Ryoma avait grandi dans un pays sans système de classes, se donner des airs en présence des autres ne lui venait donc pas naturellement, et ce n’était pas nécessairement une bonne chose.
C’est gênant… Mais je vais devoir de toute façon m’y habituer…
Il était temps pour lui de commencer à montrer un tel visage dans la ville de Sirius, sur la péninsule de Wortenia. Lione et les jumelles le réprimandaient, lui disant de traiter les soldats de manière plus digne, plus formelle, surtout lorsqu’il s’agissait de récompenser ou de punir.
C’était une suggestion compréhensible. Lione était comme Ryoma dans le sens où elle n’était pas douée pour garder une attitude formelle, mais tout dépendait de la situation. Par exemple, si quelqu’un gagnait un tournoi, il y avait une grande différence entre le fait de se voir remettre un certificat quelconque et celui de le recevoir lors d’une cérémonie officielle et digne.
Le résultat final était le même, mais la nuance était clairement différente. Et ce qui importait n’était pas le point de vue de Ryoma, qui louait ses hommes, mais la façon dont les personnes qu’il louait et celles qui les entouraient le voyaient. Il n’était pas nécessaire pour lui de s’en tenir à une approche qui déplairait à ceux qui étaient loués. Ryoma n’avait pas l’intention d’insulter les personnes qu’il devait encourager, et si tout ce qu’il fallait faire était de tolérer cette façade pendant un moment, qu’il en soit ainsi.
Et ainsi, quelques mois avaient passé. Il se sentait toujours un peu mal à l’aise, mais il commençait à s’habituer à agir comme un noble. Ryoma n’avait jamais aimé les gens qui se plaçaient au-dessus des autres, mais ce monde fonctionnait selon un système de classes. Se montrer trop gentil avec les roturiers pouvait donc lui valoir le mépris et le dédain des autres chevaliers et nobles.
Mais la dignité n’était pas quelque chose que l’on pouvait cacher derrière un mince vernis. On pouvait dire n’importe quoi, mais la véritable attitude d’une personne avait tendance à transparaître.
Et en effet, la façade de Ryoma était encore peu raffinée et maladroite. C’était tout à fait naturel, puisqu’il n’était qu’un lycéen lorsqu’il avait été appelé dans ce monde. Et bien qu’il soit plus sage que son âge ne le suggérait, adopter le comportement propre à la noblesse n’était pas une tâche simple pour lui. À vrai dire, toute cette affaire lui semblait absurde.
Et pourtant, Lione et les jumelles n’arrêtent pas de m’en vouloir pour ça, alors…
Ryoma ne put s’empêcher d’esquisser un sourire en coin en remarquant que tout le monde s’était rendu compte de sa voix aiguë. Seul le cœur de chacun comptait ici. Ryoma considérait toujours la cérémonie comme un prétexte superficiel, mais il savait qu’il devait savoir où mettre la limite.
Une attitude pompeuse et hautaine ne lui permettrait pas d’obtenir la confiance de ses hommes, mais la soumission à ses subordonnés rendrait son armée indisciplinée. Et parfois, ses sentiments ne pouvaient pas transparaître s’il n’insistait pas sur la cérémonie.
Et Ryoma ne pouvait pas nier qu’il voulait que Lione et les jumelles cessent de le réprimander sur ce sujet.
« Vos paroles sont gaspillées pour nous, Seigneur », dit Kevin en baissant la tête. Les quatre autres derrière lui firent de même.
« Seigneur » était la façon dont Kevin et les autres enfants l’appelaient respectueusement. L’appeler « Baron » semblait trop basé sur la noblesse, et Ryoma n’aimait pas ça. Ils avaient envisagé d’utiliser « Gouverneur » et « Jeune Monsieur », mais quelque chose clochait dans ces appellations. Et ils ne pouvaient pas l’appeler « Garçon » ou « Petit » comme le faisaient Lione et les mercenaires. Ils avaient donc fini par suivre l’exemple de Genou en l’appelant « Seigneur ».
En effet, Ryoma vivait dans un domaine aménagé au centre de Sirius, et l’appeler le Seigneur de cette maison n’était pas une erreur. Bien sûr, le « Seigneur » dont parlait Genou était différent en raison de ses origines de ninja, mais les gens de ce monde ne le savaient pas.
« Nous avons exécuté vos ordres avec succès, sans avoir à utiliser notre dernier recours », dit Kevin.
Sa main se refermait sur une petite bouteille accrochée à sa ceinture.
Ryoma lui fit un signe de tête sans mot dire. C’était un atout qu’ils avaient préparé pour le bien de cette bataille, mais ils avaient réussi à atteindre leur objectif sans avoir à l’utiliser. Lione, qui se tenait derrière Ryoma, afficha un sourire satisfait.
« Tu étais trop nerveux à ce sujet. Je t’ai dit que tout irait bien, non ? Et voilà. »
Lione ponctua ses paroles en se frappant une fois la poitrine avec un coup de poing.
Kevin et son groupe étaient des soldats qu’elle avait personnellement entraînés à partir de rien. Pour elle et les autres mercenaires du Lion Cramoisi, ils étaient comme leurs propres enfants et protégés. Voir leur puissance sous une forme claire et visible la rendait naturellement heureuse.
Ryoma ne put s’empêcher d’esquisser un sourire sardonique en la regardant. Après tout, c’était elle qui avait montré le plus de désapprobation aux ordres qu’il avait donnés au groupe de Kevin plus tôt ce jour-là. Bien sûr, il n’était pas assez stupide pour le lui dire en face.
« Oui, utiliser ça te ferait gagner le match immédiatement, mais ça compliquerait nos relations avec Xarooda. Ça veut juste dire que tu n’as pas seulement bien fait, tu as vraiment bien fait. »
Parallèlement à leur entraînement en tant que groupe et à la maîtrise de la magie, Kevin et son groupe avaient reçu ce dernier recours. L’utiliser leur permettrait de gagner facilement. Les bouteilles contenaient un agent paralysant que le clan Igasaki avait développé à partir des monstres infestant la péninsule de Wortenia.
Il était insipide et inodore, mais ses effets étaient instantanés et ignoraient la plupart des formes de résistance au poison. De plus, il était difficile de trouver sur le marché un antidote capable de neutraliser ses effets. La meilleure façon d’y faire face était de consommer un antidote à l’avance ou de demander à un mage de guérir la victime et de supprimer ses effets.
Le plus gros défaut de l’agent paralysant était que les réactifs nécessaires à son raffinage étaient rares, et qu’il était donc difficile d’en rassembler de grandes quantités. Mais sinon, il était polyvalent — on pouvait le vaporiser dans le vent et le faire inhaler à la victime, ou l’étaler sur une arme. C’est un agent paralysant, mais non mortel, ce qui en fait un bon moyen de gagner le match.
Mais c’était aussi une arme à double tranchant. L’utiliser sur un champ de bataille était une chose, mais y avoir recours dans un match aurait été considéré comme de la lâcheté. Et même si le match était censé imiter un vrai combat, cacher le fait qu’ils étaient capables de thaumaturgie pour prendre l’avantage était tout autre chose. Et même s’ils avaient la possibilité d’utiliser un produit non mortel, personne ne les écouterait si l’on avait su qu’ils avaient utilisé du poison.
J’ai pensé qu’ils gagneraient sans l’utiliser, c’est pourquoi j’ai choisi ces cinq-là. Et les résultats parlent d’eux-mêmes.
Les cinq agenouillés devant Ryoma faisaient partie des soldats les plus talentueux et les plus loyaux parmi les esclaves qu’il avait achetés et élevés. Leur corps s’était construit en survivant à Wortenia et en combattant les monstres qui y vivaient, et leurs compétences avaient été développées par un entraînement quotidien et ardu. En outre, le fait de grandir à partir des dures circonstances de leur vie avait donné à Kevin et à ses alliés un sens inégalé de l’unité et une obsession de rester en vie.
Ils étaient encore jeunes et avaient une marge de progression, mais ils avaient déjà atteint un niveau qui les mettait au niveau des autres soldats et chevaliers. Bien sûr, les vétérans chevronnés comme Lione et Boltz étaient encore bien au-dessus d’eux, mais c’était quelque chose que le temps allait résoudre.
À condition bien sûr qu’ils restent en vie aussi longtemps…
« Oui, Mlle Laura nous a appris à l’utiliser… Elle nous a dit de ne l’utiliser que si nous sentons que nous sommes sur le point de perdre. Cependant, si nous sentions un danger pour nos vies, elle nous autorisait à l’utiliser librement. », dit Kevin.
Les quatre autres hochèrent la tête. Les lueurs de l’intelligence et la ferme résolution de sacrifier leur vie au nom de leur mission brillaient dans leurs yeux. C’était la preuve qu’ils comprenaient parfaitement leur rôle, et c’était quelque chose qu’un noble ne pourrait jamais atteindre en commandant des roturiers avec une attitude hautaine.
La confiance, hein… ?
Pour gagner la confiance des soldats, Ryoma dînait dans la même salle à manger que les soldats aussi souvent que le temps le permettait, mangeant le même genre de nourriture qu’eux. C’est quelque chose qu’un noble de ce monde ne ferait jamais. Mais pour gagner la confiance de quelqu’un, il faut comprendre cette personne, et faire en sorte que cette personne vous comprenne.
À cet égard, Ryoma avait reçu beaucoup de loyauté et de respect de la part de Kevin et des enfants. S’il leur avait ordonné de mourir, ils auraient volontiers renoncé à leur vie. Et il avait réussi à le faire en les traitant équitablement après qu’ils se soient fait voler leur dignité humaine et leurs droits en devenant esclaves.
***
Partie 2
Mais même ainsi, Ryoma avait quelque chose à leur dire maintenant, peu importe comment.
« Oui, la mission est importante… Et je suis heureux de voir que vous êtes prêts à risquer votre vie pour me servir. Mais la seule chose que vous ne devez pas faire, quoiqu’il arrive, c’est mourir. Survivre à tout prix… Comme ça, on pourra à nouveau partager un repas. »
Pour un soldat comme Kevin, cet ordre était une contradiction. Ils ne pouvaient pas espérer réussir une mission qui leur demandait d’être prêts à mourir et recevoir l’ordre de survivre à tout prix en même temps. S’il ne voulait pas qu’ils meurent à ce point, Ryoma ne leur aurait pas ordonné de participer à des missions aussi dangereuses.
Mais la réalité de ce monde ne s’y prêtait pas. Tant que Ryoma poursuivrait ses aspirations, le sang de ses ennemis et de ses alliés souillerait ses mains. Mais malgré cela, Ryoma ne pouvait s’empêcher de dire ces mots à Kevin.
Quoi qu’il arrive, je ne veux pas vous voir mourir…
« Mon Seigneur… »
Les épaules des enfants tremblèrent légèrement.
Ils avaient réalisé qu’il les chérissait. Et pour des enfants comme Kevin, qui avaient été vendus pour réduire le nombre de bouches à nourrir dans leur foyer, c’était le genre d’affection que même leurs parents ne leur accordaient jamais.
« Nous graverons votre ordre dans nos cœurs, mon Seigneur. »
Les cinq s’étaient inclinés en même temps.
Pour cet homme, je ferai n’importe quoi…
Kevin s’était juré de répondre aux attentes de Ryoma.
« Très bien… Mais quand même, vous avez bien travaillé. Je ne peux que vous récompenser comme ça pour l’instant, mais j’espère que vous apprécierez », dit Ryoma en tendant un sac en cuir à Kevin.
Ryoma regarda les cinq accepter le sac et quitter la pièce, après quoi ses pensées vagabondèrent vers Julianus I et son expression.
Choisir le groupe de Kevin pour ce travail était la bonne décision. J’aurais préféré un match nul sans combat, mais… Ils l’ont compris. Et ce vieil homme aussi…
Ils ne pouvaient pas se permettre de perdre cette bataille, mais le fait de gagner ne leur aurait pas non plus donné le meilleur résultat possible. Ils auraient pu gagner si leur objectif était juste d’apporter plus de gloire au nom de Ryoma. Mais le meilleur scénario possible était que le match s’arrête avant d’être décidé, et que la puissance de Ryoma soit montrée aux spectateurs en même temps.
Ryoma voulait trouver le bon moment pour suggérer cela, mais Julianus I avait pris cette décision avant lui. Ce fut une heureuse coïncidence pour lui. Après tout, les chevaliers insistaient sur l’honneur et la réputation plus que tout. Il ne pouvait donc pas se permettre de voir que ses soldats et lui-même soient considérés comme des mauviettes, mais ruiner l’honneur des chevaliers rendrait ses futures relations avec Xarooda incertaines.
À cet égard, le résultat de ce match était parfait. Julianus Ier était connu comme « le roi médiocre », et Ryoma n’attendait donc pas grand-chose de cet homme. Mais son impression du roi avait changé peu à peu en suivant leur audience. Il pouvait dire avec justesse où allaient les vagues de la bataille, et choisissait la méthode qui blessait le moins la dignité de son pays.
« Jusqu’à présent, tout se passe donc comme prévu, non ? » demanda Sara à Ryoma, qui s’était enfoncé dans son siège.
« Oui, d’une manière ou d’une autre… Avec ça, ils ne devraient pas ignorer nos propositions au conseil de guerre demain », dit Ryoma en soupirant et en prenant une gorgée de son verre de vin rouge.
Peu importe la qualité de leur plan, ils devaient avoir le pouvoir nécessaire afin de le faire appliquer. À cet égard, cette Terre était similaire au monde de Ryoma.
« D’un autre côté, le fait que le roi soit plus affûté que nous ne le pensions est un coup de chance », dit Lione.
« J’ai ressenti la même chose. Maître Ryoma, Julianus I à arrêté le combat à ce moment parce que… ? » demanda Laura tout en hochant la tête.
« Il a réalisé que perdre là-bas le mettrait dans une mauvaise posture. Ça se voit qu’il n’a pas ordonné au juge d’arrêter le match, il est allé directement voir Grahalt. Il a probablement pensé que je n’insisterais également pas pour gagner le match. »
Le groupe de Kevin était manifestement en train de gagner. Faire en sorte que le roi utilise son autorité pour arrêter le match à mi-parcours était une décision risquée, même dans ce monde où l’autorité du roi avait autant de poids qu’elle en avait. Si Ryoma n’avait pas accepté le match nul, l’autorité de Julianus Ier en aurait été grandement affectée. Et cela aurait été un coup dur pour le royaume de Xarooda dans son ensemble, surtout avec la guerre en cours avec O’ltormea.
Le fait qu’il ait choisi d’arrêter le match là signifiait qu’il avait vu les véritables intentions de Ryoma.
« Et il en a aussi profité pour enfumer un parasite qui rongeait son pays. Cet homme est plus rusé que je ne le pensais », ajouta Lione, ce qui fit claquer la langue de Ryoma.
« Oui, c’est un vrai renard rusé, celui-là. Il n’a pas seulement vu mes intentions, il les a utilisées en sa faveur. », dit Ryoma en acquiesçant.
Il n’était cependant pas aussi mécontent que ses mots aient pu le laisser entendre. Bien au contraire, Ryoma trouvait que Julianus I était un allié fiable. Après tout, rien n’était plus dangereux qu’un allié incompétent.
Sara versa du vin dans le verre vide de Ryoma.
« Le comte Schwartzheim et le noble qui faisait office de juge… Je crois qu’il s’appelait… »
Ryoma s’était laissé aller.
« Baron Slater », dit Sara.
« Oui, oui, c’était son nom. », dit Ryoma en hochant la tête.
Il n’avait pas prêté beaucoup d’attention au vieux noble, mais quand Julianus I avait arrêté le match, le baron Slater s’était enflammé et avait argumenté contre le roi. Ryoma s’était alors demandé s’il n’avait pas d’arrière-pensées.
« Mon instinct me dit que le comte Schwartzheim a juste été poussé par quelqu’un à faire ça… Mais quoi qu’il en soit, nous devrions examiner les personnes qui les entourent. D’accord, Sakuya ? »
Sakuya acquiesça résolument : « Compris, Seigneur. Je m’acquitterai de mes fonctions assez bien pour faire honneur à mon grand-père. »
Le grand-père de Sakuya, Genou, avait été assigné comme superviseur des défenses de Sirius. En tant que tels, lui et Boltz avaient été laissés derrière pour garder la ville. Les autres membres du Conseil des Anciens étaient tous occupés par leurs propres travaux, c’était donc Sakuya, la chef des jeunes membres du clan Igasaki qui devait rejoindre le Conseil des Anciens dans le futur, qui avait été chargé de l’expédition.
« Tu n’as pas besoin de t’énerver pour ça. Travaille juste comme tu le fais toujours. »
« Merci, Seigneur… »
Sakuya inclina la tête, mais son expression semblait tout aussi nerveuse.
Ryoma échangea un regard avec Lione, et les deux la regardèrent avec un sourire en coin.
Je suppose que lui dire de ne pas être nerveuse était trop lui en demander… Mais bon, ses compétences sont bonnes, elle a juste besoin de confiance…
Genou approuvait les compétences de Sakuya, et tout le monde autour d’elle l’évaluait favorablement. Son seul défaut était son manque d’expérience, et le seul moyen d’en acquérir était de travailler. Et notamment, elle avait besoin d’expérience pour diriger d’autres ninjas en tant que supérieur. Cela faisait partie de la manière dont le clan Igasaki s’assurait de la maturité de la prochaine génération.
Et en effet, malgré la sévérité de Genou à l’égard de Sakuya en tant que ninja, voir sa petite-fille mûrir et s’épanouir en tant que ninja à part entière le rendait nerveux. Le fait qu’il avait sélectionné trente des ninjas les plus doués du clan et qu’il les avait fait se glisser dans l’unité de transport donnait un aperçu du sérieux qu’il accordait à cette affaire. Ils étaient tous capables d’assassiner un général commandant si nécessaire, ou d’être envoyés pour commettre des activités subversives au sein de la base ennemie.
« La bonne nouvelle, c’est que la situation est bien meilleure que ce que nous pensions au départ. Ton plan peut encore porter ses fruits, mon garçon. »
Lione tourna son regard vers Ryoma.
« Oui, je n’étais pas sûr non plus que ce plan aboutisse à quelque chose, mais nous avons eu notre chance. Et le fait que cela n’ait pas été gâché après avoir obtenu la permission de Lupis à l’avance est une bonne chose », dit Ryoma avec un sourire.
« Donc le reste dépend du conseil de guerre de demain… », dit Sara.
Ryoma avait alors simplement pris une autre gorgée de vin en réponse.
Il regarda ensuite dans le verre, le faisant tourner dans sa main tout en appréciant la façon mystifiante dont la lumière de la lampe se reflétait sur la surface rouge du liquide.
*****
Et alors que Lione et les autres discutaient de leur future politique dans la chambre de Ryoma, un groupe d’hommes était assis devant une table ronde dans un domaine situé ailleurs dans la ville de Peripheria. Leurs expressions étaient toutes perplexes.
« C’est une tournure d’événements assez inattendue… », dit l’un des hommes, ce à quoi tous les autres acquiescent.
« Oui, je pense qu’aucun d’entre nous ne pensait que cela arriverait. »
« On dirait que l’avidité est insouciante. Penser que ses subordonnés perdraient contre de simples enfants… »
Huit hommes étaient assis autour de la table. Leurs vêtements — et en fait, les expressions hautaines et confiantes sur leurs visages — indiquaient clairement qu’ils étaient tous des nobles de haut rang. Ils avaient le visage de ceux qui avaient confiance dans la valeur absolue de leur lignée et dans le fait que les autres n’existaient que pour les servir.
« Que comptez-vous faire, monsieur… ? Nous avons organisé ce match de manière à enfoncer un pieu entre Rhoadseria et Xarooda. Il ne sera pas satisfait de voir tout ceci se terminer d’une manière aussi insatisfaisante. »
« Tout à fait vrai. Avec ça, quel était l’intérêt d’intimider cet imbécile têtu, hein ? »
Les autres hommes gloussèrent à ce commentaire. C’était un rire malicieux, du genre de celui avec lequel on se moquait d’un bouffon pitoyable. Et en effet, pour eux, les actions patriotiques du comte Schwartzheim n’étaient rien de plus qu’une comédie mal jouée.
« Comte Schwartzheim… Ridicule. J’ai dû retenir mon rire quand il fit son numéro dans la salle d’audience. »
« Il est tombé dans notre piège trop facilement. Qui avait vraiment l’intention de combattre ? Il semble que cet homme soit incapable de discerner l’ami de l’ennemi. »
« C’est exact. J’ai entendu dire que le premier chef de la maison Schwartzheim avait accompli de grands exploits militaires lors de la fondation du pays, mais il semblerait que leur chef actuel est un imbécile qui n’a aucun esprit pour la diplomatie ou le jeu. »
« Cet imbécile têtu ne sait pas où est sa place. Quand j’imagine la tête qu’il fera en réalisant que ses actions n’ont fait que nuire à son royaume bien-aimé, je ne peux m’empêcher de rire. »
En repensant à la façon dont le comte Schwartzheim avait admonesté le roi au péril de sa vie et par loyauté envers son pays, les hommes éclatèrent de nouveau de rire. Ils trouvèrent le comte Schwartzheim et son bavardage constant sur la fierté de la noblesse et la loyauté envers Xarooda tout à fait irritant.
Cela dit, toutes les personnes présentes étaient en bonne relation avec le comte Schwartzheim, du moins en apparence. Ou plutôt, elles entretenaient avec lui cette façade de camaraderie en public.
Et, après qu’ils eurent fini de rire, l’homme qui était assis au fond de la salle chuchota.
« Tout le problème réside dans ce chiot. Il est dangereux… Je peux comprendre pourquoi le Seigneur Saitou et la Princesse Shardina se méfient de lui. »
À ces mots, tous les autres échangèrent des regards d’incrédulité.
***
Partie 3
« C’est ce que vous dites ? Ce garçon ne m’avait pas l’air si dangereux… »
« Je suis d’accord. Bien qu’il soit admirable qu’il ait pu rassembler des soldats tout en gouvernant une région reculée comme Wortenia, la guerre se décide par le nombre. Il ne peut pas aller sur le champ de bataille avec seulement cinq cents soldats, et former une unité mixte avec un noble inconnu n’apporterait également pas grand-chose. »
Les autres acquiescèrent. Son jugement était raisonnable. Il fallait un ordre de chevaliers, 2 500 chevaliers, pour vraiment changer le cours d’une bataille. Mobiliser une unité de moins de cinq cents hommes à elle seule était pour le moins risqué. Dans une vraie bataille, il devrait former une unité mixte avec les forces d’un autre noble.
Mais si tel était le cas, l’unité de Ryoma Mikoshiba ne serait qu’une partie d’une armée. Et aussi compétent que Ryoma puisse être, s’il ne pouvait pas opérer efficacement avec l’autre noble avec lequel il serait associé, les capacités de combat de ses forces diminueraient considérablement.
« Oui, je comprends cela. Mais quand même, je ne peux pas m’empêcher de ressentir ce sentiment… »
Un silence s’abattit sur la pièce, et les regards de tous les participants à la table ronde se rassemblèrent sur celui qu’ils appelaient « Monsieur ». Il possédait trop de pouvoir, tant au niveau de son autorité que des prouesses martiales qu’il possédait, pour qu’aucun d’entre eux ne se moque de ses paroles et ne les qualifie de délires.
« Ryoma Mikoshiba va-t-il vraiment interférer avec l’invasion de l’Empire, comme cet homme ? »
« La possibilité qu’il le fasse est bien réelle. Il est vrai que ses forces sont trop faibles pour changer le cours de la bataille, mais il est assez ingénieux pour entraîner des troupes d’une telle force… Si nous n’agissons pas prudemment, notre pacte avec la princesse Shardina pourrait être révoqué. »
Tous les hommes présents dans cette pièce avaient une chose en commun. Ils étaient tous hautains et avides de pouvoir, affamés par la chance de gagner plus de gloire et d’autorité. Et ils étaient tous des gouverneurs issus de grandes familles nobles de Xarooda, qui possédaient de vastes terres.
Mais leur plus grand point commun était qu’ils étaient tous des traîtres au royaume, qui vendraient leur pays si cela pouvait leur apporter gloire et pouvoir.
« On s’est occupé du général Belares lors de la première bataille, mais les choses ne se sont pas passées comme prévu depuis. »
« Oui, nous avons fait tout ce que nous pouvions pour rendre difficile le rassemblement des troupes, mais rien de ce que nous avons fait depuis n’a fonctionné. Et puisque cet homme a dû aller compliquer les choses, nous devons repenser notre plan de fond en comble. »
La bataille des plaines de Notis avait été l’escarmouche d’ouverture de l’invasion de l’est par l’Empire d’O’ltormea. Les agents d’O’ltormea avaient réussi à bloquer le flux de renseignements, empêchant Xarooda de prendre des mesures défensives suffisantes. Normalement, cette seule bataille aurait dû sceller le destin de Xarooda.
Et même s’il était impossible de rassembler tous les soldats du pays, repousser une invasion O'ltormean avec les seules forces appartenant directement au royaume aurait été bien trop téméraire.
Cela dit, en temps normal, ils auraient été en mesure d’enrôler des soldats des environs de la capitale et des nobles près des zones frontalières, ainsi que de faire appel à des soldats volontaires. Mais en réalité, les seules forces que Xarooda avait déployées dans la bataille des plaines de Notis étaient vingt mille chevaliers. Arios Belares avait été loué comme un maître général, mais même avec lui à la barre, charger dans la bataille était imprudent.
Et la cause de cette décision résidait dans les machinations qu’effectuaient les hommes réunis autour de cette table ronde.
Et pourtant, bien qu’O’ltormea ait gagné la bataille des plaines de Notis et soit en position de prendre d’assaut les territoires de Xarooda par la force, un homme se dressait sur le chemin des plans de Shardina.
« Joshua Belares. Les rumeurs disaient que le troisième fils du Général Belares était un rustre grossier, alors pourquoi, pourquoi… ?! Comment a-t-il pu être une telle épine dans le pied de la princesse Shardina pendant une année entière ? »
Les hommes avaient tous poussé des soupirs d’exaspération. Il n’y avait aucun nom qu’ils voulaient moins entendre maintenant que celui de Joshua Belares. Ils avaient réussi le grand exploit d’éliminer le général Belares de l’équation, mais dès qu’il était parti, ce jeune homme était apparu pour effacer complètement leur réussite.
« Les gens l’ont présenté dernièrement comme une sorte de héros de guerre. Certains des nobles qui ont maintenu une approche attentiste ont même décidé de lui envoyer des renforts. »
« Apparemment, il a utilisé le terrain montagneux pour employer des tactiques non conventionnelles. J’ai appris que les unités de ravitaillement de la princesse Shardina ont subi de lourdes pertes… »
« Faire pression sur lui maintenant serait une mauvaise idée. Même si je répugne à refuser les demandes de la princesse Shardina, nous ne pouvons pas être trop clairs sur nos intentions. »
« Ce qui veut donc dire que le moment est mal choisi pour le faire assassiner. »
Les hommes échangèrent des regards et baissèrent leurs têtes en silence. Ils n’étaient pas contre le recours à l’assassinat, et ils ne ressentaient aucune culpabilité à l’idée de tuer un jeune homme qui se battait pour défendre leur pays. Ils ne voulaient simplement pas prendre de risque. Mais après un long silence, celui qu’ils appelaient « Monsieur » entrouvrit finalement les lèvres.
« Hmm, peu importe. De toute façon, nous n’avons pas de mouvement à faire pour l’instant. Nous pourrons décider après avoir vu comment se déroule le conseil de guerre de demain. »
Les autres s’exclamèrent d’un commun accord.
« Maintenant, prions tous pour notre prospérité », dit-il.
Les hommes prirent tous les verres à vin posés sur la table ronde.
« Tous au nom de la prospérité de notre clan. »
« “‘Au nom de la prospérité.’” »
Ils burent tous le liquide, puis fracassèrent les verres contre le sol simultanément.
« Personne… Personne ne se mettra en travers de notre chemin », chuchota celui qu’on appelait « Monsieur ». Ce dernier piétina les éclats de verre qui jonchaient le sol.
C’était comme s’il essayait d’écraser un insecte sous ses pieds…
*****
Le lendemain du match sur le terrain de manœuvre, plus de 30 personnes s’étaient réunies dans une grande salle de réunion du château.
« Telle est la situation dans notre pays. J’espère qu’aujourd’hui nous pourrons discuter de notre position et trouver un moyen de sortir de cette impasse », déclara Grahalt.
Une carte de Xarooda était étalée sur la grande table, avec des pièces de jeu posées dessus pour signifier les unités déployées et les forteresses.
« Nous avons besoin de votre aide pour protéger notre pays », dit Julianus Ier, qui était assis près de Grahalt.
Ils avaient utilisé une grande salle de réunion du château pour le premier conseil de guerre des nations orientales unifiées. Des généraux et des capitaines chevaliers sélectionnés de Myest, Rhoadseria et Xarooda étaient tous réunis dans une même pièce, ainsi que des nobles de haut rang en charge des relations diplomatiques et des affaires économiques. Ils s’y rencontrèrent tous pour la première fois.
Parmi les personnes réunies se trouvait le roi de Xarooda, Julianus Ier. Ce seul fait montrait à quel point la position de Xarooda était sombre. Tout conseil de guerre auquel assistait le roi était voué à être critique.
« Non, je pense que nous devrions maintenir les lignes de front et demander à nos voisins de resserrer l’étau autour d’O’ltormea ! Heureusement, le troisième fils du général Belares maintient les lignes de front. Nous devrions faire bon usage du temps qu’il nous offre. », s’exclama un noble enthousiaste.
Un chevalier assis à côté du noble lui coupa la parole.
« Que dites-vous ? ! Nous allons faire le jeu d’O’ltormea en faisant ça. Ils veulent que nous restions assis sans rien faire pendant qu’ils occupent nos territoires un par un ! Heureusement, nous avons les renforts de Myest et Rhoadseria. Et malgré la perte du général Belares, nous avons encore les nobles des régions centrales du pays et leurs troupes. Nous devons consolider nos forces restantes et chasser O’ltormea de nos frontières d’un seul coup ! »
Avec ces deux opinions opposées comme catalyseur, les personnes environnantes partirent dans un débat animé.
« Calmez-vous. À mon avis, nos trois pays seuls ne sont pas en mesure d’avoir une chance. Nous devrions attendre que le Royaume d’Helnesgoula rejoigne également la mêlée. »
« C’est ce qui se passe depuis le début de la guerre, mais cela fait un an et ils n’ont fait aucun progrès. »
« Pourtant, même avec l’aide de Myest et Rhoadseria, notre nombre de soldats est limité. Tenir la ligne plus longtemps serait difficile. Nous devons attirer Helnesgoula dans la guerre. Ne devrions-nous pas faire tout ce qui est en notre pouvoir pour la gagner ? »
« Es-tu un imbécile ? ! Helnesgoula ne nous aidera pas ! Tu sais très bien comment ils appellent leur reine ! »
« En effet ! Elle retardait paresseusement nos messagers avec des réunions tout en déplaçant sournoisement ses armées vers notre frontière ! Elle cherche sans doute à nous voler des territoires ! »
« Précisément. Ils ont occupé une ville frontalière et n’ont plus fait aucun mouvement depuis, mais ce n’est pas pour autant qu’ils nous prêteront main forte ! »
Les nobles les plus âgés soulignèrent que le plus grand défi d’O’ltormea était leur ligne d’approvisionnement et avaient insisté pour que Xarooda entre dans un état de guerre prolongé. Pendant ce temps, les plus jeunes chevaliers affirmaient que passer à l’offensive serait essentiel pour maintenir le moral des soldats roturiers enrôlés.
Chaque opinion avait ses mérites. Les anciens notèrent qu’O’ltormea attaquait une zone centrale du continent qui était entourée de pays rivaux, ce qui faisait de la guerre prolongée une possibilité favorable. Les plus jeunes chevaliers, quant à eux, préconisaient une attaque immédiate et décisive, ce qui était compréhensible étant donné la puissance nationale limitée de Xarooda.
Chacun utilisa ses connaissances et sa sagesse pour faire des suggestions proactives et argumenter. Mais alors qu’ils le faisaient, Ryoma, Lione et les sœurs Malfist étaient assis dans un coin de la pièce comme pour éviter d’attirer l’attention, observant les débats d’un regard froid.
« Hmph, et vous appelez ça une discussion animée… ? À ce rythme, ils vont perdre avant d’avoir pris une quelconque décision. Quel est l’intérêt de crier à l’évidence si tard dans la guerre ? », chuchota Ryoma.
Lione esquissa un sourire en coin. Ryoma était assez prévenant pour ne pas le dire à voix haute, mais même ainsi, ce n’était pas quelque chose qu’il devait dire dans un conseil de guerre. Pourtant, il y avait une raison évidente pour laquelle Lione ne l’avait pas réprimandé.
Le garçon est dur… Mais ce n’est pas comme si je pouvais défendre ces gens. Le fait est qu’ils ne sont vraiment pas assez intelligents…
Le contenu de cette dispute avait déjà été deviné et prédit par Sakuya, qui était absente du conseil de guerre. Et donc pour Ryoma, tout cet échange n’était qu’une farce. Pour commencer, la puissance nationale de Xarooda représentait moins d’un tiers de celle d’O’ltormea. Ce n’était qu’en s’unissant avec les deux autres pays de l’Est qu’il pouvait espérer égaler l’Empire.
Mais la puissance nationale de Rhoadseria était affaiblie par sa guerre civile, et Xarooda lui-même avait perdu une grande partie de sa puissance militaire lors de sa défaite dans les plaines de Notis. Il était vrai que l’armée d’O’ltormea était entourée de rivaux de tous côtés, mais on pouvait en dire autant de Xarooda. Ils avaient Helnesgoula à leur frontière nord-ouest, et les royaumes du sud à leur frontière sud, et chacun d’entre eux regardait Xarooda avec avidité pour avoir une chance de voler des terres.
***
Partie 4
Les royaumes du sud étaient particulièrement connus pour leurs guerriers sauvages qui se concentraient sur les raids et les pillages, et s’ils étaient autorisés à envahir Xarooda, les régions du sud du pays seraient transformées en enfer.
Les hommes seraient tués, les femmes et les enfants seraient réduits en esclavage. Les maisons et les champs seraient brûlés, et toute la nourriture et les objets de valeur que les pilleurs pourraient trouver seraient volés. C’était ainsi qu’ils avaient pu résister à des pays plusieurs fois plus forts et plus grands qu’eux. Et c’était parce que Xarooda le savait qu’ils ne pouvaient pas déplacer leurs garnisons du sud pour participer à l’effort de guerre.
Pourtant, à ce rythme, ils vont à tous les coups perdre…
Le sens du jugement de Ryoma n’avait pas faibli. Il avait la force mentale de voir les vérités désagréables qui s’offraient à lui, et Lione savait que c’était grâce à cela qu’il avait survécu jusqu’ici.
« Cette guerre est terminée une fois que la ligne de front est repoussée jusqu’à la région de la capitale… À ce rythme, leur territoire sera divisé entre le nord et le sud, et chacun sera éliminé de son côté. C’est ainsi que ce pays finira… »
Le territoire de Xarooda pourrait être décrit comme étant presque un rectangle s’étendant au nord et au sud. La capitale, Peripheria, se trouvait en plein milieu du pays. Les lignes de front se trouvaient actuellement à trois jours au sud de la capitale, dans une cuvette entourée de montagnes. Là, les quinze mille hommes sous le commandement de Joshua Belares maintenaient la ligne avec une volonté de tout pour tout.
Mais en réalité, cela ne faisait que retarder légèrement l’invasion d’O’ltormea sur le sol de Xarooda. Les forces de Joshua avaient besoin de renforts, et ce le plus rapidement possible.
« Eh bien, renverser cette situation avec des moyens conventionnels est probablement impossible. Il faudrait parier pour sortir de cette impasse. Mais je ne voudrais pas faire ce genre de mauvais pari… »
Lione secoua la tête, un sourire amer sur les lèvres.
La situation actuelle du Royaume de Xarooda était déjà bien connue de Ryoma et de son groupe. Ryoma repensa à la carte qu’ils avaient utilisée lors de leur discussion de la nuit précédente…
Après avoir gagné la bataille des plaines de Notis, l’armée de l’Empire d’O’ltormea avait chargé vers l’est, traversant les régions montagneuses de la frontière jusqu’à une zone de plaine, où ils avaient arrêté leur progression. Ils avaient construit une forteresse, utilisant leur vaste pouvoir national en tant que premier royaume du continent occidental pour envoyer une grande quantité de soldats et de fournitures sur les terres de Xarooda. Ils devaient utiliser cette forteresse comme zone d’étape pour leur charge vers l’est.
Mais la direction de leur marche indiquait clairement qu’O’ltormea n’avait pas l’intention de charger de force la capitale, Peripheria. Ils étaient passés au sud de Peripheria. Leur intention était clairement de diviser Xarooda entre le nord et le sud. Et une fois qu’ils y seront parvenus, la guerre sera terminée.
Si les nobles qui détenaient des territoires le long du sud de Xarooda étaient coupés de la capitale, ils seraient frappés par la peur et finiraient par être incapables de se battre de manière organisée. Et cela rendrait la défaite de chaque côté du pays encore plus aisée.
Certains se rendraient même à O’ltormea. Après tout, les royaumes du sud se préparaient également à agir. Les gouverneurs régionaux ne pourraient pas tenir longtemps contre eux avec leurs milices privées.
« Je ne pense pas que quelqu’un d’autre que toi puisse trouver une stratégie pour sortir de cette impasse, Maître Ryoma… », dit Sara, ce à quoi Lione répondit en souriant et en haussant les épaules.
« Oui, ce serait difficile autrement. Il n’y a pas beaucoup d’options que nous pouvons prendre maintenant. Mais si nous faisons le même coup qu’hier, nous pourrions être en mesure de renverser la situation. », dit-elle.
Les mots de Lione étaient lourds d’insinuation, ce qui poussa Sara à froncer les sourcils.
« Mais la question est de savoir si nous pouvons vraiment réussir à le faire… ? »
Toute stratégie pouvait sembler avoir toute les chances de réussir avant d’être mise en pratique, mais la question de savoir si elle allait fonctionner et atteindre le résultat souhaité était une tout autre chose. Sous cet angle, le stratagème de Ryoma ressemblait à un tour de passe-passe stupide et délirant. Du moins, à ce stade…
Bien sûr, en étant celui qui l’avait proposé, ce dernier le savait très bien.
« Eh bien, la proposition ne semble pas bonne. Il ne sera pas facile de convaincre qui que ce soit… Tous les pays essaient de se protéger », dit Lione.
« Le problème est les mouvements de Myest… Et s’ils vont coopérer avec nous. », dit Laura en hochant légèrement la tête.
« Myest n’est pas le problème. J’ai demandé à Sakuya de rassembler des informations sur eux. Bon sang, je n’en ai même pas encore parlé au roi Julianus… Pourtant, elle va être une personne clé dans tout ça. »
Le regard de Ryoma se posa sur une femme qui se tenait derrière Grahalt et Helena. Elle avait de longs cheveux noirs, lisses, presque laqués, qui descendaient jusqu’à sa taille. Sa peau était blanche comme la neige, et elle semblait avoir une vingtaine d’années. Son comportement était si gracieux que si quelqu’un prétendait qu’elle était une sorte de princesse, Ryoma ne serait pas surpris. En termes de beauté, elle était comparable à la princesse Lupis.
Mais qu’ils soient sur la défensive ou qu’ils passent à l’offensive, les dix mille chevaliers que cette femme dirigeait seraient la clé de la victoire.
« Ecclesia Marinelle »
« … C’est l’un des grands généraux de Myest, connu sous le nom de “La Tempête”… Mais je suppose que vous ne pourriez pas le savoir juste en voyant son visage. », dit Lione, son visage se contorsionnant désagréablement.
D’après ce que Ryoma pouvait voir, Ecclésia avait l’air d’une femme noble, aussi éloignée que possible de la sauvagerie de la bataille.
« Oh, c’est vrai, tu l’as déjà affrontée une fois, n’est-ce pas, Lione ? », demanda Ryoma.
Boltz lui en avait parlé avant leur départ pour Xarooda. Les yeux de Lione s’écarquillèrent de surprise. Apparemment, elle ne s’attendait pas à ce que Ryoma soit au courant.
« Boltz te l’a donc dit… ? Lui et sa grande gueule… Oui, c’est le cas. C’était il y a quelques années. Un des royaumes du sud s’était battu avec Myest pour un territoire. C’est là que je l’ai combattue… Mais ce n’était pas comme si notre nom était important à l’époque, nous n’étions simplement qu’un pion sur ce champ de bataille. Je doute qu’elle me reconnaisse. »
Lione repensa à cette défaite amère et honteuse.
« Nous déchirions leurs lignes de front et il semblait que nous allions gagner, mais… C’était mauvais. »
C’était sa première défaite depuis qu’elle avait commencé à diriger seule un groupe de mercenaires. Lione continua à parler, crachant les mots avec frustration.
« Nous avons eu de la chance, car j’ai renoncé à les poursuivre. Grâce à cela, nous nous en sommes sortis sans qu’aucun de mes hommes ne subisse de pertes. Mais les autres personnes, les soldats à l’arrière ont tous été encerclés et anéantis… Et c’est là que la bataille devint perdue d’avance pour nous. Si je n’avais pas suivi mon intuition à ce moment-là, j’aurais été tuée par le plan de cette femme avec le reste de mes hommes… Merde, malgré son apparence inoffensive, cette femme est effrayante. »
Ryoma avait légèrement souri. Malgré sa frustration, Lione reconnaissait la force d’Ecclesia. Et Ryoma tenait en haute estime les capacités de Lione en tant que commandant. Elle était capable d’un jugement calme et savait comment garder ses soldats inspirés. Elle était légèrement impétueuse, mais elle était consciente de ce défaut et faisait des efforts pour le réprimer.
En termes de prouesses personnelles au combat, il y avait probablement beaucoup de guerriers qui étaient plus puissants qu’elle. Mais lorsqu’il s’agissait de commander des soldats, Ryoma ne connaissait qu’une poignée de personnes capables de faire mieux qu’elle. Si elle n’était pas liée par son statut de roturière, elle pourrait sûrement servir à un poste clé dans un pays.
Si Lione la craignait à ce point, Ecclesia Marinelle n’était pas un commandant avec lequel il fallait badiner.
Avoir des personnes plus compétentes autour de soi n’est pas une mauvaise chose. Helena et moi n’étions pas assez pour renverser cette position inférieure dans laquelle nous sommes… Je devrais probablement parler à l’homme qui retient l’ennemi en première ligne, Joshua Belares… Le seul problème est Myest. Que vont-ils faire dans cette guerre ?
Ryoma n’en savait toujours pas beaucoup sur les commandants qui dirigeaient les renforts de Myest. Quel était leur objectif ? Combien de pertes pouvaient-ils se permettre de subir ? Sans connaître ces informations, révéler le plan qu’il avait concocté était trop dangereux.
« Je suppose que nous devrons faire confiance à leurs capacités… », se murmura Ryoma à lui-même en observant la dispute insensée depuis le coin de la pièce.
Combien étaient-ils prêts à sacrifier pour défendre leur pays ? Julianus I n’était pas le seul à qui il aurait fallu poser cette question…
*****
Tard cette nuit-là, alors que la plupart des résidents du château étaient déjà profondément endormis, un grand cri résonna dans l’une des pièces.
« Vous pensez vraiment que vous pouvez faire ça ? ! Quelle honte avez-vous l’intention d’apporter à Xarooda… à nous, chevaliers ? ! N’importe quel compatriote préférerait mourir plutôt que de supporter une honte aussi ignominieuse ! »
Contenu dans ce cri furieux, il y avait le rugissement d’un lion dont la fierté avait été blessée. Le visage de Grahalt était rouge de colère, et il hurlait vers Ryoma avec des yeux injectés de sang. Ils firent escorter toutes les personnes étrangères à l’affaire hors de la pièce, mais Grahalt était si bruyant que Julianus I dû tourner son regard vers la porte.
La voix forte de Grahalt était un atout lorsqu’il s’agissait d’encourager ses hommes sur le champ de bataille, mais lorsqu’il s’agissait de discussions confidentielles comme celle-ci, elle devenait plutôt un problème. Helena était assise à côté de Ryoma, tandis qu’Ecclesia était assise à la gauche de Grahalt. Tous deux avaient des sourires amers sur leurs lèvres.
« La question n’est pas de savoir si nous pouvons nous permettre de continuer. Nous n’avons pas d’autre choix… Ou laisseriez-vous O’ltormea détruire votre pays ? », dit Ryoma, sans sourciller, tout en prenant de front la colère de Grahalt.
Cet échange ressemblait beaucoup à un duel de mots et d’éloquence. En effet, s’ils devaient refuser cette offre, Ryoma n’avait aucun plan de secours. Ryoma ne pouvait pas se permettre de reculer ici, tant pour la pérennité de Xarooda que pour sa survie et celle de ses camarades.
« Comment pouvez-vous dire ça ? ! Cette guerre n’a pas encore été décidée ! Pour commencer, votre proposition est au mieux une rêverie insensée ! S’il ne s’agissait que de notre pays, cela aurait été une chose, mais impliquer la Rhoadseria et Myest est de la folie ! Si vous pensez honnêtement que l’un ou l’autre des autres pays accepterait cette idée, vous êtes un imbécile sans espoir et un fou ! »
« Oui, je suppose que c’est vrai… Mais pouvez-vous trouver un autre moyen de gagner, Seigneur Grahalt ? »
Ryoma haussa les épaules devant les hurlements de Grahalt.
« J’ai quelques idées, si repousser votre défaite de quelques années vous convient. Mais si vous voulez que ce pays gagne vraiment… Il n’y a pas d’autre moyen. »
« Nous avons eu le conseil de guerre pour en discuter ! Et vous avez le culot de me demander cela alors que vous avez passé tout le conseil assis tranquillement dans un coin ? ! Votre Majesté ! »
Grahalt tourna son regard vers Julianus Ier et se leva.
***
Partie 5
« Je suis venu ici par déférence pour Dame Helena, mais je ne peux plus supporter cela. C’est une perte de temps ! Je vais me retirer dans ma chambre. »
« Attends, Grahalt. Nous nous sommes réunis ici en secret, tard dans la nuit, pour cela. Il n’y a pas besoin de tirer des conclusions hâtives. », dit Julianus Ier, en plissant les yeux sur l’homme qui caressait sa barbe blanche.
Ryoma avait demandé que cette réunion soit faite en toute confidentialité, de grands efforts et préparations avaient donc été dépensés pour assurer le secret de cette réunion. Il n’était pas nécessaire de mettre fin aux discussions alors que les choses étaient encore indécises.
« Mais, Votre Majesté… Cet homme dit n’importe quoi. Et d’ailleurs, si nous faisons ce qu’il dit, Xarooda finira par devenir un vassal de Helnesgoula », dit Grahalt.
Mais les prochains mots qui sortirent des lèvres de Julianus Ier dépassèrent l’imagination de Grahalt.
« Et c’est très bien ainsi, Grahalt. »
Un silence pesant s’était installé dans la pièce. Même Helena avait les yeux écarquillés par la surprise.
« V-Votre Majesté ? »
« Pourquoi êtes-vous si surpris ? Si nous restons en retrait et regardons les choses se dérouler, nous deviendrons les vassaux d’O’ltormea ou alors nous sacrifierons notre peuple et mourrons d’une défaite honorable. Dans les deux cas, le résultat sera le même. Dans ce cas, ne vaut-il pas mieux devenir vassaux d’un parti qui nous offrira de meilleures conditions ? »
Se battre jusqu’au bout apporterait le chaos dans les territoires de Xarooda, ravageant les moyens de subsistance de leurs sujets. Mais la même chose serait vraie s’ils devenaient vassaux d’O’ltormea. En fin de compte, la plupart des guerres étaient une forme d’activité économique. Il était impossible de dire combien de temps O’ltormea était prêt à faire durer la guerre avec Xarooda, mais s’ils avaient l’intention d’envahir et de détruire un pays entier, les préparatifs leur coûtaient probablement beaucoup d’argent. Et plus leurs pertes étaient importantes, plus ils extorqueraient de l’argent à Xarooda après la guerre s’ils faisaient une offre de vassalité.
Le tribut qu’ils exigeraient augmenterait chaque année, et les taxes tarifaires deviendraient de plus en plus injustes au fil du temps, rongeant Xarooda jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien à consommer. En fin de compte, choisir de combattre O’ltormea en l’état actuel des choses revenait à choisir entre une mort rapide et une mort lente et agonisante. Quel que soit leur choix, ils mourront sûrement.
Mais ce n’était pas parce qu’O’ltormea était un pays particulièrement cruel ou mauvais. Eux aussi devaient récupérer quelque part les dépenses de guerre qu’ils avaient gaspillées, de peur d’être confrontés à une mort imminente.
« Devenir les vassaux d’Helnesgoula n’est pas quelque chose qui me dérange en soi. Cependant, Mikoshiba, cela n’aura aucun sens si cela revient à nous faire exploiter par O’ltormea. Ai-je tort ? Après tout, au vu des mouvements effectués par Helnesgoula, j’ai du mal à croire qu’ils agiraient comme nous le souhaitons. », dit Julianus I tout en regardant fixement Ryoma.
Ryoma hocha la tête sans mot dire. C’était une question compréhensible à poser.
« C’est pourquoi j’ai réuni ici des représentants de Myest, Rhoadseria et Xarooda. Bien que je doive faire une correction. Mon idée n’était pas la vassalité à Helnesgoula, mais de créer une alliance de quatre pays avec Helnesgoula au sommet… Bien que je suppose que votre choix de considérer cela comme de la vassalité pourrait ne pas être loin de la vérité. »
À l’explication de Ryoma, Grahalt lui coupa une fois de plus la parole. Cet homme n’aimait vraiment pas le plan de Ryoma.
« Et c’est la partie que je trouve la plus détestable ! Pourquoi devons-nous impliquer un autre pays dans nos affaires ? Nous avons envoyé régulièrement des messagers à Helnesgoula depuis la bataille de Notis, mais ils ont tourné autour du pot et n’ont rien fait pendant près d’un an ! Je ne peux pas imaginer qu’ils coopèrent avec votre plan. »
Bien que ses mots provenaient principalement d’une aversion pour l’idée de Ryoma, il n’avait en aucun cas tort. Mais cela ne voulait pas dire qu’il avait entièrement raison.
Mon Dieu, pourquoi ne me laisse-t-il pas finir… ? C’est comme parler à Mikhail. Est-ce qu’être têtu comme une mule fait bien partie de la description du poste d’un chevalier ? Ryoma poussa alors un soupir intérieur.
Les doutes de Grahalt n’étaient pas sans fondement, mais Ryoma avait construit son plan en tenant compte de ce problème. Il n’avait pas l’intention de se vanter, mais il n’y avait absolument aucune chance que lui ou ses camarades ne pensent pas à un défaut que Grahalt pourrait pointer à l’avance. Il serait compréhensible que Grahalt laisse simplement Ryoma finir, mais chaque fois qu’il essayait d’expliquer quoi que ce soit, le chevalier ne cessait de lui couper la parole. Cela mettait Ryoma à bout de nerfs.
Il pouvait comprendre son impatience après que toutes leurs tentatives pour défendre Xarooda se soient avérées vaines, mais la patience de Ryoma atteignait ses limites.
C’est parce que vous êtes si mauvais dans votre travail que j’ai dû être envoyé ici en premier lieu. Vous n’avez perdu à Notis que parce que vous avez été assez stupides pour foncer tête baissée dans le plan de l’ennemi, bande de trous du cul ! Si vous détestez mon plan à ce point, alors essayez de vous faire pousser un cerveau suffisant pour effacer vos propres conneries !
Mais bien sûr, en tant que général de la Rhoadseria, il ne pouvait pas se permettre de faire une sortie aussi puérile. Aussi amer qu’il soit, il devait gérer cela comme un adulte. Et puis, Ryoma avait ses propres raisons de maintenir l’existence de Xarooda, qui étaient distinctes des intérêts de Rhoadseria.
Si l’est devait perdre le bouclier qu’était Xarooda, O’ltormea se précipiterait sur l’est, conquérant ses pays un par un. Myest pourrait probablement tenir le coup pendant un certain temps, car elle avait une économie puissante qui lui permettrait de maintenir une force de chevaliers, mais la puissance nationale de Rhoadseria était encore diminuée par la guerre civile de l’année dernière. Ou plutôt… Vu que les politiques de Lupis ne fonctionnaient pas, elle était peut-être encore plus faible que l’année dernière.
Si O’ltormea devait envoyer une armée d’invasion dans ces conditions, Rhoadseria ne serait pas en mesure de les repousser. Ryoma utilisa toutes ses connaissances pour chercher un moyen d’éviter ce scénario sans espoir. Il avait besoin que Xarooda reste où elle était, au moins jusqu’à ce qu’il soit prêt à se séparer de Rhoadseria.
Et malgré cela, ce crétin continue de se mettre en travers de mon chemin…
Ryoma ne pouvait pas se permettre de crier et de sortir en trombe de la pièce, cela aurait agité Julianus I. Ainsi, malgré le fait qu’il ne pouvait pas le montrer publiquement, le cœur de Ryoma était rempli des flammes sombres de la colère, qui rongeaient son raisonnement, petit à petit…
Peut-être que je devrais juste le liquider et en finir avec ça… Cette pensée lui avait traversé l’esprit.
S’il envoyait les principaux ninjas du clan Igasaki, ils pourraient très bien assassiner un capitaine de chevalerie. Ryoma et Grahalt se regardaient fixement, les yeux rivés dans un regard féroce. Chacun d’entre eux savait qu’en détournant le regard maintenant, il abandonnerait l’initiative à l’autre. Un froid s’installa dans la pièce.
« Ne tirez-vous pas des conclusions hâtives, Seigneur Grahalt ? »
La voix brillante et trop inopportunément joyeuse d’une femme trancha la tension.
« Le seigneur Mikoshiba n’a pas encore terminé son explication. Et comme l’a dit le roi Julianus, nous avons pris la peine d’organiser cette réunion secrète. Nous pourrons décider si ce plan est bon ou non après avoir écouté tout ce qu’il a à dire, d’accord ? »
En entendant ces mots, Ryoma sentit les flammes de la colère s’éteindre.
Merde, mes pensées deviennent trop impulsives… Cette situation me met aussi au pied du mur…
Éliminer les nuisances par la force n’était pas un choix erroné en soi, mais cela ne s’appliquait pas à toutes les situations. S’il avait planifié l’assassinat méticuleusement, cela aurait pu être une idée viable, mais il ne pouvait pas se permettre d’agir de manière imprudente et de se créer de nouveaux ennemis dans le processus.
Et vu la gravité de leur situation, il ne pouvait pas se permettre de perdre des alliés, aussi stupides qu’ils aient pu être. Abattre cet homme ne pouvait être qu’un dernier recours.
« Dame Marinelle… Pensez-vous vraiment qu’il y ait un intérêt à écouter le plan de cet homme ? »
L’expression de Grahalt se contorsionna au son de ces mots surprenants sortant des lèvres de la femme qu’il n’aurait jamais jamais pu les prononcer selon lui.
Si un général d’une expédition envoyée par un pays voisin était prêt à écouter, même Grahalt ne pouvait pas se permettre d’insister. Ecclesia avait quand-même bien plus de réalisations et de mérites à son actif.
« Mais bien sûr. C’est une idée fascinante… », dit Ecclesia tout en tournant son regard vers Ryoma.
« Seigneur Mikoshiba, c’est ça… ? J’ai entendu parler de vous. Vous vous êtes fait un nom lorsque vous avez aidé la reine Lupis à réprimer sa guerre civile. N’est-ce pas, Dame Helena ? »
« Oui, c’est le meilleur tacticien et stratège que je connaisse… »
Helena hocha profondément la tête.
« J’en ai déjà parlé à Grahalt, mais il semble que mes paroles soient tombées dans l’oreille d’un sourd. »
Helena secoua la tête avec regret. Elle réalisait que c’était un moment critique pour eux, et si on lui demandait s’il y avait un autre moyen de sortir de cette situation en dehors de l’idée de Ryoma, sa réponse honnête était qu’elle ne voyait aucune méthode viable.
« M-Mais son idée, elle est tellement absurde que ça ne vaut même pas la peine de… »
« Ça suffit, Grahalt. Tu vas te taire et écouter le seigneur Mikoshiba jusqu’au bout. », lui dit Julianus Ier.
Le doute envahit l’expression de Grahalt. Il avait compris que personne ici n’était de son côté.
« Je m’excuse pour cette interruption. Grahalt comprend maintenant sa position ici. Je vous en prie, continuez. », poursuivit Julianus Ier.
« Bien sûr, Votre Majesté. »
Ryoma hocha profondément la tête et commença à expliquer sa tactique.
Son explication incluait sa prédiction de ce que la reine du royaume d’Helnesgoula, Grindiana Helnecharles, prévoyait.
*****
La réunion terminée, Helena et Ecclesia étaient restées dans la pièce. Les deux s’assirent sur deux canapés opposés placés près de la fenêtre.
« Je m’excuse de vous avoir demandé de rester, Dame Helena », dit Ecclesia en remplissant le verre de vin devant elle.
Il s’agissait d’une bouteille de vin rouge coûteuse, importée du continent central. Un arôme distinct et exotique emplissait l’air, indiquant clairement qu’il était fait à partir des meilleurs raisins du continent central. Même à Myest, qui avait un accès facile aux routes commerciales de la mer, il était difficile de trouver une telle bouteille.
« Oh, ne vous inquiétez pas. Je suis simplement heureuse d’avoir la chance de parler à la célèbre et héroïque Dame Ecclesia. Et j’ai même la chance d’avoir ce merveilleux vin. », dit Helena tout en portant le verre de vin à son nez.
Après avoir pris une longue inspiration pour savourer l’arôme, Helena prit une gorgée.
« On ne l’appelle pas le sang de Shadora pour rien. Une saveur si épaisse… »
Helena hocha la tête de satisfaction, savourant le sublime équilibre d’aigreur et de douceur qui se répandait dans sa bouche.
Mais cela dit, Helena reposa le verre de vin sur la table peu après avoir pris cette gorgée. Cela ne voulait pas dire que le vin n’était pas à son goût, mais simplement qu’elle n’était pas là pour faire la fête. Ecclesia avait bien compris l’intention d’Helena et entrouvrit les lèvres.
« Dame Helena. Celui-là est… très vif. »
« Oui. Pour autant que je sache, c’est aussi un guerrier de premier ordre… »
« Et un maître tacticien. »
Helena acquiesça. Les capacités de Ryoma en tant que guerrier étaient évidentes au vu de son physique, mais sa véritable valeur résidait dans son intellect. Il était capable de stratagèmes vraiment ingénieux, et avait même une façon de lire dans le cœur des autres.
« Mais sa proposition n’était pas… quelque chose que je peux honnêtement qualifier de sage », murmura Ecclesia, sa voix teintée de confusion et de peur.
C’était quelque chose qu’Helena avait ressenti une fois auparavant. Mais depuis qu’Ecclesia était plus proche d’être en opposition avec lui, sa peur était encore plus forte. Helena savait, cependant, que se soumettre à cette peur ne ferait que les laisser sur le chemin de la ruine.
***
Partie 6
Elle ira cependant bien… Et dans le meilleur des cas, elle peut le voir comme un rival digne de ce nom.
Le cœur d’une personne pouvait être une chose compliquée. Certaines personnes se soumettaient à leur peur, tandis que d’autres étaient capables de la contrôler correctement. Et certaines personnes étaient capables d’utiliser la peur comme un aliment, de grandir en la surmontant. Avec cette pensée à l’esprit, Helena répondit aux mots d’Ecclesia.
« Non, ce n’est pas le cas. Même pendant le conseil de guerre, les gens avaient mentionné l’idée à maintes reprises… »
« Mais au cours de l’année dernière, personne n’a réussi à faire fonctionner ce stratagème. Pensez-vous que le Seigneur Mikoshiba en soit capable ? », lui demanda Ecclesia d’un ton implorant.
« Je ne sais pas. J’ai senti, l’espace d’un instant, lors de la réunion, qu’il pourrait y arriver… Mais je ne suis pas sûre qu’il soit capable de faire bouger la Mégère du Nord. », dit Helena en secouant la tête.
Il n’y avait aucune fausseté dans ses paroles. C’était une possibilité parfaitement plausible. Mais si on lui demandait si elle en était absolument, positivement sûre, elle devrait secouer la tête en signe de dénégation. À vrai dire, elle pensait qu’il y avait au mieux une chance sur deux. Mais l’hypothèse évoquée plus tôt par Ryoma était certainement convaincante.
« Que comptez-vous faire ensuite, Dame Ecclésia ? Allez-vous rapporter cela à Myest… ? »
Helena le demanda à Ecclesia.
Si le plan de Ryoma devait fonctionner, cela aurait des conséquences majeures sur l’équilibre des pouvoirs sur le continent occidental. Bien qu’elle ait reçu le commandement des armées de Myest, l’autorité d’Ecclésia en tant que général n’était pas suffisante pour décider d’accepter la proposition de Ryoma. Même si c’était pour gagner la guerre, cela aurait des effets durables sur les aspects diplomatiques et économiques du pays, non, sur toute la façon d’être du pays.
« Bien sûr. J’ai déjà envoyé un messager. Je ne peux pas prendre cette décision de mon propre chef… mais je pense que nous devrions adopter sa proposition. Je pense qu’après avoir lu mon opinion écrite, mon Seigneur sera d’accord. », dit Ecclesia tout en dirigeant un regard ferme vers Helena.
Ses yeux étaient brillants d’honnêteté. C’était la preuve qu’elle admettait que le plan de Ryoma était viable.
« Je vois… Mais cela ne va-t-il pas prendre un certain temps avant que nous obtenions leur réponse ? »
Qu’elles soient d’accord ou non avec le plan de Ryoma, ni Ecclesia ni Helena n’avaient l’autorité pour prendre cette décision. Mais il y avait une différence majeure entre les deux généraux. La puissance nationale de Rhoadseria était grandement épuisée, et il ne leur restait que peu de choix. Il était peu probable qu’ils refusent l’idée de Ryoma.
Mais il n’en allait pas de même pour Myest. Ils avaient la force militaire et les finances pour faire durer la guerre pendant plusieurs années, si nécessaire. Si le roi de Myest rejetait la proposition de Ryoma, il pourrait choisir d’entrer en guerre lui-même.
Et, quel que soit son choix, il faudrait du temps pour prendre une décision à ce sujet. Mais malgré les préoccupations d’Helena, la réponse d’Ecclésia était décisive et claire.
« J’attendrai la décision du roi jusqu’au dernier moment, mais si sa parole ne me parvient pas en temps voulu, je n’aurai d’autre choix que de faire avancer les choses par ma propre décision. »
C’était des mots qui, selon la façon dont on les interprétait, pouvaient être considérés comme une déclaration de révolte. On ne pouvait pas dire cela sans une grande détermination.
« Vous agiriez au-delà des ordres du roi ? Au nom du royaume ? »
Ecclesia répondit à la question d’Helena par un sourire malicieux.
« Si on considère les conséquences de la guerre, Xarooda, Rhoadseria, et Myest doivent agir comme un seul homme ici. C’est une vérité indéniable. Son stratagème ne fonctionnera qu’un certain temps. Je suis sûre que vous le savez, Dame Helena, mais si nous laissons passer ce moment, nos chances de gagner diminueront considérablement. »
Helena hocha silencieusement la tête. Même le plus brillant des stratagèmes pouvait changer avec le passage du temps. Chaque minute ou heure qui passait pouvait faire basculer les choses dans une direction différente. Ce qui aurait pu être la tactique la plus efficace un jour pourrait être rendu obsolète et sans espoir le lendemain.
Ayant conduit des soldats à la guerre pendant de nombreuses années, elles le savaient toutes deux parfaitement. Respecter la parole du roi était le devoir d’un général au service du pays. Mais si la poursuite de ce devoir les amenait à laisser passer la chance de la victoire et à mener leur pays à la ruine, cela irait à l’encontre du but pour lequel elles se battaient.
« Si mon seigneur refuse la proposition, je remettrai ma tête. Bien que je doive admettre que voir tout se dérouler exactement comme le Seigneur Mikoshiba l’avait prédit me semble aussi un peu désagréable… »
Ayant gagné par elle-même le titre de « La Tempête », Ecclesia pouvait compter sur les doigts d’une main le nombre de fois où elle s’était vu retirer l’initiative lors d’un conseil de guerre. Même dans les cas où elle n’avait pas l’initiative, elle avait toujours dit ce qu’elle pensait en tant que général. Cependant, pas cette fois. Elle n’avait pas été aussi facilement manipulée depuis la fin de son adolescence, lorsqu’elle était devenue chef de la maison Marinelle et qu’elle avait participé à sa première bataille.
Mais alors qu’elle pensait que Ryoma Mikoshiba était un impudent, Ecclesia était folle de joie. Elle sentait vivement la présence d’un rival digne de ses prouesses.
« Mon Dieu, regardez l’heure… »
Helena fronça les sourcils en entendant sonner l’horloge installée sur le mur.
« Je m’excuse de vous avoir fait veiller si tard. »
Il était déjà minuit passé. Elles avaient tellement de choses à discuter que le temps avait passé avant qu’elles ne s’en rendent compte. Helena croyait que les chevaliers devaient maintenir un style de vie strict, et il n’était donc pas fréquent qu’elle se couche aussi tard en dehors du champ de bataille.
« Ce n’est pas vrai. C’est une chance inestimable que de parler à la déesse blanche de la guerre de Rhoadseria. J’ai plutôt apprécié. », répondit Ecclesia avec un sourire calme.
« Et bien. Entendre la Tempête elle-même dire cela représente plus de flatterie que je n’ai le droit d’accepter. »
Les deux femmes rirent, puis prirent les verres posés sur leurs tables et les burent d’un trait.
« J’étais assez anxieuse quant à ce qui allait se passer quand on m’a ordonné de rejoindre les renforts et de partir en guerre, mais grâce au Seigneur Mikoshiba, les choses s’annoncent intéressantes… », murmura Ecclesia.
*****
Une forteresse clé avait été mise en place par l’armée d’O’ltormea dans le territoire de Xarooda, destinée à faciliter leur invasion du royaume. Le nom de cet endroit était Fort Noltia. Il se trouvait sur le côté est des montagnes, le long de la frontière entre Xaroodia et O’ltormea.
Le fort avait été construit à l’entrée du bassin d’Ushas, formant l’une des positions clés de l’invasion de Xarooda par O’ltormea, aux côtés du fort qu’ils avaient établi dans les plaines de Notis. Il comportait plusieurs couches de douves vides et un mur fait de pierres solides. Des sentinelles surveillaient les points importants de la base. Tout cela rendait l’importance du fort évidente.
Shardina était assise dans l’une des pièces du fort. Elle était allongée contre un canapé pendant que Celia faisait son rapport.
« Les fournitures et les soldats rassemblés au Fort Notis devraient atteindre les effectifs prévus d’ici deux semaines. En tenant compte du temps de voyage, ils devraient arriver ici dans un mois, en supposant qu’il n’y ait pas d’interruption de la part des militaires de Xarooda… C’est le rapport concernant nos provisions. »
Celia coupa court à ses propos, levant les yeux de la feuille blanche bordée de chiffres.
Le Fort Notis était un dépôt pour les fournitures qu’ils avaient rassemblées dans l’Empire. De là, le convoi empruntait un chemin sinueux contournant la montagne pour entrer sur les terres de Xarooda.
« Bien… Il semble que nous allons enfin pouvoir régler cette affaire. »
Shardina poussa un soupir, secouant la tête de manière fatiguée.
La guerre ne se déroule jamais comme on l’espère, pas vrai… ?
L’invasion de l’est était une entreprise de longue haleine, qui devait demander beaucoup d’efforts et des années. La première bataille de cette campagne, la bataille des plaines de Notis, s’était déroulée sans heurts, mais la guerre avait ensuite pris un tour inattendu.
Shardina avait supposé que, quelle que soit la durée du déclenchement initial de la guerre, elle conclurait cette étape dans les six mois au plus tard. Mais l’année qui s’était écoulée depuis avait été très maudite pour elle.
La défaite du général Belares lui coûta autant de chevaliers qu’elle en avait tués, et Helnesgoula avait envahi la frontière nord de Xarooda, la forçant à retenir l’avance de sa force principale afin de vérifier leurs actions.
Ce fut le début de ses ennuis.
Pour contrer cette tournure des événements, Shardina divisa son armée en deux. Séparant sa force principale, elle envoya une moitié de son armée pour tenir Helnesgoula en échec, ce qui en soi était un choix judicieux et évident pour un commandant.
Même en y repensant, Shardina ne pensait pas qu’elle avait eu tort de le faire. Mais le fait était que ce choix fut l’un des facteurs qui avaient conduit à la lenteur de l’invasion de Xarooda.
Si elle s’était lancée dans une poursuite rapide avec toutes ses forces après sa victoire sur les plaines de Notis et avait anéanti les restes de l’armée vaincue, elle aurait sûrement conquis Peripheria et commencé à planifier l’invasion de Rhoadseria…
Et pour ajouter à tout cela, la division de son armée fit que l’organisation de ses forces prit plus de temps qu’elle n’aurait dû, et cela n’avait fait qu’empirer sa position. Un homme avait utilisé ce petit laps de temps pour rassembler les restes des chevaliers de Xarooda et se terrer dans la région montagneuse.
« Nous pouvons enfin écraser cet homme irascible… ! »
Shardina murmura la principale raison pour laquelle la guerre avait traîné si longtemps, en se rongeant furieusement l’ongle de son pouce correctement entretenu.
Se ronger l’ongle du pouce était l’une de ces mauvaises habitudes, qui se manifestait dès qu’elle était terriblement ennuyée. Voyant cela, Celia poussa un léger soupir, assez doux pour ne pas être remarqué par sa chef en colère. À vrai dire, le comportement de Shardina n’était pas digne d’un membre de la maison royale. La noblesse de certains pays s’en moquerait carrément. Pourtant, Celia ne pouvait pas critiquer Shardina pour cela, puisqu’elle partageait cette même habitude.
Néanmoins, si un soldat voyait la princesse impériale se ronger les ongles sous l’effet de la colère, cela jetterait l’opprobre sur la réputation d’O’ltormea.
Je devrais demander à une servante de faire les ongles de Son Altesse après ça…
Se faisant cette remarque mentale, Celia prononça le nom de l’homme qui était la source des maux de tête de Shardina depuis un an.
« Vous voulez dire Joshua Belares, Votre Altesse ? »
« À cause de cet homme maudit, tous mes plans sont tombés à l’eau… »
Shardina cracha ces mots, puis poussa un lourd soupir exaspéré.
Après la mort honorable de son père, le général Belares, dans les plaines de Notis, Joshua regroupa les forces restantes et battit en retraite. Et bien que les deux camps aient perdu un nombre égal de troupes, le fait que le camp de Xarooda ait perdu son commandant suprême signifiait que la victoire revenait à Shardina. Aussi impressionnants que soient les chevaliers d’un pays militaire comme Xarooda, la coordination et le commandement comptent davantage dans une guerre.
Du point de vue de Shardina, prendre la vie de l’homme connu comme la divinité tutélaire de Xarooda si tôt dans la guerre était une victoire en soi. Et en effet, Xarooda n’avait personne d’autre pour égaler la gloire du Général Belares.
***
Partie 7
Le capitaine de la garde royale, Grahalt Henshel, et le capitaine de la garde du monarque, Orson Greed, étaient connus dans les pays environnants, mais seulement pour leurs talents de guerriers. Ils étaient peut-être capables de commander leurs ordres de chevaliers de manière experte, mais il leur manquait la capacité de superviser le champ de bataille dans son ensemble. Leurs capacités en matière de tactique et de stratégie étaient largement inférieures à celles de Shardina.
Pourtant, l’invasion qui aurait dû être une proie facile pour Shardina s’était heurtée à une contre-attaque des forces xaroodiennes dirigées par Joshua Belares. Malgré de lourds sacrifices, son attaque s’était soldée par un échec.
Ses préparatifs contre une attaque d’Helnsegoula signifiaient qu’elle avait moins de forces pour lancer une invasion, mais malgré cela, elle dirigeait les armées d’O’ltormea, comme la souveraine suprême au cœur du continent occidental. Même divisée, elle avait préparé plus de troupes qu’il n’en fallait pour écraser une armée vaincue, dont la chaîne de commandement avait été détruite par la mort du général Belares, et s’enfoncer dans les terres de Xarooda.
Mais ses plans avaient été anéantis par Joshua. Et ce n’était pas dû au fait que Shardina ait pris des décisions stupides. Joshua fit un usage judicieux des caractéristiques du terrain montagneux, de la mauvaise visibilité de la vallée et des routes sinueuses, pour exterminer rapidement les unités de poursuite envoyées après lui.
Il s’était ensuite tourné vers les tactiques défensives, faisant preuve d’une habileté et d’une capacité de commandement dignes du nom légendaire de son père. Ses actions motivèrent les nobles de Xaroodian, qui se creusaient la tête pour savoir comment protéger leur pays et leurs territoires, et virent en lui un héros national…
Ce fut ainsi que le troisième fils du Général Belares, celui qui était considéré comme un petit garçon grossier et dégoûtant, prit la scène d’assaut. Il avait déjà rassemblé des renforts des nobles environnants et des soldats volontaires parmi les roturiers, créant une armée de 15 000 soldats, ce qui dépassait les attentes de Shardina.
« À votre demande, nous avons spécifiquement fait appel à des chevaliers rompus au combat dans les régions montagneuses et aux guerres non conventionnelles de tout l’empire. Joshua Belares va découvrir que nous battre n’est pas aussi facile qu’il le pense », dit Celia.
« Bien… Je devrais envoyer une lettre de remerciement après ça. », dit Shardina en hochant la tête.
Le nombre donnait l’avantage à la guerre. C’était généralement vrai, mais ce n’était pas toujours applicable sur tous les champs de bataille. Le territoire de Xarooda était divisé par des pics abrupts et des forêts épaisses, ce qui rendait difficile la mobilisation d’une armée pour un commandant peu habitué à un tel terrain.
De plus, si l’armure métallique intégrale que portaient les chevaliers offrait une excellente défense sur un terrain plat, sur le terrain pentu des montagnes, elle ne faisait que les alourdir et gaspiller leur endurance. Les chevaliers de Xarooda étaient habitués au terrain, mais on ne pouvait pas en dire autant de ceux d’O’ltormea.
Néanmoins, O’ltormea avait recueilli des informations auprès des habitants pendant une longue période et à un coût considérable, réussissant à dresser une carte détaillée de la région. Grâce à cela et à l’utilisation de chevaliers rompus à l’usage de la guerre non conventionnelle, rassemblés à travers les vastes terres de l’empire, la victoire aurait dû être à portée de main. Si deux armées étaient égales en termes de qualité de leurs troupes et d’avantage géographique, le nombre devenait le facteur décisif.
Si nous pouvons pousser les nobles de Xarooda à abandonner leur pays, nous aurons remporté la victoire stratégique… Je dois juste m’assurer que je ne fais pas d’erreurs inutiles. Je n’ai pas besoin que ma proie échappe à mes griffes une seconde fois…
Négligence, vanité, arrogance… Shardina ne savait que trop bien qu’il suffisait d’une seule erreur de jugement pour que l’on tombe du piédestal des vainqueurs dans le bourbier des vaincus. Une victoire stratégique augmentait les chances de gagner jusqu’à 99 %. C’était la victoire au niveau tactique qui faisait grimper ses chances à 100 %.
« Aussi, Sa Majesté vous a envoyé une lettre… »
Celia sortit une lettre de sa poche alors que Shardina était toujours perdue dans ses pensées.
« Oh, Père… Il doit me presser de finir la conquête de Xarooda plus rapidement. »
Au cours de l’année écoulée, il lui avait envoyé des lettres hebdomadaires par oiseau porteur ou par coursier à cheval. Elle pouvait deviner le contenu de la lettre assez facilement. À vrai dire, la répétition des lettres était devenue gênante.
Mais bien qu’ils soient parents et enfants, il y avait une grande différence de statut entre l’Empereur Lionel et la Princesse Impériale Shardina. Elle ne pouvait absolument pas se permettre de ranger la lettre dans son tiroir sans la décacheter. Soupirant une fois, Shardina se leva du canapé.
Je peux comprendre l’impatience de Père, et pourtant…
Aussi vaste que soit O’ltormea, il y avait toujours une limite à sa puissance nationale et au nombre de troupes qu’elle pouvait mobiliser. Indépendamment de cette campagne, il y avait toujours des combats constants aux frontières avec Helnesgoula et Qwiltantia. Il ne s’agissait que d’escarmouches mineures, mais elles pouvaient se transformer en guerre totale à tout moment. Le désir de l’empereur de voir cette campagne se terminer le plus rapidement possible était compréhensible.
« Laisse-moi voir », dit Shardina.
Celia lui tendit la lettre sans un mot. Shardina brisa le sceau et parcourut la lettre de l’Empereur, mais ce faisant, son expression s’assombrit. Un claquement de langue s’échappa de ses lèvres bien formées. C’était loin de la conduite normale de Shardina, où elle s’efforçait de maintenir la dignité et la grâce attendues de la Première Princesse de l’Empire.
Quoi qu’il y ait dans cette lettre, ça ne peut pas être bon…
Voyant le changement d’attitude de la Princesse, Celia sentit l’effroi s’installer dans son cœur.
« Tu devrais lire ça aussi… », dit Shardina en lui tendant la lettre.
« Puis-je ? », demanda Celia en la prenant.
Je vois… Alors c’est pour ça… Celia lit rapidement la lettre, son expression s’assombrissant tout comme celle de Shardina.
« La renarde du Nord a finalement fait son choix… », dit Celia.
L’armée d’Helnesgoula est en mouvement.
En voyant ces mots gravés sur la lettre, Celia n’avait pu s’empêcher de soupirer d’irritation.
« Leur deuxième formation n’est encore qu’en garnison près de leur frontière avec Xarooda, mais… », dit Shardina.
Ils se doutaient que les choses pourraient se passer ainsi depuis le début de la guerre. Mais un an s’était écoulé depuis la bataille de Notis, et Helnesgoula n’avait rien fait. Et maintenant, juste au moment où O’ltormea était sur le point de lancer une offensive à grande échelle sur Xarooda, ils avaient agi. Appeler ça un mauvais timing serait un euphémisme.
« Et juste au moment où nous sommes sur le point de diviser Xarooda… Pourquoi rien ne va jamais dans notre sens ? »
C’était comme si le dieu du destin était opposé à la prospérité d’O’ltormea. Mais de manière réaliste, Helnesgoula avait probablement envoyé d’innombrables espions à Xarooda pour surveiller de près les mouvements de Shardina.
« Est-ce que nos plans ont fuité d’une manière ou d’une autre… ? »
« Selon toute vraisemblance… »
Du point de vue de la Renarde du Nord, l’expansion d’O’ltormea représentait un risque croissant pour la sécurité de son pays. Si O’ltormea devait annexer les territoires de Xarooda, Helnesgoula serait entouré de ses plus puissants rivaux. Elle aurait Qwiltantia à l’ouest et O’ltormea au sud et à l’est.
« Tu crois vraiment qu’ils vont se joindre à la guerre ? », demanda Shardina.
« Qui peut le dire ? Personnellement, je pense qu’il y a des chances que ce soit un autre bluff. Il y a un an, Helnesgoula a déclaré la guerre à nous et à Xarooda, mais ils n’ont occupé qu’une ville frontalière au nord. Ils n’ont fait aucun mouvement pour aller vers le sud depuis. S’ils voulaient interférer de manière proactive, ils l’auraient fait à l’époque. »
« Donc tu penses qu’Helnesgoula n’a aucun désir d’avancer vers le sud ? », demanda Shardina.
Celia acquiesça. Après la bataille des plaines de Notis, Helnesgoula avait franchi la frontière de Xarooda et occupa une de ses villes frontalières. Mais si les militaires d’Helnesgoula y avaient tenu garnison pendant un an, ils n’avaient plus fait aucun mouvement depuis. Ils étaient simplement restés à la frontière, acceptant de temps en temps des messagers de Xarooda.
« Il y a un an, tu as arrêté la marche de notre armée en apprenant l’interférence d’Helnesgoula dans la guerre. Je me demande donc si ce n’est pas un autre bluff destiné à nous empêcher de lancer un assaut… »
« Même si c’est le cas, nous devrons quand même réfléchir à une contre-mesure », conclut Shardina avec amertume.
Le plus ennuyeux dans cette affaire était que même s’il s’agissait d’un bluff de la part d’Helnesgoula, Shardina devrait quand même se préparer à l’éventualité qu’ils fassent quelque chose. Sinon, elle serait impuissante dans le cas où l’armée d’Helnesgoula marcherait vers le sud sur eux. Même s’ils n’avaient pas l’intention de le faire maintenant, cela ne voulait pas dire qu’ils ne le feront jamais.
Lorsque Helnesgoula avait franchi pour la première fois la frontière de Xarooda, Shardina leur avait envoyé un messager. Elle savait qu’il serait ignoré, mais elle s’était dit que ça ne pouvait pas faire de mal d’essayer. Elle avait proposé de diviser le territoire de Xarooda en deux, mais le messager avait été renvoyé sans avoir eu l’occasion de transmettre son message.
La situation étant ce qu’elle était, Shardina ne pouvait pas se permettre d’envoyer toute son armée et de s’exposer à l’attaque d’un autre rival.
On attendra l’arrivée de nos renforts, on attirera Joshua Belares dans une bataille de plaine, et on gagnera là… Puis, une fois que le moral de Xarooda sera en baisse, nous arriverons et diviserons le pays au nord et au sud en une seule fois… Une bataille rapide et décisive… C’est notre seul choix.
Shardina repensa au plan qu’elle avait conçu au préalable. La puissance du nord ne viendrait même pas à la table des négociations. Si elle devait continuer à se méfier de leurs mouvements et hésiter à agir, la guerre pourrait durer des années et elle ne serait pas en mesure d’occuper Xarooda.
Shardina étala une feuille de papier de qualité sur la table et commença à écrire dessus avec une plume d’oie.
« Je vais rappeler Sudou de Rhoadseria. Une fois que les unités envoyées autour auront terminé leurs batailles, elles commenceront à se préparer pour la bataille décisive. Et j’enverrai ceci à Père… Tu le confirmes aussi. »
Se conformant aux paroles de son suzerain, Celia ouvrit la lettre. En voyant son contenu, elle écarquilla les yeux. Akitake Sudou était actuellement à Rhoadseria, agissant en tant qu’agent d’O’ltormea. Sur le papier, sa position était celle d’un proche assistant de Radine Rhoadserians. Mais, comme l’année dernière lors de la bataille de Notis, il pouvait faire office d’officier d’état-major temporaire pour l’effort de guerre.
Pour commencer, Sudou était un Rearth, mais le grand-père de Celia, Gaius Valkland, avait reconnu ses capacités. Au sein de l’organisation des renseignements d’O’ltormea, il était distingué pour ses compétences et ses services.
Et maintenant que Gaius était mort, il ne serait pas étrange qu’il prenne la tête de l’organisation en tant que successeur. Le fait qu’il soit toujours sur le terrain montre qu’il était capable de régler les problèmes rapidement et de manière décisive, et que Sudou préférait être au cœur de l’action. Et donc, en échange d’être autorisé à le faire, Shardina l’avait convoqué pour l’aider de temps en temps.
J’imagine qu’il va créer une sorte de prétexte astucieux et venir rapidement aux côtés de Son Altesse. Il aime la guerre… Mais tout de même.
Le problème était l’autre nom sur la lettre.
« Je comprends qu’on appelle Sire Sudou, mais pourquoi Sire Rolfe, Votre Altesse ? »
Le capitaine de la garde royale, dont les louanges étaient chantées dans tout l’Empire comme le Bouclier de l’Empereur. En tant que l’un des subordonnés les plus fiables de l’Empereur, il était le principal responsable de sa sécurité. Rolfe ne montait au front que lorsque l’Empereur lui-même entrait dans la mêlée.
« Aucun commandant ne peut égaler le Seigneur Rolfe quand il s’agit de batailles défensives. Je n’ai pas d’autre choix… Nous ne pouvons pas laisser ce fort tomber pendant que nous attaquons les lignes de front. »
« Tu penses que l’armée de Xarooda pourrait bouger pour nous couper par l’arrière ? », demanda Celia.
Shardina hocha la tête en silence. Si l’ennemi devait profiter de l’ouverture pendant que les forces de Shardina avançaient pour conquérir le fort de la ligne de front, elles seraient coupées du reste de leur armée. Compte tenu des forces restantes de Xarooda et de la qualité de leurs commandants, Shardina ne pensait pas qu’il était probable qu’ils fassent un tel pari, mais Shardina visait à être parfaitement préparée à toute éventualité.
« Donc tu veux que la garde royale défende ce fort ? », demanda Celia.
Appeler Rolfe, le capitaine de la garde royale, signifiait inévitablement appeler les chevaliers sous ses ordres. Shardina secoua cependant la tête.
« Non, je n’ai pas l’intention de mettre les gardes royaux en mouvement. Je vais lui demander de défendre cette base avec ses aides personnels. Malheureusement, c’est le seul moyen que je puisse concevoir pour que Père soit d’accord avec… Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre cette guerre. »
Celia hocha la tête en silence, sentant la ferme résolution dans les mots de Shardina. Elle s’était ensuite inclinée, tourna les talons et quitta la pièce.
« C’est vrai… Je ne peux pas me permettre de perdre… Pour l’amour de Père, et au nom de mes idéaux… »
Désormais seule dans sa chambre, Shardina se murmura ces mots une fois de plus, comme pour réaffirmer sa détermination. Elle regarda par la fenêtre le ciel de l’Est.
Pour établir une paix durable sur ce continent occidental déchiré par la guerre, il fallait devenir un souverain absolu. Choisir de faire la guerre au nom de la paix pouvait sembler contradictoire, mais c’était le véritable idéal de l’Empereur Lion, Lionel Eisenheit, et de sa fille Shardina.
Alors que les motivations de beaucoup se croisaient et s’entrecroisaient, la bataille qui décidera du sort du Royaume de Xarooda se rapprochait de minute en minute. Et pendant ce temps, le son des pas de l’énorme bête du nord résonnait dans toutes les oreilles, alors qu’elle se dirigeait vers le sud…
***
Chapitre 2 : Un cœur agité
Partie 1
Se cachant dans le terrain montagneux le long de la frontière, Joshua regardait la colonne qui avançait sous la falaise. Elle suivait un sentier niché entre deux montagnes, et en la regardant de face, la colonne d’hommes qui marchait en dessous de lui ressemblait à un régiment de fourmis. Ils n’étaient, en effet, pas tout à fait différents des fourmis — la seule différence était peut-être leur taille.
En regardant l’unité de transport portant la bannière d’O’ltormea, Joshua porta la cigarette pincée entre ses doigts à ses lèvres. Cette unité transportait des fournitures que la princesse Shardina avait rassemblées dans tout l’empire O’ltormea. Il était difficile de compter le nombre de fournitures et d’hommes qu’elle avait l’intention de transporter. O’ltormea était l’un des trois plus grands pays du continent occidental, cela pouvait donc être considéré comme une sorte de tentative de démonstration de leur énorme puissance nationale.
C’est exactement comme le disaient les rapports… Je suppose que cette femme est vraiment devenue impatiente, hein ?
Faire venir autant de personnes et de matériel sur un seul champ de bataille serait difficile pour n’importe quel pays, même s’il était aussi vaste et puissant qu’O’ltormea.
Cette princesse est une travailleuse acharnée…
Avec un sourire en coin sur les lèvres, Joshua fit apparaître dans son esprit l’image de la Première Princesse d’O’ltormea, son adversaire de l’année dernière. Son visage, cependant, était flou. Joshua avait entendu des rumeurs selon lesquelles elle était apparemment une belle femme, mais ce monde n’avait rien de comparable à la télévision ou aux photographies. Il n’avait aucun moyen de savoir à quoi ressemblait la princesse d’un autre pays.
D’ailleurs, comme il ne supportait pas les cérémonies officielles il avait obstinément refusé d’assister aux bals organisés par la famille royale. Joshua ne savait pas à quoi ressemblait la princesse de son propre pays.
Ce paresseux était maintenant mis sur un piédestal comme un héros patriotique pour une raison simple et terriblement ironique. La vie avait une fâcheuse tendance à ne pas se dérouler comme on l’entendait.
Les seules choses dont j’ai besoin sont le meilleur alcool, la meilleure nourriture, les meilleures cigarettes, et les meilleures filles. Donnez-moi juste un moyen de gagner plus d’argent en plus de ça et je ne demanderai plus jamais rien à personne.
Avec ce modeste souhait au fond du cœur, Joshua esquissa un sourire d’autodérision. La plupart des gens se contenteraient d’une telle somme pour le reste de leur vie, mais Joshua Belares était, malgré les apparences, un membre de l’aristocratie. Comparé à l’avidité de la plupart des autres nobles, son souhait était presque modeste en comparaison. Et en effet, jusqu’au jour où l’armée d’O’ltormea avait marché sur les champs de Notis, la vie de Joshua consistait à se noyer dans les délices du quartier des plaisirs de Peripheria.
Étant le troisième fils, ses chances d’hériter de la position de chef de famille étaient minces. Cette vie libre dans l’étreinte du quartier des plaisirs était le moyen pour Joshua de vivre dans ce monde comme il le souhaitait sans causer de problèmes à sa famille. Même dans la société militariste de Xarooda, la maison Belares produisait des guerriers de très haut niveau. Et bien sûr, tout le monde s’attendait à une telle brillance martiale de la part du successeur d’Arios Belares, l’homme connu sous le nom de Déité Gardien de Xarooda.
Mais malheureusement, le sang et le talent d’Arios coulaient surtout dans les veines de son troisième fils, Joshua. Il avait la capacité de lire les intentions de son adversaire et l’esprit tactique pour l’utiliser contre lui. Si Joshua n’avait pas joué le rôle d’un rustre grossier, les gens auraient demandé qu’il hérite du poste de chef de famille. Et cela aurait conduit à des querelles secrètes avec les factions soutenant ses deux frères aînés, que Joshua l’ait souhaité lui-même ou non.
Ils essaient d’utiliser leur puissance nationale supérieure pour nous écraser en une seule fois… C’est ce qu’ils ont finalement choisi de faire. Eh bien, c’est une stratégie fiable.
Son expression semblait quelque peu indifférente et sans vigueur. Son menton était couvert de barbe, car il avait négligé de se raser depuis plusieurs jours. Ses cheveux étaient négligés, et l’odeur de l’alcool et des cigarettes se dégageait de son corps. Pour une fois, l’odeur du parfum bon marché d’une prostituée n’était pas sur sa personne, mais s’il ne portait pas un gilet d’armure en cuir renforcé par des ferrures ici et là, on aurait pu penser qu’il s’agissait d’un pauvre dégoûtant du secteur des réfugiés de la capitale. C’était bien là le même troisième fils grossier que tout le monde détestait.
Mais contrairement à son apparence, son esprit calculait les choses à grande vitesse.
Ils ont probablement eu vent des mouvements d’Helnesgoula et veulent frapper rapidement avant qu’Helnesgoula ne puisse se mettre en travers de leur chemin. Quelqu’un a finalement mis le feu aux fesses de la princesse… Pourtant, nous sommes tout autant dos au mur ici…
Joshua utilisa la magie, produisant une étincelle au bout de son doigt pour allumer la cigarette dans sa bouche. Il inspira une longue et silencieuse bouffée et savoura l’arôme de la cigarette. L’esprit de Joshua avait déjà compris que Xarooda était à court de temps et que la position d’O’ltormea n’était pas si différente.
Au cours de l’année passée, Joshua avait utilisé ce terrain montagneux et des tactiques non conventionnelles pour retenir l’invasion O’ltormea, mais il n’arrivait toujours pas à trouver une solution au problème fondamental. Il était comme un médecin, fournissant continuellement un traitement pour prolonger la vie d’un patient en phase terminale. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était s’accrocher au faible espoir qu’un médicament miracle encore inconnu puisse apparaître et guérir son patient. Et Joshua n’était pas assez optimiste pour penser que son « traitement » resterait efficace bien longtemps.
Et maintenant, alors qu’il regardait la rangée de personnes qui marchaient le long du sentier sous la falaise, il semblait que la Faucheuse s’avançait sur son cheval pâle pour réclamer la vie de ce patient. S’il ne pouvait pas se débarrasser de leurs intentions malveillantes, Xarooda pourrait très bien ne pas voir demain.
Eh bien, qu’il en soit ainsi. Quoi qu’il arrive, j’ai décidé de mettre ma vie et le destin de ce pays entre les mains de cet homme et de son complot… Il ne me reste plus qu’à jouer mon rôle.
Le visage de l’homme qu’il avait seulement rencontré et à qui il avait parlé pour la première fois il y a quelques jours refit surface dans l’esprit de Joshua. Les gens chuchotaient souvent dans son dos, le traitant de petit enfant, mais cet homme était encore plus jeune que lui. C’était un roturier d’origine inconnue qui avait atteint le statut de noble.
En gardant cela à l’esprit, peut-être que Joshua était devenu fou pour avoir osé tout miser sur le plan de cet homme de manière aussi imprudente. Ceux qui travaillaient aux côtés de lui avaient élevé la voix pour exprimer leur mécontentement face à cette décision plus d’une fois. Mais Joshua était convaincu que le plan de Ryoma Mikoshiba lui permettrait de protéger Xarooda.
Joshua repensa à leur rencontre d’il y a quelques jours.
Cet homme peut probablement lire dans le cœur des autres… Comme moi.
Joshua pouvait facilement concevoir le fait que Ryoma était capable de la même chose que lui. Joshua appelait cela lire dans le cœur des gens, mais ce qu’il lisait n’était ni des chiffres ni des lettres. Joshua examinait seulement combien de fois une personne respirait par minute, ainsi que le stress et le son de ses respirations.
Entre ça et l’expression d’une personne, Joshua pouvait déterminer avec précision le pouls d’une autre personne. Il ne s’agissait en aucun cas d’une capacité spéciale. La plupart des gens pouvaient deviner les émotions d’une autre personne sans qu’aucun mot ne soit échangé, bien que le degré de précision variait selon les individus. Théoriquement, la différence résidait surtout dans le fait de pouvoir utiliser consciemment cette capacité.
Mais cette infime variation faisait toute la différence. En utilisant cette capacité, Ryoma Mikoshiba était prêt à décider du destin d’un pays. Son plan n’était pas particulièrement novateur en soi. N’importe qui pouvait avoir cette idée en y réfléchissant un peu. Après tout, pour faire simple, le Royaume de Xarooda n’avait pas le pouvoir de résoudre ses propres problèmes, alors tout ce qu’il avait à faire était de se prosterner devant Helnesgoula et de lui demander de l’aide.
Mais si penser à cette idée était assez facile, la mettre en œuvre était une tout autre affaire. Normalement, il ne s’agirait que d’une théorie vide. Mais cet homme leur avait montré un moyen de mettre cette théorie en pratique.
C’est un homme intéressant… Très intéressant…
Avec l’image du sourire de Ryoma en tête, les lèvres de Joshua s’étaient retroussées en un sourire en coin. Joshua était bien conscient qu’il aimait prendre des risques à un degré malsain. Il avait vécu un nombre incalculable de situations dangereuses dans le quartier des plaisirs de Peripheria, des affaires risquées où la vie d’une personne était en jeu, où le sang était versé et où la chaleur traversait le corps. Joshua n’aimait rien de plus que ces paris. En repensant à ces moments, Joshua sentit un doux frisson lui parcourir l’échine.
« Très bien… Ça devrait être maintenant. »
Ce que Joshua s’apprêtait à faire était le plus grand pari qu’il ait jamais pris. Un pari qui mettait en jeu l’existence des trois pays situés à l’est du continent occidental.
Il jeta la cigarette à ses pieds et l’écrasa sous sa botte. Et à ce moment, l’expression léthargique de Joshua s’était remplie de la férocité d’une bête.
« Je te jure, tu te décharges de tout le travail sur moi juste pour pouvoir te détendre et regarder de loin. Tu parles d’une belle vie… »
Une voix s’adressa à Joshua par-derrière, son ton étant à la fois taquin et exaspérant.
Derrière lui se trouvait une femme, les lèvres retroussées en un sourire en coin.
« Es-tu prête ? » lui demanda-t-il.
La femme aux cheveux pourpres derrière lui était un chevalier qui était à l’origine un mercenaire. Lorsque Ryoma était arrivé en première ligne il y a quelques jours, il avait laissé cette femme aux soins de Joshua. En voyant ses cheveux roux voler au vent, il avait compris que son surnom, « Lion cramoisi », n’était pas un vain mot. Et ces derniers jours, Joshua avait pu constater que ses compétences étaient à la hauteur de sa réputation.
« Oui, et quand tu le veux ? »
Lione hocha la tête avec confiance.
Ils avaient très peu de temps pour se préparer, mais apparemment elle avait réussi à faire ses ajustements. Les hommes de Joshua étaient compétents, mais cela rendait le travail de gestion des hommes difficile pour quelqu’un d’autre.
« Bien… Bon travail. »
« Oui. Et tes gars sont une bande de diablotins gênants », dit Lione en souriant.
Joshua poussa un petit soupir. Il savait que ce n’était pas aussi simple que Lione le disait. Leur éducation unique les rendait très différents des soldats normaux sous son commandement ou des conscrits ordinaires envoyés à Joshua par les nobles environnants. En fonction de leurs capacités, les gens qu’ils dirigeaient pouvaient devenir soit des soldats redoutables et inébranlables face à la mort, soit des mauviettes qui fuient complètement le champ de bataille.
« Mes hommes sont tous compétents, mais ce sont des compagnons ayant une personnalité. Ils n’écouteront pas un mot de ce que vous dites à moins qu’ils admettent que vous êtes plus fort. »
Et en effet, ils avaient obstinément ignoré les instructions des chevaliers de Peripheria. C’était un corps d’armée spécial mis sur pied par le défunt général Belares. Ils étaient en quelque sorte une unité de corsaires, concentrés sur les troubles en tant de paix et la réduction de la puissance nationale des pays ennemis.
Avec la mort de son père, ils devinrent les troupes personnelles de Joshua. Ils étaient à l’origine des criminels, des bandits et des hors-la-loi qui causaient des problèmes à l’intérieur des frontières de Xarooda. Le général Belares était à la fois un chevalier émérite et un fin stratège, et adhérait farouchement au style de combat d’un chevalier. Mais il s’était rendu compte qu’ils finiraient par plier sous la puissance nationale supérieure d’O’ltormea.
***
Partie 2
La taille de leur pays, leur économie, leur main-d’œuvre — ils dépassaient Xarooda dans tous les facteurs imaginables. Aussi militariste que le Royaume de Xarooda avait pu l’être et aussi habile que ses chevaliers puissent l’être, le nombre était ce qui décidait des guerres.
Pour couronner le tout, Xarooda lui-même n’était pas un pays monolithique. Son territoire était délimité par des montagnes et des forêts. Et bien qu’il y ait eu des rois et des gouverneurs à travers l’histoire de Xarooda, il n’y avait jamais eu de despote. O’ltormea était unifiée sous la volonté d’un seul empereur, tandis que le roi de Xarooda ne pouvait prendre aucune décision critique sans consulter la noblesse. Même un enfant pourrait dire quel camp avait l’avantage.
Ainsi, le Général Belares avait pris des mesures pour combler l’écart entre la puissance nationale d’O’ltormea et celle de Xarooda. Et certaines de ces mesures signifiaient s’éloigner de la voie de la chevalerie. Une de ces méthodes consistait à employer cette unité de corsaires pour troubler la paix à O’ltormea.
Pour ce faire, le général Belares graciait les chefs de bandits de leur peine de mort, et les envoyait en échange semer le trouble sur le territoire d’O’ltormea.
Ces hommes menaient une vie encore plus dure que celle d’un mercenaire ou d’un aventurier. Le fait qu’ils obéissaient à Lione sans trop se plaindre était une preuve de ses capacités. Mais en entendant les mots de Joshua, Lione avait simplement plissé ses yeux dorés et ri.
« Ils ne sont pas si mauvais, mais je dois bien convenir qu’ils sont un peu turbulents. Même si un simple coup de pied au cul est généralement bien suffisant pour tout réparer. Mignon, voilà ce qu’ils sont. »
Et Lione ne mentait pas. Intégrer les subordonnés de Joshua n’avait pas été une tâche difficile pour elle. Elle ne dirigeait pas le groupe du Lion Cramoisi en tant que femme avec seulement des apparences et un comportement capricieux.
Oui, je vois ce qu’il voulait dire… Cette femme est utile. Et elle lui fait confiance.
Ryoma n’était pas présent pour ce qui allait arriver. Il se rendait à Helnesgoula, pour rencontrer la Renarde du Nord dans une rencontre qui pourrait décider du sort des trois pays de l’Est. Il avait confié la tâche de retarder l’invasion de Xarooda par O’ltormea aussi longtemps que possible aux mains de Joshua et Lione.
La plupart des gens penseraient qu’ils sont traités comme des pions jetables et paniqueraient.
Mais Joshua n’avait pas vu le moindre soupçon d’anxiété dans l’expression de Lione. Il n’y avait pas de loyauté chancelante ou de sens du devoir mal placé entre eux. C’était la preuve qu’il existait une véritable confiance entre eux deux.
« Au fait… Est-ce donc un cadeau d’adieu pour lui ? », demanda Joshua en regardant les caisses en bois qui étaient transportées l’une après l’autre derrière eux.
« Oh, ça. Les jumelles les ont achetés à Peripheria », déclara Lione tout en faisant signe de la main à l’un des soldats travaillant derrière eux afin de s’approcher.
« Oh, je vois… Des vases en céramique remplis d’huile de poisson, avec des tissus fourrés pour servir de bouchons… »
Les vases en céramique étaient globalement mal faits. Ils n’étaient pas recouverts de glaçure, et leurs formes et tailles n’étaient pas uniformes. Ils étaient assez grossiers, probablement le résultat du travail d’un apprenti dans l’atelier. Il s’agissait de vases de basse qualité, et Joshua doutait que quiconque dans sa maison, non, pas même les serviteurs travaillant sur le domaine de sa famille, utilise une poterie de si basse qualité.
Mais pour cet usage particulier, la qualité de la poterie utilisée importait peu. La taille n’était pas une préoccupation majeure, et tant que l’huile qu’elles contenaient ne fuyait pas, leur forme n’avait pas d’importance non plus.
Je parie que les ateliers de céramique de Peripheria étaient heureux de voir que quelqu’un leur achète tout ce stock inutile…
Joshua ramassa un vase qui était assez petit pour tenir dans sa main. Après avoir confirmé son poids à plusieurs reprises, Joshua fit un signe de tête à Lione.
« Il suffit d’allumer le tissu et de le jeter… C’est une bonne idée. »
« Oui. C’est facile à transporter, et au moment où tu le jettes par terre, l’huile à l’intérieur éclabousse tout le monde. C’est difficile de le lancer aussi loin qu’une flèche de feu, mais c’est parfait pour des moments comme celui-ci, quand on attaque d’en haut. », dit Lione en gonflant sa poitrine.
À vrai dire, l’idée de bourrer de l’huile dans ces bouteilles et de les lancer n’était pas une méthode d’attaque particulièrement bonne. Leur portée était bien plus courte que celle d’une flèche de feu, et les conteneurs étaient des consommables qui ne pouvaient pas être conservés pour une utilisation ultérieure. Ils pouvaient en obtenir suffisamment cette fois-ci, mais ils ne pouvaient pas nécessairement en obtenir un approvisionnement régulier à l’avenir si nécessaire. La quantité d’huile gaspillée pour les fabriquer était également considérable.
Mais d’un autre côté, cette méthode offrait une vitesse de combustion qui dépassait de loin celle d’une flèche de feu. C’était une méthode bien plus efficace pour brûler l’unité ennemie dans cette situation particulière. C’était une méthode utilisée dans les batailles de siège, verser de l’huile bouillante sur les murs pour tuer l’ennemi, mais cette fois, elle avait été développée pour être encore plus efficace.
« C’est une idée plutôt intéressante, cette…, est-ce ce type qui l’a inventée ? », demanda Joshua.
« Oui, cela a été fabriqué selon les instructions du garçon. Plutôt pratique », répondit Lione avec un grand sourire.
C’était un sourire innocent, comme si Joshua venait de complimenter quelqu’un de sa famille. Elle voyait probablement Ryoma comme un jeune frère gênant.
« Je vois… Alors ses exploits sont réels. »
Joshua ne put s’empêcher d’esquisser un sourire en coin en voyant à quel point elle faisait preuve de confiance envers Ryoma.
Il avait ensuite tourné son regard vers la rangée de personnes qui se déplaçait sous eux. Ils étaient à mi-chemin du passage. Ils n’avaient plus le temps de bavarder inutilement.
« Alors nous sommes prêts, oui ? Commencez. »
Joshua fit un signe de tête à Lione, jugeant que le moment était venu.
« D’accord. Compris. »
Lione obéit, levant sa main pour que ceux qui étaient derrière eux puissent la voir.
*****
« Très bien, vous entendez ? On ne sait pas d’où l’ennemi pourrait frapper la prochaine fois. Dites à nos éclaireurs de garder un œil attentif sur nos environs. », cria un homme à cheval.
Un messager sprinta en avant pour relayer le message immédiatement.
« Ne sommes-nous pas trop prudents ? », demanda le vice-commandant.
« Non… Je pense que nous sommes aussi prudents que nous devrions l’être. »
L’autre homme secoua la tête.
Même si une partie de lui pensait qu’il était trop prudent, il savait aussi que de nombreux autres officiers avaient été tués par les attaques-surprises de Joshua Belares. Il n’avait pas l’intention de tomber dans le même piège que ses prédécesseurs. Et plus important encore, cette mission de transport était un devoir qu’ils ne pouvaient pas se permettre d’échouer.
« Son Altesse a été très claire dans ses ordres. Ou essayez-vous de faire en sorte que j’échoue dans cette mission ? »
Cet officier était le sixième fils, et un enfant illégitime de surcroît, d’une famille de vicomtes. Il avait reçu l’éducation stricte d’un noble, mais n’était pas en mesure d’hériter de la tête de sa maison. Il avait donc choisi de devenir un chevalier.
Heureusement, sa lignée semblait lui avoir donné un certain talent. Mais en entrant dans l’armée, il n’avait pas reçu l’ordre de prendre une position sur le front. Ce n’était pas le résultat d’un mauvais traitement. D’une certaine manière, c’était même une très bonne position à recevoir. Cet homme était plus doué pour gérer les chiffres et les négociations que pour commander des gens, et ses talents étaient d’une certaine manière une aubaine pour O’ltormea.
Il était devenu une figure de proue du département de l’approvisionnement d’O’ltormea. S’occuper de l’approvisionnement signifiait affronter les marchands rusés dans une véritable bataille de mots. La quantité de fournitures consommées par une armée était en effet énorme, et d’autant plus en temps de guerre. Selon le contrat signé, des sommes d’argent suffisamment importantes pour construire une ou deux forteresses pouvaient changer de mains. C’était, à toutes fins utiles, une bataille sans armes.
Et cet homme avait remporté victoire après victoire sur ce champ de bataille. Grâce à ses succès, il avait gravi les échelons, devenant le chef de la division de l’approvisionnement de Fort Notis. Cependant, étant donné sa formation de chevalier, il n’était pas anormal pour lui de vouloir accumuler des mérites sur un vrai champ de bataille. Cette mission était donc vraiment spéciale pour cet homme.
« Vous plaisantez sûrement… »
Son lieutenant secoua précipitamment la tête aux paroles provocantes de son supérieur.
L’homme devait sûrement plaisanter. Mais donner une mauvaise réponse à cette plaisanterie pourrait entraîner un châtiment pour ce lieutenant. Après tout, une différence de classe était un fondement absolu dans ce monde. Il serait chanceux de s’en sortir avec une simple rétrogradation. Au pire, les têtes de sa famille pourraient voler au sens le plus littéral du terme.
Bien sûr, son supérieur ne ferait pas quelque chose d’aussi déraisonnable sans raison. Mais c’était seulement pour dire qu’il ne le ferait pas, pas qu’il ne pourrait pas.
« Alors, taisez-vous et faites ce qu’on vous dit… L’échelle et l’importance de cette mission dépassent tout ce que nous avons fait auparavant… Vous le comprenez, hein ? »
Sur les ordres de Shardina, un grand nombre de soldats et une montagne de fournitures furent rassemblés des quatre coins d’O’ltormea et envoyés à Fort Notis. Mais peu importait la quantité de fournitures stockées dans leur dépôt si elles ne pouvaient pas être transportées jusqu’aux lignes de front.
Le lieutenant acquiesça sans mot dire à la question de l’homme. Leur mission pouvait très bien décider de la bataille à venir. Mais ce sens du devoir et cette détermination s’effriteraient bien trop rapidement et bien trop facilement…
*****
« On commence ! Vous êtes prêts ?! »
Plus de deux cents soldats hochèrent la tête à l’exclamation de Lione et commencèrent à chanter comme un seul homme.
« “‘Notre Mère la Terre, étend tes bras robustes pour protéger tes enfants du malheur ! Mur de pierre !’” »
De grands murs, de ce qui ne pouvait être décrit que comme des rochers, s’élevèrent du sol. Mais ce n’était qu’un simple mur. Il y avait bien d’autres façons d’utiliser la magie verbale pour tuer un homme, et donc l’utilité de ce sort sur le champ de bataille était au mieux réservée à offrir une couverture contre les flèches.
Ou du moins, c’était ce que tout le monde croyait jusqu’à ce jour…
Lione donna un autre ordre : « Repoussez-les ! »
« Ooooh ! Poussez-le ! Tirez, tirez ! »
Les soldats se conformèrent à ses ordres et jetèrent leur poids contre les murs.
« Mettez-y plus de force ! »
« Quoi !? Toute la nourriture que vous avez ingurgitée n’a-t-il servi à rien ?! Allez, vous pouvez pousser plus fort que ça ! »
Des murs pesant plusieurs tonnes furent progressivement poussés vers l’avant. Avec ce poids, même eux, avec leur force musculaire renforcée par la magie martiale, ne pouvaient pas facilement les pousser. Leurs visages devinrent rouges alors qu’ils travaillaient en escouades de plusieurs personnes. Leurs muscles se gonflèrent et le sang était pompé intensément dans leurs veines. Et finalement, leurs efforts furent évalués à leur juste valeur.
« Continuez et laissez-le tomber en bas de la falaise ! »
« “‘Oooooooh !’” »
Avec une dernière poussée, les soldats utilisèrent tout ce qui restait de leur force pour pousser les murs de pierre par-dessus le bord de la falaise, où ils dégringolèrent d’une centaine de mètres, aplatissant les forces d’O’ltormea en contrebas…
***
Partie 3
« C’était quoi ce bruit ?! »
L’homme regarda autour de lui, entendant un grondement résonner au-dessus de lui.
« Ce sont des rochers, monsieur ! Des rochers qui nous tombent dessus depuis les falaises ! »
À ce moment-là, le commandant sentit tout le sang se vider de son visage d’un seul coup. Il tourna son regard dans la direction indiquée par son lieutenant et vit d’énormes dalles de rochers dévaler la falaise les unes après les autres.
Comme les dalles n’étaient pas circulaires, elles s’écrasaient les unes contre les autres et tombaient à un rythme désordonné, changeant leur trajectoire au fur et à mesure qu’elles dégringolaient. Il était donc plus difficile de prévoir où elles allaient s’écraser, et donc plus difficile de les éviter. Pour couronner le tout, elles avaient soulevé une grande quantité de sédiments en tombant.
« Kuh, une embuscade de Xarooda… ! Que font nos éclaireurs ? ! Je vais les faire décapiter dès qu’ils reviendront ! », s’insurgea le commandant face à l’incompétence de ses éclaireurs.
Cela dit, l’homme ne mettrait jamais ses intentions à exécution. Les éclaireurs qu’il avait envoyés étaient déjà réduits à l’état de cadavres sans vie dans les mains de Joshua.
« On peut s’occuper de ça plus tard, monsieur ! Nous devons courir ! », dit le lieutenant, protégeant le corps du commandant des sédiments soulevés par les rochers.
Sa tentative n’avait cependant servi à rien. Ils n’avaient aucun moyen de s’échapper.
Que faisons-nous ? Que pouvons-nous faire pour nous en sortir vivants ?
Le peloton de tête était déjà complètement hors de vue derrière les sédiments et les rochers. Il était difficile de dire s’ils allaient bien, mais quoi qu’il en soit, si c’était une attaque de Xarooda, leur destin était probablement déjà scellé.
Dans ce cas, l’homme devait donner la priorité à la défense d’une autre unité de ravitaillement, relativement sûre.
« Repli ! À toutes les forces, repliez-vous ! »
Le commandant cria aussi fort qu’il le pouvait, comme s’il essayait de s’arracher la gorge.
En tant que décision prise dans le feu de l’action, ce n’était pas un mauvais choix à faire. Mais ses ordres ne seraient pas exécutés.
« Nous ne pouvons pas, monsieur. Nous ne pouvons pas faire demi-tour sur une route aussi étroite ! », dit le lieutenant, niant toute possibilité.
Leurs rangs remplissaient entièrement le sentier étroit, et s’ils pouvaient avancer sans problème, faire demi-tour était impossible… Mais le pire était encore à venir. D’innombrables bouteilles furent jetées en bas de la falaise les unes après les autres. De petits récipients en céramique, dont l’un des côtés était rempli de chiffons brûlants.
« F-Feu ! Feu ! »
Un cri d’agonie quitta la bouche d’un soldat.
Les bouteilles s’étaient écrasées contre le sol et s’étaient brisées, éclaboussant leur environnement de liquide.
« Cette odeur… C’est de l’huile de poisson ! »
Le lieutenant blêmit en reconnaissant l’odeur distincte.
L’huile de poisson était plus inflammable qu’on ne pourrait l’imaginer. À l’époque Edo, les gens utilisaient souvent de l’huile de poisson bon marché pour allumer des lanternes en papier. Lione plaçait précisément ce type d’huile dans des pots et des bouteilles en céramique pour créer des cocktails Molotov improvisés.
Il y a plusieurs mois, Ryoma avait ordonné à Sakuya de brûler la forteresse des pirates sur la péninsule de Wortenia, et elle, ainsi que ses ninjas, avaient utilisé cette méthode pour le faire. Le fait que les bouteilles devaient être lancées à la main signifiait que même si elles étaient inférieures aux flèches de feu en termes de portée, elles étaient plus faciles à transporter et permettaient au feu de se propager beaucoup plus loin. Elles étaient également plus faciles à rassembler que les arcs et les flèches, et ne nécessitaient aucun entraînement pour les utiliser correctement.
Et dans des situations comme celle-ci, où elles étaient lâchées du haut d’une falaise, leur manque de portée n’était pas du tout un problème. Plus elles étaient lâchées de haut, plus l’onde de choc qu’elles produisaient était forte et plus l’huile qu’elles contenaient se dispersait.
Joshua hocha la tête avec satisfaction en regardant le pandémonium qui commençait à se développer sous la falaise.
« Très bien, il est temps de les achever », dit-il.
« Vous l’avez compris. Nous sommes déjà désavantagés, nous devons donc réduire leur nombre autant que possible pour le moment où le plan tombera à l’eau », répondit Lione avec un sourire féroce et se tourna vers la silhouette derrière elle.
« Tu écoutais, hein ? Désolé, mais nous aurons besoin que tu y ailles aussi. »
La silhouette, qui était couverte d’une robe et d’une capuche, hocha légèrement la tête.
« Oui, cet homme m’a dit de t’aider. Permets-moi de montrer mon pouvoir en tant que fille du démon fou Nelcius. »
La silhouette était celle d’une femme, sa voix claire comme le son d’une cloche. C’était une voix fascinante, envoûtante, qui faisait fondre le cœur des hommes. Joshua, qui ne semblait pas savoir qui était cette femme, la regardait avec surprise. Ryoma lui avait dit que c’était une guerrière expérimentée, mais la qualité séduisante de sa voix l’avait surpris.
« Bien… J’ai hâte d’y être, Dilphina. »
Lione avait simplement acquiescé sèchement à ses paroles.
« Laissez-moi m’occuper de cette affaire… Et regardez. Je vous apporterai la tête de leur commandant d’ici peu. »
Sur ces mots, Dilphina s’élança vers la falaise.
Et l’instant d’après, elle s’était élégamment envolée dans les airs, confiant son corps à la gravité, qui l’entraîna sur une distance de 100 mètres.
« Est-ce que c’est… la deuxième mesure secrète qu’il a laissée derrière lui ? » demanda Joshua à Lione, tout en regardant la forme de Dilphina se réduire et s’éloigner à mesure qu’elle s’approchait du sol.
Il avait accepté la demande de Ryoma de ne pas poser de questions, Joshua n’avait donc pas l’intention de se renseigner trop profondément sur cette femme, mais la curiosité avait eu raison de lui.
« Oui, je suppose qu’on peut dire ça. », acquiesça Lione.
Lione elle-même ne savait pas vraiment de quoi Dilphina était capable. Tout ce qu’elle savait, c’était que parmi les demi-hommes vivant à Wortenia, elle était apparemment une guerrière exceptionnellement expérimentée.
« C’est une réponse assez peu fiable », dit Joshua avec du mécontentement dans la voix.
« Désolé, mais c’est la seule réponse que j’ai pour vous. Tout ce que je peux dire pour l’instant, c’est qu’il faut voir comment ça se passe… Mais le garçon a dit que nos chances de gagner ici sont bonnes. », dit Lione en haussant les épaules.
Lione avait vu beaucoup de guerriers et de chevaliers qui étaient loués comme des armées d’un seul homme mourir trop facilement sur le champ de bataille. La force individuelle était importante, certes, mais Lione savait que ce n’était pas suffisant pour survivre sur le champ de bataille.
Malgré tout, Lione n’avait pas prévu une situation où Dilphina pourrait mourir. La magie martiale utilisait le corps pour produire une force surhumaine. La magie verbale manipulait le pouvoir des dieux ou des esprits en offrant son propre prana. La magie des dotations accordait des pouvoirs et des effets divers aux outils en y plaçant une marque de malédiction. Ce sont les trois types de magie transmis dans ce monde.
Mais on disait depuis longtemps que les elfes possédaient des techniques inégalées dans le domaine de la magie de dotation. Les objets rituels de production elfique se retrouvaient de temps à autre sur le marché, mais leur prix était toujours dix fois supérieur à celui d’outils similaires produits par des mains humaines. Selon l’objet, le prix pouvait même être cent fois supérieur à celui d’un produit humain.
Mais cela dit, peu de gens avaient vu ces objets rituels utilisés sur le champ de bataille.
Eh bien, je suppose que c’est une bonne occasion de voir si les rumeurs sur leur magie sont réelles…
Cela confirmerait la légitimité des techniques utilisées par les elfes de la péninsule de Wortenia. Leurs compétences avaient le pouvoir de changer les plans d’avenir de Ryoma. Ainsi, Lione gardait son regard fixé sur la forme rétrécie de Dilphina. Et tout ceci avec précaution, afin de ne pas manquer un seul détail…
Alors que la gravité rapprochait de plus en plus son corps du sol, Dilphina prit une profonde inspiration puis expira. C’était très similaire au type de respiration profonde que l’on voyait souvent dans les méditations de yoga. En prenant quelques respirations, elle sentit ses sens s’aiguiser rapidement.
Le serpent d’énergie lové dans son périnée — son prana — se réveilla rapidement et parcourut le corps de Dilphina. Il atteignit rapidement son quatrième chakra, le chakra Anahata, le forçant à fonctionner.
« Réveille-toi. »
Un petit mot s’échappa des lèvres de Dilphina.
Il était bien trop court pour être une incantation d’un sort, et pourtant ses effets étaient immédiats et extrêmes. L’armure de cuir noir que Dilphina portait sous sa robe respectait ce seul mot, tout comme la courte lance qu’elle tenait dans sa main droite. Ce qui ressemblait à un hiéroglyphe s’illumina sur la surface de la tête et de l’armure, formant un motif luminescent.
À ce moment-là, le corps de Dilphina fut libéré de l’attraction de la gravité. Dilphina atterrit doucement sur le sol.
« Je vois que le credo s’est parfaitement activé. », dit Dilphina en regardant autour d’elle.
« Mais qui êtes-vous ?! »
« Un ennemi ?! »
Quelques dizaines de soldats d’O’ltormea qui travaillaient à éteindre les flammes, remarquèrent sa descente d’en haut et tournèrent leurs lances vers elle. Bien sûr, il ne s’agissait que de soldats d’une unité de ravitaillement travaillant à l’arrière. Et bien que les soldats d’O’ltormea soient généralement bien entraînés, ces soldats étaient loin d’être aussi compétents ou organisés que les élites combattant en première ligne.
C’est dommage que cet homme ne soit pas là pour voir ça de ses propres yeux… Mais c’est une bonne occasion de faire une démonstration de notre puissance.
Soit ils entrent en guerre, soit ils coopèrent entre eux. Et vu que Ryoma Mikoshiba refusait de prendre une position de non-interférence, il n’y avait que deux manières d’interagir avec lui. Mais s’ils entraient en guerre, et même si le camp de Dilphina battait Ryoma, leurs destins seraient scellés. L’humanité apporterait son grand nombre aux elfes et les écraserait.
Les elfes n’avaient donc pas d’autre choix que de coopérer avec Ryoma, même à contrecœur. Et s’ils devaient le faire, ils voulaient que cette relation profite à leur race autant que possible.
« Maintenant… Commençons. »
Dilphina balança sa courte lance avec désinvolture. La lance laissa échapper un hurlement sauvage, soulevant un violent coup de vent qui frappa le visage des soldats d’O’ltormea. À ce moment-là, les soldats eurent le réflexe de voir la silhouette devant eux comme la violence incarnée.
« M-Monstre… »
L’un des soldats marmonna avec un mélange de terreur et de chagrin.
En entendant ce mot, Dilphina sourit doucement sous sa capuche.
« Oui, c’est vrai… Je suis un monstre. Un démon qui va se régaler de vos vies. »
L’instant d’après, d’innombrables fleurs s’épanouirent sur le champ de bataille — tandis que des pétales rouges de sang se répandaient sur la terre…
***
Partie 4
Ce jour-là, Joshua Belares mena un raid sur l’armée d’O’ltormea qui entraîna de grandes pertes pour l’Empire. La vitesse de l’invasion d’O’ltormea s’était donc encore détériorée. Cela avait permis à Ryoma de gagner un temps précieux.
Un certain groupe se dirigeait vers le nord-ouest le long d’une route traversant une zone forestière près de la frontière nord de Xarooda. Ce n’était cependant pas une route commerciale très active. S’il n’y avait pas eu les principaux produits de cette région, aucun marchand n’aurait jamais traversé cette route. Surtout depuis que les mouvements d’Helnesgoula n’étaient plus clairs, les seuls à passer par ici étaient les paysans locaux.
Grâce à cela, ils pouvaient laisser leurs chevaux galoper aussi vite qu’ils le voulaient et ne rencontraient aucun incident. Après tout, le bruit des sabots se propageait loin, et n’importe qui pouvait remarquer l’approche du nuage de poussière afin de se déplacer sur les côtés de la route.
Le groupe était vêtu de vêtements minables et sales. Ils s’étaient probablement éloignés de la route, qui était protégée par une barrière repoussant les monstres, afin de réduire la durée de leur voyage. Les manteaux qu’ils portaient pour se protéger du froid étaient déchirés, comme par les griffes des monstres.
Une odeur nauséabonde se dégageait de leurs corps, preuve qu’ils ne s’étaient pas lavés depuis des jours. Ils avaient probablement dormi dehors au lieu de séjourner dans une auberge. S’ils n’avaient pas été à cheval et armés, ils auraient pu ressembler à des roturiers fuyant la guerre. Les 20 personnes qui composaient ce groupe étaient toutes clairement fatiguées par le voyage.
« Capitaine, c’est en vue ! », cria à pleins poumons un jeune chevalier qui chevauchait en tête après s’être retourné.
C’était une terre occupée par Helnesgoula, un pays qu’ils ne pouvaient pas encore considérer comme étant ami ou ennemi. Ainsi, l’avant-garde de la caravane faisait également office d’éclaireurs. La voix du chevalier était remplie de soulagement d’être enfin libéré de cette tâche.
Aux mots de ce chevalier de la Garde du Monarque, qui était connu pour être particulièrement vigilant, tous les regards s’étaient tournés vers la petite colline devant eux.
« La cité-citadelle du nord, Memphis… »
Orson Greed, qui chevauchait aux côtés de Ryoma, pointa le doigt vers l’avant.
Ryoma regarda dans cette direction. Il vit effectivement un petit point au loin qui s’était progressivement agrandi et précisé au fur et à mesure que son cheval avançait sur la route. Finalement, une ville couverte de plusieurs couches de murs apparut. Au sommet des remparts flottait le drapeau du Royaume d’Helnesgoula.
« Aah, enfin… Cela nous a pris quatre jours, mais nous sommes enfin arrivés… », dit Ryoma tout en fixant les murs tout en gardant l’allure de son cheval.
Les sœurs Malfist, qui chevauchaient parallèlement à Ryoma, l’entendirent murmurer. Ses mots étaient mêlés d’agacement et d’anxiété.
« Je pense que c’est plus rapide que ce qu’il nous faut habituellement… Nous avons dû chevaucher jour et nuit tout en gardant nos chevaux renforcés en utilisant la magie pour le faire. Le fait que nous ayons changé de chevaux dans les villes en cours de route a également accéléré les choses. Nous n’avions pas à perdre de temps à laisser nos chevaux se reposer. », dit Laura.
Sara acquiesça sans mot dire. La magie avait été appliquée aux selles et aux sabots des chevaux, ce qui avait permis au cavalier de partager son prana avec le cheval, lui accordant une vitesse accrue, récupérant peu à peu son endurance. Cela leur permettait de maintenir une vitesse supérieure à celle de la normale pendant une période plus longue.
Ils montaient leurs chevaux aussi vite que possible, et lorsqu’ils atteignaient une ville, Greed utilisait sa position de capitaine de la Garde du Monarque pour faire en sorte que la garnison de la ville échange leurs chevaux. Cela raccourcissait encore plus leur voyage. C’était probablement le moyen de transport le plus rapide dans ce monde.
Ce fut le résultat de leurs meilleurs efforts. Cette méthode nécessitait d’utiliser la magie à cheval et d’être capable d’échanger des chevaux. C’était des conditions très particulières, et à cet égard, ils eurent de la chance que les choses s’alignaient aussi bien.
Mais Ryoma était toujours mécontent.
« Je suppose que c’est comme ça que ça doit être… », murmura Ryoma avec agacement. Il avait gardé son regard fixé vers l’avant.
« Êtes-vous mécontent, Maître Ryoma ? », demanda Sara avec inquiétude.
Ryoma secoua silencieusement la tête et augmenta la vitesse de son cheval.
Eh bien oui, je le suis… Mais le leur dire ne servirait à rien…
Ryoma était habitué aux avions et aux automobiles, et à titre de comparaison monter à cheval manquait de confort et de vitesse. Il ne pouvait s’empêcher d’en être insatisfait, surtout dans des situations comme celle-ci, où chaque minute et chaque seconde comptaient.
Mais Ryoma comprenait que s’attendre à quelque chose qui ressemble à une voiture dans ce monde était demander l’impossible. Il y avait le scénario extrêmement improbable d’un invocateur appelant quelqu’un qui se trouvait dans une voiture et l’amenant avec lui. Mais d’un point de vue pratique, utiliser une voiture ici serait une absurdité totale.
Après tout, il n’y avait pas de mécaniciens pour l’entretenir, et si elle souffrait d’un quelconque dysfonctionnement, en particulier un pneu crevé, il n’y aurait pas de pièces de rechange pour la réparer. Et puis il y avait un problème encore plus fondamental : Ryoma ne se voyait pas obtenir un approvisionnement constant en essence.
L’idée s’était complètement effondrée dès qu’il s’était mis à y réfléchir. C’étaient des problèmes que l’on n’avait pas besoin de considérer quand on vivait dans le monde de Ryoma, mais dans ce monde, tout était différent.
De plus, même si toutes ces conditions étaient remplies, l’état des routes dans ce monde ne permettait pas à un véhicule de rouler correctement. Peut-être que ce serait possible près d’une ville, mais les routes étaient principalement constituées de terre. S’il pleuvait, le sol pouvait devenir boueux, ce qui pouvait bloquer la voiture. Et à moins qu’il ne s’agisse d’une jeep militaire, conduire une automobile dans ce monde serait difficile.
C’était un bon exemple de la façon dont une technologie extrêmement optimisée dans un certain domaine rendait plus difficile l’utilisation efficace d’un outil.
Cela dit, développer les sciences ici serait difficile… Pas impossible, mais il faudrait beaucoup de main-d’œuvre, de temps et d’argent pour y parvenir.
Ryoma avait étudié les sciences pendant les 10 années qu’il avait passées de l’école primaire au lycée. Il connaissait quelques formules chimiques, et il pouvait probablement produire des réactions chimiques en utilisant certains produits chimiques. Mais c’était uniquement dans le cadre de ses études, et il ne pouvait mélanger que des matériaux préparés.
Ce n’était pas différent de la cuisine. En faisant une carbonara, n’importe quel amateur pouvait faire quelque chose de décent avec les matériaux et une recette. Les Japonais étaient particulièrement friands de ce type de pâtes. Mais si l’on pouvait être familier avec les pâtes, peu de gens pouvaient les fabriquer à partir de farine. La plupart des gens auraient du mal à utiliser des ingrédients bruts pour faire quelque chose d’à peu près décent, au pire ils abandonneraient à mi-chemin.
La science était similaire à cela, sauf qu’elle était encore plus compliquée et dangereuse. Si l’on échouait à cuisiner un plat, on fronçait les sourcils et on jetait le résultat. Échouer en science pouvait mettre sa vie en danger.
Dans ce cas, utiliser la magie, qui est beaucoup plus développée dans ce monde, est un choix beaucoup plus réaliste, mais…
La magie était pratique et avait de nombreuses applications, mais elle n’était pas sans défaut. La magie de dotation, en particulier, était plutôt générique et limitée dans ce qu’elle pouvait faire. Pour commencer, il y avait peu de mages capables de marquer des objets avec des sceaux de malédiction. Il était donc logique que les objets enchantés par la magie de dotation se vendent si cher.
De plus, la plupart des rares personnes capables de placer des sceaux de malédiction gagnaient leur vie en créant des équipements d’asservissement destinés à lier les esclaves. Ils n’avaient que peu d’intérêt pour le développement de ce domaine, et de nouvelles façons d’appliquer la magie de dotation n’étaient tout simplement pas découvertes.
Ryoma avait choisi de ne plus y penser à ce moment-là. Les aspects technologiques de ce monde étaient un sujet qui méritait d’être débattu, mais pour l’instant, il devait s’attaquer au problème en cours.
Nous avons fait du mieux que nous pouvions jusqu’à présent… Mais cela suffira-t-il ? Arriverons-nous à temps ?
Y arriveront-ils à temps ou pas ? Tout dépendait de cela. C’était pourquoi Ryoma avait fait tout son possible pour traverser cette terre aussi vite que possible. Peu importe la puissance d’un cheval, il s’agissait toujours d’un être vivant. Il se fatiguait progressivement, et il y avait des limites à la vitesse à laquelle il pouvait aller. C’était pourquoi ils avaient changé de cheval en cours de route.
Pour maximiser leur vitesse, Ryoma et son groupe avaient fait attention aux vêtements qu’ils portaient pendant le voyage, afin de ne pas alourdir davantage leurs destriers. Les chevaliers Xarooda portaient souvent une armure complète, mais cette fois-ci, ils étaient vêtus du genre d’armure en cuir que les mercenaires utilisent généralement. S’il n’y avait pas eu le blason Xarooda, une épée tenue devant un bouclier, tissé dans leurs manteaux, on aurait eu du mal à les reconnaître comme des chevaliers.
Pour ce qui était de l’armement, chacun portait une seule épée, rengainée à la taille. Ils n’avaient pas de lances ou d’armes de rechange. En plus de cela, ils avaient chacun une gourde d’eau et un sac en cuir contenant du bœuf séché comme rations conservées, attachés à leurs selles. Dans ce monde, c’était la manière de voyager le plus légèrement possible. En fait, c’était presque de l’inconscience. Même s’ils se réapprovisionnaient dans les villes le long de la route, on ne pouvait pas savoir ce qui pouvait arriver dans ce monde, contrairement au monde de Ryoma. Il n’aurait jamais voyagé aussi léger dans des conditions ordinaires.
Mais bien que conscients des dangers encourus, ils s’étaient quand même lancés dans ce qui s’apparentait à un pari, car ils savaient que ces moments décisifs étaient leur dernière chance. Maintenant, alors que l’armée d’Helnesgoula commençait à augmenter ses effectifs…
L’armée d’O’ltormea est trop importante. Si nous les affrontons maintenant, les combats ne dureront que quelques jours, et ce même si nous avons l’avantage de la localisation…
Les espions que Joshua avait envoyés dans l’Empire avaient risqué leur vie pour lui transmettre la nouvelle de la prochaine offensive de grande envergure. Ryoma devait réussir dans les négociations à venir, ou leurs efforts n’auront servi à rien.
Avec Lione et Joshua Belares à la tête de la bataille au col de la montagne, nous devrions certainement être en mesure d’écraser la ligne de ravitaillement. Mais…
Ryoma pouvait imaginer le pire scénario, et il fit claquer sa langue malgré lui. Il pouvait imaginer un enfer de sang versé et des flammes brûlantes. Les soldats d’O’ltormea déferlaient sur le champ de bataille comme un raz-de-marée grâce à leur supériorité numérique, submergeant le Royaume de Xarooda et détruisant tout sur leur passage.
En parlant de se battre le dos au mur…
Ryoma était persuadé que son plan était le meilleur, et sûrement la meilleure option pour le Royaume de Xarooda en ce moment. Mais c’était toujours un véritable pari. C’était comme marcher sur une corde raide. Il faudrait donc que tout soit mis parfaitement en place et que toutes ses actions soient concluantes pour former un tout significatif.
Ryoma n’avait pas fait de pari aussi flagrant et imprudent depuis qu’il s’était échappé d’O’ltormea après avoir tué Gaius, sauf quand il avait fait la tête de pont sur la rivière Thèbes. Et même si ses chances semblaient minces à l’époque, elles étaient toujours plus favorables que celles d’aujourd’hui.
Mais il savait qu’il n’avait pas d’autre choix, il devait donc s’engager sur cette voie tout en sachant combien elle était dangereuse.
J’hésite ici… Mais faire ça après que les dés aient été jetés, ça ne me ressemble pas.
Deux visages étaient apparus dans l’esprit de Ryoma. Le premier était celui de sa confidente, Lione. Il avait une parfaite confiance en elle, et c’était pour cela qu’il avait laissé les choses entre ses mains. Il n’avait pas moins confiance en elle qu’en Laura et Sara, qui étaient toujours à ses côtés.
L’autre était quelqu’un qu’il ne connaissait que depuis peu de temps, Joshua. Mais Ryoma avait vu que Joshua avait une odeur similaire à la sienne. Et au vu de ce qu’il avait accompli jusqu’à présent, il ne faisait aucun doute qu’il était un commandant face à qui peu pouvaient rivaliser sur ce continent occidental. C’était pourquoi, bien qu’il lui avait donné l’un de ses atouts, Ryoma avait pu l’envoyer dans ce qui était une mission suicide sans douter de son retour.
Il faut espérer que la reine d’Helnesgoula soit à moitié aussi rusée et compétente que les rumeurs le laissent entendre…
Bien sûr, ils avaient une chance de gagner. Mais ce n’était qu’une possibilité, et non un fait absolu. Ryoma se mordit la lèvre en regardant la bannière d’Helnesgoulia qui flottait devant lui…
***
Chapitre 3 : La renarde du Nord
Partie 1
Ryoma et Orson Greed furent guidés vers une pièce, et se trouvaient maintenant devant sa porte, où un homme les accueillit avec un sourire. Mais Ryoma pouvait voir que derrière ce sourire, ses yeux étaient animés d’une volonté farouche.
« Vous êtes donc le Seigneur Ryoma Mikoshiba et Sire Orson Greed… J’ai entendu dire que vous étiez des messagers de Xarooda… »
L’homme regarda Ryoma avec curiosité.
« Vous êtes assez jeunes. Mais le fait qu’on vous ait confié la volonté d’un pays montre que vous devez être tout à fait capable. »
Malgré la soudaineté de leur visite, son expression ne trahissait pas une once de mécontentement.
« Ce long voyage a dû être assez épuisant. Pourquoi n’entrez-vous pas pour prendre du thé et des friandises ? »
Sur ce, l’homme fit signe à Ryoma et Orson d’entrer dans la chambre d’amis et de s’asseoir sur un canapé, comme pour dire que tout cela était prévu.
Ils avaient vraiment prévu notre arrivée… Eh bien, s’ils ne pouvaient pas le faire, il n’y aurait eu aucune raison de traiter avec eux, murmura Ryoma en voyant l’expression de l’homme.
Dès qu’ils s’étaient présentés aux portes du château, on les avait fait entrer sans leur demander de prouver leur identité, puis on les avait conduits dans cette pièce. Ce seul fait indiquait clairement que les gens d’Helnesgoula gardaient un œil sur Ryoma, ou du moins recueillaient des informations sur ses actions.
Même avec leurs capes brodées des armoiries de la maison royale de Xarooda, ils avaient été autorisés à entrer. N’importe qui pouvait probablement préparer des manteaux comme ceux-ci sans trop de difficultés, ils ne pouvaient donc pas compter comme une preuve indiscutable de leur allégeance…
« Je m’excuse de ne pas m’être présenté en premier… Je suis Arnold Grisson. Mon rang est celui d’un général de l’armée d’Helnesgoula, et ma position est celle de commandant suprême du front oriental. »
Arnold Grisson était un homme mince au visage pâle. Il semblait avoir une trentaine d’années, et bien qu’il mesurait environ 180 centimètres, son corps ne pouvait pas être qualifié de musclé. En regardant le dos de sa main, Ryoma avait remarqué qu’il était frêle, ce qui impliquait que l’homme n’était pas en très bonne santé.
Ses cheveux blonds étaient séparés en deux, et malgré son jeune âge, il y avait déjà quelques mèches blanches ici et là. Peut-être le résultat du stress et de l’inquiétude, pensa Ryoma. Il portait une paire de lunettes à monture argentée, et dans l’ensemble son apparence ne donnait pas l’impression qu’Arnold Grisson était un homme de guerre. S’il s’était présenté comme un marchand ou un érudit, Ryoma aurait eu plus de facilité à le croire.
Mais ses yeux seuls racontaient une histoire complètement différente. Des yeux bleus et aigus qui semblaient percer les autres, comme ceux d’un aigle.
Ryoma s’était incliné poliment après avoir pris un siège.
« Nous nous excusons sincèrement pour cette visite soudaine, Seigneur Grisson. Le Royaume de Xarooda est actuellement menacé de ruine, aussi nous vous demandons de nous pardonner de venir sans préavis. Je suis Ryoma Mikoshiba. Assis à mes côtés se trouve le capitaine de la garde monarchique de Xarooda, le Seigneur Orson Greed. »
« Oh… pour quelqu’un de si jeune, vous respectez l’étiquette. J’ai entendu dire que vous étiez à l’origine de statut roturier, mais je vois que vous vous êtes habitué à votre position. », fit remarquer Grisson tout en regardant le visage de Ryoma calmement.
Grisson enleva ensuite ses lunettes et essuya les verres. Sa remarque ne comportait aucune nuance malveillante. Il semblait que son opinion sur Ryoma était en fait positive.
Je me demande néanmoins si c’est vraiment ce qu’il ressent… Ryoma réfléchit avec méfiance.
Ce dernier savait que dans ce monde, croire ce que les gens disaient pour argent comptant était extrêmement dangereux. C’était d’autant plus vrai lorsque la personne en question était un noble. Ainsi, alors que l’attitude de cet homme semblait plutôt amicale, Ryoma savait qu’il pouvait très bien cacher ses véritables intentions. Peut-être regardait-il Ryoma avec dédain, comme le faisaient les nobles de Xarooda.
Ryoma avait constaté à maintes reprises que les personnes influentes de ce monde avaient tendance à être impulsives. Ils se croyaient privilégiés et protégés par le système de classes de ce monde, et ne ressentaient donc aucun besoin de réguler la façon dont ils s’adressaient aux autres.
Les nobles étaient, pour la plupart, des monstres hautains, froids et cruels.
Mais même cette réalité avait ses exceptions. Et les exceptions apparentes pouvaient présenter une apparence amicale comme un moyen de cacher leurs crocs mortels et venimeux. Quelles que soient les véritables intentions d’Arnold Grisson, Ryoma ne pouvait pas se permettre de se détendre en ce moment. Les négociations étaient encore devant lui.
Je vais devoir faire particulièrement attention à lui…
Il s’était préparé au cas où un adversaire inattendu tenterait de le frapper. Bien sûr, il savait qu’il ne fallait pas le laisser paraître. Lui aussi était capable de cacher ses intentions et de simuler un sourire.
Je vais d’abord devoir prendre le contrôle de la conversation et voir quelle est son attitude.
Et pour ce faire, Ryoma entra directement dans le vif du sujet.
« Je m’excuse, mais nous sommes assez pressés par le temps, je vais donc devoir aller droit au but de notre visite ici. »
Rendre ses intentions aussi claires n’était pas conventionnel dans les négociations, mais à l’inverse, c’était précisément pour cette raison que cela pouvait surprendre l’autre partie. Et une personne surprise pourrait accidentellement révéler ses véritables intentions.
Mais cette négociation n’était pas le genre d’endroit où une telle ruse enfantine pouvait fonctionner.
« Très bien. Je n’ai personnellement pas trop le temps de bavarder tranquillement. »
Grisson haussa les épaules, incitant Ryoma à poursuivre.
« Notre affaire ici est très simple. Nous demandons que le Royaume d’Helnesgoula nous aide, car nous sommes actuellement en position d’infériorité dans notre guerre avec O’ltormea. », dit Ryoma.
Grisson leva un sourcil, son expression semblant quelque peu surprise. Le sourire froid sur ses lèvres, cependant, reflétait ses véritables sentiments.
« Hoh. Vous êtes là pour demander notre aide… », chuchota le général Grisson.
« Oui… Je vous en prie. », dit Ryoma en acquiesçant sèchement.
Les deux hommes se regardèrent de l’autre côté de la table pendant un moment, un silence s’installant sur eux. C’était comme s’ils essayaient de discerner les intentions de l’autre. Mais alors, Grisson sépara brusquement ses lèvres.
« Oui, je suppose qu’étant donné la situation actuelle de Xarooda, vous ne viendriez pas ici pour d’autres affaires… »
Grisson s’arrêta là, ses lèvres se recourbant en un rictus.
« Mais vous êtes persistant. C’est comme être harcelé par un mendiant des bas-fonds. »
Sa voix était sereine et posée, mais le dédain contenu dans ses mots était intense. Même si son pays était assez grand pour être appelé la Bête du Nord, parler ainsi à l’envoyé diplomatique d’un autre pays était inacceptable.
Ces mots étaient un coup puissant, le genre de coup que l’on ne portait que lorsqu’on était prêt à partir en guerre.
Et c’était pourquoi ces mots étaient probablement un résumé de sa véritable intention. Non… Pas seulement les siennes. C’était probablement la véritable intention des dirigeants d’Helnesgoula.
« Comment osez-vous ! »
Greed cria alors son indignation.
Il était vrai que c’était son camp qui venait demander de l’aide, et Greed savait très bien que, puisqu’il venait en tant que représentant de Xarooda, ses paroles et ses actions avaient des implications sur l’ensemble du royaume. Mais malgré tout, il ne pouvait pas tolérer l’insulte de Grisson.
Mais alors que Grisson s’était levé en colère, Ryoma leva une main pour l’arrêter. Il tourna ensuite son regard vers Grisson, comme si rien ne s’était passé. Si Ryoma avait raison sur les intentions d’Helnesgoula, leur manque de patience et l’utilisation d’un tel langage étaient compréhensibles.
Pour commencer, Xarooda était dans une position où il demandait de l’aide à Helnesgoula. Si une provocation aussi minime était suffisante pour attiser leur colère, ils ne seraient pas en mesure d’agir correctement lorsque le besoin s’en ferait sentir.
Et en plus, il testait probablement notre caractère et nos motivations.
Mettre intentionnellement en colère l’autre partie pour jauger sa réaction était une tactique que Ryoma utilisait souvent. Il savait donc que succomber à la colère et exprimer son indignation ici serait un mauvais choix. Grisson ne ferait que profiter d’eux de cette façon.
« Je suis sûr que cela doit faire cet effet après tout ce temps… », dit Ryoma comme si tout allait bien.
Grisson avait plissé les sourcils. Il semblait avoir senti quelque chose dans la manière douce dont Ryoma avait esquivé son insulte.
« Cela fait plus d’un an que nous occupons Memphis. Vous nous avez envoyé de nombreux messagers, nous demandant de venir en aide à Xarooda. Je pense que ce fait seul devrait vous dire tout ce que vous devez savoir sur notre politique en la matière. »
« Oui, je comprends cela. De votre point de vue, qu’O’ltormea occupe maintenant Xarooda serait pratique. Stabiliser le territoire après la chute du pays leur prendrait du temps, et c’est là que vous prévoyez de frapper… N’est-ce pas ? »
Le général Grisson rit de bon cœur, avec une expression bien plus sombre que tout ce qu’il avait montré jusqu’à présent. C’était le rire d’un carnivore, se léchant les lèvres à la vue d’une proie.
« Je vois que vous avez deviné nos intentions, Seigneur Mikoshiba… Vous êtes aussi perspicace que les rumeurs le disent. Hmm, je comprends mieux pourquoi vous vous êtes élevé si jeune du statut de roturier au rang de noble. Votre compréhension de la situation est impressionnante. »
Grisson coupa alors ses mots, et leva la tasse de thé sur la table jusqu’à ses lèvres avant de poursuivre.
« Vous avez tout à fait raison. Nous n’avons aucun intérêt dans la survie de Xarooda. Vu la situation, le plus que Xarooda puisse nous offrir est une cession de leur territoire, mais ce n’est pas suffisant pour faire pencher la balance… Du moins pas quand la guerre totale avec O’ltormea est de l’autre côté, hmm ? »
Au moment où ces mots avaient atteint ses oreilles, le visage de Greed était devenu livide. C’était la pire chose qu’il puisse entendre. Mais contrairement à Greed, Ryoma avait calmement et soigneusement répété les mots de Grisson dans son esprit.
C’est exactement comme je le pensais… Dans ce cas…
Les mots du Général Grisson étaient vrais. Helnesgoula n’avait aucune raison de sauver Xarooda, du moins pas au point d’affronter volontairement O’ltormea. Plutôt que d’accepter des conditions bancales comme la cession d’un territoire, il serait beaucoup plus facile pour eux de laisser O’ltormea occuper le pays, puis de le réoccuper sous la bannière de la « libération ».
Bien sûr, il faudrait trouver le bon timing pour le faire. Cela ne fonctionnerait bien avant la stabilisation du régime d’occupation d’O’ltormea, lorsque la haine et l’agitation s’enveniment dans le cœur des roturiers de Xarooda.
Tant que les citoyens de Xarooda vivant dans les territoires n’étaient pas tous massacrés ou forcés d’émigrer ailleurs, un nouveau dirigeant serait toujours obligé de faire face à la possibilité d’une révolte. C’était pourquoi Helnesgoula n’avait fait aucun mouvement pendant l’année qui s’était écoulée, depuis qu’ils avaient occupé la ville frontière, Memphis.
Mais Ryoma pouvait dire que Grisson n’avait pas divulgué toute la profondeur de leurs plans.
« Bien sûr que non. », affirma Ryoma suite à la déclaration de Grisson sans changer son expression.
Cela fit changer l’expression de Grisson. Ses yeux étaient remplis de confusion et de suspicion. L’attitude et les mots de Ryoma étaient incohérents et contradictoires. Du moins, c’était la seule façon dont Grisson pouvait les interpréter.
***
Partie 2
Grisson pencha alors la tête : « C’est étrange… Il semblerait que vous ayez lu la situation à l’avance… Mais si vous comprenez nos objectifs, vous devez réaliser que nous n’avons pas l’intention d’envoyer des renforts à Xarooda. Dans ce cas, pourquoi êtes-vous venu ici ? »
Grisson n’arrivait pas à comprendre pourquoi un homme qui comprenait si bien les intentions d’Helnesgoula venait les voir en pleine guerre.
« Pour demander votre aide, bien sûr », dit Ryoma.
« Je vois. Je dois donc interpréter cela comme votre façon de dire que vous êtes prêts ? »
Grisson dirigea un regard interrogateur vers Ryoma.
« Si par “prêts”, vous voulez dire que nous sommes prêts à devenir un de vos états vassaux, Seigneur Grisson, j’ai bien peur de vous informer que vous avez tort. », dit simplement Ryoma en haussant les épaules.
Au son de ces mots, le visage de Grisson se déforma pour la première fois. Ses traits étaient pleins de colère, de dédain et de moquerie. Ce n’était en aucun cas une réaction surprenante. Au contraire, étant donné le déroulement de la conversation, le fait que Grisson ne soit pas entré dans une colère noire n’était rien d’autre qu’une heureuse coïncidence.
« Je vois maintenant que vous êtes venus ici pour vous moquer de nous… »
Grisson se leva de son siège, comme pour mettre un terme à la conversation.
« Et bien que ce fut vraiment un échange agréable, je pense que le faire durer plus longtemps serait une perte de temps. Je m’excuse, car vous venez de loin, mais je dois vous demander de partir. »
« Quoi ?! Attendez ! »
Greed, qui s’était contenté de surveiller l’échange jusqu’à présent, ne put s’empêcher d’élever la voix.
Il avait été briefé à l’avance, mais c’était Ryoma qui était chargé de gérer les négociations. Greed savait qu’il n’était pas fait pour ce genre de choses, il s’était donc assis tranquillement et il avait observé les discussions. Mais les négociations étaient sur le point d’échouer. Il n’avait donc pas pu s’empêcher de dire quelque chose.
« Y a-t-il quelque chose d’autre à dire ? Je ne vois pas en quoi vous êtes tous les deux différents de tous les autres messagers que vous nous avez envoyés cette année », dit Grisson avec amertume.
Sa voix était aussi froide qu’une lame de glace, destinée à abattre l’autre partie. Face à cette colère glacée, Greed ne pouvait rien dire de plus. Mais Ryoma, en revanche, n’avait pas changé son expression d’un iota.
« Cette farce est terminée. Partez », dit Grisson tout en dirigeant un regard aiguisé vers Ryoma.
C’était un ordre absolu. Malgré le fait que ce jeune homme semblait trop mince pour être un guerrier, Grisson était un général responsable du front oriental d’Helnesgoula. N’importe quel homme ordinaire serait obligé d’obéir.
L’expression de Ryoma n’avait cependant pas changé.
C’est maintenant que ça passe où ça casse…
Ryoma prit une profonde inspiration pour se calmer, et utilisa le dernier atout qu’il avait préparé pour cette situation.
« Je vois… Dans ce cas, j’aimerais que vous me laissiez parler à la souveraine d’Helnesgoula, Sa Majesté la Reine Grindiana. Ici et maintenant. »
Au moment où ces mots quittèrent les lèvres de Ryoma, l’air de la pièce s’était figé. Grisson et Ryoma s’étaient regardés de l’autre côté de la table. Dix secondes passèrent, puis vingt… Une horloge mécanique posée sur l’un des luminaires de la pièce comptait seule le passage du temps, son tic-tac semblant bien plus fort qu’il n’aurait dû l’être. L’atmosphère oppressante faisait que le temps ralentissait de façon interminable.
Qu’est-ce qu’il vient de dire… ?! Grisson répétait les mots de Ryoma dans son cœur tandis qu’un frisson parcourait son échine.
La reine d’Helnesgoula, Grindiana Helnecharles, n’était actuellement nulle part près de cette ville de première ligne qu’était Memphis. Elle se trouvait à Dreisen, la capitale du royaume. C’était la seule et unique vérité que le jeune homme qui se tenait devant lui aurait dû savoir.
La plupart des citoyens d’Helnesgoula auraient dû le savoir aussi. Et donc, ce que le garçon, qui le regardait droit dans les yeux, venait de dire n’avait aucun sens. Il pensait rire de bon cœur de ce que Ryoma venait de dire, mais avant qu’il ne le sache, sa gorge était sèche et bouchée. Sa voix ne voulait pas sortir. Grisson souleva la tasse de thé de la table et la porta à ses lèvres, faisant de son mieux pour cacher son agitation.
Ce n’est pas possible. A-t-il vraiment vu les intentions de Sa Majesté ?
Des espions et des marchands lui avaient déjà rapporté des nouvelles de ce jeune homme, affirmant qu’il était extrêmement intelligent et vif. À tel point que malgré ses origines de roturier, son intelligence était suffisante pour renverser le destin d’un pays entier…
Mais peut-être que Grisson avait sous-estimé la validité de ces rapports. Il admettait que Ryoma était brillant, mais l’idée que quelqu’un puisse être à la hauteur de la maîtresse qu’il servait était impensable.
Non, impossible… Le fait qu’il lise ses stratagèmes signifierait qu’il est à la hauteur de sa sagesse. Et ça ne peut pas être…
À cet instant, le garçon qui souriait calmement devant lui ressemblait à un monstre pour Grisson. Un monstre sous forme humaine, un peu comme sa maîtresse, Grindiana.
« Cela ne peut être arrangé… Sa Majesté est à Dreisen… »
Grisson rompit le silence, parvenant enfin à prononcer les mots.
Mais sa voix n’avait pas la même intensité qu’auparavant. Et en voyant l’expression de Grisson changer, Ryoma sut qu’il avait gagné ce pari.
« Elle est donc à Dreisen ?… Je ne pense pas que ce soit possible. », dit Ryoma en souriant.
Son regard perçant fit se contorsionner le visage de Grisson avec colère.
« Quelle base as-tu pour suggérer que… »
Jusqu’à présent, Grisson avait le contrôle de la situation. Mais maintenant, les choses avaient complètement changé. Le garçon assis sur le sofa devant lui avait le contrôle total de la conversation. Grisson n’avait jamais eu l’intention de regarder Ryoma de haut et de supposer qu’il était un petit garçon ignorant, mais cela dépassait ses hypothèses les plus folles.
Grisson dirigea un regard presque suppliant vers le miroir accroché dans la pièce… Sans le vouloir.
« J’ai mes raisons… Mais je préfère les expliquer à la Reine Grindiana. Cela m’éviterait des ennuis. »
« C-C’est… »
Grisson resta une fois de plus sans voix. Il ne pouvait ni confirmer ni infirmer ces soupçons.
« Eh bien, c’est vraiment problématique… », dit Ryoma d’un air plutôt ennuyé.
Il ne pouvait pas se permettre de perdre son temps avec une personne sans aucune autorité. Au lieu de cela, Ryoma tourna son regard vers le miroir sur le mur.
« Je suis sûr que vous êtes consciente de cela, mais nous n’avons pas beaucoup de temps », dit-il.
Grisson pâlit en réalisant le sens de son regard et de ses paroles.
Il a… Comment ?!
Une négociation pourrait très bien être appelée une bataille où chaque partie essaie de jauger les intentions de l’autre. Et par une magie inconnue, cet homme avait en quelque sorte compris le mécanisme derrière la pièce dans laquelle ils se trouvaient. Et cela signifiait qu’il avait vraiment et honnêtement compris les plans d’Helnesgoula.
Et plus que tout, cela signifiait que Ryoma avait gagné la bataille préliminaire qu’était cette réunion. Et il ne s’était pourtant pas pressé ni avait insisté sur la question à ce stade.
« Mais je suppose qu’apparaître si soudainement et demander à voir la reine serait impoli de notre part… Je suppose que nous allons faire comme vous l’avez dit, Général, et rentrer pour aujourd’hui… »
Sur ces mots, Ryoma se leva du canapé et incita Greed, dont les yeux partaient dans toutes les directions dans la confusion, à le suivre.
« Allons-y, Capitaine Greed. Nous devrions nous faire discrets. »
Ryoma s’était ensuite incliné respectueusement devant le miroir, et s’était dirigé vers la porte. Seuls Grisson et une autre personne avaient compris la signification de ce geste.
« H-Hey, attendez ! »
Greed s’était empressé de saluer Grisson et avait suivi Ryoma.
Même sans connaître les détails, son intuition de chevalier chevronné l’incitait à obéir à Ryoma.
« Nous allons donc prendre congé. Nos subordonnés ont pris un logement dans la ville de Memphis. Nous vous communiquerons le nom de l’auberge plus tard. Je m’excuse, Général Grisson, mais j’apprécierais que vous transmettiez mon message à la Reine Grindiana. »
Inclinant respectueusement la tête une fois de plus, Ryoma tourna la poignée de la porte de la chambre. Mais sa main s’était soudainement arrêtée lorsque la voix d’une tierce personne, qui n’était soi-disant pas dans cette pièce, avait retenti.
« Vous pouvez arrêter de tenter de susciter une réaction. Je suis sûre que nous sommes tous deux malades et fatigués de cette farce. »
Ryoma s’était retourné et s’était retrouvé face à une femme qui n’était pas là il y a un instant.
C’est donc de là qu’elle est sortie…
Ryoma remarqua qu’une des bibliothèques était maintenant inclinée. Elle observait probablement Ryoma à travers le miroir. Et ayant jugé que cela valait la peine de négocier avec lui, elle avait quitté la pièce cachée adjacente.
« J’ai entendu toutes sortes de choses sur vous. Un jeune héros du Royaume de Rhoadseria, et une personne venue d’un autre monde appelé par l’Empire d’O’ltormea. C’est vous, n’est-ce pas ? Ryoma Mikoshiba. », dit la femme, un sourire ravi sur les lèvres.
Sa voix était aussi juste que le carillon d’une cloche, mais pleine du désir de voir les autres tomber prostré devant elle. Elle se tenait à côté de Grisson, dégageant un sentiment de présence écrasant. Ryoma se contenta d’incliner la tête, l’expression recueillie et calme.
« Je suis honoré de pouvoir voir votre visage, Votre Majesté la Reine, Grindiana Helnecharles. »
Alors que Ryoma regardait la femme et la couronne étincelante posée sur sa tête, la jeune reine d’Helnesgoula, Grindiana Helnecharles, écarta ses lèvres dans un élégant sourire.
« Alors, recommençons cette discussion, d’accord ? »
Grindiana s’était assise sur le canapé, et regarda Ryoma qui était assis en face d’elle.
Hmm… Je vois.
Ryoma regarda à nouveau la reine souriante assise devant lui. Conformément à ce qu’il avait entendu, on ne pouvait pas dire qu’elle était une belle femme. Sa robe blanche était ornée de dentelle et de pierres précieuses, mais en termes de traits et d’apparence personnelle, on ne pouvait pas la comparer à Lupis ou Shardina.
Cela dit, si on lui demandait si elle était laide, la réponse serait non. Si quelqu’un allait jusqu’à la traiter de femme ordinaire, il le ferait probablement par pure rancune. Ses cheveux dorés bien peignés ondulaient gracieusement, et les yeux bleus au sommet de son visage en amande étaient illuminés d’une volonté intense qui semblait attirer l’attention.
Elle est belle sans être pour autant magnifique.
Ses traits étaient certainement justes, du moins selon les normes de Ryoma. Mais si elle n’avait pas la beauté digne de Shardina et Lupis, elle avait un certain charme. Une certaine atmosphère qui induisait la convivialité. Un visage qui faisait que les gens l’appréciaient plus facilement. Elle avait l’air d’avoir une vingtaine d’années et de frôler la trentaine. Mais il avait l’impression qu’elle aurait pu avoir dix ans de plus, mais qu’elle était suffisamment habile pour cacher cet âge.
« Alors, par où devrions-nous commencer ? », répondit Ryoma à sa question sans aucune réserve.
Les yeux de Grindiana s’écarquillèrent un instant avant qu’elle ne laisse échapper un gloussement amusé. Le comportement de Ryoma était bien trop direct, étant donné qu’il s’adressait à la reine d’un pays pour la première fois.
Peut-être que je peux attendre encore plus de lui que je ne le pensais.
Elle ne détestait rien de plus que d’avoir affaire à des imbéciles.
« Voyons voir, alors. Grisson semble plutôt agité, alors peut-être pourriez-vous expliquer comment vous avez su que j’étais ici à Memphis. Vous êtes d’accord avec ça, hein, Grisson ? »
Grindiana tourna alors son regard vers Grisson, qui se tenait à côté d’elle.
Il hocha simplement la tête sans mot dire, après quoi Ryoma commença à parler.
***
Partie 3
« Honnêtement parlant, je ne savais pas que vous étiez ici avant. J’ai simplement considéré les conditions, et j’ai supposé que vous deviez avoir une sorte de méthode vous permettant de rester en contact avec Grisson, qui est stationné ici à Memphis. »
« En d’autres termes, je peux considérer que vous dites comprendre mon objectif ici ? »
« Peut-être pas dans son intégralité, mais… En grande partie, je pense que oui. »
Ryoma acquiesça tranquillement, et étala une carte du continent occidental sur la table. En voyant son attitude, Grindiana tapa dans ses mains, les yeux brillants de joie. Elle se sentait comme un enfant à qui l’on venait de présenter le cadeau de Noël qu’elle désirait le plus.
« Vous me plaisez. J’ai perdu une année précieuse de ma vie à donner à ces bouffons de Xarooda tous les indices dont ils avaient besoin et même plus, mais ils n’ont toujours pas compris… Honnêtement, je commençais à me demander s’ils n’essayaient pas de se faire détruire par O’ltormea. Imaginez que vous mettiez en place un puzzle et qu’il ne soit jamais résolu. Est-ce que quelque chose pourrait être plus douloureusement décevant ? »
Bien qu’elle ait parlé du destin d’un pays entier, le ton de Grindiana était aussi léger que s’il s’agissait d’une conversation entre amis. Le contenu de ce qu’elle disait, cependant, était insupportablement lourd.
« Eh bien, si cela devait arriver, je m’adapterais simplement à cette situation… N’est-ce pas ? », avait-elle ajouté de manière significative.
Les mots étaient prononcés de manière si légère et naturelle que l’on aurait pu facilement mal les entendre. Et en voyant cela, Ryoma confirma que ses soupçons étaient vrais.
Elle s’est donc arrangée pour que, peu importe comment les choses se passent, elle s’en sorte… Pas étonnant qu’on l’appelle une renarde.
Elle était aussi capable de gérer un grand royaume comme Helnesgoula à son jeune âge, c’était un fait indiscutable.
« Alors, écoutons votre réponse », dit Grindiana, les yeux brillants comme un enfant face à un jouet.
De son point de vue, ce que Ryoma était sur le point de faire était la résolution d’un puzzle et rien d’autre.
« Bon, très bien… La première chose que j’ai remarquée est qu’Helnesgoula a levé son armée rapidement et a déclaré la guerre, mais s’est arrêté après avoir occupé Memphis. »
Le doigt épais de Ryoma dessina un cercle autour de la position d’Helnesgoula sur la carte.
« Cela va probablement sans dire, mais si O’ltormea finissait par prendre Xarooda, Helnesgoula serait coincée entre ses plus grands rivaux sur trois fronts — est, ouest et sud. Au nord, vous avez la mer, mais dans l’intérêt de la défense nationale d’Helnesgoula, la chute de Xarooda n’est pas quelque chose que vous pouvez tolérer. Mais malgré tout, vous avez arrêté vos armées à Memphis, ce qui ressemble à un appel à la négociation. »
« Hmm. Oui, votre analyse est correcte là. »
Grindiana fit un signe de tête satisfait.
Il était vrai que voir O’ltormea occuper les territoires de Xarooda n’était pas une situation que Helnesgoula pouvait ignorer. Mais même ainsi, les intérêts d’Helnesgoula dans Xarooda étaient trop minces pour qu’ils puissent offrir une coopération honnête. S’ils offraient leur aide simplement au nom de la sécurité du pays, les sujets du royaume seraient mécontents.
Grindiana avait besoin de quelque chose de plus, quelque chose de tangible, comme récompense pour son aide… Mais cette compensation était le plus grand obstacle.
Xarooda était un pays construit sur un terrain montagneux, et en tant que tel, ses terres étaient impropres à la production alimentaire. Mais d’un autre côté, les pics abrupts du pays contenaient des minéraux de grande qualité, notamment du fer. Le pays pouvait donc s’enorgueillir de posséder des méthodes métallurgiques de haute qualité et des forgerons capables de produire des engins exquis.
En conséquence, s’ils devaient offrir quelque chose à Helnesgoula, les droits de propriété des mines seraient la compensation la plus appropriée. Mais avec cette perte, Xarooda n’aurait pas d’autres industries sur lesquelles s’appuyer, faire cela serait effectivement un coup fatal pour le pays.
De plus, les droits réels sur les mines appartenaient principalement aux nobles qui contrôlaient les territoires où elles se trouvaient. Et bien qu’ils aient pu être loyaux envers le Royaume de Xarooda, les nobles étaient fondamentalement autosuffisants et n’obéissaient pas totalement aux ordres du roi. En fait, la maison royale n’était que nominalement classée comme le chef des nobles.
Ainsi, bien que le pays soit au bord de la destruction, la maison royale de Xarooda n’avait pas le droit de déposséder les nobles de leurs biens. Et si elle essayait de le faire par la force, les nobles se révolteraient, déchirant le pays avant même qu’O’ltormea ne l’envahisse.
Julianus Ier était connu comme le roi médiocre, et on voyait bien pourquoi. Au mieux, il jouait le rôle d’arbitre ou de superviseur du pays, mais en réalité, il n’en était certainement pas le souverain.
« Et c’est parce que nous le savions que nous avons posé comme condition la cession des territoires de Xarooda. »
Grindiana tourna son regard vers Ryoma avec un sourire malicieux. Ses yeux étaient remplis de la lueur sombre et mystérieuse d’une intrigante.
« Oui. Cela a dû probablement briser le cœur de ces petits fous qui ont choisi de le faire, et je suis sûre qu’ils pensent que c’est la plus grande, la plus douloureuse concession qu’ils puissent faire… Mais le fait qu’ils aient pensé pouvoir me faire travailler pour si peu montre qu’ils me sous-estiment. »
« Vous ne pensez pas que ça en vaille la peine… ? »
Grindiana poussa alors un soupir exaspéré : « Bien sûr que non. Surtout si l’on considère qu’ils me refileraient la gestion de tous ces nobles rebelles. Et toutes les terres qu’ils ont proposées à la cession étaient des zones où le rendement annuel a diminué au cours des dernières années. Tout le monde peut voir que ces mines vont fermer d’ici quelques années. Mais ces idiots ont probablement pensé que je ne le remarquerais pas… Vous voyez ce que je veux dire ? »
Xarooda avait offert la plupart de ses territoires du nord pour l’annexion, environ un cinquième du territoire total du royaume, ce qui faisait une assez grande étendue de terre. Mais le vrai profit à tirer des terres de Xarooda n’était pas les terres agricoles, mais les mines. Et si ces mines s’épuisaient lentement, il n’y aurait aucun intérêt à ce que Helnesgoula envoie des renforts.
« Dans ce cas, vous feriez mieux d’attendre qu’O’ltormea prenne le contrôle des terres, et d’attaquer une fois que le régime sera instable à cause du changement de gouvernement. De cette façon, vous aurez une excuse facile pour vous débarrasser des nobles, et Helnesgoula sera salué comme un héros qui a libéré le pays de la tyrannie d’O’ltormea. », dit Ryoma.
Greed retint sa respiration malgré lui. Cela lui avait déjà été expliqué, mais cette histoire était trop cruelle pour ses oreilles de serviteur de Xarooda. C’était comme si on lui avait dit que la survie de son pays était une question insignifiante. Mais même avec ses intentions directement énoncées, Grindiana ne semblait pas s’excuser le moins du monde.
« C’est le choix le plus évident, non ? Je suis, après tout, la reine d’Helnesgoula. Il me faut une bonne raison pour ordonner à mes soldats de marcher vers leur mort. »
Grindiana haussa les épaules d’une manière plaisante, et sa vue remplit Greed d’une sorte d’horreur inexplicable, totalement différente de tout ce qu’il avait ressenti sur le champ de bataille. Ses lèvres étaient retroussées en un sourire, mais ses yeux projetaient le regard sévère d’une souveraine chargée de la vie de ses sujets.
« Je ne peux cependant pas dire que ce soit le plan le plus optimal que vous auriez pu faire », dit Ryoma.
« Oh ? Comment ça ? »
Grindiana pencha la tête d’un air perplexe.
Sa véritable intention était cependant évidente dans son ton.
« Cela signifierait entrer en guerre totale avec O’ltormea. Et bien que vous les dépassiez légèrement en termes de puissance nationale, vos chances de victoire sont à peu près égales. La guerre pourrait aller dans les deux sens. De plus, même si vous y avez envoyé des espions pour recueillir des informations, vous ne connaissez pas la géographie d’O’ltormea. Combattre sur leur sol avec votre seule armée est quelque chose que vous voudriez éviter. »
Le regard dans les yeux calmes de Ryoma s’était, à un moment donné, aiguisé comme une lame.
« Et ? »
« Cela étant, Votre Majesté, vous avez occupé Memphis et gardé votre armée stationnée ici. Et vous êtes venue ici vous-même, laissant votre capitale à Dreisen vacante. Et ici, vous avez attendu le tout dernier moment pour voir si quelqu’un se présente, qui comprenne vos objectifs et puisse coopérer avec vous. »
À ces mots, Grindiana éleva la voix dans un rire amusé et satisfait. Son expression devint alors sévère et elle dirigea son regard vers Ryoma. Son expression montrait très clairement pourquoi on l’appelait la renarde du Nord.
« Bien sûr que je l’ai fait. Je n’ai pas l’intention de m’allier à un imbécile… Très bien, si vous comprenez tout cela, passons directement au sujet principal. Quelles sont les conditions que vous avez pour moi ? »
C’était comme si les deux combattants venaient de s’affronter. C’était la seule façon de décrire l’atmosphère de la pièce. Et peut-être qu’ils avaient vraiment manié leurs mots comme des lames. Des lames dans un duel sur le destin d’un royaume…
« Oui, je suis sûr que mon offre sera à votre goût », dit Ryoma tout en sortant une lettre de sa poche et en la glissant vers Grindiana.
*****
Grisson poussa un lourd soupir en retirant ses lunettes troubles et en les essuyant avec un mouchoir.
« Pour l’essentiel, cela s’est passé comme vous l’aviez prévu, Votre Majesté… Je suppose… »
Son cœur était rempli de peur en réalisant que les suppositions de sa maîtresse étaient exactes, et d’une crainte encore plus grande à l’idée que quelqu’un qui était capable d’égaler sa sagacité apparaisse réellement.
« Oh, Arnold. Ne sais-tu pas que lorsque tu soupires, la joie de vivre s’échappe aussi ? »
Après que Ryoma et Greed aient quitté la pièce, Grindiana s’était étalée sur le canapé d’une manière négligée, et regarda d’une manière taquine l’homme qui était comme un frère pour elle. Cela froissait sa robe coûteuse, fabriquée par le meilleur artisan, mais Grindiana ne semblait pas s’en soucier. Elle affichait un manque de manières et de dignité que l’on attribuait habituellement à un enfant, ce qui fit pousser un second soupir à Grisson.
Si seulement elle pouvait se débarrasser de ces penchants enfantins…
La maîtresse qu’il admirait était très au fait de la tactique et de la stratégie et avait même un talent exceptionnel sur le champ de bataille. Les compétences de Grindiana étaient tout à fait parfaites. Mais si elle pouvait simplement ne pas agir de manière si immature par moments…
Pourtant, Grisson n’avait pas pensé à la réprimander. Il savait qu’elle ne montrait un tel comportement négligé qu’en privé, et en présence de ceux en qui elle avait confiance.
Je suppose qu’aucune personne vraiment parfaite n’existe réellement…
En tant qu’aide, l’attitude de Grindiana était une source d’anxiété pour Grisson, mais il ne pouvait pas nier qu’une partie de lui trouvait cette partie d’elle précieuse. C’était comme une preuve qu’elle aussi était humaine…
***
Partie 4
« Vous plaisantez sûrement, Votre Majesté. Travailler à votre service signifie que toute joie à laquelle j’aurais pu prétendre m’a quitté depuis longtemps », dit Grisson avec humour, tout en la regardant avec une élégante révérence.
« Hm ! Peut-être que mes oreilles me jouent des tours, mais ne viens-tu pas de dire quelque chose de bizarre ? », dit Grindiana en penchant la tête.
« Ai-je dit quelque chose ? Je ne sais pas ce que vous avez en tête, Votre Majesté, mais je vous jure que je n’ai dit que la vérité. »
Cette déclaration n’était certainement pas quelque chose qu’un serviteur aurait dit à sa maîtresse. Grindiana contorsionna simplement ses lèvres en un sourire sardonique et choisit de ne pas presser Grisson davantage.
Le grand royaume d’Helnesgoula était servi par quatre généraux. Des quatre, Grisson était celui qui l’avait servi le plus longtemps, depuis qu’elle avait usurpé le trône à son père, le roi précédent. Il était son aide le plus proche. Ils ne le montraient jamais en public, mais il y avait un vrai lien entre eux deux qui allaient au-delà de la simple relation entre une souveraine et son serviteur. Un lien étroit qui était aussi fort que celui entre les personnes liées par le sang.
« Eh bien, peu importe… De toute façon, l’armée est prête à se déplacer à tout moment, non ? »
« Bien sûr, Votre Majesté. Un seul ordre de chevaliers sera laissé derrière pour protéger Memphis, mais le reste de notre armée a reçu l’ordre d’être prêt à bouger à tout moment. »
Les préparatifs de la guerre étaient déjà faits. Les dix ordres de chevaliers menés par Arnold Grisson étaient prêts comme un arc tendu, et attendaient que les flammes de la guerre soient allumées. Il ne restait plus qu’à décider où les envoyer.
« La question est de savoir comment aborder l’attaque, mais… », dit Grisson, mais il s’était tu.
« Je pense que mettre le pied sur le territoire de Xarooda est une mauvaise idée. Qu’en dis-tu, Arnold ? », dit Grindiana tout en levant les yeux au ciel alors qu’elle était étalée sur le canapé.
« Je préfère ne pas non plus me battre sur le sol Xarooda. Si vous nous ordonnez de gagner, nous gagnerons sans faute, mais il y a fort à parier que nos pertes n’en seront que plus importantes. »
« Je m’en doutais. »
Ni l’un ni l’autre ne se souciait particulièrement de ravager les terres de Xarooda. Cela n’avait même pas d’importance s’ils devaient être leurs alliés dans l’opposition à O’ltormea. Plus simplement, la seule chose qui les intéressait était leurs sujets, et les habitants d’un autre pays ne les concernaient pas.
Mais ils voulaient éviter de se battre sur le sol de Xarooda. Bien sûr, si l’on voulait interpréter cela comme un choix humanitaire, ils étaient libres de le faire, mais ils ne feraient pas un tel choix pour quelque chose d’aussi vague que cela. C’était un calcul rationnel et sans pitié, rien de plus.
La majeure partie du territoire de Xarooda était constituée de terrains montagneux, et les zones dégagées permettant le déploiement d’une grande armée étaient extrêmement rares. En plus de cela, il y avait des forêts épaisses qui limitaient la visibilité et des chemins de montagne étroits et sinueux. Combattre sur un tel terrain était une tâche ardue, même pour le général le plus expérimenté.
Au pire, leur supériorité numérique ne ferait que ralentir leur marche. Dans les cas où les deux armées étaient vastes, le champ de bataille optimal serait une grande plaine avec une bonne visibilité, où les deux camps pourraient se déplacer sans entrave.
« Nos espions nous ont fourni quelques informations, mais cela ne remplace pas une connaissance réelle du terrain… Eh bien, je suppose que nous entendrons ce que Mikoshiba a à dire lors du conseil de guerre demain. Il a probablement un plan. »
« J’imagine qu’il en a un… vu cette lettre, cet homme n’est pas à prendre à la légère… »
Grisson remarqua que Grindiana avait légèrement froncé les sourcils.
« La question est de savoir s’il est une menace pour nous ou pas… Qu’avez-vous pensé en le rencontrant, Votre Majesté ? »
« Tu veux dire qu’il est venu trop bien préparé ? », demanda-t-elle, et en voyant le sourire amusé sur ses lèvres.
L’instant d’après, Grisson secoua la tête en signe d’exaspération.
« Oui, j’admets que je ne m’attendais pas à ce qu’il vienne si bien préparé… »
À vrai dire, Grisson craignait l’homme qui avait posé sa grande carcasse sur ce sofa il y a peu de temps. Grisson était un guerrier expérimenté et avait survécu à de nombreuses batailles, mais son sentiment sincère était qu’il ne voulait jamais affronter Ryoma au combat. Il était sûr de pouvoir gagner la bataille s’ils devaient mener des armées l’un contre l’autre, mais il n’était pas à la hauteur de Ryoma en matière de diplomatie ou de stratégie.
Après tout, il égalait la maîtresse de Grisson, Grindiana, dans ces domaines, et avait le culot de ne pas flancher même face au dirigeant d’un pays. C’était un allié fiable, mais s’il devait se retourner contre eux, ce serait un adversaire difficile à battre.
Mais Grindiana le savait aussi bien que lui, et il n’y avait aucune trace d’anxiété dans son expression. Au contraire, elle avait l’air d’avoir enfin trouvé un adversaire digne de ce nom pour la défier.
« Je ne peux pas dire que je n’y prête pas attention, mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Tant que nos quatre pays resteront alliés, Ryoma Mikoshiba ne se retournera jamais contre Helnesgoula. Je peux l’affirmer en toute confiance, car il comprend l’importance de l’économie et les profits à en tirer. »
Elle s’était moquée des doutes de Grisson en regardant la carte et la lettre étalées sur la table. Grindiana avait ensuite pris une boule de gomme et l’avait mise dans sa bouche. Le Royaume de Rhoadseria, Myest et, le plus important actuellement, Xarooda. Une lettre écrite par l’un des trois pays de l’est du continent occidental n’était pas quelque chose que l’on devrait simplement jeter au hasard sur la table.
Ma parole… Quand je pense que c’est ainsi que se conduit ma maîtresse, la redoutée Renarde du Nord…
Ravalant les mots d’admonestation qui lui montaient à la gorge, Grisson poussa la boîte pleine de bonbons sur le côté de la table et étala la lettre.
« Son plan était pourtant bien pensé. Lier un traité de commerce à l’alliance… Les quatre pays vont en profiter. », dit Grisson en soupirant d’étonnement.
La suggestion de Ryoma pourrait très bien être appelée une œuvre d’art.
« Du point de vue de Xarooda, ils n’ont qu’à nous reconnaître en tant que leaders de l’alliance et ils recevront les renforts dont ils ont besoin. Pour ce prix-là, ils pourront conserver leurs précieux territoires. Ils sauteraient naturellement sur cette proposition sans la moindre hésitation. », dit Grindiana.
Grisson considéra ses paroles avec un profond hochement de tête.
« Ayant été affaiblie par la guerre civile, Rhoadseria est la moins intéressée à entrer dans cette guerre. Le fait que notre intervention mettra plus rapidement fin aux hostilités est une raison suffisante pour qu’ils se réjouissent… Et comme ils ont l’intention de récupérer leur puissance nationale, cette alliance est une aubaine pour eux. Notre soutien facilitera leur rétablissement. »
« Oui, et notre économie, ainsi que celle de Myest, sera florissante grâce à l’augmentation des échanges commerciaux. Un plan parfait dont tout le monde sortira gagnant… En apparence, du moins. »
Un plan dont tout le monde sortira gagnant. Un plan dont tout le monde pourrait profiter. Mais Grindiana avait bien vu les véritables intentions de Ryoma.
« Car si les quatre royaumes en profitent tous, celui qui en tirera le plus grand profit est Ryoma Mikoshiba, gouverneur de la péninsule de Wortenia… Heh. »
Les yeux de Grindiana brillaient d’un éclat envoûtant en regardant la position de la péninsule de Wortenia sur la carte. Lorsqu’il s’agissait de traverser le nord du continent, le plus grand défi était le no man’s land inexploré connu sous le nom de Péninsule de Wortenia. C’était une terre dangereuse qui servait de lieu de reproduction à des monstres féroces et de cachette à des pirates sauvages.
Mais cette terre pourrait très bien être transformée en un coffre au trésor, grâce à la formation de l’alliance des quatre royaumes.
Vraiment bien conçu…
Alors que Grindiana était allongée sur le canapé, le visage de l’homme qui avait imaginé ce plan était apparu dans son esprit. Dans la lettre qu’elle avait reçue, il y avait des stipulations concernant non seulement la défense nationale, mais aussi les échanges et le commerce. La suggestion de créer un taux tarifaire uniforme à travers les quatre royaumes conduirait à une augmentation des importations et des exportations, et sa méthode pour une procédure simplifiée de passage des frontières permettrait aux personnes et aux marchandises de circuler plus rapidement. Cela ne pouvait qu’apporter un profit encore plus grand à Helnesgoula et Myest, qui commerçaient fréquemment avec d’autres continents.
Mais cela signifiait-il que Rhoadseria et Xarooda, qui n’avaient pas d’échanges commerciaux aussi importants, ne recevraient aucune faveur de cette réforme ? Peut-être pas directement, mais un marché stimulé entraînait une augmentation des recettes fiscales. Les quatre royaumes mettraient tous davantage l’accent sur le commerce et les échanges.
Ainsi, Helnesgoula n’aurait plus besoin de conquérir et de détruire les trois royaumes de l’est. Plutôt que d’aller à la guerre et de les extorquer, ils avaient maintenant un moyen plus sûr et plus efficace d’obtenir de l’argent.
Et quand cela arrivera… Qui en profitera le plus, je me le demande… ?
Dans un futur pas si lointain, le trafic commercial augmentera à une échelle jamais vue auparavant. Et lorsque cela se produira, la demande augmentera à un point tel que les voyages terrestres ne suffiront plus à répondre à la demande du marché. Les marchands se tourneraient vers les routes maritimes. Oui, la route maritime au nord du continent occidental…
« Transporter des fournitures en grand nombre est beaucoup plus rapide en mer que sur une route terrestre. Maintenant que la péninsule de Wortenia a été purgée des pirates, la route maritime du nord serait inévitablement reconsidérée. Dans peu de temps, la ville sur la péninsule prospérera en tant que point de relais pour les marchands. »
Le port sur Wortenia ne fonctionnerait pas seulement comme un point de réapprovisionnement pour les navires, mais aussi comme un marché pour les marchands qui vendraient leurs marchandises en Rhoadseria. Et éventuellement, il pourrait également établir des échanges avec d’autres continents. Tant qu’ils n’appliquaient pas une politique insensée, leur prospérité était garantie.
« Le caractère de cet homme est assez clair. Il est prudent, mais audacieux. Et il est assez prudent pour ne jamais montrer l’étendue de ses capacités aux autres, afin de ne pas attirer inutilement l’attention. Heheh… Il est effrayant. Il s’est assuré le plus grand profit de tous, mais a réussi à le tourner d’une manière qui fait que personne ne sera mécontent de lui… Heh. Bien que je suppose que, étant donné la puissance militaire qu’il a, il doit éviter de se faire remarquer. »
Plus une personne recevait une somme d’argent importante, plus elle était poussée à en profiter. On pourrait prétendre qu’un tel trait était enraciné dans l’instinct humain. Mais en agissant ainsi, on s’attirait la jalousie des autres. Bien sûr, si on pouvait se débarrasser de cette jalousie et conserver cette richesse, ce n’était pas un problème, mais Ryoma n’avait pas le pouvoir de le faire. Et il le savait très bien.
« Vos complots ont quelque peu dévié, Votre Majesté. Normalement, vous auriez dû les isoler et les accueillir… Mais je ne m’attendais pas à ce qu’ils viennent avec une proposition », dit Grisson avant de soupirer.
***
Partie 5
Leur plan initial était de faire de Xarooda leur vassal, et d’attendre une opportunité pour faire de même avec Rhoadseria et Myest. À cet égard, on pouvait dire que leurs plans avaient été devancés, à une exception près.
« Je suppose que oui. Je n’imaginais pas que ce serait une personne aussi capable. Je l’ai peut-être un peu sous-estimé. »
Grindiana se redressa et porta la tasse de thé posée sur la table à ses lèvres. Depuis longtemps, elle s’intéressait à la valeur géographique de la péninsule de Wortenia. Après tout, tant que l’on pouvait faire quelque chose pour ces terres, l’établissement d’une route maritime entre Helnesgoula et Myest serait possible.
Grindiana connaissait l’importance du commerce. À ses yeux, le fait que Rhoadseria avait laissé les vastes terres de Wortenia sans gestion pendant tant d’années la faisait douter de la santé mentale de ce pays et de son gouvernement. Si ces terres étaient à elle, elle ne pouvait qu’imaginer les richesses qu’elle en tirerait.
Mais tout cela n’était qu’un rêve. Grindiana savait que mobiliser une armée et qu’entrer en guerre avec Rhoadseria au nom de l’occupation de ce no man’s land n’en valait en aucun cas la peine.
Maintenant, cependant, une chance de réaliser ce rêve était tombée à ses pieds. Lupis Rhoadserians avait accordé cette terre à un homme, que ce soit par caprice ou par véritable gratitude.
« Qu’il en soit ainsi. Nous avons passé pas mal de temps à rassembler des informations, mais je ne suis pas particulièrement mécontente du résultat. »
Depuis que Ryoma avait reçu Wortenia, Grindiana avait gardé un œil attentif sur la péninsule et ses actions. C’était ainsi qu’elle avait appris que Ryoma venait d’un autre monde.
« Mais êtes-vous vraiment sûr… ? Selon la façon dont les négociations se déroulent, je crois qu’il est possible pour vous de dominer la péninsule de Wortenia », dit Grisson.
Grindiana sourit à ces mots.
« Je n’ai pas l’intention de m’obstiner à régner directement sur Wortenia. Du moins, pas tant que cet homme continuera à la gouverner correctement et à me rapporter des bénéfices… »
En effet, tant que Ryoma gérait correctement la péninsule, elle pouvait faire des profits. Le sourire sur ses lèvres était vraiment rempli de la dignité mystique que l’on attend de la Renarde du Nord.
Pour Grindiana, rien ne comptait plus que le fait que l’alliance des quatre royaumes augmenterait la portée du commerce. Car ce faisant, Helnesgoula deviendrait plus puissante qu’elle ne l’était actuellement.
L’expansion de son territoire était bien sûr importante, mais elle savait que régner sur une terre trop vaste ne serait qu’un fardeau. Après tout, une terre trop grande ne pouvait devenir qu’un foyer de rébellion…
Pendant que Grisson et Grindiana planifiaient leur prochain plan d’action, Ryoma était retourné dans sa chambre à l’auberge de la ville.
« Ouf, elle était tout aussi effrayante que les rumeurs le disent… »
Ryoma soupira en prenant une gorgée du verre posé sur la table en face de lui.
« Pas étonnant qu’on l’appelle la Renarde du Nord. Lupis ne lui arrive pas à la cheville. C’est femme est tout simplement monstrueuse. »
L’ombre qui s’accrochait à son expression montrait clairement à quel point Grindiana Helnecharles lui inspirait de la crainte. Laura avait refroidi la bière dans son verre grâce à la magie, et la boisson froide servait à refroidir doucement la chaleur qui brûlait dans sa poitrine.
« Mais les discussions elles-mêmes se sont bien déroulées ? », demanda Laura avec un doux sourire, tout en faisant basculer la bouteille dans le verre après que Ryoma l’ait fait claquer contre la table.
Ryoma ne savait pas quand exactement elles avaient trouvé le temps de le faire, mais apparemment les sœurs Malfist étaient sorties en ville pour acheter de nouveaux vêtements. Elles avaient déjà quitté les vêtements sales et pleins de suie qu’elles portaient sur le chemin de Memphis et étaient habillées comme les filles du coin. C’était des vêtements ordinaires faits de chanvre, mais ils étaient faciles à porter et avaient encore quelque chose de fleuri.
Ryoma remarqua également l’arôme des roses qui s’élevait de Laura. Elles avaient probablement acheté du parfum en même temps qu’elles cherchaient des vêtements. Elles considéraient probablement leur toilette personnelle comme une sorte de devoir d’esclave envers leur maître, ou quelque chose de ce genre.
« Oui, le capitaine Greed était ravi et a dit que ça s’était bien passé », s’exclama Sara avec une joie innocente.
« Je… suppose », dit Ryoma en esquissant un sourire crispé avant de prendre une autre gorgée. Il était vrai que, du point de vue des jumelles, les négociations avaient été un grand succès. Une alliance avait quand même été formée avec Helnesgoula à sa tête.
« Ou quelque chose te dérange ? Penses-tu que l’accord pourrait finir par être annulé ? », demanda Laura, remarquant l’ombre qui s’était installée sur le visage de son maître.
Il était vrai que l’accord passé par Ryoma avec Grindiana n’était que verbal pour le moment. Mais tout de même, il s’agissait d’un accord verbal entre un leader d’un pays et un autre. La rupture de cet accord entraînerait son lot de conséquences. Même s’il s’agissait simplement de stopper l’invasion d’O’ltormea, aucun pays ne pourrait facilement tourner le dos à une telle promesse.
Rhoadseria et Xarooda n’avaient pas la puissance militaire nécessaire pour survivre à cette situation, et n’avaient donc jamais eu l’option de vraiment refuser l’accord. Myest avait suffisamment de forces pour entrer en guerre, mais même s’ils refusaient l’alliance, cela ne changerait pas grand-chose. Dans ce cas, les trois autres pays formeraient simplement une alliance sans eux.
Il était vrai que sans l’influence de Myest en tant que partenaire commercial, les profits de l’alliance seraient moindres, mais cela n’influencerait pas beaucoup les choses à long terme. Si Myest finissait par refuser, certains ajustements devraient être faits dans l’accord, mais il était autrement sûr de dire que le traité ne pouvait pas être révoqué à ce stade.
« Eh bien, je pense juste que j’ai peut-être un peu exagéré… »
Ryoma secoua lentement la tête à la question de Laura.
Ce qui avait serré le cœur de Ryoma si fortement, c’était le regard de Grindiana au moment où il lui avait fait ses adieux. C’était le regard d’un prédateur observant sa proie. Il ne pensait pas avoir fait de mauvais choix, mais il y avait peut-être quelque chose qu’il aurait pu faire différemment.
« Peut-être que je n’aurais pas dû laisser une si forte impression… »
Peut-être qu’au lieu de venir personnellement, il aurait plutôt dû envoyer un noble de Xarooda et manipuler leurs actions depuis l’ombre. Pourtant, il y avait un motif valable qui l’avait poussé à ne pas le faire.
Il y a une chance que cela l’ait rendue suspicieuse, alors je me suis dit que j’allais le faire moi-même…
Si Ryoma avait essayé de rester en retrait, Grindiana aurait probablement considéré le changement soudain de politique de Xarooda avec suspicion. Aussi inconfortable que cela puisse l’être, si un messager était simplement venu avec une lettre de Julianus Ier, il y avait de fortes chances pour qu’elle soit jetée sans être lue. Refuser une lettre était une chose très répréhensible d’un point de vue diplomatique, elle aurait donc été probablement acceptée, mais les choses ne se seraient toujours pas déroulées aussi facilement.
« Mais si nous prenons trop de temps, la forteresse du bassin d’Ushas pourrait ne pas tenir. Alors, le fait que vous ayez terminé ça aussi rapidement n’est-il pas la preuve que ce que vous avez fait était idéal ? », demanda Laura.
Ryoma dut acquiescer. L’affrontement final avec O’ltormea était imminent, et il n’y avait pas de temps à perdre.
« Je suppose que oui… »
Le fait que Ryoma doive se sentir si prudent à proximité de Grindiana était un résultat négatif qu’il n’avait pas prévu, mais il ne pouvait rien faire d’autre que d’essayer de compenser ce trou dans ses plans.
Pour l’instant, je devrais mettre de côté mes contre-mesures contre Helnesgoula et me concentrer sur la guerre qui m’attend.
L’alliance avec Helnesgoula prenait forme, mais la question restait posée : comment cette guerre allait-elle se terminer ? La composition de cette image se précisait déjà. Deux problèmes subsistaient cependant. Premièrement, il devait discuter de la suite des événements avec Grindiana et recevoir son approbation. Deuxièmement, ils devaient s’assurer que le groupe de Lione pourrait se retirer du bassin d’Ushas en toute sécurité.
« Nous devons envoyer un oiseau immédiatement et les informer de notre situation. Ils n’ont envoyé aucun message, on peut donc supposer que tout se passe comme prévu pour le moment. », dit Sara.
Ryoma leva les yeux au ciel à ces mots. Les téléphones et les e-mails n’existaient pas dans ce monde. Cela signifiait que chaque fois qu’une information était transmise, il y avait toujours un certain délai, directement proportionnel à la distance que l’information devait parcourir.
Heureusement, les normes technologiques de ce monde étaient plus ou moins uniformes. La vitesse à laquelle l’information voyageait était à peu près la même dans tous les pays. Bien sûr, Ryoma était habitué à l’échange instantané d’informations que permettait la technologie moderne, et ce décalage lui semblait être un énorme inconvénient. Et pour être honnête, il était toujours à la recherche d’une meilleure méthode. Et bien qu’il ait trouvé une solution possible…
La façon dont tout se déroulera dépendra de la façon dont cette guerre se termine.
Il y avait encore beaucoup de choses que Ryoma voulait et devait faire, mais pour l’instant il ne pouvait se concentrer que sur une seule chose. Aussi mécontent que Ryoma, un lycéen normal, puisse être de cette situation, elle était toujours le résultat de ses propres choix. Et on pouvait aussi appeler cela le destin.
« Oui, c’est ça… »
Sa tactique d’embuscade du convoi de ravitaillement d’O’ltormea pour ralentir leur vitesse d’invasion était bonne, mais il savait qu’il ne pouvait pas espérer couper complètement leur ligne d’approvisionnement. Il avait seulement demandé à Lione de leur infliger quelques dégâts et de se retirer ensuite à la forteresse du bassin d’Ushas. Là, les forces alliées des armées de Xarooda, de Rhoadseria et de Myest devaient tenir la ligne contre l’invasion O'ltormean.
Si tout se passait comme prévu, le groupe de Lione aurait dû se retirer de la région montagneuse en ce moment même.
Mais le temps, le temps, le temps… Les pourparlers avec Helnesgoula ont été réglés plus vite que prévu, mais nous ne tenons toujours qu’à un fil… Bon sang, nous devons y arriver…
Leurs chances étaient déjà minces, car ils avaient dû renverser la situation face à l’ennemi alors qu’ils étaient en position d’infériorité. Ils n’avaient pas d’autre choix que de faire un pari à un moment donné. La rencontre avec Grindiana s’étant bien déroulée, Ryoma était maintenant confronté à son prochain défi.
« Mais se plaindre maintenant ne nous mènera nulle part. Tout ce que nous pouvons faire, c’est croire que Lione et Joshua puissent tenir jusqu’à ce que nous puissions renverser la forteresse des plaines de Notis. »
L’esprit de Ryoma se tourna vers eux deux, sur ce champ de bataille loin au sud.
***
Chapitre 4 : La bataille du bassin d’Ushas
Partie 1
Plus d’un mois s’était écoulé depuis que Ryoma Mikoshiba avait rencontré la reine Grindiana Helnecharles dans la ville frontalière de Memphis.
Une grande terre plate s’étendait, entourée de montagnes abruptes. Au sein du territoire de Xarooda, parsemé de montagnes et de forêts, le bassin d’Ushas bénéficiait d’un accès abondant à l’eau, ce qui en faisait une région productrice de céréales. Si la plupart des récoltes de Xarooda étaient importées de ses voisins, le pays dépendait de plusieurs régions céréalières pour la culture du blé, qui était la principale source de nourriture du pays.
Aussi impropres que soient leurs terres à l’agriculture, la nourriture était la base de la vie du pays. Dépendre d’autres pays pour cela ne pouvait être toléré.
Ils pouvaient, peut-être, se le permettre financièrement. Les mines du pays permettaient d’extraire non seulement du fer, mais aussi des matériaux précieux comme l’or et les pierres précieuses. Et avec les nombreux forgerons qualifiés du pays, l’équipement produit par les forgerons de Xarooda était reconnu pour sa qualité parmi les autres pays du continent.
D’un point de vue économique, Xarooda était assez riche. Et pourtant, aucun roi dans l’histoire de Xarooda n’avait jamais envisagé d’abandonner l’agriculture. Bien au contraire, les rois passés avaient mis de côté les dépenses nationales pour couper les forêts et aplatir les montagnes au nom de l’obtention de plus de terres agricoles.
Tout cela parce qu’ils comprenaient parfaitement combien il était dangereux de dépendre d’un autre pays pour quelque chose d’aussi essentiel que la nourriture. On pouvait se passer de nombreux produits de luxe, mais dépendre entièrement d’un autre pays pour les produits agricoles signifiait que l’on créait une faiblesse majeure pour son pays.
En supposant que le pays exportateur restait indéfiniment amical envers vous, il n’y aurait aucun problème. Mais la véritable amitié n’existait pas entre les pays. Même si un pays s’engageait dans une relation de coopération avec un autre, aucun homme vivant ne pouvait garantir que cette relation durera éternellement.
Si la relation devait tourner au vinaigre et que le pays importateur décidait de réduire ses exportations, Xarooda serait impuissant. Et même si les relations ne se détérioraient pas, il pourrait y avoir de nombreux autres scénarios qui le désavantageraient. Peut-être que le mauvais temps fera que les récoltes avaient été moins importantes que prévu, et que l’autre pays devrait exporter moins.
Et bien que de nombreux nobles ne considéraient pas les roturiers comme des êtres humains, même eux savaient qu’il ne fallait pas affamer leur propre peuple intentionnellement. C’était pourquoi aucun pays ne prendrait le risque de dépendre entièrement de l’importation de nourriture d’un voisin.
Si une telle situation devait se produire, la capacité de Xarooda à être au moins quelque peu autosuffisante lui permettrait de s’en sortir légèrement mieux. Certes, les cultures qu’elle pouvait produire étaient relativement peu nombreuses, mais même cette quantité dérisoire de blé pouvait décider du sort du pays.
Donc, avec tout cela à l’esprit, on pourrait vraiment dire que le bassin d’Ushas était le cœur battant de Xarooda. Et cette terre était aussi importante d’un point de vue défensif. Le bassin d’Ushas était à une centaine de kilomètres au sud-ouest de la capitale de Xarooda, Peripheria. Si l’on se dirigeait vers les régions méridionales de Xarooda depuis Peripheria, le bassin d’Ushas était un point de contrôle clé qu’il fallait absolument franchir.
En outre, le terrain composé de terre arable était principalement plat, ce qui rendait difficile l’emploi de tactiques de surprise. Toute bataille se déroulant ici se ferait avec des tactiques conventionnelles. C’était une région qui ne permettait pas facilement des développements imprévisibles.
Sur le côté est de ce bassin se trouvait une solide forteresse. Elle était construite dans une vallée entre les montagnes formant le bassin, ce qui en faisait la plus grande barrière de Xarooda pour arrêter l’invasion d’O’ltormea.
Pendant de nombreuses années, la maison royale de Xarooda avait agrandi cette forteresse. Elle formait un réseau de citadelles, avec d’autres forteresses construites le long de la chaîne de montagnes. Grâce à cela et à l’avantage géographique que lui conférait le terrain, c’était une forteresse imprenable.
C’était pour cette raison que l’armée d’invasion d’O’ltormea, composée de soixante-cinq mille hommes, lutta pendant près d’un mois pour renverser cette forteresse. Et aujourd’hui, une fois de plus, les soldats d’O’ltormea marchaient sur la forteresse, la lumière du soleil se reflétant sur la pointe de leurs lances. Tout cela au nom de la victoire…
« À tout le monde ! C’est le moment critique. Avec la puissance combinée des trois royaumes de l’est, même O’ltormea ne peut espérer prendre cette forteresse ! La ligne d’approvisionnement de l’ennemi est interrompue, et le moral de ses hommes est en baisse ! Joignons nos forces, et frappons du pommeau de la justice à ces envahisseurs ! »
« « « Que nous connaissions la gloire ! Mort aux envahisseurs ! » » »
Ainsi parla la belle générale du Royaume de Myest, Ecclesia Marinelle. Sa voix se répercuta à l’intérieur des remparts, soulevant des acclamations qui semblaient ébranler le ciel et la terre. D’innombrables poings s’étaient levés vers le ciel. Alors que leur commandante leur souriait vaillamment, ses cheveux noirs flottant au vent, les soldats étaient remplis d’une confiance inébranlable et absolue. Le fait qu’Ecclesia soit le commandant d’un autre pays n’avait que peu d’importance.
Grâce aux renforts des autres citadelles positionnées le long des montagnes et aux forces arrivant de la capitale, couplée au commandement d’Ecclesia, les forces stationnées dans la forteresse du bassin d’Ushas avaient pu contenir la grande offensive O'ltormean.
« Armez vos arcs ! Premier rang, tenez-vous prêts ! Deuxième et troisième rangs, restez en attente ! Il devrait y avoir des armes de siège en approche. Tirez-leur dessus dès qu’elles sont à votre portée. Ceux de l’arrière, continuez à préparer ces flèches de feu ! L’huile est prête, non ? Maintenant, écoutez ! Ne laissez pas un seul soldat quitter cet endroit vivant ! Si vous voulez survivre, tuez-en le plus possible ! »
Les cris des commandants résonnaient sur les murs. Des flèches avec des tissus imbibés d’huile à leur extrémité furent préparées. De grands pots remplis d’huile bouillie à plusieurs centaines de degrés étaient placés au sommet des murs.
Si ces huiles étaient versées sur les soldats d’O’ltormea qui se déchaînaient sous les murs, elles leur brûleraient sûrement la peau d’une manière horrible. Et même s’ils étaient guéris, il faudrait du temps à ces soldats pour reprendre le service actif. En fait, la plupart d’entre eux suffoqueraient probablement à mort. Ce qui suivrait alors serait un baptême de flèches en feu.
Personne ne pouvait survivre indemne à cette attaque continue. La guerre, après tout, était une affaire extrêmement macabre. Pour les soldats d’O’ltormea, le bassin d’Ushas était la porte de l’enfer, mais on pouvait en dire autant des soldats qui défendaient la forteresse.
« Ne faiblissez pas, chevaliers de Rhoadseria ! C’est le moment de montrer votre force ! »
Alors qu’elle tirait la corde de l’arc tendu spécialement conçu pour abattre les soldats d’O’ltormea qui tentaient de traverser les douves, Helena criait des mots d’encouragement aux chevaliers qui l’entouraient. Elle savait que si elle ne le faisait pas, leurs cœurs se briseraient à la vue des rangs illimités d’ennemis se déversant vers eux.
Et même avec le terrain de leur côté, ce n’était pas une bataille facile. O’ltormea contrôlait le centre du continent et mettait toute sa puissance nationale dans cette guerre. Le nombre d’hommes qu’ils avaient à leur service était vraiment stupéfiant. Leur armée était comme un raz-de-marée de malice, et la pression qu’elle induisait était hors du commun.
Même s’ils étaient protégés par de hauts murs, ce qui décidait de la bataille était l’esprit humain. Et donc, face à un barrage constant de flèches et de magie du côté d’O’ltormea, Helena s’était concentrée à fond pour encourager ses soldats.
Un aspect clé des batailles de siège était de maintenir le moral des soldats. La bataille se terminait lorsque votre camp craquait sous la pression imposée par l’ennemi. Et il n’y avait qu’une seule façon d’éviter cela : continuer à accumuler les cadavres de l’ennemi.
« Ils amènent un bélier ! »
Un avertissement retentit depuis une tour de guet construite le long du mur.
C’était une arme simple, construite avec du bois de la forêt voisine, dont la pointe était renforcée par du fer. Mais la magie martiale pouvait donner aux soldats l’endurance nécessaire pour l’utiliser autant de fois qu’il le fallait pour enfoncer les défenses. Même les épaisses portes de fer de cette forteresse ne seraient pas en mesure de résister à un tel assaut.
« Flèches de feu ! Tirez vos flèches de feu sur lui ! »
Les capitaines donnèrent rapidement leurs ordres, et une pluie de flèches de feu et de jarres d’huile s’abattit sur le bélier. Le bélier était entièrement recouvert de vêtements mouillés par précaution contre les tactiques de feu, mais une contre-mesure aussi bon marché n’était pas d’une grande aide. Attaquer la citadelle d’Ushas avec des armes aussi improvisées serait difficile.
Leur armée est peut-être grande, mais la portée de leur stratégie est étroite. Et voilà le résultat… Tout ce qu’il reste à faire est d’espérer qu’il réussisse son plan, et de garder le moral des soldats jusqu’à ce qu’il le fasse…
Alors qu’elle contemplait un nouvel assaut répété d’O’ltormea, le soleil couchant avait peint la peau d’Helena en rouge et ses lèvres s’étaient retroussées en un sourire vicieux.
« Il semblerait que les attaques d’aujourd’hui soient presque terminées. »
Une voix rappelant le carillon d’une cloche parla dans le dos d’Helena, alors qu’elle maintenait le moral des soldats.
« Oui… Le soleil se couche, et l’ennemi doit retrouver ses repères. Au fait, y a-t-il une raison pour que le commandant suprême soit ici sur les lignes de front ? », demanda Helena d’un ton égal.
Ecclesia se contenta d’un sourire forcé devant l’attitude d’Helena et secoua la tête en signe de dénégation.
« Aucune raison particulière. Il semble que le Seigneur Grahalt ait également réussi à intercepter les forces ennemies qui marchent à travers les montagnes », dit Ecclesia tout en tournant son regard vers les montagnes qui se dressaient au loin.
« Cela va de soi. »
Helena acquiesça, comme si on lui avait dit quelque chose d’évident.
« Il est, après tout, un commandant assez compétent. Joshua est également avec lui. Je crois que nous pouvons être tranquilles, sachant qu’ils s’occupent de l’affaire. »
Grahalt Henshel, le commandant de la garde royale de Xarooda, était un guerrier de premier plan dans un pays connu pour son attitude militariste. Et malgré le fait qu’ils ne se connaissent que depuis peu, Ryoma n’avait pas une opinion très favorable de lui, en raison de son caractère emporté. Cependant, il ne pensait cela que parce qu’il ne l’avait pas vu sur le champ de bataille.
Il était vrai que Grahalt n’avait pas la largeur de vue ou la sagesse nécessaire pour commander l’ensemble d’un champ de bataille comme le Général Belares ou Helena. Et il était malheureusement coléreux et facile à énerver. Mais en tant que commandant sur le champ de bataille, il avait un talent certain et une grande expérience. Si une rébellion éclatait à Xarooda, ceux qui seraient envoyés pour la réprimer seraient sûrement lui et sa garde royale.
***
Partie 2
Grahalt ne perdrait pas une bataille sur les sommets de sa patrie contre les soldats d’O’ltormea. Et même s’il considérait les soldats des deux autres pays comme des camarades dans la lutte contre l’empire, il ne leur confierait pas la dernière ligne de défense avant la capitale. Normalement, il considérerait comme inacceptable le fait de commander l’un des forts environnants à un moment aussi critique.
Malgré cela, Ecclesia et Helena avaient insisté pour qu’il prenne en charge la défense des montagnes. Après une réunion stratégique tumultueuse, Julianus Ier lui avait donné l’ordre direct de faire ce qu’elles disaient. Helena et Ecclesia n’avaient insisté pour qu’il le fasse que parce qu’il était extrêmement familier avec la topographie de Xarooda.
Cette citadelle était peut-être forte, avec un grand avantage de localisation, mais si l’ennemi devait la contourner, les portes pouvaient tout aussi bien rester ouvertes. Et si le fort était frappé par-derrière, les soldats à l’intérieur perdraient courage. Il fallait éviter cela à tout prix, et Grahalt était l’homme de la situation.
En plus de cela, Joshua, qui avait retiré ses hommes du district montagneux le long de la frontière, servait de lieutenant. Donc, à moins que quelque chose de complètement inattendu ne se produise, tous les deux devraient s’en sortir.
« Pour l’instant, la journée semble être terminée… Avec cela, nous avons gagné un mois, mais combien de temps devrons-nous encore attendre… ? », dit Ecclesia tout en regardant les soldats O'ltormean se retirer peu à peu.
Contrairement à ses paroles, il y avait un sourire amusé sur ses lèvres. C’était la preuve qu’elle ne pensait pas le moins du monde qu’ils pouvaient perdre cette bataille. Et il n’y avait pas une trace d’insouciance ou de vanité dans son comportement. Helena pouvait seulement voir un jugement froid et une soif de victoire.
Il y avait la possibilité d’un raid nocturne, bien sûr, mais ils étaient depuis longtemps préparés à cette éventualité. Tout soldat d’O’ltormea qui tenterait de les attaquer serait abattu sans pitié.
« Oui, il ne reste plus qu’à prier pour que son plan se déroule bien », dit Helena tout en tournant son regard vers le nord.
Comme si elle attendait la pièce qui pourrait renverser cette guerre…
*****
« Nos forces ne peuvent même pas renverser cette forteresse sous votre commandement, Saitou ?! »
Le cri agacé de Shardina résonnait dans la tente.
Ce n’était pas son comportement habituel. Son comportement était en fait plutôt médiocre. La tension mentale due au combat prolongé avait fait disparaître l’éclat que Shardina avait habituellement. Ses cheveux, qui ressemblaient normalement à de l’or en fusion, avaient perdu leur éclat, et les cernes sous ses yeux témoignaient de son état d’esprit actuel.
Saitou inclina docilement la tête : « Mes excuses, Votre Altesse. Leur forteresse s’avère plus difficile à capturer que je ne le pensais. Percer la porte principale prendra du temps. »
Ce n’était pourtant pas la responsabilité individuelle de Saitou. La responsabilité de cette armée incombait entièrement à Shardina, et cela signifiait que la responsabilité du déroulement de chaque bataille individuelle lui incombait également. En plus de cela, Saitou n’était que le commandant d’une seule unité.
Ceux qui étaient tenus responsables de cette situation défavorable étaient Shardina, et, ostensiblement, Celia, qui était son nouveau lieutenant. Saitou n’était pourtant pas un enfant, et savait que le fait de le signaler maintenant devant Shardina ne ferait que lui attirer l’ire de cette dernière.
En tant que soldat d’O’ltormea, le plus important était de gagner cette bataille. Saitou en était conscient et évitait donc de dire quoi que ce soit qui puisse aggraver l’état d’esprit de Shardina. Mais comme pour se moquer de la considération de Saitou, un certain enquiquineur dut entrouvrir les lèvres.
« Non, non, ce n’est pas tout. Ils ont divisé leurs groupes de raid et les ont envoyés à travers les montagnes pour nous interrompre pendant que nous sommes concentrés sur l’attaque du fort. Une fois que nous contre-attaquons, ils s’enfuient dans les montagnes. Il n’y a pas de fin à cela… S’ils nous attaquaient de front, peu importe le nombre d’hommes qu’ils ont, ils ne gagneraient pas, mais quand même… »
« M. Sudou, ce sera bien suffisant ! », cria Saitou.
Son rapport était exact, mais Sudou avait une attitude si odieuse à ce sujet que Saitou ne pouvait s’empêcher de s’emporter. Saitou n’avait jamais vraiment aimé cet homme. Non, à vrai dire, il détestait avoir affaire à lui. Et bien qu’ils aient tous deux été invoqués de Rearth et qu’ils aient certaines choses en commun, leurs personnalités étaient comme l’huile et l’eau.
Saitou était plutôt du genre guerrier, tandis que Sudou était plutôt du genre intrigant. Saitou reconnaissait que ses compétences étaient nécessaires, et savait qu’il était assez doué, mais les deux n’étaient pas faits pour coopérer.
C’était vrai, même si Sudou l’avait aidé à le sauver du précipice du désespoir.
Ce n’est pas un mauvais homme, mais… quelque chose en lui est définitivement brisé. Je ne peux pas lui en vouloir pour ça…
Il était vrai que Saitou n’aimait pas les complots et les machinations, mais il ne pouvait pas nier leur utilité. Le défunt Gaius Valkland avait après tout collaboré avec Shardina pour provoquer les troubles en Rhoadseria, et Saitou n’était pas dégoûté par eux.
J’ai entendu dire que Sudou n’a pas été appelé dans ce monde par O’ltormea… Mais s’est-il passé quelque chose à l’époque qui l’a rendu comme ça ?
En tant que membre de l’organisation et compatriote japonais, Saitou avait un certain lien avec Sudou, plus que les autres membres de l’organisation. Ainsi donc, il sentait que si quelque chose pouvait être fait sur cette obscurité dans le cœur de Sudou, il voulait que cela se produise. Mais Sudou était toujours son supérieur. Mettre son nez dans les affaires privées de l’homme ne servirait à rien d’autre qu’ouvrir de vieilles blessures.
Malgré tout, Saitou était inquiet pour Sudou, à tel point qu’il redoutait de le laisser faire ce qu’il voulait ici. Sudou avait un certain goût pour les effusions de sang. Saitou avait l’impression que quelque chose dans sa nature humaine était fondamentalement brisé.
Pourtant, je vais devoir faire abstraction de ça pour l’instant…
Le problème était leur situation actuelle. Saitou craignait que la façon provocante de parler de Sudou ne trouble le cœur de Shardina. Mais étonnamment, Shardina l’avait regardé calmement.
« Non, vas-y, Sudou. Si tu as quelque chose à dire, dis-le », dit Shardina tout en coupant les mots de Saitou d’un air résigné.
Elle ne voulait en aucun cas entendre ce que Sudou avait à dire, mais même Shardina admettait que les compétences et les connaissances de cet homme en matière de tactique et de stratégie étaient de premier ordre. C’était pour cela qu’elle l’avait convoqué ici, malgré ses opérations à Rhoadseria, et même si les affaires s’étaient quelque peu calmées depuis. Sa personnalité était effectivement imparfaite, mais Shardina savait qu’il ne fallait pas l’ignorer lorsqu’il s’agissait de stratégie.
Lorsque Shardina lui donna la permission de parler, Sudou dirigea un regard victorieux vers Saitou et prit la parole avec un sourire.
« La forteresse d’Ushas est encore plus imprenable que les rumeurs ne le disent. D’autant plus que nous sommes aussi mal équipés en termes d’armes de siège… Le fait que vous ayez insisté sur la mobilité dans l’espoir de finir la guerre rapidement se retourne contre vous. »
Même les attaques magiques n’avaient que peu de sens, puisque la magie de dotation appliquée aux murs de la forteresse les rendait inutiles. Avec cela, Shardina n’avait d’autre choix que de recourir à une bataille de siège basique.
Cependant, les engins de siège étaient, pour la plupart, assez lourds et difficiles à transporter. Et Shardina avait mis l’accent sur la vitesse pendant cette campagne, ce qui signifiait qu’elle n’avait pas tenu compte des armes de siège. Elle avait tout de même préparé quelques engins de siège, mais très peu. Et la majorité d’entre eux avaient été réduits en cendres lorsque Joshua Belares avait tendu une embuscade au convoi de ravitaillement.
Cet homme gâche tout pour moi. Même ça…
De tous les engins de siège qu’elle avait pu préparer, seul un sur dix était arrivé dans le bassin d’Ushas, et la plupart d’entre eux avaient été détruits au cours du mois de combat. Pour les remplacer, Shardina avait ordonné que du bois soit acheté dans les forêts voisines pour construire des armes de siège improvisées, mais elles étaient bien inférieures aux engins de siège construits par les artisans de la capitale impériale, surtout en ce qui concernait la défense et la durabilité.
Couvrir leurs armes de siège avec des vêtements mouillés ne faisait pas grand-chose pour bloquer les flèches de feu et l’huile bouillante qui pleuvaient sur les murs.
« Vous prétendez avoir les nobles de Xarooda sous votre coupe, mais leurs actions et leurs mouvements sont bien trop lents. Ils ont probablement compris que nous avons du mal à gagner, et ont adopté une approche attentiste. »
Le moyen le plus sûr de gagner une bataille de siège était de se faire aider par un initié. En d’autres termes, en utilisant un traître pour aider à renverser la forteresse de l’intérieur. Mais les rats employés par Shardina s’étaient avérés problématiques. Bien qu’étant leur dernier espoir, les nobles se déplaçaient bien trop lentement pour être efficaces. Ils étaient aussi à l’intérieur de la forteresse d’Ushas, en tant que membre de l’armée de Xarooda. Ils avaient jusqu’ici inventé toutes sortes d’excuses pour éviter les appels de Julianus Ier, mais ils avaient soudainement changé d’avis.
« Tu veux dire qu’ils essaient de se mettre de notre côté et de celui de Xarooda ? », demanda Shardina.
« C’est ce que je ferais à leur place. Ils n’ont ni loyauté ni foi. Tout ce qu’ils ont, c’est la cupidité, comme les porcs. Cela dit, c’est leur nature qui les a poussés à accepter notre offre pour commencer, et c’est ce qui a conduit le général Belares à sa mort. », dit Sudou avec un sourire obscène sur les lèvres.
Leur attitude coopérative d’il y a un an ressemblait à un mensonge maintenant. Mais tel était le danger d’un traître. Seul un idiot attendrait de la loyauté de la part de personnes qui trahissaient leur propre pays.
Ils ont probablement commencé à douter de la force de l’empire en voyant que la guerre s’éternisait… Bon sang, c’est pour ça que j’ai essayé de mettre fin à cette guerre rapidement… Shardina se rongea l’ongle du pouce en s’agaçant malgré elle.
« Je vois… Alors qu’est-ce que je devrais faire maintenant, Sudou ? »
« La meilleure solution est de conserver les territoires que nous avons réussi à arracher, et que nos soldats se replient dans notre pays. Nous ne savons pas ce que le nord prépare, et notre ligne d’approvisionnement est à sa limite. »
Sudou étala alors une carte sur la table.
« En raison du fils du général Belares et à son saccage de nos lignes de ravitaillement, nous ne parvenons pas à amener suffisamment de fournitures sur ce champ de bataille. Et comme Xarooda a brûlé leurs champs lors de leur retraite, nous ne parvenons pas non plus à nous procurer ce dont nous avons besoin localement. Cela ne veut pas dire que nos rations sont épuisées, bien sûr, mais à ce rythme, ce n’est qu’une question de temps… »
« C’est donc pour cela qu’ils ont amené les lignes de front à l’est du bassin d’Ushas… », marmonna Shardina.
« On peut effectivement le supposer. Ils ne reculeront devant aucune méthode si cela signifie nous repousser. », dit Sudou en haussant les épaules.
La tactique de la terre brûlée. C’était une stratégie utilisée à travers l’histoire. En détruisant les champs avant qu’ils ne tombent aux mains de l’ennemi, il devenait extrêmement difficile pour l’armée ennemie de s’approvisionner localement, rendant ainsi excessivement difficile le maintien de ses rangs.
***
Partie 3
Un exemple célèbre de cette tactique était l’invasion de la péninsule coréenne par Toyotomi Hideyoshi. La dynastie Joseon appliqua la tactique de la terre brûlée pour affaiblir la capacité de l’armée japonaise à s’approvisionner. Cette tactique fut également utilisée lorsque l’armée allemande envahit l’Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale et lorsque l’empire achéménide de Perse envahit les Scythes.
Il s’agissait d’une tactique extrêmement efficace qui avait fait ses preuves à maintes reprises, notamment dans les situations où une grande armée lançait une invasion dans une région montagneuse ou enneigée, où il était déjà difficile de sécuriser une ligne d’approvisionnement.
Mais cette efficacité avait aussi son lot d’inconvénients. Le plus flagrant étant qu’une fois la guerre terminée, la restauration des zones dévastées s’avérait considérablement plus difficile. À l’origine, la tactique de la terre brûlée ne détruisait pas seulement les installations militaires. Les villages et les terres agricoles étaient brûlés, les sources d’eau étaient empoisonnées, les forêts brûlées. Des dommages considérables étaient infligés aux infrastructures et à l’environnement de la région.
En d’autres termes, Xarooda avait coupé dans sa propre chair vivante avec ce mouvement. Et la meilleure façon de vaincre cette tactique était de mettre fin à la guerre si rapidement que les lignes de ravitaillement n’étaient plus un problème, ou de transporter dès le départ une grande quantité de fournitures depuis la patrie.
Mais maintenant, comme aucune de ces options ne fonctionnait, ils devaient retirer leurs soldats et se regrouper. C’était la logique établie dans une guerre. Shardina, cependant, secoua la tête en signe de dénégation.
« Non… Sudou, penses-tu sérieusement que nous pouvons nous retirer, si tard dans la guerre ? »
En pensant de manière rationnelle, elle savait que Sudou avait raison. Mais elle ne pouvait pas retirer son armée maintenant, et Sudou le savait aussi bien qu’elle.
« Oui, honnêtement parlant, c’est une décision difficile à prendre. Si rien d’autre n’est fait, cela ne fera qu’empirer votre position, Votre Altesse. Et nos positions ne seraient pas beaucoup mieux… »
Les dépenses de guerre que Shardina avait engagées dans cette campagne représentaient plus d’un tiers du budget militaire d’O’ltormea, le budget d’une grande puissance militaire qui régnait sur le centre du continent occidental. C’était une somme plus importante que le budget national entier de certains petits pays. Et même un grand pays comme O’ltormea ne pouvait pas réunir autant d’argent facilement.
Mais l’argent n’était pas le problème en soi. Compte tenu de la puissance nationale d’O’ltormea, ils pouvaient couvrir cette somme en deux ou trois ans. Le problème était de savoir s’ils seraient capables de récupérer cette somme perdue.
Les guerres éclataient pour des raisons financières dans quasiment tous les cas. Souvent, des questions de justice ou d’autres causes plus importantes étaient brandies comme étendard, comme la défense nationale, ou au nom de la libération des roturiers de l’oppression. Parfois, on invoquait même Dieu pour justifier l’entrée en guerre. Mais la véritable cause des guerres était presque toujours économique.
La pauvreté et la faim poussaient les gens à voler les autres, c’était un instinct. Après tout, même les animaux se battaient pour un territoire. Et occuper un territoire signifiait acquérir les ressources et les taxes qu’offrait la terre d’autrui. En d’autres termes, personne ne serait assez fou pour voler un terrain vague qui ne produit rien.
À cet égard, si Shardina devait retirer ses hommes de Xarooda maintenant, tous les efforts et les sacrifices qu’elle avait faits jusqu’à présent seraient vains. L’argent dépensé n’était pas le vrai problème, mais le fait qu’il n’y avait aucun retour sur investissement l’était. La réputation et le statut de Shardina seraient profondément entachés.
« Je pense que Sudou a raison. Nous devons retirer nos hommes et négocier avec Xarooda… Cependant… », dit Saitou avant de s’interrompre.
Si les choses devenaient favorables pour O’ltormea, peut-être que négocier avec Xarooda ne serait pas un mauvais choix. Détruire complètement le pays serait l’idéal, mais l’Empereur Lionel leur avait dit que faire d’eux un état vassal dépendant était également une alternative acceptable.
Cependant, étant donné la situation, aucune de ces options n’était envisageable.
« Si nous ne prenons pas le bassin d’Ushas, nous ne pourrons pas récupérer les fonds que nous avons dépensés dans cette guerre… Mais au train où vont les choses, ce sera impossible. »
« Je le sais… C’est pourquoi la prise de la forteresse est notre priorité actuelle, non ? »
Le silence s’installa dans la tente. Shardina regardait attentivement Sudou et Saitou qui restèrent silencieux. Entamer des négociations avec Xarooda avant la chute du fort d’Ushas ne leur apporterait rien. Xarooda n’abandonnerait pas facilement la terre qui était en grande partie leur source de nourriture. Mais O’ltormea n’était également pas intéressé par leurs autres terres. En d’autres termes, s’ils n’avaient pas le bassin, cela ne suffirait pas à équilibrer l’argent qu’ils avaient englouti dans cette campagne.
« Alors je pense que la conclusion est claire. Nous devons continuer à pousser l’offensive », conclu Sudou.
« M. Sudou ! », s’exclama Saitou.
Ce qu’il suggérait était imprudent. Pour autant que Saitou le sache, déplacer leur armée pour une raison politique ne se terminerait pas bien. Et Sudou le comprenait parfaitement. Mais il accepta la critique de Saitou sans sourciller.
« Si nous ne pouvons pas battre en retraite, notre seul choix est de continuer à avancer… Après tout, nous devons tenir compte de la faction du prince héritier, M. Saitou. »
À ces mots, Saitou était redevenu silencieux. L’Empereur avait une grande confiance en Shardina, mais certains lui en voulaient pour cela. Ses deux frères en étaient des exemples frappants. Ils pensaient que pendant qu’ils étaient partis se battre sauvagement aux frontières, Shardina essayait de s’attirer les faveurs de leur père, l’Empereur.
Ils étaient particulièrement indignés en ce moment, lorsque l’Empereur Lionel avait retiré des troupes d’élite de tout l’Empire par agacement devant la lenteur de l’invasion de Xarooda. Plusieurs unités avaient été prises aux frontières nord et ouest, où ses frères étaient stationnés.
Ils comprenaient, bien sûr, que cela était nécessaire. Mais les émotions humaines ne se conformaient pas toujours à la logique. On disait que le clou qui dépassait était le premier à être enfoncé. Si cette expédition devait se terminer par des résultats défavorables, Shardina serait une proie facile pour les monstres qui complotent à la cour de l’Empereur. Son statut de royauté ne ferait pas grand-chose pour l’en empêcher. Elle ne serait pas exécutée, mais elle paierait tout de même très cher ses échecs.
« Nous ferons une charge décisive demain… Nous utiliserons le plan que tu as proposé plus tôt, Sudou. Dis au Seigneur Rolfe de quitter Fort Noltia et de venir ici. »
La lueur était revenue dans les yeux de Shardina. En reconfirmant sa position actuelle, elle avait renforcé sa détermination pour ce qui allait suivre.
« Une vague d’attaque utilisant toutes nos forces… Si cela échoue, nous sommes finis. »
Sudou eut un sourire amusé en entendant les paroles de Shardina.
Au moment où elle avait rappelé Rolfe de son devoir de protéger Fort Noltia, Shardina avait admis que sa situation était désespérée. Dans le cas improbable d’une défaite, la tête de pont qu’ils avaient péniblement formée avec le Fort Noltia leur serait arrachée.
La formation de la roue tournante. Sudou l’a mentionné avant… Avec ça, c’est possible. Et il ne nous reste pas beaucoup d’autres options… Mais pourquoi est-il si déterminé à poursuivre la guerre… ?
Pour les membres de l’Organisation comme Sudou et Saitou, Shardina n’était rien de plus qu’une maîtresse temporaire. Le serment de loyauté de Saitou à son égard n’était qu’un moyen pour l’Organisation d’exploiter le lion qu’était l’Empire d’O’ltormea comme un parasite.
De ce point de vue, la diminution de l’influence de Shardina n’était en aucun cas une évolution favorable pour l’Organisation. Mais si la guerre devait s’éterniser, elle risquait de tout perdre. Sudou n’aurait pas non plus voulu voir Shardina, dont il connaissait trop bien le tempérament, perdre complètement tout son pouvoir.
L’Organisation lui avait-elle ordonné de faire quelque chose ? Mais…
L’instinct animal qu’il avait poli depuis qu’il était arrivé dans ce monde tirait la sonnette d’alarme dans l’esprit de Sudou. Mais la vérité était que, pour le moment, ils n’avaient pas de meilleure alternative.
« Saitou, je te ferai monter au front demain », dit Shardina en dirigeant un regard acéré vers son subordonné silencieux.
« Oui, Votre Altesse… »
Saitou ne pouvait qu’acquiescer, submergé par l’intensité de son regard, alors même qu’un sentiment de malaise et de crainte face à l’attitude mystérieuse de Sudou pesait sur son cœur…
*****
Le lendemain matin, alors qu’une teinte orange commençait à envahir le ciel matinal, Helena se tenait au sommet d’une tourelle placée le long des murs. Elle regardait le campement d’O’ltormea au loin, l’air froid soufflant des montagnes et jouant avec ses cheveux blancs.
Les mouvements dans leur camp sont plus vigoureux que d’habitude… Ils veulent probablement en finir aujourd’hui ou demain. Ils doivent être à bout de nerfs.
Alors que les instincts qu’elle avait acquis en tant que commandante aguerrie sur le champ de bataille percevaient avec acuité le changement d’atmosphère, Helena permit aux chakras de son corps d’accélérer.
Je vois… Ils veulent nous charger.
En améliorant son corps avec la magie martiale, elle augmentait sa vision au-delà de ses limites normales, lui permettant de voir avec acuité le campement ennemi à plusieurs kilomètres.
Alors, ils vont enfin prendre leurs précautions et nous charger, murmura Helena en regardant la fumée blanche qui s’élevait dans l’air.
Il n’y avait que peu de raisons pour que de la fumée s’élève d’un champ de bataille. À en juger par l’heure, ils étaient probablement en train de préparer de la nourriture.
« Bonjour, Lady Helena. Il semble que l’ennemi soit enfin prêt à jeter tout ce qu’il a sur nous. »
Une voix claire, semblable à un carillon, parla derrière Helena.
Ecclesia apparut sur la tourelle, accompagnée d’une foule de chevaliers. Ses cheveux noirs et lisses étaient soigneusement peignés malgré l’heure matinale, dansant dans le vent alors qu’elle se tenait là. Helena sentit également un léger arôme chatouiller ses narines, peut-être qu’Ecclesia avait utilisé une sorte d’huile parfumée ?
En regardant son comportement et son apparence raffinés, on ne douterait pas qu’elle soit la fille d’un noble renommé. Cependant, son corps n’était pas recouvert d’une robe de soie, mais plutôt d’une lourde armure de fer gravée d’innombrables rayures et marques. C’était la preuve silencieuse des nombreuses batailles qu’elle avait livrées au cours de sa vie. C’était la preuve indéniable qu’Ecclesia n’était en aucun cas une poupée.
« Bonjour, Ecclesia. Oui, c’est ce qu’il semblerait », dit Helena tout en regardant la fumée qui s’élevait sans se tourner vers l’autre femme.
« Tout semble se dérouler comme le Seigneur Mikoshiba l’avait prédit », dit Ecclesia, se tenant aux côtés d’Helena et se protégeant les yeux d’une main levée en regardant devant elle.
Normalement, le bassin d’Ushas était un endroit idéal pour qu’O’ltormea mène une guerre prolongée contre eux, mais O’ltormea ne disposait pas des armes et des fournitures nécessaires pour poursuivre cette stratégie. Un mois de combat leur avait appris à quel point cette forteresse était solide. Mais malgré cela, Shardina avait décidé de ne pas faire battre en retraite son armée, ce qui signifiait qu’il n’y avait qu’une seule réponse à la question de savoir ce qu’elle prévoyait.
« Ils préparent un gros petit déjeuner pour s’assurer que leurs soldats sont bien nourris.… Ils n’auront probablement pas l’occasion de se replier, même après le coucher du soleil. »
L’armée d’O’ltormea n’avait pas les installations défensives de celle d’Helena, et une fois que les combats auront commencé, les forces assiégeantes ne seraient pas en mesure de faire reculer les soldats et de leur donner le temps de manger et de se reposer. Bien sûr, ils avaient probablement quelques rations portables qui pouvaient être mangées sans être cuites, mais ce n’était que des choses simples comme des noix, des fruits secs et de la viande séchée salée.
Néanmoins, c’était nettement préférable que de se battre sans rien manger de toute la journée. Mais cela ne ferait pas grand-chose pour donner la vigueur nécessaire à la bataille. Et étant donné le climat du bassin d’Ushas, l’air devenait assez froid lorsque le soleil se couchait.
***
Partie 4
Ils devaient donc s’assurer de se remplir l’estomac maintenant, avant que les combats ne commencent sérieusement. Les intentions de leur commandant étaient évidentes au vu de la quantité de fumée qui s’élevait de leur campement.
« Je vois… Ils sont prêts à se battre jusqu’à la nuit si nécessaire. »
Les lèvres bien formées d’Ecclesia s’étaient courbées en un sourire.
Combattre la nuit demandait une grande préparation. Tout commandant espérait naturellement faire autant de préparatifs que possible à l’avance. Mais toute préparation serait rendue inutile si l’ennemi en avait écho, car il pourrait préparer un grand nombre de contre-mesures s’il savait ce que l’autre camp planifiait.
« Pour être exacts, ils veulent continuer à nous attaquer pendant la nuit. Et vu la taille de leur armée, ils vont probablement diviser leurs forces en trois ou quatre unités et nous attaquer par vagues. », dit Helena.
« Oui, je suis d’accord avec cette estimation. Ils voudront profiter de leur supériorité numérique et attaquer sans relâche, de manière à épuiser le moral de nos soldats. »
Ecclesia pressa un doigt contre son menton et hocha la tête.
La vue de la fumée de cuisson leur permettait de déduire beaucoup de choses. L’état des provisions de l’armée ennemie, leur moral, les plans du commandant ennemi… Bien sûr, peu de gens pouvaient en savoir autant à partir d’un peu de fumée montante. La capacité de recueillir ce genre d’informations à partir de l’environnement était ce qui distinguait un général d’un simple soldat.
Et les deux femmes qui se tenaient là étaient, sans l’ombre d’un doute, des généraux.
« Alors, comment allons-nous faire face à cela ? », demanda Ecclesia.
C’était formulé comme une question, mais il y avait beaucoup de confiance dans ses mots. Il y avait peu d’issues dans cette situation, et après avoir compris la situation aussi profondément, le camp d’Ecclesia n’avait plus qu’une seule voie à prendre.
« Eh bien, ne pensez-vous pas que nous sommes tous assez fatigués d’être enfermés dans cette forteresse ? », dit Helena avec un sourire forcé tout en voyant les yeux d’Ecclesia s’illuminer comme des diamants.
Elle était comme un enfant, attendant que sa mère lui accorde la permission de se jeter sur le bonbon qui se trouvait sous ses yeux.
« Oui ! À vrai dire, je déteste être sur la défensive, aussi bien en amour qu’en guerre. »
Il ne faisait aucun doute qu’Ecclésia était une générale habile à la fois en défense et en attaque, mais comme tout le monde, elle avait ses préférences. Et comme son titre de « La Tempête » pouvait le laisser entendre, elle était plus dans son élément avec des tactiques qui impliquaient de piétiner et d’écraser l’ennemi. La plus grande arme d’Ecclesia Marinelle était sa tendance à utiliser une vitesse écrasante pour frapper de manière décisive.
« Alors c’est l’occasion parfaite… L’autre formation recevra le cadeau qu’il nous a apporté, non ? » dit Helena d’un ton lourd d’implications.
C’était une conversation entre deux généraux. Ecclesia avait donc rapidement compris ce que Helena voulait dire. Une partie des renforts qu’Ecclesia dirigeait comprenait une unité sous son commandement direct. Puisqu’ils avaient été enfermés dans la forteresse jusqu’à présent, l’unité n’avait pas eu la chance de montrer sa vraie valeur. Mais passer à l’offensive leur permettrait d’évacuer la frustration qu’ils avaient accumulée, en les laissant montrer leurs redoutables crocs aux soldats d’O’ltormea.
« Oui, en effet… Alors je vais accepter votre offre, Lady Helena. Il est temps que nous ayons enfin une chance de nous déchaîner. Il semblerait que, quoi qu’il arrive, je ne sois pas douée pour les tactiques défensives… »
Ecclesia avait admis qu’elle n’aimait pas se défendre passivement. Helena, cependant, secoua la tête. Au cours des derniers mois qu’elles avaient passés ensemble, elle avait appris à reconnaître l’œil d’Ecclésia pour la tactique et la stratégie. On pouvait en dire autant de l’appréciation d’Ecclesia pour Helena.
« Oh… Et je vais prendre contact avec Grahalt… », dit Helena à Ecclesia alors que cette dernière se dirigeait vers l’escalier à pas feutrés.
« Je ne suis pas contre, mais… est-ce que le message lui sera parvenu à temps ? »
Ecclesia avait incliné son cou.
« Tout ira bien. C’est l’un des hommes les plus importants de ce pays. Je pense qu’il vous suivra très bien. », lui dit Helena avec un sourire en coin.
Il était peut-être difficile de le féliciter autant, puisqu’il devait toujours se mesurer aux réalisations du Général Belares, mais Helena tenait en haute estime les capacités de Grahalt et sa loyauté envers Xarooda. Certaines personnes étaient capables, mais déloyales, tandis que d’autres étaient fidèles, mais incompétentes. Comparé à eux, Grahalt était un homme talentueux qui maintenait un niveau élevé, même s’il avait ses propres défauts.
Le fait que Grahalt ait été chargé de commander les forteresses dans les montagnes le montrait bien.
« Très bien. Je vous laisse vous occuper de ça, Dame Helena… Maintenant, si vous voulez bien m’excuser. »
Comprenant les sentiments d’Helena à ce sujet, Ecclesia s’inclina élégamment devant elle et lui tourna le dos pour partir. Un sourire vaillant et sauvage s’était répandu sur ses lèvres, comme celui d’une louve qui avait les yeux fixés sur une proie sans défense, se léchant les babines avec impatience…
*****
« Hé, dépêche-toi ! Le capitaine va finir par nous crier dessus ! »
« Ne m’en parle pas. Et ça, c’est après qu’on se soit fait virer du lit ce matin… Je ne peux pas continuer comme ça plus longtemps… »
Les soldats alignés devant les grandes marmites grommelaient de mécontentement. Les heures de repas n’étaient pas différentes de celles où ils se battaient, et malgré la grande quantité de soupe qui bouillonnait dans les marmites devant eux, c’était tout juste suffisant pour remplir l’estomac de chacun. S’ils ne se dépêchaient pas de prendre leur portion, il ne leur restait que le résidu au fond de la marmite.
La qualité et la quantité de nourriture que les soldats recevaient se traduisaient directement par leurs chances de survie sur le champ de bataille, même pour les soldats de base les plus modestes qui combattaient en première ligne. En plus de cela, les hauts gradés avaient ordonné à tout le monde de se lever plus tôt que d’habitude ce matin-là.
Il était évident qu’en pleine guerre, seuls quelques imbéciles s’étaient plaints de s’être levés tôt ou d’avoir encore sommeil, mais tout le monde était quand même agacé.
Le sentiment de mécontentement s’intensifiait particulièrement ces derniers temps. Un an s’était écoulé depuis qu’ils avaient quitté leur pays pour cette campagne, et les soldats avaient le mal du pays. Pire encore, la guerre contre Xarooda était dans l’impasse depuis longtemps. Normalement, les soldats devraient être capables de supporter cela, mais ils perdaient progressivement patience.
« Arrêtez de jacasser. Si vous avez des plaintes à formuler, adressez-vous à vos commandants », lança un cuisinier costaud d’âge moyen en colère, regardant les soldats en frappant sa casserole avec une louche.
Il portait un tablier et une chemise blanche, l’uniforme commun des cuisiniers dans cette armée. Sa large poitrine et ses bras épais le distinguaient cependant des autres. Il avait une tête chauve, et dans l’ensemble, il avait l’air assez effrayant. Un simple coup d’œil suffisait pour comprendre qu’il avait effectivement tenu une arme et s’était battu sur le champ de bataille à une époque.
Sa colère fit complètement taire les grognements des soldats.
« Je vous jure, ce n’est pas comme s’ils ne nous donnaient pas des ordres absurdes sans tenir compte de ce que nous pouvons faire, non plus… »
Le cuisinier marmonna à lui-même pour ne pas être entendu par les soldats, puis il lança un regard furieux à un soldat qui semblait implorer du regard une plus grosse portion.
« Allez, au suivant ! Dépêche-toi de manger ou on va te botter le cul ! »
Le rationnement de la nourriture était un motif de grande inquiétude sur le champ de bataille. Si les soldats avaient le moindre soupçon que d’autres soldats recevaient plus qu’eux, ils se mettraient en colère contre le cuisinier en un rien de temps. Le moindre signe de faiblesse était sanctionné par des menaces et des demandes de traitement préférentiel. Et tout cuisinier qui cédait à cette pression n’était pas digne de son emploi. Être craint par les soldats était une bonne alternative à cela.
« Bon sang… Chaque soldat doit se plaindre et gémir… C’est pour ça qu’ils n’ont jamais de promotion… », cracha le cuisinier en fronçant les sourcils dubitatifs tout en regardant la file de soldats.
Il sentit soudainement le sol gronder très légèrement sous ses talons. Au début, c’était une légère secousse, à peine perceptible, mais les vibrations semblaient devenir plus fortes.
Un tremblement de terre… ?
Les soldats à proximité semblaient également l’avoir remarqué, car ils avaient tous arrêté de manger et regardaient autour d’eux.
« Est-ce un tremblement de terre ? Non… On dirait un galop ! »
À ce moment-là, les hommes avaient immédiatement compris ce qui se passait.
« Attaque ennemie ! L’ennemi arrive ! »
« Que font les éclaireurs ?! »
« Pourquoi traînez-vous derrière ?! Ce n’est pas le moment de prendre le petit déjeuner ! »
Les cris de quelques soldats perspicaces résonnèrent dans la formation. L’instant d’après, une pluie de flèches s’abattit du ciel.
*****
Ecclesia était sortie de Fort Ushas comme une flèche fendant le vent, éperonnant en avant son cheval, qui était renforcé par la thaumaturgie. C’était une vitesse qui rendait justice à son surnom de « La Tempête ».
Cinq mille cavaliers menés par Ecclesia traversèrent la terre à la vitesse d’un coup de vent. Assez rapidement, les tentes du camp d’O’ltormea étaient dans leur ligne de mire, à trois ou quatre cents mètres. Normalement, cela aurait placé les cavaliers bien à l’intérieur de la portée effective des archers ennemis, mais Ecclesia donna ses ordres sans hésiter.
« Préparez la seconde volée ! Pas besoin de conserver les flèches, nous en avons suffisamment ! Apprenez à ces chiens d’O'ltormean ce que “menace aérienne” signifie vraiment ! », cria Ecclesia.
À ses vigoureux encouragements, les cavaliers encochèrent leurs arcs une seconde fois.
« Feu ! »
Ecclesia abattit son épée en direction du campement O'ltormean.
D’innombrables flèches sifflèrent en volant dans le ciel encore peu éclairé du bassin d’Ushas. Les cavaliers étaient armés de petits arcs incurvés uniques, de conception similaire aux arcs turcs ou aux arcs courts utilisés par certaines tribus nomades. C’était un choix plutôt inhabituel, puisque les arcs longs étaient généralement employés dans ce monde. Ou, à minima, sur le continent occidental.
Et si ces arcs courts étaient pratiques à utiliser à cheval, ils avaient bien sûr leur lot de défauts. Ils permettaient une cadence de tir élevée et étaient faciles à utiliser à cheval, mais en contrepartie, la distance que leurs flèches pouvaient parcourir et la puissance de pénétration qu’elles offraient étaient nettement inférieures à celles d’un arc long.
Mais pour commencer, les arcs étaient rarement utilisés pour une raison qui était assez spécifique à ce monde. La plus grande arme employée dans la guerre sur cette Terre était le corps humain, renforcé par la magie martiale. C’était la logique établie du combat ici. En plus de cela, absorber le prana de l’adversaire était extrêmement inefficace lorsqu’il était tué à distance. C’était pourquoi les arcs et autres armes à distance étaient évités en tant que méthodes d’attaque, et n’étaient utilisés que pour assiéger un château ou une forteresse.
Ce type d’arc avait été développé par Myest pendant de nombreux mois. Une grande quantité de fonds avait été versée pour le retravailler sans cesse, le rendant toujours plus léger et plus efficace. Il s’agissait d’une arme de pointe par rapport aux normes de ce monde. Exploitant ses relations formées par le commerce intercontinental, Myest avait adapté les techniques utilisées sur le Continent Central pour développer indépendamment ce qui était en fait une fusion de technologies.
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Partie 5
Contrairement à un arc standard, dont les ingrédients sont en général du bois, il s’agissait d’arcs composites qui utilisaient de fines plaques de métal comme base, renforcée par les os et la fourrure de différents animaux. Leurs cordes avaient une telle résistance à la traction qu’une personne normale n’aurait pas été capable de tirer avec cet arc.
Il était comparable à une arbalète en termes de tension de cordes. Une personne normale devrait tenir cet arc contre ses jambes et utiliser tous les muscles de son corps pour le tirer, ou bien utiliser une poulie. En outre, il ne serait pas facile d’utiliser un tel arc avec la même aisance qu’un arc standard, et encore moins pour tirer à cheval.
Mais les chevaliers, avec leurs prouesses physiques augmentées par la magie martiale, pouvaient utiliser ces arcs sans aucun effort. Bien sûr, tirer depuis un cheval au galop ne permettait pas la même précision que si l’on se tenait sur un sol plat. Mais cette situation n’exigeait pas qu’ils tirent avec précision. Leurs flèches devaient juste atteindre le vaste camp O'ltormean. Cela suffirait à ébranler les soldats ennemis.
« On dirait que l’ennemi panique… », murmura le lieutenant d’Ecclesia.
« Bien sûr que oui. Ils n’ont jamais imaginé que nous allions porter le premier coup ici. Je suppose qu’à cet égard, rester enfermés dans ces murs aussi longtemps que nous l’avons fait a été payant. », répondit Ecclesia avec un sourire en coin.
C’était le sourire typique d’une bête acculant sa proie. Alors que son comportement habituel était celui d’une noble femme astucieuse, la vraie nature d’Ecclésia était celle d’un prédateur sauvage, un peu comme Ryoma. Et si elle n’avait pas une telle nature, elle ne se serait pas élevée jusqu’au rang de général.
« C’est vrai… »
Si l’on devait comparer cela à la boxe, ce serait comme un compétiteur s’en tenant à la défense pendant toute la durée du match, pour ensuite délivrer un contre paralysant une fois que son adversaire perdait patience et tentait de porter un puissant coup de grâce.
« Je suis sûre que vous le savez, mais nous n’avons pas besoin de nous forcer à aller trop loin. La prochaine étape est déjà préparée », dit Ecclesia en dirigeant un regard significatif vers son lieutenant, qui hocha profondément la tête.
Ce lieutenant était un chevalier expérimenté qui avait servi Ecclesia depuis sa première bataille. Il n’avait pas besoin d’instructions pour savoir ce qu’il devait faire ensuite.
« N’ayez aucune crainte, Dame Ecclésia. Nous saurons quand battre en retraite. »
Cette attaque-surprise n’avait pour but que de blesser quelque peu l’armée ennemie. Ce n’était qu’une des nombreuses couches d’un piège qui avait été mis en place pour piéger O’ltormea et étouffer leur invasion d’un coup fatal. Cette attaque était simplement destinée à retarder les envahisseurs jusqu’à ce que le piège soit prêt à être déclenché…
« Vous êtes timide et inexpérimentée, princesse impériale… Construisez une armée aussi grande que vous le souhaitez, ça ne vous aidera toujours pas à me battre ou à battre Lady Helena… Ou cet homme. », chuchota Ecclesia en regardant le dos de son aide.
Shardina Eisenheit était vraiment une commandante compétente. On pouvait compter sur les doigts d’une main le nombre de commandants qui se tenaient au même niveau qu’elle. Mais elle avait deux défauts majeurs.
Le premier était qu’elle manquait d’expérience dans la conduite de grandes armées. Fondamentalement, sa stratégie de victoire par le nombre n’était pas erronée. Mais cette idée n’était pas toujours l’option optimale. Plus l’armée était grande, plus elle était lente à mobiliser, et la quantité de fournitures qu’elle consommait augmentait de façon exponentielle.
Mobiliser efficacement une si grande armée requiert beaucoup d’expérience ou de talent. Et malheureusement, Shardina ne semblait pas le comprendre suffisamment.
Son deuxième défaut était son manque d’expérience dans la lutte contre des généraux d’un calibre similaire au sien. Par conséquent, Shardina faisait toujours les choix les plus valables et les plus orthodoxes en termes de tactique et de stratégie. Et à première vue, ses décisions étaient loin d’être erronées. Après tout, elle n’avait jamais été vaincue au combat.
Mais c’était juste parce que jusqu’à présent, elle n’avait combattu que des ennemis qui lui étaient inférieurs. Et pour cette raison, Ecclesia ne craignait pas l’armée d’O’ltormea de Shardina. Il était extrêmement facile de tendre un piège à un adversaire qui choisissait toujours le moyen le plus sûr et le plus viable de gagner.
« Le rideau se lève sur notre contre-attaque… Contemplez la puissance de l’armée de Myest, et brûlez-la dans vos yeux ! »
L’idée d’une alliance entre les trois royaumes de l’Est et le Royaume d’Helnesgoula pour former l’Union des Quatre Royaumes semblait certainement bonne sur le papier. Mais au bout du compte, il s’agissait d’une alliance conclue en temps de guerre. Si un pays montrait une faiblesse ou si une opportunité se présentait… N’importe lequel de ces pays pourrait poignarder les autres dans le dos.
De ce point de vue, cette guerre avec O’ltormea était une chance importante pour chaque pays de montrer sa force aux trois autres et de leur faire comprendre qu’ils n’étaient pas à prendre à la légère. Et réalisant que la guerre approchait de sa fin, Ecclesia avait joué l’atout qu’elle avait préparé, afin de faire une démonstration de la force de Myest…
« Une fois que l’ennemi tombera dedans… Nous nous retirons ! »
En voyant l’intérieur de la formation ennemie se tordre, les traits fins d’Ecclesia Marinelle se tordirent en un sourire.
*****
« Je suis porteur d’un message ! »
Un coureur blessé fit irruption dans la tente de Shardina et l’appela.
« L’ennemi a envoyé une force d’environ cinq mille hommes pour nous attaquer ! Il semble que nous ayons subi plusieurs centaines de pertes à cause de leur volée ! »
Au moment où ce message parvint aux oreilles de Shardina, son bol de soupe lui échappa des doigts et s’écrasa sur le sol. C’était tellement inattendu que ses pensées s’évanouirent pendant un long moment. Saitou et Celia, qui mangeaient à la même table qu’elle, avaient également réagi avec un silence stupéfié. Mais Shardina comprit vite la situation et éleva la voix.
« Une attaque-surprise ? Que font les éclaireurs ?! »
Elle jeta alors un regard furieux au coureur.
« J’ai donné des ordres clairs pour surveiller attentivement tout mouvement en provenance de la forteresse ennemie ! »
« M-Mes excuses, Votre Altesse ! L’ennemi s’est déplacé bien trop rapidement, et le rapport des éclaireurs n’a tout simplement pas été relayé à temps ! », balbutia le coureur tout en donnant rapidement son rapport.
Le coureur avait fait de son mieux compte tenu de la situation. Les chevaliers d’Ecclésia s’étaient déplacés trop rapidement. Mais il n’en restait pas moins qu’il avait échoué dans sa tâche. Il s’inclina devant Shardina, haletant de douleur et révélant une flèche logée dans son épaule. Shardina fit claquer sa langue en voyant cela.
« Assez. Envoyez un message aux autres unités et dites-leur de se préparer immédiatement à une contre-attaque ! »
Bien qu’ils aient ordonné la prudence à l’avance, ils étaient toujours sujets à une attaque-surprise, et ce qu’ils devaient faire maintenant était de se préparer à une contre-attaque rapide.
Comment cela a-t-il pu arriver… ? Au moment où nous étions sur le point d’attaquer, ils ont fait ça et nous ont coupé l’herbe sous le pied…
Shardina se méfiait évidemment d’une contre-attaque de l’armée de Xarooda, mais une partie d’elle était persuadée que l’initiative était entièrement entre ses mains. Ecclesia avait donc profité de cette faiblesse dans le cœur de Shardina.
C’est mauvais… À ce rythme, le cours de la bataille va tourner en leur faveur d’un seul coup…
Les batailles avaient un déroulement, et le camp victorieux serait celui qui en gagnerait le contrôle.
« Votre Altesse, attendez ! Nous devrions procéder avec précaution… »
Saitou coupa les mots de Shardina, juste au moment où elle était sur le point d’ordonner la contre-attaque.
« Saitou, tu crois que nous avons le loisir de faire ça maintenant ? Nous sommes supérieurs en nombre, et ils ont quitté leur forteresse. Si ce n’est pas le moment de passer à l’offensive, quand est-ce que nous le ferons ?! », dit Shardina tout en se levant de sa chaise comme pour dire qu’il n’y a pas de place pour la discussion.
Celia essaya de l’arrêter : « Mais Votre Altesse, l’armée de Xarooda est restée sur la défensive pendant si longtemps. Ils pourraient préparer quelque chose s’ils décidaient de passer à l’offensive maintenant… »
« C’est vrai, nous devrions reprendre nos repères pour l’instant ! », dit Saitou, soutenant l’avertissement de Celia.
Il était vrai qu’un raid mené par seulement deux ordres de chevaliers avait peu de chances de faire des dégâts importants. Même si leur attaque initiale était forte, ils ne seraient pas en mesure de la poursuivre. Leur nombre inférieur les conduirait finalement à être acculés dans un coin.
Si c’était le cas, quel était le plan de Xarooda dans cette affaire ? Réalisant cette divergence, Shardina prit une profonde inspiration.
Ce n’est pas possible… Pourquoi sont-ils sortis ? Ils ont été… attirés… ? Non, c’est ce qu’ils recherchent ?!
Cette crainte s’était transformée en conviction lorsque l’homme qui se tenait à l’entrée de la tente se mit à parler de façon sarcastique. Se tenant là avec une cape et une capuche afin de cacher son identité, Sudou parla avec son habituel sourire malicieux.
« C’est une mauvaise nouvelle pour nous, qui pourrait être fatale selon l’évolution de la situation… Monsieur Saitou, vous devriez rassembler les chevaliers. J’ai déjà demandé au Seigneur Rolfe de le faire, mais allez-y et aidez-le pour être sûr. Cela devrait mettre Son Altesse à l’aise. Après tout, nous ne voulons pas que les soldats se déchaînent plus longtemps. »
« M. Sudou, qu’est-ce que vous dites… ? »
Saitou, qui n’avait pas encore compris la situation, essaya de s’approcher de Sudou.
Cependant, Shardina leva une main pour l’en empêcher.
« Saitou, je suis désolé, mais vas-y tout de suite. Suis les ordres de Rolfe », dit-elle avant de se taire.
Elle prit ensuite une inspiration et le lui ordonna avec toute la force dont elle était capable de faire preuve.
« Compris ? Ne laisse plus sortir aucun de nos soldats ! »
Le temps était compté. Shardina avait confiance dans les capacités de Rolfe en tant que commandant, mais elle devait être sûre. Comme l’avait dit Sudou, si d’autres de leurs soldats venaient à rompre la formation, l’armée d’invasion pourrait subir un coup fatal.
Poussé par la forte lumière dans les yeux de Shardina, Saitou arrêta ses interrogations et sortit en courant de la tente.
« Il semblerait que l’ennemi commence à bouger sérieusement… Helena Steiner et Ecclesia Marinelle, je crois. Elles semblent avoir une bonne connaissance de notre situation. Il semblerait donc que leur réputation de généraux chevronnés soit bien méritée. Selon la façon dont notre armée se déplace, les choses pourraient évoluer assez mal… »
Sudou parla avec un sourire amusé sur les lèvres. Pour lui, tout ceci n’était qu’un jeu, et plus il devenait difficile, plus il était satisfaisant.
« Ferme cette bouche insolente, Sudou ! »
Shardina s’enflamma de colère devant son sourire sarcastique.
Sudou se contenta de hausser les épaules. Shardina lui lança alors un regard furieux, puis s’assit sur une chaise.
« Aaah, Dieu de la lumière, Meneos… Accorde ta protection à Saitou et Rolfe… Ils doivent arriver à temps… »
Shardina murmura alors une prière, ce qu’elle ne faisait pratiquement jamais.
Celia, qui se tenait à ses côtés, ne semblait toujours pas comprendre la situation.
« Votre Altesse… Que se passe-t-il… ? », demanda-t-elle.
Shardina ouvrit ses poings, qu’elle avait serrés en priant, et enfouit son visage dans ses paumes. Celia n’avait pu s’empêcher de prononcer ces mots avec surprise.
***
Partie 6
Toutes les choses de la création étaient liées entre elles par la causalité. Cela était vrai aussi bien pour le monde de Ryoma, régi par la science, que pour ce monde, régi par des pouvoirs mystiques. La cause précédait toujours l’effet.
Il y a une sorte de problème… Un problème majeur qui va influencer les mouvements de notre armée à l’avenir… Mais qu’est-ce que c’est… ?
L’attitude inquiète de Shardina et de Sudou devait avoir une signification. En observant le dos de Shardina, toujours assise et le visage couvert, Celia se creusa la tête pour trouver la réponse.
Je suis ici en tant que commandant militaire. Je dois réfléchir. Que savons-nous pour l’instant ? Repense à ce qui s’est passé depuis que ce messager est arrivé avec son rapport.
Les conversations qui avaient rempli cette tente depuis que le rapport de l’attaque-surprise de Xarooda fut livré traversèrent l’esprit de Celia une fois de plus. Ce fut alors que Celia réalisa finalement quelque chose.
Attendez… Qu’a dit ce messager ? Une partie de notre armée est sortie… ?
Et puis, ce que Sudou avait dit lui revint en mémoire.
Sudou a dit quelque chose. Laisser nos soldats se déchaîner plus longtemps pourrait être fatal… Se déchaîner ? Ils se déploient donc différemment de ce que Son Altesse a prévu. Ils ont été attirés hors de leur formation… Donc l’unité ennemie qui a lancé cette attaque-surprise n’était qu’un leurre… Donc l’unité qui est sortie est…
Après avoir réfléchi aussi loin, toutes les pièces s’étaient mises en place dans l’esprit de Celia.
Sudou a dit que selon le nombre d’unités qui sortent, cela pourrait influencer l’évolution de la situation… Et ils ont envoyé Saitou et le Seigneur Rolfe pour rassembler les chevaliers et les garder sous contrôle.
Tout cela menait à une conclusion bien trop terrifiante pour être exprimée en mots.
« Cette attaque était un leurre… Et ce qui attend les unités qui sont tombées dans l’appât et se sont lancées à la poursuite de l’unité ennemie est… », murmura Celia.
Shardina jeta un regard furieux à Celia pour avoir prononcé ces mots. Ses yeux étaient pleins de rage et de tristesse, preuve que Celia venait de donner une réponse impitoyablement correcte.
Shardina et Celia se regardaient en silence, et à leurs côtés, Sudou gardait son sourire constant et indomptable. Mais alors qu’ils faisaient cela, le silence fut rompu par un chevalier qui se précipita dans la tente. Il devait être très pressé, car il mit un genou à terre devant Shardina avant même qu’il ait pu reprendre son souffle.
« Je viens avec un message ! Les Seigneurs Saitou et Rolfe ont réussi à rassembler leurs unités respectives ! »
Le rapport fit soupirer Celia de soulagement. Rolfe avait été initialement placé en charge de la défense de leur forteresse à l’arrière, mais le fait qu’il soit maintenant ici dans le bassin d’Ushas était une petite pitié pour eux maintenant. La décision de Shardina de retirer des hommes de leurs positions défensives pour assurer leur victoire dans cette offensive tous azimuts leur avait été bénéfique d’une manière inattendue.
Seul un homme digne et accompli comme Rolfe pouvait endiguer la panique des soldats. Saitou n’était pourtant pas un mauvais commandant, mais cette situation était probablement trop compliquée pour lui. Celia sourit de soulagement. Shardina, cependant, restait aussi grave qu’avant.
« Combien de troupes ont rompu la formation sans permission ? »
« Oui, Votre Altesse ! D’après ce que nous avons confirmé, environ huit mille hommes centrés autour de trois ordres de chevaliers — les troisième, cinquième et huitième ordres du front oriental. », dit le messager.
Shardina fit claquer sa langue en signe de frustration. Si cette attaque était destinée à attirer les soldats d’O’ltormea dans un piège, leurs chances de revenir vivants étaient minces.
Huit mille… C’est plus que ce que j’attendais. Ils visaient les renforts que nous avons collectés sur le front est… Ils savent que mon commandement sur eux est faible…
La plupart des unités qui avaient chargé sans la permission de Shardina étaient des unités appelées en renfort d’urgence. L’Empire d’O’ltormea possédait de vastes territoires, mais cela avait un effet négatif sur cette guerre. Bien que toutes les unités rassemblées dans ce camp fassent partie de l’armée O’ltormea, ces unités étaient différentes de celles qui avaient opéré sous son commandement pendant des années, et il fallait admettre que Shardina ne les avait pas utilisées à bon escient.
« Seigneur Rolfe demande la permission de se déployer pour les aider, Votre Altesse », dit le coureur.
Shardina s’était tue. Si elle choisissait de ne rien faire, les huit mille soldats qui avaient été attirés au loin mourraient probablement. Mais était-il vraiment sage de marcher vers ce qui pourrait bien être un piège ?
« Je crois que la bonne décision est de réduire nos pertes », dit Sudou alors que Shardina restait sans voix.
Même face à cette crise, Sudou était resté aussi détendu et joyeux que jamais.
« Réduire les pertes ? »
Celia penche la tête, ne comprenant pas vraiment ce que Sudou veut dire.
Ce changement d’expression ne lui était pas familier. En tout cas, elle ne l’avait jamais entendu auparavant.
« Oui, réduisons nos pertes. Essayer de les sauver maintenant ne ferait qu’élargir la blessure, et ne servirait qu’à nous pousser dans une situation dont nous ne pouvons vraiment pas nous remettre. Plus simplement, en tolérant certaines pertes jusqu’à un certain point, nous empêchons les dégâts de s’étendre davantage. »
« Réduire ses pertes » était une expression issue du monde de la bourse, qui signifiait simplement définir ses pertes. Par exemple, supposons qu’une action en hausse commence à perdre de la valeur peu après son achat. Bien sûr, les cours des actions fluctuaient quotidiennement, et l’on pouvait donc choisir de conserver cette action si l’on pensait que sa valeur allait augmenter.
Mais l’action pourrait tout aussi bien continuer à baisser. Une action de cent yens pourrait valoir quatre-vingt-dix yens le jour suivant. Dans ce cas, la personne perdait dix yens. Si cette personne pensait que la valeur de l’action reviendrait à cent yens dans quelques jours, elle pouvait décider de ne pas la vendre. Mais si elle pensait que la valeur de l’action allait continuer à baisser, elle pouvait définir sa perte comme étant juste de dix yens et se débarrasser de l’action.
C’était ce que l’on appellait réduire ses pertes. En faisant cela, on minimisait les pertes. Donc quand Sudou avait dit qu’ils devaient réduire leurs pertes, il voulait dire…
« Vous voulez dire que nous ne devrions pas envoyer de forces pour les sauver ? »
Shardina lança un regard haineux à Sudou, et Celia déglutit nerveusement.
C’était, en quelque sorte, une trahison quant à la confiance des soldats.
« Bien sûr, si vous insistez, Votre Altesse, j’enverrai une force de secours pour les aider… Mais au risque de paraître impoli, je dois noter que si nous envoyons une force de secours, nous devons nous préparer à ce que la situation s’aggrave. Envoyer des renforts maintenant ne ferait que les anéantir un par un. », dit Sudou avec un sourire détestable sur les lèvres.
L’expression de Sudou semblait exprimer un seul message : « La décision vous appartient. Décidez-vous maintenant. »
« Et tu me donnes ce conseil en sachant très bien ce qui se passera si je l’applique ? », demanda Shardina en dirigeant un regard haineux vers l’homme.
Elle montra alors une expression qu’elle n’avait encore jamais dirigée vers Sudou.
Akitake Sudou… Confident de Gaius Valkland, aujourd’hui décédé…
Aussi irritant que soit Sudou, elle devait reconnaître sa force en tant que guerrier et son ingéniosité en matière de tactique. En effet, il disait simplement ce qui devait être dit à ce moment précis, et Shardina le comprenait.
Mais on disait que les bons conseils étaient ceux qui faisaient le plus mal à entendre.
« Bien sûr. Ne pas envoyer de force de secours et les laisser mourir va grandement diminuer le moral de notre armée. Mais le problème est que, quel que soit le choix que nous faisons, nous subirons des pertes. Dans ce cas, nous devrions choisir la voie où nous perdrons le moins… Si nous ne pouvons pas choisir le meilleur scénario possible, nous devons choisir le deuxième meilleur. »
L’analyse de Sudou était correcte. Laisser leurs troupes mourir après avoir reconnu qu’elles marchaient dans un piège endommagerait certainement le moral de leurs troupes.
« Vous me dites donc de choisir entre le moral de mes soldats et le maintien de nos effectifs… »
Shardina s’était une fois de plus mordu l’ongle du pouce sans le vouloir.
Si je n’envoie pas la force de secours, les soldats seront mécontents de mon commandement… Au pire, ils pourraient même se rebeller contre moi… Mais envoyer une force de secours alors qu’il y a de fortes chances qu’un piège se produise ne fera qu’aggraver la situation… Et si cela arrive, les soldats commenceront à douter également de mon commandement…
L’un ou l’autre de ces choix coûterait cher à l’Empire d’O’ltormea, et retarderait encore plus l’invasion de Xarooda. Shardina ne pouvait pas dire quel choix elle devait faire, et selon toute vraisemblance, il n’y avait pas de réponse correcte dans cette situation.
C’était ce qu’on appelait une situation sans issue dans le monde de Ryoma. Cependant, Shardina ne pouvait pas se permettre de ne pas faire de choix dans cette situation. Et comme l’avait dit Sudou, tout reposait sur ces épaules. Telle était la responsabilité de celui qui dirigeait une armée.
« Bien… »
Elle finit par faire son choix avec amertume.
Après un long silence, Shardina finit par entrouvrir les lèvres. Mais les mots qu’elle avait l’intention de prononcer ensuite n’atteindraient jamais les oreilles des personnes présentes dans cette tente.
« Je viens apporter de terribles nouvelles ! Je dois avoir une audience avec la princesse Shardina immédiatement ! »
Car un nouveau messager fit irruption par l’entrée, les noyant à jamais…
***
Partie 7
Le soleil se couchait, et un rideau d’obscurité s’installa sur la région. Helena était assise dans la chambre qui lui avait été attribuée à Fort Ushas, sirotant le gobelet qu’elle tenait dans ses mains tout en regardant l’obscurité à l’extérieur de sa fenêtre. La liqueur forte coula dans sa gorge et fit naître une sensation de chaleur dans ses entrailles.
Helena n’était généralement pas une adepte de l’alcool, mais parfois, être sur le champ de bataille lui donnait l’envie de boire en excès. Surtout après les batailles… Normalement, elle aurait pensé à ses camarades décédés dans les temps anciens.
Mais en ce moment, une seule femme occupait l’esprit d’Helena. Une jeune fille, vêtue d’une armure brillante. Son visage était blanchi, comme si un brouillard le recouvrait, l’empêchant d’être vu. La confidente jurée de Lionel Eisenheit, l’empereur d’O’ltormea : sa fille adorée.
« J’avoue que j’ai été surprise… J’étais sûr qu’elle enverrait une force de secours. Elle est plus froide que je ne le pensais. Peut-être l’ai-je prise à la légère… ? »
Poussant un petit soupir, Helena tourna son regard vers Ecclesia, qui était assise en face d’elle. Helena versa la bouteille dans le gobelet d’Ecclésia.
« Personnellement, je pense que son jugement était excellent. Elle a été capable de réaliser que nous avions tendu un piège. Eh bien, je suppose que ce niveau de jugement est ce que j’attends d’un commandant d’armée… », dit Ecclesia avec un sourire posé.
En pratique, la décision de Shardina de ne pas secourir les forces leurrées était correcte. Cependant, cela voulait simplement dire qu’elle avait évité le pire scénario possible.
« Je suppose que oui. »
Helena considéra les mots d’Ecclesia avec un petit hochement de tête et prit une autre gorgée.
« Mais cela soulève la question de savoir comment elle va regagner la confiance de ses hommes », dit Ecclesia.
« Qui sait ? Le cœur des gens peut être assez compliqué… Cela dépendra donc de la façon dont elle peut comprendre cela. »
Helena admit que, si elle avait été à la place de Shardina, elle ne serait pas non plus capable de trouver une solution parfaite.
Les soldats auront probablement l’impression d’être traités comme des pions jetables…
Helena repensa à un livre de Rearth qu’elle avait lu une fois. C’était un vieux livre détaillant la période des états en guerre d’un certain pays, et il contenait un certain proverbe.
Faire un sacrifice coûteux dans le cadre de la justice.
Les Annales des Trois Royaumes de Chine parlaient de Ma Su, un sage stratège du pays de Shu Han. C’était un jeune homme prometteur qui avait été reconnu par le génial général Zhuge Liang. Mais une fois, Ma Su ignora les ordres de Zhuge Liang et subit une grave défaite au combat.
Fidèle à la discipline militaire, Zhuge Liang avait impitoyablement condamné Ma Su à mort. Les autres généraux, sachant parfaitement à quel point Zhuge Liang chérissait Ma Su, demandèrent à l’unanimité que Ma Su soit gracié pour son échec, mais Zhuge Liang ne revint pas sur sa décision, et respecta les lois de l’armée. C’était ainsi que, les larmes aux yeux, Zhuge Liang trancha la tête de Ma Su.
La leçon que l’on pouvait tirer de cette histoire était que, quels que soient la proximité ou le talent d’une personne, il ne fallait jamais contourner la loi lorsqu’il s’agissait de la punir. Mais c’était, bien sûr, le raisonnement d’un général. En entendant cette histoire, Helena glana également une leçon différente.
Ce qui compte, c’est la performance… Et la façon dont les autres vous voient.
Les soldats chérissaient leur propre vie. Même les meilleures troupes d’un commandant pouvaient ne pas être idéales. Dans le contexte de cette histoire, que Zhuge Liang pleure ou rie, cela n’avait pas d’importance pour Ma Su, dont la tête devait être coupée.
En premier lieu, les larmes que Zhuge Liang versa n’étaient pas pour Ma Su. Le but était de faire voir aux autres généraux qu’il avait versé des larmes et, ce faisant, de conserver leur confiance et leur foi. Zhuge Liang avait compris que, quelle que soit la rigueur du règlement militaire, trancher la tête de Ma Su sans la moindre émotion ternirait sa popularité.
Ce cas était similaire à celui de Zhuge Liang. Les espions du clan Igasaki qui s’étaient mêlés à l’armée d’O’ltormea leur avaient dit que Shardina avait réalisé le piège tendu par Helena et Ecclesia et avait ordonné à son armée de ne pas se déployer. Et en tant que général en charge d’une armée entière, le choix de Shardina était correct.
Mais cela signifiait abandonner les huit mille soldats O'ltormean attirés par la retraite de la cavalerie d’Ecclesia vers le Fort Ushas. Les troupes de Grahalt étaient alors descendues sur les soldats d’O’ltormea depuis les montagnes, frappant leurs flancs sans défense. Cela entraîna des pertes massives parmi les troupes attirées. Bien que les chiffres ne soient pas encore totalement comptabilisés, on estime que les neuf dixièmes des troupes leurrées furent anéanties.
Shardina se retrouvait donc face à un problème crucial : le cœur des quelques centaines de soldats qui avaient survécu au piège. Shardina avait dû regretter que certains d’entre eux aient survécu, car les survivants n’avaient pas apprécié le fait que Shardina n’ait pas envoyé de renforts pour les aider. Même si elle se cachait derrière l’excuse qu’ils avaient enfreint les ordres, la confiance générale dans son commandement serait grandement diminuée.
Et ce mécontentement ne pouvait que se propager aux autres unités qui attendaient sous son commandement. L’angoisse de savoir qu’ils n’étaient que des pions jetables pour leur commandant pèserait sur tous ses soldats…
Exposer son raisonnement ne suffirait pas à empêcher cela, mais la vraie question était de savoir si Shardina Eisenheit était au courant.
« Je suppose qu’une jeune fille comme elle n’en sait pas tant que ça. Elle a peut-être l’expérience des guerres, mais elle a toujours gagné avec la puissance nationale d’O’ltormea derrière elle. Elle n’a pas l’expérience nécessaire pour faire pencher la balance en faveur d’O’ltormea une fois qu’il a perdu l’avantage. », conclut Helena.
« Je suis d’accord. Elle pourrait être redoutable à l’avenir, mais pour l’instant, c’est une enfant. »
Ecclesia hocha la tête, un sourire aux lèvres comme celui des forts qui regardaient les faibles flotter à leurs pieds.
Aussi talentueuse et intelligente qu’elle soit, du point de vue d’Helena et d’Ecclesia, Shardina était encore un oisillon. Même si elle était un bébé phénix qui deviendrait un jour puissant, elle n’était qu’un poussin pour le moment.
Son manque d’expérience sur le terrain était accablant, surtout lorsqu’il s’agissait de se battre en position d’infériorité et de s’en sortir vivante. Aussi talentueuse qu’elle puisse être, ce manque d’expérience pour tromper la mort dans les affres du combat sanglant signifiait que sa capacité à agir en tant que général était insuffisante.
Pour Helena et Ecclesia, tout ce que Shardina était capable de faire était de simplement écraser des armées les unes contre les autres, comme un enfant pourrait frapper des jouets les uns contre les autres. Elles pouvaient voir clairement en elle trop facilement. Bien sûr, le fait qu’elle ait pu prendre la vie de la Divinité Gardienne de Xarooda malgré cette inexpérience était la preuve de ses remarquables compétences de leader.
« Pourtant, nous ne pouvons pas être sûrs d’avoir gagné. Ils ont cet homme, Rolfe, de leur côté, et Celia Valkland, le mage de la cour nouvellement nommé. Et le vice-capitaine des Chevaliers Succubes, le lieutenant de Shardina, Hideaki Saitou. Ils sont tous très compétents… », dit Ecclesia.
« Le Bouclier de l’Empereur… »
Helena acquiesça gravement.
Rolfe Estherkent était le plus proche collaborateur de l’Empereur Lionel Eisenheit depuis qu’O’ltormea n’était qu’un petit royaume au cœur du continent occidental. Ses compétences dépassaient de loin celles d’un commandant ordinaire.
Lors d’une bataille qui s’était déroulée dans les plaines de Notis il y a 30 ans, Helena et le défunt général Belares avaient repoussé l’invasion d’O’ltormea et étaient devenus des héros nationaux. Mais lorsque l’armée d’O’ltormea avait commencé à battre en retraite et avait été soumise à une vaillante poursuite par l’armée d’Helena et du général Belares, un commandant échappa à leurs griffes.
Puisqu’O’ltormea avait été forcé de battre en retraite, cela n’était pas connu du peuple. Mais Helena, qui avait directement combattu contre cet homme, n’oubliera jamais Rolfe Estherkent. Sa grande habileté dans les batailles défensives et les retraites le rendait en effet digne du titre de Bouclier de l’Empereur.
Les espions d’Igasaki avaient rapporté que sa capacité à calmer et à supprimer l’envie des soldats de poursuivre les leurs était en effet magistrale. Sans lui, Ecclésia aurait probablement attiré des milliers d’autres soldats des rangs d’O’ltormea dans le piège. Et Saitou avait également contribué à calmer le déchaînement des soldats. Aucun d’entre eux ne devait être méprisé.
« Je suppose que la suite dépendra des compétences de ses aides… », dit Ecclesia pensivement.
Helena acquiesça : « Oui. Et puis il y a le problème de cet homme encapuchonné qui aide Shardina. Nous ne savons pas non plus qui il est… Nous ne pouvons pas nous permettre d’être négligents maintenant. »
Elles avaient une bonne idée des capacités de Shardina, mais le reste dépendait de ce que ses aides pouvaient faire. Cette défaite pourrait en fait servir à faire grandir Shardina, l’aider à devenir un commandant vraiment monstrueux.
Mais de toute façon, cette guerre n’était pas encore terminée.
« Eh bien, se creuser la tête sur ce sujet maintenant ne nous donnera aucun résultat. Pour l’instant, réjouissons-nous de notre victoire d’aujourd’hui », dit Helena tout en levant son gobelet.
« Oui, Grahalt a fait mieux que ce que j’attendais. Je pense que nous avons abattu six à sept mille ennemis aujourd’hui… »
Ecclesia leva son propre gobelet pour répondre à Helena.
Mais contrairement à ses paroles, son expression était insatisfaite. Son attaque-surprise avait frappé le camp d’O’ltormea et attiré les soldats, après quoi Grahalt avait lancé une seconde attaque-surprise sur le flanc et avait décimé leurs forces. Le cœur de la tactique était l’attaque-surprise à deux niveaux.
Et bien que le stratagème ait été un succès, Ecclesia avait toujours le sentiment de ne pas en avoir fait assez.
« Pour tout le temps et les efforts que nous avons mis dans ce plan, je ne peux m’empêcher de penser que nous n’avons pas atteint un résultat suffisant. Mais il n’y a rien à faire pour l’instant. Nous devrions être satisfaits de cela… Pour l’instant, du moins. »
Helena considéra ses paroles avec un sourire tendu. Elles avaient passé beaucoup de temps et fait beaucoup de sacrifices pour mettre au point ce piège. La raison pour laquelle Ecclesia et Helena étaient restées terrées dans la forteresse après l’arrivée des renforts était pour ce jour, ce moment.
Donc la question restait posée. Est-ce que six à sept mille soldats étaient vraiment à la hauteur de toute la préparation et les efforts qu’elles avaient mis dans ce piège ? Helena avait du mal à se décider, dans un sens ou dans l’autre.
« Nous avons plus que bien réussi à les faire patienter, et nous n’avons de toute façon jamais prévu de finir cette guerre ici. Nous devrions probablement nous contenter de cela », finit par conclure Helena en haussant les épaules.
Ecclesia secoua la tête : « C’est ce que tu dis, mais avec ça, nous n’avons plus de cartes dans notre manche… Nous avons quand même utilisé tous nos archers montés. La seule chose que nous pouvons faire maintenant est de nous cacher dans cette forteresse et de nous concentrer sur la défense. »
Malgré cela, il n’y avait même pas l’ombre d’une inquiétude sur son expression. Parce qu’elle croyait en un seul homme, qui était maintenant enfoncé comme un pieu dans le territoire O'ltormean.
Un coup vigoureux avait été frappé à la porte de la chambre d’Helena, comme si la déesse du destin elle-même les avait appelés…
« J’apporte de mauvaises nouvelles, Dame Helena ! L’armée O'ltormean se déplace en trombe ! », dit un chevalier derrière la porte.
Helena et Ecclesia avaient hoché la tête l’une à l’autre.
« Je crois que ça commence, Dame Ecclesia. »
« Oui, il semblerait… »
Ecclesia n’avait pas eu besoin de demander ce que Helena voulait dire. La bataille de ce jour avait porté un coup douloureux non seulement aux effectifs d’O’ltormea, mais aussi au moral de leurs soldats. Il était inimaginable qu’ils montent un assaut de nuit dans ces conditions. Dans ce cas, cela ne pouvait signifier qu’une chose.
Elles avaient cru en lui. Si ce n’était pas le cas, Helena ne serait pas restée sur la défensive à Fort Ushas. Mais même ainsi, elle n’avait pas pu s’empêcher de nourrir un soupçon d’anxiété au fond de son cœur.
« Tu l’as vraiment fait, Ryoma… »
Helena murmura son nom avec une exclamation de surprise et d’admiration.
La guerre entre Xarooda et O’ltormea, qui avait commencé il y a plus d’un an avec la bataille pour les plaines de Notis, approchait enfin de sa conclusion. Grâce au pouvoir d’un seul homme…
***
Chapitre 5 : L’Église de Meneos
Partie 1
La région méridionale du continent occidental était parsemée de plusieurs petits royaumes qui étaient en guerre permanente. C’était la région la plus disputée du continent, et il y avait toujours des combats à un moment ou à un autre.
À l’extrémité ouest de cette région, à la frontière d’une des plus grandes nations du continent, le Saint Empire de Qwiltantia, se trouvait une ville. Son nom était la Capitale Sainte, Menestia. Une ville de pierre qui se dressait au centre de vastes plaines.
On disait que Menestia avait été construite dans les temps anciens par les saints hommes instruits par les dieux, et leurs nombreux disciples. Cette grande ville était la plus grande base d’opérations de l’Église de Meneos.
Au cœur de cette grande ville se trouvait un temple massif. Mais en vérité, ce n’était pas tant un temple qu’un château. On ne s’attendrait pas à trouver des ecclésiastiques travaillant au service du Dieu Vivant dans une structure aussi élevée.
Bien sûr, une telle déclaration susciterait l’ire des croyants zélés de l’Église de Meneos, qui y verraient une insulte à la foi. Mais la ville était couverte de trois couches de murs et d’un fossé qui puisait dans un bras de la rivière Uranoa voisine pour repousser les envahisseurs.
Le temple au centre de Menestia avait l’apparence d’un lieu de culte, mais il était également protégé par ses propres douves et la route qui y menait était étroitement surveillée par des soldats d’élite entièrement armés. Ainsi, malgré les apparences, il serait difficile d’appeler cela un simple lieu de culte.
Un certain Rodney Mackenna était assis dans sa chambre du temple, affalé, la joue contre le bureau, et regardait les nuages par la fenêtre ouverte. La douce lumière du soleil enveloppait son corps, induisant une somnolence tentante dans son esprit.
Je n’ai pas eu une bonne nuit de sommeil ces derniers temps, hein… ?
Avec cette pensée en tête, Rodney réprima un bâillement. Depuis qu’ils étaient revenus de leur garnison à Beldzevia il y a quelques jours, les choses étaient devenues si agitées qu’il n’avait pas pu bien dormir… Et bien qu’il ait dit « quelques jours auparavant », cela faisait en fait plusieurs mois qu’ils étaient revenus. À l’heure actuelle, il aurait terminé ses rapports depuis longtemps et se serait réhabitué à sa vie dans la capitale.
Mais la question de savoir comment gérer le fardeau qu’il avait ramassé sur le chemin du retour vers la capitale était la source de ses inquiétudes. Le travail s’était accumulé et il ne pouvait pas se permettre de se relâcher. Ses paupières s’alourdissaient pourtant de seconde en seconde, et assez rapidement, la conscience de Rodney sombra dans le sombre bourbier du sommeil.
« Je vois que vous vivez dans des conditions assez confortables. Vous repoussez toute votre paperasse sur votre pauvre lieutenant et vous ronflez tout l’après-midi, Capitaine… Pas étonnant que le Cardinal Barugath ait des vues sur vous. »
Un regard froid et acéré réveilla la conscience de Rodney comme un jet d’eau glacée. Son lieutenant et demi-sœur fraternelle, Menea Norberg, le regardait avec un regard aussi acéré qu’une paire de poignards, ce à quoi Rodney répondit par un haussement d’épaules malgré lui. En général, Menea l’appelait simplement « Capitaine ». Son comportement n’était pas différent de celui qu’il avait adopté lors de leur mission il y a quelques jours, lorsqu’il avait mené son unité en mission punitive.
Les autres membres l’appelaient chef, tandis que Menea l’appelait Capitaine. Mais c’était uniquement lorsque d’autres personnes étaient présentes. Quand ils étaient seuls, ils s’appelaient généralement par leur prénom. En supposant, bien sûr… que Menea ne soit pas de mauvaise humeur.
Menea connaissait Rodney depuis longtemps. Lorsque leur père était décédé subitement, Rodney avait 12 ans et était un noble prestigieux du Royaume de Tarja. Lorsqu’il hérita du titre de chef de famille et de comte de la Maison Mackenna, Menea lui avait été présentée comme sa demi-sœur d’une autre mère.
Ils avaient travaillé ensemble pendant une dizaine d’années depuis, et ayant vécu si longtemps ensemble, ils pouvaient reconnaître l’état d’esprit de l’autre juste par le ton de leur voix. Et en ce moment, Rodney pouvait voir que le cœur de Menea bouillonnait de colère. La véritable montagne de paperasse qu’il lui avait confiée semblait l’avoir laissée de mauvaise humeur. Ou peut-être qu’elle était juste agacée de le voir s’assoupir.
Quoi qu’il en soit, Rodney savait qu’il devait garder la tête basse et se taire en attendant que la tempête passe.
« Essuie-toi avec ça. Tu es en train de baver. »
Avec des yeux pleins de ressentiment, Menea sortit un mouchoir en soie de sa poche et le tendit vers lui.
Apparemment, la lumière du soleil était si agréable que Rodney s’était endormi tout en bâillant, et sa bouche était restée ouverte.
« Ooh. Désolé, merci… », dit Rodney en s’essuyant précipitamment la bouche et le menton.
Menea avait deux ans de moins que lui, mais n’importe qui les regardant maintenant supposerait qu’elle était l’aînée de la fratrie.
« Je te jure, Capitaine, tu es un adulte, pas un enfant… Et je ne suis certainement pas ta mère. », grommela Nemea tout en poussant un gros soupir.
Rodney était certes un enfant noble gâté, et même en ayant atteint l’âge adulte, sa capacité à vivre indépendamment était essentiellement inexistante. Lorsqu’il vivait à Tarja, il n’avait jamais eu besoin de sortir pour acheter ses propres affaires, et il ne se rappelait même pas combien d’argent il avait dans son portefeuille. Il était tellement détaché de la vie commune qu’il avait un jour tendu son portefeuille à un mendiant, qui avait été peu après promptement arrêté par les gardes pour vol présumé.
D’ailleurs, c’est justement au moment où Nemea demanda à Rodney où était son portefeuille que le mendiant fut épargné de l’incarcération. Elle s’était empressée de le chercher et réussit à s’expliquer. Dans le pire des cas, le pauvre mendiant aurait pu être exécuté pour vol qualifié. Nemea était soulagée d’avoir évité cette effusion de sang inutile, c’était le moins que l’on puisse dire.
Rodney avait certainement agi par bonté d’âme, mais la somme qu’il avait remise au mendiant était beaucoup trop importante. Dans une mesure stupéfiante. Le mendiant avait probablement été choqué lorsqu’il avait ouvert le portefeuille et trouvé plusieurs dizaines de pièces d’or, alors qu’une seule pièce suffisait à un roturier pour vivre confortablement pendant une année entière.
La somme entre ses mains était suffisante pour vivre pendant une bonne vingtaine d’années. S’il se rendait dans l’une des régions frontalières, il pouvait facilement acheter une maison et une ferme avec cet argent. Trouver un tel argent était un tournant qui pouvait racheter sa vie entière.
Bien sûr, le mendiant s’était tellement réjoui de cette découverte que son comportement avait paru suspect à tout le monde autour de lui. Et il n’avait pas fallu longtemps pour que les gardes viennent l’interroger. S’il n’y avait eu que quelques pièces d’argent, son histoire aurait peut-être été plus crédible, mais il avait un portefeuille blindé d’or. Ils n’avaient pas cru son histoire selon laquelle un noble lui avait remis le portefeuille.
Aucun noble, aussi généreux soit-il, n’aurait eu de raison de donner autant d’argent à un mendiant au hasard. C’était comme confier une valise remplie de billets de banque à un inconnu dans la rue.
Tout ceci montrait à quel point l’éducation de Rodney avait été détachée. Et en effet, si Menea n’avait pas été là pour veiller sur lui, il était peu probable qu’il puisse atteindre le rang de Capitaine Chevalier, ou même qu’il soit arrivé vivant à Menestia après avoir fui la capitale Tarja.
Et puis, s’il n’était pas aussi naïvement gentil, il ne ferait pas quelque chose d’aussi fantaisiste et étrange que de sauver un Rearth qu’il avait rencontré par hasard dans les bois.
« Tu dois vraiment être fatigué. Est-ce que cette fille te dérange tant que ça ? », demanda Menea.
Il ne pouvait y avoir aucune autre raison pour que Rodney soit aussi fatigué en ce moment. En regardant Rodney se frotter les yeux d’un air fatigué, Menea laissa échapper un profond soupir exaspéré. Bien sûr, ce n’était pas comme si Menea n’aimait pas Asuka Kiryuu. Après tout, la propre mère de Menea était une Rearth d’Amérique, et elle avait toujours trouvé fascinants les récits d’Asuka sur le Pays du Soleil Levant. Et plus elle apprenait à connaître cette fille, plus Menea se rendait compte qu’Asuka n’était pas faite pour ce monde.
Si Rodney ne l’avait pas trouvée dans la forêt, elle aurait probablement été ramassée par un marchand d’esclaves et serait vendue aujourd’hui. Et une fois qu’elle serait devenue une esclave, il n’y aurait plus eu de salut pour elle. Elle serait le jouet de quelqu’un d’autre jusqu’au jour de sa mort, ou jusqu’à ce qu’elle tire le rideau sur sa vie de son propre chef.
Menea avait vu des gens qui étaient arrivés par hasard dans ce monde depuis Rearth connaître de tels destins plus d’une fois. C’était pourquoi Menea n’avait jamais blâmé ou jugé Rodney pour avoir sauvé la vie d’Asuka. Au contraire, elle était fière de la gentillesse de son demi-frère paternel. Mais elle ne pouvait s’empêcher de se demander pourquoi il devait être si préoccupé par elle.
Je ne veux pas l’envisager, mais…
La possibilité la plus probable était que Rodney s’était entiché d’Asuka. Menea admit qu’Asuka était une jeune femme attirante, et que Rodney était un homme de 26 ans. Asuka allait apparemment avoir 17 ou 18 ans cette année, la différence d’âge n’était donc pas trop importante.
Bien sûr, s’ils avaient été au Japon, l’ordonnance sur la protection des mineurs aurait pu désapprouver un tel couple, mais c’étaient les normes de Rearth. Dans ce monde, un couple avec ce genre de différence d’âge était considéré comme parfaitement valable. Pas seulement les nobles, mais même les roturiers se mariaient à cet âge.
Et connaissant Rodney aussi bien qu’elle, Nemea savait que l’apparence d’Asuka était à son goût.
Mais… est-ce que ça a vraiment un sens ?
Rodney Mackenna était un peu un retardataire en matière d’amour. Ou peut-être que l’appeler un rêveur romantique serait plus approprié. Mais même ainsi, comme Rodney était l’héritier d’une maison de comte, ses proches lui avaient apporté de nombreuses propositions de mariage arrangé à considérer. Qu’il a d’ailleurs toutes refusées… Ce qui était extrêmement inhabituel dans la société aristocratique.
Pour la noblesse, le mariage était un moyen de conserver sa maison et son titre. Et c’était un moyen de resserrer les liens entre les différentes familles nobles. L’affection romantique avait peu d’influence en la matière.
Bien sûr, il était parfaitement probable et même conseillé qu’un couple marié apprenne à s’aimer et à se chérir. Mais malheureusement, les nobles n’avaient pas le privilège d’épouser librement la personne qu’ils aimaient. Ainsi, un noble amoureux devait choisir entre forcer sa volonté et renoncer à sa maison et à son titre, ou simplement croire dans son cœur qu’il serait réuni avec sa bien-aimée dans l’autre vie.
Les soupçons de Menea, cependant, s’étaient avérés faux.
« Oui, je ne peux pas m’empêcher d’y penser… », murmura Rodney évasivement.
Cela fit soudainement changer l’expression de Menea. Elle ne pouvait pas être son assistante personnelle si elle était trop directe, ou si elle ne pouvait pas sentir la gravité derrière ses mots.
« Tu veux dire… Ce katana ? », demanda Menea.
Rodney acquiesça profondément : « Ouais. Il ne fait aucun doute que c’est une épée magique… Malheureusement. »
Nemea ne put s’empêcher de déglutir nerveusement à ses paroles. Elle se doutait bien que cela pouvait être le cas, et apparemment son intuition ne l’avait pas trompée. Mais Nemea avait dû demander à Rodney une seconde fois.
Après tout, cela ne pouvait tout simplement pas être vrai.
***
Partie 2
« En es-tu sûr ? »
« Oui. Un de mes soirs de repos, j’ai demandé à Asuka de me le prêter pour la nuit… et j’ai fini par rester debout jusqu’au matin, à me renseigner. »
En entendant son explication, Menea eut le sentiment qu’ils étaient impliqués dans quelque chose de bien plus important que ce qu’ils avaient supposé au départ.
Le katana d’Asuka est une épée magique… Je n’arrive pas à y croire…
L’existence d’une épée magique n’était pas si inhabituelle en soi. Il était vrai que l’épée était une arme redoutable. Elle avait tranché un tigre à trois yeux ayant un corps massif de 500 kilos et un visage dur comme du fer d’un seul coup et sans subir la moindre fêlure.
Il était clair que l’épée avait un sceau de préservation gravé dessus, comme c’était souvent le cas pour les armes magique. En plus de cela, le changement qui avait envahi Asuka en la brandissant était une preuve flagrante.
Dans ce cas, arriver à la conclusion que ce katana, Ouka, était une épée magique n’était pas difficile. Mais le fait que cette arme dangereuse soit entre les mains d’une fille qui venait d’être invoquée de Rearth changeait tout. Comment Asuka, qui avait été invoquée depuis un monde sans magie, avait-elle pu mettre la main sur une telle arme ? Surtout au vu du calibre de sa puissance, qui la mettait au même niveau que les armes les plus prisées et les plus rares de ce monde, une épée démoniaque…
« Mais si c’est le cas… »
« Oui, tu es probablement sur la bonne voie, Nemea… »
Asuka leur avait déjà raconté ce qui s’était passé quand elle était arrivée dans ce monde. Elle avait été appelée dans ce monde avec deux autres hommes, Tachibana et Kusuda. Quelques instants avant que le sceau de l’esclavage ne soit appliqué sur elle, son grand-père Kouichirou Mikoshiba fit irruption dans la scène et la sauva. Avec cette histoire en tête, il n’y avait qu’une seule conclusion plausible.
« Alors c’est vraiment vrai… »
« Oui, si ce qu’Asuka nous a dit est vrai, ce Kouichirou Mikoshiba était déjà venu dans ce monde une fois auparavant et a en quelque sorte utilisé la magie pour retourner à Rearth. Et quand Asuka a été convoquée, il est revenu ici… Honnêtement, c’est difficile à croire… »
Cette histoire était impossible compte tenu de la logique de ce monde. Dans les milliers d’années d’histoire enregistrée de ce monde, il n’y avait pas un seul exemple de personne ayant réussi à retourner à Rearth après être venue dans ce monde.
« Tu l’as dit à Asuka ? »
« Non… Je ne pouvais pas me résoudre à le faire. Et je n’ai sûrement pas besoin d’expliquer pourquoi ? », dit Rodney avec amertume tout en soupirant.
Menea réalisa pourquoi il ne dormait pas du tout.
Donc c’est ce qui s’est passé… Il ne peut en parler à personne d’autre… Cependant, sans le vouloir, Rodney a fini par porter un fardeau absurde sur son dos…
Quelque chose qui ne pouvait pas être réel s’était produit. Si Ouka était vraiment une épée magique, Kouichirou Mikoshiba avait dû visiter ce monde auparavant. Mais s’il y avait une chance que cela se soit produite, il n’y avait qu’une seule explication possible.
« L’organisation… ? », demanda Menea.
Rodney acquiesça sans mot dire. D’innombrables pays se disputaient la domination du continent occidental. Mais seules quelques rares personnes savaient que contrairement à ces pays, qui se battaient ouvertement, deux groupes se battaient pour le contrôle du continent en coulisse.
L’un d’eux était le groupe auquel Rodney était associé : l’Église de Meneos. Cette institution religieuse était impliquée dans d’innombrables activités parmi les nombreuses églises qui parsemaient le continent. Son pouvoir et son influence s’étendaient au-delà de la portée d’un seul pays, et certaines de ses actions l’avaient fait apparaître comme le dirigeant de facto du continent.
Leur objectif était de freiner l’escalade de l’hostilité entre les différents pays et de maintenir l’ordre. Ou, du moins, tel était leur but avoué. La vérité était très différente. Convoquer des gens de Rearth et les asservir n’était que la plus élémentaire de leurs méthodes. L’enlèvement, l’assassinat et les activités subversives faisaient partie intégrante de leur mode opératoire.
La triste vérité était que même s’ils avaient l’intention de maintenir la paix, les platitudes et la bonne volonté ne les mèneraient nulle part. Mais même ainsi, une fois que les méthodes d’une personne allaient trop loin, leurs actions devenaient des crimes. Et à cet égard, ils n’étaient pas tant une organisation religieuse qu’une société secrète.
Mais même l’Église de Meneos avait un rival à affronter. Ou plutôt, la rumeur disait qu’un tel rival existait. Ce groupe était simplement appelé « l’organisation ». L’Église de Meneos avait entendu parler de son existence il y a plusieurs décennies, et depuis lors, elle avait consacré une grande partie de son abondante main-d’œuvre et de ses fonds pour l’étudier.
Pourtant, ils avaient eu beau enquêter sur ce groupe mystérieux, ils n’avaient rien trouvé sur l’identité de ses agents, sans parler de son chef. Ils n’avaient aucune idée de l’endroit où pouvait se trouver sa base. Certains des dirigeants de l’église doutaient même de son existence.
Nous pourrions être terrifiés par une illusion…
Mais Rodney et Menea savaient qu’elle existait, et connaissaient l’étendue de son pouvoir et de son influence… Parce que c’était cette organisation qui avait poussé Rodney et Menea à abandonner leur pays.
L’organisation agissait fondamentalement en coulisses, dissimulant son existence aux yeux de tous. Ils n’avaient presque jamais agi au grand jour. Mais leur force était si grande que les ordres de chevaliers d’un seul pays n’avaient aucune chance contre eux.
Rodney le savait, car ils s’étaient montrés capables de lutter à armes égales contre les Chevaliers du Temple, la plus grande force militaire que possédait l’Église de Meneos.
C’était arrivé il y a 10 ans. Leur invasion ayant été stoppée par une alliance formée par Helena Steiner et Arios Belares, l’expansionnisme brûlant de l’Empire d’O’ltormea n’avait pas été assouvi et ils avaient tourné leurs lances vers les royaumes du sud.
Sentant que leurs mouvements constituaient une menace, l’Église de Meneos coopéra avec le Saint Empire de Qwiltantia et envoya une expédition pour aider les royaumes du sud à former un front contre O’ltormea.
C’est ce qu’on avait appelé la bataille d’Indigoa, une escarmouche qui avait rivalisé avec la première bataille de Notis par sa férocité. Ce fut là que l’Église de Meneos rencontra une certaine unité aux mains de laquelle elle subit une défaite cuisante, une rencontre qui leur fit reconnaître, sans aucun doute, que l’organisation existait.
Cinq mille chevaliers réguliers avaient été déployés pour cette expédition, ainsi que 5000 autres Chevaliers du Temple. Cela représentait un cinquième des forces totales que l’Église de Meneos possédait. À première vue, le simple nombre de cette armée signifiait qu’il fallait compter avec elle.
Après tout, les Chevaliers du Temple étaient bien plus qualifiés et compétents que les chevaliers des petits pays. Selon les normes de la guilde, la force de leurs chevaliers moyens était d’environ quatre, et les chevaliers formant le noyau des ordres de chevaliers étaient de niveau cinq et plus.
Traduit aux normes d’un ordre de chevaliers, cela signifiait que leur rang était extrêmement élevé. En revanche, un chevalier ordinaire de la garde impériale d’O’ltormea n’était que de niveau trois. Ce seul fait montrait à quel point les Chevaliers du Temple étaient forts.
Mais même cet ordre d’élite fut complètement décimé.
Pire encore, le capitaine des Chevaliers du Temple fut tué par l’ennemi. Le niveau de ce capitaine était de niveau six, un niveau que seuls peuvent atteindre ceux qui sont capables d’activer le sixième chakra situé entre les sourcils, le chakra Ajna. Très peu de personnes pouvaient réaliser cet exploit, et la force de ce capitaine était comparable à celle de milliers de personnes.
Aussi, la nouvelle qu’un guerrier aussi transcendant tombait trop facilement au combat fut un grand choc pour les dirigeants de l’Église de Meneos. Principalement parce qu’ils ne savaient rien de l’affiliation officielle de l’unité ennemie, sans parler de l’identité de l’homme qui tua le capitaine.
Les archives officielles disaient qu’il s’agissait d’une unité mixte rassemblée par la guilde, mais l’Église de Meneos savait qu’il valait mieux ne pas avaler cette histoire. Si cela était vrai, cela signifiait qu’une personne qui était fondamentalement l’une des personnes les plus fortes du monde se promenait parmi les aventuriers et les mercenaires de la guilde. C’était évidemment une information que l’Église de Meneos ne pouvait pas tolérer alors qu’elle recherchait la stabilité du continent.
Ce fut alors que l’église admit l’existence de l’organisation qui était, jusqu’alors, une simple rumeur. Et depuis, elle utilisa tout le pouvoir dont elle disposait sur le continent pour rassembler des informations sur elle. Mais malgré cela, l’organisation restait toujours aussi obscure et inconnue. Où étaient-ils situés, quelle était la taille de leur groupe, quels étaient leurs objectifs… tout était enveloppé de ténèbres.
Il était clair que cette organisation possédait une grande influence.
Je ne sais pas si ce Kouichirou Mikoshiba est un membre de l’organisation ou s’il a un lien quelconque avec eux, mais… s’il l’est, c’est la pire chose qui puisse arriver.
Après tout, pour autant que Menea le sache, l’Église de Meneos n’avait jamais fait d’efforts pour développer une technique permettant de renvoyer les habitants d’autres mondes sur Rearth. Même une seule invocation coûtait une petite fortune en termes de catalyseurs nécessaires pour faciliter le rituel. Si quelqu’un voulait renvoyer un autre Rearth chez lui, cela coûterait au moins la même somme en frais.
De plus, le nom du dieu Rearth n’était pas connu dans ce monde, donc toute tentative de ramener un étranger chez lui serait inutile à moins de découvrir le nom de ce dieu. Cela constituerait en soi un projet d’envergure nationale, nécessitant beaucoup de matériel et de main-d’œuvre. L’entreprise nécessiterait des fonds rivalisant avec le budget militaire d’un pays.
Mais si quelqu’un était assez aimable pour vouloir ramener un étranger chez lui, il ne le convoquerait pas pour commencer. C’était vrai pour toutes les nations de ce monde, pas seulement pour le continent occidental.
Dans ce cas, il y avait deux possibilités pour expliquer le mystère de Kouichirou Mikoshiba. La première était qu’il soit tombé d’une manière ou d’une autre sur un interstice entre les mondes, et que par un coup de chance inégalé, il soit revenu à Rearth avec deux épées de thaumaturgie à la main. L’autre était que cette organisation avait développé une méthode pour ramener les étrangers sur Rearth.
Les deux options étaient absurdes, mais la dernière semblait beaucoup plus réaliste que d’avoir la chance de réaliser l’impossible. Et le plus problématique était que si les gens de l’Église de Meneos l’apprenaient, ils arriveraient à la même conclusion.
Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas laisser cette affaire s’ébruiter…
L’église traitait la question de l’organisation avec une extrême prudence. Si l’on découvrait qu’Asuka détenait des informations sur l’organisation, ils se souciaient peu de son bien-être ou de sa survie. Elle serait soumise à un interrogatoire implacable et sans pitié. Et à la fin, elle mourrait probablement sous la torture.
Non… Vu son apparence et son statut de Rearth, les membres de l’église pourraient même en faire leur jouet. On disait que les enfants nés d’un autre monde avaient tendance à hériter facilement des traits de leurs parents. En effet, beaucoup de Chevaliers du Temple avaient du sang Rearth qui coulait dans leurs veines, ce qui donnait du crédit à cette théorie.
La mort par torture ou être le jouet de quelqu’un. Aucune de ces options n’était celle que Menea, qui se considérait comme une sorte de sœur d’Asuka, voulait voir dans le futur de cette fille.
« Alors… Qu’as-tu l’intention de faire ? », demanda-t-elle.
Rodney hausse les épaules.
« C’est bien là le problème… Rien ne me vient à l’esprit. As-tu une idée ? »
***
Partie 3
Menea secoua la tête. Elle ne trouvait pas d’idées non plus. Même sans la question de l’organisation, laisser Asuka ici dans la capitale sainte était encore trop dangereux. Son apparence seule attirait inutilement l’attention sur elle, et même sans cela, la défendre des animaux qui rôdaient tout autour d’eux était le maximum que pouvait faire Menea.
Récemment, même les principaux capitaines des Chevaliers du Temple lui avaient fait des avances. Heureusement, Rodney avait sa position de chef de dix des ordres de chevaliers ordinaires de l’Église de Meneos, ainsi que ses relations avec Tarja. Il connaissait également plusieurs cardinaux et même l’archevêque. Lesdits chevaliers ne pouvaient rien faire de trop énergique.
Malgré cela, l’adhésion de Rodney à la doctrine et à une vie de pauvreté honorable signifiait que beaucoup de gens le considéraient comme une nuisance, et au pire, il pouvait lui-même être blessé par les conflits qui éclataient. Le souvenir de la façon dont Rodney avait été envoyé en mission de longue durée avec une petite force de soldats pour le punir pour avoir frappé un cardinal odieux était encore présent dans la mémoire de Menea. Si ses proches n’avaient pas tiré quelques ficelles, Rodney aurait gâché le reste de sa vie dans les terres reculées de Beldzevia.
Mais même ainsi, faire ce qu’ils avaient initialement prévu et envoyer Asuka dans le monde avec un peu d’argent était un choix douteux. Il n’y avait pas beaucoup de problèmes en termes de capacités, même si elle avait du mal à suivre l’entraînement des Chevaliers du Temple. Elle avait probablement un potentiel latent, et avec quelques mois de plus, elle pourrait devenir assez compétente pour servir comme soldat.
C’était cependant tout ce qu’elle avait. Elle avait peut-être le pouvoir, mais il lui manquait le cœur pour l’utiliser, et cela changeait tout. Cette capacité de tuer un autre sans se soucier des apparences. Ou peut-être qu’on pourrait simplement appeler ça de la détermination. Quel que soit le nom qu’on lui donnait, elle n’avait pas ce genre de force. Peu importe le degré de raffinement de la technique d’une personne ou la précision de l’arme qu’elle possédait, tout cela était inutile s’ils n’étaient pas utilisés.
J’ai entendu dire que le Japon est un pays pacifique, mais…
Sa mère lui avait parlé de ce pays lorsqu’elle était enfant, et à l’époque, elle pensait qu’un tel pays idyllique ne pouvait pas vraiment exister. Mais d’après ce qu’elle avait vu et entendu d’Asuka, les descriptions de sa mère étaient apparemment proches de la vérité.
Elle se souvenait de la réaction effrayée d’Asuka à l’idée de devoir étrangler un coq mort. Une telle fille n’avait pas sa place sur un champ de bataille où elle devrait combattre d’autres personnes. Cela n’avait rien à voir avec le fait qu’elle soit forte ou faible, Asuka ne serait d’abord jamais entrée dans cette arène.
Mais ce n’était pas un problème que l’on pouvait résoudre simplement en lui parlant. Cela se résumait à son mode de vie, à ses croyances fondamentales. Après que Menea lui ait montré le côté sombre de la capitale sacrée, comme une façon de lui apprendre les réalités de ce monde, Asuka semblait avoir compris quelque peu les choses. Mais honnêtement, elle était loin d’avoir assez de détermination pour se débrouiller seule dans ce monde, même après ça.
« Au fait, qu’en est-il de Tachibana ? J’ai entendu dire que tu es allé boire avec lui. »
Menea avait mentionné l’autre Rearth qu’ils avaient pris sous leur protection aux côtés d’Asuka.
Aussi cruel que cela puisse paraître, Tachibana était un homme d’âge moyen. Menea était trop occupée à s’occuper d’Asuka, une femme, comme elle, pour se soucier de lui. Bien sûr, elle savait que depuis la guérison de sa blessure à la tête, Tachibana avait travaillé comme assistant de Rodney.
Menea était le lieutenant de Rodney, donc elle parlait à Tachibana assez souvent. Mais c’était purement sur la base de leurs fonctions, ils n’étaient pas assez proches pour qu’elle sache ce que cet homme ressentait.
« Tachibana… va bien, je crois. Je suis sûre qu’il a beaucoup de choses en tête, mais apparemment il s’est fait à l’idée qu’il devra continuer à vivre dans ce monde. Il fait aussi son travail assez bien. Si bien, en fait, que ça ne me dérangerait pas de le prendre comme assistant officiel. En supposant qu’il ne s’y oppose pas. »
Menea ne put s’empêcher de regarder Rodney avec des yeux ronds à cette évaluation. Certes, l’homme s’occupait rapidement de la paperasse, mais elle ne pensait pas que Rodney l’approuverait à ce point. Mais en y réfléchissant bien, elle ne pouvait trouver aucun défaut dans le travail de Tachibana. Elle-même avait l’impression que la pression du travail sur elle avait été quelque peu réduite.
« Et s’il doit être ton assistant officiel, il pourrait éventuellement prendre un poste de chevalier… Je vois… Eh bien, apparemment, il a été habitué à travailler dur avant même de venir ici… »
L’autre jour, les chevaliers avaient organisé des exercices pour s’entraîner au combat à mains nues. En repensant à l’un des matchs, Menea avait lentement hoché la tête. Au début, il était un peu maladroit, mais à la fin du match, Tachibana avait montré une grande habileté dans les clés de bras qui utilisaient le principe de l’effet de levier, désarmant sans effort un chevalier de deux fois sa taille. Les autres chevaliers semblaient avoir reconnu ses compétences depuis.
En plus de cela, il avait été officier de police pendant des années, donc malgré les apparences, il était également très doué pour gérer la paperasse. De ce point de vue, c’était un bon parti pour Rodney. Le fait d’être le chef des ordres des chevaliers signifiait qu’il pouvait désigner un des chevaliers comme son assistant personnel sans trop de problèmes.
Bien sûr, Rodney n’allait pas ordonner à Tachibana de travailler sous ses ordres pour payer sa dette de gratitude. Mais il ne pouvait pas nier qu’il serait tragique de laisser tout ce talent se perdre.
C’est peut-être mieux ainsi, vu ce qui va se passer…
Menea n’avait pas d’objection particulière à ce que Tachibana devienne un assistant officiel de Rodney. Elle savait qu’il aurait besoin de subordonnés fiables s’il voulait atteindre son objectif de réformer l’Église de Meneos en accord avec ses croyances originales en tant que groupe religieux. Mais elle ne pouvait s’empêcher de douter que le fait de s’impliquer dans cette affaire soit bénéfique pour Tachibana.
Après tout, leur intention initiale était de lui donner de l’argent et de l’envoyer loin de Menestia avec Asuka. Alors l’impliquer dans leurs problèmes justes parce qu’il s’était avéré être étonnamment capable serait-il la bonne chose à faire ?
Cependant, l’échange entre Rodney et Menea s’arrêta brusquement à cet endroit.
« Excusez-moi ! », cria une voix, suivie d’un coup vigoureux à la porte.
Sans attendre la réponse de Rodney, la personne même dont ils discutaient, Tachibana, entra dans la pièce. Menea haussa un sourcil en voyant l’entrée impolie de Tachibana, mais elle savait qu’il valait mieux ne pas le faire remarquer maintenant.
« Qu’est-ce qui ne va pas, Tachibana ? Ton visage est tout rouge », dit Rodney.
Il s’était probablement précipité, car son visage était rouge et il était clairement essoufflé.
« Eh bien, je ne sais pas ce qui s’est passé, mais boit ça, » dit Rodney.
Ce dernier versa de l’eau dans une tasse à partir d’un pichet posé sur sa table, puis le tendit à Tachibana.
« Aah, merci, monsieur… », dit Tachibana tout en engloutissant l’eau.
« Alors, que s’est-il passé ? », demanda Menea tout en inclinant la tête de manière interrogative.
Elle ne pouvait pas dire qu’elle le connaissait depuis si longtemps, mais malgré tout, c’était la première fois qu’elle voyait Tachibana si agité.
« Regardez ça ! », dit Tachibana en présentant quelques documents à Rodney.
« Mm, qu’est-ce que c’est ? », demanda Rodney en regardant le document.
C’était un rapport provenant du réseau d’information que l’Église de Meneos avait étendu sur tout le continent. Quelqu’un du bureau des renseignements l’avait probablement livré à lui, non scellé et tout. Appeler cela un échec dans la sécurité de l’information serait un euphémisme, mais les clercs avaient une façon d’être extrêmement négligents quand il s’agissait de transférer des informations au sein du groupe.
« Mm… qu’en est-il, Tachibana ? », demanda Rodney avec une pointe d’appréhension.
Il l’avait survolé, mais les informations semblaient assez standard. Les royaumes du sud étaient, comme toujours, impliqués dans un conflit frontalier ou un autre. L’Empire d’O’ltormea envahissait ses pays voisins, mais ce n’était pas une surprise.
La seule partie qui semblait légèrement intéressante était le rapport de situation concernant le front O’ltormea-Xarooda, qui était dans l’impasse depuis un an maintenant. Mais ce champ de bataille se trouvait de l’autre côté du continent. Rodney ne comprenait pas ce qui faisait paniquer Tachibana à ce point.
« Pas ça, lisez cette partie-là ! »
Tachibana lui arracha le document des mains et pointa du doigt une ligne particulière.
« Qu’est-ce que tu… », marmonna Rodney.
Mais en lisant la ligne spécifiée par Tachibana, il sentit une secousse lui parcourir l’échine.
Le nom de l’homme écrit là, fit presque tomber Rodney de son siège.
« Ce n’est pas possible… Comment est-ce possible… ? », murmura-t-il, surprit.
Voyant sa surprise, Menea lut la section que Tachibana lui a indiquée.
Une bataille décisive dans la guerre O’ltormea-Xarooda… Attends, non, ce n’est pas la bonne partie… Les renforts de Rhoadseria comprennent le général Helena Steiner et un homme mystérieux, Ryoma Mikoshiba… Les renforts de Myest dirigés par Ecclesia Marinelle…
Ces informations n’avaient aucun sens. Bien qu’ils aient pu se trouver sur le même continent, les détails de cette guerre ressemblaient à des événements se déroulant dans un tout autre monde. Mais après l’avoir lu une fois de plus, un des noms m’a semblé étrange.
Attendez, Ryoma Mikoshiba ? Mikoshiba… Mikoshiba !
C’était un nom qui n’aurait pas dû figurer sur ce document. Mais le réseau de renseignements de l’Église de Meneos était inégalé dans son domaine et bien plus puissant que celui de n’importe quel pays individuel, donc la probabilité qu’ils fassent un rapport erroné était hautement improbable.
Ce genre de coïncidence est-il vraiment possible ?
À ce moment-là, Menea sentit une sorte de grande volonté se tordre dans l’obscurité.
***
Épilogue
Le Saint Empire Qwiltantia régnait sur les régions occidentales du continent. Située dans son territoire méridional, près de la frontière avec les royaumes du sud, se trouvait la ville portuaire de Lentencia, le cœur florissant du commerce et des échanges dans le sud de Qwiltantia.
Alors que le soleil commençait à se lever au-dessus de l’horizon, un homme seul apparut dans cette ville. Il était vêtu d’une cape et d’une capuche qui cachait son visage. Au premier coup d’œil, il n’était pas évident de savoir s’il s’agissait d’un mercenaire, d’un aventurier ou d’une sorte de voyageur. Son apparence n’indiquait pas grand-chose, mais il n’était pas particulièrement suspect non plus. Au contraire, sa présence était étrangement faible.
L’homme passa rapidement les gardes de la porte, et se dirigea immédiatement vers le quartier des plaisirs de Lentencia.
« Hmm… est-ce ici ? »
Après avoir vérifié le panneau sur lequel était écrit « La Salle de l’Écho, Fournisseur de la Guilde », il entra dans la taverne.
« Oh, vous êtes là tôt, monsieur. »
Un homme plus jeune qui travaillait au bar remarqua son entrée.
« Vous buvez si tôt dans la journée ? »
« Mm. Un verre et quelque chose à manger », dit l’homme en soulevant la capuche de ses yeux.
« Oh… Toujours à l’aventure à votre âge ? C’est dur », dit l’employé tout en haussant les épaules en voyant le visage de l’homme.
Malgré l’insignifiance de la remarque, l’homme semblait s’en être offensé.
« Vous pouvez m’épargner les conneries… Maintenant, où sont ma nourriture et ma boisson ? Quelque chose pour remplir mon estomac serait apprécié. », dit l’homme en le regardant fixement.
« Ah, désolé… Eh bien, asseyez-vous où vous voulez. Toutes les filles sont cependant dehors jusqu’au soir. Ça ne vous dérange pas ? », dit respectueusement l’employé.
L’employé commença à parler en s’excusant. Son instinct tirait la sonnette d’alarme concernant cet homme. L’ordre public dans ce quartier de plaisir était plutôt mauvais, et donc le fait qu’il travaillait ici signifiait qu’il devait être assez fort par nécessité. Après tout, il n’y avait pas de téléphone pour appeler la police dans ce monde, et cet employé avait suffisamment d’expérience pour mettre à la porte des aventuriers et des mercenaires ivres.
Mais contre cet homme, même cinq personnes du niveau de cet employé n’auraient pas suffi.
Se moquant de la soudaine flagornerie de l’employé, l’homme détourna le regard comme s’il avait perdu son intérêt.
« Je n’ai pas besoin de vous donner mon ordre, n’est-ce pas ? Alors, dépêchez-vous… Et apportez-moi deux verres et un pichet d’eau. »
Sur ce, l’homme prit place à la table la plus éloignée de la porte. Ce n’était effectivement pas un endroit pratique pour porter sa commande.
C’est quoi son problème… ? Il n’a pas besoin de s’asseoir dans le coin comme ça…
S’asseoir près du comptoir leur faciliterait la tâche à tous les deux, mais comme il avait déjà pris place, l’employé ne pouvait pas vraiment lui demander de bouger.
Ah, tant pis…
Poussant un petit soupir afin que l’homme ne le remarque pas, l’employé disparut dans la cuisine. Et quelques minutes plus tard…
« Vous étiez là, monsieur… Merci d’avoir attendu. »
L’ouvrier apporta une grande assiette pleine de ce qui ressemblait à des pâtes et de la soupe.
« Ooh… », s’exclama l’homme, dont l’odeur des condiments lui ouvrant l’appétit.
À en juger par les épices ressemblant à du poivre sur le plat, c’était probablement quelque chose qui ressemblait à un peperoncino au bacon.
Mm… Ça a l’air bon, se dit l’homme.
Normalement, le peperoncino n’était préparé qu’avec des épices, des poivrons et de l’huile d’olive, et n’incluait pas de bacon ou de viande, mais ce plat appartenait à ce monde. Sans se plaindre, l’homme prit sa fourchette et commença à manger.
« Et voici votre bière et votre eau », dit l’ouvrier en posant les boissons sur la table.
Il avait rassemblé le peu de courage qu’il avait pour s’enquérir de l’humeur de l’homme. Jetant un coup d’œil furtif à l’employé, l’homme prit sa pochette de monnaie.
« Je vais rester jusqu’à la tombée de la nuit aujourd’hui. Combien pour les frais ? »
« Huh ? Jusqu’à la tombée de la nuit… ? Vous allez rester ici aussi longtemps ? », lui répondit l’employé avec surprise.
La taverne était ouverte toute la journée et toute la nuit. Étant dans un quartier de plaisir, l’endroit obtenait la plupart de ses affaires pendant la nuit, et était surtout ouvert comme restaurant pour les travailleurs de la ville pendant la journée. En tant que tel, il n’y avait pas vraiment de raison de refuser la demande de l’homme.
Mais il était sept heures du matin. Rester là jusqu’à la tombée de la nuit signifiait qu’il allait passer une demi-journée entière à rester assis là. Il était vrai que certaines personnes buvaient toute la nuit, mais les gens qui buvaient toute la journée n’étaient pas très courants.
« Quoi ? C’est un problème ? », demanda l’homme qui nota l’attitude surprise de l’employé du bar.
« Non, pas du tout, mais… », balbutie l’employé.
Il n’y avait pas de problème en soi. Mais même si la taverne était bien plus fréquentée la nuit, il avait toujours sa part de clients dans la journée. Vu le trafic de clients, une personne commandant un peu ne rapporterait pas beaucoup de bénéfices.
Mais l’homme, sentant l’hésitation de l’employé, sortit une pièce d’or de sa pochette et la tendit.
« Mes honoraires pour avoir pris de la place. Cela vous suffit ? », demanda-t-il en faisant glisser la pièce.
« Quoi… Monsieur, vous êtes fou ou quoi ? Si vous veniez la nuit, vous pourriez acheter de jolies filles. »
Après avoir confirmé le poids de la pièce d’or dans sa main, l’employé regarda l’homme d’un air interrogateur. Cette simple pièce d’or valait bien plus que le fait de rester dans le magasin pendant une journée. Elle n’aurait peut-être pas suffi à louer le magasin le plus cher de Lentencia pour une journée, mais dans un magasin comme celui-ci, il pouvait se faire servir par toutes les serveuses dont il se vantait. Y compris leurs services spéciaux de nuit.
Refuser le paiement d’un client était une chose étrange, certes, mais puisqu’ils servaient les clients, ils devaient savoir où mettre la limite.
Je pensais qu’il était peut-être un peu bizarre dans sa tête, mais… Il n’en a pas l’air…
Son apparence n’était pas assortie, mais elle restait dans les limites du raisonnable. Il ne dégageait pas le sentiment d’incohérence d’un fou. Et d’ailleurs, l’homme semblait l’avoir salué comme pour dire que la discussion était terminée, il était donc obligé d’accepter la pièce.
Oh, bien… Je suppose que je vais juste prendre ses honoraires pour la nourriture et la boisson.
Même avec ça, il devrait rendre une somme assez importante, mais au moins, ça ne lui tourmenterait pas trop la conscience. De plus, s’il avait l’intention de boire maintenant, il finirait par de toute façon dépenser le restant de la somme en plats.
Je demanderai au propriétaire ce qu’il faut faire plus tard… Attends, qu’est-ce que ce vieux type fait ?
Alors qu’il réfléchissait à la situation, le travailleur regarda derrière lui et vit l’homme verser de l’eau d’un pichet dans une tasse. Le fait qu’il boive en mangeant ne sortait pas de l’ordinaire, bien sûr, mais l’homme n’avait rempli la tasse qu’à moitié, puis l’avait recouverte d’une assiette vide. Cela ressemblait à la farce d’un enfant qui aurait été entraîné dans une situation ennuyeuse par ses parents. L’employé avait déjà vu cela dans le passé.
Mais l’expression de l’homme ne donnait pas l’impression qu’il essayait de faire une farce. En le regardant à nouveau, l’employé haussa les épaules et alla derrière le comptoir, sans comprendre le sens de l’action de l’homme…
*****
Cette nuit-là, une femme défila dans le quartier commerçant de Lentencia. Sa peau brune et saine et ses traits ciselés auraient fait croire à n’importe qui dans le monde de Ryoma qu’il s’agissait d’une femme d’origine arabe. Elle avait l’air d’avoir une trentaine d’années. Ses membres étaient toniques, et sa poitrine et ses fesses étaient rebondies. On pouvait dire qu’elle avait une apparence et un âge qui accentuaient sa féminité.
Son apparence donnait l’impression qu’elle était serveuse de taverne, ou une prostituée, une femme du quartier des plaisirs. Mais alors même qu’elle marchait, entourée de regards inquisiteurs, la femme s’était glissée dans l’entrée d’une certaine entreprise d’un mouvement fluide.
« Pardonnez-moi de venir à cette heure de la nuit », dit la femme en inclinant respectueusement la tête devant le portier.
« N’êtes-vous pas… Une des serveuses de la Salle de l’Écho ? », demanda-t-il.
Ce portier fréquentait la Salle de L’Écho avec ses amis pendant ses jours de congé, il connaissait donc son visage. Il ne pouvait cependant s’empêcher de penser qu’il était étrange de la trouver ici si tard dans la nuit.
« Oui. En fait, il y a un client dans notre établissement… J’aimerais voir Liu Daijin et rapporter quelque chose à son sujet ».
Sur ce, la femme sortit une carte de son décolleté et la présenta au portier.
Dans ce monde, on la reconnaîtrait comme la carte d’identification utilisée dans les banques et la guilde. Dès qu’il la vit, l’expression du portier changea. Se réprimandant d’avoir pensé qu’elle n’était qu’une serveuse, il avait rapidement pris la carte et y avait versé un peu de son prana.
« Mes excuses… Je vais aller vérifier et annoncer votre arrivée. Veuillez attendre ici. »
Après avoir confirmé le motif apparu sur la carte, le portier parla d’une manière tout à fait opposée à la suspicion qu’il lui avait montrée quelques instants auparavant. La femme ne s’en était bien sûr pas offusquée. Son comportement était simplement la preuve qu’elle avait bien fait son travail.
« Merci. »
Elle inclina la tête vers le portier alors qu’il disparaissait dans le bâtiment. Il n’avait fallu que quelques minutes avant que le portier ne revienne avec un homme derrière lui. C’était un homme d’âge moyen, de taille moyenne, vêtu d’une queue de pie. Il avait des cheveux noirs ramenés en arrière. Il semblerait bien que les mots du portier selon lesquels il annoncerait son arrivée n’étaient pas un mensonge.
« Je vous remercie de votre attente. Je m’appelle Zheng, je suis un majordome au service de Liu Daijin. J’ai entendu dire que vous souhaitiez rencontrer mon maître. Venez avec moi… »
En le suivant, la femme s’enfonça dans le bâtiment de l’entreprise. Ils empruntèrent un escalier souterrain, où la femme se retrouva face à une grande porte en bois. La pièce devant eux occupait probablement tout le sous-sol.
« Maître… J’ai amené l’invité », dit le majordome en frappant plusieurs fois à la porte.
« Entrez », une voix d’homme résonna derrière la porte.
« Veuillez donc m’excuser. »
Le majordome ouvrit alors la porte.
Une pièce pleine de couleurs chatoyantes accueillit la femme.
« C’est un plaisir de faire votre connaissance, Liu Daijin. Je suis Ruqaiya Redouane, l’envoyée de l’Organisation dans cette ville », dit la femme, s’agenouillant et baissant la tête dès qu’elle remarqua l’homme devant elle.
Liu était un homme de grande taille avec une longue barbe qui s’étendait jusqu’au sol.
« Nous faisons tous deux partie de l’Organisation. Tu n’as pas besoin d’insister sur le cérémonial… Lève-toi », dit Liu tout en l’incitant à se lever.
« Je ne suis pas digne, monsieur… »
Ruqaiya était relativement connue au sein de l’Organisation pour ses compétences, et on pouvait même la compter parmi les échelons supérieurs du groupe. Mais le vieil homme devant elle avait un statut complètement différent. Il était l’un des douze membres les plus éminents de l’Organisation, qui avait mis en place les fondations mêmes du groupe.
La magie martiale avait considérablement freiné son vieillissement, et on ne pouvait donc pas vraiment le voir à son apparence, mais cet homme approchait de la centaine d’années. Même si l’Organisation avait placé Ruqaiya en charge de Lentencia, Liu Daijin la dépassait en grade.
« J’ai entendu dire que tu avais quelque chose à me dire. Qu’est-ce que c’est ? », lui demanda Liu tout en allant droit au but.
« Eh bien… » marmonna évasivement Ruqaiya.
Elle n’était venue ici que parce qu’elle ne savait pas trop quoi faire, mais la perspective de parler à un ancien comme Liu la rendait plutôt timide. Comprenant son appréhension, Liu la regarda avec un sourire enjoué.
« Je vois. Je suppose que je devrais au moins te servir du thé, n’est-ce pas… ? », dit-il en prenant le service à thé.
« Oh, euh, uhh… », bégaya Ruqaiya.
« Ce sera prêt en un rien de temps. Assieds-toi là et attends », lui avait-il dit.
Ruqaiya avait obéi docilement.
« Bon, ceci a été fait dans ce monde, mais son goût est très bon. Essaie-le. »
Liu plaça un pot de thé au-dessus d’un bol, y ajoutant des feuilles de thé et versant de l’eau chaude dans le bol.
Il semblait que l’eau était déjà en train de chauffer. Dix minutes plus tard, il présenta le bol de thé à Ruqaiya, qui a rapidement pris une gorgée.
« C’est… délicieux. »
Il avait un arôme floral et une saveur relaxante qui semblait s’infiltrer dans son corps.
« Merveilleux… Sa qualité n’est pas comparable à celle du vrai thé, bien sûr, mais je suis heureux que tu l’aies apprécié », dit Liu en versant plus de thé dans le bol.
Ils passèrent le temps calmement comme ça pendant un moment encore, après quoi Liu finit par entrouvrir à nouveau les lèvres.
« Bien, maintenant que tu t’es un peu calmé, parlons. Qu’est-ce qui t’amène chez moi ? »
Guidée par ses paroles, Ruqaiya lui parla de l’homme mystérieux qui était apparu dans son établissement.
« Ooh… Voilà qui est inhabituel. Quelqu’un qui connaît pourtant le mot de passe du Chawanjin… », dit Liu, pensif.
« Alors c’était vraiment le mot de passe… »
« Oui. Je ne peux pas deviner qui cela peut être sans le voir, mais d’après ce que tu m’as dit, il semblerait sûr de supposer qu’il est familier avec le Chawanjin… Le simple fait qu’il l’ait fait dans une taverne montre qu’il connaît les mots de passe de l’Organisation. », dit Liu en se caressant la barbe, les yeux bridés.
Sur ce, Ruqaiya comprit qu’elle avait eu raison de venir le voir. Le Chawanjin était le nom de code d’une société secrète basée en Chine. Son nom signifiait la « société du bol de thé » et, fidèle à ce nom, elle transmettait des informations sous forme de chiffres en utilisant des arrangements de bols de thé.
Suivant cette tradition, certains agents de l’Organisation avaient utilisé cette forme de code dans le passé. Cela dit, les Chawanjin laissaient leurs codes dans les salons de thé en Chine et non dans les tavernes. Mais comme les salons de thé étaient plus inhabituels et attiraient l’attention dans ce monde, les tavernes étaient utilisées à la place.
Mais le fait que l’homme ait utilisé les codes des Chawanjin avait soulevé un problème majeur.
« Combien d’années se sont écoulées depuis la dernière utilisation de ces mots de passe ? », demanda Liu.
« Et bien, je crois que cela fait une vingtaine d’années que nous avons commencé à utiliser des cartes comme moyen d’identification et que nous avons cessé d’utiliser les mots de passe Chawanjin. »
L’Organisation avait fait des efforts pour utiliser ou recréer la technologie de Rearth. Elle savait qu’étant donné le niveau technologique de ce monde, recréer ne serait-ce qu’un seul élément de technologie suffirait à lui donner un avantage écrasant. L’un de ces développements était ces cartes, qui affichaient une certaine marque lorsqu’elles étaient remplies de prana.
Ces cartes étaient fabriquées à partir de matériaux uniques, et leur création prenait donc du temps. En tant que telles, elles ne servaient qu’à transmettre les lettres et les documents les plus importants et les plus confidentiels, mais elles étaient aussi souvent utilisées pour identifier les membres de l’Organisation.
Avec ce genre de technologie, l’Organisation n’avait pas besoin que ses membres utilisent les codes Chawanjin pour s’identifier. Ruqaiya elle-même ne connaissait que les mots de passe, mais ne les avait jamais utilisés. C’était pourquoi elle était venue voir Liu, l’un des plus anciens membres de l’Organisation.
« Hmm… Qu’est-ce que cela peut signifier… ? »
Un homme mystérieux, utilisant une méthode de communication désormais abolie. Même en tant que membre de haut rang de l’Organisation envoyé pour surveiller Lentencia, Ruqaiya ne savait pas vraiment comment aborder cette question.
Il s’agit probablement de l’espion d’un pays qui a utilisé un vieux cryptogramme qu’il a vu par intérêt. Ou peut-être qu’il était juste ivre, et qu’il l’a accidentellement fait en tripotant…
Mais l’intérêt de Liu avait été piqué par la possibilité de l’identité de cet homme.
Le fait qu’il porte un katana japonais était en effet curieux… Je pense que je devrais le voir moi-même.
« Zheng, peux-tu envoyer quelques membres qualifiés ? Nous devrions aller confirmer l’identité de cet homme », dit Liu en se levant de son siège.
***
Bonus : Une femme nommée Grindiana
Pour Arnold Grisson, Grindiana Helnecharles était vraiment une présence gênante. Elle était dotée d’un degré inhabituel d’intelligence et d’une véritable affection pour ses sujets, et cela ne pouvait être nié. Mais elle était aussi une despote, avec un esprit de décision qui faisait d’elle un démon au sang-froid pour ses ennemis.
Si elle décidait que quelque chose était une menace pour son pays, elle l’éliminait sans pitié… Même sa propre chair et son propre sang. Et naturellement, cela signifiait que l’aristocratie, qui ne chérissait rien de plus que le caractère sacré du sang noble, la méprisait énormément.
Non, ce n’était pas comme s’ils la méprisaient, ils la redoutaient. La plupart des nobles craignaient l’intellect de Grindiana Helnecharles et son esprit de décision froid et implacable. D’un autre côté, cela lui valait le soutien ardent de la plupart de ses sujets dans le royaume d’Helnesgoula.
Les impôts avaient été considérablement réduits par rapport au règne de l’ancien roi. Elle avait organisé une force de chevaliers appelée Police Militaire. Ils répondaient directement à la couronne, et agissaient de manière à inhiber la tyrannie de la noblesse. Ainsi, le peuple n’avait plus à craindre que ses femmes ou ses filles soient enlevées pour devenir le jouet d’un noble.
Les conditions économiques du pays étaient favorables, et les réfugiés étaient rares. Les affaires intérieures du pays étant stables et sûres, les roturiers ne voyaient pas d’inconvénient à ce que Grindiana exerce une autorité absolue sur le pays.
Comment peut-elle être si sage et talentueuse, et pourtant si…
Tournant son regard vers Grindiana, Grissom poussa un profond soupir. Devant ses yeux, il y avait une grande table circulaire. Il n’y avait rien de mal avec la table elle-même. Le problème était la montagne de pâtisseries empilées dessus. Grindiana avait fait venir de la capitale de Dreisen le cuisinier du château, qui s’était donné beaucoup de mal pour préparer ce véritable monticule de sucreries.
À présent, près de la moitié de cette pile se trouvait au fond de l’estomac de Grindiana.
« Votre Majesté… »
Grisson entrouvrit les lèvres avec hésitation.
S’ils avaient été sur le champ de bataille, il aurait peut-être pu l’arrêter. Mais quand il s’agissait de ses repas de tous les jours, il n’avait pas le droit de critiquer sa reine pour ses choix. Malgré tout, Grisson s’était senti poussé à la corriger.
Il le fit tout en sachant que c’était l’une des rares façons pour Grindiana d’évacuer le stress de la gestion de son royaume. Hélas, ses remontrances n’atteignirent pas le cœur de sa reine bien-aimée.
« Arnold ! », dit-elle tout en jetant sa tasse de thé en céramique vide au visage de Grisson.
Voyant la colère briller dans ses yeux, Grisson poussa un autre gros soupir. Il posa la tasse de thé sur la table et prit la théière à proximité. Après avoir englouti la tasse de thé qu’il lui avait servi, Grindiana attrapa vigoureusement les gâteaux les plus proches.
Lorsque la fourchette dans ses mains cessa finalement de bouger, Grisson essaya de nouveau de lui parler.
« Votre Majesté… N’est-il pas temps que vous… »
Elle avait englouti au moins dix gâteaux à base de fruits de saison et un nombre incalculable de gâteaux au chocolat, cuits avec du cacao apporté du continent sud, cela aurait dû suffire à évacuer son stress.
« Ouf… J’ai peut-être un peu trop mangé… »
Grindiana poussa un grand soupir, se tapota le ventre et jeta un regard de reproche dans la direction de Grisson.
« Tu aurais dû m’arrêter, Arnold. »
Son calme semblait revenir, maintenant qu’elle était rassasiée. Tout à coup, ce que l’on pourrait décrire comme son instinct féminin la rendait étrangement consciente de son poids. Grisson considéra simplement ses paroles avec un haussement d’épaules exaspéré.
« Vous devez sûrement plaisanter… J’ai essayé de vous arrêter trois fois aujourd’hui, Votre Majesté. La personne qui a insisté pour qu’ils soient faits, et qui a pris la décision de tous les manger, n’était autre que vous-même. »
Grisson avait effectivement essayé de l’arrêter lorsqu’elle avait exigé que le cuisinier du château lui fasse ces pâtisseries. Et il n’avait pas eu tort de le faire… Mais la triste vérité du monde était que parfois la bonne réponse n’était pas nécessairement la bonne.
Le seul effet des mots de Grisson sur Grindiana était de la faire bouder comme une enfant gâtée. Très peu de personnes seraient autorisées à voir Grindiana faire une telle expression, et Grisson savait que cela signifiait qu’elle était ennuyée par lui.
Hm… J’en ai peut-être un peu trop dit.
Grisson connaissait la raison de sa colère, et ne voulait pas approfondir le sujet.
Elle ne peut pas se permettre de rester à Memphis pour toujours…
Cela fait maintenant presque un an que Grindiana était arrivée dans cette ville. Au cours de cette année, le Royaume de Xarooda avait envoyé d’innombrables messagers. Et à chaque fois, Grindiana insistait pour avoir un de ces festins à vous retourner l’estomac.
Eh bien, j’imagine que la prochaine fois sera aussi la dernière…
Les espions d’Helnesgoula avaient déjà rapporté que l’Empire d’O’ltormea avait tiré de puissantes unités de l’autre côté de ses frontières et les avait envoyées dans le bassin d’Ushas. Il était clair, étant donné la situation, que Xarooda enverrait un messager pour supplier Helnesgoula de l’aider une fois de plus.
J’espère qu’ils enverront quelqu’un capable de gérer sagement les négociations pour une fois…
Grisson ne pouvait que prier pour qu’ils le fassent. Au moins, pour que sa maîtresse bien-aimée puisse conserver sa santé et sa silhouette…
***
Illustrations
Fin du tome.
***