Strike the Blood – Tome 7

***

Prologue

Dans un passé lointain, un homme naquit.

Il fut amené à la vie par le premier peuple qui descendit sur Terre, chassé du paradis des dieux…

En d’autres termes, il fut le premier homme façonné par la main du peuple.

 

Dans leur colère, les dieux bannirent l’homme dans un lieu situé au-delà du firmament, le qualifièrent de meurtrier et le maudirent de l’immortalité.

Et ainsi, il devint un criminel. Seuls les derniers de ses frères, et leurs descendants restèrent sur la terre.

 

Débordante de vie, la terre abandonna l’homme et continua à rejeter sa venue.

En retour, il détesta la terre. Alors qu’il était seul dans les ténèbres éternelles, ses larmes et son sang coulèrent à travers le firmament, enveloppant le monde, et donnèrent naissance à de nombreuses sortes de démons.

Au lieu de la générosité, il apporta la civilisation et la guerre à la terre qui lui était refusée. Grâce de lui, les hommes découvrirent le progrès et la sorcellerie, et grâce à lui, les hommes façonnèrent chaque lame de bronze et de fer.

Enfin, ceux qui restèrent sur la surface de la Terre construisent une nouvelle ville qui viola toutes les lois de la terre : une ville artificielle, née de la fibre de carbone, de la résine et de l’acier.

 

Il s’appelait Caïn, source de tous les péchés, père de tous les démons.

Aujourd’hui encore, il sommeille dans le pays au-delà du firmament, rêvant de son retour, afin de se venger du monde.

 

++++

La caverne était enveloppée d’une lumière vacillante. Périodiquement, la flamme arc-en-ciel changeait de couleur et de forme. L’air était blanc et gelé, comme si le temps lui-même s’était arrêté.

Ici, dans le monde creux régi uniquement par la tranquillité et l’isolement, un garçon était allongé, seul. Il avait douze ans, il était encore jeune, à peine sorti de l’enfance. Cependant, il était déjà conscient qu’il était en train de mourir.

Un de ses poumons, son cœur et d’innombrables os et organes internes avaient été emportés par le vent, le sang frais s’éparpillant partout.

Juste avant sa mort, il vit un éclair et un homme-bête géant et féroce, fou de rage, une horde de morts-vivants, et…

Une fille se trouvait dans un cercueil, continuant à dormir alors que des fragments de glace scintillants dansaient autour d’elle comme des plumes dans l’air. Sa chair pâle, aussi blanche qu’un glacier, était tachée de rouge par le sang du garçon — .

 

« Pourquoi ne me crains-tu pas, mon garçon ? »

 

La voix solennelle résonna dans ce monde coupé du temps.

Une ombre géante enveloppée de givre blanc flottait dans l’espace vide. Peut-être était-ce un oiseau monstrueux déployant des ailes de glace, ou peut-être était-ce une sirène ? Sa forme ondulait comme un mirage alors qu’elle regardait froidement le garçon baigné de sang.

Avec un léger tremblement des lèvres, le garçon répondit. « Qui… sait… !? »

Cependant, sa voix n’avait pas fait de bruit. L’enfant avait déjà perdu son corps physique. Par conséquent, son âme avait été mutilée à nouveau, sur le point d’être aspiré dans ce monde vide.

Malgré cela, les yeux du garçon ne révélaient aucune peur. Il souriait faiblement à l’oiseau géant et monstrueux, comme s’il défiait l’évanouissement de sa vie.

« C’est probablement parce que… j’ai encore des trucs à faire… »

L’oiseau monstrueux observait le garçon de ses yeux majestueux et transcendants.

Dans ce monde glacial, sa volonté faisait loi. Si la terreur s’était emparée de lui ne serait-ce qu’un instant — s’il avait accepté sa propre mort — nul doute que l’oiseau aurait immédiatement déchiré son âme de son pouvoir écrasant, comme il l’avait fait pour les innombrables sacrifices humains emmenés dans ce monde auparavant.

Cependant, le garçon n’avait pas détourné son regard. Il avait forcé son corps désordonné à se redresser, exprimant silencieusement sa force d’âme.

D’une voix totalement dénuée d’émotion, l’oiseau monstrueux annonça calmement la vérité.

« Tu as déjà expiré. Il n’y a plus rien que tu puisses faire. C’est la Mémoire du Sang du Quatrième Primogéniteur… un cimetière pour l’accumulation infinie du temps dans une vie éternelle. Nous, immergés dans son sang, nous nous nourrissons des souvenirs du Primogéniteur pour vivre. Tu n’es plus qu’une simple partie de ce tout. »

Sa forme s’était transformée en une belle jeune fille, avec des yeux flamboyants et des cheveux couleur arc-en-ciel flottant comme des flammes. Elle continua.

« Enfant de l’homme mourant, pourquoi ne me crains-tu pas ? Pourquoi prononces-tu mon nom ? »

Le garçon interrompit ses questions d’un cri, comme pour l’envoyer promener. « Tais-toi… ! »

Même si ses bras trempés de sang s’enfonçaient dans le vide, il les retira de là par la force de sa volonté et se leva.

« Ce n’est pas encore fini ! Je pourrais la protéger ! Pour cela, j’utiliserai n’importe quel pouvoir, même celui qui peut détruire le monde entier… ! »

La jeune fille avait souri avec admiration. Il était empreint d’une innocence qui convenait à ses traits de fée.

« Toi, qui n’es pas un Primogéniteur, mais une personne ordinaire, tu te régales de mon éternelle Mémoire du sang — ? »

À partir de l’espace vide, tout ce qu’il avait perdu — son sang, sa chair, ses os, ses organes — avait été restauré. Au lieu d’être consumé, il absorbait la Mémoire du Sang. Lui, un être humain sans pouvoir, utilisant l’infinie « force vitale négative » appartenant seulement aux Primogéniteurs — .

La fille rétrécit ses yeux étincelants. « Le prix… sera cher, pitoyable enfant de l’Homme — »

De sa main serrée, un minuscule fragment de glace apparut. En un clin d’œil, il se transforma en une longue et unique lance — une lance de glace avec une pointe fourchue.

Le garçon tendit sincèrement son bras ensanglanté et il appela le nom de la fille.

« Je le ferai quand même. Alors s’il vous plaît, prêtez-moi votre force… Avrora ! »

À cet instant, les yeux de la jeune fille s’étaient adoucis, retenant des larmes de joie. Un sourire agréable était apparu et elle murmura. « Très bien. Prends-le. »

 

Puis, alors que le garçon se tenait sans défense, la main tendue, elle enfonça la lance glacée profondément dans sa poitrine.

***

Chapitre 1 : Cercueil de la Fée

Partie 1

L’île de Gozo flottait plus ou moins au centre de la mer Méditerranée.

Faisant partie du Commonwealth européen de Malte, elle était avant tout une attraction touristique. Son littoral abondant et varié offrait un spectacle magnifique, et le contraste entre ses falaises grises et la mer bleue charmait de nombreux visiteurs.

Cependant, Gozo était également connue comme une île de ruines.

Chaque coin à l’intérieur de l’île était jonché de tombes souterraines, de cairns en anneau et de bâtiments de pierre géants, réputés être les plus anciens de l’humanité, antérieurs à l’ère néolithique. Même à l’époque moderne, nombre de leurs mystères n’avaient pas été résolus, notamment la question de savoir si des mains humaines ou des divinités puissantes les avaient créés.

Et donc…

Un homme seul se tenait sur le site de fouilles d’une de ces ruines importantes, une tombe souterraine sans nom, et criait énormément.

 

« Whoooooaaa — ! C’est délicieux ! »

 

C’était un Japonais assez beau et grand. Il avait la peau brûlée par le soleil et un visage impétueux. Ses cheveux étaient dans le désordre, comme s’il les avait coupés lui-même avec un couteau, et sa barbe mal entretenue ressortait. Son trench-coat en cuir teint en rouge et son fedora le faisaient ressembler moins à un géomètre des ruines qu’à un membre d’une vieille mafia. Plus que tout, il ressemblait à un détective privé épuisé.

Il était d’âge moyen, peut-être, environ quarante ans — .

L’homme tenait une bouteille de Bajtra, une boisson alcoolisée produite à Malte à base de fruits de cactus. Il était assis profondément dans sa chaise de camping, les jambes écartées, et la buvait avec son repas de midi.

Il porta une saucisse fumée à ses lèvres et il déclara. « N’est-ce pas agréable ? Le ciel bleu, les nuages blancs, la nourriture et du vin savoureux… Ça fait vraiment sentir qu’un homme est vivant. »

La saucisse grossière, également originaire de Malte, dégageait un parfum particulier. Il mangea de sa nourriture avant de prendre une autre gorgée de la bouteille. Presque après coup, il poussa un profond soupir de chagrin.

« Si j’avais avec moi une fille sexy, ce serait vraiment parfait, mais… »

Une femme blanche semblant avoir une vingtaine d’années avait répondu froidement à la plainte de l’homme. « — qu’est-ce que vous essayez de dire, Doc ? »

Bien qu’elle soit habillée comme si elle était en safari, cette femme dégageait un air de compétence, de ponctualité et de classe. Son visage symétrique était à peine maquillé et ses beaux cheveux étaient coupés court. Elle avait l’apparence d’une chercheuse de premier ordre.

Il remarqua son agacement lorsqu’elle s’approcha et, prenant l’expression d’un bâtard se faisant gronder par son maître, gloussa négligemment en lui montrant le magazine de modèles en maillots de bain grand ouvert qu’il était en train de lire.

« Ah… Eh bien, vous voyez, Mlle Caruana, il fait si beau. Ne devriez-vous pas prendre exemple sur les autres filles ici et porter des vêtements un peu moins… restrictifs ? Je pense que ça remonterait le moral de l’équipe de fouille. »

Liana Caruana, conseillère principale de la quatrième équipe de fouille des ruines de Gozo, avait brusquement arraché le magazine des mains de l’homme.

« J’ai le regret de vous informer que de tels services ne font pas partie de mes obligations professionnelles. »

L’homme qu’elle avait appelé « Doc » avait affaissé ses épaules et secoué la tête en signe d’exaspération, mais il semblait amical alors qu’il déplaça son regard vers le buste de Liana.

« Eh bien, n’êtes-vous pas une tête de mule ? Nous avons fait tout ce chemin jusqu’à la Méditerranée, alors pourquoi ne pas jouer le jeu ? Quand on est à Rome, on fait comme les Romains. Je veux dire, pas besoin de s’inquiéter à ce sujet. Dans mon pays natal, nous avons un dicton : les petits seins sont des choses précieuses. Ce n’est pas parce que vos seins sont minuscules qu’ils ne sont pas très recherchés… »

Liana protégea ses seins de ses deux mains, lançant un regard glacial à l’homme.

« La poursuite d’un procès pour harcèlement sexuel est gênante à bien des égards, je préférerais donc que vous ne l’ajoutiez pas à ma charge de travail. Et d’ailleurs, pourquoi ne travaillez-vous pas un peu plus sérieusement avec cette diligence dont les Japonais sont réputés ? De plus, vous semblez avoir l’idée préconçue que les habitants des pays latins sont des gens hédonistes et décontractés. N’oubliez pas que cette île a été un élément crucial de la culture et du commerce méditerranéens depuis l’Antiquité. »

L’homme appelé Doc avait bu la dernière goutte de sa bouteille et s’était efforcé de sourire.

« Je n’ai pas oublié. L’histoire nous dit que c’était le plus ancien Sanctuaire des Démons du monde, qu’il faisait partie de la Fédération impériale de l’Atlantique, et qu’il était la ligne de front d’une guerre brutale depuis l’invasion du Dominion du Second Primogéniteur, Fallgazer. Mais, bon, ça n’a rien à voir avec mon travail. Ce n’est pas comme si nous pouvions faire quoi que ce soit tant que nous n’avons pas aligné tout le personnel dont nous avons besoin. »

« C’est… certainement vrai, mais… »

L’homme parla sur un ton décontracté en prenant une autre saucisse.

« Alors, allons-y doucement. Ce n’est pas comme si quelque chose de bon allait arriver si on s’énervait et qu’on tâtonnait sans savoir… »

L’instant d’après, ils avaient entendu une explosion derrière eux, si puissante qu’ils pouvaient la sentir dans leur poitrine.

Un gigantesque pilier de flammes s’était élevé dans les airs tandis que le sol tremblait. Le nuage de poussière avait bloqué le ciel, l’enveloppant de gris.

Le centre de l’explosion était situé à l’arrière de la zone rocheuse où le couple était assis, ce qui le plaçait près de l’entrée des ruines. L’utilisation d’explosifs sur un site de fouilles n’était pas rare, mais l’explosion était bien trop importante. Une partie des ruines avait été soufflée dans les airs, avec des gravats martelant la terre comme de la grêle. Ils pouvaient entendre les cris d’ouvriers désorientés qui tentaient de s’enfuir et des sons ressemblant à des coups de feu. De toute évidence, la scène ne correspondait pas à une détonation contrôlée. Une sorte de problème inattendu était en cours.

« Ah… ouais. Un peu comme ça…, » dit langoureusement l’homme en regardant la fumée encercler la ruine.

« Ce n’est pas le moment de se détendre ! Mais qu’est-ce qui se passe ? »

« Ah… Hé, Mlle Caruana… »

Plus vite que l’homme ne pouvait lui dire de ne pas le faire, Liana s’était précipitée vers la zone rocheuse et était descendue. Même si les vents soulevés par l’explosion lui frappaient le visage, elle courut imprudemment vers le cœur de l’explosion.

L’homme avait fait un léger claquement de langue et, n’ayant pas d’autre choix, il avait serré la mallette de son fusil bien-aimé en la suivant.

Le nuage de poussière s’était attardé sur la zone alors qu’ils entendaient le beuglement répété des coups de feu.

Les travaux d’excavation de la ruine ayant été suspendus, peu de travailleurs étaient présents, et ils se limitaient déjà à plusieurs membres du groupe de recherche académique envoyé par l’Empire de la Mer du Nord et au personnel de combat de la Corporation Militaire Privée chargé de garder la ruine. Les combattants se battaient contre une ombre sinistre et frétillante à l’intérieur du nuage. Elle ne semblait pas être une véritable créature vivante ni une construction humaine. De plus, elle était d’une taille effrayante. C’était peut-être à cela que ressemblerait un char de combat ultramoderne s’il pouvait marcher debout telle une personne…

Un garde barbu et bien bâti était sorti en courant du nuage de poussière vers eux.

« Gaho ! Donnez-nous un coup de main, Gaho ! Doc ! »

Il s’agissait de l’entrepreneur militaire privé, Dimos Carrozzo, chef des gardes protégeant l’équipe d’enquête sur les ruines. C’était un homme imposant de plus de cent quatre-vingt-dix centimètres de haut. La vue d’un homme de grande taille portant une arme automatique et une ceinture de munitions donnait l’impression d’un énorme sanglier équipé d’un armement moderne. Mais à présent, son corps était blessé de toutes parts, et son visage était déformé par la panique.

Le Japonais appelé Doc s’était adressé à Carrozzo sur un ton léger qui semblait très déplacé. « Heya, Carrozzo. Qu’est-ce qui se passe ? Je t’ai dit de ne pas aller dans la troisième strate, n’est-ce pas ? »

Carrozzo, comprenant que l’homme était juste là, tomba à genoux comme si toutes ses forces l’avaient abandonné.

« Désolé, Gaho… L’équipe d’enquêteurs de l’université de Daktram a rompu l’accord et est partie de son côté… ! »

« Bon sang. Eh bien, je me doutais que c’était quelque chose comme ça…, » murmura-t-il dédaigneusement. « Et aussi, correction. Mon nom n’est pas Gaho. »

Alors que le nuage de fumée commençait enfin à se dissiper, le vrai visage de l’ennemi apparut. Il s’agissait d’une idole aux formes monstrueuses de plus de quatre mètres de haut, revêtue d’une carapace métallique telle une armure — une arme humanoïde. Sa tête géante et sans traits ressemblait à un cachalot, solennel et écrasant. Peut-être avait-elle été modelée d’après un Cetus, un monstre de la mer Méditerranée représenté dans la mythologie grecque.

« Doc, qu’est-ce que c’est que ça… !? » L’expression de Liana s’était crispée.

L’homme hocha la tête avec une joie apparente. « Ah, c’est une sorte de gargouille. J’ai entendu dire que la troisième équipe d’investigation les avait toutes éliminées, mais je n’aurais pas pensé qu’il restait encore quelque chose d’aussi grand… Ça va faire couler de l’encre, hein ? »

Liana se serra la tête, désemparée en regardant l’homme l’admirer comme si ce n’était pas son problème. « Comment pouvez-vous être si désinvolte à propos de… !? »

***

Partie 2

L’idole avait émergé de sous la ruine. Apparemment, il s’agissait d’un type de système de défense automatisé pour expulser les intrus placé dans une tombe, et il s’était réveillé lorsque les membres de l’équipe d’investigation avaient imprudemment pénétré dans la ruine. L’idole s’était alors frayé un chemin à travers les épais murs de calcaire, se frayant un chemin jusqu’à la surface.

Les gardes l’avaient désespérément combattu, mais de simples armes automatiques n’étaient d’aucune utilité contre l’armure de l’idole. Non seulement elle était probablement construite en métal solide, mais sans doute la sorcellerie l’avait-elle encore plus renforcée.

À l’inverse, les faisceaux blancs bleutés de l’idole tranchaient les véhicules blindés des gardes, les enflammant les uns après les autres.

Liana s’était mordu la lèvre face à l’horreur devant ses yeux.

« Argh… ! »

Elle toucha le bracelet à son poignet gauche et semblait sur le point de se précipiter vers l’idole toute seule lorsque son compagnon l’attrapa par le col et la retint de force.

« Ne soyez pas si pressée, Mlle Caruana. Il faudrait un vampire primogéniteur pour vaincre un tel monstre par la force brute. Si nous ne réfléchissons pas, nous ne ferons qu’aggraver les dégâts. »

« M-Mais… ! »

Liana grimaça en jetant un regard à l’homme. Juste à côté d’eux, Carrozzo engageait désespérément le combat contre l’idole. Mais ni les balles ni les tirs directs de grenades n’étaient capables de rayer l’armure.

Carrozzo cria. « Ne peux-tu pas faire quelque chose, Gaho ? À ce rythme, on est tous fichus ! »

L’homme soupira d’agacement en passant une main sur le rebord de son fedora. « Je vous l’ai déjà dit, ce n’est pas Gaho… » Puis il prit une photo de l’idole debout avec son téléphone portable, et murmura sur un ton étrangement optimiste. « Cela ressemble beaucoup au Nalakuvera de Mehelgal Numéro Neuf… Ce n’est pas tant un piège contre les creuseurs qu’un protecteur de tombe… un gardien qui s’assure que ce qui est à l’intérieur ne se réveille pas. On dirait qu’on a touché le jackpot. »

Alors que l’homme continuait ses observations calmes, Carrozzo lui lança un regard furieux. « Gaho ! »

L’homme s’était moqué de l’énorme garde impatient.

« Ne vous inquiétez pas, Carrozzo. C’est le gardien de la ruine. Il n’attaquera pas les gens s’ils sont en dehors de la zone. Tant que l’équipe d’investigation ne se bat pas inutilement, il va juste… »

Avant qu’il ait pu finir sa phrase, de la fumée et des flammes avaient enveloppé l’idole. Une roquette l’avait frappée de plein fouet. Des renforts de l’armée privée étaient venus en courant du camp de base et avaient utilisé un lance-roquettes portable.

L’idole avait été directement touchée par une ogive antichar à haute explosivité, mais elle n’en était pas moins indemne. Elle avait immédiatement commencé sa contre-attaque contre les gardes qui lui avaient tiré dessus.

Les rayons blancs bleutés de l’idole provenaient en fait d’un canon laser très puissant, capable de faire fondre un gros rocher en un instant. Les flammes avaient englouti le camp de base de l’équipe de fouilles. Les gardes armés n’étaient pas la seule cible de la contre-attaque : l’idole avait commencé à attaquer sans discernement l’équipement utilisé pour l’exploration des ruines, les tentes du camp de base, et même les membres de l’équipe eux-mêmes qui couraient dans la confusion. Ce n’était qu’une question de temps avant que le camp de base ne soit anéanti.

L’homme avait mis une main sur ses yeux en signe de consternation.

« Hoo boy… Eh bien, ce n’est pas bon. »

L’idole modélisée selon un Cetus avait apparemment enregistré toute l’équipe de fouille comme une force ennemie. Il y avait peu de doutes — elle ne s’arrêterait pas tant que chaque être humain dans la zone n’aurait pas été détruit.

Liana s’empressa de le presser. « Doc... ! »

« Oui, oui. J’aurais préféré le récupérer intact pour l’étudier, mais il semble que nous ayons largement dépassé ce stade. »

L’homme avait gentiment détourné ses paroles en posant le sac à fusil qu’il portait. L’arme qu’il en avait retirée était un fusil de précision de 1,8 mètre de long pesant environ trente kilogrammes, à peu près. Sa puissance de feu était si massive que le terme canon lui semblait plus approprié que celui de fusil.

Liana fixa d’un regard vide l’arme ridiculement grande, oubliant même de cligner des yeux. « Un… un fusil antimatériel !? »

« Avec un canon de vingt millimètres de diamètre. Il pèse une tonne, mais j’ai pris la bonne décision en acceptant de le trimballer. »

Parlant comme un enfant qui se vantait de son jouet préféré, l’homme plaça le fusil au sommet d’un trépied.

L’idole s’était lentement tournée vers lui, sentant peut-être les intentions de son ennemi. Malgré cela, l’homme ne s’était pas précipité. Il avait lentement chargé une balle et avait soigneusement visé.

L’idole, maintenant complètement tournée vers lui, avait ouvert le port du canon laser sur sa tête et avait commencé à ouvrir le feu.

Quand soudain, l’homme avait appuyé sur la gâchette, projetant une balle accompagnée d’un fort boom. Sa cible était ce port laser — la seule brèche dans l’armure de l’idole.

Quel que soit son calibre, une simple balle de fusil ne pouvait pas détruire une idole qui avait résisté à un tir de roquette antichar. L’avantage du fusil antimatériel résidait dans la précision de la trajectoire de la balle pour le tir de précision.

L’obus avait plongé dans l’interstice du blindage, large de quelques centimètres à peine, presque comme s’il était aspiré, et avait ravagé mortellement les mécanismes délicats à l’intérieur de l’idole. Le port de tir étant détruit, l’énergie du canon laser haute puissance avait perdu son exutoire et explosa en un éclair blanc bleuté.

Liana serra les deux poings et cria de joie.

« Vous l’avez fait… ! »

C’était le premier vrai dommage infligé à l’idole après qu’elle ait repoussé tant d’attaques. Cependant, l’expression de l’homme n’avait pas changé.

« Non, pas encore… »

Observant le golem endommagé avec un intérêt intense, il déchargea calmement sa douille.

L’idole avait cessé de bouger immédiatement après l’explosion, mais elle s’était remise en marche rapidement, marchant droit vers l’homme au fusil. Apparemment, l’explosion du canon laser n’avait pas infligé de dégâts mortels. Le géant en armure semblait avoir l’intention de piétiner l’homme. De plus, la zone autour du canon laser « détruit » se tortillait comme une créature vivante qui commençait à se réparer.

Liana avait crié. « … Il se régénère !? »

« Eh bien, ça se comprend. Mis à part les bizarreries, c’est un héritage des Devas. Ça ne suffira pas pour le vaincre. »

« Comme je m’y attendais, » murmura l’homme, un sourire satisfait sur le visage. C’est Liana qui avait été secouée.

« D-Doc — ! »

Carrozzo, qui n’avait plus de balles, semblait presque prêt à pleurer en criant à l’homme. « Qu’est-ce qu’on va faire, Gaho ? Comment va-t-on faire pour abattre cette chose !!? »

Sans doute voulait-il vraiment s’enfuir, mais son devoir de garde ne permettait pas une telle lâcheté. Il fallait au moins qu’ils gagnent du temps pour que les gens du camp puissent fuir.

En revanche, l’expression de l’homme était joyeuse, comme s’il profitait de la crise.

« Ne vous inquiétez pas. Maintenant, j’ai une assez bonne idée de son schéma rituel de locomotion. Ces types de gargouilles ont toute une faiblesse commune — et ma prochaine balle est une commande spéciale. »

L’homme avait sorti une cartouche neuve de son trench-coat en cuir. C’était une balle en or avec une pierre précieuse. Il y avait un motif étrange gravé sur la douille.

« Même s’il s’agit de l’héritage d’une ancienne civilisation, » continua-t-il, « il n’y a pratiquement aucun moteur interne qui permette à quelque chose de continuer à bouger pendant des milliers d’années, c’est pourquoi beaucoup de gargouilles tirent leur énergie magique des ruines elles-mêmes. Donc si vous envoyez un excès d’énergie magique à travers ce circuit — . »

L’homme chargea la cartouche suivante dans le fusil et se prépara à tirer à nouveau. Il visa la poitrine de l’idole et appuya calmement sur la gâchette. Avec le boom qui l’accompagnait, la balle dorée s’écrasa contre le torse du géant.

 

 

Bien sûr, une balle de fusil antimatériel n’avait pas la force nécessaire pour pénétrer l’armure de l’idole. La balle s’était instantanément brisée en d’innombrables petits fragments, libérant simultanément une énorme poussée d’énergie magique qui s’était cristallisée en un grand cercle magique.

Liana, réalisant la vraie nature de la balle que l’homme avait tirée, lui avait jeté un regard choqué.

« Une balle magique… !? »

Les balles magiques étaient des projectiles spéciaux dont les cartouches étaient faites de métaux précieux et qui renfermaient d’énormes quantités d’énergie magique. Il en existait très peu, et les armes qui pouvaient les tirer étaient encore plus rares. Elles étaient si chères que leur utilisation était considérée comme exclusive à une fraction de la royauté, cependant, chaque balle contenait un énorme pouvoir.

« Où diable avez-vous trouvé un truc pareil ? » demanda Liana.

L’homme avait fait un sourire charmant et décontracté en se levant.

« Je vous l’ai dit, commande spéciale. »

Le match avait été décidé. L’idole au corps humanoïde et à la tête de baleine, emprisonnée par le cercle magique, lançait des rayons tout autour d’elle en s’écroulant. L’énorme énergie magique libérée par la balle magique avait surchargé le rituel magique qui animait l’idole, la poussant à s’autodétruire.

Carrozzo avait jeté son arme de côté en se levant, riant de bon cœur en allant serrer l’homme dans ses bras.

« Ha-ha… Tu l’as fait… Je savais que tu pouvais le faire, Gaho… ! »

Le visage de l’homme se renfrogna et il écarta Carrozzo d’un coup de pied bourru. Carrozzo, né dans la péninsule ibérique, avait du mal à prononcer les noms japonais. L’homme semblait en avoir assez de ça, emportant avec lui le fusil dont le canon grésillait.

« Je vous l’ai déjà dit… Ne m’obligez pas à me répéter, Carrozzo. Mon nom ne se prononce pas Gaho. C’est Gajou. »

Liana se tenait à l’écart des deux hommes et écoutait leur conversation. Elle murmurait, comme pour s’assurer que personne ne l’entendait, regardant longuement le dos couvert de poussière de l’homme pendant qu’elle parlait…

« Gajou… Gajou Akatsuki… »

***

Partie 3

Lorsque Kojou Akatsuki avait atterri à l’aéroport de la région autonome de Rome, sur la péninsule italienne, c’était déjà le printemps, juste après la mi-mars. Il avait dû changer d’avion pour se rendre à Malte, une île de la Méditerranée.

Il n’y avait qu’un seul autre passager avec lui : Nagisa Akatsuki, sa petite sœur. Leur mère avait voyagé avec eux au début, mais s’était séparée lorsqu’ils s’étaient arrêtés à Hong Kong.

Kojou venait de terminer l’école primaire, et Nagisa avait un an de moins. Normalement, les deux enfants ne devraient pas voyager seuls hors du pays à cet âge, mais les circonstances dans la famille Akatsuki étaient quelque peu particulières.

Leur mère, employée par le conglomérat international MAR, avait passé près de la moitié de l’année à travailler à l’étranger. Leur père séjournait à Malte pour l’excavation et l’exploration d’une ruine qui devait commencer en mars.

Et c’est ainsi que Kojou et Nagisa, coincés entre deux parents globe-trotters, avaient déjà plusieurs expériences de voyages à l’étranger. Leur père avait insisté pour qu’ils viennent aussi cette fois-ci, et ils avaient donc fait le long voyage depuis le Japon.

Nagisa Akatsuki, onze ans, était sortie dans le hall d’accueil de l’aéroport, haussa la voix en signe d’admiration tandis qu’elle contemplait le paysage.

« Wôw… ! Regarde, Kojou. Un pays étranger ! Des étrangers partout ! Tous les panneaux sont dans d’autres langues ! Wôw, ça fait vraiment longtemps ! »

Ils avaient récupéré leurs bagages tandis que Kojou murmurait d’une voix qui n’était pas encore profonde. « Eh bien, c’est un pays différent… Et hé, nous sommes les étrangers ici. »

Nagisa était étrangement excitée, probablement parce qu’elle avait été enfermée dans le fuselage d’un avion pendant si longtemps. Même sans cela, ses longs cheveux noirs, qui descendaient jusqu’à ses hanches, la mettaient en valeur. Kojou était gêné, car il avait l’impression que tout le monde les regardait.

Nagisa avait gazouillé. « Qu’est-ce qu’il y a, Kojou ? Ne te sens-tu pas bien ? Ah, un chariot de nourriture en vue ! Ça a l’air délicieux ! Biscotti ! Biscotti, s’il vous plaît ! Quatre ! Quattro ! »

Nagisa serra les pièces qu’elle venait d’échanger et se précipita vers un chariot de nourriture dans le hall. L’employé avait répondu de manière serviable, « Deux devraient suffire, », mais Nagisa avait insisté pour quatre et avait commencé à marchander le prix dans un italien approximatif.

« … Comme d’habitude, » fit remarquer Kojou.

Après avoir terminé son achat, Nagisa avait posé pour une photo avec un autre passager qui avait demandé une photo avec elle, tandis que Kojou regardait de l’autre côté. Elle s’était adaptée très rapidement.

En la regardant fixement lorsqu’elle était enfin revenue, Kojou avait poussé un long soupir. « Tu as l’air heureuse. »

Nagisa inclina un peu la tête en regardant le visage de Kojou. « Eh bien, c’est sûr que ce n’est pas ton cas, Kojou. N’est-ce pas du gaspillage de ne pas s’amuser quand on n’a pas été à l’étranger depuis une éternité ? Veux-tu manger des biscuits ? Je t’en donne la moitié. »

Kojou avait répondu avec un bâillement.

« Non, je passe mon tour. Bon sang, tu as mangé dans l’avion, et maintenant tu manges à nouveau ? »

Le décalage horaire entre le Japon et Rome était de sept heures. Son corps était léthargique à cause du décalage horaire. Maintenant qu’ils avaient atteint Malte, il restait encore une heure et demie avant le prochain vol.

« Merde, » grommela Kojou. « C’est la faute de papa qui nous a envoyé des billets d’avion pas chers. Il y a trop d’escales. Et de toute façon, c’est peut-être un voyage à l’étranger, mais nous allons vraiment aider papa dans son travail, non ? »

Le ton de Nagisa avait un peu baissé. « … Ouais. Désolée de t’avoir entraîné avec moi, Kojou. »

Leur voyage était une chance de voir leur père, mais à proprement parler, il n’avait demandé que Nagisa. Kojou n’était que son chaperon.

« Hé, ce n’est pas comme si tu avais besoin de t’excuser. Alors qu’est-ce qu’on devrait faire maintenant ? »

« Hmm, Gajou a dit que son ami viendrait nous chercher. Il a dit d’attendre près du comptoir de la compagnie aérienne… Oh, c’est vrai, il m’a donné une carte. »

Nagisa avait commencé à sortir des objets de la poche de son manteau. Kojou tenait les bagages et la regardait nonchalamment lorsque quelqu’un s’était soudainement heurté à son épaule de manière assez brutale. L’homme, un étranger de petite taille, avait affiché un regard confus lorsqu’il avait parlé.

« Scusi — . »

Kojou ne pouvait pas comprendre ce qu’il voulait dire, mais apparemment l’homme s’excusait. Il avait l’air d’avoir une trentaine d’années, à peu près, et était habillé de vêtements simples qui le faisaient se fondre dans la foule.

« Ah, désolé… Euh… mi dispiace ? » répondit Kojou en utilisant un italien dont il se souvenait à moitié.

L’étranger avait fait un sourire satisfait à Kojou. « Hein… ? Di niente. Buon viaggio, stronzo — . »

« Ah, merci, merci. Grazie, grazie. »

Kojou avait regardé l’homme souriant saluer et partir. Soudain, Nagisa avait sursauté, levant son visage et désignant l’homme.

« Kojou, mon sac — ! »

« Hein… ? »

L’étranger, réalisant que Nagisa avait commencé à s’alarmer, s’était soudainement mis à sprinter. Il portait le sac de Nagisa, que Kojou tenait sous son bras après qu’elle le lui ait donné. Dès que leurs épaules s’étaient heurtées, l’homme l’avait volé, ainsi que son contenu : les billets d’avion, le passeport, la carte bancaire et d’autres objets précieux.

« Bâtard — ! »

À cette seconde, l’esprit de Kojou était devenu blanc, bouillonnant de rage. Au moment où il avait réalisé ce qui s’était passé, son corps s’était mis à courir à toute allure. Il avait poursuivi le voleur de sac à main avec une vitesse féroce bien au-delà de la capacité d’un enfant typique. Cependant, l’adversaire ne courait pas moins désespérément. Bien que Kojou ait progressivement réduit la distance, le rattraper n’était pas une tâche facile. Si le voleur réussissait à sortir de l’aéroport, il serait presque impossible pour Kojou, ignorant de la configuration du terrain, de le rattraper.

Je ne vais pas y arriver — ! Kojou se désespérait, mais à ce moment précis, un voyageur solitaire marcha calmement devant le voleur. C’était une fille d’Asie de l’Est plus petite que Kojou et Nagisa. Vêtue d’une robe extravagante à froufrous, elle ressemblait à une belle poupée.

« — Per Dio ! »

Le voleur de sac avait apparemment choisi de faire tomber la fille sur le côté plutôt que d’essayer de l’éviter. Il avait foncé droit sur elle sans perdre de vitesse. L’instant d’après, l’ombrelle dans la main de la jeune fille s’était légèrement élancée.

L’action avait peut-être surpris le voleur, car il avait perdu pied comme s’il avait trébuché sur une marche invisible et était tombé en avant avec une grande force. Même dans ce cas, il s’était immédiatement relevé pour tenter de fuir à nouveau, mais Kojou l’avait rattrapé avant.

Kojou avait coupé le chemin de retraite du voleur de sac. « — Je reprends le sac de Nagisa. »

« Figlio di puttana… ! »

Le voleur irrité fit claquer sa langue et sortit un couteau, le faisant tourner dans le but d’intimider Kojou, qui baissa sa position, fixant silencieusement l’homme en se souvenant de l’époque où il jouait en défense au basket à l’école primaire.

Bien sûr, Kojou n’était pas armé et avait un désavantage de taille. Mais bizarrement, il ne ressentait aucune peur. En observant les choses calmement, il pouvait voir des tonnes d’ouvertures dans les mouvements de l’homme. Il était tombé dans les feintes maladroites de Kojou si facilement que c’en était drôle.

L’homme, apparemment à bout de nerfs, s’élança vers Kojou avec son pied en avant. À cet instant, Kojou s’était glissé dans le flanc de l’homme et avait récupéré le sac volé comme s’il volait un ballon de basket.

Kojou lui montra les bagages récupérés, ses lèvres se retroussant férocement.

« Désolé, mon vieux. C’est moi qui ai le ballon. »

L’homme avait regardé le sac récupéré, avait gémi, et avait lancé une sorte d’insulte grossière en s’enfuyant en courant. En le regardant par-derrière, Kojou était devenu mou, complètement épuisé.

Kojou était encore exsangue lorsque la fille à la robe extravagante lui adressa la parole.

« Hmm, hmm. Pas mal du tout, morveux. »

D’après son apparence, elle semblait plus jeune que Kojou, mais son ton de voix et son comportement étaient hautains et distants. Pourtant, cela semblait lui convenir étrangement bien.

« Pareil pour vous. Il m’a volé des affaires. Hé, qu’est-ce que vous lui avez fait, au fait ? »

« Ne sois pas indiscret. J’ai donné un coup de main sur un coup de tête, et c’est tout. »

La fille en robe avait ri avec grâce. Kojou avait inconsciemment laissé échapper un gloussement assez tendu. Son attitude était plus imposante qu’elle ne l’était, mais même si elle était étrangement menaçante, c’était une fille difficile à détester.

Nagisa, essoufflée, avait finalement rattrapé son frère.

« Kojou ! »

Constatant par elle-même qu’il était sain et sauf, ses sourcils s’étaient froncés dans un regard boudeur.

« Bon sang, ne sois pas aussi imprudent. Qu’est-ce qui se passerait si tu te blessais dans un endroit comme celui-ci !? »

« C’est bon. Quelqu’un m’a aidé, moi aussi. »

« Eh ? Qui ? »

Lorsque Nagisa lui avait demandé cela avec confusion, les yeux écarquillés, Kojou avait détourné son regard.

« Qu’est-ce que tu veux dire qu… ? »

La fille en robe, dont il était sûr qu’elle était là quelques instants auparavant, n’était plus là. C’était comme si elle s’était tout simplement fondue dans l’air sans laisser de trace — .

« Eh bien, c’est bizarre. Il y avait une Japonaise habillée bizarrement ici il y a une seconde… Je pense qu’elle avait, genre, ton âge. »

Nagisa le regarda fixement tandis qu’il tâtonnait pour trouver une explication. Elle soupira, exaspérée.

« … Bon, tant que tu vas bien… »

D’une manière ou d’une autre, ils avaient réussi à récupérer leurs bagages, mais le voleur avait créé une certaine agitation dans l’aéroport. Cette fois, ce n’était certainement pas l’imagination de Kojou que tout le monde les regardait.

Peut-être que nous devrions y aller à pied avant d’avoir plus de problèmes, Kojou avait considéré cela, quand une femme qu’il n’avait pas reconnue a traversé les curieux, les appela alors qu’elle s’approchait. C’était une jeune femme caucasienne habillée d’un costume bleu marine. Elle portait un maquillage minimal, mais elle était très attirante et donnait l’impression d’être une secrétaire compétente pour un président d’entreprise.

« — Pardonnez-moi, mais seriez-vous Nagisa Akatsuki ? »

« Oui, je le suis… Ah, et vous êtes ? » Nagisa était un peu décontenancée en répondant.

La femme avait répondu dans un japonais courant. « Je suis Liana Caruana. Le professeur Gajou Akatsuki m’a demandé de venir vous chercher. »

« Eh !? Alors vous êtes l’amie de Gajou… euh, de mon père, alors… ? »

« Oui. J’ai été affectée à la quatrième équipe de fouille conjointe des ruines de Gozo en tant que conseillère principale, » avait-elle répondu d’un ton sérieux.

Le fait d’être la conseillère principale à un si jeune âge impliquait qu’elle était aussi capable qu’elle en avait l’air… et elle était belle, en plus.

Kojou et Nagisa avaient échangé des regards, murmurant avec une certaine résignation.

« Je suppose que c’est pour ça que maman était de mauvaise humeur quand papa a appelé. »

« Même avec son allure, Gajou est étrangement populaire avec les dames, hein… »

Liana avait exprimé une certaine inquiétude. « Hum… Quelque chose ne va pas ? »

Nagisa arrangea les choses avec un vague sourire et inclina courtoisement la tête. « Non, rien du tout. Ah-ha-ha-ha. C’est un plaisir de vous rencontrer. »

***

Partie 4

Lorsque Kojou et son petit groupe étaient arrivés sur l’île de Gozo, un véhicule militaire à quatre roues motrices, légèrement blindé, les attendait. Liana prit le volant, traversant Città Victoria au centre vers le côté opposé de l’île.

La richesse naturelle de Gozo en avait fait un aimant pour les touristes, mais l’île était également inscrite au patrimoine mondial en raison de ses ruines antiques. Parmi celles-ci, une ruine particulièrement célèbre était un temple de pierre géant connu sous le nom de Temple de G˙gantija.

Liana s’était expliquée, et Kojou avait répondu de manière superficielle.

« Ce temple est l’un des plus anciens du monde, construit à l’âge néolithique il y a environ cinquante-cinq cents ans. Selon la légende locale, le temple a été construit par une géante appelée Sansuna. Le nom G˙gantija signifie Tour des géants. »

« Géant… hein ? »

Liana avait certainement une connaissance encyclopédique des ruines, digne du conseiller d’une équipe de fouille. Cependant, Kojou, n’étant pas un expert en la matière, ne comprenait pas plus de la moitié de ce que la jeune femme disait.

Elle poursuivit.

« Les êtres appelés géants auraient régné sur le monde avant l’émergence de l’humanité, un thème mythologique que l’on retrouve sur toutes les terres. La mythologie grecque a les Titans, la mythologie nordique les Jötunn, la mythologie chinoise les Pangu, l’Ancien Testament les Nephilim… Il est écrit qu’il s’agissait de descendants d’Adam et Eve qui dominaient les humains. »

Nagisa, assise à l’arrière, observait Liana à travers le rétroviseur. « Alors vous, Gajou et les autres, vous étudiez la légende de ces géants ? »

La question avait jeté un regard quelque peu perplexe sur le visage de Liana.

« Ne me dites pas que vous n’avez rien entendu de la part de Doc ? »

Avec peu d’enthousiasme, Kojou et Nagisa avaient hoché la tête et avaient dit à l’unisson. « Rien du tout. »

Liana se mordit un peu la lèvre. « C’est… tellement… ? Alors pourquoi le docteur… ? » murmura-t-elle, surtout pour son propre compte.

Nagisa, décidant qu’il valait mieux changer de sujet, avait appelé Liana d’une voix enjouée. « Ah, au fait, Liana, ce bracelet… Est-ce que c’est un… ? »

Liana avait levé sa main gauche.

« Un bracelet ? Vous voulez dire ce bracelet d’enregistrement ? »

Le bracelet autour de son bras était environ deux fois plus épais qu’une montre. C’était un bracelet d’enregistrement des démons — spécialement fabriqué dans les Sanctuaires des démons pour garantir la sécurité et prouver l’identité d’un démon, ainsi qu’un émetteur pour surveiller ce démon.

« C’est ce que je pensais ! Alors vous êtes un démon, Liana ? » répliqua Nagisa.

En voyant sa surprise, Liana était apparue quelque peu dépitée.

« O-Oui. Je suis une vampire née dans l’Empire du Seigneur de Guerre. Je suis également ici pour protéger l’équipe de fouille, vous voyez. »

Même si le Traité de la Terre Sainte était en vigueur depuis plus de quarante ans, un nombre considérable d’humains craignaient et détestaient encore les démons. Liana devait s’inquiéter de la réaction de Nagisa, maintenant qu’elle connaissait la vraie nature de cette femme.

Mais les yeux de Nagisa avaient pétillé comme pour faire disparaître ces inquiétudes.

« Wôw, c’est génial ! C’est la première fois que je parle à quelqu’un de l’Empire du Seigneur de Guerre. Oh, c’est vrai, cette île est aussi un sanctuaire pour les démons. Je suis surprise que Gajou ait une si jolie amie vampire… Depuis combien de temps vous connaissez-vous ? La lumière du soleil est vraiment forte sur cette île. Est-ce que vous allez bien ? »

« Er, ah… Umm, c’est… »

Kojou était intervenu à contrecœur avant que l’interrogatoire rapide de Nagisa n’aille plus loin.

« … Restons-en là, Nagisa. Tu fais peur à Liana. »

Liana était encore sous le choc alors que Kojou esquissait un sourire et inclinait la tête.

« Désolée. Elle parle beaucoup. »

Liana soupira, mais sourit agréablement.

« … Vous êtes un duo assez excentrique, comme je l’attendais des enfants de Doc. »

Ce n’était probablement pas seulement l’imagination de Kojou qu’elle semblait… heureuse. Il avait répondu. « Je ne suis pas sûr de comprendre tout ça, mais il n’y a aucune chance que ce soit un compliment, non ? »

Liana avait éclaté de rire.

« Hee-hee, pardonnez-moi. »

Même si sa première impression était très correcte, son visage souriant et non dissimulé était tout simplement adorable.

Kojou avait regardé le mur de pierre d’une ruine qui s’éloignait et il avait demandé. « Est-ce que ça va ? Nous sommes passés juste à côté. »

« C’est bien, puisque le temple de G˙gantija n’est pas la ruine que nous étudions. »

« Alors, c’est donc une autre ruine, non ? »

« Oui. L’année dernière, une tombe souterraine a été découverte sur une colline à environ deux kilomètres d’ici. Elle n’a pas de nom officiel. Nous l’appelons le Cercueil de la Fée. »

« Une tombe souterraine ? Une crypte ? »

« Oui. Je pense que c’est une ruine qui date d’avant ou d’après la purification. »

« La purification… ? C’est sur ça que papa fait des recherches, n’est-ce pas… ? » Kojou n’était pas très confiant.

Pour une raison inconnue, les joues de Liana rougirent et elle acquiesça. « Oui, c’est vrai. Il reste des traces d’un grand génocide et d’une destruction à grande échelle dans tous les coins du monde… on dit que c’est la Grande Calamité provoquée par le Quatrième Primogéniteur. »

« Hein… »

Le père de Kojou et Nagisa, Gajou Akatsuki, était un archéologue, mais pas le genre studieux qui s’assoit dans un bureau et étudie calmement des documents anciens. Il travaillait sur le terrain, se glissant dans tous les pays en guerre de la planète pour piller dans la confusion des antiquités non gardées, un peu mieux qu’un pilleur après un incendie.

Le thème de la recherche de Gajou était un événement connu sous le nom de « purification ». Il était enregistré dans les bibles de l’Église occidentale et était apparemment un incident important au cours de l’histoire.

« Mais ce n’est qu’une légende, non ? » demanda Kojou. « J’ai entendu dire que personne n’avait trouvé de preuve solide que ça s’était vraiment passé… »

Pour une raison inconnue, Liana avait pris un air morose en marmonnant. « Exact. Ce serait bien si ce n’était qu’une légende, mais… »

Kojou pensait que son attitude était un peu suspecte, mais avant qu’il puisse poursuivre avec une question, la voiture avait quitté la route principale, entrant dans un tronçon rugueux, parsemé de rochers. Apparemment, la ruine était juste devant.

Liana s’accrocha désespérément au volant en disant. « Je le vois maintenant. C’est le camp de base de l’équipe de fouille. »

La voiture tremblait violemment alors qu’elle se déplaçait sur une grande section de roche inégale. C’était si grave qu’un dialogue imprudent pouvait entraîner une langue mordue.

Enfin, ils arrivèrent au camp de base, un ensemble de tentes et de huttes préfabriquées. Plusieurs machines d’excavation lourdes étaient à l’arrêt, et il n’y avait pas grand-chose de visible qui puisse être considéré comme du matériel de topographie. Au lieu de cela, ce qui ressortait était les gardes armés de la Société militaire privée et leurs voitures blindées lourdement équipées. Cela ressemblait plus à la base avancée d’une unité de guérilla qu’au site de fouilles d’une ruine.

Nagisa et Kojou avaient parlé chacun de leur côté en sortant de la voiture.

« Wôw, beaucoup de gardes ici. Peut-être qu’il y a un trésor enterré ? »

« Si c’était le cas, je suis sûr que papa l’aurait pris en premier et se serait enfui… »

À l’improviste, un homme s’était approché et leur avait enlacé les épaules par-derrière.

« Qui fait quoi ? »

Il était d’âge moyen, portait un fedora et une veste en cuir, avec une odeur d’alcool et d’explosifs qui planait sur lui.

Réunie avec son père après si longtemps, Nagisa avait levé les yeux au ciel avec joie. « Gajou ! »

Gajou avait soulevé sa fille avec désinvolture et l’avait hissée sur son épaule comme si elle était une petite enfant.

« Ohh, Nagisa ! Je pensais qu’un ange était arrivé, et il s’avère que c’est ma propre fille ! Ha-ha, c’est bon de t’avoir ici. Es-tu devenue encore plus belle depuis la dernière fois que j’ai posé les yeux sur toi ? »

Nagisa, au sommet de son épaule, avait objecté alors que ses joues rougissaient. « Attends un peu… Gajou, tu me fais honte ! »

Gajou avait continué à sourire de bon cœur avec son visage brûlé par le soleil.

« Tu dois être fatigué par ce long voyage. Ne t’est-il rien arrivé de grave ? »

« Non, parce que j’avais Kojou avec moi. »

« Hm… Kojou ? »

À ce moment-là, Gajou sembla enfin se souvenir qu’il avait un fils. Avec un regard complètement mystifié, il avait demandé d’un ton plutôt direct. « Hé, l’avorton. Qu’est-ce que tu fais ici ? »

« Je suis son chaperon, chap-er-un ! Comme si on pouvait laisser Nagisa partir en voyage toute seule ! »

Avec le petit gabarit de Nagisa reposant toujours sur son épaule, Gajou avait posé une main sur son menton et avait réfléchi à quelque chose.

« … Je ne pense pas que tu seras utile tant que tu seras là, mais… oh, bien. Ne te mets pas en travers de mon travail, avorton. »

Kojou avait retroussé ses lèvres en signe de ressentiment. « Tu traites Nagisa différemment de moi. Tu es un père de merde. »

Certes, il était agacé, mais il était aussi habitué à la langue de bois de cet homme. Quand on voit ça comme du badinage entre deux hommes égaux, ça ne semble pas si grave.

Gajou redirigea la conversation. « Et si on mangeait quelque chose ? La cuisine sur cette île est plutôt bonne. Les saucisses spéciales et la bière locale se marient très bien. »

Kojou avait ressenti un mal de tête soudain à cause des bêtises typiques de Gajou.

« Je suis encore mineur, tu sais ! »

Mais Nagisa, habituellement la première à se plaindre dans un moment pareil, ne les écoutait même pas parler.

« Nagisa… ? » demanda son frère.

Remarquant le changement de comportement de la jeune femme, Gajou murmura gravement. « Elle l’a remarqué, hein… ? »

La jeune fille regardait en silence la base des rochers. C’était une entrée en pierre pour un passage qui rappelait un sanctuaire.

Ce n’était pas du tout une ruine magnifique. La roche volcanique brun-rougeâtre était dans un état pitoyable, érodée par le vent et la pluie, et elle n’avait pas été décorée d’une quelconque manière. Des épaves de véhicules détruits jonchaient la zone. Peut-être y avait-il eu une sorte d’accident pendant l’excavation.

Mais plus que cela, une présence étrange planait au-dessus de l’endroit. Il y avait un sentiment oppressant, une sorte de majesté intérieure qui disait aux autres de ne pas s’approcher à la légère.

« Est-ce… une ruine ? » demanda Kojou.

« Ouais. Une relique de la purification — le cercueil de la douzième fée. »

« Le cercueil… Cercueil… »

Kojou s’était demandé comment cet écho poétique dans sa bouche se heurtait à la platitude de la ruine.

Nagisa avait continué à examiner silencieusement la structure de loin, comme si elle était captivée par quelque chose…

***

Partie 5

Avant le lever du jour le lendemain matin, Kojou et Nagisa s’étaient glissés hors du camp de base, en direction de la forêt voisine.

À Malte, qui était entourée par la mer, l’eau douce était une denrée précieuse. En revanche, l’île de Gozo était relativement riche en eau grâce à ses sources naturelles.

Nagisa avait immergé son corps dans une de ces petites sources. Ce bain devait lui permettre de faire le vide dans son esprit et de se débarrasser de toutes ses impuretés.

Le climat méditerranéen de Malte était réputé pour être tempéré, mais il faisait tout de même assez froid ce matin-là. La seule chose qu’elle portait était un mince maillot de corps blanc. Le tissu imbibé d’eau collait à sa peau, rendant le corps de la petite fille encore plus petit.

Nagisa avait crié à Kojou, qui attendait dans l’ombre d’une zone rocheuse.

« Fais le guet pour que personne ne vienne, Kojou ! »

« C’est ça, » répondit Kojou avec un signe de la main désordonné. Il ne pensait pas qu’il y avait des pervers prêts à mater une enfant dans son bain dans un terrain vague éloigné de toute habitation humaine, mais il ne pouvait pas la laisser partir seule, alors il l’avait suivie.

Mais Nagisa avait regardé dans la direction de son frère, pensive et elle avait dit « Et ne regarde pas non plus, Kojou ! »

« Comme si je le voulais ! »

« Quoi — !? Je t’ai dit, ne regarde pas par là ! »

Nagisa, qui venait de terminer son bain et était en train de se changer, avait glapi. Elle lui avait jeté quelque chose. Une serviette de bain mouillée avait bloqué sa vision, suivie d’une botte en cuir qui l’avait solidement frappé, provoquant un gémissement.

« Kojou, tu saignes du nez ! Tu es dégoûtant ! »

Il s’était opposé férocement à cette calomnie inqualifiable. « C’est parce que tu m’as frappé avec ta botte !! »

Pendant ce temps, Nagisa avait fini de se changer en tenue de demoiselle du sanctuaire, avec une robe blanche et une jupe plissée rouge. Ses longs cheveux noirs étaient attachés avec une cordelette en papier torsadé.

« Désolée pour l’attente ! Très bien, allons-y. C’est pour ça que je suis venue ici, alors je dois faire de mon mieux ! »

Kojou se tenait encore le nez quand il avait dit d’une voix étouffée. « Pas besoin d’en faire trop. Ce n’est pas comme si tu devais aider papa dans son travail. »

Nagisa avait levé les yeux vers lui avec un sourire taquin. « Oui, mais ces ruines m’intéressent aussi. »

La jeune fille en tenue de jeune fille de sanctuaire marchait d’un pas vif, les talons de ses chaussures en bois claquant sur le sol. Elle continua. « Tu vois, je sens une triste présence dans les ruines. »

« Une triste présence… ? »

« Comme s’il y avait… quelqu’un qui se sentait seul et qui pleurait tout seul. »

« Eh bien… s’il y a un cercueil, c’est que quelqu’un a été enterré ici… »

Kojou avait suivi Nagisa alors qu’ils retournaient au camp de base.

Un homme costaud avec une grosse barbe se tenait à l’entrée du camp. Il avait l’air dur, mais il n’avait pas l’air intimidant. Un sourire amical s’était dessiné sur ses lèvres épaisses alors qu’il parlait dans un japonais quelque peu maladroit.

« Alors vous êtes les enfants que Gaho a dit qu’il appelait du Japon, hein ? »

Le nom peu familier avait fait que Kojou avait penché sa tête dans une interrogation.

« … Gaho ? »

« Je m’appelle Dimas Carrozzo. Gaho m’a aidé plusieurs fois dans mon travail. En ce moment, je suis le chef du personnel sur place. Enchanté de vous rencontrer. »

L’homme avait offert sa main droite. Kojou, pensant que l’homme parlait de Gajou, avait accepté la poignée de main.

« Pareil pour moi. Je suis sûr que papa vous a causé beaucoup d’ennuis. »

« Ha-ha. Au fait, quels sont les vêtements que porte la petite dame ? Je n’ai jamais vu une robe comme celle-là. »

« C’est une tenue de jeune fille de sanctuaire japonaise. Elle n’a pas vraiment besoin de la porter, mais je suppose que ça la met dans le bon état d’esprit. »

Nagisa avait souri joyeusement, en rougissant fortement, tandis que Carrozzo la regardait avec admiration.

« Tenue de jeune fille de sanctuaire ? Donc la fille de Gaho est une chamane, alors… ? »

« Eh bien, ce n’est pas comme si elle avait reçu une formation formelle. Elle aide juste grand-mère au temple de sa famille de temps en temps. Je pense que le fait d’avoir hérité du sang hyperadaptateur de maman l’aide un peu. »

Alors que Kojou la complimentait, Nagisa avait adopté une pose déterminée qui semblait dire, je vais faire de mon mieux !

Carrozzo avait fait « Mm-hmm, » hochant la tête en signe d’acceptation apparente. « Je vois. C’est bon à entendre. Après tout, les sondes à ultrasons et la magie de scrutation ne fonctionnent pas sur ces ruines, alors à vrai dire, nous étions plutôt coincés. Nous comptons sur vous. »

Nagisa était une variété extrêmement rare d’hyperadaptateur, héritant à la fois des qualités d’une jeune fille spirituelle de sa grand-mère du côté de son père, et du pouvoir d’hyper adaptateur de sa propre mère. C’est pourquoi Gajou lui avait demandé de venir du Japon.

Plusieurs fois auparavant, la psychométrie de Nagisa avait permis de localiser avec précision des ruines enfouies et de décoder des écritures anciennes « indéchiffrables ». Ces exploits avaient poussé des universités et des savants du monde entier à la supplier de les aider bénévolement.

C’était en fait la première fois que Gajou utilisait le pouvoir de Nagisa pour son propre travail. Cela avait mis Kojou mal à l’aise d’une certaine manière. Si l’on en croit les rumeurs, Gajou s’était opposé à la venue de Nagisa jusqu’au dernier moment. Mais les commanditaires de l’équipe de fouille de ces ruines avaient fortement insisté pour la contacter, et Gajou avait consenti à contrecœur. En d’autres termes, il y avait quelque chose de plus important, et de plus dangereux, dans ces ruines que tout ce qui avait été fait auparavant. Il s’en était vaguement douté en jetant un coup d’œil à la sécurité hermétique tout autour du camp de base.

Carrozzo, responsable de cette même sécurité, avait demandé à Kojou d’un ton nonchalant. « Alors vous êtes aussi sensible aux esprits ? »

« Non, pas du tout. Je suis juste son chaperon. »

« Vraiment ? Eh bien, chacun a sa place dans le monde. Alors, faites un bon travail en protégeant votre sœur. »

Kojou avait haussé les épaules comme pour dire, « Je le ferai ». Il avait tourné son attention pour regarder l’arme automatique que Carrozzo tenait.

« C’est un sacré équipement que vous avez là. Je suppose que le maintien de la loi et de l’ordre est assez difficile dans un sanctuaire de démons. »

« Pas du tout. La gestion est efficace ici, et le taux de crimes de sorciers est bien inférieur à ce qu’il est dans les autres pays. » Carrozzo avait souri joyeusement dans une tentative d’apaiser les inquiétudes de Kojou et Nagisa et avait continué. « Mais quant à ce qui se trouve dans cette ruine ici… Je ne connais pas les détails, mais apparemment c’est quelque chose d’assez précieux, assez pour que l’Empire du Seigneur de Guerre envoie cette noble fille. »

« … Noble ? Attendez, voulez-vous dire que Liana est une sorte de gros bonnet ? » demanda Kojou avec surprise.

Une noble de l’Empire du Seigneur de Guerre serait une descendante de sang pur du Premier Primogéniteur, le Seigneur de la Guerre Perdu, avec son propre fief et sa force militaire personnelle. Et sans exception, ils étaient servis par de puissants Vassaux bestiaux, des créatures invoquées rivalisant avec les avions de chasse et les chars lourds les plus modernes. Cela ferait de Liana Caruana la plus puissante protection de cette ruine.

Carrozzo avait ri. « Oh oui. Quand je me suis soûlé et que je lui ai donné une tape sur les fesses, j’ai failli me faire tuer. Cette femme n’a aucun sens de l’humour. »

Kojou avait levé les yeux au ciel. « Vous aimez vraiment vivre dangereusement, vieil homme. »

Certes, Liana était d’une beauté séduisante, mais c’était aussi une puissante vampire dont la puissance rivalisait avec une unité de l’armée, et pourtant il l’avait harcelée sexuellement. Ce n’était pas tant de la bravoure que de la stupidité.

Carrozzo avait poursuivi. « Eh bien, nous avons verrouillé le périmètre des ruines, et si quelque chose se produit, l’armée accourra. Les pillards à la recherche de trésors ne s’approcheront pas. Détendez-vous. Tant que vous êtes dans le camp, personne ne posera un doigt sur l’un de vous. »

Avec cette déclaration ferme, Carrozzo avait donné à Kojou une tape dure dans le dos. La force de cette tape avait suscité un sourire et un hochement de tête de Kojou, ainsi qu’une toux.

« J’ai compris. Nous comptons sur vous. »

« Oui, laissez-moi faire… »

 

+++

Le jeune frère et sa sœur japonais se dirigèrent après ça vers l’entrée de la ruine. Sans doute Gajou et les autres étaient-ils à l’intérieur, attendant leur arrivée.

Grâce à la capacité de Nagisa, les travaux d’excavation étaient sur le point d’avancer à pas de géant. S’ils pouvaient récupérer ce qui se trouvait à l’intérieur du « cercueil », leur travail sur les ruines serait terminé.

Carrozzo avait étiré son corps raide et avait balayé le camp de base du regard.

« Bon, alors… Maintenant que je suis gonflé à bloc, je ferais mieux de retourner à mon poste. »

Il était un peu plus de quatre heures du matin, peu avant le lever du jour — le moment où les sens spirituels étaient les plus aiguisés et, depuis toujours, le moment idéal pour une attaque-surprise. Le vrai travail pour Carrozzo et ses hommes ne faisait que commencer.

Pour commencer, Liana Caruana avait déployé une puissante barrière autour du camp de base. Même un puissant démon ne pouvait s’en approcher… ou plutôt, plus un démon était puissant, plus il était difficile d’approcher le camp. Grâce à cette protection, Carrozzo et ses hommes pouvaient souffler un peu plus facilement et concentrer leurs énergies sur la garde des adversaires humains, pensa-t-il en regardant partir la fratrie Akatsuki.

Soudain, il s’était arrêté de marcher, sentant que quelque chose n’allait pas. Une sorte d’objet droit ressemblant à une branche d’arbre dépassait du sol, encore humide de la pluie de la veille. Carrozzo avait aspiré son souffle quand il avait réalisé que c’était en fait un bras humain ratatiné.

« Qu’est-ce que c’est ? Un cadavre… ? »

Il s’agissait d’un cadavre humain relativement récent enterré à l’intérieur du site du camp de base. Carrozzo s’était accroupi pour découvrir ce qu’il pouvait sur le corps. À ce moment-là.

« — !! »

Ce que Carrozzo pensait être un bras de cadavre complètement ratatiné l’avait attaqué avec une vigueur incroyable.

La gorge arrachée, le garde robuste avait péri, incapable de pousser un cri.

***

Partie 6

Contrairement à l’extérieur ordinaire, la chambre de pierre à l’intérieur du tunnel avait des murs brillants, magnifiquement polis. À l’entrée, il était difficile de ne pas remarquer les décombres provenant de la démolition répétée de la roche et les vestiges du monstre géant qui s’était frayé un chemin vers l’extérieur, mais l’intérieur était en grande partie indemne.

C’était une pièce mystérieuse qui suggérait qu’elle avait été construite il y a longtemps, et qu’elle n’avait été achevée que ces dernières années. Il n’est pas étonnant qu’elle ait dérouté les explorateurs.

Kojou avait sincèrement apprécié sa première observation de l’intérieur d’une ruine.

« C’est vraiment un bel endroit. Je pensais qu’une tombe souterraine serait un peu plus sombre et effrayante, mais… »

L’intérieur de la chambre de pierre était modérément lumineux, ce qui lui permettait de voir la disposition des lieux sans même avoir besoin d’une lampe de poche. Apparemment, les murs de pierre étaient faits de quelque chose qui collectait et émettait la lumière du soleil.

Gajou, qui était entré en dernier comme s’il était le garde du corps de Nagisa, avait expliqué d’un ton inhabituellement sérieux. « Il semble que cela ait été construit plus comme un temple que comme une véritable tombe. »

« Un dieu antique dort-il ici ou quelque chose comme ça ? »

« Dieu, dis-tu ? » Gajou avait émis un petit rire ravi dans sa gorge et avait continué. « Rien de si sacré. Je suppose que si tu dois le comparer à des dieux, un dieu déchu n’est pas loin. »

« Doc... ! » Liana avait grondé Gajou.

Mais Gajou riait sans retenue et il secoua la tête.

« Pas besoin de le cacher maintenant. Ce n’est pas comme si j’essayais de vous faire peur. Il se trouve que c’est juste la vérité. »

Kojou avait jeté un regard furieux à son père. « Qu’est-ce que tu veux dire ? »

« Par où dois-je commencer ? » demanda Gajou, en se renfrognant légèrement. « Avez-vous entendu parler du Quatrième Primogéniteur ? »

« Le truc du Sang de Kaleid, le Primogéniteur fantôme servi par douze Vassaux bestiaux, c’est ça… ? »

Bien sûr, Kojou connaissait ce nom. C’était une légende urbaine suffisamment célèbre pour que tout le monde l’ait entendu une fois. Il se moque probablement de moi, avait pensé Kojou, agacé.

« C’est exact, » répondit Gajou. « Il n’a pas de frères de sang, il est le plus puissant vampire du monde. On dit qu’il est apparu plusieurs fois à des moments décisifs de l’histoire, entraînant dans son sillage génocide et dévastation du monde. »

« Mais il n’y a aucune preuve réelle de ça, n’est-ce pas ? Même les élèves de l’école primaire ne croiraient pas à ce genre de choses occultes de nos jours. »

Gajou avait pointé du doigt l’autre côté de la pièce en pierre avant de répondre.

« Il y a une preuve, et elle est juste devant vos yeux. »

Il y avait une porte épaisse en pierre. Kojou ne pouvait pas voir de jointures ou de charnières ni comprendre comment quelqu’un était censé l’ouvrir. Essayer de faire sauter la porte pourrait faire s’effondrer toute la pièce en pierre, enterrant tout le monde vivant. C’était probablement un piège construit avec une technologie de pointe incroyable.

Il pensait que Nagisa avait été appelée pour les aider à trouver comment ouvrir le truc.

Baissant involontairement la voix, Kojou demanda. « Alors quoi, le Quatrième Primogéniteur dort dans cette chose ? »

Gajou avait gloussé sans se soucier du monde. « Ce serait très drôle, n’est-ce pas ? »

Kojou avait penché sa tête et avait crié sir son père. « C’est quoi ce bordel !? Tu ne peux pas aller déterrer des ruines anciennes de valeur avec une théorie ridicule comme celle-là ! »

« Ce n’est pas du tout ridicule ! » hurla Liana, la douleur étant claire dans sa voix.

« L-Liana… ? »

Kojou la regarda, abasourdi. L’écho du cri de Liana se répercutait faiblement à l’intérieur de l’immense chambre en pierre. Liana, peut-être embarrassée lorsqu’elle s’était ressaisie, avait dit. « Je suis désolée » d’une petite voix d’excuse, en baissant la tête en silence.

Gajou semblait prendre la défense de Liana en parlant d’un ton négligent. « Eh bien, nous, les adultes, nous avons nos raisons. Vous, les enfants, vous n’avez pas besoin de vous occuper des petites choses… Voici la troisième strate de la tombe souterraine, la salle des réminiscences. Il devrait y avoir encore une pièce à visiter, mais elle est si bien fermée qu’on ne sait pas comment y entrer. C’est pourquoi nous avons fait venir Nagisa, pour… »

Les mots de Gajou s’étaient arrêtés quand son regard s’était déplacé vers le côté du visage de la fille. C’est alors que Kojou avait réalisé. Nagisa, d’habitude si bavarde, n’avait pas dit un seul mot depuis qu’ils étaient arrivés…

Kojou avait appelé sa petite sœur en haletant. « Nagisa… ? »

Cependant, elle ne s’était pas tournée vers lui. Ses iris étaient grands ouverts et elle fixait simplement la porte en pierre sans expression.

Kojou avait soudainement réalisé que la lueur pâle des murs de la ruine avait augmenté. La pierre était devenue aussi transparente que du cristal, à l’intérieur, quelque chose comme un courant électrique formait des symboles magiques géants.

Les lèvres de Nagisa avaient prononcé des mots dans une langue étrangère que Kojou ne connaissait pas. C’était comme si elle utilisait ces mots pour communiquer avec les pensées que les gens avaient laissées derrière eux dans la ruine…

Naturellement, les personnes qui avaient construit la structure savaient comment ouvrir la porte en pierre. Nagisa avait tenté de communiquer avec leurs esprits défunts pour déchiffrer le sceau. Cependant, Nagisa avait déjà perdu sa propre conscience en acceptant en son sein un être tout simplement trop puissant.

Pour l’instant, elle n’avait pas de volonté propre. Elle était devenue l’un des circuits magiques composant le système de contrôle de la ruine.

Surprise, Liana commença à demander. « Doc ! Qu’est-ce que… ? »

L’expression de Gajou ne contenait qu’une petite trace de nervosité. « On dirait que la ruine se refait une beauté. Vu la gargouille, je me doutais bien que la source d’énergie magique était toujours en marche, mais le spectacle est plus grand que prévu. »

Nagisa était restée en transe. Elle fit un pas en avant, comme si elle s’attendait à ce que quelque chose se produise, et au moment voulu, la lumière qui émanait de la porte en pierre devint plus intense.

Puis, sans prévenir, la porte avait disparu sans laisser de trace. Il ne restait plus un seul caillou.

Très probablement, la porte avait été transférée dans une autre dimension via un sort de contrôle spatial. Kojou ne pouvait même pas imaginer le niveau de technologie de sorcellerie requis pour un tel exploit.

Liana était hors d’elle, murmurant en regardant Nagisa, toujours dans un état hypnotique.

« Ce n’est pas possible… Un sceau que même les ingénieurs sorciers de l’Empire du Seigneur de Guerre n’ont pas pu déchiffrer, en un seul instant… »

Gajou frissonna violemment alors qu’un froid féroce soufflait depuis le passage, rendant même leur souffle visible.

« Whoa… Ce truc me donne des frissons ! »

L’air glacial et soudain avait provoqué la formation d’un brouillard dense dans les ruines. Nagisa s’était avancée dans le couloir, semblant se fondre dans la brume.

Kojou s’était précipité pour essayer de l’arrêter.

« Nagisa !? »

La voix de Gajou était intervenue. « Attends, Kojou ! Ne t’approche pas d’elle ! »

« Mais Nagisa est… ! »

« Laisse-la faire. Au moins, elle canalise avec succès. C’est plus dangereux de la secouer pour l’en sortir. »

« Argh… ! »

Kojou était resté en place et s’était mordu la lèvre. Il détestait l’admettre, mais son père avait raison. Tout ce qu’il pouvait faire à ce moment-là était de suivre désespérément Nagisa pour ne pas la perdre de vue.

Quand il était sorti de l’autre côté du passage nuageux, la dernière chambre était devant lui.

C’était une pièce aux murs hauts et presque cylindriques. L’autel au centre de la chambre ressemblait à un bloc de glace géant, comme un glacier du bout du monde. Dans ce cercueil glacé dormait une petite silhouette, une fille de la taille de Nagisa.

Sa peau était si pâle qu’on pouvait presque voir à travers. Les traits de son visage juvénile étaient inhumainement symétriques, et ses cheveux blonds faiblement pigmentés semblaient refléter la lumière de façon à scintiller comme un arc-en-ciel.

Kojou avait levé les yeux vers la fille. « C’est le cercueil de la fée… ? Est-elle… morte ? » murmura-t-il.

Certes, la fille endormie dans le cercueil de glace formait l’image d’une fée piégée dans un morceau d’ambre clair. D’une certaine manière, le bel être lui semblait de mauvais augure.

Même si elle était le Quatrième Primogéniteur, le plus puissant vampire du monde, il ne penserait pas qu’elle puisse être en vie dans cet état. Cependant, tout le monde dans la chambre de pierre avait déjà compris — c’était cette même fille dans le cercueil qui était la source de l’énergie magique qui parcourait les ruines. Et c’est elle qui avait appelé Nagisa.

« Nous vous avons enfin trouvé… Le douzième Sang de Kaleid… ! » murmura Liana pour elle-même.

Kojou n’avait pas compris ce qu’elle voulait dire. Mais d’une certaine manière, il avait l’impression que ce titre stérile ne convenait pas à la fille éphémère qui dormait dans le cercueil.

D’innombrables glaçons pointus couvraient son lieu de repos, repoussant tous ceux qui s’approchaient. Elles ressemblaient à un mur d’épines destiné à protéger la jeune fille endormie.

Kojou avait involontairement dit à haute voix les mots qui lui venaient à l’esprit.

« C’est comme si elle était une princesse endormie… »

Oui, la fille piégée seule dans le cercueil de glace semblait moins être une vampire qu’une princesse tragique sortie d’un conte de fées.

 

 

Apparemment, Kojou n’était pas le seul à penser cela. Liana jeta un coup d’œil au visage de Kojou et un sourire pur naquit en elle, comme une fleur blanche qui s’épanouissait.

« La princesse endormie… Alors, Avrora Florestina… fille du roi Florestin ? »

Gajou avait offert des mots d’éloge inhabituels.

« C’est génial. C’est beaucoup plus poétique que de lui donner comme nom un numéro. »

Kojou se sentait très gêné par le manque d’intérêt de son père. « Ce n’est pas le moment d’être aussi décontracté ! À ce rythme, Nagisa va être gelée avec elle ! »

« Ah… ouais… »

Gajou n’avait pas vraiment réfuté ce que disait son fils.

Une brume froide enveloppait Nagisa, qui se tenait devant le cercueil. Au rythme où allaient les choses, elle allait être aspirée dans la glace, le même cercueil qui retenait Avrora prisonnière.

Ou peut-être qu’Avrora elle-même sucerait l’énergie spirituelle de Nagisa pour revenir à la vie…

Pourtant, Gajou, pleinement conscient de ces préoccupations, n’avait fait aucun geste pour sauver Nagisa. Au contraire, il avait dit. « Mademoiselle Caruana, puis-je vous laisser ceci ? »

Cette fois, Kojou était resté bouche bée en voyant son père tourner soudainement le dos à Nagisa.

« Papa — !? »

Son corps avait bougé avant qu’il ne le réalise. Il avait bondi, son petit poing serré visant le visage de son père.

Mais ce n’est pas Gajou qui l’avait arrêté. Avant que Kojou ne puisse le frapper au visage, la ruine entière avait tremblé. C’était comme si un marteau géant s’était abattu, avec une onde de choc qui avait secoué la terre, faisant perdre l’équilibre à Kojou et le faisant tomber.

« … Un tremblement de terre !? » s’était-il exclamé.

Toute la chambre de pierre s’était fissurée avec violence, et des morceaux de gravats épars avaient plu sur eux. La secousse ne s’était pas poursuivie longtemps. Un vent puissant avait soufflé à sa place — un souffle au parfum d’explosifs.

Peut-être que cette onde de choc avait tiré Nagisa de sa transe. Sans un bruit, sa petite silhouette dans sa tenue de jeune fille s’était effondrée sur le sol.

Liana arborait une expression grave en regardant derrière elle.

« Doc, à l’instant… ! »

Gajou avait pris le fusil qu’il portait sur son dos et avait enlevé la sécurité. Il s’agissait d’une arme automatique de type bullpup à usage militaire.

« Ouais… On dirait qu’on va avoir des problèmes. »

L’aura oppressante du père de Kojou indiquait clairement au garçon que quelque chose avait soudainement pris une mauvaise tournure.

« Désolé, Kojou. Prends soin de Nagisa. Je reviendrai vite. »

« Papa ! »

Laissé derrière, Kojou avait fixé le dos de Gajou avec stupéfaction.

Il se souvenait de l’atmosphère imposante du camp de base gardé par Carrozzo et les autres soldats. Ils savaient depuis le début que quelqu’un en avait après la ruine. Kojou était le seul qui ne l’avait pas su. Et Gajou avait appelé Nagisa dans un tel endroit, tout en sachant qu’il y aurait du danger…

Kojou avait frappé avec force le sol avec son poing.

« Merde ! À quoi pense cet homme ? »

Liana avait baissé les yeux, grimaçant, alors qu’elle s’accroupissait à côté de Kojou.

« … Je m’excuse de vous avoir entraîné dans tout ça. Mais ne blâmez pas le docteur. Cela a été plus difficile pour lui que pour quiconque. »

Avec Liana près de lui, Kojou lui demanda. « Mais qu’est-ce que c’est que cette ruine ? Ce n’est pas juste une tombe souterraine, n’est-ce pas ? Le douzième Sang de Kaleid, qu’est-ce que c’est que ça !? »

Liana avait tranquillement libéré une aura mortelle, apparemment pour couper Kojou et balayer ses préoccupations.

« Gardons cette conversation pour plus tard. Kojou, s’il vous plaît, revenez. »

« Eh ? »

Liana regarda l’entrée de la ruine en retirant le bracelet de son poignet gauche. Ses yeux brillaient d’une lueur cramoisie et des crocs pointaient entre ses lèvres.

Kojou s’était souvenu de sa vraie nature. Liana était une noble de l’Empire du Seigneur de Guerre, une vampire de la Vieille Garde.

« — Les ennemis sont arrivés. »

Avant même que Liana ait fini de parler, une avalanche de silhouettes humaines s’était déversée dans la chambre de pierre.

Kojou ne savait plus quoi dire. Il les connaissait, les visages des soldats « ennemis » qui avaient fait sauter l’entrée de la ruine, forçant leur entrée — .

Ils portaient des gilets pare-balles et étaient armés d’armes automatiques. Il s’agissait des mêmes gardes de la société militaire privée qui protégeaient le camp.

***

Partie 7

Des flammes frappaient le camp de base de l’équipe de fouille. Les rangées de véhicules et de machines lourdes avaient été détruites, et même les structures et les tentes bien éloignées des ruines avaient été méticuleusement incendiées.

Gajou, qui se dirigeait vers l’extérieur de la tombe souterraine, avait grincé des dents de manière audible.

« Franchement… On fait vraiment n’importe quoi ici… »

Il ne savait pas qui était l’ennemi. Il y avait simplement trop de possibilités. Les humains n’étaient pas les seuls à s’opposer à la renaissance du Quatrième Primogéniteur, de nombreux démons l’étaient aussi, même à l’intérieur de l’Empire du Seigneur de Guerre.

« Ont-ils brisé la barrière de Mlle Caruana ? Les seuls à pouvoir le faire devraient être des vampires de la même classe que la famille Caruana… Attends… »

C’est étrange, avait pensé Gajou, en plissant les sourcils.

Liana Caruana avait trois vassaux bestiaux sous ses ordres. La barrière protégeant le camp de base était sans doute l’un d’entre eux, modifiée sous une forme différente. Il n’y avait aucune chance que l’hôte, Liana, soit inconsciente d’une attaque assez puissante était effectué en ce moment pour la briser.

De plus, le faible nombre de victimes l’interpellait. Malgré tous les dégâts subis, il n’avait vu pratiquement aucun cadavre en surface. Il était possible que les savants de l’équipe de fouille aient pu évacuer quelque part, mais il ne pensait pas que les gardes militaires privés abandonneraient collectivement leurs postes.

D’abord, il ne pouvait pas voir de soldats ennemis…

Gajou avait maintenu sa garde fermement levée alors qu’il se dirigeait vers la sortie de la ruine. Il avait été accueilli par la vue inattendue d’un garde barbu et costaud.

« Gajou ! Dieu merci, tu es sain et sauf. »

Gajou lança un regard à Carrozzo, qui avait émergé de l’ombre de quelques rochers. « Carrozzo… Que s’est-il passé ici !? »

Carrozzo semblait être blessé. La tenue de combat qu’il portait était maculée de traces noires de sang.

« Désolé, ils nous ont pris par surprise. Ils ont franchi la barrière, et tu peux voir l’état dans lequel se trouve le camp. Nous avons réussi à repousser l’ennemi tant bien que mal, mais nous avons subi de lourdes pertes. Peux-tu nous donner un coup de main, Gajou ? »

Gajou avait écouté le rapport indigne de confiance de son ami, le regardant avec une pointe de tristesse. Puis il avait levé le canon de son fusil et l’avait pointé en direction de la poitrine de Carrozzo.

Les yeux de Carrozzo s’étaient ouverts en grand, sous le choc.

« Gajou… !? »

Mais Gajou ne lui avait pas prêté attention et avait appuyé sur la gâchette. La balle avait atteint sa cible sur le côté droit de la poitrine du garde, envoyant du sang frais et des morceaux de chair. L’arme dans la main de l’homme était tombée sur le sol.

Les yeux mourants de Carrozzo fixaient Gajou.

« Que… fais-tu, Gajou Akatsuki… !? »

Gajou avait tiré le bord de son fedora sur ses yeux, réprimant sa colère alors qu’il grognait. « Arrête ton travail d’acteur de troisième zone, salaud de terroriste. Il n’y a aucune chance que le vrai Carrozzo prononce mon nom correctement… En plus, tu as l’odeur de la mort partout sur toi. »

« Argh… »

Carrozzo — ou plutôt, le mort-vivant qu’était autrefois Carrozzo — avait émis un bref grognement, comme s’il était déstabilisé.

Avec son fusil, Gajou avait commencé à tirer sur le sol, éliminant les nouveaux cadavres qui rampaient hors de la terre les uns après les autres. Gajou avait éliminé la vague sans fin de zombies émergents.

« Nécromancie… Je vois, » murmura-t-il. « Je trouvais étrange que la barrière soit brisée, mais vous avez enterré des cadavres tout autour de la ruine avant même que nous n’arrivions ici. Puis vous les avez animés et vous avez attaqué le camp de l’intérieur… »

Les cadavres n’avaient pas de chaleur corporelle, pas de battements de cœur, et ne projetaient pas de soif de sang. Même le meilleur équipement de détection ne permettrait jamais de découvrir des cadavres enterrés. Grâce à leur proximité avec la puissante énergie magique qui circulait dans la tombe souterraine, les sorciers qui étaient venus sur le site d’excavation n’avaient pas non plus senti la présence de cadavres.

L’ennemi avait habilement tendu son piège. Même si la barrière de Liana ne pouvait pas être brisée de l’extérieur, elle ne pouvait pas repousser un ennemi qui était à l’affût à l’intérieur depuis le tout début.

« Un groupe terroriste qui utilise la nécromancie… J’ai entendu parler de ce mode opératoire. Vous êtes le Front de l’Empereur de la Mort Noire ! »

Le sorcier contrôlant Carrozzo avait crié avec la voix du garde. « Gajou Akatsuki, le revenant de la mort… tu as bien fait de voir à travers mon plan… mais tu arrives trop tard ! »

Son cri avait fait surgir de nouveaux zombies du sol tout autour d’eux. Leurs peaux épaisses montraient clairement qu’il ne s’agissait pas de cadavres humains. Leur chair robuste était suffisante pour repousser les balles du fusil de Gajou.

« Des hommes bêtes morts-vivants — !? »

Accablé, Gajou l’avait compris et avait battu en retraite. La force physique et l’agilité d’un homme bête étaient redoutables, même après une zombification.

Le Front de l’Empereur de la Mort Noire était le nom d’une organisation terroriste née dans l’Empire du Seigneur de Guerre. Il s’agissait de suprématistes hommes-bêtes se rebellant contre la domination des vampires sur les Dominions. Ils étaient également des militants voués à la destruction du Traité des Terres sacrées, établi pour que les humains et les démons puissent coexister pacifiquement. Ils tenaient leur nom de leur chef, l’Empereur de la Mort Noire, un homme bête ainsi qu’un nécromancien astucieux répandant la terreur aux quatre coins du globe. L’ennemi avait largement dépassé ses pires attentes.

« Bande de crétins… Vous savez ce qu’il y a dans cette ruine, et vous attaquez quand même !? »

L’homme qui contrôlait Carrozzo avait balayé la question de Gajou.

« Nous ne savons pas. Ni ne nous en soucions. Cependant, nous savons que les Primogéniteurs, ces sales vampires, s’intéressent de près à cette ruine, au point d’envoyer l’héritière de la famille Caruana pour la surveiller ! Cela nous donne une raison plus que suffisante pour réduire cet endroit en cendres ! »

« Tch… ! »

L’expression de Gajou s’était tordue d’impatience. Comme il le pensait, la ruine était leur cible. Mais il ne pouvait pas les laisser passer devant lui dans la ruine — pas avec Kojou et Nagisa à l’intérieur.

Le nécromancien avait ri avec la voix de Carrozzo.

« Ne vous inquiétez pas. Le trésor qui repose dans cette ruine nous sera très utile. Nous extrairons tout ce qu’il y a à savoir sur la ruine à partir du cerveau de votre cadavre — . »

« Hé, ce n’est pas comme si la chose pourrie que tu as comme cervelle pouvait comprendre ce qu’il y a dans ma tête ! »

Le fusil de Gajou était à court de munitions justes au moment où il avait finalement réussi à mettre les zombies hors service. Son devoir accompli, il jeta le fusil de côté et sortit une nouvelle arme du dos de sa veste — un fusil à canon scié.

« Désolé, Carrozzo… Je n’ai pas pu te sauver ! »

« Hmph… Comme si un tireur de pois comme ça pouvait faire tomber ce corps — . »

La forme robuste et zombifiée avait férocement chargé Gajou. Un tacle direct l’aurait sans doute mis à terre d’un seul coup. Mais il n’avait fait aucun mouvement pour s’échapper. Au lieu de cela, il avait dirigé le canon du fusil vers son vieil ami et l’avait frappé au visage.

Une cartouche de chevrotine tirée d’un fusil de chasse pouvait toucher une large zone au prix de la pénétration. Maintenant que Carrozzo était un mort-vivant, il n’y avait aucune chance qu’une telle cartouche l’arrête.

Et pourtant, Carrozzo avait poussé un cri terrible et avait roulé sur le sol.

Libéré du contrôle du sorcier, il était redevenu un simple cadavre, immobile, les yeux fermés.

À sa place, une silhouette était sortie en vacillant de derrière un groupe de rochers tout proche. C’était le nécromancien qui avait contrôlé Carrozzo. Il avait gémi d’angoisse et avait fixé Gajou avec un regard haineux.

Gajou avait chargé une nouvelle cartouche en disant d’une voix sombre. « Une munition anti-démon, avec une fléchette ronde en argent-palladium. Elle fonctionne même sur ton corps astral. »

La balle avait été imprégnée d’énergie rituelle. Les minuscules fléchettes qui remplissaient la cartouche avaient endommagé non seulement le corps zombifié de Carrozzo, mais aussi directement le sorcier qui le contrôlait.

« Soyez maudit ! Un vulgaire humain qui mutile ma chair comme ça — !? » hurla l’homme en essuyant le sang frais qui coulait de son front.

Tous les muscles de son corps s’étaient gonflés alors qu’il changeait de forme pour se transformer en une énorme silhouette — un homme bête énorme avec une crinière noire.

Le visage de Gajou s’était figé d’étonnement.

« Un homme bête utilisant la nécromancie… !? »

Il y avait très peu d’hommes bêtes au corps robuste qui avaient aussi appris l’art des sorts. En tant qu’exception, il faisait partie des quelques familles qui avaient hérité d’une énergie démoniaque aussi puissante. En dehors de l’Empereur de la Mort Noire lui-même, il n’y avait qu’une seule personne au sein du Front de l’Empereur de la Mort Noire qui avait le pouvoir d’y parvenir…

« Ne me dites pas… que tu es Golan Hazaroff, le Prince de la Mort !? »

L’homme bête sombre avait hurlé.

« Je te félicite de connaître mon nom. Je t’enverrai dans l’au-delà avec honneur, Gajou Akatsuki ! »

Gajou avait rencontré son regard et avait tiré avec son fusil à pompe. Cependant, l’homme bête avait évité le barrage de projectiles avec des réactions extrêmement rapides. Avec une vitesse dépassant ce que Gajou pouvait suivre à l’œil nu, l’homme s’était précipité et lui avait asséné un puissant coup de genou.

« Gah… !? »

Le coup avait plié et cassé le fusil, et le visage de Gajou s’était tordu d’agonie. Le son sourd des os brisés avait résonné. Gajou avait craché du sang en volant en arrière.

Les flammes enveloppant le camp de base en feu avaient teinté le ciel avant l’aube d’une couleur écarlate.

***

Partie 8

« Nn... ! »

La fille que Kojou portait dans ses bras avait laissé échapper un petit gémissement et avait remué.

Avec un battement de ses longs cils, elle ouvrit les yeux. Ils étaient encore un peu flous, mais semblaient normaux. Elle était sortie de la transe.

« … Ko… jou… ? »

Kojou avait fait de son mieux pour garder son calme en parlant.

« Es-tu réveillée, Nagisa ? Ça peut sembler inutile, mais tu devrais probablement fermer les yeux un peu plus longtemps. »

L’état des lieux l’avait déconcertée. La fille blonde piégée dans un bloc de glace géant, les innombrables stalactites rappelant des épines, la chambre de pierre souterraine, les soldats qui envahissaient — et la belle femme vampire qui avait protégé Kojou et Nagisa de la horde de gardes zombifiés.

Les cheveux parfaitement coiffés de la vampire étaient maintenant ébouriffés, son corps en entier était couvert d’éclaboussures de sang. Elle semblait également avoir subi des blessures de son côté. Cependant, tous les zombies qui avaient attaqué la ruine étaient tombés, cadavres une fois de plus.

Elle, un vampire de la vieille garde avait détruit des dizaines de zombies à elle seule. Si elle n’avait pas protégé Kojou et Nagisa, elle s’en serait probablement sortie sans une égratignure. Son écrasante capacité de combat ne faisait pas honte à la réputation de la noblesse de l’Empire du Seigneur de Guerre.

Nagisa l’avait appelée d’une voix sans force. « Liana… »

Quand Liana l’avait remarqué, elle avait souri, bien que de façon contradictoire.

« Je suis désolée. J’étais vraiment occupée avec eux. »

Deux bêtes se tenaient aux côtés de la femme. Chacune était un énorme loup rougeoyant, l’un doré, l’autre argenté. Ils mesuraient probablement entre trois et quatre mètres de long de la tête à la queue. Il est clair qu’il ne s’agissait pas de formes de vie normale, mais plutôt d’une énergie magique si dense qu’elle avait pris une forme physique.

« Vassal Bestial…, » dit Nagisa.

« Oui. Des bêtes invoquées d’un autre monde qui résident dans notre sang vampirique… des masses sensibles d’énergie démoniaque. S’il vous plaît, soyez à l’aise. Peu importe le nombre de terroristes, ils ne toucheront pas le cercueil ni aucun de vous tant que Skol et Hati seront avec moi. »

Kojou avait fait écho à un mot.

« Terroristes… ? »

Il ne comprenait pas pourquoi un groupe de terroristes autoproclamés attaquait une ruine au milieu de nulle part.

Liana avait fait une courte pause, choisissant ses mots avec soin.

« C’est probablement l’œuvre du Front de l’Empereur de la Mort Noire — des suprématistes de l’homme bête. Il s’agit de criminels internationaux qui affirment que les hommes bêtes sont les premiers parmi les démons et qui s’agitent pour la dissolution du Traité de la Terre Sainte. »

« Pourquoi un groupe comme celui-là en a-t-il après cette ruine ? » C’est ce que demanda Nagisa.

« Ils sont probablement conscients que cette ruine est liée au sang de Kaleid. Pour les suprématistes hommes-bêtes, les vampires primogéniteurs sont leurs ennemis les plus détestés. »

Kojou avait haleté. « Je vois… Donc, si Avrora est vraiment le Quatrième Primogéniteur… »

« Oui. Pour eux, elle vaut la peine d’être détruite, même au prix de leur propre vie. »

Liana soupira. En vérité, elle voulait se précipiter aux côtés de Gajou et le protéger à ce moment précis. Cependant, en tant qu’atout de l’équipe de fouille dans un combat, Liana ne pouvait pas partir. Après tout, le Cercueil de la Fée, la cible des terroristes, était juste là, avec elle et le frère et la sœur.

« Avrora… ? » demanda Nagisa, perplexe.

Kojou avait un peu souri, en désignant le bloc de glace derrière eux.

« Le nom de la princesse endormie. Liana le lui a donné. »

« Oh… Je vois. »

Nagisa avait légèrement louché vers la fille piégée dans la glace.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? »

« Rien. J’ai juste… l’impression qu’elle est heureuse d’une certaine façon… »

« Elle ? Veux-tu parler d’Avrora… ? »

Kojou avait ressenti un léger malaise en étudiant le visage de Nagisa. Il pensait que la transe s’était levée, mais ce n’était peut-être pas le cas. Ou peut-être qu’une partie de la conscience partagée de Nagisa et Avrora était toujours connectée…

Alors que cette hypothèse faisait naître une grande peur chez Kojou, tout le corps de Nagisa s’était soudainement raidi. Kojou s’était accroupi avec elle alors qu’elle tremblait férocement dans une apparente terreur.

« … Nagisa ? »

« Quelque chose… arrive. Qu’est-ce… que c’est… ? Non… J’ai peur… ! Kojou, cours… ! »

« Hé, Nagisa !? »

La réaction extrême de sa petite sœur l’avait poussé à regarder tout autour de lui. Puis un boum, le bruit d’une explosion, accompagna l’effondrement d’un des murs de la salle de pierre.

Un énorme homme bête avait alors émergé de là, frappant les décombres qui s’abattaient sur lui. Cet être à tête de chien et à crinière noire devait mesurer près de trois mètres de haut. En raison de sa taille incroyable, il n’avait pas pu entrer dans la ruine en passant par le passage.

L’homme à la bête noire avait ri avec dérision en fixant la vampire.

« — Alors tu étais là, Liana Caruana, à faire combattre un simple humain pendant que tu frémissais comme un lapin sauvage dans un trou dans le sol. C’est ce que j’attendais de la célèbre fille timide du Duc Caruana… qui prend la suite de son lâche de père. »

Les joues de Liana avaient rougi. « … Silence, bête immonde ! Je ne permettrai plus que l’on rabaisse mon père ! »

Apparemment, non seulement l’homme bête connaissait l’identité de Liana, mais il s’en servait pour la narguer. La réponse prévisible de Liana fit apparaître un sourire satisfait sur le visage de l’homme bête. « Ne me fais pas rire, petite fille. Que peux-tu accomplir ? Gajou Akatsuki était bien plus résistant que toi. »

L’insinuation de l’homme bête selon laquelle il s’était déjà débarrassé de Gajou avait complètement privé Liana de son sang-froid. Enragée, elle lança son propre vassal bestial sur lui.

« — Skol, mets-le en pièces ! »

Le vassal bestial d’un vampire était une puissante masse d’énergie démoniaque. Il est certain que même le physique robuste d’un homme bête ne pouvait pas supporter une collision frontale avec ces puissants serviteurs. N’importe qui aurait été certain de cela — sauf l’homme bête lui-même.

« Penses-tu vraiment qu’un tel vassal bestial puisse s’opposer au Prince de la Mort ? »

Le serviteur de Liana qui chargeait s’était transformé en un rayon de lumière, mais l’ennemi l’avait bloqué avec son seul bras droit. Il l’avait bloqué sur place puis il s’était déplacé pour l’écraser complètement.

Liana était restée figée sur place, abasourdie par ce spectacle incroyable.

« Qu… !? »

Un homme bête capable d’échanger des coups avec un vassal bestial sans aide — une telle chose était sûrement impossible ?

Devant son expression choquée, l’homme noir de jais se transforma. Ce n’était plus un homme bête, mais une bête complète, gonflée à plusieurs fois sa taille précédente. Sa chair débordait d’une énergie démoniaque dense et puissante, égale — non, supérieure — à celle du Vassal Bestial de Liana.

En réalisant ce qu’était réellement le pouvoir de l’homme, elle s’était exclamée. « Ce ne peut pas être… une bestialisation divine !? »

Il s’agissait d’une capacité spéciale possédée uniquement par une petite poignée d’hommes bêtes de haut rang. En utilisant une vaste énergie démoniaque, ils transformaient temporairement leur propre chair et leur propre sang en bêtes divines, des êtres de mythe et de légende au même titre que les anges et les dragons.

L’homme bête expliqua. « Nous ne sommes pas comme vous, les vampires, qui dépendez du pouvoir des bêtes invoquées. Nous sommes les descendants des loups démoniaques qui dévoraient le cœur des géants. Les hommes bêtes sont l’apogée de l’humanité démoniaque ! Découvrez le pouvoir de la race supérieure de la surface ! »

Liana se remit de son choc et ordonna à son autre vassal bestial d’attaquer.

« Assez de bavardages… ! Mets-le en pièces, Hati ! »

Repousser l’ennemi transformé avec deux Vassaux bestiaux en même temps était une attaque qui abandonnait toute tentative de défense. Mais…

« Ka-ha-ha-ha-ha-ha… ! Comme attendu d’un noble de l’Empire du Seigneur de Guerre, même s’il est tombé en disgrâce. Fille têtue ! Mais la victoire est bel et bien à moi ! »

« Vous avez l’air d’un mauvais perdant ! »

L’expression de Liana se tordit alors qu’elle libérait presque toute l’énergie démoniaque qu’elle pouvait se permettre. Cela lui donnait une vision en tunnel, ralentissant sa réaction au danger.

Comme s’ils attendaient ce moment précis, plusieurs zombies s’envolèrent des décombres de la salle de pierre et se jetèrent sur Liana, désormais sans défense. L’homme-bête noire avait délibérément défoncé le mur lors de son entrée afin de pouvoir cacher des cadavres sous les décombres.

« Morts-vivants — !? »

L’homme bête sourit férocement, certain de sa victoire.

« Trop tard, Liana Caruana. »

On disait des vampires qu’ils étaient les plus puissants des démons, car ils possédaient des atouts d’une puissance écrasante : leurs vassaux bestiaux. Mais physiquement, ils étaient relativement fragiles. C’était particulièrement vrai pour Liana, une femme mince qui n’était pas dotée d’un physique puissant. Sans la protection de ses vassaux bestiaux, elle n’avait aucun moyen de résister à la grêle de tirs des gardes zombifiés.

Les zombies avaient tiré aveuglément des balles qui avaient transpercé la poitrine de Liana et lui avaient arraché le cœur. Kojou ne pouvait que regarder, hébété.

« Lia… na… !? »

Même le jeune Kojou l’avait su en un coup d’œil. Un vampire de la Vieille Garde ne pouvait pas se régénérer d’une blessure aussi profonde. C’était fatal. Liana ne pouvait plus être sauvée.

La voix de Nagisa s’était échappée de sa gorge. « Ah… »

Le corps de Liana avait oscillé. Ses yeux étaient remplis de larmes et ses lèvres désormais pâles formaient faiblement les mots. « Je suis désolée, Doc... Je… »

Ses mots n’avaient jamais atteint les oreilles de Kojou et Nagisa, noyés par le rugissement de l’homme bête. La créature transformée repoussa les vassaux bestiaux qui avaient perdu leur maître. Incapables de conserver leur forme physique, les vastes énergies démoniaques des familiers éclatèrent et se dispersèrent. La ruine commença à s’effondrer sous l’effet de l’onde de choc.

Et Liana, couverte de sang, avait doucement basculé en avant. Nagisa avait crié vers les cieux.

« Non… Nooooooooooooooooooo — ! »

La dense énergie démoniaque qui planait dans la ruine, les séquelles du combat et les pensées de Liana au moment de sa disparition inondèrent le cœur de la jeune prêtresse.

L’homme bête noir de jais fixait avec mépris une Nagisa angoissée. Mais il s’était immédiatement désintéressé d’elle et avait relevé la tête. Il avait sans doute jugé que les jeunes frères et sœurs humains ne valaient pas la peine d’être tués.

« Le quatrième Primogéniteur — ? »

Il regarda le bloc de glace derrière Kojou et Nagisa, ainsi que la fille qui sommeillait à l’intérieur.

Les Vassaux bestiaux de Liana avaient à moitié détruit l’énorme bloc de glace, laissant une partie du corps sans vie de la jeune fille exposée à l’air extérieur. Cependant, elle ne montrait aucun signe de réveil. Il n’y avait aucune raison pour que la forme molle piégée dans la glace se lève.

« Je n’ai aucun intérêt à savoir si la ruine est authentique ou non, mais le fait que Liana Caruana ait risqué sa vie pour la protéger fait qu’elle mérite d’être brisée…, » avait-il dit. « Jeunes frères et sœurs, maudissez votre malchance d’être au mauvais endroit au mauvais moment. »

Les zombies avaient levé leurs armes avant même que l’homme bête n’ait fini de parler. Il ne fait aucun doute qu’ils avaient l’intention de réduire le corps d’Avrora en pièces en une seule volée pour qu’elle ne puisse plus jamais être réanimée, et l’homme-bête était bien conscient que Kojou et Nagisa à côté d’elle seraient des dommages collatéraux…

« Ah… ahhh…, » cria Nagisa.

Kojou avait étreint sa petite sœur souffrante alors qu’il luttait désespérément contre le désespoir. Gajou ne reviendrait pas. Liana était morte. Il n’y avait plus personne pour les protéger. Le jeune Kojou n’avait aucun moyen d’affronter le vil homme bête et les zombies.

Malgré tout, il n’avait pas abandonné. Il devait protéger Nagisa. Réfléchis, Kojou s’était lui-même exhorté.

Réfléchis, réfléchis, réfléchis. Qu’est-ce que je peux faire pour sauver Nagisa ? Qu’est-ce que je peux… ?

Le temps n’attendrait pas la décision de Kojou.

« La légende du sang de Kaleid s’arrête ici — faites-la exploser ! » ordonna l’homme bête.

Les zombies avaient appuyé sur leurs gâchettes. Les canons des fusils avaient tous craché du feu.

***

Partie 9

L’intérieur de la ruine faiblement éclairée était enseveli sous une épaisse brume, de la fumée de fusil et des fragments de glace — les restes de la volée de zombies. Le corps sans vie de la fille piégée dans la glace, arrosé d’innombrables balles, avait certainement été déchiré en fines lamelles. Même si la fille était vraiment le Quatrième Primogéniteur, elle ne pouvait pas se relever.

Bien sûr, le Prince de la Mort, Golan Hazaroff, ne croyait pas que le Quatrième Primogéniteur pouvait réellement exister, mais il se fichait de savoir si c’était un faux. La seule chose qui comptait était l’histoire selon laquelle le Prince de la Mort avait détruit le Quatrième Primogéniteur, le Vampire le plus puissant du monde. Le fait que Liana Caruana l’ait protégée ne ferait qu’ajouter à la crédibilité de la rumeur. Par conséquent, le nom du groupe terroriste Le Front de l’Empereur de la Mort Noir gagnerait encore en prestige.

Cependant, le prix à payer pour cela n’avait pas été mince — .

Essuyant le sang au coin de sa bouche, Hazaroff murmura. « C’est donc fait… »

Il avait des marques de brûlures de ses côtés à son dos en raison de la blessure encore fraîche de son combat avec Gajou Akatsuki. Bien qu’il ne soit qu’un simple humain, il n’avait pas manqué d’ennuyer Hazaroff et lui avait même tiré une balle à sortilège au cours du processus.

Le fait d’avoir subi une bestialisation divine alors qu’il était si gravement blessé avait réduit considérablement l’espérance de vie d’Hazaroff. La bataille contre Liana Caruana était loin d’être une victoire écrasante de sa part. En effet, s’il n’avait pas eu recours aux zombies, c’était lui qui aurait été acculé au pied du mur. Mais rien de tout cela ne changeait le fait que Hazaroff avait gagné. Il se sentait exalté comme jamais auparavant, se délectant d’avoir vaincu un ennemi puissant en dépit de ses difficultés.

Mais comme pour verser de l’eau froide sur la satisfaction d’Hazaroff, une faible voix résonna au sein de la brume, la voix d’une jeune fille orientale vêtue de vêtements chamaniques.

« Kojou ! Kojou… Ouvre les yeux, Kojou ! S’il te plaît, je t’en supplie… ! »

Elle s’accrochait au corps du garçon, apparemment son frère aîné, tentant désespérément de le sauver.

Peu importe comment elle essayait, le résultat était évident pour tout le monde. Le corps de l’adolescent avait essuyé une volée de balles et était complètement imbibé de sang. D’innombrables balles avaient déchiré sa poitrine. Même un vampire doté d’une grande capacité de régénération ne pouvait être sauvé avec de telles blessures, sans parler d’un simple humain.

Cependant, la survie de la petite sœur l’avait surpris. Il était certain que la volée avait fini par les achever tous les deux — .

Hazaroff baissa les yeux sur le garçon oriental mort, expirant d’admiration.

« Je vois… Tu as protégé ta petite sœur. Je loue ta force d’âme, mon garçon. »

Une fraction de seconde avant d’être pris dans la salve, il avait probablement repoussé sa petite sœur de toutes ses forces dans un coin de la salle en pierre, loin de la zone ciblée. Puis il avait agi comme un leurre, attirant les tirs des morts-vivants.

« Un plan imprudent, mais je reconnais que ta conduite était courageuse. Cependant, ton corps n’est que celui d’un humain fragile. C’est malheureux…, » dit-il d’un ton apitoyé.

Puis il s’était transformé en une bête divine géante une fois de plus.

Cela le dérangeait que le corps de l’adolescent soit plus ou moins intact malgré cette grande grêle de balles. Si c’était le cas, il était possible que le corps du Quatrième Primogéniteur soit également intact. Même si la probabilité était faible, la prudence exigeait qu’il brûle tout, juste au cas où.

Hazaroff ria cruellement et annonça à la jeune chamane. « — N’aie pas peur. Cette fois, je vais mettre fin à ta misère ! »

L’immense énergie démoniaque à l’intérieur de l’homme bête noir de jais se condensa en un puissant souffle de flamme divine bestiale avec lequel il avait l’intention d’annihiler tout ce qui se trouvait dans la ruine. Mais juste avant qu’il ne déclenche son attaque, une légère inquiétude était apparue au fond de son esprit.

Pourquoi l’adolescent s’était-il tenu juste devant le cercueil ?

Il était sûr que le garçon avait su que les morts-vivants visaient le cercueil. Il n’était pas nécessaire de s’exposer ainsi aux tirs, même pour protéger sa petite sœur.

Aurait-il pu essayer de sauver le Quatrième Primogéniteur — ? Non, ça ne pouvait pas être ça. Protéger sa petite sœur lui avait pris tout ce qu’il avait. Il n’y avait pas de place pour autre chose. Non, il avait essayé de sauver sa petite sœur, au point de se sacrifier.

Pourquoi, alors, avait-il volontairement choisi la mort ?

Même si sa petite sœur avait survécu aux premiers tirs, il n’y avait aucune garantie qu’il la laisse partir. Il était naturel pour lui de s’attendre à ce que quelqu’un l’achève, tout comme Hazaroff le faisait en ce moment même.

S’il voulait vraiment sauver sa sœur, il devait lui-même survivre. Liana Caruana n’était plus. Il n’y avait personne pour la protéger, sauf le garçon.

Mais s’il savait qu’il existe un être qui pourrait sauver sa petite sœur ?

Hazaroff continua à charger son énergie démoniaque lorsqu’il lâcha involontairement. « Le quatrième Primogéniteur… ! Où sont les restes du Quatrième Primogéniteur… !? »

Hazaroff ordonna à ses subordonnés morts-vivants de chercher. Le corps du quatrième Primogéniteur, la fille qui aurait dû être piégée dans le cercueil, n’était nulle part.

La voix du Prince de la Mort trembla. « Gamin… Tu n’aurais pas pu… ! »

Lorsque les Vassaux bestiaux de Liana s’étaient déchaînés, le cercueil de glace s’était fissuré et les restes de la jeune fille étaient apparus. Si elle était l’authentique Quatrième Primogéniteur, sa chair était immuable, on disait que c’était une malédiction des dieux eux-mêmes. Il ne serait pas étonnant qu’un petit coup de pouce suffise à la faire revivre. Un petit coup de pouce — .

Par exemple, un sacrifice humain lui offrant son propre sang ?

« Tu as planifié cela !? Que les tirs déversent ta chair et ton sang sur le quatrième Primogéniteur !? »

Puis Hazaroff avait finalement réalisé que la fille piégée dans le bloc de glace n’avait pas disparu. Elle était simplement submergée — dans une mare de sang sous le corps en lambeaux et déchiré du garçon !

Il crut entendre le garçon soi-disant décédé crier le nom de quelqu’un.

« Av... ro… ra… »

L’instant suivant, un froid glacial avait soudainement soufflé, remplissant chaque coin de l’intérieur de la ruine.

Le visage d’Hazaroff s’était déformé sous le choc.

« Qu’est-ce que… ceiiiiii… !? »

La fille ensanglantée s’était levée, soutenant visiblement le corps du garçon blessé. C’était une fille ressemblant à une fée, vêtue seulement d’un tissu fin et simple.

Ses cheveux scintillaient comme l’arc-en-ciel et ondulaient comme des flammes, et lorsqu’elle ouvrit les yeux, ils dégageaient une lumière pâle et flamboyante.

Baignés par le froid émanant de la jeune fille, les morts-vivants se figèrent, se brisant les uns après les autres. Même Hazaroff transformé était intimidé par l’énergie démoniaque massive.

« C’est inutile. Même si tu es le véritable Quatrième Primogéniteur, tu viens à peine de t’éveiller. Tu n’es pas de taille pour être mon adversaire ! » rugit Hazaroff.

Il libéra toute l’énergie démoniaque dont il disposait dans un souffle ardent du plus haut calibre — des flammes démoniaques infernales, hautement condensées, capables de même annihiler les Vassaux bestiaux vampiriques en un seul coup.

Cependant, la jeune fille aux yeux de braise avait facilement repoussé cet enfer noir mortel.

Dans son dos, une ombre géante s’élevait, translucide comme un glacier. Sa moitié supérieure ressemblait à une femme humaine, tandis que la moitié inférieure ressemblait à un poisson. Des ailes poussaient dans son dos, dont les extrémités se terminaient par des griffes acérées comme des rasoirs. Elle ressemblait à une sirène de glace, ou peut-être une ange — .

C’était une bête invoquée d’un autre monde, vacillante comme un mirage…

« Un… vassal bestial… !? » s’exclama Hazaroff.

Le serviteur que la jeune fille avait appelé avait annihilé son souffle noir flamboyant. L’énergie démoniaque restante se transforma alors en un torrent glacé sauvage, gelant instantanément un Hazaroff transformé sous sa forme divine. Il l’avait gelé en dessous du zéro absolu, le plus bas sur l’échelle de Kelvin, où la matière ne pouvait pas se maintenir en tant que matière — .

Il gémit, « Im… possible… Une puissance aussi incroyable… ne peut exi… »

Il ne pouvait plus maintenir sa conscience.

Sa chair et son sang avaient complètement disparu sans laisser de trace. Ainsi que tout signe qu’il a déjà existé.

À l’intérieur de la pièce en pierre qui s’effondre, Nagisa Akatsuki murmura. « Kojou… »

Puis tout était devenu blanc — .

***

Partie 10

Sous les rayons éblouissants du soleil, Gajou Akatsuki s’était réveillé.

L’horizon se teintait de bleu. La nuit était tombée.

Le corps de Gajou était couvert de blessures. Sa veste en cuir bien-aimée avait été déchirée en lambeaux, teintée de rouge et de noir par le sang. En raison de la perte excessive de sang, il avait très froid. Mais il était vivant. Avec tant de ses camarades morts, Gajou — et Gajou seul — avait survécu. Encore…

Alors qu’il était allongé sur l’affleurement dur, il entendit la voix d’une fille qui zappait un peu.

« — Il semble que vous êtes redevenu conscient… »

Gajou avait poussé un petit gémissement en essayant de tourner la tête vers la voix. Le moindre remuement de ses doigts provoquait une douleur intense dans tout son corps. Apparemment, il était plutôt mal en point. Malgré cela, il s’était forcé à s’asseoir pour pouvoir voir son interlocuteur. C’était une jeune fille orientale de petite taille portant une robe élégante à froufrous. Elle avait un beau visage, rappelant celui d’une poupée, et de longs cheveux. Pour une raison inconnue, bien que ce soit le matin, elle se couvrait d’une ombrelle. Son visage semblait moins jeune et ressemblait plus à celui d’un enfant, et l’aura qu’elle dégageait possédait une gravité et un charisme étranges. Nul doute qu’elle était plus âgée qu’elle n’en avait l’air.

« Il est préférable que vous ne bougiez pas pour l’instant, » dit-elle. « Votre bras gauche est cassé. Mais, affronter le Prince de la Mort et survivre avec seulement des blessures… La chance du revenant de la mort, Gajou Akatsuki, est aussi forte que les rumeurs le disent. »

Gajou fit claquer sa langue en signe de consternation devant ce titre détestable. C’était un nom infâme, accordé parce qu’il avait affronté le danger dans de nombreuses ruines, pour n’être que le seul survivant — donc, le revenant de la mort. Il n’aimait pas être connu sous cette épithète, mais il n’y avait rien à faire, les faits étaient les faits.

« Cette tenue… Je vois. Vous devez être Natsuki Minamiya, la sorcière du néant qui tue les démons. »

Gajou avait délibérément utilisé son surnom pour tenter de lui rendre la monnaie de sa pièce. Cependant, la petite fille en robe s’était contentée de hausser les épaules et de faire un petit sourire méprisant. Puis elle avait baissé les yeux avec un soupçon de tristesse.

« Je poursuis les restes du Front Empereur de la Mort Noire à la demande du Maître des Serpents de l’Empire du Seigneur de Guerre. Je suis désolée. Si j’étais arrivée un peu plus tôt, il n’y aurait pas eu autant de pertes. »

« Non… Cette ruine était cachée par une barrière magique. Bien sûr, vous ne pouviez pas la trouver. »

Gajou avait secoué la tête sans réfléchir. L’enquête sur les ruines du Cercueil de la Fée était un projet top secret connu seulement de quelques personnes de l’Empire du Seigneur de Guerre et du gouvernement japonais. La faute ne reposait pas sur les épaules de Natsuki ni sur celles de quiconque.

Natsuki avait déclaré avec désinvolture, comme pour consoler Gajou. « Il y a vingt-trois survivants de l’équipe de fouille — environ la moitié du personnel en surface a pu évacuer grâce au temps que vous avez gagné en bloquant le Prince de la Mort. »

Gajou haussa les épaules en déplaçant son regard vers l’ancienne ruine. La collision des énergies démoniaques géantes avait complètement effondré la tombe souterraine.

Elle était méconnaissable. La restauration de l’intérieur était pratiquement une cause perdue.

« Et Mlle Caruana ? »

« La fille du Duc Caruana ? … Malheureusement… »

« Je vois. »

Gajou poussa un bref soupir. Il avait deviné que Liana était morte à cause de la dissolution de la barrière autour du camp. Cela signifiait probablement que Kojou et Nagisa, qu’elle protégeait, étaient irrécupérables.

D’un ton sec, Gajou avait émis un rire creux avant de se lever.

« Vous m’avez été d’une grande aide. Je vous remercie, Natsuki. »

« Ne prononcez pas mon prénom avec tant de désinvolture, Gajou Akatsuki. De plus, je n’ai rien fait pour que vous me remerciiez. »

« N’est-ce pas vous qui avez vaincu Hazaroff ? » avait-il demandé, perplexe.

Les yeux de Natsuki n’exprimaient aucune émotion et elle secoua silencieusement la tête.

« Tout était fini quand je suis entrée dans la ruine. Je n’ai pas détruit le Prince de la Mort. »

« Qui, alors ? Vous ne voulez pas dire que lui et Mlle Caruana se sont mutuellement tués… ? »

Gajou était hors de lui quand il avait parlé. Liana était morte en combattant Golan Hazaroff, le Prince de la Mort. Il n’y avait personne d’autre qu’elle, un noble vampire, capable de vaincre Hazaroff. Personne, sauf une seule exception.

 

 

Natsuki avait souri de manière provocante en faisant tourner son parasol dans tous les sens.

« Tout ce que j’ai fait, c’est de faire sortir les enfants enterrés sous terre. »

« Enf… ants… ? »

« Il semble que vous ayez donné au douzième Sang de Kaleid le nom d’Avrora Florestina ? »

« La princesse endormie… Elle s’est réveillée… ! »

Qui sait ? semblait dire Natsuki en souriant. Elle déclara d’un ton peu engageant, « Je n’ai aucune preuve qu’Avrora s’est réveillée. On ne sait pas qui a détruit le Prince de la Mort. Pour l’instant, du moins. »

Elle savait parfaitement à quel point la situation actuelle était dangereuse. Elle comprenait ce que signifiait le réveil du douzième sang de Kaleid.

Elle poursuit. « Nagisa Akatsuki est en vie avec de lourdes blessures. J’ai organisé un avion pour l’emmener dans un hôpital de Rome. »

Natsuki désigna le camp, brûlé, mais toujours debout, pour ponctuer son affirmation. Une équipe médicale du Sanctuaire des Démons soignait les blessés dans des tentes portables. Parmi eux se trouvait une jeune fille habillée en prêtresse, dormant comme une morte à l’intérieur d’une capsule médicale translucide.

Ils avaient apparemment abandonné tout espoir de traitement sur place et avaient l’intention de la transporter dans un hôpital hors du pays alors qu’elle était encore dans le coma.

Gajou regarda autour du camp et il demanda. « Qu’est-il arrivé à Kojou ? Il devait être avec Nagisa ! »

Son fils était introuvable parmi les blessés soignés.

Les beaux yeux de Natsuki s’étaient rétrécis alors qu’elle faisait un sourire qui semblait dangereux d’une certaine façon.

« Le garçon est indemne. Il est simplement en train de dormir. »

Il avait senti son corps entier s’engourdir.

« Indemne ? »

« Oui, malgré tous les signes montrant que son corps tout entier a été criblé et creusé par des balles, y compris ses poumons et son cœur. »

« … Quoi ? »

« Le douzième Sang de Kaleid et la fratrie Akatsuki seront placés sous la responsabilité du Sanctuaire des Démons d’Extrême-Orient. L’Empire du Seigneur de Guerre l’a accepté. Pas de plaintes, Gajou Akatsuki ? »

Gajou avait finalement compris où Natsuki voulait en venir. « Le Sanctuaire des Démons d’Extrême-Orient… !? Je vois, l’île d’Itogami… ! »

L’île d’Itogami était une île artificielle flottant dans l’océan Pacifique, un district administratif spécial sous la juridiction du gouvernement japonais. C’était aussi le terrain de chasse de Natsuki Minamiya, la Sorcière du Vide. Une fois sur l’île d’Itogami, loin de l’Europe, les autres Dominions ne pouvaient pas les toucher. Ils n’atteindraient pas Avrora ni la fratrie Akatsuki —

« Bien joué, Sorcière du Vide —. » Marmonna-t-il.

Natsuki Minamiya avait gloussé avec un sourire de fierté en disant. « Il s’agit de la Purification, donc j’ai tordu quelques bras. Ce n’est sûrement pas un mauvais arrangement de votre point de vue ? Êtes-vous mécontent, Gajou Akatsuki ? »

« … Non. Je déteste le fait que tout se passe comme vous le voulez, mais je ne vois pas d’autres options. »

Il avait soulevé le bord de son fedora brûlé. Puis il avait tourné le dos à Natsuki.

Elle avait légèrement haussé un sourcil. « Où pensez-vous aller ? »

Gajou ne s’était jamais retourné, saluant lentement de son bras gauche encore cassé.

« … Je n’ai pas le droit de faire face à ces enfants en ce moment, et il semble que je puisse vous faire confiance. Désolé, mais vous allez devoir vous occuper d’eux pour un moment encore. »

« Avez-vous l’intention de chercher un moyen de sauver ces enfants ? »

La question de Natsuki avait arrêté Gajou dans son élan. Il grimaça avec un mouvement de la joue, comme s’il se moquait de lui-même.

« Je suis un érudit… Chercher des trucs est ma spécialité. »

Gajou avait repris sa marche, traînant presque son corps instable en avant. Natsuki n’avait pas fait un geste pour l’arrêter. Finalement, il avait disparu au milieu des rayons éblouissants du soleil.

Le vent soufflait sur l’affleurement cicatrisé, portant encore l’odeur de la poudre à canon.

C’était la première rencontre entre le douzième Sang de Kaleid et la fratrie Akatsuki — et le prélude à une nouvelle tragédie.

 

***

Chapitre 2 : L’Ombre d’un autre sang de Kaleid

Partie 1

L’étroite ruelle était imprégnée d’odeurs d’eau salée et d’acier rouillé.

Un fouillis de structures abandonnées bordait la rue. Les murs des bâtiments étaient fissurés, et même la charpente métallique intérieure était exposée. Des graffitis disgracieux décoraient les volets. Trouver un panneau de verre intact aurait été une tâche considérable.

Cependant, un grand nombre d’âmes ivres se délectaient dans ce quartier sale, à la recherche de plaisirs décadents — des hommes pêchant les eaux à la recherche de femmes, ainsi que les prostituées qu’ils recherchaient. D’autres croulaient sous de grandes quantités d’alcool et de stupéfiants illégaux. Ceux qui rôdaient dans ce lieu étaient parfaitement au fait de l’odeur du sang, de la violence et de l’argent.

C’était un quartier hérétique, indigne de la ville du Sanctuaire des Démons qui était au sommet de la recherche savante. Pourtant, dans un autre sens, c’était le sous-produit inévitable de ce succès. Le quartier était connu sous le nom de Zone abandonnée numéro 27 de l’île d’Itogami. C’était la ruine de l’ancienne île sud-ouest, qui avait sombré dans la mer à la suite d’un accident imprévu — le « quartier effacé » littéralement rayé de la carte.

 

Un homme seul marchait dans une rue chaotique de ce quartier. C’était un grand et beau jeune homme.

Il ne portait pas son manteau blanc au prix élevé, mais plutôt un blouson de motard en cuir noir. En raison de l’atmosphère du quartier, la tenue ne se distinguait pas beaucoup. Pourtant, le jeune homme lui-même attirait beaucoup d’attention en raison de ses cheveux blonds parfaitement peignés et de son visage parfaitement symétrique — ainsi qu’à une élégance raffinée dans chacun de ses mouvements. Il brillait parmi les hommes comme une pièce d’or parmi de simples cailloux.

Quelques minutes après avoir pénétré dans le quartier, le jeune homme se retrouva au centre d’un groupe de brutes.

« Eh bien, mon frère. »

L’instinct de tous les habitants du district était de repousser les étrangers, mais c’était à lui qu’ils adressaient leur hostilité. Une autre voix était venue de derrière, coupant apparemment son chemin de fuite.

« Qu’est-ce que tu fais par ici ? T’es-tu disputé avec maman et tu as quitté la maison ? »

Avant qu’il ne s’en rende compte, le nombre de personnes autour de lui était passé à une dizaine. Cependant, il n’en avait pas tenu compte, jetant un coup d’œil renfrogné aux habitants.

Les habitants avaient reculé d’un pas, apparemment intimidés par ce regard silencieux. Le jeune homme avait repris sa marche comme si de rien n’était, tandis que les habitants le fixaient sans un mot.

Les brutes n’étaient pas particulièrement intelligentes, mais leur instinct leur disait haut et fort que, si le jeune homme blond l’avait voulu, ils auraient été instantanément anéantis. Et ils avaient été autorisés à vivre en raison de son seul caprice.

Le jeune homme se dirigea vers une taverne délabrée, un établissement peu fréquenté qui utilisait un bâtiment condamné. Le nombre de clients se comptait sur les doigts d’une main. L’odeur qui flottait à l’intérieur provenait d’un narcotique fait d’extraits de cactus. C’était un hallucinogène puissant, suffisamment pour qu’un humain normal en prenant ne soit-ce qu’une petite quantité meure d’une overdose. Il fonctionnait assez bien, même sur les démons résistants aux drogues.

Derrière le comptoir se trouvait un barman qui semblait être le propriétaire. Il mesurait plus de trois mètres, et au-delà, son physique n’était clairement pas celui d’un humain normal. Il s’agissait d’un soi-disant Giga, une race de géants peu nombreuse et rarement vue, même dans le Dominion ou les Sanctuaires des démons.

Le barman s’était adressé au jeune homme d’une voix grondante comme un instrument de basse.

« Je n’ai jamais vu ton visage avant. »

Derrière ces mots, il y avait un sous-entendu clair disant : « Maintenant, va te faire voir ». Cependant, le jeune homme se dirigea calmement vers le barman et posa une pile de billets sur le comptoir. C’était probablement l’équivalent de plus d’un semestre de bénéfices pour le bar.

Le jeune homme blond demanda tranquillement, d’une voix élégante, mais acide. « J’ai entendu dire qu’une jeune femme vampire se cachait ici. Pourriez-vous nous présenter ? »

Le barman avait pris la pile de billets en secouant carrément la tête.

« Je n’ai pas entendu un mot à ce sujet. »

« Hmph. » Alors qu’il souriait de façon charmante, des crocs pointus sortirent de l’espace entre ses lèvres. Il s’était rendu compte avec désinvolture qu’une paire d’hommes qui avaient bu à l’intérieur de la taverne s’étaient approchés du comptoir, l’encerclant des deux côtés. Comme le propriétaire, chacun d’eux mesurait plus de trois mètres de haut et pesait probablement plus de quatre cents kilos chacun, formant un impressionnant et imposant mur de muscles.

« — Dégage. Cet endroit est réservé aux Gigas, » menaça l’un des géants.

Cependant, le jeune homme avait calmement ignoré l’avertissement.

« Pas assez de jetons sur la table ? Que diriez-vous de ceci ? »

Il avait placé quelques dizaines de pièces de monnaie connues sous le nom de couronnes impériales du Nord sur le comptoir. Elles devaient valoir plus de cent mille yens japonais. Des mesures spéciales étaient employées pour empêcher la contrefaçon des pièces d’argent de l’Empire de la mer du Nord, et beaucoup d’entre elles étaient utilisées pour des transactions entre organisations criminelles.

Sans réfléchir, le commerçant avait tendu la main vers les pièces d’argent, mais il s’était arrêté au son de la voix des clients en colère.

« Hé, tu as du culot de nous ignorer, sale gosse ! »

Le géant de droite avait entouré le jeune homme de ses bras et l’avait soulevé en l’air dans un câlin d’ours.

« Quoi, tu pensais pouvoir marcher sur un Giga au milieu d’un Sanctuaire ? »

Le jeune homme pesait probablement moins de vingt pour cent de la masse du géant. Cependant, son expression ne révélait aucune panique. Au contraire, il avait regardé les bracelets que portaient les géants et avait utilisé une main pour bloquer les bras du géant.

Il s’agissait de bracelets d’enregistrement des démons émis par la Corporation de Management du Gigaflotteur — servant simultanément d’identification des citoyens et de mesure de surveillance. Lorsque les démons commettaient des actes de violence dans les limites de la ville d’Itogami, l’information était transmise à la garde de l’île. Cependant, malgré la rage des géants, les bracelets ne réagissaient pas.

L’homme blond avait calmement examiné la zone en disant. « Hmm, donc l’infrastructure des bracelets ne fonctionne pas ici ? »

Apparemment, le quartier effacé était en dehors du champ d’action du système, comme un angle mort électromagnétique. En d’autres termes, même si des démons se déchaînaient dans le quartier, personne ne le remarquerait, même si quelqu’un devait en mourir…

« Même dans un district qui ne devrait pas exister, ce serait un sacré problème si cela se savait. »

« Si tu comprends ça, alors fous le camp tout de suite. Ou tu veux que je t’étouffe ? » répondit le géant de droite.

« … Qu’est-ce qui vous rend si nerveux, hein ? »

Le commentaire dit en gloussant de l’homme avait figé le visage des deux géants.

« Quoi ? »

Il s’était facilement libéré de l’étau. Ce n’était pas un exploit que son corps aurait dû être capable d’accomplir. Et pourtant, c’était le géant dont les os craquaient face à une force écrasante.

Les yeux du jeune homme étaient teintés de rouge tandis que ses crocs brillaient à nouveau d’un éclat blanc. Le géant tituba en arrière alors qu’il était complètement repoussé.

« Un vampire !? Mais ce pouvoir… ! »

Pendant ce temps, l’homme de gauche avait sorti une arme de son dos. Pour un géant, ce n’était rien de plus qu’un simple couteau, mais sa lame ressemblait à une grande épée pour des yeux humains.

« Tu es… Dimitrie Vattler !? »

L’homme étrange — Vattler — avait souri face au géant armé d’un couteau avec un plaisir évident.

« Et vous tournez votre lame vers moi, sachant cela ? Je vois. On dirait que vous n’êtes pas de simples voyous. »

Le grand corps de Vattler avait soudainement oscillé. Le sol en béton du bâtiment se déforma comme s’il était sur le point de s’effondrer, mais seulement dans la zone proche de lui. C’était sûrement l’air à l’intérieur de la taverne, qui gémissait d’agonie à cause d’un changement soudain de la pression atmosphérique, provoquant d’innombrables fissures dans les murs et les piliers du bâtiment.

D’un calme absolu, Vattler avait supporté l’incroyable pression qui s’exerçait sur tout son corps.

« Une arme de Gigas, qui contrôlent le pouvoir des éléments… Je m’y attendais de la part d’enfants autoproclamés de demi-dieux. »

Les Gigas ne s’appuyaient pas uniquement sur la force soutenant leurs corps géants. Peut-être que leur aptitude à vivre dans les déserts arides, les terres incultes et autres climats rudes rendait leur chair particulièrement compatible avec les esprits élémentaires. En d’autres termes, de nombreux Gigas étaient des Mages spirituels nés. En outre, depuis les temps anciens, ces géants étaient réputés pour leurs techniques d’exploitation minière, de métallurgie et de forgeage. Les armes forgées par eux empruntaient la puissance des esprits pour permettre une sorcellerie de haut niveau pour une variété de pouvoirs spéciaux. En effet, le système Völundr du royaume d’Aldegia avait été développé à partir de l’étude des armes des Gigas.

***

Partie 2

Le couteau de l’homme Gigas était l’une de ces armes magiques, une vile lame démoniaque capable de manipuler la gravité. À une gravité cent fois supérieure à la normale, le corps de Vattler pesait plusieurs tonnes, une chute sur le sol de dix centimètres avait le même impact qu’une chute de dix mètres. De plus, la zone d’effet de la super-gravité était confinée à l’endroit où se tenait Vattler. Les deux Gigas n’étaient pas affectés par les effets de la lame magique et pouvaient l’attaquer à volonté.

Mais un moment après que les géants aient été certains de leur victoire…

« … G… wah !? »

Un impact d’une force comparable à celle d’un maillet de fer avait fait voler les deux Gigas.

Vattler n’avait pas encore invoqué un Vassal Bestial. Il avait simplement relâché les rênes qui retenaient l’énergie démoniaque dans son corps pendant un bref instant. L’énergie magique qui surgissait de là avait facilement annulé l’attaque par gravité et avait frappé les deux Gigas.

Dans le processus, la poussée d’énergie avait soufflé un mur extérieur de l’établissement vieillissant, et des fragments du plafond qui s’était effondré s’étaient déversés dans le bar.

Le géant de droite, taché de sang, murmura avec regret. « Argh… satané chien enragé… »

… et il avait rapidement perdu connaissance. Le géant de gauche était plus gravement blessé, le prix à payer pour avoir utilisé la lame magique jusqu’au bout dans l’espoir d’affaiblir un tant soit peu la contre-attaque du vampire.

Vattler se tenait seul au milieu de l’épaisse poussière, complètement indemne.

La seule autre personne dans la taverne, le barman, se tenait simplement derrière le comptoir, abasourdi.

Vattler jeta un coup d’œil aux deux géants, satisfait par leur volonté de se battre jusqu’au bout. Puis il tourna ses yeux cramoisis vers le barman frissonnant et lui adressa un sourire suffisamment cruel pour lui glacer le sang.

« Maintenant, si je peux continuer mes questions… »

 

Une femme se tenait sur le toit d’un bâtiment à moitié effondré.

C’était une fille étrangère portant une capuche blanche, et ses jambes gracieuses étaient aussi pâles que celles d’un fantôme. La silhouette immobile qui fixait la mer ressemblait à un beau morceau de verre gravé.

Et au fond sombre de l’eau claire se trouvait une vaste ruine. Elle était seule, à contempler cette zone urbaine submergée.

Vattler montait des escaliers à moitié détruits tout en parlant à la fille.

« — l’ancienne île du Sud-ouest, le quartier tragique qui a sombré ici il y a un an et demi. »

Son ton était aussi vaniteux que d’habitude, mais ses mots étaient teintés d’une soif de sang glaciale. La raison de sa colère n’était pas qu’il avait été retardé de manière inattendue dans le discernement de sa position. C’est plutôt le fait qu’elle se tienne à cet endroit qui avait irrité Vattler.

Les ruines de l’ancienne île du Sud-ouest étaient une terre sainte qui lui inspirait une foule de sentiments. C’était la pierre tombale d’un groupe particulier de filles et ce n’était pas un endroit où les étrangers non apparentés pouvaient s’aventurer.

Cependant, la fille à la capuche blanche n’avait même pas tourné la tête en murmurant. « Alors tu es venu, Dimitrie Vattler… »

Ses lèvres s’étaient retroussées en un sourire. La fille savait qu’il allait venir. En d’autres termes, elle s’était préparée à l’éventualité d’un combat.

« Qui es-tu ? Quand t’es-tu faufilée sur l’île d’Itogami ? Et qu’est-ce que tu cherches ici ? » demanda-t-il calmement.

Elle n’était pas une citoyenne légitime de la ville d’Itogami. Elle était un démon non enregistré et une visiteuse illégale. Mais d’un autre côté, elle connaissait le district effacé et l’existence de l’ancienne île du Sud-ouest au fond de la mer. Elle connaissait donc un grand nombre de détails sur ce qui se passait sur l’île d’Itogami.

En plus de cela, elle avait des co-conspirateurs qui la cachaient même au péril de leur vie. Il doutait fort que les membres de la fière race des Gigas offrent leur loyauté à une simple fille vampire.

Mais la petite fille avait balayé d’un revers de main les doutes de Vattler.

« Ne fais pas attention à moi… Je suis très généreuse ce soir, alors à titre exceptionnel, je vais te laisser partir. Va-t’en, Maître des Serpents. »

Un regard joyeux s’était posé sur Vattler.

« Comme c’est charmant. Tu t’es faufilée sur un bateau, n’est-ce pas ? C’est d’autant plus amusant pour moi… ! »

Derrière lui, l’ombre vacillante d’un Vassal Bestial géant flottait dans les airs. Si l’adversaire était un autre vampire, Vattler n’avait aucune raison de ne pas invoquer ses vassaux bestiaux.

La jeune fille fit un signe avec une manche de sa robe en se retournant lentement. « Hmm, alors tu ne tiens pas compte de mon avertissement ? C’est aussi bien. »

« Rapide et précise. » Vattler avait ri. Apparemment, la fille avait l’intention de le combattre de front. Un maniaque du combat comme lui ne pouvait pas rêver d’une meilleure situation. Dans le pire des cas, il consommerait la fille et obtiendrait ses informations de cette façon.

Vattler avait invoqué deux vassaux bestiaux.

« — Nanda ! Batsunanda ! »

Il fusionna les deux pour créer un nouveau Vassal Bestial, dont la puissance magique fut amplifiée plusieurs fois. Ensemble, ils devinrent un dragon couleur acier englouti dans des flammes incandescentes. L’immense énergie magique, comparable à celle d’un Vassal Bestial d’un Primogéniteur, fit trembler le sol artificiel abandonné et créa des ondulations turbulentes à la surface de l’eau de mer environnante.

La jeune fille expira d’admiration.

« Ohh… ! »

Vattler avait deux raisons d’utiliser un Vassal Bestial fusionné dès le départ. D’abord, pour priver son ennemi de la volonté de se battre en lui montrant l’écrasante supériorité de sa puissance, ensuite, pour libérer une puissance maximale contre un adversaire de calibre inconnu, en respectant fidèlement les principes fondamentaux de la tactique.

Même si l’adversaire était une petite fille, Vattler ne sous-estimait pas ses ennemis — son instinct de combat pur lui avait toujours sauvé la vie par le passé.

« C’est donc ta fusion de Vassaux Bestiaux dont on parle tant ? Assurément, sa force est impressionnante. »

Au moment où la puissante créature avait attaqué la jeune fille, elle avait levé sa main droite, repoussant l’attaque avec la plus grande facilité. La fusion des vassaux bestiaux avait été annihilée par l’onde de choc de sa propre attaque.

Vattler avait gémi à cause du féroce contrecoup. « Argh !? »

Incapable de conserver sa forme physique, le Vassal Bestial fusionné s’était séparé, retournant dans le monde étranger d’où il venait.

La fille n’avait pas bloqué l’attaque de Vattler, bien au contraire. À l’instant où le Vassal Bestial était entré en collision avec la fille, il avait à peine réussi à annuler l’incroyable puissance démoniaque qu’elle avait libérée. Même le robuste Vassal Bestial fusionné n’avait pas pu résister à l’attaque de la fille.

« C’est dingue… Comment as-tu pu… ? »

La jeune fille regarda le Vattler secoué avec joie. « Pourquoi es-tu surpris ? Je suis le plus puissant vampire du monde. Est-ce que le fait que je bloque ton attaque est si inattendu ? »

Une vague de vent avait repoussé la capuche de la jeune fille, révélant son visage. Elle avait environ quatorze ou quinze ans et était d’une beauté féerique. Les cheveux qui lui arrivaient aux hanches étaient blonds, mais à la lumière du soleil, ils reflétaient toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Ses grands yeux brillaient comme des flammes bleues.

Elle continua. « Qu’est-ce qui ne va pas, Maître des Serpents ? As-tu oublié mon visage ? Ou bien trouves-tu mystérieux que je sois ici alors que je devrais être morte ? »

Les dents de Vattler s’étaient contractées au fond de sa bouche.

« Des yeux flamboyants… Avrora… Florestina… !? »

La densité de l’énergie magique destructrice qui s’écoulait de tout son corps était à un niveau complètement différent de celui d’avant. Il invoqua trois serpents en même temps, les fusionnant en un seul dragon doré à quatre pattes. Le miasme qu’il dégageait était suffisant pour transformer l’air environnant en poison. La végétation environnante était devenue brune, se desséchant et s’effritant.

La jeune fille avait laissé échapper un petit rire, souriant avec une innocence enfantine.

« La triple fusion… Comme c’est amusant. Être aussi frénétique à ma simple vue — il y a un côté adorable chez toi, jeune Vattler. »

« — Puisque tu t’es montrée sous cette forme, il n’est sûrement pas nécessaire de se retenir. Je m’excuse, mais je te ferai payer un prix approprié, » déclara froidement Vattler.

 

 

Il n’était pas possible qu’Avrora Florestina, le précédent Quatrième Primogéniteur, se tienne devant lui.

Ça ne pouvait pas être elle, car Kojou Akatsuki avait déjà hérité du pouvoir du Quatrième Primogéniteur. Avrora n’existait plus. Il y avait une raison pour laquelle elle ne pouvait pas exister.

Cependant, ce n’était que des préoccupations triviales pour Vattler. Que la fille devant ses yeux soit ou non la vraie Avrora Florestina importait peu. Son raisonnement était simple : si elle était la véritable Quatrième Primogénitrice, elle survivrait à l’attaque de Vattler, et si elle était une impostrice, elle périrait sur le champ.

Sans un seul instant d’hésitation, Vattler avait pris sa décision au milieu du chaos.

Les crocs de la fille ressortirent et elle sourit, satisfaite du jugement de Vattler.

« En effet. »

Il fonça sur la fille avec le Vassal Bestial géant fusionné. Il était enveloppé d’une incroyable énergie démoniaque dépassant largement celle d’un noble vampire. Sa réputation d’homme qui avait massacré plusieurs Sages au-dessus de ce rang n’était pas pour rien. Assurément, seuls les vrais Primogéniteurs eux-mêmes pouvaient s’opposer à Vattler à présent — n’importe lequel des trois Primogéniteurs occupant les trônes de leurs Dominions, ou le Quatrième Primogéniteur, dont l’existence même était remise en question…

Puis la jeune fille avait rétréci ses yeux flamboyants avec plaisir en se disant. « T’éliminer en premier était en effet la bonne décision, Maître des Serpents. »

L’instant d’après, il avait vu la fille s’éloigner de lui à une vitesse incroyable.

Non, ce n’était pas la fille qui s’éloignait. Vattler et son Vassal Bestial étaient seuls coupés du monde réel. Les ténèbres obscurcissaient sa vision, le rendant incapable de voir quoi que ce soit. Les sons, les odeurs, et même la gravité disparaissaient. Finalement, il doutait même de sa propre existence.

« … Contrôle spatial… Non, cet espace lui-même est un Vassal Bestial !? »

C’est l’abondante expérience de Vattler en matière de combat qui lui avait permis de comprendre sa situation actuelle. La fille avait lancé son attaque sur Vattler avant que celui-ci ne parvienne à la frapper.

L’espace lui-même, un monde de ténèbres infinies, était un Vassal Bestial matérialisé. Son arme comprenait maintenant le monde entier qui l’entourait.

Sans surprise, même Vattler ne put contenir son choc. Elle devait être un vrai Primogéniteur pour contrôler un Vassal Bestial d’une telle ampleur.

Emprisonné dans les ténèbres, Vattler avait entendu la voix de la jeune fille lui parler directement au fond de son esprit.

« Ne pense pas que je vais prendre ta vie. Tu resteras à l’écart ici jusqu’à ce que j’aie conclu mon affaire. »

Il ne pouvait déceler aucune hostilité dans ses mots ou dans le rire ironique qui les accompagnait.

Vattler expira puis murmura. « Je vois — c’était donc ton objectif depuis le début. Couper Kojou de la surveillance de l’Empire du Seigneur de Guerre… »

D’une certaine manière, son expression ressemblait à une moue, quelque chose qu’il n’aurait jamais affiché dans des circonstances normales.

La jeune fille avait brusquement changé de ton, semblant amusée, mais quelque peu sincère.

« Ce n’est pas personnel, Dimitrie Vattler. Je comprends ton attachement au Quatrième Primogéniteur. Cependant, le Seigneur de Guerre Perdu n’est pas le seul à s’intéresser à lui. »

« Tu vas payer cher pour ça —, » menaça-t-il, flottant toujours dans les ténèbres.

« Je m’en souviendrai, Dimitrie Vattler — mon bon vieil ami, » dit-elle en plaisantant.

Avec cela, la présence de la fille s’était éloignée, laissant l’aristocrate vampire dans l’obscurité, seul.

***

Partie 3

Jeudi, vers la fin du mois de novembre — .

C’était la fin de l’automne selon le calendrier, mais sur l’île tropicale d’Itogami, les rayons du soleil frappaient toujours en force.

Ce matin-là, le sommeil de Kojou Akatsuki, le plus puissant vampire du monde, avait été perturbé par la sonnette de son appartement. Le carillon électronique mélodique s’était obstiné à résonner plusieurs fois dans l’appartement.

Kojou avait remonté ses draps pour tenter de l’ignorer, mais cela, bien sûr, ne pouvait pas arranger la situation.

Il s’était lentement assis et avait tendu la main vers le réveil de son lit.

« Un invité… hein ? »

Les rayons du soleil filtrant à travers le rideau avaient brûlé la peau sans défense de Kojou. Eh bien, non pas qu’ils aient causé de dommages réels, mais c’était inconfortable et nettement désagréable. Son esprit était comme recouvert de toiles d’araignées, encore vague et non fonctionnel. Maintenant que Kojou était un vampire, il n’était décidément pas une personne du matin.

« Qui est-ce lors d’un matin normal comme celui-ci… ? Savent-ils seulement quelle heure il est… ? »

Kojou grommela pour lui-même en regardant le cadran de l’horloge. Un instant plus tard, il n’avait pas pu contrôler un cri stupide qui sortit de sa gorge.

« Nuoooooo ! »

Le petit bras de l’horloge était à un angle impossible, affichant qu’il était une bonne heure après son heure normale de réveil. À ce rythme, il serait en retard, c’était certain. Il ne savait même pas s’il arriverait à temps s’il quittait l’appartement à ce moment précis — .

En toute hâte, Kojou avait sauté du lit et avait activé le récepteur de l’interphone.

« H-Himeragi !? »

Il entendit alors la voix d’une fille trop sérieuse dans le microphone de la porte d’entrée.

« Bonjour, Senpai. »

C’était Yukina Himeragi, une fille en troisième année de collège à l’Académie Saikai — et l’observatrice de Kojou, envoyée par l’Organisation du Roi Lion.

Contrairement à Kojou qui était agité, Yukina était calme et posée. Grâce à sa licence fédérale de harceleur, elle surveillait toujours les activités de Kojou en utilisant des sorts ritualistes mystérieux. Elle savait depuis le début qu’il était endormi. Et ayant attendu le dernier moment possible pour qu’il se réveille, elle avait sans doute commencé à sonner à sa porte à toute vitesse, exaspérée.

Avec Yukina qui l’attendait à la porte d’entrée, Kojou avait offert une suggestion provisoire.

« Désolé, j’ai trop dormi. Je suis en train de me préparer, alors vas-y, Himeragi. »

Une étudiante comme elle n’a pas besoin d’être en retard à cause de moi, avait-il pensé avec, pour lui, une grande considération.

Yukina avait balayé ses paroles et avait dit. « Non, je vais attendre. »

« Mais cela pourrait signifier que tu seras en retard si tu m’attends… »

« Tu penses sûrement à sécher la première heure de cours, Senpai ? »

Avec un « Argh » silencieux, Kojou s’était retrouvé coincé, car les mots de Yukina avaient frappé dans le mille. Comme il allait être en retard même s’il se dépêchait, il pensait que les dommages seraient moins importants s’il acceptait simplement son retard et arrivait à l’école à son propre rythme, mais…

Elle ne tolérait aucune dissidence.

« Prépare-toi aussi vite que tu le peux. Je t’attends ici. »

Il avait alors abandonné toute résistance. Il avait l’impression que les tendances à la traque de Yukina s’étaient renforcées ces derniers temps, ce qui l’effrayait un peu.

Kojou avait reposé le récepteur de l’interphone et s’était dirigé vers la chambre de sa petite sœur. Normalement, c’était elle qui le réveillait s’il avait trop dormi. C’était rare qu’elle soit au lit aussi tard.

« Nagisa, j’entre ! »

En frappant délibérément et rapidement à la porte, Kojou avait ouvert la porte de la chambre de sa petite sœur.

La chambre était scrupuleusement ordonnée et rangée, sans surprise pour une maniaque de la propreté comme elle. Nagisa Akatsuki, allongée au sommet d’un lit près du mur, son ventre exposé et son pyjama en désordre à cause du sommeil, avait levé la tête, se frottant les yeux.

« Hm… Kojou… qu’est-ce qui ne va pas ? As-tu fait un cauchemar ou quelque chose comme ça ? »

« Réveille-toi. C’est le matin. »

« Hm ? »

Tour sur elle-même. Nagisa avait fait un virage à 180 degrés et avait regardé l’horloge numérique sur le mur. Puis ses yeux s’étaient soudainement ouverts en grand.

« Quoi — pas possible !? Pourquoi ne m’as-tu pas réveillée plus tôt !? »

« Je viens moi-même juste de me réveiller. Change-toi vite ou tu vas être en retard. »

« D-D’accord. C’est ça ! »

Nagisa avait poussé un cri strident et avait roulé du lit, paniquée. Ses longs cheveux ébouriffés par le sommeil se balancent sauvagement tandis qu’elle récupérait son uniforme sur son cintre.

De son côté, Kojou se dit avec désinvolture : pas de petit-déjeuner, hein ? et commença à retourner dans sa chambre quand…

« Oh, c’est vrai. Himeragi attend devant, alors… »

Il s’était arrêté juste avant de quitter la chambre de sa sœur et avait soudainement regardé en arrière.

« Hyaaa !? » cria Nagisa.

Bien qu’il n’en ait pas eu l’intention, il avait vu que Nagisa avait enlevé le haut de son pyjama. Apparemment, elle était tellement agitée d’être presque en retard qu’elle avait commencé à se changer avant même qu’il ne quitte la pièce.

Nagisa, prise par surprise une seconde fois, avait essayé de se retourner, mais sa cheville s’était prise dans le haut du pyjama, ce qui lui avait fait perdre l’équilibre et l’avait tomber en avant. Sa pose avait placé sa culotte directement vers Kojou, lui donnant un aperçu.

Nagisa, qui se frottait le front après l’avoir cogné contre le lit, avait fait encore plus d’histoires d’une voix forte.

« Hé, pourquoi regardes-tu !? Kojou, espèce de pervers ! »

Comment ça s’est-il transformé en ça ? Il avait involontairement encore plus fixé son regard.

« Comment puis-je être le méchant !? C’est toi qui as commencé à te déshabiller avant même que je ferme la porte — . »

« Ferme-la ! Et sors ! »

Nagisa s’était redressée et avait lancé un ours en peluche à Kojou qui avait quitté sa chambre.

 

Ils avaient aperçu le campus de l’Académie Saikai quelques instants avant le début des cours.

Ils pouvaient encore voir les étudiants rentrer dans l’enceinte de l’école depuis la rue en face. Kojou et les autres, jugeant qu’ils avaient réussi à ne pas être en retard, ralentirent le rythme de leur course. Nagisa haletait lourdement en disant. « On dirait qu’on a réussi… d’une manière ou d’une autre. »

Comme on pouvait s’y attendre, elle aussi avait survécu à la bousculade du matin. Elle n’arrêtait pas de s’inquiéter du fait que ses cheveux détachés, habituellement attachés en queue de cheval, étaient en désordre à cause du sommeil.

« Mais c’est étrange. D’habitude, tu ne fais pas de grasses matinées. »

Contrairement à Nagisa, Yukina, portant son étui à guitare noir sur le dos, avait une expression revigorée. Sa respiration était parfaitement calme, même si elle avait couru la même distance que Nagisa. Sans doute était-ce à peine un échauffement selon ses critères.

En tant que personne cachant sa propre nature, Kojou aurait préféré que son observatrice fasse un peu plus d’efforts pour se faire passer pour une collégienne ordinaire, mais…

« On dirait que je me suis rendormie après avoir éteint le réveil la première fois. Ce n’est pas quelque chose qui arrive souvent, » dit Nagisa. « C’est comme le fait que les singes tombent même des arbres — attends, je ne suis pas un singe ! Oh, au fait, on dit qu’on peut distinguer les singes des humains parce que les singes ont une queue. Et parce que les humains nagent. Un peu de futilité là. Aussi — . »

Avec sa petite sœur qui faisait office de comique et d’homme droit, Kojou lui avait donné un léger coup sur la tête pour la faire taire.

« Arrête, Nagisa. Tu fais peur à Himeragi et tu l’ennuies. »

C’était une petite sœur relativement bien équilibrée, mais l’un de ses rares défauts était son côté bavard. Apparemment, elle avait mis de côté le choc de la grasse matinée et était redevenue comme avant. En fait, elle était encore plus excitée que d’habitude.

Sans aucune raison, Nagisa avait levé les yeux au ciel, changeant soudainement de sujet.

« Oh, c’est vrai, c’est bientôt l’hiver. »

En raison de l’été éternel de l’île d’Itogami, les quatre saisons se ressemblaient, mais on était presque à la fin du mois de novembre. Les vacances d’hiver étaient dans moins d’un mois.

Kojou avait ressenti un vague sentiment de malaise. « Ouais… Maintenant que j’y pense, Himeragi, que fais-tu pour le Nouvel An ? »

Il se demandait si l’Organisation du Roi Lion avait l’intention de demander à Yukina de continuer à surveiller Kojou même pendant les vacances.

« Le jour de l’an… ? »

« Euh… Je veux dire, ne vas-tu pas retourner voir le Professeur Kitty ou quelque chose ? »

« Non. Je n’ai pas de projets particuliers pour le moment, mais… »

Yukina avait levé les yeux sur Kojou. D’après sa réaction, il était clair qu’elle avait l’intention de continuer sa mission de surveiller Kojou pendant les vacances d’hiver.

Par ailleurs, « Professeur Kitty » faisait référence à la sorcière qui était la mentore de Yukina. Kojou avait décidé de l’appeler par ce nom de son propre chef.

« Vous avez des projets tous les deux ? » demanda-t-elle.

« En quelque sorte… Si l’entreprise publique nous donne un permis, j’aimerais monter voir notre grand-mère, mais… »

Alors que Kojou murmurait, Nagisa avait exprimé un accord évident.

« Wôw, je veux vraiment aller la voir ! Je veux dire, nous ne l’avons pas vue depuis quatre ans. J’espère que grand-mère va bien. »

Aux commentaires affectueux de Nagisa, Yukina avait incliné la tête avec un regard interrogateur.

« Par votre grand-mère, vous voulez dire… ? »

« Oui. Elle fait une sorte de travail religieux dans un petit sanctuaire dans les montagnes de Tanzawa, » expliqua Kojou.

« Religieux… travail ? »

Yukina avait cligné des yeux avec une légère surprise. Kojou avait froncé les sourcils avec un soupçon de sourire amer.

« Elle est vraiment gentille avec Nagisa, mais c’est une vieille dame stricte… Elle est assez effrayante quand elle est en colère, et la rumeur veut qu’elle ait été un mage d’attaque non enregistré ou quelque chose comme ça. »

« Eh… ? »

Le visage de Yukina s’était raidi et elle s’était arrêtée sur place. Kojou avait fait de même et s’était arrêté, Nagisa se heurtant rapidement à son dos. Elle avait apparemment flâné, la tête dans les nuages, et n’avait même pas remarqué que Kojou s’était arrêté.

« Aïe ! »

« Qu’est-ce que tu fais… ? »

Nagisa, toujours au sol après être tombée sur ses fesses, avait jeté un regard malheureux à Kojou.

« Argh… C’est parce que tu t’es arrêté tout d’un coup, Kojou… ! »

C’était apparemment le destin de Nagisa de tomber ce jour-là, peut-être une poisse à cause de son sommeil trop long. Kojou était en train de donner un coup de main à sa petite sœur quand il vit la voiture garée devant la porte de l’école et fronça les sourcils.

« … Alors, qu’est-ce que c’est ? Se passe-t-il quelque chose dans l’école ? »

C’était une voiture de luxe fabriquée en Europe, le genre de chose que l’on ne voit pas souvent sur l’île d’Itogami, et une limousine noire et blindée en plus.

« Peut-être qu’il y a eu… un incident ? » marmonna Yukina, inquiète.

Bien sûr, il pouvait comprendre l’inquiétude de la fille. Aucun roturier respectable ne viendrait à l’école dans une voiture adaptée à une fusillade. Kojou et Yukina avaient échangé des regards et des réflexions hésitantes.

« Rien à voir avec moi… n’est-ce pas… ? »

« Ce… serait bien, mais… »

Sans se soucier de leurs préoccupations, une clameur s’était répandue parmi les élèves dans la cour de l’école lorsqu’ils avaient remarqué que des personnes sortaient de la limousine, cachée par la foule de curieux qui se rassemblait.

***

Partie 4

Malgré la difficulté de se rendre à l’école, le premier cours de la journée était la salle d’étude. Apparemment, sept étudiants en échange de courte durée s’étaient présentés sans arrangement préalable, plongeant l’administration de l’école dans le chaos. La réunion du personnel du matin avait dû s’éterniser. La limousine blindée devant la porte avait déposé ces étudiants. Naturellement, les étudiants d’échange justifiant un tel niveau de sécurité avaient également posé des problèmes dans la salle de classe.

Kojou, dans une classe séparée de Yukina et Nagisa, avait été déconcerté quand il avait entendu :

« … Les filles de l’Océanus ? »

Il ne connaissait pas ce groupe.

Asagi Aiba avait sorti sa tablette rose adorée et l’avait tendue à Kojou.

« N’en as-tu pas entendu parler ? C’est un groupe de filles qui est populaire ces derniers temps sur certains sites de partage de vidéos. »

L’écran affichait un groupe de filles étrangères vêtues d’adorables tenues. Leur âge variait entre le début de l’adolescence et le début de la vingtaine. Il avait l’impression de les avoir déjà rencontrées quelque part, mais il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.

« Le chant et la danse semblent plutôt amateurs, mais ces cinq-là sont jolies selon les normes japonaises, non ? Elles apparaissent aussi souvent dans les magazines, » déclara Asagi.

Motoki Yaze s’était immiscé dans la conversation. « Au fait, je recommande la blonde. »

Pour ne laisser aucune place au doute, il avait désigné la fille la plus petite au bord de l’image. Il s’était instantanément mis à chanter en fausset une chanson technopop entraînante et avait entamé une sorte de danse robotique. Son chant n’avait rien d’extraordinaire, mais sa danse était étonnamment bonne.

Yaze a un certain talent pour cela, Kojou avait pensé ça en l’admirant silencieusement.

« Ahh, oui, en y réfléchissant, j’ai entendu cette chanson un peu partout, » avait-il fait remarquer.

« Je dois dire, Motoki, que tu imites trop bien cette danse. C’est vraiment dégoûtant, » ajouta Asagi.

« Pourquoi !? Qu’est-ce qu’il y a de mal à ce que je sois doué pour ça, bon sang !? » Yaze semblait sincèrement blessé, soulevant une objection larmoyante.

Pour dire vrai, Kojou pensait aussi que c’était un peu effrayant. Il avait regardé l’écran de la tablette avec une expression dubitative. « Alors pourquoi ce groupe de filles étudie-t-il ici à l’Académie Saikai ? »

« Je ne sais pas. N’est-ce pas juste une coïncidence ? » Asagi n’avait pas l’air intéressée.

Yaze, qui s’obstinait à poursuivre sa danse, acquiesça. « La période est un peu bizarre, mais il n’est pas vraiment rare que l’île d’Itogami reçoive des étudiants d’échange à court terme d’un Dominion. Il se trouve juste qu’il s’agit de personnes célèbres cette fois-ci. »

Kojou avait détendu son expression et avait expiré.

« Eh bien, c’est certainement vrai. »

Le fait qu’ils soient populaires principalement sur un site de partage de vidéos signifie qu’ils se situent dans la catégorie des amateurs. Il n’était pas vraiment étrange pour elles d’aller à l’école comme des gens normaux. Étant donné que seul un Sanctuaire des Démons accepterait des étudiants de l’Empire du Seigneur de Guerre, les chances que l’Académie Saikai soit choisie pour les recevoir étaient plutôt bonnes.

Mais en dépit de tout cela, Kojou se demandait pourquoi il ressentait toujours un sentiment de malaise…

Comme si la prémonition de Kojou était confirmée, un groupe de filles inconnues s’était déversé dans la classe, une voix claire et joyeuse ouvrant la voie.

« Ah, il est là. Maître Kojou ! »

Les cinq étrangères portaient l’uniforme des filles de l’Académie Saikai. Elles semblaient être des sœurs qui s’entendaient bien, mais leurs visages et leurs couleurs de cheveux n’avaient rien en commun. S’il y avait un point commun entre elles, c’était que toutes les filles étaient belles, ce qui laissait penser qu’elles avaient été de grande classe dès leur naissance.

« Ça fait longtemps, Maître Kojou. »

« Je voulais tellement te retrouver… toi. »

Avec les autres camarades de classe attentifs, les cinq filles avaient entouré Kojou et lui avaient prodigué des mots d’affection passionnée. Ses yeux étaient restés grands ouverts sous le choc et il était resté aussi raide qu’une statue.

Quelqu’un dans la classe avait murmuré. « Les filles de l’Océanus… !? »

Cela avait fait que tout le monde à l’intérieur de la classe avait éclaté dans une surprise envieuse.

« Hein ? Pas possible ? La vraie affaire ? »

« Oh, bon sang, elles sont plus mignonnes que je ne le pensais. »

« Mais pourquoi sont-elles autour d’Akatsuki… ? »

« … Lui ! Encore ! »

Une sueur froide avait coulé sur le front de Kojou alors qu’il était exposé aux regards curieux de ses camarades de classe.

« … »

Finalement, il s’était rappelé qui étaient vraiment les Filles de l’Océanus. Il s’agissait des filles des rois et des hauts ministres des nations voisines de l’Empire du Seigneur de Guerre. Au départ, elles étaient des « otages » remises à Dimitrie Vattler en échange de la sécurité de leur patrie, mais Vattler, un maniaque du combat ne s’intéressait pas aux otages féminins et traitait les filles comme de simples invitées, du moins c’est ce qu’on avait dit à Kojou.

En cours de route, le noble de l’Empire du Seigneur de Guerre avait utilisé les filles comme appât pour essayer de réveiller les Vassaux bestiaux de Kojou, et les filles elles-mêmes avaient cherché à utiliser le pouvoir du Quatrième Primogéniteur comme un outil pour s’élever au-dessus de leur condition — des choses qui rendaient les relations avec elles extrêmement difficiles pour Kojou.

Asagi avait jeté un regard furieux à Kojou et lui avait demandé d’une humeur massacrante. « Kojou, ces filles sont-elles de tes connaissances ? »

Il avait secoué la tête en signe de dénégation.

« Euh… Je ne les connais pas assez bien pour les appeler des connaissances… »

Le vrai problème était que Kojou n’avait aucune idée de ce que les filles faisaient là-bas. Sur le bateau de croisière de Vattler, la Tombe de l’Océanus II, elles jouissaient d’un style de vie somptueux et ne manquaient de rien, n’est-ce pas ?

La fille blonde agissant en tant que leader du groupe avait étreint avec force l’un des bras de Kojou et avait dit. « Quoi ? Tu es horrible, Maître Kojou ! »

Elle avait probablement vingt ans, plus ou moins, mais la tenue lui allait bien. Bien que sa silhouette n’ait rien de glamour en soi, même un uniforme scolaire ordinaire avait l’air étrangement osé sur elle.

Vêtue de cet uniforme séduisant, elle avait doucement enlacé son bras avec celui de Kojou et avait dit : « N’avons-nous pas déjà pris un bain ensemble ? »

« P-Pris un bain ensemble !? » Asagi avait crié d’une voix stridente par-dessus l’éruption du reste de la classe.

Kojou secoua la tête aussi vigoureusement qu’il le put. « Ce n’est pas comme ça ! Quand nous étions sur le vaisseau de Vattler il y a quelque temps, elles ont fait irruption toutes seules ! »

« Pas question ! C’est dans le bain du bateau où je t’ai rejoint, n’est-ce pas… !? » Asagi avait insisté.

Sa déclaration imprudente n’avait fait qu’augmenter le tumulte de la classe. Yaze s’était dit tranquillement « Ohh » pour lui-même.

« Ah… !? »

En voyant la réaction de son ami d’enfance, Asagi avait réalisé son propre dérapage verbal. Elle avait serré sa tête avec ses deux mains. Avec un « Ahhh ! », elle était devenue rouge foncé jusqu’au bout des oreilles. « Non ! Ce n’était pas comme ça ! Aïe, ferme-la !! »

Asagi avait crié d’un air de défi et avait déversé sa rage en donnant un coup à la tête de Yaze. Incapable de réagir à cette attaque-surprise, Yaze avait pivoté et avait foncé dans le mur le plus proche.

Pendant ce temps, les cinq filles de l’Océanus s’accrochaient à Kojou, réduisant complètement la salle d’étude à un désordre désespéré. Mais une voix dégoulinante d’hostilité avait mis fin au chaos dans la salle de classe.

« Pathétique. Ne t’excite pas trop, Kojou Akatsuki. Les filles ont simplement suivi le mouvement parce qu’elles s’ennuyaient. »

Kojou avait tourné la tête par réflexe et il avait rétorqué. « Je ne suis pas excité ! Je suis sérieusement dans une impasse ici — ! »

Dans l’entrée de la salle de classe se tenait un étudiant d’échange aux cheveux argentés avec un bracelet d’enregistrement de démon au poignet gauche. C’était un beau jeune homme aussi froid et tranchant qu’une lame nue.

« Attends, tu es le vampire du navire de Vattler… ! » Kojou s’était exclamé.

« Tobias Jagan. Nous allons fréquenter cette école pendant un petit moment à partir d’aujourd’hui. »

L’étudiant d’échange nommé Jagan avait jeté un regard malveillant à son uniforme en parlant. Apparemment, ce n’était pas son idée de fréquenter la même école que Kojou.

« Que faites-vous tous en tant qu’étudiants d’échange… !? »

En apparence, il n’y avait pas une grande différence d’âge entre eux, mais Tobias Jagan était un vampire de la Vieille Garde. Son âge réel était probablement de plus de deux siècles. Devoir se faire passer pour un lycéen devait être humiliant pour lui. Mais la véritable raison de son irritation était qu’il serait dans cette école particulière.

Jagan s’était approché de Kojou et avait dit d’une manière agressive. « J’ai entendu dire que les écoles japonaises sont très strictes sur la hiérarchie senior et junior… »

Il avait montré un badge de deuxième année sur son uniforme. Apparemment, il avait l’intention de prendre du grade en tant qu’étudiant de deuxième année.

Kojou lui rendit son regard avec une telle force qu’ils semblaient prêts à s’affronter physiquement. « Désolé, c’est une nation insulaire fermée. C’est la tradition japonaise de donner du fil à retordre au nouveau, tu vois ? »

Jagan avait continué à regarder Kojou à bout portant, en serrant les dents.

« Argh… Si Son Excellence ne l’ordonnait pas, je ne servirais jamais de garde du corps à quelqu’un comme toi… ! »

Kojou avait plissé les sourcils avec méfiance. Hmm ?

« Vattler a ordonné de… ? Comment ça, mon garde du corps… ? »

« Je n’ai aucune obligation de te l’expliquer, idiot. »

Alors que Jagan traînait les pieds, une voix douce et androgyne l’avait gentiment réprimandé.

« — Tobias. »

Un beau vampire aux manières douces — Kira Lebedev Voltisvala — était intervenu pour désamorcer la situation explosive entre Kojou et Jagan. Il possédait des cheveux gris et des yeux de vert jade et était petit pour un garçon, avec une apparence très raffinée. Il portait une veste à capuche, sans doute pour éviter la lumière du soleil, mais sous celle-ci, il avait lui aussi un uniforme de l’Académie Saikai.

« Kira ? Ne me dis pas que tu es aussi ici, dans notre école… ? » demanda Kojou.

« Oui. S’il vous plaît, prenez bien soin de nous. »

Kira avait timidement offert sa main droite. En la serrant, Kojou avait senti un léger mal de tête se manifester.

Il avait entendu dire qu’il y avait sept étudiants de l’Empire du Seigneur de Guerre. Si les cinq filles d’Océanus avaient simplement suivi, cela faisait que Kira et Jagan étaient les étudiants d’origine.

Kira avait chuchoté à l’oreille de Kojou. « Le Duc d’Ardeal a laissé des instructions écrites, à savoir que si quelque chose lui arrivait, nous devions vous servir et vous protéger, Maître Kojou. »

« Instructions écrites ? De Vattler ? »

Comme s’il en tirait une certaine fierté, Jagan avait déclaré d’un ton hautain. « C’est comme ça. Essaie au moins de bien te comporter et de ne pas nous causer de problèmes. »

Les lèvres de Kojou s’étaient retroussées en signe d’agacement.

« Eh bien, ta présence ici me cause des problèmes, tu sais… »

Au sarcasme de Kojou, Kira avait baissé ses longs cils, comme s’il était troublé. « Je suis désolé. »

« Ah ! Non, tu n’as pas besoin de t’excuser, Kira… Attends, Vattler n’est pas là ? Est-ce que quelque chose lui est arrivé… ? »

« Je ne sais pas. Juste… ce n’est pas la première fois que le Duc d’Ardeal donne des ordres sur un coup de tête. »

Kira avait mordu sa lèvre brillante, inquiet.

Jagan annonça. « Nous en avons fini ici » et il partit en trombe pour retourner dans sa propre classe. À un moment donné, les cinq filles de l’Océanus avaient disparu.

Avec des yeux à moitié fermés, Asagi avait levé les yeux vers Kojou qui tenait toujours la main de Kira.

« Alors… combien de temps allez-vous vous tenir la main ? »

Kojou ne s’était même pas rendu compte que son visage était rouge alors qu’il retirait précipitamment sa main.

« Oh, ah, d’accord. »

Asagi avait froncé les sourcils d’un air encore plus chagrin et avait expiré.

***

Partie 5

À ce moment-là, Yukina et ses camarades de classe étaient en cours d’éducation physique. Il s’agissait de volley-ball féminin ce jour-là. Une fois les préliminaires de base terminés, la classe avait continué à s’entraîner pour les matchs.

Yukina, vêtue d’un uniforme de gymnastique, s’était mêlée à ses camarades de classe et avait participé avec sérieux au match.

Le service venant du côté de l’adversaire descendait comme une avalanche. L’arrière-garde recevait le service à l’extrême limite du terrain. La balle s’éleva dans les airs et se déplaça vers le bord non gardé du filet. Elle va probablement toucher la ligne de touche et être éliminée, tout le monde avait pensé ça, mais à cet instant…

« Geh… Yukina !? »

« Oui ! »

Yukina avait couru sous le ballon et s’était élancée légèrement du sol. Son petit corps s’était envolé sans effort dans les airs, touchant doucement le ballon de la main gauche et l’envoyant dans le terrain de l’adversaire.

Elle avait atterri sans bruit. Les élèves adverses fixaient bêtement la balle devant eux sur le sol, incertains de ce qui venait de se passer.

En voyant ce qu’elle avait fait, Yukina était un peu déçue.

« Ah… »

Élevée et entraînée en tant que Chamane Épéiste de l’Organisation du Roi Lion, les capacités athlétiques de Yukina étaient bien supérieures à la norme pour les filles de son âge, même sans augmentation par des sorts rituels. Elle était capable de se retenir de manière appropriée lors d’épreuves individuelles comme l’athlétisme, mais il était beaucoup plus difficile de le faire lors d’un match de volley-ball.

Alors que Yukina restait figée sur place, un membre actuel du club de basket, Minami Shindou, alias Cindy, avait souri et s’était précipité. Elle était un prodige du sport à part entière, alors peut-être que voir la capacité folle de Yukina n’était pas un problème pour elle.

« Tu vois ce que je veux dire ? Tu es vraiment faite pour le sport, Yukina, » dit Cindy.

Le sourire de Yukina s’était un peu crispé alors qu’elle prenait les éloges à bras le corps.

« T-Tu penses ça… ? »

Cindy avait fait à Yukina un regard plutôt amusé.

« Mais tu n’en as pas l’air, avec ce regard absent et distrait que tu as. »

« D-Distrait… ? »

Ce changement de direction inattendu avait provoqué un choc brutal chez Yukina. Se considérant comme une fille très pondérée, elle n’avait pas pu cacher sa consternation devant l’évaluation de son amie.

Le match de Yukina étant terminé, Nagisa et d’autres filles étaient entrées sur le court. Cindy avait fait une remarque. « Ah, Nagisa est assez vive, elle aussi, hein ? »

Comme l’avait dit Cindy, Nagisa était une soldate dans une équipe hétéroclite. En raison de sa petite taille, elle n’était pas douée pour le smash, mais elle compensait largement par sa façon de recevoir les services. D’une certaine manière, elle ressemblait à un adorable petit animal.

Alors qu’elles étaient assises sur un banc contre le mur, Yukina avait demandé à Cindy. « J’ai entendu dire que Nagisa était à l’hôpital il y a quelque temps ? »

Cindy avait souri avec tendresse.

« Oui, elle l’était. Quand j’étais en première année ici, elle a été absente de l’école pendant presque six mois. Elle était aussi toujours en train de regarder sur la touche en cours de gym. Je dirais qu’elle va mieux depuis l’automne de l’année dernière… C’est à peu près à ce moment-là qu’elle a aussi rejoint le club des pom-pom girls. »

« L’automne de… l’année dernière ? »

Yukina s’était mordu la lèvre et s’était tue. Son instinct de Chamane Épéiste lui disait qu’il y avait quelque chose de bizarre dans cette histoire.

Elle avait entendu dire que Nagisa Akatsuki était venue sur l’île d’Itogami à cause d’un incident. Gravement blessée lors d’un incident terroriste lié à un démon, elle avait eu besoin d’un traitement que l’on ne pouvait trouver que dans un Sanctuaire des Démons. Il ne fait aucun doute que le traitement avait fonctionné sur elle, et qu’elle avait été complètement guérie à l’automne précédent.

Et peu de temps après, son frère aîné, Kojou Akatsuki, avait soudainement obtenu le pouvoir du Quatrième Primogéniteur, le Vampire le plus puissant du monde. C’était trop inhabituel pour être une simple coïncidence.

Ce qui inquiétait encore plus Yukina, c’était le pouvoir que Nagisa avait utilisé lors de l’incident du Sage, peu de temps auparavant, et la mystérieuse entité spirituelle qui l’avait possédée — une masse sensible d’énorme énergie démoniaque capable de créer instantanément une masse de glace de plusieurs centaines de mètres de diamètre. Pour autant que Yukina le sache, seuls les Vassaux bestiaux contrôlés par des vampires pouvaient réussir un tel exploit, et seulement ceux des vampires de la Vieille Garde, voire des Primogéniteurs.

Elle ne pouvait pas comprendre comment Nagisa avait invoqué une telle chose. Mais si elle avait vraiment contrôlé un Vassal Bestial, c’était sûrement lié à l’obtention par Kojou du pouvoir du Quatrième Primogéniteur pour lui-même.

Peut-être que Yukina avait tout faux. Peut-être que ce n’était pas parce que la petite sœur du Quatrième Primogéniteur s’était retrouvée par hasard dans un hôpital du Sanctuaire des Démons. Peut-être que c’était parce qu’elle était dans l’hôpital qu’il était devenu le Quatrième Primogéniteur…

Yukina avait senti tout son corps se refroidir quand elle avait réalisé ce que cette effrayante possibilité signifiait. Pour cette raison, elle n’avait pas réalisé ce qui se passait sur le terrain de volley-ball.

Quelqu’un avait envoyé la balle hors du terrain, droit vers le mur où Yukina était assise. Une autre étudiante courait après le ballon, avec son attention complètement concentrée sur le ballon, sans même remarquer Yukina. Elles étaient sur le point d’entrer en collision.

Depuis la cour, Nagisa avait crié. « Yukina, attention ! »

Yukina avait bougé inconsciemment avant que la voix de Nagisa ne la ramène à la raison. Elle avait repoussé la balle volante du revers de la main et s’était tournée vers la fille qui lui fonçait dessus. L’esquiver serait simple, mais cela garantirait que la fille serait blessée. Au lieu de cela, Yukina s’était avancée. Elle avait attrapé le bras de l’étudiante qui s’élançait et avait redirigé son élan.

Le mouvement direct s’était transformé en force centrifuge. Sous les yeux de Yukina, la jeune fille s’était élevée en flottant, avait fait un saut périlleux et avait atterri en douceur sur le sol dans une position jambes croisées presque parfaite, sans pratiquement aucune force d’impact.

Sans doute l’écolière elle-même n’avait-elle aucune idée de ce qui venait de se passer. Après que les deux aient changé de place, le ballon était tombé devant leurs yeux. La Chamane Épéiste l’avait tranquillement attrapé comme si de rien n’était.

Yukina avait soudainement pâli quand elle avait réalisé ce qu’elle avait fait.

« Ah… »

Le gymnase était devenu silencieux alors que tous les élèves de la classe fixaient Yukina. Cependant, pas un seul des regards dirigés vers elle n’était empreint de peur. Les écolières ordinaires ne pouvaient même pas saisir le niveau d’habileté incroyable que la manœuvre de Yukina avait impliqué. Elles n’avaient peut-être pas compris ce qui se passait, mais voyant que tout le monde était sain et sauf, quelqu’un avait commencé à applaudir.

Toujours serrant la balle dans ses bras, Yukina ne peut s’empêcher de rougir.

Seule Cindy, qui avait assisté à l’événement à côté de Yukina, avait demandé avec une certaine surprise. « Qu’est-ce que tu viens de faire… !? »

Une fine perle de sueur coula sur le front de Yukina qui semblait quelque peu étourdie.

« Euh… C’est juste, ah, arrivé ? »

« Tu vois ? Tu es une idiote, » déclara Cindy, visiblement amusée par cette réaction.

Mais l’instant d’après, elle avait soudainement pâli. Le souffle de Yukina s’était arrêté dans sa poitrine quand elle avait compris pourquoi.

Alors que l’action sur le terrain était censée être interrompue, quelqu’un s’était effondré sans faire de bruit. C’était une fille avec une coiffure familière — une longue queue de cheval. Couchée à plat ventre sur le terrain, elle semblait encore plus petite que d’habitude.

Yukina avait jeté la balle qu’elle tenait et s’était précipitée à ses côtés.

« … Nagisa !? »

Cindy avait immédiatement suivi. Les autres élèves avaient compris que quelque chose n’allait pas et avaient regardé Nagisa de loin. Misaki Sasasaki, la professeur de gymnastique qui arbitrait un match sur un court adjacent, était arrivée en courant.

« Hé, Nagisa, qu’est-ce qui ne va pas !? Nagisa — !? » cria Cindy.

Mais Nagisa n’avait pas répondu. Même si elle bougeait bien quelques instants auparavant, sa respiration était très laborieuse et elle semblait souffrir.

Lorsque Yukina avait soulevé Nagisa, le corps tout entier de son amie était très froid, comme si Yukina touchait un cadavre. Et à peine Yukina l’avait-elle touchée qu’elle connût la cause de la détérioration de Nagisa.

« Nagisa… C’est… ce n’est pas possible… Comment ça peut être… ? » murmura-t-elle, mais personne n’entendit ses murmures douloureux par-dessus les voix fortes des camarades de classe.

Le corps encore endormi de Nagisa était étonnamment léger. Les yeux fermés, son profil ressemblait à celui d’une fée…

***

Partie 6

Cet après-midi-là, Kojou avait appris ce qui s’était passé et il s’était précipité au laboratoire MAR.

Magna Ataraxia Research Incorporated, ou MAR en abrégé, était un énorme conglomérat basé en Asie de l’Est.

C’était l’un des rares groupes de fabrication de sorcellerie au monde, traitant tout, des produits alimentaires aux armes militaires.

La mère de Kojou, Mimori Akatsuki, était chef de recherche au laboratoire de recherche et de développement médical de MAR sur l’île d’Itogami et à l’hôpital attenant. Elle était également la médecin traitante de sa fille bien-aimée, Nagisa Akatsuki.

Yukina était assise dans un coin de la salle d’attente quand elle avait remarqué que Kojou se précipitait vers elle.

« Himeragi ! Est-ce que Nagisa va bien !? »

Elle avait hoché maladroitement la tête. Apparemment, elle s’était déclarée voisine et était montée de force dans l’ambulance qui avait amené Nagisa à l’hôpital.

« Je crois qu’elle va s’en sortir, » répondit Yukina. « Elle n’a pas encore repris conscience, mais sa respiration et son pouls sont tout à fait stables. »

« Est-ce que c’est… tellement... »

Elle pouvait presque entendre le fil tendu de la tension être coupé alors que Kojou s’accroupissait, épuisé. Il avait sans doute entendu que Nagisa allait bien au téléphone, mais il s’était quand même inquiété.

Yukina avait gloussé avec un petit sourire, son expression semblant dire, C’est son complexe de sœur qui parle.

« Tout à l’heure, ta m... Mlle Mimori est venue et a emmené Nagisa à l’infirmerie. J’attends ici, car les personnes sans lien de parenté ne sont pas autorisées à entrer, mais tu es de la famille, Senpai, donc… »

« Non, je ne suis pas non plus autorisé à aller là-bas… Eh bien, ce sont eux les experts, donc je pense que tout ira bien. Ce n’est pas comme si je pouvais faire quelque chose en étant là, de toute façon. »

Yukina avait envoyé un regard dubitatif par-dessus l’épaule de Kojou et avait dit. « Je dois dire, cependant, que tu es venu avec un sacré entourage. »

« Hein ? »

Au commentaire de Yukina, Kojou avait regardé derrière lui et avait glapi. « Wôw ! » comme un véritable idiot. Un groupe de personnes en uniforme d’étudiant entrait dans la salle d’attente par les portes automatiques. Kojou avait vu Asagi, Yaze, et les deux soi-disant étudiants d’échange de l’Empire du Seigneur de Guerre — .

Kojou avait regardé le quatuor qui n’avait rien à voir avec tout ça.

« Qu-Qu’est-ce que vous faites tous ici !? » avait-il hurlé.

Yukina avait eu l’air étonnée et avait marmonné. « Tu ne les avais pas remarqués tout ce temps… ? »

Asagi avait détourné les yeux avec un air un peu coupable.

« Eh bien, j’étais inquiète pour Nagisa et tout… Et puis ces deux types t’ont couru après, alors… »

Asagi avait transféré la responsabilité sur Jagan, mais ce dernier avait bombé sa poitrine sans la moindre réserve.

« Nous ne sommes pas venus rendre visite à ta jeune sœur. Nous accomplissons simplement notre devoir. »

À côté de lui, Kira avait hoché la tête en toute gravité.

« Oui. Alors, ne faites pas attention à nous deux. »

Kojou, oubliant qu’il était dans un hôpital, avait crié. « Je fais attention !! »

Il ne doutait pas que Vattler les avait chargés de le protéger, et qu’ils ne faisaient que s’en acquitter fidèlement, mais…

« Vous êtes des étudiants d’échange ! Pourquoi diable séchez-vous les cours le premier jour !? Et pourquoi es-tu ici, Yaze !? »

« Euh, ça avait l’air intéressant, donc… Bien sûr, je m’inquiète aussi pour Nagisa. » Yaze avait délibérément pris une expression sérieuse alors qu’il parlait avec un plaisir évident du spectacle qui se déroulait.

« Bon sang. » Kojou avait fait claquer sa langue.

Il ne les avait pas encore jetés dehors parce qu’il avait une faible idée des sentiments réels d’Asagi et de Yaze. Ce n’était pas qu’ils étaient inquiets pour Nagisa, Kojou était leur véritable source d’inquiétude.

Yukina, toujours assise sur un petit banc dans la salle d’attente, avait affaissé ses épaules en signe de découragement.

« Je suis désolée… J’étais juste à côté d’elle, mais je n’ai pas remarqué que Nagisa n’était pas bien… »

Apparemment, elle se sentait responsable de l’effondrement de Nagisa sous ses yeux.

Kojou s’était assis à côté d’elle et avait secoué sa tête, fatigué.

« Si quelqu’un devait dire ça, c’est bien moi. Le fait qu’elle ait trop dormi aurait dû suffire à me faire penser qu’elle était malade. Ce n’est pas comme si c’était la première fois qu’elle avait un corps faible. »

Son réveil tardif, sa chute en arrivant à l’école… Il y avait eu de nombreuses occasions de déduire que Nagisa n’était pas bien. C’était Kojou, qui faisait partie de sa propre famille, qui était responsable de ne pas l’avoir remarqué. Il savait très bien que Nagisa ne se plaignait jamais de rien — elle ne faisait qu’augmenter le nombre de mots qui sortaient de sa bouche.

Asagi avait parlé par souci pour Kojou. « Alors les blessures de Nagisa… n’étaient pas complètement guéries ? »

Kojou avait fait un faible sourire avec un soupir.

« Non. Ce n’est pas quelque chose qui l’empêche de vivre une vie normale, mais ils ont dit qu’elle doit toujours faire des contrôles réguliers. Ils essaient toujours différents médicaments et autres. »

« Oh… C’est dur. »

Kojou avait regardé la vue familière de la salle d’attente et avait réfléchi à haute voix. « Cependant, elle ne s’est pas souvent effondrée depuis qu’elle est sortie de l’hôpital… »

Pendant le collège, il avait été dans cette même pièce de nombreuses fois, attendant de voir Nagisa.

Yukina avait envoyé un regard sérieux à Kojou. « Senpai, à propos de la raison pour laquelle Nagisa a été hospitalisée — . »

Kojou avait légèrement haussé les épaules. Même si c’était techniquement privé, il n’y avait aucune raison de le cacher à Yukina, qui avait accompagné Nagisa jusqu’à l’hôpital.

« Les démons ont fait une attaque terroriste à Rome il y a quatre ans. Ils ont posé une bombe dans un train. Tu es au courant, n’est-ce pas ? »

« Oui… »

Les yeux de Yukina s’étaient rétrécis de surprise pour une raison inconnue. Kojou n’en avait pas tenu compte et avait continué. « Nagisa et moi étions là par hasard à ce moment-là. Aucun de nous ne peut se souvenir de ce qui s’est passé avant ou après… mais Nagisa a toujours eu peur des démons depuis. Je pense que c’est probablement une peur résiduelle de l’époque. »

« … C’est ainsi. »

Yukina était alors tombée dans le silence. Kojou avait senti un léger malaise sur le côté de son visage alors qu’elle considérait cette information. L’attaque quatre ans plus tôt avait été un massacre, avec de nombreuses victimes, mais c’était du passé. Tous les assaillants avaient été abattus et tués, et l’organisation derrière avait été anéantie. Il ne pensait pas qu’il restait quelque chose à méditer pour elle. Cet incident n’avait plus rien à voir avec la vie actuelle de Kojou et de Nagisa — .

Kojou avait regardé l’horloge de la salle d’attente. « Rester assis ici ne résoudra rien, alors pourquoi ne pas aller dîner ? » avait-il suggéré.

Depuis qu’ils avaient fui l’école dès le début de la pause déjeuner, Kojou et les autres étudiants n’avaient pas dîné. Étant donné que Kojou n’avait pas pris de petit-déjeuner, il n’était pas étonnant qu’il soit affamé. Un estomac plein efface beaucoup de soucis, pensait-il. Et puis…

Asagi avait répondu d’une voix flottante et complètement déplacée. « Eh !? Dîner !? Tu vas me faire plaisir, Kojou ? La cafétéria des employés de MAR est célèbre. Elle est répertoriée comme un joyau caché dans le guide gastronomique de l’île d’Itogami ! »

« Pourquoi tu… »

En regardant les yeux pétillants d’Asagi, Kojou regretta son erreur verbale. En dépit de son apparence mince, Asagi était une gloutonne. Elle pouvait manger quatre ou cinq portions d’une assiette de déjeuner d’un restaurant familial et avoir encore de la place à revendre.

Si elle se rendait dans un « joyau caché » qu’elle n’aurait pas eu l’occasion de visiter en temps normal — aux frais de quelqu’un d’autre, qui plus est —, elle avait sans doute l’intention de commander sans pitié.

« Ah, bien. Je vais le facturer à maman de toute façon, » dit Kojou avec défi.

En plus, ça calmerait l’ambiance générale. Après tout, les chances qu’Asagi en fasse tout un plat n’étaient probablement pas nulles.

« Hmph. Je n’ai pas l’intention de jouer au gentil avec toi, » dit Jagan sans ambages. « Nous allons prendre des chemins différents. »

Kojou avait reposé son menton sur une main et l’avait regardé fixement. « Fais ce que tu veux. En premier lieu, je ne t’ai pas invité. »

Avec une petite pointe de regret, Kira sourit avec gentillesse et inclina courtoisement la tête. « Je suis désolé. Alors, si vous voulez bien m’excuser… »

« Ah, oui. Plus tard. »

« Oui. »

Après cet échange de plaisanteries étrangement amicales, Kojou leur avait fait ses adieux en toute simplicité. Asagi avait regardé le dos de Kira pendant qu’il partait, comme si elle était sur ses gardes.

Yukina les regarda partir avec un regard identique de suspicion. « Ces deux-là sont des nobles de l’Empire du Seigneur de Guerre, n’est-ce pas ? Pourquoi étaient-ils avec toi — ? »

Kojou se renfrogna comme si quelque chose s’était coincé dans le fond de sa bouche. « Je ne suis moi-même pas trop sûr. D’après ce qu’ils ont dit, apparemment Vattler a écrit pour qu’ils me protègent s’il disparaissait. »

Yukina avait l’air en conflit alors qu’elle laissait échapper un murmure. « … Le Duc d’Ardeal a disparu ? »

Sa perplexité était tout à fait naturelle. Dimitrie Vattler avait beau être un vampire fantasque, sa conduite était facile à comprendre. Son but était de combattre des adversaires forts — point final. Pour un aristocrate vampire à l’espérance de vie quasi illimitée, combattre un ennemi puissant capable de menacer sa propre vie était le meilleur, et le seul, moyen de tuer le temps.

Disparaître sans un mot à ses subordonnés était un comportement peu caractéristique pour un homme qui considérait le combat comme la plus haute forme d’amusement. Ce que Kojou comprenait encore moins était pourquoi il avait assigné ses propres subordonnés pour garder Kojou.

Il ne pensait pas qu’il y ait tant d’adversaires capables de blesser le Quatrième Primogéniteur et le Vampire le plus puissant du monde. Et si un ennemi aussi puissant devait surgir, ce serait Vattler lui-même qui se précipiterait joyeusement pour le défier.

Asagi, qui écoutait leur conversation, avait regardé Yukina avec un sourire provocateur.

« Je me disais que ça pouvait être quelque chose comme ça, en tout cas. Alors, Mlle Himeragi, tu connais M. Vattler ? C’est une bonne occasion, alors pourquoi ne pas enfin le demander : quelle est ta relation avec Kojou ? Qu’est-ce que tu caches ? M. Vattler et Kojou n’ont pas ce genre de relation, n’est-ce pas ? »

Sur le côté, Kojou avait instinctivement rétorqué. « — Hé, qu’est-ce que tu veux dire, ce genre !? »

Apparemment, Asagi soupçonnait toujours Kojou et Vattler d’avoir une relation amoureuse. Il ne pouvait pas écarter l’idée d’un malentendu, mais c’était tout de même assez dangereux…

Yukina, recevant le regard d’Asagi de face, avait dit. « Compris. »

La réponse inattendue de la fille avait fait sursauter Kojou. « Euh… hum, Himeragi… »

Yukina avait continué. « Cependant, avant de répondre, pourrais-tu considérer une de mes demandes ? »

« Argh, » Asagi avait gémi en vacillant, ne pensant peut-être pas que Yukina poserait une condition. Malgré cela, Asagi se reprit et hocha la tête, ayant fait trop de chemin pour reculer maintenant.

« Très bien alors. Faisons cela. Alors, c’est comme ça ? »

« Fais-le, s’il te plaît. Il y a une chose sur laquelle j’aimerais que tu te penches, Aiba. »

Pour une raison inconnue, des étincelles invisibles volaient tandis que Yukina et Asagi se regardaient fixement. Une atmosphère étrangement tendue et oppressante avait commencé à planer sur la salle d’attente, et Kojou avait été assailli par une vague envie de fuir dans les collines.

Puis, comme pour empêcher Kojou de le faire, Yaze avait soudainement commencé à reculer doucement.

« Ah… Excusez-moi. »

« Y-Yaze ? » demanda Kojou.

« Désolé d’interrompre tout le monde, mais mon estomac me fait mal tout d’un coup. Je vais aller aux toilettes pour un moment. »

« C’est ainsi. Alors je vais aller avec… »

Kojou avait immédiatement essayé de profiter de l’évasion de Yaze, mais Asagi l’avait coupé.

« Tu restes ici, Kojou ! »

« S’il te plaît, reste ici, Senpai ! »

Coincé par les deux filles, Kojou avait gémi et avait arrêté de bouger.

« Désolé, Kojou. À plus tard ! » dit Yaze.

Kojou soupira d’exaspération alors que Yaze saisissait l’occasion de s’enfuir.

 

 

Asagi avait sorti son PC bloc-notes bien-aimé. « Alors, que voulais-tu que je trouve ? » demanda-t-elle à Yukina.

Asagi était une hackeuse de renommée mondiale, connue sous le nom de « Cyber Impératrice ». Si elle en avait envie, elle pourrait probablement accéder aux fichiers les plus confidentiels des agences de renseignement de l’Union nord-américaine.

Et donc, Yukina avait calmement fait sa demande.

« L’incident d’il y a quatre ans. Je veux savoir si l’incident terroriste s’est vraiment produit comme on le prétend, et si Senpai et Nagisa ont vraiment été pris dedans par hasard… »

***

Partie 7

Tobias Jagan quittait l’hôpital géré par MAR lorsqu’il cracha d’un air maussade. « Je ne peux pas le supporter. »

Il dirigeait sa colère contre Kojou Akatsuki, bien sûr.

« Il manque de classe, d’ambition et de grandeur. Quelqu’un comme lui peut-il vraiment être le Quatrième Primogéniteur ? Nous devons le protéger ? Les caprices de son Excellence sont vraiment vexants. »

« J’ai l’impression que tu t’entends étonnamment bien avec lui, » déclara Kira de sa voix énergique de prépubère.

Jagan s’était tordu les lèvres d’angoisse, semblant blessé, car il avait immédiatement répliqué par une objection.

« Ne dis pas ça comme une blague, Kira. Ça me dégoûte. »

« Ha-ha… »

Kira avait ri joyeusement en sautant du sol. La force hors norme propre aux démons l’avait projeté sur le toit d’un immeuble voisin de six étages.

« D’ailleurs, nous comprenons la raison pour laquelle Son Excellence nous a demandé de le garder. »

Jagan avait atterri juste à côté de Kira, grimaçant à cause des forts rayons du soleil alors qu’il étirait ses yeux.

« Oui, nous le savons. »

Il regardait fixement un enchevêtrement organique de bâtiments — le quartier de recherche et de développement de l’Île Nord. C’était une mini-ville futuriste, lourdement mécanisée, qui reflétait fortement ses racines insulaires artificielles. Au sommet d’une tour de transmission grise qui surplombait, ses semblables se trouvaient une fille avec une capuche blanche sur la tête.

La jeune fille regardait l’hôpital géré par MAR, surveillant l’emplacement de Kojou Akatsuki comme un sniper à la poursuite de sa proie.

Dès que Jagan avait été sûr d’elle, il avait libéré son Vassal Bestial.

« Irrlicht — ! »

Un oiseau de proie géant s’était matérialisé à partir d’un flash de lumière avec une immense énergie démoniaque. Son corps était composé d’une flamme magique hautement concentrée atteignant des dizaines de milliers de degrés Celsius. Celle-ci se transforma en un rayon brûlant qui parcourut instantanément plusieurs centaines de mètres en direction de l’endroit où se tenait la jeune fille.

De magnifiques feux d’artifice s’éparpillèrent sur fond de ciel bleu, avec une onde de choc qui suivit un instant plus tard dans son sillage.

L’ultra-haute température créée par le Vassal Bestial de Jagan n’avait rien provoqué d’aussi grossier qu’une explosion. En exécutant une entaille comme un maître de l’épée, il avait instantanément tranché la tour d’acier avec la précision d’un cutter à plasma. Bien sûr, aucune créature vivante n’aurait dû être capable de survivre aux conséquences d’une telle attaque.

Rien n’avait sauvé la fille qu’ils avaient sous les yeux, selon toute vraisemblance — .

Le bord de la capuche de la jeune fille avait volé alors qu’elle atterrissait sur le toit d’un bâtiment voisin.

« Un accueil plutôt rude. »

L’attaque du Vassal Bestial de Jagan ne l’avait même pas égratignée. Un sourire ravi se dessina sur le beau visage de fée de la jeune fille.

« J’aurais peut-être dû en attendre autant du bras droit de Vattler, Tobias Jagan ? » avait-elle déclaré.

Jagan avait rappelé son Vassal Bestial et l’avait placé au-dessus de lui tandis qu’il fixait la fille.

« C’était votre seul avertissement. Le prochain vous frappera. »

Le fait que la fille connaisse son nom ne l’avait pas dérangé. Il pensait qu’elle venait de lui épargner la corvée de le dire lui-même.

Kira se mit en position pour couper la retraite de la fille et demanda. « Nous savons que vous suivez le quatrième Primogéniteur. Pouvons-nous en connaître la raison ? Ainsi que votre nom et votre affiliation. »

Vattler avait ordonné à Kira et Jagan de garder Kojou Akatsuki. En d’autres termes, il avait anticipé l’arrivée d’un ennemi mettant en danger le Quatrième Primogéniteur.

Si c’était le cas, cette fille devait être cette ennemie. Quelqu’un qui pouvait subir une attaque de Vassal Bestial et sourire calmement était certainement un ennemi assez puissant pour mériter la force combinée de la paire.

Cependant, les épaules de la jeune fille avaient tremblé et elle avait éclaté en rires.

« Moi, suivant le quatrième Primogéniteur, vous dites… ? On dirait que vous ne savez rien. Vattler ne vous a rien dit ? »

« … Qu’est-ce que vous essayez de dire ? » L’hostilité de Jagan se dégageait de chaque mot.

L’apparente tentative de la jeune fille de saper sa confiance en Vattler le mettait sur les nerfs. Mais elle continua avec empressement, comme pour se moquer de l’indignation de Jagan.

« Je suppose que Vattler vous a envoyé pour le garder. Si vous souhaitez protéger le quatrième Primogéniteur, je ne suis pas votre ennemi. Ou bien avez-vous l’intention de gaspiller la considération que j’ai montrée à Vattler ? »

Une expression déconcertée s’était emparée de Kira.

« … Que voulez-vous dire par là ? Savez-vous où se trouve le Duc d’Ardeal ? »

La déclaration de la fille impliquait qu’elle savait exactement ce que Vattler préparait. Voyant Kira essayer de soutirer sobrement des informations plutôt que de se précipiter pour la tuer, la fille l’avait regardé comme pour lui dire : « Bon garçon ».

« Ne vous inquiétez pas, » répondit-elle. « Je ne l’ai pas tué. Comme je m’y attendais, même mon pouvoir ne peut pas le détruire complètement avec facilité. Je le libérerai dès que j’aurai terminé mon travail. »

Le beau visage de Jagan s’était tordu férocement.

« Avez-vous capturé son Excellence ? »

« En effet, » murmura-t-elle, se demandant apparemment ce qu’il y avait de surprenant là-dedans. « Ne me croyez-vous pas ? Ou plutôt, y a-t-il une preuve crédible que des gens comme Vattler peuvent me résister ? »

Une faible trace de doute était apparue sur le visage de Kira.

« Qui êtes-vous… ? »

Il ne pensait pas que la fille possédait la puissance nécessaire pour affronter Kira et Jagan, deux vampires de sang pur descendant directement du Seigneur de Guerre Perdu, et encore moins quelqu’un ayant le niveau de puissance de Vattler. Il était impensable que Kira et Jagan ne connaissent pas le nom d’une personne aussi puissante.

Mais l’instinct de combattant du vampire lui disait que la confiance débridée de la jeune fille n’était probablement pas infondée.

Jagan, finalement à bout de nerfs, cracha grossièrement. « Ça suffit. Dégage, Kira. Il n’y a aucune raison de supporter cette farce plus longtemps. »

Ses yeux teintés de cramoisi irradiaient une lumière démoniaque et effroyable. C’était la lueur de Wadjet, un Vassal Bestial invisible, qui permettait à Jagan de pénétrer dans le cerveau de son adversaire par les yeux et de prendre le contrôle de son esprit.

La lueur des yeux de Jagan avait augmenté.

« Tu vas parler de tout ce que tu sais, femme ! »

La jeune fille l’avait regardé calmement avec admiration.

« Oh, un Vassal Bestial qui contrôle l’esprit ? C’est vraiment approprié pour la lignée du Seigneur de guerre. Il semble que tu possèdes un pouvoir rare… »

Le corps de Jagan s’était retourné avant même que la fille ait fini de parler.

« Qu… à !? »

Les lèvres de Jagan laissèrent échapper un fort guoh alors que le contrecoup de la vaste énergie démoniaque le fit tomber à genoux. Il avait couvert son œil gauche.

« Ce n’est pas possible… Tes yeux… Pourquoi tu… ! »

La fille avait résisté à l’attaque du Vassal Bestial, et le recul avait frappé son invocateur, Jagan. Elle déclara d’un ton compatissant. « Ne le prends pas personnellement. C’est toi qui m’as regardée dans les yeux. »

Les yeux visibles sous sa capuche émettaient une lumière bleu pâle. Cette lueur avait bloqué l’attaque du Vassal Bestial de Jagan, laissant Jagan en subir les conséquences.

Un moment plus tard, un cri énergique était sorti de Kira alors qu’une brume sanglante s’échappait du bout de son doigt.

« Nephila Ignis — . »

Le nuage brûlant s’était transformé en lave, couvrant la zone autour de la fille comme une toile d’araignée.

« Kira, qu’est-ce que… ? » s’exclama Jagan.

« Recule, Jagan. Je vais m’occuper de ça —, » affirma Kira avec un rire calme.

Une magnifique araignée ambrée scintillante avait émergé au pied de Kira. C’était un Vassal Bestial avec de la roche fondue qui coulait en elle.

Les toiles de la créature étaient aussi de la lave brûlante. Elles formaient une belle formation géométrique et entouraient complètement la fille à la robe blanche. Si elle bougeait ne serait-ce qu’un doigt, elle serait sûrement brûlée vive par les fils de lave qui l’entouraient.

La jeune fille scruta impétueusement le réseau de toiles ambrées qui ne lui laissait aucun moyen de s’échapper.

« Cette formation est donc un seul Vassal Bestial ? Impressionnant en effet. »

Dans la cage que Kira avait déployée, elle ne pouvait ni se transformer en brume ni utiliser la magie de contrôle spatial. Il était impossible de s’échapper de la formation.

« Moi aussi, je n’ai qu’un seul avertissement. Rendez-vous maintenant, » dit Kira calmement.

Sa voix était teintée de l’inquiétude qu’il n’ait d’autre choix que de la tuer si elle ne le faisait pas.

Cependant, ses yeux perçants avaient scintillé et elle avait éclaté de rire.

« Ton avertissement est inutile, Kira Lebedev. Tu ne peux pas me faire de mal. Même si c’est pour protéger ton camarade, tu paieras pour avoir montré tes crocs contre moi. »

« — !? »

À cet instant, Kira resta sans voix face à la vague massive d’énergie démoniaque émanant de la fille. Les fils de lave qui l’entouraient, une partie de la chair du Vassal Bestial de Kira, étaient déchirés. Incapable de résister à la puissance démoniaque du Vassal Bestial nouvellement invoqué par la fille, elle avait explosé de l’intérieur. La fille usant de violence avait déclaré : « Si la prison est inéluctable, il suffit de la déchirer ».

Même Jagan était virtuellement perdu face à l’énergie cataclysmique du Vassal Bestial qui était apparu.

« C’est un Vassal Bestial !? C’est fou, ce pouvoir est — ! »

Le monstre était bizarre, amorphe. Il possédait une densité d’énergie démoniaque bien supérieure à celle des Vassaux bestiaux de Kira et de Jagan, et même à celle des Vassaux Bestiaux fusionnés de Vattler. Les seuls êtres capables de contrôler des Vassaux bestiaux d’une telle ampleur étaient les Primogéniteurs, les plus anciens et les plus puissants de tous les vampires.

« Cela perturbe un peu mes plans, mais je ne peux rien y faire, » déclara-t-elle. « Non, tu les as laissés comme gardes en prévision de cela, maudit Maître des Serpents. Une belle nuisance que tu es. »

La fille avait ri de façon hautaine en déployant sa puissance.

L’énergie démoniaque explosive fit trembler le ciel au-dessus du Sanctuaire des Démons, le remplissant d’éclairs bleu pâle.

***

Partie 8

Jagan et Kira n’étaient pas les seuls à avoir détecté l’attaque de la mystérieuse fille. Motoki Yaze, un hyper adaptateur, avait capté la présence du poursuivant de Kojou grâce à l’écran sonore déployé autour de lui.

Yaze avait provisoirement deviné que Jagan et Kira engageraient le combat avec la fille, mais l’ampleur du Vassal Bestial que la fille avait invoqué dépassait de loin ses attentes.

« Hé, Mogwai. — Qu’est-ce que c’est que ça ? Personne ne m’a parlé de ça ! » Yaze avait crié sur son smartphone.

Il parlait à l’intelligence artificielle qu’Asagi avait surnommée Mogwai, l’avatar des cinq superordinateurs qui administraient l’île d’Itogami.

Mogwai répondit d’une voix étrangement humaine. « Ahhh… pour être honnête, je suis aussi surpris. Il n’y a aucune trace d’entrée, et l’onde de puissance magique est hors normes, donc je ne peux pas l’analyser. C’est une inconnue totale. »

Yaze ne pensait pas qu’il était vraiment surpris, mais son affirmation selon laquelle il manquait de données était probablement vraie. Mogwai n’avait aucune raison de tromper Yaze dans une telle situation.

« Et les images ? Ne peux-tu pas faire une analyse de la structure du corps ? » avait-il suggéré.

Mogwai devait disposer d’un énorme stock de données photographiques sur les habitants de l’île d’Itogami provenant des caméras de surveillance réparties sur toute l’île. Faire correspondre la fille à l’une de ces images pourrait fournir une sorte de piste.

Naturellement, Mogwai avait dû avoir la même pensée. Sa réponse avait donc été rapide.

« Il n’y a qu’une seule correspondance. Elle correspond à l’échantillon avec 98,779 % de certitude — . »

« Et le nom de l’échantillon est Avrora Florestina ? »

« C’est ça. Le douzième Sang de Kaleid, » répondit Mogwai avec amusement.

Sans réfléchir, Yaze avait tapé du poing contre le mur du bâtiment à côté de lui.

« C’est fou… ! »

« Keh-keh... Ça ne peut pas vraiment être Avrora, hein ? Alors, qui est-elle ? C’est un monstre capable d’écraser les nobles de l’Empire du Seigneur de Guerre. Peut-être qu’elle est la vraie après tout… ? »

Mogwai avait posé la question comme s’il avait senti le doute qui agitait le cœur de Yaze. Les cheveux aux couleurs de l’arc-en-ciel comme des flammes, les yeux flamboyants, la beauté jeune et féerique, tout cela était propre à une fille qui avait visité l’île, une fille profondément liée à Yaze lui-même. Et pourtant…

« Oui, eh bien, ce n’est pas possible… et tu en connais la raison aussi bien que quiconque, Mogwai. »

« Je suppose que oui. Mais si la fille est une impostrice, que vas-tu faire ? »

Le coup de gueule de Mogwai avait laissé les mots de Yaze coincés dans sa gorge. Le rôle de Yaze était celui d’un simple observateur. Même avec ses compétences célestes et le soutien de la Corporation de Management du Gigaflotteur, il ne pouvait espérer combattre un tel monstre de front. C’était un fait qu’il n’appréciait pas en ce moment.

« Donc tout ce que je peux faire s’est regardé sans lever le petit doigt, encore une fois… ? »

Mogwai répondit avec une certaine pitié. « Ah… on dirait que tu ne peux pas non plus faire ça. »

Au moment où Yaze allait demander à Mogwai ce qu’il entendait par là, une voix avait soudainement été entendue en face de lui — .

« En bien, je suppose que non. »

Qu’est-ce que… ? Yaze inspira. Un homme seul se tenait à quelques pas de là, sur le toit d’un immeuble. Il portait des vêtements noirs amples, de style chinois, qui donnaient l’impression d’être un ancien ermite. Cependant, c’est tout ce qui ressortait de lui. Même de près comme ça, sa présence était étonnamment difficile à sentir.

Yaze avait été secoué par cette vérité impossible.

« Tu t’es approché de moi, et je n’ai pas remarqué… !? »

Avec ses capacités amplifiées, Yaze pouvait discerner les pas de chaque être humain dans un rayon de plusieurs kilomètres. Même avec la mystérieuse fille qui retenait son attention, comment avait-il pu laisser quelqu’un s’approcher de lui sans s’en rendre compte ?

Le jeune homme avait regardé Yaze sans émotion et avait sorti son arme. C’était une courte lance métallique, dépassant à peine un mètre de long. La pointe et le manche étaient composés d’un noir uniforme, comme s’ils absorbaient toute la lumière qui arrivait sur lui. Et ensuite, il en avait sorti une autre exactement pareille — .

Le jeune homme avait touché les lances courtes dans ses mains gauche et droite pour créer une seule lance — une longue lance bizarre avec des pointes aux deux extrémités — et il déclara. « Votre capacité est un peu une nuisance pour moi. C’est ici que vous quittez la scène, Motoki Yaze. Il n’y aura qu’un seul observateur. »

À ce moment-là, Yaze avait compris l’identité du jeune homme.

« Je vois… Il y avait sept évadés de la Barrière pénitentiaire. Vous êtes donc le septième ! »

Il faisait référence à l’évasion de prison de criminels sorciers qui avait eu lieu environ un mois auparavant. Ce jour-là, Aya Tokoyogi, la sorcière de Notaria, s’était échappée de la Barrière pénitentiaire avec sept autres personnes.

Six d’entre eux avaient été renvoyés à l’intérieur de la barrière, ne laissant qu’un seul évadé, dont on ignorait où il se trouvait, à savoir le jeune homme aux vêtements noirs. Son crime et ses capacités étaient inconnus, car toutes les données avaient été effacées. La seule donnée restante était son nom, que Yaze avait crié — .

« … Meiga Itogami ! »

Yaze avait sorti une capsule de sa poche, l’avait mise dans sa bouche et l’avait croquée. L’instant d’après, le vent se mit à souffler tout autour de lui et cela finit par se transformer en une incroyable bourrasque.

Retenu par la tempête tourbillonnante et sifflante, le jeune homme laisse échapper un léger soupir.

« Je préférerais que vous ne m’appeliez pas par ce nom de manière aussi désinvolte… Ah, bon. »

Finalement, la lumière se déforma devant ses yeux et un géant émergea, né des vents violents. Yaze avait temporairement augmenté son pouvoir d’hyperadaptation pour créer un double de lui-même — Aérodyne. Son corps était un éclat d’air condensé à plusieurs fois la pression atmosphérique, possédant un pouvoir destructeur localisé comparable à celui d’une tornade. De plus, comme il était formé de simple air, les défenses magiques ne pouvaient pas le bloquer. Même le Schneewaltzer de Yukina Himeragi était incapable d’annuler l’attaque de Yaze.

Regardant le géant du vent, le jeune homme avait calmement posé son arme.

« Un hyper adaptateur contrôlant le flux d’air… Une capacité intéressante. Cependant… »

La sinistre lueur grisâtre émise par la lance noire était comme un feu follet frémissant dans l’obscurité. Et quand l’attaque du géant en furie toucha cette lumière sinistre… le double disparut, et le flux d’air furieux avec lui, comme si en premier lieu il n’avait jamais existé. Tout ce qu’il restait ensuite était une légère brise.

Yaze était resté bouche bée, le souffle court.

« L’Aérodyne a été annulé… !? »

Le jeune homme n’avait pas détruit le géant du vent. Il n’avait même pas bloqué l’attaque. Il avait simplement effacé le pouvoir que Yaze utilisait pour le contrôler.

« Cette lance… C’est un Schneewaltzer !? Non, pas ça… ! Ce n’est pas possible ! »

Yaze avait finalement compris ce qu’était vraiment la lance noire, et il avait réalisé que c’était un homme qu’il ne devait pas combattre. Il avait utilisé les dernières traces de vent pour se propulser en arrière et tenter d’éviter la contre-attaque du jeune homme.

Malheureusement, avant que Yaze n’ait pu réussir, le coup de lance noire l’avait rattrapé. Du sang frais avait jailli de l’entaille dans sa poitrine. Le corps de Yaze avait traversé une barrière et avait dégringolé vers le sol.

Meiga Itogami se renfrogna devant la faible profondeur de l’entaille et regarda le sol à travers l’ouverture de la clôture. Yaze, qui aurait dû tomber en bas, n’était nulle part. Il n’y avait qu’une large mare de sang qui s’étendait sur l’asphalte en dessous. Il n’aurait pas dû être capable de bouger avec une telle blessure, et pourtant…

Le jeune homme en noir murmura calmement pour lui-même. « Aussi tenace qu’on pouvait s’y attendre… mais, mm, c’est très bien ainsi. »

Un smartphone qui avait roulé dans un coin du toit attira brusquement son attention. Yaze l’avait sans doute laissé tomber dans le feu du combat.

Il y avait des fissures sur l’écran, mais les caractères identifiaient le locuteur à l’autre bout et indiquaient que l’appel était toujours connecté.

D’un ton satisfait, Meiga Itogami avait murmuré une salutation révérencieuse.

« Et ainsi je rencontre enfin notre Roi. »

Puis il avait lentement marché sur le smartphone. Il y avait mis tout le poids de son corps, le réduisant violemment en miettes avec son talon. Le verre s’était brisé en une fine poussière. La dernière chose qu’il avait pu entendre du téléphone avant que la ligne ne soit complètement coupée était un rire étrange.

« Keh-keh... »

***

Partie 9

Asagi s’était rempli les joues de crêpes épaisses alors qu’elle regardait l’écran de son ordinateur portable en parlant.

« Il y a bel et bien eu un attentat terroriste dans un train de la région autonome romaine, dans la péninsule italienne, il y a quatre ans — ou plus précisément en mars, il y a trois ans et huit mois. Il a fait plus de quatre cents morts, dont des passagers du train et des personnes présentes dans la gare. Cet événement a fait l’objet d’une grande couverture médiatique, même ici au Japon. »

Il y avait une pile de quatre grandes assiettes vides près d’elle. Cette quantité, modérée selon les standards d’Asagi, reflétait sans doute sa concentration sur son travail.

Asagi avait accédé aux données internes des forces de l’ordre locales. Lorsqu’il s’agit d’incidents politiques comme le terrorisme, il y a toujours au moins une information intentionnellement cachée au public, ou même carrément falsifiée, au nom de la prévention de la panique.

Comme l’heure du déjeuner était passée, la cafétéria des employés du MAR était vide. Kojou et Yukina avaient oublié leur repas en écoutant les explications d’Asagi.

« L’incident s’est produit à 13 heures, heure locale. Le même jour, après 20 heures, Nagisa, dans un état critique, a été transportée sur l’île d’Itogami par un vol charter du MAR. »

Après avoir dit tout cela, Asagi avait couvert ses yeux de détresse. Elle avait soupiré et avait secoué sa tête.

« C’est juste… »

Tout comme Asagi, Yukina avait baissé les yeux et avait murmuré avec une douleur silencieuse. « J’avais donc raison… »

Kojou avait été secoué par l’attitude des filles.

« Hein ? C’est quoi ces réactions… ? »

Kojou pensait que les choses étaient telles qu’on les lui avait expliquées. Lui et Nagisa étaient sur les lieux lorsque l’incident terroriste s’était produit, et Nagisa, dans un état critique, avait été transportée sur l’île d’Itogami pour se faire soigner. Il ne pensait pas non plus que le décalage horaire soit un problème.

Asagi l’avait regardé avec une expression stupéfaite qui semblait dire : « Tu es si bête ».

« Hé, toi. Combien de temps penses-tu qu’il faut pour voler de Rome à l’île d’Itogami ? »

« Er ? Ohh… »

Kojou avait finalement compris l’anomalie. Même par la route la plus courte possible, le temps de vol entre la région autonome romaine et Tokyo était de onze heures, plus ou moins. De là, il fallait un peu moins d’une heure pour atteindre l’île d’Itogami, et changer d’avion ajoutait sans doute encore plus de temps. Même si le MAR fournissait un jet privé, l’arrivée sur l’île d’Itogami était trop rapide.

« Euh, attends, il y a aussi un décalage horaire, non ? C’est quoi, huit heures de décalage ou quelque chose comme ça… ? »

Yukina avait calmement fait remarquer. « Rome a un décalage horaire de sept heures par rapport au Japon. S’il est 19 h ici, il est midi heure locale. »

Kojou avait l’impression que le sol s’était effondré sous lui et il secouait la tête, abasourdi.

« … Qu’est-ce que ça veut dire ? »

Asagi avait haussé les épaules. « Cela signifie que Nagisa était déjà hospitalisée lorsque l’attentat terroriste a eu lieu. Ses blessures n’ont aucun lien avec cet incident. Ils ont juste utilisé un événement qui s’est produit par coïncidence le même jour comme couverture. »

Yukina avait repris là où Asagi s’était arrêtée.

« Je pense qu’il est naturel pour toi et Nagisa de n’avoir aucun souvenir d’avant ou d’après l’incident, Senpai. Après tout, aucun d’entre vous n’était impliqué dans l’incident. »

« Dans ce cas, je doute que vous ayez été à Rome, » avait ajouté Asagi. « Les registres des douanes montrent que vous alliez en Europe, mais… »

Kojou avait regardé ses propres paumes en marmonnant faiblement. « Alors… ils nous ont menti pendant tout ce temps… ? »

La pensée de tous les adultes réunis autour d’eux en train de leur mentir était désagréable, voire carrément effrayante, car cela signifiait que leurs deux parents étaient pleinement impliqués dans la tromperie.

« Pourquoi nous mentiraient-ils à ce sujet ? Pourquoi en auraient-ils besoin ? »

Yukina secoua tranquillement la tête en se préoccupant de Kojou.

« Je ne sais pas… Cependant, c’est sûrement lié à ton état, Senpai. »

Avec un sursaut, Asagi avait relevé son visage et avait regardé Yukina. « L’état de Kojou ? »

Si tu veux savoir ce que Kojou a caché, je veux que tu examines d’abord cet incident — c’était la condition absolue que Yukina avait fixée. Yukina avait probablement discerné dès le début que le souvenir poussé sur Kojou était faux.

Asagi avait continué, en regardant sérieusement Kojou. « Je vois… Tu as promis de t’expliquer, n’est-ce pas ? Je veux que tu me dises tout ce que vous me cachez tous les deux. »

Kojou avait hoché la tête en signe de résignation. De toute façon, il avait compris qu’il devrait éventuellement dire la vérité à Asagi.

Mais il y avait une chose qu’il voulait confirmer par lui-même avant de commencer.

« Hé, Asagi. Il doit y avoir des dossiers sur le traitement de Nagisa au MAR, non… ? »

Sentant peut-être où Kojou voulait en venir, Asagi avait parlé avec une certaine hésitation pour une fois. « Eh bien… probablement. Le regarder sans autorisation est illégal et constitue une violation de la vie privée, tu sais ? »

Mais Kojou avait un air maussade tandis que ses yeux se portaient sur une fenêtre extérieure. Un bâtiment aux murs blancs se dressait de l’autre côté d’une large cour couverte d’herbe — le laboratoire médical du MAR, et le bâtiment où Nagisa avait sans doute subi un traitement.

« Le MAR nous a menti en premier, donc on est à égalité. S’ils ont utilisé Nagisa sans qu’on le sache, c’est un crime en soi, non ? »

Asagi avait expiré profondément et avait appelé son partenaire, l’IA.

« … Eh bien, tu as entendu l’homme, Mogwai. »

Même avec les compétences d’Asagi, pirater le MAR, l’une des rares entreprises magiques de haute technologie au monde, ne serait pas une tâche facile. Avoir l’ordinateur principal de la Corporation de Management du Gigaflotteur pour la soutenir pourrait être une autre histoire.

Cependant, il n’y avait pas eu de réponse de l’IA.

« Mogwai… ? »

Asagi avait tapoté doucement sur son clavier, entrant une commande de recherche. L’avatar sarcastique apparaissait normalement même quand il n’en avait pas besoin, mais ce jour-là, l’appel d’Asagi était resté sans réponse. Quelque chose semblait brouiller le signal.

Simultanément, Yukina et Kojou avaient poussé des cris de surprise.

« Eh… !? »

« — !? »

Ils avaient ressenti un niveau titanesque d’énergie démoniaque dans un endroit non loin du complexe du MAR. C’était une puissance magique si grande que même Kojou, qui n’était pas exactement la personne la plus sensible, pouvait la détecter.

« Himeragi, c’est… ! »

Yukina s’était levée d’un bond et avait attrapé son étui à guitare en courant vers une fenêtre ouverte.

« Oui, un Vassal Bestial. Mais quelle est cette énergie démoniaque hors normes… !? »

Elle avait vu, dans un interstice entre des bâtiments, une tour de radiodiffusion tomber doucement et s’effondrer comme si elle avait été tranchée par un couteau géant.

C’était très certainement l’œuvre d’un Vassal Bestial d’un vampire de la Vieille Garde, et d’un noble en plus. De plus, il y avait plus d’une source d’énergie démoniaque. Peu de temps après, elle avait senti la présence d’un Vassal Bestial nouvellement invoqué.

Kojou et Yukina avaient d’abord pensé à Jagan et Kira. En tant que noble de l’Empire du Seigneur de Guerre, il ne serait pas surprenant qu’ils puissent invoquer des Vassaux bestiaux de cette classe. Le plus gros problème était l’existence d’un ennemi qui nécessitait l’utilisation de plusieurs Vassaux bestiaux. De plus, il n’y avait aucun signe de ralentissement de la bataille. Pour deux des confidents de Vattler qui luttaient au combat — .

L’instant d’après, Asagi avait poussé un grand cri.

« Qu’est-ce que — !? »

C’était comme si la nuit était tombée sur eux, avec des éclairs féroces dans tout le ciel. L’île artificielle avait tremblé sous l’effet d’un grand impact, comme si une météorite s’était écrasée sur elle.

Kojou et Yukina s’étaient raidis, incapables de dire un mot, car ils avaient réalisé ce qu’était ce choc.

La masse d’énergie démoniaque qui obscurcissait le ciel au-dessus de l’île artificielle était le Vassal Bestial invoqué par l’ennemi de Jagan et Kira — si tant est que l’on puisse appeler une chose capable d’un changement aussi incroyable un Vassal Bestial.

De la même manière qu’une masse suffisamment importante interfère avec la gravité, la simple présence d’une énorme quantité d’énergie magique plongea les systèmes de l’île artificielle dans le chaos. Leurs champs de vision étaient déformés, comme s’ils avaient été tirés des profondeurs de l’eau, ne pouvant même pas respirer facilement à cause de la différence de pression.

Jusqu’à présent, Kojou et Yukina n’avaient connu qu’une seule catégorie de Vassaux bestiaux existants qui libéraient une énergie démoniaque aussi énorme : ceux du Quatrième Primogéniteur, le Vampire le plus puissant du monde.

Un coup de tonnerre avait fendu l’air à proximité. En même temps que l’éclair, une silhouette avait atterri sur le sol dans la cour de l’hôpital. Asagi l’avait désignée et avait crié. « Kojou, là-bas ! »

C’était une fille portant une robe blanche. C’était sans aucun doute l’ennemi que Jagan et Kira avaient combattu.

Elle avait lentement pointé son doigt.

Une boule géante d’éclairs avait suivi, se précipitant vers le sol. Tout paratonnerre ou barrière défensive était impuissant devant sa puissance destructrice incalculable. Un impact accompagné d’une chaleur énorme s’était abattu sur le bâtiment de l’aile médicale, réduisant le mur extérieur en miettes.

Le centre de recherche de pointe avait été transformé en une ruine sur le point de s’effondrer.

Un coup de plus, et sans aucun doute la structure serait anéantie sans laisser de trace.

En voyant ça, Kojou avait finalement repris ses esprits.

« C’est quoi ce bordel avec elle !? Nagisa est là-dedans ! »

L’identité de l’attaquant lui importait peu. Ce qui importait, c’était qu’elle essayait de détruire le bâtiment où se trouvait Nagisa. C’était un acte de sauvagerie qu’il ne pouvait absolument pas permettre.

Mais Kojou se demandait s’il pouvait vraiment arrêter une fille qui pouvait contrôler un Vassal Bestial égal, ou supérieur, aux siens…

Elle s’était tournée vers Kojou et l’avait regardé, en gloussant comme si elle avait vu clair dans son hésitation.

Elle se retourna, révélant sa beauté féerique aux yeux de tous. Ses cheveux aux couleurs de l’arc-en-ciel ondulaient dans le vent violent. Elle avait des yeux flamboyants et un sourire provocateur.

Alors que Kojou frissonnait, la voix aiguë de Yukina était parvenue à ses oreilles.

« Senpai, je vais m’occuper de Nagisa — ! »

De son étui à guitare, elle sortit une longue lance entièrement métallique qui brillait en argent. Une fois dans ses mains, l’épaisse lame s’était déployée avec un doux tintement.

« Himeragi !? »

« Occupe-toi d’Aiba ! »

Avec cette déclaration unilatérale, Yukina avait brisé le verre renforcé et avait sauté à l’extérieur.

Dans le jardin, des courants électriques circulaient encore à cause de l’attaque d’éclair de la fille. Yukina avait foncé droit dessus. Un seul mouvement de sa lance d’argent avait effacé les éclairs. Le Schneewaltzer de Yukina était une lance purificatrice capable de déchirer toute sorte de barrières et d’annuler l’énergie magique. Yukina, portant cette lance, était le seul humain dans cet endroit capable de résister à l’attaque d’un Vassal Bestial d’un Primogéniteur.

« C’est quoi cette lance ? Qu’est-ce qu’elle… !? » demanda Asagi, abasourdie.

Asagi ne savait pas qui était vraiment Yukina. La voir sous la forme de Chamane Épéiste pour la toute première fois l’avait laissée aussi accablée qu’on pourrait le penser.

Cependant, Kojou n’avait pas pu dire un mot à Asagi, car il était bien plus secoué qu’elle.

« Non… pas possible… »

Asagi, remarquant l’état anormal de Kojou, avait levé les yeux et regardé sur le côté.

« Kojou ? »

Ses yeux étaient grands ouverts, distraits à l’exception de la seule chose sur laquelle il se concentrait : la fille aux cheveux arc-en-ciel et au sourire charmant, enveloppée d’un tonnerre féroce — .

La question angoissée qui était sortie de la gorge de Kojou ressemblait à une complainte.

« Avrora… Comment… ? »

***

Partie 10

La Magna Ataraxia Research, ou MAR, était l’un des rares conglomérats de fabrication d’objets de sorciers au monde. Même le laboratoire qu’elle avait établi dans la ville d’Itogami était une énorme entreprise employant près de mille chercheurs. Il avait été conçu avec des caractéristiques de sécurité considérables à l’esprit, comme des pods de sécurité construits avec des circuits sorciers et des robots miniatures colorés de la taille d’une poubelle. D’une certaine manière, leur apparence arrondie était humoristique et adorable. Cependant, destiné à la sécurité, c’était simplement pour le spectacle. À l’intérieur, les modules de sécurité MAR étaient des robots d’attaque sans pilote de qualité militaire, des armes prototypes développés pour le combat anti-démon.

Ces robots d’attaque sans pilote s’étaient dirigés vers la jeune fille envahissante, la frappant d’une pluie de coups de feu. Les balles étaient des balles maudites de petit calibre, à haute vélocité, fabriquées avec des pointes de platine-rhodium de pointe, capables d’infliger des dommages durables aux démons.

Au milieu de la volée de 2 000 balles par minute infligée par une trentaine de pods de sécurité, la jeune fille aux cheveux arc-en-ciel avait souri en coin et elle ordonna à son Vassal Bestial d’attaquer. Les ténèbres qui enveloppaient le ciel au-dessus d’eux avaient libéré de gigantesques boules d’éclairs, qui s’étaient ensuite transformées en d’innombrables flèches de lumière qui s’étaient déversées sur le terrain du laboratoire. Les ondes de choc à haute température qu’elles libéraient pulvérisèrent les drones d’attaque, creusant au passage d’énormes trous dans le sol et les murs extérieurs des bâtiments voisins.

Le personnel de sécurité en attente derrière les modules de sécurité avait crié et avait commencé à fuir.

La jeune fille marcha sur les débris des robots d’attaque autonomes et regarda ceux qui s’enfuyaient avec un air surpris. Son expression disait qu’elle trouvait étrange qu’ils soient encore en vie après avoir retourné leurs armes contre elle.

Se léchant les lèvres avec un plaisir évident, elle avait reconnu la silhouette qui se tenait au milieu de la fumée de l’explosion.

« Hmm. Donc tu es celle qui a sauvé leurs vies… »

Elle s’adressait à la petite fille à la lance d’argent qui avait repoussé l’attaque de son Vassal Bestial.

« Je vois », continua-t-elle. « Il y avait une rumeur selon laquelle le porteur d’un Schneewaltzer avait été envoyé pour surveiller le Quatrième Primogéniteur. Comme c’est intrigant — j’ai maintenant un modeste intérêt pour toi. Nomme-toi, ma fille. »

Yukina avait répondu à la question hautaine de la jeune fille d’un ton ferme.

« Yukina Himeragi. Chamane Épéiste de l’ Organisation du Roi Lion. »

De près, l’aura redoutable de la fille était au-delà des attentes les plus folles de Yukina. Si elle hésitait une seule seconde, elle perdait toute volonté de se battre. Son ennemie dégageait un sentiment de puissance écrasante qui surpassait de loin tous les ennemis que Yukina avait affrontés jusqu’à ce jour.

En regardant la Chamane Épéiste garder sa lance prête à l’emploi, elle grimaça d’admiration.

« Ne bougez pas. S’il vous plaît, dissipez le Vassal Bestial que vous avez invoqué et obéissez à mes instructions, » ordonna Yukina.

Avec un gloussement, les lèvres de la jeune fille avaient formé un sourire sauvage.

« Tu daignes me donner des ordres ? J’aime plutôt les jeunes téméraires inconscients de leur rang, Yukina. »

Une boule d’éclairs particulièrement énorme émergea au-dessus de la tête de la fille, l’électricité statique dans l’air piquant la chair de Yukina. Le gigantesque nuage d’orage qui recouvrait tout le ciel était probablement le Vassal Bestial de la jeune fille.

La jeune fille poursuit. « Je ne m’exécuterai pas, car mon objectif reste inachevé. »

Elle avait déclenché un rayon pâle vers Yukina, mais la lance avait repoussé l’attaque qu’aucun humain normal n’aurait pu voir venir. Les Chamane Épéistes de l’Organisation du Roi Lion étaient capables de voir un instant dans le futur avec leur vision spirituelle. En lisant l’avenir, elle avait intercepté l’attaque du Vassal Bestial qui agissait littéralement à la vitesse de l’éclair.

Yukina avait couru vers la fille.

« Vas-tu donc m’arrêter par la force ? Je t’aime encore plus ! » dit la fille aux cheveux arc-en-ciel.

Une expression de plaisir s’était emparée d’elle alors qu’elle déclenchait une autre attaque. Cependant, Yukina ne s’était pas arrêtée. Elle s’était frayé un chemin à travers l’éclair brûlant, et s’était dirigée vers elle.

« La lance de purification qui peut déchirer n’importe quelle barrière et annuler l’énergie magique — tu l’utilises bien pour quelqu’un d’aussi inexpérimenté. Mais ce n’est pas suffisant pour m’arrêter ! » déclara son adversaire.

« — Eh !? »

Au moment où Yukina pensa que la lame du Loup de la Dérive des Neiges avait empalé son ennemi, elle laissa échapper un son de choc complet. La lance, capable de couper toute énergie démoniaque, avait été frappée sur le côté, la faisant dévier de sa trajectoire. Elle n’avait pas reçu de coup de la part du Vassal Bestial.

Au contraire, la fille avait repoussé le Loup de la Dérive des Neiges à mains nues.

Puis elle avait tenté de prendre l’avantage avec un coup de pied, mais la lance de Yukina l’avait repoussé. De peu, elle avait esquivé le coup de karaté de la fille. Avec Yukina maintenant déséquilibrée, la fille avait effectué un coup de poing féroce. La vitesse était trop grande pour que Yukina puisse contre-attaquer, à cet instant, la Chamane Épéiste avait dû faire tout ce qu’elle avait pour reculer.

Une anxiété intense s’était emparée de Yukina qui avait gémi. « Ce n’est pas possible… Ces mouvements… »

La fille devant ses yeux était sûrement une puissante vampire à part entière. La puissance destructrice du Vassal Bestial qu’elle contrôlait était égale ou supérieure à celle de Kojou — le Vassal Bestial du quatrième Primogéniteur. Mais si c’était tout, elle ne ferait pas le poids face à Yukina avec le Loup de la Dérive des Neiges dans ses mains.

Yukina était choquée que la fille l’ait écrasée en combat de mêlée. Yukina, qui avait tenu tête à un Apôtre Armé Lotharingien et à des mercenaires hommes-bêtes, était dominée en un contre un par une fille de sa taille.

Cependant, la fille aux cheveux arc-en-ciel semblait également évaluer son adversaire. Elle avait fait un grand signe de tête d’admiration pour le fait que Yukina soit sortie indemne de ses attaques.

« Hee-hee-hee, tu l’as bien pris. Mais… vas-y, Xiuhtecuhtli ! »

Un nouveau Vassal Bestial émergea à ses pieds, un pilier de flammes incandescentes rappelant une éruption volcanique. Le brasier explosif avait surgi comme un serpent géant et attaqua Yukina par le haut.

« Loup de la Dérive des Neiges… ! »

Alors même que le niveau de chaleur hors normes la frappait d’effroi, Yukina déversa toute son énergie spirituelle dans sa longue lance et intercepta le flux de flammes. Même si cela semblait être un torrent de feu, c’était toujours une pure masse d’énergie démoniaque. Un seul coup du Loup de la Dérive des Neiges, qui annulait la magie, fit disparaître la chaleur et les flammes.

La fille aux cheveux arc-en-ciel déclara d’une voix qui semblait plus légère que jamais. « … Tu as donc sauté pour trancher les flammes de l’intérieur. Si tu avais tourné le dos une seule seconde par peur de Xiuhtecuhtli, toi et tes os auriez été consumés sans laisser de trace. Bien joué. Même si je suis discrète, il y a peu d’âmes qui ont résisté deux fois à mes Vassaux bestiaux. Sois-en fier. »

Son inépuisable confiance en soi enveloppait Yukina d’un doute qui ressemblait à une terreur profondément enracinée.

« Qu’est-ce que tu… ! »

La fille devant ses yeux était différente de tous les ennemis que Yukina avait rencontrés auparavant. En termes de force, Kanon Kanase avait été la plus proche à l’époque où elle était devenue Faux Ange, possédant une énergie magique inépuisable et une immortalité absolue, ainsi qu’une puissance écrasante qui rivalisait avec les dieux. Cette fille était un être d’un autre niveau — comparée aux démons normaux, elle était dans une autre dimension.

Ce qui différait de Faux Ange, c’est que ce n’était pas la divinité qui planait autour d’elle, mais une force vitale négative infinie. Aussi incomplet soit-il, Yukina ne connaissait qu’un seul être semblable à elle : Kojou Akatsuki, l’actuel Quatrième Primogéniteur. S’il avait obtenu toutes les capacités qui lui revenaient de droit en tant que Primogéniteur, cela aurait pu faire de lui un être du même niveau que la jeune fille.

Mais la fille ne pouvait pas être une vampire primogéniteur. Les traits jeunes et magnifiques de la fille étaient complètement différents de tout ce qu’elle avait entendu sur les trois seigneurs des Dominions. Eux, et le Quatrième Primogéniteur, le Primogéniteur vampire qui n’aurait pas dû exister, étaient les seuls Primogéniteurs — .

Si Kojou était le Quatrième Primogéniteur, alors cette fille ne pouvait pas en être un. Si Kojou était le vrai Quatrième Primogéniteur…

Les mains de Yukina tremblèrent en saisissant sa lance.

« Ce pouvoir… Ton apparence… Non, ce n’est pas possible… !? »

Elle avait moins l’impression de se souvenir que d’être soudainement frappé par une vérité désagréable.

Les cheveux arc-en-ciel comme des flammes… Les yeux flamboyants de flamme bleu pâle… Telle était l’apparence du véritable Quatrième Primogéniteur, Avrora Florestina, dont le nom était synonyme de terreur.

Le vampire dont la forme était celle d’une jeune fille aussi belle qu’une fée…

Si cette fille n’avait que l’apparence seule d’Avrora, Yukina l’aurait sans doute considérée comme un imposteur. Cependant, elle utilisait des Vassaux Bestiaux si puissantes que seuls les Primogéniteurs pouvaient les employer — .

Yukina étant figée sur place, la fille aux cheveux arc-en-ciel semblait se désintéresser d’elle.

« Vas-y, Camaxtli. »

Le nuage d’orage noir qui obscurcissait le ciel avait déclenché un éclair éblouissant, mais il ne visait pas Yukina. L’éclair électrique qui avait traversé l’air avait frappé le bâtiment derrière Yukina, près de l’aile médicale à moitié détruite.

Même si Yukina avait gagné du temps, le personnel n’aurait pas déjà pu finir d’évacuer. De plus, l’hôpital rattaché au laboratoire contenait de nombreux patients qui ne pouvaient pas être déplacés.

Cependant, l’attaque de la fille ne leur avait montré aucune pitié. Les paratonnerres du bâtiment avaient déjà été détruits, et le Loup de la Dérive des Neiges ne pouvait pas protéger l’intégralité d’un énorme laboratoire. Yukina n’avait aucun moyen de protéger les personnes présentes de l’attaque — et l’attaque d’un Vassal Bestial d’un Primogéniteur semait la destruction et le désespoir au même titre qu’une catastrophe naturelle.

Pourtant, un faible son de surprise s’était échappé des lèvres de la jeune fille.

« Hmm ? »

La foudre tombant des cieux fut frappée par une autre, venant de la surface. Les éclairs dispersés par la collision féroce avaient pris la forme d’un lion géant enveloppé d’éclairs. Un rugissement avait déchiré l’air.

Yukina avait levé les yeux vers le lion foudroyant et avait crié : « Regulus Aurum — ! »

La fille aux cheveux arc-en-ciel murmura. « Il vient enfin, » en déplaçant son regard avec un sourire charmant. Ses yeux reflétaient Kojou, que le Vassal Bestial servait. Il lança un regard furieux à la fille sans baisser sa garde alors qu’il s’avançait à la place de Yukina.

Avec des éclairs pâles enveloppant tout son corps, Kojou s’était tourné vers la Chamane Épéiste.

« Himeragi, tu vas bien ? »

Yukina le regardait fixement, abasourdie. « Senpai — . »

La voix sèche de Kojou semblait en quelque sorte sur les nerfs.

« Substitution. Occupe-toi d’Asagi. »

Yukina et Kojou n’étaient pas les seuls présents. Il va sans dire qu’Asagi l’avait vu appeler son Vassal Bestial.

Asagi était probablement plus secouée par la vérité que Kojou ne l’était par la révélation de son secret. Cependant, ni Kojou ni Yukina n’avaient le temps de considérer les sentiments d’Asagi. La seule chose qu’ils pouvaient faire était d’assurer sa sécurité.

« Senpai, cette personne… »

Kojou avait fait un sourire faible et amer en regardant la fille aux cheveux arc-en-ciel. « Oui… Elle ressemble beaucoup à Avrora. »

Yukina avait hésité avant de dire ce qu’elle craignait que ce soit la vraie.

« Si c’est elle, cela ne fait-il pas d’elle le vrai quatrième Primogéniteur ? »

Les yeux de Kojou avaient brillé en rouge.

« Alors c’est une raison de plus pour que je la combatte. » Son corps entier dégageait une énergie magique dense. Il avait poursuivi. « Et si elle en a après Nagisa, c’est une raison de plus de la combattre ! Je ne te laisserai pas mettre le doigt sur cet hôpital. À partir de maintenant, c’est mon combat — ! »

Le cri de Kojou avait été accompagné par le rugissement du lion de foudre. La masse géante d’énergie magique avait montré ses crocs à la fille aux cheveux arc-en-ciel. Cependant, il n’y avait aucune peur sur son visage. La seule chose que l’on pouvait lire était un sourire ravi.

« Regulus Aurum. Cela me ramène vraiment en arrière — très bien, vas-y, Camaxtli — ! »

Les deux Vassaux bestiaux, chacun enveloppé d’énormes charges électriques, s’affrontèrent de front. L’onde de choc féroce devint un souffle de vent qui assaillit indistinctement les environs. Le visage de Kojou se tordit de nervosité.

« … Regulus Aurum est repoussé… !? »

C’était un spectacle incroyable. La charge de Regulus Aurum s’arrêta avant d’avoir pu toucher la fille. Le lion de foudre, fier de son invincibilité, était submergé par la puissance du Vassal Bestial de la fille.

Le coup de vent furieux balaya les cheveux de la jeune fille tandis qu’elle criait sauvagement. « Tu te nommes toi-même le Quatrième Primogéniteur, mais tu n’as toujours pas le plein contrôle de tes Vassaux bestiaux ! Ne me déçois pas ainsi ! »

Une colonne de feu avait jailli des pieds de la fille, se transformant en un torrent incandescent qui avait assailli Kojou.

« Vas-y, Xiuhtecuhtli ! »

« Argh ! Viens par ici, Al-Nasl Minium ! »

Kojou abattit le torrent brûlant avec un souffle du Vassal Bestial qu’il avait invoqué. La fille avait relâché l’invocation de son propre Vassal Bestial pour éviter le retour de flamme.

« Hee-hee-hee... Tu t’es bien défendu ! Alors — ! »

Elle sauta soudainement du sol avec une vitesse monstrueuse que seule la force physique brute d’un vampire peut atteindre. Une distance de plusieurs dizaines de mètres s’était transformée en zéro en un instant lorsque la fille avait avancé son bras droit vers Kojou. Des griffes ignobles qui semblaient ne pas convenir aux mains minces de la fille sortaient du bout de ses doigts.

« Pourquoi tu… ! »

Jugeant intuitivement qu’il ne pourrait pas esquiver l’attaque de la fille, Kojou invoqua un nouveau Vassal Bestial. Son corps entier se transforma en brume, et le bras droit de la fille, sur le point de l’empaler, se transforma également en brume.

« Le Vassal Bestial de la Brume, Natra Cinereus — pas un mauvais choix, mais un choix imprudent ! »

La jeune fille avait utilisé sa propre énergie démoniaque pour matérialiser le bras droit qui avait été transformé en brume contre sa volonté.

Cette action sembla tirer Kojou en arrière, le libérant de sa propre forme de brume, déchirant son corps au niveau gauche de son torse et envoyant du sang frais se répandre. Apparemment, le Vassal Bestial de Kojou, capable de transformer toute sorte de matière physique en brume et de l’annihiler, était inefficace contre un vampire de niveau égal ou supérieur au sien.

Il avait gémi en regardant le bras droit ensanglanté de la fille.

« Guo… a… ! »

Le bras de la fille s’était transformé en celui d’un homme bête, même si elle était une vampire.

« Je… vois ! Tu es — ! »

« Alors tu t’en rends enfin compte. Mais c’est trop tard ! Vas-y, Xolotl ! »

Elle avait invoqué son troisième Vassal Bestial. C’était un énorme géant squelettique. Ses orbites, ayant perdu leurs yeux, étaient de grandes cavités creuses, les espaces entre les côtes exposées étaient remplis d’un espace sombre qui ne reflétait pas le moindre rayon de lumière.

La cage thoracique s’était ouverte comme une porte, libérant tel un canon l’obscurité dominante. C’était un missile noir vorace qui consumait l’espace lui-même.

C’est mauvais, pensa Kojou alors que son corps entier se figeait. La cible du géant squelettique n’était pas Kojou, mais plutôt le bâtiment derrière lui. Comme si le but de la fille aux cheveux arc-en-ciel était de provoquer Kojou, la cible était l’aile médicale !

Mais comment pouvait-il arrêter une attaque qui consumait l’espace lui-même ?

« Viens par ici, Al-Meissa Mercury ! »

Kojou invoqua un autre Vassal Bestial, un dragon à deux têtes couvert d’écailles argentées. Ses gueules géantes s’étaient ouvertes en grand, avalant tout l’espace environnant et le boulet de canon noir.

Pourtant, subir le poids de l’attaque d’un vassal de la même classe que lui avait mis à rude épreuve le dragon à deux têtes connu sous le nom de mangeur de dimension. Son énergie démoniaque s’était évaporée, et Kojou était tombé à genoux.

Il était évident que la fille aux cheveux arc-en-ciel était tout aussi épuisée. Peut-être était-elle satisfaite d’avoir autant utilisé son pouvoir, car elle relâcha les invocations de tous ses Vassaux bestiaux avec un sourire agréable et satisfait.

« Splendide. Quand je pense que tu as préféré arracher l’espace d’annihilation de Xolotl et la dimension avec. Je vois, une telle vivacité d’esprit t’a permis de survivre au Banquet Flamboyant… »

« Banquet… Flamboyant… !? »

Ces mots, que Kojou avait l’impression d’avoir déjà entendus, lui avaient donné l’impression que sa poitrine se serrait. Il avait ressenti une douleur lancinante à cause du souvenir prétendument perdu.

Enfin, les rayons éblouissants du soleil étaient revenus et la jeune fille avait fait la grimace en disant : « J’avais espéré pouvoir te jauger un peu plus, mais il semble que je n’ai plus le temps. C’est très bien ainsi, car j’ai rempli mon objectif. »

Elle avait regardé le bâtiment de l’aile médicale. Même si Kojou était intervenu, son Vassal Bestial avait arraché une grande partie de son mur extérieur, éventrant l’installation expérimentale construite profondément sous terre.

Il avait d’épaisses parois intérieures métalliques renforcées par des poutres en acier. Il y avait des câbles à haute tension, des dispositifs pour faire circuler le liquide de refroidissement et d’innombrables instruments de contrôle. C’était aussi stérile qu’un plancher d’usine.

Une petite fille dormait sur le lit métallique placé au centre. La fille, qui ne portait qu’une fine blouse médicale, ressemblait à un sacrifice humain couché sur un autel.

Kojou était resté debout, choqué, en regardant la vue de sa petite sœur encore endormie.

« Nagisa… !? »

Allongée à côté de Nagisa, une autre fille dormait, c’était comme si elles étaient des images miroirs. Cette fille était enveloppée d’une masse de glace bleu pâle et claire, semblable à un glacier.

Kojou avait fixé sans mot dire le bloc de glace qui était autrefois appelé le Cercueil de la Fée.

***

Partie 11

Apparemment, le combat de Kojou avec la fille aux cheveux arc-en-ciel avait été provisoirement réglé. Un silence s’était installé, et ce qui l’avait brusquement brisé était la question d’Asagi.

« Alors Kojou est vraiment le quatrième Primogéniteur ? »

La question d’Asagi s’adressait à Yukina, qui s’était repliée pour la protéger. Voyant son expression renfrognée, Asagi s’était serré la tête.

« C’est quoi ce bordel… ? Cet idiot est-il devenu le plus puissant vampire du monde ? Et tu es une observatrice assignée par une agence fédérale spéciale ? Rien de tout cela n’a de sens. Qu’est-ce que c’est que tout ça… ? Ah, bon sang ! »

Yukina avait solennellement baissé la tête. « Je suis vraiment désolée. Je m’excuse de l’avoir caché jusqu’à maintenant. Cependant… »

Il y avait un faible écho de perplexité dans la voix de Yukina. Même s’il était naturel qu’Asagi soit bouleversée, sa réaction était un peu différente de ce qu’elle avait prévu.

« Euh, vous ne semblez pas particulièrement surprise…, » avait-elle timidement fait remarquer.

Asagi avait gonflé ses joues en caressant ses cheveux en arrière.

« J’ai vécu dans un sanctuaire de démons pendant plus de dix ans. Je ne vais pas crier juste parce que des gens que je connais se sont avérés être des vampires et des Mages d’attaque. Maintenant que tu en parles, beaucoup de choses me viennent à l’esprit. En premier lieu, je ne peux pas exactement ne pas te croire après avoir vu cela de première main. »

« Oui… Je suis vraiment désolée. »

D’un point de vue rationnel, Yukina n’avait aucune raison de s’excuser, mais elle avait tout de même baissé le regard, intimidée par l’agressivité d’Asagi.

« Et autre chose, Himeragi ! »

« O-Oui ! »

Tout le corps de Yukina avait semblé rétrécir alors qu’elle levait la tête. Devant les yeux de Yukina, Asagi avait approché son visage très près, fixant le cou mince de Yukina.

« Tu l’as déjà fait avec Kojou ? »

« P… Pardon ? »

Asagi avait violemment frappé la table à portée de main.

« Je te demande s’il a bu ton sang ! »

La tête de Yukina était devenue blanche à la question provocante de la fille.

« Eh !? Er, c’était… Je veux dire, il y avait des circonstances urgentes… ! »

« Tu l’as donc fait… Combien de fois !? »

« C’est… »

Yukina avait commencé à compter docilement sur ses doigts. Son cœur n’étant pas du tout préparé, elle n’avait pas pu trouver le moindre moyen d’y échapper.

Les coins des yeux d’Asagi s’étaient levés alors qu’elle regardait Yukina plier ses doigts.

« Mais, ce garsssssssssssss… ! »

« Ah, Aiba… ? »

Apparemment, la chose la plus importante du point de vue d’Asagi n’était pas de savoir si Kojou était humain, mais s’il avait posé ses lèvres sur la chair de Yukina.

Yukina avait essayé de trouver les mots pour adoucir la situation, mais son visage s’était brusquement durci.

« Je suis vraiment désolée, Aiba, mais nous devons remettre ça… »

Yukina avait déplacé sa lance d’argent et avait avancé sans un bruit. Elle se dirigea vers le jeune homme qui avait surgi de nulle part, un jeune aux traits délicats portant des vêtements noirs.

Asagi, ayant un mauvais pressentiment sur la présence de l’homme, avait adopté une posture de prudence.

« Qui est-ce… ? »

« Un évadé de la Barrière pénitentiaire. »

Le visage d’Asagi s’était raidi face à l’explication sèche de Yukina.

 

 

« La Barrière pénitentiaire !? »

Elle avait une très bonne raison de ne pas considérer cette barrière comme une simple légende urbaine. La nuit du Festival de la Veiller Funèbre, à la fin du mois d’octobre, Asagi s’était engagée dans une bataille mortelle avec l’un de ses évadés. Elle savait mieux que quiconque à quel point ils étaient effrayants.

L’homme en noir, Meiga Itogami, s’était moqué de Yukina en signe de mépris.

« Ah… Vous êtes la Chamane Épéiste de l’époque. »

Meiga avait saisi une lance courte dans chaque main. Puis il les avait fusionnées avec force pour créer une seule longue lance. Les yeux de Yukina s’étaient élargis de surprise face à la lueur étrange de l’arme noire.

« Cette lance, ça ne peut pas être… »

« Vous avez donc bien remarqué qu’il s’agit de Fangzahn, une arme rejetée par l’Organisation du Roi Lion. »

« — ! »

Le regard de Yukina s’aiguisa davantage lorsque le jeune évadé mentionna l’Organisation du Roi Lion. Ce n’était pas par colère, car elle avait compris d’un seul coup d’œil que la lance maléfique qu’il brandissait était construite à partir de la même technologie que le Loup de la Dérive des Neiges.

Non, ce qui avait complètement déstabilisé Yukina n’était pas la lance, mais la faible odeur de ce qui souillait la lance — du sang très frais.

« Qu’est-ce que tu as fait de Yaze ? » demanda Yukina.

La question de Yukina avait fait trembler les épaules d’Asagi. Dans cette situation, si le jeune évadé avait porté la main sur quelqu’un, il y avait de fortes chances pour que ce soit Yaze, qui n’était jamais revenu dans la cour.

Meiga avait légèrement souri, presque avec charme, comme pour confirmer les pires craintes de Yukina et Asagi. « Ce n’est pas grave. Il n’est probablement pas mort… pour le moment. »

« Arrk — ! »

L’instant d’après, Yukina lui avait sauté dessus comme si elle avait été tirée d’un canon. Dans son esprit, il n’y avait aucune raison de continuer la conversation. D’abord, elle devait le rendre impuissant.

Le coup de Yukina, plus rapide que la vitesse de réaction d’un démon, avait renversé la lance de l’homme, puis l’avait frappé sur le côté de la tête — du moins le pensait-elle.

Elle s’était arrêtée de bouger, choquée par l’absence de réaction de sa propre lance.

« Eh !? »

Le jeune homme avait calmement parlé à Yukina par-derrière.

« Qu’est-ce qui se passe ? »

Il n’avait fait qu’un seul pas sur le côté pour éviter la charge de Yukina.

« Impossible, » dit-elle.

Sans aucun doute, sa vision spirituelle avait vu la prochaine action du jeune homme. Il n’aurait pas été possible que l’attaque de Yukina soit manquée.

Le ton de la voix du jeune homme était condescendant, comme s’il réprimandait un élève maladroit.

« Je suppose que je dois vous prévenir que vous ne pouvez pas me vaincre. C’est précisément parce que vous êtes une excellente Chamane Épéiste que vous ne pouvez pas me faire de mal. »

Depuis le début, le jeune homme n’avait pas considéré Yukina comme un adversaire à sa hauteur.

Yukina avait entonné un chant sans répondre.

« — Moi, Vierge du Lion, Chamane Épéiste du Haut Dieu, je t’en supplie. »

Elle versa toute l’énergie rituelle raffinée de son corps dans le Loup de la Dérive des Neiges, changeant sa lueur en un effet d’oscillation divine qui coupait l’énergie magique. Sûrement, quelle que soit la sorcellerie que Meiga Itogami avait déployée, son effet disparaîtrait dans cette lueur.

Cependant, la magnifique radiance émise par le Loup de la Dérive des Neiges s’était éteinte avant de toucher le corps du jeune homme. Ce n’était pas son sort qui avait été annulé, mais l’effet d’oscillation divine de Yukina.

Voyant Yukina trop secouée pour bouger, Meiga avait souri comme pour se moquer d’elle.

« … Fangzahn est un échec. Le Type Sept annule l’énergie magique déformée et amplifie votre pouvoir spirituel en tant que prêtresse. Cependant, le Type Zéro annule à la fois l’énergie magique et spirituelle. Et donc, cette lance a été scellée, car elle était trop dangereuse. »

« Mais… avec l’énergie spirituelle et magique coupée, comment pouvez-vous être… en vie… ? »

La nervosité s’était glissée dans la voix de Yukina. Tout comme toutes les choses possèdent le yin et le yang, la fin et le début, l’énergie spirituelle et l’énergie magique sont les pôles opposés de la vie elle-même. Qu’il s’agisse d’un humain ou d’un démon, on ne pouvait pas survivre quand on était coupé de l’énergie spirituelle et de l’énergie magique. Il s’agissait moins d’être vivant ou mort — sans l’une ou l’autre, on ne pouvait même pas exister.

Le jeune homme avait dirigé sa lance vers Yukina.

« Telle est ma nature physique. Aucun pouvoir surnaturel ne m’affecte. Ma chair ne fait de moi qu’un spectateur en ce qui les concerne. En effet, s’il n’y avait pas cette lance, cette condition serait tout à fait inutile. Cependant… »

Le regard spirituel de Yukina ne pouvait pas prédire sa prochaine action. Certes, c’était comme Meiga l’avait dit. Sa lance était l’ennemi mortel d’une Chamane Épéiste employant la Vue Spirituelle, car plus la Vierge à l’Épée était exceptionnelle, plus elle perdait de puissance en conséquence.

Aucune des compétences en arts martiaux qu’elle avait acquises au cours d’un long entraînement ne lui avait été volée. Mais Yukina, dépourvue de la vitesse de réaction que lui conférait sa vision du futur, et incapable d’amplifier sa force physique par des sorts rituels, était réduite à une fille assez athlétique, mais normale à part ça. Pourrait-elle vraiment vaincre un évadé de la Barrière pénitentiaire dans son état actuel ?

Yukina s’était résignée à une attaque suicidaire juste avant qu’Asagi ne pousse un cri sauvage :

« Arrêtez, maintenant ! »

Puis, soudainement, un coup de feu féroce avait résonné dans la pièce.

« C’est assez loin. Ne bougez plus ! » continua Asagi.

Asagi avait ouvert sa tablette et avait lancé un regard menaçant à Meiga. À ses pieds était placée une machine colorée, comme un chien de garde fidèle, une capsule de sécurité du MAR dont le canon était pointé sur Meiga.

Asagi était passée par le réseau du laboratoire pour détourner le contrôle du module de sécurité. Les robots d’attaque sans pilote étaient inefficaces contre les vampires, mais ils étaient plus que capables d’infliger des blessures mortelles à un être humain ordinaire.

Asagi avait gardé le doigt sur le clavier en annonçant solennellement. « Si vous pouvez annuler l’énergie magique et spirituelle, cela signifie que vous ne pouvez pas bloquer les attaques physiques, n’est-ce pas ? Faites un pas, et je ferai en sorte que cette unité de sécurité vous transforme en fromage suisse. »

Yukina avait fixé le côté de son visage, abasourdie. Les genoux d’Asagi tremblaient faiblement. Elle avait certainement ressenti de la peur. Bien sûr, elle n’était qu’une lycéenne ordinaire sans aucun entraînement au combat. Cependant, cette lycéenne ordinaire avait sauvé Yukina au moment où elle en avait besoin.

Meiga avait été tout aussi surpris que Yukina et avait soudainement élevé la voix en riant.

« Ha... ha-ha-ha... ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha ! »

Cependant, ce n’était pas un rire de mépris ni de résignation. C’était un rire de joie débridée.

« Y a-t-il quelque chose de drôle ici… ? » demande Asagi, visiblement irritée.

Elle aurait pu penser qu’il se moquait d’elle. Meiga secoua lentement la tête, abaissant sa lance dans un geste de respect solennel envers Asagi.

« Donc, dans ce court laps de temps, vous avez piraté un module de sécurité avec de lourdes protections, le reprogrammant pour qu’il fasse ce que vous voulez… Il semble que vous n’avez vraiment aucune idée de la capacité étonnante que vous possédez… »

« Hein… ? »

Asagi avait écouté l’éloge du jeune homme en noir avec une totale stupéfaction. Sans doute ne savait-elle pas comment réagir à son revirement complet.

Yukina était tout aussi perplexe. Certes, les compétences d’Asagi en matière de piratage avaient atteint un niveau supérieur à tout bon sens, mais elle n’arrivait pas à comprendre pourquoi Meiga les admirait à ce point.

Meiga sourit agréablement de satisfaction alors qu’il séparait une fois de plus sa lance jumelle.

« J’ai déjà vu votre travail. C’est votre pouvoir qu’il attend. »

Puisque l’énergie spirituelle et magique qu’il avait précédemment neutralisée était revenue. Yukina avait retrouvé son pouvoir de Chamane Épéiste, mais Meiga, lui aussi, était capable d’employer des sorts rituels. D’innombrables glyphes apparemment dessinés à l’encre flottaient dans la zone autour de son corps.

« Un rituel de contrôle spatial — !? » s’était exclamée Yukina.

« C’est quoi ce bordel ? Ce n’est pas juste ! » cria Asagi.

Elle avait ordonné au module de sécurité d’ouvrir le feu. Ses cibles étaient les lances courtes dans les mains de Meiga. Cependant, les balles avaient rebondi sur la barrière rituelle déployée autour de Meiga.

D’une voix calme, le jeune homme vêtu de noir déclara. « Bien, alors. Nous nous rencontrerons à nouveau, Asagi Aiba, Cyber Impératrice — ou plutôt, Prêtresse de Caïn. »

Avec ça, il avait disparu. Yukina et Asagi ne pouvaient rien faire d’autre que de regarder, stupéfait.

***

Partie 12

Kojou pouvait entendre les sirènes de quelque part, sans doute l’unité d’ordre public de la Garde de l’île. Même si le MAR n’avait pas envoyé de message, deux Vassaux bestiaux de classe primogéniteur s’affrontant dans une zone urbaine avaient naturellement eu pour résultat de faire accourir la Garde de l’île.

Le terrain du MAR avait été réduit à un spectacle pathétique. La cour, autrefois magnifique, était réduite en cendres, déchirée jusqu’aux entrailles de l’île artificielle. Des rangées de verre structurel avaient été réduites en miettes, en particulier, au centre de la destruction, l’aile médicale sur le point de s’effondrer.

Bien que, si l’on regarde uniquement les résultats, les dommages pourraient être considérés comme nominaux. Après tout, deux Primogéniteurs s’étaient battus de front, mais les dégâts s’étaient arrêtés là — .

Alors que Kojou et la fille aux cheveux arc-en-ciel se tenaient au milieu des restes encore fumants d’une vaste énergie démoniaque, il avait entendu une voix masculine polie et pleine d’esprit.

« Comme attendu d’une bataille entre nos vénérés Primogéniteurs — je dois dire que je suis très satisfait. »

Finalement, avec un son perçant comme celui d’un verre qui raclait le verre, une brèche s’était ouverte dans l’air.

Puis une brume dorée était apparue. La brume s’était éclaircie et s’était transformée en un bel homme : un aristocrate vampire blond aux yeux bleus.

La jeune fille avait fait claquer sa langue en signe d’agacement.

« Quand je pense que tu t’es débrouillé tout seul pour t’en sortir alors que mon Vassal Bestial te retenait captif… D’abord, je suppose que je devrais appeler ça splendide. J’imagine que tu aurais pu t’échapper encore plus tôt. Le fait que tu ne te sois pas échappé signifie-t-il que tu as l’intention de prendre ma tête pendant que je dors, Vattler ? »

Vattler, maintenant complètement matérialisé, avait baissé la tête en signe de respect.

« Tu plaisantes, Votre Altesse. »

Ses mots semblaient courtois, mais ils ne portaient pas la moindre trace de soumission. C’était un geste qui convenait à un vampire aussi snob et exaspérant.

La jeune fille soupira avec une pointe d’exaspération.

« Un homme si désagréable. Pas étonnant que tu sois un confident de ce maudit seigneur de guerre. J’aimerais que mes propres filles puissent apprendre une chose ou deux de toi. »

Kojou avait exprimé un certain doute en demandant à Vattler. « Altesse ? »

D’après leur conversation, il semblerait que Vattler avait déjà combattu la fille, qui l’avait ensuite retenu captif quelque part. Mais pour Vattler, la fille aux cheveux arc-en-ciel était apparemment une personne digne d’un grand respect.

Oui, il avait bien dit que Kojou et la fille étaient des Primogéniteurs, au pluriel…

« C’est toi, n’est-ce pas ? » demanda Vattler. « Elle est la souveraine de la Zone du Chaos en Amérique Centrale, servie par vingt-sept vassaux bestiaux, le Troisième Primogéniteur sans forme et aux mille visages… la Fiancée du Chaos. »

Au lieu de démentir la déduction de Vattler, la fille avait ri de façon taquine.

« Je n’aime pas qu’on s’adresse à moi par un nom aussi pompeux. Tu peux m’appeler Giada. »

À un moment donné, la couleur des cheveux de la jeune fille avait changé, passant d’un blond qui reflétait les couleurs de l’arc-en-ciel à un vert émeraude lustré. La lueur de ses yeux bleu pâle, semblables à des flammes, était devenue celle du jade d’un lac profond.

Son apparence était encore jeune, mais sa beauté fugace et féerique avait disparu. Ce qui émergeait à la place était une beauté puissante, mais charmante rappelant un léopard sauvage. Elle avait l’air d’une personne complètement différente de ce qu’elle était quelques instants auparavant. Il s’agissait sans aucun doute de son apparence originale — la véritable forme de la Fiancée du Chaos, le Troisième Primogéniteur.

« Usurpation d’identité… ? » demanda Kojou. « Une capacité de transformation ? Tu as utilisé ce pouvoir pour te transformer en Avrora ? »

« Je m’excuse pour mon impolitesse, Kojou Akatsuki. Ce n’était pas mon intention de me moquer de toi, » répondit Giada calmement. Les yeux de jade de la jeune fille regardaient Kojou, comme pour le sonder plus profondément. Elle poursuit. « Mais j’ai pensé que ce serait le moyen le plus facile de te rendre sérieux. »

La voix de Kojou avait tremblé avec une colère tranquille.

« … Je suppose que oui… Grâce à cela, je me souviens. De tout — de tout. »

Il ne dirigeait pas sa colère vers Giada, il s’indignait contre son passé et s’en voulait d’avoir oublié cet incident — Nagisa et la fille endormie dans le bloc de glace. Son combat contre la fille qui avait pris la forme d’Avrora avait fait remonter ses souvenirs de l’endroit où ils avaient sombré dans la mer de l’oubli, ainsi que la colère et le désespoir qui les accompagnaient.

« Est-ce donc ainsi ? Alors mon rôle s’arrête ici. »

Puis une lueur cruelle était apparue dans ses yeux alors qu’elle fixait le bâtiment de l’aile médicale à moitié détruit.

« Cependant, je crois que les humains du MAR devraient payer un prix approprié pour avoir joué avec les restes de la pauvre petite Avrora — . »

Les yeux de Kojou étaient remplis d’une rage silencieuse et s’étaient tournés vers Giada. « Stop. »

Leurs regards s’étaient croisés comme des lames qui s’entrechoquaient.

« Tu n’es pas impliqué, alors ne t’en mêle pas. C’est mon combat, » avait-il dit.

Giada avait hoché la tête en signe de satisfaction.

« … Un esprit fort. C’est donc pour cela que Vattler s’est pris d’affection pour toi. Très amusant. Alors je vais laisser ceci entre tes mains, Kojou Akatsuki. Tôt ou tard, ma Zone du Chaos le peindra de sang. Tu devrais récupérer ce que tu as perdu avant que cela ne se produise. »

La fille était devenue intangible, semblant se dissoudre dans l’air et disparaître. Elle avait sans doute utilisé le pouvoir du même Vassal Bestial qui avait enfermé Vattler dans un espace d’une autre dimension.

La disparition de sa présence rendait l’air autour d’eux plus léger d’une certaine manière. La Fiancée du Chaos possédait un sentiment de puissance écrasante bien au-delà des attentes de Kojou.

Vattler avait jeté un regard compatissant à Kojou.

« Une vieille bique effrayante, comme toujours, oui ? Tu as traversé une sacrée épreuve, Kojou. »

Les mots semblaient être une blague, mais Kojou avait senti qu’ils étaient mélangés à un écho comme une flamme qui couvait. Vattler, un maniaque du combat cannibale, voyait sans doute Giada comme l’un des ennemis qu’il finirait par consommer. Et Giada, pleinement consciente des plans de Vattler, l’avait laissé partir. Peut-être que leurs abominables instincts démoniaques avaient tous deux besoin d’ennemis toujours plus puissants.

Le visage de Kojou se renfrogna en signe d’agacement.

« Tu n’es pas du genre à parler ainsi, bon sang. » Puis il avait ajouté d’un ton extrêmement réticent. « … Mais tu m’as bien aidé là-bas, alors merci. »

En entendant les mots d’admiration de Kojou, Vattler murmura. « Hmm ? » avec un petit sourire. C’était un sourire en coin qui semblait dire, Ah, tu as remarqué ?

À la fin de son combat contre Kojou, Giada avait dit qu’elle n’avait plus de temps. Elle voulait probablement dire par là le retour de Vattler de l’espace extradimensionnel. Si Vattler et Kojou l’affrontaient en même temps, même le troisième Primogéniteur risquait d’en pâtir. C’est pourquoi elle avait dû renoncer à se battre contre Kojou à ce moment-là.

Si le combat avait continué à ce rythme, même si Kojou avait réussi à survivre, les dégâts auraient été bien plus importants. Par conséquent, Vattler avait sauvé Kojou et l’île d’Itogami.

Le Duc d’Ardeal ouvrit en grand les bras en guise d’invitation et déclara d’une manière dramatique. « Ha-ha, comme tu es réservé, Kojou, mon cher Quatrième Primogéniteur ! »

Sentant instinctivement le danger, Kojou avait involontairement reculé d’un pas.

« Kojou ! »

Une troisième personne avait interrompu le face à face de Kojou et Vattler, faisant changer leurs regards. La fille avait des cheveux extravagants, portait un uniforme de l’Académie Saikai et utilisait sa tablette préférée comme bouclier pour bloquer l’avancée de Vattler.

« A-Asagi… ? »

« Je le savais ! Vous êtes vraiment tous les deux… ! »

« Eh !? » Le regard qu’Asagi avait dirigé vers Kojou, comme si elle avait été témoin de quelque chose de très impur, avait provoqué une réponse véhémente et stridente. « T-Tu as tort. Ce gars dit ce genre de choses de son propre chef… »

« Vraiment !? »

Asagi l’avait regardé fixement, clairement sur ses gardes. Pour lui avoir caché tant de choses, Kojou avait complètement perdu sa confiance. Dissiper ce malentendu ne serait pas une tâche facile.

Vattler semblait assez perplexe en regardant l’interaction entre Kojou et Asagi.

« Je suis vraiment désolé, Kojou. J’aimerais prononcer des paroles d’amour à loisir, mais je m’inquiète pour mes subordonnés. Je vais laisser le nettoyage entre tes mains. »

« Eh !? »

Les mots sans hésitation de Vattler avaient rendu Kojou encore plus nerveux.

Une importante force de la Garde de l’île allait bientôt affluer. L’installation du MAR était en ruines. Il y avait de nombreux blessés. Les dommages causés à l’installation ne seraient pas seulement de un ou deux cents millions de yens. Et Giada, la coupable, avait fui depuis longtemps. Est-ce qu’il disait à Kojou de prendre la responsabilité à sa place… ?

« La Prêtresse de Caïn… Charmant. Ça devrait être amusant. Il est temps que tu te prépares à l’inévitable. »

Avec ça, il s’était transformé en brume et avait disparu.

Kojou, laissé derrière et trempé de désespoir, avait levé les yeux vers le ciel bleu inutilement clair. À côté de lui, Yukina avait attiré son attention.

« Senpai, cette fille… ? »

Yukina fixait la fille allongée dans le bloc de glace géant dans l’installation souterraine de l’aile médicale.

D’une voix cassée, Kojou avait prononcé le nom qu’il avait oublié.

« … C’est la vraie Avrora, le douzième Sang de Kaleid. »

Asagi s’était rapprochée de Kojou et avait doucement tiré sur sa manche.

« Est-ce qu’elle dort ? »

« Non. » Il avait secoué la tête.

À l’intérieur du bloc de glace éternellement gelé, les yeux de la fille étaient fermés.

Ses cheveux étaient de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, ondulant comme des flammes. Elle avait une beauté fugace, comme une fée. Une fois, ces mêmes lèvres avaient souri en prononçant le nom de Kojou.

Mais elle ne voulait plus jamais ouvrir les yeux.

« Elle est déjà morte. »

Une lumière argentée brillait dans la poitrine de la fille dans la glace. Elle provenait d’un petit pieu métallique, qui semblait empaler son cœur.

Douloureusement, Kojou avait baissé les yeux et avait murmuré…

 

« Je l’ai tuée de mes propres mains — . »

***

Chapitre 3 : Le Bouffon se souviens

Partie 1

Motoki Yaze avait douze ans la première fois qu’il avait visité la Porte de la Clef de Voûte. C’était un jour de printemps, juste avant son entrée au collège.

Le Sanctuaire des Démons de la Ville d’Itogami faisait officiellement partie de la Métropole de Tokyo, mais la Corporation de Management du Gigaflotteur dirigeait le district administratif spécial. Elle était dirigée par la famille Yaze, et Akishige Yaze, qui était son père, en était le président. Il avait été appelé personnellement au nom de son père.

Il avait passé des contrôles de sécurité à plusieurs niveaux avant d’arriver aux bureaux de l’entreprise, où il avait été accueilli par une personne inattendue : Kazuma Yaze, son demi-frère de plus de dix ans son aîné. Kazuma était une élite, titulaire d’un master d’une université de l’Union nord-américaine, et était actuellement employé comme une sorte de secrétaire personnel d’Akishige, travaillant sur des recherches menées dans le plus grand secret dans une université de la ville d’Itogami. Ses capacités et ses exploits le désignaient comme le successeur probable d’Akishige.

Assis au milieu d’une pièce ridiculement grande, Yaze répondit négligemment à Kazuma. « — Kojou Akatsuki ? Qui est-ce ? »

Pour être franc, Yaze était bien plus heureux de parler à Kazuma qu’à son propre père. Contrairement au reste de sa famille, Yaze s’entendait plutôt bien avec son demi-frère ambitieux et rusé. Même à ce jour, la famille avait un fort préjugé contre Kazuma, un fils illégitime, malgré son statut de successeur plus que capable du nom de la famille. Peut-être que Yaze, méprisé pendant toute son enfance en tant qu’hyper adaptateur médiocre, était lié à lui à un certain niveau.

En parlant, Kazuma avait fait un geste vers l’image d’un jeune garçon sur un écran.

« Un garçon du même âge que toi. Il va s’inscrire au collège de l’Académie Saikai. »

À en juger par le fond de l’image qui semblait être un hôpital, la photo avait été prise alors qu’il était en convalescence. Ses capacités athlétiques semblaient correctes, mais à part cela, il n’y avait rien de particulièrement remarquable à son sujet. Fixant les traits doux de son visage, Yaze avait maudit dans son souffle. C’est encore un petit enfant.

« Motoki. C’est un ordre de la famille. Tu dois le surveiller. »

Les mots de Kazuma avaient fait apparaître un regard vraiment dubitatif sur le visage de Yaze.

« Le surveiller ? »

Ce n’est pas que l’ordre de son frère était inattendu. Après tout, il avait été déterminé dès la naissance de Yaze que sa capacité d’hyper adaptateur était bonne pour l’observation et rien d’autre. La famille Yaze, descendante de plusieurs générations d’hyper adaptateurs, avait l’habitude de traiter avec des enfants comme lui.

Cependant, jusqu’à présent, les cibles de surveillance de Yaze se limitaient à des criminels — des politiciens soupçonnés d’avoir fait des affaires louches et des sociétés impliquées dans des opérations illégales de marché noir. Par conséquent, recevoir l’ordre de surveiller un citoyen ordinaire et respectueux des lois — et quelqu’un de son âge en plus — était une première pour lui.

Kazuma avait ignoré l’étonnement de Yaze et avait poursuivi son explication de manière professionnelle.

« Je ne te demande pas de faire quelque chose de spécifique. Reste juste proche de lui et fais des rapports réguliers sur ses actions. Nous prenons des dispositions pour l’école. Tu seras dans la même classe. »

Yaze avait parcouru le dossier qui lui avait été remis. Huh. Il avait fait une petite moue de surprise apparente. Les données physiques de Kojou Akatsuki semblaient étonnamment… normales.

« Donc il n’est pas vraiment un démon, n’est-ce pas ? » fit remarquer Yaze.

Kazuma avait l’air vaguement dégoûté. « Eh bien, non, pas vraiment… S’il était un démon normal, ce serait beaucoup plus simple. »

Yaze regarda Kazuma avec encore plus de confusion. Cela l’avait toujours énervé de voir à quel point il était difficile de tirer les choses importantes de son frère toujours logique.

« Qu’est-ce que tu veux dire par là ? »

« Regarde ça. »

Kazuma avait sorti une enveloppe de son bureau et l’avait placée devant Yaze, qui avait froncé les sourcils en la prenant. L’enveloppe contenait ce qui était apparemment une photo de la cage thoracique du garçon.

« C’est… ? »

« Une radiographie de Kojou Akatsuki. Tu peux voir que les quatrième et cinquième côtes de son côté droit sont colorées différemment ? »

« Eh bien, oui… »

Yaze avait immédiatement vu la différence sans même avoir besoin de le tenir à la lumière. Il était clair comme le jour que ces deux côtes n’étaient pas celles d’un être humain normal. Même avec une radiographie en noir et blanc, il était évident qu’elles brillaient comme du cristal translucide.

Yaze regarda distraitement l’image. Les quatrième et cinquième côtes sur le côté droit — n’était-ce pas là qu’un soi-disant fils de Dieu avait été poignardé avec une lance ?

« Ce ne sont pas ses côtes d’origine. Elles ont été transplantées — ou plus exactement, échangées, » déclara Kazuma.

« Échangé ? De qui ? »

« La fille qui pourrait devenir le quatrième Primogéniteur. »

« Hein… ? » Yaze avait répondu aux mots directs et sans émotion de Kazuma par un « Franchement ? » silencieux.

Cependant, rien n’indiquait que Kazuma plaisantait. Il continua. « Tu connais les vampires Vassaux de sang, n’est-ce pas ? »

« Ouais. Un pseudo-vampire créé lorsqu’un vampire accorde une partie de son corps, c’est ça ? »

Alors que Yaze finissait d’expliquer ce qui était connu de tous les résidents du Sanctuaire des Démons, il avait haleté.

« Attends, tu ne veux pas dire que… »

« Les vampires ont une capacité de régénération ridicule, mais les parties qu’ils accordent à leurs vassaux ne se régénèrent pas. C’est pourquoi ils créent normalement leurs vassaux avec du sang, mais ils peuvent utiliser des organes plus importants pour des vassaux plus puissants, du moins c’est ce qu’on dit. »

Une terreur profonde s’était emparée de Yaze, lui donnant la chair de poule sur tout le corps.

« Il a donc une côte de Primogéniteur en lui… ! »

Le vassal de sang d’un vampire possédait des capacités fortement influencées par le maître vampire. On disait qu’un vassal avec un corps de haute qualité, combiné à une forte compatibilité avec son maître, pouvait le rendre encore plus agile qu’un vrai vampire. Si ce Kojou Akatsuki était vraiment un Vassal de sang de Primogéniteur, cela ne signifiait-il pas qu’il était tout autant un monstre qu’un Primogéniteur… ?

« Hmph. » Kazuma avait murmuré un rare trait d’humour. « Un garçon avec des côtes accordées par une femme — quelqu’un a inversé sa mythologie. »  Il citait probablement une obscure référence biblique, sur la façon dont Dieu avait créé Eve à partir de la côte d’Adam. Il poursuivit d’une voix froide. « Quoi qu’il en soit, c’est une partie de première classe qui a accordé à un vassal. Après tout, les côtes humaines font partie du système de production de sang du corps. »

Yaze n’avait que peu de connaissances médicales, mais le simple fait d’écouter son frère l’aidait à comprendre la situation bizarre dans laquelle Kojou Akatsuki avait été placé. Le sang d’un vampire, synonyme de la source du pouvoir vampirique, coulait littéralement dans ses veines.

En regardant une fois de plus la photo de Kojou Akatsuki, Yaze murmura. « Tu dis que c’est un Vassal de sang de Primogéniteur ? »

Kazuma l’avait tranquillement corrigé. « C’est un garçon qui pourrait devenir un Vassal de Sang de Primogéniteur. Pour l’instant, il n’est encore qu’un humain… bien qu’il ait des côtes du douzième sang de Kaleid. »

« Douzième… ? C’est quoi tout ça ? »

Kazuma s’était recoiffé comme si c’était une habitude nerveuse et déclara. « C’est toute une question quant à savoir si tu as besoin de le savoir. »

Puis il avait jeté un grand sac en papier dans la direction de Yaze. Le sac contenait des boîtes de gélules. Ni le sac ni les boîtes ne mentionnaient le nom du médicament ou du fabricant.

« Qu’est-ce que c’est ? »

« Boosters… Des drogues chimiques synthétisées pour correspondre à ton type de corps. L’effet est temporaire, mais tes capacités d’hyper adaptateur seront amplifiées par un facteur d’environ quatre cents. Considère ça comme une assurance pour les pires cas. Il n’y a pas d’effets secondaires directs, mais n’en abuse pas. Ça te fera perdre des années d’espérance de vie. »

Yaze avait souri avec un étonnement ironique. « Attends, tu t’inquiètes pour moi ? »

Étant donné qu’il venait de confier une chose aussi dangereuse à un jeune frère qui venait seulement de terminer l’école primaire, l’inquiétude de Kazuma ressemblait à un pur sarcasme. Cependant, le demi-frère pragmatique de Yaze était resté sérieux et avait répondu. « Tu m’es utile, donc je t’utilise. C’est tout. »

« Vraiment ? »

Yaze avait tiré la langue et avait regardé Kazuma, comme un enfant boudeur qui agissait selon son âge.

Alors que le jeune frère était sur le point de quitter le bureau, Kazuma soupira.

« Motoki ? »

« Hm ? »

Lorsque Yaze s’était retourné, Kazuma avait détourné les yeux et avait parlé comme si c’était plus pour lui-même que pour Yaze.

« Ton rôle ici est celui d’un observateur. Je veux bien que tu sois amical avec lui, mais ne t’implique pas émotionnellement. Cela ne fera que rendre les choses plus difficiles. »

« Parles-tu par expérience ici ? »

Yaze avait soulevé avec désinvolture le sac en papier qu’il avait reçu avec un rire apparemment douloureux.

« Je m’en souviendrai, Grand Frère. Dis bonjour à papa pour moi. »

***

Partie 2

Pour être franc, la mission de surveillance était ennuyeuse.

Kojou Akatsuki, inscrit fin avril, n’avait rien fait pour contrer la première impression de Yaze à son sujet. Rien ne s’écartait du modèle d’un garçon tout à fait ordinaire vivant une vie de collégien tout à fait ordinaire, jour après jour.

Malgré cela, Yaze avait fidèlement continué sa surveillance comme l’avait ordonné la famille.

Une des raisons pour lesquelles Yaze avait fait ça était pour la mère qu’il vénérait, qui faisait partie de cette famille. Elle n’avait pas de parents puissants pour la soutenir. De plus, elle était malade et avait peu d’importance dans le clan. Yaze devait donc démontrer ses propres capacités pour protéger son gagne-pain.

L’autre raison était le simple fait qu’il avait appris à apprécier Kojou.

Kojou Akatsuki avait toujours l’air paresseux et peu fiable, mais quand il devenait sérieux, ce qui n’était pas souvent le cas, ses instincts destructeurs prenaient le dessus. En le voyant de près, Yaze s’était intéressé de près à la maîtrise de soi et aux prouesses de prise de décision dont le garçon faisait preuve de temps en temps.

La source de cet intérêt était peut-être le fait que la nature sous-jacente de Kojou donnait à Yaze un sentiment de danger, lui disant de ne pas le quitter des yeux.

À un moment donné, au cours des deux années qui avaient suivi sa rencontre avec Kojou, Yaze avait oublié son devoir d’observateur et avait fini par considérer Kojou comme son meilleur ami, même si quelque part, au fond de lui, il savait qu’il violait l’avertissement de son demi-frère…

 

« — Hé, Kojou ! »

C’était une belle journée d’automne. Yaze rentrait de l’école quand il avait vu Kojou et l’avait appelé.

Kojou se trouvait dans un terrain vague près de la gare la plus proche de l’Académie Saikai, face à un panier de basket de rue délabré, s’entraînant silencieusement à faire des lancers francs.

« Qu’est-ce que tu fais par une journée aussi stupidement chaude ? Fais ces trucs dans le gymnase. Les étudiants de première année vont t’adorer pour ça. »

Remarquant que Yaze s’approchait, Kojou avait paresseusement secoué la tête. « Je ne veux pas. Pourquoi dois-je entraîner tous ces gars gratuitement ? »

Kojou et Yaze étaient des coéquipiers de basket. En tant que troisième année, ils avaient techniquement pris leur retraite après le tournoi d’été. Mais Kojou et Yaze allaient directement du collège de l’Académie Saikai au lycée. Les élèves qui ne s’attendaient pas à passer des examens externes n’étaient pas censés se plaindre d’avoir à se présenter aux entraînements du club.

Cependant, Kojou avait repris son entraînement en solo.

L’été éternel de l’île d’Itogami signifiait que les températures diurnes dépassaient trente degrés Celsius même en « automne ». L’uniforme scolaire de Kojou était trempé de sueur.

Yaze s’était assis sur un escalier voisin et l’avait regardé tirer des ballons de basket vers le panier.

« Hé, tu as vraiment fini avec le basket-ball… »

« Il n’y a pas assez de personnes dans le club des seniors, donc il est en pause, non ? Igarashi et Yanagi ont aussi démissionné. Bien, je vais juste me reposer pendant un moment. »

La réponse de Kojou citait les noms de deux seniors qui l’avaient aidé il y a quelque temps comme s’il s’agissait d’excuses.

Yaze soupira d’exaspération et posa son menton dans ses mains.

« Es-tu vraiment d’accord avec ça ? Si tu arrêtes le basket, tu vas dire adieu à ta seule qualité. »

Une balle complètement hors trajectoire avait rebondi sur le mur et Kojou lança à Yaze un regard plein de ressentiment.

« Oh, tais-toi ! Et ne t’en prends pas à toutes mes possibilités dans la vie tout d’un coup ! »

Depuis les examens finaux du collège, Kojou avait brusquement cessé de s’approcher du gymnase. Il plaisantait encore avec ses camarades de club s’il les croisait, mais il évitait délibérément le sujet du basket. Pourtant, il était là, incapable de se défaire de son attachement, continuant à s’entraîner au tir en secret.

Ça faisait mal de le voir comme ça, mais Yaze ne pouvait pas rire. Il savait de quoi Kojou avait vraiment peur.

C’était arrivé lors de la finale du tournoi qu’ils avaient perdu — .

Kojou se concentrait toujours beaucoup plus que d’habitude pendant un match, assez pour qu’il soit difficile de lui dire un mot, mais tout ce qu’il avait fait ce jour-là était bizarre. Sa capacité de saut et son temps de réaction étaient inhumains. Il avait fait des tonnes de tirs bizarres. Beaucoup de ses passes avaient été perdues, mais c’était parce que ses coéquipiers ne pouvaient pas suivre la vitesse de ses lancers.

À partir du milieu du match, c’était devenu le show de Kojou, et c’est là que c’était arrivé.

Kojou courait vers le panier lorsqu’il était entré en contact avec un joueur de l’équipe adverse qui tentait de l’arrêter par une faute. Le joueur adverse avait été gravement blessé, au point que le match avait été suspendu le temps d’appeler une ambulance.

Ce n’était pas une erreur de la part de Kojou, mais l’incident l’avait fortement secoué. Ce qui l’avait choqué davantage, c’était l’attention de ses camarades de classe. Ils l’avaient tous regardé avec la peur dans leurs yeux. Lorsque Kojou s’était assis sur le banc pour récupérer, ses coéquipiers n’avaient plus d’énergie pour continuer le match. Tout ce que Kojou pouvait faire était de s’asseoir sur le banc et de regarder son équipe glisser vers la défaite — et il n’avait plus jamais remis les pieds sur le terrain.

Sur le ton de la plaisanterie, en essayant de ne pas le faire se sentir plus mal, Yaze avait dit. « Mec, tu étais aussi une si bonne source d’informations pour être gentil avec les filles des autres écoles… »

« Est-ce ce que tu faisais !? » Kojou avait montré ses dents. « Laisse-moi tranquille. »

Yaze avait sifflé avec un regard d’innocence visible. Le basket lui avait apporté de la bonne nourriture et même des petites amies. Quoi qu’il en soit, Yaze devait écrire des rapports détaillés contenant toutes sortes de données relatives à Kojou. Même s’il avait utilisé ces informations à ses propres fins ici et là, il n’en demeurait pas moins que sa conscience s’en ressentait douloureusement.

Avec tout ce qui s’était passé, pourquoi Kojou s’entraînait-il encore aux lancers francs ? Dès que cette simple question avait traversé l’esprit de Yaze, il avait entendu une voix venant de derrière, celle d’une collégienne tape à l’œil qui descendait les escaliers en courant. Elle portait un uniforme de collégienne très élégant et tenait une canette de jus de fruits dans chaque main.

« Désolée, Kojou. T’ai-je fait attendre ? Je devais parler au professeur. La discussion de Shiromori s’est éternisée. J’ai pris ça pour me rattraper. »

Yaze avait cligné des yeux en signe de surprise et avait levé les yeux vers son amie d’enfance.

« Oh ? Asagi ? »

À ce moment-là, elle avait remarqué Yaze, ce qui, pour une raison quelconque, avait fait augmenter l’intensité de sa voix.

« Que diable fais-tu ici, Motoki ? »

« Err… bien, ah… Attends, aviez-vous rendez-vous ici ? Huh… Mon, mon, mon Dieu. »

Yaze n’avait pas répondu à la question d’Asagi et avait agi avec une surprise exagérée. Sa réaction avait fait rougir les joues d’Asagi.

« T... t... tu as tout faux, stupide Motoki ! »

« Bwoah !? »

Yaze laissa échapper un gémissement sonore alors que son estomac prit un coup de la canette de jus qu’elle avait lancée.

« Hé ! Est-ce que les gens normaux jettent des canettes de jus de fruits ? Tu pourrais tuer quelqu’un !? »

Yaze avait crié d’angoisse alors qu’Asagi lui tapait dans le dos et lui faisait des excuses.

« C’est parce que tu as dit quelque chose de bizarre ! Kojou m’a dit qu’il allait voir Nagisa à l’hôpital, alors je me suis dit que j’allais l’accompagner, c’est tout ! »

Yaze endura désespérément l’assaut en levant les yeux vers Kojou. « Une visite ? Nagisa est encore malade ? »

« Un peu, ouais… C’est arrivé pendant le week-end, » marmonna Kojou.

Yaze savait à quel point Kojou s’inquiétait pour sa petite sœur. Son traitement médical était la raison pour laquelle Kojou était venu sur l’île d’Itogami, mais il n’avait jamais dit un mot à ce sujet. Même jouer au basket était apparemment quelque chose qu’il faisait dans l’idée de remonter le moral de sa petite sœur.

Cependant, la dévotion de Kojou pour sa petite sœur était soulignée par un profond sentiment de culpabilité. Sans doute se reprochait-il encore de ne pas l’avoir protégée lors de l’incident qui l’avait conduite à l’hôpital.

Mais ses souvenirs lui avaient été enlevés, et il ne savait plus à quel point il avait été en danger lors de cet incident.

Kojou avait invité Yaze à venir faire un tour, et il n’avait pas l’air de plaisanter. « Yaze, si tu as le temps, pourquoi ne pas venir avec nous ? Nagisa va probablement parler comme une folle avec n’importe qui. Ça aiderait d’avoir un agneau sacrificiel de plus. »

Yaze avait instinctivement émis un rire tendu. L’un des rares défauts de la jeune Nagisa Akatsuki était son débit de paroles, bien plus important que la norme. Alors qu’elle s’ennuyait à mourir dans une chambre d’hôpital, « les agneaux sacrificiels » étaient vraiment une métaphore appropriée pour les personnes qui lui parlaient.

« Oui, je peux l’imaginer. Eh bien, si c’est comme ça… »

Yaze s’apprêtait à accepter négligemment l’invitation quand il ravala ses mots, sentant soudain un regard perforant. Quand il avait tourné la tête, il avait vu Asagi détourner rapidement les yeux comme un enfant qui faisait la moue. Asagi avait maladroitement essayé d’étouffer l’affaire.

« Qu-Quoi ? »

L’air renfrogné de son visage disait : c’est peut-être plus facile avec Yaze, mais je ne serai pas seule avec lui.

Ce n’était pas par égard pour Asagi, mais Yaze s’était levé et avait dit. « Ahh, désolé, je vais devoir passer mon tour pour aujourd’hui. J’ai quelques courses à faire. »

À plus tard, il l’avait ajouté avec un signe de la main, regardant Kojou et Asagi partir dans le soleil couchant vers la gare.

Puis Yaze avait silencieusement levé les yeux vers le panier de basket.

« … »

L’analyse du sang après le match n’avait rien révélé d’inhabituel. Kojou Akatsuki était, sans aucun doute, un être humain normal. Peut-être Kojou avait-il inconsciemment réalisé la source de l’incroyable performance qu’il avait réalisée lors de la finale de basket du collège…

 

 

Il avait déjà fait son rapport, mais la famille n’avait pas donné de nouveaux ordres.

Yaze tenait son flanc, encore endolori par le bombardement de canettes de jus de fruits, tout en avançant péniblement. Tout ce qu’il pouvait faire était de continuer à surveiller son meilleur ami… et prier pour que Kojou n’endure pas plus de souffrance.

Il était pleinement conscient que c’était une prière qui ne serait pas exaucée.

***

Partie 3

Au crépuscule de la ville d’Itogami, Yaze se tenait devant le guichet du monorail de l’île nord, pour retirer son ticket. Environ 500 mètres devant lui, Asagi marchait côte à côte avec Kojou.

De loin, on dirait que les deux individus avaient les bras entrelacés, mais en réalité, Asagi venait de donner un coup de coude sur le côté de Kojou. Yaze ne pouvait pas entendre leur conversation, mais il semblait que la nature obtuse de Kojou était devenue la cible des plaisanteries d’Asagi. Ils ne s’entendaient pas parfaitement, mais ils étaient loin d’être un couple maladroit. D’une certaine manière, ils donnaient l’impression d’être un numéro de comédie, une paire de « mauvais amis » se connaissant sur le bout des doigts.

« Qu’est-ce qu’elle croit faire… ? »Yaze s’était inconsciemment couvert les yeux devant les piètres compétences romantiques d’Asagi.

 

Une autre raison pour laquelle Yaze aimait Kojou était la présence d’Asagi Aiba.

Asagi et Yaze se connaissaient déjà avant l’école primaire. Ils étaient toujours les derniers enfants de la même garderie à attendre que leurs tuteurs viennent les chercher. Tous deux avaient aussi un certain nombre de problèmes avec leur environnement familial, ils se connaissaient mieux que la plupart des frères et sœurs.

Mais contrairement à Yaze, qui avait eu le soutien des autres depuis le jour de sa naissance en tant qu’hyper adaptateur, Asagi n’avait pas eu de connaissances proches. En particulier, elle avait passé beaucoup de temps à l’école primaire, isolée des autres.

En vérité, c’était moins le fait d’être détestée que d’être crainte. Asagi était dotée de bonnes notes et d’un physique presque trop gracieux, mais les autres filles restaient loin d’elle. À l’exception d’une sœur plus âgée qu’elle, Asagi avait peu de personnes de son sexe avec qui jouer. Elle passait beaucoup plus de temps à faire des choses avec Yaze.

Ce n’est nul autre que Kojou Akatsuki qui avait renversé cette situation.

Pour une raison quelconque, poussée par une brève conversation lors d’une rencontre fortuite dans la salle d’attente d’un hôpital, Asagi s’était prise d’affection pour Kojou. À partir de ce moment-là, elle avait eu une nouvelle mission dans sa vie. Malgré sa maladresse à s’entendre avec les gens, elle avait inventé des excuses pour parler avec Kojou, et s’était investie corps et âme dans le maquillage et la mode — peut-être un peu trop. Elle avait même maîtrisé les règles du basket-ball, au point de pouvoir discuter de la stratégie des matchs de la NBA avec Kojou.

Le comportement d’Asagi avait également changé l’attitude des autres filles de la classe, comme les filles allaient toujours se rallier aux nombreuses héroïnes tragiques du monde. Sa maladresse était devenue, de manière inattendue, une connaissance commune à l’école. Son ancienne réputation de belle fille inaccessible s’était transformée en celle d’une adorable camarade de classe qui était désespérée en matière de romance.

Une fois que ce mur s’était effondré, la beauté d’Asagi avait suffi à la faire être apprécié de ses camarades de classe. L’Asagi autrefois cachée était devenue l’Asagi connue de tous.

Quel que soit le processus indirect, le résultat final était que Kojou avait sauvé Asagi. Bien sûr, Yaze n’avait jamais dit un mot à ce sujet, mais il était secrètement reconnaissant envers Kojou.

Malgré tout cela, Yaze n’avait pas refusé d’aller rendre visite à Nagisa à l’hôpital par égard pour ces deux-là. Il avait d’autres raisons de ne pas pouvoir les accompagner.

« … »

Il y avait un individu peu familier derrière Kojou et Asagi, gardant une portée plus ou moins constante de deux cents mètres. Le manteau une pièce en cuir noir, de style bondage, était plutôt suspecte sur une jeune femme. Elle portait un attaché-case en métal qui était juste de la bonne taille pour contenir une mitraillette.

L’Île Nord, où Kojou et Asagi se promenaient, était un quartier de recherche et développement bordé d’installations d’entreprises et d’universités. La poursuivante, vêtue d’une tenue d’assassin à l’ancienne, ne pouvait que se démarquer de l’atmosphère moderne du quartier — d’autant plus qu’elle portait à son poignet un bracelet métallique étincelant et tout neuf.

Yaze avait soigneusement gardé sa propre distance en observant sa conduite.

« Un bracelet d’enregistrement de démon… Pourquoi un démon enregistré… ? »

Yaze avait détecté sa présence lorsque Kojou avait tranquillement continué ses lancers francs dans le parc. Il n’y avait aucun doute qu’elle le suivait, mais Yaze ne pouvait pas mettre le doigt sur la raison. Pas un seul démon ne s’était approché de Kojou pendant les deux années où Yaze avait commencé à le surveiller.

Kojou et Asagi avaient traversé un pont piétonnier alors qu’ils approchaient de l’hôpital.

La femme suspecte avait monté les escaliers pour les suivre. Et un instant après avoir quitté le champ de vision de Yaze, toute trace de sa présence avait disparu.

Yaze avait été immédiatement secoué.

« Qu’est-ce que — !? »

Il avait retiré ses écouteurs de ses oreilles et s’était concentré sur son sens de l’ouïe.

Yaze était un hyper adaptateur spécialisé dans le son. S’il en avait envie, il pouvait détecter les pas, la respiration, et même les battements de cœur de tout le monde dans un rayon de plusieurs centaines de mètres autour de lui. Cependant, même la capacité de Yaze ne pouvait trouver la moindre trace de la fille qui avait suivi Kojou et Asagi…

La seule chose laissée sur le pont piétonnier était l’attaché-case en métal qu’elle portait.

Yaze murmura, déconcerté. « J’ai… perdu sa trace !? C’est dingue ! »

Sa voix avait résonné sur le pont piétonnier vide et avait disparu.

Avec sa capacité déployée, Yaze avait entendu une très faible divergence dans l’écho, un léger retard dans la vitesse du son. La cause était une anomalie dans l’humidité de l’air.

Yaze avait regardé par-dessus son épaule en réalisant ce qu’elle était.

« Elle s’est transformée en brume !? Je vois, un type D — ! »

Si Yaze avait été un mage d’attaque entraîné plutôt qu’un médium naturel, il aurait sans doute remarqué beaucoup plus tôt la forte densité d’énergie magique qui planait dans la zone.

Elle était une vampire, et plus précisément, un vampire de la Vieille Garde de la lignée du Seigneur de Guerre Perdu. De tels vampires pouvaient se transformer en brume pour dissimuler leur présence sans grande difficulté.

Elle avait dû comprendre que Yaze la suivait et s’était transformée en brume pour se dissimuler. Il était complètement tombé dans la ruse.

La femme s’était matérialisée au sommet d’une des rampes du pont tout en provoquant un battement de son manteau noir.

« Un résident de l’île d’Itogami… un étudiant ? Il semblerait que vous ne soyez pas un simple humain. »

Elle avait l’air beaucoup plus jeune que de dos. Elle avait peut-être dix-sept ou dix-huit ans, certainement pas plus de vingt. Ses cheveux bruns brillants et soyeux flottaient dans le crépuscule tandis qu’elle fixait Yaze de ses yeux cramoisis.

Elle retira son bracelet d’enregistrement des démons avant de demander. « Avez-vous l’intention de répondre honnêtement à la question de savoir pourquoi vous me suiviez ? »

Elle avait peut-être l’intention d’invoquer un Vassal Bestial, même au risque d’en informer la Garde de l’île. Naturellement, Yaze n’avait pas la puissance nécessaire pour se battre contre le puissant serviteur d’un vampire. Son dos était trempé d’une sueur froide.

« … Eh bien, qu’est-ce que vous faites à suivre tranquillement un collégien ? Essayez-vous de voler le berceau ? »

Il avait chassé sa nervosité et avait souri avec audace.

On disait qu’en dépit de la longue vie des vampires, leur âge mental correspondait souvent à leur apparence. Si elle était mentalement immature, ça lui donnerait une ouverture.

Et comme Yaze l’avait prévu, la vampire avait avalé l’appât tout entier.

« Qui — qui — !? »

Elle avait oublié qu’elle se tenait sur une balustrade glissante et avait fait un pas en avant, perdant son équilibre au passage. La jeune fille était tombée directement sur le pont, et les coups violents portés à sa hanche et à son dos avaient fait un bruit douloureux.

La vampire se tenait l’arrière de sa tête, les larmes aux yeux.

« Aiieeee… ! »

Son regard était adorable d’une certaine manière. Yaze la fixait, ayant complètement perdu sa peur. Ce n’était pas une vampire qui se battait pour gagner sa vie, elle était beaucoup trop d’ouvertures pour être autre chose qu’une amatrice. Peut-être aurait-il dû s’y attendre, vu que ses vêtements étaient inappropriés pour suivre d’autres personnes.

« Hum… Hé, ça va… ? » avait-il demandé.

La vampire avait désespérément appuyé sur l’ourlet de sa jupe courte en se levant.

« O... bien sûr que je vais bien ! Moi, une fille de Caruana, je peux supporter autant… »

Yaze avait ressenti une légère consternation devant le mot qu’elle avait prononcé par inadvertance.

« Caruana… ? Un survivant de la maison du Duc Caruana de l’Empire du Seigneur de Guerre… ? »

Un regard de choc abject s’était posé sur la vampire.

« Quoi — !? Comment savez-vous que… !? »

Yaze la fixa avec un vague sentiment d’exaspération.

« Euh, vous venez de le dire vous-même, n’est-ce pas… ? »

« Er… gh !? »

La jeune fille, bouleversée par ce que Yaze avait souligné, secoua furieusement la tête.

« N — non… Je veux dire, un résident de l’Est ne devrait pas savoir quelque chose comme ça. Euh, c’est-à-dire — vous ne devriez pas connaître le nom du Duc Caruana, ou le massacre de la famille —. »

« Belle remontée… »

« Fermez-la ! »

La fille avait finalement perdu son sang-froid. Elle avait attrapé Yaze par le cou et l’avait violemment soulevé du sol. Même si elle n’était qu’une amatrice, elle avait la force physique d’un vampire. Yaze avait pu opposer une résistance minimale, mais il n’avait aucun espoir de s’échapper. Voyant qu’il n’était pas si fort, elle avait finalement souri. Ses magnifiques crocs d’un blanc pur sortaient de ses lèvres.

« Cet uniforme est le même que celui de Kojou Akatsuki ! » dit-elle. « Donc vous avez été placé exprès dans son école pour le surveiller ? Quelle faction vous a assigné ? »

Yaze avait du mal à respirer. « … Faction ? » gémit-il.

D’après la déclaration de la vampire, il y avait de nombreuses forces en dehors d’elle qui en avait après Kojou. Yaze ne pouvait pas ignorer cette situation ni en tant qu’observateur de Kojou ni en tant qu’ami.

« Je ne pense pas que l’un de nous veuille faire une scène ici… » avait-il noté.

La fille avait apparemment jugé que l’absence de réponse de Yaze signifiait qu’il était docile. Ses doigts avaient lentement augmenté la pression sur son cou.

« Pourquoi… un vampire en a après Kojou… !? » Sa voix était cassée quand il avait demandé ça.

À cet instant, ses yeux avaient trahi l’hésitation. Apparemment, elle avait finalement réalisé que Yaze pouvait être complètement étranger à ses objectifs.

« Moi, après Kojou… ? Qu’est-ce que vous racontez ? Ne cherchez-vous pas la Clef ? » demande-t-elle.

« … Quelle… clef… ? »

Après s’être mordu la lèvre dans une apparente réflexion pendant un moment, les doigts de la vampire avaient cédé et avaient laissé partir Yaze.

Il avait toussé faiblement en fixant silencieusement son agresseur.

Apparemment, la vampire brune n’était pas après Kojou. Quand bien même, elle l’avait suivi. Le jury n’avait pas encore décidé si elle était amie ou ennemie.

Yaze n’avait peut-être pas la force de combattre directement un vampire, mais c’était une autre histoire s’il s’agissait d’un démon enregistré qui avait peur de faire du grabuge. De plus, la fille était insouciante par nature et facile à provoquer. Yaze était sûr qu’il pourrait tirer d’elle des informations utiles s’il utilisait habilement ces traits de caractère — .

« — !? »

Mais avant qu’il n’essaie de négocier avec elle, son corps tout entier fut secoué d’une douleur incroyable, le faisant tomber à genoux. Un impact énorme semblait déchirer l’air, détruisant le paysage sonore qu’il utilisait pour suivre les mouvements de Kojou et d’Asagi. Le ciel du soir était teinté d’un bleu pâle, reflétant le coup de tonnerre qui était apparu brusquement.

Elle avait haleté, ses yeux s’étaient rétrécis devant les crépitements électriques éblouissants.

« Ce n’est pas possible ! »

Elle avait déformé son visage d’effroi en regardant le toit d’un bâtiment éclairé par le ciel derrière lui — où se tenait une seule fille, enveloppée d’un éclair pâle.

***

Partie 4

Le regard de Yaze s’était porté sur la fille qu’il n’avait jamais vue auparavant.

« Qui est-ce… ! »

Un moment plus tard, la calamité commença.

Sa vision avait été brouillée par un faisceau éblouissant qui lui brûla la peau comme s’il était en feu et le soufflait, ainsi que la brune, du haut de la passerelle piétonne. La puanteur de l’ozone lui piquait le nez, et l’atmosphère chargée lui faisait dresser les cheveux.

Yaze avait vu le casque autour de son cou produire des étincelles. Il avait claqué sa langue et l’avait jeté de côté.

« Argh… un éclair !? »

C’était arrivé si vite qu’il n’avait pas su ce qui se passait. L’impact avait soufflé Yaze et son précédent agresseur à l’instant même où ses yeux rencontraient la fille sur le toit.

La vampire, ayant heurté de plein fouet la rambarde de la passerelle piétonne, se tenait l’arrière de sa tête en se relevant.

« Non ! C’est… »

« Vous la connaissez ? » demande-t-il en déplaçant son regard sur la brune. Il avait involontairement laissé échapper un « Ah ! »

Sans prévenir, Yaze avait eu une vue claire de ce qui se trouvait sous la jupe de ses fesses relevées. Le porte-jarretelles en dentelle noire était un peu trop pour un collégien.

« V-Vous avez vu !? »

« Est-ce vraiment le moment ? »

« Quelle humiliation pour une fille de Caruana comme moi — ! »

Les joues de la vampire étaient devenues rouges et tout son corps avait tremblé. Elle n’écoute pas, pensa Yaze, qui l’abandonna en regardant à nouveau vers le sommet du bâtiment.

La fille enveloppée par la foudre était petite, âgée de quatorze ou quinze ans. Ses cheveux blonds étaient coupés très court, et ses yeux en forme de flamme émettaient une lueur bleu pâle. Elle portait une armure argentée brodée d’or — clairement une sorte de tenue de combat.

« Merde. C’est quoi le problème avec elle — !? » dit Yaze.

La vampire leva les yeux vers la fille en armure et murmura sous le choc. « Cet éclair… Pemptos ! Directement du Roi !? Pourquoi… !? »

Il ne faisait aucun doute que le frisson qui avait parcouru tout son corps n’était pas dû à la seule frappe de foudre. Elle avait peur de la fille en armure.

« Est-elle aussi une vampire ? » demanda-t-il. « Cette attaque… Ça ne ressemblait pas à un Vassal Bestial, mais… »

La vampire avait crié en réponse. « Vampire !? Ce n’est pas drôle. C’est un simple monstre, une arme qui tue les dieux ! »

Le terme avait surpris Yaze. La belle fille vêtue d’une armure argentée ne ressemblait en rien à une arme qu’il aurait pu imaginer.

Puis la fille en armure avait ordonné d’un ton digne :

« — Veldiana Caruana, remettez-moi la clef. »

D’après l’endroit où les yeux flamboyants étaient dirigés, Veldiana était apparemment le nom de la vampire aux côtés de Yaze.

« Clef… ? » murmura-t-il.

Grâce à ses mots, Yaze avait compris ce qui se passait. Le rayon précédent était purement de l’intimidation. Elle avait gardé sa puissance secrète et avait délibérément évité une frappe directe, apparemment pour obtenir une sorte de Clef que Veldiana possédait.

La fille en armure avait repris la parole. « Donnez-moi la Clef. Ou souhaitez-vous mourir ? »

« Urk. » Veldiana s’était mordu la lèvre en regardant Yaze. « Vous, quel est votre nom ? »

Yaze avait répondu honnêtement. « … Yaze. Motoki Yaze. »

Il s’était dit : si c’est ce qu’il faut pour gagner sa confiance, c’est une bonne affaire.

Veldiana avait hoché la tête avec une satisfaction visible. Elle s’était placée devant Yaze, apparemment pour le protéger.

« Écoutez-moi, Motoki. Je vais vous faire gagner du temps. Alors, s’il vous plaît, apportez cette affaire à Mimori Akatsuki du MAR ! »

« Hé, euh… !? »

Le visage de Yaze s’était figé lorsqu’il avait réalisé ce que Veldiana lui demandait de faire.

Une brume sanglante avait jailli de tout le corps de la vampire, se transformant en un chien géant et féroce, un Vassal Bestial à trois têtes. Apparemment, elle avait l’intention de se battre contre des vassaux bestiaux dans une zone urbaine.

Même un natif du Sanctuaire des Démons comme Yaze avait rarement vu un Vassal Bestial de vampire si proche. L’énergie démoniaque surgissant de ce monstrueux canidé était écrasante.

« Ganglot, s’il te plaît — ! »

Veldiana avait ordonné à son propre Vassal Bestial d’attaquer la fille en armure.

Ce faisant, Yaze avait ramassé la valise métallique qui était tombée dans un coin du pont piétonnier. Le contenu était probablement la Clef que la fille en armure recherchait. En prenant la mallette, Yaze faisait de la fille en armure son ennemie. Malgré cela, il n’avait pas hésité. Après tout, Veldiana avait prononcé le nom de Mimori Akatsuki, la mère de Kojou. Si Veldiana travaillait avec elle, il devait avoir raison de la considérer comme l’alliée de Kojou. Cela lui donnait une raison suffisante pour coopérer avec elle.

Et Yaze avait une chance de gagner, grâce aux encouragements qu’il avait reçus de son demi-frère.

Il avait déjà testé les effets de ces capsules au goût vil sur sa propre chair et son propre sang. Amplifié par la drogue chimique, Yaze pouvait manipuler librement le flux d’air avec sa capacité d’hyperadaptation, créant ainsi une tornade. Avec cela, il pouvait sprinter à la vitesse incroyable de quatre-vingt-dix kilomètres par heure, ce qui lui permettait de parcourir cent mètres en quatre secondes. Il ne mettrait même pas plus de quarante secondes pour arriver au laboratoire MAR et donc, Mimori. Tout ce que Veldiana avait à faire, c’était de tenir bon pendant moins d’une minute et Yaze pouvait remplir son objectif.

Mais avant que Yaze ait pu mettre la capsule dans sa bouche, Veldiana avait crié et elle s’était effondrée.

« Aaaaaah — ! »

Un lion géant enveloppé d’éclairs était apparu dans le ciel du soir.

Le Vassal Bestial de Veldiana mesurait environ quatre mètres de long. Cela faisait du Vassal Bestial un monstre choquant convenant à un Vieux Garde, mais le lion de foudre géant était bien plus grand que ça. Il dépassait généreusement les dix mètres de long, et sa présence donnait l’impression de remplir tout le ciel.

Yaze était resté figé sur place, abasourdi, en regardant la scène au-dessus de sa tête.

« Qu’est-ce que c’est que ça… !? »

Le lion de foudre était probablement aussi une bête vassale, une masse d’énergie magique dense et sensible qui pouvait prendre une forme matérielle. Mais cette chose était tout simplement trop puissante. C’était une bête invoquée impossible à utiliser pour un seul vampire. S’il libérait son énergie démoniaque sans discernement, dans le pire des cas, la moitié de l’île d’Itogami serait anéantie, réduite en cendres.

Veldiana, ayant perdu son Vassal Bestial, s’était effondrée en un tas, à moitié hébété. La fille en armure la regarda fixement.

Obéissant à son ordre, le lion d’éclair leva une patte avant une fois de plus.

Stop, grommela Yaze en tendant la main, mais son geste n’avait aucun sens. L’attaque de la bête enveloppa Yaze ainsi que Veldiana — une attaque qui allait instantanément annihiler l’immense passerelle jusqu’au prochain croisement.

Cependant, Yaze n’avait pas été assailli par l’impact qu’il redoutait. Il n’entendait plus le bruit de l’explosion, le cri, ni même le vent. Yaze et Veldiana n’étaient enveloppés que par un silence parfait.

Ce silence avait été brisé par la voix douce et légèrement distante de la fille qui était apparue de nulle part.

« Stop, Pemptos — cinquième Sang de Kaleid. »

Au moment où elle avait parlé, le son était revenu dans le monde.

L’onde de choc chaude provenant de la passerelle vaporisée était devenue un coup de vent qui avait giflé Yaze en plein visage.

Il était allongé sur Veldiana au bord d’une rue, à une trentaine de mètres seulement de la passerelle. Ils avaient été instantanément déplacés sans même s’en rendre compte. Yaze secoua violemment la tête avec le sentiment maladif d’avoir un trou dans sa mémoire.

« Qu’est-ce que… ça… ? »

Il ne ressentait pas le mal de mer propre aux sorts de contrôle spatial. C’était plus comme la désorientation causée par le visionnage d’un film avec des images perdues.

Alors que Yaze attrapa dans ses bras Veldiana et la faisait asseoir, elle leva le visage et murmura dans un état d’hébétude. « Paper Noise… ! »

Ce qu’elle avait vu, c’était une fille portant un uniforme d’écolière, se tenant au centre de la route déserte. Elle portait des lunettes et tenait un livre sous un bras, paraissant plutôt ordinaire.

La fille en armure appelée Pemptos avait plissé les sourcils en signe de colère.

« Pourquoi vous… ! »

Elle avait pointé la fille portant un livre de sa main droite et avait ordonné au lion de foudre d’attaquer.

En cet instant, une fois de plus, le monde avait été régi par le silence. Sans un bruit, le bras droit de la fille en armure avait été proprement coupé au niveau du coude.

« — ! »

Son corps avait été projeté en arrière comme s’il avait été frappé par une masse de fer invisible. Elle s’était écrasée sous les yeux de Yaze et de Veldiana, formant un cratère d’impact dans l’asphalte.

Un moment plus tard, le son était revenu dans le monde.

« Gwah ! » Elle cracha du sang. L’énorme lion foudroyant, peut-être coupé de sa réserve d’énergie démoniaque, ondula comme un mirage et s’effaça.

Ni Yaze ni Veldiana ne savaient ce qui se passait. La fille en uniforme connue sous le nom de Paper Noise s’était lentement retournée et avait regardé Pemptos.

« Votre conduite viole les règles du Banquet. Si vous continuez à vous engager dans des activités de combat, je serais obligée de vous disqualifier immédiatement par mon autorité de Bookmaker — . »

Paper Noise tenait l’avant-bras droit sectionné. Elle l’avait jeté à l’autre fille avec facilité.

Pemptos se leva, l’armure grinçant sur tout son corps. Fixant Paper Noise avec haine, des éclairs enveloppèrent à nouveau tout son corps. Puis, à la vitesse de la lumière, elle s’envola vers un endroit inconnu.

Paper Noise l’avait regardée partir avec un soupir. Ensuite, elle avait regardé Yaze et Veldiana. Ou, plus exactement, son regard glacial s’était concentré sur Veldiana, calée dans les bras de Yaze. Elle demanda d’un ton fort. « Maintenant, Veldiana Caruana, pourriez-vous m’expliquer pourquoi vous êtes ici ? La maison du Duc Caruana a déjà perdu ses qualifications pour participer au Banquet, n’est-ce pas ? »

Veldiana avait serré ses crocs de manière audible, essayant désespérément de faire sortir sa voix de sa gorge.

« C’est ma grande sœur qui a protégé le douzième Sang de Kaleid. La famille Caruana a le droit de parier sur elle, sur Dodekatos — ! »

Les yeux cramoisis de Veldiana la fixaient, Paper Noise lui répondit sans émotion. Un faible bruit, comme le frottement de vêtements, avait piqué les oreilles de Yaze.

« Très bien. Je prendrais plus tard ma décision concernant vos qualifications. Cependant, jusqu’à ce que… »

Sur cette déclaration, Paper Noise avait montré l’attaché-case métallique qui s’était posé dans sa main — l’attaché-case de Veldiana que Yaze pensait tenir.

« Je vais prendre la garde de cette Clef », déclara Paper Noise avec désinvolture.

Veldiana la regarda avec une colère évidente, frappant sauvagement son poing trempé de sang contre la surface de la rue. Elle tremblait d’humiliation en crachant. « Organisation du Roi Lion… ! »

Paper Noise s’était détournée de Veldiana, laissant son dos sans surveillance, et elle était partie. Quand elle ne fut plus visible, il ne restait plus que Yaze et Veldiana.

Une foule de spectateurs s’était rassemblée autour de la passerelle piétonne détruite. Il ne faudrait sans doute que quelques minutes avant que la police et la Garde de l’île n’arrivent en courant. Yaze, un espion de la Corporation de Management du Gigaflotteur, faisait lui-même pratiquement partie de la Garde de l’île, mais cette fois, être arrêté serait difficile même pour lui. Il valait mieux partir tant que c’était possible.

Mais il y avait quelque chose que Yaze devait découvrir en premier.

« Pourrais-tu m’expliquer ce qui se passe, Vel ? »

Veldiana, qui avait baissé la tête, avait levé son visage aigre pour regarder Yaze. « Pourquoi vous rapprochez-vous de moi avec un tel surnom — . »

Soudain, ses yeux s’étaient ouverts en grand, sous le choc.

« Yaze, est-ce que c’est — !? »

« J’ai pensé que quelque chose comme ça pourrait arriver, donc juste au cas où… »

En parlant, Yaze avait soulevé l’objet qu’il avait caché dans son dos : une tige métallique recouverte d’un tissu. D’une certaine manière, les symboles magiques méticuleusement gravés sur sa surface argentée lui donnaient un aspect futuriste.

Il mesurait environ trois ou quatre centimètres de diamètre, et environ quinze centimètres de long, à peu près. L’une de ses extrémités avait été effilée en une pointe aiguisée et polie. Il était trop court pour être une lance, et trop lourd pour être une flèche, ce qui s’en rapprochait le plus était un pieu.

Ce pieu se trouvait dans l’attaché-case que Veldiana avait confié à Yaze. Il avait profité d’une ouverture momentanée pendant le combat de Paper Noise contre la fille en armure pour le sortir, le cachant de la vue des filles dans le dos de son uniforme scolaire.

Veldiana avait poussé un lourd soupir de soulagement.

« Pour faire ça dans une telle situation… Tu es un vrai fripon. »

« Donc c’est ce que tu as appelé la Clef… »

« Oui… la Clef pour ouvrir le couvercle du cercueil. »

Sur ce, Veldiana avait voulu récupérer le pieu de la main de Yaze, mais celui-ci l’avait habilement retiré.

« Avant de te rendre l’appareil, pourrais-tu me dire ce que signifie cette histoire de douzième sang de Kaleid ? »

Pendant un moment, Veldiana avait lancé à Yaze un regard plein de ressentiment, mais elle s’était finalement ravisée et s’était calmée. Peut-être voyait-elle Yaze comme quelqu’un qui avait coopéré avec elle, et qui méritait donc un geste de remerciement approprié.

Son expression calme avait la grâce digne d’une femme qui se décrit comme noble. Il l’avait sentie le piquer comme un parfum subtil.

Veldiana lui avait demandé tranquillement. « — Connais-tu le Quatrième Primogéniteur ? »

Yaze s’était renfrogné en hochant la tête.

« Le Quatrième Primogéniteur qui ne devrait pas exister, le Vampire le plus puissant du monde, ou quelque chose comme ça ? »

« Correct. Ne t’es-tu pas demandé… s’il n’y a que trois Primogéniteurs dont l’existence est publiquement reconnue, pourquoi y a-t-il des enregistrements à travers l’histoire de l’émergence d’un quatrième Primogéniteur qui ne devrait pas exister, apportant le chaos au monde ? Pourquoi même les autres Primogéniteurs reconnaissent-ils le Sang de Kaleid comme le Vampire le plus puissant du monde ? »

Yaze avait fait un « hmm » bas. C’était une légende urbaine qu’il avait entendue dans son enfance. Il n’y avait pas vraiment réfléchi, mais cette dernière question l’avait harcelé d’une manière étrange.

Veldiana avait vu Yaze se taire et avait souri, semblant un peu fière d’elle-même. Elle avait continué.

« La vérité est simple une fois qu’on l’a entendue. Le Quatrième Primogéniteur a été produit artificiellement. Le Vampire le plus puissant du monde, conçu par nul autre que les trois premiers Primogéniteurs eux-mêmes — et le Sang de Kaleid est le nom du projet qui a donné naissance au Quatrième Primogéniteur. »

Tous les poils du corps de Yaze s’étaient dressés. Les mots de la fille ne semblaient pas être le genre de paroles folles qu’il pouvait simplement ignorer. Après tout, il avait vu le lion de foudre aux ordres de la fille en armure. C’était une bête invoquée dont la puissance ridicule était comparable à celle d’une catastrophe naturelle. N’était-ce pas exactement comme ça que les Vassaux Bestiaux du Quatrième Primogéniteur étaient décrits… ?

Yaze s’était finalement souvenu. Le motif d’un kaléidoscope est créé par un objet comportant trois miroirs à l’intérieur… Par conséquent, le nom Sang de Kaleid ne symbolisait-il pas le rôle du quatrième primogéniteur ? Le rôle du plus puissant vampire du monde, né artificiellement des mains des trois Primogéniteurs…

« Tu as dit que le quatrième Primogéniteur est une arme… ? » demanda Yaze à voix basse.

Si c’était une arme, la production de masse était loin d’être hors de question. On pouvait en produire douze, voire plus. Ce n’était pas le problème.

« Les armes existent pour combattre quelque chose, » poursuit-il. « Qu’est-ce qui pourrait pousser les Primogéniteurs à créer le Vampire le plus puissant du monde ? »

« C’est évident, n’est-ce pas ? »

Puis Veldiana Caruana était tombée dans le silence.

Le soleil doré s’enfonçait dans l’horizon, ses rayons éclairant silencieusement le côté de son visage déterminé.

 

« — La Purification. »

***

Épilogue

Motoki Yaze s’était réveillé sur la pente d’une digue côtière.

 

Le ciel était déjà épais avec le crépuscule. Il pouvait sentir la brise de l’océan devenir fraîche. Les douces vagues résonnaient contre les blocs de réduction des ondes en fibre de résine, lui piquant le nez avec l’odeur du sel. L’odeur de son uniforme trempé de sang était encore plus forte. Il se souvenait d’avoir été frappé lors de sa rencontre avec Meiga Itogami sur un bâtiment de l’île Nord.

Il avait utilisé son contrôle de l’air pour se jeter en arrière, évitant ainsi une blessure mortelle, et en atterrissant sur un camion de marchandises qui passait juste à ce moment-là, il avait échappé à la poursuite de Meiga. Cependant, c’est tout ce dont il pouvait se souvenir.

Alors que Yaze était allongé sur le côté, il entendit une voix juste à côté de lui. C’était une fille portant l’uniforme de l’Académie Saikai, qui fermait le livre qu’elle lisait en regardant par-dessus son épaule.

« Alors tu es réveillé, Motoki. »

Yaze avait fait un sourire en coin et avait expiré devant l’attitude toujours aussi brusque de la fille.

« Toi, hein ? »

Yaze s’était redressé, laissant échapper un glapissement à cause de la douleur qui se propageait dans tout son corps.

Paper Noise, Koyomi Shizuka, n’avait pas été touchée par l’angoisse de Yaze.

« Il est préférable que tu ne te lèves pas tout de suite. J’ai rattaché la chair et les vaisseaux sanguins déchirés, mais c’est seulement une mesure d’urgence. Je pense que tu ne pourras pas bouger normalement avant deux semaines, » dit-elle calmement.

« On dirait que c’est à peu près ça. »

Yaze était à nouveau allongé sur la digue, frottant furieusement ses cheveux ébouriffés.

Koyomi le regarda faire, ne proposant pas d’essuyer sa sueur, et encore moins de lui fournir ses genoux comme oreiller. Elle agissait comme si elle ne souhaitait pas le toucher du bout de ses doigts tachés de sang.

Yaze murmura à demi-mot, comme pour lui-même. « J’ai rêvé de notre première rencontre. »

Elle avait continué à le regarder. Un sourire triste se dessina sur son visage, et il sembla aussi fugace que la neige.

« C’était il y a seulement un an, et pourtant cela semble être un passé lointain, n’est-ce pas ? »

« Oui, c’est vrai. »

Tout à fait, pensa-t-il en fermant les yeux comme s’il se réprimandait. Beaucoup trop de choses s’étaient passées depuis ce jour. Une île artificielle prévue avait coulé, et un grand nombre d’humains avaient péri. Et Kojou avait connu un destin bien trop cruel.

Yaze s’était assis une fois de plus et avait regardé Koyomi.

« Ta présence ici doit signifier que Kojou et les autres sont en sécurité ? »

Koyomi avait l’air un peu hors d’elle, mais elle avait hoché la tête en signe d’affirmation.

« Oui. Le troisième Primogéniteur, la Fiancée du Chaos, est parti. »

« La Fiancée du Chaos, dis-tu… !? »

C’était donc ça. Yaze avait fixé Koyomi avec un malaise évident.

Le Troisième Primogéniteur, Giada Kukulkan — si tout était de son fait, cela expliquait tout, du Vassal Bestial géant jusqu’aux confidents de Vattler qui se faisaient battre.

Koyomi continua.

« L’installation du MAR a subi de lourds dommages, mais ils garderont sans doute le silence sur cet incident. »

« … C’est parce qu’ils font eux-mêmes des choses louches et mauvaises. »

« Non. Ils voient simplement un plus grand profit dans les recherches de leur succursale d’Itogami… plutôt, de Mimori Akatsuki, que les dépenses nécessaires pour payer les dommages. »

Yaze se renfrogna en poussant un soupir lourd et langoureux.

« Il y a des choses désagréables dans ce monde… Non pas que je sois du genre à parler… »

Après tout, les affaires louches pour le profit ressemblent beaucoup aux activités de sa propre famille — en d’autres termes, le conglomérat Yaze.

Koyomi avait rompu le silence momentané.

« Il semble que Meiga Itogami ait réalisé le secret de ton amie d’enfance. »

Le visage de Yaze s’était figé. La panique qu’il ne pouvait pas cacher avait suscité une apparente satisfaction sur le visage de Koyomi — une expression innocemment cruelle, comme un enfant qui s’efforce de monopoliser l’affection de quelqu’un.

Yaze avait oublié la douleur de ses blessures et l’avait regardée fixement.

« Le secret d’Asagi… ! ? Alors c’est ça ! Merde, c’est donc ça… ! »

Koyomi semblait imperturbable alors que Yaze commençait à l’engueuler.

« Si tu le savais, pourquoi l’as-tu laissé partir ? Avec ton pouvoir, tu aurais dû être capable de l’arrêter ! »

Le rejetant sans ménagement, Paper Noise avait déclaré. « Parce que ce n’était pas nécessaire. Le rôle de l’Organisation du Roi Lion est de protéger la nation japonaise des catastrophes de sorcières et du terrorisme à grande échelle. J’ai jugé que la conduite de Meiga Itogami n’entrave pas nos objectifs. »

« Tu es vraiment une… »

Bien que Koyomi ait l’air sans expression, ses yeux légèrement humides avaient vacillé. Elle savait. Elle comprenait à quel point sa décision était porteuse de malheurs et de tragédies futurs. Pourtant, même ainsi, elle, l’un des Trois Saints à la tête de l’Organisation du Roi Lion n’avait pas arrêté Meiga Itogami.

Yaze avait regardé Koyomi directement. « Dis-moi. Pourquoi Meiga Itogami essaie-t-il d’utiliser cette île ? »

Meiga Itogami portait le même nom de famille que Senra Itogami, le créateur de l’île d’Itogami. Ce n’était sûrement pas une simple coïncidence s’il avait été détenu dans la barrière pénitentiaire comme un sorcier criminel. Yaze ne doutait pas que le crime de Meiga avait un lien profond avec un secret crucial caché dans l’île d’Itogami, ainsi que la raison pour laquelle il s’était intéressé à Asagi.

« Tu ne t’en es pas encore rendu compte, Motoki ? » dit Koyomi.

« … Meiga veut le rappeler ! ? »

Le sanctuaire des démons de la ville d’Itogami était une île artificielle née du métal et de la sorcellerie, un symbole de civilisation et de conflit.

En tant qu’autel pour l’invoquer, c’était certainement une scène appropriée comme aucune autre.

Lui, l’exilé de la terre abondante en vie.

Lui, le premier pécheur.

Il est le père de tous les démons, et l’ennemi mortel des hommes et des démons.

Lui, celui qui avait dévasté la surface plusieurs fois dans les « purifications » passées —

Alors que Yaze était captif du désespoir, Koyomi avait murmuré…

 

« Tout va bien — nous allons gagner, car cette purification n’est pas son seul combat. »

 

Son murmure était comme une prophétie.

« Hmph. » Yaze avait souri ironiquement en s’affaissant.

Pendant un instant, l’esprit de Yaze avait gardé les images de Kojou, et de la petite fille qui se blottissait contre lui.

Bien sûr, Yaze n’avait pas de pouvoir spirituel, il ne pouvait donc rien faire comme une vision spirituelle. Malgré cela, l’apparition soudaine de l’image dans son esprit avait réussi à le faire se sentir stupide de s’inquiéter pour eux.

Oui, c’était différent de l’époque. Kojou Akatsuki n’avait plus un seul observateur — .

 

Koyomi avait disparu à un moment donné.

Épuisé, Yaze soupira et s’effondra sur place en fermant les yeux.

Il avait sûrement encore un peu de temps. Assez pour se plonger dans les souvenirs.

Puis Yaze s’était endormi.

Il avait fait un rêve. Un rêve de tendresse et de tristesse. Un rêve de la fille appelée le Sang de Kaleid…

***

Illustrations

Fin du tome.

***

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