Saikyou Mahoushi no Inton Keikaku LN – Tome 10
Table des matières
- Chapitre 52 : Une matinée d’euphorie et de doutes : Partie 1
- Chapitre 52 : Une matinée d’euphorie et de doutes : Partie 2
- Chapitre 53 : La transformation de Vanalis : Partie 1
- Chapitre 53 : La transformation de Vanalis : Partie 2
- Chapitre 53 : La transformation de Vanalis : Partie 3
- Chapitre 53 : La transformation de Vanalis : Partie 4
- Chapitre 53 : La transformation de Vanalis : Partie 5
- Chapitre 53 : La transformation de Vanalis : Partie 6
- Chapitre 53 : La transformation de Vanalis : Partie 7
- Chapitre 53 : La transformation de Vanalis : Partie 8
- Chapitre 53 : La transformation de Vanalis : Partie 9
- Chapitre 53 : La transformation de Vanalis : Partie 10
- Chapitre 54 : Au moins humainement : Partie 1
- Chapitre 54 : Au moins humainement : Partie 2
- Chapitre 54 : Au moins humainement : Partie 3
- Chapitre 54 : Au moins humainement : Partie 4
- Chapitre 54 : Au moins humainement : Partie 5
- Chapitre 55 : L’ombre du ciel chargé de neige : Partie 1
- Chapitre 55 : L’ombre du ciel chargé de neige : Partie 2
- Chapitre 55 : L’ombre du ciel chargé de neige : Partie 3
- Chapitre 55 : L’ombre du ciel chargé de neige : Partie 4
- Chapitre 55 : L’ombre du ciel chargé de neige : Partie 5
- Chapitre 56 : Fanatique fou : Partie 1
- Chapitre 56 : Fanatique fou : Partie 2
- Chapitre 56 : Fanatique fou : Partie 3
- Chapitre 56 : Fanatique fou : Partie 4
- Chapitre 57 : Magie et magie : Partie 1
- Chapitre 57 : Magie et magie : Partie 2
- Chapitre 57 : Magie et magie : Partie 3
- Chapitre 57 : Magie et magie : Partie 4
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Chapitre 52 : Une matinée d’euphorie et de doutes
Partie 1
Le dernier étage du bâtiment des laboratoires de l’Institut était vraiment désert. L’étage entier était constitué d’une seule pièce.
Les fenêtres laissaient passer la lumière du soleil du petit matin. Cependant, la pièce stérile ne donnait pas l’impression d’être habitée. Tout d’abord, il n’y avait pratiquement pas de rideaux, de stores ou d’autres éléments de décoration intérieure. Les quelques bureaux, tables et autres meubles qui s’y trouvaient étaient dépourvus de toute couleur. Ils étaient soit blancs, soit noirs, ne donnant pas beaucoup d’indications sur les préférences du propriétaire en matière de couleurs. Ce n’était pas gênant, mais cela n’avait rien d’intéressant.
Cela dit, des points pouvaient encore être attribués à l’intérieur. De nos jours, les rideaux et autres moyens de réduire la luminosité étaient plutôt des objets de loisir qui n’avaient guère d’utilité pratique. Les fenêtres de cette pièce pouvaient être ombragées à volonté. Il était également possible de les régler sur un mode automatique qui ajustait l’éclairage en fonction de la quantité de lumière du matin. Bien que ce type de fenêtre soit largement connu, il s’agissait toujours d’un article de luxe que la plupart des ménages ne pouvaient pas s’offrir.
En parlant de choses chères, l’équipement de laboratoire dans la pièce atteindrait également un prix élevé. Même un amateur pourrait en deviner la valeur. Mais comme tout était disposé de manière désordonnée, la pièce ressemblait plus à un entrepôt qu’à quoi que ce soit d’autre.
La différence avec le dortoir des filles où vivaient Tesfia et Alice était flagrante. Là-bas, il y avait des rideaux à toutes les fenêtres, quelle que soit leur taille, et l’intérieur faisait l’objet d’une grande attention.
Mais il y avait encore un coin de la pièce qui semblait habité. C’était surtout grâce à Loki. Mais encore une fois, ses goûts étaient similaires à la base à ceux d’Alus, on ne pouvait donc pas dire que c’était moderne.
Quoi qu’il en soit, c’était le début de la matinée, une matinée rafraîchissante après toute la clameur de la veille. Une douce lumière inondait la pièce que la plupart des filles considéreraient comme banale et ennuyeuse. C’était la pseudolumière du soleil artificiel qui, grâce aux progrès de la science et de la magie, était devenue très semblable au vrai soleil.
La faible lumière éclairait les trois filles qui dormaient dans la chambre. Elles étaient éparpillées dans tous les sens et habillées comme si elles s’étaient endormies au milieu d’une discussion de minuit. Leurs corps auraient pu se raidir si elles avaient été laissées seules, mais heureusement Loki avait mis des couvertures par égard pour elles.
Finalement… un bâillement. « Bonjour ! » Curieusement, la première à se réveiller fut la rousse Tesfia. Ses cheveux roux normalement brillants étaient maintenant complètement en désordre. D’une certaine manière, cela lui ressemblait. Elle avait dû penser qu’elle dormait dans son lit habituel dans le dortoir, mais l’instant d’après, elle fronçait les sourcils de douleur à cause de ses articulations douloureuses. Ce qui était logique, puisque des trois filles, elle était la seule à avoir dormi sur le sol nu.
Elle laissa échapper un « Uhh » et son corps tressaillit. « Ça fait mal », dit-elle, comme si elle cherchait à partager ses sentiments avec quelqu’un. Le ton de sa voix donnait l’impression qu’elle s’adressait à un médecin.
L’instant d’après, son attention se détourna de son corps pour se porter sur la couverture inconnue qui la recouvrait. C’est alors qu’elle réalisa qu’elle s’était endormie. Bien que ses paupières soient lourdes, elle les ouvrit et confirma qu’elle se trouvait bien dans le laboratoire d’Alus.
Son corps se souleva tandis qu’elle essayait de faire le point dans sa tête. Elle ne se souvenait plus exactement de ce qui s’était passé juste avant de s’endormir, mais elle se remémora ce qui s’était passé la veille.
En regardant autour d’elle, elle vit Alice endormie près d’elle. Contrairement à Tesfia, elle s’était installée sur un petit canapé. Mais Tesfia n’avait pas besoin de fouiller dans ses souvenirs pour savoir qu’elle avait été ici avec Alice et Ciel, ainsi qu’avec Alus et Loki. Cependant, Alice était la seule présente.
« Où est Ciel ? » Tesfia lança le nom de la disparue, tout en essayant de se débarrasser de sa somnolence. Elle dormait dans le même dortoir que sa meilleure amie Alice, et dormir ensemble ailleurs n’était pas très différent. Mais c’était la première fois qu’elle dormait dans la même chambre que Ciel.
Cela dit, il n’était pas rare qu’elles se rendent dans les dortoirs les unes des autres et qu’elles organisent des soirées-pyjama. Ce genre de rencontres entre filles se produisait naturellement lorsque de jeunes filles de leur âge vivaient ensemble. Cependant, l’Institut attirant généralement des étudiants issus de familles respectables, ce genre d’actes était mal vu par les étudiants qui respectaient les normes. C’est pourquoi les soirées pyjama se déroulaient en secret. Mais c’est aussi ce qui rendait les soirées excitantes pour les jeunes filles.
Tesfia connaissait assez bien Ciel. Malgré cela, elle n’avait jamais dormi dans la chambre de Tesfia et d’Alice, ne serait-ce qu’une fois.
Encore secouée par la somnolence, Tesfia se frotta les yeux. Puis elle regarda à nouveau à travers la pièce. C’est alors qu’elle aperçut un joli chemisier qu’elle avait déjà vu, délicatement étalé à côté d’une couverture.
Elle le ramassa avec désinvolture et le regarda d’un air soupçonneux. « Qu’est-ce qui se passe ici ? » demanda-t-elle, complètement confuse, avant de baisser les yeux. Quelque chose s’agitait sous la table.
En se penchant pour regarder, elle trouva enfin Ciel. Ses cheveux étaient en désordre et elle était enveloppée dans une couverture dont seule sa tête dépassait.
C’est alors que Ciel ouvrit lentement les yeux et bâilla. « Bonjour, Fia », marmonna-t-elle.
« Bonjour, Ciel. » Hormis le fait que Tesfia se penchait pour regarder sous une table, c’était une salutation tout à fait normale, qui ne laissait qu’une seule chose en suspens. Elle reporta son regard sur les vêtements qu’elle tenait dans sa main, son esprit ne fonctionnant toujours pas correctement.
L’instant d’après, Ciel se cogna la tête contre la table. « Aie », glapit-elle. Au même moment, sa conscience se réveilla brusquement. La douleur mise à part, elle avait réalisé quelque chose qui l’empêchait de profiter de l’heure matinale.
S’extirpant de sous la table avec une certaine habileté, elle s’assura de garder sa couverture autour d’elle. « Puis-je la récupérer ? » demanda docilement Ciel après un moment d’hésitation, rouge jusqu’aux oreilles.
Le bruit avait dû réveiller Alice. Contrairement à Tesfia, elle ne souffrait pas d’hypotension et ne semblait pas prête à se rendormir. Une différence dans la façon dont elles avaient grandi, peut-être, mais même Alice n’avait pas complètement récupéré de la fatigue accumulée, et elle cligna des yeux à plusieurs reprises pour tenter de s’éclaircir les idées.
« Vous êtes toutes les deux debout… tôt. » Elle était généralement décontractée, mais il lui fallut plus de temps que d’habitude pour terminer sa phrase. Encore étourdie, elle posa une question sur le même sujet que Tesfia. « Au fait, pourquoi ne portes-tu pas de vêtements, Ciel ? »
« … »
« Quoi ? Ciel, es-tu nue ? » Avec les mots d’Alice et les vêtements qu’elle tenait dans sa main, la réalité de la situation s’imposa même à Tesfia. Il était difficile de savoir si Ciel était enveloppée dans une couverture, mais il semblerait qu’Alice soit plus observatrice que Tesfia lorsqu’elle venait de se réveiller.
Une fois l’idée en tête, Tesfia ne put s’empêcher d’imaginer l’allure de Ciel sous la couverture.
Ciel elle-même n’était pas tout à fait sûre de sa situation sous la couverture, aussi, vérifia-t-elle timidement.
Les deux femmes retinrent leur souffle en observant la scène.
Au bout d’un moment, Ciel poussa un soupir de soulagement. « C’est bon, » dit-elle. « Je porte encore mes sous-vêtements. »
« Bien sûr que si ! » rétorquèrent les deux autres, mais elles réalisèrent alors quelque chose. Il devait y avoir quatre filles plus un membre de l’autre sexe dans la pièce. Cette situation étrange leur faisait penser à une possibilité normalement impensable. Quatre filles et un garçon avaient passé la nuit dans la même chambre et, le lendemain matin, l’une d’entre elles avait été déshabillée.
Tesfia jeta un regard inquiet à Ciel en lui rendant le chemisier. Alice lui adressa également un regard de sympathie.
Ciel avoua, sentant très bien leurs doutes. « Il ne s’est rien passé. J’ai juste… » Elle fit une pause. « C’est juste que j’ai une terrible habitude de dormir en enlevant mes vêtements. » Rouge jusqu’aux oreilles, Ciel se tortilla sous sa couverture pour se rhabiller.
Alice lança un maillot de corps et un short à Ciel, et ouvrit la bouche, car ses doutes avaient enfin trouvé une réponse. « C’est donc pour ça que tu as toujours refusé les soirées pyjama. »
« Oui, » Ciel acquiesça faiblement en réponse.
« Il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Nous sommes toutes des filles », dit Tesfia, dans l’espoir de la soutenir. Non seulement elle disait cela pour remonter le moral de Ciel, mais elle se le disait aussi à elle-même pour essayer de calmer son cœur en ébullition.
« Eh bien, Fia a ses propres mauvaises habitudes de sommeil qu’elle ne veut pas montrer aux autres », déclara Alice, sa camarade de dortoir, avec un sourire en coin.
Cela dit, Tesfia n’en restait pas moins une noble. Aussi, chaque fois qu’elle se rendait chez quelqu’un d’autre pour une soirée pyjama, elle restait toujours sur ses gardes. En ce sens, Alice avait l’impression que le fait que Tesfia montre ce côté d’elle était un signe de la confiance qu’elles avaient l’une envers l’autre.
Ignorant les pensées d’Alice, Ciel déclara : « C’est une mauvaise habitude depuis que je suis enfant. Je n’ai jamais réussi à m’en débarrasser. » Il semblerait que cette mauvaise habitude ait forcé Ciel à s’abstenir de toute soirée pyjama. Elle avait cherché à rentrer chez elle hier aussi, mais l’amusement l’avait fait oublier.
Bien qu’elle ait été démasquée à la fin, elle fut surprise par les réactions de Tesfia et d’Alice. « Tu peux être si renfermée quand il s’agit de toi, Ciel. Nous n’y voyons pas d’inconvénient. Alors, organisons une autre soirée-pyjama, un de ces jours. »
« Oui, » Ciel acquiesça avec hésitation à la suggestion d’Alice.
« Pour être honnête, c’était un peu une surprise. Mais maintenant, nous pouvons faire une soirée pyjama quand nous le voulons. Tu as déjà été démasquée, alors c’est pareil maintenant », acquiesça Tesfia avec un sourire.
Pendant ce temps, Ciel semblait soulagée de ne pas avoir été abusée. Elle sentait en effet qu’elle pouvait désormais dormir dans leur chambre sans hésiter. Mais elle était encore un peu gênée.
Les choses s’étant enfin calmées, les trois filles furent accueillies par un petit matin paisible. C’est alors qu’Alice se souvint de quelque chose, et elle regarda autour d’elle avec un sourire crispé. « Ah. Tu ne devrais peut-être pas t’habiller ici. Al est probablement encore en train de dormir, mais il est là lui aussi. » Elles étaient un peu imprudentes, puisque c’était la chambre d’Al, après tout.
Cet avertissement était arrivé un peu tard, et bien que Ciel n’ait pas eu l’air particulièrement secouée, elle s’empressa d’enfiler ses vêtements. Elle était gênée, bien sûr, mais aussi soulagée de couvrir les parties essentielles de son corps. Si Tesfia avait été à sa place, elle aurait été hystérique.
Quoi qu’il en soit, l’agitation matinale prit fin. L’Alus que les jeunes filles connaissaient n’aurait pas ignoré leurs bavardages bruyants. Même Alice s’était préparée à ce qu’Alus sorte en fronçant les sourcils lorsqu’elle avait averti Ciel. Elle s’était préparée à se faire gronder, mais… trahissant leurs attentes, il ne se passa rien.
« Hein ? » dit Alice. Tesfia et elle échangèrent un regard devant ce dénouement. Elles se rendirent vite compte qu’un silence inexplicable régnait dans la grande pièce. Lorsqu’elles se concentrèrent, elles ne purent sentir la présence de personne en dehors d’elles trois. Même la chambre de Loki, qui n’était qu’une simple cloison, aurait été soumise à leurs voix et au bruit. Tesfia et Alice avaient participé à sa conception, elles en étaient donc parfaitement conscientes.
« On dirait qu’il n’y a pas qu’Al. » Tesfia marqua une pause. « On dirait que Loki n’est pas non plus là », marmonna-t-elle en regardant à nouveau les autres filles.
Peu après, elles confirmèrent que le propriétaire de la chambre avait bel et bien disparu. Alus et Loki avaient disparu depuis un certain temps avant qu’elles ne se réveillent. Pour preuve, la licence qui servait de clé avait été laissée sur la table. Elle était destinée aux invités restants pour qu’elles ferment à clé après eux.
Une fois qu’elle eut fini de s’habiller, Ciel peignit ses cheveux indisciplinés avec ses doigts et évoqua la discussion d’hier, que Tesfia et Alice avaient complètement oubliée. « Ah oui, Alus et Loki ont bien dit qu’ils avaient des affaires à régler aujourd’hui. » D’ailleurs, depuis hier, Ciel ne disait plus « Mademoiselle » devant le nom de Loki, en signe d’amitié.
Après un moment de pause, Tesfia et Alice se souvinrent de la même chose. Il n’y avait pas de quoi en faire tout un plat, et comme elles les connaissaient depuis un certain temps, elles pouvaient deviner ce qui se passait.
« Je me demande de quelle affaire il s’agit cette fois-ci », dit Alice. « Le sais-tu, Fia ? »
Tesfia secoua la tête. « Je n’en sais rien. Mais Lady Lettie s’est montrée hier, et je ne pense pas qu’elle soit étrangère à tout ça. »
☆☆☆
Partie 2
« C’est vrai ! J’aimerais bien la rencontrer moi aussi », s’exclama Alice.
« Je ne l’ai vue que peu de temps. Et puis… » Tesfia se souvint d’avoir été interpellée par Lettie, avant d’être grondée par Alus, ce qui lui arracha un sourire ironique. Mais c’était tout. Elle aurait aimé parler avec Lettie autant qu’elle le pouvait, tant que cela ne causait pas d’ennuis à Alus. Elle admirait Lettie Kultunca non seulement en tant que puissante magicienne, mais aussi en tant que femme.
Lettie était une vétérane, pleine de sang-froid, et elle montrait ses sentiments de manière naturelle et humaine. C’est cette ouverture d’esprit qui attirait les gens vers elle. Tesfia voulait lui ressembler. Remplie d’une frustration qu’elle avait du mal à exprimer, elle se souvint de ce qui s’était passé dans les bains du tournoi magique de l’amitié.
Elle reformula alors ce qu’elle s’apprêtait à dire. « C’est vrai. Si j’en ai l’occasion, j’aimerais discuter avec elle autour d’un thé. »
« Lady Lettie est vraiment facile à aborder, n’est-ce pas ? »
« C’est comme s’il n’y avait pas de barrière ou de fossé entre vous. »
« Je vois ce que tu veux dire », acquiesça Alice en souriant.
Il est difficile d’expliquer pourquoi les gens sont attirés l’un par l’autre. Cependant, elles avaient toutes deux l’impression que Lettie était insouciante et ouverte d’esprit. En même temps, elle était sauvage, mais dotée d’une sensibilité unique. Au cœur de ses actions se trouvaient des principes fermes, différents de la discipline militaire rigide et du bon sens. En d’autres termes, il y avait un point focal clair qui soutenait la droiture de Lettie.
En plus de cela, il y avait son affabilité. Même si elles ne s’étaient jamais rencontrées auparavant, elle était heureuse d’interagir avec elles. Il était naturel que Tesfia et Alice soient attirées par elle. Pour des magiciennes novices comme elles, Lettie était un idéal. De plus, elle avait conservé sa nature humaine malgré tous les combats qu’elle avait menés contre les Mamonos dans le Monde extérieur. Inutile de dire que c’était là une autre raison de la popularité de Lettie.
Cela signifiait également que sa façon de maîtriser la magie était à l’opposé de celle d’Alus. Mais les deux filles étaient encore immatures, et elles ne s’en rendirent même pas compte. Lettie avait conservé sa nature humaine dans le monde extérieur, tandis qu’Alus avait perdu la sienne. Elles connaissaient trop peu le monde extérieur pour s’en rendre compte.
« Lady Lettie semble faire certaines choses de manière totalement impulsive », nota Tesfia. « Mais c’est en partie ce qui fait qu’il est si facile de se rapprocher d’elle. »
« Oui. »
Alors que Tesfia et Alice continuaient à parler, la dernière fille demanda, confuse : « De qui parlez-vous ? Lettie ? Voulez-vous dire… ? Celle qui est classée numéro 7 ? » Ciel était sous le choc.
Tout le monde à l’Institut connaissait le nom de Lettie. Et les deux filles hochèrent la tête en signe d’affirmation à l’égard de Ciel. Même si elles l’avaient rencontrée grâce à leur lien commun avec Alus, Lettie était encore très importante pour elles. Elles pensaient ne jamais la rencontrer. Quel plus grand honneur pouvait-il y avoir que de voir quelqu’un comme elle se souvenir de leurs noms ?
Cependant, elles connaissaient déjà Alus. Il allait plus loin que Lettie, se plaçant au sommet de tous les magiciens en tant que numéro 1. Dans ces conditions, elles ne devraient peut-être pas non plus prendre Lettie pour argent comptant.
Une personne normale ne travaillerait jamais comme Single. Bien sûr, il y avait toutes sortes d’obligations et d’inconvénients liés au classement, bien plus que les filles ne pouvaient l’imaginer. Une fois qu’elles en auraient pris conscience, elles ne pourraient plus y aspirer innocemment comme les autres élèves.
« J’aimerais bien voir Lady Lettie se battre juste une fois, n’est-ce pas, Alice ? » Le fait que Tesfia puisse formuler un souhait aussi extravagant était le signe qu’elle avait encore l’esprit d’une étudiante.
« Je me demande quel genre de magie elle utilise », demanda Alice d’un air innocent et naïf. Même si elle parlait par curiosité, elle ne se rendait pas vraiment compte de la grandeur des magiciens à un seul chiffre qui étaient présentés comme les guerriers les plus puissants sur le champ de bataille. Et ce, malgré ses contacts quotidiens avec Alus… ce qui signifiait qu’elle ne connaissait tout simplement pas le monde extérieur.
Mais Alice n’était pas la seule concernée. La quasi-totalité des élèves de l’Institut n’avait aucune idée de ce à quoi ressemblaient réellement les batailles dans le Monde extérieur. Les filles ne savaient pas qu’il faudrait la mort de quelqu’un pour qu’elles s’en rendent compte.
« Les Singles ont après tout toutes les informations sur leurs affinités et leurs sorts gardées secrètes. Je parie qu’Alus le saurait », déclara Tesfia en toute innocence.
Mais Alice, consciente qu’elle s’engageait sur un terrain miné, répondit avec un sourire sec : « Je pense qu’Al se fâcherait si nous le lui demandions. »
Ciel avait été d’accord. « Bien sûr qu’il le serait. En fait, es-tu en train de dire qu’Alus le saurait ? »
Hier, un événement avait provoqué une grande agitation à l’Institut. Lilisha avait révélé qu’Alus était magicien pour l’armée. Être magiciens était comme un travail à plein temps, alors en tant qu’étudiant, il était peut-être traité comme un apprenti magicien, pensait-on.
La crédibilité de Lilisha — qui venait d’être transférée — mise à part, le combat simulé de haut niveau qui s’était déroulé le premier jour du festival avait levé tous les doutes. D’ailleurs, la réalité dépassait de loin les fausses informations diffusées par Lilisha pour garder le contrôle de la situation. Les élèves ne pouvaient même pas imaginer la vérité… que leur camarade de classe Alus Reigin était le magicien numéro un.
Un jour s’étant écoulé depuis la fête du campus, Ciel put enfin se calmer et réfléchir à ce qui s’était passé hier. « En y réfléchissant, ce n’était pas une explication très convaincante. Je comprends qu’Alus fasse partie de l’armée — non, qu’il les aide dans les affaires militaires — mais est-ce que c’est acceptable d’un point de vue disciplinaire ? »
La question était évidente. En règle générale, le recrutement de mineurs dans l’armée n’était pas autorisé. Peut-être était-ce différent dans le passé, mais à l’heure actuelle, l’opinion publique était fermement opposée à l’envoi de mineurs au combat. Cela s’expliquait en partie par le fait que la tranquillité qui régnait dans le monde intérieur avait atténué le sentiment de danger dans l’esprit des gens. C’était un effet secondaire de la paix dont ils jouissaient.
« C’est probablement compliqué », dit Tesfia. Le fait d’être de la noblesse et d’avoir une mère militaire l’aidait à comprendre cet aspect des choses un peu plus facilement. Elle fronça les sourcils. L’armée n’était probablement pas ravie que les gens parlent du statut et du traitement d’Alus. Avant tout, l’armée n’était pas qu’une simple force en Alpha, c’était aussi un mur métaphorique qui séparait psychologiquement la population commune et les menaces qui planaient sur le monde extérieur.
C’est pourquoi, quoi que fasse quelqu’un d’aussi puissant qu’Alus, l’armée réglerait l’affaire dans ses propres murs. Ou plutôt, ils n’avaient pas d’autre choix.
Après avoir considéré les choses à ce point, Tesfia — chose inhabituelle pour elle — réfléchit un moment. Cela signifiait que ce dont Lilisha avait parlé hier était peut-être dans l’intérêt d’Alus. Au moins, il n’avait pas eu à quitter l’Institut, et sa position n’avait été que marginalement affectée.
Certains des meilleurs élèves avaient déjà pris des fonctions militaires officieuses avant d’obtenir leur diplôme, sous couvert d’entraînement. En fait, Tesfia avait même entendu dire que Felinella, qui était au sommet de l’Institut si on ne compte pas Alus, travaillait pour son père, Vizaist.
D’ailleurs, la révélation de Lilisha n’avait pas été complètement fausse, et elle avait caché l’essentiel de la vérité. Le secret le plus important d’Alus était toujours un secret, et cela avait été fait avec un minimum d’effort. Cependant… « Hé, croyez-vous que Lilisha est vraiment du côté d’Alus ? »
Alice et Ciel se turent à la question inattendue de Tesfia. Alus lui-même avait dit de ne pas faire confiance à Lilisha. Ces mots ne cessaient d’inquiéter Tesfia. Surtout, si l’on supposait que la surveillance était le rôle principal de Lilisha, alors elle devait vraiment rester sur ses gardes. Elle en était convaincue.
Lorsque Tesfia s’était retrouvée face à Lilisha, elle avait senti qu’elle avait quelque chose de différent par rapport aux nobles habituels. C’est pourquoi elle n’avait pas eu une bonne impression d’elle. Le monde des nobles était bien différent de celui des roturiers. Il n’y avait même pas quelque chose que l’on pouvait qualifier de normal.
Ou peut-être ne s’entendaient-elles tout simplement pas. C’était un sentiment vague, et il était difficile de le partager avec Alice et Ciel. Seule une personne connaissant assez bien la société noble pouvait vraiment comprendre.
Le nom de famille de Lilisha, Frusevan, était l’une des raisons de ce sentiment. Cette famille était un peu à part dans la société noble. En fait, ils étaient plutôt traités comme des hérétiques.
Voyant les sourcils froncés de Tesfia, Alice poussa un soupir. « Eh bien, ce n’est pas la peine d’y penser. Fia, tu es le genre de fille qui devient de plus en plus confuse au fur et à mesure que tu réfléchis. »
Alice la considérait comme une fautrice de troubles involontaire, mais elle savait que Tesfia avait de bonnes intentions. De toute façon, Tesfia avait tendance à tourner en rond dans ses réflexions.
Tesfia se contenta de hausser les épaules face à ces paroles si bien intentionnées, mais douloureuses à entendre. « Je le sais. » Elle avait déjà essuyé de nombreux échecs, alors le mieux qu’elle pouvait faire était une moue.
« Mais, » dit Alice en hésitant, « Je n’aime pas vraiment que nous ne sachions pas. » Elle l’avait dit d’un ton un peu triste. Ils avaient été ensemble avec Alus et Loki jusqu’à présent, et le fait d’être tenus à l’écart leur donnait l’impression d’être traités comme des étrangers.
Quelque part au fond d’elle-même, elle savait qu’elle et Tesfia avaient pu rester sous la tutelle d’Alus parce qu’elles l’avaient aidé à se créer une place au sein de l’Institut. Mais il n’avait même pas besoin d’être élève ici. C’est ce qui ressortait de l’intervention de la directrice Cisty. Le fait qu’ils se trouvent dans une situation aussi fortuite en ce moment était dû à des circonstances politiques. C’était simplement parce qu’il était nécessaire qu’Alus vive à l’Institut.
Dans ce cas, ils n’avaient pas besoin de mettre leur nez dans des choses qu’ils n’avaient pas besoin de savoir. Il y avait une ligne claire tracée par Alus. La franchir risquait de créer un fossé entre eux.
Cependant… « Nous l’aurions aidé s’il nous l’avait demandé », marmonna Alice d’un air chagrin.
Comme elle avait l’air anormalement déprimée, Tesfia s’empressa d’intervenir. « C’est tout à fait ton genre, Alice. Mais je peux comprendre ce que tu ressens. »
« Vous ne pouvez pas vous mettre d’accord toute seules ? Nous avons passé toute la nuit ensemble, alors s’il vous plaît, ne m’oubliez pas. » Ciel interrompit l’ambiance sombre avec une expression boudeuse. « Je ne sais pas quel genre de relation Lilisha entretient avec Alus… » Elle s’arrêta pour y réfléchir. « Ah, se pourrait-il qu’elle soit elle-même le problème ? Comme une rivale en amour ? Je suis douée pour repérer ce genre de choses ! »
Elle acquiesça d’un air satisfait. Essayait-elle d’être prévenante ? En tout cas, elle avait orienté la conversation dans une autre direction. Il ne serait pas étonnant qu’elle comprenne mieux la situation d’Alus que les autres élèves. Elle semblait si fière d’elle-même d’avoir capté l’odeur d’une adolescente en détresse.
« Dis-moi, Ciel ? Tu ne t’es pas encore réveillée ? »
« C’est méchant, Fia ! Je suis tout à fait réveillée ! Ne vois-tu pas que mes yeux sont même étincelants !? » Ciel protesta contre la question sérieuse de Tesfia en ouvrant plus grand ses yeux avec ses doigts. Elle avait beau être une tête en l’air, elle était sensible quand il s’agissait des affaires de cœur. Trois filles qui se mettaient à parler d’un garçon remplissaient toutes les conditions. « Bon, j’ai peut-être poussé mon imagination un peu trop loin, veuillez m’en excuser », poursuivit-elle en ramenant ses mains devant son visage dans un geste d’excuse. Il semblait que ce n’était qu’une blague à sa façon.
« Mais si Lilisha est la clé, pourquoi ne pas réduire la distance qui nous sépare d’elle ? » poursuit-elle. « Elle a l’air bien informée, alors peut-être pourrions-nous obtenir quelque chose d’elle ? » C’était le conseil d’une personne qui ne connaissait pas aussi bien la situation que les deux autres.
Alice poursuit sur cette lancée. « C’est vrai. Il n’est pas nécessaire d’être hostile envers elle dès le départ. Nous pourrions peut-être travailler ensemble pour aider Al à faire quelque chose. » Lilisha avait été envoyée par les militaires pour surveiller Alus, donc si elles se montraient coopératives, elles pourraient peut-être aider Alus. Elles pouvaient également observer l’observatrice, à condition de garder une certaine distance avec elle.
L’idée d’Alice était simple. Pendant ce temps, Tesfia affichait un visage perplexe, mais après avoir réfléchi un moment, elle dit : « C’est vrai. Al nous a beaucoup aidés, alors nous pouvons au moins essayer. »
« Oui, écoutons au moins ce qu’elle a à dire. » Alice afficha un sourire radieux, tandis que Tesfia acquiesçait.
Cependant, Ciel n’était pas en mesure de saisir pleinement les intentions et les hésitations non exprimées. « Mais c’est une étudiante transférée, alors pourquoi ne pas s’entendre avec elle ? » demanda-t-elle, mais cela mit fin à la discussion.
Après cela, elles avaient fait le tour de la chambre et avaient décidé de la nettoyer, car elle était encore en désordre depuis la nuit dernière.
Après cela, la fête de clôture du festival du campus se profila à l’horizon. La participation était facultative, mais la salle polyvalente serait ouverte pour un buffet. Leur classe avait également prévu une petite fête avant cela, mais les trois filles avaient convenu qu’elles devaient d’abord faire le ménage ici.
D’ailleurs, en matière de nettoyage, Ciel était aussi douée qu’Alice. Tesfia, elle, n’était pas très douée. Ce n’était pas seulement parce qu’elle manquait de compétences, mais aussi à cause d’un doute qui persistait dans son esprit. Où étaient passés le propriétaire de la chambre et sa partenaire aux cheveux argentés ? Elle savait que cela ne servait à rien d’y penser, mais cela la contrariait quand même.
Essayant de chasser ces pensées, Tesfia se mit au travail, nettoyant la pièce à sa manière. Frusevan… Je sais, je devrais peut-être demander à maman. Elle s’en rendit compte alors qu’elles en étaient à la moitié du nettoyage de la pièce.
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Chapitre 53 : La transformation de Vanalis
Partie 1
Alus était au milieu de Vanalis, face au monde qui s’était transformé en argent. Il prit une grande inspiration puis expira, son souffle devenant blanc.
Quelques jours s’étaient écoulés depuis le lendemain de la fête du campus, lorsque Loki et lui s’étaient mis en route. Même s’ils avaient dans la pratique l’autorisation du gouverneur général, il n’était pas souhaitable que les deux Singles d’Alpha quittent le pays. Pour cette raison, ils ne pouvaient pas vraiment se permettre de passer trop de temps sur cette mission. Mais la situation qui se présentait à eux était inattendue.
Alus jeta un coup d’œil à Lettie. Elle restait là, stupéfaite, sans essayer de repousser la neige qui tombait.
Lettie avait passé plus de six mois à essayer de conquérir Vanalis et n’y était toujours pas parvenue, c’est pourquoi elle voulait emprunter l’aide de la carte la plus forte d’Alpha. C’est aussi pourquoi régler cette affaire rapidement était sa priorité absolue.
Mais c’est un peu risqué maintenant, pensa rapidement Alus. En comptant le temps nécessaire à la marche, ils ne pouvaient vraiment passer que trois jours à éliminer les Mamonos. Si l’on ajoutait le nettoyage des Mamonos restants par la suite, cinq jours seraient souhaitables.
Le Dévoreur n’avait été éliminé que récemment, et il avait entendu dire que des Mamonos se déplaçaient étrangement dans le Monde extérieur ces derniers temps. En d’autres termes, la situation dans le monde extérieur était encore instable.
Et puisque Berwick avait envoyé deux Singles, il allait devoir réfléchir à ce qu’il fallait faire pour le déploiement du personnel de défense pendant leur absence. La force défensive d’Alpha n’allait pas faiblir à cause de l’absence des Singles. Cependant, cela supposait une activité normale parmi les Mamonos. Dans le cas d’une attaque d’un essaim anormalement grand, ou d’une attaque d’un Mamono de classe S, la ligne de défense s’effondrerait en sept jours d’après les simulations.
Bien sûr, Alus ne les prenait pas au pied de la lettre. Selon ses propres prévisions, la ligne défensive s’effondrerait en trois jours dans le pire des cas.
La chute de neige devant eux n’aurait pas dû exister en cette saison. Et elle menaçait de détruire toutes leurs intentions.
Cela faisait plus d’un siècle que la main de l’homme avait été retirée de la nature. Malgré cela, les changements dans le monde naturel dépassaient l’imagination humaine. Les arbres poussaient à une vitesse absurde, et il y avait de nouvelles espèces de plantes et d’animaux que personne n’avait jamais vus auparavant. Ce n’était ni les Mamonos ni les hommes qui profitaient le plus de cette évolution, mais bien Mère Nature.
Cependant, même si la scène qui se déroulait devant eux sortait du domaine de l’imagination, c’était bien plus qu’un simple phénomène naturel.
Il y a quelques heures à peine, ils étaient sous une chaleur étouffante, mais maintenant le monde était devenu argenté et leur respiration était gelée. Le changement de température était si radical qu’il excluait non seulement les phénomènes naturels, mais aussi les illusions dues aux sorts d’attributs sombres.
Il y eut un léger mouvement à côté d’Alus. Loki l’ayant rattrapé, elle fit immédiatement ce qu’elle devait faire et envoya une vague de mana dans les environs. Elle ferma la bouche et secoua la tête. Il n’y avait pas de Mamonos dans les environs.
Alus donna à Loki la note de passage pour avoir fait le bon mouvement initial sans se laisser distraire par le paysage. Il analysa ensuite la situation.
D’abord, il y avait la présence du Mamono qu’il sentait. Ensuite, le fait que la détection de Loki ne l’ait pas détecté. Il est clair qu’il ne s’agit pas d’une neige ordinaire, puisqu’elle est capable d’obstruer le sonar à mana. Un brouillage, peut-être ? Mais il ne pouvait pas vraiment sentir de mana dans les flocons de neige.
Compte tenu de la quantité de mana dans l’air, il était anormal qu’il n’y ait pas de mana dans cette grande quantité de neige. Il était possible que ce soit le résultat d’une interférence avec la dimension de l’information, qui était encore plus avancée que l’interférence avec la matière. Mais la situation étant aussi extraordinaire qu’elle l’était, il était difficile de le savoir tout de suite.
Comme Loki avec sa détection, il avait utilisé sa propre magie sans attribut pour élargir son champ de vision. En gros, les informations structurelles tridimensionnelles de son environnement se déployaient dans son cerveau, et il pouvait saisir la situation autour de lui comme s’il regardait un diorama d’en haut. Bien qu’il ne soit pas aussi efficace qu’un observateur, il pouvait détecter la présence de Mamonos dans une certaine mesure. Son rayon d’action était d’un kilomètre. Dans cette zone, il pouvait vaguement détecter la présence d’un Mamono.
Mais même avec son pouvoir, c’était la limite. Et il était impossible de le localiser.
Il pourrait en fait interférer avec la dimension de l’information. C’est assez impressionnant, mais il semble qu’il ne soit pas à côté de nous. Et il n’a pas l’air de vouloir nous attaquer de sitôt. Et maintenant, que faire ? Alus réfléchit à ce qu’il allait faire, fronçant les sourcils devant le sol inconnu.
« C’est vraiment de la neige, non ? » murmura Loki à côté de lui. Il était d’usage de ne rien prendre pour argent comptant dans le monde extérieur. Mais son ton mêlait la prudence d’un magicien et le doute sur la réalité de ce qu’elle voyait.
« Oui. » Après un moment, Alus acquiesça, affirmant que ce qu’elle disait était correct. Il ne voyait actuellement rien qui puisse suggérer le contraire.
Il vit alors Loki lever le visage pour regarder à nouveau le paysage. Il lui emboîta le pas, mais ne vit que le même monde argenté qu’auparavant. La neige qui tombait dansait comme de la cendre dans l’air, engloutissant tout sur son passage.
La neige qui tombait lentement commença à recouvrir la tête de Lettie, changeant la couleur de ses cheveux en blanc.
Lorsqu’Alus fit un pas, la neige lui monta jusqu’à la cheville. C’est une sacrée chute de neige… Il y en a à perte de vue. Même lui n’avait pas prévu cette situation. Bien sûr, il n’en avait jamais fait l’expérience par le passé.
Alus continuait d’analyser la situation, tandis que Lettie revenait à la réalité, aboyant des ordres tout en secouant la neige de sa tête et de ses épaules. « Confirmez la situation ! Trouvez en priorité l’avant-garde, divisez-vous en cinq et partez ! » cria-t-elle, d’un ton plus sérieux que d’habitude. Mais il était clair qu’elle et son escouade étaient encore secouées.
Malgré tout, ses ordres étaient très efficaces pour faire avancer la situation. L’escouade s’empressa de poser ses sacs et s’apprêta à passer à l’action…
« Attends, Lettie. Donne-moi deux ou trois minutes. » Sans même attendre la réponse, Alus repartit à toute vitesse dans le sens où ils étaient venus. Il ne regarda pas Loki, qui le suivait à la trace, alors qu’il se dirigeait vers la frontière de ce monde gelé.
Même Loki avait du mal à suivre Alus lorsqu’il courait à toute allure. Heureusement, elle ne le perdit pas de vue. « Sire Alus ! » Le voyant s’arrêter, elle l’interpella. « Qu’est-ce que tu fais ? »
« C’est donc ici. »
En suivant son regard, elle trouva facilement ce qu’il cherchait. Il s’agissait d’une fine ligne de neige tombée des branches d’arbres qui se chevauchaient.
« Qu’est-ce que c’est ? »
Ignorant Loki, Alus s’accroupit et balaya la neige avec ses doigts, les frottant l’un contre l’autre. « Je ne l’ai pas compris tout de suite, mais j’en suis convaincu maintenant. C’est de la magie. »
Il s’agissait probablement d’un sort d’altération de l’environnement. Mais vu l’étendue de la zone qu’il couvrait, son interférence dépassait de loin celle de Niflheim. En termes de falsification du monde, il était similaire à Helheim. Cependant, son ampleur dépassait largement ce qu’Alus pouvait accomplir. « Revenir ici était la bonne décision. »
« Oui. Mais c’est… » Loki regarda la neige avec méfiance. Elle ne pouvait pas savoir qui avait utilisé le sort ni quelle était son intention. La magie que les magiciens utilisaient était avant tout destinée à combattre les Mamonos. C’était une arme. C’était également le cas de la magie de détection et de la magie des barrières.
Lorsqu’Alus avait créé un nouveau sort pour Alice, il lui avait expliqué que la magie était créée à partir d’un thème précis. C’est pourquoi il n’existait pas de sort parfait qui puisse faire tout ce que l’on veut.
Quoi qu’il en soit, la magie utilisée par les magiciens était destinée à tuer les Mamonos. C’était le principe de base. Et inversement, la magie que les Mamonos utilisaient était un outil pour tuer les humains. Pourtant, malgré l’utilisation d’un sort aussi puissant, il ne semblait pas y avoir d’intention d’attaque derrière.
La température glaciale pouvait être considérée comme une attaque, mais dans ce cas, elle pouvait être utilisée directement contre eux. Transformer le monde entier en blanc argenté était tout simplement inefficace.
Ayant confirmé la vérité, Alus laissa les questions pour plus tard et retourna vers Lettie et son équipe.
« Commençons par la conclusion. Cette neige est un produit de la magie. » Ce n’était peut-être pas une information utile pour l’instant, mais comme l’autre partie était une entité inconnue, il était important de partager et de comprendre autant que possible.
Au moins, c’était nécessaire pour le fonctionnement d’Alus. Son expérience lui avait appris que la moindre question sans réponse se retournerait contre eux. « Cependant, les intentions derrière tout cela sont inconnues. Il n’est pas évident de savoir quel effet cela aura à l’avenir. Si c’est juste pour nous ralentir, c’est un peu léger. Je n’arrive pas à saisir le plan, à tel point que je n’ai pas pu dire tout de suite que c’était de la magie. »
Alus ne manqua pas l’expression d’inquiétude sur les visages des membres de l’escouade, mais il n’y prêta pas plus d’attention. Il s’agissait d’une escouade d’élite. Ils avaient suffisamment d’expérience pour accepter immédiatement n’importe quelle situation.
Cependant, cela signifiait simplement qu’ils avaient une grande capacité d’adaptation. Or, s’adapter et analyser sont deux choses complètement différentes. Il ne suffit pas de s’adapter à un danger. Pour obtenir la note de passage, il fallait pouvoir analyser une menace, élaborer un plan et l’exécuter. Accepter la réalité de la situation pouvait aussi signifier abandonner la réflexion nécessaire pour la résoudre.
Tandis que Lettie et son équipe regardaient en silence, Alus avait déjà commencé à réfléchir à leur réponse.
☆☆☆
Partie 2
Lettie se rendit également compte qu’elle avait perdu son sang-froid. « C’était imprudent de ma part », dit-elle en y réfléchissant.
« Il n’y avait pas moyen de faire autrement cette fois-ci », répondit Alus, comme s’il lui disait de ne pas s’inquiéter. D’ailleurs, tout ce qu’il disait n’était pas à son intention. Alors qu’elle était secouée, il regardait objectivement la situation. C’était son habitude de prendre du recul et de réfléchir, ce qui était souvent utile dans ces cas-là.
« Je suis désolée, Allie. » Lettie hésita, puis ajouta : « Peux-tu nous donner encore un peu de ta force ? »
« J’ai fait une promesse, alors je vais faire mon travail. Cela dit, essaie de ne pas trop compter sur moi. » Alus n’avait pas l’habitude de travailler avec de grandes escouades, donc en fait, il disait à Lettie qu’il lui apporterait sa sagesse, mais qu’elle devrait prendre les décisions définitives.
Pourtant… Je n’aime pas cette neige. Il y avait une étrange sensation de pressentiment qui ne le quittait pas. Elle le mettait sur les nerfs et le mettait mal à l’aise.
Quoi qu’il en soit, il était préférable de quitter cet endroit. Mais comme ils ne connaissaient pas la vérité sur la chute de neige ni la source du phénomène, ils ne pouvaient rien faire de radical.
Normalement, ce genre de magie qui modifie l’environnement n’était pas seulement utilisée à des fins offensives. Mais c’est plutôt faible si c’est pour nous bloquer, alors il est plus logique de penser que c’est pour nous détecter.
Alus envisagea la possibilité que la surface de la neige soit utilisée pour détecter les gens, comme les vibrations d’une toile d’araignée. Cependant, la magie était une invention des Mamonos. Pour eux, elle était donc plus primitive et instinctive, ou plutôt dépourvue de logique. Surtout si on la compare à la magie humaine.
Pour cette raison, même lui avait du mal à déchiffrer l’objectif caché derrière le sort. C’était comme essayer de comprendre les intentions derrière la peinture abstraite d’un enfant. Il était possible qu’il n’y ait même pas d’intention au départ. « Allons-y doucement à partir de maintenant. Sortez une carte. »
C’est la magicienne guérisseuse qui répondit à la demande d’Alus. Elle se précipita et sortit un épais morceau de papier de la pochette qu’elle portait à la taille.
Il le lui prit et l’étala. C’était un dessin de la zone qui couvrait deux kilomètres sur deux kilomètres, une zone plus large que son champ de vision, ce qui était bienvenu. La carte avait été dessinée à la main, mais le numéro de version en haut à droite indiquait qu’elle avait été mise à jour plusieurs fois. La carte était détaillée et avait fait l’objet de recherches approfondies, signe du temps qu’ils avaient passé à se battre dans cette région.
« Est-ce la base avancée ? » demanda Alus à Lettie.
« C’est exact. Cela a été fait en creusant un trou dans une paroi rocheuse, il est donc difficile à détecter. »
La base avancée avait été créée pour être utilisée sur une longue période. Elle était construite sur la pente abrupte d’une falaise pour rendre difficile l’invasion des Mamonos, et tant qu’ils empêchaient le mana de s’échapper à l’extérieur, il était peu probable qu’elle soit découverte. Il n’était pas très grand et ne pouvait donc être utilisé que par un petit nombre de personnes, mais il faisait parfaitement office de base.
Il regarda Lettie. Elle semblait avoir retrouvé son calme, mais son choc de tout à l’heure n’était pas seulement dû à la neige inattendue. Si c’était tout, alors avec l’aide d’Alus, ils pourraient se débrouiller seuls. Au lieu de cela, ses doutes ne portaient pas sur l’escouade, mais sur la sécurité du détachement précurseur.
Si c’était le cas, Alus devait en priorité résoudre l’anxiété du chef de mission, la force de frappe la plus puissante de l’expédition à part lui-même. Le détachement précurseur a été envoyé en avant pour transporter des provisions jusqu’à la base. Avec de tels effectifs, le manque de provisions ralentira la conquête.
Il espérait une résolution rapide et voulait éviter de perdre du temps en préparatifs. Mais Vanalis ne serait pas si facile qu’ils puissent se précipiter sans planification. Même s’il y allait seul, il aurait besoin d’un certain degré de planification afin de pouvoir procéder étape par étape.
Ils devaient donc partir maintenant. Ils chercheraient le détachement précurseur et s’assureraient de sa sécurité. Et dans le pire des cas, ils devraient au moins assurer leur ravitaillement. Alus décida que c’était maintenant, avant que la neige ne devienne trop épaisse, qu’il fallait partir.
« Lettie, rejoignons la base à pied. Nous ne pouvons rien faire de trop voyant, mais nous utiliserons le strict minimum de mana pour maintenir nos températures corporelles. La neige ne contient pas de mana naturel, il y a donc une chance que nous soyons trouvé par le mana qui émane de la surface. Nous devons donc empêcher toute fuite de mana. »
Lettie acquiesça à la suggestion d’Alus, et tous les membres de l’escouade recouvrirent immédiatement leur corps de mana. C’était l’une des techniques de contrôle du mana, mais il y avait une limite à la durée de cette technique.
Alus pouvait former une fine pellicule de mana d’à peine un millimètre d’épaisseur autour de son corps. Même si une personne ordinaire l’examinait de près, elle ne pourrait pas le détecter. Il pouvait également la maintenir pendant une longue période.
Lettie pouvait se débrouiller seule, mais les membres de son équipe, c’était autre chose. Et puis il y avait Loki. Je pense qu’elle tiendrait deux heures tout au plus. S’il suffisait de maintenir un film, ils pourraient tous tenir plusieurs jours. Mais c’était beaucoup plus difficile à maintenir sans fuite. C’était comme enfiler un fil fin dans le trou d’une aiguille et le maintenir là, tout en l’empêchant de toucher l’aiguille, ne serait-ce qu’un peu. Bien sûr, cela nécessitait une concentration extrême, ce qui retarderait en même temps leurs réponses à toute attaque de Mamonos, ce qui pouvait s’avérer fatal.
« Alors, que faisons-nous pour fouiller notre environnement, Allie ? » demanda Lettie, consciente de la difficulté de la tâche.
Alus se tourna vers Lettie comme s’il s’agissait d’une question insignifiante. « Je ferai quelque chose à ce sujet. Je vois tout de même que tu n’es pas une Single pour rien. »
« Tu vois ? » Son éloge inhabituellement franc fit prendre à Lettie une expression embarrassée.
Lettie avait un haut niveau de contrôle du mana. Il ne savait pas combien de temps elle pourrait le maintenir, mais tout comme lui, elle avait une pellicule si fine qu’il était douteux qu’un magicien normal puisse même la détecter. C’était un peu comme une lotion appliqué sur la peau douce d’une femme. En la voyant faire cela sans problème, Alus avait l’impression que son identité était menacée.
« Eh bien, il fait encore un peu froid », dit Lettie. Avec un sourire, elle approcha son épaule de celle d’Alus. Enduite de mana ou non, elle ne portait pas beaucoup de vêtements. Son ventre exposé par ce temps était un spectacle étrange.
« Contente-toi de le supporter », dit Alus en la repoussant. Il jeta ensuite un coup d’œil à Loki, qui l’inquiétait un peu. Quant à elle… Eh bien, je pense qu’elle s’en sortira. Son entraînement quotidien portait ses fruits, car son contrôle du mana s’était considérablement amélioré. Elle était pratiquement sur un pied d’égalité avec l’équipe de Lettie.
Pendant ce temps, Loki, qui n’avait aucune idée de la raison pour laquelle Alus regardait dans sa direction, se consacrait au contrôle de son mana.
« Quoi qu’il en soit, Lettie, je surveillerais aussi nos environs. Heureusement, mon mode de détection est unique et ne laisse presque pas de traces de mana, même s’il n’est pas aussi précis que les résultats d’un observateur. Je pense que nous devrions continuer à pied, même si c’est un peu difficile. De plus, maintenant que nous sommes dans cette situation… nous devrions reconsidérer le plan. »
Tout cela n’était que l’opinion d’Alus. C’était Lettie qui commandait l’escouade. « C’est toi qui décides. Je suivrai ton exemple. » Il allait poursuivre en disant : « Ma façon de faire ne fera qu’engendrer beaucoup d’animosité inutile », mais il ravala ces mots. Le ton d’autodérision qui s’en dégageait devait provenir d’une expérience personnelle.
Réviser le plan signifiait mettre à plus tard la confirmation de la sécurité du détachement précurseur. C’était une décision efficace, mais froide, d’autant plus que Lettie et son escouade considéraient le détachement précurseur comme des compagnons d’armes. Il était clair comme le jour qu’il y aurait des réactions émotionnelles au sein de l’escouade. Alus n’était pas immature au point de prendre ce genre de décision pour l’escouade d’une autre personne.
« C’est vrai. Mais le détachement précurseur ne se contente pas de transporter du matériel. Ils ont aussi des équipements médicaux, du matériel pour améliorer la base avancée, des AWRs de rechange, et bien d’autres choses encore. Nous devons au moins récupérer le matériel. »
Lettie avait raison. Leur mission ne se résumait pas à l’élimination des Mamonos. Le ravitaillement serait nécessaire à un moment ou à un autre, et une fois la bataille engagée, il faudrait du matériel et des talismans de sortilège pour soigner les blessés.
« C’est beaucoup à transporter. Le plan était de les retrouver à la base avancée, n’est-ce pas ? »
« C’est vrai. Il y a aussi deux autres bases temporaires, mais c’est juste en cas d’urgence. »
Alus regarda Lettie. Sa voix était calme, mais son visage donnait l’impression qu’elle retenait désespérément ses émotions. Ayant passé beaucoup de temps dans le monde extérieur, elle comprenait la réalité de la situation, mais elle s’inquiétait toujours pour ses subordonnés.
En tant que compagnon Single, Alus trouva cela un peu inattendu. Cependant, un instant plus tard, il ressentit un sentiment de vide dans sa poitrine, et il se souvint qu’il était le seul à penser ainsi. C’était cette partie de son cœur qui ne serait probablement jamais remplie.
En même temps, il comprit pourquoi les subordonnés de Lettie l’admiraient. Lettie et lui étaient semblables, mais différents à certains égards.
Alus continua tranquillement à parler. « C’est vrai, nous devons d’abord nous rendre à la base. Il sera plus facile d’élaborer un plan si nous pouvons confirmer la situation. » Cela pourrait aider à atténuer l’anxiété et la frustration qu’il sentait chez Lettie, alors il donna une réponse qui correspondait à ce qu’elle ressentait en ce moment.
Heureusement, les Mamonos n’ont pas l’air de bouger. Si la neige était effectivement utilisée pour les détecter, comme Alus l’avait supposé, alors ils étaient déjà à portée de l’ennemi. Mais si l’on se base sur les habitudes des Mamonos, ils auraient attaqué dès qu’ils auraient détecté Alus et son groupe. Pourtant, il n’y avait aucun signe de cela jusqu’à présent.
Même comparé au sonar à mana d’un observateur, il serait capable de détecter un ennemi aussi puissant qui s’approche rapidement. S’ils ne réagissent pas à nos mouvements sur la neige, celle-ci ne servira peut-être pas à les détecter. Cela rend le sort encore plus effrayant.
Alus et son groupe poursuivirent tranquillement leur marche sur la neige. La topographie de Vanalis se résumait à des pentes entourant une zone vallonnée, comme une crête de petites montagnes. S’ils se dépêchaient, ils pourraient atteindre le sommet de n’importe laquelle d’entre elles en un rien de temps. La base vers laquelle ils se dirigeaient était construite dans une pente légèrement en dessous des sommets de la crête.
Quelques heures plus tard, Alus pouvait apercevoir les sommets brumeux à la limite de sa vision. De là, ils pourraient enfin atteindre le point culminant de Vanalis.
Sur le chemin, Alus écouta silencieusement le bruit de la neige crissant sous les pieds de l’escouade. Comme auparavant, la neige n’avait aucune trace du mana qui devrait s’y trouver naturellement. C’était sans aucun doute le résultat d’un sort. Mais en entendant le son — qui était réel —, il avait du mal à croire qu’il était vraiment dû à la magie. Il était presque impossible de le distinguer du vrai.
La neige était belle et froide, et fondait dans la main comme on pouvait s’y attendre. Si elle avait vraiment été créée, les sensations qu’il avait ressenties n’étaient-elles que dans sa tête, la neige n’ayant pas de substance réelle ?
☆☆☆
Partie 3
L’expérience avait posé une énigme à Alus. Qu’est-ce que la magie ? Et qu’est-ce que l’information ?
Puis il revint à la réalité, se reprochant de s’être laissé distraire. Il revérifia la carte, cherchant des points de repère pour atteindre la base. Il devrait y avoir un rocher de forme distincte à proximité.
« Est-ce que ça va aller ? » Soudain, il entendit un pas léger sur la neige et la voix de Loki qui l’appelait à côté de lui. Sa question faisait référence à l’état d’esprit de Lettie, ou peut-être à la transformation de Vanalis.
« C’est très bien. C’est courant dans le monde extérieur, à part cette neige. » Cependant, si Loki s’inquiétait pour Lettie, elle n’avait pas tort. Lettie et son équipe avaient été rappelées sur Alpha sans avoir terminé leur mission. À cause de cela, elle avait exprimé de forts regrets d’avoir quitté Vanalis. Elle devait vouloir retourner au front le plus vite possible.
Et ce n’est pas comme si Alus ne pouvait pas comprendre ce sentiment. Il s’agissait d’une mission accomplie dans un monde rempli de menaces inimaginables qui avaient littéralement grignoté leurs vies. Naturellement, si elle était renvoyée à la case départ, elle trouverait cela déraisonnable.
Même s’il pouvait rationaliser cela comme une réaction typique, il ne considérait pas cela comme normal, bien que Lettie ait perdu plusieurs subordonnés au cours de la mission. Et comme elle était si dévouée à ses hommes, elle trouvait cela d’autant plus intolérable. D’ailleurs, il lui était arrivé de le lui révéler.
Cependant, il ne pouvait pas laisser Loki penser à quelque chose d’inutile en ce moment. Brossant la neige de ses cheveux argentés, il s’adressa à la jeune fille anxieuse d’un ton nonchalant. « N’oublie pas que c’est une Single. Et nous sommes dans le monde extérieur. Ici, nous sommes des invités indésirables. Tu n’as pas le luxe de te déconcentrer. »
« Oui ! Excuse-moi. »
Les préoccupations inutiles étaient malvenues dans le monde extérieur. Au besoin, ils pouvaient rentrer chez eux après la mission et se consoler l’un et l’autre. Mais ici, cette gentillesse était une faiblesse, voire un péché. Il pouvait comprendre l’impatience de Lettie, mais dans ce monde cruel et sans pitié, elle devait prendre soin d’elle-même.
« Hey, Allie, j’ai oublié de mentionner quelque chose… » Lettie prit soudainement la parole d’un ton brusque, tapant sur l’épaule d’Alus. La façon dont elle s’était arrêtée à la fin laissait entendre qu’il s’agissait de quelque chose d’important, et pour être honnête, il avait un mauvais pressentiment à ce sujet.
« Qu’est-ce que tu dis tout d’un coup ? Si tu as quelque chose à dire, alors saisissons cette occasion et tu pourras tout me dire. »
« Euh, eh bien, il s’agit du Mamono qui contrôle Vanalis. »
« Oui, tu m’en as déjà parlé. Une chimère, n’est-ce pas ? Alors, as-tu trouvé une raison pour laquelle elle utiliserait un sort aussi étrange ? »
Après un moment d’hésitation, Lettie dit : « C’est probablement le troisième chef. »
« Quoi ? » Alus avait écouté, mais quand elle avait dit cela, il avait instinctivement tourné la tête pour la regarder.
Pour une raison qui lui échappait, elle avait eu l’air surprise à son tour. Mais l’instant d’après, elle sourit ironiquement, comme pour cacher sa gêne. « Désolé. » Elle ramena ses mains devant son visage et s’excusa, comme pour dire qu’elle n’avait pas accordé beaucoup d’importance à cette information. Elle se remit ensuite à marcher, et continua à s’expliquer. « Honnêtement, ce n’était pas certain, alors j’ai hésité à dire quelque chose ou non… »
« Ce n’est pas le moment d’hésiter. Quel est donc ce troisième chef ? »
« Pour autant que je sache, le Mamono le plus haut gradé de Vanalis a changé deux fois. Tu sais, comme les guerres de territoire qui se produisent de temps en temps ? »
« Attends. Alors tu dis — ! »
« Pendant notre absence, le Mamono qui gouverne Vanalis a peut-être encore changé. »
« Et il serait responsable de cette neige ? »
« Probablement. Il est possible que ce soit un autre Mamono que la Chimère qui dirige cet endroit maintenant. Je suppose que cela ferait de lui le quatrième chef. » En parlant, Lettie semblait un peu plus calme, signe qu’elle avait réussi à se concentrer sur la mission en cours. Ou peut-être avait-elle simplement essayé de dissimuler le fait qu’elle avait été lente à donner l’information.
C’était un soulagement, mais tout de même, Alus n’avait jamais entendu parler de changements de chefs aussi fréquents. En clair, le fait qu’il y ait autant de Mamonos capables de prendre le contrôle de Vanalis était anormal en soi. Même si c’était possible, il était naturel que le plus fort prenne la place du chef sur le simple principe de la compétition. Ce quatrième chef serait donc un adversaire redoutable.
« Bon sang, tu parles d’accepter une mission gênante. Je suis certain que j’aurais refusé si tu me l’avais dit plus tôt. » Il lança un regard à Lettie, mais il était trop tard pour faire quoi que ce soit. Voyant le bord de ses lèvres se soulever, ses épaules s’affaissèrent.
« Il est trop tard pour faire marche arrière, A -L-L -I-E ! » Il était clair que Lettie esquiverait la question s’il essayait de la presser. En d’autres termes, il risquait de se faire mener par le bout du nez dès le départ.
Alus se résigna et renonça même à se plaindre. « Je n’en ai pas l’intention. J’ai déjà accepté la mission. Je n’ai surtout pas l’intention de revenir de ces contrées les mains vides… »
« Je compte sur toi ! »
Lettie sourit, et Alus réalisa qu’elle s’était rétablie plus vite que prévu. La transformation de Vanalis avait été un choc, mais il semblait que la présence d’Alus s’était avérée fiable. J’ai l’impression de m’être fait avoir, mais tant pis.
En peu de temps, Alus confirma qu’ils étaient proches de la base utilisée par Lettie et son escouade, et que la montagne sur laquelle elle était construite était recouverte de neige, en utilisant à nouveau son champ de vision. En même temps, il regarda autour de lui à la recherche d’ennemis, mais ne sentit aucun mamono dans les parages.
Après un certain temps de marche, même Alus commença à avoir froid. Sur le chemin de la base, ils découvrirent un chariot à moitié enterré dans la neige. Il semblait avoir été laissé là au hasard. Les roues n’étaient pas bloquées et la cargaison était encore à l’intérieur.
L’escouade l’examina et confirma que la nourriture était en grande partie préservée grâce à la congélation. Comme prévu, après vérification auprès de Lettie, il semblerait que le détachement précurseur ne soit pas venu à Vanalis avec un chariot.
« Donc, après être arrivés à Vanalis, ils ont emballé la cargaison sur un chariot avant de partir, puis il a été abandonné. »
« Qu’en penses-tu, Allie ? »
Après lui avoir jeté un coup d’œil, Alus lui fit part de ses franches réflexions. « Si on y réfléchit normalement, ils ont dû rencontrer un Mamono. Cela dit, il n’y a pas de traces d’une grande bataille. Je ne peux pas le dire, car les empreintes ont été effacées par la neige, mais ils ont pu craindre que la base soit découverte et l’ont laissée temporairement. »
Le détachement précurseur n’avait pas combattu le Mamono et avait battu en retraite. Alus en conclut que c’était la réponse la plus probable. « La base est proche. Transportons les provisions à l’intérieur et confirmons s’ils sont revenus ou non. »
« C’est vrai. » La réponse de Lettie fut étonnamment simple.
Alus adopta la même attitude qu’elle et évita d’évoquer la pire des éventualités. Il ne savait pas trop quoi lui dire, mais rien de ce qu’il pouvait imaginer n’était juste. Dans le monde extérieur, les attentes sont souvent déçues.
Après cela, l’escouade chercha aussi loin qu’elle le pouvait, mais à cause de la neige, elle n’avait pas trouvé la moindre trace du détachement précurseur.
Ils s’étaient rapprochés de là. La base était déjà à un jet de pierre. Elle n’était pas encore visible à l’œil nu, car elle était construite dans une paroi rocheuse sur une colline escarpée, et elle devait être camouflée pour la cacher aux yeux des Mamonos.
« Cela se passe trop bien », marmonna Alus, tandis que l’escouade marchait silencieusement sur la haute garde.
Personne ne savait s’il parlait en fonction de son expérience ou de son talent. Mais les paroles du numéro un mondial suffisaient à crisper tout le monde et à aiguiser encore plus les sens.
C’est à ce moment-là que tout s’était produit. Une créature apparut sur le chemin qu’ils empruntaient, comme s’il s’agissait d’une rencontre fortuite.
"!?"L’escouade avait été déconcertée. À une trentaine de mètres devant eux, ils virent une créature courte et robuste ramper, laissant des traces d’ornières dans la neige alors qu’elle leur coupait lentement la route. Elle avait un corps noir qui semblait porter une tente sombre en forme de dôme. Du lierre poussait sur son corps, et à l’extrémité de ce lierre se trouvaient des feuilles qui bruissaient lorsqu’elles étaient tirées sur la neige.
Le lierre et les feuilles avaient des formes étranges, et non seulement ils bruissaient à chaque mouvement, mais les pointes semblaient errer dans l’air. Les lianes s’enroulaient autour de l’objet, si bien qu’il était impossible de voir son enveloppe extérieure. Les lianes entrelacées formaient une armure naturelle, et on aurait dit un faisceau de lierre se déplaçant tout seul.
Étonnamment, le Mamono ne montra aucune hostilité. Il s’était approché d’eux sans qu’Alus s’en aperçoive.
Ce fait, combiné à son apparence étrange, laissa tout le monde stupéfait pendant un moment. Ou pas, car dans la seconde qui suivit, Alus quitta le sol d’un coup de pied.
En un clin d’œil, il réduisit la distance qui le séparait du Mamono. C’était bien trop rapide pour imaginer qu’il s’agissait d’une pure réaction. C’était comme s’il se déplaçait par instinct. D’une puissance massive et soudain, il disparut des rangs de l’escouade comme un éclair.
Son AWR sembla scintiller dans sa main pendant un instant. L’instant d’après, l’escouade put le voir, il était loin derrière le Mamono. La lame de mana qui sortait de son AWR était extrêmement fine, et ils pouvaient clairement voir à quel point la lame utilisée était longue et large.
Se retournant vers le Mamono, ils virent que le lierre qui recouvrait son corps avait été coupé d’un seul coup.
Un instant plus tard, la neige s’éleva comme un effet de l’exploit surhumain, et au même moment, une ligne tranchée apparut sur le corps du Mamono et sa coquille extérieure en forme de dôme. L’instant d’après, les deux moitiés se séparèrent. Les innombrables lianes et feuilles de lierre coupées se mirent à bruisser comme un seul homme et tombèrent sur la neige.
Sans faire d’autres mouvements, Alus défit la lame de mana. Cependant, il n’avait pas l’impression d’avoir coupé le noyau. Pff. Il fit claquer sa langue dans son esprit.
C’était un type de Mamono que l’on ne voyait pas autour d’Alpha. L’utilisation d’une lame de mana afin de réduire sa consommation de mana au minimum était logique, mais elle s’était finalement retournée contre lui, l’empêchant de l’achever en un seul coup. Mais il s’était rendu compte intuitivement de quelque chose en l’attaquant.
L’emplacement de son noyau est étrange. Et cette sensation est… En effet, un être était apparu sous les lianes coupées et la carapace noire. Il ressemblait à la chrysalide d’un scarabée. Il avait trois paires de pattes repliées sur son abdomen. Sur son dos se trouvaient plusieurs petits arbrisseaux d’une couleur noire carbonisée. Ils étaient probablement à l’origine de tout le lierre.
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Partie 4
Sous ces jeunes pousses se trouvaient d’épaisses ailes qui s’ajustaient parfaitement à son corps. Plutôt que de l’appeler le corps principal, il semblerait plus juste de l’appeler le contenu de la coquille extérieure.
Son apparence unique, que même Alus n’avait jamais vue auparavant, lui donna l’impression qu’on lui avait jeté un seau d’eau froide sur la tête. Même s’il était étonné, ses instincts de magiciens s’aiguisèrent encore plus. Après quelques secondes, il ne fut plus surpris par le Mamono. Au lieu de cela, ses pensées s’étaient tournées vers l’analyse de la façon d’éliminer cette créature.
Mais avant qu’il ne puisse faire son prochain mouvement, un gantelet recouvert d’électricité fut balancé sur la chrysalide. Sajik avait suivi Alus pour donner une frappe supplémentaire.
Il avait rapidement compris les intentions d’Alus et conclu qu’il était le plus apte. En plus de ses pas rapides, il utilisa la Force pour déplacer son grand corps à une vitesse extrême. Son poing enveloppé d’éclairs secoua l’air et un coup de tonnerre retentit.
Le coup puissant aurait dû être suffisant pour briser le corps du Mamono. Cependant, juste avant que son poing n’atteigne ce qui semblait être la tête de la chrysalide, celle-ci s’arrêta brusquement.
En baissant les yeux, il vit les pattes repliées de la chrysalide s’enrouler autour de son bras, tandis que des lianes ondulantes tournaient autour de son gantelet. Elles s’enfonçaient plus profondément dans son bras, cherchant à le briser. « Urk. » La douleur traversa le bras de Sajik, qui se mit à serrer les dents pour la supporter.
Dans ce cas… Le mana de Sajik se gonfla. Il allait choquer le Mamono en faisant passer la puissance de son AWR dans son bras. Déterminant que ce n’était qu’une question de temps avant que son bras ne devienne inutile, il était prêt à le sacrifier pour blesser le Mamono en retour.
« Brûle ! » Les veines de ses bras s’élevèrent tandis que les muscles se gonflaient et se développaient de façon massive. Bientôt, un son fracassant sortit du haut de son poing.
« “Lion du tonnerre” ! » Avec le poing de Sajik comme point de départ, le sort fut construit et matérialisé.
C’était le sort d’invocation du Lion du tonnerre. Seule la tête du lion apparut, et il ouvrit ses mâchoires acérées pour mordre dans les pattes du Mamono. De puissants éclairs traversèrent le corps de la chrysalide, et une lumière blanche et brillante enveloppa les environs.
Les éclairs se succédèrent. De la fumée s’éleva de la chrysalide. Mais les attaques ne cessèrent pas pour autant.
Alus, qui observait de l’autre côté, fixa la chrysalide tandis qu’une fumée blanche s’en élevait.
Un instant plus tard, il y eut un mouvement. Les ailes qui collaient au corps de la chrysalide se déployèrent et balayèrent l’éclair qui entourait son corps. Une rafale mêlée de fumée blanche traversa l’air.
Voyant cela, l’escouade se crispa devant la situation précaire. Seule Lettie regardait la situation se dérouler avec un regard calme. Car même si des sueurs froides coulaient dans le dos de Sajik, il gardait l’équilibre et continuait d’attaquer à la vitesse de l’éclair.
Alors que Sajik sentait que son bras était à bout, une série de lignes apparut sur le corps de la chrysalide, allant de la tête à l’abdomen. On aurait dit que des fissures étaient apparues dans le corps de la chrysalide.
Le Mamono, coupé en une douzaine de morceaux, tomba sur la neige avec un bruit sourd, projetant du sang.
Lorsque Sajik regarda au-delà, il vit Alus qui se tenait là, le visage inexpressif.
Le sang vert foncé qui s’était infiltré dans la neige s’évapora rapidement, en même temps que la neige sur laquelle il s’était collé. Sans se soucier de l’état de son bras, Sajik se redressa et fit un salut au premier d’Alpha. « Merci, Monsieur ! »
Puis un poing s’abattit inopinément sur la tête de Sajik. « Espèce d’idiot !!! » C’était le poing de fer de Lettie. C’était plus ou moins attendu, mais son expression était moins en colère et plus exaspérée. « Désolée, Allie. »
« Cela ne me dérange pas. C’est seulement arrivé parce que je ne l’ai pas achevé en une seule attaque. C’était un adversaire étrange, mais tout s’est bien terminé. »
Alus regarda les fragments du Mamono qui se désagrégeaient, et poussa un soupir. Les éclairs de Sajik et sa magie spatiale avaient détruit le noyau, où qu’il soit, mais pour une raison ou une autre, même à cette distance, il ne pouvait pas sentir la capacité de mana du Mamono ou son potentiel. Était-ce aussi l’effet de l’étrange neige ?
Pendant ce temps, Sajik semblait ne pas comprendre pourquoi Lettie l’avait réprimandé. Son collègue Mujir lui jeta un regard stupéfait. « Imbécile, réfléchis à la raison pour laquelle Sire Alus s’en est immédiatement occupé tout seul. Et pourquoi la lame de mana a été utilisée ! »
Ses paroles furent accueillies par un regard agacé de Sajik. Il ne semblait pas avoir réalisé sa plus grosse erreur. Mais à vrai dire, Loki non plus. Elle était prête à aider Sajik à surmonter sa crise, mais il semblerait que ce ne soit pas nécessaire. Elle leva doucement les yeux vers Alus avec une expression de honte face à son incapacité à comprendre la situation.
Ignorant ses sentiments, Mujir soupira et poursuivit : « Et tu as aussi les meilleures réactions de l’escouade. Sire Alus, puis-je lui expliquer à votre place ? »
Alus hocha légèrement la tête. Il ne pensait pas que c’était une grosse affaire, et il pensait qu’il valait mieux laisser l’escouade à ses membres.
« Il faisait attention aux fuites de mana, » commença Mujir. « C’est pourquoi il n’a pas utilisé un sort, mais une lame de mana pour empêcher les autres Mamonos de nous détecter. Et puis il y a cette neige. Elle semblerait être un sort de modification de l’environnement, comme l’a noté Sire Alus, mais si elle n’est pas destinée à nous bloquer, il pourrait s’agir d’une sorte de piège ou d’un moyen de nous espionner. Dans ce dernier cas, quelles seraient les conséquences de tes actes ? » La façon dont il l’expliquait de manière aussi directe montrait clairement qu’il disait la même chose que Lettie… en d’autres termes, de bien réfléchir à son erreur.
Sajik semblait avoir compris et s’apprêtait à s’excuser pour ses actes irréfléchis.
Mais… « C’est déjà fait, alors je ne vais pas te reprocher quoi que ce soit. Mais je ne m’attendais pas à ce que ses entrailles soient comme ça », dit Alus avec désinvolture, arrêtant Sajik et changeant de sujet. « En tout cas, c’était clairement une classe A ou plus. »
« Pas possible. Un mamono de type “Coquille Manquante” n’est pas une classe A. Ce n’est qu’une boîte à surprises extravagante. De plus, ce n’est pas l’une des classes A que nous avons repérés, alors tu veux dire qu’elles ont augmenté ? » demanda Lettie à Alus.
Une Coquille Manquante était un Mamono dont la biologie était entourée de mystère. Il s’agissait d’un Mamono de classe relativement basse, dont le noyau était situé au milieu de ses lianes, et dont les alentours étaient creux. Selon Lettie, ce Mamono mystérieux était comme une boîte à surprises, et son apparence en avait surpris plus d’un.
Il restait deux Mamonos de classe A à Vanalis, dont l’un était l’Ogma mangeur de cerveau, et la réponse de Lettie laissa Alus perplexe. Il avait envie de faire claquer sa langue alors qu’il réfléchissait à nouveau.
Une coquille manquante était de classe C tout au plus, quelque chose de facilement gérable pour cette escouade. Cependant, son contenu ne devrait pas être inclus dans cette évaluation. En fait, c’était la première fois qu’Alus apprenait qu’il y avait quelque chose à l’intérieur. Peut-être que quelqu’un avait qualifié ses entrailles de creuses en l’observant après qu’elle se soit transformée en cendres.
Cependant, il fallait au moins mettre à jour les informations sur les Mamonos présents ici après les deux mois d’absence de Lettie et de son escouade. De plus, s’il y avait des Mamonos de haut niveau présents ici et qu’ils ne connaissaient pas, cela aurait un impact sur la conquête de Vanalis.
Cela dit, les coquilles manquantes n’étaient pas considérées comme étant de haut niveau, il était donc possible qu’il ne s’agisse que d’une exception. Quoi qu’il en soit, ils devaient être prudents. « On dirait que la campagne de Vanalis a régressé plus que prévu. »
L’expression de Lettie devint sombre à la remarque d’Alus. « Je m’inquiète pour mon équipe. » Elle avait l’air de se parler à elle-même, mais en réalité elle adressait un appel à Alus.
Bien sûr, la politique d’Alus n’avait pas changé. Ils devaient d’abord se rendre à la base et confirmer la situation, y compris le détachement précurseur. Mais les facteurs inattendus avaient fait que la mission globale avait été retardée.
C’est alors que… « Sire Alus !? » Le ton pressant de Loki mit immédiatement tout le monde sur ses gardes.
« Les voilà qui arrivent. C’est donc une mauvaise situation. » C’est parce qu’il avait pressenti cet événement inquiétant qu’il s’était empressé de tuer le Mamono de tout à l’heure.
« C’était donc un éclaireur », nota Lettie.
« Une personne de haut niveau pour cela. » C’était l’une des préoccupations d’Alus. L’espèce nouvellement enregistrée, Ogma, avait été estimée comme étant de classe A. Pourtant, il pensait que le Mamono qu’il venait d’éliminer était lui-même de classe A. Il y avait aussi l’information selon laquelle Vanalis avait changé de chef. Peut-être que tous les Mamonos de la région devenaient plus puissants.
« Eh bien, ça ne sert à rien d’y penser. » Alors qu’Alus marmonnait cela, toutes les formes de Mamonos sortirent en rampant de derrière les rochers couverts de neige et du sol argenté.
Ils étaient bien plus de vingt au total. Mais ce n’était pas comme s’ils les avaient laissés approcher. La détection de Loki n’était pas non plus défectueuse… ils ne pouvaient tout simplement pas être perçus.
Alus se rendit compte que l’étrange neige reflétait le mana de manière diffuse et en petites quantités, de sorte qu’on ne le remarquait pas. Par conséquent, il y avait une couche propre à la surface qui n’était pas teintée de mana. Les Mamonos avaient dû s’en servir pour camoufler leur présence.
Bien sûr, les anciens tunnels qui se trouvaient dans cette zone étaient probablement utilisés à bon escient. Cela signifie que ni la détection de Loki ni le champ de vision d’Alus ne pouvaient les localiser avec précision. Si c’est intentionnel, cela dépasse l’intelligence pour devenir stratégique, comme si cela avait été planifié par un commandant d’armée chevronné…
Il remarqua que Lettie lui jetait un coup d’œil. Elle lui demandait silencieusement s’ils pouvaient utiliser une magie à forte puissance de feu pour intercepter les Mamonos sans se soucier des fuites de mana.
Après avoir été découvert par autant de Mamonos, il n’y avait aucune raison de se retenir. Et s’il s’agissait d’un groupe d’éclaireurs, il y avait de fortes chances que les autres Mamonos de la région connaissent déjà leur position. « Je m’en fiche. Finissons-en. »
À la réponse d’Alus, Lettie baissa le bras et ordonna à son escouade. « Éliminez-les. » C’était un ordre familier et elle n’avait aucun scrupule à le donner. Ils avaient déjà confirmé que les Mamonos autour d’eux étaient des espèces communes.
C’est ainsi que la bataille commença. Le mana éclatait et explosait ici et là. Les Mamonos furent exterminés les uns après les autres sans discontinuer. L’escouade était parfaitement coordonnée, agissant sans perte de temps. Le sang éclaboussait la neige avant de se disperser en particules de mana. Les bonnes personnes étaient au bon endroit, et chaque membre de l’escouade se déplaçait de manière à mettre en valeur ses meilleures compétences.
Sajik et Mujir étaient au cœur de l’action. Ils avaient donné la priorité à l’élimination des Mamonos gênants, laissant le reste à l’escouade, de sorte que la bataille s’était déroulée sans heurts. En termes de coordination, ils étaient les meilleurs d’Alpha. Même sans Lettie, leur puissance de combat était exceptionnelle.
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Partie 5
Quoi qu’il en soit, un groupe d’éclaireurs n’était pas un problème pour Lettie. La classe la plus élevée ici étant B, ils laissèrent la destruction des noyaux aux autres soldats tandis qu’ils donnaient la priorité à leur neutralisation. Il y avait quelques Mamonos qui pouvaient s’autoguérir, mais c’était pris en compte.
Le combat s’était déroulé presque mécaniquement et selon le plan prévu, et le résultat avait été une victoire complète sans aucun blessé. Alus, Lettie, Loki et la magicienne soigneuse n’avaient même pas eu besoin de faire quoi que ce soit.
Combien d’escouades sont capables de se battre aussi facilement en groupe dans Alpha aujourd’hui ? pensa Alus en se remémorant la bataille de Demi-Azur.
Le silence finit par s’installer autour d’eux. Mais l’instant d’après… « … !? »
Une lumière avait jailli au loin. Alus le sentit et put à peine voir quelque chose approcher dans la partie supérieure de son champ de vision.
Au même moment, une série de rugissements retentit. En fait, le temps que le son atteigne leurs oreilles, la lumière blanche était déjà assez proche pour effacer les ombres d’Alus et de l’escouade.
Ils n’avaient pas le temps de l’analyser. Lorsqu’ils sentirent la magie, il était déjà trop tard. Seuls Alus et Lettie furent assez rapides pour réagir à l’explosion magique à longue portée.
Lettie s’arc-bouta, tandis qu’Alus tendait le bras, la lumière éblouissante menaçant de les engloutir. Tout le monde se boucha les oreilles.
Alus s’empressa d’ériger une barrière, mais sa durabilité était douteuse, car elle avait été fabriquée si rapidement. Malgré tout, il n’avait besoin que de gagner un peu de temps.
Versant du mana dans son AWR, la Brume Nocturne, l’un des anneaux de la chaîne se mit à briller de la lumière du mana. Une épaisse couche de glace en forme de bouclier massif se superposa à la barrière qui tenait à peine.
C’était assez grand pour couvrir toute l’escouade. Cela dit, comme elle avait été créée à partir d’une simple formule magique, sa forme n’était pas très raffinée. Cependant, si elle était habilement manipulée, une barrière de glace pouvait ralentir les informations de composition des sorts qui l’attaquaient. Et quelqu’un d’exceptionnellement doué pouvait utiliser la barrière pour dégrader la puissance du sort.
Mais la lumière contenait une énorme quantité de mana. La puissante lueur s’infiltra dans le bouclier de glace et s’y réfracta. L’attaque suivit. Dépassant la vitesse de l’éclair, l’énorme chaleur entra en collision avec le bouclier de glace, provoquant la dispersion de particules ressemblant à des étincelles.
Alus vit ensuite la lumière rebondir sur le bouclier. Elle traînait une queue derrière elle, comme un météore. Mais au lieu de disparaître au loin, les queues se multiplièrent et s’arrêtèrent en plein vol.
Il est toujours actif même après avoir été repoussé !? Alus ravala son étonnement et se prépara à l’impact.
Le nombre de queues de lumière dépassait largement la centaine. Au lieu de disparaître normalement, elles s’enroulèrent et attaquèrent à nouveau Alus et les autres. « Est-ce Brionach… ? Non ! »
Bloquant la seconde vague avec le bouclier de glace, Alus gémit. La composition et la quantité de mana contenue dans le sort qui les assaillait étaient différentes de ce qu’il connaissait — ou même de ce que l’humanité entière connaissait. Au contraire, cela ressemblait à une attaque qui faisait ressortir la véritable puissance de la magie.
S’agit-il de la version achevée de Brionach ? On dit qu’aucun magicien n’en a encore trouvé la quintessence, mais de penser qu’un Mamono l’atteindrait !
C’est dans des moments comme celui-là que l’on pouvait se rendre compte que la magie provenait des Mamonos. La situation était désormais critique. Ce Brionach — ou, comme il l’appelait, cette version de niveau divin, Demis Brionach — différait de celui que l’humanité connaissait. Il s’agissait d’un sort contre lequel on ne pouvait pas se défendre.
Le sort ne faisait que se diviser davantage et attaquer à nouveau chaque fois qu’il était repoussé. La puissance de la barrière n’avait pas d’importance. Il était possible que les queues se dispersent si elles continuaient à se diviser à un moment donné, mais Alus n’avait pas le temps de tester cette théorie. En ce moment même, le Demis Brionach repoussé se divisait en flèches de lumière qui pleuvaient comme des météores. Elles étaient maintenant près d’un millier.
Un instant plus tard, Alus défit son bouclier de glace. Alors que des restes denses de mana dansaient autour de lui comme de la brume, il expira légèrement. Au même moment, un mana noir s’enroula autour de lui et il décolla du sol.
Une fois dans les airs, il écarta les bras et libéra plusieurs Mangeurs de Gra. Lorsqu’il balança son bras, les Mangeurs de Gra furent envoyés pour dévorer chaque morceau de Demis Brionach.
C’était la première fois qu’il l’utilisait depuis la bataille de Demi-Azur, mais même lui fut surpris de voir à quel point il était plus facile à contrôler qu’auparavant. Ses pensées mises à part, les Mangeurs de Gra dansaient dans les airs en dévorant les masses de lumière les unes après les autres.
Il finit par retomber sur le sol, et à ce moment-là, la menace avait été entièrement effacée. Mettant un genou à terre, Alus laissa échapper un soupir, secrètement empli de soulagement.
Heureusement, l’escouade, émerveillée, comprit intuitivement qu’Alus était le responsable de l’apparition des Mangeurs de Gra, et n’avait pas fait de mouvements inutiles. Grâce à cela, il avait pu consacrer toute son attention à les contrôler.
Une forte odeur de brûlé lui piquait les narines. Il avait fini par leur montrer l’un de ses atouts, mais dans cette situation, c’était inévitable. « Cela vous a peut-être surpris, mais nous en reparlerons plus tard. »
Alus jeta ensuite un coup d’œil dans la direction d’où Demis Brionach avait été projeté. La lumière disparaissait déjà, mais une légère fumée blanche restait dans son sillage. Il est loin. Au moins à plusieurs kilomètres.
Étant donné que le sort se déplaçait plus vite que le son, il s’agissait sans aucun doute d’une attaque-surprise. Même Lettie n’avait pu que réagir, et Alus avait été le seul à pouvoir se défendre.
« C’est bien Allie ! Alors, à quelle distance se trouve l’ennemi ? » Lettie connaissait déjà le Mangeur de Gra, pour l’avoir déjà vu lors de la bataille contre le Dévoreur. Grâce à cela, elle n’était pas aussi surprise que son équipe.
Alus lui répondit nonchalamment d’un ton brutal : « Je ne peux pas le dire avec certitude. »
« Alors pourquoi es-tu si calme ? Le prochain arrive ! »
« Non, il ne viendra pas tout de suite. »
« Hm ? »
Alus n’avait pas le temps d’expliquer, mais il avait une bonne raison de penser cela. Tout d’abord, le Demis Brionach était bien plus puissant que ce que les humains connaissaient, mais ce n’était pas le genre de sort qui pouvait être lancé de façon répétée. Si l’attaquant en était capable, Alus aurait immédiatement fait battre en retraite tous les autres. « Pour être bref, c’est un sort qui prend le mana flottant dans l’air et le surcompresse avant de le déchaîner. Compte tenu de sa puissance, il faut compter une demi-journée avant que le mana présent dans l’atmosphère ne se reconstitue et puisse être utilisé à nouveau. »
Il avait déjà vu les bases du Demis Brionach. C’était en partie parce qu’il l’avait fait dévorer par le Mangeur de Gra. « La distance est une chose, mais je ne sais pas où il est. Tirer de la magie à l’aveuglette ne servirait à rien », conclut-il d’un ton las.
Et bien sûr, il en avait assez. Il avait compris l’utilité de la neige magique. Alors qu’ils ne savaient pas où se trouvait leur agresseur, celui-ci connaissait la position exacte d’Alus et des autres.
Il jeta un regard agacé sur la neige à ses pieds. Il s’était méfié de la neige qui tombait, mais il semblait que la neige accumulée avait aussi un effet. C’est la raison pour laquelle ils nous ont trouvés. Pour preuve, tous les restes de mana étaient absorbés et accumulés dans la neige.
Le mana n’étant pas de la matière, il n’était pas affecté par la gravité. Il n’y avait donc qu’une seule raison pour qu’il tombe au sol : les propriétés particulières de la neige. Elle ne se contentait pas de se diffuser, elle en absorbait aussi une partie. Les Mamonos en profitaient.
Nous avons été détectés par les faibles traces de mana. Ils savent où nous sommes. Il y a donc quelque chose en dessous de nous. Il était naturel de supposer que les tunnels souterrains étaient utilisés comme un réseau de radars de fortune. C’était l’environnement optimal pour recevoir des résultats de détection.
Les détails n’étaient pas encore clairs, mais combinés à la magie à longue portée, les Mamonos pouvaient écraser Lettie et son escouade à distance. Au moins, c’était la preuve que les Mamonos travaillaient ensemble.
Être attaqué par des ennemis qui peuvent se cacher en toute sécurité, c’est vraiment gênant. Si je pouvais au moins savoir à quelle distance ils se trouvent…
Alors que cette pensée lui venait à l’esprit, le bord des lèvres de Lettie se retroussa en un sourire intrépide. « Nous n’avons qu’à trouver la distance, n’est-ce pas ? »
« Mais la détection ne servira pas à grand-chose. »
« Pff. Je ne supporte pas d’être attaquée de façon aussi unilatérale. Toi aussi, n’est-ce pas, Allie ? »
« Eh bien, oui…, » répondit Alus avec amertume, comme s’il disait qu’il aurait déjà fait quelque chose s’il l’avait pu.
Lettie fit un crochet du doigt et l’un des membres de son équipe se précipita immédiatement vers eux. Son AWR en main, il lança tranquillement un sort.
Un étrange miroir d’eau apparut devant Alus et Lettie. Il devait s’agir d’un sort d’eau, le miroir reflétant le paysage d’un endroit lointain. Dans un sens, c’était comme un téléobjectif construit rapidement. Mais, peut-être sous l’effet de la neige, sa forme était quelque peu tordue. La surface ondulait comme de l’eau et montrait actuellement le sommet de la montagne.
Alors qu’Alus se penchait pour regarder de plus près, le membre de l’escouade leva la main et ajusta la forme et la direction de la lentille. En peu de temps, il put voir quelque chose bouger. C’était le dos d’un Mamono qui descendait tranquillement de la montagne.
Le Mamono mesurait trois mètres de haut et marchait sur quatre pattes. Il avait l’apparence d’un loup et une fourrure étrangement colorée. D’après la façon dont la fourrure flottait dans le vent, elle ressemblait à des cheveux humains. Mais ce qui ressortait le plus, c’était sa corne unique, que l’on pouvait voir même de dos. Elle fumait encore, comme si elle avait émis un rayon extrêmement chaud.
« Je vois. Ça ressemble vraiment au type qui vient d’attaquer. Il ressemble à un Lefkis, mais cette corne… »
Lettie ignora les marmonnements d’Alus et fit un pas audacieux en avant. « Bon, maintenant nous savons à peu près où il se trouve. » Elle fit tourner son bras, impatiente de commencer.
Alus n’avait pas besoin de dire quoi que ce soit. Elle semblait heureuse d’avoir une chance de contrer le Mamono, mais en réalité, elle voulait probablement juste lancer un gros sort pour évacuer sa frustration. Il espérait que ce n’était que son imagination, mais c’était probable au vu de sa personnalité.
Le corps de Lettie inondé de mana était vraiment un spectacle digne et puissant. C’était l’aura de quelqu’un qui avait une confiance absolue en son pouvoir. C’était comme un reflet de sa personnalité droite et honnête. Une quantité impressionnante de mana s’écoulait d’elle vers son AWR en forme d’anneau, et son prochain sort aurait certainement une puissance de feu extrême.
Prenant une pose pour viser son sort, Lettie procéda à l’incantation et à la spécification des coordonnées. L’instant d’après, pas moins de vingt points rouges brillaient près du sommet de la montagne.
Après un moment de pause, Lettie claqua des doigts. « 'Détonation' !!! »
Lorsqu’ils entendirent le nom du sort, tous, à l’exception d’Alus, firent un pas en arrière.
Aussitôt, une série d’explosions se produisit. Des flammes d’un rouge éclatant couvrirent la montagne et montèrent vers le sommet. C’était le genre de sort dans lequel Lettie s’était spécialisée, mais son ampleur était extraordinaire cette fois-ci.
☆☆☆
Partie 6
Cependant…
Alus, qui regardait la scène explosive, lâcha d’un ton exaspéré : « Hé, tu as raté… » Les coordonnées du sort de Lettie étaient très éloignées du sommet. À la distance où ils se trouvaient, même une légère erreur de calcul aurait entraîné une différence de plusieurs centaines de mètres. Heureusement, la montagne ne s’était pas effondrée, mais si le sort avait frappé correctement, le sommet de la montagne aurait été soufflé.
« Oh ? » Lettie fit un bruit d’étonnement. L’instant d’après, l’onde de choc de ses explosions les frappa, ébouriffant ses cheveux.
Alus n’était pas du tout inquiet. « Tu étais si enthousiaste et voilà le résultat ? Es-tu sûre que tes compétences ne se sont pas rouillées ? »
« Quoiiiiiiiiii !? Tu as tout faux, Allie ! » Lettie tenta de s’excuser en entendant la remarque d’Alus.
À présent, son autorité en tant que capitaine s’était évanouie, et la froideur des regards de son escouade dans sa direction n’était pas seulement due au temps glacial.
« Ne vous inquiétez pas, Lady Lettie ! » Loki tenta de lui remonter le moral, ses poings se resserrant en boule, mais ce n’était pas très efficace.
« Pas toi aussi, petite Loki… » Lettie se plaignait, mais elle ne pouvait pas trouver la raison pour laquelle cela s’était produit en premier lieu. « Mais pourquoi ? J’ai un peu perdu de vue les coordonnées, mais je n’aurais pas pu me tromper à ce point. » Comme la Détonation couvrait un large rayon d’action, il n’y avait pas besoin d’une précision absolue dans le ciblage. Pour cette raison, il n’était pas inhabituel que Lettie n’ait qu’une idée approximative de ce qu’elle visait. Pourtant, cette fois-ci, elle n’avait pas seulement raté la cible, mais aussi le terrain qui se trouvait à proximité. Sa question était donc tout à fait naturelle.
Voyant qu’elle était incapable d’accepter le résultat, Alus offrit rapidement une explication. « C’était une blague. C’est la faute de cette neige étrange. Il semblerait qu’elle ne se contente pas de diffuser le mana, mais qu’elle l’absorbe également. Elle gêne donc la détection et les sorts à moyenne et longue portée », lui expliqua-t-il. « Le mana étant déformé, cela a naturellement une influence sur les coordonnées. Cela ne poserait pas de problème à une distance plus proche, mais à cette distance, voici le résultat. » Il rapporta cela d’une manière factuelle, puis releva les bords de ses lèvres en un sourire. « Et donc tu laisses la cible s’échapper. »
« Urk !? Plus important encore, pourquoi ne l’as-tu pas dit plus tôt, Allie ? »
« Je n’étais pas tout à fait sûr. Mais maintenant, c’est clair. Quand même, tu as été très voyante. » La situation était grave, mais Alus avait l’air frivole. Ses doutes s’étaient dissipés, et maintenant leur plan d’action était plus précis. « Le simple fait d’apprendre que toute la magie est entravée en vaut la peine. En d’autres termes, nous pourrons aller jusqu’au bout, et essayer de détecter la moindre chose ne servira à rien. Nous avons déjà rencontré les éclaireurs ennemis. Et après une attaque aussi spectaculaire, il n’y a pas lieu de s’inquiéter d’être à nouveau détecté. »
« Que devons-nous faire, Sire Alus ? » demanda Loki, ce qui empêcha Lettie de piquer une crise.
Sa question changea complètement l’ambiance, et une expression sérieuse revint sur le visage d’Alus. « Commençons par partager les informations et reprenons le plan depuis le début. Tout d’abord, il est presque certain que l’ennemi utilise la neige à des fins d’obstruction et de détection magiques. Il ne serait donc pas judicieux de rester ici. Ils ne pourront pas utiliser le sort de tout à l’heure encore et encore, mais rien ne dit qu’un autre sort ne viendra pas voler dans notre direction. Je pense donc que nous devrions viser une base où nous pourrions nous échapper et changer nos plans », dit Alus en regardant Lettie, qui hocha la tête en retour. « Lettie, nous devrions probablement diviser l’escouade. Je te laisse choisir la répartition. »
« J’ai compris. Donc nous ne les laissons pas nous frapper ou trouver l’emplacement de la base. »
Alus acquiesça. Chaque fois qu’il devait travailler avec une escouade pour une raison ou une autre, il y avait quelque chose dont il se méfiait toujours. Et c’était son habitude de considérer les escouades comme une puissance de combat plutôt que comme des êtres humains avec leur propre volonté et leur propre vie. Ce n’était pas tant qu’il n’essayait pas de penser ainsi, mais plutôt qu’il ne le montrait pas.
C’était une qualité qui ne faisait pas bon ménage avec quelqu’un qui tenait beaucoup à son équipe comme Lettie. Son esprit froid avait déjà inconsciemment écarté le détachement précurseur. Au mieux, il espérait confirmer si l’observateur était en vie ou non. Maintenant que les effets de la neige étaient clairs, la valeur de l’observateur avait quelque peu diminué. Mais il avait l’intuition que face à cet ennemi, le nombre d’yeux de qualité déterminerait l’issue de la bataille.
Dans ces circonstances particulières, toute force supplémentaire — vétérans chevronnés ou non — serait probablement déterminant. En poussant les choses à l’extrême, tant qu’ils pouvaient maintenir leur force de frappe actuelle, ils pouvaient revoir leur plan. Peu importe qui est mort ou vivant.
Tout au plus préférait-il qu’ils soient en vie. La raison de sa froideur était de maintenir l’état mental de Lettie stable. C’est exactement ce que la vie et la mort des autres troupes représentent pour moi. Je ne suis vraiment pas fait pour travailler en groupe.
Alus garda pour lui ses pensées dépréciatives. Il n’était pas du genre à faire des pieds et des mains pour semer la discorde tout seul.
En ce moment, il se sentait étrangement nostalgique de la vie paisible qu’il menait à l’Institut. Après la séparation de l’escouade, Alus se retrouva naturellement avec Loki. Ils étaient également accompagnés d’un autre membre de l’escouade qui connaissait l’emplacement de la base.
L’escouade de Lettie avait finalement été divisée en quatre groupes. Le plan prévoyait qu’ils se dispersent et se regroupent à la base. Cela les rendrait plus mobiles, mais diminuerait leur puissance de feu. Ils devraient donc éviter le combat et se débarrasser des Mamonos qui les poursuivraient.
Le passage à des opérations secrètes rendait tout le monde nerveux, et l’espoir de terminer la mission rapidement semblait déjà bien mince. Tout faux pas pourrait faire échouer la mission.
« Lettie, regroupons-nous à la base à 21 heures au plus tard. Dans le pire des cas, nous devrons envisager de nous retirer. Dis à l’équipe que celui qui arrive en premier doit être prêt. »
« Pourquoi passer par moi quand tu peux le dire toi-même ? » Alus avait essayé de passer par le capitaine de l’escouade, comme d’habitude, mais Lettie lui avait simplement jeté un regard étrange.
Les intentions d’Alus mises à part, la réaction de Lettie était logique compte tenu de la situation. Tout le monde avait déjà compris qu’il n’y avait rien à faire au sujet du Demis Brionach sans Alus. Et si ce n’était pas le cas au départ, en réalité, c’était maintenant lui qui faisait les plans.
S’en rendant compte, Alus renonça à toute considération inutile, mais il laissa tout de même le jugement final à Lettie.
Après quelques conseils d’Alus et un échange d’informations, les groupes s’étaient mis en route.
☆☆☆
Alus et Loki étaient accompagnés de la magicienne guérisseuse. Une guérisseuse étant un atout précieux, Alus se sentait un peu mal à l’aise de la faire venir avec eux. Il ne pouvait pas dire si Lettie était prévenante, si elle lui faisait confiance ou si elle la mettait en gage, mais il décida de ne rien dire.
« Louise, c’est ça ? » Ne rien dire du tout était un peu gênant, alors Alus décida d’entamer la conversation. Pour l’instant, ils se déplaçaient à grande vitesse, cherchant le meilleur chemin vers la base tout en dépensant un minimum de mana.
« Oui. C’est la deuxième année que je suis affectée à cette équipe. » Comme elle n’en était qu’à sa deuxième année, elle n’était pas une membre expérimentée si l’on considère que l’escouade avait été créée il y a quelques années.
Louise avait un tempérament plutôt calme, peut-être en raison de son rôle de magicienne guérisseuse. Elle était encore jeune, mais devait avoir quelques années de plus que Lettie, du moins c’est ce que pensait Alus… mais il ne savait pas grand-chose de l’âge d’une femme.
« Je vois. Je suis sûr qu’il doit y avoir beaucoup de difficultés dans l’équipe de Lettie. »
« Hein !? Oui, eh bien…, » Louise hésita à la question franche d’Alus. Il semblait que ses paroles avaient été un peu trop directes, causant un conflit inutile en elle. Quoi qu’il en soit, elle semblait reconnaître ce dont il parlait.
« Bien sûr, il y aurait beaucoup de difficultés dans l’équipe de Lady Lettie, Sire Alus. »
« Je suppose que oui », répondit vaguement Alus à la question de Loki.
Louise leur jeta un coup d’œil et prit la parole. « C’est vrai, il y a beaucoup de difficultés. Mais c’est beaucoup plus amusant que toutes les autres escouades auxquelles j’ai été affectée. »
Elle arborait un sourire insouciant. Malgré tous les combats dans le Monde extérieur, elle disait que c’était amusant. Cela ne pouvait pas être vrai si on le prenait au premier degré, mais Alus pensait que cela montrait qu’elle avait atteint un certain niveau en tant que magicien.
C’était peut-être grâce à l’équipe de Lettie. En tout cas, il estimait que sa réponse indiquait qu’elle était plutôt compétente malgré son jeune âge.
Ignorant les pensées intérieures d’Alus, Louise lui demanda : « Monsieur Alus, à propos du Mamono qui a lancé ce sort à longue portée… »
« Le Lefkis. C’est probablement une forme évoluée, mais je ne peux pas encore l’affirmer. »
« Il a jeté un sort, Brionach, est-ce bien comme ça que vous l’avez nommé ? »
C’était un sujet qu’il avait prévu d’aborder lorsqu’ils seraient tous ensemble. « C’était un sort à longue portée qui ressemblait à ça, mais ce n’était pas le Brionach que je connaisse. C’est peut-être quelque chose que le Mamono a créé tout seul, ou c’est peut-être même la forme achevée du Brionach », expliqua Alus. « Je ne sais pas s’il s’agit d’une version évoluée ou d’une variante, mais je l’appelle Demis Brionach. Dès qu’il entre en contact avec autre chose que sa cible, il bascule à la deuxième étape de sa composition. »
« Ça bascule ? » demanda Louise, mais Loki écoutait attentivement.
« Oui. Dans certaines circonstances, il se divise et se recompose en un projectile traçant, » déclara poliment Alus à Louise, inconsciente du ton de sa voix.
Les femmes de son âge avaient tendance à le déconcerter. De plus, son attitude ne témoignait pas du respect excessif habituel envers son rang de Single. Il ressentait également une atmosphère étrangement familière avec Louise. Mais il ne comprenait pas pourquoi.
« Même si on lance une barrière anti-Mamono, elle ne la reflétera que temporairement avant que le Mamono n’attaque à nouveau après avoir changé de nature, n’est-ce pas, Sire Alus ? »
« C’est exact. » Alus acquiesça à la réponse de Loki. Brionach était considéré comme l’un des sorts les plus puissants pour éliminer un groupe d’ennemis. Cependant, le sort libéré par cette corne avait été modifié par rapport au Brionach conçu par les humains. Essayer de bloquer le sort avec une barrière ne faisait que le diviser davantage, ce qui compliquait considérablement la tâche des défenseurs.
« De plus, la plupart des gens ne pourraient pas réagir à cette vitesse. » Louise essayait de trouver une parade, mais en tant que magicienne-soigneuse, ce n’était pas son domaine d’expertise. Néanmoins, en tant que membre de l’équipe de Lettie, elle avait beaucoup d’intelligence et de créativité.
« Oui. Pour l’instant, utiliser ma capacité spéciale est le moyen le plus pratique. » Alus avait volontairement appelé son Mangeur de Gra une « capacité spéciale » pour rester vague. C’était sa façon de tracer une ligne. Même s’ils étaient tous deux des magiciens d’Alpha, il voulait garder son atout caché dans sa manche si possible. Si ce n’était qu’une simple capacité spéciale, il n’aurait aucune raison d’être nerveux.
☆☆☆
Partie 7
De plus, le Mangeur de Gra n’était pas tout-puissant. Il y avait une limite à la quantité de mana qu’il pouvait absorber, et en le laissant tout dévorer, il risquait de se déchaîner et d’exposer Alus au danger. Sans compter qu’il ressentait fortement le besoin de prendre à cœur son échec lors de la bataille de Demi-Azur. S’il ne le faisait pas, sa petite partenaire aux cheveux argentés pourrait se pousser à faire quelque chose d’imprudent à nouveau.
Alors qu’il pensait cela, Alus jeta un coup d’œil à Loki, qui ne semblait pas remarquer son regard. Elle proposa une autre solution. « Sire Alus, ne peux-tu pas utiliser un sort pour l’annuler ? »
Il s’agissait d’une technique consistant à utiliser un sort égal ou plus puissant pour entrer en collision avec l’autre et l’anéantir. Bien sûr, seul un magicien de haut rang pouvait utiliser une telle technique, et Alus n’aurait donc aucun problème. « J’y ai aussi pensé, mais il n’y a honnêtement aucun moyen de le tester. »
« … » Ses paroles firent prendre conscience à Loki du problème. Longue portée ou non, à cette vitesse, le défenseur serait très désavantagé. Aussi puissant soit-il, il leur faudrait le détecter et se préparer pour contrer le sort. Même la barrière qu’Alus avait rapidement dressée n’avait été possible que grâce à ses réflexes divins et à sa vitesse de construction de la magie.
« Cette neige fonctionne mieux que je ne l’espérais », marmonna Alus à l’intention de personne en particulier. Vanalis était une forteresse qui donnait un avantage topographique à ceux qui y vivaient. Les tunnels qui s’étendaient sous la terre en faisaient partie, mais la neige qui modifiait l’environnement bloquait aussi constamment leur invasion. « Quant au Lefkis, cela ne changera pas grand-chose si nous nous concentrons sur la façon de l’affronter maintenant ou plus tard. »
Il devra faire le point avec Lettie et son équipe au sujet du Mangeur de Gra. Comme il s’agissait d’un secret entre Berwick et lui, il aurait besoin qu’ils gardent le silence à ce sujet. En fin de compte, il devait leur faire confiance. Peut-être que la futilité qu’il ressentait était due au fait qu’il s’agissait de Lettie.
Tout en pensant à ces choses, Alus surveillait énormément leur environnement. « Madame Louise, comme vous le savez, je suis le seul à pouvoir m’occuper de Demis Brionach. Il ne devrait pas y avoir de danger à se séparer pour l’instant, mais il y en aura dans le futur. Il y a donc quelque chose que j’aimerais vous demander. »
Louise leva la tête et le regarda. « Si c’est quelque chose que je peux vous dire. »
« Savez-vous s’il y avait quelqu’un qui pouvait utiliser la magie de lumière dans le groupe précurseur ? »
Elle sursauta. « Qu’est-ce que ça veut dire ? »
« Hm ? Exactement ce que j’ai demandé. »
Louise fronça les sourcils devant le ton brutal et indifférent d’Alus. Il avait été prévenant avec Lettie, mais pour le meilleur ou pour le pire, Louise était la seule ici maintenant. Et comme c’était quelque chose qu’il allait devoir confirmer de toute façon, il valait mieux le faire quand il y avait moins de monde qu’il pourrait mettre en colère.
Loki n’avait pas non plus l’air particulièrement compatissante. Elle n’était pas aussi mauvaise qu’Alus, mais elle lui ressemblait en ce sens qu’il était peu probable qu’elle s’émeuve de cette situation.
Il ne voyait pas l’intérêt de déposer une fleur sur la tombe d’un mort, ni de lui donner de l’eau pour la maintenir en vie. Dans le monde extérieur, il n’y avait même pas une goutte d’eau à donner à une fleur déjà fanée.
Bien sûr, il n’était pas du genre à imposer ses valeurs aux autres, et ce n’était pas comme s’il ne pouvait pas comprendre ce que Lettie, Louise et les autres ressentaient. Il savait très bien qu’il était capable d’avoir des pensées inhumaines. Mais tout de même…
« … »
Alus prit la parole, tandis que Louise resta silencieuse. « Comme pour Lettie, je sens un fossé entre moi et les autres. »
« Non, c’est juste une différence de perception des choses », répondit Louise. « Vous êtes exactement le genre d’individu que j’ai entendu dire que vous étiez, Sire Alus. » Et elle semblait le regarder avec de la sympathie dans les yeux.
« Je suis heureux que vous soyez venue avec nous », dit Alus. Il pensait fermement que tous ceux qui s’efforçaient de devenir magiciens, comme ses élèves Tesfia et Alice, devraient avoir quelqu’un comme Lettie comme objectif.
Cependant, il ne voyait pas comment Lettie et l’escouade pouvaient ressentir leurs émotions dans de telles situations. Les autres semblaient le comprendre, mais pas lui. Comparés à eux, Loki et lui affrontaient le Monde extérieur avec un cœur froid. Ou plutôt, ils étaient devenus indifférents à la vie et à la mort.
Lorsqu’ils pénétraient dans le monde extérieur, un couvercle se refermait sur leurs émotions et mettait un frein à leurs sentiments. Ils ne s’intéressaient pas à la vie des autres, et même si une connaissance mourait, ils se disaient probablement : « Encore ? » Ils sentaient toujours cette attente froide au fond de leur esprit.
Même Loki ne voyait vraiment les couleurs du monde qu’à travers Alus. Ce n’était pas une question de bien ou de mal. C’était juste la façon dont les choses s’étaient passées.
Après un moment d’hésitation, Louise poussa un soupir de résignation. Ses pas se firent plus lourds. « Il y en avait un… » dit-elle en hésitant. « Un magicien qui pouvait utiliser l’élément lumière. L’Observateur. » Elle se tourna vers Alus, comme pour lui demander pourquoi il voulait savoir.
« C’est une confirmation. L’origine du sort utilisé par le Lefkis, Brionach, est un sort composite de lumière et de foudre. Par le passé, on a théorisé sur le fait que les Mamonos étaient incapables de manier la magie de lumière. Mais il y a une exception à cette règle. Et ce, s’ils ont réussi à acquérir l’information magique de l’élément lumière et à l’absorber. »
Alus évitait volontairement de le dire à voix haute, mais par « acquérir », il entendait bien sûr le consommer. C’est alors qu’il comprit enfin la raison de sa politesse et de son sentiment de familiarité envers Louise. Lorsqu’il faisait partie de cette équipe, il y avait eu quelqu’un qui lui ressemblait beaucoup.
« Sire Alus ! » Alors que cette pensée lui traversait l’esprit, la voix tendue de Loki parvint à ses oreilles.
« Je sais », répondit-il d’un ton exaspéré en s’arrêtant.
Une fois de plus, ils n’avaient pas pu détecter le Mamono avant qu’il ne soit assez proche pour être vu. Et s’ils empruntaient les anciens tunnels qui traversaient Vanalis, leur découverte prendrait encore plus de temps. Même maintenant, l’avertissement de Loki n’avait été donné que lorsque le Mamono se trouvait à cent mètres devant eux.
Si une partie de son corps n’était pas apparue au-dessus de la neige tombée, ils l’auraient peut-être vue encore plus tard. La neige n’était pas seulement un obstacle magique. Elle servait aussi de camouflage aux Mamonos.
Une classe D… Non, une classe C. Son évaluation de la situation était moins précise que d’habitude. Le Mamono de taille moyenne avait une tête inhabituellement petite et un corps massif. Il ressemblait à un sanglier sur deux pattes. Avec ses grands pieds, il se dirigeait vers Alus et les deux femmes.
En peu de temps, son corps musclé fut entièrement révélé au-dessus de la neige. Au bord de sa bouche se trouvaient d’épais crocs qui s’étendaient vers le haut. Une grande quantité d’air blanc et vaporeux s’échappait d’entre les crocs.
Au moment où Alus posait la main sur son AWR, Loki l’arrêta. « Je vais le faire », murmura-t-elle, en ramenant ses mains dans son dos. Sans attendre sa réponse, elle s’envola à travers la neige.
Elle accéléra comme un éclair, ne laissant derrière elle que des étincelles d’électricité. En un clin d’œil, elle réduisit la distance qui la séparait du Mamono. Mais ce n’était pas tout.
Loki s’était déjà placée derrière lui, les yeux rivés sur son cou épais. Elle abattit les couteaux AWR qu’elle tenait dans ses mains, plantant sans hésiter les couteaux dans le point faible du Mamono.
Il n’y avait pas de mouvements inutiles dans son attaque. C’était l’équivalent de la carotide d’un humain, mais elle ne laissa même pas au Mamono l’occasion de crier de douleur. Car, l’instant d’après, un éclair traversa ses AWRs et le grilla de l’intérieur. Loki donna un coup de pied dans le dos du Mamono qui tombait vers l’avant, et retomba sur la neige.
Même Alus avait été impressionné par son habileté à détruire le noyau en un seul coup.
« Ce n’est pas possible ! » Louise regardait avec étonnement. Elle avait l’air de connaître un peu Alus, alors il n’aurait pas été étonnant qu’elle connaisse aussi Loki. Mais quelque part au fond d’elle, elle avait dû la sous-estimer, pensant que les combats d’un Observateur ne serviraient pas à grand-chose.
En réalité, Lettie avait mentionné que Loki était une enfant soldate, qui avait participé à l’horrible programme d’entraînement des magiciens mis en place par l’armée dans le passé. Mais cela ne concernait que Loki. Ce que Louise savait d’Alus, elle le tenait d’une autre source.
L’existence du programme de formation était un sujet tabou dans l’armée. Une règle tacite voulait que l’on n’en parle pas. Non seulement il avait fait beaucoup de victimes, mais il avait été considéré comme un échec et fermé discrètement, toutes les archives importantes ayant été détruites. La jeune fille qui se trouvait devant elle était une rare survivante et une réussite encore plus rare.
En assistant au combat de Loki, Louise avait reconnu à contrecœur l’utilité de ce programme d’entraînement inhumain. Même si ce n’était pas éthiquement acceptable, la vérité était que la petite fille avait éliminé un Mamono plusieurs fois plus grand qu’elle. Et pendant un bref instant, Louise se sentit exaltée. S’ils pouvaient remplir une seule escouade avec une telle force de frappe, l’avenir de l’humanité serait radieux. Mais elle secoua rapidement la tête et serra ses lèvres l’une contre l’autre comme pour se gronder.
Ne prêtant aucune attention à Louise, Alus se contenta de dire quelques mots à Loki. « Tu t’es améliorée », dit-il en la félicitant alors que le Mamono se transformait en poussière.
« J’ai encore un long chemin à parcourir », répondit-elle modestement, mais elle ne put cacher la joie qui se lisait sur son visage. Puis elle se rendit compte qu’elle souriait, et se contint.
Avec un sourire en coin, Alus regarda le Mamono qui s’effondrait. « Si tu peux éliminer une classe C en un seul coup, tu devrais pouvoir te débrouiller contre tout ce qui n’est pas une grande menace. Et on dirait que tu peux dire où se trouve le noyau à bout portant. Le simple fait de pouvoir le confirmer est une bonne chose. »
« Oui. » Loki était un peu secouée, mais elle se réjouissait quand même. Même elle ne s’attendait pas à pouvoir abattre le Mamono en un seul coup. Elle avait laissé un faible courant parcourir le corps du Mamono en lançant son sonar à mana à bout portant, ce qui lui avait permis de détecter l’emplacement de son noyau.
☆☆☆
Partie 8
L’entraînement d’Alus pour l’amener à utiliser le sonar à mana de manière flexible et continue en combat avait porté ses fruits et amélioré ses capacités. Cela mis à part, sa capacité à comprendre avec précision le processus utilisé par Loki, malgré l’obstruction de la neige, était toujours aussi impressionnante. Loki était habituée à ce qu’il soit étonnant, mais elle espérait un jour pouvoir le surprendre et l’émerveiller à sa place, même si ce jour semblait encore loin.
« Hmm. »
Immédiatement après le moment de joie de Loki, l’expression d’Alus devint légèrement amère, ce qui fit bondir son cœur. « Y a-t-il eu un problème ? »
« Eh bien… Je veux bien, mais avec ça, il va falloir faire un détour. »
« Ah — ! » Loki poussa un glapissement, mais se couvrit rapidement la bouche.
En ce moment même, ils avaient divisé leurs forces et se dirigeaient vers la base. Ils avaient accepté le fait qu’ils pourraient être détectés pendant leur marche en tant qu’escouade à plein effectif, mais une fois qu’ils s’étaient séparés, la nécessité de rester sur leurs gardes pour toute fuite de mana était revenue sur le tapis. Ce n’était pas seulement vrai pour Alus et son groupe, mais pour tous les groupes.
Cependant, tout à l’heure, Loki avait utilisé la Force, le sonar à mana et un sort de foudre pour éliminer le Mamono, ce qui était sans doute assez grave. Il n’était pas certain qu’ils aient été détectés par le mana émettant à travers la neige, mais s’ils voulaient en être sûrs, ils devraient quitter leur emplacement actuel et prendre un autre chemin.
« Je suis désolée. » Loki baissa la tête en signe d’excuse.
Mais Alus posa sa main sur sa tête. « Le simple fait d’être capable de s’occuper habilement de ce Mamono était suffisant. En fait, chercher à se regrouper à nouveau dans deux heures, c’était peut-être trop demander. » Ayant réalisé que ses calculs étaient naïfs, Alus suggéra qu’ils fassent marche arrière et modifient leur itinéraire pour voir qui était derrière eux.
L’instant d’après, il aborda un tout autre sujet. « Au fait, je suis curieux de savoir qui vous a parlé de moi. » C’était une question qui lui était venue à l’esprit après l’avoir entendue marmonner. Il avait du mal à le formuler, mais son attitude à son égard était étrangement nostalgique.
Louise parut un instant surprise, mais se reprit rapidement et lui répondit par un sourire calme. « De la part d’une personne que vous connaissez bien, Sire Alus. Vous avez commencé à travailler avec l’armée à la même époque. Elle a même visité le festival du campus récemment, alors peut-être l’avez-vous déjà rencontrée ? »
« Je n’ai pas la moindre idée de qui vous parlez. Quel est son nom ? »
« C’est Elina. Elina Ovril. »
☆☆☆
Alors que le soleil commence à se coucher, Alus, Loki et Louise atteignirent enfin la base.
Comme ils voulaient éviter au maximum les rencontres avec les Mamonos, ils avaient fait de nombreux détours, ce qui avait permis à Alus d’apprendre une bonne partie de la géographie de Vanalis. Mais c’était peut-être à cause de cela qu’il était de mauvaise humeur et qu’il affichait une mine acariâtre.
Loki ne l’avait jamais vu aussi contrarié, aussi fût-elle surprise. Cependant, la vue d’Alus boudant comme un enfant était si inattendue qu’elle lui laissa une forte impression.
Loki fut très heureuse d’entendre Louise parler de l’enfance d’Alus alors qu’ils se dirigeaient vers la base. Louise ne l’avait entendu que de la bouche de l’autre femme, ce n’était donc que des ouï-dire. D’ailleurs, chaque fois que cette femme parlait d’Alus à Louise, elle avait toujours l’air de s’en vanter, il était donc possible que ses histoires soient enjolivées. Mais le fait qu’Alus fronce les sourcils lorsque Louise racontait ces histoires leur donnait de la crédibilité.
Quoi qu’il en soit, à cause de ces histoires, une atmosphère étrange régnait sur les trois personnes lorsqu’elles atteignirent la base.
Lettie et le reste de l’équipe se demandèrent ce qui s’était passé. Non seulement Alus avait un air boudeur sans précédent, mais Loki avait une expression joyeuse qu’elle ne pouvait pas cacher, et Louise avait l’air un peu déprimée, peut-être parce qu’elle en avait trop dit. D’ailleurs, tous les autres groupes étaient déjà arrivés, et il n’y avait pas eu de morts.
« Tu as l’air de t’amuser, Allie. S’est-il passé quelque chose de bien ? » demanda Lettie d’un ton malicieux.
Alus passa à côté d’elle avec une expression épuisée, et parla sans se retourner. « Est-ce que cela te semble amusant ? Commençons par confirmer la situation. »
La base était un espace creusé dans la paroi d’une falaise, de sorte que les murs rocheux étaient exposés, ce qui donnait une sensation de froid. Néanmoins, elle était équipée du strict minimum, et l’intérieur était spacieux, s’enfonçant bien plus profondément qu’Alus ne l’avait imaginé. « Cet endroit ressemble à un nid de fourmis. »
« C’est très bien comme ça », répondit Lettie. « Le plus important, c’est que l’ennemi ne l’ait pas encore remarqué. Alors, puisque nous sommes pressés par le temps, passons tout de suite à la planification. »
Alus et Loki furent conduits plus loin dans la base, dans ce qui ressemblait à une salle de conférence au milieu de laquelle trônait une longue table informe. Ils avaient probablement utilisé du bois qui traînait pour la fabriquer. Ils se trouvaient dans le monde extérieur, qui était très différent du monde intérieur et de son approvisionnement abondant. Lorsqu’il s’agissait de petites choses, les magiciens devaient être autosuffisants, et les tables et autres objets de ce genre étaient généralement fabriqués à la main.
Tout le monde se serra pour s’installer autour de la table. Une fois que les Singles, Alus et Lettie, avaient pris place, l’atmosphère changea brusquement.
L’expression de Loki se durcit, et elle serra inconsciemment les poings en les surveillant.
Alus fut le premier à prendre la parole. « Il n’y a pas eu de morts, c’est une bonne nouvelle, mais combien y a-t-il de blessés ? »
« Une poignée. Eh bien, cela n’aura pas d’impact sur le combat », dit Lettie. « Louise va s’occuper d’eux. Ils ne reviendront peut-être pas à la normale tout de suite, mais au moins, ils seront en mesure d’agir sans problème. »
Alus regarda la carte étalée sur la table et apporta quelques corrections à leur futur itinéraire en fonction des informations qu’il avait recueillies.
Ensuite, Lettie et son équipe partagèrent les informations qu’ils avaient recueillies. Un groupe avait rencontré trois Mamonos sur le chemin de la base. Bien que la stratégie de base soit l’évitement, ils n’avaient pas pu éviter le combat dans tous les cas. Alus et son groupe avaient pu éviter d’autres rencontres en faisant des détours, mais les autres groupes n’avaient pas eu la même chance.
Lettie indiqua les lieux où s’étaient déroulées les batailles et donna des informations sur les ennemis.
« Nous avons complètement perdu le compte du nombre de Mamonos. Et nous ne pouvons même pas faire de prédictions, hein ? » Alus avait un air pensif, mais il leva les yeux de la carte vers Lettie, comme s’il résolvait une question dans son esprit.
« Oh… tu l’as remarqué. »
« C’est ce que tu penses aussi… »
Les deux acquiescèrent, comme s’ils lisaient dans les pensées de l’autre, mais la plupart des autres restèrent dans l’ombre. Loki s’approcha d’Alus avec désinvolture et fit des allers-retours entre son visage et celui de Lettie.
« J’ai plusieurs questions en tête, mais la plus importante est celle de la localisation et des mouvements des Mamonos. Loki, imagine qu’il y ait un centre de commandement militaire au cœur de Vanalis. En partant de ce principe, ne penses-tu pas que les mouvements des Mamonos et le déploiement de l’escouade sont similaires à la stratégie de défense d’une base souvent utilisée dans Alpha ? »
« Je suis désolée. Je ne comprends pas vraiment », répondit faiblement Loki sur un ton d’excuse, mais Alus n’avait pas l’air particulièrement déçu. Elle pouvait se rattraper avec un certain degré d’expérience. Si, comme Alus, elle était confrontée à une grande variété de missions et qu’elle était exposée quotidiennement aux stratégies des généraux, elle les assimilerait naturellement. Même si elle ne connaissait que le champ de bataille, elle serait facilement capable de lire les intentions d’un commandant moyen.
« Les Mamonos ont tous été des faibles envoyés en éclaireurs, » dit Alus. « On pourrait les considérer comme des pions sacrifiés pour repérer notre force de frappe. »
Lettie acquiesça d’un air sérieux. Elle devait sentir que quelque chose n’allait pas, tout comme Alus.
Tous les groupes s’étaient retrouvés au combat trois ou quatre fois. Au début, chaque groupe avait combattu des Mamonos faibles, puis des Mamonos plus forts. De plus, à chaque combat, le type et la composition des Mamonos étaient pratiquement identiques.
En rassemblant les informations, ils avaient découvert que chaque escouade avait d’abord combattu des mamonos de classe E, puis des mamonos de classe B lors de la dernière bataille. Il ne s’agissait pas de rencontres fortuites. Il était clair que les Mamonos leur étaient envoyés par ordre de force. C’était comme s’ils étaient testés.
« Ça sent le roussi. Ces Mamonos utilisent-ils des tactiques humaines ? » s’interrogea Alus.
« On dirait bien, » dit Lettie. « Mais ce Lefkis semblait être tout seul. »
« Oui. Mon intuition me dit que ce n’est pas un commandant qui l’a ordonné, mais une entité en dehors de la stratégie, comme un sniper solitaire. »
« Alors, c’est l’autre classe A ? L’Ogma ? Cela signifierait qu’il n’est pas seulement intelligent, mais qu’il commande aussi les Mamonos. » Lettie avait du mal à croire ses propres paroles.
« Il pourrait utiliser l’élément sombre pour les contrôler. Ce n’est pas impossible, tu sais. J’ai eu affaire à un criminel qui utilisait la magie pour contrôler les autres. Il y a une différence entre les humains et les Mamonos, mais l’élément sombre devrait fonctionner de la même manière. »
Il se souvenait parfaitement de ce criminel. Ce magicien utilisant l’élément sombre ne se contentait pas de commander, il contrôlait complètement leurs esprits et les manipulait contre leur volonté. Cependant, les recherches sur les deux éléments — lumière et ténèbres — étaient encore à la traîne par rapport aux autres recherches. Même Alus n’était pas sûr de savoir comment une telle chose pouvait fonctionner. Mais il était clair que c’était possible.
« Qu’est-ce que c’est que ça ? Je n’en ai pas entendu parler. »
« Et pourquoi le saurais-tu ? Il y a probablement plus de choses que tu ne sais pas que tu n’en sais. »
« Sire Alus, je n’en ai pas non plus entendu parler… » Tout comme Lettie, Loki parut un peu mécontente de sa réponse.
Pour une raison ou une autre, il avait l’impression qu’on l’accusait de ne pas être fiable. Il se frotta la tempe. Et s’il ne partageait pas tout ce qui s’était passé avec eux ? Le cœur d’une femme était encore quelque chose qu’il ne pouvait pas comprendre. « Si le dire vous satisfait… Alors je suis désolé. »
Il s’excusa juste au cas où, ce qui poussa Lettie et Loki à glousser l’une contre l’autre. Ils formaient une drôle de paire, et pour une raison ou une autre, il avait l’impression de s’être fait avoir. Peut-être parce qu’il était légèrement ébranlé par cela, Alus passa sans ménagement à un sujet plus sensible. « Alors, as-tu trouvé le groupe précurseur ? »
« Non… pas encore. Tout ce que nous avons fait, c’est récupérer les provisions. »
« Je vois. Vu la situation, le fait qu’ils n’aient pas apporté les fournitures eux-mêmes, ils sont déjà… »
La réponse de Lettie avait été simple, mais quand Alus avait vu l’expression compliquée apparaître sur son visage, il s’était rendu compte de son échec.
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Partie 9
« Ce n’est pas grave. En fait, je veux aussi entendre ton opinion, Allie. » En réalité, Alus n’avait pas besoin de dire quoi que ce soit, puisque Lettie avait déjà une idée de la situation.
Alus fit semblant de ne pas remarquer son expression et analysa calmement la question. « Ils ont dû laisser les provisions en cas d’urgence, d’autant plus qu’ils étaient si proches de la base. Ils n’auraient pas voulu que la base principale soit découverte par les Mamonos. Il est donc naturel de supposer qu’ils ont battu en retraite, ou qu’ils se sont déplacés vers un endroit plus propice au combat. »
« Ils sont probablement en attente dans une autre base », avait convenu Lettie, après une pause.
Alus avait l’impression d’avoir mal géré la discussion. Il avait combattu aux côtés de Lettie à de nombreuses reprises, et il connaissait bien sa personnalité et ses méthodes. Mais cette fois-ci, il était dans son escouade, alors peut-être devrait-il éviter de dire quoi que ce soit d’inutile. Il n’était pas du genre à se préoccuper des autres, mais il était redevable à Lettie de l’incident de Demi Azur.
C’est alors que Louise prit la parole. « Lady Lettie, j’ai quelque chose à dire ! » Elle devait vouloir éviter à Alus d’avoir à le dire.
Mais cette considération avait fait prendre conscience à Alus de sa propre insuffisance. Pendant un instant, il avait fait preuve d’une pitié inutile envers Lettie, par intérêt. Ils étaient tous deux des Singles. Le fait d’agir de cette manière détourné revenait à saper l’autre personne.
« Non, je vais le dire. » Alus arrêta Louise, et partagea l’information sur Demis Brionach. Comme il l’avait dit auparavant, Brionach était basé sur l’élément lumière, qui était un élément que les Mamonos ne pouvaient normalement pas utiliser. Il expliqua ensuite sans détour sa théorie sur la possibilité de s’attaquer à quelqu’un ayant cette capacité.
« Je vois », répondit Lettie d’une voix étonnamment calme, avant d’arrêter de parler. Elle ne pouvait pas rester indifférente à la mort des gens comme Alus.
En fait, c’était Alus qui était défectueux en tant qu’être humain. « Je ne suis pas du genre à m’accrocher à des espoirs inutiles. Il est probablement au moins trop tard pour l’Observateur, » dit Alus. À sa manière maladroite, il était sincère. Même s’il voulait lui offrir quelques mots attentionnés pour la consoler, il n’était pas qualifié pour le faire. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était présenter la vérité, même si elle blessait l’autre partie.
Dans le monde extérieur, les paroles de réconfort ne signifient rien. Il se demanda s’il serait capable de cracher un mensonge si cela devait améliorer le moral de l’escouade. Si cela lui était profitable, pourrait-il remplir le cœur de quelqu’un d’un réconfort superficiel ?
Alus chercha la réponse dans son cœur. Son cœur était aussi froid que l’acier, ce qui rendait son cœur encore plus froid.
Après un moment de silence, Lettie murmura lentement : « Quelles sont les chances ? »
« Hm ? »
« Je veux dire, quelles sont les chances que le détachement précurseur ait survécu ? »
« Pour être honnête, je ne sais pas. Il est possible que je me trompe sur la façon dont les Mamonos peuvent apprendre l’élément lumière. Mais si vous gardez espoir, vous finirez par être déçu », dit Alus, comme s’il se parlait à lui-même. Qu’il s’agisse d’une leçon tirée de l’expérience ou non, tout le monde dans la pièce comprenait ce qu’il voulait dire.
« C’est toujours comme ça. Merci », dit Lettie. Cependant, l’expression douce qu’elle avait en disant cela n’était pas celle d’une magicienne. Elle passa la main sur son front et tira sur sa frange avec une expression douloureuse. « Ça fait mal d’avoir plus de gens à pleurer… »
« Désolé. Je ne suis pas assez sensible pour être d’accord avec toi aussi facilement. Mais bon, j’ai l’habitude de voir cette expression, donc je peux comprendre ce que tu ressens. »
Lettie laissa échapper un soupir triste, probablement rempli de regrets. C’est elle qui avait donné l’ordre de former une avant-garde pour transporter les provisions. Mais ça, c’était approprié venant de Lettie. « C’était aussi des soldats. Ce n’est pas comme si je gardais des enfants », se dit-elle.
Tous les magiciens du monde extérieur étaient ainsi. Ils continuaient à avancer, même si cela signifiait marcher sur leurs alliés morts. S’ils n’y parvenaient pas, ils devaient se replier dans le monde intérieur.
« Allie, sais-tu comment surmonter une telle situation ? »
« Pas vraiment. Je n’y ai jamais trop réfléchi. »
« Wôw, c’est froid. Eh bien, c’est probablement bien aussi, mais ce n’est pas bon pour toi. » Lettie se forçait à prendre un air joyeux.
Alus s’en rendit compte et décida de faire comme si de rien n’était. Étant aussi maladroit qu’il l’était, tout ce qu’il pouvait faire était d’agir comme il l’avait toujours fait. « Je n’ai pas besoin que tu me dises comment je dois gérer les choses. Mais puisque tu as l’air de vouloir dire quelque chose, je t’écoute. »
« Tu dois être plus honnête avec toi-même », déclara Lettie, avec un haussement d’épaules et un sourire ironique. Elle se leva et mit les mains sur les hanches. « Vous passez du temps ensemble. Vous continuez à aller dans la même direction. Ceux qui survivent continuent tranquillement à remplir leur mission jour après jour ! Comme ils l’ont toujours fait. C’est la seule façon de perpétuer les sentiments de ceux qui sont partis. »
« … »
« C’est pourquoi nous allons certainement prendre Vanalis. Et nous pourrons tous rire ensemble. »
Alus avait l’impression qu’elle parlait de l’aspect mental des choses. Il voyait bien qu’elle parlait de quelque chose qu’il ne comprendrait probablement jamais. Après tout, contrairement à la méthode de Lettie pour faire face aux morts, tout ce qu’Alus avait fait jusqu’à présent était de leur tourner le dos et de les abandonner.
Lettie avait peut-être raison de dire que ce n’était pas bon pour lui, mais il était trop tard pour changer. En même temps, il enviait son mode de vie. C’est pourquoi il avait dit quelque chose qu’il ne croyait pas vraiment. « Oui, peut-être. »
Même lui estimait que c’était assez transparent. Il se moqua de lui-même en pensant à cette réponse facile. Le simple fait de savoir qu’il ne comprendrait jamais l’autre partie lui donnait froid dans le dos.
Le côté où se trouvait Lettie était plein d’amis, vivants ou morts. Et le côté où se trouvait Alus était celui d’une solitude inéluctable. C’était froid et sombre, un désert pour l’âme. Là, Alus était seul. Il ne pourrait jamais passer du côté de Lettie. Même s’il n’y avait qu’une ligne blanche peinte sur le sol, à un pas de là, il ne pourrait jamais la franchir. C’était pour cela que son côté était si lumineux.
Mais il ne s’était pas laissé abattre. Il avait largement dépassé ce stade. Il marcherait simplement sur ce chemin dur et solitaire jusqu’à ce qu’il en atteigne la fin.
Soudain, une traction sur sa manche ramena sa conscience à la surface. Lorsqu’il baissa les yeux, il put voir les cheveux argentés de celle qui se trouvait derrière le petit acte.
La jeune fille aux cheveux argentés n’avait même pas levé les yeux vers lui. Elle se contenta de tirer sur sa manche, comme pour lui signifier que sa place était ici. Qu’elle soit à ses côtés, qu’elle le soutienne, c’était comme un poids sur ses épaules.
Elle avait volontairement choisi de rester avec lui. C’est une idiote qui avait choisi le seul endroit où soufflaient des vents froids.
Alus ne la regarda pas. Mais la sensation de sa petite main tirant sur sa manche demeurait.
En fin de compte, sa solitude avait été facilement comblée. Il s’était rendu compte qu’il ne resterait pas seul dans l’ombre, ce qui l’avait presque rendu sentimental.
Il eut envie d’examiner l’expression de Loki, mais il était persuadé qu’elle correspondrait à ce qu’il avait imaginé. Sous ces cheveux argentés se cachait sûrement une expression pleine de douceur. Elle était assez folle pour renoncer à sa propre vie à cause d’une décision prise à pile ou face. Ainsi, elle pouvait tout laisser au destin, car c’était pour le bien d’Alus.
C’est pourquoi sa présence, et la sensation de sa petite main chaude apporta un changement à son visage inexpressif. « C’est vrai… ça ne change rien à ce que nous devons faire, » murmura Alus.
« Ha ha, je vois que tu es toujours aussi sec, Allie. Il est donc temps que nous nous remettions au travail en tant que magiciens. Pour commencer, j’aimerais savoir ce que tu attends de nous en ce moment », dit Lettie d’un ton enjoué. Il n’y avait plus d’hésitation dans son expression. Au contraire, elle était franche et forte, prête à remplir sa mission, l’image même d’un magicien.
À ce stade, Alus n’était pas réticent à lui donner des conseils. Comme Lettie, il portait le titre de Single. Dans ce genre de situation, sa personnalité qui lui permettait d’abandonner toute considération inutile était la bienvenue.
Cela dit, il n’avait jamais vraiment eu beaucoup de considération pour les autres. Mais aujourd’hui, en comparaison, il avait l’impression d’être emporté par les émotions. Peut-être est-ce dû à son séjour à l’Institut ? Ou peut-être est-ce dû à l’influence de Fia et d’Alice… Quoi qu’il en soit…
Alus changea de vitesse et remit son masque du Monde extérieur. Il était différent de celui qu’il utilisait lorsqu’il courait seul dans le Monde extérieur, ainsi que de celui qu’il utilisait lorsqu’il menait une vie tranquille dans le domaine humain. « Très bien, passons aux choses sérieuses. »
Lorsqu’Alus déclara cela, Lettie et son équipe changèrent d’expression. Sajik croisa les bras avec un sourire intrépide, tandis que Mujir fixait la carte d’un air sérieux. Ces deux-là étaient les bras droits de Lettie. Avec Alus et leur capitaine en mouvement, ils étaient emplis de motivation.
« Vous allez éliminer l’Ogma et le Lefkis sans moi et Lettie. Nous ne tiendrons pas compte des autres Mamonos de haut niveau que vous avez confirmés pour le moment. Avec les anomalies qui se produisent à Vanalis, il y a trop d’éléments incertains, nous allons donc donner la priorité à ces deux Mamonos gênants », expliqua Alus. « Si nous pouvons au moins éliminer ces deux-là, il sera beaucoup plus facile de vaincre le chef. Et pour ces deux-là, ne vous inquiétez pas, j’ai une piste. Je ne vous le dirai qu’une seule fois, alors écoutez bien. »
Il vérifia que tout le monde écoutait bien, puis partagea son analyse de la situation actuelle, ainsi que la stratégie qu’il avait élaborée.
Les Mamonos que l’avant-garde avait rencontrés, ainsi que ceux rencontrés par les groupes lorsque l’escouade s’était séparée, avaient probablement subi un lavage de cerveau de la part de l’Ogma. Ils servaient d’yeux, d’oreilles et de membres à l’Ogma. Surprenant ou non, c’était le Monde extérieur. Il ne serait pas impossible qu’un Mamono évolue pour atteindre une telle intelligence.
Ces dernières années, ce type d’évolution anormale était devenu particulièrement visible. C’est pourquoi il pensait que le Mamono était probablement en train de les analyser avec les informations dont il disposait. Il valait mieux supposer que toutes les informations de ceux qui s’étaient battus avaient été divulguées à l’ennemi. Il y avait encore moins de raisons de nier que les premiers Mamonos qu’ils avaient combattus avaient été envoyés comme pions sacrificiels pour mesurer leurs capacités.
L’environnement de Vanalis ayant changé, c’était un monde différent que même Alus ne pouvait pas comprendre. Si je prends le temps de le faire par moi-même, je devrais pouvoir m’en sortir… Non, ce n’est pas la peine. S’il faisait une erreur, tout le plan serait chamboulé.
De plus, c’est Lettie et son équipe qui avaient été chargées de la mission. Comparé à eux, Alus n’avait que peu d’expérience du combat en escouade, et aucune expérience de l’appui aux autres. Loki et lui n’étaient là qu’en tant qu’assistants, mais après avoir fait tout ce chemin, cela ne suffirait pas.
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Partie 10
« L’Ogma ne peut pas être ignoré. Le premier Mamono que nous avons rencontré était sans aucun doute de classe A, et si même lui a pu laver le cerveau, alors nous ne pouvons pas nous permettre de l’ignorer. Mais cela mis à part, le Demis Brionach à longue portée du Lefkis doit être traité immédiatement. Dans le pire des cas, il pourrait tous nous anéantir. »
« Hm ? Tu es le seul à pouvoir y faire face, n’est-ce pas Allie ? »
« Oui, pour l’instant, je ne peux utiliser que ma capacité spéciale. »
Lettie réagit légèrement aux mots « capacité spéciale ». Après la bataille de Demi-Azur, elle avait directement confronté Berwick à ce sujet. En fin de compte, elle avait été repoussée, ce qui signifiait qu’il s’agissait d’un sujet extrêmement confidentiel. « C’était cette brume noire, n’est-ce pas ? Pendant la mission Demi Azur, Mme Rinne a dit qu’il serait dangereux de la toucher. »
« Il n’y a aucun doute à ce sujet. Cela se moque des amis et des ennemis. Et s’il absorbe trop de mana, il devient incontrôlable. »
Lettie fut surprise qu’Alus n’hésite pas à dévoiler son secret. Il s’y était préparé depuis le moment où il avait décidé d’en faire sa carte maîtresse. Bien sûr, s’il ne s’agissait pas de Lettie, il l’aurait gardé secret.
« En es-tu sûr ? Le gouverneur général ne m’a jamais rien dit en fin de compte. »
« À t’entendre, on croirait que tu l’as torturé. »
« Quelle impolitesse ! Comme si une jeune fille frêle allait se tourner vers la torture. Eh bien, je l’ai piqué ici et là, mais il n’a jamais craché quoi que ce soit. »
Les seuls à pouvoir adopter ce genre d’attitude avec le gouverneur général étaient les deux Singles. Ou peut-être était-ce simplement parce qu’Alus et Lettie étaient spéciaux.
« Je ne suis pas sûr que ce soit beaucoup mieux. De toute façon, je n’avais pas d’autre choix que de le révéler. Mais ne vous méprenez pas, il y a encore beaucoup de choses que même moi je ne sais pas à propos de ma capacité spéciale. »
« J’ai compris ! J’ai quand même l’impression que toi et moi sommes beaucoup plus proches maintenant. »
« Ce n’est que de l’imagination. »
« Méchant. »
Tout comme avec Loki, il semblerait selon Alus que le fait de partager des secrets avec des femmes les faisait réagir de manière excessive.
Pour une raison qu’il ignorait, Loki était intervenue. « Veuillez en rester là, Lady Lettie. La capacité spéciale de Sire Alus est un secret militaire. J’en ai fait l’expérience. Même s’il y a une limite à ce qu’il peut absorber, c’est très puissant et étonnant », dit-elle, comme pour dire qu’elle en savait plus.
Lettie lui sourit. « Je suis au courant de la limite et de tout le reste. Après tout, Allie vient de me le dire. »
Se rendant compte que son jeu puéril avait été perçu, Loki rougit et détourna la tête.
L’ambiance était devenue plutôt morose, mais être trop sérieux pouvait aussi se retourner contre soi. Alus ignora donc le flux actuel de la conversation, et continua. « Lettie et Sajik sont probablement les seuls à pouvoir esquiver le Demis Brionach en utilisant la Force. Mais même dans ce cas, vous n’en sortiriez pas indemnes. » Il n’incluait pas Loki, car elle ne pouvait pas contrôler sa Force aussi précisément que Sajik.
« La priorité absolue est donc le Lefkis », dit Lettie. « Et l’Ogma ensuite. Alors, qui est derrière la neige ? »
Alus n’avait pas de réponse immédiate à sa question désinvolte. C’était bien là le problème. Les sorts de modification de l’environnement étaient tous de niveau expert ou supérieur. La magie était peut-être née chez les Mamonos, mais un Mamono normal n’aurait jamais pu utiliser des sorts de ce niveau.
Il était clair qu’un Mamono de classe supérieure à A était impliqué. De plus, la mission de Vanalis était limitée dans le temps. Depuis l’incident de Demi-Azur, le Monde extérieur était en effervescence, et si une classe S marchait sur Alpha pendant que ses deux Singles étaient absents, ils n’auraient aucune chance. Si cela se produisait, les dégâts seraient horribles.
Sans compter que le temps n’était pas leur seul ennemi. Les Mamonos avaient déjà détecté Alus et les autres. Ils avaient peut-être réussi à tromper leur regard pour l’instant, mais les réserves de nourriture de l’escouade étaient limitées. Ils ne pourraient donc pas rester sous le radar jusqu’à ce que les choses se calment. Si les Mamonos les encerclaient et se rapprochaient, Alus et l’escouade finiraient par être débusqués.
« C’est probablement la classe S qui domine ici qui est responsable de la neige, mais… » Alus s’arrêta un instant, laissant l’ambiance sérieuse envahir la pièce.
Alors que tout le monde était silencieux, Loki demanda : « Et si ce n’est pas le cas ? »
« Exactement. Il y a un risque de penser que c’est lui qui est responsable, et de s’acharner contre lui. Mais de toute façon, cette neige nous désavantage. Elle peut dévier une détonation, il sera donc très difficile de frapper à distance. Pendant ce temps, ils peuvent nous attaquer sans entrave, comme l’a fait le Lefkis. »
Alus parla franchement, avec une certaine amertume dans le ton. « Quoi qu’il en soit, le temps nous est compté. Nous avons besoin d’une méthode pour traiter les Mamonos de classe S et de classe A. Je pensais à une division en groupes afin de les éliminer individuellement, mais cela diminue les chances de succès. »
Il était normal qu’on leur demande beaucoup lors des missions dans le monde extérieur. Alus y était habitué, et ce n’était pas le genre de chose à faire des histoires. Cependant, cette fois-ci, le choix était rude, et il avait un mauvais pressentiment.
Il n’était pas le seul à être concerné, puisque Lettie avait pris la parole en toute décontraction. « Eh bien, c’est très bien. Quand c’est tout ou rien, les chances de réussite ne changent pas, même si on y réfléchit bien. Tu le sais aussi, n’est-ce pas, Allie ? » Elle l’avait dit si naturellement qu’on aurait dit qu’il s’agissait de quelque chose de normal, et non de quelque chose qui mettait la vie en danger.
Le monde extérieur était en constante évolution, ce qui mettait les magiciens à rude épreuve. Et les magiciens étaient ceux qui utilisaient leur pouvoir et leur intelligence pour surmonter ces épreuves. Lettie et son équipe l’avaient toujours fait auparavant. Et ils le feraient encore aujourd’hui, plutôt que de croire en quelque chose d’aussi inaccessible que la perfection.
Alus n’irait pas jusqu’à les qualifier de fiables, mais il sourit un instant, avant de se crisper. S’ils voulaient accomplir la mission en peu de temps, ils allaient devoir le faire à la dure.
Sachant cela, il leva quatre doigts. « Les éliminer un par un est impossible. Nous n’avons toujours pas trouvé la classe S, sans parler de tous les tunnels qui traversent la région. Si nous bloquions notre cible, elle parviendra probablement à échapper à la détection et à déclencher une guerre d’usure… »
« … Et si cela arrive, nous n’aurons pas l’occasion de l’éliminer », termina Lettie pour lui.
Si l’Ogma lançait des Mamonos sur Alus et l’équipe dans le cadre d’un plan, il apprendrait progressivement leurs forces et leurs faiblesses. Après avoir vu le combat d’Alus contre le Mamono de type chrysalide, il ne ferait probablement pas tomber tous les Mamonos sur eux. Il n’essaierait pas non plus de se battre à un contre un.
En se régalant des victimes du détachement précurseur, l’Ogma avait dû acquérir beaucoup de connaissances et d’informations. Bien sûr, il s’agissait probablement d’informations auxquelles il n’avait pas accès auparavant, et il était donc peu probable qu’il puisse les appliquer.
Mais c’était peut-être un vœu pieux. Cette information avait peut-être déjà été communiquée à la classe S. Il était normalement impossible pour les mamonos de travailler ensemble, mais à Vanalis, l’impossible était déjà en train de se produire. La prémisse devrait être que leur expérience antérieure ne servait à rien ici.
En tenant compte de tout cela, il ne restait plus beaucoup d’options à Alus et aux autres. « Nous devons jouer leur jeu et être plus malins qu’eux. Il y a des conditions qui doivent être remplies avant que nous puissions vaincre la plus grande cible, la classe S. Ce n’est pas comme si nous allions perdre une bataille d’intelligence contre un simple monstre. »
Il montra ensuite à tout le monde la façon de revendiquer Vanalis. La stratégie ressemblait à un jeu d’échecs, utilisant l’intelligence plutôt que la force pour éliminer le roi. « Si la classe S apparaît, Lettie et moi l’affronterons. Je ne sais pas de quel type de Mamono il s’agit, mais partons du principe qu’il est responsable de la neige. Il y a un risque si nous nous trompons, mais nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer la pièce la plus forte de l’ennemi. Il faudra au moins s’attaquer au chef. J’ai aussi quelques idées sur les endroits où les grands Mamonos peuvent se cacher. »
Alus avait une idée du terrain grâce à une vieille carte de Vanalis. Elle ne contenait pas d’informations détaillées sur les tunnels, mais il y avait ajouté les informations qu’il avait obtenues en voyant les choses par lui-même. « J’aimerais laisser l’élimination de l’Ogma à Sajik, et celle de Lefkis à Mujir. Loki, tu rejoindras le groupe de Mujir. »
Loki avait eu l’air choquée. Elle avait été convaincue qu’elle resterait avec Alus. Elle tourna les yeux vers Alus, voulant dire quelque chose, mais il l’arrêta d’un regard sévère.
Alus avait ses propres idées pour choisir les gens qu’il choisissait. Puisqu’il était allé aussi loin, même Loki ne pouvait pas montrer ouvertement son mécontentement. En tant que partenaire, elle ne pouvait pas se permettre de contester son autorité et de risquer de salir son nom. Alors, à contrecœur, elle ferma les yeux et recula.
Après en avoir pris note, Alus poursuivit. « Nous choisirons également un groupe de recherche distinct pour le groupe de tête. Ils partiront après nous. » C’était une suggestion qui prenait en compte la coordination de l’escouade. C’était inhabituel pour lui, et c’était plutôt un mauvais pari. Il n’aurait jamais approuvé un tel plan dans le passé.
Comme nous travaillons ensemble, leur force sera déterminante. Je suis quand même surpris de penser que c’est la meilleure chose à faire. Il ne tarit pas d’éloges sur l’équipe de Lettie, qui était au cœur du plan. « Je laisse à Lettie le soin de choisir le personnel. »
« Dans ce cas, ne t’inquiète pas. S’appuyer sur ces idiots peut être très amusant. C’est génial de donner des ordres d’en haut et de les voir se casser le dos pour y arriver. » Lettie adressa un sourire malicieux à Alus.
Les humains n’étaient jamais parfaits, et avec d’innombrables possibilités imprévisibles, n’importe quel plan aurait des failles. C’est pourquoi Alus n’accordait que rarement sa confiance à ce genre de choses. Mais il était là, à présenter un plan pour essayer de faire avancer la situation, même s’il savait que son propre jugement et ses capacités en tant que magicien faisaient toute la différence dans le Monde extérieur.
« Très bien, finissons-en. Il ne nous reste plus qu’à faire la même chose que d’habitude, tuer les Mamonos. C’est tout. » Alus conclut la réunion, et la tension qui régnait au sein de l’escouade se dissipa tandis que tous souriaient.
Tandis que les membres de l’équipe discutaient de la simplicité et de la dangerosité de la situation, la longue réunion stratégique prit enfin fin.
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Chapitre 54 : Au moins humainement
Partie 1
Tout le monde avait gravé le plan d’Alus dans son cerveau en vérifiant la carte. Lorsqu’ils eurent terminé, il faisait déjà nuit. La faible lumière de la lune éclairait étrangement la neige sur laquelle elle tombait.
Le plan commencerait demain matin. Les seuls à agir la nuit, lorsque les Mamonos sont plus actifs, sont les imprudents et les fous.
Dans la base, les membres de l’escouade se préparaient pour le grand jour. Certains discutaient entre eux de manière détendue, ce qui créait une bonne ambiance dans la base.
L’équipe de Lettie avait du cran. Dès qu’un plan était mis en place, ils s’y adaptaient rapidement. Cependant, même au milieu de cela, des ombres se profilaient au-dessus d’eux.
Alus avait choisi de ne pas en parler, mais le sort du détachement précurseur en faisait partie. L’équipe de recherche qui allait les chercher enquêterait sur les autres petites bases. Il y avait beaucoup de gens qui insistaient sur le fait qu’ils pouvaient se cacher là-bas, y compris Lettie.
Cela signifiait diviser leurs forces déjà limitées, mais Alus considérait que c’était inévitable d’un point de vue émotionnel. Ils n’étaient pas comme lui. Ils n’étaient pas des machines qui ne ressentaient rien face à des alliés morts. Ce lien était leur force… et leur faiblesse. Même s’il pouvait le comprendre dans sa tête, il ne pouvait pas compatir.
Pour l’instant, il était un peu trop tôt pour aller se coucher, alors il se promena dans la base. Elle n’était pas assez grande pour qu’il puisse y faire une longue promenade, mais juste un petit déplacement pour changer de rythme.
Ses pas résonnaient légèrement. Sur les murs se trouvaient des lumières alimentées par des générateurs de mana artificiel. Il y avait un risque que la base soit détectée, mais tant que l’entrée était scellée, il n’y avait pas de problème. Les générateurs étaient utiles pour les longues missions avec un grand nombre de personnes et avaient moins de chances d’être détectés que le mana pur.
Finalement, Alus atteignit une certaine pièce. Dans un coin se trouvaient les provisions que le détachement précurseur avait laissées derrière lui, principalement de la nourriture et des AWRs de rechange, ainsi que divers articles pour l’entretien et le travail, et de petits morceaux de papier sur lesquels étaient inscrites des formules magiques de guérison pour soigner les blessés. Il y avait aussi des fusées de signalisation gravées de formules magiques à usage unique.
Cependant, il n’y avait rien ici dont ils auraient spécifiquement besoin pour le plan de demain. Il avait également repéré de l’alcool, mais avait décidé de faire comme s’il ne l’avait pas vu.
« Qu’est-ce que c’est que ça ? » Loki, qui était apparue à un moment donné, sortit de derrière Alus et regarda la montagne de fournitures. Ce qui attira son attention fut un objet étrange qui se distinguait parmi les fournitures apportées. Il était enveloppé dans un tissu sale pour le protéger, et ressemblait à un poteau épais.
Lettie arriva également dans la pièce. Elle demanda aux trois subordonnés qu’elle avait amenés avec elle de soulever l’objet.
Voir le soin qu’ils y apportaient éveilla même l’intérêt d’Alus. Il jeta un coup d’œil à Lettie, qui hocha la tête en retour, et arracha le tissu. Un poteau recouvert d’un matériau blanc et translucide fut révélé. À l’intérieur se trouvaient des machines précises assemblées de manière complexe, et le sommet du mât était gravé d’une formule magique complexe.
Alus examina la formule. « Ce n’est pas une formule avec un attribut. Elle trace la structure d’un sort, mais ne manifeste rien. Je vois, le circuit duplique le processus, » murmura-t-il pour lui-même. « Le processus de copie est des dizaines, non, des centaines de fois plus efficaces. »
Puis il le quitta des yeux et expira. « Les coordonnées de manifestation sont également gérées par un autre processus. En d’autres termes, il s’agit d’un port circulaire. »
« C’est bien toi, Allie ! Je n’avais aucune idée de ce que c’était jusqu’à ce qu’un subordonné qui connaissait les détails me l’explique. »
« J’imagine que oui. C’est moi qui ai mis au point la formule de composition. Cela dit, elle a été pas mal modifiée depuis, donc je ne vais pas dire effrontément que c’est moi qui l’ai faite. Ce n’est sans doute pas non plus la seule chose qui a été modifiée. »
D’un simple coup d’œil, il avait probablement des fonctions intégrées qu’il ne pouvait même pas deviner. La structure elle-même était comme une boîte noire, mais il était clair qu’un système de calcul à grande vitesse était incorporé pour les parties qui ne pouvaient pas être complétées par la formule magique. Sinon, un appareil de cette taille ne serait pas capable d’exécuter une formule aussi compliquée. « Non seulement il est plus compact, mais il peut être utilisé à une distance encore plus longue. Ils ont donc réussi à le rendre pratique. »
« Apparemment, il n’est qu’à moitié terminé, » dit Lettie. « Mais nous sommes dans le Monde extérieur, il serait donc impossible de le rendre pratique tout de suite. Mais une fois que Vanalis aura été récupéré, que les bases auront été posées et que la technologie de transfert sera plus pratique ici, cela améliorera grandement le transport des fournitures. »
Lorsqu’Alus avait récupéré Covent, cette technologie aurait été d’une aide précieuse. Mais les ports circulaires n’étaient pas si développés à l’époque. Tout au plus, ils faisaient l’objet d’expérimentations chez eux, en Alpha.
D’ailleurs, dans cette mission, les hauts gradés ne s’attendaient pas à ce qu’Alus survive. Ou plutôt, ils auraient préféré qu’il ne survive pas. Sinon, ils n’auraient pas envoyé un garçon dans le Monde extérieur, seul et sans aucune voie de ravitaillement décente. Ce n’était rien d’autre qu’une mission suicide.
« Quoi qu’il en soit… »
« Hm ? » Alus fut ramené à la réalité par Lettie, qui se gratta la joue en hésitant à continuer.
« Je, euh… Je veux que tu vérifies s’il est cassé ou non. C’est probablement bon, mais c’était avec les fournitures que nous avons ramassées ici, donc juste au cas où, tu sais. »
« Je ne vais pas dire non, mais n’as-tu pas amené quelqu’un qui pourrait le faire lui-même ? » D’après ce qu’il avait vu, il s’agissait d’une pièce d’équipement très délicate. S’ils allaient l’utiliser dans le cadre d’une expérience, ils auraient dû amener un expert capable de le réparer au cas où quelque chose arriverait.
« Heureusement, nous avons quelqu’un ici », dit Lettie en désignant Alus.
La joue d’Alus tressaillit sous le coup de la malchance. On lui imposait encore plus de travail, mais il se disait que c’était nécessaire puisqu’ils travaillaient ensemble.
« J’avais quelques membres doués pour la technique, mais malheureusement, ils étaient dans le détachement précurseur et ne sont donc pas présents pour l’instant. De plus, je n’ai pas vraiment envie de laisser entrer quelqu’un dans l’équipe juste parce qu’il a des connaissances techniques… Je suis timide avec les étrangers, tu sais », déclara Lettie sans vergogne.
Si elle était timide, alors Alus souffrait d’un grave trouble de la communication.
« Blague à part, nous n’avions pas le luxe d’emmener quelqu’un qui nous gênerait pour combattre dans le monde extérieur. »
« Alors tu as vraiment de la chance que je sois là. Mais tu n’as pas de pièces de rechange ici, n’est-ce pas ? Si c’est vraiment cassé, il n’y a rien à faire. Je ne suis pas vraiment un expert en machines. » Alus n’était pas omniscient. Il avait de nombreuses connaissances en magie, mais il n’avait pas l’expérience ou les compétences requises en ingénierie mécanique et autres pour être utile sur le terrain. C’est pourquoi il avait demandé à l’ingénieur Folen Budna de l’aider à mettre au point son AWR, la Brume nocturne.
Après cela, Alus procéda à une simple vérification du port circulaire et conclut qu’il n’y avait probablement pas de problème. Les portes de transfert appelées ports circulaires étaient des équipements sensibles, qui n’étaient pas normalement introduits dans le monde extérieur. Même si la boîte noire avait été modifiée pour être plus solide, Alus ne pouvait pas savoir si elle était en bon état à moins de la démonter.
« De toute façon, ce n’est pas comme si nous pouvions la déplacer à notre guise. Il ne jouera donc aucun rôle tant que nous n’aurons pas repris Vanalis. Nous n’avons donc pas besoin d’y penser trop fort jusqu’à ce que…, » Alus commença à dire quelque chose, quand une soudaine prise de conscience le frappa et le fit réfléchir.
C’est lui qui a créé les fondations des Ports Circulaires. Ou plutôt, il avait conçu la théorie du transfert d’informations d’un endroit à un autre, ce qui avait conduit à sa création. Mais même cela n’était qu’un sous-produit de la création du sort de Remaniement. « Hé, crois-tu qu’il y aurait un problème si je le cassais ? »
« Qui sait ? Cela a l’air cher, mais je suppose que cela dépendra de l’aspect pratique de la chose. Mais pour être honnête, je ne pense pas que le gouverneur général soit assez sénile pour espérer sérieusement quelque chose de cette porte de transfert. »
« Oui. Alors je vais considérer cela comme quelque chose à “utiliser”, donc il n’y aura pas de problème. »
« On dirait que tu as l’intention de lui faire quelque chose de mal », dit Lettie, d’un ton qui semblait dire qu’elle renonçait au Port Circulaire, et non pas qu’Alus ait dit qu’il allait vraiment le briser.
« Non, c’est pour augmenter les chances de réussite de la mission. Mais je suis sûr que ceux qui l’ont créé ne s’attendaient pas à ce qu’il soit utilisé de cette façon. »
☆☆☆
C’était tôt le matin, et le soleil était sur le point de se lever.
La base était aussi silencieuse qu’un cimetière. Même Sajik et les autres qui pouvaient réveiller les morts avec leurs ronflements dormaient étrangement tranquillement.
Normalement, les gens avaient du mal à se reposer dans le monde extérieur. Mais quiconque passant suffisamment de temps ici finissait par s’y adapter. Bien sûr, tout le monde gardait son AWR à portée de main.
Quand Alus se réveilla, ce fut comme si son geste était contagieux, car Lettie et le reste de l’escouade se réveillèrent l’un après l’autre. Peut-être avaient-ils tous une horloge interne, ou peut-être avaient-ils perçu un changement dans l’atmosphère ? Bientôt, le signal du début de la mission serait donné. Ils avaient terminé tous les préparatifs hier.
Alus était assis à l’entrée de la base, attendant que le moment vienne. Les mamonos avaient tendance à être plus actifs la nuit et relativement calmes le matin.
La lumière du soleil finit par pénétrer dans la base. Alus se leva. « Allons-y. »
« Oui ! » répondit Loki. Elle était plus enthousiaste que d’habitude.
Elle était l’une des moins expérimentées. Même son nombre de mamonos tués, qui était extraordinaire pour quelqu’un de son âge, se situait dans le bas de l’échelle de cette escouade. Alus estimait que ses compétences se situaient également dans la moitié inférieure de l’équipe. Rang mis à part, il n’y avait pas une grande différence dans les sorts qu’elle pouvait utiliser et les techniques de combat dont elle disposait par rapport à Sajik et Mujir. Il y avait une différence de mana, mais elle restait dans les limites de l’utile.
Il pouvait comprendre que Lettie veuille utiliser Loki. Non seulement elle était une observatrice, mais ses capacités de combat étaient plus qu’adéquates. Malgré tout, Alus avait des doutes. « Être motivé, c’est bien, et ce n’est pas comme si je voulais remettre en cause ton jugement, mais fais attention à ce qui t’entoure. » Il décida d’insister sur ce point de manière détournée.
Pour la mission d’aujourd’hui, Loki serait dans le même groupe que Mujir. Alus avait sa propre opinion sur cette décision, mais il se sentait toujours un peu mal à l’aise. Chaque fois que Loki agissait pour le bien d’Alus, elle était animée d’une forte volonté que l’on pourrait qualifier d’obsession. On pourrait même dire qu’il s’agissait de son identité, et elle était parfois accompagnée d’un entêtement qui ne laissait rien se mettre en travers de son chemin.
☆☆☆
Partie 2
Mais cette tendance pouvait s’avérer dangereuse lorsqu’on agissait en groupe. Lettie était la commandante de l’escouade, et Alus respecterait ses décisions. Après tout, une escouade ne peut donner le meilleur d’elle-même qu’avec une chaîne de commandement claire et une coordination solide.
« Oh ? Je pensais assister à une scène réconfortante, mais tu as l’air d’un vieil homme têtu. »
« Cela ne te regarde pas. De plus, je peux plus ou moins imaginer à qui tu penses, alors peut-être que je leur dirai que tu as dit ça. »
Lettie se moqua, puis s’approcha de Loki et posa ses mains sur ses épaules. « Tu es très bien comme tu es, petite Loki. Nous serons toujours des humains, alors il n’y a pas besoin de trop réfléchir ! D’ailleurs, tu as beau y penser… » Elle s’accrocha à Loki par-derrière, se penchant sur elle, puis pointa la poitrine de Loki. « Après tout, cet endroit est honnête. »
Avec un sourire, elle relâcha Loki avant de la dépasser et de reprendre sa position initiale. Ayant surmonté de nombreuses épreuves, la vue du dos de Lettie était comme l’image de la fiabilité. En même temps, il portait la réponse claire à laquelle elle était parvenue. Et Loki pourrait avoir besoin de cette réponse.
Se fiant non pas à sa tête, mais à son intuition, Loki appela frénétiquement ce dos. « Je risque de mettre nos alliés en danger ! Est-ce encore… Est-ce que ça va vraiment ? »
« Si tu te trompes, quelqu’un peut mourir, bien sûr. On dirait que tu as compris, petite Loki. Mais même si tu le sais, cet endroit ne te laissera pas t’arrêter. » Lettie se retourna, pointant sa propre poitrine avec son pouce.
Les mots qu’elle prononça ensuite étaient aussi discrets qu’un murmure, mais ils laissèrent une profonde impression sur Loki, qui comprit qu’elle s’adressait à ses alliés décédés auparavant.
« … Cela peut vraiment être un tel inconvénient. » Contrairement à ce qu’elle disait, Lettie arborait un sourire où se mêlaient la gratitude, le regret et le chagrin… ainsi que d’autres émotions.
En voyant cela, même Alus garda le silence.
Il avait vraiment envie de revenir sur ce qu’il lui avait dit en toute décontraction. Lettie avait raison. Ce qu’elle disait était étayé par l’expérience et soutenu par les pensées et les souhaits que d’autres lui avaient confiés. La réponse qu’elle avait donnée pouvait s’appliquer à tous les magiciens, et peut-être cela devait-elle l’être.
Alus avait l’impression de comprendre enfin pourquoi il ne pouvait pas la détester. Ce n’était pas seulement son caractère ou sa personnalité. Son mode de vie allait au-delà de ce qu’Alus continuait à nier. C’était un mode de vie qu’il ne pourrait jamais comprendre ou atteindre.
Le mode de vie de Loki, qui donnait la priorité à Alus, était le fruit d’un désir naturel. Mais Alus était différent. Il était si différent qu’il ressentait en lui une sorte de désespoir desséché. C’est pourquoi il ressentait quelque chose de proche de la nostalgie à l’égard de Lettie.
Il se souvenait avoir dit quelque chose de semblable à Tesfia et Alice, comme il l’avait fait à Loki. Mais cela ne s’appliquait pas à lui. Chaque fois qu’il avait vu un allié mourir, il avait survécu en qualifiant cette mort d’insignifiante. Et ce n’était pas quelque chose qu’il pouvait changer maintenant.
Mais il ne voulait pas que les autres autour de lui soient hantés par cette même ombre. Ce n’est pas un mode de vie que l’on devrait souhaiter. « C’est vrai. En fin de compte, tout ce que tu fais, c’est pour toi-même », dit brièvement Alus, ce qui amena Loki à le regarder d’un air surpris.
Il s’était vu reflété dans les beaux yeux de Loki. Sans cela, il ne pouvait pas savoir quel genre de visage il faisait. Jusqu’à présent, il n’avait jamais fait l’effort de montrer une expression avec des émotions ordinaires. Et dans les yeux de Loki se reflétait son habituel visage vide et sans expression.
Ignorant ce que pensait Alus, Loki hésita, puis exprima ses sentiments inébranlables. « Oui ! Pour le bien de Sire Alus. »
« … » En entendant cela, Alus sourit instinctivement, un peu amèrement. S’il lui disait d’arrêter, elle répondrait que le bien d’Alus était son bien, comme si c’était la chose la plus naturelle au monde. Dans son esprit, elle assimilait tout à Alus. « Il semble que j’ai dit quelque chose d’inutile. Tu es suffisamment préparée. »
Loki secoua la tête avec véhémence. « Non, ce n’est pas vrai. Ce que tu as dit et ce que Lady Lettie a dit… cela m’a touché le cœur. »
Il était facile de comprendre ses sentiments. Jusqu’où continuer à exister pour son propre bien était un problème difficile. Alus avait renoncé à le résoudre pour lui-même, mais il comprenait ce que Loki essayait de dire, et c’est la raison pour laquelle il se détendit enfin. « Tu peux y réfléchir et décider par toi-même, à ton rythme. Et pendant que tu y es, souviens-toi des paroles de Lettie. C’est comme le conseil d’une vieille femme, et ça vaut le coup. »
« Hé, je ne peux pas laisser passer ça ! Qui traites-tu de vieille femme ? Je pense que nous devrons avoir une longue discussion à ce sujet. »
« J’écouterai aussi longtemps qu’il le faudra une fois que nous en aurons fini ici. »
« Voilà une autre promesse », dit Lettie triomphante, jubilant de sa nouvelle promesse arrachée à Alus.
Mais il se contenta de tourner son regard vers le ciel froid du monde extérieur, à l’extérieur de la base. « Ne le prends pas au premier degré. Tous les adultes mettraient cela à plus tard. »
Lettie se contenta de sourire plus largement et répondit : « Les adultes stupides », avant de prendre les devants et de sauter à l’extérieur. Alus, Loki et le reste de l’équipe suivirent le mouvement.
Dès qu’ils mirent le pied dehors, où la neige était omniprésente, les membres de l’escouade cessèrent tout bavardage et marchèrent en silence, le visage tendu par l’anticipation de batailles meurtrières.
Un ciel couvert les surplombait. Enfin, quelques rayons de lumière traversèrent les nuages, mais les rayons à travers les nuages créaient un motif étrange. Les petits cristaux de glace qui tombaient dans le ciel sombre se distinguaient comme une anomalie.
La vue de l’inquiétant monde argenté fit frissonner les membres de l’escouade. Ils expirèrent des bouffées blanches qui leur parurent étrangement lourdes. La léthargie qui pesait sur leur corps était pire qu’hier. Ce n’était pas seulement parce que leurs vêtements étaient trempés dans la neige mouillée.
Après s’être éloignée de la base, l’escouade s’arrêta dans une clairière. Le fait qu’ils soient parvenus à faire cela par le seul contact visuel montrait à quel point ils étaient concentrés sur la mission, et aussi que chacun était bien conscient de son rôle individuel.
« Lettie. »
« J’ai compris. » Entendant l’appel d’Alus, elle commença à construire un sort. « C’est parti », dit-elle en tendant une main vers le ciel. La formule magique de son anneau brilla tandis qu’elle y déversait une quantité impressionnante de mana.
« “Ix Flare” » Des flammes jaillirent immédiatement, évaporant la neige environnante et s’élevant comme pour brûler les épais nuages au-dessus.
L’augmentation soudaine de la température provoqua de violentes rafales. Bientôt, le ciel s’illumina en rouge et la neige cessa de tomber. Bien que cela n’atteignait pas les nuages situés loin au-dessus, l’air chauffé vaporisait la neige dans une zone limitée. L’effet durera un certain temps.
« Est-ce suffisant, Allie ? »
« Oui, cela devrait suffire. Ce serait beaucoup plus facile s’ils mordaient à l’hameçon. »
Contrairement à Lettie, le reste de l’escouade ne perdait pas de mana, et gardait même le mana dont ils s’étaient enduits au minimum. Bien sûr, le sort de Lettie n’était pas suffisant pour annuler un sort capable de changer l’environnement de façon aussi spectaculaire. S’ils pouvaient rompre le lien avec le lanceur, ce serait le meilleur cas, mais ils ne connaissaient même pas ses capacités et ne savaient pas où il se trouvait. C’est pourquoi Alus espérait que cela fonctionnerait au moins comme une forme de harcèlement.
Le but était aussi de permettre à Lettie de se réchauffer, mais malgré l’ampleur de son sort, elle ne semblait toujours pas réchauffée. Malgré tout, elle avait une affinité avec le feu, elle était donc la personne idéale pour ce travail. Elle avait d’ailleurs suggéré d’utiliser Détonation, mais cette proposition avait été rejetée pour des raisons de consommation de mana.
« Elle commence à revenir », dit Alus après une pause. La neige prétendument disparue revint en force, remplissant à nouveau l’air. Mais ce n’était pas comme si le sort de Lettie n’avait servi à rien.
« Était-ce inutile ? »
« Non, c’était significatif. C’est une réaction de l’ennemi. »
C’était un petit tour tape-à-l’œil qui avait attiré l’attention du lanceur de sorts. Pour preuve, le temps autour d’eux changea radicalement en quelques minutes. La neige qui tombait lentement devint dure comme de la grêle et souffla horizontalement. Le temps d’échanger quelques mots, leur vision fut tellement obscurcie qu’ils ne purent même pas évacuer les lieux.
Le climat du monde extérieur était normalement assez instable, mais cette situation n’était pas naturelle, même ici. Ils étaient pratiquement aveuglés, incapables de voir la falaise abrupte sur laquelle la base était construite. Au mieux, ils pouvaient à peine distinguer les autres membres de l’escouade près d’eux. L’air froid était si mauvais qu’ils ne pouvaient pas le supporter avec leur mana habituel.
Tu parles d’un tempérament courtois. Je suppose que c’était assez efficace.
« Sire Alus ! Où es-tu ? » La voix familière de Loki retentit tout près.
Hm ? Je ne peux même pas les repérer avec mon champ de vision. Loki et les autres membres de l’escouade ne devraient pas être très loin. Au lieu de se fier à l’œil nu, Alus utilisa la technique et la magie pour les chercher, mais il ne trouva ni Loki ni personne d’autre.
Le champ de vision d’Alus était une forme de détection qui copiait l’espace tridimensionnel environnant dans son cerveau. Il avait déjà appris que les propriétés étranges de la neige l’empêchaient de sentir ce qui l’entourait, mais étonnamment, il n’arrivait même pas à repérer ses alliés à proximité. La neige s’étant transformée en blizzard, il semblait que sa capacité à bloquer le mana se soit renforcée. Le brouillage ne s’étendait plus seulement à la surface du sol, mais aussi dans l’air autour d’eux.
« Ce qui veut dire… Lettie, ils vont bientôt arriver. »
« J’ai compris. »
Il avait utilisé son communicateur pour faire part de ses soupçons à Lettie, pensant que la communication par des moyens magiques pouvait être brouillée. Ils avaient donc utilisé le produit d’une vieille science capable de recevoir et d’émettre du son transformé en ondes radio. Sa zone d’efficacité était moindre que si l’on utilisait la magie, mais ce genre de vieille technologie était utile dans ce genre de situation.
Les membres de l’escouade entendirent également l’échange entre Alus et Lettie, mais ne faiblirent pas. Les communicateurs émettaient de temps à autre des voix qui confirmaient les positions des uns et des autres.
Eh bien, c’est exactement ce que je pensais. Alus avait déjà prédit que le lanceur de sort pourrait modifier la force de la neige. Vu l’ampleur et la durée du sort, le lanceur devrait constamment faire des ajustements. Et vu la quantité de mana nécessaire pour créer le blizzard, il était peu probable que ce soit le Lefkis ou l’Ogma.
Cependant, il ne pouvait pas dire s’il s’agissait de la Chimère dont Lettie avait parlé auparavant ou d’un nouveau chef. Son expérience l’empêchait de prendre une décision trop hâtive à ce sujet. Quoi qu’il en soit, il ne faisait aucun doute que le lanceur de sorts était puissant.
Les nouveaux chefs naissent des luttes entre Mamonos. Le Lefkis et l’Ogma devaient être des Mamonos de haut rang qui visaient à devenir le prochain chef. Si ces deux-là suivaient le chef, ce dernier devait être plus fort que prévu.
☆☆☆
Partie 3
Si l’ennemi les privait de leur vision, cela signifiait qu’il se préparait à attaquer. Mais même dans ce cas, le plan ne subira pas de modifications majeures.
Lettie lança une autre fusée Ix, qui dissipa le blizzard et leur permit de voir pendant un court moment. « C’est maintenant ou jamais ! Ne restez pas là, allez-y ! »
L’escouade se mit en action à la voix de Lettie, se dirigeant vers la position dont Alus leur avait parlé plus tôt.
Le groupe sous le commandement de Sajik s’occuperait de l’Ogma, tandis que le groupe de Mujir avec Loki s’occuperait du Lefkis. Une fois arrivés à destination, ils se sépareraient et élimineraient leurs cibles.
« Allie, ne crois-tu pas que tu me pousses un peu trop ? Je suis le capitaine, tu sais. Tu m’utilises même comme un leurre. »
« Cela ne ferait pas de mal d’éliminer le rang S s’il montre le bout de son nez, mais j’imagine que ce sera une lutte. De plus, il suffit de gagner assez de temps pour que ses ennuyeux suiveurs soient tués. »
« S’il ne s’agit que d’attirer le chef et de gagner du temps, pourquoi ne pas participer aussi, Allie ? »
« Si c’est trop pour toi… »
« Méchant. Quoi qu’il en soit, cette neige commence à devenir assez ennuyeuse, alors pourquoi ne pas la souffler ? »
Ils discutèrent tous les deux à travers les communicateurs. Juste après le départ de l’escouade, Lettie avait intentionnellement amplifié le mana autour de son corps et l’avait libéré, juste au cas où sa voix seule ne suffirait pas à diffuser sa position.
Dès qu’elle eut fini de confirmer que son escouade était en mouvement, Alus lui répondit. « Le souffler, ça a l’air sympa, mais ce n’est qu’un sous-produit de la magie. Je ne pense pas qu’il y ait d’intérêt à le faire, mais fais ce que tu veux. Le plus efficace serait de la couper à la source, que ce soit cette Chimère ou le prochain chef. »
Les sorts d’altération de l’environnement falsifiaient et écrasaient les lois du monde. Pour le contrer sans s’occuper du lanceur, il fallait donc le remplacer par un sort d’altération de l’environnement plus puissant que celui qui était utilisé.
« Je le sais », dit Lettie, un peu brusquement.
Cela dit, il pourrait être intéressant de confirmer les traces d’informations et les compositions réécrites. Cela ne se passerait pas aussi bien que lorsque Loki l’avait fait, mais en le frappant avec un peu de mana et en mesurant la réponse, il pourrait trouver des indices sur l’identité du Mamono de rang S, ainsi que d’autres informations.
Pensant que cela valait la peine d’essayer, Alus posa sa main sur sa brume nocturne, lorsqu’il aperçut soudain une ombre. Il n’eut pas besoin de forcer ses yeux pour voir l’ombre noire battre des ailes derrière le mur de vent et de neige. C’était quelque chose d’incroyablement grand qui montrait sa silhouette.
Au milieu du blizzard, l’énorme ombre monstrueuse affirmait fièrement sa présence, devenant progressivement plus distincte.
C’était un Mamono massif qui ressemblait à un papillon ou à un papillon de nuit. Il avait deux séries de quatre ailes et huit longues pattes qui semblaient pouvoir descendre jusqu’au sol. Au bout de chaque patte se trouvait une griffe acérée. Avec ses ailes déployées, il dépassait facilement les trente mètres de large.
Le Mamono battit lentement des ailes et plana dans les airs. Même en plein vol, la pression du vent qui atteignait le sol était considérable. À chaque battement d’ailes, il soulevait une tempête de neige.
Cela faisait un moment que quelque chose n’avait pas fait frissonner Alus. En même temps, il plissa les yeux et ses joues se contractèrent. Il s’y attendait, mais tout de même… « Ce n’est pas la Chimère. C’est donc le quatrième chef, hein. »
C’est ce qu’il avait deviné au vu de la situation bizarre. Il s’attendait au pire depuis que Lettie lui avait annoncé le changement de chef. Malgré tout, il ne s’attendait pas à voir quelque chose d’aussi énorme capable de voler. J’espère que tu n’es pas plus qu’une classe S…
Aussitôt, le papillon de nuit géant battit des ailes gigantesques et s’élança vers l’avant, se rapprochant d’Alus.
Il est rapide ! À la seconde où Alus pensa cela, une des longues pattes du Mamono poignarda l’endroit où il se trouvait un instant auparavant, alors qu’il sautait sur le côté. Dans la foulée, une autre patte s’élança comme un fouet dans la direction opposée. La griffe à l’extrémité se déchaîna et creusa le sol.
"!?"L’onde de choc menaçait d’emporter Alus, mais il s’empressa d’ériger une barrière pour l’endurer. Graviers et cailloux se mêlèrent à la neige et volèrent comme des balles, s’écrasant sur la barrière et la brisant.
Mais l’attaque ne visait pas Alus. La jambe en forme de fouet passa devant lui à une vitesse extrême et se dirigea vers Lettie.
Instantanément, il leva la main et la pointa vers elle. Une fine barrière apparut, mais seulement pour un instant, et ce ne fut pas suffisant pour arrêter l’attaque du Mamono.
Dans un bruit sourd, le corps de Lettie s’écrasa à travers les arbres et disparut. En étant envoyé en l’air à cette vitesse, l’impact serait énorme. Elle allait probablement le ressentir.
Alus fit claquer sa langue, et au même moment, le blizzard cessa. Le Mamono garda sa position, planant dans les airs, comme pour dire que quoi que fassent Alus ou Lettie, cela ne servirait à rien.
Il était inquiet pour la sécurité de Lettie. Si elle avait perdu connaissance, elle n’aurait même pas pu amortir sa chute correctement. Si on la laissait en l’état, elle pourrait mourir. Perdre Lettie ici même serait le pire des scénarios.
Tsk, l’équipe risque de s’effondrer dès le début. Mettant toute son énergie dans ses jambes, Alus s’élança à toute vitesse dans la direction de Lettie.
Il finit par trouver le corps de Lettie accroché à une grosse branche enneigée qui était sur le point de craquer. Heureusement, elle était encore consciente.
« Lettie ! »
Lettie, visiblement souffrante, répondit à sa voix en tournant son visage vers Alus. Les dégâts parlaient d’eux-mêmes. Elle avait dû se servir d’un groupe d’arbres au passage pour amortir sa chute.
Les deux se regardèrent dans les yeux. En tant que Singles, ils n’avaient pas besoin de mots. Ne t’occupe pas de moi, fais-le patienter. Son intention était claire. La classe S devait être retenue quoi qu’il arrive. Si ce papillon géant se retournait contre le reste de l’escouade avec cette super vitesse, ils seraient anéantis.
Sans l’exprimer, il bougea la bouche pour dire : « J’ai compris. Je vais prendre le relais pour un moment, mais reviens vite. » Il se retourna silencieusement vers le papillon de nuit. Je m’en occuperai d’ici là.
Alus plaça sa main dans son dos et dégaina la Brume Nocturne, dont la chaîne fit du bruit en même temps. Au même moment, un bruit d’ailes résonna dans l’air.
Il observa l’ombre massive qui était réapparue. En y regardant à deux fois, elle avait vraiment une drôle d’apparence. Les longues antennes qui sortaient de sa tête s’étendaient de chaque côté comme une moustache. Son corps était recouvert d’une écorce brun-rouge et il n’y avait rien qui ressemblait à des yeux sur sa tête.
Il observa ensuite les motifs de ses ailes, qui ressemblaient à ceux d’une peinture avant-gardiste. Les ailes antérieures, de part et d’autre, présentaient de grands motifs circulaires, ces cercles inquiétants semblant être les yeux qui manquaient à la tête de l’oiseau.
« C’est la première fois que je vois ce type, » marmonna Alus… qui avait tué des centaines de Mamonos différents.
☆☆☆
Lettie laissa échapper un petit gémissement alors qu’elle était suspendue à la branche. L’énorme douleur qui parcourait son corps menaçait de la faire s’évanouir. Et le goût du sang dans sa bouche la faisait grimacer. Elle avait essayé de s’habituer à tout pour affronter le Monde extérieur, mais elle ne s’était jamais habituée à ce goût de fer.
Malgré tout, elle resta calme et confirma ses blessures. Mon bras gauche est fracturé en plusieurs endroits, mais le problème se situe au niveau des côtes et des organes internes.
Lorsqu’elle bougea sur la branche, une douleur lui traversa la nuque. Si ce n’était qu’un coup de fouet, elle s’en sortirait, mais elle ne pouvait pas en être sûre. Elle toucha son estomac et sentit des saignements internes ici et là.
Ça craint. Elle ne pensait pas avoir baissé sa garde, mais elle avait été touchée par une attaque avant même de s’en rendre compte. Si Allie ne m’avait pas couvert, j’aurais été complètement hors de combat.
Elle respira pour se calmer. Rester consciente était la lueur d’espoir dans ce nuage noir. Elle s’était couverte avec son bras gauche, mais la barrière qu’Alus avait rapidement mise en place l’avait aidée dans une certaine mesure.
Lettie se renfrogna sous l’effet de la douleur et le remercia dans son esprit. Avec un glapissement, elle se redressa et utilisa sa bonne main droite pour se laisser tomber au sol.
Elle avait fait ce qu’elle pouvait pour couper l’élan, mais l’impact à l’atterrissage la faisait encore tousser violemment. Elle retint sa respiration pour tenir le coup, mais une douleur aiguë se propagea dans sa poitrine. Ses côtes n’étaient pas brisées, mais probablement fissurées, tout comme les os de son bras gauche en plusieurs endroits. Ses vêtements étaient déchirés au niveau de l’épaule et, à chaque battement de son cœur, elle sentait du sang chaud s’écouler de la plaie.
Elle pouvait encore ouvrir et fermer sa main, ce qui lui permettait d’espérer que ce n’était pas si grave, mais le sang avait déjà taché sa manche d’un rouge profond.
Avec un faible grognement, elle dirigea ses yeux de feu dans la direction d’où elle avait été projetée. Alus s’y battait. De la terre et de la neige étaient soulevées, et l’on voyait des ombres courir dans les airs. Elle était trop loin pour savoir ce qui se passait, mais elle pouvait facilement entendre les bruits de la bataille.
Lettie ferma les yeux et se concentra sur son état. Ce n’est pas bon… Je ne peux pas respirer profondément. Mais je suppose que le fait de ne pas pouvoir utiliser mon bras gauche n’affectera pas grand-chose. Elle essaya de se calmer, mais sa tentative fut submergée par de violentes émotions. Ce n’était pas seulement de l’humiliation. Elle avait l’impression que le coup de pied du papillon de nuit l’avait réveillée.
Vanalis était l’endroit où ses camarades étaient tombés. Ils ne pourraient pas reposer en paix avec tout ce bruit. Cela dit, se battre avec la seule colère comme force motrice ruinerait tout ça. Cela ne ferait qu’alimenter des actions impulsives qui trahiraient les sentiments de ses camarades. Ils avaient passé tant de temps ensemble dans le monde extérieur à se battre côte à côte. Ils avaient mené ensemble des batailles de vie et de mort, se confiant l’un à l’autre, mais l’un après l’autre, ils étaient tombés.
Peut-être que se battre pour les venger n’était pas la bonne chose à faire. Lettie devait plutôt se concentrer sur la destruction de tous les obstacles qui se dressaient sur leur chemin afin de réaliser leur vœu le plus cher. Dans un avenir proche, Vanalis devait devenir un endroit où son escouade pourrait faire du grabuge tout en s’amusant.
C’est pour cela que la victoire a un sens. Elle voulait qu’ils soient fiers d’appartenir à son escouade. Démontrer la splendide victoire de Lettie Kultunca, magiciens à un chiffre, était certainement la seule façon de rendre hommage aux âmes des nombreux membres de l’escouade tombés au combat. Après tout, il était hors de question que la personne qu’ils vénéraient comme leur capitaine les trahisse. Elle ne pouvait pas leur montrer qu’elle s’enfuyait après tous leurs sacrifices.
Lettie arracha de force sa manche gauche avec ses dents. Elle déchira le tissu en bandes, puis se servit de sa main droite et de ses dents pour panser avec dextérité les blessures de son bras gauche. Comme la manche était trempée de sang, la mettre dans sa bouche lui donna à nouveau le goût du sang. « Dégoûtant ! » Elle cracha le sang et s’essuya la bouche comme elle pouvait.
Une fois cela fait, elle donna plus de force à ses jambes et sauta. De sa main droite, elle s’agrippa à une branche solide et, tout en s’y accrochant, elle jeta un coup d’œil au loin.
Sa destination était le champ de bataille où Alus se battait. Sa cible était le papillon de nuit géant.
Les yeux de Lettie s’écarquillèrent. « Haah, haah, haah… » Elle repoussa avec force sa respiration saccadée. Ses lèvres, tachées de rouge sang comme du rouge à lèvres, formaient un sourire intrépide comme si elle appréciait le combat.
☆☆☆
Partie 4
« Ne pense pas à faire quoi que ce soit de stupide », lança Mujir à Sajik, qui courait à ses côtés dans le paysage enneigé.
Un certain temps s’était écoulé depuis qu’ils avaient senti que le mana de Lettie s’était arrêté. Ils avaient essayé de l’appeler par l’intermédiaire du communicateur, mais ils étaient déjà hors de portée. Il avait dû se passer quelque chose, mais pour l’instant, ils avaient une mission à accomplir. Ils avaient le devoir d’éliminer les Mamonos de classe A qui leur avaient été assignés.
Sous les ordres de Lettie, ils se dirigeaient actuellement vers l’endroit où se trouvait le bastion présumé des Mamonos. Alus avait suggéré ce plan hier, et Lettie avait dit en plaisantant : « Si vous ne les abattez pas, nous ne pourrons pas progresser. Vous comprenez, n’est-ce pas ? » Une pression invisible pesait donc sur eux.
En tant que magicien, il était important de mener à bien leurs missions, d’autant plus qu’ils faisaient partie d’une escouade de Single. Malgré tout, la vie de Lettie avait plus de valeur à leurs yeux. Cependant, Alus était avec Lettie, sans compter qu’une partie de la mission avait été laissée à ces deux-là. Ils ne se précipiteraient donc pas vers elle.
Sajik ne répondit pas tout de suite à Mujir. Mais pour avoir vécu tant de batailles ensemble, Mujir pouvait voir que Sajik était secoué à l’intérieur. Il savait aussi qu’en tant qu’être humain, sa réaction était compréhensible.
Finalement, Sajik répondit par un grognement : « Je le sais. Nous ne ferons pas demi-tour… Il n’y a aucune chance. »
« Bien sûr que non. Si toi ou moi faisons demi-tour sans avoir éliminé les classes A, le plan de Sire Alus s’effondrera. Nous avons une grande responsabilité ici », dit Mujir en gardant les yeux tournés vers l’avant.
Sajik était généralement guidé par ses émotions, tandis que Mujir avait une meilleure vision de la situation. Si Sajik n’était pas là, il aurait pu être tenté de revenir. Cependant, ils avaient déjà couru si loin qu’il était trop tard pour faire demi-tour, c’est pourquoi il était capable de prendre une décision calme. « Tout ce que nous pouvons faire, c’est trouver nos cibles le plus vite possible et les éliminer. »
« Gaaaaah ! Tu es toujours aussi ennuyeux. Je t’ai dit que j’avais compris ! »
« Alors, garde ton mana sous contrôle. »
La tempe de Sajik était parcourue de veines saillantes, mais ce genre d’échanges n’était pas inhabituel. Et Mujir avait généralement des arguments solides. Comprenant cela, Sajik finit par céder. « Mais même dans ce cas… »
« Doutes-tu de Sire Alus ? » Sur ce dernier coup, Mujir resta silencieux.
Loki, qui courait derrière eux, était tout à fait d’accord avec Mujir. Si possible, elle voulait se battre aux côtés d’Alus, mais le plan avait été établi après sa proposition. De plus, elle n’était pas assez naïve pour faire des demandes égoïstes dans l’équipe de Lettie. Alus n’était pas contre le fait que Loki les accompagne. Mais ce n’était que sur le chemin de Vanalis, elle ne pouvait donc pas se laisser aller à la complaisance.
Après un silence qui suivit la remarque de Mujir, Sajik répondit enfin. « Désolé, je me suis trop énervé. »
« Ne t’inquiète pas. Cela arrive tout le temps. » Mujir ne trouva pas leur échange insignifiant. Les autres membres de l’escouade étaient également présents, et ils ressentaient la même chose que Sajik. Dans un sens, son irritation et son impatience représentaient leurs sentiments, et l’apaiser signifiait donc apaiser également le reste de l’escouade.
Mujir connaissait les subtilités du cœur d’un homme et savait comment le contrôler. Cela dit, il l’avait surtout appris de Lettie. « Au fait, Loki », lança-t-il. Son ton était professionnel, mais bienveillant.
« Oui, que puis-je faire pour vous ? » répondit Loki. Il n’était pas seulement son supérieur, mais il la surpassait en tout point, ce qui la rendait anxieuse.
« Sire Alus a dit de vous compter parmi notre force de frappe, mais vous êtes sa partenaire et un observateur. Je suis sûr que le capitaine Lettie va bien, mais l’ennemi, cette fois, est redoutable. S’il faut en arriver là… »
Elle devinait ce que Mujir voulait dire. Il était inquiet et se montrait prévenant à son égard. Malgré tout, ses yeux brillaient d’une lueur acérée, bien qu’elle ne soit nullement offensée. « Ne vous inquiétez pas pour moi. Si je vous gêne, vous n’avez qu’à m’abandonner. Mais c’est Sire Alus qui m’a confié cette mission, alors je ne me retirerai pas toute seule. »
Loki parlait sans colère, mais avec une légère irritation. Elle interprétait les paroles de Mujir comme le fait qu’il la considérait comme une fille trop jeune pour être ici. Il ne la voyait pas comme un magicien sur le champ de bataille.
« Je comprends. Mais je ne peux pas vous abandonner. »
« Est-ce parce que je suis la partenaire de Sire Alus ? » Loki haussa un sourcil, mécontent à l’idée d’un traitement encore plus préférentiel.
« Pas du tout. Comme l’a dit le capitaine Lettie, vous êtes déjà membre de cette équipe. »
« … »
Sajik sourit et jeta un regard complice à Mujir. Mujir jeta un coup d’œil en arrière, mais ne réagit pas particulièrement. « Vous nous avez déjà montré votre pouvoir, alors j’aimerais que vous nous aidiez. »
« Bien sûr », répondit aussitôt Loki, mais aucun sourire n’apparaissait sur son visage. Elle avait du mal à montrer une quelconque émotion devant quelqu’un d’autre qu’Alus. Elle pensait aussi qu’un sourire n’était pas quelque chose que l’on forçait.
Sa réponse pouvait être considérée comme brusque, et Sajik n’hésita pas à lancer une remarque taquine. « Haha, on dirait qu’elle te déteste, Mujir. Cette façon de parler… Elle est vraiment la partenaire de Sire Alus. »
Une fois de plus, Mujir ignora la raillerie. En fait, il tenait Loki en haute estime, la mettant même sur un pied d’égalité avec Lettie. Alus était connu pour ne pas accepter de partenaire. Lorsque Mujir avait vu la démonstration de puissance d’Alus contre Demi-Azur, il avait été vraiment heureux d’être un magicien d’Alpha. Et qu’Alus ait choisi Loki comme partenaire. Sur le chemin de Vanalis, il avait découvert sa nature et ses talents cachés. Portant la foudre, elle était une magicienne dont le potentiel infini était rassurant. C’est ainsi que Mujir la voyait.
Ensuite, il parla à voix basse. « Sajik, à quel âge as-tu appris la Force ? »
Sajik avait compris ce que son collègue essayait de dire et s’était frotté le menton. « Ah, quand j’avais environ vingt-deux ans, je crois. Il n’y a pas de fin aux blessures tant qu’on ne la maîtrise pas complètement. »
« Je sais. » C’est pourquoi Mujir ne pouvait s’empêcher de se demander comment Loki avait pu apprendre autant de sorts à son âge. Même la Force ne s’obtenait pas aussi facilement. Il fallait une affinité et suffisamment de travail. Et puis il y a la détermination qu’elle a pour son âge. Cela lui rappelait le choc qu’il avait ressenti lors de l’incident de Demi-Azur.
Mujir hésita à dire ce qu’il ressentait, mais décida finalement de parler, préparé à ce que le géant à côté de lui fasse une blague à ses dépens. « Loki, je ne veux pas que vous vous mépreniez. Je vous respecte en tant que magicienne. »
Loki avait été déconcertée par sa confession. Mais il avait assisté à la scène après la bataille d’Alus contre le Demi-Azur. Un seul regard lui avait permis de comprendre ce qui s’était passé. Malgré la Force qui avait réduit son corps en miettes, elle avait couru vers Alus plus vite que n’importe qui d’autre. C’était un acte incroyablement courageux que Loki avait accompli avec son corps svelte. Lorsqu’il s’en rendit compte, Mujir eut honte de lui-même. Tout ce qu’il avait pu faire, c’était regarder ce qui se passait.
Un véritable héros s’exprime par ses actes. C’est ainsi qu’un magicien montre sa valeur.
Voyant Loki surprise d’être félicitée, Mujir détourna les yeux et se gratta la joue. La capacité d’agir en temps de crise n’avait rien à voir avec la puissance, la sagesse ou la préparation. Comme l’avait dit Lettie, c’était une question de cœur.
Il essaya de ne pas regarder Sajik, mais comme prévu, une voix dépourvue de tact se fit entendre de ce côté. Cependant, les mots qu’il prononça furent inattendus. « Je te comprends. Je veux aussi être comme la petite dame. »
Mujir avait été choqué d’entendre les paroles sincères de Sajik. « C’est dégoûtant. De quoi parles-tu avec ton grand corps ? C’est à cause de ces bêtises que tu seras toujours célibataire. »
« Je parle du cœur ! »
« Assez de bavardages. Nous sommes en pleine mission. » C’est alors que Louise les interrompit. C’était une magicienne guérisseuse, mais elle avait le respect des hommes de l’escouade. Il n’y avait personne ici qui n’avait pas été soigné par sa magie de guérison. De plus, les femmes avaient beaucoup d’influence dans l’équipe, peut-être parce que Lettie en était la capitaine. Selon Lettie, c’était parce qu’il n’y avait que des hommes stupides.
« Je sais, Louise. » Tout en parlant, Mujir surveillait leur environnement et s’assurait de maintenir la vitesse.
Loki l’avait remarqué. L’expression de Mujir était étonnamment calme. Il était difficile d’admettre qu’il s’agissait du même homme qui, gêné, s’était gratté la joue il y a quelques instants. Sajik, à côté de lui, était dans le même état.
L’escouade n’avait qu’une seule mission, éliminer au plus vite les deux cibles qu’Alus leur avait confiées. Dès que Loki pense ça…
« Mon nez me dit qu’il est temps », déclara Sajik.
Tout le monde l’entendit et s’arrêta. La détection par la magie ne fonctionnait pas, mais le nez de Sajik était étrangement fin, et lorsqu’ils étaient aussi proches, il ne faisait aucun doute que des Mamonos étaient à proximité, ce qui incita tout le monde à se préparer.
L’instant d’après, ils se retrouvèrent encerclés par une horde de Mamonos. Ils étaient plus de trente, tous de classe B.
« Hé, ne sont-ils pas plus nombreux qu’avant ? » se plaignit Sajik.
« On dirait qu’ils ont repris leur élan. Nous avons aussi réduit leur nombre de manière significative auparavant, » répondit Mujir, semblant surpris. Les deux hommes restèrent néanmoins calmes.
« Bingo ! »
« Bon sang, » dit Mujir à Sajik, qui l’avait remarqué lui aussi. « Sir Alus avait tout à fait raison. » Les Mamonos avaient rampé depuis les nombreux trous qui les entouraient. Chaque trou était relié à un ancien tunnel. Les sorties étaient regroupées dans cette zone. Comme aucun des Mamonos n’était particulièrement faible, il s’agissait probablement d’une sorte de garde. Si c’était le cas, ils se trouvaient peut-être juste au-dessus d’un nid de Mamonos.
☆☆☆
Partie 5
Ils étaient venus ici en premier, en suivant les instructions d’Alus d’hier, et il semblait qu’il avait vu juste. « D’après ce qu’il a dit, l’Ogma devrait rôder ici. »
Mujir balaya d’un revers de main les murmures de Sajik. « Bien sûr que oui, le Lefkis est trop grand. Est-ce que tu vivrais dans un trou avec ton corps ? »
Après avoir examiné la vieille carte et les informations qu’il avait recueillies, Alus avait estimé qu’il était très probable qu’un nid de Mamonos se trouve à cet endroit. Mais il avait aussi pris en compte les caractéristiques de l’Ogma. S’il lavait le cerveau de ses subordonnés, il ne pouvait pas trop s’éloigner d’eux.
En réalité, il y avait peu d’endroits où il était facile de vérifier le déroulement d’une bataille et de manipuler des pions sans être détecté. C’est soit en hauteur… soit sous terre.
Le Lefkis avait lancé un sort à très grande distance depuis le sommet d’une montagne, mais en retour, il avait subi la Détonation de Lettie. Sa visée avait été perturbée par la neige, mais la large zone qu’elle couvrait représentait une menace évidente pour tout ce qui se cachait. De plus, il était naturel de supposer qu’Alus et les autres se méfieraient des zones élevées.
C’est pourquoi Alus avait prédit que l’Ogma, se considérant comme un stratège, éviterait de prendre position dans une zone élevée. Finalement, les tunnels étaient l’endroit idéal pour se cacher. Et par-dessus tout, il avait ajouté la règle empirique selon laquelle les utilisateurs sournois de magie avaient tendance à se cacher dans des endroits sûrs et sombres.
« Très bien, il est temps de se séparer, » dit Sajik. « Je vous laisse le soin de le faire. »
Mujir n’avait pas eu besoin d’insister auprès de Sajik, qui s’était retrouvé chargé d’éliminer l’Ogma. La raison pour laquelle Alus n’avait pas placé Loki dans le groupe de Sajik était leur affinité commune. Avoir deux utilisateurs d’attributs de foudre ne ferait que réduire leurs possibilités.
Et comme le Demis Brionach de Lefkis contenait au moins une partie de l’attribut foudre, il était probable qu’il puisse le contrer, raison pour laquelle Mujir avait été envoyé pour s’occuper de Lefkis.
Le groupe de Sajik était composé de six personnes. Ils étaient tous des magiciens de premier ordre, et Louise, magicienne guérisseuse, s’était jointe à eux. Cette décision avait été prise en partie parce que le style de combat rapproché de Sajik entraînait souvent des blessures.
« Je m’en occupe. Si vous avez du mal, tenez-les à distance et je viendrai vous aider. » Sajik libéra une puissante décharge d’électricité et fit un grand trou dans l’encerclement des Mamonos, donnant un coup de pouce à Mujir.
« Tu parles d’exagérer une chasse au blaireau. En attendant, nous allons devoir gravir une montagne à pied. J’apprécie que tu nous ouvres la voie. » Mujir fit rouler son épaule et s’approcha de Sajik. Devant le trou, il leva son tonfa. « Ne fais pas de bêtises. »
« C’est mon avis », ricana Sajik en levant sa main recouverte d’un gantelet en réponse. Les deux hommes frappèrent alors leurs poings l’un contre l’autre.
Après cela, Sajik joignit ses gantelets et attaqua la horde de Mamonos avec la Force activée. En un éclair, cinq d’entre eux furent morts. Chacun d’entre eux avait la tête ou un point vital détruit, puis de l’électricité les traversa pour brûler leur noyau. Une odeur nauséabonde s’éleva dans l’air, mais Sajik ne semblait pas s’en préoccuper. C’était comme s’il évacuait tout son stress et sa frustration sur les Mamonos.
« Très bien, il est temps pour nous d’y aller aussi », dit Mujir après avoir vu cela, poussant Loki à le suivre. « L’Ogma est sous terre, comme l’avait prédit Sire Alus, alors il vaut mieux supposer qu’il avait aussi raison pour le Lefkis. »
Loki se souvint de ce qu’Alus avait dit hier et acquiesça. Il en avait conclu que le Lefkis à une corne était une forme évoluée. Lorsque les Mamonos absorbaient du mana, des différences individuelles apparaissaient, mais comme il avait évolué à partir d’un Lefkis, il avait très probablement tendance à se déplacer autour des flancs et des pics des montagnes.
Cela rendrait sa recherche plutôt difficile, mais Alus avait fait une certaine suggestion basée sur cette hypothèse.
Mujir et Loki partirent en courant, suivis par les autres membres du groupe. Profitant de la brèche ouverte par Sajik, ils quittèrent rapidement l’encerclement.
☆☆☆
Les voilà. Maintenant…
Sajik sentit les autres disparaître au loin. Ses mains étaient recouvertes d’électricité. Chaque fois qu’elles se déchargeaient, la neige autour de lui s’évaporait en brume. Il ajustait délibérément sa force pour attirer l’attention des Mamonos afin qu’ils ne se lancent pas à la poursuite du groupe de Mujir, mais il n’y avait plus besoin de se retenir.
« C’est ce que je fais. » Dès que Sajik l’annonça, il balança ses bras épais et musclés vers le sol. Lorsqu’ils s’abattirent, d’innombrables et fines traînées d’éclairs parcoururent le sol. Le groupe sauta en panique, essayant de s’éloigner des courants.
Les muscles de Sajik se gonflèrent alors. Une énorme quantité d’électricité se répandit dans le sol.
« “Outbreak” » Un gigantesque cercle magique apparut sur le sol avec Sajik en son centre. Il s’agissait d’un puissant champ électromagnétique fait de mana. Les Mamonos furent immédiatement immobilisés, comme si leurs jambes étaient aspirées.
Le cercle s’illumina, des étincelles jaillirent, suivies d’un bruit de tonnerre à la surface.
Sajik versa encore plus de mana dans ses bras. Ce faisant, la zone fut enveloppée d’une lumière aveuglante, tandis qu’une tempête d’éclairs faisait rage pendant un instant.
Bientôt, la lumière douloureusement brillante disparut, et lorsque le groupe atterrit à nouveau sur le sol, celui-ci était complètement brûlé. La chaleur résiduelle qu’ils ressentaient à leurs pieds en disait long sur la puissance utilisée.
Le sort déclenchait une énorme explosion d’éclairs dans une zone définie. Les Mamonos au sol avaient été bloqués par le champ magnétique et grillés par la foudre. Les dix Mamonos restants étaient carbonisés, leurs corps se désagrégeant. Leurs noyaux avaient dû brûler en se transformant en particules de mana.
« Si tu voulais tout faire tout de suite, dis-le à l’avance », s’était plaint un membre de l’escouade, mais Sajik l’avait balayé d’un revers de main. C’est comme d’habitude.
Avec cette attaque, la présence des Mamonos avait pratiquement disparu de la zone. Cependant, personne n’était particulièrement épuisé ou blessé. En réalité, ce genre de combat était leur point fort. Même si une classe B était trop difficile à gérer seul, avec deux ou trois membres à leurs côtés, ils pouvaient s’en occuper en un rien de temps. S’ils parvenaient à détruire les noyaux avec précision, ils n’auraient même pas besoin de déployer beaucoup d’efforts, bien que ce ne soit pas une mince affaire sans un observateur.
Mais c’est là que l’expérience est utile. S’ils avaient déjà combattu des Mamonos similaires, il était plus facile de deviner où se trouvait le noyau. Ils pouvaient également utiliser des attaques étendues pour les éliminer d’un seul coup. À cet égard, comme l’attribut foudre possédait de nombreux sorts d’attaque puissants, il n’était pas nécessaire de faire appel à des observateurs pour trouver le noyau. Voyant que les Mamonos étaient anéantis, tout le monde prit un moment pour respirer.
Le sol se mit soudainement à trembler violemment, comme si un tremblement de terre avait éclaté à leurs pieds.
Sajik sauta pour lui échapper. Lorsqu’il regarda où il se tenait, il vit un bras massif couvert de poils sortir du sol. « … !? Je ne sais pas ce qui se passe, mais sors de là. Nous n’avons pas le temps pour ça. »
Le sol se fendit, et le haut du corps du Mamono apparut, comme s’il répondait à sa voix. Sa tête ressemblait à celle d’un singe, et le haut de son corps mesurait à lui seul quatre mètres de haut. Le corps était couvert de fourrure comme un homme-singe primitif.
« Tsk… un singe est censé être dans les arbres ! » Sajik donna un coup de pied sur une branche et descendit, ne laissant que des étincelles derrière lui. Il balança ses deux bras vers sa cible pour suivre son rythme, les frappant contre la tête du Mamono.
L’impact fit trembler le sol, et ses poings s’agitèrent comme deux marteaux tonitruants. Des éclairs jaillirent dans toutes les directions. Ami ou ennemi, quiconque se trouvait à portée aurait été électrocuté. Même un Mamono ne sortirait pas indemne d’une telle attaque.
"!?"Mais Sajik ne ressentit qu’une sensation dure, comme s’il avait écrasé ses bras sur un rocher. Et sous lui, il n’y avait pas la tête écrasée du Mamono, mais le dos hérissé de sa main.
Le grand singe avait rapidement levé son bras pour se couvrir la tête, bloquant le coup de Sajik avec le dos de sa main. Mais c’était également étrange. Normalement, ce coup aurait dû détruire la main, ainsi que la tête en dessous.
Bien sûr, Sajik ne se souvenait pas s’être retenu. Il n’y avait pas non plus de signe que le grand singe avait utilisé un sort pour se défendre. En d’autres termes, le Mamono avait résisté au coup de Sajik qui aurait pu briser non seulement la roche, mais aussi l’acier, avec la seule force de son corps.
Il résiste à l’attribut de la foudre ! Lorsque Sajik réalisa que son attaque avait été bloquée, il s’était déjà détaché du corps de l’homme-singe. Cependant, alors qu’il était censé avoir atterri sur le sol, il se sentit soudainement tomber. Le sol sous lui s’effondrait.
Mais il n’y avait pas que la zone située juste en dessous de lui. Une large zone s’était effondrée. Sajik comprit rapidement que le sol au-dessus du réseau de tunnels n’avait pas résisté aux combats intenses et s’était effondré. En tombant, il ne vit pas seulement d’innombrables mottes de terre et des cailloux, mais aussi quelque chose d’autre à ses pieds. Est-ce aussi l’œuvre de l’Ogma ?
Dans les profondeurs du trou, un grand nombre de Mamonos étaient à l’affût. Le Mamono grand singe n’était qu’un leurre, et Sajik était tombé dans un piège.
Cependant, il n’allait pas laisser sa négligence prendre le dessus. Alors que le grand singe tombait sous lui, Sajik déversa une quantité presque excessive de mana dans ses poings et sourit sans crainte. Ses gantelets brillaient, couverts d’éclairs. La puissante électricité tuerait instantanément n’importe quel Mamono normal et réduirait tout en poussière.
Mais son adversaire semblait pouvoir se débrouiller seul en plein vol. Alors même qu’il tombait, il balança son bras géant vers le côté de Sajik. Il s’en rendit compte immédiatement, donna un coup de pied à un rocher proche et changea sa trajectoire. Grâce à la puissance instantanée et à la force des jambes que lui conférait la Force, ce genre d’attaque était tout simplement trop lente.
De plus, Sajik avait choisi de ne pas esquiver, mais de foncer droit sur la main géante. Il se faufila entre les doigts qu’elle avait déployés comme s’il écrasait une mouche, saisit un doigt et le tordit instantanément.
Le grand singe, poussé par la douleur, lança son autre main vers Sajik à une vitesse encore plus grande. Sajik envoya son poing bardé d’éclairs et reçut le coup de plein fouet. La main du Mamono s’ouvrit et une lumière blanche la traversa.
Le Mamono ouvrit la bouche et hurla de douleur. À présent, seul le pouce était à peine relié à sa main. Les autres doigts s’envolèrent dans les airs et se transformèrent en cendres.
Lorsque Sajik enfonça son poing dans le Mamono, il comprit ce qui se passait. Sa résistance à la foudre est due à cette fourrure spéciale. C’était comme s’il portait directement sa résistance. C’était une propriété gênante pour un magicien, mais ce n’était pas exactement un isolant parfait. Il avait repéré avec perspicacité une ouverture dans l’armure magiquement résistante du grand singe.
« Tu es donc un singe intelligent », se moqua Sajik en s’adressant au Mamono. Il enfonça son poing dans la partie du corps qui n’était pas couverte de fourrure… son visage. Au moment où l’éclair éclata, sa tête explosa comme un ballon de baudruche.
La tête du Mamono ayant disparu, Sajik vit qu’il s’approchait du sol sombre. Alors qu’il se préparait à atterrir, un coup soudain le frappa dans le dos. L’impact le secoua jusqu’aux os et il percuta le mur à grande vitesse.
« Argh ! » Sajik s’enfonça dans le mur. Il cracha du sang, puis se décolla du mur et tomba.
L’instant d’après, le bruit désagréable de la chair et des os frappant la pierre retentit. Mais ce n’était que la paume de sa main, pas son corps. Avant de s’écraser au sol, il avait tendu le bras pour éviter que tout son corps ne s’écrase au sol. Au même moment, des morceaux de gravier et de roche lui tombèrent dessus, et du sang coula de sa bouche à sa gorge.
Il s’en est fallu de peu. Son corps était meurtri et il avait quelques hémorragies internes mineures, mais c’était assez courant pour Sajik, et c’est pourquoi il pouvait être si décontracté à ce sujet.
Il finit par se relever et regarda le grand singe sans tête qui était tombé à côté de lui. Même s’il avait perdu sa tête, le grand singe s’était battu une dernière fois et l’avait frappé dans le dos. Son noyau avait déjà été détruit et son corps était en train de disparaître, mais il s’était vengé.
« Et ce n’est pas comme s’ils allaient me laisser me reposer… » marmonna Sajik, alors qu’il pouvait voir plusieurs étincelles de lumière. Avec lui tombant ici, les Mamonos virent leur ouverture et attaquèrent comme un seul homme. Cependant, Sajik déchaîna la foudre en balançant son poing, traversant les ténèbres et transperçant leurs organes vitaux, les tuant.
En peu de temps, la zone souterraine devint silencieuse, comme si rien ne s’était passé. Sajik expira et regarda les résultats de l’effondrement. Il semblait être tombé plus bas que prévu. Il s’en sortirait si le reste de son groupe pouvait le rejoindre ici, mais les chances étaient minces.
Il se gratta la tête, regardant les tunnels autour de lui. Dans les profondeurs d’un des tunnels, il sentit un mana inquiétant qu’il n’avait pas ressenti à la surface. La sensation lui donna la chair de poule, mais ce n’était pas seulement à cause de la grande quantité de mana.
« Ça pue », dit Sajik. Il plissa le nez et fronça les sourcils. Cela empestait l’ignoble racaille. Cela venait certainement du vil Mamono qui avait utilisé ses camarades comme des pions pendant qu’il se cachait dans les souterrains.
Il y avait aussi une autre puanteur, qu’il avait l’habitude de sentir. C’était une odeur putride, le genre de puanteur qu’il ne voulait jamais sentir.
Après avoir levé les yeux une fois de plus, Sajik jeta un coup d’œil dans le tunnel sombre. Il pouvait assurément sentir l’Ogma dans ses profondeurs.
☆☆☆
Chapitre 55 : L’ombre du ciel chargé de neige
Partie 1
Le roi des papillons de nuit. C’est le genre de monstre bizarre qui appartient à la mythologie. Qui pourrait blâmer quelqu’un de se prosterner devant lui lorsqu’il le rencontrait dans la réalité ? Il y avait même des humains qui vénéraient les Mamonos comme les sauveurs du monde. Après tout, il était impossible de prouver que les êtres qui dépassaient les connaissances humaines, comme les dieux et les démons, n’existaient pas.
C’est pourquoi, lorsque les gens voyaient des choses ou des événements qui dépassaient leur entendement, ils avaient tendance à les considérer comme divins ou démoniaques. Ce faisant, ils parvenaient à rendre les choses ambiguës, acceptables et raisonnables.
Après tout, les humains sont des créatures faibles. Mais Alus était différent. Il considérait que les idoles des dieux et des démons que les humains utilisaient pour se réconforter dans ce monde déraisonnable étaient inutiles, et il s’en débarrassait. Dans tous les cas, il ne s’y intéressait pas.
Si quelque chose se mettait en travers du chemin, il suffisait de le tuer et de l’éliminer. Si les gens veulent vivre jusqu’au lendemain, ils doivent lutter pour survivre quoi qu’il arrive.
Pourtant, avec une pointe de malice et d’ironie, il pensait que démon était un nom approprié pour les Mamonos. Il repensa au nom de l’un des dieux maléfiques des adorateurs des Mamonos. « Shem Azah… le roi des papillons de nuit. » C’était un nom un peu exagéré, mais ce n’était pas un problème. Il allait le tuer après tout.
Alus leva son bras gauche en l’air. « Tombe donc raide mort. » L’instant d’après, cinq boules de feu volèrent d’en haut.
C’était Volcan, le sort de feu avancé. Chaque boule de feu était aussi grosse qu’une météorite, mais ce n’était pas seulement leur taille, elles avaient une puissance de feu bien supérieure à celle d’un sort avancé ordinaire.
Les boules de feu en approche s’illuminèrent et teintèrent le sol enneigé d’une lumière rouge. Elles brûlaient l’air en volant à une vitesse extrême, couvrant plusieurs centaines de mètres de la zone autour de Shem Azah.
Cependant… « Pff. » Alus sentit un sort se manifester, et claqua la langue. Il n’y avait pas de quoi paniquer, mais le Mamono ne se laissait pas faire sans combattre.
Comme prévu, une fois que les cinq boules de feu furent suffisamment proches, elles se dispersèrent de l’intérieur. Le Shem Azah avait défait de force le cercle magique, ce qui fit que les boules de feu se dispersèrent à cause d’une fuite de mana au lieu d’éclater. C’était comme si un professeur montrait à un élève inexpérimenté les bases de la lutte contre la magie. Le sort de feu d’Alus était d’un niveau supérieur à celui d’un magicien spécialisé dans ce domaine, mais même ainsi, il était traité comme un jeu d’enfant.
« Ce n’était donc même pas suffisant pour te tester. Ou bien vas-tu juste jouer à ça ? » Alus s’efforça de réprimer sa colère. L’Institut était une chose, mais cela faisait longtemps qu’il n’avait pas ressenti une telle chose sur le champ de bataille.
Mais il n’allait pas contre-attaquer comme ça. Ayant vu le premier mouvement de l’ennemi, il mit en marche son cerveau en mode stratégique. Si je ne peux pas l’abattre tout de suite, le fait qu’il soit en l’air est un désavantage. Je ne peux pas le laisser se déplacer librement avec cette taille et cette vitesse. Je suppose que je vais devoir l’abattre.
Le Mamono utilisait probablement la magie du vent pour se déplacer. Tout d’abord, il ne pouvait pas se soutenir en battant des ailes. En ce moment même, le Shem Azah semblait planer en ne battant que la paire arrière de ses ailes.
De plus, je ne peux pas me permettre de fuir. Si cette chose atteint le reste de l’escouade, ils n’auront probablement aucune chance. Dans ce cas, il serait préférable d’avoir un combat de magie. Le regard d’Alus se porta sur les pattes du Mamono qui pendaient. En comptant les serres, les pattes étaient étrangement longues, même pour la taille du papillon de nuit.
L’instant d’après, le Shem Azah battit violemment ses grandes ailes, provoquant suffisamment de turbulences pour créer une tempête. Celle-ci se transforma rapidement en un souffle de vent blanc et rageur qui fit exploser la neige, faucha les arbres et fouetta les feuilles et les brindilles, et le Mamono l’envoya directement sur Alus.
L’ampleur de la chose rendait impossible toute échappatoire. Alus retira ses mains, puis les poussa vers l’avant alors que l’élan du vent s’affaiblissait légèrement. « “Dolrain Zephyr” ». Suivant le mouvement de ses bras, une énorme barrière de vent azur se forma.
Il intercepta la tempête blanche avec le sort de plus haut rang de l’attribut Vent. Si la tempête n’était que du vent, il aurait pu utiliser un moyen plus simple de la contrer. Cependant, il sentit que quelque chose n’allait pas et décida de ne pas laisser la tempête qui menaçait de tout engloutir arriver derrière lui.
Les mains tendues, paumes vers l’avant, le corps d’Alus tremblait tandis que les vents se déchaînaient. Devant lui, les vents blanc et bleu s’affrontaient, créant une brèche dans l’air. Les deux vents s’affrontaient férocement, essayant de se dévorer et de s’annuler l’un l’autre.
Puis, au moment opportun, Alus leva les mains. Ce faisant, les deux vents qui s’entrechoquaient rugirent, s’élevèrent dans le ciel et disparurent.
Cependant, sa vision était toujours bloquée par la neige en suspension. Une ombre sombre se déplaça. La jambe qui avait facilement emporté Lettie se balançait à nouveau. Elle déchira le sol en s’approchant d’Alus.
La neige ne bloquait pas seulement sa vision, elle bloquait aussi le mana, retardant sa réponse d’un instant. Il déplaça son bras droit par un réflexe conditionné, enraciné par de nombreuses années d’expérience. Toute pensée superflue s’évanouit tandis que son instinct de combattant le poussait à agir.
Ses yeux à peine ouverts étaient vides, ne montrant aucune émotion. Il fit un petit pas en avant en parlant. « Je l’ai déjà vu. »
Contrairement au coup de pied qui s’approchait rapidement, Alus avançait lentement, comme s’il se rendait. Le vent intense faisait bruisser ses cheveux, mais ses yeux restaient immobiles. Ses lèvres s’entrouvrirent lorsqu’il prononça le nom d’un sort.
« “Cocytus” ». Il déplaça avec élégance sa main comme s’il balayait de la fumée, sa paume expulsant de l’air glacial. De ses doigts recouverts d’une fine couche de givre, il caressa la jambe du Mamono.
Il y eut un éclair de lumière bleu-blanc et la patte instantanément gelée fut arrêtée. Ou plus exactement, elle a été neutralisée. Elle n’était pas seulement gelée. Même son énergie cinétique était réduite à zéro. Peu importe que la chose soit lente ou rapide. Tout ce qui était touché par le Cocytus était complètement gelé dans sa matière, son mana et même son énergie. C’était comme si le temps s’était arrêté, ce qui n’avait aucun sens si l’on considère les lois de la physique.
Il méritait bien son nom de sort de niveau ultime. Le contrôle précis de sa portée était encore plus terrifiant. La patte du Mamono, à moitié recouverte d’un cercueil de glace blanc argenté, était gelée dans l’espace, mais le reste de son corps pouvait bouger librement.
C’était comme si la roue unique d’une voiture magique s’était soudainement arrêtée, non pas à cause d’une erreur mécanique, mais à cause d’un phénomène surnaturel. La voiture serait naturellement déchirée. La frontière entre la voiture, avec son énergie cinétique massive, et la roue soudainement arrêtée, allait les déchirer.
Un son similaire à celui d’un tronc d’arbre gelé brisé par une force énorme résonna à travers les champs de neige de Vanalis. Les fluides corporels du Mamono s’écoulèrent, recouvrant la neige d’une couleur étrange.
Alus baissa les yeux pour contempler sa main droite recouverte de Cocytus. Il avait déjà relâché le sort. Même s’il possédait un grand nombre de connaissances et pouvait utiliser tous les attributs en dehors des éléments, il y avait toujours un prix à payer, comme une efficacité médiocre et une vitesse de manifestation affectée.
En principe, seul un magicien ayant une affinité avec l’attribut Glace pouvait utiliser le Cocytus. Alus avait donc un prix à payer pour l’utiliser de force alors qu’il n’avait aucune affinité avec cet attribut. Sa main droite avait été profondément affectée par le sort et était devenue sombre à cause des engelures. C’était l’effet de l’utilisation du sort pendant un instant seulement. S’il avait continué à l’utiliser pour geler complètement le Mamono, son bras entier aurait pu se nécroser et tomber, ou pire.
Cependant, ce niveau de sacrifice n’avait même pas effleuré l’esprit d’Alus lorsqu’il avait fait son choix. Après tout, il avait finalement réussi à faire comprendre au Shem Azah que quelqu’un capable de le tuer se tenait devant lui.
Après s’être assuré qu’il pouvait encore bouger suffisamment ses doigts, Alus détecta une autre patte arrivant en diagonale par le haut, et sauta en arrière pour s’éloigner de la patte et de la neige qui obscurcissait encore sa vision. Les pattes se déplaçaient plus comme des fouets que comme des coups de pied, et déchiraient le sol, envoyant des mottes de terre sur Alus.
Tu n’as pas besoin d’aller aussi loin pour me tuer. Si tu peux me toucher, en tout cas, s’était dit Alus avec insouciance, en esquivant facilement les attaques.
Finalement, il y eut une pause dans les attaques, dont il profita. Alus plissa les yeux en sautant au niveau du Shem Azah. Sa taille imposante lui faisait perdre le sens des distances, mais au moins il n’avait pas à se fatiguer le cou en le regardant. Il n’aimait pas être pris de haut par qui que ce soit.
On dirait qu’il faudra un peu plus de temps pour que sa patte guérisse. Certaines espèces de Mamonos peuvent guérir les parties manquantes de leur corps en quelques secondes. Mais celui-ci ne semblait pas avoir un tel niveau de régénération.
Alus se tordit pour esquiver une attaque qu’il n’avait même pas besoin de confirmer pour savoir qu’elle arrivait, et se dirigea vers le torse du Mamono. Le sort qu’il composait était d’un niveau assez élevé. Cela se voyait à la quantité de mana qui circulait autour de son corps. La Brume nocturne lut immédiatement la formule magique de l’anneau choisi par Alus, et dépensa une grande quantité de mana.
Cependant… une attaque surgit de son angle mort. Profitant de ses longues jambes, le Shem Azah déplaça une patte pour découper Alus en morceaux par-derrière.
L’attaque aurait dû être impossible à esquiver, même pour Alus. Cependant…
☆☆☆
Partie 2
Des flammes rouges explosèrent inopinément dans l’air derrière lui. Une détonation avait été lancée de quelque part. L’explosion de feu et l’onde de choc formèrent une barrière qui annula l’attaque-surprise. Non seulement elle protégeait Alus, mais elle lui infligeait des dégâts en même temps, une prouesse qu’un sort de barrière normal ne pouvait imiter.
L’expression d’Alus ne changea pas, comme s’il s’y attendait. Après un bref répit, elle avait enfin pu prendre sa revanche. D’ailleurs, c’était le même genre d’attaque qui l’avait eue. La seule différence était qu’elle venait de derrière, mais il avait déjà vu clair.
Cette fois-ci, il décida de lui laisser le soutien. Il n’allait pas répéter une erreur, même si c’était celle de quelqu’un d’autre. C’était normal pour un magicien de première classe.
L’onde de choc lui donnant plus d’élan, il dirigea la Brume nocturne vers le Mamono. Sa chaîne s’enroula autour d’Alus comme un serpent sans fin, produisant un son métallique.
« “Croc de l’enfer” ». Ce n’est pas comme s’il avait choisi l’attribut feu en fonction de son renfort, mais il lança une boule de feu qui se manifesta devant le Shem Azah. En un clin d’œil, des flammes correspondant au nom du sort s’élevèrent, et alors qu’elles atteignaient leur seuil, un autre changement se produisit.
Un dragon à deux têtes apparut, naissant devant lui. En levant la tête, il grossit encore, comme s’il se nourrissait des flammes. Les deux têtes étaient enveloppées de flammes, et lorsqu’elles furent prêtes à mordre leur proie, elles étaient déjà assez grandes.
Les têtes s’incurvaient de part et d’autre du Shem Azah et plongeaient vers ses épaules, comme pour brûler les ailes à leur base. Il s’agissait d’une sorte de sort composite, combinant l’attribut Feu avec un sort d’invocation.
Les motifs des ailes du Mamono brillèrent, mais il était trop tard. Les têtes mordirent le corps massif du Mamono avant qu’il ne puisse s’échapper vers le haut.
Après cela, le dragon s’immobilisa. Alus se posa sur le sol et leva les yeux. N’importe qui aurait pu imaginer que le Shem Azah allait s’enflammer. Mais il avait beau attendre, les flammes ne parvenaient pas à brûler complètement le Mamono.
D’habitude, cela suffit. Le léger doute dans l’esprit d’Alus se transforma rapidement en conviction. Les mâchoires du dragon bicéphale devenaient lentement grises. Il comprit immédiatement qu’il se transformait en pierre. Il s’agissait d’un terrifiant pouvoir anti-mana qui remplaçait le mana déjà manifesté, transformait un sort en un autre, puis le remanifestait.
Mais il semblerait qu’il ne puisse affecter que certains types de magie, sinon le Cocytus n’aurait pas fonctionné. Alus regarda de plus près les veines des ailes de Shem Azah. Les motifs en forme d’œil sur les ailes brillaient comme le ferait un AWR. C’est la source de la magie.
Alus pensait que le Mamono interférait directement avec la construction, mais il n’avait aucun moyen de le confirmer pour le moment. En peu de temps, le dragon à deux têtes se transforma en statue, qui s’effondra sous son propre poids et tomba au sol. « Alors, tu peux aussi utiliser l’attribut Terre. »
Il allait de soi que la pétrification appartenait à l’attribut Terre. Alus donnait à ses sorts suffisamment de force de composition, mais l’effet de la neige était toujours présent. Un son sortit de la construction, détériorant l’information elle-même.
Alors qu’Alus regardait sans expression la fin du dragon, une silhouette atterrit à côté de lui. Après avoir reçu du renfort sous la forme d’une Détonation, il n’eut pas besoin de regarder pour savoir qu’il s’agissait de Lettie. Il tira une fusée de signalisation de sa ceinture et la lança en l’air avec désinvolture. Puisque le communicateur était hors de portée, c’était le signe pour faire savoir à l’escouade que Lettie était saine et sauve et que la mission pouvait continuer.
Il vit Lettie s’envoler et confirma la gravité de ses blessures. Elles n’étaient pas légères, mais il avait quand même pris la décision de mener à bien la mission après avoir vu la puissance de sa Détonation et la concentration dont elle avait fait preuve pour garder ses coordonnées exactes. C’est peut-être un peu dur, mais c’est une soldate. Et surtout, elle voulait elle aussi poursuivre la mission.
« Tu n’as pas manqué ta cible cette fois. »
« Haah... haah... Si je l’avais fait, tu aurais été sérieusement blessé, Allie », lui répondit Lettie, essoufflée.
« C’est une inquiétude inutile. D’ailleurs, tes blessures ne sont pas vraiment mineures. »
« Ce n’est rien. Plus important, Allie… échangeons. »
« Alors que tu es dans cet état ? Je crois que c’est un peu trop pour toi. »
« Je pourrais dire la même chose de toi et de ta main », répondit Lettie, après avoir regardé ses engelures.
« Non », déclara sèchement Alus. Il jeta un coup d’œil au corps de Lettie. Ses blessures y étaient pour quelque chose, mais elle donnait l’impression de faire bonne figure. Si elle se montrait têtue, elle risquait de ne pas pouvoir prendre de décisions sereines.
« Est-ce un ordre ? »
« Peu importe. »
Lettie était calme, mais elle fixait volontairement Alus, qui lui rendait la pareille avec une expression froide. Ses lèvres étaient serrées, comme si elle grinçait des dents.
Mais la réponse d’Alus restait la même. Cela pouvait sembler étrange de la part de quelqu’un qui ne faisait normalement pas partie de l’équipe, mais il n’était pas question de laisser Lettie combattre ce Mamono toute seule.
Le mana autour d’Alus augmenta, signe qu’il allait le faire. Il faisait également pression sur Lettie pour qu’elle retienne son impatience. De plus, ils étaient déjà en train de se battre. En étant prêt au combat, il n’avait pas le temps de s’occuper de quelqu’un d’autre.
Il rétrécit les yeux et fixa Lettie d’un regard froid. « Ne m’oblige pas à jouer ton rôle, Lettie », dit-il clairement.
C’était la limite à ne pas franchir en tant que chef. Si elle devait franchir cette ligne pour des raisons émotionnelles, Alus devrait adopter une position ferme, en utilisant la force si nécessaire. Le fait qu’il prenne même le temps de la persuader était sa façon de faire preuve de gentillesse. S’il l’avait voulu, il aurait pu l’assommer au besoin.
Lettie avait été surprise par son refus. L’instant d’après, son mana et son agitation diminuèrent. « Très bien… En fait, je suis désolée », dit-elle d’un ton dépité, en baissant la tête. Sa tresse s’affaissa comme la queue d’un chat grondé. Mais au moins, elle avait reconsidéré son attaque imprudente.
« Je n’aurais pas non plus dû adopter cette attitude. Si tu agis normalement, je n’ai pas à me plaindre. »
« J’ai compris. »
Une fois calmée, Lettie devrait être un atout précieux. Quant à Alus, ce n’était qu’un petit surcroît de travail, mais tout impact négatif sur la mission était dans la marge d’erreur. « Concentre-toi sur la réponse à l’ennemi plutôt que sur l’attaque. Je m’occupe du reste. »
Le visage de Lettie s’éclaira au ton plutôt aimable d’Alus. Elle se dirigea vers le Mamono sans aucun signal ni réponse. Bien sûr, ses intentions avaient déjà atteint Alus.
Leur priorité absolue est de bloquer le Shem Azah le plus longtemps possible. La pire chose qui pouvait arriver était qu’il s’échappe. Lui arracher la patte et envoyer un dragon de feu à sa poursuite n’était pas seulement destiné à mesurer sa force, mais aussi à le provoquer.
Le Mamono était énorme, et il avait le mana qui allait avec. Il avait aussi des coups de pied rapides. S’il parvenait à s’enfuir et à se cacher quelque part pour reprendre des forces, ou s’il se dirigeait vers les Mamonos de classe A, toute la mission de récupération de Vanalis pourrait échouer.
La question est de savoir combien de temps l’endurance de Lettie va durer. Alus surveillait attentivement son environnement depuis le début. Il était resté sur ses gardes pendant tout son échange avec le Shem Azah à cause d’un certain doute dans son esprit.
Ignorant ses pensées, Lettie courut sur la neige, ramenant son bras en arrière et le poussant de nouveau en avant tout en claquant des doigts. Des points rouges apparurent tout autour du Shem Azah. Dans l’instant qui suivit, ils explosèrent, teintant l’air environnant de rouge. À cette distance, tout changement mineur de coordonnées n’allait pas avoir d’importance tant qu’elle se concentrait. Et même si elle se trompait un peu, le sort couvrait une bonne partie de la zone. Le Mamono ne pourrait pas éviter d’être endommagé par l’explosion.
« !? Quoi !? »
Cependant, le Mamono esquiva l’attaque d’une manière inattendue. Quatre maelströms apparurent soudain devant le Mamono et engloutirent le sort, flammes et tout. Bientôt, une pointe conique noire commença à sortir des maelströms. Cela rappelait à Alus son propre Oboro Hien, bien que quelque chose qui ressemblait à un arbre carbonisé apparaissait à la place. Il s’agissait d’un énorme pieu formé à partir d’un vieil arbre, si épais que même un adulte ne pouvait l’entourer de ses bras.
Encore une fois ! Il utilise le mana pour déployer une formule magique différente !
Le Mamono détournait le sort de Lettie et contre-attaquait, tout en gardant sa propre consommation de mana au minimum. Il s’agissait d’une autre application de la même capacité qu’il avait utilisée auparavant. Même si elle ne fonctionnait pas contre toutes les magies, elle était pour le moins gênante.
Des pieux furent ainsi tirés et ils plurent sur Lettie. Heureusement, en raison de leur grande taille, ils n’étaient pas très rapides. Elle s’était dit qu’il serait facile de les esquiver. Fixant les quatre pieux, elle sauta avec désinvolture. Au lieu de les esquiver, elle s’en servit comme point d’appui pour se rapprocher du Mamono.
Une fois qu’elle les eut dépassés, les pieux continuèrent à tomber. C’était elle qui avait utilisé l’attaque de l’ennemi cette fois-ci, mais Alus aurait été un peu plus prudent. L’enjeu était une attaque trop grossière pour qu’un Mamono comme le Shem Azah puisse se déchaîner contre une cible aussi agile que Lettie. Mais si on le demandait à Lettie, elle dirait qu’il n’y aurait pas de problème si elle battait le Mamono en premier.
Un grand boum retentit derrière Lettie. C’était le bruit des quatre pieux qu’elle avait évités qui perçaient le sol et projetaient de la neige.
Au même moment, un étrange bruit de craquement parvint aux oreilles d’Alus. Son instinct en alerte, il s’arrêta et se concentra entièrement sur sa conscience, écartant toute pensée inutile.
Un frisson lui parcourut l’échine. Il manifesta instantanément sa capacité spéciale et cela apparut juste à côté de Lettie. Il vit un éclair de lumière du coin de l’œil, et l’instant d’après, la lumière les atteignit avant d’être dévorée par son Dévoreur Gra déchaîné.
Cette lumière provenait du Demis Brionach… le sort à longue portée utilisé par le Lefkis. Au bout d’un jour, le mana de l’atmosphère devait avoir suffisamment récupéré pour qu’il puisse l’utiliser à nouveau.
C’est ce à quoi Alus s’était préparé tout au long du combat. C’était la raison pour laquelle il avait divisé l’escouade pour éliminer les Mamonos. Ce n’était pas une question de nombre. Il s’attendait déjà à ce que la bataille ne se déroule pas contre le Shem Azah seul.
☆☆☆
Partie 3
Compte tenu de l’intelligence de l’Ogma et de ses capacités stratégiques, il n’était pas impensable que la coopération des Mamonos rivalise avec la leur. Les Mamonos de classe A et de classe S étaient assez puissants seuls, mais ensemble, ils seraient bien plus redoutables. C’était normalement inimaginable, mais tout pouvait arriver à Vanalis.
Mais Alus avait prévu une attaque-surprise au cas où Sajik, Mujir et Loki ne parviendraient pas à vaincre l’Ogma ou le Lefkis, ou les deux, et qu’ils viendraient en aide au Shem Azah. Non seulement il l’avait prévu, mais il avait même intégré les caractéristiques du Mangeur Gra dans son plan et attendu l’occasion.
Il était presque sûr qu’une première attaque allait se produire. Et la position du Lefkis ne pouvait être déterminée qu’une fois qu’il avait lancé son attaque. Le Lefkis est donc toujours là et, comme prévu, il a lancé un Demis Brionach. C’est le premier obstacle franchi.
Le Mangeur Gra ne se contentait pas de manger du mana, il l’envoyait également à son maître. En ce moment même, le mana du Demis Brionach était absorbé par le corps d’Alus, et il s’agissait bien sûr d’une quantité anormale. Ce n’est pas quelque chose qu’il peut manger encore et encore. Le Mangeur Gra avait sa propre volonté, et Alus se contentait de la contenir et de la garder sous contrôle. Cependant, plus il mangeait de mana, plus sa volonté augmentait. Lorsqu’elle dépassait ce qu’Alus pouvait contrôler, cette dangereuse capacité spéciale se déchaînait, devenant un fléau démoniaque qui aspirait la vie de tous ceux qu’il rencontrait.
Pour l’instant, tout irait bien tant qu’il parviendrait à boucler l’affaire tout en gardant le contrôle sur le Mangeur Gra. C’est dans cette optique qu’Alus regarda Lettie.
Lettie avait vu le Demis Brionach, mais comme Alus s’en était occupé, elle donna la priorité au Shem Azah, tirant des flammes tout en esquivant ses coups de patte.
Alus se souvint soudain et jeta un coup d’œil derrière lui. C’était là que devaient se trouver les pieux tirés par le Shem Azah. Il claqua la langue, car il s’était passé quelque chose d’inhabituel.
Les pieux qui avaient été plantés dans le sol avaient pris racine. Ils semblaient être positionnés au hasard, mais ils étaient tout de même le fruit de la magie. « Lettie, attends ! »
Sa voix ne l’atteignit pas. Elle était en plein combat avec le Shem Azah. Les caractéristiques du Demis Brionach le rendaient impropre à des tirs répétés. Peut-être en pensant à la faiblesse qu’Alus avait découverte hier, Lettie voulait réduire la puissance de combat du Shem Azah avant que quelque chose d’autre ne vienne les interrompre. Mais avec ses blessures, elle était désavantagée.
Cependant… Les ignorer serait une mauvaise chose. Les troncs exposés des pieux enracinés palpitaient légèrement. Alus hésita, car quelque chose y poussait régulièrement. Même s’il passait en revue toutes ses connaissances, il ne savait pas ce que ce sort pouvait faire.
Nous n’avons pas le temps d’y réfléchir. Les mesures d’urgence d’abord. Alus se décida et passa à l’action, construisant rapidement un Niflheim et le déchaînant sur les pieux. Il lutta un peu pour empêcher la neige de l’influencer, mais il s’activa comme il le voulait, transformant les quatre pieux en stalactites claires et gelant toute la zone autour d’eux. Si les pieux étaient un sort d’attribut Terre fonctionnant comme les plantes, cela devrait suffire à les arrêter.
C’est une mesure minimale, et maintenant nous devons en finir avant que la prochaine attaque du Lefkis ne s’active ! Si le Lefkis pouvait utiliser des sorts composites, le Demis Brionach n’était probablement pas son seul atout. Il serait plus prudent de supposer qu’il pouvait utiliser d’autres sorts à longue portée. Compte tenu de l’état de Lettie, Alus passa de la défense à l’attaque.
L’Ogma mis à part, avec le Lefkis qui lançait un sort de ce calibre, Mujir et Loki auraient dû découvrir son emplacement. J’espère qu’ils l’achèveront rapidement, se dit calmement Alus. Maintenant que le Mangeur Gra lui avait fourni du mana…
Il prit une décision, puis passa à l’action. Tournant sur le talon, il plongea sur le champ de bataille où Lettie et le Shem Azah s’affrontaient dans une bataille de flammes et de vent. D’après ce qu’il pouvait voir, l’ancien style de détonation qu’elle utilisait perdait déjà de sa puissance et de son efficacité. C’était en partie parce qu’elle avait besoin de plus de concentration avec l’interférence de la neige, mais aussi parce que sa personnalité et ses tactiques n’étaient pas adaptées aux combats de longue haleine.
Ses constructions de sorts sont plutôt bâclées. Je suppose qu’elle se surmène pour esquiver ces attaques. Du point de vue d’Alus, Lettie était imprudente. Elle avait peut-être essayé tout le reste, mais en ce moment même, elle utilisait la Détonation de façon répétée sans se soucier de son mana restant. Elle infligeait des dégâts, mais c’était une méthode d’utilisation du mana horriblement inefficace. Malgré tout, accumuler des dégâts sur le Shem Azah était mieux que rien.
Le moment est venu. Alus comprit la situation, dépassa Lettie d’un bond et se dirigea rapidement vers le Shem Azah. Il leva la Brume nocturne, qui lut l’intention de son maître et commença instantanément à construire un sort.
Plusieurs petits maelströms apparurent derrière Alus. Il s’agissait d’un sort sans attribut qui lui était propre. La forme de la Brume nocturne fut reproduite et d’innombrables lames naquirent des maelströms. Le processus se répéta, et en peu de temps, il y eut plus d’une centaine d’épées courtes avec des chaînes attachées.
D’un coup de bras d’Alus, elles jaillirent comme des flèches, les chaînes les suivant, en direction du corps du Mamono géant. La raison pour laquelle les chaînes étaient répliquées était que cet Oboro Hien était destiné à restreindre.
Le Shem Azah tenta de contrebalancer avec du mana, battant des ailes et envoyant du mana dans son environnement. Les contours des répliques de la brume nocturne commencèrent à se déformer et à se brouiller.
Alus comprit rapidement qu’ils ne tiendraient que quelques secondes tout au plus. Il étendit les bras en l’air, comme s’il sentait le vent entre ses doigts, puis commença à caresser l’air comme un chef d’orchestre balançant une baguette. L’espace qu’il toucha de ses doigts se figea immédiatement en glace.
Au début, il n’y eut que le bruit de l’air gelé. Mais plus le mana était absorbé, plus l’humidité de l’air était recueillie, et un épais bloc de glace se formait. Bientôt, un long bloc de glace qui suivait les mouvements d’Alus fut créé, et en regardant sa composition, il était presque identique à l’Épée d’Icicle.
Alus fit claquer son poignet pour former une pointe acérée. Lié aux mouvements de son bras, il envoya l’énorme épée de glace voler vers le Shem Azah.
Cependant, l’ennemi déploya ses ailes, dans l’intention de contrer cela aussi. Un épais mur de vent apparut immédiatement et se plaça devant l’épée de glace.
L’arme s’effritait peu à peu dans le choc du vent déchaîné et de l’épée gelée… mais Alus n’allait pas la laisser se perdre. Il s’immisça dans l’espace, poussant l’équivalent de la poignée avec sa paume recouverte de mana.
La pointe avait été écrasée, mais elle avait traversé le mur de vent. Cependant, elle fut déviée de sa trajectoire et ne fit qu’effleurer l’abdomen du Shem Azah. Le Mamono semblait l’avoir esquivé, mais il ne faisait que préparer le terrain.
Parce qu’il avait esquivé, le Shem Azah s’était déplacé vers une certaine position. Alus, ayant anticipé cela, avait déjà sauté à côté de l’endroit où il s’était déplacé. Il déplaça la Brume nocturne en allongeant sa portée avec du mana. Plus la lame de mana était fine, plus elle était tranchante. Le tranchant créé par une concentration intense était du même niveau que celui d’une lame de maître.
Alus balança la lame en diagonale, coupant l’aile du Mamono et ouvrant son estomac. Il enfonça la pointe et la remua pour élargir la plaie.
Les fluides du Mamono se répandirent dans l’air. Qu’est-ce que tu en penses ? Les sorts ne sont pas le seul moyen de te tuer. Alus regarda froidement le Shem Azah tomber au sol avec une aile en moins, puis se prépara à atterrir.
Près du sol, le Mamono battit ses ailes restantes et créa un puissant coup de vent qui souleva une énorme quantité de neige, dissimulant son corps derrière un rideau blanc. Juste avant cela, Alus vit le motif en forme d’œil de ses ailes restantes s’illuminer en rouge, comme dans un accès de rage. Les ailes antérieures qui avaient été partiellement ouvertes l’étaient maintenant complètement, leurs yeux rouges émettant du mana avec fureur.
À ce moment-là, l’air trembla. La température au niveau du sol chuta et un vent neigeux balaya la terre. Il y avait déjà eu des changements soudains auparavant, mais cette fois-ci, il s’agissait d’une tornade de neige créée par un Shem Azah blessé.
Alus plissa les yeux lorsqu’il aperçut Lettie. Elle était penchée en avant, les yeux grands ouverts, comme si elle criait qu’elle ne le laisserait jamais s’échapper, son niveau d’intention meurtrière frôlant l’anormal.
Alors qu’elle était sur le point de s’élancer dans la tempête blanche enveloppant le Shem Azah, Alus apparut silencieusement à ses côtés et enroula son bras autour de son abdomen pour l’arrêter de force. « Je sais ce que tu ressens… mais ça suffit. »
"!?"Lettie le regarda par-dessus son épaule avec un regard dur. « Pourquoi ? Nous l’avons coincé ! »
Alus ne répondit pas alors que la tempête de neige grondait, se contentant de rapprocher Lettie.
Elle afficha une expression de surprise, mais l’instant d’après, un rayon de lumière traversa les chutes de neige. Le rayon traversa l’espace vers lequel Lettie se dirigeait, avant de brûler la face d’une montagne lointaine et de s’éteindre.
« Ne t’énerve pas trop. Tu n’es pas assez stupide pour choisir la mort en jouant les têtes brûlées. Si c’est ce que tu veux, très bien, mais tes subordonnés me le reprocheront. » Alus la laissa enfin partir.
Lettie avait l’air de ne pas avoir fini, ce qui incita Alus à balayer la neige dans ses cheveux et à dire : « Ce n’était pas aussi puissant, mais c’était aussi un Demis Brionach… De penser qu’un autre de ceux-là viendrait si tôt. Il y a des choses que même moi je ne peux pas prédire. »
Elle baissa silencieusement la tête. Il était peut-être plus faible, mais elle pouvait sentir la puissance qu’il contenait. S’il ne l’avait pas arrêtée, elle doutait de pouvoir l’éviter. Cela aurait sûrement été la pire des choses. Elle aurait au moins perdu un bras, mais même cela aurait été une chance. Dans tous les cas, elle aurait été hors d’état de nuire.
Voyant que Lettie avait l’air à la fois soulagée, en conflit et pleine de remords, Alus haussa les épaules. « La puissance de ce tir était différente. Le Lefkis doit pouvoir se déplacer assez rapidement. En changeant d’endroit, il est capable d’accumuler plus de mana dans l’air. Il recharge ainsi son mana et tire à nouveau. Il peut probablement ajuster la puissance. Même si ce n’est pas un Demis Brionach complet, il peut tirer à plusieurs reprises avec une puissance considérable. »
De plus, bien qu’il n’ait pas l’air de s’en préoccuper, il avait des préoccupations majeures. La première était Lettie. « Tu n’es pas calme en ce moment. Tu es blessée, et tu es proche de tes limites, n’est-ce pas ? Et tu veux que je te protège, tout en restant sur mes gardes pour le Lefkis et en combattant le Shem Azah ? »
L’idée de départ s’était déjà effondrée. C’est pourquoi ils devaient faire une pause, même au détriment de la mission initiale. « Il y a quelque chose que j’ai compris dans ce combat. Le Shem Azah est spécialisé dans la magie, mais on ne peut pas non plus ignorer ce coup de pied. Heureusement, ses capacités de régénération ne sont pas très élevées. De plus, il est prompt à la colère et vindicatif. Il va certainement s’en prendre à nous. »
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Partie 4
Alus poursuivit avec un sourire méchant. « Même s’il se cache dans la neige ici, il reviendra pour se venger. Il ne s’enfuira pas et n’ira nulle part ailleurs. C’est ici qu’il s’installera. Mais malheureusement pour lui, les choses ne se passeront pas comme il le souhaite. »
« Comment sais-tu que — ! »
« Je peux le dire. Ce n’est pas comme si j’avais tué des monstres comme ça pour le spectacle. Nous allons nous retirer pour l’instant. Ce n’est pas encore le bon moment. »
L’existence du Lefkis serait certainement un obstacle. Même s’ils pouvaient en finir avec le Shem Azah, il ne voulait pas en payer le prix fort. « Mujir et Loki sont sur le coup. Le Demis Brionach aurait dû leur communiquer la position du Lefkis. Il faut donc leur faire confiance et attendre. »
Le corps massif du Shem Azah avait déjà disparu dans la tempête de neige. Alus avait dit à Mujir et à Loki qu’il ne fallait surtout pas rater ce sort à longue portée. L’Ogma était encore inconnu, mais comme il n’était pas encore intervenu, il se cachait probablement sous terre. En fait, son manque d’implication prouvait que Sajik s’était rapproché. Il était donc probablement du genre à éviter les combats, ce qui faisait de lui une menace moins directe. C’est ce que disait le rapport de Clevideet. Quoi qu’il en soit, comme ils n’avaient pas assez de temps et de force pour tout faire, ils allaient devoir faire confiance à Sajik pour s’occuper de l’Ogma.
Et puis, il y avait l’autre doute dans son esprit. Alus jeta un coup d’œil vers les pieux noirs que le Shem Azah avait lancés auparavant. Lettie suivit son regard et regarda également.
Quelque chose d’étrange se produisait sous leurs yeux. « Même le Niflheim ne peut pas arrêter le pouls à l’intérieur. Peux-tu le sentir ? » demanda Alus. Il jeta un coup d’œil à Lettie, qui ne confirma ni ne nia. « Nous devons nous éloigner d’ici pour que je puisse te l’expliquer. Vu l’ampleur de la tempête, il est complètement passé à la défense. On dirait qu’il essaie de nous attirer, alors il faut se préparer. Il faut aussi s’occuper de tes blessures. »
« Très bien », dit Lettie après une pause, s’étant un peu calmée.
Alus était un peu soulagé. Le Shem Azah se cachait dans la tornade de neige, mais il n’était pas prêt d’aller loin avec ces blessures. Il rétrécit les yeux pour essayer de voir à travers la neige. Il parvenait à peine à distinguer le corps du Shem Azah… et il lui arrivait quelque chose. Il avait senti que ses activités avaient cessé, mais ce qu’il voyait était inattendu.
L’énorme corps du Mamono était couvert de ficelles. Il avait tissé un cocon à un moment donné et son corps y avait disparu. C’était probablement pour soigner ses blessures, mais s’il n’allait nulle part, c’était tant mieux pour eux.
Tournant le dos au cocon, Alus et Lettie décidèrent d’opérer une retraite tactique. Comme Alus l’avait prédit, la neige que le Shem Azah avait fouettée s’était transformée en un blizzard qui avait englouti toute la région. Et rien ne laissait présager qu’il se calmerait bientôt.
Les deux soldats se réfugièrent dans une grotte située sur une haute colline voisine. S’ils avaient choisi la hauteur, c’était pour pouvoir sentir le Shem Azah plus tôt s’il revenait. Ce n’était même pas une des petites bases, mais elle avait été notée sur la carte en cas d’urgence. Elle n’était pas très profonde, mais elle était suffisante pour les abriter de la neige et des vents. Ils déposèrent tout ce qu’ils portaient pour se déplacer le plus légèrement possible.
Lettie se tint l’épaule et s’appuya contre le mur escarpé.
Alus se prépara rapidement en mettant le feu aux branches qu’il avait ramassées en chemin. « Déshabille-toi. »
« Quoi ? » La soudaineté de la phrase fit glapir Lettie.
« Je vais soigner la blessure de ton épaule et je dois vérifier le reste de tes blessures. » Alus n’allait pas se contenter d’un refus, mais il n’avait pas non plus d’arrière-pensées. Au contraire, il avait presque l’air ennuyé.
« Je comprends ce que tu veux dire, mais ne pourrais-tu pas être plus prévenant, comme te retourner ? »
« Quoi ? Je ne savais pas que tu avais le sens de la honte. »
Lettie fit la moue et se retourna pour enlever son haut. « Je ne suis pas du genre à me déshabiller devant un homme. Mais pour qui me prends-tu... Bon sang. » D’ailleurs, elle n’avait presque jamais été blessée, voulut-elle ajouter. Le haut enlevé et le dos tourné à Alus, Lettie ramena sa tresse devant elle. « Es-tu en colère ? »
« Non, j’ai l’habitude de faire mal et d’être blessé. Si tu veux mourir sans être soigné, ça me va. »
« Tu es donc en colère », marmonna faiblement Lettie en détournant la tête. Elle se reprochait tout, ce qui lui donnait une attitude anormalement mièvre.
Alus lui ordonna de s’asseoir et elle s’exécuta. Elle s’assit en croisant les jambes, le dos bien droit. « Pour commencer, je vais te faire des points de suture. »
Lettie répondit par un hochement de tête.
Il n’en avait pas vraiment l’utilité lui-même, mais les semelles des bottes de combat d’Alpha étaient munies d’une aiguille et d’un fil. Recoudre une blessure avec ces aiguilles était une mesure assez radicale, mais bien connue dans l’armée. À l’époque où Alus n’était pas aussi expérimenté, il s’en était servi pour se soigner.
Alus passa d’abord l’aiguille dans les flammes pour la stériliser avant de s’approcher de Lettie. Lorsqu’il le fit, elle leva une main pour couvrir sa poitrine. Ignorant cette réaction, Alus se mit à la soigner. La lacération était plus profonde que prévu, et la zone autour de la peau déchirée était brûlante. « Tu auras besoin d’un traitement approprié plus tard, mais fais avec pour l’instant. » Il rassembla du mana au bout de ses doigts pour remplacer l’anesthésie.
Les tempes de Lettie tressaillirent lorsque l’aiguille s’enfonça dans sa peau, mais Alus ne pouvait rien faire de plus pour elle. Grâce à l’anesthésie, son sens de la douleur s’était émoussé et elle n’avait pas eu si mal que ça. Au milieu du traitement, elle murmura : « Tu ne vas pas te mettre en colère ? »
« Un Single veut que quelqu’un se mette en colère et le regarde de haut ? Je ne suis pas ton parent ou ton professeur, alors je vais refuser, peu importe combien tu me paies. »
« Je ne sais pas si tu es gentil ou froid… » Lettie regarda sa main. Même maintenant, Alus continuait à concentrer du mana au bout de ses doigts alors qu’il déplaçait l’aiguille qui la fixait.
« Permets-moi de te poser une question. Était-ce censé être ton honnêteté du fond du cœur ? » Par là, bien sûr, il faisait référence à Lettie qui perdait son calme en criant qu’ils l’avaient acculé au pied du mur.
Ses paroles pleines de sarcasme lui firent baisser la tête avec un air de remords. « Désolée. »
« Je suis soulagé de l’entendre. Tu devrais pouvoir te calmer un peu plus la prochaine fois », répondit Alus, après avoir fini de recoudre la plaie de son épaule. Il examina à nouveau le corps de la jeune femme. Les dommages aux organes internes étaient particulièrement dangereux dans ce genre de cas, et elle pouvait avoir des dommages dont elle n’était même pas consciente.
Heureusement, cela ne semblait pas être le cas. Cela dit, son corps était couvert d’ecchymoses. Il y avait également des gonflements ici et là qui ressemblaient à des ecchymoses. Cependant, son dos ne présentait que des blessures fraîches. Il n’y avait pas vraiment de vieilles cicatrices. Hier encore, il était aussi beau que celui de n’importe quelle fille normale vivant dans le monde intérieur.
Mais à Vanalis, elle devait porter de nouvelles blessures, ainsi que d’amers regrets. Elle semblait s’en être remise un moment, mais à en juger par ses actions antérieures, l’avant-congé pesait encore lourdement sur son esprit. Les blessures n’étaient pas seulement gravées dans la chair. En échange de la pureté et de l’innocence, elles étaient également gravées dans l’âme.
Lorsqu’Alus pensa à cela, les visages de deux jeunes filles lui revinrent à l’esprit. Il s’agissait de deux magiciennes novices qui ne connaissaient rien du monde extérieur et qui marchaient d’un pas tranquille sur le chemin qui s’offrait à elles. « Je vais dire quelque chose d’inutile, alors dis-toi que je me parle à moi-même. »
« J’ai compris. »
Le dos de Lettie était étonnamment mince. Alus y posa sa main recouverte de mana tout en prononçant quelques mots. Il avait dit qu’il se parlait à lui-même, mais c’était l’expression de ses vrais sentiments. « Tu sais qu’il y a des étudiantes à l’Institut à qui j’enseigne, n’est-ce pas ? »
« Tesfia, la fille de Frose. Et Alice. C’est ça ? » répondit immédiatement Lettie.
Il était un peu surpris qu’elle se souvienne de leurs noms. « Oui, puisque je leur enseigne, je ne me retiens pas. Si elles ont l’intention de devenir magiciennes, je les aiderai tant que je serai là. »
« Ça a l’air assez dur. Je suis sûre que ce sont de bons enfants. »
Alus avait du mal à être d’accord avec cette dernière partie. Si Lettie ressentait cela, c’était peut-être une sorte de connexion féminine. « Je veux qu’elles deviennent des magiciens comme toi. »
« Qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce une confession ? »
« Quoi ? » Alus laissa échapper une voix stupéfaite à sa remarque, mais Lettie en rit comme d’une blague. Elle semblait être revenue à la normale, alors il retira sa main couverte de mana de son dos.
« Ne ferais-tu pas un meilleur modèle, Allie ? Tu es le numéro 1 du classement après tout. »
« Je ne suis pas bien pour ça. Je peux leur apprendre toutes sortes de choses, mais je ne peux pas être leur but. »
« C’est vrai », dit Lettie après une pause. Elle comprenait ce qu’il voulait dire et semblait réfléchir à son commentaire irréfléchi.
En ce qui concerne les magiciens, la carrière et les caractéristiques d’Alus étaient étonnantes. Mais même un magicien novice exceptionnel ne devrait pas le considérer comme un objectif, quel que soit son potentiel. En fait, on pouvait se demander si un magicien qui présentait tant de lacunes pouvait même être considéré comme un être humain décent.
Le chemin qu’empruntaient les deux jeunes filles leur permettrait de rencontrer de nombreux magiciens sur le même chemin qu’elles. Mais elles auraient beau marcher, elles ne trouveraient pas Alus sur ce chemin. Il avait quitté la route et errait seul dans un labyrinthe sombre et sans lumière. Il ne pourrait jamais être le but de quiconque.
Mais comparée à lui, Lettie était une magicienne idéale, à la fois en tant que capitaine d’escouade et en tant que personne. Elle prenait soin de ses subordonnés et appréciait les liens qui l’unissaient à ses camarades. Même en tenant compte de ce lien, elle gardait une certaine distance pour éviter de prendre des mesures tendancieuses.
Parfois, elle n’arrivait pas à contenir ses sentiments, comme lors de la bataille contre le Shem Azah. Mais cela la rendait encore plus humaine aux yeux d’Alus. C’est pourquoi il ne pourrait jamais la haïr, même s’il n’était pas assez naïf pour le lui dire.
« Mais…, » déclara Lettie. « Je vois, tu me tiens donc en si haute estime. » Elle sourit joyeusement aux paroles d’Alus, les laissant pénétrer et sentant son cœur se réchauffer. « C’était tout de même assez détourné pour une confession. Je te donne quand même la note de passage. »
« Dois-je jeter un coup d’œil à ta tête… non, à ton front ? »
☆☆☆
Partie 5
Ses yeux s’écarquillèrent et elle se recroquevilla légèrement. « Non merci ! Ce n’est pas la peine ! Je peux le vérifier moi-même ! C’est quoi ce harcèlement sexuel désinvolte ? Et si tu dis ça, essaie au moins d’avoir l’air enthousiaste au lieu de dire ça pour le plaisir… En fait, de quelle influence s’agit-il ? »
« Lindelph, je suppose. »
« Lui, hein. Bon sang… » L’expression de Lettie devint amère à la pensée de cet homme connu pour être un coureur de jupons. C’était un homme pathétique d’âge moyen qui semblait avoir grandi sans qu’on lui ait jamais enseigné la délicatesse ou le raffinement. « Les plaisanteries ne te conviennent vraiment pas, Allie. »
« Je vois. Mais si tu es si énergique, tes blessures ne sont probablement pas graves. »
« Grâce à toi. » Lettie regarda son corps et bougea légèrement ses bras et ses jambes. Elle commença ensuite à se rhabiller.
Pendant ce temps, Alus regardait correctement de l’autre côté, tout en mettant un linge sur sa main gelée.
Lettie se leva soudain. Alus supposa qu’elle avait fini de s’habiller, se retourna et vit que sa veste et ses manches en lambeaux étaient toujours à ses pieds. Elle fixa Alus, qui la dévisagea avec méfiance. « Oui, j’ai décidé. »
« Quoi ? »
« Je n’étais pas sûre du moment où je devais te le dire. En fait, je n’avais pas prévu de le dire du tout. Allie… quand nous aurons terminé cette mission… » Lettie fit une pause. Son expression était sérieuse. « Je veux que tu rejoignes officiellement mon équipe. »
« Me recrutes-tu maintenant ? Mais je ne… »
« Je suis sûre que notre équipe sera le meilleur endroit pour toi. D’ailleurs, lorsque j’ai créé cette équipe, c’est ton visage qui m’est venu à l’esprit lorsque j’ai choisi les membres. Je suis sûre qu’ils t’accepteront aussi… et nous pourrons alors être comme une famille. »
L’armée — à quelques exceptions près — était un lieu de rivalités intenses. C’est pourquoi il y avait peu de personnes en qui un Single pouvait vraiment avoir confiance. Lettie ne faisait pas exception à la règle. Quand elle disait que l’unité était comme une famille, Alus trouvait que cela lui correspondait parfaitement. En effet, c’était la raison pour laquelle elle était si attachée à Vanalis et pourquoi elle était si émotive devant le Mamono. C’était quelque chose qui était présent dans l’escouade de Lettie et dans aucune autre.
Lorsqu’Alus s’en rendit compte, il ne put qu’espérer qu’Alice et Tesfia s’efforceraient de devenir quelqu’un comme Lettie plutôt que lui-même. À présent, elle se tenait à la frontière d’un sombre désert et de la lumière, lui tendant la main, l’invitant à ses côtés.
Il avait accompli de nombreuses missions par le passé. Et beaucoup d’entre elles impliquaient de travailler avec des escouades, mais à la fin, il était toujours traité comme un hérétique. Ils avaient directement ou indirectement souhaité sa mort à de nombreuses reprises. Dans le monde des vivants, Alus s’était battu dans l’endroit le plus proche de la mort, et tout seul.
« Je sais qu’il est assez tard », dit Lettie avec un sourire doux.
Alus vivait dans un petit monde sombre et glacial, mais Lettie lui offrait maintenant un endroit où il pourrait vraiment se reposer. Depuis son enfance, il avait été traité comme un outil de destruction des mamonos, détesté et craint par ses congénères. Elle lui offrait un endroit où il pourrait vivre en public.
« Hé, Allie… Détestes-tu parcourir le monde extérieur ? »
« Pas vraiment. » En effet, il ne détestait pas le monde extérieur. En fait, il voulait en voir les confins avant tout le monde. Il voulait poursuivre ce rêve inassouvi sans aucune contrainte. Malgré les combats incessants, il semblait que le monde extérieur soit le seul endroit qui le satisfaisait.
Avant qu’il ne puisse ouvrir la bouche, Lettie l’arrêta. « Tu n’es pas obligé de donner ta réponse tout de suite. Je vais te laisser le temps d’y réfléchir et je te reposerai la question plus tard. »
« D’accord. Je vais y réfléchir. »
Le temps qu’il s’en aperçoive, le feu s’était affaibli et semblait pouvoir s’éteindre d’un moment à l’autre. Ils avaient fait une pause d’une demi-heure au total. C’était le temps nécessaire pour soigner Lettie et lui permettre de retrouver son calme.
Soudain, Alus sentit quelque chose et jeta un coup d’œil par l’ouverture de la grotte. Le blizzard s’était calmé et une ombre gigantesque était apparue sous le nuage de cendres sur le champ de neige.
La première chose qu’il remarqua fut le cocon brisé. Ensuite, il vit le Shem Azah, qui avait dû lutter pour en sortir. Sous la faible lumière du soleil, le roi des papillons de nuit piétinait son cocon et battait lentement des ailes pour tenter de reprendre son envol.
« C’était plus rapide que prévu. Ses propriétés de guérison ne devraient pas être aussi élevées, alors il a dû se concentrer sur la guérison de son aile. » Le motif en forme d’œil sur son aile régénérée brillait comme s’il essayait de trouver où se cachaient Alus et Lettie.
« Mais tu as eu tout le temps de refermer ma blessure », remarqua Lettie en s’approchant d’Alus et en jetant un coup d’œil sur le champ de bataille.
Le blizzard étant passé, le ciel était relativement calme. D’après ce que l’on pouvait voir, le fait que le Shem Azah se soit concentré sur la guérison de son aile n’avait pas permis de guérir ses autres blessures. Il avait encore les dommages causés par toutes les détonations que Lettie avait déclenchées.
« Allons-y. J’aurais préféré le faire exploser d’un seul coup. »
« C’est ce que tu souhaites. Ces dégâts sont dus au fait que tu as bombardé sans discernement, en négligeant la composition et les coordonnées. » Pour preuve, Lettie n’avait pas utilisé la version améliorée de la Détonation, mais l’ancienne qui était moins difficile à lancer pour réduire le déplacement des coordonnées.
Alus avait frappé Lettie là où ça faisait mal, et elle ne pouvait que le regarder avec un peu de honte. Elle était une Single après tout. « En guise d’excuses, tu peux faire de moi ce que tu veux. » Elle pinça son haut et l’ouvrit un peu pour lui donner un aperçu.
Elle aurait pu essayer de le remercier d’avoir repris son rôle. Bien sûr, Alus l’ignora. Quand elle était dans son élément, elle était audacieuse, mais elle avait été troublée juste avant cela. Il était facile de savoir quelle Lettie était la vraie. Alus sentait qu’il pouvait comprendre pourquoi Cisty disait que Lettie était toute en paroles, mais pas en action. « Nous devrions y aller. Il vaut mieux ne pas la laisser s’impatienter et se retourner contre le reste de l’escouade. »
« Alors, c’était quoi cette sorte de grand pieu ? » demanda Lettie.
C’était l’une des principales raisons pour lesquelles Alus avait choisi de se retirer temporairement. « C’est probablement un sort d’invocation. Un sort inconnu enfermé à l’intérieur qui peut être déclenché à distance. Et quatre d’entre eux en plus. »
« Peut-on les briser ? »
« J’ai essayé, mais ça n’a pas marché. Il semble qu’on ne puisse pas affecter la magie de l’extérieur. »
« Tu ne sais donc pas de quel sort il s’agit ? »
« Je n’ai pas d’indice. D’après son apparence, j’ai pensé qu’il s’agissait d’un sort d’attribut Terre… mais en y réfléchissant bien, il pourrait aussi s’agir d’un sort d’attribut Feu. » La raison pour laquelle il pensait cela était que même Niflheim ne pouvait pas l’arrêter, et que le sort de pieu avait été créé à partir des flammes de Lettie. Contrairement au dragon de feu qui avait été transformé en pierre, il était possible que le Shem Azah n’ait fait que détourner le mana sans en changer la composition, et qu’il ait donc utilisé la formule d’attribut telle quelle. « Quoi qu’il en soit, nous allons avoir du mal si nous ne nous occupons pas de cette neige. Quel que soit le sort, si j’y ai fait face ne serait-ce qu’une fois, je serai capable de le contrer la prochaine fois. »
« C’est très fiable. Mais je ne veux pas d’un nouveau saccage comme la dernière fois. »
« Je vais faire de mon mieux. Je devrais pouvoir absorber le sort… probablement. Et puis il y a aussi le Lefkis qui pourrait intervenir à nouveau, » dit Alus.
« Pour l’instant, nous gagnons du temps jusqu’à ce que le Lefkis soit éliminé. »
« C’est ce qui est prévu. La neige a une grande influence, mais nous savons que nous pouvons la pousser jusqu’à un certain point. Nous devons juste nous assurer de ne pas dépasser cette limite. »
Les derniers mots d’Alus firent froncer les sourcils à Lettie. L’erreur qu’elle avait commise comme si elle était une débutante était fermement gravée dans son esprit. C’est pourquoi elle prit sa décision. « Désolée, Allie, mais pourrais-tu m’aider à m’occuper de ce type un peu plus longtemps ? »
« Oui, j’allais le faire. Mais n’est-il pas un peu tard pour le demander ? » La mission initiale d’Alus était terminée lorsque le Lefkis avait tiré son deuxième coup. En fait, le premier tir qu’il avait fait traiter par son Mangeur Gra avait été si voyant que Mujir et Loki avaient déjà dû trouver où il se cachait. Il en était convaincu. « Lettie, nous allons finir cette chose ici, alors je ne veux pas t’entendre dire que tu n’as déjà plus de mana. »
« Je peux supporter un autre round. En fait, j’ai mon propre plan. Puis-je compter sur ton soutien le moment venu ? »
« Tant qu’il ne s’agit pas de quelque chose de téméraire. » Alus n’était pas un adepte du front commun, et il n’était pas non plus très doué pour cela. Mais ce ne serait peut-être pas le cas avec Lettie telle qu’elle était maintenant.
Avant d’affronter le Shem Azah, Alus lança une nouvelle fusée de signalisation. Le Shem Azah les repérerait, mais ils n’avaient plus l’intention de se cacher. Une fumée aux couleurs voyantes s’éleva, avant d’exploser dans les airs et de répandre une vague de mana.
C’était le signal pour l’équipe de passer à l’étape finale du plan.
☆☆☆
Chapitre 56 : Fanatique fou
Partie 1
Une faible lumière pénétrait par le haut dans la sombre mine abandonnée.
Un énorme magicien musclé était à genoux, la tête basse. Avec ses bras épais tendus de chaque côté comme s’il était crucifié, il ressemblait à une marionnette suspendue par des ficelles. Il avait perdu tellement de sang qu’il pouvait être dans un état critique, même si l’homme, Sajik, était inconscient et ne s’en rendait donc pas compte.
Les gouttes de sang rouge vif dégoulinaient et étaient absorbées par le sol sale. Le visage de Sajik était d’une pâleur mortelle, peut-être à cause de la faible luminosité. De minces tubes étaient plantés dans ses bras comme s’il s’agissait de veines. Ils se tortillaient et pulsaient en se frayant un chemin au plus profond de ses bras.
Pourtant, Sajik ne bougeait pas. Les tubes menaient à un grand morceau de cuir à quelques mètres de là. Mais cette vue ne semblait pas à sa place.
C’était sous terre et l’air était stagnant, et comme on pouvait le constater à l’odeur nauséabonde, même le vent ne parvenait pas jusqu’ici. Mais le tissu battait de l’avant à l’arrière, comme s’il bougeait dans le vent. Non… il se tortillait comme s’il était vivant.
En y regardant de plus près, on pouvait voir que le tissu de cuir n’est relié ni aux murs ni au sol. Il semblait flotter dans l’air. Le centre du tissu dépassait, comme s’il y avait quelque chose en dessous. Et en effet, il y avait quelque chose… un Mamono grotesque.
S’il semblait flotter, c’était à cause de la minceur de son corps. Le sommet de sa tête était recouvert d’un tissu de cuir en lambeaux, et sous celui-ci se trouvait une silhouette mince et maladive, réduite à l’état de peau et d’os. Ses articulations noueuses, ses griffes acérées et ses jambes repliées étaient bien celles d’un monstre. Il avait l’air un peu humanoïde, mais il n’avait rien d’humain. Cela aurait suffi à dégoûter la plupart des gens et à les faire trembler de peur. Il ressemblait à un pendu, mais même pour un Mamono, il semblait plus mort que vivant.
L’impression sombre qu’il dégageait et les tubes particuliers qui pulsaient sinistrement indiquaient clairement qu’il s’agissait de l’ignoble Mamono qui lavait le cerveau de ses subordonnés et les utilisait comme pions… l’Ogma.
Les tubes qui s’étendaient sous le tissu de cuir séché jusqu’aux bras de Sajik se tortillèrent à nouveau. Ils étaient entrés par les poignets et s’étaient frayé un chemin jusqu’aux coudes.
Les sourcils épais de Sajik se contractèrent, ses yeux étaient toujours fermés. L’instant d’après, il fléchit les bras si fort que des veines étaient apparues, et il s’était libéré de ses liens. Il avait saisi les tubes et les avait retirés de ses bras.
Qu’est-ce qu’il y a ? Putain, j’étais en train de m’assoupir… Sajik releva lentement et silencieusement la tête, une colère féroce dans les yeux.
Il avait été séparé de ses camarades lorsqu’il était tombé sous terre, et avait finalement rencontré sa cible lorsqu’il avait été frappé par une attaque-surprise d’un sort d’élément sombre et capturé par des tentacules.
On l’avait gavé d’anesthésiques et, alors qu’il était sur le point de perdre conscience, il s’était réveillé. S’il avait évité le lavage de cerveau, c’était grâce à la fusée de signalisation tirée par Alus. Les vagues de mana avaient pénétré le sol et réveillé Sajik. C’était vraiment un bon moment, même s’il avait l’impression de n’avoir dormi qu’un peu.
Comme Alus l’avait prédit, l’Ogma n’avait pas beaucoup d’aptitudes au combat, c’est pourquoi il s’était caché ici. Maintenant que Sajik était réveillé et utilisait la Force, il n’était pas différent d’un enfant. En un instant, il se retrouva juste à côté de lui et décocha un puissant coup de pied dans son corps osseux.
Le corps de l’Ogma se plia sous l’impact. Son abdomen éclata et ses os se brisèrent.
Après avoir envoyé son adversaire contre le mur, Sajik lança avec colère des éclairs dans les tubes qu’il tenait. Les éclairs traversèrent les tubes dans chaque main, et lorsqu’ils se rencontrèrent dans le corps de l’Ogma, ils éclatèrent en de violentes étincelles. La lumière était si intense et brillante qu’elle effaça toutes les ombres pendant un court instant.
Voyant l’Ogma brûlé et immobile, Sajik expira. Même pour quelqu’un d’aussi audacieux que lui, avoir des objets étrangers dans les bras était très inconfortable. Il coupa les tubes restants, les jeta au sol et les pulvérisa sous son pied. Les tubes, coupés de leur corps, se transformèrent rapidement en poussière.
« Bon sang, j’ai vraiment baissé ma garde », dit Sajik avec dégoût, en se grattant la tête. Il se frotta ensuite le cou, car après l’injection d’anesthésiques, il se sentait étrangement endormi. Il se frotta également les yeux, mais fit soudain claquer sa langue. « Aïe, j’ai de la terre dans les yeux. » Il continua à se frotter tout en examinant prudemment le Mamono.
Après s’être assuré qu’elle était toujours en vie, il s’approcha de la silhouette carbonisée. Il rassembla du mana dans sa main, qui se transforma en attribut de foudre, puis le déchargea. Cela se passa en un instant, ne laissant aucune chance au Mamono de s’échapper.
« Il est temps d’arrêter de se cacher et de se battre. Tu m’as donné du fil à retordre pour un faux humain. Mais maintenant, c’est l’heure de la revanche… Voyons ce que tu peux supporter. »
Toujours en train de décharger de l’électricité, Sajik s’empara du tissu de cuir séché, mettant plus de force dans sa main. Il l’arracha et s’agrippa au cou du Mamono, qui était mince et vieux.
Des éclairs traversèrent le corps de l’Ogma. De la fumée blanche s’en échappait et les chocs répétés faisaient tressaillir son corps. Dans l’intention de l’achever, Sajik abattit sa main comme une hache et brisa la tête du Mamono.
« Je l’ai trouvé au premier coup. » À l’intérieur du crâne se trouvait un noyau empoisonné ressemblant à un cerveau.
Les lèvres de Sajik se tordirent en un sourire. Il transforma son mana en éclairs, son gantelet brillant d’une lueur blanche alors qu’il déversait tout son mana dans l’Ogma. Le noyau n’eut aucune chance de résister à cette terrible attaque et se brisa.
Le cœur de l’Ogma fut brûlé si vite qu’il n’eut même pas le temps de crier, et son corps se réduisit en cendres.
Sajik lâcha la tête, qui était la seule chose qui restait, et la regarda se transformer en poussière sur le sol. « Ouais ! » dit-il, le moral remonté.
« Hé, Sajik ! »
« Sajik, es-tu toujours en vie ? »
Il entendit les voix familières de ses camarades. Ils s’étaient séparés pour éliminer les Mamonos en se frayant un chemin à travers le complexe de tunnels, et certains d’entre eux avaient fini par le rejoindre.
« Je suis là ! » répondit Sajik d’une voix forte, comme pour dire qu’il allait parfaitement bien, alors que ses camarades arrivaient en courant.
« As-tu senti le signal de Sire Alus ? Nous devons en finir rapidement », dit un membre de l’escouade.
Mais Sajik s’était contenté de se frotter le menton et de rire. « Vous arrivez trop tard. Je viens de le terminer. Une fois que nous serons à la surface, nous devrons envoyer le signal pour montrer que l’Ogma a été tué. »
Il y avait eu quelques accidents, mais l’Ogma avait été éliminé en peu de temps. Et comme Sajik l’avait fait tout seul, c’était encore mieux. Mais comme on pouvait s’y attendre d’une classe A comme l’Ogma, même si elle était fragile en combat rapproché, elle avait frappé son point faible de manière inattendue.
« Cela va dévaster la capitaine. » Une odeur nauséabonde flottait dans l’air. Elle provenait d’un tas de cadavres à moitié dévorés laissés dans un coin. Ils faisaient probablement partie de l’avant-garde.
Le cœur de Sajik était rempli d’une colère brûlante. Le vêtement de cuir que portait l’Ogma ne faisait qu’attiser la flamme. La peau humaine séchée avait un léger effet isolant. Peut-être était-ce la tentative du Mamono de résister à l’attribut de la foudre, ou peut-être était-ce parce qu’il détestait la lumière.
Quoi qu’il en soit, une fois que Sajik eut rejoint ses camarades, ils firent demi-tour pour retourner à la surface. Le sang coulait toujours de ses bras après qu’il ait retiré les tubes, sans aucun signe d’arrêt. « Je vais devoir demander de l’aide à Louise. Elle me dénonce toujours au capitaine… »
Sajik avait tiré la courte paille et devrait rapporter le sort du détachement précurseur à Lettie, aussi ne pouvait-il s’empêcher de se sentir déprimé, et il grommelait d’un air exaspéré.
Cependant, il n’avait pas l’intention de faire une pause, même courte. Une fois qu’il aura été soigné, il rejoindra le reste de l’équipe. C’est pourquoi il voulait éviter de contrarier Louise lorsqu’il la rencontrerait enfin. Et c’est pour cela qu’il se plaignait maintenant, alors qu’il s’enfonçait dans le tunnel sombre.
☆☆☆
Loki et Mujir gravissaient une montagne à toute vitesse, le regard tourné vers l’avant, comme s’ils étaient pressés par quelque chose. Mais plus que l’impatience, c’est le sens des responsabilités qui les poussait à aller de l’avant.
« Quelle vitesse… ! Je ne peux pas suivre », dit Mujir avec une expression troublée. En tant que magicien à deux chiffres, s’il le voulait, il était certain que sa vitesse instantanée pourrait surpasser celle de Sajik dans des circonstances normales et même rivaliser avec celle de Lettie.
Il en va de même pour sa vision cinétique. Il pouvait même réagir à Sajik lorsqu’il utilisait la Force. Mais maintenant, il lançait sortilège après sortilège pendant qu’ils poursuivaient le Lefkis pour le bloquer, mais ils ne montraient aucun signe de réussite. Après son premier tir, le Lefkis sembla les sentir à l’avance et esquiva.
Le Lefkis était un Mamono insaisissable. Ils n’auraient pas pu le trouver s’ils l’avaient cherché à l’aveuglette. Mais grâce au plan d’Alus, ils purent le localiser en suivant le chemin des séquelles du premier Demis Brionach. Ils l’avaient retrouvé et s’étaient mis à sa poursuite, mais c’est là que les problèmes avaient commencé.
« Mujir, laisse-moi faire. »
Loki n’étant destinée qu’à servir de soutien, Mujir accepta son offre à contrecœur. Il fallait arrêter le Lefkis et il ne pouvait pas se permettre d’être difficile. « S’il vous plaît, » dit-il.
Au moment même où il répondait, Loki disparut dans un éclair. Fendant l’air, elle réduisit la distance qui la séparait du Mamono. Sa vitesse instantanée n’avait rien à envier à celle de Sajik qui utilisait la Force, ce qui le surprit.
Cependant, elle avait pu le faire en ignorant le stress qu’elle subissait. L’utilisation excessive de la Force par Loki, alors que son corps était encore en développement, finirait par lui nuire. Mais même ainsi, il n’y avait pas d’autre moyen.
En voyant cela, l’expression de Mujir était en pleine contradiction. Il avait entendu parler des efforts laborieux que Sajik avait dû déployer pour apprendre la Force. Même les adultes pouvaient subir de graves dommages aux jambes s’ils continuaient à utiliser la Force inutilement.
☆☆☆
Partie 2
Pendant ce temps, le Lefkis, qui courait d’un sommet à l’autre, commença à charger de grandes quantités de mana dans sa longue corne. Il continuait à courir tout en chargeant, rétrécissant les yeux comme s’il regardait quelque chose de lointain.
Loki voyait clairement des éclairs converger dans sa corne. La lumière mystique était sans aucun doute un signe de Demis Brionach. !? Il ne devrait pas pouvoir l’utiliser à plusieurs reprises !
Alors que cette pensée paniquée surgissait dans son esprit, Loki comprit pourquoi le Lefkis se déplaçait autant. Ce n’était pas seulement un moyen d’échapper à la poursuite. Le Demis Brionach était un puissant sort qui rassemblait le mana présent dans l’air et le lançait. En conséquence, il utilisait la majeure partie du mana de son environnement, mais en se déplaçant vers une nouvelle zone intacte, il pouvait absorber plus de mana.
Le deuxième tir sera moins puissant que le premier, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de menace. Je ne peux pas le laisser tirer à nouveau. Accélérant encore, Loki sortit plusieurs AWRs de type couteau et les lança d’un seul mouvement.
Les couteaux, recouverts d’électricité, avaient un pouvoir de pénétration considérable. Voguant droit comme des flèches, ils semblaient vouloir transpercer la tête du Mamono juste avant qu’il ne puisse lancer le sort.
Cependant, tous les couteaux avaient été repoussés par une barrière semblable à une décharge électrique créée par la corne du Mamono avant qu’ils ne puissent l’atteindre. Il s’agissait d’un mouvement à la fois offensif et défensif. La composition du sort devait inclure des parties d’un sort de barrière d’attributs de foudre. Comme un bouclier protégeant un sniper avant qu’il ne tire, le Lefkis semblait pouvoir le déployer à volonté, auquel cas des sorts novices ou des attaques avec une quantité de mana comparable ne pourraient pas arrêter l’attaque effrayante.
« Tsk ! » réagit Loki, tandis que le Lefkis rétrécissait ses yeux au maximum et tirait le deuxième Demis Brionach comme pour ridiculiser ses efforts. A cet instant, le Mamono s’arrêta dans son élan et s’arc-bouta sur ses quatre pattes.
Loki poussa encore plus fort avec la Force alors que les muscles de ses jambes craquaient, se rapprochant rapidement du Mamono. Elle sortit un autre couteau, déterminée à l’abattre cette fois, et le balança comme une baguette de chef d’orchestre.
« “Rayon de foudre” ». Un éclair descendit du ciel à l’endroit indiqué par la pointe du couteau, frappant directement le Lefkis. Un rugissement retentit.
Elle avait essayé de s’arc-bouter en lançant le sort, mais son accélération avait soulevé beaucoup de neige. Elle reprit rapidement sa position.
Même après avoir été frappé par une foudre d’une telle ampleur, le Lefkis resta impassible. Cette vision choqua Loki. Toute l’énergie de la foudre avait glissé sur son corps sans le pénétrer, comme la pluie sur un parapluie. Elle s’était ensuite transformée en une toile de foudre multicouche qui collait à son corps.
L’instant d’après, le Lefkis secoua sa longue crinière et son corps comme un chien mouillé qui se débarrassait de l’eau. L’électricité rebondit sur son corps et s’éparpilla dans toutes les directions.
Sire Alus l’avait-il également prévu ? Il était déjà clair que le Lefkis avait une résistance à l’attribut Foudre. Le corps et la fourrure du Mamono étaient de meilleurs conducteurs de mana qu’un AWR. Alus avait dit que Brionach et Demis Brionach étaient en partie des sorts de l’attribut Foudre, donc même s’il n’en était pas complètement sûr, il avait au moins anticipé la possibilité que le Lefkis se spécialise dans l’attribut Foudre.
Si la vitesse était tout ce qu’il fallait pour poursuivre et esquiver les attaques à distance du Lefkis, alors Sajik utilisant la Force serait meilleur que Mujir. Cependant, Alus avait choisi d’envoyer Sajik pour éliminer l’Ogma à la place. Il avait dû prévoir cette situation.
En même temps, Loki réalisa qu’on ne lui avait pas dit de soutenir Mujir parce qu’elle était faible. Les directives d’Alus et le positionnement du personnel avaient été parfaits. Si le rayon de foudre ne fonctionne pas, il faudra que j’essaie autre chose, pensa-t-elle en se mordant la lèvre. Il serait mortifiant de ne rester que le soutien de Mujir.
Un éclair de lumière apparut au-dessus de la tête du Mamono. Mujir bondit sur le Mamono et abattit son tonfa AWR. Il avait vu ce qui venait de se passer et tenta une attaque physique directe. Bien sûr, la surface des armes était recouverte de mana, et combinée à ses compétences, leur puissance destructrice était multipliée plusieurs fois. Un coup rapide et puissant fut porté vers la tête du Mamono.
Du point de vue de Loki, on aurait dit qu’il avait attaqué lorsque le Lefkis avait été pris au dépourvu. Elle sentait que la bataille était gagnée. Son rayon foudroyant avait été repoussé avec surprise, mais la confiance du Mamono — typique des Mamonos de haut rang — qu’il n’avait pas d’ennemis dignes de ce nom s’était retournée contre lui. Il avait baissé sa garde et Mujir avait frappé dans l’ouverture.
Plus important encore, grâce à son usage intensif de la Force, elle avait pu s’approcher du Mamono pour la première fois. Il ne restait plus qu’à se coordonner avec Mujir pour trouver une parade à la résistance à la foudre du Mamono. Le Mamono n’aurait pas l’occasion de tirer un troisième Demis Brionach et d’inquiéter à nouveau Alus.
Cependant, le Lefkis détruisit facilement le fantasme naïf de Loki. L’attaque de Mujir était à quelques millimètres de pouvoir frapper la nuque de l’animal quand soudain, la cible disparut de devant lui. L’attaque destinée à profiter l’ouverture ne toucha que l’air.
"!?"Les deux n’étaient pas aussi étonnés d’avoir évité l’attaque qu’ils l’étaient de la façon dont le Mamono l’avait fait. De minces fils d’électricité restaient à la place du Mamono.
« Force ! » Le nom du sort qui sortit inconsciemment de la bouche de Mujir était le même que celui que Loki venait d’utiliser.
« Mujir ! Derrière toi ! » Entendant l’avertissement de Loki, Mujir se retourna et vit la pointe acérée de la corne du Lefkis s’approcher de son cou.
« Ack ! » Il se pencha en arrière, l’attaque l’effleurant de peu. Une éclaboussure de sang s’éleva dans les airs au niveau de son cou. En même temps, il versa du mana dans son tonfa et s’élança vers la corne en tombant, y mettant assez de puissance pour la briser… mais le Lefkis utilisa la Force et se mit hors de portée de l’attaque.
Tsk… Mujir posa une main sur son cou. Du sang coulait, mais son artère était intacte. Comme le Lefkis venait de tirer un Demis Brionach, sa corne était suffisamment chaude pour que le coup qui l’avait frôlé lui brûle la peau. Après avoir vérifié sa blessure, il regarda son tonfa.
Ses yeux s’écarquillèrent, mais ce n’était pas parce qu’il avait découvert un moyen de tuer le Lefkis. « Cheveux… » Il réagissait à ce qui s’était attaché à son tonfa lors de sa contre-attaque. C’était une partie de sa crinière, mais elle était complètement différente de l’épaisse fourrure que portait le Mamono.
Ils étaient fins, brillants et d’une couleur particulière. L’œil avisé de Mujir lui indiqua immédiatement qu’il s’agissait de cheveux humains. Il pensait s’y être préparé, mais il savait à qui appartenaient ces cheveux… à l’Observatrice qui faisait partie du détachement précurseur. De plus, elle était l’une des rares utilisatrices de l’élément lumière. Malheureusement, il semblerait qu’Alus ait vu juste avec son explication cruelle de la raison pour laquelle le Lefkis pouvait utiliser un élément qui lui était normalement inaccessible.
Une rage violente menaçait d’éclater en lui, mais il la réfréna d’une expiration froide. Cela ne changeait rien au fait qu’il devait tuer ce Mamono, mais laisser sa colère prendre le dessus était inefficace et allait à l’encontre de sa façon de faire. Il resterait calme, choisissant la méthode la plus efficace et la plus optimale.
Avec une détermination silencieuse, Mujir concentra son mana dans son tonfa. Si le Lefkis pouvait utiliser la Force, la situation était bien pire qu’avant. Les humains ne pouvaient utiliser la Force que pendant un temps limité, et il n’y avait aucun moyen d’atténuer la pression qu’elle exerçait sur le corps. Il serait même étrange qu’une amélioration aussi intense n’ait aucun inconvénient.
Les mamonos, quant à eux, avaient fait évoluer leur corps pour qu’il soit plus apte à utiliser la magie, et ils étaient également beaucoup plus efficaces dans l’utilisation de la magie d’amélioration du corps.
Dans ce cas, c’est une bataille de temps. Les Mamonos de classe A et plus étaient presque parfaitement optimisés pour utiliser la magie de leurs attributs. La résistance à l’électricité dont il faisait preuve lors de l’attaque de Loki le montrait clairement. Sachant cela, Mujir n’était pas assez fou pour essayer de rivaliser avec le Mamono en termes de force physique.
Loki s’approcha de Mujir pour le couvrir. Elle était plus ou moins arrivée à la même conclusion. Cependant, il y a quelque chose qu’elle seule pouvait faire.
Voyant Loki s’envoler, Mujir fut choqué pendant un moment, mais réalisa rapidement ses intentions. Ils ne pourraient pas éliminer le Mamono si elle restait en soutien.
Loki avait passé pas mal de temps dans le monde extérieur, et avait vécu ses propres moments de vie ou de mort. Elle ne comprenait peut-être pas le sens unique de la coopération de l’escouade, mais elle avait suffisamment d’expérience pour savoir comment tuer des Mamonos.
Elle commença par utiliser la Force pour faire réagir le Mamono. Le Lefkis était déjà assez agile comme ça, et avec la Force, Loki était la seule à pouvoir le maîtriser. Elle sortit des couteaux de sa hanche, les tenant entre ses doigts, et défia ce Mamono qui pouvait résister à la magie dont elle était spécialiste.
Depuis le début, elle était prête à donner sa vie pour Alus. Mais les réflexions de Lettie avaient surgi dans son esprit.
Après tout, cet endroit est honnête. Elle était comme une princesse guerrière pleine de sang-froid et de fierté, l’un des deux Singles d’Alpha. Cela peut vraiment être un tel inconvénient. Loki se souvint de l’expression compliquée de Lettie — comme un sourire en pleurs — lorsqu’elle pensait à ses camarades tombés au combat.
Loki l’aimait bien. C’était une femme qui comprenait Alus, la personne la plus importante dans la vie de Loki, et qui pouvait entretenir une relation amicale avec lui.
Elle se souvint soudain de la farce qu’elles avaient jouée lors de la fête du campus. Loki n’avait pas de parents ni de frères et sœurs, mais elle pensait qu’elle et Lettie pourraient s’entendre si elles étaient vraiment sœurs. L’idée qu’elles seraient de bonnes sœurs l’une pour l’autre, quel que soit leur âge, lui vint à l’esprit. Je devrais la remercier à notre retour.
Soudain, Loki sourit. Lettie avait raison. Le cœur était vraiment honnête. Personne ne pouvait arrêter une impulsion de l’âme.
Loki avait l’impression qu’on lui avait enseigné quelque chose qui lui manquait. Elle avait du mal à l’exprimer, mais Lettie était une magicienne différente d’Alus. Elle était également convaincue qu’Alus avait vu cette qualité chez Lettie et l’avait reconnue chez elle.
Alus était la raison d’être de Loki, mais le chemin qu’il empruntait n’était pas le seul. Cette découverte l’émerveilla. Elle avait l’impression de s’éveiller à la vérité. Le chemin de Lettie en tant que magicien était un autre idéal.
Dans ce cas, il y avait peut-être d’autres façons de rester aux côtés d’Alus que la seule… Cette pensée apparut dans son esprit, et l’instant d’après, elle en fut convaincue. En effet, elle pouvait posséder quelque chose qu’Alus n’avait pas… et elle pouvait l’utiliser pour le soutenir et rester à ses côtés.
Loki trouva enfin une réponse. Et la force envahit inconsciemment son corps.
Instantanément, elle passa à sa vitesse maximale et disparut, ne laissant dans son sillage que des éclairs et de la neige. Au même moment, le Lefkis disparut à son tour.
☆☆☆
Partie 3
De temps en temps, des bruits d’électricité se répercutaient au loin. Des éclairs de lumière produits par la pointe des couteaux apparaissaient et disparaissaient, dansant dans l’air.
Au fur et à mesure que le temps passait, la neige était décorée d’éclaboussures de sang, dont le nombre augmentait lentement. C’était du sang humain rouge. Loki était dépassée. Elle défiait le Lefkis à une vitesse qui dépassait les limites de la perception humaine, mais elle avait toujours un temps de retard sur le Mamono, même si elle était prête à encaisser des dégâts pour vaincre son ennemi.
Loki se concentra pour esquiver les attaques, et attaquer avec ses couteaux recouverts d’électricité. Mais la corne du Mamono frôlait toujours ses joues et ses bras, éclaboussant de sang frais le Mamono qui parvenait à tout esquiver.
D’après ce dont elle se souvenait, huit couteaux avaient déjà été neutralisés. Elle s’était battue à la limite de ses capacités pendant tout ce temps.
Mujir s’en rendit compte et sentit la détermination de Loki dans sa façon de se battre et dans ses intentions. Pour que leurs efforts coordonnés soient couronnés de succès, il fallait qu’il arrive au bon moment. Et en fait, il était le seul à pouvoir suivre la situation. Au mieux, un magicien ordinaire ne verrait que des étincelles s’entrechoquer à grande vitesse.
Il utilisa d’abord ses oreilles. En suivant les sons sur la neige, ainsi que le flux du vent, il put distinguer les chocs et peu à peu ses yeux s’adaptèrent. Une fois cela fait, Mujir fit signe à Loki de la main.
Loki lui jeta un coup d’œil au milieu de la bataille et changea lentement l’endroit où se déroulait le combat.
Finalement, le Lefkis arriva à portée de Mujir, qui ne tarda pas à s’y engouffrer. Il ouvrit grand les yeux et, avec une vitesse initiale massive, il se rapprocha du Lefkis. Cela ne dura qu’un instant, mais c’était à une vitesse phénoménale.
Les tonfas de Mujir volèrent vers la tête et l’une des jambes du Lefkis, les tonfas dans ses deux mains attaquant les deux endroits en même temps. Sa priorité était la tête, où se trouvait probablement le noyau, ainsi que la jambe, pour lui ôter sa vitesse. Si l’une ou l’autre des attaques touchait, ce serait parfait.
Au même moment, Loki passa à l’offensive. Tous deux espéraient que cela mettrait fin à la bataille.
Malheureusement… ils n’y étaient pas parvenus. Bien sûr, Mujir n’allait pas laisser passer l’occasion qu’il attendait. La réponse se trouvait à la surface du tonfa qu’il avait rapidement porté à son visage. Un point précis avait été chauffé, brûlant l’air environnant.
C’est une surprise. Je n’aurais pas pensé qu’il pouvait contre-attaquer à ce moment-là… Mujir était stupéfait. C’était un coup technique avec toute sa puissance derrière. Il n’arrivait pas à croire qu’il avait été esquivé et qu’il avait reçu une contre-attaque en retour. S’il n’avait pas eu le réflexe de faire un pas plus court et de se mettre sur la défensive, cette corne brûlante lui aurait transpercé la gorge.
Même en combattant Loki, le Lefki restait vigilant face à Mujir. Cela signifiait que Loki seule ne pouvait pas occuper toute l’attention de son ennemi.
L’étonnement de Mujir atténua un instant ses mouvements, et l’équilibre que les deux avaient à peine maintenu s’effondra. Loki, surprise, esquiva le coup de Lefkis qui la visait, perdant pied par la même occasion. En voyant une occasion, le Mamono la frappa, faisant voler son corps.
Comme elle avait levé les bras pour se protéger, les dégâts n’étaient pas trop importants et elle atterrit sans se blesser davantage. Mais l’attaque avait permis d’obtenir une distance entre eux, et le Mamono fit le premier pas.
Sa corne se mit soudainement à briller tandis que le mana s’y accumulait. L’image de Demis Brionach apparut dans la tête de Loki et de Mujir. Mais la construction de cette attaque prit beaucoup moins de temps.
Un rayon de lumière sortit de la corne. Il ne s’agissait pas d’une attaque à longue portée comme auparavant, mais d’une simple attaque visant Loki. La portée n’était que d’une douzaine de mètres. Lorsqu’elle réalisa qu’il n’avait pas besoin d’une pleine charge de mana s’il ne s’agissait pas d’une attaque longue portée et puissante, il était déjà trop tard.
Elle n’y serait jamais parvenue en esquivant normalement. Un frisson glacial lui parcourut le dos et puis… elle franchit ses propres limites. Elle n’eut pas le temps d’y réfléchir, utilisant la Force au maximum pour se sortir de cette situation aussi vite que possible.
Le Demis Brionach frôla Loki et disparut dans la montagne derrière elle. Comme il s’agissait d’une version simple, il n’avait pas la capacité de la suivre.
Après avoir parcouru plusieurs mètres en un clin d’œil, Loki tomba et roula sur la neige. Elle prit une grande inspiration. Une fois l’air frais entré dans ses poumons, elle se rendit compte qu’elle s’en était sortie vivante.
Cependant, le Lefkis ne se souciait pas de ses sentiments et se mit à la poursuivre. Comme s’il sentait qu’il devait se méfier d’elle, il recommença à l’attaquer. Dans l’espoir de lui écraser le crâne, il abattit une patte.
Elle utilisa la Force à temps pour l’éviter, mais fut tout de même entraînée dans une lutte pour la vie et la mort. Le recul dû à l’utilisation de la Force au-delà de ses limites était plus important que prévu et elle ne pouvait pas utiliser ses jambes correctement.
Loki esquiva de justesse la charge du Lefkis qui l’attaquait à nouveau. Ses longs cheveux frôlèrent sa poitrine. Alors qu’ils se croisaient, elle injecta deux fois plus de mana dans son couteau que d’habitude et le lança, chargé d’électricité, sur le Lefkis.
Mais l’instant d’après… du sang coula de sa poitrine. « Quoi ? » Loki était choquée, se demandant quand elle avait été blessée.
Les cheveux n’avaient fait qu’effleurer sa poitrine. Pourtant, chaque mèche était aussi tranchante qu’une lame et l’avait découpée. D’ailleurs, ils étaient si tranchants qu’elle n’avait même pas remarqué qu’elle avait été coupée.
Loki plaça une main contre sa poitrine et se mit à genoux. Elle ne s’était pas non plus encore remise du choc en raison de l’usage de la Force. Le couteau qu’elle avait lancé avait déjà été repoussé par la corne du Mamono. Tout ce qu’il avait réussi à faire, c’était de laisser une petite égratignure sur la corne.
« … !! » Voyant le Lefkis prêt à charger à nouveau, Loki s’attela immédiatement à la construction d’un sort. Son corps bougeait plus vite que son esprit. Le fait que ses jambes ne puissent pas bouger devant cet ennemi signifiait une mort certaine.
Elle sortit quatre couteaux entre ses doigts et les lança vers le Mamono. Mais aucun d’entre eux ne vola vers le Lefkis, prenant plutôt des trajectoires diverses.
Le Mamono ne jeta même pas un coup d’œil aux couteaux, alors qu’il se rapprochait de Loki.
Mais c’était justement ce qu’elle avait prévu. « “Lien de foudre” ». Les manches des quatre couteaux étincelèrent, et en un instant, des éclairs les relièrent en une toile d’électricité.
Normalement, les couteaux seraient encastrés dans les murs pour ancrer le filet et capturer la cible. Mais ici, il n’y avait rien à quoi s’attacher, donc ce n’était pas totalement efficace. Il s’agissait plutôt d’un mouvement réflexe conditionné destiné à le bloquer.
Soit le Lefkis avait vu les effets du sort, soit il avait su que sa résistance le protégerait, car il n’avait montré aucun signe de fuite. En fait, il s’était penché en avant pour abaisser sa corne comme pour déchirer la toile.
Le Lien de foudre semblait avoir été déchiré. Mais l’instant d’après, il s’enroula autour du Lefkis, le bloquant un instant. Le Lefkis sembla surpris et se figea un instant. Secouant la tête, il oublia l’existence de l’autre magicien.
Et à ce moment précis… Mujir frappa. Son habitude d’observer calmement sa proie et de saisir la moindre opportunité avait porté ses fruits. Il attaqua soudainement et depuis l’angle mort du Mamono, en lui percutant la tête avec son tonfa de plein fouet.
Avec une précision sans faille, le tonfa de Mujir, renforcé par le mana, frappa le point vital du Mamono, projetant son corps la tête la première sur le sol. Dans le processus, son bras frôla les poils acérés du Mamono et fut lacéré, mais il continua avec une autre attaque. Il fit pivoter son tonfa et l’enfonça dans l’estomac du Lefkis.
Le Mamono gémit, mais ce n’était pas une blessure mortelle. Il repoussa avec force le tonfa, sautant et s’éloignant tandis que le sang jaillissait de ses blessures.
Loki pensait qu’ils avaient raté leur chance, mais Mujir continuait calmement à l’observer. « Hmph, tu as couru partout à ta guise… mais tu as finalement fait un pas en arrière », dit-il.
Elle sursauta. En effet, il s’était arrêté. Puis il retomba. Pour la première fois, l’agile Lefkis était sous pression et vacillait. Mais son noyau ne semblait pas avoir été endommagé. Et l’étendue de ses capacités d’autoguérison n’était pas encore claire.
Néanmoins, ils avaient réussi à frapper. Loki se leva et confirma que les nombreuses blessures sur sa poitrine n’affecteraient pas sa capacité à continuer. Dans des moments comme celui-ci, elle était reconnaissante pour l’uniforme militaire spécialement conçu pour elle. « Je peux encore me battre ! » Elle éleva la voix autant qu’elle le pouvait, compte tenu de ses blessures et des séquelles de la Force.
« J’ai compris. Nous finirons cela lors de la prochaine attaque. D’après ce que je peux voir, il est en train de s’effondrer. Cela devrait suffire à combler l’écart. » La voix de Mujir était posée et son ton certain. Il ne disait pas cela par insouciance ou par fierté, mais par conviction.
Loki se mit en position pour utiliser à nouveau la Force. Avant qu’elle ne s’en rende compte, ses mollets étaient trempés de sang. Il s’agissait probablement d’une hémorragie interne plutôt que des blessures sur son torse. Franchement, ses jambes étaient presque à bout. Outre l’augmentation des capacités physiques, l’utilisation répétée de la Force pouvait également provoquer des symptômes similaires à une paralysie des sens, empêchant l’utilisateur de reconnaître ses limites. Lorsqu’il ne pouvait plus bouger son corps, il comprenait enfin dans quel état il se trouvait.
Bien sûr, Loki n’allait pas répéter sa gaffe du tournoi magique de l’amitié. Elle évita les mouvements inutiles pour déstabiliser son adversaire et prit le chemin le plus court.
Elle réduisit la distance qui la séparait du Lefkis et sauta au-dessus de lui, lançant des couteaux sur lui. Les couteaux pleuvaient des airs avec une force incroyable.
Mais l’instant d’après, une énorme quantité de neige fut soulevée et le Lefkis disparut de l’endroit. Il avait échappé à l’effrayante pluie de couteaux… mais pas à tous.
« … !! » Les yeux de Loki se focalisèrent. Deux couteaux semblaient avoir été frappés par la corne et tournaient dans les airs, détournés de leur trajectoire initiale. Les couteaux étaient tombés un peu partout, mais deux d’entre eux pointaient clairement dans la direction où le Lefkis avait disparu.
Il ralentit. Loki atterrit, puis décolla à nouveau du sol. Mais elle ne se dirigea pas vers le Mamono. Elle se dirigea plutôt vers les deux couteaux qui tournaient encore dans les airs, et leur donna un bon coup de pied dans les poignées.
Les couteaux furent à nouveau envoyés comme des flèches. Ils transpercèrent le cou du Lefkis, et le Mamono tressaillit de douleur.
☆☆☆
Partie 4
À cet instant, l’atmosphère autour du Lefkis changea. Un changement infime qui aurait pu passer inaperçu si elle n’avait pas été très attentive. Son centre de gravité changea comme s’il cherchait à s’échapper.
Le Lefkis était un Mamono aux caractéristiques très animales. Et les Mamonos qui assimilaient des informations sur les animaux — en particulier les carnivores — montraient parfois des signes de l’instinct de survie de ces animaux sauvages. Ils avaient tendance à obéir à la loi de la jungle, il était donc naturel que leurs instincts primitifs les poussent à essayer d’éviter la mort.
Mais lorsque le Lefkis tenta d’obéir à son instinct, le piège du chasseur s’était déjà refermé. Ses quatre pattes s’enfonçaient dans la boue. Le sort de Mujir, le Marais restrictif, avait rendu le sol environnant très visqueux. En peu de temps, les chevilles du Mamono s’enfoncèrent dans la boue. La boue se coagula, ce qui l’empêcha de retirer ses pattes.
Mujir abaissa son tonfa et s’apprêta à ajouter le sort suivant au marais restrictif. Soudain, la boue se mit à bouger. Elle remonta le long des jambes du Lefkis comme si elle avait un esprit propre. La boue s’accrochait à son corps, bouillonnante, comme un mollusque refusant de lâcher sa proie. Au fur et à mesure que la boue s’enchevêtrait autour de la fourrure, le corps du Lefkis commençait à s’enfoncer plus rapidement.
Le Lefkis respirait violemment, à grands coups de crocs, mais il ne devrait rien pouvoir faire de plus.
Lorsque Mujir tenta de l’achever d’un coup d’en haut, il entendit un hurlement. Il contrôla instinctivement la boue, essayant d’enfoncer le Mamono plus profondément. Mais avant qu’il n’y parvienne… « Quoi !? »
La foudre s’abattit soudainement sur le Lefkis depuis le haut. Une lumière intense avait envahi les environs. Il soupçonnait le Lefkis d’avoir attiré la foudre sur lui, mais Loki et lui étaient trop occupés à se protéger pour le savoir.
D’autres éclairs grondèrent, aveuglant Mujir. Au même moment, le marais restrictif fut emporté et le marais sans fond disparut.
Normalement, un tel geste aurait été suicidaire, mais le Lefkis avait une résistance à la foudre. Il s’agissait probablement d’un ultime effort pour profiter de cette propriété. Il peut donc faire quelque chose comme ça.
Mujir n’avait pas de sorts spectaculaires comme Sajik. Comme il utilisait du poison et des sorts de modification de la nature, il n’en avait pas beaucoup qu’il pouvait apprendre. Malgré tout, il avait passé beaucoup de temps aux côtés de Lettie dans le Monde extérieur, et il avait un ou deux atouts dans sa manche.
« Il ne reste plus qu’à l’achever, et il veut encore résister, hein. » La lutte inattendue du Mamono était surprenante, mais Mujir restait calme. Il savait que ce combat était sur le point de se terminer.
Lorsqu’il avait frappé le Lefkis avec la pointe de son tonfa, il avait rapidement versé dans son corps un poison qui ferait se désagréger le mana qu’il contenait. Il s’agissait d’un sort appelé Sang de la Méduse. Le corps d’un Mamono était un bon conducteur de mana et ce sort le pétrifiait de l’intérieur. Il l’avait déjà injecté dans le Lefkis avant que Loki ne fasse pleuvoir ses couteaux, et le poison s’était maintenant entièrement frayé un chemin dans le corps du Lefkis. Il ne pouvait donc plus s’échapper.
« Tu ne peux même pas te servir de tes pattes. » Au moment où Mujir déclara cela, il était déjà en mouvement. Sans perdre de vitesse, il fonça vers le Lefkis, qui l’intercepta en un éclair. Mais il avait une ou deux longueurs d’avance.
Il décocha plusieurs attaques de tonfa, concentrées au passage sur la corne du Lefkis. Et un instant après qu’il se soit arrêté, la corne se transforma en poussière. « Loki, il n’y a pas besoin de se retenir. »
« D’accord. » Lorsque Mujir se retourna pour dire cela, Loki s’était déjà déplacée devant le Lefkis, couteau en main. Sa main droite était en retrait, prête à frapper à tout moment.
Le sort qu’elle préparait différait du processus de construction habituel et des autres sorts d’attributs de foudre. Même en comptant les défunts, il n’y avait qu’une poignée de magiciens qui pouvaient l’utiliser. Je vois, elle peut donc utiliser le vertex du tonnerre. Mujir la regarda avec admiration.
La bouche de Loki bougea tandis qu’elle marmonnait quelque chose. La densité de l’électricité augmenta bien au-delà de ce que les sorts d’attributs de foudre normaux pouvaient atteindre. « … Que le vertex du tonnerre tempétueux se manifeste », dit-elle en déplaçant la paume de sa main vers l’avant, et puis…
Le tonnerre avait rugi. « “Naruikazuchi” !!! »
Le Lefkis hurla vers Loki, essayant peut-être de se battre ou de l’intimider. Mais la foudre s’abattit sur sa gueule. Les éclairs massifs eurent raison de toute résistance, et le Lefkis fut carbonisé de l’intérieur comme de l’extérieur.
L’endroit où se trouvait son noyau n’avait aucune importance. Cela aurait été une autre histoire s’il avait été indemne et avait pu esquiver, mais en le prenant de plein fouet et en étant touché à l’intérieur, sa résistance n’avait tout simplement pas d’importance. Il n’y avait aucun moyen de résister au vertex du tonnerre.
Loki et Mujir n’avaient plus rien à faire.
« Bon travail », dit Mujir à Loki, qui s’apprêtait à lancer une fusée de signalisation.
Ses paroles la gênèrent un peu. De son point de vue, elle n’avait fait que ce qu’elle pouvait, ce qui était naturel. « Non, je n’aurais pas pu le faire seule. »
« Cela dit, ce n’était pas une bonne affinité pour vous. » Il était prévenant, mais cela ne faisait que la mettre mal à l’aise. En protégeant sa fierté, il donnait l’impression de la traiter comme une enfant. De plus, elle ne s’était pas battue à cause d’une mauvaise affinité. Même elle pouvait dire que c’était aussi parce que ses compétences n’étaient pas à la hauteur.
« Finalement, c’est votre sort qui a ralenti les mouvements du Lefkis, n’est-ce pas ? »
« Oui… mais ce n’est pas comme si c’était un sort parfait. Il y a aussi des Mamonos contre lesquels il ne fonctionne pas. »
« Est-ce une sorte de poison ? »
Mujir acquiesça avec un léger sourire. Il était en effet impoli de demander aux magiciens quels étaient leurs atouts. Loki ne posa donc pas d’autres questions.
Ses blessures à la poitrine avaient commencé à lui faire plus mal. Lorsqu’elle baissa les yeux pour vérifier sa poitrine, elle rougit un peu. Son uniforme s’était déchiré à cause des coupures, et le trou s’était agrandi à cause de ses actions violentes. Il y avait une différence entre la façon dont elle était exposée lorsqu’elle regardait vers le bas et lorsqu’elle regardait vers l’avant. En réalisant cela, elle comprit la considération de Mujir. C’était comme s’il s’occupait d’une adolescente. Et le fait qu’il l’ait fait à son insu fit encore plus rougir Loki.
Mujir s’adressa à elle sans la regarder. « Dire que Sajik m’a devancé… Eh bien, envoyons notre propre signal. »
Loki répondit par un petit signe de tête. Ils avaient remarqué la fusée de Sajik quelques instants après leur victoire sur le Lefkis.
En peu de temps, le signal de Mujir s’alluma. Après l’avoir observée, il se rendit compte que la neige ne s’était pas arrêtée. Ce n’était pas une violente tempête, mais elle s’accumulait progressivement, comme avant. Le signal de Sajik devrait signifier qu’il a abattu l’Ogma. Et le Lefkis est aussi mort… Je suppose donc que la classe S que Sire Alus et la capitaine sont en train de frapper est responsable de cette neige.
En y réfléchissant normalement, ce serait le cas, mais il se souvenait qu’Alus avait été étrangement dubitatif à ce sujet. Peut-être que ce n’est même pas cette classe S qui est responsable. C’est peut-être un Mamono inconnu qui se cache encore dans les tunnels. Alors peut-être que Loki et moi devrions nous pencher sur la question, se dit-il. Le pire scénario serait qu’il y ait un autre Mamono et qu’il soit plus fort qu’un classe S. Il voulait connaître l’avis de Loki sur la question, alors il se tourna vers elle.
Loki appuyait sur ses blessures et regardait fixement au loin. Mujir comprit immédiatement ce qu’elle faisait et ce qu’elle regardait. La vague de mana qu’il sentait sur sa peau provenait d’un sonar à mana. Cependant, l’étrange neige aurait dû rendre la détection inutile. Alors, qu’essayait-elle de voir au juste ?
Il décida de ne rien dire et se contenta de la surveiller. Les observateurs avaient généralement un sens aigu du mana, et ceux qui s’appuyaient sur le sonar de mana sont particulièrement sensibles. Il s’était dit qu’elle pouvait être en train de traquer quelque chose que même un Double comme lui ne pouvait pas sentir.
En fait, Loki avait aiguisé tous ses sens au point qu’elle sentait l’air froid de tout son corps. Elle ne l’avait pas remarqué au milieu du combat contre le Lefkis, mais maintenant qu’elle se tenait dans un endroit aussi élevé, elle sentait clairement que quelque chose n’allait pas.
Le bruit de la poudrerie était terrible au sol, mais il était quelque peu atténué ici. En connectant différents types de longueurs d’onde à ce qui allait au-delà d’un sonar à mana normal, Loki réussit à peine à étendre la portée.
Après avoir envoyé le sonar deux ou trois fois, elle sentit une réaction qui attira son attention. Cette réaction — qui était juste à portée — l’avait beaucoup choquée. C’était au-delà d’une petite montagne.
« Lo-Loki !? » Mujir s’empressa de l’appeler alors qu’elle se mettait à courir silencieusement. Sentant quelque chose d’urgent dans son expression, il se lança à sa poursuite.
Loki avait reçu des soins d’urgence, mais ses blessures n’avaient pas du tout cicatrisé. Malgré cela, elle utilisait la Force pour se déplacer de sommet en sommet à la vitesse de l’éclair.
Mujir courut désespérément à sa suite, parvenant à peine à la suivre.
Mais elle avait une raison de se hâter à ce point.
☆☆☆
Chapitre 57 : Magie et magie
Partie 1
Une zone de Vanalis était remplie de fumée et d’explosions, sans aucune neige. Un peu de neige tombait, mais elle s’évaporait immédiatement sous l’effet des sorts qui volaient autour. Cette zone était plongée dans le feu de l’action.
Le roi des papillons de nuit, Shem Azah, était tombé à terre. Bien qu’il ne se soit pas rétabli, il s’éleva à nouveau dans le ciel.
« Alors, quel est le déclencheur de ce sort d’invocation arbitraire ? » criait Lettie entre deux attaques, alors que les quatre énormes et inquiétants pieux se trouvaient toujours derrière elle. Pour éviter les attaques du Shem Azah depuis le haut, elle n’avait d’autre choix que de continuer à bouger. Le mouvement constant commençait à la fatiguer un peu.
« Ne me le demande pas. Mais, bon, si on le coince, je suis sûr qu’ils seront activés. »
Lettie était exaspérée par la façon dont Alus parlait comme si cela ne le concernait pas, mais elle reconsidéra rapidement son attitude, puisqu’il s’agissait d’un sort qu’il ne connaissait pas vraiment. Les mamonos utilisaient de nombreux sorts qui étaient encore un mystère pour l’humanité. Dans le pire des cas, nous devrons détruire le noyau d’un seul coup. Pourtant… Allie ne panique pas, n’est-ce pas ?
Elle trouva sa réponse un peu trop détendue, mais ce n’était pas comme s’il baissait sa garde. Il avait probablement déjà des contre-mesures en tête au cas où le pire se produirait. Lettie en était parfaitement consciente, mais en même temps… « Et je suis sûre que tu ne veux pas non plus utiliser ça. Je ne sais pas ce que nous ferions s’il se déchaînait à nouveau. »
La dernière fois, lors du combat contre Demi-Azur, Loki s’était précipitée pour sauver Alus, mais il faudrait un miracle ou deux pour que la même chose se reproduise. La capacité spéciale d’Alus était un pouvoir extrêmement risqué et terrifiant.
« Ce n’est pas vraiment à moi d’y penser. En plus, je t’ai causé beaucoup d’ennuis, alors c’est maintenant que je devrais bosser ! » dit Lettie, comme pour s’encourager, un sourire rafraîchissant sur le visage.
La présence d’Alus était rassurante, et son corps blessé se sentait beaucoup plus léger. C’était peut-être dû à ses émotions, mais c’était étrange de voir comment cela affectait son humeur. Elle enviait même un peu Loki d’être la partenaire d’Alus. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas combattu en se sentant comme ça.
En y repensant, elle ne se souvenait que d’avoir dirigé une escouade dans le monde extérieur. Elle était toujours en position de commander et de protéger les autres. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas côtoyé quelqu’un avec qui elle pouvait se battre d’égal à égal, ou même sur qui elle pouvait compter. Ah… C’est assez confortable. Mais je me demande si le fait que je pense à des choses comme ça dans cette situation ne signifie pas que j’ai enfin perdu la tête. Même ses pensées intérieures étaient quelque peu exaltées.
Lettie courut sur la neige, et lorsqu’elle aperçut Alus du coin de l’œil, elle gloussa. « Hee hee. » Elle ne savait même pas ce qu’il y avait de drôle, mais elle décida d’oublier tout cela pour plus tard.
Pour l’instant, Lettie ramena ses bras en arrière et accéléra. Dans ses mains, elle créa des boules de feu rouge vif qui illuminèrent son environnement. Le mana s’écoulait naturellement dans ses bras, sans aucune résistance. Elle avait l’impression de pouvoir faire n’importe quoi maintenant.
Les boules de feu grossissaient peu à peu et leur feu s’intensifiait. Juste avant qu’elles ne deviennent trop difficiles à contrôler, elle changea soudainement de direction et sauta vers le Shem Azah. Avec deux boules de feu assez grosses pour avaler un adulte en entier, Lettie mit de la force dans ses bras pour les balancer, et libéra les boules de feu de ses paumes.
Les énormes boules de feu s’envolèrent vers le Shem Azah, grossissant encore en chemin. Juste devant lui, elles se chevauchèrent et s’engloutirent l’une et l’autre. Cela leur donna une croissance massive, les transformant en quelque chose comme un petit soleil. À en juger par les flammes brûlantes, ce n’était pas le genre de sort explosif dans lequel Lettie s’était spécialisée. Mais c’était un sort de feu de niveau expert.
Comme il s’agissait d’un sort de feu, il était naturel que Lettie puisse l’utiliser, mais même Alus pouvait compter sur les doigts d’une main le nombre de fois où il l’avait vue utiliser des sorts de feu pur. « Je vois que tu aimes toujours le tape-à-l’œil », dit-il en souriant. Il pouvait voir qu’elle prenait beaucoup plus de plaisir à tisser ses sorts que lors de sa première rencontre avec le Shem Azah.
Outre les connaissances et la technique, l’état d’esprit d’une personne jouait également un rôle important dans le lancement de sorts, c’est pourquoi les préférences et l’humeur d’une personne ne pouvaient être ignorées. Mais d’après ce qu’Alus pouvait voir, la création d’un sort de niveau expert de cette envergure nécessitait plus qu’une simple aptitude. Qu’il s’agisse de talent ou d’humeur… Impressionnant, mais… se demanda Alus en fronçant les sourcils.
Leur situation actuelle était compliquée et difficile. Ce sort ne suffirait probablement pas à vaincre le Shem Azah. Le sort d’invocation arbitraire était étrange, et son déclencheur était encore inconnu. Plutôt que de blesser inconsidérément le Mamono, il valait mieux le mettre dans une situation où ils pourraient l’achever sans faute.
C’était l’une des raisons pour lesquelles il avait empêché Lettie de le poursuivre auparavant. Mais il n’était pas certain de savoir comment s’y prendre pour le tuer. Alus n’avait toujours pas trouvé de réponse. Malgré tout, la bataille devait se poursuivre pour maintenir l’attention du Shem Azah sur eux.
Mais il y a quelque chose que je ne comprends pas… Alus n’avait jamais vu le Shem Azah utiliser un sort d’attribut de glace. Il arrivait que des Mamonos de haut niveau se spécialisent dans des attributs spécifiques, mais il leur était généralement possible d’utiliser plusieurs attributs.
Le sort d’altération de l’environnement à l’origine de la neige appartenait sans aucun doute à l’attribut de la glace, et c’était un sort de très haut niveau. Comme dans le Muspelheim d’Alus, les sorts de ce type prenaient beaucoup de temps et de mana, car la composition et les informations devaient être réécrites séquentiellement.
Mais cela n’avait pas de sens d’aller aussi loin juste pour interférer avec la magie. En fait, si le Shem Azah était si doué pour la magie de glace, il devrait l’utiliser activement. Pourtant, le Mamono n’en montrait aucun signe.
De plus, le Shem Azah avait perdu une jambe à cause de Cocytus. Si un tel Mamono pouvait utiliser l’attribut de la glace, il aurait pu faire quelque chose pour éviter de perdre sa jambe.
Alus jeta un coup d’œil au Shem Azah. En ce moment même, il soufflait la boule de feu de Lettie d’un battement d’ailes.
Il aidait de temps en temps, mais il ne cessait d’observer les pieux plantés dans le sol. L’étrange et sinistre pulsation qui n’avait pas été affectée par son Niflheim était toujours là. Elle ressemblait aux battements d’un cœur. C’est probablement bien, mais je dois aussi faire attention au Demis Brionach.
Juste au cas où, Alus se tenait constamment à une certaine distance de Lettie. Je vais peut-être essayer la magie de l’eau, pensa-t-il, décidant d’utiliser un attribut qu’il ne maîtrisait pas particulièrement. Les anneaux de son AWR contenaient des formules pour tous les attributs, mais il utilisait rarement des sorts d’eau.
La précision de chaque attribut dépendait de l’affinité de l’utilisateur. Certains attributs étaient difficiles à utiliser sans affinité, et l’eau était l’un d’entre eux. Même pour Alus, qui pouvait utiliser tous les attributs, c’était un attribut particulièrement inefficace. « Lequel utiliser…, » réfléchit-il à voix haute. Un sort mal conçu ne valait pas la peine d’être essayé.
Dans l’instant qui suivit, Alus et Lettie perçurent les deux fusées de signalisation envoyées en l’air. L’Ogma et le Lefkis avaient été vaincus.
Ce qui signifie que le Shem Azah est responsable de la neige. Alus ressentait donc un besoin plus fort de confirmer ses soupçons. Après avoir lancé un signal de mana en direction de Lettie, il concentra son attention. Il me suffit d’extraire l’attribut de la glace de la patte de cette chose, et ce sera toutes les preuves dont j’ai besoin.
Alus expira brusquement, et passa rapidement de la construction du sort à sa manifestation. Une mare d’eau se forma au-dessus du Mamono. Bientôt, c’était comme si un réservoir invisible éclatait alors que l’eau commençait à sortir d’un point, créant une sphère. La quantité d’eau était suffisante pour submerger un petit village.
Il ne pensait plus au sort. Et l’instant d’après, l’énorme sphère d’eau commença à s’abattre sur le Mamono.
La grande cascade. C’était similaire à un sort tabou de niveau expert qui provoquait une inondation massive. Cependant, il s’agissait d’un sort simplifié réduisant la quantité de mana utilisée pour créer l’eau, ce qui l’affaiblissait considérablement. Malgré tout, il s’agissait d’une énorme quantité d’eau. La masse d’eau s’éparpilla et un grand nombre de balles d’eau se dirigèrent vers leur cible. Si elles touchaient toutes, ce serait bien, mais si elle essayait d’esquiver…
« J’ai compris. » Si l’on voulait contrer un tel sort d’eau, le moyen le plus simple était de le geler avec l’attribut de glace. Bien sûr, il y avait d’autres méthodes pour y faire face, mais si le Shem Azah pouvait utiliser la magie de glace, il serait étrange qu’il ne s’y fie pas.
!! Les innombrables balles d’eau furent arrêtées par un mur invisible et se figèrent avant de se briser au-dessus du Mamono. La façon dont elles se transformèrent en une fine brume et disparurent était d’une beauté fantastique.
Mais Alus avait l’impression que ce spectacle n’avait rien à voir avec la réalité. En réalité, il s’agissait d’un phénomène étrange. Le sort avait été gelé comme il s’y attendait, mais il était difficile de savoir qui l’avait lancé. Il serait naturel de supposer que le Shem Azah avait utilisé un sort pour se protéger, et même Lettie ne le mettait pas en doute.
Cependant, à ce moment-là… La neige s’arrêta. Alus se prépara inconsciemment à lancer un sort avant même d’avoir pu réfléchir. Il avait encore des doutes, mais il ne négligerait pas une telle occasion en or.
« Allie ! » Alus acquiesça au ton pressant de Lettie, et ils se mirent en mouvement pour achever l’ennemi d’un seul coup.
Deux magiciens à un chiffre préparant des sorts avaient créé une explosion de mana qui avait rempli leur environnement. N’importe quel Mamono faible se recroquevillerait de peur rien qu’à cette vue et resterait cloué sur place. Il en allait de même pour les magiciens.
Le pouvoir d’un seul était comparable à celui d’un être humain dépassant ses connaissances. La quantité monstrueuse de mana menaçait d’engloutir toute la zone. Le mana sinistre d’Alus avait une quantité apparemment infinie de ténèbres et d’intention de tuer. Le mana éblouissant de Lettie brillait, coloré par sa forte volonté.
Cependant, dans la seconde qui suivit, les deux hommes sentirent s’activer un sort de grande envergure qui couvrait même la zone où ils se trouvaient. C’était une réaction flagrante de mana qui s’étendait sur un rayon d’un kilomètre, comme si Vanalis lui-même crachait de la magie.
La pression ressentie par Alus l’obligea à annuler le sort qu’il était en train de lancer. « Lettie ! » Il courut vers Lettie aussi vite qu’il le pouvait. Ils n’avaient que quelques secondes avant que cela n’arrive. Alors que la présence du sort non identifié se faisait plus forte, il tendit la main.
Le sort de Lettie s’était dissipé sous l’effet de sa surprise et de son choc. Elle tourna la tête et regarda Alus avec une expression craintive. Non seulement elle était surprise, mais elle était également étonnée par l’incroyable phénomène qui lui arrivait. « Allie, je ne peux pas… Je ne peux pas du tout bouger mon corps ! »
« Tends la main ! »
« Je ne peux pas ! » Elle essaya de tendre la main à Alus, mais son corps refusait de bouger comme si elle avait été privée de toute liberté. Cette paralysie ne fit que la troubler davantage. Elle était toujours restée consciente du mana en elle pour qu’il n’y ait pas d’interférence.
Le Shem Azah les fixait d’en haut, comme s’il se moquait d’eux. Alus continuait à tendre la main, mais il était convaincu qu’il ne l’atteindrait pas au rythme où il allait. Malgré tout, il devait s’approcher le plus possible.
Puis une partie du sol de Vanalis se souleva, comme poussée par quelque chose en contrebas. Un instant plus tard, un vent puissant souffla du fond de la terre et tout se transforma en poussière. De la boue, de la neige, des copeaux de bois et des fragments de pierre furent projetés vers le ciel. C’était comme si leur environnement avait été jeté dans un mixeur. Tout fut pulvérisé tandis que le vent terrible hurlait.
☆☆☆
Partie 2
« … ? Où suis-je… ? » Lettie ouvrit les yeux et regarda rapidement autour d’elle.
Elle se trouvait près du sommet d’une haute montagne. Le terrain était dur et escarpé, l’air raréfié. Elle pouvait apercevoir au loin des sommets enneigés.
Le sol incliné fit perdre l’équilibre à Lettie. L’amoncellement de neige était le même que le champ de neige où ils avaient combattu le Shem Azah, mais c’était la seule chose qui se ressemblait.
Après un moment de confusion, elle remarqua un étrange appareil à proximité et poussa un soupir. Il s’agissait d’un poteau recouvert d’un matériau blanc translucide avec une machinerie complexe à l’intérieur. C’était le port circulaire portable qu’elle avait demandé à Alus de vérifier hier.
« Il s’en est fallu de peu. Un instant plus tard, nous aurions été grillés. »
Lettie se retourna pour répondre à la voix familière à côté d’elle. « Hum, cela veut-il dire qu’on s’est téléporté de là ? »
Alus acquiesça.
Mais pourquoi l’appareil laissé dans leur base avait-il été déplacé jusqu’ici ? Alus avait demandé, au cas où il y aurait un problème, à l’unité restée à la base de le transporter au sommet de la montagne près de la base.
Le Shem Azah était visible au loin. Mais malgré la distance, ils étaient encore en mesure d’être détectés.
« Ouf, je suis content que tu aies réussi à bouger un peu à la fin. Alors, comment ton corps tient-il le coup ? »
« C’est vrai. Je me sens bien. » Pour une raison ou une autre, Lettie tira sur sa chemise et regarda à l’intérieur de ses vêtements avant de dire « Ça a l’air bien aussi », mais c’était trop pénible pour qu’Alus se permette de plaisanter à ce sujet.
« Tu sembles être de bonne humeur pour quelqu’un qui a failli mourir. »
« Eh bien, je savais que je ne mourrais pas. » Lettie sourit comme si Alus avait dit quelque chose d’étrange. D’apparence, elle semblait un peu ravie d’avoir été prise dans un sort de cette ampleur, ou alors c’était simplement parce qu’elle faisait confiance à Alus.
« En échange, il a été détruit en un seul transfert », dit Alus en pointant le port circulaire avec son pouce. Des pièces importantes crachaient de la fumée blanche. Il était manifestement cassé.
« Bon travail », dit Lettie à la machine.
Alus avait créé la théorie qui constituait la base du port circulaire, ainsi que sa fondation, il pouvait donc certainement l’utiliser comme dispositif d’évacuation d’urgence. Bien sûr, il n’avait pas prévu de l’utiliser alors qu’il neigeait encore, car il ne pouvait pas savoir quel genre de problèmes cela pourrait causer. Heureusement, la neige s’était arrêtée à ce moment-là.
À proprement parler, il avait utilisé la destination de transfert de Translation, l’avait limitée à une direction et avait défini les coordonnées copiées pour le port circulaire. Normalement, deux appareils sont nécessaires pour utiliser le port circulaire. Cette fois-ci, Alus s’était chargé de la transmission, rendant le transfert possible. La théorie derrière le port circulaire avait été un sous-produit de l’apprentissage de la Translation. Ils utilisaient tous deux des formules magiques similaires, et c’était donc un changement radical que seul Alus pouvait réaliser.
Malgré tout, le transfert soudain de deux personnes s’était avéré trop difficile pour l’appareil. Si possible, il aurait préféré toucher directement Lettie pour faciliter la duplication des informations, mais il avait dû se contenter de les transporter en toute sécurité.
Lettie en fut finalement convaincue, mais une idée lui vint alors à l’esprit. « Quoi qu’il en soit… c’était ça, Allie. Le motif sur les ailes. »
« Hm ? » grogna Alus, l’incitant à continuer.
« Tu sais, ce motif en forme d’œil. Je l’ai regardé tout à l’heure, et immédiatement après, je n’ai plus pu bouger mon corps. Maintenant que j’y pense, Mujir peut utiliser un sort similaire. »
« La magie appliquée par la vision… C’est peut-être une forme d’hypnose. Le motif lui-même pourrait être une formule magique. Mais j’ai aussi regardé cet oeil. Je ne comprends pas pourquoi il ne l’a pas utilisé plus tôt. » Ils avaient déjà acculé le Shem Azah, alors s’il avait un tel atout, il n’aurait pas été étrange qu’il l’utilise contre Alus à l’époque. Cela dit, il ne comprenait pas comment l’esprit d’un Mamono fonctionnait. « Eh bien, lancer un sort par la vue viendrait avec beaucoup de restrictions. »
L’Œil magique de Rinne était probablement similaire. Son effet était influencé par le fait que la personne qu’il regardait l’ait remarquée ou non. L’effet qui avait gelé le corps de Lettie fonctionnait probablement de la même manière.
« N’y a-t-il aucun moyen de le contrer ? Se faire frapper par ça en plein combat, c’est une mauvaise nouvelle. »
« Cela ne fonctionnera pas parfaitement, mais tu devrais rendre ton flux de mana complètement autonome afin qu’il n’y ait pas de place pour des interférences extérieures. »
« Quoi ? Tu es le seul à pouvoir le faire. »
« Hm ? Tu ne peux pas le faire ? »
« Arrête de jouer dans un moment pareil. »
Alus ne voulait pas entendre cela de sa bouche, mais comme il n’arriverait à rien en le soulignant, il continua à y réfléchir à contrecœur. Il semblait qu’au lieu d’interférer directement avec le corps, le sort fonctionnait en interférant avec le mana de la cible.
Deux possibilités s’offraient à lui. La première consistait à interférer avec le contrôle du mana du magicien et à geler le flux de mana. L’autre était basée sur le fait de considérer le modèle comme une exigence, ce qui affectait alors le subconscient. En d’autres termes, une sorte d’autosuggestion.
Lettie aurait certainement remarqué toute interférence avec son mana. Vu l’air paniqué qu’elle arborait à l’époque, c’était probablement le dernier cas. « Ce ne sont pas les yeux d’un monstre mythologique, mais la meilleure option est de ne pas les regarder. Ferme les yeux et compte sur ton mana pour confirmer l’emplacement de ta cible. Quoi qu’il en soit, l’arrêt de la neige est pratique. Je veux en finir. »
« Qu’est-ce que c’est que ce sort ? C’est pire qu’une classe S. Ce sort était vraiment dangereux. »
« C’était le sort de vent de niveau ultime, le Kehenage… probablement. » Alus se pencha en avant et regarda le paysage en dessous d’eux, confirmant l’ampleur du sort. La zone où ils s’étaient battus avait complètement changé. Toute la neige avait disparu, ne laissant derrière elle qu’un cratère rempli de boue, sans le moindre arbre à proximité. À la place de la neige, il y avait maintenant de la poussière et du sable, ainsi que du bois et de la pierre qui pleuvaient encore.
Le temps qui s’était écoulé entre le moment où le Shem Azah avait jeté le sort et celui où le sort s’était manifesté était trop court. Et pourtant, cela avait provoqué une telle destruction. Il y avait de quoi tuer facilement la plupart des gens.
« Je comprends pourquoi il n’a jamais été achevé. » Même les bases de la formule n’avaient jamais été révélées. Ou plutôt, Alus se souvenait que la formule magique avait été laissée inachevée. C’était l’un des sorts qui avaient été développés pendant la transition entre le passé et le présent. C’était l’époque où de nombreux sorts tabous étaient nés, et il avait été annulé à peu près au même moment.
Alus, qui était très impliqué dans le développement de la magie et qui avait accès aux documents confidentiels de l’armée, était probablement le seul à savoir combien de sorts avaient été annulés à mi-chemin de leur développement. Ce n’est que de la destruction aveugle. Un contrôle précis était impossible, et les dégâts causés étaient trop importants. En ce sens, il s’agissait d’une arme de destruction massive.
Les sorts désignés comme tabous étaient souvent trop mortels ou avaient un impact négatif sur l’avenir de l’humanité. Bien sûr, les sorts aussi mortels étaient à l’origine utilisés par les Mamonos et destinés à tuer. En ce sens, les Mamonos pouvaient déjà utiliser des sorts tabous, et ils avaient souvent une longueur d’avance à cet égard.
De plus, Alus avait remarqué que les quatre pieux plantés dans le sol avaient été réduits à trois. Il est possible que le déclencheur soit automatiquement actionné lorsque le Mamono est en danger. Même si le Mamono n’était pas au bord de la vie ou de la mort, s’il sentait que sa vie était en danger, cela pourrait être la condition pour le déclencher, bien qu’il soit encore incertain que les Mamonos aient ce genre de réaction biologique. La plupart des érudits en la matière le niaient. Malgré tout, Alus l’expliqua à Lettie.
On ne savait pas si elle écoutait vraiment, car elle fixait intensément l’ombre du Shem Azah. « Regarde-le chercher. » Le Mamono ne faisait pas de grands mouvements, mais le regard de Lettie était perçant.
« On dirait que tu as une idée. »
« J’en ai quelques-unes, mais elles seraient difficiles à réaliser par moi-même. » Le visage de Lettie affichait un air pensif. Malgré ses paroles courageuses, elle regardait Alus comme si elle comptait sur lui.
« Dans le pire des cas, je l’achèverai, mais tu ne pourras pas utiliser le Kagutsuchi. »
En parlant des atouts de Lettie, le premier qui lui vint à l’esprit fut de marquer directement l’ennemi avec le sort de feu Kagutsuchi. Mais les conditions étaient si sévères qu’il était extrêmement difficile de l’utiliser avec succès contre un Mamono de classe S. Non seulement il serait difficile de le retenir jusqu’à ce que le sort soit construit, mais la marque serait différente selon la taille et le type de la cible.
Mais surtout, l’application de la marque nécessitait d’être très proche. Sans compter que la marque elle-même n’avait presque aucun effet, et que Lettie serait donc sans défense pendant qu’elle l’appliquerait. Ce serait très irréaliste dans la situation actuelle. « Je ne veux pas non plus m’approcher de cette chose. Surtout pas pour appliquer lentement une marque magique, tu sais. »
« Te connaissant, tu pourrais quand même essayer », dit sèchement Alus.
« Même moi, je sais quand et où l’utiliser. Ce n’est pas grave. Je l’achèverai avec mon coup spécial. Si j’ai besoin de ton soutien, je te le demanderai séparément à chaque fois. Mais ce sera au petit bonheur la chance. »
« … » Franchement, les mots de Lettie mirent Alus mal à l’aise, mais il avait donné beaucoup d’instructions vagues basées sur des prédictions, et avait apporté des changements de dernière minute aux plans, alors il n’était pas du genre à se plaindre.
Il redoutait également ce qui se passerait ensuite. Ils étaient peut-être en hauteur, mais ce n’était pas une zone propice à la dissimulation. Le Shem Azah ne faisait que fouiller le champ de neige depuis qu’ils avaient soudainement disparu, mais ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils ne soient retrouvés. « Peu importe. De toute façon, nous n’aurons que peu de chances de nous en sortir tous les deux. Il faut en finir avant qu’il ne s’en prenne au reste de l’escouade. »
Lettie le regarda d’un air perplexe. « Pour nous deux ? Qu’est-ce que tu veux dire ? »
« Le Kehenage. L’un d’entre eux vient de s’activer, mais il en reste encore trois et ils sont comme de grosses bombes non explosées. J’ai une contre-mesure en tête, mais je ne peux pas dire si elle sera efficace. »
« Hmm… Mais nous ne pouvons pas continuer à nous cacher ici, n’est-ce pas ? »
« Oui, c’est mauvais de rester ici. S’il perd patience et s’en prend au reste de l’équipe, nous ne pourrons pas faire grand-chose. »
« … » Lettie s’était tue. Elle fixa Alus pendant un moment. « Mais Allie, tu as une contre-mesure, n’est-ce pas ? Même si ce n’est pas certain… »
« Oui, plus ou moins. »
☆☆☆
Partie 3
Elle sourit largement devant l’expression sévère d’Alus. « Alors c’est simple. Il me suffit de croire en toi. D’ailleurs, j’imagine toutes les plaintes que j’entendrai si cette chose s’en prend à mes idiots parce que je n’ai rien fait. »
« C’est vrai. Moi aussi, j’en ai eu assez de me cacher ici. »
Lettie fut un peu soulagée d’entendre à nouveau ses plaisanteries décontractées. « Quelle coïncidence ! Je ne suis pas non plus du genre à faire durer le combat. »
« Je parie que non… Hé !? »
« Eh bien, j’y vais en premier. » Elle partit en courant avant qu’Alus ne puisse l’arrêter, dévalant le terrain en pente. « Désolée, Allie… Mais je ne peux pas supporter de perdre quelqu’un d’autre parce que je ne suis pas bonne ! »
Quelque peu exaspéré, Alus courut après elle. Mais il avait un sentiment doux-amer dans la poitrine. Bien sûr, c’était imprudent et simpliste, mais Lettie était comme ça. Elle croyait en Alus et n’hésiterait pas à sacrifier sa vie pour protéger ses alliés.
Cela dit, Alus n’avait pas l’intention de la laisser gâcher sa vie. J’avais oublié qu’elle était si difficile à gérer… C’est ce que j’obtiens pour avoir accepté d’aider. De toute façon, si elle meurt ici, la mission me sera confiée.
« Commençons par une embuscade ! Allie, fais-le tomber ! » Lettie pointa le Shem Azah du doigt.
Une joue d’Alus tressaillit lorsqu’elle demanda facilement quelque chose comme ça, et il attrapa la Brume nocturne. Il aurait aimé dire que c’était impossible, mais il était frustré de voir que plusieurs idées lui venaient immédiatement à l’esprit.
« Je crois que je vais opter pour la vitesse. » Il tira la chaîne de la Brume nocturne plus longtemps que d’habitude. L’anneau qui apparut devant son visage se mit à briller faiblement.
Lettie sentit un immense vent se former autour d’Alus. Courant vers l’avant, elle leva les yeux. Les nuages épais éclatèrent et une masse de vent descendit comme un gigantesque boulet de canon. « Une rafale de vent, hein. Crois-tu que ça va le faire tomber ? »
« Si ce n’est pas le cas, j’en tirerai un autre. »
En peu de temps, la rafale s’abattit sur le dos du Mamono. La posture du Shem Azah fut déséquilibrée, car il était soudainement accablé par un poids invisible. Le Souffle de la Tempête était un sort suffisamment puissant pour plisser le sol lui-même lorsqu’il était concentré sur un seul point. Cependant, une seule application n’était pas suffisante pour faire tomber le Mamono au sol. En battant des ailes, le Shem Azah se battit contre le poids qui pesait sur son dos.
Mais cette résistance était inutile. Alus appliqua le sort encore et encore, augmentant le poids, poussant le Shem Azah vers le bas.
« Un travail remarquable ! »
Alus regarda attentivement le Mamono qui ne pouvoir pas tenir plus longtemps, et tomba au sol comme Lettie l’avait demandé. Eh bien, j’ai fait ce que tu voulais. Il n’était pas sûr du plan de Lettie, mais au moins il allait pouvoir voir ce qu’elle ferait ensuite. Ce serait la première fois qu’Alus verrait la véritable profondeur du pouvoir de Lettie au cours de cette mission.
Le corps massif du Shem Azah s’écrasa sur le sol avec un rugissement. En un clin d’œil, des flammes jaillirent dans son abdomen posé au sol, qui explosa ensuite, un tour de passe-passe impossible lorsque la neige était encore présente. L’instant d’après, le roi des papillons de nuit fut enveloppé de feu et de fumée.
Claymore, hein. Cachée et parfaitement synchronisée. Il était un peu surpris par les compétences impressionnantes de la jeune femme. Cela n’aurait pas été aussi facile si elle n’avait pas prédit où le Shem Azah atterrirait lorsqu’il commencerait à tomber, et si elle n’avait pas planté le sort dans le sol.
Le sort était une mine terrestre qui devait être plantée dans le sol afin de passer inaperçue. À première vue, le but de Lettie n’était pas seulement d’infliger des dégâts non létaux, mais aussi de neutraliser les ailes. Les flammes se répandirent sur les ailes et les embrasèrent. Il semblait difficile de les brûler complètement, mais c’était suffisant pour endommager les motifs.
Le motif en forme d’œil sur les ailes avant était une sorte de formule magique dans son intégralité. C’est ce qui avait causé la pétrification du dragon de feu d’Alus et la congélation du corps de Lettie. Mais si les ailes étaient endommagées de la sorte, une partie de la formule magique l’était aussi. Il ne serait pas en mesure d’utiliser à nouveau ce pouvoir avant un moment.
Cela dit, si l’on infligeait trop de dégâts, on risquait de déclencher les pieux pulsants. Si le Kehenage s’activait à nouveau, ils ne s’en sortiraient pas en un seul morceau. Pour l’instant… Alus se mit à travailler sur la contre-mesure pour le Kehenage dont il avait parlé précédemment.
Comme il l’avait expérimenté avec Niflheim, interférer avec les pieux pulsants de l’extérieur ne les neutraliserait pas. Même Niflheim, avec sa capacité à créer un monde de glace, n’y parviendrait pas. L’hypothèse de travail d’Alus était que les pieux noirs étaient constitués de deux attributs : l’attribut Terre à l’extérieur comme couche protectrice et le Kehenage, le sort d’attribut Vent, à l’intérieur.
Même avec ses connaissances, Alus n’était pas certain que cette contre-mesure fonctionnerait. C’était la meilleure méthode à laquelle il pouvait penser pour le moment. Mais il ne pouvait pas garantir qu’elle serait efficace ici, donc il y avait encore un risque.
Alus en conclut qu’il devait tenter sa chance. « Lettie, occupe-le un peu. »
En réponse, Lettie fléchit les bras et serra les poings en souriant. « Compris ! Aussi, je vais te montrer quelque chose de cool dans un instant. »
C’étaient des mots significatifs venant de Lettie, mais il fallait d’abord s’occuper des pieux. Avant que la Claymore ne pousse le Shem Azah au-delà de ses limites, Alus se précipita vers les pieux. S’il évaluait mal les limites du Mamono, il serait rattrapé par le Kehenage, la distance n’ayant pas beaucoup d’importance avec ce sort. Il courut comme s’il volait et arriva à destination en un rien de temps.
Devant lui se trouvaient les trois pieux noirs plantés dans le sol. En les regardant ainsi, Alus les trouvait très inquiétants. Bien que carbonisées, leurs surfaces étaient étrangement lisses. Leur écorce n’avait rien de naturel. Le dispositif d’activation du Kehenage émettait des pulsations pour montrer qu’il était toujours en vie, et le moment de l’activation semblait se rapprocher de plus en plus.
Alus jeta un coup d’œil vers le Shem Azah. Les explosions des sorts de Claymore de Lettie se produisaient toujours. Le Shem Azah remuait son corps, mais sa résistance magique fonctionnait contre les sorts. Seules ses ailes brûlaient. Le reste de son corps n’avait pas subi de dégâts mortels.
Pendant ce temps, le mana de Lettie n’était pas illimité. Elle ne pouvait pas continuer à attaquer tout en brûlant les ailes du Mamono et en l’immobilisant pour toujours. Les Claymores qu’elle avait plantées étaient déjà en train de s’épuiser. Lorsque cela arriverait, elle devrait affronter le Shem Azah seule, et devrait courir pour éviter de l’affronter directement.
Je pense qu’elle tiendra encore dix ou quinze minutes. Alus inspira profondément et aiguisa ses sens. Il couvrit ses mains d’un minimum de mana, ne lançant pas de sort et ne créant pas de lame de mana. Réduisant son objectif au pieu central, il posa ses deux mains sur l’écorce sinistre.
Lorsqu’il la toucha, il put constater qu’elle avait une sorte d’élasticité qui repoussait ses mains. Un léger sourire apparut sur son visage tandis qu’il fermait les yeux. C’est bien ce que je pensais. C’est une composition de deux sorts.
Pour l’instant, il essayait de neutraliser le Kehenage. En d’autres termes, il essayait d’écraser le sort. Le processus de composition des sorts devait être le même pour les humains et les Mamonos. Si c’est le cas, il devait en être de même pour les coordonnées, la puissance, la durabilité, la direction, la forme et bien d’autres choses encore.
Cependant, Alus avait probablement été le premier magicien à essayer de modifier la construction interne d’un sort de Mamono. S’il était possible d’analyser parfaitement les sorts utilisés par les Mamonos, la magie moderne serait probablement très différente aujourd’hui. Depuis un demi-siècle, les humains cherchaient des moyens de combattre les Mamonos, mais ils n’avaient toujours pas trouvé de solution complète.
C’est assez vague, mais tant que je peux comprendre le sort dans ses grandes lignes, il devrait être facile de trouver où faire des changements. La magie normale, celle utilisée par les humains, était facile à comprendre. Mais il ne pouvait pas dire dans quelle mesure les connaissances existantes aideraient à comprendre le sort d’un Mamono.
Il commença prudemment à verser son mana dans l’écorce. Au lieu d’interférer, il essayait de se synchroniser avec elle. Pouvoir lire les sorts était le summum du contrôle du mana. Alus était capable d’utiliser son champ de vision pour recréer la structure dans sa tête. Il avait pratiqué le contrôle du mana pour retenir le mangeur de Gra, et son but était maintenant de prendre le contrôle du sort.
C’est pourquoi il savait que la réécriture du sort était risquée et qu’il fallait l’éviter. S’il y avait ne serait-ce qu’un seul fil qui traînait, le sort entier risquait de se déployer, de devenir incontrôlable et de muter, ce qui pourrait entraîner des dégâts encore plus importants.
D’ailleurs, Alus ne pensait pas pouvoir démanteler complètement un sort du niveau de celui de Kehenage. Comme pour une bombe, il essayait d’arrêter la mèche pour qu’elle ne s’active pas, plutôt que de neutraliser le contenu de la bombe.
Cependant… « !! » Au moment où il entra en contact direct avec le sort, Alus ouvrit grand les yeux. C’est complètement différent des sorts que je connais ! Merde !
Il n’y avait pas de formule théorique ni d’informations liées à celle-ci. Les sorts créés par les humains sont le fruit d’un travail d’ingénierie. Créer un sort, c’est comme reconstituer un puzzle. Mais il n’y avait aucun lien dans ce sort, aucune étape ne permettait d’obtenir une image unique. C’était plutôt comme si le lanceur de sort l’avait voulu pour qu’il existe. C’était un pouvoir surnaturel qui ignorait la logique et la théorie. C’était trop difficile à gérer. Tout était trop anormal.
Une quantité inhabituelle de sueur froide coula le long du dos d’Alus. « Alors pourquoi les Sortilèges Perdus existent-ils ? » D’anciennes lettres connues sous le nom de Sortilèges Perdus étaient censées être à l’origine des sorts de l’humanité. Grâce à elles, même les humains pouvaient utiliser la magie. Il s’agissait d’une forme de directives, que l’on croyait dérivées de sorts Mamono déchiffrés, mais toute preuve de cela datait d’avant la période chaotique de l’humanité et était donc perdue dans le temps.
Si les Mamonos pouvaient utiliser la magie mieux que les humains, c’était probablement parce que la source des sorts perdus était incluse dans leurs formules. Il s’agissait probablement de quelque chose d’aussi étrange que des hiéroglyphes.
Alus aiguisa encore ses sens, plongeant dans la mer d’informations, même si cela lui mettait les nerfs à vif. Non, l’origine des sorts perdus, leur source, existe quelque part. C’est juste que je ne peux pas la percevoir. La mer du chaos choisissait qui pouvait la voir. Ceux qui n’avaient qu’une vision limitée devenaient fous. Ce n’était pas un endroit où l’humanité devait entrer. C’était plutôt un royaume divin ou démoniaque.
Même avec ses connaissances, Alus était loin de tout saisir, bien qu’il soit probablement le premier humain à accéder à ces informations. Lorsqu’il la perçut, il sentit son cerveau s’activer. C’était comme s’il était bombardé d’assez d’informations pour toute une vie. La douleur déferlait dans sa tête comme si son cerveau était en train de frire. Une lumière fantastique scintillait dans ses rétines et il avait l’impression que des étincelles volaient dans ses yeux.
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Partie 4
C’était un endroit où se trouvaient les racines du monde et de l’âme, un endroit que l’intellect d’un simple humain ne pourrait jamais atteindre. En fait, c’était presque comme si c’était… « Les archives akashiques… » lâcha Alus.
Sa voix semblait appartenir à quelqu’un d’autre, comme si son esprit avait été envahi par quelque chose et que les électrons de son cerveau s’étaient déclenchés d’eux-mêmes pour faire bouger sa bouche. Cependant, avant qu’il ne soit sur le point d’être englouti par l’inconnu, la présence d’un glouton noir de jais s’agita en lui, ramenant sa conscience.
« Je vois. J’ai pu y accéder un peu. » Une expression de satisfaction apparut sur son visage. Il avait compris une partie de la magie des Mamonos. Ce n’était que pour un moment, et il ne pourrait pas atteindre le même endroit à nouveau. Malgré tout, il l’avait brièvement effleurée.
La composition ou la construction n’a rien à voir avec la magie achevée. Elle a même une sorte de beauté. De penser qu’il n’y a aucun excès d’information, c’est vraiment monstrueux… et pathétique.
La magie humaine avait toujours contenu du bruit sous forme d’émotions. En un sens, c’était un produit incomplet qui essayait de s’approcher de la perfection sans jamais pouvoir l’atteindre. Quand Alus le sentit, il cessa d’essayer d’interférer directement avec le sort. Il n’avait pas abandonné. Il avait simplement changé d’approche. Quelle que soit la perfection de la magie des Mamonos, les humains pouvaient créer des théories magiques qui imitaient leurs instincts. Cela signifiait bien sûr qu’ils avaient quelque chose en commun.
Le Kehenage avait été conçu pour être déclenché à distance. Le Shem Azah devait donc tenir le déclencheur ou l’extrémité de la mèche.
Les trois sont toujours liés, n’est-ce pas ? Alus chercha la magie dans un monde complètement différent de celui des humains. En creusant de plus en plus profond, il chercha une construction qui correspondait à quelque chose dans ses connaissances.
Pour qu’un sort puisse être relié à un lanceur de sorts à distance, une forme de communication transcendant l’espace était nécessaire. La clé était le mana. Le pouvoir sans attribut d’Alus, ainsi que ses yeux observateurs et son contrôle exceptionnel du mana, lui permettaient de ne pas le négliger.
Soudain, les bords de ses lèvres se retroussèrent. Il semblait qu’il y avait effectivement un circuit inutile dans la construction des trois pieux. La raison pour laquelle il le considérait comme inutile était qu’il existait des conditions similaires à celles de la magie utilisée par les humains.
Mais il ne l’avait remarqué qu’après avoir touché le pieu. Normalement, elle aurait dû passer inaperçue, comme quelque chose d’incompréhensible pour les humains. Le déchiffrer et le comprendre prendrait plus de temps que toute l’histoire de l’humanité.
Peu importe, je vais maintenant pouvoir couper le lien avec le Kehenage. Alus utilisa la magie de son esprit comme des doigts virtuels. Au milieu d’une faible lumière, ils se déplacèrent comme les doigts délicats d’un pianiste pour démêler habilement les trois fils étrangement entrelacés qui pulsaient comme des veines. Le circuit fut enfin coupé.
Prenant une profonde inspiration, il ouvrit les yeux, l’esprit clair. C’était vraiment rafraîchissant, comme si tout bruit dans son cerveau avait été éliminé. En même temps, il pouvait instantanément penser à plusieurs choses en parallèle. Pour un instant, il avait l’impression que ses sens étaient parfaitement clairs.
Pourtant, ses yeux s’écarquillèrent à nouveau devant la scène impensable qui se déroulait devant lui. Le pieu devant lui palpitait encore.
Il aurait dû déconnecter complètement le circuit de la construction, enlevant au Shem Azah le contrôle qu’il exerçait sur elle. Mais il n’y avait pas que des pulsations. La tension l’envahissait lorsqu’il vit que le pieu s’était mis à briller d’une lumière sinistre. C’était la même couleur que lorsque le Kehenage s’était activé.
En regardant par-dessus, il pouvait voir les deux autres pieux briller de la même façon, comme s’ils étaient en résonance avec le premier. Je vois. C’est parfait. Quel sort bien pensé !
Les pieux géants ressemblaient à des bombes à retardement dotées de pièges élaborés. Lorsqu’il avait coupé le circuit, un autre mécanisme s’était enclenché. La coupure du lien était probablement un autre élément déclencheur de l’activation du sort.
Le pire scénario qu’il avait en tête était en train de se produire. En réponse, Alus ferma lentement les yeux. Le Mangeur de Gra, qui menaçait constamment de devenir incontrôlable, apparut comme son dernier atout. Trois pieux de mana, hein… Il n’est pas certain qu’il puisse tenir dans son corps, mais il est maintenant trop tard pour cela.
Compte tenu du risque de déchaînement, c’était un choix dangereux. Alors qu’Alus avait des doutes, il remarqua quelque chose d’étrange. Le Mangeur de Gra se débattait toujours, même sous son contrôle, mais cette fois-ci, il se montrait étrangement coopératif. En fait, il montrait même des mouvements inattendus.
C’est la première fois que je vois ça. Le Mangeur de Gra ouvrit sa bouche étrange et montra ses crocs sombres aux pieux, comme s’il essayait de les intimider. Ce n’était pas l’instinct de prédateur qui était en jeu, mais plutôt la combativité et l’hostilité. Pour Alus, on aurait dit qu’il essayait de contrer une menace avec une volonté propre. On pouvait se demander si c’était suffisant pour parler de conscience, mais le Mangeur de Gra semblait avoir développé un sens du danger, alors qu’il n’avait auparavant qu’un instinct de prédateur basique.
Il hésita un instant, mais il alla rapidement de l’avant. Je ne suis pas sûr de ce qui se passe… mais je n’ai pas d’autre choix que de le faire.
Ses épaules s’affaissèrent tandis qu’il repliait sa conscience sur elle-même. Comme toujours, il sentait son réceptacle corporel devenir incroyablement vague. Il avait toujours l’impression de plonger dans les profondeurs d’un monde différent, au-delà de la théorie et de la réalité. C’était comme faire attention à chaque petit mouvement pour faire quelque chose d’aussi naturel que bouger un bras ou un doigt. Après tout, il s’agissait sans aucun doute d’un corps étranger à la forme grotesque, mais même en tant que telle, il devait le contrôler comme s’il s’agissait d’une partie de son corps.
Il plongea la moitié de sa conscience dans l’abîme sombre. Puis il leva le bras… et prononça son nom. « “Mangeur de Gra” ».
Huit formes de mana tordues et noires comme le jais se rassemblèrent autour d’Alus en une forme étrange. Elles se précipitèrent ensuite comme des fous sur les pieux qui s’apprêtaient à libérer leurs sorts.
Les spectateurs auraient pu penser que le mana noir se déplaçait comme un serpent, tandis que d’autres auraient pu le décrire comme un dragon sans aile. Cependant, il s’agissait de quelque chose de fondamentalement différent d’un être vivant. C’était l’instinct pur d’un prédateur qui prenait forme. Comme s’il incarnait cela, le Mangeur de Gra n’était rien d’autre qu’une bouche pour manger sa proie.
Ouvrant grand sa bouche géante, il crachait continuellement du mana noir. Le mana vomi formait sa propre bouche, et le cycle continuait à l’infini, comme une poupée gigogne, tandis qu’il s’approchait de sa proie.
Le Mangeur de Gra se précipita sur sa nourriture à une vitesse incroyable. Sentant peut-être l’approche du violent mana noir, les pieux émirent une lueur sinistre et s’ouvrirent d’un seul coup.
Alus manipula son mana noir comme un fouet. Il ne pouvait pas dire si le Kehenage s’était activé ou non, mais vu la quantité de mana qui coulait en lui, il devait l’avoir fait, et trois fois en plus. Cependant, contrairement à ce qu’il avait fait lorsqu’il était entré en contact direct avec les connaissances contenues dans la magie du Mamono, les informations qu’il absorbait étaient trop grossières pour qu’il puisse les distinguer.
Un instant plus tard, Alus se tenait seul, avec seulement un vent violent qui se déchaînait autour de lui. Il poussa un long soupir et confirma l’état dans lequel il se trouvait. Le mana absorbé dépassait de loin ses espérances, mais il parvenait à rester dans son réceptacle corporel. Il sentit cependant une sorte de pression.
Pendant ce temps, les trois pieux étaient vidés de leur substance et redevenaient des particules de mana. Alus, lui, était au plus profond de son esprit, ignorant tout cela.
Après son combat contre Demi-Azur, la réserve de mana d’Alus avait été multipliée par deux. De plus, le Mangeur de Gra était plus facile à contrôler qu’avant, c’est pourquoi il était très conscient du mana qu’il avait absorbé. Il était peut-être trop prudent, mais il n’allait pas répéter la même erreur.
Après s’être assuré qu’elle avait été complètement absorbée, il déplaça rapidement son bras vers le Shem Azah. Sous l’effet des Claymores répétées, le Shem Azah avait été projeté en l’air.
Ses ailes étaient gravement brûlées, les motifs disparaissant presque entièrement, mais le Shem Azah les battait dans l’espoir de voler. Mais ce n’était pas suffisant, et il devait s’appuyer sur la magie du vent pour rester à flot.
Alus en conclut que le moment était venu de contre-attaquer. Il n’avait plus besoin de se préoccuper du mana nécessaire à son assaut. Et comme la plus grande menace était déjà neutralisée, il n’avait pas à s’inquiéter.
En y repensant, c’était la première fois depuis longtemps qu’il luttait contre une simple classe S. Il avait été obligé de se préparer à la mort lors de combats contre de puissants Mamonos, mais c’était du passé. Aujourd’hui, il avait vraiment le pouvoir de se hisser au sommet de tous les magiciens.
Alors qu’il commençait à préparer son sort pour achever le Mamono, il entendit une voix claire qui psalmodiait.
« Bloqués par trente-cinq treillis, O flammes de l’enfer du refus confiné dans un couloir infini. Le point critique est là, le bord de la lumière est présent, ne laissez même pas de poussière derrière vous. Guidez le tout jusqu’à la fin de la vie… »
« … !! » Alus réagit vivement à l’incantation peu familière de Lettie. Avant même de pouvoir en déchiffrer le sens, il chercha dans son cerveau la formule magique utilisant le Sortilège Perdu qu’elle contenait pour prédire la magie à laquelle il pouvait s’attendre de la part de Lettie. Mais il n’y avait aucune correspondance dans sa tête.
Plus son incantation avançait, plus sa chair de poule s’aggravait. Cela dit, il n’avait aucune raison d’annuler son propre sort. Pour l’instant, Alus manifesta son sort rempli d’une grande quantité de mana avant que Lettie ne puisse terminer le sien.
On entendit le bruit de chaînes qui sonnaient, deux apparaissant devant le Shem Azah et deux autres derrière lui, suspendues dans le ciel. Bien qu’elles soient faites de magie, les chaînes étaient exceptionnellement épaisses et pouvaient être confondues avec de véritables objets solides.
Au moment où le Shem Azah sembla reconnaître les chaînes, celles-ci furent tirées vers le haut avec une grande force. Alors que les chaînes étaient tirées vers le haut, quelque chose tomba, coupant le ciel.
C’était un ensemble de quatre lames en forme de croissant. On aurait dit une guillotine pour Mamonos. Chaque lame coupait précisément l’une des ailes du Shem Azah à sa base, puis tombait au sol et disparaissait. Les chaînes, ayant terminé leur travail, disparurent également, laissant derrière elles de grandes quantités de mana.
À la place des lames disparues se trouvait un flot de sang. Dépourvu d’ailes, le Shem Azah perdit l’équilibre et émit un son étrange et assourdissant. Dans sa chute, il utilisa la magie du vent pour ne pas s’écraser au sol.
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