Nozomanu Fushi no Boukensha – Tome 3

Table des matières

***

Chapitre 1 : Un homme étrange

Partie 1

« Oh… ? Comme c’est rare, de voir fortuitement une autre personne dans ces profondeurs. »

L’homme affichait une expression de surprise clairement visible sur son visage et parlait d’une manière relativement peu menaçante, comme pour déclarer qu’il n’était en aucun cas un individu dangereux. En y regardant de plus près, il ne ressemblait guère à quelqu’un qui présentait une impression négative. Il n’avait pas l’air d’un aventurier aux mœurs douteuses, en particulier celui qui n’hésiterait pas à s’attaquer aux autres aventuriers.

Je gardais toujours ma garde haute, car il n’y avait aucun moyen de savoir si mes observations étaient justes. Au moins, on devrait avoir une conversation.

« Je suis surpris, moi aussi. Après tout, aucun individu sain d’esprit n’errerait dans les profondeurs du marais des Tarasques, » déclarai-je.

L’homme avait souri à ma réponse.

« C’est presque comme si vous prétendez que vous n’êtes pas très sain d’esprit, monsieur. Je ne suis pas d’accord, cependant, car je contrôle très bien mes propres facultés. En grande partie — je suppose que vous êtes équipés de la même façon ? » demanda-t-il.

L’homme avait tenu en l’air ce qui semblait être un objet magique, un objet pour annuler le poison, si je devais le deviner. De plus, il était aussi armé de plusieurs fioles d’eau bénite, achetées dans une église établie, sans aucun doute. Dans son autre main se trouvait une carte de haute qualité et bien annotée du marais. Comparé à moi-même, qui avait foncé dans le marais avec rien de plus que ma constitution unique comme défense contre les éléments, cet homme semblait beaucoup mieux préparé.

Un véritable explorateur du Marais des Tarasques.

J’avais légèrement baissé la tête en écoutant ses paroles. J’étais à peine aussi bien préparé que lui, même si ce n’était pas un fait que j’avais dû révéler.

Ma situation était bien différente : ma constitution de mort-vivant m’avait permis d’éviter le poison, et ma divinité m’avait fait sortir d’un combat difficile contre une Tarasque. Mais je ne lui avais rien expliqué de tout ça.

Je n’avais tout simplement pas pu.

J’avais seulement hoché la tête, un peu timidement.

« … C’est comme vous le dites, » déclarai-je.

« Je vois ! Comme on s’y attendait de celui qui défie le marais. Sur une autre note… êtes-vous ici pour les Fleurs de Sang du Dragon vous aussi ? » demanda l’autre.

« … Oui. Voulez-vous la même chose ? » demandai-je. « C’est une bonne chose, ça. Nous n’avons pas besoin de nous battre pour les fleurs. Je n’aurais jamais pensé qu’un autre aventurier arriverait en même temps que moi. »

Pour le dire franchement, peu d’aventuriers auraient été capables d’y arriver. Même s’ils étaient compétents, l’achat de l’équipement adéquat exigeait une bonne somme d’argent. De plus, l’aventurier typique n’aimait pas s’exposer régulièrement à de puissants poisons. Si un aventurier était vraiment assez habile pour traverser le marais des Tarasques, il explorerait plutôt les profondeurs d’un donjon, tout en faisant de bonnes affaires.

Cependant, si l’on voulait une Fleur de Sang du Dragon, c’était le seul endroit où aller. Pourtant, peu d’entre eux avaient osé s’aventurer aussi loin dans le marais.

En levant la tête pour le regarder à nouveau, je n’avais pas pu m’empêcher de remarquer sa beauté. Sa peau était pâle, presque comme si elle n’avait jamais été touchée par le soleil. Il y avait une certaine froideur dans ses traits, accompagnée d’un regard presque insensible. Son visage était encadré par de longs cheveux argentés, qui lui donnaient l’apparence d’un noble.

À sa taille, il avait une rapière, et sur l’un de ses bras, un bouclier métallique léger et bien fait. Pour une raison ou une autre, je n’arrivais pas à me défaire de l’idée que l’équipement de l’homme était plus qu’utile. S’il y avait quoi que ce soit à dire, des vêtements plus raffinés convenaient à cet homme, en vérité, il serait approprié dans une maison avec une parure et une robe formelle, avec son épée et son bouclier qui seraient inappropriés.

Le contraste entre le marais morne et la parure de cet homme ne pourrait être plus frappant. Il ne serait pas étrange qu’il se soit aventuré dans le marais dans le but exprès de cueillir ces fleurs.

« Ah, vous voyez… Je ne suis pas un aventurier, » déclara l’autre.

« … Vraiment ? » demandai-je.

« C’est bien vrai. Comment dois-je le décrire… ? Je suis un peu comme un majordome, au service d’un individu estimé. Mon maître désire des Fleurs de Sang du Dragon sur une base régulière, d’où mes voyages ici, » déclara-t-il.

À moins que j’aie mal compris l’homme, c’était un majordome, sur ordre de son maître de ramasser des Fleurs de Sang du Dragon. Quelle merveilleuse relation maître-serviteur, étant donné les dangers que cela comporte !

En me tournant vers la souris noire perchée sur mon épaule, j’avais grogné, puis je me retournais pour faire face à l’homme.

Edel… Cette souris ne ferait jamais rien de tel pour moi.

Faisant une note mentale pour ne rien attendre de celui à côté de moi, je lui avais posé une question : « … Pardonnez mon impolitesse. Est-ce que votre maître est mal en point ? » demandai-je.

« Ah, oui, oui. Je suppose qu’on peut le dire, » répondit l’autre. « Récemment, même se lever a été toute une corvée… Franchement, je devrais être aux côtés de mon maître en ce moment, et non pas ici à cueillir des fleurs. Malgré tout, il est indéniable que mon maître a besoin de Fleurs de Sang du Dragon. Bien que l’extrait puisse être facilement transformé en un médicament puissant, mon maître a développé un goût pour… les fleurs fraîchement pressées, si je puis dire. En parlant de… connaissez-vous des méthodes pour préserver le sang de fleur du dragon fraîchement extrait ? Peut-être que vous pourriez avoir de telles connaissances, étant donné que vous êtes un aventurier… ? » demanda l’homme, un peu curieux.

Alors qu’une Fleur de Sang du Dragon pouvait être transformée en médicament, le sang de fleur du dragon fraîchement extrait était beaucoup plus puissant. Bien que je ne connaissais pas les détails aussi bien qu’un herboriste, j’avais compris que le sang de fleur du dragon se dégradait en quelques jours et devait être utilisé dans ce laps de temps. Si l’on avait besoin d’un approvisionnement régulier pour une raison quelconque, on n’avait pas d’autre choix que de visiter le marais à plusieurs reprises.

Pour la personne moyenne, ce serait un exploit impossible, exigeant beaucoup de ressources et de travail acharné. Alors qu’un objet magique resterait puissant et fonctionnel une fois acheté et bien entretenu, l’eau bénite était une autre affaire. Étant donné qu’une seule bouteille privait l’acheteur de quelques pièces d’or, la protection qu’elle offrait contre le marais était prouvée.

Bien que je n’y avais jamais beaucoup réfléchi jusqu’à présent, le monopole que les églises avaient sur l’approvisionnement en eau bénite semblait presque illégal.

Quoi qu’il en soit, je n’avais aucune idée de comment préserver le sang de fleur du dragon. Bien que j’avais appris beaucoup de trucs et de techniques au cours de mon court mandat d’apprenti herboriste, ce que l’homme demandait me dépassait clairement. Même si une telle méthode existait, elle n’avait probablement pas encore été découverte.

« … Non. Si je connaissais une telle méthode, alors je voudrais arrêter d’être un aventurier et devenir un herboriste, » répondis-je.

Telle était ma réponse. C’était un mensonge éhonté, étant donné que je devais devenir un aventurier de classe Mithril. Si je découvrais une telle méthode, je n’arrêtais pas de m’aventurer, même ainsi, l’homme devant moi n’avait pas non plus besoin de le savoir. Cependant, je disais la vérité lorsqu’il s’agissait de ne pas savoir grand-chose sur les détails de la préservation du sang de fleur du dragon.

L’homme, comme s’il s’attendait à une telle réponse, ne fit que sourire. « Je suppose, oui, » dit-il, d’une manière bien rodée.

« E... Excusez-moi d’avoir été incapable de vous aider, » déclarai-je.

L’expression de l’homme s’était adoucie en entendant mes excuses, un regard tout aussi désolé teintant ses traits. « Non, non, non. S’il vous plaît, ne vous en faites pas. En fait, je devrais m’excuser d’attendre tant de choses de quelqu’un que je viens juste de rencontrer. Voyez ça plutôt comme une question anodine, mon bon monsieur. Ne vous en faites pas pour ça. »

L’homme semblait sincèrement désolé.

« Merci de votre sollicitude, » j’avais décidé d’offrir mes propres civilités. « Je ne suis pas dans le business de décevoir les gens que je viens de rencontrer. Cependant, je serais heureux d’aider s’il y a quelque chose que je peux faire. »

L’homme semblait stupéfait par mes paroles, et il s’arrêta momentanément comme s’il réfléchissait profondément. « Vraiment… ? Dans ce cas… même si vous n’avez pas la connaissance que je cherche, il est peut-être heureux que j’aie fait votre connaissance ce jour-là. Mon maître penserait certainement la même chose. »

J’avais incliné la tête, ne comprenant pas exactement la déclaration de l’homme.

« Ah, je m’excuse. Je me perds parfois dans mes propres pensées. Je me réfère à ce que vous avez mentionné tout à l’heure, s’il y a quoi que ce soit que vous puissiez faire pour aider, » déclara l’homme.

« C’est ce que j’ai dit. Oui, » déclarai-je.

« À vrai dire, nous avons cherché un partenaire fiable pour nous apporter des Fleurs de Sang du Dragon à intervalles réguliers. La recherche ne progresse pas bien, bien sûr…, » déclara l’homme.

« Hoh... ? » m’exclamai-je.

Je suppose que ce serait le cas. Si l’aventurier en question était de haut rang, il ne serait pas dans leur intérêt de s’exposer continuellement au Marais des Tarasques. Même si les récompenses étaient grandes, ou dans certains cas d’une légalité douteuse, la plupart des aventuriers refuseraient une telle demande s’il n’y avait pas de bonnes raisons pour cela.

C’est pourquoi cette fille de l’orphelinat, Alize, était si troublée. Si les détails de la demande n’étaient pas si difficiles, quelqu’un l’aurait sûrement aidée, étant donné que le client était un orphelinat.

Une pensée m’avait soudain traversé l’esprit.

« … Je vois. Par partenaire fiable, vous voulez dire, moi ? » demandai-je.

« Tout à fait d’accord. Je m’excuse pour la nature imprudente de cette demande. Bien entendu, nous soumettrons une série de demandes formelles par l’intermédiaire de la guilde et organiserons une série de contrats et de récompenses acceptables. Si vous acceptez, je vous serais très redevable… Pardonnez-moi de vous le demander après tout ce temps, mais vous êtes un aventurier, n’est-ce pas ? » demanda l’homme.

C’était presque comme s’il savait déjà que j’étais un aventurier. Je suppose que je devrais me présenter.

Je lui avais dit mon nom et mon rang d’aventurier : « Oui. Je suis un Rang Bronze… Je suis l’aventurier. Rentt… Vivie. Je suis ici à cause d’une requête que j’ai acceptée. »

Encore une autre expression surprise qui avait traversé les traits de l’homme. J’en avais compris la raison : mon rang d’aventurier, dans tous les cas.

« … Je n’aurais pas pensé que vous seriez un aventurier de classe Bronze…, » poursuivit l’homme.

« Êtes-vous maintenant moins désireux de me confier la tâche ? » demandai-je.

L’homme secoua la tête. « Non, rien de tout cela. J’ai été surpris de votre rang, mais c’est tout. Le fait que vous soyez devant moi indemne témoigne de votre talent. Je serais honoré si vous acceptiez notre demande, ou du moins l’examiniez, mon bon monsieur, » déclara l’homme.

« … Vous êtes un drôle d’homme, » déclarai-je.

Le commun des mortels n’hésiterait pas à confier une telle tâche à un aventurier de la classe Bronze. Mais l’homme n’avait pas l’air dérangé par mon rang. Je suppose qu’il était plus préoccupé par mes capacités réelles.

Personnellement, je ne savais pas si j’étais à la hauteur de la tâche, mais le fait que quelqu’un d’autre se sente comme ça m’avait apporté de la joie.

L’homme, comme s’il se souvenait de quelque chose d’important, continua. « Ah, oui… Quelle négligence de ma part. Je m’appelle Isaac Hart. N’hésitez pas à m’appeler Isaac. Je vous présenterais à mon maître… mais bien sûr, seulement après que la procédure formelle soit en place. »

 

***

Partie 2

Bien que j’avais fini par avoir toute une discussion avec Isaac, le Marais des Tarasques n’était guère un endroit pour de si longues conversations. Maintenant que nous savions tous les deux que nous avions des moyens fiables pour combattre le poison du marais, nous ne serions autrement guère restés pour parler. Même si l’on était immunisé au poison, on ne pouvait pas en dire autant de ses possessions. Le meilleur équipement pourrait être corrodé par une exposition inutile au marais. Cependant, Isaac semblait l’avoir remarqué avant que je ne soulève mes préoccupations à ce sujet.

« Il semblerait que notre discussion ait duré un certain temps. Je vous présente mes excuses. Je dois retourner bientôt, avec mes propres fleurs, bien sûr. Avec votre permission, mon bon monsieur, » déclara Isaac, inclinant légèrement la tête alors qu’il terminait la conversation.

Je suppose que nous avions tous les deux dû partir relativement vite.

« … Oui, » j’avais hoché la tête en réponse. « À propos de la demande, j’attendrais le contact par l’intermédiaire de la guilde. Est-ce que c’est acceptable ? »

« Oui, c’est très bien ainsi. Nous vous demanderons officiellement, par l’intermédiaire de la guilde, de communiquer avec vous en notre nom. Malgré tout… Je pense que personne n’accepterait cette demande — ou plutôt, à part vous, » déclara Isaac, avec un sourire ironique qui lui saupoudrait le visage.

C’était vrai, il serait difficile de trouver un aventurier qui serait prêt à entrer dans le marais, et encore moins à intervalles réguliers pour cueillir des fleurs. Un aventurier qualifié pouvait faire un seul voyage, mais il y avait des choses que même l’argent ne pouvait pas acheter facilement.

Peu d’aventuriers seraient convaincus de ruiner leur santé de cette façon, le corps d’un aventurier était leur plus grand atout, après tout. Même si les profits étaient importants, un aventurier malade finirait par devenir affamé.

J’étais un cas particulier, n’étant pas affecté par les effets du marais en général. Je suppose qu’il allait sans dire que des personnes comme moi étaient extrêmement rares.

J’avais hoché la tête, avant de saluer Isaac d’un signe de tête. Revenant, Isaac semblait quelque peu satisfait de l’issue de notre conversation. Il semblait aussi assez heureux pour me lancer quelque chose dans ma direction.

J’avais attrapé l’objet d’une main libre. « … Est-ce une bouteille d’eau bénite ? »

Isaac m’avait donné une explication en inclinant la tête, confus.

« S’il vous plaît, utilisez-le si vous le souhaitez. Il semblait que vous n’en aviez pas sur vous, » déclara Isaac, un peu inquiet.

Comment le sait-il ? Curieux, j’avais demandé une explication à Isaac.

« Pourquoi croyez-vous que je n’en ai pas sur moi ? » demandai-je.

« L’eau bénite a une odeur particulière, voyez-vous. Néanmoins, il semblerait que vous possédiez d’autres méthodes de protection. Bien qu’il s’agisse d’un jardin clos protégé par les Fleurs de Sang du Dragon, je sens quelque chose d’encore plus pur sur votre personne même, » déclara Isaac.

Le Marais des Tarasques était beaucoup de choses, mais c’était aussi un endroit qui sentait… assez mauvais. Entre le poison dans l’air et la boue sur le sol, tout cela était compris.

Ce jardin de fleurs pourpres avait aussi sa propre odeur, à savoir le parfum écrasant des Fleurs de Sang du Dragon elles-mêmes. Peut-être était-ce le fait que ces fleurs purifiaient le poison et le miasme, ou peut-être qu’elles sentaient ainsi pour une tout autre raison.

Quoi qu’il en soit, il serait difficile de sentir quoi que ce soit dans ce jardin, sans parler de l’odeur présumée de l’eau bénite.

Bien que l’eau bénite ait une odeur unique, son parfum finissait par se diffuser dans l’air avec le temps, tout comme le parfum. En fait, il suffisait de passer devant un prêtre ou un guérisseur de l’Église dans une ville pour sentir un tel parfum. Cet homme pourrait-il vraiment discerner une si faible odeur ici, au milieu de la puanteur du marais et de la dense odeur des fleurs ? Ou peut-être qu’il avait confiance en son odorat… ?

Non, il doit y avoir plus que ça.

Il avait mentionné qu’il pouvait « sentir quelque chose d’encore plus pur ». Mon Aura divine, je suppose ?

Il y avait aussi le fait qu’il s’était aventuré seul dans le marais des Tarasques. Peut-être qu’il y avait plus dans cet homme que je le pensais, compétences et apparences mises à part.

« … Je vois que vous avez un bon œil. Vous voyez, je suis capable d’utiliser la divinité, » déclarai-je.

Ce n’était pas quelque chose que je devais cacher. Alors que peu d’humains avaient la capacité de canaliser la divinité, de tels individus existaient. Après tout, n’avais-je pas rencontré Sœur Lillian, qui s’était occupée de l’orphelinat toute sa vie, dans les rues de Maalt ?

Avoir des réserves de divinité en soi ne valait pas la peine de s’agiter ni de se cacher, surtout devant quelqu’un qui avait déjà remarqué que je l’utilisais.

Avec cela, je pouvais en toute sécurité supposer qu’Isaac possédait des sens aiguisés, et pour une raison ou une autre, j’avais l’impression de pouvoir lui faire confiance. Du moins, quand il s’agissait de ne pas divulguer des informations de manière négligente.

Comme s’il était d’accord avec mon évaluation, Isaac hocha la tête. « Comme je m’en doutais, mon bon monsieur. Alors… l’eau bénite était-elle un geste inutile ? »

« … Non. En vérité, je vous suis reconnaissant. Bien que j’aie réussi à venir ici en un seul morceau. J’avais quelques doutes à propos du voyage de retour. Je vous suis reconnaissant de m’avoir aidé avec tant de gentillesse, » répondis-je.

« Vraiment ? Je suis heureux d’avoir été utile, » déclara Isaac.

« … Mais est-ce vraiment d’accord… ? Cela reste quand même un objet cher. Après toute seule bouteille, coûte cher, car il s’agit d’un produit de qualité supérieure comme cette bouteille d’eau bénite par l’église de Lobelia, » déclarai-je.

L’Église de Lobelia… Cette église en particulier n’avait pas beaucoup de présence à Yaaran, mais elle exerçait un immense pouvoir et une influence dans les grands royaumes à l’ouest. Bien qu’ils avaient une église établie à Maalt, sa congrégation était relativement petite.

Cependant, malgré sa taille et son manque de présence à Maalt, ils vendaient de l’eau bénite de grande qualité, mais à un prix qui allait à l’encontre de toutes les tendances du marché, peu importe, où ils s’étaient installés.

Pour être précises, les bouteilles n’étaient pas vraiment vendues, mais récompensées à ceux qui faisaient preuve d’une grande foi… et aussi à ceux qui donnaient de grosses sommes d’argent à l’église. Une transaction à certains égards, mais en même temps pas tout à fait une vente pure et simple. Plus le don était élevé, plus la qualité de l’eau bénite était importante. L’eau bénite de qualité supérieure, à son tour, était logée dans des bouteilles de plus en plus ornées. Même l’eau bénite avait des qualités différentes : bien que l’eau bénite de base puisse être vendue par diverses églises, des bouteilles de haute qualité ne pouvaient être fabriquées que par des églises qui possédaient les moyens de les produire.

Différents facteurs déterminent la qualité d’un flacon d’eau bénite : la durée de son effet, sa densité, son parfum, sa transparence… Des variations dans chacun de ces facteurs peuvent modifier considérablement la valeur d’une bouteille. Les bouteilles haut de gamme de l’Église de Lobelia, en revanche, étaient d’une classe à part. Une seule goutte de ces bouteilles avait autant de puissance qu’une bouteille entière d’eau bénite de qualité inférieure provenant d’autres institutions. Dans des circonstances normales, on ne donnerait pas une telle bouteille à un étranger par hasard.

Mais Isaac secoua la tête.

« N’en auriez-vous pas besoin plus tard ? J’ai simplement pensé qu’il était logique de vous le remettre, ici et maintenant, » demanda Isaac.

La déclaration d’Isaac m’avait semblé un peu étrange, je n’avais même pas encore accepté la requête en question. Avait-il agi en supposant que je le ferais ?

Malgré tout…

« N’avez-vous pas pensé que je pourrais simplement m’enfuir avec cette bouteille sans accepter votre demande ? » demandai-je.

« Si c’est le cas, mon bon monsieur, eh bien, alors c’est fini. Je suppose que j’aurais été un mauvais jugement dans cette affaire. De plus, ni mon maître ni moi-même ne sommes dans une situation financière catastrophique, pour ainsi dire, » déclara Isaac.

Il semblerait qu’Isaac et son maître aient assez d’argent à jeter, puisqu’ils étaient assez riches pour offrir des bouteilles d’eau bénite de Lobelia de qualité supérieure à des étrangers.

J’étais un peu envieux de leurs finances, bien que je suppose que c’était la raison pour laquelle en premier lieu ils avaient eu du mal à trouver quelqu’un pour répondre à leur demande. Maintenant, si un aventurier se voyait offrir de l’aide ici et maintenant, les chances qu’il accepte une telle demande augmenteraient.

Comme je m’y attendais, même moi, j’aurais eu du mal à refuser, surtout après le geste de charité d’Isaac. Je n’avais même pas commencé à envisager de refuser.

« Dans ce cas, je vais l’accepter avec plaisir. Eh bien, à la prochaine fois, » déclarai-je.

« Oui. Soyez prudent sur le chemin du retour, » déclara Isaac.

Isaac et moi, nous nous étions séparés.

Rien de notable ne s’était produit lorsque j’avais parcouru le chemin inverse. Étant donné que je pouvais maintenant éviter les Tarasques avec le don de l’eau bénite d’Isaac, je suppose qu’il fallait s’y attendre.

Les autres habitants du marais n’étaient pas non plus une grande menace pour moi, c’est-à-dire tant que je ne tombais pas à nouveau à l’eau. Même les gobelins avaient gardé leurs distances. Quelques gobelins s’étaient échappés dès qu’ils m’avaient vu, peut-être quelques-uns avaient-ils échappé à leur rencontre avec moi. Il s’agissait pour la plupart d’archers-gobelins qui tiraient principalement sur leurs ennemis. Ce n’était pas étrange de les voir courir face à une personne comme moi.

Étant donné à quel point je les intimidais, j’aurais du mal à répondre à toutes les demandes d’abattage de gobelins dans le marais, si jamais je les recevais à l’avenir.

Pourtant… Les gobelins n’avaient pas une très bonne mémoire, ils m’auraient probablement presque oublié en un peu plus d’une semaine.

Je n’avais pas pu m’empêcher de penser que les gobelins étaient des créatures qui vivaient pour l’instant présent. Cependant, ce n’était pas une critique contre leur caractère. Vivre de cette façon avait probablement ses mérites. Ceux d’entre eux qui avaient construit des villages et qui vivaient aux côtés des humains n’avaient probablement pas une très haute opinion de ce mode de vie — mais c’était une question pour une autre fois.

Peut-être que je me ferais un point d’honneur d’en parler à un gobelin ami, un jour ou l’autre dans le futur. Cependant, il faudrait que j’apprenne à parler le gobelin…

Pensant ainsi, je m’étais retrouvé enfin hors du Marais des Tarasques.

En montant une pente, j’avais émergé sur la route principale, en attendant la calèche qui m’avait amené ici plus tôt dans la journée. Après un certain temps d’attente, le bruit familier des roues du chariot avait retenti au loin. Se rapprochant, le cocher sauta et me regarda avec un mélange de surprise et d’émerveillement.

« Alors, vous êtes toujours en vie, hein… ? Je suis surpris. Vous êtes plutôt bon ! » déclara le cocher.

« En fait, je suis déjà un aventurier de classe Mythril. Ce masque est juste pour garder mes actions cachées du reste du monde, » déclarai-je.

Une réponse idiote et drôle. Le cocher avait ri.

« Ha ! Regardez-moi ça, voilà une bonne blague ! Dites-moi si vous voulez que je vous ramène ici. Je vais vous faire une remise ! » déclara le cocher.

D’un commun accord, j’avais sauté dans la voiture. Les chevaux avaient rapidement avancé pour se rendre dans la ville familière de Maalt.

***

Partie 3

La première chose que j’avais faite à mon retour à Maalt avait été de rapporter mes découvertes à la guilde — et ainsi, j’avais été à la guilde dès mon arrivée.

Alors que je voulais me rendre à l’orphelinat et livrer les Fleurs de Sang du Dragon tout de suite, j’avais autre chose qui nécessitait mon attention immédiate : la carcasse de la Tarasque que j’avais tuée.

Je voulais guérir Sœur Lillian le plus tôt possible, mais elle ne risquait pas de perdre la vie immédiatement. Tant que je remettais le matériel à l’herboriste local et que j’avais ainsi les médicaments appropriés demain, je suppose qu’il était acceptable de lui faire attendre un seul jour de plus.

En entrant dans la guilde, je m’étais immédiatement dirigé vers Sheila, comme d’habitude, qui se tenait derrière le comptoir de la réceptionniste. Sheila était au courant de ma situation, et elle m’aidait souvent avec les affaires de la guilde.

« Oh, Rentt… ! Cherchais-tu quelque chose de précis aujourd’hui ? Attends… Ne me dis pas que tu es déjà de retour du marais ? » demanda Sheila.

Même Sheila ne s’attendait pas à ce que je revienne si vite. Il fallait s’y attendre, étant donné qu’elle connaissait mes prouesses, ou mon manque de prouesses, dans la vie. J’avais également passé la plupart des examens de progression de la classe Bronze avec des connaissances préalables, au lieu de m’appuyer sur des compétences individuelles.

Cependant, l’exploration d’un endroit comme le Marais des Tarasques était une ligue à part. Un manque de compétence entraînerait facilement la mort.

Comme ni Lorraine ni moi n’avions donné à Sheila un briefing complet de mes capacités, je suppose que sa réaction avait été tout à fait normale.

« Oui. J’ai récupéré les Fleurs de Sang du Dragon demandées. J’ai l’intention de bientôt aller livrer les fleurs à l’orphelinat. Ainsi le client pourra signer ma demande, » répondis-je.

« Je suis surprise, Rentt. Dire que tu auras fini le travail si vite… Je pensais que ton dur labeur portait déjà ses fruits alors que tu allais à la chasse à l’orcs, mais c’est toute autre chose. Tu es devenu fort, Rentt, » déclara Sheila.

« … Vraiment. Personnellement, je ne suis pas si sûr, » répondis-je.

C’était là mes pensées honnêtes, je ne cherchais nullement à obtenir des éloges.

Sheila avait raison, j’étais plus fort qu’avant. C’est un fait contre lequel je ne pouvais pas m’opposer.

Étais-je vraiment devenu plus fort dans tous les sens du terme ? Étais-je plus compétent, plus capable ? D’une façon ou d’une autre, je ne me sentais pas très bien. Je n’avais pas pu m’empêcher de penser que je n’avais obtenu cette force que grâce à ma constitution monstrueuse. Peu importe ce que j’avais fait, je n’arrivais pas à m’en défaire.

Je n’étais pas dégoûté de ce que j’étais devenu, mais je ressentais une peur profonde dans mon esprit : la peur de perdre cette force retrouvée si je devais un jour redevenir humain.

Est-ce que je pourrai vivre avec ce fait ?

J’avais obtenu un peu de force en échange de mes efforts, mais est-ce que le rétablissement de mon humanité entraînerait la disparition de cette force ? Si je revenais à mon impuissance passée, mon objectif de devenir un aventurier de classe Mithril serait pratiquement impossible. Est-ce que cela briserait ma volonté, si ce n’est mon être en entier ?

C’est ce que je craignais.

Mais bien sûr, je suppose que je continuerais à marcher obstinément vers mon but, quoi qu’il arrive à l’avenir. Je ne pouvais pas prévoir comment je me sentirais si ce scénario hypothétique se réalisait. Je suppose que c’était la peur proverbiale de l’inconnu.

Quoi qu’il en soit, cela ne servait à rien de compter mes poulets avant même qu’ils n’aient éclos. J’avais donné un peu de repos à ces pensées, en me tournant encore une fois vers Sheila.

« Si tu peux t’aventurer dans le Marais des Tarasques et en sortir indemne, tu es plus ou moins déjà de classe Argent en termes de capacités, Rentt ! Tu ferais bien de t’en souvenir ! » déclara Sheila.

Je ne pouvais que me tenir là et hocher la tête d’un air penaud, alors que j’acceptais les encouragements de Sheila sans protester.

Même si je perdais un jour ce pouvoir, il était maintenant indubitablement présent, et vraiment le mien. Il était important d’avoir une mesure précise de ma propre force, reconnaître ses compétences était aussi important que de les avoir, après tout.

« Je comprends cela, Sheila. Sur une autre sujet, j’aurais une demande à te faire, » déclarai-je.

« Ah, oui, ça. Puisque tu n’as pas encore répondu à la demande… serait-ce de la vente de matériel ? » demanda Sheila.

Comme je m’y attendais de Sheila et de ses cinq années d’expérience, je n’avais même pas eu à expliquer ce dont j’avais besoin.

« Oui, » j’avais hoché la tête en réponse. « Cependant, certains traitements sont nécessaires. Une salle de dissection régulière serait inutile pour cette tâche. »

« Je vois. Je suppose que tu as quelque chose de gros ? Je sais que tu as loué un sac de grande capacité, Rentt, » déclara-t-elle.

« Oui. Ce que j’ai est relativement grand, » répondis-je.

Si c’était une question de taille, j’aurais pu déposer la carcasse ici même, mais il y avait d’autres aventuriers à portée de voix, et je ne voulais pas être empilé avec des offres et demandes étranges après coup.

Sheila acquiesça, comprenant mes intentions. « Dans ce cas… tu pourrais utiliser la chambre de dissection à l’arrière. Je vais t’y conduire. »

Sheila s’était approchée de l’un de ses collègues pour remplacer sa place au comptoir avant d’emballer quelques documents et de partir. J’avais suivi de près.

 

◆◇◆◇◆

Quelques salles de dissection existaient à la guilde, mais elles étaient relativement simples et petites, ne serait-ce que parce que la plupart des aventuriers avaient tendance à livrer des articles prédissections, ou seulement la partie spécifiquement demandée par la requête du client. Si un aventurier devait travailler sur une carcasse beaucoup plus grande, il était conduit dans une chambre de dissection située dans un bâtiment à l’arrière des salles de guilde.

La plupart des aventuriers avaient eu recours aux services des spécialistes de la dissection qui travaillaient ici, dont la plupart étaient d’anciens aventuriers. En raison de leurs antécédents d’aventuriers ou de bouchers, ces personnes possédaient une connaissance très détaillée des techniques de dissection. Il n’était pas rare pour les aventuriers de les payer pour des tâches plus complexes, ou si les aventuriers avaient plusieurs carcasses à traiter.

Bien que j’aie été très habile dans l’art de la dissection parmi mes pairs, ayant eu de nombreuses occasions de pratiquer dans mon village natal, la dissection d’une Tarasque était une autre histoire. En raison de la taille, des écailles solides et la nature toxique de la carcasse, je n’avais eu d’autre choix que de l’apporter dans cette salle. Bien que les poisons ne m’aient pas du tout affecté, disséquer une Tarasque dans la rue provoquerait l’écoulement de ses fluides corporels dans le sol, polluant finalement le système des eaux souterraines de la ville. Pour ma part, je ne voulais pas être responsable d’un empoisonnement collectif. Heureusement, cette pièce avait abrité l’infrastructure nécessaire pour éviter que cela ne se produise.

« Dario ! Monsieur Dario ! » déclara Sheila.

En entrant dans l’entrée du grand bâtiment, Sheila avait pris une grande respiration, criant le nom du spécialiste que nous étions venus voir.

En raison de sa nature, la salle de dissection était un grand bâtiment, si Sheila n’avait pas crié, personne ne l’aurait entendue. Mais il n’y avait pas eu de réponse. Sans se décourager, Sheila avait continué à crier.

« Ouais ! Ouais, je vous entends ! Attendez un peu ! » Une réponse bourrue d’une voix graveleuse répondit à l’appel de Sheila.

Peu de temps après, un homme apparemment indomptable se tenait devant nous. Cette personne n’était autre que Dario Costa, le spécialiste en dissection de la guilde. Je l’avais rencontré plusieurs fois dans ma vie, mais Dario ne m’avait pas reconnu tel que j’étais maintenant, ce qui était normal.

« Désolé ! Je ne voulais pas vous faire attendre… On vient d’avoir des tonnes de carcasses d’orcs ce matin. On manque de personnel comme d’habitude ! Mais j’adore la viande d’orc… Cela vaut son pesant d’or, où que vous alliez, » déclara Dario.

On dirait que Dario en avait fini avec sa dissection d’orcs.

Bien que de tels cas soient rares, des individus ou des groupes capables pourraient éventuellement transporter une grande quantité de carcasses dans la guilde. Les bouchers qui vendaient de la viande d’orcs les indemnisaient généreusement, et c’était eux qui, en premier lieu, émettaient les demandes. Je suppose que nous étions maintenant au milieu de la saison des orcs pour que ce soit le cas.

Ma demande de Fleurs de Sang du Dragon ayant été satisfaite, il serait bon pour moi de garder l’œil ouvert pour d’autres demandes plus lucratives. Je ne voudrais pas rater une occasion de chasse.

Si seulement les orcs vivaient dans le Marais des Tarasques… Mais s’ils y vivaient vraiment, les Tarasques ne les auraient vus que pour dîner. Les orcs étaient tout à fait délicieux pour l’homme et les bêtes. On aurait peut-être pitié des orcs qui étaient dévorés par à peu près tout, mais tel était le mode de vie dans ces terres.

Me laissant moi et mes pensées derrière moi, Sheila s’était approchée de Dario, l’informant sur les détails de ma demande.

« Je m’excuse de vous déranger à une période chargée, Monsieur Dario… mais je vous promets que cela en vaut la peine. Rentt ici présent vous a apporté une carcasse très rare sur laquelle travailler aujourd’hui ! » déclara Sheila.

J’avais informé Sheila de ce que je chassais en venant ici, d’où sa description de ma récolte. Dario, cependant, ne semblait pas très convaincu.

« Une carcasse rare ? Jeune fille, je ne suis que très rarement surpris, vous savez ? » déclara Dario.

Sheila continua et les yeux de Dario s’ouvrirent grand en réponse.

« Rentt vous a apporté une Tarasque. Toute une Tarasque pleine de matières, fraîche du marais. Il faut la disséquer, bien sûr, » déclara Sheila.

***

Partie 4

« Une Tarasque… !? Vous me faites marcher, Sheila, » s’écria Dario.

Je pouvais comprendre les soupçons de Dario. Les Tarasques étaient des monstres forts qui ne vivaient que dans un environnement extrêmement inhospitalier, et étaient aussi armés jusqu’aux dents d’un venin puissant. On devrait être un aventurier de classe Argent ou plus pour le tuer de façon fiable. J’étais une exception, je suppose, avec mon immunité aux poisons et tout ça.

En fait, en raison de ma situation particulière, le seul vrai défi que le marais m’avait posé, c’était qu’il avait légèrement ralenti mes mouvements. Un aventurier normal aurait été empoisonné à mort sans l’équipement adéquat.

Je ne pouvais pas parler à Dario de ma nature immortelle, alors j’avais gardé le silence. Sheila avait pris la parole à ma place.

« Oh, franchement, Monsieur Dario. Pourquoi quelqu’un vous ferait-il perdre votre temps comme ça ? C’est vraiment la vérité ! Peut-être le croiriez-vous après l’avoir vu de vos propres yeux… ? » demanda Sheila.

« Mais où est cette Tarasque, Sheila… ? L’a-t-il laissée devant ? » demanda Dario.

C’était une question de mérite, du moins, car certains aventuriers avaient l’habitude de laisser les carcasses de grands monstres qu’ils avaient tués à l’extérieur de la salle pour montrer leur force.

Cependant, ils étaient souvent chargés sur des chariots géants sur roues et autres engins de ce genre. Ces carcasses étaient souvent défilées dans les rues de Maalt avant de s’arrêter aux portes de la guilde, après quoi elles étaient transportées à la pièce pour y être disséquées.

Cela peut être considéré comme une forme de publicité : étant donné que l’aventurier en question avait tué une si grande bête, ils auraient des matériaux rares à vendre, et c’était le but premier d’une telle démarche.

Mais je ne voulais pas me démarquer.

Bien que j’aie attiré quelques regards dans ma direction quand j’avais été promu en classe Bronze peu après m’être inscrit comme aventurier, les aventuriers de classe Bronze n’étaient pas rares. Si l’on avait les compétences requises, on pourrait facilement se rendre à la classe Bronze en si peu de temps, tout comme moi.

En réponse à la question de Dario, j’avais montré le sac magique sur ma ceinture à objets. « C’est dans ce sac. Devrais-je poser la carcasse ici ? »

« Non, » Dario secoua la tête. « Ce n’est pas une bonne chose. Si c’est vraiment une Tarasque, bien sûr. Venez. »

Dario avait fait un geste en se tournant, nous conduisant à la zone centrale de la salle de dissection.

Peu de temps après, nous avions suivi Dario dans une pièce relativement large, construite à cet effet, plus que suffisante pour une carcasse de Tarasque. Une série compliquée d’objets magiques tapissaient les murs — des outils pour contenir les vapeurs toxiques pendant le nettoyage de la carcasse avant la dissection.

Ces objets étaient de l’équipement hautement spécialisé et ils étaient exigés pour la plupart des pièces de dissection établies. Mais elles étaient très chères, et il ne pouvait pas y en avoir plus de deux dans tout le bâtiment.

« Eh bien, nous y voilà. Apportez-le, » déclara Dario.

En tournant la manivelle, Dario souleva une plate-forme au centre de la salle, me faisant signe d’y décharger la carcasse. Il nous avait également fourni à Sheila et à moi des masques de sécurité comme précautions contre le poison. Comme je portais déjà un masque, j’avais l’air ridicule, mais je suppose qu’il fallait en faire autant pour l’apparence.

Confirmant que Sheila et Dario avaient bien équipé leurs masques, j’avais ouvert le sac, me préparant à décharger la carcasse. Tout comme lorsque j’avais attaché l’embouchure du sac à la carcasse lors de la mise dans le sac pour le transport, j’avais fait la même chose ici en alignant l’ouverture du sac sur la plate-forme centrale. Si quelqu’un faisait une erreur en aspirant un objet, il serait confronté à de grandes difficultés pour le sortir. Heureusement pour moi, j’avais eu beaucoup d’expériences avec ce genre d’objet magique au cours de ma vie. Ce sac était beaucoup plus grand, mais ils fonctionnaient fondamentalement de la même façon.

« Je vois que vous ne me faisiez pas marcher… C’est une grande, même pour une Tarasque, » déclara Dario en examinant la carcasse pendant qu’il parlait.

La carcasse avait été soigneusement déchargée sur la plate-forme centrale de la pièce, le cou, le corps et tout le reste. En regardant bien sa carapace blindée, Dario fit glisser ses doigts le long de sa surface, acquiesçant d’un signe de tête.

« Pas une seule égratignure, hein ? Je ne vois pas ça si souvent, » déclara Dario.

J’étais un aventurier de classe Bronze, donc pour Dario, cela signifiait que mes connaissances et mon expérience de la chasse aux Tarasques devaient être relativement faibles. Pour tuer une Tarasque, il fallait lui couper le cou ou lui briser l’armure et lui écraser le cœur. Le premier était le choix le plus facile.

Malgré tout, une carapace de Tarasque intacte était-elle vraiment si rare ?

Curieux, j’avais demandé une explication à Dario.

« Je comprends ce que vous essayez de dire. C’est quelque chose de problématique. Le plus gros problème, c’est de s’approcher du truc, l’haleine empoisonnée et tout ça. Donc… si un aventurier se rapproche à ce point, il sera exposé à ces trucs. Bien sûr, les chasseurs de rang Argent ou de rang Or peuvent acheter des objets magiques pour repousser la plus grande partie, mais seuls ceux de la classe Platine peuvent se permettre une annulation complète. Des trucs puissants, vous savez. Comme la plupart des gens n’ont pas ça, ils le tuent à distance. Est-ce que vous comprenez ? »

L’explication de Dario était facile à comprendre. Alors que j’étais immunisé aux poisons, les aventuriers et les groupes normaux choisiraient probablement d’attaquer une Tarasque avec des sorts et des projectiles à longue distance.

« Il a aussi une carapace dure, » poursuit Dario. « Mais les écailles sont aussi dures, vous voyez. Les deux sont tout aussi difficiles à trancher. Lorsque l’occasion se présente, la plupart des gens visent la carapace. Beaucoup plus gros, hein ? Quelques attaques violentes suffiront à la percer. La plupart des aventuriers qui peuvent tuer des Tarasques ont quelques trucs pour le faire. Dans ce cas, il y aurait un trou dans sa carapace. Vous montrez une carapace cassée à un spécialiste en dissection, et vous regardez la réaction sur leurs visages. Qu’est-ce qu’on est censés faire avec ça, hein ? »

Une attaque d’un aventurier de classe Argent ou Or pourrait en effet pénétrer sa carapace, mais je suppose qu’une telle carapace serait difficile à transformer en armure fonctionnelle. Cependant, les armuriers n’étaient pas des gobelins, même une carapace fissurée pouvait être intégrée dans une armure, à condition que la fissure ait été renforcée et combinée avec d’autres matériaux pour atteindre sa résistance antérieure.

Mais bien sûr, la plupart des armuriers préféreraient une carapace intacte. En d’autres termes…

« Donc cela vaut beaucoup d’argent ? » demandai-je.

Dario hocha la tête. « À quoi ça ressemble d’après vous ? Bien sûr que ça vaut beaucoup ! Eh bien… Ça prend beaucoup de temps pour le disséquer, donc il y aura des frais pour ça. Mais quand même, ça vaut pas mal d’argent. Le cou, c’est bien aussi. La seule blessure, c’est le cou lui-même. Les glandes vénéneuses semblent intactes… Ça fait un moment que je n’ai pas vu une carcasse de Tarasque en si bon état. »

Il semblerait que Dario ait donné aux restes son sceau personnel d’approbation.

« Je vois. Dans ce cas, j’aimerais vous confier la tâche, avec ordre de vendre la carapace, » déclarai-je.

Il y avait plusieurs façons pour un aventurier de gérer son butin : certains avaient apporté les restes pertinents et les avaient laissés pour dissection ici, avant de chercher un lieu de vente aux enchères sur leur temps libre pour le mettre en vente. Pour ceux qui n’avaient pas le luxe du temps, les spécialistes de la dissection pouvaient vendre le produit de la récolte en leur nom, mais moyennant des frais minimes.

Dans des circonstances normales, la plupart des aventuriers avaient tout laissé aux spécialistes. Tout le processus était trop compliqué pour l’aventurier typique, qui avait l’habitude de confier la vente pour son compte du matériel à un magasin qu’il connaissait bien. Des matériaux rares, comme la carapace d’une Tarasque, étaient souvent mis aux enchères lors d’événements.

Dans mon cas, une carcasse Tarasque intacte attirerait facilement de nombreux acheteurs potentiels. Comme j’avais déjà confié la dissection du corps à Dario, j’avais supposé que je devais lui laisser tout le reste.

« Ça ne me dérange pas, mais… vraiment ? Vous n’avez qu’à regarder, vous voyez ? Il y a des tonnes d’acheteurs dehors, » déclara Dario.

Dario avait raison, mais chercher des acheteurs dans mon état actuel était une tâche difficile, presque impossible. J’aurais à interagir et à rencontrer continuellement des acheteurs potentiels en personne. Ce n’était pas quelque chose que j’avais hâte de faire, du moins pas dans cet état.

Bien que je puisse en charger Lorraine, elle n’était pas très versée dans la vente de pièces de monstres rares, et elle n’était pas bien informée de leur valeur sur le marché actuel. Si je devais le vendre, j’aimerais au moins le vendre à un juste prix, d’où ma demande à Dario.

Je m’étais tourné vers Dario et j’avais décidé de lui faire confiance. « … Vous avez toute ma confiance, Monsieur Dario. Je compte sur vous. »

Dario avait ri de ma déclaration trop formelle. « Ha ! Maintenant que c’est dit comme ça… je suppose que je dois faire un très bon travail, hein ? J’obtiendrai un bon prix pour vous — attendez de voir. »

◆◇◆◇◆

Laissant derrière moi la carcasse et d’autres matériaux dissécables, j’avais parcouru mes dépouilles et remis à Sheila les matières végétales que j’avais récoltées. En raison de la quantité de matériaux que j’avais récoltés, Sheila n’avait pas été en mesure de me donner un devis pour les articles tout de suite, mais cela devrait être tout à fait un bénéfice pour moi.

Il ne restait plus qu’à livrer la Fleur de Sang du Dragon à l’orphelinat, où Alize et Sœur Lillian attendaient mon retour. Bien que je suppose que Sœur Lillian n’attendrait pas vraiment, car Alize lui avait caché tout cela, mais ce n’était pas grave en soi.

Quoi qu’il en soit, ma prochaine destination était fixée. J’étais sorti de la salle de guilde et je m’étais dirigé vers l’orphelinat en question.

 

◆◇◆◇◆

Crac…

Un son vraiment épouvantable. J’avais fait une pause en regardant le heurtoir que j’avais réparé avec du liquide visqueux lors de mon précédent voyage ici. Il était, bien sûr, cassé, s’étant encore une fois détaché dans ma main. Bien que je l’avais cassé, c’était aussi moi qui l’avais réparé. Je suppose que je devais le réparer à nouveau.

« Parfait…, » déclarai-je.

Une voix singulière m’interrompit par-derrière. « Qu’est-ce qui est parfait maintenant… ? »

J’avais été surpris — sur le fait !

En me retournant, j’avais rencontré Alize, qui tenait dans ses bras un sac en papier rempli de ce qui semblait être de la nourriture. Derrière elle, plusieurs enfants plus âgés de l’orphelinat se tenaient debout, tout tenant dans leur bras des sacs similaires. Il semblerait que les enfants revenaient tout juste d’une sorte de course à l’épicerie.

Me forçant à rester calme, j’avais fait une attitude amicale face aux orphelins, me retournant pour les saluer.

« Eh bien, je venais juste pour la demande, » déclarai-je.

Les yeux d’Alize s'ouvrirent en grand. « Hein ? Quoi ? Vraiment ? Vous plaisantez, c’est une blague, non ! »

Bien qu’étonnée, la porte d’entrée n’était guère un lieu de discussion. Ouvrant la porte avec précaution pour Alize, qui avait les mains pleines, j’avais pris grand soin de ne pas endommager le fragile heurtoir, une fois de plus correctement collé en place.

***

Partie 5

« Alors… est-ce vrai ? Avez-vous fini ? Est-ce fait ? » demanda Alize en me faisant asseoir dans la salle de réception exiguë où nous nous étions rencontrés pour la première fois.

Alize avait l’air plus surprise qu’emplie de doute. Je suppose que j’avais conclu l’affaire assez rapidement.

Ce qu’Alize ne savait pas, c’était ce à quoi ma déclaration précédente faisait vraiment référence : le sort malheureux du percuteur cassé de la porte. La vérité, bien sûr, resterait cachée dans l’obscurité pour toujours, si je pouvais le laisser ainsi.

Masquant ma gêne de toute cette affaire, j’avais répondu à Alize d’un ton de voix plat.

« Oui. Vous pouvez le voir par vous-même, » déclarai-je.

J’avais retiré une seule tige de ma poche magique à objets et j’avais déposé la Fleur de Sang du Dragon sur la table de bois rachitique entre nous. J’avais mis un morceau de tissu de rechange de peur de salir la table, vieille et usée comme elle était. La fleur était maintenant posée sur sa surface couverte, les racines enveloppées et tout ce qui était avec.

Cependant, Alize ne semblait pas du tout se soucier de l’état de la table. Au lieu de cela, elle avait été entièrement emballée par la fleur, et elle la regardait maintenant avec curiosité.

« Est-ce… que c’est ça ? C’est la première fois que j’en vois une ! Quelle jolie fleur… ! » s’exclama Alize.

Peut-être était-ce la beauté, la rareté ou la puissance de la fleur lorsqu’elle était utilisée comme médicament, quelle qu’en soit la raison, Alize semblait profondément émue par la plante devant elle.

Mais comme Alize l’avait dit, les Fleurs de Sang du Dragon étaient très belles. La fleur n’avait jamais fait face au ciel avec ses pétales cramoisi, mais elle s’était légèrement affaissée, avec ses larges feuilles accentuant la forme de la fleur. Le support de la plante elle-même était une tige robuste, témoignage de la vigueur et de la rusticité de la fleur.

Cet équilibre pittoresque, mais presque miraculeux était peut-être à l’origine de sa popularité dans de tels domaines. Si on n’avait personne à qui demander en mariage, on pourrait au moins admirer sa beauté pour ce qu’elle était. Du moins, c’est ce que je supposais.

« Est-ce correct… ? » demandai-je.

« Je ne peux pas dire grand-chose, » Alize, apparemment encore perdue dans ses pensées, répondit finalement en me regardant alors qu’elle le faisait. « Je ne sais pas si c’est une vraie Fleur de Sang du Dragon ou pas… Ah. Je ne veux pas dire que je doute de vous. C’est juste que… je ne peux pas le dire ! Cela me dépasse. »

« N’avez-vous pas dit que vous aviez des amis, un guérisseur et un herboriste ? N’est-ce pas eux qui allaient faire le médicament pour sœur Lillian ? » demandai-je.

« Oui, oui, oui. Je vais les chercher tous les deux tout de suite. Il faudrait attendre un peu, d’accord ? » demanda Alize, apparemment déterminée à aller tout de suite chercher le guérisseur et l’herboriste susmentionnés.

Pour ma part, j’aimerais que mon formulaire de demande soit signé et retourné dès que possible, alors les convoquer ne ferait qu’accélérer le processus. C’est ainsi que j’avais hoché la tête à Alize.

D’un signe de tête rapide, Alize s’était précipitée hors de la pièce, très pressée, probablement en route vers leurs deux résidences.

Les herboristes et les guérisseurs en général travaillaient souvent pour des églises ou des institutions médicales, dont la plupart se trouvaient à une bonne distance de l’orphelinat. Je supposais qu’Alize ne reviendrait pas avant un bon moment, ce qui signifiait aussi que j’avais maintenant du temps libre. Attendre son retour en soi n’était pas une tâche difficile, cependant, faire face à l’ennui en général était plutôt gênant.

Alors que j’étais sur le point de me résigner à une attente ennuyeuse, Edel, qui avait été affaissé sur mon épaule tout ce temps, s’était soudainement envolé de son perchoir, atterrissant proprement sur le sol. En s’enfuyant, Edel s’était mis à gratter les murs de la pièce.

« … Quoi ? Qu’est-ce que tu fais, souris ? » demandai-je.

En réponse à ma question, Edel avait levé les yeux vers la poignée de porte, avant de lui-même sauter dessus. Bien qu’il ait atterri avec un bruit sourd impressionnant sur l’ancienne poignée de porte, ce n’était pas un type qui répondait à la pression, de sorte que la porte ne s’était pas ouverte.

Dire qu’il avait frappé le cou d’une Tarasque avec tant de force… Je suppose que les souris ne pouvaient pas facilement ouvrir les portes, vu leur physique. Au contraire, j’avais trouvé la vue un peu amusante.

Je n’étais pas sûr si je devais ouvrir la porte, mais je n’avais pas non plus l’intention de confiner Edel dans cette petite salle de réception jusqu’au retour d’Alize. Tant qu’il ne serait pas entré dans une zone interdite, je pensais qu’une petite promenade ne ferait pas de mal. Bien sûr, si je recevais des plaintes au sujet de mon animal sauvage, je pousserais entièrement la faute sur la souris. Techniquement, ce ne serait pas un mensonge.

Bien que j’aie eu mes doutes dès le moment où Edel m’avait demandé que je lui ouvre la porte, toutes les questions et les monologues internes que j’avais eus avaient simplement reçu une réponse de la souris. Je suppose qu’il voulait vraiment sortir d’ici.

Je m’étais levé, je m’étais approché de la porte. En donnant un bon tour à la poignée de porte, j’avais tiré la porte entrebâillée, et avec cela, la souris était sortie. Je l’avais suivi, curieux de savoir où il allait. Une destination quelque peu prévisible, peut-être, mais je m’étais vite retrouvé dans la salle de stockage du sous-sol de l’orphelinat — la même pièce où j’avais rencontré Edel pour la première fois.

Se dirigeant vers le milieu de la pièce, Edel s’était levé sur ses pattes arrière, avant de déchaîner rapidement un grincement aigu dans l’air humide et froid. Presque immédiatement, pas moins de cinq Puchi Suris étaient sortis de l’ombre à une vitesse fulgurante, alignés devant mon familier dans une ligne parfaite.

N’ai-je pas déjà vu cela quelque part auparavant… ?

Je m’étais souvenu d’une scène similaire où des Puchi Suris plus petits faisaient la queue devant un plus grand. En fait, ces Puchi Suris me semblaient familiers, j’avais déjà vu ces cicatrices spécifiques et ces motifs de fourrure. Ils semblaient un peu plus gros, de façon marquée, depuis la dernière fois que je les avais vus.

Tandis que je continuais à méditer sur le boss à fourrure des souris, Edel grinça à nouveau, comme s’il tenait une sorte de conversation avec ses compatriotes. Les vocalisations du Puchi Suri étaient toutes des grincements, bien sûr, alors que ces sons n’avaient pas beaucoup de sens pour la plupart des humains, j’avais eu l’avantage de partager un lien mental avec Edel. Lentement mais sûrement, j’avais commencé à comprendre les détails de leur conversation.

Selon les nombreuses voix grinçantes, les cinq Puchi Suris sous le commandement d’Edel avaient, comme promis, continué à protéger le stockage du sous-sol. Ce faisant, ils avaient été attaqués par d’autres gangs de Puchi Suri, qui avaient erré dans les rues de Maalt. Malgré tout, ils avaient tenu bon, réussissant finalement à protéger le sous-sol sans aucune incursion. La raison pour laquelle ils pouvaient le faire était parce qu’Edel avait légèrement changé ses compatriotes en infusant une petite quantité de mana et d’esprit dans leur corps. De plus, ces Puchi Suris étaient un peu plus forts que ceux que l’on trouvait habituellement dans les rues au départ, d’où leur victoire.

En d’autres termes, ils semblaient proches d’une Évolution Existentielle qui leur était propre.

Cependant, ce point m’avait gêné. Tout d’abord, ce mana et cet esprit ne m’appartenaient-ils pas ? Les pouvoirs d’Edel n’avaient été pris à nul autre que son maître, Rentt Faina.

Cependant, Edel s’était retourné, me fixant dans ma direction avant de grincer un peu fort. J’avais l’impression que mon entourage aimerait que je garde mes pensées pour moi.

 

 

Quelle souris déraisonnable !

En fait, j’étais le maître et Edel le serviteur ! Mais apparemment, il ne ressentait pas la même chose.

En raison de l’intensité de son grincement, j’avais supposé que je devais le laisser à ses affaires… pour l’instant. De plus, la conversation entre Edel et ses sous-fifres m’avait été quelque peu utile. Bien qu’ils aient vaincu les Puchi Suris qui tentaient d’entrer dans le sous-sol, les sous-fifres d’Edel les avaient aussi subjugués dans ce processus. Ainsi, ils avaient reçu des informations sur tous les bâtiments, les routes et les passages cachés de Maalt, tout cela par l’intermédiaire de leur réseau de souris urbaines. Grâce à cette nouvelle coopération, les Puchi Suris vivant dans ce sous-sol avaient embrassé une nouvelle ère de prospérité et avaient tous pu vivre en paix. Tout cela en raison de leur chef souris, Edel…

Du moins, c’est ce que j’avais compris.

Je m’étais trouvé à court de mots… Bien que tout cela soit très bien, la source des pouvoirs d’Edel n’était autre que moi…

Je voulais vraiment le dire à haute voix, mais hélas, je n’avais pas pu. Même si c’était le cas, ces autres petites souris ne comprenaient pas le langage humain.

Je n’avais pas non plus le charisme qu’Edel possédait, ce qui était vraiment dommage.

Cependant, mon apitoiement sur moi-même fut rapidement interrompu par une pensée surprenante venant d’Edel. Apparemment, il pouvait demander à ses subalternes de recueillir des informations pour moi si je le souhaitais. En raison de leur taille, de leur vitesse et de leur nature, les Puchi Suris se trouvaient dans de nombreux coins de Maalt. Bien qu’il n’ait pas été difficile d’en tuer un, la vitesse à laquelle ils pouvaient se reproduire avait fait de l’extermination de ces créatures une entreprise relativement futile. Si je pouvais l’utiliser à mon avantage, et faire en sorte que ce réseau de souris recueille des informations dans tout Maalt…

Tout dans cette ville me serait connu.

Dire que je n’avais même pas remarqué ce qui se passait — j’avais maintenant un réseau de petits informateurs et d’espions dans mes mains.

Ce serait utile. Très utile en effet…

***

Partie 6

« C’est… C’est superbe ! Incroyable ! Je n’ai jamais vu un spécimen aussi bien conservé ! »

La personne devant moi n’était autre qu’un certain Unbert Abeiyu, le guérisseur qu’Alize avait déjà mentionné. L’herboriste Norman Hanel l’accompagnait.

Unbert était un homme mince, d’âge moyen, tandis que Norman était beaucoup plus jeune, un jeune homme dodu dans la vingtaine. À en juger par leur comportement et leurs sourires amicaux, j’avais cru comprendre qu’ils avaient des liens amicaux avec l’orphelinat.

« Est-ce vraiment le cas… ? Seuls des aventuriers de haut rang exploreraient le Marais des Tarasques, » demandai-je. « On pourrait penser qu’ils sauraient au moins comment récolter et préserver une Fleur de Sang du Dragon. »

La compétence d’un aventurier augmentait proportionnellement à son rang. Les aventuriers de haut rang avaient généralement plus de force et de puissance, et ils acquéraient aussi habituellement d’autres compétences en cours de route, comme la dissection et les techniques de cueillette d’herbes. Bien sûr, il fallait aussi apprendre l’étiquette dans les affaires et acquérir des connaissances générales sur les coutumes du monde. Bien qu’on ne s’attendait pas à ce qu’ils possèdent autant de connaissances qu’un professionnel, les aventuriers devaient, dans tous les cas, continuer d’apprendre et d’affiner leurs compétences de base à mesure qu’ils gravissaient les échelons.

Il y avait des exceptions, bien sûr. Les individus qui n’acceptaient que des demandes concernant la mort de cible et qui se développaient de façon disproportionnée. De même, les aventuriers qui réussissaient à tricher ou à bluffer en passant les tests de progression se retrouvaient avec des compétences un peu plus étranges.

Compte tenu de tout cela, on pourrait logiquement supposer que tout aventurier explorant le Marais de Tarasque serait au moins de classe Argent ou Or. Sauf dans des cas particuliers comme le mien, ils seraient suffisamment qualifiés dans tous les domaines : combat, cueillette d’herbes, ou autre.

« Pas tout à fait. La plupart des aventuriers sont bien trop préoccupés par l’empoisonnement pour se soucier des fleurs qu’ils cueillent ! En fait, la plupart d’entre eux récoltent les fleurs avec insouciance, pensant que tout va bien s’ils reviennent avec un échantillon. Cependant, étant donné la nature de l’endroit… peu d’aventuriers oseraient s’y aventurer, donc nous ne pouvons pas vraiment nous plaindre. En fait, trouver un aventurier capable de s’aventurer à l’intérieur est une chose dont il faut se réjouir ! » déclara Norman.

Il y avait une part de vérité dans les paroles de Norman. Peu d’aventuriers seraient prêts à rester dans le marais plus longtemps qu’ils ne le devraient. La plupart des aventuriers qui avaient la capacité de le faire préféreraient être ailleurs, même si ceux qui y étaient entrés étaient probablement bien rémunérés pour leur temps. Des bénévoles comme moi étaient peut-être inconnus dans ce scénario particulier.

Un aventurier et son client étaient généralement sur un pied d’égalité, de sorte que le client devait offrir une compensation suffisante pour attirer un aventurier compétent dans le marais. En raison de la complexité des facteurs en jeu, l’aventurier impliqué avait souvent eu le dessus dans cette discussion. Dans la plupart des cas, cependant, c’était le contraire qui s’était produit. Alors qu’une relation client-aventurier équilibrée était idéale, la réalité était tout autre.

« Je suis heureux que cela se soit bien passé, » déclarai-je.

« Bien sûr que ça s’est bien passé ! » La réponse de Norman avait été enthousiaste. « Avec cette Fleur de Sang du Dragon parfaitement conservée, la création d’un remède pour la maladie de l’accumulation de miasme serait une affaire simple ! En raison de son état parfait, j’aurais aussi beaucoup plus de temps pour le traiter. En fait, je pourrais faire beaucoup d’autres médicaments. Si seulement nous avions plus de Fleurs de Sang du Dragon…, » déclara Norman, comme si le fait d’avoir une seule fleur était une bénédiction en soi.

« Combien en avez-vous besoin ? » demandai-je.

« Eh… ? Hmm. Voyons voir. Trois ou quatre tiges de plus seraient parfaites. Je pourrais distribuer l’extrait, et pouvoir faire beaucoup d’autres médicaments afin de guérir les malades ! » répondit Norman, plus à lui-même que quiconque.

Il n’avait pas l’air de me supplier de lui donner plus de fleurs, je ne l’avais même pas informé du fait que j’avais récolté plusieurs fleurs. Norman pensait probablement à un scénario hypothétique dans lequel de nombreux aventuriers bienveillants rapportaient chacun une fleur.

Il n’avait pas l’air d’être du genre à mentir — comme s’il affirmait mes pensées, Alize se pencha vers moi, me murmurant à l’oreille.

« Le docteur Norman aide beaucoup de pauvres, et pas seulement l’orphelinat ! Il paie les médicaments de sa poche, vous savez ? C’est un médecin si rare et avec un bon cœur ! C’est rare en ce moment ! » Alize était apparemment pleine d’éloges pour le bon docteur Norman. Il semblerait que le docteur avait son approbation.

Il n’y avait aucun doute que le médecin apportait un soutien important à Alize et à l’orphelinat, mais les herboristes en général avaient besoin de beaucoup de capital pour fonctionner. Les médicaments n’étaient pas tout à fait gratuits, car il fallait rassembler le matériel adéquat. C’était juste la nature du travail. Ainsi, la plupart des herboristes n’avaient d’autre choix que de vendre leurs produits à des prix un peu plus élevés, ne serait-ce que pour pouvoir continuer à fonctionner.

Malgré tout… Dire que le docteur avait payé de sa poche pour aider les malades. Je n’avais pas pu m’empêcher de ressentir un sentiment d’inquiétude. S’il arrivait quelque chose au docteur Norman, l’orphelinat serait sûrement affecté négativement.

Au moins, Alize penserait comme ça. Cependant, en réalité, le médecin devait disposer de ses propres moyens pour assurer le bon fonctionnement de son entreprise. Pour ce qui est de ces raisons, je n’en étais pas tout à fait sûr, mais j’avais supposé que cette petite contribution ne ferait pas de mal.

J’avais tendu la main dans ma pochette magique, décidant d’apporter d’autres fleurs de mon stock. Quelques tiges de plus n’étaient pas vraiment une perte terrible, et c’était pour une bonne cause.

« Tenez… prenez ceci, » déclarai-je.

J’avais récupéré quatre autres Fleurs de Sang du Dragon, les mettant sur la table. Les yeux de Norman et d’Unbert s’ouvrirent à la vue. Je suppose qu’ils ne pensaient pas qu’un aventurier solitaire aurait la capacité de récolter autant de fleurs tout seul.

Au début, les Fleurs de Sang du Dragon poussaient en grandes grappes, mais ces deux messieurs le savaient à peine, tout comme la plupart des non-aventuriers ne savaient pas à quel point les poches magiques étaient sans fond. J’avais économisé pendant cinq ans pour acheter cette pochette — un investissement rentable. Même un aventurier de la classe Argent devrait épargner pendant au moins un an, ce qui n’était pas une mince affaire, étant donné que la plupart des aventuriers n’étaient que des dépensiers sans scrupules. Pour empirer les choses, ces objets magiques n’étaient pas facilement disponibles sur le marché, il fallait d’abord les trouver dans les ventes aux enchères publiques, ou même sur le marché noir.

Grâce à mes nombreux contacts sociaux et informateurs, j’avais pu acheter un sac de grande capacité, alors que la plupart des aventuriers se retrouvaient généralement avec un sac deux fois plus petit que le mien. Les sacs plus petits n’avaient presque plus d’espace après que les fournitures, les rations et les contenants habituels eurent été distribués.

Bien sûr, on pourrait former des groupes pour transporter plus d’articles en conséquence. Cependant, cela n’aurait pas aussi bien fonctionné lors de l’exploration du Marais des Tarasques, principalement en raison de l’équipement antipoison qui occupait généralement beaucoup d’espace. C’est pourquoi la plupart des aventuriers revenaient habituellement avec une seule Fleur de Sang du Dragon.

Dans mon cas, j’avais loué un sac de grande capacité à la guilde, et il me restait pas mal d’espace puisque je n’avais pas besoin de protection contre les poisons.

Je suppose que mon corps avait eu son utilité. Une étrange émotion avait jailli des profondeurs de mon esprit : alors que je voulais redevenir humain un jour, est-ce que je perdrais ma résistance au poison si je le faisais ? Peut-être, que c’était avide pour moi d’avoir de telles pensées, mais encore une fois, les humains étaient des créatures avides par défaut. Une fois qu’ils avaient obtenu quelque chose, ils désireraient, sans faute, plus.

Celui interrompant mon train de pensées était Edel, perché silencieusement sur mon épaule. Il voulait apparemment annoncer qu’il n’avait aucun intérêt pour ces pensées avides, mais je suppose qu’une souris se sentirait comme ça. En réponse, Edel avait serré son emprise sur mon épaule.

Oui, oui, souris. Je te présente mes excuses.

Quoi qu’il en soit, je m’étais tourné vers les deux professionnels de la santé qui étaient devant moi et qui étaient encore gelés sur place à la vue des fleurs sur la table. Norman avait été le premier à réagir.

« Est… vraiment acceptable ? Nous vendriez-vous ces fleurs ? Mais… si vous en avez tant, Monsieur Rentt, ne serait-il pas plus logique de le vendre à un plus grand apothicaire… ? » demanda Norman.

Il semblerait que Norman ne pouvait pas payer pour ces fleurs. Il n’en avait pas demandé autant au début, alors peut-être qu’il fallait s’y attendre.

« Non, » j’avais secoué la tête lentement. « Je vous donne ces fleurs en signe d’appréciation pour vos noble et honnête intentions. Ne vous inquiétez pas. J’en ai bien plus dans le sac. »

Je ne voulais pas que Norman me doive des faveurs, car j’avais simplement envie de faire un acte de charité occasionnel. Je ne faisais que me satisfaire, ni plus ni moins.

Je n’avais pas récolté ces fleurs supplémentaires dans l’espoir de les vendre à un prix élevé, je voulais simplement aider les connaissances qui se trouvaient dans le besoin, donc donner ces fleurs n’était pas vraiment un problème. Le docteur Norman, plus que quiconque, serait en mesure d’utiliser ces ingrédients pour une bonne cause. C’était bien d’avoir des relations avec un herboriste compétent, et aider le docteur Norman serait le début d’une relation bénéfique.

Alors que Lorraine elle-même était capable de synthétiser des médicaments et autres, elle se spécialisait principalement dans les potions et les solutions magiques, de sorte que guérir les maladies serait en dehors de son expertise. Le docteur Norman, de son côté, travaillait avec les malades.

J’avais personnellement suivi une formation d’herboriste dans ma jeunesse, et j’étais plus capable sur le sujet que l’aventurier typique, mais je ne pouvais pas espérer m’approcher d’un vrai professionnel. Ce serait vraiment bénéfique d’avoir le docteur Norman de mon côté. Ce n’était pas la meilleure chose à dire, mais personne n’était perdant dans cette transaction.

Enfin calmé après sa surprise initiale face à mes paroles, le docteur Norman m’avait donné sa réponse.

« Toutes mes excuses. Oui, ça m’aiderait beaucoup. Un bon nombre de vies peuvent être sauvées grâce à cela… S’il y a quoi que ce soit que je puisse faire, Monsieur Rentt, dites-le-moi. Dans tous les cas, j’ai une grande confiance en ma connaissance des herbes et de la médecine — je dirais, sans pareil dans ces pays ! » déclara Norman.

Telles étaient les paroles de gratitude du bon docteur.

***

Partie 7

« Avec ceci, la demande est complète…, » déclara Alize, en signant le document sur la table après que Norman et Unbert aient quitté les lieux.

Comme le client officiel n’était pas l’orphelinat, mais les orphelins qui s’y trouvaient, la signature d’Alize avait suffisamment de poids pour déclarer la demande complète et close.

Avec une plume d’oie, l’acte fut accompli, et avec cela, sa demande fut officiellement satisfaite. Il ne me restait plus qu’à recevoir ma récompense de la guilde.

Cela avait été une demande beaucoup plus difficile que mes tâches habituelles, et l’accomplir m’avait laissé une émotion intense et quelque peu profonde dans le cœur.

Mais bien sûr… ma récompense n’était qu’une pièce de bronze.

« … Oui. Je vous remercie. Alize, » dis-je, en enroulant le document signé sur le bureau.

« Non… c’est moi qui devrais vous dire ça, Rentt. Pour dire la vérité… faire la demande est une chose, mais j’avais presque tout abandonné ! Qui irait cueillir une Fleur de Sang du Dragon pour une pièce de bronze ? Mais… vous, Rentt. Vous l’avez accepté, et vous êtes revenu avec ! Je ne vous remercierai jamais assez… Merci, vraiment… S’il y a quoi que ce soit, Rentt, dites-le-nous. Les enfants et moi ferons tout notre possible pour vous aider… Je suppose que vous n’auriez pas vraiment besoin de notre aide. »

« Même moi, j’ai parfois besoin d’aide. Quand ce moment viendra, je vous le demanderais. Par rapport à votre demande, il y en avait d’autres que moi qui avaient pensé à accepter la demande, mais c’était juste que c’est un peu trop difficile pour la plupart, » déclarai-je.

Alize avait seulement dit cela parce qu’elle avait perdu foi en la plupart des aventuriers, et même ainsi, je n’avais pas l’impression qu’elle l’avait dit avec cette pensée en tête. Au contraire, Alize pensait probablement inconsciemment que la plupart des aventuriers étaient des individus égoïstes et de sang-froid.

C’était une opinion raisonnable. Après tout, peu d’aventuriers erreraient dans le marais.

Mais des aventuriers bienveillants existaient, comme l’avaient prouvé les autres aventuriers qui avaient pensé à essayer de répondre à la demande avant moi. En fin de compte, ils avaient discuté et avaient réalisé que cette demande les dépassait. Une sage décision, en tant qu’aventuriers morts, ils n’étaient d’aucune utilité. Mourir inutilement dans un marais ne serait rien de plus que de la folie, à supposer que l’on ait une compréhension exacte de ses propres capacités.

Bien que je ne voulais pas non plus perdre confiance en mes frères aventuriers, je pouvais facilement comprendre la perspective d’Alize.

« Vraiment ? » Alize semblait surprise de mes paroles. « J’ai pensé que personne ne souhaiterait répondre à la demande d’un orphelinat dès le départ… »

Si ma mémoire était bonne, Alize était considérablement formelle lorsque nous nous étions rencontrés pour la première fois. Je suppose que sa désillusion avec les aventuriers était la cause de ce comportement. Elle avait probablement supposé qu’un aventurier sans nom de classe Fer était venu frapper à la porte, sans beaucoup d’expérience, de capacité ou de réflexion sur la demande en cours.

Maintenant que j’y pense, il y avait autre chose…

« Vous avez dit que vous vouliez devenir un aventurier… ? » demandai-je.

« Oui… J’ai mentionné que la maladie de Lady Lillian était lente, non ? Puis… même si cela prenait un certain temps, je pourrais éventuellement le faire — pour aller dans le marais et cueillir une Fleur de Sang du Dragon. De plus, si je devenais une aventurière, je pourrais contribuer aux frais d’exploitation de l’orphelinat… Ou au moins être capable d’aider ! Je suppose que c’était idiot de ma part... Mais je n’ai rien trouvé d’autre ! » déclara Alize.

Cette proposition semblait peu pratique, mais il avait fallu beaucoup de temps pour que la maladie de l’accumulation du miasme cause la mort d’une personne atteinte, le plus souvent entre cinq et dix ans. Si je ne m’étais pas présenté et qu’Alize était devenue une aventurière compétente dix ans plus tard, il y avait une chance que Sœur Lillian ait pu résister.

Au moins, ce n’était pas impossible. Alize devrait subir un entraînement dur pour atteindre ce degré de force, et étant donné ses réserves latentes de mana, elle pourrait même être capable d’entrer et de sortir du marais en toute sécurité un jour.

« Il semblerait que vous aviez beaucoup de choses en tête. Bien qu’à la fin, vous vous êtes peut-être préparé pour rien. Qu’allez-vous faire maintenant ? Allez-vous renoncer à devenir une aventurière ? » avais-je demandé, avec curiosité.

Alize secoua rapidement la tête en réponse. « Non. Après cet événement, j’ai décidé, plus que jamais, de devenir une aventurière. Eh bien… Il n’y a plus besoin d’aller explorer les marais pour la Fleur de Sang du Dragon, mais je veux devenir une aventurière comme vous, Rentt. Un aventurier gentil et de bon cœur qui aide les gens ! »

Hein ? Moi… ?

Du moins, c’était la première pensée qui m’avait traversé l’esprit. Mais je ne l’avais pas dit tout haut.

« Je ne pense pas être un aussi grand aventurier que vous le pensez, » déclarai-je.

« Qu’est-ce que vous racontez ? Grâce à vous, la vie de Lady Lillian est sauvée ! Elle ira mieux à nouveau ! De plus… l’orphelinat est devenu beaucoup plus propre grâce à vous ! » déclara Alize.

Propre ?

« Qu’est-ce que vous voulez dire ? » demandai-je.

« Hein ? » Alize semblait un peu confuse par ma réponse. « Vous ne le saviez pas ? Les sous-fifres de cette souris que vous avez sur l’épaule courent partout, tuant les insectes et autres nuisibles dans le bâtiment. Avant, nous avions parfois des cafards et d’autres insectes autour de nous, mais tout à coup, nous les trouvions tous en tas, morts ! Quand je suis allée y jeter un coup d’œil, j’ai trouvé des Puchi Suris qui observaient de loin la montagne de cafards morts. Je suppose qu’ils avaient éliminé tous les insectes dans ce vieil endroit, puis laissé leurs corps en tas pour une élimination facile. Nous sommes tous très reconnaissants ! »

Il semblerait que les sous-fifres d’Edel aient fait du bon travail pendant notre absence, une pensée étrange, étant donné qu’il s’agissait de souris amplifiée par le mana et le spirituel. Je suppose que c’était bien.

Mais je ne pouvais contenir ma curiosité, me tournant vers Edel. Il avait répondu avec une certaine exaspération, déclarant que même ses sous-fifres aimaient vivre dans un environnement propre, à l’abri des ravageurs.

Je suppose que ces souris n’étaient pas après tout aussi désintéressées que je le pensais.

En tout cas, ce qu’ils avaient fait avait profité à Alize et aux orphelins — une relation symbiotique, si vous voulez.

« Je n’avais aucune idée de ce qui se passait. Cependant, je ne peux pas m’attribuer le mérite de ce que ces souris ont fait, » déclarai-je.

« Mais si vous n’étiez pas là, rien n’aurait changé ! » déclara Alize.

Le point de vue d’Alize semblait résolu. Même moi, je ne pouvais pas dire grand-chose pour réfuter sa dernière déclaration.

« … D’accord. Sur une autre note si vous voulez vraiment encore devenir une aventurière, vous devriez commencer à vous entraîner bientôt. Bien que vous pouvez vous inscrire qu’à l’âge de 15 ans, si vous n’apprenez pas les bases des compétences d’aventuriers, vous perdrez très rapidement votre vie, » déclarai-je.

C’était un fait bien connu qu’il n’y avait pas de pénurie d’imbéciles qui s’enrôlaient immédiatement comme aventuriers après avoir quitté leur village. C’était, en fin de compte, un bon conseil.

Alize hocha la tête. « Mais comment vais-je m’entraîner ? »

C’était une question raisonnable.

« Il existe de nombreuses façons de le faire, » répondis-je. « La guilde a des cours orientés pour les débutants. Si j’ai le temps d’enseigner, je le ferais. »

Malgré moi, je l’avais dit. Je n’avais pas de disciples, mais j’avais l’habitude d’enseigner ces mêmes leçons pour débutants à la guilde, au nom du personnel de la guilde. J’étais persuadé que mes leçons étaient utiles, ayant transmis les bases de l’aventure — techniques, connaissances et tout — à de nombreux nouveaux aventuriers qui avaient marché dans ces couloirs.

Il y avait aussi une autre chose…

« Puisque vous avez des réserves latentes de mana, vous devriez apprendre la magie, » continuai-je. « Bien que je ne puisse vous aider à cet égard, je connais une amie qui le peut. Êtes-vous intéressée ? »

Cette amie n’était autre que Lorraine. Elle était souvent occupée par ses recherches et d’autres activités scientifiques, mais elle pouvait être extrêmement paresseuse si elle en avait envie. Cela ne lui ferait probablement pas de mal de donner des cours en magie à Alize alors qu’elle s’allongeait sur son canapé, sous une forme ou une autre.

Cependant, Alize semblait un peu dépassée par ce que j’avais à dire.

« Mais… Je n’ai pas d’argent…, » déclara Alize.

Mais bien sûr que non. Alize était orpheline, et tout ce qu’elle pouvait offrir pour répondre à ma dangereuse requête était une unique pièce de bronze. Il n’y avait aucune chance qu’elle soit riche.

Pour empirer les choses, la plupart des mages qui enseignaient l’art avaient tendance à faire payer un prix important pour leurs services. Lorraine, par contre, n’exigeait aucune compensation, donc l’argent n’était pas un problème.

« Ne vous faites pas de soucis pour ça, » déclarai-je.

« Cela ne conviendra pas. »

« Je pensais que vous diriez ça. Dans ce cas, j’ai une suggestion, » déclarai-je.

« Hein ? »

« Je vous prêterai les frais sans intérêt. Vous pourrez me rembourser quand vous serez devenue une aventurière. Qu’est-ce que vous en pensez ? » demandai-je.

Je suppose que c’était la meilleure façon de le faire, même Alize comprendrait mon intention avec ce geste.

Bien sûr, elle s’en était peut-être rendu compte parce que je n’avais pas besoin d’intérêts pour mon prêt.

Comme prévu…

« Vous êtes sûr… ? Bon, d’accord, alors. J’accepterai avec reconnaissance. Cependant… Je vous rembourserai certainement cet intérêt. Après être devenue une aventurière… et après avoir commencé à faire de bonnes sommes d’argent, je vais certainement vous le rendre ! Est-ce… d’accord ? » demanda Alize.

Je savais déjà que c’était sa réaction, vu son caractère.

J’avais lentement hoché la tête. « Eh bien, alors… nous avons un accord. »

J’avais tendu la main. Alize l’avait pris dans la sienne, la saisissant fortement.

***

Partie 8

« Ça ne me dérange pas vraiment, Rentt. C’est comme tu le dis, l’ennui vient par vagues. Quand j’ai un peu de temps, j’ai presque l’impression d’avoir tout le temps qu’il faut, » déclara Lorraine en me regardant d’un air renfrogné alors qu’elle continuait à manger son dîner.

J’étais maintenant assis à table avec Lorraine, après être finalement revenu de mon voyage à l’orphelinat. Le sujet à l’ordre du jour était, bien sûr, l’enseignement de la magie de base pour Alize fait par Lorraine pendant son temps libre. J’avais évoqué la suggestion en racontant à Lorraine les événements de la journée, après avoir confirmé que Lorraine était bien dans une de ses périodes d’accalmie. Malheureusement, j’avais aussi involontairement décrit le temps libre de Lorraine sous un jour involontairement négatif.

Elle n’était pas du tout paresseuse. Ce n’était qu’après les faits que j’avais réalisé comment je l’avais fait voir. Heureusement, Lorraine l’avait laissé passer, tout en ayant les épaules légèrement affaissées alors que je contemplais comment j’avais failli ne pas trouver un professeur de magie pour Alize. Plus que jamais, je me sentais redevable de la magnanimité de Lorraine.

« Je m’excuse. Je ne voulais pas dire que tu étais toujours sans rien faire. Mais juste à l’occasion, tu pourrais peut-être prendre un peu de temps, » déclarai-je.

L’expression de Lorraine s’était adoucie en entendant mes excuses, ses traits traduisant maintenant plus d’amusement que d’offense. Avec quelques vagues déplacements de sa main, Lorraine s’était mise à rire.

« Je sais, je sais, Rentt. Ne pouvais-tu pas voir que je plaisantais ? Franchement. Mais je suppose qu’il y a des femmes dans ce monde qui n’ont pas le sens de l’humour. Tu ferais bien de prêter attention à ces détails, Rentt. Tu t’entends bien avec tout le monde en tant qu’aventurier, tout en ignorant impitoyablement les sentiments d’une jeune fille, hein ? » dit Lorraine, s’amusant presque à grogner en le faisant.

On dirait que Lorraine se moquait de moi. J’avais ressenti un véritable soulagement.

Les observations et les conseils de Lorraine étaient, je suppose, corrects. Mon objectif était de devenir un aventurier de classe Mythril, et j’avais consacré toute ma vie à cet objectif, en acquérant autant de compétences que possible en cours de route. Malheureusement, l’étiquette appropriée que l’on adopterait pour interagir avec les jeunes femmes n’avait jamais été un sujet d’étude.

Bien que j’aie eu à peine assez de talent pour rencontrer des clients de la noblesse alors que j’étais en vie, j’avais pratiqué mon étiquette sociale dans une certaine mesure — à savoir, au point où je serais capable de communiquer avec les nobles dames et autres si cela était nécessaire. Cependant, je n’avais pas reçu beaucoup d’instructions sur la façon de communiquer avec les femmes en général. L’étiquette sociale des femmes m’embrouillait. D’abord, j’avais de la difficulté à comprendre les bavardages. En fait, j’avais rencontré plus d’une expérience dans laquelle une réponse amicale avait amené l’autre personne à révéler ses vraies couleurs, et moi à dire quelque chose d’inutile. Dans l’ensemble, c’était une affaire très compliquée.

Je ferais bien d’être plus prudent sur ces questions à partir de maintenant.

« Merci pour l’avertissement, Lorraine. Mais comme je suis actuellement, les jeunes filles mignonnes ou pas, ne seraient pas attirées par moi, » déclarai-je.

Je faisais référence au fait que j’étais vêtu d’une robe noire, ainsi que d’un masque à l’allure suspecte, quelque peu squelettique. Pourquoi une jeune femme dans ces pays serait-elle attirée par un individu aussi étrange que moi ? Dans tous les cas, je penserais qu’une jeune femme normale se tiendrait à l’écart, étant donné mon apparence.

Par exemple, un homme vêtu d’un tel accoutrement qui se promenait dans une ruelle rencontrait une jeune fille qui vendait des fleurs… Comment se déroulerait cette interaction ?

« Bonjour… jeune fille… »

« Argh ! À l’aide ! Que quelqu’un m’aide !! »

« Attendez ! Ce n’est pas ce que vous croyez ! Je voulais juste vous parler ! »

« Ahhh ! Cet homme ! Cet homme étrange dit qu’il veut acheter mes fleurs !! »

L’homme vêtu d’un tel habit serait rapidement arrêté pour son comportement.

Bien sûr, le sens de « fleur » dans ce cas serait ouvert à une interprétation tout à fait erronée.

Ce… n’est pas vraiment une bonne tournure des événements. Je vous conseille de ne jamais parler à une jeune femme dans les rues de Maalt.

« Hé maintenant, Rentt, » Lorraine avait interrompu mes pensées. « Voici une jeune femme sous tes yeux ! Ici. » Lorraine se montrait du doigt avec un pouce nettement levé.

J’avais secoué la tête, fixant mon regard sur ce pouce.

« Où… ? Je ne la vois pas, » déclarai-je.

« Toi… ! » Lorraine avait enfoncé ses doigts dans un poing solide. « Combien de temps as-tu l’intention d’abuser de ma nature aimable et accueillante, Rentt ? Sache que si tu continues comme ça, je vais agir et je te donnerai un bon coup de poing. Est-ce ce que tu dirais ça à une jeune femme de 24 ans ? Hmm… En y repensant, j’ai lu des articles sur l’évolution de malédictions particulièrement fortes récemment… »

Après ça, Lorraine se leva de son siège, saisissant son bâton d’une main alors qu’elle tenait un étrange grimoire dans son autre. Paniquant, je levai les mains en m’excusant, essayant désespérément de calmer mon amie enragée.

« Attends… Attends ! Une jeune femme ! Tu es jeune ! Mlle Lorraine est une jeune femme ! Avec un tempérament doux et une peau d’un blanc pur ! Avec des traits bien définis et un corps bien dessiné ! La manifestation même de la Déesse de la beauté et même les fées d’antan ne peut pas être comparée avec toi ! Un être divin qui ne vieillit jamais ! Avec un esprit qui rivalise avec tout ! Tu es celle possédant les connaissances des Dieux ! Avec un caractère doux et une connaissance dans les arcanes ! Lady Lorraine est l’image même, d’une mignonne jeune femme ! »

Dans ces moments-là, il valait mieux faire des compliments à Lorraine. L’idée même de ne pas en dire autant semblait faire résonner un peu plus fort dans mes oreilles les pas de la Mort elle-même. Pour éviter cela, je jetterais mes propres définitions de la honte, et je tournerais tous mes efforts vers des louanges pour Lorraine.

Si je ne pouvais pas faire ça, que m’arriverait-il ? En fait, Lorraine comprendrait-elle même mes pauvres tentatives d’éloges ?

Je me souviens d’une époque où j’avais partagé un verre avec un aventurier qui était déjà marié. Il était célèbre pour avoir réussi à éviter la colère de sa femme d’une façon ou d’une autre, et heureusement, il avait jugé bon de partager quelques secrets avec moi pendant que nous prenions un verre. Je me demandais s’il allait bien… Aux dernières nouvelles, il prévoyait d’ouvrir une auberge quelque part dans ces terres.

Pendant que mon esprit s’occupait de ces pensées, je jetais un coup d’œil dans la direction de Lorraine, pour m’arrêter et me rendre compte qu’elle me regardait avec une expression dont je n’avais jamais été témoin auparavant.

Hm… ? Qu’est-ce que c’est ?

« Où exactement, » Lorraine, enfin sortie de sa transe, s’était mise à parler, « as-tu appris cette façon de parler de manière flirteuse, Rentt… ? ? »

Lorraine semblait plus exaspérée qu’enragée. Au contraire, je ne sentais plus une rage implacable venant de la direction de mon amie. C’était un soulagement.

« Où… ? Pas vraiment un endroit spécifique, » répondis-je. « En se promenant dans les rues de Maalt, on entend des choses ici et là. Tu entends certaines d’entre elles dans des pièces de théâtre. Au moins, j’ai juste dit ce que je pensais. »

« Qu’en penses-tu, Rentt ? Dis-tu ça à toutes les femmes que tu croises ? » demanda Lorraine.

Je secouai la tête devant Lorraine suffisamment surprise. « Eh bien… Ce n’est pas le cas. Je ne les ai pas fait entendre avant, et je n’ai pas eu de raisons de les utiliser. »

Le dire à une personne d’humeur égale comme Lorraine était une chose, mais même moi, j’aurais du mal à dire ces mots à une jeune femme qui me croise dans la rue. Je ne pouvais pas prononcer ces mots.

« Hmm…, » Lorraine s’arrêta, réfléchissant momentanément à ce que je venais de dire. « Je suppose que c’est le cas. Je m’excuse, Rentt, j’ai l’impression de t’avoir posé une question étrange… »

« Si j’avais l’habitude de dire des choses comme ça à toutes les femmes que je rencontrais, je ne serais plus un aventurier, mais juste un commerçant dans un village. Un mode de vie aussi insipide pourrait être financé même par un aventurier de classe Bronze s’il travaillait dur, » déclarai-je.

« Comme je le pensais, Rentt. Ça soulage l’esprit, » déclara Lorraine.

« Soulage l’esprit ? » Désorienté, j’avais incliné la tête vers Lorraine.

« Ah… Ça. Je suis simplement soulagée que tu ne sois pas dans tous les cas une bête lubrique, » déclara Lorraine.

C’était terrible à dire venant de Lorraine. Je suppose que je pouvais m’attendre à ça, alors que mon choix de mots était pour le moins gênant.

Des traits bien définis et un corps bien dessiné… C’était des paroles lubriques. J’avais l’impression que je devais m’excuser auprès de Lorraine pour ma pauvre tentative d’éloge.

« Eh bien, je m’excuse. Ce n’est pas ce que je voulais dire, » déclarai-je.

« Je comprends ça, Rentt. Oui, tu devrais faire attention en interagissant avec d’autres jeunes femmes… En tout cas, veux-tu un peu plus de nourriture, Rentt ? Ton bol est vide, » déclara Lorraine.

Lorraine regarda le bol vide dans mes mains. Il y a quelques instants à peine, elle était pleine de la nourriture que Lorraine avait préparée — avec une goutte de son sang dedans, bien sûr, pour le goût et ce que cela m’apportait. Je l’avais terminé rapidement, car c’était très délicieux.

Lorraine avait récemment ajouté des gouttelettes de son sang à sa cuisine, en plus de préparer de la nourriture de façon plus régulière. Elle avait mentionné que c’était pour observer mon état de santé et mes conditions physiques, donc, en d’autres termes, c’était au nom de la recherche. C’était une bonne chose pour elle.

« Il y en a encore d’autres, » Lorraine hocha la tête. « Tu peux en avoir plus si tu le souhaites — où vas-tu ? » Lorraine m’avait appelé, alors que je me dirigeais vers la cuisine. « Non, tu attends ici, Rentt. J’apporterai la nourriture. Après tout, il y en a deux chaudrons séparés. »

Lorraine m’avait arraché l’assiette des mains, avant d’aller elle-même à la cuisine. On aurait dit qu’il y avait presque une raison dans sa démarche, mais hélas, je l’avais peut-être simplement imaginée.

◆◇◆◇◆

Arrivée à la cuisine, bol à la main, Lorraine leva les yeux vers un miroir bien placé, suspendu au mur. Son propre reflet y était reflété, avec une expression relativement calme.

Lorraine se sépara les cheveux, révélant une paire d’oreilles parfaitement formées.

« Mes joues sont rouges… C’est tout à fait vrai. J’ai peut-être trop bu…, » murmura-t-elle.

Tous les deux avaient partagé du vin après un dîner. Bien que la possibilité que Lorraine se le fût suggéré ne puisse pas être niée, il était intéressant de noter que Lorraine avait une tolérance vraiment élevée à l’alcool et qu’elle n’était jamais devenue rouge à cause de l’alcool.

Ses oreilles aussi étaient rouges.

Logiquement, même Lorraine savait que son teint n’était pas causé par l’alcool. Sentant qu’elle se trouvait maintenant dans une ligne de pensée quelque peu dangereuse, Lorraine l’avait balayée.

« Je ne devrais pas trop boire… pas trop à boire… »

Marmonnant à elle-même, Lorraine avait rempli le bol qu’elle tenait dans ses mains avec quelques gestes adroits avant de retourner à la table à manger une fois de plus. Bien qu’il y ait eu, il faut bien l’avouer, beaucoup de changements dans sa démarche, il n’y avait pas d’observateurs pour le signaler à Lorraine, à Rentt ou à qui que ce soit d’autre.

 

 

***

Chapitre 2 : Et une requête tout aussi singulière.

Partie 1

Dès le lendemain, la première chose qui m’avait salué quand j’étais entré dans la guilde était une Sheila paniquée. Ne perdant pas de temps, elle s’approcha rapidement de moi.

« R-Rentt… Rentt ! Attends ! »

Sheila semblait vraiment très perturbée. J’étais ici pour vérifier l’état de la carcasse et pour régler d’autres problèmes plus mineurs, mais j’avais l’impression que Sheila n’était affolée par aucun de ces problèmes.

« … Quel est le problème ? » lui avais-je demandé.

« On devrait en parler… ici, » déclara Sheila.

Sheila m’avait conduit à l’une des pièces vers l’arrière de la réception générale de la guilde. La salle avait été construite pour les consultations avec les clients et d’autres personnes, et ces salles étaient plus destinées à eux, par opposition à l’aventurier typique. Dans l’éventualité d’une demande particulièrement importante, complexe ou délicate, ces pièces procuraient aux clients un sentiment d’intimité dont ils avaient grandement besoin.

Fondamentalement, à moins que le client n’ait un statut social ou un pouvoir économique important, il n’aurait généralement pas l’autorisation d’utiliser ces pièces.

Mais toutes ces pièces n’étaient pas utilisées pour ça. En ce qui concerne ma situation actuelle avec Sheila, il était évident que ces pièces étaient aussi souvent utilisées pour des conversations privées ou secrètes.

Pourquoi Sheila m’a-t-elle traîné dans un tel endroit… ?

Maintenant suffisamment isolée, Sheila avait commencé à parler en chuchotant. Dans ses mains se trouvait une liasse de papiers, probablement des demandes d’un client.

« Rentt… Rentt, est-ce que tu… Es-tu un associé de… la famille Latuule ? » demanda Sheila.

Sa manière secrète et sa question étrange m’avaient fait pencher la tête de côté. Le nom en question m’était inconnu, et je ne me souvenais pas l’avoir entendu auparavant.

J’avais décidé de répondre sincèrement à Sheila. « … Non. Pourquoi… me demandes-tu ça ? Est-ce à cause de cette requête ? »

Sheila hocha la tête avec ferveur, tenant les papiers en l’air pendant qu’elle le faisait. « Eh bien ! Tu vois… ceci demande spécifiquement pour que tu sois chargé de cette tâche… »

Sheila avait remis les documents. Après les avoir reçus, j’avais rapidement lu leur contenu.

La tâche demandée par le client était simple : récolter des Fleurs de Sang du Dragon dans le marais des Tarasques à des intervalles hebdomadaires, et livrer les fleurs à un certain endroit. La récompense pour cette tâche était une somme astronomique, des chiffres que je n’aurais même pas pu imaginer pendant ma carrière de chasseur de gobelins et de slimes.

Le nom du client était également imprimé clairement sur le document…

« Ah. Je me demandais ce qui te faisait avoir une telle agitation. Je vois qu’Isaac a bien fait sa demande, » déclarai-je.

Le client n’était autre que l’homme que j’avais rencontré dans le marais, Isaac Hart. Sheila semblait surprise par ma réaction.

« Donc tu les connaissais après tout ! » déclara Sheila.

Pour être plus précise, Sheila semblait plus stupéfaite que surprise. Je suppose que cela avait quelque chose à voir avec la famille Latuule dont elle avait parlé tout à l’heure. Il serait logique de supposer que le client était le maître d’Isaac… Je pouvais voir où ça menait.

« Je suppose que c’est bien la Famille Latuule. Est-ce que la famille qu’Isaac sert ? » demandai-je.

« Oui. » Sheila acquiesça, affirmant ma théorie. « La famille Latuule est l’une des anciennes familles de Maalt, étroitement liée au développement économique de la ville. Bien que je ne sache pas grand-chose au sujet de la famille, il semblerait qu’elle et la guilde aient une histoire commune… C’est l’une des rares organisations face à qui la guilde pourrait reculer pour l’apaiser, si je devais le dire ainsi. »

D’après la description de Sheila, je suppose que la famille en question avait entre les mains des informations sensibles concernant la guilde. Quoi qu’il en soit, il était évident que cette famille Latuule exerçait un pouvoir considérable à Maalt.

Mais Isaac n’avait pas l’air d’être une personne désagréable ou intimidante. Curieux, j’avais interrogé Sheila.

« S’agit-il d’une de ces familles puissantes qui utilisent leur puissance pour faire des demandes déraisonnables ? » demandai-je.

« Non, non, non. Ils ne sont pas du tout comme ça. En fait, ils n’ont pas été très actifs ces derniers temps et leurs activités n’ont guère d’incidence sur l’économie globale de Maalt. Bien sûr, leur influence reste forte, du moins à Maalt. Il faut donc leur témoigner le respect qu’il faut…, » répondit Sheila.

Une vague explication. Pour commencer…

« Les Latuules sont-ils des nobles ? » demandai-je.

En tant que royaume, Yaaran avait ses princes et ses nobles. Plus précisément, c’était les princes et les marquis qui exerçaient le plus de pouvoir, suivi par les pairs à travers le pays. Si certains chevaliers et écuyers étaient considérés comme des nobles en ce qui concerne les titres, ils n’avaient pas autant d’influence — même si certains aimaient bien mettre en avant leurs titres.

Pour les gens du peuple, les nobles restaient des nobles, peu importe le poids de leurs titres.

Yaaran était un royaume relativement petit en marge de la civilisation. Personne ne regarderait bizarrement un duc s’adonnant à des travaux agricoles, ou un comte ayant sa propre boutique. Comparé à la plupart des autres royaumes, le concept de noblesse était un peu plus détendu ici, mais je suppose que c’était une discussion pour une autre fois.

Sheila avait rapidement répondu à ma question. « Non, ce ne sont pas des nobles, Rentt. Il s’agit tout simplement d’une famille ancienne et bien établie qui exerce une influence sociale considérable du fait qu’elle vit à Maalt depuis assez longtemps. Du moins, c’est ce que j’entends, d’où la nécessité de leur témoigner un certain respect. Bien sûr, il y avait aussi des rumeurs selon lesquelles le vicomte Lottnel, qui règne sur Maalt et ses environs, a des liens profonds avec la famille Latuule… Honnêtement, la famille est secrète, et même moi et la majorité du personnel de la guilde ne savons pas grand-chose à leur sujet. Néanmoins, tous les maîtres de guilde que j’ai vus dans ces salles partagent le même point de vue : que la guilde devrait traiter les Latuules avec le plus grand respect. Je suis ici pour t’en parler pour la même raison, pour te rappeler, Rentt… Fais attention de ne rien faire pour les contrarier. »

« … Tu devrais simplement parler, Sheila… Qu’est-ce que tu veux me dire exactement ? » demandai-je.

« Comme je l’ai dit, Rentt, un membre de mon rang ne peut pas te donner les détails. Cependant, tu ferais bien de les traiter avec respect. La famille Latuule est une vieille famille qui a une influence économique à Maalt, ainsi que des liens avec les familles nobles du pays. Tu comprends ça, n’est-ce pas ? En d’autres termes, Rentt… si tu refusais cette demande, tu ne pourrais plus vivre à Maalt ! » déclara Sheila, quelque peu exaspérée.

Quelle terrible évolution ! Je pensais que j’avais simplement rencontré un individu intéressant dans les entrailles du Marais des Tarasques, mais je n’avais pas la moindre idée de son identité.

Mais bien sûr, je n’avais pas l’intention de refuser cette demande. Tout bien considéré, les récompenses monétaires étaient grandes et le client officiel était Isaac, et non son maître. En fait, je n’avais accepté que d’examiner la demande, et je ne l’accepterais que si les conditions étaient acceptables pour moi.

La guilde ne voudrait pas que j’annule cela, et c’est ce que j’avais compris. Malgré tout, c’était une bonne étiquette de rencontrer au moins une fois le client et de discuter de la question avant de donner ma réponse. Si je devais vraiment refuser, ce serait ça.

C’était une demande comme les autres, je n’avais vu aucun problème à noter.

J’étais encore très intéressé par les spécificités de la famille Latuule, ne serait-ce que pour mieux comprendre cette famille puissante qu’Isaac servait. Je suppose, de la curiosité, non pas que Sheila puisse me donner des détails de toute façon. J’avais supposé que je pouvais leur demander en personne, ou demander à certains de mes informateurs et camarades aventuriers.

Cependant, je m’étais aventuré à Maalt pendant dix années. Même si je n’avais pas beaucoup d’aptitudes au combat, je me considérais comme bien informé en ce qui concerne Maalt.

Malgré tout… Je n’avais jamais entendu parler de la famille Latuule avant ce jour. Les noms de quelques autres vieilles familles puissantes m’étaient connus, mais Latuule n’en faisait pas partie.

Comment est-ce possible ?

Quoi qu’il en soit, Isaac serait en mesure de me dire, c’est-à-dire s’il choisit de le faire.

J’avais mis de côté mes pensées momentanément et je m’étais tourné vers Sheila. « Je n’ai aucune raison de refuser cette requête. J’ai parlé avec Isaac alors que je me trouvais dans les profondeurs du Marais des Tarasques. La raison pour laquelle il voulait me charger de cette mission, c’était parce qu’il pouvait confirmer que j’ai réussi à m’aventurer profondément dans le marais sans trop d’efforts. Alors je vais accepter cette demande si elle est correcte. »

« Vraiment… ? Est-ce que ça va aller ? Je veux dire… ta constitution, Rentt…, » déclara Sheila.

Sheila n’avait pas fini sa phrase, mais j’avais compris ce qu’elle voulait dire. J’étais encore un monstre, et la famille Latuule était une vieille famille qui avait des liens avec les nobles dirigeants de la ville. Si j’étais découvert, je serais sûrement chassé de Maalt. Dans le pire des cas, même les habitants de Maalt pourraient se retourner contre moi, et le scénario se terminerait par ma mort prématurée aux mains de mes camarades aventuriers.

Ce n’était pas une bonne idée.

J’avais secoué la tête. « Je doute qu’il puisse facilement le découvrir malgré mon apparence. En fait, Isaac, lui-même ne semblait pas trop dérangé de mon apparence quand il m’a rencontré. »

Bien que je n’en sois pas certain, il était vrai qu’Isaac n’avait pas beaucoup commenté mon apparence, alors je suppose que c’était une hypothèse juste. Même si on m’avait demandé d’enlever ma robe et mon masque devant le maître de la famille Latuule en signe de respect, je pourrais simplement dire que j’avais été terriblement brûlé par l’acide et que j’étais un hideux spectre d’homme. N’accepteraient-ils pas une telle explication ?

S’ils ne me croyaient pas, je refuserais la demande à ce moment-là.

Isaac était un homme de parole, du moins, c’était l’impression qu’il m’avait donnée. De toutes les choses, il semblait hautement improbable qu’il se concentre sur mon apparence.

Sheila hocha la tête avec hésitation. « S’il arrive quelque chose… dis-le-moi, d’accord ? Je ne sais pas ce que je peux faire, mais je vais t’aider avec tout ce que j’ai. »

En hochant la tête aux mots de Sheila, je l’avais tapotée légèrement sur l’épaule avec une main gantée, avant de sortir de la pièce.

***

Partie 2

Je suis… complètement perdu.

C’était cette pensée singulière qui avait rempli mon esprit alors que je poursuivais mon voyage vers les terres de la famille Latuule.

J’avais l’intention de rencontrer Isaac et de discuter des détails de la demande. La guilde m’avait bien sûr donné les instructions appropriées. L’emplacement du manoir était clairement indiqué sur une carte et, à toutes fins utiles, était facile à comprendre. Le manoir se trouvait dans la banlieue de Maalt, et j’étais arrivé à l’endroit indiqué sans me perdre. Le problème, cependant, était dans la géographie de la région.

La famille Latuule était logée convenablement dans un gigantesque manoir, et alors que c’était ma destination, je devais d’abord passer par un grand jardin sur son terrain avant d’atteindre les portes du manoir. Ce n’était pas si rare à voir, surtout quand il s’agit des manoirs chics des vieilles familles puissantes de la région. Le problème n’était pas le manoir, c’était le jardin devant lui.

Si je devais le deviner, ce jardin était probablement né des caprices d’un grand Latuule dans le passé. Au lieu d’un chemin typiquement droit vers le manoir, ce jardin ressemblait plus à un labyrinthe en dents de scie. Il suffisait de mettre les pieds dans ses profondeurs pour se retrouver devant de hautes haies qui bloquaient la vue. Ces haies avaient été fabriquées à partir d’une sorte d’arbuste en forme de rose, les plantes poussant à des hauteurs impossibles à atteindre. Tout ce que je pouvais voir autour de moi, c’était une mer de verdure.

En avançant plus profondément sur ce chemin, j’avais tourné par-ci par-là — et puis la route devant moi avait bifurqué. Au-delà de la bifurcation, il y avait encore une autre bifurcation, et cette série de haies en forme de labyrinthe se poursuivait indéfiniment. Peu de temps après, j’avais réalisé que j’étais, faute d’un meilleur mot, perdu.

Franchement, je n’avais eu aucun problème à garder mes repères, du moins pendant les premiers virages. Ce n’était plus le cas à mesure que je m’enfonçais dans les profondeurs du jardin.

Je ne pouvais qu’avancer dans ce labyrinthe de haies, en repensant aux détails de ma demande.

Si ma mémoire était bonne, j’avais posé toutes les questions que j’avais besoin de poser. En me souvenant, je m’étais calmé, en me rappelant la conversation initiale que j’avais eue avec le garde aux portes, avant de mettre les pieds dans ce labyrinthe déraisonnablement houleux. Bien que je me souvienne bien des détails de la demande, je ne me souviens pas du détail qui m’avait demandé d’aller explorer le labyrinthe.

Oui, j’avais montré mes documents au garde de la porte, qui n’avait pas beaucoup de scrupules à ce que j’entre. Son regard semblait presque figé sur un horizon lointain que je ne voyais pas, et il semblait heureux d’être débarrassé de moi.

Mais je lui avais posé quelques questions avant de partir.

« Y a-t-il d’autres entrées ? »

Le portier se retourna momentanément pour regarder le labyrinthe de roses, avant de se retourner lentement vers moi en secouant la tête.

« Pas que je sache, monsieur… Ces autres entrées existent peut-être, mais je ne les connais pas, » son expression était sérieuse et sincère, et il semblait qu’il avait beaucoup réfléchi à ma question avant de répondre.

Je sentais une vague de désespoir me submerger. Je n’avais pas d’autre choix que de passer par cet étrange labyrinthe-jardin si je devais atteindre les portes du manoir.

« Combien de temps cela prend-il habituellement ? » demandai-je.

« Au manoir, monsieur ? Eh bien… cela dépend en grande partie de l’individu… Le labyrinthe change de chemin de temps en temps, vous voyez. En tant que tel, donner une estimation précise du temps me dépasse…, » dit le garde, une expression indiquant qu’il se sentait désolé.

Un labyrinthe qui changeait de chemin à l’occasion ? On aurait du mal à l’appeler un labyrinthe ordinaire.

Le garde, comme s’il sentait mon doute, continuait : « Mais bien sûr, monsieur. Le labyrinthe lui-même est une sorte d’objet magique, voyez-vous. Les chefs de génération de la famille Latuule souhaitaient collectionner des objets magiques, et ce labyrinthe est un phénomène créé par l’un de ces objets… »

Je pouvais à peine cacher ma surprise. Un tel objet magique pourrait-il exister ? Je suppose que c’était possible. Les objets magiques peuvent être divisés en trois catégories : Outils divins, curiosités et artefacts maudits. Un objet de l’une de ces catégories pourrait très probablement donner naissance à un tel labyrinthe.

Alors que la plupart des objets magiques avaient certaines fonctions standardisées, il y avait des valeurs aberrantes qui étaient complètement différentes de celles de leurs frères. Un bon exemple serait celui d’un objet de lumière, qui était un simple objet magique qui illuminait les endroits sombres. Elle avait une fréquence d’utilisation élevée et bénéficiait d’une fabrication simple. Comme ces objets pouvaient être fabriqués en grandes quantités, ils étaient convenablement bon marché lorsqu’ils étaient vendus sur le marché.

Les objets spéciaux, par contre, étaient très différents et souvent uniques en leur genre. Un exemple serait mon masque maudit, et ma robe imperméable. Ces objets avaient souvent des effets spéciaux ou étranges, et leur valeur était très subjective. Certains de ces objets magiques spéciaux avaient même eu des effets très utiles, tandis que d’autres étaient discutables quant à leur effet. En raison de la nature très variée de ces objets, leur valeur était souvent en constante évolution.

Prenez mon masque, par exemple : un outil très utile étant donné ma constitution et ma situation unique, mais qui avait été achetée par Rina pour trois pièces de bronze. Je suppose que le marchand qui l’avait vendu estimait qu’il ne s’agissait que d’un morceau de ferraille et qu’il avait fixé un prix convenablement bas pour s’en débarra. Il s’était avéré qu’il s’agissait d’un masque maudit que je n’avais pas réussi à enlever depuis, de sorte que les sens du marchand n’étaient pas trop éloignés de la vérité. Étant donné que mon visage ressemblait à ce qu’il était, je ne pouvais plus dire si la malédiction du masque était plutôt une bénédiction…

« … Je suppose que d’avoir des passe-temps uniques, c’est acceptable, mais je n’aurais pas pensé qu’il faudrait que je surmonte leur hobby pour y arriver, » avais-je dit, assez irrité par la situation.

Le garde avait simplement souri en réponse.

« Je compatis, monsieur. Mais pourquoi ne pas tenter le coup ? Le labyrinthe est conçu pour s’égaliser dans un chemin droit jusqu’à l’entrée après que quelqu’un y ait passé un certain temps. En fait, j’ai entendu dire que ceux qui ont réussi à sortir du labyrinthe avant cette période se voient parfois offrir un objet magique en guise de cadeau d’appréciation…, » déclara le garde.

Il semblerait que le garde essayait de me dire indirectement quelque chose… Comme s’il s’en rendait compte, le garde continua, son expression demeurant inchangée.

« Moi aussi, j’ai défié le labyrinthe, il y a quelques lunes, monsieur. S’il n’y a pas d’invités attendus, cette porte reste généralement fermée, mais à l’époque, elle était ouverte. J’avais vu une affiche, voyez-vous, affirmant que les challengers qui avaient réussi à conquérir le labyrinthe recevraient en cadeau un objet magique. Il y avait une carte menant au manoir, et c’est ainsi que je me suis retrouvé devant ces mêmes portes. »

Il semblerait que les Latuules étaient des individus capricieux, semblant apprécier leurs jeux.

Étant donné qu’il s’agissait d’une vieille famille au pouvoir financier important, je suppose qu’il ne serait pas trop étrange qu’ils aient simplement décidé d’organiser de tels événements sur un coup de tête. Normalement, la plupart des nobles se contentent de fêtes ou d’autres fantaisies, mais ceux qui s’ennuyaient de leurs fonctions sociales trop simples exploraient souvent davantage… des options non conventionnelles.

C’était peut-être le cas en l’occurrence.

« Bien sûr, » poursuivit le garde, « beaucoup d’autres personnes ont aussi vu les affiches. Je n’étais pas le seul à arriver à ces portes. Beaucoup d’autres se tenaient ici, à cet endroit même, tous avec le même but. Bien que beaucoup d’entre eux soient entrés, beaucoup se sont retrouvés perdus et, après un certain temps, se sont retrouvés ici. Tous s’étaient perdus quelque part dans le labyrinthe et, peu de temps après, ils ont constaté que le labyrinthe lui-même s’était déplacé, les conduisant sur un chemin qui menait à l’entrée. J’ai été surpris lorsque j’en ai entendu parler pour la première fois, mais j’ai supposé qu’un tel exploit était possible avec des objets magiques de quelque sorte que ce soit. Même si je pensais que c’était une affaire largement impossible, le fait que le labyrinthe ait guidé les challengers perdus jusqu’à l’entrée était rassurant, alors j’y ai remis les pieds… »

« Et vous avez atteint… la destination ? » demandai-je.

« Oui. C’était un coup de chance. Je ne pourrais pas le refaire, je le sais très bien. Cependant, comme promis, le chef de la famille Latuule de l’époque a jugé bon de me présenter un certain nombre d’objets magiques, me permettant de choisir entre eux. C’était tous des artefacts assez utiles, oui, mais… J’étais au chômage à l’époque, monsieur. Aussi embarrassant que ce soit pour moi de le raconter… J’ai refusé de prendre le moindre objet comme récompense, et au lieu de cela j’ai demandé un poste au manoir. Et donc…, » déclara le garde.

« Ils vous ont embauché… je vois, » déclarai-je.

Compte tenu de la taille du manoir et de la superficie des terres que possédait la famille, je suppose qu’il était logique qu’ils possèdent une collection d’objets magiques puissants. Tout bien considéré, la position du garde-barrière était probablement relativement détendue. Il faut reconnaître à son honneur que le garde était très sérieux dans son travail et qu’il était susceptible de le garder à partir de maintenant.

« Sur une autre note, je m’excuse si c’est insensible, mais pourquoi étiez-vous au chômage ? » demandai-je.

« Ah, ça, monsieur. J’étais allé à l’encontre des ordres de mon supérieur, voyez-vous. Et dire que j’étais vraiment dans un emploi stable et à vie ! Un honteux. Mais par conséquent, on m’a offert un poste ici, et j’ai depuis décidé de vivre avec les deux pieds sur terre — c’est du moins ce qu’on me dit. »

« Il est bon de vivre honnêtement. C’est en effet une bonne chose, » déclarai-je.

Même un être comme moi pourrait regagner son humanité, eh bien, si j’essayais fort, alors peut-être que cela serait possible. Quoi qu’il en soit, ma décision de continuer à vivre de façon responsable n’avait en rien changé.

Et pourtant… devenir un être plus fort après avoir été mangé en gros par un dragon mythique n’était pas à moitié de mauvais goût. Je suppose que la vie avait tellement de rebondissements.

J’avais regardé le gardien, ressentant un étrange sens de camaraderie.

« J’ai beaucoup appris de notre petite conversation, » déclarai-je. « Je suppose que je devrais m’essayer dans le labyrinthe. Des conseils pour un nouveau venu comme moi ? »

C’était une question que les nouveaux aventuriers posaient souvent à leurs aînés. Comme s’il comprenait ma blague, le garde avait souri, un peu profondément.

« Oui… Oui. Il serait peut-être sage de ne pas dépendre du soleil pour la navigation, monsieur…, » déclara le garde.

J’avais incliné la tête devant ses paroles, mais le garde était quand même un vétéran du labyrinthe. J’avais mis un peu de confiance en lui.

En remerciant le gardien, je m’étais tourné vers l’entrée du labyrinthe, faisant un pas audacieux dans ses limites.

***

Partie 3

C’est vraiment… quelque chose de différent.

Je tenais ma tête avec désespoir en continuant à inspecter mon environnement. Je n’y pouvais rien — peu importe où je regardais, j’étais entouré de haies. Je ne pouvais plus voir le chemin qui m’avait conduit ici, et je ne pouvais plus voir un chemin qui me ferait sortir de ce labyrinthe.

Pour quoi, exactement, un objet magique comme celui-ci a-t-il été développé ? Bien qu’une telle pensée m’ait traversé l’esprit, il serait impoli de le dire tout haut. Je suppose que des objets étranges comme celui-ci existaient. L’objet lui-même aurait pu être retiré de sa demeure d’origine, où il avait autrefois une fonction spéciale.

Les artisans magiques, bien qu’ils soient considérés comme des inventeurs et des facilitateurs de la commodité à notre époque moderne, étaient autrefois considérés comme des escrocs et des tricheurs. Les objets magiques étaient nés du désir de l’homme de reproduire ce qu’il avait trouvé ou vu dans les labyrinthes. Avec cette pensée en tête, on pourrait supposer que l’objet original en question était vraiment un objet mystérieux avec une variété d’utilisations, si l’on en croit les rapports officiels.

Cependant, peu d’objets magiques étaient vraiment inutiles. En général, on trouvait, par exemple, un objet qui ne brillait que faiblement ou qui riait d’une voix aiguë sans fin s’il était tapé avec un doigt. Même si l’on rencontrait un objet apparemment inutile, on pouvait l’étudier, le disséquer et même en extraire des matériaux rares. Ces matériaux se vendraient pour une bonne somme d’argent — telle était la myriade d’utilisations de ces objets.

Même moi, j’avais pu voir que l’objet qui avait généré ce labyrinthe de haies de roses avait probablement un but unique en son genre dans le passé.

Malgré tout, ce jardin était vraiment grand. Pour maintenir un labyrinthe de cette envergure, et un labyrinthe parfois autochangé, il fallait une quantité considérable de pouvoir magique. Je suppose que les Latuules avaient pu se retrouver avec un bon nombre de problèmes, étant donné leur tendance à dépenser de l’argent comme si c’était de l’eau. On pourrait facilement acheter beaucoup de cristaux magiques avec de telles finances — ainsi mes inquiétudes au sujet du labyrinthe étaient soudainement en train de se répandre. Peut-être le créateur original de l’appareil voulait-il savoir qu’elle était la sensation d’être complètement perdu, et avait créé cet objet comme un moyen d’échapper aux confins de la réalité ? Mis à part les pensées et les hypothèses, toutes ces spéculations n’avaient pas changé grand-chose à ma situation actuelle.

Je suis vraiment perdu.

Il n’y a vraiment rien que je puisse faire ?

 

 

Mes pensées avaient été interrompues par le paysage devant moi qui semblait s’ouvrir sur un autre lieu.

« C’est quoi cet endroit… ? » me demandai-je à voix haute.

Je m’étais retrouvé une fois de plus entouré de haies, sur un chemin qui ne semblait pas trop différent de ceux que j’avais suivis jusqu’alors. Cependant, la zone devant moi était lumineuse, et c’était des roses fleurissaient sur des haies autrefois stériles. Jusqu’à présent, toutes les haies que j’avais franchies étaient d’un vert terne. Bien qu’il y ait parfois eu des roses en fleurs, elles étaient de différentes couleurs et de distribution inégale, apparemment plus liées à un phénomène naturel que causées par un phénomène artificiel.

Mais c’était différent. Beaucoup de roses fleurissaient dans cet espace, les roses étaient réelles, ayant tendu la main et en touchant quelques-unes pour le confirmer par moi-même. Le milieu de cette zone remplie de roses était aussi différent, ou peut-être s’adaptait-il mieux à son environnement ? Une table faite d’une opulente substance en forme de coquille se trouvait dans la zone, et un service à thé coûteux en porcelaine blanche se trouvait au-dessus. Assise à table sur une chaise en coquillage tout aussi irisée, une personne tenait une tasse à thé d’une élégance incroyable. Élevant la coupe jusqu’aux lèvres, elle en avait bu alors que chaque geste exhalait du raffinement.

Remarquant ma présence, la personne en question leva la tête, regardant droit dans ma direction.

« Êtes-vous en train d’abandonner… ? » demanda-t-elle.

Je vois. Cela devait être un membre de la famille Latuule, qui m’offrait un moyen de sortir quand j’avais remarqué que j’étais perdu. Il s’agissait d’une jeune fille, peut-être âgée de 12 ou 13 ans. Il semblait presque qu’elle n’était pas un être de ce monde.

Avec un regard lointain et une robe noire à froufrous qui ne semblait pas très fonctionnelle, elle était assise, regardant toujours dans ma direction. Sa peau d’un blanc pur contrastait avec ses yeux bleus.

Vraiment, elle avait l’air un peu… malsaine. Une aura de fragilité et de décadence l’entourait, résultant peut-être d’un enseignement approprié pour un noble ?

 

 

« … Non, » répondis-je sans hésitation à sa question. « Je me disais que je devrais continuer. Puis-je encore avoir un peu de temps ? Non… ? »

La jeune fille avait souri en réponse. Comparé à son comportement sans expression plus tôt, son sourire illuminait ses traits, ce qui lui donnait l’air d’être plus d’âgées.

Bien qu’il ne s’agissait là que d’une observation personnelle, j’avais senti que cette expression lui convenait mieux — mais, comme d’habitude, c’était une pensée pour une autre fois.

« Dans ce cas, allez par là-bas. Le labyrinthe se prolonge encore un bon moment. Sur une autre note… Si vous voulez reprendre votre souffle, pourquoi ne pas prendre le thé avec moi ? J’ai préparé plusieurs thés — peut-être l’un d’entre eux conviendra-t-il à vos goûts, » déclara la fille.

Alors que j’hésitais à accepter cette soudaine démonstration de gentillesse, je m’étais finalement décidé à aller vers elle et à m’asseoir sur une chaise.

« … J’accepte humblement, » déclarai-je.

« Très bien, très bien. Permettez-moi…, » déclara-t-elle.

J’avais tendu la main vers la théière, dans l’intention de remplir ma propre tasse, mais la fille d’en face l’avait en quelque sorte atteinte en premier, et elle remplissait maintenant ma tasse avec du thé fraîchement infusé.

La casserole semblait déjà remplie d’eau chaude. Je suppose que le pot était un objet magique en soi, ayant d’autres capacités en plus de sa capacité d’autofusion. Bien que je n’aie rien ressenti de particulier dans la tasse à thé, cette petite interaction à elle seule avait suffi à illustrer que les Latuules aimaient collectionner les objets magiques de toutes sortes.

Il y avait une demande constante d’objets magiques qui pouvaient infuser le thé tout seuls, mais ces objets étaient rares, même dans les profondeurs des labyrinthes les plus traîtres. Si l’un d’entre eux se présentait à une vente aux enchères, il serait immédiatement pris d’assaut par des acheteurs impatients, et ce, à des prix qui défiaient l’entendement. Les artisans capables de créer de tels outils vendaient souvent leurs créations dès leur sortie du four. Pour empirer les choses, la création de ces objets n’était pas du tout simple, et peu d’artisans pouvaient créer des articles de thé magiques de qualité acceptable.

Il y avait beaucoup de collectionneurs sur le marché. C’était un genre très compétitif dans la collection d’objets magiques, si je puis dire.

Ce n’était pas seulement une poursuite parmi les nobles, car même les gens du peuple qui aimaient le thé y avaient un intérêt. Si on avait les fonds, on pourrait acheter au moins un service à thé, c’est ainsi qu’était la sagesse populaire.

La vaisselle magique était assez bien classée, même dans le genre de collection d’objets magiques compétitifs : plus ses capacités étaient rares et compliquées, plus le coût était élevé. Au-delà d’un certain point, il fallait une certaine quantité de pièces de monnaie pour continuer à collectionner.

« S’il vous plaît, prenez du thé. Comme vous l’avez peut-être remarqué, ce pot est un objet magique. Une fois rempli de feuilles de thé, il suffit d’injecter de la magie dans le pot après une infusion pour remplacer les feuilles par un nouveau lot. »

Je ne pouvais qu’imaginer le processus d’appel d’offres pour un tel objet magique de thé…

J’avais assisté à plusieurs ventes aux enchères dans ma vie en tant que simple spectateur, mais les quelques théières que j’avais vues ne pouvaient que garder leur contenu au chaud pour l’éternité, ou peut-être empêcher les feuilles qui s’y trouvent d’entrer dans sa boisson. Je m’étais également souvenu d’un pot particulièrement robuste et résistant aux chocs.

Comparé à ceci…

Quelles sommes d’argent les Latuules ont-ils dépensées pour cette théière ?

Ma main, tenant toujours une tasse pleine de thé, se mit à trembler quand j’imaginais combien tout cela avait coûté aux Latuules.

Bien que la tasse elle-même n’ait pas été enchantée ou magique, elle avait le même aspect et la même sensation que la théière en question. Sa surface avait été illustrée d’une belle mosaïque de roses et de vignes, comme si elle avait été spécialement préparée pour s’adapter à son environnement. Je suppose que les Latuules avaient demandé à un artisan de créer des tasses assorties au pot.

Moi-même, je connaissais les bases de la création de la céramique, mais seuls de vrais artisans pouvaient créer des illustrations aussi complexes, même sur un si petit objet. À en juger par son apparence, cette tasse à thé à elle seule rapporterait un bon prix, même si elle n’était en aucun cas magique. Dans un tel cas, il serait vendu comme une œuvre d’art.

Je ne pouvais même pas commencer à penser aux conséquences si je brisais cette coupe…

La jeune fille m’avait répondu en riant, comme si elle lisait dans mes pensées. Était-ce le regard d’appréhension que j’avais ?

« Même si vous la cassez, ce n’est pas grave. Bien sûr, je préférerais beaucoup que vous ne le fassiez pas et que vous ne la jetiez pas à terre de toutes vos forces. Mais je vous assure que je ne serais pas en colère en cas d’accident. S’il vous plaît, détendez-vous, et profitez lentement de l’infusion, » déclara la jeune fille.

Ni la voix de la jeune fille ni son regard n’avaient trahi une intention agressive. Était-ce pour ça qu’il ne fallait jamais se disputer avec les riches ? C’est… vraiment terrible — et c’était une pensée sincère qui s’était élevée du plus profond de mon cœur rempli de pauvreté.

***

Partie 4

Tandis qu’elle levait encore une fois la tasse sur ses lèvres, je ne pouvais m’empêcher de remarquer que la jeune fille de l’autre côté de la table me regardait fixement, ses yeux bleus se fixant sur mon visage masqué.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » lui avais-je alors demandé.

« Ah… Je vous demande pardon. Je me demandais simplement comment vous buviez le breuvage, étant donné la façon dont vous êtes habillé, » déclara la jeune fille.

« Ah… Ça, » déclarai-je.

Il va sans dire, que mon masque ne pouvait pas être enlevé, et le faire pendant les repas n’était même pas quelque chose que j’avais envisagé. J’avais encore mon masque à ce moment-là, d’où le regard de curiosité de la fille d’en face.

Oui, l’enlever me faciliterait la tâche pour manger et boire. Les aspects techniques mis à part, il y avait une bonne raison pour laquelle je ne pouvais pas : J’étais un non-mort, un Thrall. Bien que je ne puisse pas parler au nom des autres Thralls, je pensais que je ne pouvais pas simplement enlever mon masque et montrer mon visage en public.

Cela dit, mon masque s’était arrangé pour montrer la partie inférieure de mon visage dans certains cas, comme lorsque je dînais avec Lorraine. La situation était quelque peu différente pour la Lorraine, et pour les adultes en général, puisqu’ils pouvaient tolérer la vue de ma peau ridée, en supposant que j’avais été victime de brûlures ou d’autres blessures. Mais la fille en face de moi était une jeune fille d’environ 12 ou 13 ans. La partie inférieure de mon visage serait bien trop grotesque pour une jeune fille de cet âge.

Si je devais montrer la partie la plus pourrie et la plus dégoûtante de mon corps de Thrall à ce moment-là, ce serait la moitié inférieure de mon visage. Je n’avais pas de lèvres et mes gencives et mes dents étaient visibles, comme des monuments blancs dépassant de la peau ridée. Au premier coup d’œil, quelqu’un supposerait simplement que la moitié inférieure de mon visage était de nature squelettique.

Non… peut-être que c’était encore plus effrayant que juste quelques vieux os desséchés.

En raison de l’état mi-humain dans lequel se trouvait mon corps, certains muscles étaient visibles, attachés à l’os de la mâchoire et à d’autres parties de mon menton. Leurs mouvements, eux aussi, étaient clairement visibles. Cela aurait certainement un impact plus troublant que des os blancs, propres et réguliers.

Dans l’ensemble, montrer mon visage à la fille serait une mauvaise idée. Dans ce cas… quel genre d’excuse exactement devrais-je tisser ?

« Est-ce une sorte d’objet magique… ? » C’était probablement une question de la fille elle-même, en réponse à quelque chose qu’elle avait vu.

Si je devais deviner… mon masque avait encore une fois changé de forme. Mais au lieu de révéler toute la moitié inférieure de mon visage, le masque avait jugé bon d’ouvrir une petite fente à l’endroit où se trouvait ma bouche — juste la bonne forme pour que je puisse boire du thé.

Dans des circonstances normales, cette forme ne pouvait pas être maintenue plus de quelques secondes, car elle reprendrait ensuite sa forme précédente. D’après mon expérience, c’était plus qu’assez de temps pour boire du thé.

Soulevant la tasse jusqu’à l’ouverture dans mon masque, j’avais bu, répondant à la fille entre deux gorgées.

« Ce n’est pas tant un objet magique, mais plutôt un objet maudit. L’une de mes connaissances l’a acheté pour moi à un marchand maaltesien… au bord de la route, » déclarai-je.

Face à ma parole, les yeux de la jeune fille s’ouvrirent en grand, presque étincelants quand elle répondit avec excitation. « Maalt est l’hôte d’objets si intéressants… ? Excusez mon impertinence, mais… y a-t-il un moyen de vous débarrasser de ce masque ? »

La famille Latuule avait l’habitude de collectionner des objets magiques de toutes sortes. D’après le comportement de la fille, il semblerait qu’il y avait une part de vérité dans cette rumeur.

Bien que je ne connaisse pas le statut social exact de la fille dans la famille Latuule, je pouvais être sûr d’une chose : contrairement à Isaac, qui servait la famille, cette fille était sans aucun doute l’une des rares à avoir été servie par des personnes comme lui.

Je suppose qu’elle voulait me payer pour que je « l’enlève de mes mains », et comme prévu, la conversation avait tourné dans cette direction.

« Mais bien sûr, » poursuivit la jeune fille, « je veillerai à ce que vous soyez correctement rémunérés et satisfaits de l’échange… Alors, qu’est-ce que vous en dites ? » Sa voix indiquait qu’elle était impatiente.

Honnêtement, j’aurais aimé lui remettre mon masque. Malheureusement, ce n’était pas quelque chose que je pouvais faire à ce moment-ci. Objet maudit, le masque était aussi devenu un objet indispensable dans ma vie quotidienne.

De plus, le masque était aussi maudit pour être suffisamment inamovible, et c’est ce que je lui dirais. Dans tous les cas, j’aurais besoin d’un visage que je pourrais montrer à d’autres êtres humains avant d’envisager son retrait.

En fin de compte, le masque était resté résolument collé à mon visage malgré mes préférences personnelles, et c’est tout ce que j’avais à dire. Même si j’essayais sincèrement de l’enlever, ce serait tout de même un exploit impossible.

Une vision de moi me noyant dans une petite montagne de pièces d’or passa rapidement sous mes yeux. La tentation semblait s’éloigner lentement de la réalité, mais je secouai résolument la tête, supprimant mes désirs mondains.

« … Toutes mes excuses, il ne s’agit pas d’un problème lié à l’argent. Je suis tout simplement incapable de l’enlever, » répondis-je.

Je suppose que c’était un ton de voix assez pathétique, ou du moins douloureux, car l’expression de la jeune fille, auparavant excitée, en était maintenant une de pitié.

« Ah, non. C’est très bien. Il semblerait que j’ai fait resurgir quelques… souvenirs désagréables, et que je vous ai grossièrement offert de l’argent en échange. Je m’excuse…, » déclara la jeune fille.

Souvenirs désagréables… ? Non, non, rien de tout ça. Ce masque ne contenait aucune pensée ou aucun souvenir particulier de quelque nature que ce soit. Vraiment, c’était plutôt un cauchemar, un cauchemar qui s’était soudainement collé à mon visage et qui ne m’avait jamais lâché. Même maintenant, malgré tous mes efforts, mon masque était resté très attaché.

Si je devais le mettre en mots, le désespoir que je ressentais maintenant n’était pas la tristesse de perdre un vieil ami ou un objet précieux pour l’argent, mais plutôt la perspective de perdre une montagne potentielle de gains parce que je ne pouvais pas enlever ce masque maudit.

À en juger par la réaction de la jeune fille, je suppose qu’il était plus intelligent pour moi de me taire, de peur de gagner son dédain… Bien que l’argent était certainement important.

« Eh bien, cela ne me dérange pas. On ne peut pas savoir de telles choses simplement en regardant un objet, mais je suis reconnaissant que vous m’ayez montré une telle considération, » déclarai-je.

Comme je l’avais dit, de l’extérieur, personne ne pouvait discerner mon attachement matériel intense à l’argent. Ce qui était bien, car j’avais l’air plus respectable comme ça.

Hélas, quel horrible adulte suis-je devenu… !

Observant les yeux purs et innocents de la jeune fille…

« Je vous serais très reconnaissant si c’est bien ce que vous pensez, oui. D’autre part, le thé est-il à votre goût ? » demanda la jeune fille.

Un changement de sujet inattendu et habile.

À son instigation, j’avais tourné mon attention vers la tasse de thé que j’avais dans les mains. Pour une raison quelconque, il avait un goût… délicieux. Incroyablement délicieux. La fragrance était également dans une classe à part. C’est peut-être la meilleure tasse de thé que j’aie goûtée de toute ma vie.

« C’est le thé le plus délicieux que j’ai eu dans ma vie, » avais-je répondu honnêtement à la question de la fille « Est-ce aussi grâce aux aspects magiques de la théière ? »

« Je suppose que oui, oui. Cependant, c’est moins la magie de la théière que les compétences et le travail acharné des familles d’agriculteurs dans la pousse des plantes utilisées. Comme je l’ai déjà mentionné, cette théière a la capacité magique de recréer à l’infini toutes les feuilles de thé qui y ont été placées. En d’autres termes… quelqu’un a mis ces feuilles il y a des années, peut-être même des décennies. Parmi tous les différents mélanges que j’ai dégustés dans les archives de ce pot… Je trouve celui-ci le plus délicieux, pour ainsi dire, » répondit la fille.

Comme elle l’avait dit, le thé était très bon. De nombreux facteurs avaient influencé la qualité des feuilles de thé, y compris le terrain et le temps, pour n’en nommer que quelques-uns. De ce fait, la qualité des feuilles de thé était souvent très variable. Il n’est pas réaliste de s’attendre à déguster un thé au goût similaire tout au long de l’année.

Ce pot était l’exception, permettant à son utilisateur de profiter d’une variété d’assemblages provenant de différentes parties des terres à tout moment de l’année. Illogique, mais terriblement impressionnante, cette théière avait dû coûter une fortune.

J’avais d’abord supposé que le pot ne pouvait recréer que les feuilles les plus récentes qui y avaient été brassées, mais il semblerait que je me sois trompé. Pour recréer tous les mélanges qui avaient déjà été brassés dans son corps de porcelaine… Cette théière se trouvait à un tout autre niveau.

C’était peut-être la théière ultime.

Bien que certaines personnes préféraient profiter d’un flux constant de saveurs changeantes au fil des ans, et de se remémorer les mélanges précédents dans leurs souvenirs. Cependant, il était tout à fait raisonnable de supposer que la plupart des gens verraient facilement la valeur d’un tel pot, et le désirent.

« Ou, exactement avez-vous réussi à vous procurer un tel objet ? » demandai-je.

« Si je me souviens bien, il a été découvert dans un labyrinthe lointain il y a presque deux siècles. Une somme d’argent a été offerte à l’aventurier qui l’avait trouvée, et elle est parvenue en notre possession. Quant à la somme… Je crois que c’était, disons, environ 300 pièces de platine, » expliqua-t-elle.

« Pièces de platine, » répétais-je.

Tant qu’on n’était pas imprudent avec leur argent, une seule pièce de platine était plus que suffisante pour qu’une personne vive une vie joyeuse. Dire que 300 de ces pièces avaient été payées…

C’était loin d’être un prix raisonnable pour un seul pot. Pour une famille comme les Latuules, cependant, ce n’était probablement pas du tout une grosse somme. Après tout, ils avaient payé une somme colossale à cet aventurier anonyme, mais ils avaient quand même réussi à vivre dans une telle parure pendant les deux siècles suivants. De plus, ils avaient continué à maintenir leur sphère d’influence à Maalt.

J’avais finalement compris que les Latuules étaient une famille beaucoup plus dangereuse que les quelques nobles de petite taille qui régnaient actuellement sur Maalt.

Après quelques sujets de conversation ultérieurs, je m’étais finalement levé, en prenant soin de ne rien laisser tomber ou renverser.

« Oh, y allez-vous déjà ? » demanda la jeune fille.

« Oui, c’est vrai. C’était très agréable. C’est juste une supposition, mais j’ai l’impression que nous nous reverrons bientôt, non ? » demandai-je.

« Oh ? » La fille avait vaguement souri en réponse à ma question. « L’avez-vous déjà découvert ? »

Avec cela, il était clair qu’elle était en effet une membre de la famille Latuule. Quant à sa position sociale en son sein… Je n’avais toujours pas assez d’informations entre mes mains.

« Oui, d’une façon ou d’une autre, je vous demanderai votre nom quand nous nous reverrons, » déclarai-je.

« Alors, faites attention… La fin du labyrinthe n’est plus très loin, mais je vais peut-être vous donner un indice. Ce serait mieux pour vous de ne pas regarder le soleil, » déclara la jeune fille.

« Je l’ai déjà entendu dire de la part du garde à la porte, » déclarai-je.

« Alors, c’était peut-être inutile. Cependant, réfléchissez à ces mots, » déclara la jeune fille.

« Je comprends, » déclarai-je.

Après ça, j’avais fait un pas hors de la clairière — et presque immédiatement, un mur de vignes et de feuilles avait poussé de là où je me tenais il y a quelques instants, isolant la fille et sa table de thé de ma vue.

En regardant bien ce qui m’entourait, je m’étais rendu compte que tous les chemins qui m’avaient précédé continuaient à s’enfoncer profondément dans le labyrinthe. Peu importe la façon dont je la regardais, je serais sûrement perdu, quel que soit le chemin que je prendrais.

« Peu de temps avant la fin, a-t-elle dit que c’était vraiment le cas ? » avais-je murmuré quand j’avais commencé à m’aventurer une fois de plus dans le labyrinthe.

Je voulais juste arriver à la fin du labyrinthe le plus vite possible.

***

Partie 5

Maintenant que j’y pense… Oui, à bien y penser, le fait même que j’étais perdu était étrange, ne serait-ce que parce que j’étais un aventurier qui était dans le métier depuis des années. Personnellement, je sentais que j’avais un meilleur sens de l’orientation que la plupart des autres personnes, et j’avais mentalement cartographié le schéma du jardin des Latuules au fur et à mesure que je parcourais ses sentiers serpentants.

Malgré cela… J’étais perdu. Comment était-ce possible ? Je n’arrivais pas à comprendre…

Le problème en question défiait l’entendement. Puis il y avait eu la question du soleil, et les conseils que la fille et le garde m’avaient donnés. Quand je l’avais entendue pour la première fois par le gardien, j’avais simplement supposé qu’on ne pouvait pas utiliser le soleil pour déterminer avec précision sa position géographique et ses repères. J’avais donc suivi leurs conseils — et je m’étais perdu.

Peut-être qu’un changement de rythme s’imposait, alors je m’étais tourné vers le haut, en regardant le soleil.

« On dirait que ça a toujours été comme ça, » murmurai-je.

Il n’y avait rien de particulièrement étrange dans la position du soleil dans le ciel… du moins, je le pensais.

Alors, cela doit être le cas… Est-ce que leurs conseils n’avaient rien à voir avec le soleil… ?

J’avais pris un virage — .

La position du soleil… s’était déplacée sous mes yeux.

Assez surpris et supposant que ce n’était qu’une invention de mon imagination, j’avais fait un seul pas en arrière dans le passage précédent. En le faisant, la position du soleil avait changé une fois de plus. Je suppose que le conseil de ne pas utiliser le soleil comme repère directionnel était vrai.

Dans ce cas… comment était-il possible que je sois encore si perdu ?

Non. Non, il doit y avoir quelque chose de plus dans tout ça.

L’étrange soleil qui basculait n’était probablement qu’une partie d’un plus grand mécanisme. On ne pouvait pas compter sur le soleil pour trouver son chemin, je l’avais compris. Il devait y avoir un plus gros mécanisme à l’œuvre ici, un mécanisme dont je n’étais pas encore au courant.

Si le gardien avait effectivement été induit en erreur par le soleil lors de sa tentative de labyrinthe, c’était tout à fait juste et bon, d’où le conseil qu’il m’avait donné. Mais mon cas était légèrement… différent.

Si le conseil était destiné à induire en erreur, je devrais commencer à m’interroger sur les intentions de la fille. Si c’était vraiment son intention, elle serait tout à fait le genre… Elle m’avait donné les mêmes conseils, même après avoir compris que son garde avait fait de même, allant jusqu’à me dire de réfléchir à ses paroles. Il devait y avoir d’autres moyens de tromperie en jeu.

Essentiellement, le conseil du gardien était la vérité — mais le conseil de la fille était destiné à me tromper et à m’induire en erreur… Je peux le supposer, en tout cas.

Elle avait une aura assez mystérieuse et je n’arrivais tout simplement pas à bien comprendre son caractère. Je suppose qu’il était juste de supposer qu’elle n’était pas une personne qui me donnerait si facilement un indice sur la façon de conquérir le labyrinthe, non ?

J’avais continué à explorer, mais il ne m’avait pas fallu longtemps pour sentir que quelque chose n’allait pas. Après avoir marché en ligne droite sur une certaine distance, j’avais eu l’impression que le chemin s’était mystérieusement incurvé d’un côté. Bien qu’il s’agisse d’une petite sensation, presque insignifiante, je l’avais certainement ressentie, donc ce n’était pas une ruse de l’esprit.

J’avais jeté un coup d’œil autour de moi, analysant ce qui m’entourait. Peu de choses avaient changé, mais un bref coup d’œil sur le soleil avait révélé qu’il était descendu un peu plus bas que la dernière fois que je l’avais regardé. La position du soleil avait changé, mais cette connaissance n’était d’aucune utilité.

Que dois-je faire… ?

Je m’étais arrêté, en pensant au problème qui se posait. C’est à ce moment que j’avais vu, du coin de l’œil, un rocher à mes pieds. C’était un rocher qui avait peut-être la taille d’un poing. En le ramassant, j’avais jeté la pierre sur la zone étrange et apparemment tordue qui se trouvait devant moi. La roche avait alors disparu aussitôt au milieu de son trajet, sans une seule trace ni un seul son.

« … C’est impossible. Est-ce que c’est de la téléportation ? » me demandai-je.

La téléportation — pour être précis, il s’agissait d’un type spécial de magie spatiale qui n’avait pas encore été recréée par les mains de l’homme. Cependant… si c’était vraiment un artefact qui n’avait pas été fabriqué par des hommes, alors il y avait une possibilité.

Seul un objet magique doté d’un pouvoir magique significatif pourrait faire apparaître un labyrinthe de roses comme celui-ci. Je ne serais pas surpris si la téléportation d’objets et de personnes était l’une de ses fonctions. Mais un individu pourrait-il même posséder, et encore moins maîtriser un artefact aussi puissant… ?

Je suppose qu’un tel questionnement n’avait pas aidé les choses. Pour l’instant, je devais me concentrer sur les actions que je pouvais potentiellement entreprendre. Si je ne le faisais pas, je ne conquerrais jamais ce labyrinthe, et je serais sûrement perdu à jamais.

J’avais ramassé un autre rocher et je l’avais jeté dans l’espace étrange qui se trouvait devant moi. Il ne semblait pas qu’il y ait eu beaucoup de changements, mais cette petite expérience était plus que suffisante pour illustrer qu’un changement s’était produit, car le rocher n’était nulle part où l’on pouvait le voir. Il n’y avait qu’une seule explication : le rocher en question avait atterri dans cet espace invisible.

J’avais jeté encore une autre pierre dans l’endroit étrange et, encore une fois, elle avait disparu. Comme je le pensais, les roches avaient traversé ce point invisible de l’espace et avaient atterri quelque part de l’autre côté.

En y regardant de plus près, cette partie du labyrinthe ressemblait beaucoup à n’importe quelle autre partie du labyrinthe. Si je n’avais pas été attentif, je n’aurais pas beaucoup réfléchi à ce sentiment dissonant. Je suppose que c’était pour cela que j’étais coincé dans ce labyrinthe, la carte dans mon esprit était dessinée en supposant que tous les chemins étaient physiquement reliés. En réalité, ce labyrinthe était constitué de nombreux passages reliés par des poches de distorsions spatiales.

Si mes suppositions étaient correctes… alors je ne savais plus où j’avais mis les pieds. Je n’avais pas l’impression que j’atteindrais le but de sitôt.

Cependant, à partir de maintenant, ce serait différent. Je marquerais cet endroit comme point de départ et je redessinerais ma carte mentale.

Honnêtement, j’avais pensé à utiliser la carte d’Akasha dans ce labyrinthe ridicule. Mais la carte n’affichait qu’une seule ligne au fur et à mesure que je la déroulais.

Impossible d’afficher l’emplacement actuel.

Bien que j’aie demandé à la carte à haute voix ce que cela signifiait, elle ne m’avait pas répondu. Et, je suppose, c’était normal — ce labyrinthe n’était clairement rien de plus qu’un jouet pour les riches. Il y avait même un prix pour moi si je gagnais, et je ne mourrais pas si j’échouais dans ma tâche.

Mais ayant fait tout ce chemin, j’étais déterminé à aller de l’avant, et peut-être même à dire à cette fille à la personnalité terrible que je n’avais pas été victime de ses tours…

Même si j’étais déjà tombé dans le panneau à plusieurs reprises, et que j’étais devenu très perdu…

◆◇◆◇◆

« … Je l’ai enfin fait, » murmurai-je.

Laissant le labyrinthe de haies de roses derrière moi, j’étais sorti dans un espace dégagé. Devant moi se trouvait un manoir élégant, mais beau, avec une fontaine d’eau élaborée. À côté de cette fontaine, sur une autre table ornée, était assise la fille en question, sirotant élégamment une tasse de thé. À côté d’elle, comme prévu, il n’y avait nul autre qu’Isaac.

En me voyant, la fille se leva, avançant dans ma direction. Isaac suivit silencieusement la fille qui, peu après, se tenait devant moi.

« Félicitations. Pour être tout à fait honnête, je ne pensais pas que vous étiez capable de conquérir le labyrinthe, » déclara la fille.

Bien que son expression soit celle d’une fille de 12 ou 13 ans, je connaissais la personnalité plus sombre qui se cachait derrière. Il n’y avait bien sûr rien que je pouvais faire.

Pour être honnête, la fille était peut-être espiègle, mais elle n’était pas malicieuse. Je suppose que c’était une farce aussi bonne que n’importe quelle autre, étant donné qu’à aucun moment ma vie n’avait été en danger. Cependant, le fait que j’aie passé tout ce temps à errer à cause du caprice d’une petite fille était vraiment bouleversant.

Quand j’étais arrivé au manoir de Latuule, le soleil était haut dans le ciel. Ce même soleil se couchait maintenant, teintant le monde d’une tonalité cramoisie qui s’estompait.

Combien de temps ai-je passé dans ce labyrinthe ? ?

« J’avais pensé que j’aurais vaincu ce labyrinthe beaucoup plus vite au moins jusqu’à ce que je comprenne le sens de vos paroles, » déclarai-je.

« Je vois, donc vous avez remarqué. Peut-être que mon jeu n’était pas tout à fait à la hauteur ? » demanda la jeune femme.

« … Non, c’était bien. En fait, si c’était mon ancien moi, je serais certainement tombé dans le panneau, » déclarai-je.

Je ne pouvais pas lui dire que j’étais devenu un Thrall. La seule raison pour laquelle j’avais remarqué cette poche d’espace déformé était due à mes sens aiguisés, ceux de la conscience spatiale, d’un meilleur sens de l’odorat et d’une vision plus aiguë. Par conséquent, je ne pouvais pas exactement dire que l’expérience de ma vie passée m’avait fait remarquer la faille spatiale, mais je ne pouvais pas non plus la discréditer complètement.

La jeune fille secoua lentement la tête devant mes paroles. « Votre ancien vous, vous dites ? »

« Non…, » avais-je secoué la tête de la même façon en réponse « C’est juste quelques circonstances que j’ai subies. Sur une autre note, j’avais entendu du garde que ceux qui conquièrent le labyrinthe peuvent réclamer une récompense, est-ce que j’en obtiens aussi une ? »

D’un côté, j’avais fait beaucoup de travail pour en arriver là. D’autre part, la récompense avait été un peu une réflexion après coup, une simple information que j’avais obtenue par hasard en parlant avec le gardien à l’entrée. Même si les Latuules avaient décidé qu’il n’y aurait pas de récompense pour moi à cette occasion, je suppose que j’avais une certaine justification pour en demander une.

De telles pensées n’avaient pas semblé nécessaires, cependant, la jeune fille m’avait alors répondu, avec ce même sourire sur son visage.

« Oh, oui, bien sûr, bien sûr. J’avais l’intention de vous offrir un objet magique que la famille Latuule possède, » déclara-t-elle.

Comme je m’y attendais. C’était peut-être à mon tour d’être espiègle.

« Eh bien… que diriez-vous de l’objet magique qui a été utilisé pour faire ce labyrinthe de haies de roses ? » lui avais-je demandé sans ménagement.

Les yeux de la jeune fille s’étaient immédiatement ouverts en grand. « Je m’excuse… Je ne peux pas vous offrir cet objet magique. Si vous voulez bien comprendre… »

« C’était une blague, » avais-je immédiatement répondu à sa déclaration « Tout comme vous m’avez joué un tour dans le labyrinthe, j’ai pensé que j’allais vous rendre la pareille. »

La fille avait l’air exaspérée par ma déclaration. « Vous êtes un homme très méchant…, » déclara-t-elle, avec un soupçon d’un sourire ironique qui flottait sur son visage.

***

Partie 6

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Je ne pouvais pas me contenter de dire quel genre d’objet magique je voudrais. La famille Latuule, compte tenu de son histoire de collecte de ces objets au fil des âges, ne prendrait sûrement que la crème des objets. Quel que soit mon choix, l’objet que je choisirais se vendrait sûrement pour une grande somme d’argent. Je prendrais probablement n’importe quel objet qu’on m’offrirait… Mais si vous avez le choix de sélectionner un objet spécifique — .

« En tout cas, peut-être pourrais-je regarder votre sélection ? » demandai-je.

La jeune fille semblait prête pour une telle question.

« Oh, mais bien sûr. De cette façon, si vous voulez bien, » déclara-t-elle, marchant vers les portes du manoir.

Isaac, pour sa part, l’avait silencieusement suivi. Étant donné que son silence continuait jusqu’à présent, je n’avais aucun doute qu’il était le serviteur de cette fille espiègle.

Le maître d’Isaac… Maîtresse, peut-être ?

« Oh, oui. J’ai presque oublié de me présenter. Je suis l’actuelle chef de la famille Latuule, Laura Latuule. Enchantée de faire votre connaissance, » déclara Laura.

Le mystère avait donc été résolu — cette fille n’était pas la fille d’un membre de la famille Latuule ou quoi que ce soit du genre, elle était le chef de la famille.

Bien que son âge m’ait surpris dans une certaine mesure, il n’y avait pas de restrictions d’âge quand il s’agissait d’hériter des titres familiaux, contrairement à l’enregistrement chez les aventuriers. Il y avait eu de nombreux cas où le sort de la famille avait été confié à un jeune héritier compétent, que les circonstances l’atténuent ou non.

Dans le cas des familles nobles, il était courant qu’un enfant qui n’avait pas encore atteint l’âge de la majorité hérite d’un tel titre, surtout après des conflits familiaux particulièrement sanglants. La famille Latuule, bien qu’elle ne soit pas d’origine noble, avait un pouvoir financier important. Je pouvais croire qu’il y avait eu des batailles féroces pour le titre de chef de famille — l’argent et le pouvoir étaient des choses assez terrifiantes.

Je m’étais tourné vers Laura, en me présentant. « Moi aussi… Je ne l’ai pas fait. Je me présente. Je m’appelle Rentt… Vivie. Un aventurier de rang Bronze… »

Face à ces mots, une brève expression de surprise fut visible sur les traits de Laura. Isaac, par contre, était resté stoïque, comme on pouvait s’y attendre. Je suppose, tel Maître, tel serviteur.

En d’autres termes, ils ne pensaient pas que j’étais inférieur même après avoir appris mon rang relativement bas d’aventuriers. Si j’ose dire, c’est admirable en ce qui concerne les attitudes, mais rare.

J’étais la personne qu’ils étaient sur le point d’affecter à ce poste, et la plupart des gens se sentiraient rassurés par la présence d’un aventurier de haut rang.

Bien sûr, il n’y aurait aucun problème si la demande en question était adaptée aux compétences d’un aventurier de la classe Bronze. Dans le cas de la noblesse, des familles marchandes ou des familles extrêmement puissantes comme les Latuules, la guilde enverrait très probablement un aventurier de haut rang pour assurer leur satisfaction. Au minimum, un aventurier de la classe Bronze ne se présenterait pas, et le demandeur s’attendrait à un individu de la classe Argent.

En résumé, je n’étais ici que parce qu’Isaac m’avait demandé en nom propre. Dans des circonstances normales, des personnes comme lui ou Laura ne confieraient jamais de demandes à un aventurier de bas rang comme moi. Laura n’avait même pas semblé trop dérangée après avoir entendu parler de mon rang. Isaac lui avait sûrement raconté ce qu’il avait vu au marais, non ?

Ce n’était pas tout à fait le cas…

Laura avait jeté un coup d’œil vers Isaac. Son expression semblait traduire la compréhension. Si je devais deviner, Isaac lui avait probablement donné une description un peu vague de moi, au lieu d’entrer dans les détails.

J’avais supposé qu’Isaac expliquerait tout et n’importe quoi à sa maîtresse, mais je suppose que ce n’était pas le cas. Comment était leur relation exactement… ? Un examen rapide avait montré qu’Isaac obéissait généralement à tous les caprices de Laura — contrairement à ce Puchi Suri que je connais bien.

Sur une autre note, Edel était visiblement absent de son perchoir habituel sur mon épaule. Il avait apparemment eu une réunion avec ses sous-fifres dans le sous-sol de l’orphelinat et s’était éloigné pour s’occuper de ses propres affaires. Personnellement, je ne voulais pas expliquer aux Latuules pourquoi il y avait un monstre perché sur mon épaule, donc c’était probablement pour le mieux.

C’était une souris propre, ayant été purifié par ma divinité à quelques reprises, mais je ne doutais pas que certains individus ne le verraient que comme une bête sale. La perception qu’un individu avait des choses avait tendance à changer en fonction de son éducation, donc il ne serait probablement pas étrange pour certains nobles de reculer devant une souris supposée impure.

Presque immédiatement, j’avais senti un coup de pied mental d’Edel, déclarant apparemment qu’il était, en effet, très pur et propre. J’avais repensé à lui, informant mon entourage qu’il s’agissait plus d’apparence que de réalité. Apparemment satisfait, Edel était retourné à ses affaires.

Parfois, je ne pouvais m’empêcher de penser qu’Edel était un être beaucoup plus logique que je ne pourrais jamais l’être.

« Un aventurier de classe Bronze s’attaque au marais des Tarasques… Ce n’est certainement pas un endroit très agréable, mais pas un seul aventurier de classe Bronze ne fréquenterait ce lieu, du moins d’après ce que j’ai entendu. Puis-je savoir ce que vous faisiez exactement… ? » demanda Laura, apparemment confuse.

Alors, n’a-t-elle pas entendu parler de ma situation par Isaac ? Mais bien sûr, Isaac n’avait aucune raison d’informer sa maîtresse de mes motivations personnelles.

« Il y a eu une requête, » répondis-je simplement, « faite par l’orphelinat. Il demandait d’obtenir une Fleur de Sang du Dragon pour une unique pièce de bronze. »

Ma brève description de la situation avait probablement été plus que suffisante pour que la plupart des aventuriers comprennent les circonstances. Mais Laura ne semblait pas partager cette compréhension.

Inclinant la tête d’un côté, elle avait continué. « Un voyage au Marais des Tarasques pour une pièce de bronze… ? Je trouve que c’est un peu… »

Je suppose qu’une explication plus détaillée s’imposait.

« C’était une demande de l’un des Orphelinats de Maalt. C’est quelque chose de normal pour la plupart des aventuriers… Je m’y attendais. Ce n’est rien de plus qu’une pièce de bronze symbolique en récompense, » répondis-je.

Comme je l’avais peut-être déjà dit, les orphelinats ne nageaient pas dans des piscines de pièces de monnaie. Incapable d’offrir une récompense adéquate, une somme symbolique d’une pièce de bronze avait été offerte à la place. C’était tout à fait logique.

Mais cette récompense ne s’arrête pas là : l’aventurier en question se contentait de faire du bénévolat.

Puisque la guilde de l’aventurier était, pratiquement, une organisation à but lucratif, de telles demandes ne seraient normalement jamais officiellement satisfaites. Mais comme l’histoire l’avait prouvé, des aventuriers bienveillants s’étaient toujours manifestés à travers les âges, et ils avaient parfois offert leur aide aux guildes qu’ils fréquentaient. Ces actes de bonne volonté s’étaient poursuivis en silence aujourd’hui, et c’était un système à part entière.

Tout comme il y avait des problèmes qui ne pouvaient être résolus que par des aventuriers, ou ceux qui avaient la force martiale à un moment donné, il y aurait sûrement des individus qui ne pourraient pas payer pour leurs services. La guilde de l’aventurier, à son tour, décidait d’aider un peu à ces affaires, et ces aventuriers bien intentionnés commencèrent à accepter un paiement symbolique d’une pièce de bronze pour le bien de la tenue des dossiers. Une pièce de bronze était la récompense monétaire la plus basse qu’un client pouvait offrir pour les services rendus par les aventuriers de la guilde, et c’était une récompense minimale qui ne pouvait au plus acheter que deux morceaux de pain. Mais il n’y avait pas de règle en vigueur stipulant que la fourniture du minimum absolu était interdite.

Tant qu’une pièce de bronze était fournie à la guilde, la demande était affichée sur les planches, exposant ainsi la demande aux aventuriers. Après que la guilde ait d’abord et avant tout rencontré le client, il appartenait alors à l’aventurier de décider s’il acceptait la demande, en tenant compte des gains potentiels et en comprenant la situation décrite sur la feuille de demande. Si les services d’un aventurier étaient requis, la demande serait approuvée. De ce fait, même si la récompense globale de la demande était faible, les aventuriers bien intentionnés pouvaient se porter volontaires pour s’occuper de l’affaire et la résoudre si tout se passait bien.

Il y avait certainement des parties malveillantes ou avares qui cherchaient à abuser de ce système de bonne volonté, mais la guilde était bien versée dans l’élimination des fausses demandes. De telles demandes seraient évaluées pour voir si le client avait vraiment besoin d’aide. Si tel n’avait pas été le cas, la demande aurait simplement été rejetée.

Dans l’ensemble, le système avait toujours très bien fonctionné.

Après avoir terminé mon explication, l’expression de Laura s’était considérablement adoucie, comme si elle était émue par l’histoire.

« Je ne savais pas que des aventuriers aussi gentils existaient sur ces terres, » déclara Laura.

Je pouvais difficilement lui reprocher la moindre chose pour cette supposition, car les aventuriers n’avaient pas exactement la meilleure réputation. Même moi, j’étais un homme suspicieux, avec un masque de crâne et une robe noire. Peu de gens me regardaient et disaient : « Oh, il est un aventurier doux et gentil ! »

Il ne s’agissait guère de douceur ou de gentillesse, je ne faisais que… oui, j’avais simplement fait ce que j’avais pu.

Les aventuriers, de par la nature de leur carrière, avaient souvent frôlé la tragédie ou la mort. Au milieu de tout cela, on voudrait parfois avoir l’affirmation qu’on avait fait au moins une bonne chose, de sorte que c’est à ce moment-là que de telles demandes avaient été acceptées et volontairement satisfaites — le tout pour le prix d’une pièce de bronze.

Peut-être n’étais-je pas trop différent, avec la façon dont je m’accrochais à ce qui restait de mon humanité.

***

Partie 7

Tout compte fait, ce manoir était très grand. D’après son apparence seulement, j’avais senti qu’il s’agissait plus d’un château que d’un manoir, alors peut-être que ce n’était pas vraiment étrange.

Ce qui était étrange, c’était que la majeure partie du manoir était relativement déserte. Bien que nous passions devant un ou deux domestiques, peu d’individus marchaient dans les couloirs de ce grand manoir. Plus précisément, le nombre de personnes que j’avais croisées me semblait à peine suffisant pour maintenir la propreté générale d’un bâtiment de cette envergure.

Curieux, j’avais posé la question à Laura, mais on m’avait dit que chacun de ses serviteurs était très compétent et capable. Bien qu’Isaac semblait certainement capable dans les activités les plus mondaines, la compétence seule ne pouvait pas maintenir un manoir de cette taille. Ce serait physiquement impossible, selon moi.

En observant ce qui m’entourait, j’avais constaté qu’aucun des couloirs, ni les murs, ni même les lustres suspendus ne semblaient avoir un seul grain de poussière sur eux. J’avais regardé un peu plus autour de moi et j’avais été forcé de conclure que le manoir de Latuule semblait à peine en sous-effectif.

« Si vous voulez bien…, » déclara Laura.

Laura avait placé sa main sur une lourde porte métallique, lui donnant une bonne poussée. La porte s’était ouverte sans effort, révélant un passage sinueux de marches en pierre, les marches étant dirigées vers le bas. J’avais l’impression de marcher dans les profondeurs du monde souterrain.

« Je suppose que c’est votre sous-sol ? » demandai-je.

« Oui. Il y a beaucoup d’objets magiques stockés ici, vous voyez, avec certains infusés de mana, d’esprit, et d’autres choses semblables. Il y a, cependant, un certain nombre d’artefacts plus anciens parmi eux, et nous prenons soin d’entreposer nos objets de façon appropriée. Ainsi, la température et l’humidité de notre sous-sol sont régulées pour fournir un environnement optimal pour le stockage, » expliqua Laura.

Lorsqu’il s’agissait d’objets magiques aux mécanismes internes quelque peu complexes, la plupart des artisans les faisaient simplement infuser de mana, renforçant ainsi ces outils. La plupart des objets magiques avaient dès le départ été conçus pour être robustes.

Tout comme les aventuriers avaient renforcé leur corps avec du mana et de l’esprit pour plus de force et d’endurance, il en allait de même pour un objet magique. Cela signifiait que les objets magiques duraient généralement plus longtemps que leurs homologues plus ordinaires, souvent pendant de longues périodes.

En raison de leur nature plus robuste, certains objets magiques qui avaient été traités comme des trésors nationaux et transmis à travers les âges semblaient encore un peu neufs pour l’observateur moyen. Si on était négligent ou brutal avec un objet magique, cependant, il pourrait très bien se briser, comme n’importe quel autre objet le ferait.

En mettant un pied devant l’autre, j’avais continué à descendre les marches de pierre en spirale, en suivant de près Laura. Isaac m’avait suivi, le passage étant trop étroit pour deux personnes.

Il n’y avait pas de fenêtres le long des murs, mais je sentais faiblement l’air bouger pendant que nous continuions à descendre. Des lumières invisibles s’allumaient méthodiquement tandis que Laura continuait en silence. Des objets magiques aussi, sans aucun doute.

Les objets de lumière étaient faciles à fabriquer et pouvaient être fabriqués en série pour un prix relativement bas, mais la quantité d’objets présents dans ce passage m’ait surpris. Comme ces lumières s’allumaient à proximité d’une personne, je pouvais supposer qu’elles coûtaient plus cher qu’un objet d’éclairage classique.

En regardant les seuls choix architecturaux de la famille Latuule, je m’étais demandé d’où exactement ils avaient tiré une telle richesse — c’était peut-être une question que je pourrais soulever plus tard.

Notre descente apparemment sans fin s’était poursuivie, ne se terminant que lorsque Laura s’était arrêtée devant une porte.

En y regardant de plus près, il semblait y avoir une sorte de panneau collé à la porte, fait d’un matériau que je ne reconnaissais pas. Laura leva la main droite, la plaçant sur le tableau sans un mot. Sans avertissement, toute la porte avait été enveloppée d’une lueur éclatante avant d’émettre un bruit sourd et grave de quelque chose qui se déverrouillait.

« Eh bien, alors, entrons, » déclara Laura, en poussant la poignée de la porte. Cela s’était ouvert lentement, sans grande résistance. Comme je l’avais pensé, les précédentes actions de Laura avaient débloqué une sorte de mécanisme invisible.

Au-delà de cette porte, il y avait une pièce noire et béante, dont je ne voyais presque rien dans les profondeurs. Laura ne semblait pas du tout effrayée par cette obscurité, franchissant la porte sans un mot.

Hésitant momentanément, j’avais rapidement suivi Laura, plongeant dans l’inconnu profond.

◆◇◆◇◆

Laura continua à marcher droit devant, sans s’arrêter ni montrer aucun signe de réserve dans l’obscurité qui nous entourait.

Soudain, elle s’était arrêtée une fois de plus.

« Que la lumière soit. »

À ces mots, je m’étais retrouvé aveuglé, entouré, enveloppé d’une lumière déraisonnablement vive. Mes yeux n’avaient pris qu’un instant pour s’adapter à mon nouvel environnement illuminé.

« C’est… C’est incroyable, » déclarai-je.

J’étais entouré de ce qui semblait être de petites collines d’objets magiques, empilés les uns sur les autres un peu au hasard. En y regardant de plus près, j’avais découvert qu’ils étaient, en fait, organisés, leurs tailles différentes et leur nombre écrasant suggéraient au spectateur que les objets étaient rangés dans un tas en désordre.

Laura, comme si elle lisait dans mes pensées, m’avait donné une explication rapide.

« N’oubliez pas que nous avons rangé nos outils, oui. C’était beaucoup… plus désordonné avant, parce qu’ils venaient d’être jetés ici dans l’ordre de leur acquisition. Cependant, aujourd’hui, la plupart des objets ont été triés par usage, époque de production, artisans ou labyrinthe d’origine — toutes les variables pertinentes. Compte tenu de leur nombre et de la présence d’un certain nombre d’articles dont la finalité est encore inconnue, il faudrait un certain temps pour les trier tous. »

Laura avait raison — vu le nombre d’objets présent dans la salle, cela prendrait du temps pour le trier. Trier des objets magiques n’était pas après tout exactement comme ranger son grenier ou sa réserve.

Parmi les objets, il y avait un objet particulièrement grand, au moins trois fois plus grand qu’une personne moyenne. Je m’étais demandé ce que l’objet faisait, et comment l’avait-on déplacé. Vu la stature de Laura, ce serait impossible qu’elle le transporte. Peut-être qu’Isaac l’avait aidée pour son transport ?

Les domestiques de la famille Latuule semblaient avoir du pain sur la planche…

« Vous pouvez choisir un objet magique à votre goût dans cette pièce, » poursuit Laura. « Tous ces objets sont de première qualité — du moins, j’aimerais le dire, mais je ne peux pas vraiment en être sûr. J’espère que vous avez l’œil pour les objets magiques, Rentt. »

« Quoi… ? Que voulez-vous dire ? » J’avais demandé une explication à Laura.

« Peut-être le savez-vous déjà, Rentt, mais les objets de valeur sont souvent mélangés à de simples curiosités. En tout cas, les objets magiques qui m’ont séduite sont rassemblés dans cette pièce. Il est difficile de dire si les objets en question ont une valeur innée, ou s’ils sont simplement des déchets. Bien que cela ne me dérange pas si vous choisissez quelque chose qui vous plaît et que vous l’emportez, je ne peux que supposer qu’un aventurier voudrait un objet magique quelque peu utile, d’où mon avertissement initial, » déclara Laura.

« Je vois…, » déclarai-je.

En fait, il y avait des objets magiques qui se spécialisaient simplement en flottant ou en sautant sur place. Ce serait un mauvais choix de ma part si j’avais obtenu un objet sans fonction significative même après mon choix délibéré.

Cependant, pour moi, discerner entre les valeurs supposées des objets magiques était quelque peu difficile. Je pouvais reconnaître les types d’objets les plus courants utilisés dans la vie quotidienne, mais bon nombre des objets à mes pieds étaient étranges. Si je devais deviner, la plus grande moitié de ces objets avaient été achetés aux enchères, et étaient probablement uniques en leur genre, auquel cas, il ne serait pas très utile d’observer ces objets.

En y réfléchissant un moment, j’avais rapidement décidé de demander de l’aide à Laura.

« S’il y a quelque chose qui attire votre attention, vous n’avez qu’à demander. Je vais vous expliquer ce que je sais de ses fonctions. Bien sûr, dans certains cas, même moi je ne saurais pas ce que fait l’objet… donc, c’est vous qui ferez le choix final, » déclara Laura.

« Je suis reconnaissant de votre hospitalité, mais je me demande, pourquoi avez-vous rassemblé des objets comme ceux-ci ? » Logiquement, si on ne savait pas ce qu’un objet magique fait, ce ne serait plus qu’un bout de ferraille.

Laura avait rapidement répondu en riant à ma question.

« J’aime simplement rassembler des choses, bien sûr ! Si je peux l’avoir, je le prends ! C’est tout ce qu’il y a à faire, » répondit-elle, amuser.

Je suppose que je pouvais comprendre les motivations de Laura, d’une certaine façon, c’était une sorte de vérité universelle, surtout parmi la noblesse et les riches familles marchandes. Avec tant de richesses jetables à portée de main, bon nombre de ces personnes s’étaient naturellement tournées vers la collection d’objets. Ils pouvaient collectionner à peu près n’importe quoi — les serrures et les cristaux magiques des gobelins, et même les gobelins eux-mêmes. On entendait parler de ces individus excentriques et de leurs habitudes de temps en temps.

De telles collections étaient intéressantes en soi, mais l’observateur commun trouverait cela à la place étrange. Tant que le collectionneur en question jouissait de son aventure, alors tout allait bien, alors je suppose que demander une justification faisait simplement partie de la condition humaine.

Dans de tels cas, cependant, il n’y avait parfois pas de vraies réponses, le collecteur voulait collecter, et c’était tout.

Il était facile de comprendre l’habitude de la famille Latuule de collectionner des outils magiques — et si je pouvais profiter d’une façon ou d’une autre du choix d’un objet rare, je ne serais pas du genre à me plaindre.

***

Partie 8

« Qu’est-ce que c’est ? » demandai-je.

En me promenant dans la pièce, un objet avait attiré mon attention. Elle ressemblait à un disque — ou plutôt à un cylindre — et était placée sur le côté. Curieux, je l’avais montré du doigt, et Laura avait aussitôt hoché la tête, offrant une explication rapide.

« Il s’agirait plutôt d’un modèle plutôt que d’un objet magique. Une maquette d’une embarcation qui transporte son maître à travers les terres : un dirigeable. Il se déplace à peu près de la même manière qu’un vrai, et aussi — si vous faites cela… »

Laura avait pris un cristal magique qui se trouvait à côté du petit modèle volant en question avant de l’insérer dans l’objet. Après avoir infusé un peu de mana dans l’objet assemblé, Laura semblait momentanément perdue dans ses pensées. Après ça, de la vapeur avait jailli du petit modèle et elle le lança dans les airs.

« En réalité, » poursuit Laura, « Les dirigeables qui survolent ces terres aujourd’hui ne sont pas propulsés par le mana, mais par la vapeur. Techniquement parlant, ce n’est pas vraiment un modèle, mais peut-être un jouet d’une sorte ou d’une autre qui était destiné à imiter les fonctions d’un dirigeable. »

Même moi, j’avais entendu parler des dirigeables à un moment donné de ma carrière d’aventurier — non pas que je n’aie jamais été dans l’un d’eux. Comme Laura l’avait dit, ces dirigeables survolaient les terres, mais ils n’avaient guère de raison d’accoster dans un royaume frontalier rural comme Yaaran. J’avais entendu dire que des dirigeables apparaissaient à l’occasion lors de festivals dans la capitale, mais c’était à peu près tout.

En outre, les tarifs et les frais de transport pour le transport de marchandises à bord d’un dirigeable étaient suffisamment élevés, de sorte que les personnes à bord étaient principalement des personnes ayant un pouvoir financier important. En tant qu’aventurier du Rang Bronze, il va sans dire que je n’avais jamais rencontré de clients de cette classe sociale, donc j’avais une relative méconnaissance des dirigeables.

En levant les yeux vers le petit dirigeable volant qui s’élançait dans cette direction, j’avais ressenti que voyager à bord d’un vrai dirigeable pouvait être une expérience inoubliable.

L’objet que Laura tenait dans ses mains semblait être une sorte de sculpture décorative en pierre, et si je devais deviner, ce serait l’appareil avec lequel on contrôlait le petit dirigeable volant.

« Voulez-vous essayer de le déplacer ? » demanda Laura, me tendant l’objet. J’avais acquiescé de la tête avec enthousiasme.

C’était un appareil assez simple. Il suffisait de tenir la sculpture et de penser à la direction et à l’altitude à laquelle on souhaitait que le petit dirigeable se déplace. Il ne m’avait pas fallu longtemps pour apprécier sa nature addictive. Seuls les mages qui maîtrisaient des types spéciaux de magie pouvaient voler comme le faisait ce petit dirigeable modèle réduit. Peut-être serait-il plus juste de dire que l’humanité elle-même idolâtrait le vol à plus d’un titre.

Bien que l’on puisse facilement voyager à travers les nuages sur le pont d’un dirigeable, je n’avais guère les moyens financiers de le faire. Ainsi, la capacité de déplacer ce dirigeable modèle réduit dans le ciel avait été tout un plaisir.

« Je présume que vous vous amusez bien ? » demanda Laura, ses yeux suivaient le dirigeable pendant qu’il se dirigeait par ici et par là.

J’avais aussitôt hoché la tête. « … Oui. Cela me donne presque envie de choisir cela. »

« Je vois. Vous contenteriez-vous de ce dirigeable modèle réduit ? » demanda Laura.

« … Non, pas vraiment, » répondis-je.

Alors que je voulais tellement le ramener à la maison, apporter un jouet sans autre fonction notable chez moi aurait été un peu… Alors que le jeune en moi se serait volontiers contenté d’une telle chose, l’adulte s’y était opposé avec véhémence, affirmant que je devais choisir un objet qui m’aiderait dans ma vie quotidienne.

Mais bien sûr, l’adulte avait raison.

Oui, tu as peut-être raison, adulte intérieur. Mais le travail et le bon sens, c’est tout ce qu’il y a dans la vie ? Est-ce vraiment amusant ? demanda le jeune avec un air de défi.

Eh bien… Hm. Oui, il y avait aussi ça. Quoi qu’il en soit, je devrais vraiment m’abstenir, même si cela m’avait fait mal de le faire…

Juste au moment où j’avais pris ma décision, Laura m’interrompit, ayant apparemment plus à dire sur le petit dirigeable.

« Puisque vous vous amusez tellement, pourquoi ne pas essayer d’utiliser ses autres fonctions ? Essayez de vous concentrer sur le dirigeable en lui-même, » déclara Laura.

J’avais suivi les instructions de Laura avec obéissance. Sans prévenir, la scène sous mes yeux disparut aussitôt, remplacée par un spectacle tout à fait étrange — j’avais l’impression de regarder vers le bas depuis le dirigeable. De ce point de vue, je pouvais voir un homme vêtu, masqué et une belle jeune fille à côté de lui.

 

 

« Qu’est-ce que c’est ? » demandai-je.

Ma panique momentanée avait brisé ma concentration, et avant même que je m’en rende compte, ma vision était revenue à la normale. Devant moi se tenait Laura, qui poursuivait son explication des fonctions du dirigeable.

« Ce petit dirigeable ne fait pas que voler, il est capable d’héberger temporairement la conscience de son contrôleur. Bien que j’aie dit que c’était un modèle, ce n’était pas tout à fait exact. En vérité, les dirigeables à travers le pays ont été fabriqués à l’image de ce petit ici. Celui-ci est l’original, pour ainsi dire. Il est après tout né dans les profondeurs d’un labyrinthe, » déclara Laura.

En d’autres termes, les grands dirigeables qui naviguaient à travers les grands royaumes et les pays des terres n’étaient rien de plus qu’une imitation de ce petit vaisseau jouet flottant dans cette pièce.

Cela dit, la plupart des objets magiques du pays avaient été fabriqués de la même façon, en s’inspirant des découvertes issues de labyrinthes. Même ainsi, les dirigeables contemporains étaient alimentés par la vapeur, et non par la magie, alors je suppose que copier complètement les mécanismes complexes de ce petit appareil était au-delà des capacités actuelles de l’homme.

Les objets magiques trouvés dans les profondeurs d’un labyrinthe étaient notoirement difficiles à comprendre, même après une analyse et une dissection détaillées. La plupart du temps, cependant, il était dans les moyens de l’humanité de créer un objet qui était quelque peu similaire en fonction. Mais la capacité d’héberger sa conscience était tout à fait remarquable en soi.

Je m’étais concentré une fois de plus sur l’objet et, presque immédiatement, j’avais eu droit à une vue à vol d’oiseau de la pièce où nous nous trouvions. Ce n’était plus un simple jouet. Au contraire, c’était un objet terriblement utile. Avec cela, je pourrais observer des endroits lointains depuis les airs. Ce serait un objet inestimable pour prospecter une zone.

Oui, ce n’était plus un simple jouet. Laura semblait être d’accord avec mes pensées.

« Eh bien, oui, je suppose qu’il pourrait être utilisé de cette façon. Prenez note, cependant… Puisqu’il est alimenté par le mana, il lui serait difficile de parcourir de grandes distances. Il serait sage de choisir le moment de l’utiliser. Par exemple, lors de la reconnaissance du chemin à suivre ou pour un bref survol de la région depuis les airs, il en est capable, » déclara Laura.

Laura avait raison. Bien qu’elle ait infusé une bonne quantité de mana dans le cristal magique tout à l’heure, je sentais qu’il ne restait plus beaucoup de carburant dans l’appareil. Je suppose qu’il pouvait voler pendant environ cinq minutes au mieux, car il semblait difficile pour le petit dirigeable de rester dans les airs plus longtemps que cela.

S’il ne pouvait pas parcourir de longues distances, sa fonction de changement de conscience ne serait après tout pas très utile. Peut-être que si l’on avait de grandes réserves de mana, il serait utilisable dans une certaine mesure en allant plus loin. Considérant que Laura avait d’abord utilisé un gros cristal, j’avais supposé que tout mon mana ne pourrait alimenter cet objet que pendant dix minutes, au maximum.

« … C’est ce que je pense. C’est un assez bon objet magique, » déclarai-je.

« Alors, je suppose que celui-là ne vous convient pas ? » demanda Laura, un peu patiemment.

Je m’étais arrêté pour réfléchir avant de donner ma réponse.

« … Non, mais je ne l’exclurais pas encore, je pourrais finir par prendre celui-là à la fin, » déclarai-je.

Même si je ne pourrais pas en tirer grand-chose maintenant, il était possible que je puisse le faire à l’avenir, lorsque mes réserves de mana auraient augmenté de capacité.

Par-dessus tout… c’était amusant de voir le petit dirigeable voler. Ce n’était pas la raison principale de mon choix, bien sûr, mais je ne pouvais pas nier que je voulais jouer avec lui et le faire voler.

Quoi qu’il en soit, je suppose que je devrais porter mon attention sur les autres objets présents. Accompagné de Laura et Isaac, j’avais continué ma promenade dans le sous-sol spacieux.

***

Partie 9

« … Il semblerait qu’il n’y a rien d’autre que de la ferraille dans cette partie de la pièce, » murmurai-je en me promenant dans le sous-sol de la famille Latuule.

En m’arrêtant à un coin de rue, j’avais tendu la main pour toucher des objets éparpillés, curieux de savoir à quoi ils servaient. Laura avait immédiatement paniqué, essayant de m’arrêter.

« Ah ! Non, ne touchez pas à ça ! » cria Laura.

Ses paroles étaient malheureusement arrivées une seconde trop tard. Ma main avait déjà touché le pied de ce qui semblait être une gigantesque pile de déchets. Avant que je ne m’en rende compte, les parties auparavant grises avaient soudain pris une lueur chromatique.

En y regardant de plus près, j’avais touché une sorte de cristal magique. Son mana avait été complètement drainé auparavant, et il avait perdu son éclat. Cependant, avec un seul contact de la main, le cristal avait apparemment repris assez de puissance, et il brillait maintenant faiblement.

Je ne voyais pas pourquoi c’était une cause d’alarme, car de tels événements étaient très fréquents lorsqu’il s’agissait d’objets magiques. Mais Laura ne semblait pas partager mon sentiment.

« Monsieur Vivie… faites de votre mieux pour tenir le coup pendant un petit moment. Je vais immédiatement chercher l’interrupteur. Il doit être quelque part par ici ! Vite ! Vite ! » cria Laura.

Elle s’était précipitée par-ci par-là, cherchant désespérément quelque chose. Confus, j’avais essayé d’approcher Laura, mais j’avais marché tête la première dans une sorte d’obstruction. Je m’étais arrêté sur mes pas.

« C’est…, » balbutiai-je.

J’avais plissé les yeux, inspectant la zone devant moi. Bien qu’il soit transparent, cela dégageait aussi une lueur faible et magique — un mur invisible, né d’un sortilège et du mana. Les mages utilisaient couramment de tels sorts pour se protéger, un peu comme le sort du Bouclier que j’aimais utiliser. Ce type de sort avait de nombreux noms, souvent en fonction de l’échelle et de la forme du mur en question.

Retirant une petite pierre de ma poche magique, je l’avais jetée pour la faire rebondir dans les airs, déviés par le bouclier. Par sa trajectoire, le bouclier avait probablement une largeur de sept ou huit mètres et avait la forme d’un dôme. J’avais l’impression d’avoir été piégé à l’intérieur.

Mais ce n’était pas en soi un gros problème. Si ce bouclier apparaissait parce que j’avais déjà touché le cristal, il disparaîtrait dès que le mana de l’appareil serait épuisé. À en juger par l’expression paniquée de Laura, je pouvais dire que c’était beaucoup plus grave qu’un simple accident stupide. En fait…

« … Hey. Quoi… ? Qu’est-ce que c’est !? » demandai-je.

Le cristal que j’avais négligemment touché il y a quelques instants avait maintenant rassemblé une collection d’objets autour de lui, des objets qui bougeaient et palpitaient, comme s’ils avaient une vie propre à eux. Les objets s’étaient réarrangés de cette façon et cela, donnant bientôt naissance à une forme plus grande et plus cohérente. En regardant sa silhouette globale, j’avais compris que l’élément qui en résultait était… pour ne pas dire plus grand.

« … Un… Golem !? » demandai-je.

Les golems étaient en quelque sorte des marionnettes magiques, nées de techniques magiques ou d’alchimie. Ils étaient propulsés par le mana et étaient capables d’agir de manière indépendante même lorsqu’ils étaient séparés de leurs créateurs. En raison de ces caractéristiques, les Golems pouvaient être déployés de diverses façons et accomplir diverses tâches. Malheureusement, les pièces nécessaires à la fabrication des Golems étaient en général coûteuses et peu d’alchimistes étaient capables de créer des Golems adaptés à des tâches spécifiques. Malgré cela, on pouvait voir des Golems dans certaines parties du pays, et ils apparaissaient parfois comme des ennemis dans certains donjons. Ils étaient familiers à la plupart des aventuriers.

Dans ces circonstances, cependant, les Golems seraient faits de terre ou de roche, à qui on avait donné la vie par des magies primitives. Ces Golems primitifs constituaient plus de la moitié des Golems rencontrés par les aventuriers dans les donjons. Les golems faits de pièces complexes n’apparaissaient pas dans des donjons moins difficiles. Des golems en fer ou en acier existaient et, dans de rares cas, des témoins oculaires ont rapporté des êtres similaires, faits d’or ou de mithril. On ferait une petite fortune si l’on réussissait à vaincre un tel Golem, sans tenir compte du fait qu’il s’agissait d’un ennemi redoutable.

Je n’étais pas en position de vaincre un tel Golem. Alors, que pourrais-je faire de l’être qui se tenait maintenant devant moi ?

C’était sans doute un Golem de haut niveau à en juger par ses parties et son apparence générale. Alors que j’avais précédemment supposé qu’il était composé de pièces de rebut, je m’étais beaucoup trompé. Les parties de son corps n’étaient rien d’autre que les divers objets magiques que Laura avait rassemblés. Un étrange type de roche et de sable remplissait les vides de son être — c’est ce que je pensais.

Mais ce n’était pas le cas, étant donné qu’il s’agissait d’une salle de rangement dédiée aux objets magiques. En tant que telle, cette substance mystérieuse n’était ni de la roche ni du sable, mais un matériau spécial, enchanté par une magie inconnue.

Je devais être suffisamment prudent avec ce Golem, car une seule erreur pouvait être fatale.

Avec un dernier et solide cliquetis, la pièce se tut. Il semblait que le Golem avait fini de s’assembler. Il ne s’agissait plus d’un ramassage de ferraille, mais d’une grande arme humanoïde, armée jusqu’aux dents d’objets magiques de toutes formes et de toutes tailles. Son bras était muni de plusieurs canons magiques — le canon Douramage, comme on les appelait. Son visage, si l’on peut l’appeler un visage, était construit de la même façon, mais avec plusieurs fusils magiques plus minces, communément appelés Fuyuj Douramage. Les deux objets étaient capables de tirer des balles magiques, de leurs canons. Ces balles permettaient de lancer instantanément de la magie. Si des versions anciennes et contemporaines de ces objets existaient, celles du Golem étaient résolument modernes.

Pour couronner le tout, ses mains étaient armées de toutes sortes d’épées et de poignards — des griffes de fortune, peut-être. Il était vraiment armé jusqu’aux dents. Pour empirer les choses, aucune de ces armes n’était banale. Ils étaient tous des objets magiques enchantés à part entière.

S’il y avait une personnification de la violence, il y aurait certainement des limites, mais ce Golem n’avait pas tenu compte de ces limites.

 

 

Je suppose que c’est pour cela que Laura avait paniqué plus tôt. Si j’avais le choix, je m’enfuirais immédiatement. Le bouclier, cependant, m’empêchait de faire quoi que ce soit de la sorte. Tout ce que je pouvais faire, c’est distraire le monstre pendant que Laura cherchait son interrupteur. Vu la situation, il n’y avait rien d’autre que je pouvais faire.

« GRRRAAAAAAAAAGHHHH !! »

Il était même armé d’un mécanisme permettant de reproduire parfaitement le rugissement d’un grand monstre, peut-être pour intimider ses ennemis.

Je n’étais pas vraiment intimidé, mais je n’avais aucune idée de ce que je devais faire ensuite. Le Golem ne semblait pas se soucier du fait que j’étais submergé par la situation, à quelques pas de lui, le Golem avait bougé, et nos yeux s’étaient rapidement croisés.

Il me semblait que la grande taille du Golem ne l’avait guère ralenti, et avant que je ne m’en rende compte, un poing fut bientôt violemment poussé vers moi dans un arc de cercle de balayage. J’avais vite sauté sur le côté, évitant à peine le coup. Le poing du Golem avait heurté l’endroit où je me tenais il y a quelques instants, écrasant les tuiles sous le poids de son coup.

« Si je suis touché par ça, même moi…, » murmurai-je.

Alors que j’espérais que ma nature immortelle serait utile dans cet engagement, je ne me souvenais pas avoir entendu parler d’un mort vivant se rassemblant après qu’il ait été coupé en morceaux. Les vampires étaient capables de telles techniques, mais elles m’étaient malheureusement inconnues. Quoi qu’il en soit, je n’avais pas envie de m’appuyer sur une technique encore inconnue.

« Monsieur Vivie ! Je devrais pouvoir le trouver dans les trois prochaines minutes ! Tenez bon, s’il vous plaît ! Isaac ! Tu te souviens où il est, » demanda Laura.

« Malheureusement non. Il devrait être quelque part dans cette zone…, » déclara Isaac.

Des voix pouvaient passer à travers ce bouclier, et d’après ce qu’Isaac et Laura disaient, il semblait que l’appareil de la plus haute importance échappait encore à leur emprise. Pendant ce temps, je devrais continuer à éviter les attaques du Golem.

J’avais beaucoup plus de soucis à me faire en plus de ses poings et de son grand corps. Si j’étais négligent, il pourrait aussi facilement me piétiner. Pour empirer les choses, il tirait maintenant des coups de fusils et de canons magiques, lançant toutes sortes de sorts dans ma direction.

Heureusement, ces objets ne semblaient pas être d’une très bonne qualité, car leur précision ou leur puissance étaient très faibles. Malgré tout, si l’un de ces sorts atteignait une cible à taille humaine comme moi, il serait certainement fatal. Je ne pouvais pas baisser ma garde.

« … Merde, c’est vraiment n’importe quoi ce truc…, » murmurai-je.

Je pouvais continuer à esquiver et à m’échapper tant que j’avais de l’endurance, mais ma concentration finirait par baisser.

Puis-je faire quelque chose pour le ralentir ? Peut-être, l’endommager d’une façon ou d’une autre… ? Maintenant que j’y pense…

Lorraine était une spécialiste des Golems, alchimiste et tout ça. Si je me souviens bien, Lorraine avait dit quelque chose du genre…

« Écoute-moi, Rentt. Tous les Golems ont une certaine gravure sur le front, des lettres mystiques symbolisant la “vérité”. Il est intéressant de noter que la gravure n’est qu’à un coup de pinceau d’un autre mot, celui de “mort”. Si tu rajoutes le trait approprié, le Golem s’autodétruira rapidement. En tant que tel, si jamais tu rencontres un tel Golem, Rentt, regarde attentivement son front. »

Oui, Lorraine avait dit quelque chose à cet effet… Comme on s’y attendait d’une érudite, elle m’avait donné de l’information vraiment utile.

J’avais levé les yeux vers le front du Golem.

« … Hey. Il n’y a rien d’écrit dans cette zone, » murmurai-je.

En réponse à mon pitoyable monologue, le Golem avait encore une fois frappé vers moi, son grand poing volant dans ma direction. J’avais l’intention d’esquiver encore une fois, mais quelque chose avait attiré mon attention. À la place d’une articulation, ce qui semblait être une sorte de magie immatérielle visible reliait le bras du Golem à son corps. J’avais plutôt instinctivement fait exactement le contraire d’esquiver et sauté vers le haut, envoyant mon épée dans les symboles scintillants. Avec ce simple coup, le bras gauche du Golem tomba rapidement de son corps principal, tombant sans vie au sol.

Oui, c’est un coup de chance.

Les golems ne ressentaient aucune douleur et ne changeaient pas leurs habitudes de mouvement pour refléter les dommages subis. Maintenant qu’il avait un bras court, cependant, ses attaques étaient devenues faciles à prévoir.

S’il n’a qu’un bras, je pourrais éviter ses attaques indéfiniment…

Soulagé, je me détendis un peu, et c’est à ce moment qu’un autre des enseignements de Lorraine me traversa l’esprit.

« Eh bien, tu penses peut-être que c’est simple, Rentt, mais un tel mécanisme ne fonctionnerait que sur un Golem de base. Au départ, cette fonction a été conçue à l’origine par les artisans pour arrêter un Golem en furie — un interrupteur d’arrêt d’urgence, si tu veux. Cependant, les Golems récents ont souvent un dispositif externe qui fait la même chose, mais qui se trouve généralement dans un châssis séparé. C’est pourquoi tu ne devrais pas regarder seulement le front d’un Golem, Rentt. Au lieu de cela, tu dois chercher l’endroit où son interrupteur d’arrêt peut potentiellement être situé. Faute de quoi, tu pourrais toujours le vaincre avec une force brute… »

Oui… Oui, bien sûr, bien sûr. Laura était à la recherche de cet appareil en ce moment même…

Argh ! Cela signifie qu’il n’y a vraiment rien que je puisse faire !

En tout cas, je l’avais privé d’un bras. Je suppose que je pourrais me charger de l’autre… ou du moins je le pensais.

Le Golem, comme s’il lisait dans mes pensées, me fixait du regard. Je suppose que je devrais me reposer un peu. Pour l’instant, l’évasion était la meilleure option.

Je ne savais pas combien de temps s’était écoulé entre ce moment et maintenant…

« … Haha. Alors tu m’as enfin coincé, » déclarai-je.

Grâce au déchaînement incessant du Golem, son environnement avait été réduit en débris et en décombres, et me tenir au milieu de ce tas de tuiles et de poussière brisées était vraiment difficile.

Le Golem leva lentement le poing.

Ai-je épuisé toutes les options ?

Non. J’avais encore un atout dans ma manche.

En me baissant, j’avais infusé du mana dans mon arme. Je ne voulais pas utiliser cette technique devant Isaac et Laura, mais je n’avais guère le choix.

Lentement, le poing du Golem était descendu sur moi. J’avais levé mon épée, prêt pour le pire.

« STOP ! »

Tandis que la voix de Laura résonnait dans le sous-sol, le Golem s’était figé, comme s’il se fossilisait en place. Dès l’instant d’après, il s’était arrêté de bouger. En même temps, le bouclier magique qui m’entourait s’était estompé et le Golem, qui n’était plus capable de conserver sa forme, s’était effondré en une étrange collection d’objets, de poussière et de pierres.

On avait l’impression que cela était arrivé à temps.

Presque aussitôt, Laura et Isaac s’approchèrent de moi, et Laura elle-même se tint devant moi.

« Je m’excuse… Nous avons mis pas mal de temps à trouver le mécanisme en question… Si seulement nous l’avions trouvé plus tôt, » déclara Laura.

Laura baissa la tête avec des remords apparents, mais rien de tout cela n’était exactement de sa faute.

« … Non. C’est moi qui… ai touché l’objet étrange. En premier lieu, qu’est-ce que c’était exactement ? » demandai-je.

J’aurais dû demander à Laura quel était l’objet avant de le toucher, alors peu importe comment on le regardait, le blâme m’était directement tombé dessus.

Avec cela, son expression auparavant rigide s’était adoucie, un sourire chaleureux revenant sur son visage.

« Ah, oui, oui. C’est un Golem, comme vous pouvez le voir… Contrairement aux modèles plus normaux, il n’aurait besoin que d’un tout petit peu de pouvoir magique. Une fois qu’il l’aura, il continuera à absorber le mana de son environnement, en absorbant des matériaux d’une qualité supérieure à la sienne. Il s’en trouverait renforcée. Le bouclier qui vous enveloppait tous les deux a été absorbé par le Golem, qui l’a utilisé pour vous piéger. Je vous présente mes plus humbles excuses…, » déclara Laura.

Quelle arme terrifiante… ! Tant qu’il avait un adversaire, son environnement était plongé dans le chaos.

« C’est de ma faute, Laura. Ne vous inquiétez pas à propos de tout ça. Cependant, est-ce que quelque chose comme ça est-il facile à réaliser ? » demandai-je.

« Eh bien… Non. Il est né d’un labyrinthe, et il a coûté beaucoup d’argent. Je suppose qu’il n’y a pas d’autres objets comme celui-ci, » répondit Laura.

Un objet magique unique du fond des labyrinthes.

Je suppose que la plupart des articles réapparaîtraient avec le temps. Cependant, ce Golem spécifique n’était apparu qu’une seule fois. Il serait raisonnable de supposer que Laura achèterait simplement toute autre copie qui aurait fait surface. Si je devais le deviner, c’est grâce à ces recherches continues qu’elle l’avait déclarée unique.

« À ce propos, existe-t-il d’autres objets comme ça dans ce sous-sol ? » demandai-je.

« À propos de cela…, » Laura avait détourné son regard de ma question.

Je suppose que c’était un oui.

Maintenant, plus que jamais, j’avais réalisé que le fait de toucher ces objets avec insouciance pouvait engendrer leur propre danger.

Quel sous-sol dangereux… !

Laura, comme si elle comprenait mes préoccupations, me rassura rapidement. « Rassurez-vous, je vous informerai quand nous serons de nouveau à côté d’un tel objet. Ne vous inquiétez pas… »

« … Oui. J’aimerais beaucoup que vous le fassiez, » déclarai-je.

Bien que ce fut une réponse sincère de ma part, je n’arrivais pas à me défaire du fait que rien de tout cela ne serait arrivé si j’avais été un peu plus prudent. Je devrais vraiment prendre le contrôle de mon insouciance…

J’avais rapidement décidé de changer de sujet.

« Malgré tout, un golem qui est capable d’absorber et d’utiliser les autres objets magiques dans son environnement, c’est vraiment une effrayante créature, » déclarai-je.

« L’alchimie de l’époque a probablement rendu possible l’assemblage d’un tel Golem, mais il est en effet difficile pour quelque chose d’intégrer et d’utiliser autant d’objets à la fois. La capacité d’absorber la magie de son environnement n’est pas une capacité que la plupart des Golems possèdent. Pour empirer les choses, ce sous-sol est plein d’objets magiques qui sont infusés de mana d’une manière ou d’une autre, c’est pourquoi il a commencé à bouger si vite… Je devrais vraiment reconsidérer la possibilité d’entreposer cette chose dans un autre bâtiment, » dit Laura en acquiesçant de la tête.

« Revenons à notre sujet, Monsieur Vivie. Vous n’avez pas l’air blessé, alors aimeriez-vous continuer à choisir un objet magique ? Si vous êtes fatigué, ça ne me dérange pas de vous voir un autre jour…, » déclara Laura.

Comme Laura l’avait dit, je n’avais pas été blessé ou frappé d’aucune façon. En fait, c’était un bon exercice. Vu que j’avais déjà stabilisé mon souffle et que je me sentais relativement bien. J’avais donc supposé que je devais continuer le processus de sélection.

« Je vais bien. Si vous êtes d’accord, Laura, j’aimerais continuer, » déclarai-je.

Honnêtement, une partie du sous-sol semblait prête à s’effondrer à tout moment, après avoir subi des dégâts importants lors de la bataille. Mais Laura avait rejeté mes inquiétudes avec quelques frappes dans ses mains. Sortis de nulle part, une petite équipe de serviteurs était apparue, et ils avaient rapidement commencé à déblayer les décombres. Ce qui m’avait le plus surpris, ce n’est pas l’arrivée immédiate de ces serviteurs, mais le fait qu’ils utilisaient tous des objets magiques.

« Il n’y a pas de problème de mon côté, non. » Laura se tourna vers moi en souriant. « Eh bien, alors, continuons… ? »

Nous avions recommencé à marcher, en nous aventurant plus profondément dans le sous-sol.

***

Partie 10

C’est ainsi que j’avais pu inspecter de nombreux objets magiques.

La variété de la collection de la famille Latuule m’avait impressionné, à part le dirigeable modèle réduit, il y avait le dispositif de protection qui m’avait piégé plus tôt, ainsi qu’un objet qui me donnait une certaine flottabilité. Il y avait aussi des objets pour l’annulation de tous les types de poisons, une arme qui cristallisait le mana en une lame physique, une armure qui combattait aux côtés de son maître tant qu’elle était nourrie de mana… et même une sarbacane qui tirait des boules de feu sur sa malheureuse cible. Je n’aurais jamais pensé que de tels objets pourraient même exister !

Pour moi, deux objets m’avaient plu : le petit dirigeable et un objet magique capable d’altérer la voix de celui qui le maniait. Le dirigeable était… vraiment agréable à bien des égards. Mais ce dernier était un objet qui pouvait m’aider avec ma voix râpeuse. Le problème, c’est qu’un jour, un tel objet me dépasserait.

« Avez-vous pris votre décision ? » demanda Laura, son attitude gracieuse n’avait guère diminué face à mon hésitation et à mes réflexions prolongées.

J’étais reconnaissant de son hospitalité, mais j’étais vraiment un peu trop lent à me décider. Aussi malheureux que ce fût, et aussi regrettable que cela l’ai été, c’était un choix important.

Je n’avais pas d’autre choix que d’accepter les circonstances, et j’espérais que la patience de Laura aurait tenu bon. Mais Laura n’avait pas eu l’air vraiment ébranlée par mes délibérations sans fin.

« En vérité, je suis assez troublé par les possibilités. Hm… ? » déclarai-je.

En me frottant le menton d’une main libre, mes yeux s’étaient posés sur quelques… objets insolites dans le sous-sol. Je n’avais pas pris la peine de cacher ma curiosité, posant la question à Laura presque immédiatement.

« Qu’est-ce que c’est que ceux-là ? » demandai-je.

« Ahhhh… Oui. Comme vous pouvez le voir, Monsieur Vivie. C’est un matériau issu de monstres. Bien qu’il ne s’agisse pas d’objets magiques, je suis quelque peu conquise par leur complexité, et j’en ai donc une petite collection, » répondit Laura.

J’avais regardé les objets en question. Le montant n’était pas du tout « petit », mais peut-être que les Latuules avaient simplement un sens différent de l’échelle. L’écaille d’un dragon, la corne de licorne, les os de géants… Des matériaux précieux étaient empilés les uns sur les autres ou cachés dans des petits recoins ici et là. Ils valaient tous une bonne somme d’argent.

Vraiment impressionnant !

J’avais continué à inspecter la pile, pour tout simplement m’arrêter à un certain objet. Suivant ma ligne de vision, Laura m’avait devancé avec une question qui lui était propre.

« Celui-là est peut-être à votre goût ? » demanda Laura.

« Hmm, peut-être, » répondis-je.

Laura avait récupéré l’objet pendant que je hochais la tête, le tenant devant moi. Il s’agissait d’un récipient long, mince et cristallin avec un liquide sombre et cramoisi scellé à l’intérieur de ses confins.

« C’est une fiole de sang de vampire, » poursuit Laura. « Un matériau couramment utilisé dans la fabrication de médicaments magiques, comme catalyseur alchimique, ou pour la fabrication d’armes, d’équipements, et autres… »

◆◇◆◇◆

« Bien que je ne puisse offrir aucune assurance quant à savoir si le fluide à l’intérieur est vraiment le sang d’un vampire, cela m’importe peu, car j’étais plus intéressé par le conteneur en lui-même. C’est un objet magique qui conserve son contenu pendant une longue période, c’est pourquoi je l’ai récupéré lors d’une vente aux enchères, » déclara Laura.

« Vous ne vous souciez pas du fluide qu’il contient ? » demandai-je.

La déclaration de Laura était compréhensible à la lumière des tendances de la famille Latuule où les objets magiques passaient en premier et les matériaux magiques en second. Même ainsi, le sang d’un vampire n’était pas un objet banal.

Il était possible de recueillir le sang d’un vampire qui venait de réapparaître dans un labyrinthe, mais dans la plupart des cas, cela ne se produisait jamais. S’ils étaient livrés à eux-mêmes, les vampires avaient tendance à former des réseaux de relations vastes et complexes, reliant les familiers et les esclaves avec leur pouvoir issu de leur sang. Si un petit vampire devait évoluer davantage, les chances qu’il soit facilement capturé s’amenuiseraient rapidement. Les vampires matures, en particulier, étaient difficiles à distinguer des êtres humains normaux, et ils vivaient très longtemps. Certains vampires exerçaient même d’immenses pouvoirs sociaux à travers le pays, et étaient difficiles à gérer.

En d’autres termes, on ne pouvait pas extraire le sang d’un vampire simplement parce qu’on le voulait. Je n’avais pas pu m’empêcher d’être surpris par la déclaration dédaigneuse de Laura, mais hélas, vu son amour et son intérêt pour les objets magiques, il fallait s’attendre à tout cela. Pour moi, cependant, la fiole dans ses mains valait son poids en or — peut-être un peu plus.

Malgré son manque d’intérêt, Laura avait rapidement fourni une explication plus détaillée du contenu du flacon.

« Eh bien, Monsieur Vivie. La rumeur dit que le sang d’un vampire donne une vie éternelle s’il est consommé, transformant pour ainsi dire la personne en question en un autre vampire. Les nobles stupides qui désirent la vie éternelle achètent souvent de tels objets — et bien sûr, ils peuvent être vendus à des individus de cette nature pour une bonne somme, » déclara Laura.

« Une… Une rumeur ? » demandai-je.

Même moi, j’avais entendu parler de telles rumeurs : si un être humain était mordu par un vampire et injecté avec une partie de son sang, cet être humain deviendrait un vampire à part entière. Edel était un bon exemple, car il avait consommé mon sang et était devenu une existence qui était un peu proche de la mienne. Même les familiers étaient des vampires, mais je suppose qu’il y avait une certaine distinction dans les classifications que je ne connaissais pas.

Dans tous les cas…

« Mais la véracité de ces affirmations est discutable. Il existe effectivement des dossiers sur des individus qui ont bu du sang de vampire, mais ces dossiers mentionnent aussi qu’ils ont perdu la tête et, dans certains cas, qu’ils sont même morts. Dans d’autres cas, ils sont simplement devenus invalides pour le reste de leur vie. Même si, hypothétiquement, il y a eu des individus qui ont réussi à le faire, aucun dossier détaillant de tels événements n’a été laissé de côté. Après tout, les vampires sont immortels, qui d’autre déclarerait ouvertement qu’ils sont des vampires au monde civilisé en général ? » demanda Laura.

Une situation à laquelle je pouvais très bien m’identifier sur le plan personnel, sans doute, puisque je n’avais pas l’habitude d’annoncer ma constitution immortelle au grand public. Certaines personnes particulièrement proches de moi étaient au courant de mon secret, mais même moi, je ne voulais pas laisser de traces de mes perspectives d’évolution pour la postérité.

« Je suppose que oui, » déclarai-je.

« Il ne s’agit donc que d’une rumeur, ni plus ni moins. Pourtant, face aux possibilités d’une vie immortelle ou d’une invalidité, les gens semblaient prêts à prendre de tels risques. Du moins, ces individus semblent exister, peu importe l’époque, c’est pourquoi cette petite fiole aurait un prix tout à fait respectable…, » déclara Laura.

Le ton de la voix de Laura était visiblement méprisant, non pas que je puisse lui en vouloir pour une telle vision des choses. Pour une raison ou une autre, Laura semblait penser que ceux qui cherchaient la vie éternelle avec tant d’insouciance n’étaient que des idiots, du moins, c’est ce que son comportement suggérait. Était-ce vraiment le cas ?

Bien que je ne pensais pas que la vie éternelle était nécessairement une mauvaise chose, mes associés les plus mortels finirent par vieillir et mourir, me laissant assister à leur mort à maintes reprises. Mon cœur finirait-il par pourrir et par lâcher prise face à la perte de tous ceux qui m’étaient chers ? Je ne pouvais pas nier une telle possibilité. Même si je vivais éternellement, ceux qui m’entourent seraient toujours réclamés par la mort. Je suppose que je serais triste, mais l’impact serait faible. Petit, oui, mais répété deux fois ? Trois fois ? Des centaines, des milliers de fois… ?

J’étais un peu désabusé à la perspective de la vie éternelle. Si je ne pouvais pas revenir à mon moi humain, un tel jour arriverait-il un jour ? Vais-je voir Lorraine et Sheila vieillirent avant de mourir alors que leurs derniers instants se refléteraient devant moi ?

Ça semblait… solitaire et douloureux. D’un autre côté, ce n’était pas quelque chose que je pouvais raisonnablement imaginer pour l’instant. La vie éternelle était-elle une bénédiction ou une malédiction ? Jusqu’à ce que je vive assez longtemps, je suppose que je ne serais jamais capable de le dire.

J’avais reporté mon attention sur la fiole de sang de vampire que Laura avait dans ses mains. Pour une raison inconnue, j’étais rempli d’un fort… désir. C’est ce même sentiment qui m’avait submergé quand j’avais mordu l’épaule de Lorraine… juste avant mon évolution vers un Thrall.

Je pourrais dire que ma réaction était un simple désir de sang comme moyen de subsistance, mais je ne pouvais pas écarter cette possibilité dans mon esprit. À savoir, la possibilité que la fiole dans ses mains soit exactement ce dont j’avais besoin pour ma prochaine Évolution Existentielle.

Avant ça, j’avais vaincu beaucoup de monstres dans le marais des Tarasques, et dans tous les cas, c’étaient des bêtes fortes. Mais malgré le nombre de monstres que j’avais tués et la force vitale que j’avais absorbée, je n’étais encore rien de plus qu’un Thrall. Il y avait une légère possibilité que je n’aie pas eu ma juste part, mais j’avais le sentiment de ne pas remplir certaines conditions qui, si elles étaient remplies, annonçaient mon évolution.

Avant d’arriver ici, je n’aurais jamais pu imaginer ce qu’était cet ingrédient manquant. Mais maintenant, entre ses mains…

Une fiole de sang de vampire…

Si je consommais cela, j’évoluerais sûrement, peut-être en transcendant mon état actuel d’existence.

Était-ce mon instinct au travail… ? L’instinct qui me poussait vers cette fiole était beaucoup plus faible que lorsque j’étais forcé à prendre une bouchée de Lorraine. C’était peut-être dû à mon sens aigu du moi, en plus du fait que mes facultés logiques étaient en grande partie intactes. Au contraire, je n’étais pas sur le point d’être possédé et d’arracher la fiole des mains de Laura.

En tout cas, j’étais maintenant sûr de ce que je voulais.

J’étais une créature qui se nourrissait de sang. Peut-être que j’étais juste gourmand, et cette fiole de fantaisie rendait son contenu d’autant plus délicieux, je ne pouvais pas ignorer cette possibilité. Il était également tout à fait possible que rien ne se produise même si je buvais le sang, mais je suppose que c’est ainsi que les possibilités fonctionnaient.

Si je laissais passer cette opportunité, je devrais capturer un vampire de mon côté, ce qui n’était pas un exploit facile. J’avais peu de choix en la matière, et c’est ainsi que j’avais pris ma décision.

« … J’aimerais bien avoir ceci, » déclarai-je.

« Cette fiole de sang de vampire ? Vous ne cessez de m’étonner par vos choix intéressants, Monsieur Vivie…, » déclara Laura.

Les yeux de Laura s’ouvrirent en grand en raison de l’étonnement. J’avais l’impression que Laura pensait que je choisirais autre chose —, je suppose, le petit dirigeable, étant donné le plaisir que j’avais à m’en servir. Il y avait aussi beaucoup d’autres objets magiques qui m’auraient aidé d’une façon ou d’une autre, comme des armes assorties, des objets de convenance et d’autres. Même si le sang de vampire pouvait être transformé en médicaments ou en élixirs, je suppose que peu de gens le demanderaient et le consommeraient juste pour voir ce qui arriverait.

Je pourrais le vendre, bien sûr, mais il y avait beaucoup d’autres objets magiques dans ce sous-sol, dont certains permettraient d’obtenir beaucoup plus d’argents. Cependant, à la lumière de ma situation personnelle, c’était sans aucun doute le choix le plus judicieux.

« Peut-être est-ce l’un vos intérêts personnels ? Ou alors, y a-t-il une raison plus profonde à votre choix ? » demanda Laura.

« … L’un de mes associés effectue des recherches sur les aspects biologiques des monstres. Je suppose qu’elle apprécierait beaucoup un spécimen comme celui-ci, » répondis-je.

C’était, sans aucun doute, un mensonge. Je parlais de Lorraine et, en tenant compte de son travail, il y avait vraiment une part de vérité dans ma déclaration. Mais je ne pouvais en aucun cas dire à Laura la vérité, d’où ma formulation volontairement ambiguë.

Laura semblait comprendre qu’il y avait un sens plus profond dans mes mots. Plissant momentanément ses sourcils, elle m’avait regardé droit dans les yeux pendant un moment, avant de finalement se relâcher, un sourire illuminant son visage.

« Vraiment… ? Dans ce cas, Monsieur Vivie, je vous accorde ce cadeau. Vous recevrez également le récipient avec lui. D’une pierre, deux coups, si vous y pensez, » déclara Laura.

***

Partie 11

Cela va sans dire, mais je n’allais pas ouvrir le conteneur et vider son contenu devant Laura et Isaac.

Boire du sang de vampire comme si c’était une potion devant des nobles ! Quel culot !

Pourtant, je ne pouvais nier que j’avais envisagé de le faire, mais le produit que j’avais entre les mains pouvait transformer un être humain normal et fonctionnel en invalide si quelque chose tournait mal. Aucun être humain normal ne le boirait avec autant d’enthousiasme, et peut-être pas en une seule gorgée. Au moins, j’aimerais croire qu’un tel être humain ne pourrait pas exister. J’étais déjà étrange et quelque peu suspicieux en termes d’apparence, alors je n’avais aucun désir d’exacerber ce problème et de laisser une impression étrange à mes hôtes.

« Eh bien, alors… On retourne à la surface ? Nous avons ce que nous sommes venus chercher, » demanda Laura.

J’avais hoché la tête en réponse.

Nous avions vite fait demi-tour, gravissant les marches de pierre en spirale. Alors que j’avais des regrets pour le petit dirigeable que j’avais laissé derrière moi, j’avais vraiment fait mon choix. Même si cela me faisait mal, je ne pouvais que renoncer à l’objet, en suivant Laura hors de la pièce.

Si ce que Laura avait dit était vrai, le petit dirigeable était né des profondeurs d’un labyrinthe, alors avec un peu de chance, je pourrais aussi trouver un objet similaire dans mes voyages. J’aurais du mal à dire qu’il n’y aurait absolument aucune possibilité d’en trouver un autre.

Supporte-le, Rentt. Endure-le avec tout ton cœur et ton âme…

Je traînais mes lourds pieds vers le haut, pas à pas, à contrecœur, tandis que Laura m’éloignait de plus en plus du petit dirigeable qui avait si captivé mon esprit.

◆◇◆◇◆

De retour à la surface, j’avais été conduit vers ce qui semblait être une sorte de salon de réception. Comme je m’y attendais, chaque meuble et chaque décoration de cette pièce était de première qualité, c’était des objets uniques fabriqués par des artisans et des ateliers célèbres de la capitale dont même moi, j’avais entendu parler.

Je me souviens même d’avoir vu certains de ces objets lors de ventes aux enchères célèbres auxquelles j’avais assisté auparavant. C’était vraiment impossible pour quelqu’un comme moi d’en acheter, mais j’avais l’impression que certains de ces articles seraient impressionnants sur ma cheminée. Un tel jour n’était jamais venu, et j’avais fini par renoncer à cette perspective, mais j’avais fini par trouver ces mêmes objets dans un manoir que je venais de visiter. La vie était étrange et à sa façon, amusante.

« Eh bien ! Je suppose qu’on devrait passer au sujet qui nous occupe. Après tout, vous n’êtes pas là pour jouer, n’est-ce pas, Monsieur Vivie ? » déclara Laura, s’excusant apparemment de m’avoir mené sur une chasse au trésor dans un labyrinthe de haies de roses.

J’étais ici uniquement parce qu’Isaac m’avait fait une requête à mon nom, et je n’avais pas signé pour être enfermé dans un labyrinthe et qu’on observa mes efforts pour m’en tirer. Malgré cela, de telles pratiques n’étaient pas rares chez les nobles, qui aimaient tester ceux qu’ils invitaient chez eux.

Même si un proche collaborateur prétendait qu’un certain aventurier avait des compétences, je suppose qu’il était toujours préférable d’en être témoin par soi-même. Dans la plupart des cas, le client demandait à l’aventurier ou au mercenaire en question de combattre un champion de son choix ou d’aller chercher un objet spécial avant de lui confier la tâche. Il ne s’agissait pas du tout d’une pratique admirable. Mais la plupart de ces nobles clients avaient des richesses et un pouvoir ridicules, et les récompenses étaient suffisantes pour que même les aventuriers les plus chevronnés s’arrêtent et se réjouissent.

Pour certains, il n’y avait pas grand-chose à perdre à accepter un tel défi, de sorte que de telles pratiques étaient silencieusement, et parfois à contrecœur, acceptées. J’avais même reçu un cadeau de Laura pour mes problèmes, bien que beaucoup de nobles aient testé des individus qu’ils avaient embauchés sans récompense, et que certains aient même déclaré avec fierté que le fait d’être mis à l’épreuve était un honneur. Bien que ces clients n’aient plus beaucoup d’aventuriers pour faire leurs offres après coup, on entendait encore parler de tels cas de temps à autre.

Un aventurier et son client devraient être sur un pied d’égalité, ce qui était l’opinion de la guilde en général.

« Cela ne me dérangerait pas si vous jouiez avec moi d’une telle façon, encore une fois. En fait, si je retournais une fois de plus dans le labyrinthe est-ce que je recevrais encore une fois un cadeau ? » demandai-je.

« Haha ! » Laura avait ri avec joie de ma suggestion insolente. « Vous ne cessez jamais de m’amuser, Monsieur Vivie. Aimez-vous tant ce petit dirigeable ? Il y a beaucoup d’autres objets qui pourraient mieux vous servir, vous savez. »

Elle avait vu à travers ma mascarade idiote presque instantanément.

Mais elle n’avait pas tort. Si Laura le permettait vraiment, je franchirais volontiers demain matin ce labyrinthe de haies de roses, même si cela prenait toute la journée. C’est à ce point que je voulais le petit dirigeable.

« Il ne s’agit pas de savoir si c’est utile, je le veux vraiment, c’est tout simplement ça, » répondis-je.

Laura acquiesça sagement à ma déclaration. « Oui, c’est bien vrai. Dire que je rencontrerais un camarade ayant des intérêts similaires dans ces mêmes couloirs… Ah ! mais malheureusement, Monsieur Vivie, le labyrinthe est généralement une affaire ponctuelle pour la plupart des gens, et donc… »

Une ancienne tradition de la famille Latuule, peut-être, ou peut-être juste un caprice de Laura. Je ne connaissais pas les raisons exactes, mais je ne pouvais que supposer qu’un individu conquérant le labyrinthe plusieurs fois et réclamant plusieurs objets comme cadeaux finirait par vider le coffre-fort… pour ainsi dire.

Si c’était le cas…

Non ! Le petit dirigeable serait à jamais hors de ma portée !

Le choc pour mon psychisme était immense, il rivalisait même avec le choc que j’avais ressenti lorsque j’avais réalisé que je serais probablement toujours un aventurier de la classe Bronze. Telle était l’ampleur de ma déception. J’avais ressenti un profond sentiment de perte…

C’était quelque chose à laquelle je n’avais pas l’habitude de penser, quelque chose qui ne me traversait pas l’esprit. Mais… Ah. L’impact de cette réalité sur mon âme… J’avais ressenti une profonde tristesse douce-amère au fond de mon cœur.

Non, Rentt. Tu dois te concentrer sur d’autres choses et travailler à l’atteinte de tes objectifs. Des objectifs plus ambitieux et à plus long terme.

Ou du moins, j’avais essayé et j’avais rapidement échoué…

J’étais, et je serais toujours, en état de choc absolu. Je suppose que j’avais l’air vraiment pitoyable selon Laura, qui regardait dans ma direction avec un mélange de compassion et d’amusement.

« Le petit dirigeable fait partie de la collection de la famille Latuule… et j’y suis personnellement attachée. Cependant, si vous le désirez tant, il peut y avoir certaines… façons…, » déclara Laura, maintenant apparemment troublée par mon obsession apparente.

En entendant ses paroles, j’avais lentement levé la tête, la regardant droit dans les yeux tandis que j’arrêtais de remuer les doigts.

« Pour en revenir au sujet qui nous occupe, Monsieur Vivie, » poursuit Laura. « Vous êtes ici aujourd’hui parce qu’on vous a été demandé en nom propre pour accomplir une certaine tâche : à savoir la récupération régulière de Fleurs de Sang du Dragon. Je suppose que vous comprenez tout ça ? » demanda Laura.

« Oui. Cependant, le client…, » déclarai-je.

« Ah, oui, oui. Le client serait Isaac. Mais vous auriez sûrement déjà déduit la vérité après m’avoir rencontrée, » déclara Laura.

« … Oui. J’ai déjà compris que la vraie cliente, c’était vous, Laura, » déclarai-je.

Si c’était vraiment une demande d’Isaac, il n’avait qu’à me rencontrer en personne. Il pouvait dire à Laura que l’aventurier était là et sa maîtresse n’aurait pas vraiment besoin de me parler. Isaac aurait pu expliquer les termes de l’accord.

Cependant, dès que j’avais rencontré Laura, j’avais immédiatement compris la nature de l’affaire. C’était juste une supposition, car je n’avais pas la prétention de connaître la vérité, mais il me semblait que j’avais largement raison.

Laura continua. « Je consomme ces Fleurs de Sang du Dragon — enfin, leur extrait, si je puis dire — à intervalles réguliers. C’est pourquoi Isaac les a cueillis pour moi dans le Marais des Tarasques. Cependant, le pauvre Isaac semble être un peu surmené ces derniers temps, et en tant que sa maîtresse, je suppose que j’aimerais lui donner un peu de temps libre. »

Laura avait raison, entretenir une maison de cette taille et braver régulièrement le Marais des Tarasques n’était pas une mince affaire. Je ne pouvais qu’imaginer le fardeau que cela représentait pour Isaac et les autres serviteurs de la famille Latuule.

Mais je suppose que ce n’était pas tout à fait exact. Isaac était le seul à s’aventurer dans le marais, alors le fardeau reposait peut-être uniquement sur ses épaules.

L’entretien du manoir est une tâche herculéenne en soi… Et en plus, il devait régulièrement braver le marais ?

Si je devais faire des suppositions éclairées sur la façon dont les domestiques faisaient leur ménage, je ne pourrais même pas imaginer les détails exacts d’un tel processus.

« Si j’accepte cette demande, est-ce que Isaac pourra se reposer ? » demandai-je.

« Pourquoi, oui, oui ? Eh bien, Isaac lui-même est de cet avis. Bien qu’il ait beaucoup de travail à faire ici au manoir, je dois vous faire savoir qu’Isaac est l’un de mes serviteurs les plus compétents. Si vous pouviez lui épargner la peine d’explorer le marais si souvent, je suis sûre qu’il aurait plus de temps pour se reposer. C’est vraiment tout ce qu’il y a à faire, » déclara Laura.

Isaac, pour sa part, était resté silencieux, se tournant simplement vers nous deux et acquiesçant au moment opportun.

Hmm. Je suppose que c’est bien…

Je n’avais pas fait tout ce chemin en voulant m’impliquer profondément dans la situation personnelle de la famille Latuule, et je ne devais pas m’en mêler trop profondément. Le fait qu’Isaac ait eu un peu plus de temps pour lui était une bonne chose, mais sans aucun rapport avec mes intérêts.

Ce qui était vraiment important pour moi, Rentt Faina, c’était ce petit dirigeable modèle réduit.

« Je vois. Si je fais cette tâche pour vous, le petit dirigeable…, » commençai-je à dire.

Je voulais savoir quel était le point de vue de Laura à ce sujet, mais elle semblait avoir déjà pris sa décision.

« Si vous acceptez la tâche, alors oui, Monsieur Vivie. Vous aurez le petit dirigeable. Ah, bien sûr, cela n’a pas d’impact sur le montant original d’argent dont nous avons convenu dans le contrat. Rassurez-vous, votre récompense est intacte, pour ainsi dire, » déclara Laura.

***

Partie 12

« V-Vraiment !? » Je n’arrivais pas à croire ce que je venais d’entendre.

« Oui…, » répondit Laura. « Eh bien, pour commencer, le Marais des Tarasques est tout un défi, même pour les aventuriers les plus expérimentés, n’est-ce pas ? Si cela vous motive à vous donner à fond, Monsieur Vivie… alors quelque chose comme ça serait un petit prix à payer. »

« Quelque chose comme ça, » ? « ça », ce dirigeable représenterait une petite fortune s’il était vendu, telle était sa valeur ! Pour l’écarter comme s’il ne s’agissait que d’un petit changement dans le contrat… Comme c’est audacieux de leur part !

Je ne sentais rien d’autre qu’un profond sentiment de gratitude envers Laura. Elle avait imprégné mon corps et mon âme. En ce moment, moi, Rentt Faina, j’étais prêt à jurer ma loyauté éternelle et inébranlable à cette jeune femme.

Mais bien sûr, c’était inutile…

« Je suppose que si l’on s’embête à demander, on peut trouver de bonnes affaires, » déclarai-je, en essayant d’obscurcir le fait que j’étais aux anges lors de cet arrangement.

Je me demande si Laura avait vu à travers ma mascarade… Alors qu’elle avait l’air jeune, la férocité de la logique qui l’habitait dans ses yeux la peignait comme une adulte raisonnable. La sagesse dans son regard suggérait presque une histoire sanglante de batailles menées contre divers chefs de puissantes familles de marchands et de nobles qui possédaient des continents entiers. Je me demandais combien de défis il fallait surmonter pour arriver à un tel point dans la vie, et quelles expériences étaient nécessaires pour un tel exploit. J’avais du mal à l’imaginer.

En tenant compte de tout cela, je n’avais pas un seul doute dans mon esprit que Laura avait déjà lu mon esprit d’un bout à l’autre. C’était une dame digne de ce nom, me suggérant seulement de m’offrir le petit dirigeable après m’avoir vu gigoter et me plaindre sans fin. En fait, j’avais fait un mauvais travail pour cacher ma joie — ah, je pourrais bientôt le tenir dans mes mains une fois de plus ! Malgré tout, Laura me regardait calmement, sans dire un mot…

Ce n’était pas un comportement enfantin, ou je ne pensais pas que ça l’était. Les aventuriers étaient le genre d’individus à utiliser tous les moyens possibles pour saisir ce qu’ils cherchaient, même si ces moyens étaient une série de comportements enfantins visant à ce que leur hôte ait pitié d’eux et leur accorde l’objet de leurs désirs.

Vous êtes vraiment pathétique, Rentt Faina…

Mais non, je ne pouvais pas refuser, je devais l’avoir.

Oh, petit dirigeable. Tu es à moi, et seulement à moi. Je ne te donnerais jamais à personne…

Eh bien, plaisanteries mises à part... Mais était-ce vraiment une blague ?

Peut-être… Je m’étais tourné vers Laura, poursuivant notre conversation. Laura semblait un peu troublée au fur et à mesure que la conversation avançait.

« Bien que tout aventurier de classe Argent digne de ce nom n’aurait pas de mal à récupérer les fleurs, le voyage là-bas pose certains… problèmes, comme vous le savez, j’en suis sûre. Certains vêtements et équipements ne survivraient pas au voyage, en plus de la menace toujours présente du poison. Comme certains poisons agissent lentement, il peut être difficile de prévoir et de se préparer à de tels événements. Et puis il y a les Tarasques… Oui, elles peuvent généralement être évitées si l’on transporte de l’eau bénite avec soi, mais il y a aussi des cas où des monstres individuels deviennent incroyablement agressifs à cause des guerres de territoire entre leurs espèces. Au vu de tout cela, j’avais vraiment envie d’engager un aventurier de classe Or, mais hélas, il faudrait faire un voyage dans la capitale pour un tel rendez-vous…, » déclara Laura.

Chacun des points soulevés par Laura était parfaitement logique. Bien qu’il existe des aventuriers capables de tout ce qui précédait, on ne les trouverait pas dans une ville rurale comme Maalt, peu importe la richesse ou la puissance du client. Moi, à mon tour, je serais une trouvaille assez rare pour les Latuules, car il se trouve que mes capacités correspondaient à ce qu’ils recherchaient, et m’engager serait mutuellement bénéfique.

Un raisonnement convaincant. Mais il y a quelque chose qui avait attiré mon attention.

« … Je comprends votre point de vue. Je ne suis pas contre l’acceptation de la demande. Cependant… avec le fait que vous avez besoin de consommer des extraits de Fleur de Sang du Dragon sur une base régulière… Peut-être, Laura, souffrez-vous de… la Maladie de l’accumulation du Miasme ? » demandai-je.

Laura semblait décontenancée, surprise par ma question.

« Vous connaissez le nom de cette maladie, Monsieur Vivie… ? Alors, la raison pour laquelle vous vous êtes aventuré dans le marais en premier lieu…, » déclara Laura.

Je voulais répondre à la question de Laura, mais j’avais l’obligation de garder secrets les renseignements personnels de mon client. Je pouvais lui dire que j’avais accepté une demande de même nature, mais je ne pouvais pas divulguer plus de détails que cela. Et pourtant, Laura était parvenue à une certaine déduction avec le peu d’informations qu’elle avait sur moi — une autre démonstration de l’influence des Latuules sur Maalt. S’ils souhaitaient obtenir des informations, elles leur parviendraient sûrement par l’un ou l’autre canal.

Quoi qu’il en soit, je resterais fidèle à mes principes.

« Cela, je ne peux pas vous le dire, » déclarai-je.

Laura semblait comprendre le sens de mes mots. « Je m’excuse, j’ai l’air d’avoir dépassé les bornes. Mais avec ceci, je suis sûre que vous comprenez ma situation, Monsieur Vivie. Bien que la maladie d’accumulation du miasme puisse être traitée de façon permanente dans ses premiers stades avec l’extrait de Fleurs de Sang du Dragon, la maladie ne peut plus être guérie une fois qu’elle atteint un stade terminal. Je n’en mourrais pas subitement, mais en échange, j’ai besoin d’essence fraîche de la Fleur de Sang du Dragon régulièrement. D’où ma demande. »

J’avais hoché la tête en entendant les mots de Laura. Si je lui demandais d’en dire plus, ce serait moi qui dépasserais ses limites.

Je ne connaissais pas grand-chose de la maladie de l’accumulation du miasme — de penser qu’elle deviendrait permanente à un stade ultérieur… Sœur Lillian de l’orphelinat avait eu la chance d’avoir été guérie si tôt.

Un seul voyage pour cueillir quelques fleurs était une chose, mais des voyages réguliers pour un approvisionnement constant en étaient une autre. Je suppose que je l’avais peut-être vraiment fait cette fois-ci, en répondant à une demande d’une telle ampleur.

Quoi qu’il en soit, je comprenais maintenant les circonstances de Laura, et j’avais une bonne compréhension de la demande en question, en plus des récompenses proposées. Accepter cette demande ne semblait pas hors de question et, oui, les récompenses étaient tout à fait correctes.

Je m’étais tourné vers Laura, j’avais pris ma décision.

« J’accepte cette demande, mais j’aimerais que le contrat soit modifié pour refléter les conditions mises à jour sur lesquelles nous nous sommes mis d’accord tout à l’heure. Si cela vous convient, Laura, ou peut-être devrais-je dire honorable cliente, » déclarai-je.

J’avais tendu la main et Laura l’avait prise dans la sienne en souriant.

« Je vous en suis très reconnaissante. Vous nous rendriez un grand service. J’ai hâte de travailler avec vous à partir de maintenant, Monsieur Vivie. Ah, oui, et vous pouvez continuer à m’appeler Laura, » déclara Laura.

J’avais l’intention de traiter Laura avec une couche supplémentaire de formalité après que le contrat ait été mutuellement accepté, mais il semblait que ce n’était pas nécessaire.

« J’ai compris, Laura. Est-ce que c’est correct ? » demandai-je.

Face à mes mots, le sourire de Laura s’était légèrement élargi, et elle acquiesça, apparemment satisfaite.

◆◇◆◇◆

« … Est-ce vraiment d’accord ? » avais-je demandé à Isaac alors qu’il marchait à côté de moi, m’escortant lentement vers les portes du manoir.

« Oui, ça ne la dérange pas vraiment. “C’est quelque chose qu’on finira par lui donner, et cela ne change pas grand-chose le moment quand on le lui donnera.” Du moins, c’est ce que Lady Laura a dit, » déclara Isaac.

Les yeux d’Isaac se concentraient sur la même chose que les miens, celle d’un petit dirigeable volant. En raison de la force de mon mana qui ne le maintient en l’air que pendant une dizaine de minutes, Laura lui avait insufflé un peu de magie qui lui était propre, assez pour le faire voler pendant une heure, et peut-être un peu plus. Honnêtement, le cristal lui-même possédait déjà une grosse valeur, et était plus que suffisant comme récompense. Pour les Latuules, cependant, le dirigeable et le cristal ressemblaient à de l’argent de poche.

Quant à Laura elle-même, elle se reposait dans le manoir.

Isaac était le seul à m’accompagner aux portes. Bien sûr, je n’étais pas un enfant, et le jeune en moi voulait protester, ou du moins dire que je n’avais pas besoin d’escorte. Hélas, le labyrinthe de haies de roses se tenait entre Maalt et moi, je ne pouvais que m’y perdre à nouveau. Maintenant que je connaissais les secrets du labyrinthe, je pouvais utiliser la méthode que j’avais découverte auparavant, bien que cela me prendrait encore beaucoup de temps. J’aurais fini d’ici le prochain lever du soleil, peut-être…

Mais j’avais Isaac avec moi. Alors qu’il s’approchait, les murs mêmes du labyrinthe de haies de roses semblaient s’animer, s’agençant de telle ou telle façon pour former un chemin droit pour nous. C’était presque comme si le labyrinthe lui-même avait choisi d’éviter Isaac… et par extension, moi.

« C’est vraiment une chose étrange qui se déroule là, non ? » me demandai-je.

Comme pour répondre à ma question, Isaac tendit la main, déroulant lentement ses doigts. Dans la paume de sa main, il y avait ce qui semblait être une sorte de rocher rond. Elle avait une apparence familière… Maintenant que j’y pense, il ressemblait un peu à l’appareil à distance qui était jumelé à mon modèle réduit de dirigeable.

Isaac n’avait pas tardé à donner une explication. « Si l’on tient cela et que l’on se concentre correctement, on peut remodeler le jardin à son goût — dans une petite mesure, du moins. Il serait impossible d’effectuer des changements… majeurs. »

« Des… changements majeurs ? Comment pourrait-on faire quelque chose comme ça ? » demandai-je.

« Seule Lady Laura sait comment faire. Je ne suis pour ainsi dire pas au courant des détails, » répondit Isaac.

Je ne pouvais pas savoir si Isaac disait la vérité, mais, pour l’instant, cela importait peu. Il était sage de garder le secret, de peur que des individus mal intentionnés ne tentent d’utiliser le labyrinthe à leurs propres fins. Je n’allais pas dire à tout le monde à la taverne les secrets de la famille Latuule, car les rumeurs ne se répandraient pas si on restait suffisamment discret. La décision d’Isaac était bonne.

« Il semblerait que nous ayons atteint notre destination, » déclara Isaac en nous arrêtant devant les portes du manoir.

Le petit dirigeable étant posé au sol, j’avais donné un petit coup sur son flanc. Comme pour répondre à mon geste, il s’était minimisé, se contractant en taille. Avec ça, je pouvais le tenir parfaitement dans la paume de ma main. C’était l’une des nombreuses fonctions dont Laura m’avait si gentiment parlé, et même si elle avait beaucoup d’autres fonctions cachées, je n’étais pas sûr d’avoir un jour la chance de les essayer toutes.

Dans tous les cas, le fait de pouvoir avoir une forme plus compacte était pratique. Je ne voulais pas vraiment que le dirigeable plane autour de moi à Maalt, et je ne voulais pas non plus porter sa forme entièrement déployée pendant mes déplacements.

« … Le garde du portail n’est plus là, » déclarai-je.

« Oui. Il monte la garde de l’aube au crépuscule. La nuit, les portes sont verrouillées et le labyrinthe devient extrêmement complexe pour s’assurer que personne n’entre dans la zone, » répondit Isaac.

Personnellement, c’était déjà un labyrinthe difficile, donc si la situation devenait plus complexe qu’elle ne l’était déjà, toute personne malheureuse qui s’y aventurerait serait sûrement prise au piège pendant une bonne partie du lendemain.

Une perspective vraiment effrayante… !

« J’ai une question. Que dois-je faire lors de prochaines visites ? » demandai-je.

Si possible, je voulais vraiment éviter ce labyrinthe, d’autant plus que je ne pourrais pas choisir un deuxième cadeau.

Isaac semblait un peu surpris, comme s’il voulait me le dire avant, mais il avait apparemment oublié au cours de notre courte conversation.

« Ah, oui, oui. Si le gardien est présent lors de votre visite, il prendra contact avec le manoir. Après quoi, je me rendrai personnellement ici pour vous escorter. Soyez rassuré, Monsieur Vivie, » déclara Isaac.

Une réponse rassurante. Sur ce, j’avais fait un signe de la main à Isaac, puis j’avais marché sur le chemin et en laissant les portes du manoir derrière moi. La prochaine fois que je visiterai ces terres, je viendrai avec des Fleurs de Sang du Dragon.

C’était un sentiment mélancolique de devoir retourner dans le marais. Au contraire, j’étais maintenant équipé de l’eau bénite de haute qualité qu’Isaac m’avait donnée.

Ça ne peut que devenir plus facile à partir de maintenant…

***

Partie 13

« C’est ça… ? »

« Oui. »

C’est tout ce que nous avions dit quand nous nous étions assis, les bras croisés, dans le salon de Lorraine. Sur la table se trouvait un objet singulier : une fiole cristalline, contenant ce qui semblait être un fluide noir pourpre. Nos yeux étaient fixés sur elle et, pendant un certain temps, aucun de nous n’avait rompu le silence.

La fiole n’était autre que le sang du vampire que j’avais reçu de Laura la veille. Bien que j’aie donné à Lorraine un résumé de ce qui s’était passé au manoir de Latuule ce jour-là, elle était un peu fatiguée et somnolente, ce qui nous avait fait reporter la discussion à aujourd’hui.

Quand j’avais demandé à la voir ce matin, Lorraine m’avait dit qu’elle était allée un peu trop loin dans ses recherches et ses études. Curieux, je lui avais demandé quels étaient ces sujets qui l’empêchaient de dormir, mais elle m’avait appris qu’elle avait fait des recherches et écrit des manuels scolaires en préparation des éventuelles leçons de magie d’Alize. Elle aurait pu facilement acheter une sorte de manuel commercial, mais Lorraine était connue pour être trop enthousiaste quand il s’agissait de certaines affaires. Apparemment, elle avait insisté pour fabriquer son propre matériel pédagogique — et c’est tout.

Bien qu’elle ait passé beaucoup de temps sur le texte, il semblerait que Lorraine ait fini ce qu’elle avait prévu de faire. On pourrait supposer que créer quelque chose d’aussi spécialisé qu’un manuel de magie prendrait beaucoup de temps, mais il s’était avéré que Lorraine ne faisait que noter les bases de la magie, et en tant que tel cela n’avait pas pris beaucoup de temps. Selon les ambitions de Lorraine, la série comprendra à terme dix volumes, chacun détaillant différentes thèses sur les applications de la magie.

« Si tu les lis tous, toi aussi, tu deviendras un érudit mage, Rentt ! » était apparemment l’inspiration derrière la longueur de son travail.

On se demande comment une simple conversation sur les raisons pour lesquelles Lorraine avait décidé d’enseigner à une orpheline locale les voies de la magie s’était précipitée là-dedans, mais bien sûr, je n’avais moi-même aucune réponse.

Alize avait mentionné qu’elle voulait devenir une aventurière… Mais que se passerait-il si elle suivait les enseignements de Lorraine et devenait une érudite à la place ? Je suppose que ce ne serait pas une mauvaise chose, car si elle devenait une bonne érudite de renom, elle pourrait, elle aussi, se permettre de paresser comme Lorraine, ne serait-ce qu’à cause du montant d’argent qu’elle gagnerait régulièrement.

Dans tous les cas, l’hypothétique érudite Alize serait beaucoup plus riche que moi, un aventurier de classe Bronze. Ce n’était pas du tout un mauvais choix de carrière.

Si Alize décidait de poursuivre ses études dans une académie ou une école, elle pourrait même obtenir une bourse nationale. Même si Lorraine n’était qu’une savante bizarre vivant dans une ville rurale à la périphérie des frontières de Yaaran, une recommandation de Lorraine pourrait faire beaucoup de chemin.

Mais Alize voulait devenir une aventurière. J’avais rappelé à Lorraine ce fait, et elle m’avait dit qu’elle serait sa toute première disciple, ce qui, comme on pouvait s’y attendre, a conduit à une dispute stupide entre nous. En fin de compte, nous nous étions tous les deux entendus sur le fait qu’Alize était celle qui allait finalement prendre la décision. Mais pour une raison ou une autre, je sentais que Lorraine l’attirerait sur le chemin de l’érudition si jamais je la laissais sans surveillance.

J’avais décidé de transmettre à Alize toutes les joies, les espoirs et les rêves d’aventure, le tout en temps voulu. Même si des erreurs devaient être commises en cours de route, il y avait toujours l’histoire inspirante de l’homme qui avait passé dix ans en tant qu’aventurier de la classe Bronze à raconter…

Dans tous les cas… Je m’étais tourné vers la fiole de sang de vampire sur la table. On pourrait se demander pourquoi j’avais choisi cela, de toutes les choses, mais, bien sûr, cela avait été fait dans l’intérêt de mon Évolution Existentielle. Pour une raison ou une autre, j’avais l’impression qu’un grand changement allait se produire en moi si je l’absorbais en moi… Ou du moins, c’est ce que j’avais ressenti.

« Donc tu me dis que c’est quelque chose comme l’instinct, Rentt… ? » demanda Lorraine, me jetant un regard de travers.

J’avais réfléchi un peu avant de donner ma réponse.

« Je ne sais pas vraiment. Par exemple, un enfant veut jouer avec un objet intéressant parce que ça a l’air intéressant. On dort parce qu’on a sommeil. C’était un tel sentiment, » répondis-je.

Ce n’était pas tout à fait identique, pour ce qui était des sentiments et des intuitions, pour être précis, c’était quelque chose qui ressemblait à une envie. Une envie que je ne ressentais pas quand j’étais encore humain. Mais je ne pouvais pas l’exprimer autrement, d’où mon choix de mots.

« Eh bien… Je ne peux pas dire grand-chose à ce sujet, Rentt. Après tout, il n’y a pas d’argument contre l’instinct. Cependant… tu as considéré les risques, n’est-ce pas ? Comme ton associée Laura Latuule l’a dit, le sang de vampire est connu pour être un traitement risqué pour… tout. J’ai lu de nombreux comptes rendus de ceux qui ont tenté une telle chose — toutes ces tentatives se sont soldées par une tragédie, n’est-ce pas ? Ce n’est pas quelque chose que tu devrais mettre sur tes lèvres sans la préparation mentale appropriée, » déclara Lorraine.

Lorraine avait raison, je n’avais pas fait beaucoup de recherches sur les vampires. Pour commencer, les vampires étaient très bien classés en ce qui concerne les monstres et possédaient une force formidable. Je n’avais jamais rencontré de telles créatures et je ne m’étais jamais trouvé devant une de ces créatures. Même si j’avais quelques connaissances de base sur les vampires à cet égard, avoir une bonne compréhension de ce qui arriverait aux gens qui buvaient du sang de vampire était quelque chose qui sortait de mon expertise générale. Lorraine, cependant, semblait avoir une certaine connaissance en la matière, comme on l’attendait d’un érudit.

Lorraine m’avertissant des dangers, j’avais senti ma détermination vaciller un peu.

« Peut-être que je devrais abandonner ça pour l’instant et juste jouer avec ça à la place, » répondis-je.

En disant cela, j’avais retiré une pierre en forme de disque de ma poche, plaçant son dispositif de contrôle dans mes mains. Le modèle réduit de dirigeable, qui avait été placé avec précaution au milieu de la table comme s’il s’agissait d’un trésor inestimable, flotta rapidement et se déplaça en zigzaguant dans l’air.

« Tu as vraiment ramené beaucoup d’artefacts rares à la maison, non ? Même moi, je n’ai jamais entendu parler de cette famille Latuule, Rentt. Cependant, rien qu’en regardant les objets magiques qu’ils possèdent, je peux dire avec confiance qu’ils ne sont en aucun cas une famille normale, » les yeux de Lorraine s’étaient fixés sur le petit dirigeable modèle réduit.

Déplaçant ma conscience vers le dirigeable, je fixai Lorraine, qui avait une expression amusante sur son visage. Si je devais dire, c’était un mélange d’admiration et d’exaspération.

Il semblerait que j’avais déplacé le dirigeable un peu trop près de Lorraine. Maintenant que j’y pense, je n’avais jamais été aussi proche physiquement d’elle avant. En fait… à y regarder de plus près, Lorraine portait des vêtements un peu plus amples aujourd’hui.

C’est un mauvais angle, petit dirigeable. Je suis presque capable de voir certaines choses que je ne devrais pas voir…

J’avais récupéré ma conscience depuis le petit vaisseau volant, en prenant une grande respiration pendant que je le faisais. Je n’avais pas encore informé Lorraine des fonctions du dirigeable, alors elle n’aurait probablement pas dû remarquer quoi que ce soit d’anormal.

Cependant…

« Hm… ? » Lorraine inclina la tête sur le côté, comme si elle était confuse.

« … Quoi ? » demandai-je.

« Non, ce n’est rien… C’était peut-être juste mon imagination. Non, non, rien du tout…, » répondit Lorraine, en donnant une réponse étrangement vague à ma question apparemment innocente.

Comme si elle changeait de sujet, Lorraine continua. « Même ainsi, as-tu décidé de ce que tu ferais une fois que tu auras cessé de fuir la réalité, Rentt ? Tu as dit que c’était nécessaire pour ton évolution, non ? Dans ce cas, tu finiras par le boire de toute façon. »

« … Je suppose que tu as raison, mais je ne peux m’empêcher d’avoir un peu peur face à cette pensée. Ne penses-tu pas que je ne devrais pas boire ça, Lorraine ? » demandai-je.

« Bien sûr, si tu n’as pas l’intention de le boire, alors cela restera ainsi, » répondit Lorraine sérieusement, sans aucune hésitation. « Ça ne me dérange pas si tu restes immortel pour toujours, Rentt. Tu pourrais continuer à rester ici, répondre à toutes les demandes qui te plaisent et continuer à vivre à Maalt — ce n’est pas exactement une mauvaise perspective. »

« Mais, » poursuivit Lorraine après avoir pris une grande respiration, « tu n’aimes pas ça, Rentt. Ce n’est pas ce que tu veux, même moi, je le sais. Je sais tout de tes rêves. Quoi qu’il en soit, même si tu n’avais aucun talent, et même si cela prenait des années, tu continuerais à aspirer à devenir un aventurier de classe Mithril, non ? Même s’il fallait attraper le tigre métaphorique par la queue et faire des cascades qui défient la mort, tu suivrais ce chemin sans hésitation jusqu’à la fin. En fait, cette hésitation que tu me montres n’est-elle pas simplement un acte d’inquiétude ? C’est le genre d’homme que tu es, Rentt Faina. Ai-je tort ? Si c’est le cas, je te soutiendrai comme je peux. Hah! Si c’est le cas, je ramasserai tes os, je les enterrerai dans une vraie tombe, et je viendrai même te voir tous les jours… Jusqu’à ma mort, je veillerai à ce que ta tombe ne soit pas oubliée. Je pleurerais aussi fort que possible à tes funérailles — mais hélas, c’est à peu près tout ce que je peux faire pour toi, Rentt… »

Comme je m’y attendais de Lorraine, elle m’avait vraiment compris.

C’était vrai : même si j’avais l’air d’hésiter un peu, ce n’était qu’un numéro. J’avais déjà pris ma décision il y a longtemps. Si boire ça faisait de moi un invalide, ou me tuait une seconde fois, ce serait ça. Si je ne le buvais pas, je ne pourrais jamais faire ce pas en avant, et ma vie ne serait qu’une parodie de vie — un homme mort qui marche, pour ainsi dire.

Au sens figuré, bien sûr…

Le fait que j’étais littéralement un homme mort qui marchait n’avait pas échappé à mon attention, mais, pour l’instant, j’avais choisi de laisser cette pensée me mentir. Mais quand bien même… si un tel incident se produisait, Lorraine aurait certainement bien du mal à y faire face.

« Je m’excuse si je bois ça et que je finis par faire quelque chose d’étrange, tu devrais conjurer tes sorts et me brûler jusqu’à ce que je sois croustillant, » déclarai-je.

« J’espère qu’on n’en arrivera pas là…, » murmura Lorraine, sa réponse sonnant presque comme une prière.

J’avais hoché la tête à Lorraine, prenant finalement la fiole de cristal dans mes mains. Pendant un moment, j’avais regardé dans les yeux de Lorraine, qui semblaient déjà maintenant remplis de malaise, et peut-être d’une légère pointe de peur.

J’avais tordu le bouton du flacon, je l’avais soulevé jusqu’à mes lèvres et j’avais fait basculer son contenu dans ma gorge.

***

Chapitre 3 : Une nouvelle Évolution Existentielle

Partie 1

Une douleur fulgurante irradiait à travers mon être au moment même où une seule goutte de sang touchait ma langue. Pendant un moment, j’avais pensé qu’il valait mieux arrêter de boire ce liquide, quoi qu’il en soit, mon instinct, cependant, n’était pas de cet avis. C’était comme si j’étais stimulé par une voix étrange et invisible. C’était probablement juste mon imagination.

Cependant, dans le cas de l’Évolution Existentielle, je suppose que je n’avais pas d’autre choix que de me fier à mon instinct. On pouvait demander une explication ou une justification logique, mais je n’en avais aucune.

J’avais basculé la bouteille vers le haut, vidant son contenu.

Clank.

La fiole vide avait lentement roulé sur le dessus de la table. La fiole en question était un précieux objet magique en soi. J’avais voulu le mettre sur la table correctement, pour qu’il ne roule pas ou qu’il ne finisse pas fêlé dans un accident. Mais je n’avais pas vraiment le choix.

Une lueur de couleurs cramoisie m’avait inondé les yeux. Des vagues de douleur et de souffrance immatérielle avaient frappé tout mon corps.

C’est mauvais…, c’était la toute première chose qui m’était venue à l’esprit.

Mais je n’avais pas l’impression de mourir. Au contraire, je me sentais comme quelqu’un, quelque chose, qui changeait de force l’intérieur de mon corps comme bon lui semblait. Je le sentais, au plus profond de mon corps, dans des endroits ou des poches qui avaient été autrefois creux. C’était comme si on m’avait volé toute ma force et qu’on m’entassait des choses étranges une à une dans mon corps.

Si je devais deviner, ces choses étranges n’étaient rien d’autre que des organes vivants, car je n’en avais pas beaucoup avant ça. Ce qui ressemblait à une grande quantité de fourmis rampant à la surface de mon corps à une vitesse stupéfiante n’était probablement rien d’autre que la formation rapide de la peau.

Tout le processus ressemblait beaucoup à une gueule de bois, ou peut-être comme quand on était ivre, sauf que c’était cent fois pire. Ma vision continuait à se tordre et à tourner, et les objets devant moi semblaient être constamment affligés par un tremblement de terre invisible que moi seul pouvais sentir. J’avais fait de mon mieux pour me calmer, mais j’avais découvert que c’était un effort infructueux. Tout autour de moi et à l’intérieur de moi se trouvaient des plaintes, la tirade sans fin de mon corps qui m’avertissait que quelque chose n’allait pas, que quelque chose était différent. Bien que j’aie compris le processus, le sentiment ne s’était pas arrêté.

Combien de temps cela va-t-il durer… ? Est-ce que ça va finir ?

Est-ce que ça va finir ?

Ces pensées m’avaient inondé l’esprit, et sans aucun sentiment de diminution, le torrent m’avait bientôt submergé.

Je vois…, tous ceux qui, avant moi, qui avaient bu du sang de vampire se sentaient-ils comme ça ? Un goût désagréable et profond… Sans parler de ses effets. J’avais maintenant compris pourquoi certains étaient morts dans le processus, incapables de résister à la tension, alors que d’autres étaient devenus fous.

Cependant, j’avais semblé être capable de maintenir ma santé mentale.

Est-ce à cause de ma force… ?

Non, ce n’était pas tout à fait juste.

C’était parce que j’étais immortel.

Depuis que j’étais devenu un mort-vivant, j’avais remarqué que mon état mental s’était beaucoup amélioré depuis l’époque où j’avais encore un souffle de vie. Bien que j’aie essayé d’agir comme un être humain autant que je le pouvais, et que la plupart d’entre eux me voyaient comme un être humain, quelque chose avait changé en moi. Mes émotions étaient encore, silencieuses, peut-être même faibles par rapport à l’époque où j’étais encore en vie.

Pendant tout ce temps où j’étais un squelette, une goule et finalement un Thrall, j’avais toujours réussi à rester calme et relativement sain d’esprit… ne serait-ce que parce que je me sentais vraiment calme. Pour une raison inconnue, je ne ressentais plus les émotions aussi intensément qu’avant.

Malgré tout, certaines choses m’avaient encore fait vibrer d’émotion dans mon cœur. Par exemple, mon rêve de devenir un aventurier de la classe Mithril avait provoqué une réaction du fond de moi. C’était peut-être une évidence, parce que j’en avais rêvé toute ma vie. C’est pourquoi j’étais resté captivé par ce rêve, et je me sentais encore plus captivé que je ne l’avais jamais été, encore plus que lorsque je respirais encore.

Et pourtant, mon dévouement à ce but pouvait facilement être oublié, comme une pensée qui disparaissait après qu’on se soit réveillé d’une période de sommeil. J’avais dû m’y accrocher fermement, pour ne jamais oublier.

C’est pourquoi je ne pouvais pas abandonner et lâcher prise, même avec cette douleur qui me fouettait le corps. Si j’avais vécu la même chose alors que j’étais encore humain, j’aurais très probablement perdu la tête après quelques secondes dans le processus.

« Ah ! Ahhhh !! »

Je pouvais entendre une voix quelque part, très, très loin. Dans ma vision tordue et tourbillonnante, c’était le visage de Lorraine. La vue d’elle me mettait à l’aise, ne serait-ce que parce que je ne ressentais plus le désir de sa chair et de son sang, contrairement à l’époque où j’avais évolué vers un Thrall.

Il y avait cependant un autre sentiment…

Je sentais ma conscience s’évanouir.

Que se passerait-il si je lâchais… ?

Rien de mal, ça semblait… vu ce que je ressentais, je m’évanouirais tout simplement, car il était difficile de rester conscient longtemps dans cet état. Peut-être que ça serait mieux de s’asseoir et de lâcher prise.

Bien que j’étais préoccupé par le progrès global de mon Évolution Existentielle, j’avais le sentiment d’avoir surmonté en toute sécurité le plus difficile des défis, à savoir rester sain d’esprit malgré la douleur et ne pas mourir mentalement face à la souffrance apparemment sans fin.

D’une autre façon, j’étais déjà mort dès le départ. Je suppose donc qu’il n’y aurait aucun problème…

J’avais finalement décidé de lâcher prise.

Un voile de ténèbres avait bientôt obscurci ma vision. J’avais l’impression de flotter, de tomber au ralenti alors que ma tête approchait lentement du sol. Avant l’impact, je pouvais me sentir bercé par quelque chose — puis je m’étais évanoui.

◆◇◆◇◆

Tout semble en ordre, comme prévu.

C’était la première pensée qui m’avait traversé l’esprit alors que je reprenais lentement mes esprits.

Mon corps se sentait… en conflit. Il semblait grincer à de nombreux endroits.

Comment pourrais-je décrire cela... Cela ressemblait à ce que l’on ressent quand on se fait mettre une attelle après s’être cassé un os. Une étrange sensation d’oppression dans les membres.

Qu’est-ce que c’était… ?

C’était étrange et pas trop inconfortable. Mais en ouvrant les yeux, j’avais été choqué par la lourdeur de mes paupières.

Maintenant que j’y pense, je n’avais peut-être même jamais cligné des yeux pendant ma période en tant que Thrall. Je me souvenais d’avoir l’impression d’avoir fermé les yeux, mais je ne me souvenais pas d’avoir vu des paupières de quelque sorte que ce soit, pas même lorsque j’avais fait réarranger le masque pour une inspection plus approfondie.

Ce sentiment que je ressentais maintenant…

Une faible lumière s’était mise au point devant mes yeux alors que je les ouvrais lentement. C’était la flamme d’une bougie qui vacillait doucement dans l’obscurité.

Cette demeure était équipée d’objets magiques émettant de la lumière, mais je suppose que Lorraine avait diminué la lumière avant d’aller se coucher. Lorraine avait probablement laissé une bougie allumée près de moi pour m’éclairer si je me réveillais.

Il m’avait semblé que j’étais allongé horizontalement — sur un lit, pour être exact. La première chose que j’avais vue en ouvrant les yeux était… le plafond. Le plafond, et une ombre projetée sur lui par le scintillement des bougies.

L’ombre de quelqu’un… quelqu’un que je connaissais.

Mais bien sûr. Je m’étais tourné lentement sur le côté, en jetant un coup d’œil par-dessus le côté du lit. Là, assise tranquillement avec un livre lourd sur les genoux, il n’y avait personne d’autre que Lorraine, qui feuilletait doucement les pages du livre.

Je l’avais regardée fixement pendant un certain temps alors qu’elle continuait à lire. Ses yeux s’étaient rapidement dirigés vers le coin supérieur gauche d’une nouvelle page, remarquant à leur tour mon regard.

« Alors, tu es réveillé, Rentt, » déclara Lorraine.

On aurait dit que Lorraine avait veillé sur moi tout ce temps. Je suppose qu’elle pensait que je me lèverais après un certain temps, mais elle avait fini par lire un livre après avoir réalisé que je serais inconscient pendant une plus longue période.

Il faisait déjà nuit dehors, alors vu que je m’étais évanoui le matin, j’avais dormi presque toute la journée. C’était la première fois depuis longtemps que j’éprouvais un sommeil profond, bien qu’il semblait s’être terminé avant même que j’en aie profité pleinement.

« Ah… qu’est-ce que tu lis ? » demandai-je.

Face à ma question, Lorraine avait fermé son livre d’un coup de poing, offrant une réponse en passant ses doigts sur la couverture.

« Un livre qui décrit l’écologie des vampires — une sorte d’encyclopédie, en fait. Les entrées détaillent divers types de vampires, mais je suppose que même toi, tu connais les différences communes entre eux. Des Thralls, Des Petits Vampires, des Grands Vampires, et Vampires Majeurs… Tous les détails sur eux. Bien sûr, à mesure qu’ils augmentent en force, certains types de vampires commencent à défier les tentatives de classification. Les classifications ci-dessus ne sont pas du tout exhaustives — par exemple, les vampires qui ont vécu pendant une période exceptionnellement longue sont connus sous le nom de Vampires Anciens, et nous avons les Princesses Vampires classiques qui apparaissent dans les contes populaires et autres. Comme tu peux le constater, tu n’appliquerais pas les classifications ci-dessus à ces deux exemples précédents. »

« Je n’ai jamais entendu parler de quelqu’un qui a rencontré l’un de ces vampires. Alors, ce ne sont peut-être que des contes populaires. Même si nous prenions en compte les capacités d’un Grand Vampire, ses familiers et les membres de sa famille de sang ne constitueraient qu’un village, au mieux. Bien sûr, cela poserait problème s’ils avaient en quelque sorte infiltré une ville et créé leur propre société de vampires en son sein. Sur une autre note, ce n’était qu’une rumeur que j’ai entendue, mais… une légende dans un pays lointain parle d’un vampire crépuscule, qui avait réussi d’une certaine manière à usurper le royaume entier pour lui-même. C’est, je dirais, une véritable légende, et rien de plus. »

« Garde à l’esprit que les légendes peuvent encore avoir une part de vérité pour elles. Après tout, Rentt, n’as-tu pas rencontré un dragon légendaire, et n’as-tu pas été mangé en entier ? Peut-être que les vampires crépusculaires existent — et je pourrais même dire cela de l’Église du Ciel Oriental qu’ils adorent dans les pays de l’Est. Ai-je tort ? »

Lorraine avait signalé une faille fatale dans mon argumentation future. Après tout, j’avais personnellement vécu une rencontre avec une légende en personne. Je devrais au moins être la dernière personne à dire que les légendes n’étaient que des contes populaires.

Si je m’asseyais et que j’y réfléchissais, j’avais déjà vécu quelque chose qui dépassait les légendes typiques dont j’avais entendu parler, celle d’être mangé par un dragon et transformé sommairement en monstre. Bien que l’on puisse aussi devenir un monstre par des rituels étranges, ou en buvant du sang de vampire, les chances de succès étaient relativement faibles.

Je n’avais pas d’autre choix que de hocher la tête.

« Eh bien… Je suppose que oui. Alors… pourquoi tu lis encore ce livre ? » demandai-je.

« C’est très simple, Rentt, » Lorraine m’avait montré du doigt en réponse à ma question. « Ce que je veux dire, c’est que… »

« C’est… ? »

Ah… Je suppose que c’était pour me féliciter pour mon Évolution Existentielle.

Un léger sourire reposait sur ses lèvres pendant qu’elle prononçait ces mots.

***

Partie 2

Évolution Existentielle ? Pourquoi aurait-elle soulevé cette question… ?

Je n’étais pas vraiment dans l’idée de faire l’idiot, mais je ne l’avais simplement pas remarqué jusqu’à ce que Lorraine en parle — cela m’avait fait me demander si même mon cerveau s’était décomposé depuis que je faisais partie des morts-vivants. Je n’avais pas pu trouver une bonne réplique en retour, car Lorraine avait raison.

Cependant, en toute honnêteté, j’avais ressenti un changement significatif dans tout mon corps. Comme j’étais encore très endolori après mon récent réveil, je n’arrivais pas à saisir la réalité de la situation. Mais… ça faisait vraiment un moment que je me sentais ainsi, ou que je pouvais dormir. Jusqu’à ce matin, de telles impulsions avaient été enfoncées profondément dans les recoins de mon esprit.

Je possédais une sorte de calme mortel à l’époque où j’étais un Thrall. C’était presque comme si mes émotions restaient stables, sauf quand j’avais subi ma récente évolution. Je me forçais à rire si tout le monde autour de moi riait, un signal social pour me rappeler que le spectacle devant moi était hilarant. Pour une raison ou une autre, toutes mes expériences passées me donnaient maintenant la même impression.

Douloureusement creux, oui… mais je suppose que c’est ce que c’était.

Quoi qu’il en soit, par rapport à ce que j’étais avant, je ressentais maintenant les émotions d’une manière beaucoup plus forte. J’étais encore loin d’être ce que j’étais quand je vivais, mais dans tous les cas, je me sentais moins… vide qu’avant. Le vide et le calme que je ressentais étaient moins un attribut des morts-vivants que, par exemple, le vide littéral dans les cavités de mon corps. Mon cœur, lui aussi, se sentait vide au sens figuré.

Mais je sentais mes entrailles maintenant. Mon corps, auparavant vide, était maintenant correctement rembourré. J’avais supposé que je pourrais me déchirer l’estomac et regarder… bien que cela n’ait pas du tout l’air d’être une très bonne idée.

Quoi qu’il en soit, je ne savais toujours pas de quoi j’avais l’air, si seulement j’avais un miroir à portée de main…

Comme si elle lisait dans mes pensées, Lorraine avait porté un miroir assez grand jusqu’à l’endroit où je me tenais. Le miroir avait apparemment été appuyé contre le mur tout ce temps — Lorraine l’avait probablement préparé. Elle n’avait pas de grand miroir avant, alors c’était peut-être un achat récent.

Tout bien considéré, c’était un assez grand miroir, et je me sentais un peu désolé d’avoir demandé à Lorraine de transporter une telle chose.

« Je ne vois pas vraiment la différence, » déclarai-je en me regardant dans le miroir, seulement pour être réprimandé par une Lorraine exaspérée.

« Enlève ta robe et ton masque, imbécile ! Bien sûr que tu serais pareil si tu restais habillé comme ça, Rentt. Es-tu si idiot ? » s’écria Lorraine.

J’avais obéi à ses instructions, mais dans ce cas… comment Lorraine avait-elle su que j’avais évolué… ?

Lorraine, toujours observatrice, m’avait donné une explication avant même que je puisse en demander une.

« J’ai simplement enlevé l’un de tes gants, Rentt. Même toi, tu le remarquerais rien qu’en voyant ça, » déclarai-je.

Je vois… Comme on s’y attendait de Lorraine. En levant les yeux, j’avais vu mes gants bien placés sur une petite table dans la pièce.

En regardant mes mains, j’avais été pour le moins surpris. Mes mains étaient maintenant lisses et un peu normales, ce qui contraste fortement avec ce qu’elles avaient l’air ce matin. Quiconque les avait regardées auparavant se demanderait si elles étaient faites de bâtons de bois, avec de la chair humaine séchée collée maladroitement sur elles. Ah, oui, mes mains étaient grotesques.

Bien que mes mains soient maintenant lisses et quelque peu humaines, elles étaient très pâles, comme si peu, voire pas du tout, de sang coulait à travers elles. Au moins, elles ne semblaient plus mortes-vivantes ou monstrueuses, et personne ne voulait courir vers moi pour me dire : « Ah, un mort vivant, oui ? Puis-je avoir votre signature ? » Mais bien sûr, on ne m’avait pas demandé de signature à aucun moment, que je sois un squelette, une goule ou un Thrall… simplement parce que je n’avais pas été découvert. Même si j’étais découvert, des scénarios terribles n’arriveraient plus.

Hmm… Un exemple d’un scénario terrible serait, disons, une bande de vieux hommes musclés avec des épées s’approchant de moi, en disant quelque chose du genre : « Hé, tu es un non-mort, n’est-ce pas ? Cette demande de la guilde est bien payée, tu vois… Ça te dérange si on te prend la tête ? » Argh…

Je ne voulais plus y penser. Mais avec cela dit…

« Suis-je un peu plus humain maintenant ? » avais-je murmuré.

« Je dirais que certains progrès ont été réalisés. Pour commencer, il y a des doutes quant à savoir si tu pourras un jour redevenir pleinement humain. Pour l’instant, c’est difficile à dire. Au premier coup d’œil, tu as bien sûr l’air humain. Quoi qu’il en soit, Rentt, enlève ton masque et ta robe — je ne peux pas porter un jugement de valeur sans le voir par moi-même, » déclara Lorraine.

La réponse de Lorraine semblait un peu troublée au mieux, mais elle avait raison. Comme toujours, il était insensé de s’attendre à ce que ses espoirs deviennent réalité, il était important d’être capable de faire la distinction entre les deux dans des moments comme celui-ci.

C’était comme le disait Lorraine : personne ne savait si je pourrais un jour redevenir humain. Mais le choc de cette révélation ne m’avait pas semblé m’affecter aussi durement que je le pensais. C’était peut-être à cause de la déclaration de Lorraine selon laquelle ça ne la dérangeait pas si je restais immortel pour l’éternité. Au moins, je n’avais pas eu à passer toute ma vie seule, à vivre comme une sorte de monstre paria.

« D’accord, d’accord…, » avais-je, en enlevant ma robe.

J’avais des vêtements sous ma robe, mais c’était au mieux des vêtements bon marché. Plus précisément, je ne portais que des sous-vêtements et des pantalons. Je l’avais fait exprès, principalement parce que mon corps était plein de trous à un moment donné. Si j’avais porté peu de vêtements, je craignais que ma chair ne tombe si elle en avait l’occasion.

D’un point de vue réaliste, je pourrais facilement réparer n’importe quelle zone affligée avec de la magie curative ou de la divinité. Si quelque chose tombait malheureusement, cela ne poserait pas trop de problèmes. C’était vraiment une question de préférence personnelle. Même si cela ne changeait pas grand-chose sur le plan visuel, j’avais fait preuve de diligence dans l’entretien de mon corps, tout comme certaines jeunes femmes étaient terriblement passionnées par l’hydratation de leur peau. En raison de leur obsession, le liquide visqueux avait maintenant un prix élevé — mais qui suis-je pour dire aux jeunes femmes passionnées d’arrêter de faire ce qu’elles faisaient ? Si j’avais vraiment dit quelque chose comme ça en public, on ne savait pas quand et comment je me ferais massacrer dans une ruelle sombre. Dans bien des cas, il vaut mieux tenir sa langue — tel est l’état des choses dans le monde.

« Hmm…, » Lorraine hocha lentement la tête en regardant mon corps maintenant exposé.

« Vois-tu des différences visibles… ? » demandai-je.

« Eh bien… non, pas vraiment, du moins pas de face. Il y a longtemps que je n’ai pas bien vu… Tu es bien bâti, comme prévu. Mais bien sûr, avec tout l’entraînement que tu as fait, il fallait s’y attendre… Je ne vois pas beaucoup de changements. Pourquoi ne pas le voir par toi-même, et me dire si tu te sens différent ? » dit Lorraine, après m’avoir jeté un coup d’œil.

Hmm… Y a-t-il des différences ?

J’avais regardé mon reflet dans le miroir. Malheureusement, il n’y a pas du tout eu de changements marqués. Jusqu’à présent, mon corps était relativement sec et malheureusement plein de trous. Je pouvais à peine me rappeler à quoi j’avais ressemblé dans la vie, mais c’était peut-être tout près.

La principale différence était que j’étais extrêmement pâle. J’étais même légèrement bleu dans certaines parties, probablement à cause d’un manque de sang. Mais un étranger qui verrait mon corps tel qu’il était aujourd’hui ne conclurait pas immédiatement que j’étais un non-mort. Personnellement, cela me semblait suffisant pour le moment.

J’avais maintenant de la peau, et je n’avais plus de trous dans mon corps… C’était vraiment une chose magnifique.

Les sentiments que j’avais éprouvés quand je m’étais réveillé étaient probablement la tension de ma peau nouvellement formée. Il n’avait pratiquement pas de rides, ce qui contrastait fortement avec ce que j’étais avant. C’était comme si je venais de naître.

« Froid…, » murmurai-je.

Un frisson sur mon dos — un peu alarmant, sans doute, mais ce n’était que la main de Lorraine, caressant doucement la peau de mon dos.

« … Une peau que la plupart des jeunes femmes envieraient, oui, » elle hocha la tête, apparemment satisfaite. « Ce n’est plus une régénération… plus une nouvelle naissance, une nouvelle création de peau — d’où la douceur. Tu es un homme, bien sûr, et surtout un aventurier qui a vécu une vie très difficile, à parcourir les labyrinthes et tout ça. Ta peau était rugueuse avant, mais maintenant… »

Dans le passé, Lorraine s’occupait de moi quand j’avais été blessé, et regardait mon haut du corps nu de façon claire, en plus de le toucher pour soigner mes blessures. Je suppose que ma peau était beaucoup plus lisse maintenant que dans ses souvenirs.

« Pas une seule blessure ou cicatrice non plus…, » Lorraine avait poursuivi. « Tu as déjà eu une vieille blessure ici, non ? Cette grosse entaille dans le dos… Elle avait laissé une sacrée marque, celle-là. Mais tout est parti maintenant. »

Comme Lorraine l’avait dit, toutes les cicatrices que j’avais dans ma vie antérieure avaient maintenant complètement disparu. Je suppose que mon corps s’était littéralement reconstruit après que je sois devenu un non-mort vivant, expliquant leur disparition. Quoi qu’il en soit, je ne pouvais pas en être absolument sûr, mais ce n’était pas comme si je me souciais vraiment de mes cicatrices.

Lorraine m’avait interrompu avant que je n’aie pu exprimer mon opinion sur le sujet.

« Aucune de tes vieilles cicatrices ne reste… même pas celle-là. Les aventuriers aiment avoir des cicatrices de cette nature, non… ? Eh bien, rien ne peut être fait maintenant qu’elles sont parties…, » déclara-t-elle, comme si elle pleurait la perte d’un grand artefact.

Elle semblait plus déprimée que je ne pourrais jamais l’être. C’était peut-être comme si les enfants se sentaient quand les points de suture d’un doudou bien-aimé disparaissaient.

« Eh bien, pas trop de changements ici et là, vraiment, à part ces petites ailes sur le dos…, » Lorraine poursuivit, d’une manière très décontractée. « Rien d’autre d’intéressant, non. »

Elle avait livré la révélation soi-disant surprenante avec un ton de voix impassible.

***

Partie 3

« Des ailes ? » demandai-je.

J’avais incliné la tête d’un côté, un peu théâtralement à cause du choc. Lorraine avait fait de même en réponse.

« Ne l’as-tu vraiment pas remarqué, Rentt ? » demanda-t-elle simplement.

Ce n’était probablement pas l’intention de Lorraine de garder le silence sur ça. Si je devais le deviner, elle avait simplement supposé que je savais pour les ailes présentes sur mon dos. Malgré tout…

« Comment pourrais-je me tourner et regarder mon dos ? Je ne peux pas vraiment m’attendre à le remarquer, non ? » avais-je dit à Lorraine que je me sentais un peu incrédule face à toute cette situation.

« Eh bien, elles bougeaient — ou plutôt, elles tremblaient — un peu plus tôt, Rentt. J’ai juste supposé que tu les déplaçais consciemment. Toutes mes excuses. Donc, elles bougent inconsciemment, de leur propre chef ? Comme les paupières, peut-être… ? Ah, oui, oui. Un autre miroir. Je vais en chercher un… Il est probablement difficile de se retourner et de fixer son dos. J’ai exactement ce qu’il faut… Attends un peu, » déclara Lorraine.

En disant cela, Lorraine avait fouillé dans une zone proche de quelques étagères dans sa chambre avant de faire une pause et de ramasser un miroir.

Même si je vivais temporairement ici, c’était la maison de Lorraine. De plus, j’avais très peu de biens personnels, et la plupart de ce qui restait dans les étagères et les coffres de rangement de cette pièce appartenaient à Lorraine.

Tenant le miroir qu’elle avait trouvé, Lorraine se tenait derrière moi, reflétant une image de mon dos dans le miroir que je regardais. Avec cela, je pouvais voir mon dos, et reflété dans le miroir n’étaient nul autre que…

« Je suppose que c’est bien des ailes…, » déclarai-je.

« Oui, Rentt. Des ailes. Les membranes de vol sont également un terme acceptable à utiliser — quel que soit le nom qu’on leur donne, en fait. Exactement comme je te l’ai dit, non ? » demanda Lorraine.

Des ailes… Les protubérances sur mon dos étaient indubitablement ça. Deux ailes symétriques, l’une à droite et l’autre à gauche, poussaient de quelque part le long de mes omoplates du milieu de mon dos. Elles n’étaient pas à plumes, pas comme celles d’un oiseau. Elles ressemblaient plutôt aux ailes minces et coriaces d’une chauve-souris, aux membranes et tout ça. Bien qu’elles aient été pliées en une forme un peu compacte, j’avais découvert que je pouvais un peu les déplacer si je me concentrais sur ça.

 

 

Témoin de cela, Lorraine semblait satisfaite du spectacle.

« Ah, donc tu peux les déplacer tout seul. Que se passait-il à l’instant… ? » demanda Lorraine.

Lorraine posa ses mains sur mes appendices nouvellement germés, inspectant apparemment leurs membranes et les étirant doucement. C’était chatouilleux, mais Lorraine savait mieux que quiconque vu qu’elle était après tout une universitaire respectable dans le domaine de la recherche sur les monstres.

Permettre à Lorraine d’inspecter minutieusement mon corps avait contribué à ma propre connaissance de mes capacités. Je n’avais pas d’autre choix que d’accepter ses comportements de curiosité pour le moment…

« Hé maintenant, Rentt. Tu ne devrais pas essayer de t’envoler…, » déclara Lorraine, un peu catégoriquement.

« M’envoler ? Je ne me souviens pas avoir tenté de le faire, » déclarai-je.

« Ah, mais c’est exactement ce que tu fais, Rentt. Pas ton corps, peut-être, mais tes ailes, certainement. Où devrais-je plutôt les appeler membranes de vol ? Quoi qu’il en soit, je n’ai pas de fortes convictions quant aux termes que je devrais utiliser pour décrire tes mécanismes de vol, alors je suppose que l’un ou l’autre terme est acceptable. Cela étant dit, ne bouge pas tes ailes. Elles s’échappent de ton contrôle, et elles voltigent par-ci par-là, » déclara Lorraine.

Désireux de les maintenir immobiles, je m’étais tenu dans un silence relatif.

« Bien. Cela ne semble plus bouger maintenant, » dit Lorraine d’un ton de voix satisfaisant.

Pourtant, Lorraine semblait encore perplexe devant ce qu’elle avait vu il y a peu de temps. Elle marmonnait en tournant la tête partout, en grande partie pour elle-même.

« Pourquoi l’avoir fait… tout à l’heure. Hmm. Je vois. C’est peut-être…, » murmura Lorraine.

Lorraine avait commencé à me toucher les ailes d’une manière étrange, presque comme si elle avait l’intention de me chatouiller. En jetant un coup d’œil au miroir, j’avais aperçu l’expression de Lorraine — bien sûr, elle avait un léger sourire bien visible sur son visage.

Il semblait que Lorraine me chatouillait délibérément les ailes.

Quoi qu’il en soit, je n’étais pas du genre à céder. En gardant mon calme, j’avais voulu garder mes ailes immobiles et, pendant un moment, je n’avais pensé qu’à ça. Même si c’était chatouilleux, je pourrais tolérer ça. S’il y avait une volonté, il y avait un moyen, même si elle l’avait fait pendant des heures.

Oui, des heures… sur des heures… sur la fin. Non… Pas de problème… Argh ! C’est trop !

Après ça, ma lutte pour l’indépendance contre les secousses d’ailes involontaires s’était terminée. Et à ce moment précis…

« Oh ! Le voilà. Tu viens de bouger tes ailes consciemment, Rentt ? » demanda Lorraine.

« Non. C’était chatouilleux, mais j’ai tenu aussi longtemps que j’ai pu… C’est ce que je voulais faire, » déclarai-je.

Je ne pouvais plus tolérer les mouvements de mains diaboliques de Lorraine vers la fin de ma courte résistance, mais il était vrai que je n’avais pas consciemment bougé mes ailes à un moment donné.

« Alors, c’est comme je m’y attendais, » Lorraine hocha la tête en entendant ma réponse. « Tu peux les déplacer de ton plein gré… Mais elles se déplacent aussi involontairement de temps en temps. Tes ailes voltigeaient ici et là pendant que j’essayais de les chatouiller, comme si elles avaient leur propre volonté… Par moments, il semblait presque que deux entités distinctes se battaient pour le contrôle de ces ailes. Tu as abandonné à la fin, n’est-ce pas ? »

« Oui. C’était un peu trop pour moi, » répondis-je.

« À ce moment-là, le subconscient a arraché le contrôle de tes ailes à ton toi conscient. C’est pourquoi tes ailes s’éloignaient de moi de leur propre gré… comme la queue d’un animal, si tu veux, » expliqua Lorraine.

Il semblait que Lorraine en était arrivée à une étrange conclusion. Voulait-elle dire qu’elle pouvait lire mon état d’esprit et mes émotions actuelles et que tout cela affectait les mouvements de ces ailes ? Même si les observations de Lorraine n’allaient pas si loin, le fait que mes ailes bougeaient parfois de leur propre chef posait quelques problèmes, l’un d’eux étant que je ne serais plus capable de cacher mes pensées efficacement. D’un autre côté, il serait impossible de marcher dans les rues de Maalt avec une paire d’ailes dans le dos.

Hm… ?

Oui, il y avait quelque chose d’autre à cela… peut-être, un autre problème.

« Ne serait-ce pas un peu terrifiant pour mes ailes de sortir de mon dos, ou de se déplacer par elles-mêmes sous mes vêtements ? » demandai-je.

« Nous verrons bien, » répondit-elle.

Lorraine alla chercher ce qui semblait être des vêtements bon marché, apparemment en lin. En m’habillant, je m’étais retourné, permettant à Lorraine d’inspecter mon dos.

« Eh bien ? » demandai-je.

« Hmm… Eh bien, oui, c’est vraiment terrifiant. Il semble que quelque chose sur ton dos fait saillie et bouge. C’est très inconfortable à regarder, » répondit Lorraine.

Je ne le voyais pas moi-même, mais je pouvais imaginer l’horreur que cela inspirerait au Maaltesien moyen. Après tout, il y avait des monstres qui avaient la mauvaise habitude de pondre leurs œufs à l’intérieur des humains, et j’avais moi-même vu des spectacles si horribles dans ma longue carrière d’aventurier. La surface de leur peau bougeait et ondulait, comme si mille vers de terre les traversaient. C’était vraiment un spectacle révoltant et horrifiant. Enfin… ils perceraient la peau, éclatant à travers l’hôte dans un spectacle malheureusement explosif.

C’était l’un des souvenirs les plus grotesques que je puisse me rappeler de ma vie antérieure. En fait, c’était probablement l’un des trois premiers.

Les deux autres souvenirs grotesques étaient les morceaux pourris de mon corps que j’avais vu pendant ma période en tant que goule et Thrall. Pouvoir voir ses organes — ses organes desséchés, en plus — était horrible. Il n’y avait tout simplement pas d’autre solution.

Je m’étais habitué, pour le meilleur ou pour le pire, à les voir ces derniers temps… Mais maintenant, une chose tout aussi grotesque était sur mon dos ? Non. Ça ne suffirait pas du tout…

Non. C’est terrible !

Lorraine, qui m’observait depuis le début, m’avait finalement fait une suggestion.

« Maintenant que j’y pense, Rentt… Ne pourrais-tu pas simplement plier ces ailes ? La plupart des monstres sont capables de le faire, rétractant leurs ailes dans leur corps ou autre, » demanda Lorraine.

« Je suppose que tu as raison. Certains monstres sont capables de tels… Mais comment je m’y prendrais ? » demandai-je.

« Comme si j’allais connaître la réponse ! Commence par l’imaginer dans ta tête, Rentt. Peut-être se déplaceront-elles avec une pensée forte ou deux… ? » demanda Lorraine.

Pendant un bref instant, nos yeux s’étaient croisés, et j’avais pu discerner du regard de Lorraine que nous étions tous les deux du même avis. Oui, c’était une conversation idiote, mais nous avions malheureusement dû en avoir une. D’un point de vue réaliste, il n’y avait pas vraiment de solution, étant donné que j’étais le seul dans la zone qui se trouvait dans des circonstances aussi étranges. Ce n’était pas comme si je pouvais simplement regarder quelqu’un d’autre pour m’inspirer de ce que je devais faire.

Quoi qu’il en soit, il serait sage de suivre les indications de Lorraine pour l’instant.

J’avais fermé les yeux et j’avais pensé à replier mes ailes dans mon corps — et avec une force soudaine, j’avais ressenti quelque chose me pousser légèrement sur le dos.

« Oooh ! » Lorraine, qui avait regardé tout ce temps, avait lâché un peu d’encouragements. Elle avait l’air très impressionnée en me tapotant le dos. « Tu as réussi, Rentt ! Ils sont pliés proprement maintenant. »

Levant la chemise de lin que je portais, Lorraine m’avait regardé dans le dos, apparemment sans avoir encore terminé son inspection.

« Hm… Oui. Je ne peux plus les voir, Rentt. Hmm… Je commençais juste à m’amuser avec elles aussi. Je suppose que ces comportements se situent à l’intérieur des paramètres acceptables…, » Lorraine hocha la tête, surtout à elle-même. « Est-ce que cela fait mal quelque part, Rentt ? »

« Il y a un sentiment de pression, » avais-je répondu honnêtement, « comme si mes organes étaient pressés en moi. Même ainsi, je suppose que mes ailes ne feraient pas que sauter — . »

« BOO !! » s’écrie Lorraine, soudain et bruyamment.

J’avais été, bien sûr, surpris. Comme c’est différent d’elle ! J’avais bien envie d’exiger une réponse de Lorraine, mais j’avais été accueilli par un regard exaspéré quand je m’étais retourné. Lorraine n’avait pas l’air très amusée.

Et tout ce que je voulais, c’était d’assurer à Lorraine que mes ailes ne bougeraient pas d’elles-mêmes…

« Je vois que ce tu n’es pas bon avec les surprises…, » déclara Lorraine.

Lorraine leva le miroir qu’elle tenait, et à l’intérieur se reflétait mes ailes déployées et tendues. Pour empirer les choses, elles n’étaient pas détendues et quelque peu pliées, comme elles l’étaient avant, mais elles étaient grandes ouvertes. Je ne pouvais qu’imaginer ce qui se passerait si quelque chose me faisait sursauter dans la rue. Est-ce que des ailes jailliraient soudainement de mon dos, suivies par des cris aigus des citadins à propos du diable, ou quelque chose du genre ?

C’est une bonne chose que nous l’ayons découvert si tôt… Oui, c’est une bonne chose…

***

Partie 4

« Eh bien. Je suppose qu’il n’y avait rien que nous puissions faire à ce sujet… Fais de ton mieux pour ne pas te faire surprendre souvent, Rentt, » déclara Lorraine, d’une voix un peu décontractée.

Comme c’est terrible.

Bien que j’aie essayé de trouver une solution avec Lorraine, le problème en cause semblait intrinsèquement insoluble, et c’était l’impression que j’avais eue de notre conversation. Mais, être mentalement résistant aux surprises n’était pas une compétence que je pouvais acquérir du jour au lendemain… Le mieux que je peux faire avait été de replier mes ailes immédiatement après avoir été surpris, et peut-être d’être conscient de garder mes ailes repliées tout au long de la journée. C’était là les deux solutions les plus réalistes au problème.

« Il vaudrait mieux que je puisse faire quelque chose par pure volonté…, » déclarai-je.

« Rentt, tu devrais au moins faire plus attention à Maalt. Ce serait un peu plus facile dans les labyrinthes en explorant seuls, sans qu’aucun autre aventurier te regarde dans le dos. Maintenant, même si quelqu’un a vu, tu pourrais simplement prétendre que c’était un de tes tours de magie originaux, ou une autre excuse créative que tu aurais pu trouver. »

Ce n’est pas vraiment une explication ou une excuse, mais je suppose que je n’aurais pas vraiment le choix dans une telle situation.

En y pensant calmement, même si mes ailes perçaient les vêtements que je portais, elles ne perceraient probablement pas ma robe. Après tout, ma robe était assez solide pour me défendre même contre les attaques de monstres. Peu importe la volonté ou la violence que mes ailes avaient décidé d’obtenir, un simple déploiement ne serait pas à la hauteur d’un coup intentionnel. En tenant compte de cela, ma robe resterait très probablement intacte.

« Par ailleurs, Rentt. Tes ailes… penses-tu que tu es maintenant capable de voler ? » Lorraine me regardait encore dans le dos.

Alors que je m’inquiétais des étranges appendices qui surgissaient soudainement de mon dos, il était tout à fait possible qu’ils aient eu leurs propres fonctions bénéfiques. Honnêtement, même moi, j’étais curieux de savoir ce que ces ailes pouvaient faire.

Pour commencer, les ailes étaient faites pour voler, et la plupart de ce que j’avais vu dans ma vie le suggéraient. Bien sûr, il y avait des oiseaux qui ne volaient pas sur ces terres. Bien qu’ils aient eu leurs propres ailes, elles avaient été ignorées dans une certaine mesure, d’où l’absence de vol de ces créatures.

« Je suppose que je devrais l’essayer…, » déclarai-je.

J’avais enlevé ma chemise et déployé mes ailes. Elles n’étaient en aucun cas grosses, pas même déployées, un simple coup d’œil suffisait pour m’informer que ces ailes étaient physiquement incapables de voler.

Mais pouvoir voler était une sorte de romance en soi. Comme je n’étais pas capable d’utiliser la magie du vol, un dirigeable ou ces ailes étaient les seuls moyens possibles pour m’élever dans le ciel. J’avais donc battu des ailes aussi fort que je le pouvais, impatient de voir si je pouvais réaliser mes rêves de vol.

Et pourtant…

« Je vois. Peut-être devrions-nous vérifier d’autres aspects de tes nouveaux appendices, » déclara Lorraine, sans le moindre signe de pitié en observant mes battements futiles.

Il était clair quant à ce qu’elle voulait dire : j’étais physiquement incapable de voler. J’avais beau essayer, mes pieds avaient à peine décollé du sol. Tout ce que j’avais pu faire, c’est créer une légère rafale dans la pièce.

« Non… Pas encore. Je dois juste mettre plus de puissance dedans ! Il doit y avoir des pouvoirs cachés dans ces ailes ! » déclarai-je.

J’avais intensifié mes mouvements, refusant d’abandonner.

Lorraine hocha la tête sagement. « Utile en été, sans doute. Ça crée une bonne brise, tu vois. »

Une déclaration froide.

Maudite soit-elle !

Était-ce tout ce que je pouvais faire ? Est-ce que toutes ces ailes en étaient capables ?

Non. C’est impossible ! Je devrais être capable de voler. Je devrais pouvoir voler à travers les cieux !

Manquait-il quelque chose ? Était-ce pour ça que je ne pouvais pas voler à ce moment-là ? C’était quoi ce mystérieux… quelque chose ?

Hmm. Je m’étais souvenu que certains dragons n’étaient pas capables de voler simplement parce qu’ils avaient des ailes… Les ailes seules ne pouvaient pas espérer soulever un corps aussi lourd… ou quelque chose comme ça ? Si oui, ne serais-je pas dans la même situation ?

Je m’étais tourné vers Lorraine pour obtenir des réponses.

« Eh bien… Blague mise à part, on dit souvent que les monstres aux masses corporelles énormes s’envolent souvent à l’aide de réserves de mana ou d’esprit. Dans tous les cas, je ne connais pas les détails précis et les détails exacts, bien sûr, mais cela vaudrait la peine d’essayer, » déclara Lorraine.

Lorraine venait de faire l’idiote, alors elle avait maintenant une suggestion légitime à me faire.

Je suppose qu’il fallait s’y attendre, puisque Lorraine était du genre à penser à toutes les solutions possibles à un problème. Étant donné son caractère, il ne serait pas étrange qu’elle en soit déjà arrivée à cette conclusion avant même que j’y pense.

En hochant la tête à Lorraine, j’avais commencé à infuser du mana dans mes ailes.

« Ah… Comme je m’y attendais…, » déclara Lorraine, avec un soupçon d’admiration dans sa voix alors qu’elle continuait à me fixer dans ma direction.

Comme le montrait sa réaction, j’avais décollé du sol et flottais maintenant en l’air. L’expérience m’avait semblé être un succès, et l’infusion de mana dans mes ailes était la bonne approche.

Cependant…

« Ne peux-tu pas aller plus haut, Rentt ? » demanda Lorraine.

Pour répondre à la question de Lorraine, la hauteur à laquelle je volais était un peu basse — tout au plus, on pouvait mettre environ deux gros livres entre mes pieds et le sol. Il serait peut-être plus approprié de dire que je flottais plutôt que de voler.

Il n’était pas difficile de comprendre pourquoi Lorraine disait ça, car même moi, je ressentais la même chose. Pour moi, voler, c’était s’envoler librement dans le ciel, et peut-être même faire quelques virages serrés. Je ne pouvais en aucun cas me satisfaire de ce maigre degré d’élévation.

J’avais essayé beaucoup de choses pour augmenter mon élévation, du renforcement de mon flux de mana et à la flexion de diverses parties de mon corps. Hélas, rien de ce que j’avais fait ne semblait affecter la hauteur à laquelle je pouvais voler.

« Je suppose que c’est tout…, » déclarai-je.

Lorraine m’avait donné quelques bonnes claques dans le dos alors que je m’étais affalé les épaules en signe de déception.

« Là, là, là. Dans tous les cas, tu peux éviter les pièges au sol grâce à cela. Pas trop mal, non ? Après tout, les trous au sol sont le roi des pièges — les plus simples, mais aussi les plus meurtriers, lorsqu’il s’agit de tuer des aventuriers, » déclara Lorraine.

Lorraine me consolait de toute évidence. Malgré tout, elle n’avait pas tort. Alors que les labyrinthes étaient souvent pleins de pièges, le plus mortel de tous ces engins compliqués n’était autre que les pièges les plus simples. Ils étaient souvent apparus en grand nombre, et leur construction simple les rendait difficiles à détecter.

Les pièges qui s’activaient lorsqu’on les piétinait étaient trop courants, peut-être comme une lance qui surgirait d’un trou dans le sol ou d’une flèche venant dans les crevasses d’un mur. Peut-être qu’un mécanisme plus ingénieux était en place, et qu’un danger invisible attaquerait l’aventurier s’il levait le pied. Malgré cela, on pourrait s’habituer à ce genre de pièges, et éventuellement voir à travers leur trahison.

Le piège à fosse, cependant… Il pouvait exister n’importe où, et il était difficile à détecter. Même moi, j’avais failli être leur proie à de nombreuses reprises… et à quelques reprises, j’étais tombé dans ces fosses. Heureusement, j’avais réussi à sortir de peu avant d’être tombé au fond, par exemple en balançant un grappin sur une corde que j’avais heureusement apportée et sortis. Bien sûr, une seule erreur dans une telle situation conduirait sans aucun doute à la mort. Ce n’était pas vraiment la chose la plus joyeuse à se rappeler, mais maintenant que j’avais ces ailes, je pouvais au moins éviter ces pièges mortels terriblement simples.

« Quoi qu’il en soit… si possible, j’aimerais quand même voler à de plus grandes hauteurs… Pour s’envoler dans les cieux…, » déclarai-je.

Dans mon chagrin, j’avais attrapé la télécommande du petit dirigeable. Comme prévu, il avait décollé rapidement et avec élégance — j’étais loin de ses mouvements de vol raffinés.

Le petit dirigeable volait librement dans les airs.

Ah… oui. C’est ce que je veux réaliser…

Soudain, j’avais légèrement incliné la tête, vaincu par un profond sentiment de perte. Lorraine m’avait rapidement rassuré, avec un soupçon d’inquiétude dans sa voix.

« Attends, attends. Il doit y avoir plus que ça, Rentt. Tu n’as toujours pas essayé certaines choses ! Que dirais-tu de l’esprit ou de la divinité, et non de la magie, la prochaine fois ? »

Lorraine avait raison : cela valait la peine d’essayer.

Il y avait encore de l’espoir. Je n’étais pas encore interdit de volé haut dans les cieux.

Solennellement, j’avais reposé le petit dirigeable au sol avant de ranger la télécommande. Revenant au centre de la pièce, j’avais déployé mes ailes une fois de plus. Avec le signe de Lorraine, j’avais insufflé tout mon esprit dans mes ailes.

Oui. Ça doit être ça !

Un bruit étrange avait rempli mes oreilles, un gémissement ? Avant de pouvoir identifier correctement ce son, j’avais réalisé que ma tête avait été violemment poussée dans le mur.

« R-Rentt ! Vas-tu bien !? Rentt ! » cria Lorraine.

La voix alarmée de Lorraine résonnait dans mes oreilles alors que ma tête restait à moitié enfoncée dans le mur de sa demeure.

***

Partie 5

Il n’y avait aucun dommage… à ma tête.

Encore une fois : aucun dommage.

« C’était quoi… ? » avais-je demandé en sortant lentement ma tête du mur.

La structure s’était légèrement effondrée en réponse, des morceaux du mur s’étaient détachés et étaient tombés sur mon visage. C’était peut-être à cause de la vitesse à laquelle je l’avais percuté, mais des morceaux du mur avaient été réduits en poudre, recouvrant mon masque d’un mince film blanc.

« Ce sont mes mots, Rentt… Vas-tu vraiment bien ? Tu as foncé la tête la première dans le mur à une vitesse assez élevée, » déclara Lorraine.

Lorraine affichait sur son visage l’expression de quelque chose entre le choc et l’étonnement. Si j’étais elle, j’aurais aussi porté la même expression. Nous étions au milieu d’une expérience de vol inoffensive, après tout, on ne se précipite pas dans des espaces clos plus vite que l’œil ne peut le voir quotidiennement. Pour empirer les choses, j’avais à moitié enterré ma tête dans le mur de sa demeure.

« Hmm… Oui, en fait, oui. C’est peut-être à cause de l’Évolution Existentielle, mais je ne ressens pas vraiment de douleur. J’ai l’air en grande partie indemne, » déclarai-je en inspectant mon corps alors que je répondais à la question d’une Lorraine préoccupée.

« Je vois ça, Rentt. Tu es en effet indemne — non pas que je puisse cependant dire la même chose pour ma maison. Je devrais réparer ça maintenant…, » déclara Lorraine.

Lorraine se tenait debout, enchaînant un sort sous son souffle. En quelques secondes, le mur endommagé recouvrait lentement son trou béant, et en peu de temps, il était à nouveau entier.

C’était un mur simple, fait de briques et d’autres choses du genre, donc il ne nécessitait pas de réparations magiques compliquées. Mais les sorts utilisés pour réparer les trous et autres dégâts n’étaient pas aussi simples que la magie d’attaque. Il s’agissait de sorts très compliqués et techniques, qui exigeaient beaucoup de connaissances de la part du lanceur. Lorraine semblait se spécialiser dans les sorts de cette nature et était capable de réparer les dégâts sans même lever le petit doigt.

La plupart des gens qui connaissaient bien les sorts de cette nature étaient des mages appartenant à une guilde d’architecte ou à une autre, et ils vendaient souvent leurs services à des nobles et à d’autres riches clients dans la capitale. Inutile de dire que de tels mages étaient relativement rares.

Il n’était pas facile d’apprendre les sorts en question, et même si l’on en comprenait les bases, l’application réelle de telles magies était au mieux difficile.

Mais Lorraine, en revanche… Elle n’avait pas l’air d’avoir trop de problèmes de son côté. Même si elle cessait un jour d’être érudite, il ne faisait aucun doute qu’elle pourrait facilement gagner sa vie dans d’autres domaines, plus variés.

Mon avenir, en comparaison, était un peu plus ennuyeux. Que ferais-je si j’arrêtais de m’aller à l’aventure ? Peut-être, devenir membre du personnel de la Guilde des Aventuriers ? Si ma mémoire était bonne, Sheila avait dit quelque chose de ce genre. Mais je n’avais pas l’intention de le faire, bien sûr.

« Et c’est comme avant que le mur s’effondre. Maintenant, si je devais deviner… c’était toi qui insufflais de l’esprit dans tes ailes, oui ? » demanda Lorraine.

Lorraine s’était tournée vers moi alors qu’elle terminait ses dernières réparations. J’avais hoché la tête en réponse.

« C’est vrai. J’ai infusé une grande quantité de mana dans mes ailes, mais je ne pouvais flotter qu’à basse altitude. J’ai supposé qu’il serait sûr d’infuser une quantité tout aussi grande d’esprit à la fois, et ainsi…, » déclarai-je.

« Parfois, je ne suis pas tout à fait sûre si tu réfléchis trop, ou si tu ne penses pas du tout, Rentt… Expérimenter lentement ne te tuerait pas vraiment. Pourquoi cette hâte ? » demanda Lorraine.

Lorraine me réprimandait avec son expression exaspérée, que j’avais connue au fil des ans.

Mais c’était comme elle l’avait dit : j’aurais dû en infuser une petite quantité dans mes ailes par précaution. J’avais été consumé par ma soif de voler, et ma hâte avait fini par causer un accident mineur. Je n’avais pas pu réfuter les arguments de Lorraine.

« Je ferai plus attention la prochaine fois, » déclarai-je.

« Veux-tu bien le faire, Rentt ? J’espère que tu t’en souviendras. Que dirais-tu d’infuser lentement de l’esprit dans tes ailes cette fois-ci ? » demanda Lorraine.

J’avais acquiescé d’un signe de tête obéissant à la suggestion de Lorraine. Ce serait un problème si je m’envolais à nouveau au hasard dans une direction étrange.

Je m’étais positionné au centre de la pièce. Il aurait peut-être été sage de tourner le dos au malheureux mur, car je n’avais aucun moyen de savoir où je m’envolerais ensuite. Quoi qu’il en soit, on pouvait supposer que je ne ferais plus de trous dans la maison de Lorraine tant que je n’aurais pas insufflé une quantité déraisonnable d’esprit dans mes ailes d’un seul coup.

Étonnamment, une petite quantité était suffisante pour générer une quantité notable de poussées vers l’avant avec mes ailes — comme Lorraine l’avait dit, ce que j’avais auparavant déjà fait de façon drastique.

Ma vitesse de poussée augmentait avec l’intensité de mon infusion d’esprit — un peu simple. Mais j’avais vite atteint un seuil de sécurité. Si j’en faisais plus, je provoquerais des rénovations non autorisées.

Il semblait difficile d’effectuer d’autres tests à l’intérieur. Lorraine, qui observait mes mouvements, avait une autre suggestion à donner.

« Hmm. Ainsi, l’esprit génère la poussée, et le mana te permet de flotter librement… Ne pourrais-tu pas bouger avec une infusion de mana seule ? Ou n’est-ce pas possible ? » demanda Lorraine.

« Je ne dirais pas que… peut-être un peu, » déclarai-je.

Pour le démontrer, j’avais laissé la puissance de l’Esprit de mes ailes s’estomper, puis je les avais à nouveau imprégnées de mana. Je flottais un peu à gauche et à droite, bien qu’il s’agissait de mouvements très lents. Mais je bougeais quand même un peu. Si je devais le dire, alors je flottais d’un côté à l’autre à la même vitesse que si je marchais.

« Ne serais-tu pas capable de voler si tu flottais avec le mana, et que tu te poussais ensuite en avant avec l’esprit, Rentt ? » demanda Lorraine.

« Je n’ai jamais essayé ça. Je suppose que je devrais… voilà, » déclarai-je.

L’utilisation des deux forces serait quelque peu difficile d’un point de vue technique, mais j’avais été capable de faire quelque chose de similaire avec mon Art Fusionnel mana-esprit. Bien sûr, une personne qui aurait formé ses compétences d’une manière plus classique considérerait probablement mes méthodologies comme étranges. Personnellement, cependant, j’étais habitué à mes applications désordonnées, il m’était donc tout à fait possible d’infuser mes ailes d’esprit et de mana en même temps.

J’avais des soucis, comme m’envoler soudainement dans une direction aléatoire à nouveau. Les effets de l’Art Fusionnel mana-esprit étaient aussi pour le moins inquiétants, surtout qu’une telle attaque avec ma lame avait fait imploser violemment les organes internes de ma cible… Dans cette veine, je préférerais de loin que mes ailes ne fassent pas la même chose.

Je devrais être très prudent…

C’est ainsi que j’avais commencé à infuser de petites quantités d’esprit et de mana dans mes ailes, d’une manière un peu effrayante et appréhensive. Étonnamment, je n’avais pas explosé et aucune partie de moi n’avait implosé. En fait, j’avais avancé d’une distance considérable et j’étais maintenant capable de modifier ma vitesse en changeant la quantité d’esprit dans mes ailes. C’était plutôt bon.

Non, très bien ! Je vole ! Je vole !

Au moins, j’avais l’impression de voler. En réalité, je flottais encore à une courte distance du sol. Néanmoins, l’excitation que j’avais ressentie était sincère.

Avec une forte poussée d’esprit, je pouvais voler jusqu’à des hauteurs importantes, puis glisser lentement à partir de ces altitudes. Strictement parlant, je planais plus que je ne volais. Puis, une soudaine compréhension s’était manifestée en moi.

J’ai évolué ! L’Évolution Existentielle m’a fait devenir un écureuil volant.

Attends…

Ce n’était pas tout à fait ce que je voulais dire. C’était loin d’être le cas.

Pourquoi étais-je passé d’un Thrall à un écureuil volant ? Cela n’avait aucun sens. Et pourquoi n’avais-je pas encore implosé… ? Je m’étais concentré, et j’avais vite découvert la réponse dans le flux d’énergies qui coulait à travers mes ailes.

Pour être précis, il s’agissait de flux d’énergie distincts, contrairement au mélange volatile que j’avais utilisé dans mes attaques d’Art Fusionnel mana-esprit. Mes ailes en forme de chauve-souris étaient composées de membranes de vol souples et d’une structure de soutien plus rigide. Selon les observations scientifiques de Lorraine, les membranes étaient des membranes de vol et les parties rigides étaient des os phalangiens. Quoi qu’il en soit, le mana avait traversé ces membranes, et l’esprit avait traversé mes os — dans des circuits séparés, bien sûr.

Curieux, j’avais essayé d’insuffler de l’esprit dans les membranes et vice versa, mais cela ne semblait pas physiquement possible. Je suppose que les deux ne devraient pas vraiment être mélangés quotidiennement, surtout parce qu’ils exploseraient autrement. Mes ailes avaient-elles été conçues en tenant compte de ces considérations ? Je ne connaissais pas grand-chose à la physiologie des monstres.

J’avais expliqué mes pensées à Lorraine.

« Très intéressant, Rentt… Mais oui, bien sûr, compte tenu des implications des Arts Fusionnels en physiologie… C’est logiquement sain, oui. Je ne peux pas faire de déclarations concrètes avant d’avoir procédé à un examen approfondi. Mais avec ça, on dirait que tu peux voler avec tes ailes. Tu vois, Rentt ? Pas si inutile, après tout. Tout est bien qui finit bien, » déclara Lorraine.

Un doux sourire illuminait ses traits. Elle avait continué.

« La dernière expérience serait la divinité…, » annonça-t-elle.

Ayant imprégné mes ailes de mana et d’esprit, je suppose que c’était la chose logique pour rayer la liste proverbiale.

La divinité était, à bien des égards, une capacité spéciale. C’était puissant, mais la nature de la divinité variait aussi, selon l’entité qui avait conféré la bénédiction au départ. Dans mon cas, j’avais été béni par certains esprits qui avaient habité un sanctuaire en ruines que j’avais été contraint de réparer. D’après ce que j’avais vu, il s’agissait d’une sorte d’esprit végétal — enfin, si l’on en croit les observations de Clope. Cependant, pour canaliser une telle divinité à travers mes ailes monstrueuses… Il y avait beaucoup trop de variables en place pour que je puisse penser à des précédents plausibles ou à des possibilités quant à ce qui pourrait arriver.

Quoi qu’il en soit, je devais quand même l’essayer. Il serait crucial d’avoir des connaissances, surtout dans les situations de vie ou de mort. Connaître ses outils était tout aussi important que savoir quand et où les utiliser — l’un des nombreux principes de base de l’aventure, et tous les aventuriers les plus expérimentés les connaissaient.

À l’aide d’une profonde respiration, j’avais calmé mon esprit, me préparant mentalement à ce qui pourrait se passer. Lentement mais sûrement, j’avais senti la divinité couler dans mes ailes. Et puis…

« Vraiment… Magnifique…, » des mots étranges, surtout de la bouche de Lorraine.

« Hein ? » demandai-je.

« Eh bien… tu vois, Rentt. Tes ailes… brillent, » déclara Lorraine.

Il va sans dire que même moi, j’avais été surpris par ces mots.

***

Partie 6

Que veut dire Lorraine ? Mes ailes brillent-elles littéralement ?

C’est la première chose qui m’avait traversé l’esprit lorsque j’avais analysé les paroles de Lorraine. Je me retournai quand même, ne fût-ce que pour affirmer ce qu’elle disait, puis je fixai aussitôt mon reflet dans le miroir.

C’était exactement ce qu’elle avait dit : contrairement à leur état il y a quelques instants, les ailes sur mon dos brillaient, enveloppées d’une lumière blanche et vive. Ce n’était pas une lumière forte, certainement pas la lueur de la magie d’attaque ou une lueur agressive. Au contraire, elle était douce, avec des taches de lumière qui en tombaient comme des flocons de neige silencieuse.

Je comprenais pourquoi Lorraine disait cela. La lumière qui enveloppait mes ailes était fantastique, presque incroyable dans sa nature.

Maintenant, alors que tout cela était bien, j’avais comme de la suspicion face à mes nouvelles ailes qui brillaient.

« Magnifique… peut-être. Mais qu’est-ce que cela signifie exactement… ? » J’avais réfléchi, en inclinant la tête alors que je continuais à réfléchir.

L’infusion de mana et l’esprit génèrent respectivement de l’élévation et de la poussée. C’était un phénomène facilement observable, mais c’était toute autre chose.

La divinité était une puissance forte et beaucoup plus puissante que le mana et l’esprit. Alors que j’espérais un effet plus marqué et dramatique, il me semblait que le fait d’infuser mes ailes de divinité les faisait briller. J’avais ressenti une grande déception.

Que devais-je faire du fait que je pouvais maintenant devenir une torche humaine à volonté ? Si je devais comparer une torche humaine à un écureuil volant ou à l’un de ses homologues évolutionnaires, ce dernier serait certainement plus utile. J’avais préféré de loin le vol à une source de lumière étrange.

« Rentt, ça te rendrait certainement plus facile à repérer dans le noir… Hm ? Ce…, » comme si elle avait remarqué quelque chose, Lorraine s’était détournée, laissant sa blague inachevée dans l’air.

En suivant son regard, je m’étais rendu compte qu’elle regardait le pot d’herbes que j’avais laissé dans un coin. Elle était placée dans l’endroit le plus ensoleillé de ma chambre empruntée, et j’utilisais souvent les plantes à des fins culinaires, c’était parfois même pour conserver la nourriture avec leurs feuilles. Qu’y avait-il de si inhabituel dans une plante en pot que je cultivais pendant mon temps libre ?

Lorraine était restée silencieuse, observant la plante intensément.

« Rentt… Je crois que ta plante pousse, » déclara Lorraine.

Elle avait l’air un peu plus grande qu’elle ne l’était il y a quelques instants, mais je pourrais dire que ce n’était rien de plus qu’une sorte d’illusion d’optique. Lorraine, comme si elle lisait dans mon esprit, s’approcha rapidement du pot, le ramassa et l’exposa à la lumière de mes ailes. Presque immédiatement, les herbes dans le pot avaient commencé à pousser à un rythme rapide, s’étirant et traînant par-ci par-là.

« Ce… »

« Donc, si tu infuses la divinité dans tes ailes, Rentt, les plantes autour de toi poussent plus vite ! Mais… Je ne sais pas trop comment interpréter cette observation…, » déclara Lorraine.

Lorraine semblait satisfaite du fait que son hypothèse s’avérait correcte, mais elle s’était vite retrouvée au beau milieu de sa propre célébration et s’était de nouveau profondément plongée dans ses pensées.

J’avais fait écho aux sentiments de Lorraine : y avait-il un sens à ce que mes ailes se comportent ainsi ? Hélas ! Même moi, je n’avais pas de réponses.

« Peut-être pourrais-je voler dans le ciel, m’arrêter de temps en temps pour bénir les gens avec une moisson abondante ? » demandai-je.

« Je vois. Comme c’est noble de ta part, Rentt. Es-tu en train de dire que tu arrêteras de partir à l’aventure et que tu explorerais plutôt les possibilités de devenir un marchand d’engrais mobile ? » demanda Lorraine.

Non. Ça n’avait pas l’air d’être une carrière très attirante.

Mais je ne pouvais pas nier que j’en étais apparemment capable.

Même moi, j’avais entendu des rumeurs sur ceux qui avaient été bénis par des esprits ou des dieux de la terre, et comment ils étaient capables de faire des exploits semblables à ce que je venais de faire. Ceux qui étaient bénis par la terre avaient la promesse d’une récolte éventuellement abondante, mais leurs champs devront encore être cultivés et récoltés naturellement après un certain temps. Dans mon cas, je semblais capable d’accélérer la croissance d’une plante en sautant complètement cette période d’attente. C’était sans aucun doute une capacité utile.

Si je devais entrer dans une église ou une organisation religieuse quelque part dans ces pays, je serais sûrement adoré comme un saint de la moisson, ou quelque chose comme ça. Ceux qui ne m’appréciaient pas trop, par contre, me considéreraient très probablement comme une sorte de service de fertilisation à la demande.

Cependant, il va sans dire que je ne m’intéressais aucunement aux métiers agricoles. Comme j’aimais tant me le rappeler, mon but était de devenir un aventurier de classe Mithril.

Comme on pouvait s’y attendre, je m’étais tourné vers Lorraine et je l’avais informée. « Je n’ai pas l’intention d’arrêter. Mais… Je suppose qu’il doit y avoir d’autres utilisations auxquelles je n’ai pas encore pensé… »

« Même moi, je peux le supposer. Peut-être… Hm. Oui, pourquoi pas…, » murmura Lorraine.

Peut-être Lorraine pensait-elle qu’elle devrait prendre la responsabilité de me suggérer de devenir une agricultrice magique.

Comme si une idée lui venait à l’esprit, Lorraine s’était mise à fouiller dans sa robe et puis elle avait tenu quelque chose dans la paume de la main.

Qu’est-ce que ça peut bien être… ?

« Que vas-tu faire avec ce couteau, Lorraine… ? » demandai-je.

« Pas grand-chose, tu vois. Juste… ça, » Lorraine répondit avec désinvolture en se frappant le dessus du pouce avec la lame de l’instrument.

C’était un mouvement familier à Lorraine, visible dans la façon dont elle manipulait le couteau. C’était probablement prévisible, étant donné que les contrats magiques et certaines techniques alchimiques exigeaient souvent une goutte ou deux de sang. Lorraine, pour sa part, semblait à peine gênée par la petite coupure sur son pouce. De plus, Lorraine m’avait fourni des fioles de sang ces derniers temps, alors je suppose qu’elle serait plus habituée à l’acte maintenant que jamais.

Ce que je n’avais pas compris, c’est pourquoi Lorraine s’était coupé le pouce. Comme pour répondre à mon regard curieux, Lorraine leva simplement son appendice blessé vers mes ailes luisantes.

« Parti, comme prévu, » déclara-t-elle.

Lorraine m’avait montré son pouce.

« Je vois. Ton pouce est complètement guéri… alors je suppose que la lumière a des capacités curatives, » déclarai-je.

« Oui, c’est une façon de le dire. Ça ne vaut-il pas la peine de fêter ça, Rentt ? Non seulement tu peux fertiliser leurs champs, mais tu peux aussi guérir les blessures et les maux des fermiers qui travaillent dur, non ? » déclara Lorraine.

J’espère que c’était une autre de ses blagues, mais Lorraine avait raison. Nous venions de découvrir un autre usage potentiel de ces ailes brillantes.

Il était raisonnable de supposer qu’un vol au-dessus d’une certaine région tout en ayant la divinité infusée dans ces ailes guérirait les gens qui y habitaient. Alors qu’un prêtre ou une prêtresse — un saint doté de pouvoirs curatifs — pouvait facilement accomplir de tels exploits, j’étais auparavant capable de guérir une seule personne à la fois. Une petite amélioration de ma part, mais une amélioration quand même.

« Un simple effet… mais c’est beaucoup mieux que de ne pas en avoir du tout, » déclarai-je.

« Tout à fait. Pense aux possibilités, Rentt ! Ils pourraient même te vénérer si tu te dépeins bien ! Tu brilles, après tout. Dis-leur que tu es un messager des dieux, ou quelque chose comme ça, » déclara Lorraine.

Je suppose que c’était encore une autre blague de Lorraine… mais sa déclaration sonnait juste. Cependant, la simple pensée d’être adoré et de faire de telles affirmations me terrifiait. Dans tous les cas, je ne souhaitais pas qu’on m’accorde autant d’attention. Je devrais choisir le moment d’utiliser cette capacité avec un peu de prudence.

« Mais encore une fois, je suis un aventurier solitaire… Il ne semble pas y avoir beaucoup d’occasions pour moi d’utiliser ça, Lorraine, » déclarai-je.

Une affirmation triste, mais vraie : le plus souvent, je m’aventurais seul. Qu’est-ce qu’un aventurier solitaire comme moi ferait d’une compétence de guérison de zone comme celui-ci ?

Lorraine ne semblait pas d’accord.

« Je ne dirais pas nécessairement ça, Rentt. Ne te rappelles-tu pas l’époque où les monstres se multiplient anormalement ? Les aventuriers partent en masse en réponse, non ? Ceux qui sont capables de guérir sur de vastes étendues sont précieux, n’est-ce pas ? Mais bien sûr, de tels événements ont toujours fait l’objet d’une demande obligatoire de la guilde…, » déclara Lorraine.

Lorraine faisait référence à la multiplication occasionnelle de monstres autour des villes. Pour se débarrasser immédiatement de la menace, les guildes d’aventuriers mobilisaient souvent tous leurs membres pour réduire les effectifs. De telles rencontres ressemblaient souvent à des guerres miniatures en raison du nombre de participants, et les aventuriers expérimentés dans les techniques de guérison étaient souvent très appréciés par la guilde. Ces aventuriers capables de guérir par la magie ou la divinité étaient rares et la plupart ne pouvaient s’occuper que d’une seule personne à la fois. Ainsi, tout aventurier qui avait la capacité de guérir des individus dans une région donnée était traité comme un trésor à part entière.

Dans des circonstances normales, les aventuriers pourraient se retirer des demandes obligatoires s’ils avaient une bonne raison de le faire, ou s’ils n’étaient pas essentiels à l’effort. Cependant, un guérisseur qui pouvait le faire sur une zone serait très probablement traîné sur le champ de bataille, peu importe ses opinions.

Alors, je suppose qu’il faudrait cacher ma capacité…

Mais… ça irait à l’encontre de ma conscience d’aventurier. Même si je n’étais pas humain, je répondrais quand même à l’appel de la guilde si un tel événement se produisait. Si je l’ignorais, il y aurait peut-être une chance que des monstres s’introduisent dans Maalt, alors regretter mon choix serait beaucoup trop tard. En fait, j’avais maintenant l’air plus humain que jamais, de sorte que je ne serais pas traqué immédiatement à cause de seulement mon apparence.

Je suppose que j’aurais encore des problèmes s’il y avait un aventurier au milieu d’eux avec un bon œil. Le mieux que je pouvais faire, c’était de ne pas trop me démarquer — ou du moins, c’est ce que je pensais.

« J’abandonnerais et j’irais avec la guilde si jamais cela se produisait… Mais je préférerais beaucoup que nous puissions faire quelque chose contre cette lueur…, » déclarai-je.

Même si j’utilisais mes nouvelles compétences de guérison, avoir une paire d’ailes brillantes sur le dos était un peu trop pour moi.

Pendant un moment, j’avais gardé la tête froide, exaspéré, à la recherche d’une solution. Vu comment j’étais maintenant, être traité comme une sorte d’ange divin était la dernière chose que je voulais.

***

Partie 7

« Avec cela, nous avons effectué tous les tests applicables en ce qui concerne tes ailes, » annonça Lorraine, avec une expression de grande satisfaction présente sur son visage.

Sur les instructions de Lorraine, j’avais tenté de voler en infusant mes ailes de Divinité. Comme dans mes expériences précédentes, il me semblait que la Divinité et le mana coulaient chacun à travers des structures différentes à l’intérieur de mes ailes, et, heureusement, aucune explosion liée à un accident de l’Art Fusionnel ne s’était produite. Je suppose qu’il y avait suffisamment d’espace dans mes ailes pour éviter un tel accident.

Mes ailes avaient été nouvellement développées avec ma dernière évolution. Mais j’étais profondément reconnaissant qu’elles aient été conçues pour ne pas imploser, exploser ou tout mélange de ces éléments. En échange, les explosions soudaines de puissance destructrice observées lors de mon utilisation des Arts Fusionnels à base de lames ne pouvaient pas être reproduites dans mes ailes. Mais en ce qui me concerne, cela me suffisait amplement d’être capable de voler. Si j’en attendais plus, j’en demanderais un peu trop à mes nouvelles ailes.

« Ah… oui. Il y avait une chose de plus… en quoi est-ce que j’ai évolué ? » avais-je demandé, soudain conscient du fait que Lorraine ne m’avait pas classé dans la catégorie des monstres, comme elle le faisait d’habitude en de telles occasions.

Je sentais que Lorraine avait une idée générale de ce que j’étais devenu, mais je n’avais pas encore insisté sur les détails. Lorraine, pendant ce temps, secoua la tête devant ma question.

« Pour le dire franchement, Rentt, je n’en ai aucune idée, » déclara-t-elle en secouant encore la tête.

« Allons, Lorraine. Tu sembles avoir une idée générale. Tu lisais ce tome sur les vampires quand je me suis réveillé. Tu l’as sûrement fait parce que tu avais une idée de ce que je pouvais être ? » demandai-je.

Bien sûr, Lorraine aurait pu simplement feuilleter le livre en panique, à la recherche de quelque chose qui ressemble à la créature que j’étais devenu. Mais Lorraine n’avait pas l’air pressée pendant qu’elle lisait. Il me semblait plutôt que Lorraine avait déjà une idée générale de ce que j’étais devenu et qu’elle vérifiait juste le tome pour vérifier ses suppositions afin de m’informer au réveil.

Peut-être m’étais-je trompé dans mon raisonnement, quoi qu’il en soit, Lorraine continua son explication.

« Eh bien, je suppose qu’on peut dire ça… Mais tu vois, Rentt… Je ne peux plus en être sûre après avoir vu tes ailes. Les vampires ne sont pas des monstres avec des ailes. Ils sont pour la plupart impossibles à distinguer des humains — ils ont des crocs pour sucer le sang, bien sûr, mais… ah ! Oui, ça. Et ton visage ? Ajuste ton masque pour que je puisse voir, » déclara Lorraine.

J’avais hoché la tête, déplaçant mon masque pour donner à Lorraine un meilleur look. J’avais voulu mentalement que le masque change de forme et j’avais rapidement exposé la partie inférieure de mon visage. Bien que je voulais donner à Lorraine une vue plus complète, c’était une forme stable qui pouvait être maintenue pendant longtemps, et c’était finalement celle que j’avais adoptée.

Avant, mes molaires et mes mâchoires étaient visibles, avec des morceaux de chair séchée et des muscles qui s’accrochaient à ma peau ici et là, Lorraine laissait échapper un petit souffle pendant qu’elle faisait son inspection.

« Oh ! Tu as de la chair maintenant. La même peau douce et lisse que le reste de ton corps… Comme c’est détestable. Mais oui, ta peau est sans doute pâle. Si je dois le dire, tu n’as pas l’air d’être en bonne santé, » déclara Lorraine.

Bien que Lorraine ait fait une telle affirmation, j’avais personnellement trouvé que sa capacité à maintenir un teint relativement lisse tout en vivant un style de vie aussi désordonné et malsain était un exploit plus impressionnant.

Maintenant que j’y pense, Sheila avait récemment déposé une telle plainte. Bien que sa peau ait été quelque peu lisse et belle de son côté, elle avait dépensé beaucoup de temps et d’argent pour son entretien, de sorte que c’était à prévoir.

Lorraine elle-même n’était pas étrangère à de telles pratiques, fabriquant ses propres produits de soins de la peau de haute qualité et d’autres cosmétiques avec ses capacités alchimiques. Ses habitudes quotidiennes et ses choix alimentaires laissaient cependant beaucoup à désirer, de sorte qu’il n’était pas surprenant que ses actions aient tapé sur les nerfs des femmes plus mondaines de Maalt.

« Je n’arrive pas à comprendre le concept d’un mort-vivant en bonne santé, Lorraine…, » déclarai-je.

« Hm. Je suppose que c’est un bon point, Rentt. D’un côté, tu es mort, mais de l’autre, mort-vivant. Vivre dans la mort n’est pas le meilleur état de santé, non… ? Mais assez de sémantique. Tu as des crocs. Incontestablement ceux d’un vampire — du moins, je le pense…, » déclara Lorraine.

Lorraine avait levé les mains vers mes joues et avait rapidement commencé à les manipuler — en les poussant, tirant, pressant — apparemment pour essayer de mieux voir.

« Pas aussi évident que je le pensais, non ? Eh bien… on n’a pas vraiment la chance d’observer les dents de vampires tous les jours, oui… Très intéressant. Cependant, je ne peux pas encore dire avec confiance que tu es un Vampire… Il pourrait s’agir simplement d’une dentition particulièrement tranchante… Hmm…, » déclara Lorraine.

Finalement, libérant mes joues, Lorraine s’approcha de la table, ramassant une fiole de sang avant de revenir.

« Ouvre en grand, Rentt, » déclara Lorraine.

J’avais obéi en ouvrant la bouche. Lorraine avait aussitôt ouvert la bouteille, trempant un petit bâton de bois dans la fiole, et plaça l’instrument souillé de sang dans ma bouche.

« Oh. Hmm. On dirait que tes crocs s’allongent quand tu penses à sucer du sang. Ne serait-il pas facile d’identifier les vampires ? Mais pourquoi ne fait-on pas simplement en sorte que tous les habitants de la ville s’alignent et ouvrent la bouche pour un test… ? Je suppose que c’était une idée stupide. »

Il semblait que Lorraine m’utilisait comme modèle pour trouver un test de détection des vampires à utiliser sur les habitants de Maalt. Mais comme elle l’avait supposé, une telle méthode serait au mieux étrange, car il était impossible de faire participer tous les habitants de la ville. En plus de cela, les vampires vivaient généralement en groupes étroitement liés de multiples individus. Même si on en trouvait un, il en informerait sûrement les autres. Le plus souvent, il était tout simplement plus efficace de convoquer un prêtre ou une prêtresse — un saint habile dans l’identification des monstres, qui passait alors un certain temps à localiser et à éradiquer les monstres en question. La technique de Lorraine avait probablement été utile comme méthode d’identification complémentaire.

« Alors, Rentt. Montre-moi la moitié supérieure de ton visage… Les vampires ont les yeux rouges, après tout, » ordonna Lorraine.

En hochant la tête, j’avais encore une fois modifié la forme de mon masque, exposant cette fois la moitié supérieure de mon visage apparemment rempli de chair.

« Ah, oui, oui. Quelle nostalgie… je veux dire, ton visage. Bien loin de ce qu’il était, avec ces trous vides et ces brins de muscles et de chair exposés. Tu as été très éloigné de tes traits humains à un moment donné…, » déclara Lorraine.

Lorraine avait tendu la main pour me toucher le visage. Ses mains agissaient de manière douce, pas comme la manipulation brutale à laquelle elle avait exposé mes joues il y a quelques instants.

« En te regardant maintenant, j’ai l’impression que je devrais te dire quelque chose en face…, » déclara Lorraine.

J’avais penché la tête vers Lorraine. « Qu’est-ce que c’est ? »

« Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ? » demanda Lorraine.

Bon retour parmi nous, Rentt Faina.

Cela devait sûrement être les mots que Lorraine voulait me dire.

J’avais l’impression que quelque chose m’était vraiment revenu, peut-être un sens renouvelé de l’humanité ? Ou peut-être… J’imaginais juste des choses.

 

◆◇◆◇◆

« Eh bien, alors… en ce qui concerne les détails de ta classification en tant que vampire…, » déclara Lorraine.

C’était bien dans le caractère de Lorraine de sauter d’une conversation quelque peu émotive à un froid dialogue scientifique. Bien que je suppose que ce qu’elle allait dire était tout aussi important.

« Alors… qu’en penses-tu, au final ? » demandai-je.

« Eh bien… si je devais deviner, tu es devenu une sorte de Petit Vampire. Une variante, peut-être. Tu es à tous les coups un pas au-dessus d’un Thrall, et quelque chose dans les veines d’un vampire. Cependant, je n’ai pas pu trouver de classement définitif. Tes yeux sont rouges, tu as des crocs qui réagissent à la présence du sang… Tout bien considéré, tu es bien un Vampire, mais je ne suis pas sûre de grand-chose d’autre, » déclara Lorraine.

Une déclaration inhabituellement vague, étant donné sa disposition habituelle.

Peut-être mon mécontentement était-il évident sur mon visage, car Lorraine fronça les sourcils en réponse, continuant sèchement son explication.

« Que veux-tu que je fasse d’autre, Rentt ? Je n’ai jamais entendu parler d’un vampire avec des ailes. Tu attends beaucoup trop d’une érudite des campagnes et des villes frontalières comme moi. De plus… tu es bien trop éloigné de la plupart des monstres. Ton corps est spécial, et tu es… différent. En raison de ta nature unique, tu ne correspondrais à aucune classification préexistante ou variante ou sous-espèce notée. Ce serait l’observation la plus exacte. Tout au plus pourrais-je dire que tu es une existence proche d’un certain type de Petit Vampire, mais encore une fois, c’est tout ce que je peux dire objectivement, » déclara Lorraine.

« Alors, la discussion ne s’arrête-t-elle pas là si tu l’exprimais ainsi, Lorraine ? » demandai-je.

« Exactement. C’est pour ça que j’avais l’intention de ne rien dire, Rentt, » déclara Lorraine.

Lorraine était un peu ennuyée, peut-être s’attendait-elle à ce que je ne dise rien si j’en étais déjà moi-même arrivé à une conclusion similaire. Je suppose que j’étais un peu idiot…

« Je te présente mes excuses, » déclarai-je.

« C’est très bien si tu le comprends. Blague à part, tu as évolué en douceur, n’est-ce pas ? Au moins, il n’y a aucune raison de douter que tu sois en constante évolution et que tu t’améliores. Je me demande, cependant… Que deviendrais-tu à la fin, Rentt ? Je suppose que ce n’est pas quelque chose que je pourrais imaginer. Avoir des ailes étranges qui défient la classification quand on est simplement une variante du Petit Vampire… Vas-tu ensuite faire pousser des cornes, vingt bras, et peut-être cinquante globes oculaires ? Même si c’était le cas, je ne serais pas surprise, » déclara Lorraine.

« Je prie pour que je ne devienne pas comme ça…, » répliquai-je.

Ses paroles avaient provoqué dans mon esprit une image tordue d’un monstre fou qui correspondait à sa description.

L’argument de Lorraine était cependant valable, car il n’y avait pas de précédent pour supposer que je ne deviendrais pas un être étrange et inhumain. Si possible, je voulais simplement rester comme ça — et pour le reste de la journée, mes pensées étaient fixées sur ce sujet.

 

***

Partie 8

« Avais-tu vraiment besoin d’apporter ça ? » demanda Lorraine en marchant dans les rues de Maalt.

J’avais acquiescé profondément à sa question. « Ce n’est pas une question de besoin, Lorraine. Je l’ai apporté parce que je voulais l’apporter. »

Je tenais dans mes mains la télécommande du petit dirigeable. J’y injectais du mana en marchant. J’avais fait la même chose après que nous ayons terminé notre discussion sur le vampire la veille, mais je n’avais malheureusement pas pu remplir entièrement le cristal. Je faisais la même chose aujourd’hui, en infusant lentement le cristal avec ma magie.

Cependant, grâce à mon travail acharné et constant, le cristal semblait être presque plein — environ soixante-dix pour cent, si je devais le deviner. Il me restait cependant encore beaucoup de mana en moi, et avec cela, le petit dirigeable pourrait probablement voler pendant environ deux heures. Cela me semblait logique.

Par ailleurs, l’endroit vers lequel nous nous dirigions en ce moment n’était rien d’autre que…

« Hm. C’est ici, n’est-ce pas ? Ah, un heurtoir…, » déclara Lorraine.

En arrivant à destination, j’avais regardé Lorraine hochant la tête en silence, levant la main vers le heurtoir qui me semblait familier. Je m’étais tu, et j’observais Lorraine en retenant mon souffle.

Lorraine avait saisi le heurtoir avec une certaine force, ayant l’intention de l’utiliser comme tout le monde et —

Crack.

Avec un son tout aussi familier, le heurtoir, la base et tout le reste s’étaient détachés de la porte.

« Ce n’est pas ma faute… Je suis innocente. Il était cassé depuis le début, » Lorraine avait lentement tourné la tête vers moi, me regardant droit dans les yeux en déclarant son innocence d’une voix paniquée.

Bien qu’elle puisse sembler être peu agitée par un observateur normal, je connaissais Lorraine depuis longtemps, alors le sort malheureux du heurtoir l’avait vraiment touchée.

Mais bien sûr, n’importe qui serait surpris qu’un heurtoir se détache sans raison, surtout si l’on n’était même pas dur avec lui. Moi aussi, j’avais été surpris par ce mécanisme à deux reprises dans le passé.

Les observations de Lorraine étaient correctes : c’est moi qui avais cassé le heurtoir en premier lieu… Mais je n’avais pas à le dire. Lorraine n’avait pas besoin de savoir — et une Lorraine paniquée était rare.

J’avais prédit qu’une telle chose se produirait, et j’avais préparé un adhésif extra-fort, raffiné à partir d’un liquide visqueux, à cette fin. Posant silencieusement de l’adhésif sur la porte, j’avais pris le heurtoir de Lorraine, le remettant en place sans un mot. En quelques minutes, le heurtoir avait l’air impeccable, comme s’il n’avait jamais été détaché.

Tout en gardant mon silence, j’avais calmement frappé à la porte avec une articulation — après tout, n’importe qui utiliserait un heurtoir de porte qu’on trouvait.

« Oui ? Qui est-ce… ? Ah ! AH ! Rentt ! »

Alize avait sorti la tête de derrière la porte du deuxième orphelinat de Maalt.

Oui, l’endroit où Lorraine et moi étions allés n’était autre que celui-ci. Notre but était d’accueillir Alize comme notre disciple collectif, et de faire rencontrer Lorraine en personne à l’enfant. Nous devions d’abord parler à Sœur Lillian parce qu’elle était l’administratrice de l’orphelinat. C’est pourquoi nous avions fait le voyage jusqu’ici, adhésifs et tout.

Alize semblait vraiment très excitée de nous voir. Elle avait ouvert la porte et nous avait conduits avec joie dans les couloirs de l’orphelinat.

« Vous arrivez au bon moment, Rentt ! Nous venons d’apprendre aujourd’hui que le médicament est prêt ! Nous pouvons guérir la maladie de Lady Lillian une fois pour toutes ! » déclara Alize.

 

◆◇◆◇◆

Ma demande initiale était de livrer une seule Fleur de Sang du Dragon à l’orphelinat — ce qui lui était arrivé après, n’importe qui l’avait deviné. Je m’étais toutefois quelque peu investi dans le sort de Sœur Lillian et je voulais savoir comment elle allait. La demande avait été présentée dans le but de la guérir en premier lieu, de sorte qu’il était un peu modeste de s’en aller parce que la demande était terminée. J’avais après tout joué un rôle important dans ce processus.

Mais il y avait un bon nombre d’aventuriers qui avaient fait exactement cela. Ils livraient ce qu’ils étaient censés livrer, puis ne revoyaient plus jamais le client. Bien que certains de mes collègues aient été quelque peu détachés à cet égard, j’étais personnellement plus intéressé par l’issue éventuelle de la situation.

Sur cette note, la joyeuse notification d’Alize arrivait exactement au bon moment.

« Oh… C’est vrai, Rentt. Qui est cette dame avec vous ? » demanda Alize.

Nous étions tous les trois assis dans une salle de réception familière. Alize parlait de Lorraine, se tournant vers elle pour la regarder et me demandant une réponse. Étant donné que j’avais toujours visité seul, je suppose qu’il était juste qu’Alize traite mon compagnon avec une certaine curiosité.

Je n’ai pas toujours voyagé ou travaillé seul — Rentt Faina a aussi des amis !

D’un point de vue réaliste… Je ne pouvais appeler personne d’autre que Lorraine et Sheila « amies » pour le moment. Une pensée pitoyable, mais, quoi qu’il en soit, j’avais acquiescé, offrant une réponse à Alize.

« Ah, je ne me suis pas encore présentée, n’est-ce pas. Enchantée de vous rencontrer, Alize. Je suis Lorraine Vivie, érudite, mage et aventurière occasionnelle de classe Argent. Je suis ici aujourd’hui en qualité de tuteur en magie, Alize, à savoir pour vous éduquer sur les voies de la magie, » déclara Lorraine.

Quelque chose semblait enfin s’enclencher dans l’esprit d’Alize.

« Une mage ! Et une de classe Argent !? Je… Je suis Alize. Est… Est-ce que c’est vraiment bon ? J’ai peu d’argent, et je suis aussi une orpheline…, » balbutia Alize.

Alize était de nouveau passée à sa façon plus formelle de parler, peut-être parce qu’elle n’avait jamais rencontré Lorraine auparavant.

Je m’étais souvenu de ma première rencontre avec l’enfant. À en juger par son choix de mots, Alize suggérait qu’elle ne valait pas le temps de Lorraine, alors que j’avais mentionné que je lui apporterais un tuteur en magie, j’avais peut-être oublié le fait que Lorraine était une aventurière de classe Argent. Les mages étaient une race rare dans ces pays, de sorte qu’un mage de la classe Argent semblait maîtriser des magies incompréhensibles et des sorts obscurs. C’est ainsi qu’une personne relativement normale les percevait.

Ils passeraient aussi pour être dangereux — infiniment plus dangereux que les gangs de voyous de la rue. Si l’on avait croisé des voyous, ils seraient tout au plus brutalisés par une rafale de coups de poings et de pieds. Si l’on avait fait la même chose avec un mage de la classe Argent, cependant, ils pourraient très bien être réduits en cendres en un clin d’œil, et ne jamais plus voir la lumière du jour.

Comme c’est terrifiant, Lorraine… !

Comme si, par télépathie, Lorraine sondant mes pensées, elle m’avait projeté un regard mortel avant de faire demi-tour presque instantanément. Alize semblait l’oublier, et elle parlait avec un sourire un peu plus prononcé.

« J’ai entendu parler de votre arrangement avec Rentt. Tout cela n’a-t-il pas été comptabilisé de cette façon ? J’apprécie aussi le fait qu’il m’est maintenant redevable alors il n’y a donc aucun problème. En ce qui concerne le fait que vous soyez orpheline, eh bien, je ne me soucie pas du tout de ces questions. Ah, je ne veux pas dire cela d’une manière désobligeante. Je veux simplement dire que j’offrirais mes services à des personnes de n’importe quel statut social, à condition qu’elles soient prêtes à apprendre. Je suis un mage, mais aussi un érudit, après tout. Le chemin de la connaissance n’est pas pavé d’or ou de position dans la société, mais de passion. C’est pourquoi je voudrais vous demander : avez-vous assez de passion ? C’est tout ce que j’ai besoin de savoir, » déclara Lorraine.

Un long discours… c’est ce que j’aurais pensé. Cependant, quelque chose d’autre que sa longueur avait attiré mon attention. Pourquoi le chemin de la connaissance ? Aux dernières nouvelles, Alize voulait être une aventurière, pas une érudite.

Je voulais le signaler tout de suite à Lorraine. Mais comme d’habitude, l’atmosphère actuelle ne me permettrait guère de faire une telle chose.

Alize déglutit durement et ferma les yeux, apparemment perdue dans ses pensées. Peu de temps après, elle avait eu une réponse pour Lorraine.

« Je n’ai pas beaucoup d’argent, oui… Mais j’ai de la passion. Je voulais devenir une aventurière pour aider Lady Lillian, mais maintenant… Maintenant, je veux devenir une aventurière — une aventurière comme Rentt. Je veux devenir une aventurière qui aide les autres. J’ai entendu beaucoup de choses de Rentt, et je sais très bien que ce n’est pas une tâche facile. Malgré tout… Je veux vous aider. Je veux essayer… de faire du bon travail. Si des études et un travail acharné sont nécessaires, et que je dois tout donner, alors je le ferai. Je suis prête à donner tout ce que j’ai. Alors…, » déclara Alize.

Alize semblait avoir du mal à trouver les mots appropriés. Elle livrait ses lignes un peu bredouilles, comme si son train de pensée était constamment interrompu. Mais il était clair qu’Alize avait bien réfléchi à la question qui lui avait été posée. Elle avait fait de son mieux pour communiquer ce qu’elle ressentait dans ces quelques lignes de bégaiement.

C’était probablement pour cela que Lorraine hocha la tête en entendant les mots d’Alize.

« Très bien, très bien. De cette façon, le contrat est scellé. Depuis ce jour, Alize, vous êtes ma disciple — la première disciple de l’érudite-mage Lorraine Vivie. Marchons ensemble sur le chemin de la magie et de la connaissance ! »

Alize avait répondu avec enthousiasme aux paroles de Lorraine, un large sourire sur son visage. C’était un moment beau et émouvant, l’instant où le lien entre un maître et son disciple s’était formé.

Mais… le chemin de la magie et de la connaissance ?

Connaissance… Eh… ? Attends. Attends. Mais Alize n’est pas une érudite ! Elle a juste dit qu’elle voulait devenir une aventurière !

Je voulais pousser un cri qui résonnerait du fond du cœur. Hélas, c’était impossible à faire — encore une fois, pas dans l’atmosphère actuelle. Finalement, au fur et à mesure que les réalités de la situation s’empilaient les unes sur les autres, j’avais été forcé de réaliser qu’Alize allait maintenant devenir un individu comme Lorraine — apparemment, une érudite-mage. Ou quelque chose comme ça.

Mais… Alize est aussi ma disciple…

Bien que beaucoup de pensées m’aient traversé l’esprit, je m’étais empêché de parler.

***

Partie 9

« Eh bien. Maintenant qu’Alize a accepté l’arrangement, il ne reste plus qu’à demander l’approbation de l’administratrice de l’orphelinat. Cette… Sœur Lillian, c’est ça ? Serait-il juste de supposer qu’elle est l’administratrice ? » demanda Lorraine.

Alize, étant l’une des enfants de l’orphelinat, était techniquement liée par ses règles, et l’opinion de Sœur Lillian sur la question devait être déterminée. Bien qu’elle jouisse d’une certaine autonomie dans sa vie quotidienne, il était probablement préférable que les discussions concernant son avenir se déroulent en présence de toutes les parties. Nous pourrions simplement sortir Alize de l’orphelinat et procéder sans autorisation verbale, mais ce ne serait pas une chose polie à faire.

Il n’y aurait aucun problème avec l’achat d’objets ou l’acceptation des demandes de la guilde, mais…

Lorraine avait déjà pris tout cela en compte, d’où sa question. Alize hocha la tête, offrant une réponse rapide.

« Oui, Lady Lillian est l’administratrice de cet orphelinat, et elle est religieuse de l’Église du ciel oriental. Elle est actuellement clouée au lit, mais les médicaments que nous avons commandés devraient bientôt être en route…, » répondit Alize.

« Ah, la demande que Rentt a faite il y a un moment, n’est-ce pas ? Dans ce cas… serait-ce un mauvais moment pour nous rendre visite ? Si elle ne va pas bien, nous pourrions toujours revenir un autre jour, » dit Lorraine, d’une manière inhabituellement flexible et mature.

Alize, cependant, secoua la tête. « Non, ce n’est pas grave. J’avais déjà informé Lady Lillian que des invités viendraient aujourd’hui… S’il vous plaît, par ici. »

Alize s’était levée et nous avait conduits hors de la pièce.

Sœur Lillian était probablement encore dans la pièce où je l’avais vue la dernière fois. Elle semblait encore avoir du mal à se déplacer. Personnellement, j’avais le sentiment que nous aurions pu lui rendre visite après son rétablissement, mais si la sœur elle-même se sentait suffisamment bien pour nous voir, alors il serait impoli de notre part de refuser.

Jetant un rapide coup d’œil de côté à Lorraine, nous nous étions tous les deux tenus debout, en suivant Alize hors de la petite salle de réception.

◆◇◆◇◆

« Pardonnez-moi, Lady Lillian, » dit Alize en frappant doucement à la porte.

Une voix douce nous fit bientôt signe d’entrer. Ce n’était pas une voix saine, mais la bonne sœur semblait un peu plus vive que d’habitude. Elle était peut-être de meilleure humeur aujourd’hui.

Je ne savais pas si Alize avait mentionné quoi que ce soit du médicament à la Sœur Lillian, mais je savais qu’elle finirait par se rétablir, étant donné les récents développements. C’était peut-être pour ça que j’avais pensé qu’elle semblait plus… en bonne santé.

Au-delà de la porte et couchée sur un lit, une femme d’âge moyen était couchée sur le dos — peu de choses avaient changé depuis ma précédente visite.

« Ah… Vous êtes l’aventurier d’il y a un moment. Monsieur Rentt. J’ai entendu parler de vos actes. Il semble que vous ayez vaincu les monstres dans le sous-sol de stockage…, » déclara Lillian.

Ce devait être mon visage, ma robe ou mes vêtements étranges en général, mais mon apparence avait certainement fait remonter un souvenir dans l’esprit de la bonne sœur, et elle s’était adressée à moi presque immédiatement.

Comme elle l’avait dit, du moins sur le papier, j’étais ici pour nettoyer le sous-sol infesté de monstres… et en vérité, c’est exactement ce que j’avais fait. Mais « défaite » n’était pas tout à fait le bon choix de mots. Mais la sœur n’avait pas dit grand-chose sur le fait de transformer ces monstres en mes familiers.

Dans un autre ordre d’idées, Edel avait jugé bon de visiter l’orphelinat avant nous, et il se chargeait actuellement de ses subordonnés. La souris se tenait généralement occupée, au moins quand nous n’étions pas en train de parcourir les profondeurs d’un donjon. Mais je lui avais à peine donné la permission de le faire. Edel adorait simplement s’enfuir tout seul loin de moi.

Strictement parlant, je me débrouillais très bien sans Edel la plupart du temps, et il était plus utile pendant les combats, donc je suppose que c’était bien. Cependant, j’aurais préféré un sentiment de loyauté plus fort, mais c’était un sujet que j’aurais préféré aborder à un autre moment.

J’avais attiré mon attention sur la conversation en cours.

« Ce n’était pas grand-chose. Je suis heureux de savoir que l’orphelinat peut maintenant retourner à des jours plus paisibles, » avais-je dit à la Sœur Lillian.

« Non, non, Monsieur Rentt. Vous nous avez rendu un grand service. Peu importe la taille du monstre, il grandirait sûrement en force s’il était laissé seul. J’avais entendu dire que les monstres du sous-sol étaient des Puchi Suris, et si leur nombre avait augmenté, cela aurait été assez gênant…, » déclara Sœur Lillian.

Sœur Lillian avait raison. Bien que les Puchi Suris soient de petits monstres ressemblant à des souris qui ne semblaient pas représenter une grande menace, le véritable danger était leur capacité à coloniser les villes et les villages en se multipliant et en créant des populations énormes. Très rarement, un spécimen fort pouvait apparaître parmi eux, et ce grand Puchi Suri passait des années, voire des décennies, à amasser tranquillement son pouvoir dans les rues d’une ville, ou peut-être dans les égouts. Il régnerait sur ses frères et construirait un énorme nid, amassant finalement une imposante armée de Puchi Suri…

C’était ce que j’avais entendu. Néanmoins, je ne pouvais plus me rappeler d’où exactement je l’avais entendue, alors j’avais décidé d’oublier cette petite mise en garde presque instantanément. Je ne voulais pas penser à un scénario où Edel deviendrait une sorte de chef de la pègre des souris dans les bas-fonds de la ville. Pour commencer, une telle entreprise lui prendrait beaucoup de temps et, si un tel événement se produisait, Edel serait encore mon familier.

« Il n’y en avait pas tant que ça. Aussi, Alize a réussi elle-même à en vaincre un, » déclarai-je.

Je ne m’attendais pas à ce que Sœur Lillian soit si surprise de ce que je viens de dire.

« Alize l’a fait ? Vraiment ? » Elle avait tourné son regard sur Alize et moi.

Le visage d’Alize s’était légèrement aigri, et elle avait donné une réponse faiblement.

« Oui, Lady Lillian…, » répondit Alize.

Avais-je dit quelque chose de mal ? J’avais rapidement ajouté à mon explication.

« Je voulais qu’elle acquière de l’expérience, au cas où quelque chose de fâcheux se produirait à l’avenir. Était-ce inutile ? » demandai-je.

« Non… Rien de tel. Mais… Alize, tu aurais dû m’informer qu’une telle chose s’était produite. »

Un avertissement, mais la bonne sœur n’avait pas l’air contrariée.

« Mes excuses, Lady Lillian… Je ne voulais pas vous inquiéter, » déclara Alize.

« Mais je vais bien, Alize… Tu ne devrais pas tant t’inquiéter pour moi, » déclara la sœur.

Les deux semblaient beaucoup s’aimer l’une et l’autre. Moi, par contre, j’étais simplement soulagé qu’il n’y ait pas de tensions inconfortables dans l’atmosphère.

« Ah… Oui. Qui ça peut être, là-bas ? » demanda Sœur Lillian, se tournant vers Lorraine.

« Je suis Lorraine Vivie, érudite-mage. Une vieille amie de Rentt — en plus, depuis beaucoup d’années. C’est un plaisir de vous rencontrer, Mlle Lillian, » déclara Lorraine.

« Je vois… Je suis l’administratrice de cet orphelinat, Sœur Lillian de l’Église du Ciel Oriental. S’il vous plaît, le plaisir est pour moi. Qu’est-ce qui vous amène tous les deux ici aujourd’hui… ? » demanda la sœur.

Au moment où nous étions sur le point de répondre, d’autres sons plus bruyants étaient venus de l’autre côté de la porte, suivis de quelques voix plus fortes…

« Grande Sœur Alize ! Messieurs Unbert et Norman sont là ! »

C’était les plus jeunes enfants de l’orphelinat, à en juger par leur voix.

Alize avait toujours répondu à la porte quand il y avait des invités, car il semblait que les autres enfants étaient trop jeunes pour le faire correctement.

Si ma mémoire est bonne, ces deux-là étaient le guérisseur et l’herboriste à qui j’avais parlé lors de la livraison des Fleurs de sang de dragon. La dernière fois que je les avais vus, ils allaient faire des médicaments de leur côté.

« Ah…, » Alize s’était agitée en entendant ces noms. « Puis-je ouvrir la porte, Lady Lillian ? Il n’y a personne d’autre… »

Les autres enfants auraient probablement pu ouvrir la porte, mais après avoir traversé l’orphelinat une fois, il était juste de supposer que les enfants moins âgés ne l’aient pas fait. Pourtant, c’est tout naturellement qu’Alize s’était empressée d’ouvrir la porte. Sœur Lillian, pour sa part, semblait comprendre la situation, et elle avait souri un peu maladroitement.

« Ça ne me dérange pas, mais qu’en est-il de tes invités, Alize… ? Ne serait-il pas impoli de les laisser ici ? » demanda Sœur Lillian.

Lorraine et moi n’étions pas vraiment dérangés par ces développements, alors nous avions tous les deux donné nos réponses.

« Tout ira bien, Alize, » déclarai-je.

« Oui. Nous devons aussi parler à Sœur Lillian à propos d’autres choses. Vous devriez y aller, Alize, » déclara Lorraine.

Sœur Lillian avait légèrement incliné la tête face à notre choix de mots, mais n’avait pas offert d’autres mots de protestation.

« Nous vous remercions de votre hospitalité. Vas-y, Alize. Reviens aussi vite que possible, » déclara Sœur Lillian sur un ton un peu plus sévère maintenant.

« Oui. Je m’excuse, Rentt, Lorraine. Je reviendrai bientôt…, » déclara Alize, inclinant la tête en sortant de la pièce.

Sœur Lillian soupira en fermant la porte derrière elle. « Elle a toujours été une enfant nerveuse. Je vous présente mes excuses. Mes efforts pour lui inculquer les bonnes manières manquent, semble-t-il… »

Personnellement, j’avais eu l’impression que Sœur Lillian n’avait presque aucune raison de s’excuser. Mais Lorraine avait été la première à réagir en conséquence.

« Non, rien de tel, Mlle Lillian. Alize est plus que capable pour son âge. C’est une enfant polie et agréable. De plus, elle est aussi… très talentueuse, » déclara Lorraine avec détermination.

Comme on pouvait s’y attendre, ses dernières paroles avaient attiré l’attention de la bonne sœur.

« Talent, vous dites… ? » demanda sœur Lillian.

***

Partie 10

« Oui. J’ai pu le confirmer de mes propres yeux. Alize est une enfant talentueuse. Pour être précise, elle a un bon talent pour… la magie, » déclara Lorraine, en réponse à la question de la sœur.

Dans des circonstances normales, il était impossible pour quelqu’un d’évaluer la capacité magique d’une autre personne, surtout si la personne en question était simplement assise sans rien faire. Cependant, un vétéran-mage était capable d’un tel exploit. Il y avait une certaine technique à cela — déterminer la capacité magique d’une autre personne juste en la regardant. Lorraine, en particulier, avait des yeux pour ça, peut-être des yeux magiques. Il n’y avait donc personne de plus qualifié que Lorraine pour discerner les capacités magiques et innées d’un individu. C’est en partie pour cette raison que Lorraine était venue à l’orphelinat, bien que rencontrer Alize en personne ait aussi été un facteur.

Il va sans dire que je n’étais pas capable de tels exploits. Bien que j’avais assez de mana en moi pour me qualifier de mage, la magie était quelque chose gouvernée par la logique et la théorie. C’était une connaissance que je n’avais pas encore apprise.

Dans la vie, j’avais appris des cantiques et des sorts simples. Ils étaient si simples que seule une petite quantité de mana était nécessaire à leur exécution. Pour info, j’avais utilisé les mêmes sorts tout ce temps. Cependant, si j’utilisais des niveaux plus élevés de sort, j’aurais probablement besoin d’une étude et d’une compréhension plus détaillées.

« Un mage… ? Elle a un peu de mana en elle, oui, mais qu’en est-il de sa capacité… ? » demanda Sœur Lillian.

Je suppose que Sœur Lillian n’avait jamais envoyé Alize pour un examen détaillé. Bien que de nombreuses personnes soient nées avec le mana en elles, toutes n’en avaient pas assez pour devenir des mages à quelque titre que ce soit. Pour le vérifier, il fallait se faire examiner par un mage vétéran, de préférence à l’aide d’objets magiques finement calibrés. Bien sûr, ce processus coûterait beaucoup d’argent, peu importe le résultat. C’était à peine une somme qu’un orphelinat pourrait se permettre, surtout avec un budget déjà très restreint.

À l’origine, Lorraine devait être payée pour ses services. Cependant, elle cherchait aussi, par coïncidence, une étudiante à qui transmettre ses compétences, et elle avait décidé d’enseigner gratuitement à Alize. Elle était restée relativement bornée quant à ses intentions, comme je l’avais glané dans mes conversations antérieures avec elle la veille.

Alize avait insisté pour que Lorraine soit payée un montant raisonnable, ce qu’elle avait été autorisée à faire. Je lui prêtais la somme appropriée, après tout.

« J’ai peut-être dépassé mes limites, bonne sœur, mais j’ai déjà évalué les capacités d’Alize quand nous étions assises dans la salle de réception. J’aurais besoin d’instruments plus précis pour obtenir une lecture exacte, oui, mais d’après ce que je peux voir, Alize pourrait facilement devenir une Mage de la Cour si elle essayait, » déclara Lorraine, une fois de plus en faisant des déclarations choquantes avec une expression nonchalante.

Avoir du talent était une chose, mais en avoir assez pour devenir un jour un Mage de la Cour en était une autre. Les Mages de la Cour étaient des mages au service de la Cour royale, l’apogée des praticiens de la magie dans le royaume de Yaaran. Ils répondaient directement au roi lui-même, et ils étaient tous des mages d’une force magique extraordinaire. Les mages de la cour du roi, à leur tour, possédaient tous de grandes réserves de mana, et la connaissance pour en faire des sorts appropriés. Il fallait avoir une connaissance approfondie de la théorie magique pour réaliser un tel exploit. Naturellement, la plupart des mages les admiraient, espérant un jour être parmi eux.

Mais bien sûr, rares étaient ceux qui avaient réussi à s’emparer du titre.

« Vraiment, Mlle Lorraine ? Même si elle a du talent…, » déclara Sœur Lillian.

Sœur Lillian avait été suffisamment choquée, alors qu’elle regardait Lorraine d’un air incrédule, la bouche béante. Mais Lorraine secoua la tête lentement.

« Je comprends votre surprise, bonne sœur. Même moi, j’ai été surprise par cela. Cependant, je ne plaisante pas du tout. Avec l’éducation et la formation appropriées, Alize est sûre de devenir une mage extraordinaire. Malgré tout, elle pourrait très facilement devenir une roturière sans rien si elle était paresseuse. Tout dépend des désirs de l’enfant… et peut-être de son désir de réussir. C’est à peu près l’essentiel, oui, » déclara Lorraine.

Lorraine avait raison, car certains individus avaient mis fin à leur vie de mages ordinaires, même s’ils avaient la chance d’avoir de grandes réserves de mana.

Bien que la capacité de mana soit importante, on ne pouvait pas espérer devenir un mage de premier ordre avec que cela. La connaissance magique était également importante, la compréhension des fondements et des théories de la magie allait de pair avec la capacité de mana. Ce n’est qu’en ayant les deux qu’un individu pouvait s’engager sur le chemin de la grandeur magique.

Par exemple, je savais peu de choses sur la théorie magique et la magie. Peu importe la quantité de mana que j’avais, je n’avais pas de moyen fiable de l’utiliser. Mais maintenant que j’avais une plus grande capacité de mana, je pouvais commencer à étudier les théories magiques de base. Cependant, mon esprit était obsédé par l’Évolution Existentielle, et, si possible, j’aimerais évoluer à nouveau dès que je le pourrais. Ces pensées, à leur tour, m’avaient fait oublier l’idée d’étudier la magie.

Pour commencer, comme j’étais un épéiste dans la vie, tout ce que je savais, c’était des sorts simples pour renforcer mon corps ou mon équipement. Ils étaient simples, mais efficaces, et j’avais mémorisé ces sorts il y a longtemps. Je suppose que j’irais aussi loin que possible avec mon arsenal actuel, et si jamais j’arrivais à un blocage, je pourrais alors changer de direction.

Mon récent voyage dans le Marais des Tarasques s’était très bien passé, mais j’avais senti que certains sorts magiques auraient pu rendre mon voyage beaucoup plus facile. Par exemple, une certaine magie d’attaque à longue portée aurait fait peu de travail de ces Gobelins, et une attaque de foudre bien placé ou un sort de gel se serait débarrassé de cet essaim entier de bêtes poissons. Quand le pont s’était effondré, j’aurais pu le renforcer avec de la magie de la terre sur le champ, et il ne serait peut-être pas écrasé d’une manière aussi spectaculaire. Au moins, je pouvais imaginer que Lorraine ferait toutes ces choses et plus encore, car elle aurait abordé le problème sous un angle beaucoup plus stratégique.

« Je vois… Mais alors, qu’en est-il d’Alize ? Qu’a-t-elle dit sur le fait de devenir mage ? » Sœur Lillian avait demandé, avec de l’inquiétude évidente sur ses traits.

Il était de notoriété publique que le chemin d’un mage était difficile, que les défis commençaient tôt et qu’ils ne se terminaient jamais vraiment. Même la formation de base en magie était particulièrement éprouvante. Il fallait se donner à fond — une tentative timide n’était pas suffisante pour apprendre la magie. Il fallait mémoriser et bien comprendre les théories magiques avant de les mettre en pratique. Même à ce moment-là, le mage prospectif devait être mentalement préparé à l’inévitable coup de fouet de la rétroaction si l’un de ses sorts échouait ou devenait malsain.

En outre, la plupart des gens associaient les mages aux batailles et aux combats, ou du moins, aux professions qui impliquaient de tels événements. Il existait d’autres parcours professionnels, où l’on pouvait devenir un chercheur et un artisan d’objets magiques, ou servir le roi ou le chef d’un royaume ou d’un autre. Certains devenaient des aventuriers, passant leurs journées à tuer des monstres et d’autres bêtes à travers le pays. Les situations de combat étaient l’occasion parfaite pour un mage d’utiliser ses talents magiques, et il était bien payé pour ses services.

Malgré cela, de nombreuses personnes ayant la capacité de mana nécessaire pour devenir mage ne voulaient pas le faire, ne serait-ce que parce qu’elles valorisaient leur vie plus qu’une carrière lucrative.

La bonne sœur se demandait probablement si Alize comprenait tout cela. J’aurais peut-être dû lui dire ce que l’enfant avait dit dès le début…

« À propos de cela… Alize avait en fait discuté de son rêve de devenir une aventurière avec moi lors de ma précédente visite, » déclarai-je.

« Eh… ? »

« Je me souviens d’avoir mentionné qu’elle avait vaincu un Puchi Suri tout à l’heure, sœur Lillian. C’était un test, pour voir si elle avait le courage de devenir une aventurière… J’ai pensé qu’elle devrait l’expérimenter de ses propres mains. Si elle avait réagi à cette situation avec peur, elle n’aurait jamais fait une bonne aventurière. Mais Alize a vaincu le monstre correctement. J’ai l’impression qu’elle comprend les risques encourus, » déclarai-je.

Mais je n’étais qu’un tiers, je ne pouvais donc jamais savoir comment Alize se sentait dans cette situation, et je ne pouvais donc pas simplement déclarer que mes conclusions étaient absolument exactes. Cependant, Sœur Lillian n’avait rien su de tout cela avant notre conversation, et j’avais pensé que je devais lui dire ce que je savais des espoirs et des rêves d’Alize. Tout ça pour référence, bien sûr.

J’aurais peut-être dû demander la permission à Alize avant de parler de ses rêves, mais il est vrai qu’elle avait de telles aspirations. J’avais supposé que je ne sortais pas du droit chemin.

Sœur Lillian ne semblait pas non plus être du genre à piétiner les rêves des autres. Même si Alize n’avait pas d’aspirations concrètes, elle était à l’âge où la plupart des enfants avaient encore des espoirs et des rêves. Pour le meilleur ou pour le pire, peu d’entre eux ont réalisé leurs rêves d’enfance, mais même moi, j’avais décidé de devenir un aventurier de classe Mithril dès mon jeune âge.

Sœur Lillian semblait perdue dans ses pensées, contemplant mes paroles. Après un bref silence, elle hocha lentement la tête.

« Si c’est le cas… Si Alize le souhaite vraiment, je ne l’arrêterais pas. Mais… pourquoi un aventurier, entre toutes les choses ? » demanda Sœur Lillian.

À ce moment précis, quelques pas résonnèrent de l’extérieur de la porte. Alize avait choisi un bon moment pour revenir.

***

Partie 11

La voix d’Alize avait retenti derrière la porte en bois rachitique. « Lady Lillian, j’ai amené M. Unbert, le guérisseur, et M. Norman, l’herboriste. Ils veulent vous voir. Pouvons-nous entrer ? »

« Mais…, » Sœur Lillian se tourna vers Lorraine.

Lorraine et moi avions secoué la tête à l’unisson.

« Ça ne me dérange pas, ma sœur. Je les ai déjà rencontrés, » déclarai-je.

« Ça ne me dérange pas non plus. Si nous sommes sur le chemin, bonne sœur, nous prendrons congé, » avait ajouté Lorraine.

Lorraine et moi étions tous les deux des individus relativement idiots pour ça, mais nous étions tous les deux capables de lire l’atmosphère quand cela comptait vraiment. Nous avions simplement décidé de ne pas le faire dans notre vie quotidienne, pour une raison ou une autre.

Je suppose que c’était la façon la plus simple de le dire…

« Vraiment… ? Alors nous acceptons votre gentillesse. Ils sont probablement ici pour discuter de la question de ma maladie, qui me tourmente depuis un certain temps…, » déclara Sœur Lillian.

Unbert était le guérisseur responsable de la surveillance de la sœur, et Norman était apparemment son associé. Il était facile de comprendre pourquoi ils étaient venus.

« Eh bien, alors. Vous pouvez entrer, » déclara Sœur Lillian.

Alize avait escorté les hommes dans la pièce en réponse. C’était un spectacle familier — un homme mince, d’âge moyen, et un jeune homme légèrement bedonnant. Alors qu’ils semblaient un peu surpris de nous voir Lorraine et moi au chevet de la sœur, ils m’avaient vite reconnu et ils nous avaient accueillis tous les deux avec un sourire poli.

Au total, il y avait cinq personnes dans la salle, à l’exception de Sœur Lillian. Tout un rassemblement pour une petite pièce exiguë. Lorraine et moi avions proposé de renoncer à nos sièges puisqu’il n’y en avait que trois dans la salle. Alize s’en aperçut rapidement, sortant à nouveau de la pièce, paniquée.

« J’apporte d’autres chaises ! » dit-elle, disparaissant encore une fois par la porte.

Surpris par la disparition soudaine d’Alize, je m’étais arrêté, figé dans une allure comique à moitié levée. Norman et Unbert nous avaient fait signe de nous asseoir et, à leur insistance, nous avions fait ce qu’on nous avait dit.

C’était une atmosphère embarrassante, et Sœur Lillian avait été la première à briser le silence.

« Soupir… Elle a toujours été une enfant nerveuse… Je m’excuse en son nom, Mesdames et Messieurs. Peut-être que mes efforts pour lui inculquer les bonnes manières ont raté…, » déclara Sœur Lillian.

Sœur Lillian semblait un peu exaspérée, mais elle souriait avec résignation, et elle n’avait pas l’air en colère ou contrarié du tout.

Mais Alize n’était qu’une enfant de 12 ans. Le fait qu’elle ait été capable de faire cela méritait un peu de respect. En fait, comparé à ce que j’étais quand j’avais cet âge… Non. Il n’y avait absolument aucune raison d’être mécontent d’Alize. Lorraine, elle aussi, semblait avoir des souvenirs similaires, si l’on en croyait son expression. Même Unbert et Norman semblaient avoir des pensées similaires.

À moins qu’Alize n’ait été élevée inutilement et strictement, il était presque impossible pour une fillette de 12 ans dans un orphelinat d’avoir des manières parfaites. Le fait qu’elle avait remarqué un manque de chaises et qu’elle s’était précipitée pour en obtenir plus était en fait un bon indicateur de caractère.

« Non, ça ne nous dérange pas du tout. Elle est après tout beaucoup mieux élevée que nous ne l’étions quand nous étions enfants, » déclara Unbert le guérisseur, d’un ton doux.

Unbert semblait avoir un tempérament doux, mais la barbe sur son visage et son comportement général lui donnait plutôt l’air d’un aventurier. Compte tenu de la façon dont il avait mis sur pied un dispensaire à Maalt, et avait offert des soins à ses citoyens, il ne serait pas étrange qu’il soit un aventurier à un moment donné de sa vie.

« Je suis très contente que vous le preniez comme ça, Unbert. Mais qu’en est-il des autres…, » Sœur Lillian déclara cela, regardant loin de lui et vers les trois autres adultes dans la pièce.

D’après ce que j’avais pu voir, nous avions tous un sourire aussi vague. Je suppose que nous avions tous eu nos souvenirs d’enfance.

« Eh bien… Je suppose que tout le monde a été enfant, une fois. Même moi, j’ai passé un tel moment… Eh bien, alors. Unbert, Norman, vous vouliez me parler ? Je m’excuse d’avoir parlé avec vous tous en même temps comme ça. J’avais déjà demandé la permission de M. Rentt et de Mlle Lorraine. S’agit-il peut-être de mon corps, de mon état ? » demanda Lillian.

Sœur Lillian avait ensuite expliqué la situation à Unbert et Norman, qui avaient hoché la tête après avoir écouté attentivement.

« Ah, je vois. Cela ne me dérange pas vraiment qu’ils soient ici, mais il y a juste une possibilité que la discussion se poursuive pendant un certain temps. Est-ce que ça vous conviendrait mieux si vous finissiez votre conversation d’abord… ? » demanda Unbert, en regardant dans notre direction.

Si cela continuait, les adultes dans la salle seraient pris dans une boucle sans fin de courtoisies sociales. Lorraine avait rapidement mis un terme à cela.

« Non, notre discussion prendrait aussi du temps. Si ce que vous avez à dire à Sœur Lillian concerne sa santé, alors cela nous concerne aussi. Peut-être devrions-nous tous nous asseoir et parler de la question à l’ordre du jour, non ? » demanda Lorraine.

En vérité, Alize avait seulement voulu devenir une aventurière pour trouver un remède à la maladie de Sœur Lillian. Le fait qu’Unbert et Norman parlent ouvertement de sa maladie nous permettrait d’expliquer les aspirations d’Alize plus tard dans la conversation.

Il y avait aussi la question des soins, avec le mélange qu’Unbert et Norman avaient concocté pour la Sœur. Tout ce que Sœur Lillian avait à faire, c’était de le boire et de commencer le processus de guérison, alors expliquer les intentions d’Alize à partir de ce moment serait sans doute plus facile.

La sœur elle-même semblait confuse face aux paroles de Lorraine, mais Unbert et Norman semblaient avoir déduit notre situation.

« Si vous êtes d’accord avec leur présence, Lady Lillian, alors il n’y a aucun problème. Cependant, ils entendront parler des raisons de votre maladie récente. Ça ne vous dérange pas, Lady Lillian ? » demanda Unbert.

Elle hocha lentement la tête. Sœur Lillian ne semblait pas avoir de problème avec la proposition.

« Je ne comprends pas vraiment la situation… mais s’il faut qu’ils soient présents, cela ne me dérange pas. S’il vous plaît, commençons la discussion, » déclara Sœur Lillian.

◆◇◆◇◆

« Alors… avec votre permission, Lady Lillian. Au sujet de la maladie qui vous a affligé… J’espère que cela ne vous inquiète pas, mais vous souffrez de ce qu’on appelle la “Maladie de l’Accumulation du Miasme”, » déclara Unbert, qui allait droit au but.

Peut-être qu’il n’était pas du genre à prendre son temps, ou peut-être qu’il pensait que cela causerait un choc encore plus grand à la sœur… Quoi qu’il en soit, Unbert avait livré son diagnostic clairement.

Je connaissais cette maladie avant même qu’Alize ne m’en ait parlé, alors je ne pouvais que supposer qu’il s’agissait d’un terme courant chez ceux qui étaient capables d’utiliser la divinité.

Toute la couleur avait disparu du visage de Sœur Lillian dès que les mots avaient quitté les lèvres d’Unbert. Je suppose que la gravité de la maladie était telle…

Les personnes atteintes ne mourraient pas de la maladie immédiatement, mais je suppose que la perspective de mourir dans les cinq à dix prochaines années terrifierait n’importe qui. Unbert avait probablement prédit sa réaction, d’où son premier avertissement.

Il aurait peut-être dû lui dire qu’il y avait un remède… D’un autre côté, même si le remède était connu, l’ingrédient impliqué — la même Fleur de Sang du Dragon que j’avais récupérée dans le marais il y a un moment — était incroyablement cher. Sœur Lillian, plus que toute autre personne, serait au courant des difficultés qu’il y avait à se procurer un tel article, ainsi que des coûts qui s’y rattachaient.

« Mais alors… combien de temps me reste-t-il… pour obtenir quelque chose d’aussi coûteux qu’une Fleur de Sang du Dragon… ? Qu’adviendra-t-il de cet orphelinat ? » Sœur Lillian dit, haletante.

Cependant, son évaluation était correcte et, après un certain temps, la sœur s’était arrêtée, apparemment plus calme. Lentement, elle secoua la tête.

« Je vous présente mes excuses. Mes pensées ont pris le dessus sur moi. Alors, combien de temps me reste-t-il ? Je vais contacter le siège de l’Église du Ciel Oriental… Il faudrait un certain temps pour trouver un successeur, quelqu’un qui pourrait bien gérer l’orphelinat. Dois-je commencer les préparatifs… ? » demanda Sœur Lillian.

Son visage était encore pâle, mais la bonne sœur fit un visage fort et parla d’une voix ferme. Sa détermination était formidable.

Cependant, il n’y avait aucune raison de s’inquiéter, et Unbert secoua la tête pendant qu’il continuait.

« Comme je l’ai dit, Lady Lillian. Ne vous inquiétez pas, s’il vous plaît. Je n’avais pas encore tout à fait fini. Vous voyez, votre maladie sera guérie. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter, » déclara Unbert.

Les yeux de sœur Lillian s’étaient ouverts en grand.

***

Partie 12

« Guéri… ? De cette… maladie de l’accumulation du Miasme qui me tourmente ? »

C’était peut-être une voix presque rauque d’incrédulité, qui résonnait au fond de la gorge de la sœur. D’après sa réaction, il était évident que Sœur Lillian connaissait les particularités de la maladie et le fait qu’il n’était pas facile de s’en remettre.

Unbert se répéta en réponse à la réaction de la sœur, comme pour renforcer son propos. Il avait parlé une fois de plus, lentement et avec détermination.

« Oui. À en juger par la façon dont vous avez réagi tout à l’heure, Lady Lillian, vous devez savoir que le seul remède à cette maladie est un médicament fabriqué à partir d’une Fleur de Sang du Dragon. Cependant… nous avions déjà quelques spécimens en main. Et nous avons déjà terminé la synthèse du médicament en question… Tout ce que vous avez à faire, Lady Lillian, c’est d’en boire une certaine quantité à intervalles réguliers. »

Il semblait qu’un traitement régulier était nécessaire, car on ne guérissait probablement pas d’une seule gorgée. Je suppose que c’était acceptable, puisqu’il suffisait de boire le médicament pour obtenir une guérison complète.

Sœur Lillian semblait le comprendre, mais son expression restait quelque peu douloureuse.

« Non, eh bien… Mais… Je n’ai pas l’argent pour acheter un tel médicament…, » déclara Sœur Lillian.

Elle secoua la tête en signe de résignation apparente. Unbert l’avait arrêtée.

« Nous n’exigeons aucun paiement. N’est-ce pas, Norman ? » déclara Unbert, se tournant vers son ami rebondi.

« Exactement, » Norman l’herboriste hocha la tête profondément. « Après tout, nous n’avons pas eu à dépenser un sou pour nous procurer l’ingrédient le plus cher dans ce mélange… Sans compter que les autres ingrédients étaient assez bon marché. Quoi qu’il en soit, nous avons été plus qu’adéquatement rémunérés pour nos efforts… »

Je suppose que Norman avait fait référence aux Fleurs de Sang du Dragon que je lui avais données. Il pourrait sûrement vendre ces médicaments ailleurs, à d’autres personnes que la sœur. Il m’avait dit qu’il fabriquait des médicaments pour les pauvres, mais je lui avais donné plus qu’assez d’ingrédients pour faire des profits. Après tout, il serait difficile de continuer à faire ce qu’il avait fait s’il n’avait aucun profit. Je suppose que Norman comprenait assez bien la nature de son entreprise. Si Norman n’était pas l’homme que je pensais qu’il était, et qu’au lieu de cela il se livrait à des affaires louches, je lui demanderais de me rendre mes fleurs, mais même ainsi, il n’avait pas l’air de ce genre. Pour ce que ça valait, je lui faisais confiance.

Je l’avais compris par la frugalité des vêtements qu’il portait et de la manière dont il se comportait. Il était difficile d’imaginer que Norman avait un trafic immoral de médicaments sous le manteau. On pourrait dire qu’il se mettait sur le devant et qu’il portait des vêtements plus abîmés, mais les doutes ne s’apaiseraient jamais si j’entretenais ces pensées.

« Vous n’avez pas dépensé un sou… ? Mais, n’avez-vous pas dit qu’une Fleur de Sang du Dragon était nécessaire pour guérir cette maladie ? Je sais combien cet ingrédient coûterait, Norman. Même si vous l’avez obtenu d’une façon ou d’une autre… Je sais qu’Unbert était un aventurier… mais pas un assez doué pour affronter le marais des Tarasques. Je m’excuse pour mon franc-parler, Unbert…, » déclara Sœur Lillian.

La sœur avait regardé les deux hommes d’un air soupçonneux.

C’était comme je le pensais — Unbert était l’un de mes collègues, même si cela faisait longtemps. Il avait l’air d’avoir un certain talent, peut-être un aventurier de classe Argent inférieure ? Du fait qu’il était un guérisseur… de Rang Argent Supérieur, peut-être. Mais même alors, Unbert serait mal équipé pour s’attaquer seul au marais.

Unbert n’avait pas l’air offensé par les paroles de la sœur, et il avait plutôt hoché la tête calmement.

« Bien sûr que oui. Cela aurait été impossible pour moi. Il se trouve que nous avons peut-être eu… de la chance. Nous avons croisé le chemin d’un aventurier bienveillant qui venait de rentrer du marais, et il nous a permis d’avoir des Fleurs de Sang du Dragon… et à un très bon prix, » déclara Unbert en regardant dans ma direction.

Le choc sur le visage de sœur Lillian était évident. Comme si je me souvenais de la raison initiale de ma venue à l’orphelinat, Sœur Lillian s’était tournée vers moi.

« Vous avez fait ça… pour moi, Monsieur Rentt ? Mais… n’avez-vous pas été engagé pour débarrasser le sous-sol des monstres… ? » demanda Sœur Lillian.

C’est bien ce que j’avais dit à Sœur Lillian, mais seulement parce qu’Alize voulait que j’explique la situation comme telle. Maintenant, j’avais compris le raisonnement d’Alize, car elle ne me faisait pas entièrement confiance à l’époque, et elle avait des doutes sur le fait que je lui ramènerais vraiment une fleur. Alize ne s’était pas trompée dans son jugement puisque ce n’était pas un ingrédient qu’on pouvait se procurer si facilement. Même moi, j’avais eu des problèmes en cours de route.

J’avais donné ma propre explication.

« C’est tout simplement un moyen d’arriver à ses fins, Sœur Lillian. Pour commencer, je ne savais pas si je pouvais traverser le Marais des Tarasques intact. Nous avons pensé qu’il valait mieux ne pas vous donner de faux espoirs avant que je ne revienne avec succès afin qu’on puisse faire faire le médicament. Alize ne voulait pas vous inquiéter. »

C’était plus le raisonnement d’Alize que le mien. J’avais pensé qu’il n’était pas nécessaire de parler de ce qui s’était passé avant que j’aie accepté la demande. L’émission d’une demande à la guilde était très bien, mais il y avait une chance qu’aucun aventurier n’offre son aide, et la possibilité toujours présente d’échec, même si un aventurier avait répondu à l’appel. Alize avait décidé qu’il serait relativement inutile de faire naître les espoirs de la sœur avant qu’une solution concrète ne soit trouvée, et cette solution, c’était moi. J’avais accepté sa demande et je l’avais menée jusqu’au bout.

C’était tout — ni plus ni moins. Alize avait simplement pris le meilleur choix dans une situation défavorable, puis s’était mise à résoudre le problème du mieux qu’elle le pouvait.

En y repensant, j’avais pensé que je devrais prendre un moment pour admirer la détermination et la volonté d’Alize. Cependant, je suppose qu’Alize ne comprenait pas vraiment la logistique d’une telle opération, puisque le Marais des Tarasques était un endroit où même les aventuriers adultes préféraient ne pas s’aventurer.

Même si les aspirations d’Alize étaient quelque peu imprudentes, le fait qu’elle ait pris la décision de faire une telle chose était en soi admirable. Alize devait vraiment admirer Sœur Lillian, d’une façon ou d’une autre.

« Je… Je vois. Mais alors… pourquoi aller aussi loin pour cueillir des Fleurs de Sang du Dragon, Monsieur Rentt… ? » demanda Sœur Lillian.

« C’était bien sûr une demande, » répondis-je.

C’était exactement ça. Je suppose que c’était le moment idéal pour expliquer toute la situation.

« Mais… de qui ? » demanda Sœur Lillian.

« Je suppose que vous avez déjà vos soupçons, ma sœur. Le client était… “Les orphelins du deuxième orphelinat de Maalt”, clairement écrit sur le formulaire, » déclarai-je.

« Les enfants… ? » demanda Sœur Lillian.

Bien qu’elle ait semblé choquée, Lillian elle-même s’était rapidement adaptée à cette évolution. Il était clair que quiconque comprenait qui avait fait la demande, même si je n’avais rien dit.

« Surtout Alize…, » avais-je continué mon explication. « Nous discutions des difficultés de cueillir une telle fleur, n’est-ce pas ? Si personne ne répondait à l’appel, Alize avait l’intention de devenir elle-même une aventurière, et d’aller un jour dans le marais… C’est à quel point elle vous respecte, Sœur Lillian. »

« Alize ferait ça… pour moi ? Je… Je vois… d’où l’idée de devenir une aventurière…, » Sœur Lillian avait dit cela lentement, et elle avait commencé à relier les points.

Elle hocha la tête, lentement et à plusieurs reprises. Unbert profita de l’occasion pour intervenir.

« Peut-être pourrions-nous reporter cette discussion. En tout cas, Lady Lillian, vous serez guérie. Norman a les médicaments avec lui. Veuillez l’accepter, » déclara Unbert.

Unbert recula, permettant à Norman de s’approcher du chevet de la sœur. Récupérant une petite boîte en bois de son sac, l’herboriste avait remis le médicament à Sœur Lillian. Les mains tremblantes, elle accepta le cadeau, ouvrant lentement le couvercle de la boîte. À l’intérieur, il y avait une quantité appréciable de grosses pilules, de la taille du bout du doigt.

« Prenez-en une par jour, pendant environ un mois. Ces pilules expulseront le miasme accumulé dans votre corps et, avec cela, vous serez débarrassé de la maladie de l’accumulation de Miasme qui vous a tant affligé. Le processus de guérison varie cependant d’une personne à l’autre. Si vous avez besoin de plus, nous avons en stock. Ne vous inquiétez pas, nous vous fournirons tout ce dont vous avez besoin gratuitement si jamais vous en avez besoin. Vous devriez être en mesure de vous sentir en convalescence à chaque application. N’oubliez pas de prendre une seule pilule avec de l’eau tous les jours. »

Prenant une pilule, Sœur Lillian la tenait sous ses yeux, la main tremblant légèrement pendant qu’elle la tenait.

« Je… Je serai vraiment guéri ? Je ne sais pas… quoi dire. Merci, tout le monde… Je n’oublierai jamais ce cadeau, tant que je vivrai…, » déclara Sœur Lillian.

La sœur inclina la tête. De grosses gouttelettes de larmes tombèrent sur ses draps blancs. En même temps, un bruit familier retentissait de la direction de la porte.

« J’ai apporté les chaises — hein… ? »

Alize, qui avait ouvert la porte avec des chaises derrière elle, avait failli les faire tomber quand elle avait regardé dans la salle.

***

Partie 13

« Qu… ? Que s’est-il passé ? Qu’est-ce qui se passe !? » s’exclama Alize, en voyant Sœur Lillian en larmes.

Alize s’était précipitée dans la pièce, paniquée, avant de se rendre compte que quelque chose d’extraordinaire s’était produit dans la pièce pendant son absence. Les chaises, bien sûr, avaient été laissées dans le couloir, je suppose qu’il fallait s’y attendre dans cette situation.

Sœur Lillian, supprimant ses sanglots, répondit lentement à Alize. « Alize… Oh ! Je devrais vous le dire ! Qu’est-ce que vous avez fait, à me cacher tout ça… ? »

Face à ces mots, Alize s’était tournée sur elle, nous regardant tous avant de se tourner rapidement vers Sœur Lillian. Il semblait qu’elle avait suffisamment compris la situation.

Alize avait répondu quelque peu en s’excusant. « Ah… J’ai été découverte, hein… Je m’excuse. Euh. Mais… nous… Nous voulions vraiment que vous alliez mieux, Lady Lillian… »

C’est ainsi qu’Alize avait tout raconté à Sœur Lillian, n’oubliant aucun détail. Alors que je pensais que Sœur Lillian serait bouleversée par les actions d’Alize, elle avait plutôt souri doucement, sans un soupçon de colère dans sa voix.

« Je comprends. Je n’ai pas l’intention de vous blâmer ou de vous réprimander, Alize… Non. Au lieu de cela, je me sens vraiment bénie… Dans des circonstances normales, la maladie de l’accumulation du miasme resterait incurable — telle est la difficulté de se procurer une Fleur de Sang du Dragon. Parmi les fidèles et ceux qui sont bénis par la divinité, c’est une maladie des plus redoutables… Malgré tout…, » déclara Sœur Lillian.

« C’est un miracle des Grands Anges… Ça doit l’être. Un… Un miracle, en reconnaissance de tout le travail que vous avez fait pour nous, pour l’orphelinat, Lady Lillian… Un m-miracle…, » déclara Alize.

Alize baissa la tête. Les paroles émouvantes de la sœur l’avaient probablement émue au point de la faire pleurer.

Sœur Lillian continua à sourire, en secouant la tête lentement.

« Je n’ai fait que ce qui devait être fait. C’est peut-être bien le choix des Grands Anges, mais, plus que tout, c’était vous, Alize. Vous avez travaillé dur pour m’aider. Monsieur Rentt a bravé le marais et il a trouvé les fleurs… pendant qu’Unbert et Norman synthétisaient le médicament. Je vous suis profondément reconnaissante… pour toute votre aide. Vraiment. Merci, tout le monde…, » déclara Sœur Lillian.

Quelque chose semblait jaillir du fond de son cœur, alors que les larmes coulaient à nouveau des yeux de la sœur.

◆◇◆◇◆

« Rentt ! Rentt ! Je peux y aller ensuite ? Je peux y aller ensuite ? »

« Eh ! Je suis le prochain ! »

« Eh !? Mais j’étais le premier dans la file ! »

Une petite foule se tenait autour de moi dans la petite chapelle de l’orphelinat, les yeux fixés sur un petit dirigeable à l’air familier, volant dans la zone. La foule n’était autre que Lorraine, moi-même et tous les orphelins du deuxième orphelinat de Maalt.

Le dirigeable volait d’une manière un peu précaire et semblait parfois instable, mais il restait fermement en vol. Comme s’il obéissait à la volonté de l’individu qui le contrôlait, il restait à l’écart du plafond et des murs. Celui qui tenait la télécommande était l’un des orphelins de la foule, un garçon d’environ cinq ans. J’avais commencé à jouer avec le dirigeable il y a quelques instants, l’enfant me regardait avec envie, alors j’avais pensé qu’il était juste de le laisser faire. Le garçon n’avait pas de mana en lui, mais j’avais rechargé le cristal du dirigeable de façon adéquate et il suffisait de tenir la télécommande pour qu’il s’élève dans le ciel.

On pourrait peut-être se demander comment j’avais pu me retrouver dans une telle situation. L’explication était simple : Unbert et Norman étaient revenus après avoir donné à la bonne sœur des instructions sur la façon de prendre le médicament. Sœur Lillian, cependant, avait voulu parler à Alize en privé. Lorraine et moi avions été invités à attendre dehors.

La conversation portait sans aucun doute sur notre projet de faire d’Alize un aventurier-mage-chercheur en quelque sorte. C’était tout un engagement, alors je ne m’attendais pas à une réponse immédiate, quelques jours, ou peut-être même un peu plus.

Bizarrement, on nous avait dit que la conversation ne prendrait pas beaucoup de temps. Curieux, j’avais demandé une raison, et on m’en avait donné une comme telle. Même si nous avions l’air un peu étranges pour Sœur Lillian, elle ne nous considérait pas comme des personnes mal intentionnées, et elle croyait qu’on pouvait nous faire confiance. Elle souhaitait simplement interroger Alize sur sa détermination et ses rêves pour l’avenir.

Mais…

Un peu étrange ?

J’avais l’impression que j’aurais dû dire quelque chose au sujet de notre étrangeté perçue, mais j’avais finalement décidé de ne pas le faire. Lorraine, sentant mon mécontentement, m’avait rapidement tiré hors de la pièce, annonçant que nous attendions dans la chapelle de l’orphelinat.

J’aurais peut-être dû être plus déterminé. Étrange ? Nous ? Pourquoi ? En quel sens… ?

Mais je suppose que tout cela avait été dit et fait maintenant. Les deux individus avaient vraiment besoin de parler.

« Eh bien, Rentt. Est-ce que c’est vraiment bon ? Cela n’est-il pas important pour toi ? » déclara Lorraine en regardant le petit dirigeable qui volait au-dessus de nos têtes.

Lorraine avait raison — le dirigeable signifiait beaucoup pour moi, mais je ne devais pas interdire à tout le monde d’y toucher. La joie de contrôler un objet magique aussi merveilleux devrait être partagée par le plus grand nombre de personnes possible… Du moins, c’est ce que je pensais.

Pour que cela se produise, il fallait des participants, mais j’étais plus préoccupé par la possibilité d’un vol. Heureusement, il n’y avait pas lieu de s’inquiéter dans cette situation particulière, et je m’étais retrouvé à apprécier l’atmosphère de la pièce plus que je ne l’aurais due.

« C’est très bien. Ils ont tous l’air de s’amuser, » répondis-je en jetant mon regard vers les enfants qui se passaient la télécommande entre eux.

« Je suppose que oui, » Lorraine hocha la tête, déplaçant son regard aussi bien. « Mais, Rentt… qu’en penses-tu ? Serait-elle d’accord ? »

Un changement de sujet, sans doute, le sujet en question n’étant autre que celui de la carrière d’aventurier d’Alize.

« Je crois que cela devrait aller. Considérons le fait que les options de carrière d’un orphelin sont quelque peu limitées. S’ils travaillent dur et sont assez intelligents, ils finissent moines ou sœurs dans un sanctuaire quelque part. La plupart des enfants ici, cependant, devraient trouver un emploi de leur propre chef. Alize est encore jeune, mais elle atteindra l’âge adulte dans deux, peut-être trois ans, et elle sera dans le même bateau. Nous ne faisons qu’accélérer le processus, » répondis-je.

Lorraine avait un regard un peu douloureux présent sur son visage, ce qui était prévisible, étant donné la cruelle réalité qui attendait la plupart des orphelins devant nous.

« Oui, oui, oui. Je suppose que tu as raison, » Lorraine secoua rapidement la tête. Sa voix était un peu plus douce que d’habitude.

À ce moment-là, un son familier résonnait derrière nous, les portes de la chapelle s’étaient ouvertes.

« On dirait qu’ils sont là, Rentt, » déclara Lorraine.

Sœur Lillian et Alize se tenaient sur le pas de la porte. Je trouvais étrange que la sœur se lève si vite, mais à mesure qu’elle s’approchait, je pouvais voir un sourire sur son visage.

« Cela fait peu de temps que j’ai pris ma première dose de médicament, mais mon corps se sent déjà plus léger. Une partie de ma divinité est aussi revenue. Avec cela, je pourrais sûrement reprendre mes fonctions, » déclara Sœur Lillian.

C’était vraiment une bonne chose. Sœur Lillian semblait déjà beaucoup mieux. Alize, cependant, lui chuchota d’une voix petite, mais urgente.

« Lady Lillian ! Vous n’êtes pas encore guérie ! Vous devrez reposer votre corps. Je vais m’occuper des affaires quotidiennes de l’orphelinat encore un peu plus longtemps…, » répondit Alize.

En regardant la paire, je n’avais pas tout à fait compris qui était l’administrateur de l’orphelinat. Lillian se tourna vers Alize, avec le même sourire doux sur son visage.

« Haha… Alors, Alize. Je suppose que je vais vous laisser faire encore un peu. Même ainsi, mon enfant… n’alliez-vous pas avec ces gentilles personnes ici pour apprendre les façons d’être un aventurier, de faire de la magie, et de poursuivre des études ? À partir de maintenant, vous ne devriez plus essayer de tout faire vous-même. Apprenez à vous fier davantage aux autres, Alize, » déclara Sœur Lillian.

Face à ces mots, Lorraine et moi avions ressenti un soulagement. Il semblait que la sœur nous avait donné sa bénédiction.

Alize s’était rapidement tournée vers nous.

« C’est ainsi, Monsieur Rentt, Mlle Lorraine. Je serai désormais sous votre responsabilité. Je… Je vais travailler dur ! » dit Alize, inclinant la tête profondément.

« Oui, nous allons travailler ensemble à partir de maintenant, vous et moi. Ouvrons un chemin glorieux vers l’amélioration de la magie et de la connaissance, » dit Lorraine, un peu théâtralement.

J’avais continué juste après elle.

« Je suis aussi heureux de travailler avec vous… Vous voulez devenir une aventurière, n’est-ce pas ? » demandai-je.

Pour une raison ou une autre, j’avais l’impression qu’il me fallait une confirmation adéquate de la part d’Alize pour me rassurer.

***

« Eh bien, alors, mes étudiants. Une question de base, l’un des fondements de la magie… Savez-vous ce qu’il faut pour tisser des sorts ? » Lorraine avait demandé, en tenant une sorte de pointeur en bois et en le frappant de temps en temps contre une grande planche plate montée derrière elle.

Nous étions, bien sûr, dans le salon de Lorraine. Et par les étudiants, Lorraine n’avait fait référence à personne d’autre que moi, Rentt Faina, et Alize, qui était assise à côté de moi.

Alize avait formellement décidé de poursuivre le chemin d’une mage — ou d’une aventurière — juste la veille, et c’était la toute première leçon que nous devions prendre, le tout premier jour de notre nouveau programme.

On peut se demander pourquoi moi, Rentt Faina, j’étais assis à côté d’Alize. La raison en était que Lorraine était en train de nous enseigner les bases de la magie. Alize avait une grosse réserve de mana, et en tant que telle, elle devrait être formée à juste titre dans les voies de la magie. Mais Alize n’était pas la seule à avoir ces talents, car j’étais dans le même cas.

Bien sûr, il s’agit d’une évolution relativement récente. Avant, tout ce que je pouvais faire, c’était lancer des sorts d’attaque de faible zone, ou peut-être faire sortir un filet d’eau de mes paumes. Personne n’aurait pu prétendre que j’avais un talent magique quelconque dans le passé, mais ma situation était maintenant légèrement différente… Après tout, ma capacité de mana et mon talent pour la magie avaient considérablement augmenté depuis ma dernière Évolution Existentielle — et même d’une manière un peu incroyable.

***

Chapitre 4 : Artisanat magique

Partie 1

J’étais maintenant capable d’utiliser la magie, probablement au niveau d’un vrai mage. Bien que j’aie été techniquement capable de le faire, j’avais quand même trouvé tout cela très difficile, principalement parce que mes connaissances théoriques sur la magie étaient très insuffisantes. Un peu d’étude de ma part était nécessaire, puis le reste devrait naturellement venir. J’avais demandé à Lorraine de me donner des cours particuliers sur le sujet et, avant même de m’en rendre compte, je prenais des leçons avec Alize.

Pour sa part, Lorraine m’avait rapidement accepté comme son étudiant, bien qu’elle m’ait dit que je devais payer le double des frais.

Deux fois ! Et elle l’a dit sans hésitation !

Lorraine voulait simplement dire que je devais payer ma juste part, non pas que je devais payer le double du taux en vigueur. Vu qu’elle donnait des cours particuliers à Alize et à moi, ce n’était pas trop déraisonnable. Je me demandais si je méritais un petit rabais, étant donné que je m’occupais de toutes les tâches ménagères de cette maison depuis aussi longtemps que je me souvienne.

Mais je suppose que ce n’est pas quelque chose qu’un parasite comme moi devrait dire…

Pour commencer, il n’y avait que deux options réalistes lorsqu’il s’agissait d’apprendre la magie : soit on devait devenir disciple d’un mage célèbre, soit on devait fréquenter une académie de magie. Les deux choix impliquaient des dizaines de pièces d’or — ce n’est pas une petite somme, en aucun cas. Les honoraires de Lorraine étaient caritativement bas en comparaison — peut-être un peu trop bas.

Quoi qu’il en soit, je pouvais dire en toute confiance que Lorraine nous avait déjà accordée une sorte de remise… C’est ainsi qu’Alize et moi étions assis devant Lorraine, à écouter sa toute première leçon. D’ailleurs, le programme d’études avait un nom : « Le premier cours en Magie ~ l’Art de la Magie expliquée ! Même un gobelin l’aurait compris…, » Lorraine avait elle-même inventé le titre.

Déjà, Lorraine avait une question pour nous. J’avais fait signe pour y répondre, pour être interrompu par une voix joyeuse.

« Oui ! Je sais ! »

C’était Alize, elle levait la main avec empressement.

Lorraine, impatiente de jouer le rôle, pointa sa baguette en bois sur son élève tout aussi enthousiaste.

« Alors, Alize. Allez-y, » déclara Lorraine.

Alize s’élança de sa chaise et lui donna sa réponse en toute confiance. « Oui ! Pour pouvoir utiliser n’importe quelle forme de magie, il faut du mana ! »

« Bien joué. Vous pouvez vous asseoir, Alize, » déclara Lorraine.

J’avais été laissé de côté…

Ce n’était pas comme si je ne connaissais pas la réponse. J’avais juste… été lent à lever la main.

Oui. C’est tout ce qu’il y avait à faire.

« C’est comme Alize l’a dit. Le mana est nécessaire pour toutes sortes de magie. Il est également intéressant de noter que le fait d’avoir de grandes réserves de mana ne signifie pas qu’un individu deviendrait automatiquement un grand mage. Cependant, tous les grands mages s’efforcent d’obtenir une capacité de mana plus grande et plus efficace. La raison en est simple… »

« Oui ! Moi ! Je sais ! »

J’avais coupé la parole à Lorraine au milieu de la phrase, en agitant désespérément la main en l’air. Alize, qui était assise calmement à côté de moi, m’avait jeté un rapide coup d’œil de côté, murmurant quelque chose sur mon immaturité. Cependant, je n’y avais pas prêté beaucoup d’attention.

Rentt Faina détestait perdre. Une défaite, c’était bien, mais la prochaine fois, je m’en sortirai très bien.

Le regard de Lorraine s’était déplacé de ma main levée, puis vers l’expression exaspérée d’Alize. Elle soupira, pointant sa baguette en bois vers moi à contrecœur.

« Oui, allez-y, Rentt…, » déclara Lorraine.

Un ton de voix tout aussi exaspéré.

« Avec une petite capacité de mana, » avais-je rapidement répondu à la question, « les types de sorts qu’un individu peut utiliser sont limités. Par exemple, ils seraient limités aux cantiques et autres sorts faibles, parfois appelés magie de base. Ils seraient également incapables d’utiliser n’importe quel type de sort d’attaque — de telles circonstances sont courantes. En fait, j’étais pareil, il y a longtemps. »

« Oui, bien joué. N’êtes-vous pas content, Rentt ? » demanda Lorraine, manifestement pas impressionnée.

Cependant, les derniers éléments de ma réponse semblent avoir attiré l’attention d’Alize.

« Hein ? Vraiment ? Vous ne pouviez rien faire du tout dans le passé, Rentt ? » s’interrogea-t-elle, ne prenant pas la peine de cacher sa surprise.

Quoi ? Alize me voit-elle comme une sorte d’être tout puissant et surhumain ?

Elle n’avait pas adopté sa façon plus décontractée de parler après que je lui aie dit que c’était très bien d’être elle-même. Même Lorraine était d’accord avec l’idée — du moins, en dehors des heures de cours. Quand Alize étudiait la magie, elle devait s’adresser à Lorraine en tant que « professeur » et observer toutes sortes de respects sociaux… un étrange ensemble de règles auxquelles même moi, j’étais tenu.

Selon Lorraine, de telles pratiques étaient courantes dans le système scolaire dont elle avait fait partie dans sa jeunesse.

Je me demande comment étaient les écoles dans le royaume de Yaaran.

Je n’avais jamais été dans un lieu d’apprentissage auparavant, donc je ne connaissais pas la réponse. Les leçons données par la guilde de l’aventurier étaient aussi relativement décontractées, et tout le monde était traité de la même façon, peu importe son âge ou son expérience. En comparaison, l’insistance de Lorraine sur ces méthodes d’adressage était curieusement rafraîchissante.

« Je ne suis pas omnipotent, Alize. En fait, il y a beaucoup de choses que je ne peux pas faire, même maintenant, » déclarai-je.

Alize ne semblait pas très convaincue. Lorraine intervint, acquiesçant d’un signe de tête pendant qu’elle parlait.

« Vous voyez, ma chère Alize… Rentt est le genre de personne qui fait ce qu’il peut faire. S’il ne peut pas faire quelque chose, il en est totalement incapable. Il est, bien sûr, raisonnablement capable et compétent dans de nombreux domaines maintenant… malgré tout, il a ses défauts. Vous comprenez, Alize ? Bien sûr, les aventuriers cachent généralement leurs déficiences lorsqu’ils se lancent dans leurs activités… Telle est la nature des choses, » déclara Lorraine.

Alize hocha lentement la tête, apparemment toujours incrédule. En ce qui concerne Lorraine, Alize continua.

« Donc Rentt ne pouvait pas utiliser de magie sauf pour… la magie de base dans le passé… ? » demanda Alize.

« C’était la réalité, oui. Rentt n’a pas été capable d’utiliser des sorts compliqués, du moins jusqu’à récemment. Pour la plupart des gens, leurs réserves de mana restent stagnantes après la puberté, n’augmentant ni diminuant avec le temps. Il existe toutefois des exceptions. Une personne peut voir sa capacité de mana augmenter soudainement en raison de circonstances spéciales. »

Je suppose que c’était une bonne façon de cacher la vérité. Lorraine avait déjà trouvé une justification pour la raison pour laquelle je suivais ses cours. Selon Lorraine, il valait mieux mentionner une telle raison en présence d’Alize le plus tôt possible.

« De quel genre de circonstances s’agit-il ? » demanda Alize.

Comme je m’y attendais, Alize avait été attirée par les circonstances soi-disant spéciales responsables de ma soudaine augmentation de la capacité de mana. Lorraine semblait plus que préparée à sa question.

« Une liste exhaustive est impossible. Je peux, cependant, penser à quelques exemples communs, tels que… la consommation d’un élixir spécial, peut-être, ou peut-être la mort d’un monstre particulièrement fort. Certains individus peuvent aussi recevoir des bénédictions divines d’une sorte ou d’une autre, tandis que d’autre part, on peut former un pacte avec un démon, échangeant une partie d’eux-mêmes contre le pouvoir… Et ainsi de suite, » déclara Lorraine.

Alors que la capacité de mana de la plupart des individus était restée relativement stagnante, il était tout à fait possible de l’augmenter avec des moyens spéciaux. Cependant, toutes ces méthodes étaient risquées, et elles coûtaient souvent très cher. En plus, il y avait la question de la chance, quelque chose pouvait, contre toute attente, tourner très mal.

Par exemple, un élixir de mana serait difficile à trouver et, même si c’était le cas, il serait vendu aux enchères à des prix astronomiques. Il faudrait tuer une bête aux proportions légendaires pour obtenir de tels pouvoirs — un exploit difficile, dans tous les cas. Quant à la bénédiction des fées et du divin… une question de chance. Mais encore une fois, les individus chanceux ne courraient pas les rues. Enfin, les contrats avec des entités démoniaques étaient dangereux dans tous les sens du terme, et le nombre de vies qu’un individu pouvait hypothétiquement avoir n’avait souvent aucune importance. Même moi, j’aurais déjà augmenté ma capacité de mana dans la vie si c’était si simple.

J’avais continué à tuer des monstres et à absorber leurs pouvoirs, mais l’augmentation était au mieux minime. J’avais tué des Gobelins et d’autres créatures pendant une décennie, mais je ne me sentais pas différent.

Même ainsi, tuer des monstres était probablement la voie la plus simple, mais j’avais fini par me faire manger et tuer à un moment donné, alors il y avait eu ça.

« Je n’ai rien fait de spécial, dans mon cas. Peut-être que c’était juste une question de chance qu’elle ait soudainement augmentée, » déclarai-je à Alize.

Comme l’avait dit Lorraine, des exceptions étaient possibles dans de très rares cas. Il était impossible de dire que de tels événements ne pouvaient absolument pas se produire, et cela concordait parfaitement avec les explications de Lorraine. Les connaissances d’Alize sur la magie étaient encore assez limitées, après tout.

« Oh… c’est vrai ? C’est pour ça que vous prenez des leçons avec moi, Rentt…, » déclara-t-elle, apparemment convaincue.

Je suppose que le jour viendrait où Alize finirait par réaliser que j’étais étrange ou différent d’une certaine façon, mais c’était une explication pour une autre fois…

***

Partie 2

« Et voilà, c’est fait. Pour qu’un mage puisse utiliser la magie, il doit d’abord être capable de sentir la présence de mana dans son corps, puis de puiser dans cette réserve de son plein gré. Même si l’on a des réserves de mana en soi, une incapacité à le sentir et à le commander empêcherait de devenir un mage. Un scénario plus courant qu’on ne le pense. Alors, Alize, sentez-vous le mana en vous en ce moment même ? » demanda Lorraine en levant les yeux vers son élève.

« Non…, » Alize secoua lentement la tête. « Je ne sens plus rien. Hum… Professeur Lorraine. Ne suis-je pas fait pour être un mage… ? »

Les traits d’Alize étaient remplis de malaise, comme si une porte qui lui avait été ouverte auparavant lui était maintenant violemment fermée au visage. L’interprétation la plus directe des paroles de Lorraine serait lugubre pour Alize, car si elle ne pouvait pas sentir le mana en elle, elle ne deviendrait pas un mage. Il était facile de comprendre les craintes d’Alize.

Mais Lorraine secoua lentement la tête en souriant de façon rassurante à sa nouvelle élève.

« Il n’y a pas besoin de se précipiter. Ce n’est pas tout à fait comme ça que ça marche, Alize. Bien que je ne puisse faire aucune promesse maintenant, il est trop tôt dans le processus pour que vous puissiez vous inquiéter. En fait, les exemples que j’ai donnés tout à l’heure, disons, d’individus qui ne pouvaient pas sentir le mana en eux, plus de la moitié d’entre eux seraient autodidactes… ou auraient au moins essayé d’apprendre la magie de leur propre gré. Bien sûr, prendre conscience de ses propres réserves de mana est un exploit difficile. Il y a cette légende, oui, du “Magicien dès le départ”… Bien qu’il ait découvert et utilisé le mana en lui sans aucune aide, peu d’individus cherchent à imiter ses actions. Je suppose qu’il pourrait y avoir quelques personnes ici et là qui réussissent… s’ils ont le sens inné pour cela. On pourrait dire ça comme ça, » déclara Lorraine.

Alize leva la main. « Professeur Lorraine, et vous ? Comment l’avez-vous appris ? »

« Ah, oui, oui. Ça ? J’ai été capable de sentir et de tisser le mana en moi en sorts. N’êtes-vous pas impressionnée ? » demanda Lorraine, sans la moindre trace d’embarras.

Même si je m’étais retourné et que je l’avais regardée droit dans les yeux pendant qu’elle faisait ses déclarations, il ne semblait pas y avoir la moindre once d’humilité dans les propos de Lorraine.

« Qu’en est-il de Rentt… ? » demanda Alize.

Je suppose que ce serait la suite logique à la question d’Alize…

« Bien sûr que non, Alize. Je ne suis qu’un individu normal, » répondis-je.

C’était vrai, dans une certaine mesure. Bien que j’avais des réserves de mana en moi, je n’avais pas les moyens de les utiliser. Alize me demanderait sûrement comment j’étais capable d’utiliser le mana à d’autres fins et, comme prévu, elle l’avait fait.

« Que fait-on s’il ne parvient pas à faire sortir son propre mana ? » demanda Alize.

« Il y a plusieurs façons, oui. La méthode la plus simple serait d’obtenir la coopération d’une personne déjà habile dans l’utilisation de son propre mana, qui canaliserait ensuite son mana dans le corps du destinataire. Cela leur donne une idée de ce qu’est le mana, pour ainsi dire. En supposant que l’individu en question n’est pas particulièrement idiot, il sera en mesure de sentir son propre mana en temps voulu. La période varie d’une personne à l’autre, bien sûr, et certains disent même que ceux qui ont de grandes réserves ont tendance à s’en rendre compte assez rapidement, » répondit Lorraine.

« Y a-t-il d’autres façons de prendre conscience de soi, professeur Lorraine ? » demanda Alize.

« Hmm. Bien que je ne le recommande pas, on pourrait se battre contre des monstres et autres. Comme vous le savez peut-être, ceux qui vainquent les monstres absorbent souvent leur force dans le processus, et ce pouvoir est souvent composé de plusieurs types d’énergies. Le mana est l’une de ces énergies. Si l’on absorbe cette puissance, on ressent une sensation similaire à celle de la méthode précédente, où un peu de mana coule dans le corps. Il s’agit cependant d’un petit fragment d’énergie, de sorte qu’il faudrait beaucoup de temps pour qu’un individu devienne capable d’utiliser ses réserves si cette voie était empruntée, » répondit Lorraine.

« Hmm… N’y a-t-il pas une méthode rapide à laquelle n’importe qui pourrait s’essayer ? » demanda Alize.

Peut-être qu’Alize trouvait cela gênant, car les deux méthodes décrites par Lorraine présentaient leurs propres défauts, d’où sa question. Dans des circonstances normales, on supposerait qu’il était impossible pour une personne d’acquérir soudainement des pouvoirs ou des capacités sans lever le petit doigt. La plupart du temps, c’était vrai et, d’un point de vue éducatif, cela devrait peut-être être renforcé. Lorraine, cependant, n’avait pas secoué la tête.

« Il y a un moyen, oui. Encaisser avec son corps l’impact d’un sort. Simple, non ? » demanda Lorraine.

« Hein ? » s’exclama Alize.

« Vous connaissez des monstres capables de jeter des sorts, n’est-ce pas ? Des sorts primitifs aux sorts complexes… La complexité de la magie en question dépendrait largement de l’espèce du monstre. Prenons l’exemple d’un mage gobelin typique, dont les pouvoirs magiques sont primitifs, n’est-ce pas ? Mais ils connaissent la magie… dans une certaine mesure, » répondit Lorraine.

« Oui, mais… pour faire face à l’impact… ? » demanda Liza.

« Littéralement, Alize. Foteia Borivaas, ou peut-être un Gie Vieros… tout va bien. Vous n’avez qu’à vous faire frapper par ça, » déclara Lorraine.

C’était déjà assez terrifiant d’entendre une telle idée, et encore moins d’essayer sérieusement de faire une telle chose. Peut-être que ce n’était pas censé être pris au sérieux.

« Mais Professeur Lorraine, même si c’était un sort faible, une personne qui ferait ça va mourir, » Alize semblait stupéfaite, alors que sa voix diminuait pendant qu’elle terminait sa phrase.

Lorraine hocha la tête en réponse.

« Eh bien, oui, ça pourrait arriver. Si l’un d’eux est malchanceux, il va mourir. Inversement, si l’on est relativement chanceux, on vit. Ce n’est pas une méthode normale, mais c’est certainement une méthode qui fonctionne. Si l’individu survit, il sera sûrement capable de sentir le mana en lui. Maintenant, vous pourriez peut-être demander pourquoi. La raison en est simple : le mana dans le corps humain normal est habituellement stagnant. Il est donc quelque peu difficile à détecter. Si l’on est incapable d’utiliser ces réserves internes de mana, alors l’alternative serait d’absorber l’énergie magique de sources externes. Si un individu devait être frappé par un sort, cela enverrait une vague, ou une ondulation, peut-être, d’énergie magique résonnant à travers lui. S’il se réveille un jour de l’épreuve, il pourrait sûrement sentir l’énergie magique qui s’agite en lui, » déclara Lorraine.

Lorraine avait décrit un certain nombre d’avantages de cette méthode, mais Alize y était farouchement opposée, et il n’était pas difficile de comprendre pourquoi.

« Mais Professeur Lorraine… il ne peut sûrement pas y avoir quelqu’un de vivant qui tenterait quelque chose d’aussi dangereux que ça… ? » demanda Alize.

Lorraine leva brusquement sa baguette de bois.

« Oh, mais bien sûr que si ! L’un est assis juste à côté de vous, » déclara Lorraine.

La baguette levée était maintenant pointée clairement et délibérément dans ma direction. Alize avait élargi ses yeux. Son choc, où sa crainte était immense. C’était comme si elle avait vu un dragon ou une autre bête mythique dans les rues de Maalt.

Bien qu’elle soit trop stupéfaite pour dire un mot, les yeux d’Alize remettaient clairement en question ma santé mentale. Mais j’étais, en fait, relativement sain d’esprit. J’avais simplement envie de boire du sang frais de temps en temps. Même moi, je savais que c’était une excuse, mais je devais dire quelque chose.

« Eh bien, même moi, j’ai essayé d’autres méthodes plus courantes. Le village dans lequel je suis né était relativement petit, donc il y avait peu de gens qui pouvaient même utiliser la magie, et encore moins la magie compliquée. Même si j’avais demandé à recevoir des cours, il n’y avait pas de telles ressources en place… Je devais faire quelque chose pour ma propre situation, vous voyez, » répondis-je.

Quand j’étais devenu un aventurier, j’étais déjà capable de tisser du mana d’eau et de projeter une ou deux étincelles occasionnelles. Ce n’était pas comme si je n’étais pas au courant des risques encourus, mais, quoi qu’il en soit, j’avais fait quelques recherches sur les moyens possibles d’activer ses réserves de mana, puis j’avais agi selon mes propres choix.

Pour le dire simplement, j’avais cherché un mage-gobelin vivant dans les environs de mon village, puis j’avais encaissé l’un de ses sorts en pleine face. Bien que j’aie fini par sentir le mana en moi, c’était une chose assez imprudente à faire. Même moi, j’étais étonné de voir que je respire encore aujourd’hui.

Mais ce n’était pas quelque chose que j’avais fait avec insouciance. J’avais entendu parler d’un mage-gobelin qui avait vieilli dans les bois. La magie du gobelin était affaiblie à cause de son âge, et je l’avais approchée avec soin. Le sort qui m’avait frappé n’était rien de plus qu’un petit Gie Vieros. De plus, j’avais été frappé à un endroit plutôt favorable, donc cela ne m’avait pas fait grand-chose d’autre que de laisser une petite cicatrice sur le ventre. Avec cela, j’avais pu m’échapper avec une relative facilité.

Après l’incident, je m’étais apparemment évanoui chez moi et, pendant quelques jours, j’avais eu de la fièvre et des évanouissements, du moins, m’a-t-on dit. Certains avaient même dit que j’étais dans un coma fébrile.

Maintenant que j’y pense, je n’avais jamais entendu parler de la chasse au Mage Gobelin pendant toutes ces années, peut-être qu’il était encore vivant. Si tel était vraiment le cas, je devrais lui rendre visite et lui adresser mes remerciements.

Telle était l’histoire que j’avais racontée à Alize. Mais Alize n’avait pas semblé impressionnée, se tournant plutôt vers Lorraine avec un mélange d’exaspération et de choc sur son visage.

« Je… Je ne veux pas apprendre la magie de cette façon, » déclara Alize.

Telle était son rejet catégorique de mes méthodes. Comme c’est terrible.

Ou, peut-être que j’étais celui terrible… ?

En repensant à mes actions, j’étais vraiment imprudent : Rentt Faina, qu’est-ce que tu faisais ?

J’étais, bien sûr, maintenant un non-mort vivant, mais je n’avais toujours aucune idée de ce que je faisais.

« Mais bien sûr, c’est ce que vous ressentiriez. Rassurez-vous, aucun mage sain d’esprit ne recommanderait une telle méthode à ses élèves. Une méthode plus normale vous va mieux, Alize. En d’autres termes, tout ce que vous avez à faire est d’avoir une connexion de mana déjà établi à travers vous. C’est une méthode simple, et nous pouvons commencer tout de suite. Êtes-vous prêtes ? »

***

Partie 3

« Est-ce que ça… fait mal ? » demanda Alize, avec la même expression sur son visage quand elle se tourna vers Lorraine.

« Non, pas du tout. Avoir le mana d’une autre personne qui s’écoule dans votre corps pourrait ressembler à… peut-être une force qui appuie sur votre ventre. Même ainsi, cela n’est pas assez puissant pour vous causer de la douleur. Comment le décrire… ? Ah, oui, un essoufflement momentané, ou quelque chose comme ça. En tout cas, il n’y a pas de quoi s’inquiéter, Alize, » déclara Lorraine.

« Dans ce cas… s’il vous plaît, Professeur Lorraine. Faites ce que vous voulez, » déclara Alize.

Alize, apparemment soulagée par l’explication de Lorraine, inclina la tête profondément. Lorraine hocha la tête.

« Eh bien, alors. Présentez-moi vos mains, » déclara Lorraine.

« Oui, » déclara Alize.

Alize avait fait ce qu’on lui avait dit de faire, et Lorraine avait rapidement saisi les mains de l’enfant dans les siennes.

« Très bien, je vais maintenant faire couler un peu de mon mana dans votre corps. Êtes-vous prête ? » demanda Lorraine.

« Oui… Euh, j’avais une question. Si tout ce dont j’ai besoin est d’être frappé par un sort, est-ce qu’un sort d’enchantement ou quelque chose de similaire ne fonctionnerait pas de la même manière ? » demanda Alize.

« Ça marcherait, oui, » la réponse de Lorraine avait été rapide. « Cependant, il n’y a aucun avantage pour un mage à faire une telle chose à son futur étudiant. Le processus que j’ai décrit tout à l’heure s’adresse aux personnes qui n’ont pas accès à un enseignant de quelque nature que ce soit, ou à un mage capable de transmettre la magie aux autres. »

« Je ne comprends pas, professeur Lorraine… Qu’est-ce que ça veut dire ? » demanda Alize.

« Si vous choisissez d’être frappé par un sort, Alize, le mana de votre corps se mettra à tourbillonner, un peu comme les vagues d’une tempête. Si vous ne savez pas comment utiliser le mana en vous, mais qu’un mage vous a jeté un sort, la même chose se produira. Dans un tel cas, votre corps sera secoué par la douleur et vous aurez des nausées pendant des jours. Vous aurez aussi des vertiges, bien sûr, pendant un bon moment… Rentt en a fait l’expérience de première main. N’est-ce pas, Rentt ? » demanda Lorraine.

J’avais acquiescé face aux paroles de Lorraine. « Honnêtement, il y a eu des moments où j’ai pensé : “Il vaudrait mieux que je sois mort”. Je ne voudrais pas le revivre. »

C’était mes pensées honnêtes. Ce fut une expérience terrible — la conscience vacillante, la perte de conscience, la fragilité du sens du temps, le sentiment d’ambiguïté et de douleur qui allait continuer pour l’éternité… Personne ne voudrait vivre une telle chose.

Un masochiste, par contre, peut trouver une deuxième expérience… attrayante. Je n’étais pas masochiste, bien sûr.

« Si vous êtes d’accord avec ces conséquences, Alize, je pourrais vous enchanter avec un simple sort. Serait-ce acceptable ? » demanda Lorraine.

Alize secoua violemment la tête d’un côté à l’autre à la question de Lorraine.

« N-Non ! Une méthode normale, c’est tout à fait mieux, Professeur Lorraine ! » dit Alize, en criant presque quand elle l’avait fait.

Une réaction raisonnable. Comme je l’avais déjà mentionné, peu de gens choisiraient volontiers de vivre une telle expérience. Même moi, je n’avais pas été frappé par un sort juste pour le plaisir ! Il n’y avait tout simplement pas d’autre moyen pour moi de prendre conscience de mon mana.

Un mage typique n’hésiterait pas à exiger d’un simple villageois d’incroyables sommes d’argent. Peut-être que c’était dans leur droit de le faire, étant donné qu’ils avaient assez de mana en eux pour être appelés mages. C’était néanmoins un service onéreux. J’avais à peine de quoi survivre, et j’avais voulu éveiller les énergies en moi, donc il n’y avait vraiment pas d’autre moyen.

« Hmm. Voilà, Alize. Eh bien, alors… Cette fois, je vais canaliser le mana à travers vous. Concentrez-vous, Alize. Sentez l’étrange sensation qui va se répandre dans tout votre être, » déclara Lorraine.

« D’acccccordd !? »

Alize hocha la tête et, à ce moment-là, Lorraine serra les mains de l’enfant. Les yeux d’Alize s’étaient élargis, plus que jamais. Rien que de cela, j’avais compris que c’était ce que ressentaient ceux qui avaient la chance d’avoir du talent.

Je me sentais… envieux…

« Eh bien ? Vous comprenez maintenant ? » demanda Lorraine, tenant toujours les mains d’Alize quand elle posa la question.

« Oui…, » Alize hocha lentement la tête. « Je pense. Je crois que je comprends. Quelque chose comme… quelque chose de collant, suintant, comme de la boue, coulant à travers… mon corps… »

C’était au tour de Lorraine d’élargir les yeux, mais sa réaction était plus faible que celle d’Alize.

« Vous avez plus de mana que la plupart au début, mais de penser que vous êtes au courant de tout cela… Impressionnant. Oui, c’est du mana, Alize. Je l’ai fait couler avec mes propres énergies tout à l’heure. Mais pouvez-vous le déplacer de votre propre gré ? » demanda Lorraine.

« C’est… un peu difficile…, » déclara Alize.

Des perles de sueur avaient commencé à se former sur le front d’Alize. C’était comme si canaliser et déplacer le mana dans son corps n’était pas une tâche simple.

Poussé par les luttes d’Alize, j’avais essayé de déplacer le mana en moi — de mon estomac, je l’avais fait couler dans mes bras, et même le placer autour de mon corps. C’était… simple, du moins pour moi. Mais c’était peut-être une évidence, car j’avais plus d’expérience. Après tout, j’utilisais le mana depuis une dizaine d’années, et la seule chose qui me retenait était ma petite capacité de mana.

Le mana était une chose étrange, le fait d’en avoir une grande partie en soi permettait de le sentir facilement. Le contrôle et le mouvement appropriés du mana, cependant, devenaient plus difficiles plus on avait de mana. Peut-être un peu comme déplacé beaucoup d’objets dans une pièce exiguë.

Prenez, par exemple, un sac bien rempli — même si on le secouait, les objets qu’il contient ne bougeraient pas beaucoup. Le contenu d’un sac un peu plus vide, par contre, s’agitait si on le secouait. C’est pourquoi j’avais pu facilement contrôler mon mana après m’en être rendu compte. De plus, je m’étais entraîné à l’utiliser pendant une longue période, d’où la relative facilité d’utilisation.

Mais ce seul fait n’avait pas fait de moi un mage habile d’aucune sorte. Alors que j’étais devenu capable de déplacer le mana dans mon corps à volonté, en plus d’ajuster son intensité et de devenir capable de tisser des sorts rapidement, c’était tout ce que je pouvais faire. Pour lancer des sorts complexes et puissants, il fallait une plus grande capacité de mana. Certains avaient même dit qu’avoir un bon contrôle de son mana était particulièrement précieux pour les femmes, ne serait-ce que parce que l’individu en question serait capable de canaliser le mana vers n’importe quelle partie de son corps. La création de l’eau, à son tour, était un sort simple que la plupart des débutants avaient appris en premier, il était donc facile pour une femme de pleurer des larmes de crocodile à l’aide de son mana. Ainsi, les mages femelles avaient fini par maîtriser cette technique assez rapidement…

En y repensant, c’était une chose vraiment effrayante.

« Alors, si on se reposait un peu ? » demanda Lorraine.

Lorraine regarda Alize avec une certaine inquiétude. Lorraine lâcha les mains d’Alize, interrompant le flux de mana. La respiration d’Alize devint immédiatement irrégulière, et elle tomba bientôt à genoux.

Pas vraiment une sensation de douleur, mais certainement pas une promenade proverbiale dans le parc. Avoir le mana de quelqu’un d’autre couler dans son corps n’était pas fatal, mais ce n’était pas vraiment une bonne chose non plus. Une exposition prolongée pourrait nuire à l’organisme.

À l’origine, le processus prenait des jours, pour être répété après que l’élève se soit suffisamment reposé. Alize, cependant, avait pu sentir le mana dans son corps presque instantanément. Comme Lorraine l’avait dit, elle avait vraiment beaucoup de talent.

« Est-ce que ça va ? Peut-être devrions-nous nous arrêter ici pour aujourd’hui, » déclara Lorraine.

La respiration d’Alize était plus stable maintenant, mais elle n’avait pas l’air d’aller bien avec son visage encore strié de sueur. On aurait dit qu’elle s’était poussée un peu trop loin.

Alize semblait quelque peu troublée par les paroles de Lorraine.

« C-Comment… Combien de temps. Combien de fois… dois-je… ? » demanda Alize.

« … faudrait-il pour que vous vous y habituiez ? Mais bien sûr, jusqu’à ce que vous soyez capable de manipuler le mana dans votre corps librement, Alize. Jusqu’à ce que vous soyez capable d’un tel exploit, je vais continuer à canaliser le mana en vous. Il n’y a pas d’autre moyen. Ce sera probablement difficile, oui, » déclara Lorraine.

« N-Non… Vraiment… ? » demanda Alize.

Le visage d’Alize était rempli de désespoir. On aurait dit qu’elle souffrait vraiment.

Lorraine avait souri ironiquement face à la réaction d’Alize.

« Vous n’avez pas besoin de tout apprendre en une journée, Alize. J’avais prévu que le processus en prendrait plusieurs. D’où…, » commença Lorraine.

Lorraine suggérait que nos leçons prendraient fin — pour aujourd’hui, du moins. J’avais tendu la main, allumant une petite flamme au-dessus d’un doigt. Dans mon autre, l’eau coulait librement de ma paume. Après avoir fait ces choses, j’avais regardé droit dans la direction d’Alize, avec l’espoir de communiquer que la magie n’était pas si difficile.

Il n’avait pas fallu longtemps pour attirer l’attention d’Alize.

« Combien... Combien de temps ça va durer jusqu’à ce que je puisse faire ça ? » demanda Alize, haletant entre deux respirations et me fixant avec un dédain marqué.

Alize avait interprété ma petite manifestation comme une provocation. Je suppose que c’était une façon de voir les choses, car pour Alize, j’avais l’air d’un frimeur. Rien de tout cela n’avait été fait exprès, bien sûr, c’était une simple démonstration.

Lorraine s’était rapidement tournée vers moi, à peine amusée par mes efforts.

 

 

« Tu devrais vraiment arrêter de provoquer l’enfant, Rentt…, » chuchota-t-elle avant de se tourner vers Alize et de la rassurer d’une voix douce. « Vous pourrez faire tout ça bientôt, Alize. Ce sont de simples sorts, donc ça ne vous prendra pas longtemps. »

Ah, dix ans de mon dur labeur, banalisé par une seule déclaration…

Lorraine avait cependant raison. Je ne nierai pas que la magie que je venais d’utiliser était simple, au contraire, j’avais maintenant l’impression que je pouvais facilement envoyer un jet d’eau de mes mains si j’essayais. Un simple sort de la petite bibliothèque de la Magie de Tous les Jours. Un sort à petite échelle, bien sûr, mais si j’y introduisais assez de mana, je pourrais peut-être amplifier ses effets…

Peut-être même que ça valait le coup d’essayer, du moins je le pensais. Une exclamation d’Alize en se levant avait interrompu ma pensée.

« Bien, alors… jusqu’à ce que je puisse le faire, je vais continuer d’essayer ! » déclara Alize.

Alize semblait stimulée pour une raison ou une autre, avec de l’empressement évident dans ses traits. Elle était fatiguée, mais maintenant elle se tenait debout par la force de sa volonté.

« Vraiment ? » Lorraine sourit à son élève enthousiaste. « Eh bien, alors… essayons encore un peu. »

Lorraine me jeta un léger regard, avec un bref sourire sur son visage. Avant que j’aie pu répondre, elle avait saisi les bras d’Alize une fois de plus, et le processus de canalisation avait recommencé.

***

Partie 4

« Ughhhh…, » Alize avait gémi, alors qu’elle tentait désespérément de canaliser le mana dans le bout de son index.

Tant qu’on y était habitué, le mana pouvait être canalisé vers pratiquement n’importe quelle partie du corps. Pour la plupart des individus humains, les mains étaient l’endroit d’où le mana coulait habituellement et d’où il sortait.

Dans ces pays, il était courant pour la plupart des gens de penser à la magie qui jaillissait de leurs paumes ou de leurs doigts. De nombreuses explications avaient été avancées pour expliquer ce phénomène : qu’il était plus facile de canaliser le mana dans ses bras, ou que c’était quelque chose que la plupart des gens pouvaient facilement imaginer. Quoi qu’il en soit, le phénomène était vrai et courant.

Personnellement, je connaissais un mage qui avait la capacité de lancer de la magie de ses yeux, et je sentais que la théorie de l’imagination était juste. Le mage en question pourrait canaliser le mana à travers ses mains. Je lui avais demandé un jour pourquoi il avait choisi d’utiliser ses yeux à la place, et sa réponse avait été mémorable : « Parce que c’est impressionnant. » Ah, une personne vraiment inoubliable.

Blagues mises à part, j’avais supposé que ma connaissance-mage tirant des sorts magiques de ses yeux était le choix le plus rapide et le plus facile pour lui. De tels mages existaient, même si leur nombre n’était pas très élevé.

« Hmm… Oui. Pas trop mal du tout. Vous êtes maintenant capable de déplacer le mana en vous, je vois. C’est encore une petite quantité comparée à ce qu’il y a en vous, mais, avec cette quantité de mana, vous serez peut-être capable de lancer une ou deux boules de neige sans trop de problèmes, » déclara Lorraine.

Alize n’avait pas réagi, sa respiration devenant râpeuse. « Arghh... Ha… Ha… »

Sa concentration interrompue, le mana du doigt d’Alize s’était dispersé.

« Ça va, Alize ? Cette prochaine infusion sera vraiment rude…, » déclara Lorraine.

Lorraine avait averti Alize d’un ton de voix quelque peu inquiet. Alize était courbée à quatre pattes sur le sol, essayant toujours de reprendre son souffle.

Les précédents efforts d’Alize étaient comme des sprints de courte distance et à pleine vitesse — deux ou trois fois. La fatigue actuelle d’Alize ressemblait beaucoup à celle qu’elle avait couru quelques marathons autour des murs de Maalt, de sorte que l’enfant était près de ses limites.

On pouvait penser que c’était un peu trop pour son premier jour, mais c’était peut-être pour le mieux. Les régimes les plus stricts doivent être appliqués dès le début. Penser qu’Alize s’approcherait de ses limites physiques rien qu’en apprenant la magie… Elle ferait sûrement une bonne aventurière à l’avenir.

Bien que les mages aient généralement moins de force physique et d’endurance que leurs frères aventuriers, Alize devrait avoir un niveau d’endurance beaucoup plus élevé que la moyenne des habitants de la ville pour survivre. Même Lorraine, qui était une érudite de profession et n’acceptait les demandes de la guilde que lorsqu’elle en avait envie, était une véritable force de la nature. Par exemple, elle ne perdrait jamais face à des voyous de la rue quand il s’agissait de bras de fer. Après tout, les aventuriers étaient tenus d’effectuer des travaux et des exploits physiques sur une base régulière, ou ils deviendraient éventuellement capables de le faire. Les méthodes par lesquelles cela se produirait variaient. Peut-être que c’était un entraînement, ou peut-être que c’était juste de la puissance absorbée par les ennemis qu’ils avaient tués.

« Je vais… tout à fait… bien. Jusqu’à ce que je puisse faire ça… Rentt… Ce que Rentt… a fait… Je continuerai… à essayer…, » déclara Alize.

Alize m’avait regardé avec des poignards dans les yeux tout le temps. C’était peut-être la fontaine d’eau qui jaillissait encore de l’une de mes paumes.

Une force de caractère admirable, pour un enfant de son âge. Si j’étais à sa place, j’aurais déjà terminé la séance.

Lorraine se tourna vers Alize, et l’inquiétude était évidente dans sa voix.

« Ça ne me dérange pas… mais vous ne devriez vraiment pas vous forcer autant, Alize. Rentt vous provoque, évidemment. Pendant qu’il jouait peut-être, l’entraînement qu’il avait suivi pour être capable de faire exactement cela était un enfer. C’est sa façon de vous encourager, Alize, de vous dire de travailler dur, même si vous êtes déjà si fatiguée, » déclara Lorraine.

C’est n’importe quoi ! Je n’avais pas de telles intentions…

Probablement…

Les humains étaient une race capable de réaliser de grands exploits s’ils essayaient. Alize, cependant, avait souri à Lorraine entre ses halètements.

« Je comprends. Je ne suis… pas… tellement en colère. Mais vraiment, Professeur Lorraine… est-ce vraiment possible ? Pour que je puisse faire quoi... Rentt le fait ? En un jour ? » demanda Alize.

« Hmm. Eh bien… Rentt ne suggère pas quelque chose qui est clairement hors de votre portée. Si je devais dire… vous y êtes presque. Un peu plus, peut-être. Si vous devenez capable de ça… alors notre leçon pour la journée peut se terminer, » déclara Lorraine.

« Eh bien… Je vais le faire. Alors, je vais le faire… Que dois-je faire ensuite ? » demanda Alize.

Lorraine hocha la tête. « Ensuite, il y aura les instructions pour le lancement du sort de Rentt. En d’autres termes, c’est ce qui vous fait penser à l’image du sort en question. Il y a peu de façons de le faire : avec une incantation complète, une incantation raccourcie, ou sans incantation du tout. Il existe d’autres méthodes plus spéciales, oui, mais, pour l’instant, ces trois méthodes sont bonnes. Vous comprenez, Alize ? »

« Je crois que je comprends l’essentiel de tout ça, » Alize hocha lentement la tête, mais son expression trahissait le fait qu’elle comprenait peu, voire rien du tout.

Il fallait s’y attendre, et Lorraine l’avait bien compris.

« Oui, oui, oui. Je suppose qu’une démonstration s’impose. Eh bien, dans ce cas, donnons la parole à Rentt, vous qui avez fait de nombreuses provocations à partir de la ligne de touche. Assumez la responsabilité de cette tâche. Vous vous souvenez de l’incantation, n’est-ce pas, Rentt ? » demanda Lorraine.

Lorraine semblait amusée quand les mots sortaient de ses lèvres, si l’on en croit son sourire.

 

◆◇◆◇◆

« … »

C’était un spectacle étrange. J’étais resté silencieux, au milieu de la pièce, pendant qu’Alize et Lorraine regardaient.

C’était la démonstration de la Magie Commune en question. Bien que j’étais un aventurier, de la classe Bronze, j’étais aussi un vétéran dans le métier, il était donc naturel de m’utiliser comme un outil pédagogique magique, une transition en douceur dans le curriculum.

Cependant, je ne pouvais pas dire que j’étais confiant… Mais encore une fois, ce n’était que de la simple magie, le même sort qui avait encouragé Alize à continuer quand elle en avait été témoin pour la première fois.

Le problème était la demande de Lorraine, à savoir l’incantation de ce sort. La raison étant que je n’avais pas vraiment utilisé d’incantations d’aucune sorte. Dire que je n’utilisais pas du tout les incantations serait inexact, car je me souvenais de quelques exemples des manuels scolaires que j’avais appris dans ma jeunesse.

La magie était une chose qui devenait de plus en plus instinctive au fur et à mesure que l’on s’y habituait. Les incantations longues devenaient courtes et, avec le temps, aucune incantation n’était nécessaire pour un sort familier. Pendant une dizaine d’années, j’avais jeté ces trois sorts simples, encore et encore. En tant que tel, je n’avais presque pas besoin d’incantations pour invoquer ces sorts une fois de plus. C’est pourquoi je me souvenais peu des incantations que j’avais utilisées dans ma vie…

Attends… Lorraine m’a demandé de faire ça parce qu’elle savait que ça arriverait ? Argh…

« Hmm… Ah. “Oh, flamme. Que mon mana soit comme un grain, et qu’il se manifeste devant moi”…, Ignite Aryumage, » déclarai-je.

Dès que l’incantation s’était terminée, une petite flamme s’était matérialisée au bout de mon doigt. C’était un sort qui m’avait soutenu pendant toutes ces années où j’avais campé dans la nature. C’était tout naturel que je puisse l’utiliser aussi simplement.

Le problème, c’était l’incantation — m’en suis-je bien sorti ? Le plus gros, peut-être, mais qu’en est-il des détails ? Je n’étais pas certain de la formulation… C’était une flamme ? Ou de la braise ? Du feu ? Y avait-il quelque chose qui manquait ? Manifeste-toi devant moi ? Se présenter devant moi ? Êtes convoqué devant… Hmm. Non. Je ne m’en souvenais vraiment pas.

Le doute se manifestait probablement sur mon visage, car Lorraine n’avait rien dit. Au lieu de cela, elle m’observa silencieusement avec une expression marquée d’amusement. Le sentiment du doute s’était infiltré plus profondément dans mon âme.

Alize, pour sa part, me regardait avec admiration, comme si j’étais un grand pionnier, éclairant le chemin devant elle… Enfin, si l’incantation était correcte.

Pendant quelques minutes terribles, Lorraine garda le silence avant de finalement décider de parler.

« Ho… Tu t’en souviens, après tout ? Comme c’est inattendu. Bravo, Rentt, » dit-elle, ce même sourire sur son visage.

J’avais poussé un soupir de soulagement. Avec ça, mon épreuve était enfin terminée.

« J’étais incertain… Tout à fait… Quoi qu’il en soit, je suis content de m’en souvenir. Seriez-vous capable de faire la même chose, Alize ? » demandai-je.

Je m’attendais à ce qu’Alize soit irritée par mes provocations constantes, mais elle avait répondu d’une manière quelque peu inattendue.

« Hmm… Je ne sais pas vraiment. Puis-je vraiment le faire ? Je pense toujours que vous êtes génial, Rentt…, » déclara Alize.

Il n’y avait aucun sens de malice dans sa déclaration. Entre Alize et moi, je ne savais plus qui était le plus mature.

Eh bien… ce n’était pas tout à fait vrai. J’étais de toute évidence plus puéril. Je savais au moins ça.

Lorraine avait rapidement repris la conversation. « Bien sûr que vous pouvez le faire, Alize. Il existe de nombreux trucs et astuces de base que vous pouvez utiliser… Vous feriez mieux de demander à Rentt, bien sûr. Après tout, c’est un vétéran quand il s’agit de magie pour débutants. »

La maîtrise d’une magie spécifique affectait directement la vitesse et la puissance de lancer d’un sort. Ayant pratiqué les trois mêmes sorts pendant plus d’une décennie, je pouvais dire en toute confiance que ma maîtrise de ces trois sorts avait même rivalisé avec celle de Lorraine.

Se retournant, Alize m’avait regardé avec impatience. Je demande déjà conseil, je vois.

« Concentrez votre mana sur un seul point. Puis stabilisez ce mana concentré. Imaginez dans votre esprit le résultat souhaité… Ce sont des étapes qui s’appliquent à toutes sortes d’autres magies. Il n’y a pas de mal à imaginer ce que vous voulez faire… du moins, je pense, » déclarai-je.

Même si j’étais un vétéran en la matière, je ne pouvais pas utiliser d’autre magie que la magie de base, donc je ne pouvais pas faire de déclarations générales sur la magie de niveau supérieur.

« Les paroles de Rentt sont vraies, » Lorraine acquiesça d’un signe de tête. « L’imagination est une chose puissante. Imaginez le résultat dans votre esprit, cela vous aidera dans d’autres types de magie. Des trucs et astuces pour d’autres types de sorts existent aussi, bien sûr… Dans tous les cas, il est plus rapide pour vous de simplement l’essayer. L’incantation vient en premier, mémorisez-la, puis chantez-la. Pouvez-vous faire ça, Alize ? »

Alize hocha rapidement la tête, se levant et se préparant une fois de plus.

***

Partie 5

« Eh bien, alors. Vous devez d’abord concentrer votre mana, Alize. Comme vous venez de le faire, concentrez-vous sur le bout de votre index, » déclara Lorraine.

Alize fit un bref signe de tête à Lorraine avant de se concentrer intensément, rassemblant le mana dans son être. Alors que je ne pouvais pas voir les mouvements du mana dans le corps des autres, Lorraine le pouvait apparemment.

« Comment va-t-elle ? » demandai-je.

« Hmm… Très bien, je dirais. Pas aussi vite que la façon dont tu déplaçais ton mana avant, Rentt, mais, quand même, c’est un bon progrès pour sa première journée. Le fait qu’elle puisse faire cela est plus que suffisant, » Lorraine hocha la tête avec sagesse.

« D’accord, c’est bon. C’est maintenant l’heure de la magie pour débutant, Alize. Essayez d’imaginer ce que vous avez vu faire Rentt tout à l’heure. Imaginez la scène dans votre esprit, puis dites l’incantation. Celle-là, juste là, » déclara Lorraine.

Lorraine pointa sa baguette vers le tableau de bois, elle avait déjà écrit l’incantation pertinente à un moment donné, probablement quand je ne regardais pas.

Alize, avec des perles de sueur se formant sur son front, hocha de nouveau la tête et ouvrit lentement les lèvres.

« “Oh, Flamme… que mon mana soit… comme le grain… et se manifeste… devant moi… Ignite Aryumage” ! » déclara Alize.

Après ça, le mana au bout de son doigt vacilla, trembla, ondula, avant de briller de mille feux sur son doigt tendu. C’était quelque chose qui ne s’était jamais produit lorsque je m’étais essayé. Un tel spectacle était observé lorsque le mana n’était pas correctement converti en magie. L’excès de mana inutilisé s’était dispersé sous forme de lumière.

Comme j’avais constamment converti le mana en magie ces derniers instants, il n’y avait pas eu de perte de mana. Alize, cependant, était une débutante et n’était pas encore habituée à la magie. Au fur et à mesure que l’on se familiarisait avec l’art de la magie en général, il y avait moins de perte de mana et de gaspillage. C’était le rêve de tout mage de convertir complètement et rapidement le mana en divers phénomènes. Donc une faible perte de mana était inévitable dans le cas d’Alize.

Alors que la lumière s’éteignait, une petite flamme apparut, dansant paresseusement sur le doigt d’Alize. C’était environ deux fois plus petit que celle que j’avais générée plus tôt. C’était une flamme vacillante et instable, trop petite pour même servir de braise ou d’étincelle.

Alize la regarda avec émerveillement, les yeux grands ouverts. Il lui semblait difficile de croire qu’elle était capable de faire de la magie, même si elle avait appris les théories et était devenue capable de manipuler le mana dans son corps.

 

 

Les mages étaient rares, du moins chez les humains ordinaires. Ils possédaient le pouvoir de transformer un homme en cendre d’un seul coup, et même de plier tout type de matière à leur volonté sans même les toucher. Il n’était pas surprenant qu’Alize soit incrédule maintenant qu’elle était l’un de ces mages. La plupart des personnes qui utilisaient la magie pour la première fois avaient réagi de cette façon. On pourrait vouloir devenir un mage, ou parler de devenir un mage, mais peu étaient préparés pour le moment présent.

« Incroyable… Même… Même moi, je peux utiliser la magie ? Ah ! » s’exclama Alize.

Pendant qu’Alize parlait, la flamme clignotante avait disparu, probablement à cause de sa concentration perturbée. Bien qu’un individu puisse maintenir un sort inconsciemment s’il y était habitué, un tel exploit serait pratiquement impossible au début de son voyage puisque toute sa concentration était alors nécessaire.

« C’est parce que vous avez pensé à autre chose, Alize. Quoi qu’il en soit, après quelques répétitions, vous pourrez le faire sans hésiter, » expliqua Lorraine.

« Je ne savais pas que je devais faire tant d’efforts juste pour une petite flamme comme celle-ci… Je n’ai pas vraiment l’impression que je serais capable de faire ce que vous dites, professeur Lorraine…, » déclara Alize.

« Non, non, non, » Lorraine secoua la tête de son élève. « Rien de la sorte. Pensez-y : même Rentt en était capable, non ? En fait, si vous vous y habituez encore plus, vous pourriez même le faire. »

Une petite flamme s’était formée spontanément sur le doigt de Lorraine. Un petit ruisseau d’eau avait jailli de ses paumes avant de danser longuement, formant les contours d’une carte à l’allure compliquée.

Ah, les techniques d’un vrai maître. Peu d’individus pouvaient aussi bien contrôler la forme de leur mana.

Mais c’était quelque chose que même moi, je pouvais faire. Mais c’était ce que Lorraine avait fait ensuite que je n’aurais jamais pu espérer imiter.

La flamme et le jet d’eau de ses mains devinrent lentement plus grands, formant les formes d’animaux et de créatures diverses. Les flammes avaient pris la forme d’un oiseau, et les jets d’eau flottants étaient devenus des dragons, puis des éléphants — un cirque qui tournait en silence dans les airs. De toute évidence, ce n’était pas de la magie de débutant, si je peux dire.

Il serait impossible pour un débutant d’agrandir ses flammes et son eau à cette taille, sans parler de les projeter loin de son corps tout en gardant le contrôle. Le fait même que cela ait été fait signifiait que ce dont nous étions témoins n’était plus fondamental sous quelque forme que ce soit. Si j’avais pu réaliser un tel exploit, j’aurais déjà commencé à jouer avec mes propres animaux volants.

« Wôw…, » la bouche d’Alize était ouverte.

« Et ça aussi, » Lorraine avait plus de tours dans son sac.

D’un geste de la main, la terre s’était matérialisée à partir de l’air, prenant la forme de nombreux bâtiments flottants. D’abord les nombreux bâtiments de la Guilde des Aventuriers, puis la demeure de Lorraine, un hôtel particulier, puis un magnifique château. Chacun de ces bâtiments était de couleurs différentes, on ne croirait pas qu’ils étaient faits de fragments de terre.

J’avais reçu un douloureux rappel de la distance qui me séparait de Lorraine en termes de compétences.

Finalement, Lorraine avait fini par rejeter tous ses sorts.

« Qu’est-ce que vous en pensez ? Impressionnant, n’est-ce pas ? En tout cas, plus que ce qu’a fait Rentt, » se vantait Lorraine.

Ah, je vois. Elle ne montrait pas à Alize les possibilités de la magie… mais simplement qu’elle était la meilleure mage entre nous.

Comme c’est puéril, Lorraine.

Mais bien sûr, moi plus que quiconque, je ne devrais rien dire de tel. Cependant, Alize avait été évidemment étonnée.

« C’était génial ! Professeur Lorraine, et Rentt aussi ! Je vais travailler dur ! Pour que je puisse être comme vous deux ! » déclara Alize.

Les louanges sincères d’Alize avaient apporté une nouvelle nuance de cramoisi sur les joues de Lorraine.

« V-Vraiment ? Ah, oui, oui. Bien sûr que oui. Tu t’en es aussi bien sorti, Rentt…, » déclara Lorraine.

Il n’y avait pas non plus de malice dans ses paroles. Elle avait peut-être été stupéfaite par les éloges incessants d’Alize.

Alize était plus enthousiaste que jamais.

« De penser que vous deux, vous apprendriez à quelqu’un comme moi… Je vais le faire ! Je vais travailler très dur ! J’espère que vous continuerez à me guider à partir de maintenant ! » dit-elle, s’inclinant profondément en le faisant.

C’est ainsi que notre première leçon de magie s’était finalement terminée…

◆◇◆◇◆

« D’accord, à bientôt ! » déclara Alize, étreignant le manuel scolaire que Lorraine lui avait fait contre sa poitrine alors qu’elle retournait à l’orphelinat.

Lorraine et moi lui avions fait signe en la voyant partir, jusqu’à ce que l’enfant ne soit plus qu’une tache au loin. Ce n’était qu’alors que nous étions retournés à l’intérieur.

« C’est un sacré tour de main, n’est-ce pas, Rentt ? À ce rythme, elle serait bientôt en bonne route sur le chemin de l’érudit-mage, » murmura Lorraine, s’étirant sur le canapé avec une expression détendue sur son visage.

« Non, non, non… Alize n’allait-elle pas devenir une aventurière ? Elle a peut-être appris la magie aujourd’hui, mais à partir de demain, elle apprend les rudiments du métier d’aventurier, » répliquai-je.

Même si Lorraine avait promu le chemin de l’érudit-mage de façon un peu agressive, Alize elle-même avait dit qu’elle souhaitait être une aventurière. Cet objectif ne pouvait pas être simplement écarté. Je l’avais même confirmé avec Alize, alors qu’elle sortait de chez elle, qu’elle étudierait les façons d’être un aventurier lors de sa prochaine leçon. Elle s’était ensuite tournée vers moi, hochant la tête avec un sourire innocent. Aujourd’hui encore, les aspirations d’Alize étaient fermement du côté des aventuriers.

Que pourrait-elle être d’autre ? Elle deviendrait une aventurière, non ? Ça devait être une aventurière.

Oui… C’est ça, c’est ça.

Lorraine semblait plisser légèrement ses sourcils avec mépris.

« Hmph. Tu es têtu, n’est-ce pas ? Je suppose qu’il n’y a pas vraiment le choix. Nous en resterons là… pour l’instant, » déclara-t-elle, comme si elle m’accordait la permission pour le cours d’aventurier.

Quelque chose clochait ici. Non, cela ne faisait aucun doute. Quelque chose…

C’est du moins ce que je pensais.

Mais même dans ce cas, il n’y aurait pas grand-chose de bon à se disputer sur les détails.

« Eh bien. Qu’est-ce que tu as en tête ? Qu’est-ce qu’Alize devrait faire en premier dans ton cours d’aventuriers ? » demanda Lorraine.

Lorraine semblait avoir mis de côté ses blagues — pour l’instant. Je n’avais pas répondu tout de suite, mais je m’étais arrêté pour réfléchir.

« D’abord… Je devrais lui apprendre les bases de l’épée. Après ça, je l’emmenais dans la forêt, ou peut-être dans les labyrinthes… et je lui apprendrais les bases : les matériaux, les règles de l’aventure… tout ça. »

Une vague de nostalgie s’était emparée des traits de Lorraine.

« Je vois. Tout comme ce que tu m’avais appris dans le passé, Rentt… Ces mêmes endroits…, » Lorraine s’arrêta, comme soudain frappés d’une étincelle d’inspiration. « Dis, Rentt. Ça te dérange si je vous accompagne ? »

C’était des terres libres, mais il y avait aussi l’idée que Lorraine soit l’enseignante de magie d’Alize. Il serait prudent de la faire venir si Alize utilisait la magie au combat.

Alize avait besoin d’expérience. Pour cela, elle me suivait dans les labyrinthes, et je devais lui montrer les manières adéquates sous ses yeux. Je ne pouvais pas m’attendre à ce qu’Alize batte un monstre toute seule… mais si nous en trouvions un qui était suffisamment faible, ou un que j’avais affaibli avant… Hmm. Je suppose qu’elle ne ferait pas que regarder.

« Ça ne me dérange pas. Mais qu’en est-il de tes recherches, et d’autres affaires de ce genre ? » demandai-je.

« Tout va bien, Rentt. De plus, il ne s’agit pas seulement d’Alize. Je t’ai vu te battre plusieurs fois avant ton évolution, mais qu’en est-il maintenant ? Les choses ont sûrement changé, » déclara Lorraine.

Même moi, je n’avais pas pu répondre à cette question. Mes méthodes avaient considérablement changé entre les évolutions, et je me battais différemment quand j’étais une Goule ou un Thrall. Il serait prudent de supposer que mes capacités étaient maintenant différentes. J’avais aussi dû tenir compte du fait que je pouvais tourner mon corps dans toutes sortes d’angles étranges et impossibles pendant mon temps comme Thrall et goule… Je pourrais toujours faire la même chose… si j’essayais. Cependant, la chair de mon corps n’accepterait probablement pas avec gentillesse de telles manœuvres bizarres. En fait, ce serait plus qu’un tribut physique, car il y avait aussi l’aspect mental où je me contorsionnais d’une manière tout à fait inhumaine.

Je suppose qu’il était sage d’établir ses limites, car il serait trop tard après coup. À ce titre, je suppose que certaines observations de Lorraine s’imposaient. Il se peut que nous comprenions encore mieux ma physiologie et mes capacités actuelles à ce moment-là.

J’avais hoché la tête à Lorraine lentement, tandis que ces pensées disparaissaient de mon esprit.

***

Partie 6

Bien que nous ayons longuement parlé d’enseigner à Alize les bases de l’aventure, il y avait d’abord quelques articles que nous devions obtenir.

Les leçons de magie de Lorraine ne nécessitaient qu’Alize elle-même, le manuel que Lorraine avait écrit pour elle, et la tutelle de Lorraine. Par contre, un cours de courte durée sur les rudiments de l’aventure exigeait divers outils, instruments et équipements. Étant donné qu’Alize avait la chance d’avoir une réserve de mana, elle pouvait se battre comme une mage si elle le décidait, mais l’aventure n’était pas si simple. Alize aurait des difficultés si ses réserves s’asséchaient au milieu de la bataille, ou si elle avait rencontré un monstre qui reflétait ou était immunisée contre les sorts. C’était mieux pour elle d’avoir d’autres moyens de défense.

Même les aventuriers mages avaient besoin d’un certain degré de prouesses martiales, ainsi que d’endurance physique. Lorraine n’avait pas fait exception, car elle était suffisamment entraînée pour gérer des situations où sa magie ne pouvait pas être utilisée efficacement. C’est précisément pour cette raison qu’Alize avait besoin du même degré d’entraînement, sous une forme ou une autre d’arts martiaux.

L’entraînement d’un aventurier consistait principalement à se rendre dans des labyrinthes ou à la périphérie des villes et à découvrir les monstres qui y vivaient, ou à comprendre où certains matériaux pouvaient être récoltés. Si les connaissances acquises dans les livres et les études étaient importantes, l’application pratique l’était aussi, ne serait-ce que pour mieux comprendre comment appliquer ses connaissances. Les aventuriers qui s’étaient livrés à leurs activités sans comprendre ces applications étaient souvent, au mieux, inefficaces.

Avec toutes ces pensées en tête, le plan d’action suivant était simple : Alize avait besoin d’une arme. Comme elle était orpheline et qu’elle vivait dans un orphelinat, Alize n’aurait que peu de biens personnels et encore moins d’armes de toutes sortes. Je devais lui fournir l’objet, et il fallait de l’argent pour cette tâche. Heureusement, une débutante comme Alize n’avait pas besoin d’une arme coûteuse. Malgré tout, elle avait besoin d’une sorte d’arme, et j’étais plus que disposé à lui en offrir une. Cependant, Alize, étant la personne qu’elle était, ne serait guère d’accord avec une telle chose, secouant la tête et refusant catégoriquement. Au contraire, Alize exigerait que le coût de l’acquisition de l’arme soit ajouté à son compte.

Alize aurait besoin d’une arme relativement bien forgée, mais abordable. À cette fin, des fonds étaient nécessaires, mais ma situation à cet égard faisait quelque peu… défaut. Il y avait, bien sûr, la pièce que je n’avais pas encore reçue de Laura, parce que je n’avais pas encore livré de fleurs, en plus de tout le matériel que j’avais vendu jusque-là et qui avait été utilisé pour mon propre équipement et mes propres armes. J’avais aussi utilisé une somme douloureusement importante pour acheter une poche magique de grande capacité. Pour empirer les choses, j’avais acheté un étui sur mesure pour mon modèle de dirigeable dans le feu de l’action — maintenant que j’y avais pensé, ce n’était peut-être pas un achat particulièrement judicieux. Compte tenu de ma situation financière actuelle, je n’étais pas en état de payer l’arme d’Alize, et encore moins les frais pour les cours que je devais encore à Lorraine.

Cependant, j’avais mes plans en ce qui concerne l’argent, ou mon manque d’argent.

Il y avait un matériel que je n’avais pas encore vendu — mais bien sûr ! Je parle de la Tarasque. J’avais reçu un avis de la guilde il y a quelque temps, m’informant qu’il y avait certaines discussions à avoir au sujet de la carcasse. Si je devais le deviner, les matériaux avaient finalement été vendus, avec cela, le long hiver dans ma bourse vide serait enfin terminé.

Avec une mélodie sur les lèvres, j’avais fait un signe de la main à Lorraine avant de franchir les portes de sa demeure.

« Ne te l’auraient-ils pas simplement dit si la chose s’était vendue, Rentt ? Une discussion, cependant… Ce n’est pas vraiment une déclaration typique. Quoi qu’il en soit, prends soin de toi au fur et à mesure que tu vas de l’avant, » déclara Lorraine.

C’était peut-être juste son imagination. Il n’y avait pas besoin d’une conversation aussi désagréable.

Sans plus attendre, je me dirigeais joyeusement vers la Guilde des Aventuriers.

 

◆◇◆◇◆

« Ah, Monsieur Rentt ! »

La voix de Sheila avait retenti dès que j’étais entré dans les couloirs de la guilde. On aurait dit qu’elle m’attendait depuis tout ce temps et qu’elle voulait que je la suive.

Combien, exactement, cette carcasse et ses matériaux se vendaient-ils ? Ça valait une sacrée somme, n’est-ce pas ?

Sheila s’était approchée de moi alors que je me perdais dans mes pensées de richesses potentielles.

« La Tarasque s’est vendue, non ? Combien ça a rapporté, Sheila ? » demandai-je.

Sheila ne me regardait que d’un air surpris. « Oh… ? Rentt… Tu parles si… en douceur, maintenant… »

En y repensant, Sheila n’avait pas encore vu ma forme évoluée. Dans son esprit, je devrais encore être un cadavre chancelant.

Déplaçant mon masque pour qu’il montre la moitié inférieure de mon visage, j’avais enlevé mon chapeau, répondant sans mot à sa question. Les yeux de Sheila s’élargirent à la vue.

« Eh… ? Rentt, est-ce que c’est... Comment appelles-tu ça ? Tu as évolué, n’est-ce pas ? » demanda Sheila, d’une voix plus douce que d’habitude. « Évolué » en particulier avait été dit en chuchotant un peu.

« Oui, » j’avais hoché la tête. « Juste la veille. Selon Lorraine, je suis maintenant… Une sorte de petit vampire. J’ai l’air d’un humain maintenant, oui. Cependant, juste un peu pâle. »

Sheila avait ri nerveusement face à mon explication avant de lentement hocher la tête.

« Oui, il y a un manque de… couleur, à ton visage. Mais tu ressembles à ce que tu étais dans la vie, Rentt. Ah… ta peau est aussi… si lisse, » déclara Sheila.

« Oui, Lorraine l’a aussi dit. C’est un étrange effet secondaire…, » déclarai-je.

« Hmm… En regardant cette… douceur, Rentt. Ça me donne envie de devenir comme toi… juste un peu…, » déclara Sheila.

Les questions de teint semblaient toujours être le sujet de prédilection des dames, si l’affirmation quelque peu troublante de Sheila était quelque chose qui allait de soi.

J’avais lentement secoué la tête. « N’y pense même pas, Sheila. J’ai commencé à partir d’une pile d’os, si tu t’en souviens. »

C’était la première étape à partir de laquelle j’avais évolué, après tout. S’il y avait d’autres moyens, je ne les connaîtrais pas.

Avec ce corps qui n’arrêtait pas de claquer, j’avais continué à vaincre des monstres, devenant lentement un cadavre desséché, puis un cadavre avec de la viande suspendue dessus… pour finalement devenir un Petit Vampire après avoir miraculeusement obtenu du sang de Vampire. Même moi, j’avais compris que c’était un chemin extrêmement difficile.

Peut-être que j’avais eu de la chance que ça se soit si bien passé. Même si une personne était compétente, il fallait ne partir de rien au tout début. Peut-être que c’était la partie la plus difficile.

Sheila semblait comprendre mon raisonnement tacite.

Je comprends. Que ferais-je même si je devenais vraiment comme toi ? C’est ce que j’aurais aimé demander, mais… ce serait inapproprié.

« Ah, oui, » continua Sheila. « Puisque tu ressembles plus ou moins à ton être humain, que voudrais-tu faire de tes vieux enregistrements ? Tu pourrais continuer en tant que Rentt Faina… Ou préfères-tu continuer en tant que Rentt Vivie… ? »

Une question valable, cependant, il n’y avait qu’une seule réponse que je pouvais donner :

« On devrait de toute façon continuer à utiliser Rentt Vivie, » répondis-je.

« Pourquoi est-ce que c’est comme ça ? » Sheila semblait un peu perdue par ma réponse soudaine et rapide.

« C’est très simple, Sheila. Pour commencer, ce masque ne s’enlèvera pas… et il y a la question de savoir pourquoi Rentt Faina aurait un tel masque. Ensuite, il y aurait la question de mes… capacités accrues. Si on me demandait soudainement d’expliquer toutes ces choses… Eh bien, ce serait difficile, » répondis-je.

Il y avait toujours une option encore plus simple : je pouvais leur dire que j’étais devenu un monstre. Même si c’était un argument convaincant, je serais quand même traqué et exécuté sommairement, donc, au bout du compte, ce n’était pas la meilleure solution. Tant que je ne pouvais pas dire que j’étais humain sans l’ombre d’un doute, il serait assez difficile de se faire appeler « Rentt Faina » dans la ville de Maalt. Trop de gens me connaissaient ici.

« Je vois… Alors, Rentt. Je m’occuperai de tes demandes et de tes missions comme demandé à partir de maintenant. Ah, oui… Il y avait aussi la question dont nous devions discuter…, » déclara Sheila.

« C’est vrai. La Tarasque, oui ? Je me demande si elle s’est vendue pour une bonne somme…, » déclarai-je.

Mes attentes avaient vite été brisées en deux par les paroles de Sheila.

« Hein ? Non, ça ne s’est pas vendu du tout, Rentt. Il ne s’agit pas de cela — comme nous l’avons dit, d’une discussion ! En tout cas, s’il te plaît, suis-moi dans la salle de dissection…, » elle avait parlé avec une légère expression de surprise.

Mais… qu’en est-il de mes finances… ?

J’avais peut-être compté mes poulets bien avant qu’ils n’éclosent…

Il n’y avait rien que je pouvais faire maintenant, alors j’avais donné à Sheila la meilleure réponse que je pouvais trouver pendant que je hochais la tête :

« Ah… Ah. Oui. C’est vrai, » déclarai-je.

J’avais suivi Sheila avec un sentiment de déception imminent.

 

◆◇◆◇◆

« Oh ! Alors vous êtes passé, hein. »

Dario nous avait accueillis à l’entrée avant les pièces de dissection. Il semblait que Dario avait attendu un peu trop longtemps pour me voir, et je ne pouvais m’empêcher de me demander ce qui s’était passé pendant la vente de la carcasse. D’après le comportement de Sheila, et d’après ce qu’elle venait de dire, il était difficile d’imaginer que les matériaux Tarasque avaient même été vendus.

« S’est-il passé quelque chose ? » avais-je demandé, en regardant Dario, le maître en dissection de la guilde.

« Eh bien. Vous feriez mieux d’entrer, » déclara-t-il en nous faisant signe d’entrer dans l’établissement en se tournant.

Je n’avais aucune raison de refuser. Je suppose que Dario avait ses raisons, alors j’avais hoché la tête en le suivant rapidement.

***

Partie 7

« Eh bien… ? S’est-il passé quelque chose ? » demandai-je alors que Sheila et moi étions assis dans le bureau de Dario. Des chaises nous avaient été gracieusement fournies.

« Oui… Ce n’est pas un gros problème, mais…, » répondit Dario.

Dario semblait perturbé. Contrairement à ce qu’il avait dit, cela semblait vraiment un gros problème, si l’on en croit son ton.

« Eh bien, la Tarasque que vous avez apportée…, » Dario continua, un peu lentement. « Nous avons fini le travail et par sa qualité… nous avons pensé qu’il valait mieux la mettre aux enchères. Donc ce marchand avec qui nous travaillons, il était censé venir et le récupérer… C’est à ce moment-là… »

Qu’est-ce que c’était ? Que s’est-il passé ensuite ? Je sentais mon inquiétude grandir devant les déclarations énigmatiques de Dario.

Dario n’avait-il pas mentionné que les matériaux de cette Tarasque étaient de grande qualité, qu’il y en avait peu de semblables à travers les terres, et qu’ils pouvaient rapporter un bon prix ? Je pouvais difficilement penser qu’il y aurait une raison pour le commerçant de trouver des défauts avec les matériaux que j’avais fournis…

Comme s'il lisait mes pensées, Dario continuait.

« Non, ce n’est pas un problème avec le produit, vous voyez. C’est le contraire. C’est trop bon… Si bon que notre ami marchand commissaire-priseur veut l’apporter directement au client, » déclara Dario.

C’était donc de cela qu’il s’agissait…

Je suppose que ce genre de choses arrivait de temps en temps. Des gens de tous les milieux s’étaient présentés aux ventes aux enchères, et parmi eux, il y avait des gens très riches, ou certains qui utilisaient de grosses sommes d’argent à des fins très précises. Les Latuules m’étaient venus à l’esprit, car ils avaient une grande influence politique et une grande richesse matérielle.

Ces personnes, la plupart du temps, avaient des passe-temps très spéciaux. Par conséquent, ils n’hésiteraient jamais à suivre leurs inclinations. L’argent ne leur était d’aucune utilité — le passe-temps de la famille Latuule de collectionner des objets magiques en était un exemple.

Dans le même ordre d’idées, un client fortuné était prêt à payer une fortune pour des matériaux de Tarasque en bon état — mais je ne saurais dire pourquoi. Au moins, le marchand de la vente aux enchères en cause estimait maintenant que le fait d’apporter la carapace directement au client constituait une vente définitive.

Rien de tout ça n’était une mauvaise nouvelle pour moi. J’avais chargé Dario de la vente de ce matériel, et il pouvait en faire ce qu’il voulait. N’aurait-il pas pu la vendre au marchand ? Pourquoi cette discussion maintenant ?

« Ça ne me dérange pas si vous le vendez comme bon vous semble, Dario… Alors, qu’est-ce qui ne va pas ? » demandai-je.

Dario secoua la tête, une expression compliquée à travers ses traits.

« Vous le pensez bien, non ? Ce serait bien si je pouvais le vendre. Ce que vous m’avez dit de faire. J’aurais aimé le faire afin d’obtenir les meilleures offres, oui, mais… cette fois… C’est un peu différent, » déclara Dario.

J’avais incliné ma tête d’un côté de façon dramatique. Je ne comprenais pas où Dario voulait en venir, pas du tout.

« Certaines conditions, vous voyez, » continua Dario. « Le double, Rentt. Ils payent le double du prix qu’on leur demande. Mais en retour… ils veulent que vous leur soyez présentés, Rentt. L’aventurier qui a tué la Tarasque. »

« Que… »

C’était comme le disait Dario : ce n’était pas quelque chose qu’il pouvait décider tout seul.

Quelle que soit la nature de l’enchère, il était logique que la plupart des personnes enchérissent sous des pseudonymes. Cela s’appliquait à la fois aux acheteurs et aux vendeurs, aucune des deux parties n’étant désireuse d’exposer sa véritable identité lors d’une vente aux enchères, la raison en étant que la plupart des objets présents à ces ventes étaient soit extrêmement précieux soit rares. Si un acheteur ou un vendeur avait révélé son identité, il pourrait être cambriolé ou même menacé. Par conséquent, le besoin de protection de la vie privée était primordial dans le secteur des ventes aux enchères.

Bien que la maison de ventes aux enchères elle-même connaisse l’identité de ses clients, toute fuite d’information serait un désastre en soi. Si une telle chose se produisait, la maison de ventes aux enchères perdrait la confiance de ses clients et, avec cela, de toutes ses affaires.

Il y avait toutefois des exceptions, auquel cas l’autorisation du client en question était requise. Dans le cas présent, il semblait que Dario avait besoin de ma permission pour procéder à la vente.

Mais quelque chose dans cette transaction m’avait semblé un peu bizarre. Le fait que l’acheteur en question souhaitait être présenté à moi signifiait qu’ils cherchaient des aventuriers capables de traquer des Tarasques. En soi, cela n’avait pas été trop difficile.

Il n’était pas rare non plus que le prix de rachat lors des négociations soit fixé à un montant élevé. Bien que les enchères aient parfois dépassé ce montant, l’idée même de doubler le prix demandé à l’origine était une idée redoutable. S’ils avaient autant d’argent à leur disposition, ils n’avaient pas besoin de se donner tant de mal. Tout ce que ce client mystérieux avait à faire était d’approcher la guilde et d’engager les services d’un aventurier de classe Or. Pourquoi faire tous ces efforts pour me demander ? Je n’arrivais pas à m’y faire.

Dario, qui m’observait encore de l’autre côté de la table, avait probablement déduit ce que je pensais, alors il avait continué à parler.

« Ce client a vraiment de bons yeux. Il est venu une fois. Il a regardé la Tarasque que vous m’avez apportée et il a été ému… C’est vraiment de la qualité. Il a dit quelque chose à propos d’une Tarasque parfaitement décapitée. Sans autres blessures. Presque parfaite. Beaucoup d’aventuriers sont capables de chasser les Tarasques… mais de les tuer et de préserver la qualité du matériel ! Peu d’aventuriers en sont capables. Il a dit qu’il voulait en savoir plus sur cet individu. Plus… c’est ce qu’il a plus ou moins dit, » déclara-t-il.

J’avais presque l’impression d’être couvert d’éloges…

Bien que j’aie pu obtenir des matériaux à partir de la carcasse Tarasque relativement intacte, je savais que la chance jouait un rôle important dans ces développements. Mais ce mystérieux client semblait comprendre que j’avais délibérément relevé le défi de tuer la Tarasque de cette façon particulière. Malgré tout, les éloges semblaient un peu trop élogieux.

Quelque chose à propos de cette proposition de réunion m’avait rempli de malaise. Que se passait-il si le client refusait d’acheter le matériel après m’avoir rencontré ? Si je n’étais pas ce qu’ils attendaient ? Je voulais faire profil bas — si possible, je ne voulais pas que mon nom, ou les histoires de mes réalisations se répandent.

Si je devais vraiment rencontrer ce client mystérieusement riche et puissant, je détesterais me retrouver les mains vides. L’argent était une question de la plus haute importance. Si l’on était pauvre et sans le sou, il fallait ne survivre avec rien d’autre qu’un petit morceau de pain pour toute la journée. Ah, quelle nostalgie… j’étais ainsi quand j’avais commencé ! À l’époque, je m’aventurais même dans les forêts voisines, à la recherche de légumes comestibles pour assouvir ma faim… Et le fourrage, je l’avais fait, de tout mon être. Les hivers avaient été rudes…

« Allez-vous bien ? »

Les paroles de Dario m’avaient fait sortir de mes rêveries nostalgiques. Il y avait une pointe d’inquiétude dans ses paroles.

« Ça va…, » j’avais lentement levé la tête. « Mais… je pensais à quelque chose. Dites-moi, Dario… Votre client : reviendrait-il sur la vente s’il me rencontrait ? Ce n’est pas quelque chose que je répéterais souvent, mais c’est une coïncidence si j’ai réussi à tuer le Tarasque de cette façon. Vous le savez, n’est-ce pas ? »

Les mensonges ne m’aideraient pas beaucoup à ce stade. Cependant, Dario semblait déjà avoir anticipé cela.

« Vous n’avez pas besoin de me le dire. Le client le sait, même moi, je le sais. Même si vous dites ça, Rentt, même si vous avez de la chance, vous pensiez aux matériaux, hein ? C’est évident, vous voyez, » déclara Dario.

« Je suppose que c’est vrai…, » déclarai-je.

Un examen superficiel du cadavre révélerait que j’avais attaqué le cou de la Tarasque dès le début, ne voulant pas endommager ses écailles. C’était la réalité.

« Je peux plus ou moins deviner ce que c’est, » poursuivit Dario, apparemment satisfait de ma réponse, « mais je pense que votre client est à la recherche d’un aventurier averti, vous voyez. Vous devriez savoir que beaucoup sont incapables de cela, même dans le Rang Or. C’est pour ça qu’il veut vous voir. Rencontrer quelqu’un qui peut… apprécier leurs inquiétudes. Croyez-vous toujours qu’ils refuseront d’acheter après vous avoir rencontré ? Penses-y, Rentt. D’avoir imposé autant de conditions, alors il n’achète pas après ? C’est une honte pour des gens comme ça, vous voyez. Maintenant, si vous avez sorti tous ces soucis de votre esprit… que diriez-vous de le rencontrer ? »

***

Partie 8

Les paroles de Dario ne m’avaient fait que m’inquiéter encore plus, mais je n’avais pas peur de rencontrer ce client.

Il y avait juste quelques… problèmes. Un problème en particulier…

À savoir, le fait que j’étais un monstre. Parler avec des gens que je connaissais ou que je connaissais bien, c’était une chose. Parler soudainement avec une personne qui possédait la richesse et le pouvoir me troublait, surtout, étant donné la nature de la conversation. Si on me découvrait, on pourrait me traquer et me tuer, et j’aimerais beaucoup l’éviter à tout prix.

Cependant, cela arrivait aux aventuriers de temps en temps. La fréquence de ces événements augmentait au fur et à mesure qu’on montait dans les rangs d’aventuriers. Laura était un bon exemple, elle avait vu mes capacités et avait jugé bon de me confier une tâche. Plus la demande était difficile et payante, plus il était probable que le client souhaite rencontrer l’aventurier en personne et vérifier ses capacités. D’où l’augmentation des convocations personnelles.

Mais le cas de Laura était très différent. Plus précisément, Isaac avait eu la chance de m’examiner avant de me recommander à sa maîtresse. Le marchand et le client, par contre, m’avaient à peine rencontré auparavant et ne connaissaient que peu de choses sur mon caractère et ma personnalité. C’est pourquoi j’avais ressenti un sentiment imminent de peur…

Si possible, j’aimerais refuser. Mais je voulais devenir un aventurier de la classe Mithril. Ce serait une erreur de refuser une telle réunion — même moi, je l’avais compris.

Si mes contacts parmi les riches et les puissants se multipliaient, la nature des demandes que je pourrais entreprendre changerait également en conséquence. Donc, les aventuriers de ce calibre seraient chéris par la guilde, et beaucoup de choses deviendraient… pratiques, si je pouvais m’exprimer ainsi.

Aussi désagréable que cela puisse paraître, la guilde était, finalement, une entreprise. Il était dans l’intérêt évident de la guilde de côtoyer des aventuriers qui avaient de grandes bourses d’argents… et des amis dans la haute société. Même le système de classement, dont on disait qu’il organisait les aventuriers par leurs compétences et leurs prouesses, avait à l’origine une fonction plus simple, celle de séparer les forts des faibles, ne serait-ce que parce que les aventuriers plus forts gagnaient naturellement plus d’argent. La guilde s’intéresserait alors davantage à ces personnes.

C’était un fait connu, mais non dit parmi les aventuriers. Mais les aventuriers étaient des individus fiers avec des points de vue spécifiques, certains s’opposant à être dépeints comme n’étant que des canailles avides d’argent. Même si je ne pouvais pas parler au nom de tous les aventuriers, une compréhension silencieuse de la nature de l’entreprise était en place.

Par exemple, qui était le meilleur aventurier ? Un fort qui avait gagné de grosses sommes d’argent, ou un honorable qui s’était rangé du côté des faibles ? Un héros prônant la justice, peut-être ? Si je devais le dire simplement, la guilde préférerait certainement le premier, mais la plupart des aventuriers seraient du côté du second. Les deux apporteraient, d’une certaine façon, un grand avantage à la guilde. Les deux individus hypothétiques étaient aussi de bons exemples de qui était vraiment un aventurier. Cependant, il serait difficile pour la guilde de déclarer l’un supérieur à l’autre, ce qui posait un autre problème dans ces cercles. En fait, ce sujet avait souvent fait l’objet de débats dans les tavernes à travers le pays, parmi les aventuriers.

Si je devais choisir, je choisirais certainement le dernier. Il serait inexact de dire que je ne gagnerais rien du tout, alors peut-être qu’une approche plus modérée de la position de ce dernier serait plus… appropriée. Il fallait faire des compromis avec la réalité, comme toujours.

Peut-être, qu’un idéaliste comme moi ne devrait pas dire de telles choses, mais quoi qu’il en soit… ma situation actuelle n’était nullement terrible. Alors que les dangers se cachaient dans de nombreux recoins, j’avais évolué avec succès ces derniers temps, et mes sens étaient plus forts que jamais. À moins que mon client ne soit quelqu’un de très spécial, il ne serait pas capable de me distinguer de l’être humain moyen… à moins que j’enlève tous mes vêtements.

Bien sûr, si je devais soudainement placer une main sur ma hanche et prendre une gorgée profonde de mon flacon rempli de sang pour le déjeuner, même les enfants dans la rue me montreraient du doigt et me déclareraient vampire. Mais je n’étais pas si stupide.

Je m’étais une fois de plus tourné vers Dario.

« Je le rencontrerai, au moins. Si je devais vendre le matériel à un prix élevé, je devrais le faire. En plus… apprendre à connaître un client riche et puissant n’est pas vraiment une mauvaise chose, » déclarai-je.

Le visage de Dario s’était illuminé en entendant ma réponse. « Oh ! C’est vrai ? Alors, c’est ce que je leur dirai. Mais oui… désolé pour ça. Pour vous poser cette question… J’ai l’impression d’avoir tout gâché. Avec ce bon matériel et tout ça. »

D’après ce qu’il avait dit, je pouvais dire que Dario n’était pas vraiment enthousiaste à l’idée dès le début. Mais j’aurais dû m’y attendre puisqu’il était un expert en dissection de monstres et d’autres créatures. Sa vocation première était de disséquer les carcasses en matériaux de haute qualité, et d’entrer en contact avec des acheteurs potentiels et d’être harcelé par tous leurs caprices. Dario avait sûrement vu pas mal de transactions à son époque, et peut-être que quelque chose dans toute cette affaire lui avait aussi semblé un peu bizarre.

Ce n’était, bien sûr, pas une situation entièrement négative pour moi, alors j’avais été un peu surpris de le voir montrer autant d’inquiétude à ce sujet. Mais, encore une fois, alors que j’étais un client de Dario, Dario était un client de l’encanteur en question. Bien que chaque partie concernée ait ses propres intérêts et un sens général de l’éthique, Dario était d’abord et avant tout un artisan, on pouvait ressentir sa passion pour la dissection rien qu’en regardant son travail.

Il va donc de soi que Dario soutiendrait l’aventurier qui apportait du bon matériel dans son atelier, par opposition, disons, à un marchand quelconque.

« Ça ne me dérange pas. Si j’avais des réserves, je dirais que oui… J’ai une question, cependant. Faites-vous confiance à ce commissaire-priseur… ? » demandai-je.

Je n’aurais pas voulu avoir affaire à un commissaire-priseur intimidant ou contraire à l’éthique discutable qui avait essayé de faire des ventes forcées. Heureusement, Dario m’avait rassuré.

« Ah, ça ? Pas de problème. C’est quelqu’un que je connais depuis longtemps. De la Société Commerciale Stheno… Avez-vous entendu parler d’eux ? » me demanda Dario.

Bien sûr que je les connaissais. Il s’agissait d’une entreprise célèbre et d’une organisation mercantile à Maalt — l’une des plus importantes au sommet. En plus d’une vente aux enchères effrénée, ils avaient aussi quelques boutiques et devantures de magasins dans les rues de Maalt.

J’avais même été dans la vie dans l’un de leurs magasins, mais je les évitais depuis mon incursion dans la mort, mais le fait d’apprendre que le commissaire-priseur en question venait d’un tel établissement m’avait soulagé de mes soucis. C’était en effet une entreprise digne de confiance.

« Oui. J’ai acheté des sortes de contenants d’eaux, et d’autres articles d’épicerie… Des casse-croûtes et tout ça. Quoi qu’il en soit, Dario, je comprends les circonstances maintenant. Quand dois-je rencontrer ce commissaire-priseur ? » demandai-je.

« Je devrais leur dire en premier que vous êtes d’accord pour la réunion et tout ça. Ensuite, ils voudront un jour pour décider… et peut-être me contacter à nouveau, d’accord ? Peut-être demain… ou après-demain. Est-ce bon, Rentt ? » demanda Dario.

Je suppose que ce serait étrange si je m’étais soudainement présenté devant leur porte, alors j’avais hoché la tête.

« S’il vous plaît. Je le laisse entre vos mains compétentes, » déclarai-je.

Dario hocha lentement la tête en réponse, avant de s’asseoir soudainement. « Oh, ouais… J’ai failli oublier… Ceci, » il avait placé une sorte de livret sur la table, me montrant plusieurs pages.

« Cet… ah, oui, oui. Je présume que c’est le document concernant tout ce que j’avais laissé sous votre garde, » déclarai-je.

J’avais parcouru le contenu des reçus. Le livret contenait des inscriptions à propos des autres matériaux que j’avais laissés avec Dario, ainsi que le matériel et l’équipement nécessaires pour le processus de dissection. Les matériaux et les ingrédients qui n’étaient pas vendus aux enchères avaient été vendus par d’autres canaux, et la valeur gagnée finale avait été enregistrée sur les papiers que je parcourais maintenant.

Je pouvais dire d’un coup d’œil que j’avais gagné une somme assez importante grâce à leur vente, et j’étais reconnaissant pour un tel résultat.

« Je vois que vous avez fait beaucoup d’efforts pour vous charger des autres matériaux…, » déclarai-je.

« Ouais, eh bien… je vous ai placé avec tous ces problèmes cette fois, vous voyez. Ce n’est pas pour compenser, bien sûr… Mais même les autres matériaux sont bien conservés. Même pas endommagé. J’obtiendrais plus que le prix demandé standard si je les vendais normalement, vous savez ? Les acheteurs peuvent reconnaître la qualité quand ils la voient, » Dario avait déclaré encore plus d’éloges sur les ingrédients que j’avais récoltés.

J’étais juste un aventurier de classe Bronze qui ne gagnait presque rien. Comme j’avais voulu vendre autant d’ingrédients de haute qualité que possible, j’avais étudié la façon dont on pouvait utiliser des matériaux de monstre. J’avais pris des notes et mené des recherches sur la façon de ne pas endommager les matériaux pendant l’extraction, et sur les méthodes pour vaincre les monstres tout en assurant une carcasse facilement récupérable.

Je suppose que mes efforts avaient porté ses fruits.

« Je suis content que vous ayez une si haute opinion de mes matériaux. Si je rencontre du bon matériel lors de mes voyages, je m’assurerai de vous l’apporter… et en aussi bon état que possible, » déclarai-je.

« Je vous achèterai toujours votre matériel, Rentt. Et puis… êtes-vous d’accord avec les prix que j’ai fixés pour ça ? » demanda-t-il.

J’avais hoché la tête. « Oui, tout à fait. »

Dario déposa une série de pièces de monnaie sur son bureau en réponse, et je les emportai rapidement toutes dans mon portefeuille… ou plutôt, dans ma pochette. Cette affaire terminée, je m’étais retourné, laissant les salles de dissection derrière moi.

***

Épilogue

Il existe sur ces terres une organisation religieuse appelée l’Église de Lobelia. Si l’on demandait aux citadins moyens qui se promènent dans les rues de Maalt, ils répondraient que l’église n’avait pas beaucoup de présence. C’était peut-être vrai dans le royaume de Yaaran, mais cela ne pouvait pas être plus éloigné de la vérité dans les grands royaumes de l’ouest, car l’Église de Lobelia était l’une des plus puissantes organisations religieuses là-bas. Alors qu’ils avaient une église à Maalt, peu de croyants étaient dans ses locaux. La structure de Maalt était, par conséquent, un petit bâtiment, proportionnel au nombre de croyants dans la région. L’eau bénite qu’elle offrait à la vente, cependant, ne pouvait être achetée qu’à des prix ridicules — des prix qui ne seraient pardonnables pour aucune autre église.

Telle était la nature de l’Église de Lobelia. Bien que ces observations soient plus ou moins exactes, elles ne donnaient pas une vue d’ensemble — loin de là, en fait.

Alors que l’église avait peu d’adeptes et une présence réduite, leurs efforts dans le Royaume de Yaaran n’avaient guère faibli — l’espionnage restait de l’espionnage.

« Alors, c’est Maalt, hein…, » déclara la personne, regardant par la fenêtre de la calèche.

Un coup d’œil sur leur environnement leur avait suffi pour comprendre qu’ils n’étaient plus dans le Saint Royaume d’Ars. Maalt présentait une sensation un peu plus sauvage.

L’endroit où ils se dirigeaient maintenant n’était autre qu’une certaine ville rurale à la frontière du royaume de Yaaran, une certaine ville du nom de Maalt. On ne pouvait s’empêcher de se demander si les braves pionniers y vivaient des vies difficiles.

 

 

Ce n’était pas la première fois qu’elles mettaient les pieds à Yaaran. Elles avaient déjà visité la capitale et quelques petites villes et villages autour d’elle. Le fait qu’elles soient si éloignées des endroits centraux était quelque peu rafraîchissant et tout aussi rural.

Du moins, c’est ce que Myullias Raiza, prêtresse-sainte de l’Église de Lobelia, pensait de sa destination.

Myullias avait l’air préoccupée, jetant un coup d’œil par la fenêtre de la calèche avec ses yeux violets et cristallins. Ces yeux étaient entourés de cheveux argentés brillants, ce qui ajoutait à une certaine aura de mystère autour de son être.

Il y avait beaucoup d’autres prêtres-saints, mais ils n’étaient pas limités à l’Église de Lobelia. Les prêtres-saints étaient bénis par les esprits, ou même les dieux, et étaient souvent doués de réserves de divinité, avec quelques autres pouvoirs mystérieux. Myullias était l’un de ces prêtres-saints. Le dieu qui l’avait bénie n’était autre que le seul dieu en lequel l’Église de Lobelia croyait, et ses pouvoirs étaient tout aussi impressionnants.

La déesse Lobelia — celle qui avait créé ces terres, le monde et diverses autres existences.

Ceux qui reçoivent sa bénédiction étaient souvent doués de divers types de pouvoirs, souvent uniques à l’individu. Par exemple, Myullias exerçait des pouvoirs spécialisés dans la guérison et la purification. Si elle le désirait, elle pourrait baigner toute la ville de Maalt dans une lumière guérissante, la purifiant dans son intégralité. Malheureusement, Myullias aurait du mal à se tenir debout après avoir réalisé un tel exploit, mais le fait qu’elle puisse même faire quoi que ce soit de ce genre était choquant en soi.

Myullias était aussi un peu nouvelle quand il s’agissait d’être un prêtre-saint. Il y avait certains individus au siège de l’Église de Lobelia, des individus qui pouvaient renifler et rire des pouvoirs prétendument impressionnants de Myullias. En tant que telle, Myullias elle-même n’avait fait que son devoir, sans la moindre once d’arrogance de sa part.

Pour la déesse Lobelia, et pour répandre les enseignements de l’Église de Lobelia à travers le pays, elle prêchait et faisait des sermons, guérissait et bénissait. Tout cela pour que la lumière brillante de leur guide puisse atteindre une plus grande zone.

C’est pourquoi elle avait voyagé d’une ville à l’autre, démontrant ainsi ses pouvoirs. C’est aussi la raison pour laquelle elle se rendait actuellement à Maalt.

La veille, une prêtresse-sainte d’une autre organisation religieuse avait offert la guérison et les bénédictions de ses concitoyens — c’est du moins ce qu’elle avait entendu dire. D’après ce qu’on lui avait dit, la sainte prêtresse en question venait de l’Église du ciel oriental, ladite Église étant la plus grande organisation religieuse de Yaaran. Cet incident à lui seul suffisait à prouver que diverses organisations religieuses opéraient dans ce royaume.

On dit depuis longtemps que le royaume de Yaaran était assis sur des terres troublées. En raison de l’appartenance de la plupart des citoyens de Yaaran à l’Église du Ciel oriental et de leur culte, il était difficile pour une église étrangère de simplement faire irruption et offrir ses propres enseignements. Pour empirer les choses, les enseignements de l’Église du ciel oriental étaient… uniques. Par rapport à d’autres organisations religieuses, elle imposait peu de fardeaux à ses adeptes et encourageait ses moines et nonnes à vivre une vie pieuse et frugale, ce qui était une réalité assez douloureuse pour la plupart des autres religions.

Bien qu’aucune organisation spécifique ne soit nommée, il était de notoriété publique que la corruption sévissait aux échelons supérieurs de nombreuses Églises et que l’on attendait de leurs fidèles des dîmes lourdes. L’Église du ciel oriental était différente, cependant, et leurs membres étaient souvent fiers de faire partie de l’église.

Malgré cela, il y avait parfois des prêtres ou des moines qui s’égaraient, cachant leurs véritables motifs tout en travaillant sous prétexte d’agrandir l’église. Mais les citoyens de Yaaran étaient très attentifs à ces ruses, et ils les avaient souvent exposés avant qu’elles ne causent de réels dommages. C’est probablement pour cette raison que l’Église du Ciel oriental avait une emprise étouffante sur le royaume de Yaaran, et que d’autres organisations religieuses avaient du mal à s’établir.

Cependant, des événements récents avaient changé la donne.

Les observations de monstres se multipliaient à travers le pays. Alors que le monde s’enfonçait lentement dans les ténèbres, même la frontière rurale du Royaume de Yaaran ne pouvait échapper à ces influences. Alors que les voix désespérées du public criant au salut devenaient de plus en plus fortes, la prédication et les promesses de divers prêtres et d’autres hommes censés être saints, offrant tout un simple moyen de salut, se sont multipliés.

L’Église du Ciel oriental croyait qu’il fallait chercher le salut de l’intérieur, ce qui était un enseignement assez strict. L’augmentation du nombre d’observations de monstres semble avoir ébranlé cette croyance.

On pourrait dire que les organisations religieuses ne peuvent vraiment briller que lorsque le monde était plongé dans le chaos.

On pourrait supposer que les organisations utiliseraient ce chaos pour gagner plus d’adeptes. L’Église de Lobelia, cependant, ne le voyait pas de cette façon. Ils considéraient plutôt ce chaos comme une grande épreuve des dieux, et que l’humanité ferait bien de croire en l’Église pour le surmonter. Ce n’est pas très différent, vraiment, mais c’était une perspective très intéressante, si on peut dire.

Myullias elle-même donnerait probablement une réponse vague si on lui demandait son opinion sur la question. Mais tant qu’elle faisait partie de l’Église de Lobelia, elle n’avait d’autre choix que d’accepter ses enseignements comme la seule et unique vérité.

Mais c’était assez gênant et irritant pour Myullias. C’était aussi particulièrement vrai ces derniers temps.

C’était peut-être une chose tout à fait inappropriée de la part d’une sainte prêtresse, mais l’Église de Lobelia avait-elle vraiment raison ? La déesse Lobelia, la même qui l’avait bénie, le seul et unique Dieu, était-elle vraiment Lobelia ?

L’Église de Lobelia croyait que Lobelia elle-même prenait de nombreuses formes, et que les bénédictions d’autres individus à travers les terres reçues faisaient toutes partie de son travail. Par exemple, Vansurt, le Dieu du vent, qui était adoré dans d’autres religions, était considéré comme Lobelia, bien que déguisé. La déesse aux centaines de mains et aux milliers de visages, celle qui est tout et tout ce qui est un : la déesse Lobelia.

Les bénédictions que chaque individu recevait étaient adaptées à sa personnalité et à son caractère, tout cela pour mieux recevoir la puissance de la grande déesse Lobelia. Du moins, c’était l’explication officielle.

Était-ce vraiment une bénédiction des dieux ? Après tout, il était presque impossible de savoir d’où venait la bénédiction divine d’une personne, sauf dans certaines circonstances relativement particulières.

Ces circonstances étaient quelque peu simples, comme prier directement devant un autel, puis être béni, ou des situations semblables à celle-là. Ou peut-être qu’on avait fait quelque chose digne de recevoir une bénédiction, et, après peu de temps, senti une source de divinité s’éveiller en eux — preuve circonstancielle et ainsi de suite.

Mis à part ces quelques méthodes, la plupart des individus ne pouvaient pas retracer l’origine de leur pouvoir, et c’était la norme. C’était aussi le cas de Myullias qui, un jour, regardait fixement une personne blessée et avait senti qu’elle pouvait faire quelque chose pour soigner sa blessure.

C’était vraiment tout ce qu’il y avait à faire.

Mais un prêtre s’était soudainement présenté à sa demeure un jour, prétendant qu’elle avait reçu les bénédictions de la Vraie Déesse Lobelia. Même elle pensait que ce que le prêtre avait dit était suspect. Cependant, les prêtres et les prêtres saints de l’Église de Lobelia croyaient tous en la Déesse sans conteste. Certains pourraient même dire que leur croyance était au bord de la folie et de l’obsession, ce qui était certainement une possibilité.

Il ne leur avait pas fallu beaucoup de temps pour réaliser que Myullias avait des pensées hérétiques. Ce n’était pas trop exagéré de supposer que ses pensées avaient influencé ses comportements externes d’une manière ou d’une autre. C’était probablement aussi la raison pour laquelle on l’avait mise sous surveillance dernièrement, et pourquoi il y avait un prêtre superviseur assis en face d’elle dans cette même voiture. Il avait un nom, bien sûr : Gilly.

C’était un jeune homme aux yeux aiguisés et au regard encore plus vif. Plus un assassin qu’un prêtre, si l’on en croit ses mouvements et ses expressions faciales. Puis il y avait eu la question de son instrument tranchant, à lame, bien caché d’un côté de sa taille. Ce n’était pas tout à fait convenable pour un prêtre, d’où les premières observations. C’était comme si l’on disait qu’une certaine série de gestes seraient faits si elle se comportait mal. C’était évident pour Myullias, tout comme le fait que c’était probablement la volonté des puissants qui venaient du quartier général.

« Pourquoi sommes-nous ici exactement, encore une fois… ? Je parle de la visite. »

Malgré tous ses efforts, Myullias n’avait pas réussi à se frayer un chemin à travers l’ambiance extrêmement lourde de la voiture. Elle n’avait fait que murmurer, apparemment à elle-même, comme elle l’avait fait pendant tout ce temps. Elle semblait parler à Gilly, mais le faisait-elle vraiment ? Tout était très… vague…

Alors que Myullias marmonnait pour elle-même depuis un certain temps, sa déclaration la plus récente semblait avoir suscité une réponse.

« Vous devez déclarer que vous guérissez et purifiez cette ville, au nom de l’Église de Lobelia. Vous devez aussi rassembler les citoyens de Maalt et, par un sermon, les guider. »

Gilly secoua la tête devant l’attitude irrespectueuse de Myullias.

« Veillez à ne pas parler de ce genre de choses après notre arrivée en ville. Vous êtes un prêtre-saint de l’Église de Lobelia, il ne serait pas dans votre intérêt de suggérer quoi que ce soit qui susciterait… la suspicion quant aux nobles intentions de l’Église. Vous feriez bien de penser aux directives qui vous ont été données par l’administration centrale. C’est pour votre propre bien. »

Un homme raide, étouffant, aussi.

Myullias avait réagi avec surprise au minimum de douceur qu’elle ressentait dans les paroles menaçantes de Gilly.

« Est-ce un peu d’inquiétude que je sens dans votre voix… ? » demanda-t-elle.

« Vos paroles sont vraiment flagrantes. Je m’inquiète à l’idée qu’un jour vous finissiez comme Fourostoroa. »

Fourostoroa était le nom d’un héros qui avait tué un grand et méchant dragon il y a très, très longtemps. Le dragon avait tourmenté le peuple, et Fourostoroa s’en était sommairement débarrassé. Il avait aussi fini par trop boire aux festivités cette nuit-là, et avait fini par humilier le roi devant tous les sujets du roi — et en face du roi. Pour ses transgressions, Fourostoroa fut exécuté. L’histoire d’un héros stupide.

Une vieille fable en quelque sorte, bien qu’il serait difficile de dire s’il existait vraiment.

Bien qu’il ne s’agisse pas normalement d’une comparaison humoristique, Myullias avait trouvé de l’allégresse dans sa situation actuelle, qui n’était pas trop éloignée de l’illustration qui lui avait été présentée.

« Hehe... Eh bien. Je m’assurerai d’être prudente… »

Gilly hocha la tête stoïquement au Myullias qui souriait un peu. « Je prie pour que vous fassiez ainsi. »

Sa voix sonnait sans aucune émotion.

***

Courte Histoire Bonus : Rentt et le concours de beauté

« Wôw ! Comme prévu ! Quelle beauté ! »

Cette voix brillante et joyeuse n’appartenait à personne d’autre que Sheila, membre du personnel de la Guilde des Aventuriers. Sheila, à son tour, regardait droit dans les yeux une femme devant elle — une femme époustouflante, pour être précis.

Ses cheveux blonds descendaient en vagues hypnotisantes, et sa beauté suffisait à distraire les passants. Ses yeux en amande, accentués par son ombre à paupières, rendaient la femme presque envoûtante. Un seul regard avait fait frissonner les hommes, dont beaucoup pouvaient se perdre dans leur luxure à tout moment.

Même son corps était parfait, un idéal impossible à sculpter. La femme avait toutes les bonnes courbes, soulignées de toutes les bonnes façons. Sa taille, ses hanches et à peu près tout le reste ressemblaient à une œuvre d’art.

Malgré tout, elle n’était en aucun cas scandaleuse ou inappropriée. Au contraire, elle était miraculeusement digne.

L’expression de la femme avait immédiatement changé lorsqu’elle s’était assise. Elle avait l’air fatiguée de toute cette affaire et s’était enfoncée profondément dans le fauteuil comme une sorte de mollusque.

Elle avait ouvert ses lèvres. « Comment en est-on arrivé là ? »

Sa voix était familière, appartenant à la Mage-Érudite de Maalt, une certaine Lorraine Vivie. Alors qu’elle était habillée différemment, qu’elle était coiffée et qu’elle semblait avoir des traits faciaux différents, ceux qui la connaissaient bien n’avaient qu’à s’approcher d’elle pour l’examiner de plus près, et ce qu’ils reconnaîtraient sans aucun doute était Lorraine elle-même, et aucune autre.

La parure et la beauté que la Lorraine exsudait aujourd’hui étaient le fruit des efforts de nombreuses personnes, à commencer par Sheila, suivie de près par de nombreux autres membres de la guilde de l’aventurier de Maalt.

L’histoire avait commencé la veille…

◆◆◆

« Le budget… est serré…, » dit Sheila, tenant sa tête dans ses mains quand elle l’avait dit.

Debout, dans une petite salle de réunion de la guilde se trouvaient Lorraine et moi-même — Rentt Faina.

Il n’y avait personne d’autre ici.

On peut se demander pourquoi Sheila discutait soudainement de la question de la faillite potentielle de la guilde avec nous en ce moment. Lorraine et moi étions secrètement les plus grands sponsors de la guilde, et nous pouvions les plier à notre volonté en un clin d’œil.

Je plaisante. Ce n’était qu’un mensonge stupide.

Nous avions été appelés ici en raison de notre statut d’aventuriers chevronnés — plus précisément, nous faisions partie de la guilde depuis environ huit ans. Sheila, qui me connaissait depuis tout ce temps, avait trouvé plus facile de discuter de ses préoccupations avec nous. Bien sûr, Lorraine et moi avions tous les deux nos spécialités et certaines capacités qui pouvaient s’avérer utiles dans diverses situations. Mais le plus important, c’était que Lorraine avait toujours été une personne relativement belle. Elle n’était pas très intéressée par les cosmétiques et tout ça.

Tout cela me dépassait un peu.

« Vous voyez…, » Sheila avait poursuivi, « Le syndicat du personnel de la guilde a décidé d’organiser un concours de beauté cette année. C’est très bien, mais les récompenses… Argh. Ce président de notre syndicat s’est trop soûlé, voyez-vous, et il a dit qu’il donnerait une récompense vraiment énorme au gagnant, au lieu de nos prix habituels ! Il serait impossible d’acheter un tel prix avec le budget actuel, et je voulais donc voir si quelque chose pouvait être fait… Alors. Pourriez-vous assister au concours de beauté, Mlle Lorraine ? »

Telle était la description du problème par Sheila.

D’autre part, les concours de beauté étaient, comme leur nom l’indique, un concours où les femmes s’affrontaient dans une démonstration de beauté féminine. La plus belle dame allait remporter un titre et un prix. Il s’agissait d’un événement organisé à des périodes déterminées par la Guilde des Aventuriers, dans le but premier d’aider les aventuriers à trouver des épouses et des partenaires potentielles. C’était dans cet esprit que ce concours avait été mis sur pied.

Dans des circonstances normales, le prix pour la première place était utile, mais pas extravagant — une année de fournitures sèches ou de nourriture, par exemple. Cette année, cependant, le président du syndicat du personnel de la guilde semblait s’être un peu trop soûlé et avait annoncé dans une taverne bruyante qu’un objet très cher pouvait être fourni comme prix. Ceci, bien sûr, avait irrité la très gentille Sheila. Pour le dire franchement, le fait de voir Sheila rugir de cette façon était terrifiant en soi.

Étant donné que l’annonce avait été entendue par des membres du public, il semblait qu’il n’y avait aucun moyen de contourner ce problème… à moins qu’une femme qui se rangeait secrètement du côté de la guilde ne prenne part au concours et le gagne. De cette façon, le prix retournerait chez eux et aucune somme d’argent ridicule ne serait dépensée.

« Dans ce cas, ne pourriez-vous pas simplement y aller vous-même, Sheila ? » demanda Lorraine, d’un ton sinistre.

« Ah… mais je ne peux pas, comme je suis un membre du personnel, vous voyez…, » répondit Sheila.

Sheila serait-elle en mesure de garantir la victoire du syndicat du personnel même si elle participait ? Je n’avais pas pu m’empêcher de le penser. Comme si elle lisait dans mes pensées, Sheila soufflait, visiblement irritée.

« Dans tous les cas, je ne gagnerai pas même si je participais ! Oui ! Je sais ! Mais… si Mlle Lorraine participe… J’ai l’impression qu’on pourrait vraiment changer les choses ! » déclara-t-elle, les dents serrées et les poings en boule. Sheila était sans aucun doute sérieuse.

Je m’étais tourné vers Lorraine, et nos yeux se rencontrèrent. Nous avions tous les deux semblé comprendre qu’il s’agissait d’une demande difficile à refuser. Mais Lorraine avait soudain semblé trouver tout cela très drôle, alors qu’un petit sourire rampait sur ses lèvres.

« Si vous le dites comme ça, Sheila, je suppose que je n’ai pas le choix… Très bien, très bien. J’accepte, » déclara Lorraine.

« Vraiment !? » s’écria Sheila.

« J’ai cependant certaines conditions, » déclara Lorraine.

« Euh… conditions… ? » demanda Sheila.

« Mais bien sûr. Tout d’abord, que je participerai sous un faux nom, puis…, » commença Lorraine.

Lorraine s’était penchée vers Sheila, lui chuchotant à l’oreille un certain nombre de conditions secrètes.

Sheila hocha la tête par intervalles. Mais son expression s’était peu à peu transformée en une expression d’anticipation et de malice. Finalement, elle me fixa d’un regard tranchant, comme si elle voulait percer des trous dans mon être même. Après un court silence, Sheila hocha la tête profondément avant de déclarer son acceptation d’une voix étrangement troublante.

« Ooooooookay. C’est exactement ce que nous ferons ! » déclara Sheila.

◆◆◆

« Pffft... Il te va bien… Rennie… ? Ha…, » déclara Lorraine.

Lorraine avait une perruque blonde placée sur la tête. Mais elle me regardait droit dans les yeux.

Oui…

C’est moi, Rentt Faina, qui étais avec Lorraine dans la salle d’attente du concours de beauté. Une salle où seules les concurrentes étaient autorisées à entrer.

J’étais actuellement habillé en femme.

Ce n’était pas du tout un travail de mauvaise qualité. Mon équipe de maquillage s’était assurée que je n’aurais l’air que d’une femme, allant même jusqu’à me mettre un corset. Pour toutes les bonnes courbes, elles m’avaient dit — et bien sûr, certaines… prothèses avaient été ajoutées, à mon derrière et à ma poitrine.

C’était la condition secrète de Lorraine : qu’elle ne participerait que si je faisais la même chose.

Quel désordre... Peut-être le genre de désordre qu’aimait Lorraine. En tout cas, je n’étais pas en mesure de refuser.

J’étais curieux de savoir jusqu’où ils iraient avec tout cela, et en tant que tel, je ne m’attendais pas à être dans cette pièce… avec Lorraine.

« C’est vrai ! Notre prochaine concurrente est…, » annonça un membre du personnel, tenant la porte de la salle d’attente ouverte.

Ils avaient ensuite annoncé le nom de la prochaine concurrente…

« Mlle Adeline Fran ! »

Le nom qui allait suivre était, malheureusement, le faux nom que Lorraine m’avait donné… pour mon usage.

« Ah, ils t’appellent, n’est-ce pas ? Vas-y, Rennie… Ah. Peut-être que Ren-Ren serait plus approprié ? Concentre-toi ! Tu es le prochain ! » dit Lorraine en me poussant joyeusement vers le lieu de l’événement.

Au diable tout ça… Regarde, Lorraine. Je te rembourserai entièrement pour cette humiliation…

Eh bien… Je suppose que ce sera fait. Peut-être que je vais juste prendre une partie des récompenses de sa prochaine demande de guilde.

Lentement mais sûrement, des mots familiers résonnaient dans l’air.

« Ren Ireed ! C’est à vous, maintenant ! »

Obéissant aux instructions de l’annonceur, mais sans le vouloir, j’étais lentement sorti de la salle d’attente et me dirigeais vers le lieu de l’événement.

◆◆◆

Bien sûr, la vainqueuse n’était autre que Lorraine. Et, comme prévu, le second était votre serviteur.

Je plaisante. C’était un mensonge stupide… Bien que cela ne se soit pas tout à fait terminé ainsi, personne ne se doutait de qui j’étais, et le concours s’était déroulé sans incident. J’avais cependant réussi à obtenir les sélections finales — et j’avais passé beaucoup de temps à rechercher des réponses à cette terrible situation difficile qui était la mienne. Je ne pouvais pas dire grand-chose, évidemment, et j’avais plutôt souffert en silence.

« Est-ce que j’ai un visage féminin, Lorraine ? » avais-je demandé, en marchant aux côtés de Lorraine, alors que nous nous dirigions vers sa demeure.

Lorraine avait depuis longtemps changé de costume et de déguisement. Se tournant vers moi, elle avait donné sa réponse sur un ton étrangement sérieux.

« Hmm. Je ne dirais pas exactement ça, Rentt. C’est juste que tu n’as pas beaucoup de… traits distinctifs. Ça permet au maquillage de se démarquer, tu vois. Tu as aussi une musculature légère… par exemple, je ne dirais pas que tu es musclé…, » répondit Lorraine.

En d’autres termes, j’étais apparemment adapté aux tâches qui impliquaient de se travestir. Ce n’était pas vraiment quelque chose dont je pourrais être fier.

Cela mit à part...

« C’était un fait acquis que tu gagnerais, Lorraine. Tu es très belle, après tout, donc il n’y avait aucun doute, » déclarai-je.

« Toi, disant de telles choses en plein jour…, » répliqua Lorraine.

« C’est la vérité, non ? » demandai-je.

« Hmph. Dis ce que tu veux. Cependant… c’est un peu du gâchis si nous laissons cela se terminer ici. Qu’en dis-tu, Ren-Ren ? Veux-tu refaire ça avec moi un de ces jours ? » demanda Lorraine.

« Je vais poliment refuser…, » répliquai-je.

Personnellement, j’avais l’impression qu’un tel événement ne se répéterait jamais, mais, au cas où il se reproduirait, j’avais ardemment offert mes prières aux dieux — que je n’aurais plus jamais à faire quelque chose comme ça.

***

Courte Histoire Bonus : La valeur d’un aventurier

Aventuriers — le terme collectif pour les individus qui gagnaient leur vie en tuant des monstres.

Une personne normale avait à peine une idée de sa force. Ils étaient effrayants et terrifiants, mais d’une manière qui n’était pas vraiment compréhensible pour les villageois des communautés rurales. Même quelqu’un comme moi avait des souvenirs d’aventuriers — deux, en fait…

Ne serait-ce que parce que ces deux aventuriers avaient sauvé mon village.

 

◆◆◆

Ils étaient arrivés tous les deux au printemps. L’hiver était passé, et la neige fondait lentement, mais sûrement. Certains avaient utilisé les chemins, mais si peu d’individus nous avaient rendu visite. C’était une période calme.

Une saison tranquille…

Cependant, mon village avait certains problèmes avec les monstres. Après avoir récolté les champs à l’automne, nous avions entreposé les récoltes et conservé les produits de l’élevage dans nos entrepôts et nos granges. C’était ces structures que les gobelins avaient ciblées.

Il n’y en avait pas beaucoup, mais nous pouvions à peine leur tenir tête, les monstres étant ce qu’ils étaient. Tous les jeunes hommes capables avaient dû unir leurs forces pour vaincre un gobelin, mais il avait été remplacé par un autre le lendemain même. Même un imbécile saurait que les Gobelins avaient un nid quelque part par ici, et qu’ils venaient de là.

Mais nous ne pouvions pas faire grand-chose. Nous n’étions que des villageois.

C’est pourquoi le chef du village s’était rendu dans la grande ville pour demander l’aide d’aventuriers, qui allaient résoudre ce problème pour nous.

Il y avait deux aventuriers qui avaient répondu à l’appel, leurs noms étant… Rentt Faina et Lorraine Vivie.

Tous les deux avaient l’air assez détendus, descendant du chariot et entrant dans le village à pied. Ils avaient immédiatement parlé avec le chef, puis avaient demandé des informations sur la lisière de la forêt à nos chasseurs.

« Je dirais, quelque part par ici. »

« Oui. D’après les chasseurs, il y avait des carcasses d’animaux morts et autres. Les Gobelins ont chassé… Ah, et cette écorce qui se détache des arbres environnants. Ils aiment ce genre de choses. »

C’était la nature de leur discussion. Curieux, je m’étais approché d’eux.

« De quoi parlez-vous tous les deux ? » demandai-je.

« Hmm ? » L’aventurière s’était retournée. « Ah, un enfant du village. Notre discussion vous intéresse peut-être ? »

Elle avait souri en parlant. Je hochai la tête, et la femme se lança avec joie dans une explication détaillée de leurs tâches.

« Nous sommes à la recherche d’un nid de gobelins, petit. Les gobelins ont statistiquement préféré une certaine configuration du terrain, c’est pourquoi nous avons demandé aux chasseurs du village si une telle zone existait dans les forêts voisines. Nous avons trouvé un candidat probable, ainsi que des carcasses de proies et des graines de certaines plantes qu’ils aiment ronger dans la région. Avec une telle quantité d’information, il était très facile de déterminer où se trouvait exactement leur nid. »

« Eh bien…, » l’homme à côté d’elle avait aussi parlé. « Je suppose que c’est le cas de la plupart de ces demandes. Nous devons cependant encore enquêter nous-mêmes sur les motifs de cette décision. Mais avec autant d’informations, cela ne sera pas trop difficile. Malgré tout, il se peut que nous trouvions une petite bande de gobelins — en tout cas, cela ne nous ferait pas de mal d’être prudent. Je pense que c’est tout à fait faisable, Lorraine. Allons-y. »

« Oui. Nous y allons. »

Les deux parlaient, se regardant l’un l’autre alors qu’ils étendaient une grande carte entre eux. Peu de temps après, ils l’avaient pliée puis ils s’étaient dirigés vers les profondeurs de la forêt. Ils marchaient la tête la première dans le danger alors qu’ils venaient d’arriver il y a peu de temps… Est-ce qu’ils iraient vraiment bien ?

Je n’étais pas le seul à avoir de telles préoccupations, car tout le monde dans le village avait l’air aussi mal à l’aise quand nous les avions vus partir. Mais les deux ne tardèrent pas à revenir, et la vue de ces aventuriers nous fit tous deux haleter.

Dans les pochettes qu’ils portaient se trouvaient dix oreilles de gobelins, chacune semblant provenir d’un gobelin différent. Est-ce que ces deux individus avaient vraiment vaincu tous ces monstres par eux-mêmes… ?

« Le chef du village est-il là ? » demanda la femme aventurière, des éclaboussures de sang décorant son manteau jusqu’alors vierge.

J’avais alors hoché la tête.

« Je vous remercie, » déclara-t-elle.

En disant cela, les deux aventuriers avaient disparu, et j’étais resté planté là, les regardant s’éloigner.

D’après ce que j’avais entendu plus tard, ils avaient vraiment vaincu ces mêmes monstres avec lesquels nous avions tant de problèmes, et en moins de dix minutes. Il y avait vingt Gobelins en tout, s’ils avaient été laissés tranquilles, ils auraient certainement tenté d’attaquer, voire de piller le village.

Après avoir entendu leur rapport, le chef du village avait été profondément ému par leur courage et avait proposé d’augmenter leur récompense. Bien que les deux aventuriers aient d’abord refusé d’entendre quoi que ce soit de ce genre, le chef avait insisté, et ils avaient fini par accepter l’offre.

D’après ce que j’avais entendu dire, la réaction du chef était tout à fait naturelle — ce village était apparemment si proche de la destruction. Personne n’avait été surpris qu’il offre une grosse récompense aux deux sauveurs de ce village. Tous les villageois étaient d’accord avec la décision du chef, et pas une seule personne ne s’était plainte.

Le soir, un grand banquet avait eu lieu pour les deux aventuriers. Ils avaient ensuite passé la nuit chez le chef du village, avant de retourner dans leur grande ville le lendemain.

Avec ça, même quelqu’un comme moi savait que les aventuriers étaient vraiment quelque chose de différent de nous…

 

◆◆◆

« Peu importe comment tu le dis, Rentt, j’ai l’impression que nous en avons pris un peu trop, » déclara Lorraine alors que nous étions assis dans une calèche à destination de Maalt.

Moi, Rentt Faina, j’avais secoué la tête.

« Ça n’existe pas, Lorraine. Ce chef de village a demandé de l’aide pour tuer cinq Gobelins et a offert une telle récompense. Nous avons supposé qu’il y en avait au plus dix, mais il y en avait deux fois plus. Je pense que nous avons fait du bon travail, » répondis-je.

C’était souvent le cas des demandes pour les aventuriers. Cette demande particulière avait été écrite pour solliciter l’aide d’aventuriers qui avaient un rang moins élevé — les anciens combattants, cependant, verraient facilement à travers de tels mensonges. En vérité, Lorraine et moi l’avions déjà remarqué, mais nous avions quand même choisi d’accepter la demande.

C’était aussi la raison pour laquelle nous avions dit certaines choses au chef après notre expédition — qu’il serait pardonné une seule fois pour avoir déformé la nature de la demande et s’être engagé dans des négociations contraires à l’éthique, et si jamais il recommençait, les aventuriers ne viendraient plus dans son village.

Ce n’était pas une menace, bien sûr, mais un avertissement. Il y avait presque trop de villages qui avaient des comportements similaires, pour finalement être détruits.

En entendant cela, le chef du village devint blanc comme un linge et proposa immédiatement d’augmenter la récompense pour cette tâche. Le montant de pièces que nous avions alors reçu était un peu plus que le montant approprié pour le travail que nous avions à faire. Et un petit rajout avait été fait pour que nous gardions ses transgressions secrètes, enfin, peut-être.

« Quoi qu’il en soit, je pense que ce devrait être le cas pour cet incident particulier. Je ne pense pas que le chef refera une chose pareille, » déclara Lorraine.

J’avais hoché la tête en réponse. « Je suppose… En fait, ce chef ne s’est-il pas retrouvé à ce poste que depuis peu ? Il a probablement peu d’expérience. »

Il nous avait aussi promis qu’il avait vraiment des remords et qu’il n’y aurait plus jamais un tel incident à l’avenir.

Mais l’apparition de monstres dans de tels endroits ruraux signifiait la fin de ces types de villages. C’était en premier lieu la véritable raison pour laquelle nous avions accepté une telle demande, et j’accepterais probablement des demandes similaires si jamais je les voyais.

La moitié d’entre eux étaient des œuvres de charité, ou peut-être même de l’aide non sollicitée. J’avais pensé que ça pouvait parfois être une bonne chose.

Mes pensées s’étaient poursuivies alors que la calèche retournait en ville — notre maison, la ville frontalière de Maalt.

***

Courte Histoire Bonus : Un rêve continu

« Juste… un petit peu… encore… un peu… »

Oui, juste un petit peu plus, pensai-je en me tenant sur le bord d’une falaise, en m’élevant vers une surface au-dessus de moi.

« Si je m’étire… comme… ça… je peux… ? »

Mes doigts avaient légèrement touché l’objet en question et, avec un dernier étirement décisif, je l’avais saisi dans mes mains.

C’était une petite et belle fleur. Une fleur de Tetona, qui ne poussait que sur les faces de ces falaises abruptes et risquées

 

◆◆◆

« J’ai… Je l’ai, je l’ai. Je l’ai cueilli… pour vous, » moi, Rentt Faina, je l’avais dit en ouvrant triomphalement la porte devant moi.

Mais j’avais vite perdu ma voix. Devant moi, il y avait une jeune fille assise sur une chaise. Elle veillait sur une autre fille, qui semblait dormir paisiblement dans son lit.

C’est vrai. La fille semblait paisiblement endormie. La fille avait l’air comme ça… mais… mais…

« Je suis désolée, Rentt… et merci, mais… c’est… juste un peu trop…, » balbutia la jeune fille.

En regardant les larmes qui coulaient sur son visage, j’avais su qu’il était trop tard.

 

◆◆◆

La fille dans la chaise était Rin, et celle dans le lit était Ran. C’étaient des jumelles avec qui je jouais souvent quand j’étais enfant. Les deux filles se ressemblaient exactement et avaient des personnalités similaires. Elles vivaient même de la même façon, c’est pourquoi j’avais supposé qu’elles vivraient comme telles jusqu’à un âge mûr et avancé.

Mais les dieux étaient cruels. Le ciel avait décrété que Ran devait souffrir d’une maladie incurable, tandis que Rin devait être en parfaite santé.

La maladie de Ran s’était aggravée. Il n’y avait aucun traitement connu, alors Ran s’était lentement affaiblie.

Mais toutes les deux avaient un rêve : ouvrir un jour une boutique de fleuriste, rien que toutes les deux. Remplir le monde de fleurs — c’était leur rêve.

C’était un peu enfantin et mignon, oui, mais les jumelles étaient sérieuses à propos de leur rêve qu’elles trouveraient un jour un moyen de cultiver la fleur de Tetona, qui était impossible à cultiver en captivité, puis de la répandre dans le monde.

C’était leur rêve.

Ran n’était plus en mesure de le poursuivre. Quand cela était devenu évident, Rin avait au moins voulu que sa sœur voie la vraie fleur, juste une fois. Et c’est ainsi qu’elle avait envoyé une demande à la guilde, et c’était moi qui l’avais reçue.

Le contenu de la demande était simple : apporter à Ran une fleur de Tetona avant la fin de sa vie. C’était une simple demande, mais…

« J’ai… J’ai… échoué…, » murmurai-je.

Je ne pouvais rien dire d’autre. J’avais en effet échoué. J’aurais dû être plus rapide. Je le savais bien. J’y avais même pensé.

Rin secoua lentement la tête, un léger sourire illuminant son visage strié de larmes.

« Non… tout va bien. Tu en as assez fait, Rentt. Ran voulait dire… qu’elle était désolée. Pour avoir dû partir en première, » déclara Rin.

« Mais… »

« C’est bon, Rentt. Passe-moi les formulaires de demande…, » déclara Rin.

Rin m’avait arraché les formulaires des mains, déclarant que la demande était complète avec une signature

J’avais hésité. Comment pourrais-je l’accepter ? Rin m’avait juste remis les papiers entre les mains.

« Nous t’en sommes reconnaissantes, alors s’il te plaît… Tu nous as aussi apporté la fleur. Je ferai de mon mieux pour trouver un moyen. Pour les faire fleurir et grandir. Ensuite, je les enverrai dans plein d’endroits. C’est toujours notre rêve, » déclara Rin.

Quelle fille forte… !

Elle avait perdu un membre de sa famille, mais elle ne se vautrait pas dans le désespoir — elle regardait déjà devant elle. Les individus comme elle étaient rares. Ses déclarations n’étaient pas celles d’un enfant, mais de quelqu’un qui avait dirigé leur détermination, qui avait pris sa décision.

Moi, plus que quiconque, j’avais compris cela, et c’est pourquoi je m’étais tourné vers Rin et lui avais dit ce qui suit :

« S’il y a… quelque chose… Tout ce que je peux faire pour t’aider, dis-le-moi. Je ferai ce que je peux. »

« Merci, Rentt… Eh bien, si je veux encore des spécimens de fleurs d’endroits dangereux… me les apporteras-tu si je te le demandais ? » demanda Rin.

« Quoi, comme une Fleur de Sang du Dragon ? » demandai-je.

C’était la première chose qui m’était venue à l’esprit quand j’avais pensé aux plantes rares ou difficiles à obtenir.

« Haha… Oui, ce serait vraiment dangereux. Peut-être, un peu trop pour un Rang Bronze, non ? » demanda Rin.

« Oui, c’est exact. Mais c’est aussi mon rêve de devenir un jour un aventurier de Rang Mithril. Alors… quand je deviendrai beaucoup plus fort, je t’en apporterai une comme ça. Une Fleur de Sang du Dragon. »

Je ne savais pas si j’atteindrais un jour un tel niveau de force. D’une certaine façon, j’avais l’impression d’avoir déjà atteint mes limites.

Malgré tout, je ferais ce que je pourrais. Rin, cette jeune fille devant moi qui avait perdu sa famille, n’avait toujours pas abandonné son rêve. Je ne pouvais pas non plus abandonner. Pas devant ses yeux.

« Alors… c’est une compétition. Voyons voir quel rêve se réalise en premier… Je ne perdrai pas, tu m’entends ? » déclarai-je.

« Moi non plus, » me déclara Rin.

Quand nos yeux s’étaient croisés, il était clair pour moi que le sourire de Rin s’était éclairci un peu plus. Ce n’était pas un sourire du fond du cœur — elle avait mal. Même ainsi, la vie continuerait. Nos vies aussi devaient continuer. Je devais avancer, il n’y avait pas d’autre moyen.

Et c’était tout ce qu’il y avait à faire.

***

Courte Histoire Bonus : La Course

C’était arrivé un jour où je marchais dans les rues de Maalt, mais avec Edel perché sur ma tête.

Alors que j’étais un aventurier, et un aventurier très occupé, je ne pouvais pas vraiment travailler 24 heures sur 24, car peu de choses seraient faites de cette façon. C’était vrai que beaucoup de problèmes avaient surgi autour de moi dernièrement, et j’avais sauté d’un incident à l’autre. Les humains, cependant, trouvaient toujours un moyen de se reposer, de peur qu’ils ne soient écrasés par le poids de leurs fonctions. Tout ce travail sans rien à montrer — ce n’était pas une perspective dont je pourrais rire.

D’un autre côté, je n’étais pas humain en ce moment. Ces pensées n’étaient peut-être rien de plus qu’une perte de temps, mais c’était à ce moment-là que…

« Hmm… ? Hé, toi, là. Ce truc sur ta tête…, » quelqu’un m’avait appelé.

Un aventurier d’âge moyen, un homme, pour être précis. Un coup d’œil sur lui m’avait suffi pour comprendre qu’il n’était plus nouveau dans la tâche. Même s’il n’était pas vraiment un vétéran, il avait probablement un certain bon sens. L’équipement et les armes sur lui étaient tout aussi banals, de sorte qu’il ne semblait pas être un individu dangereux.

Malgré tout, j’étais sur mes gardes, car il suffisait d’un moment d’insouciance pour que l’ennemi fasse une embuscade.

Par exemple, s’il m’avait soudainement versé de l’eau bénite sur moi, que se passerait-il ? Peut-être, que ça marcherait sur un mort-vivant normal, mais ça ne vaudrait rien pour moi. Bien que, peut-être qu’il y avait des poisons dans le monde qui avaient des effets inconnus sur moi, ou peut-être que je ne serais pas complètement immunisé contre eux. Je ne pouvais pas exclure une telle possibilité. Je ne m’attendais pas à ce que cela se produise, bien sûr, mais si nous devions nous engager dans un combat, j’étais sûr que j’en sortirais vainqueur. Quoi qu’il en soit, j’étais toujours prudent.

Tout bien considéré, l’homme ne semblait pas hostile. Il avait jeté un coup d’œil à Edel, puis il s’était tourné vers moi et il m’avait dit ce qui suit :

« Ah, c’est vrai. Toi, vas-tu aux courses ? Je vois, je vois… Oui, il a l’air d’une bonne souris. Tu seras peut-être même premier si tu participes…, » déclara l’homme.

J’avais secoué la tête devant ses paroles. Il semblait que l’homme se trompait. Je sentais que je devais le corriger, mais avant de pouvoir le faire, il me tirait déjà sur la manche.

« Même moi, j’ai l’impression que je pourrais parier sur ta souris… Hmm. D’accord, par ici ! Vite, au comptoir d’inscription ! Je parie sur toi, mon ami ! » dit-il, tout en continuant à me tirer vers un endroit inconnu contre ma volonté.

◆◆◆

D’après ses paroles et son comportement, il n’était pas difficile de deviner ce que l’homme mijotait. Course, pari, inscription… Avec tous ces mots-clés, même un imbécile saurait pour quoi l’homme m’avait confondu. L’endroit où il m’avait emmené était évidemment aussi un endroit pour cela.

Ce n’était nulle part dans les rues de Maalt, mais juste à l’extérieur, le long d’un mur particulièrement long. Un coin de la forêt avoisinante avait été complètement défriché. Dans la clairière, il y avait un parcours avec plusieurs pentes abruptes et des tunnels — une chose si compliquée.

On peut se demander à quoi servait exactement ce cours : La Course de Puchi Suri. En fait, il y avait environ six souris en ce moment même, tout courant vers le même but.

Autour du parcours se trouvaient des foules d’aventuriers, tous tenant des plaques de bois — des jetons de pari, peut-être — alors qu’ils encourageaient leurs champions sélectionnés. À l’occasion, certains d’entre eux faisaient une expression terrifiante parce que leur souris choisie était bonne dernière.

« Une course avec des paris, je vois…, » murmurai-je.

« Quoi, tu ne savais pas ? » dit l’homme à côté de moi.

Comme les autres, il tenait une plaque en bois dans ses mains. Il s’appelait Aidi, un aventurier de classe Bronze. Il avait été pris dans ces courses ces derniers temps, et n’avait pris aucune demande. Il avait fait le strict minimum pour ne pas être rayé du registre, mais les récompenses seraient une fois de plus dépensées à parier sur ces courses.

« Quand un endroit comme celui-ci a-t-il été construit… ? » lui avais-je demandé.

« Cet endroit ? Assez récemment. On dit que les Puchi Suris de la ville se sont calmés récemment — plus très agressifs et tout ça. Il y a donc ce type… qui pensait qu’il essaierait de voir s’ils écoutaient les instructions, s’ils pouvaient être formés. Il s’avère qu’ils pourraient l’être, et il s’est souvenu des courses dans certains districts… et si c’était des souris, il n’aurait pas besoin de faire grand-chose. Alors il a construit cet endroit, » expliqua Aidi.

J’avais l’impression de comprendre les raisons de tout cela. Le pouvoir d’Edel avait changé les Puchi Suris de Maalt, les rendant moins agressifs envers les humains. Cependant, plus importants encore, ils avaient acquis un semblant d’intelligence.

C’était censé être le résultat de tout ça.

D’une part, personne ne serait blessé ou tué dans ces événements, et je suppose qu’on pourrait l’ignorer en restant en sécurité. D’autre part, les gens d’ici étaient manifestement accros aux courses, même si leur famille mourait de faim ou s’ils s’appauvrissaient eux-mêmes. Je me sentais coupable de ces pensées.

« C’est de plus en plus intéressant par ici, tu vois… »

Bien que j’aie donné à l’homme des réponses superficielles, il avait continué à divaguer, parlant finalement des gens qu’il avait rencontrés, et des choses qu’il avait vues à cet endroit. Des histoires d’hommes qui étaient devenus riches, d’hommes qui avaient tout perdu et d’hommes qui s’étaient traînés aux courses même s’ils étaient fauchés. J’avais secoué la tête pendant qu’il continuait, avec des histoires d’individus terribles qui avaient volé les économies du membre de leur famille… Toutes des histoires étranges, absurdes, tristes et drôles. Peut-être que certaines personnes ici présentes ne trouveraient pas ces histoires très amusantes.

Il avait continué pendant un certain temps, me régalant avec d’autres de ces histoires malheureuses.

« Ah… Le voilà. Ta souris, » déclara Aidi.

Comme prévu, Edel était aligné sur la ligne de départ avec les autres Puchi Suris. En raison de son insistance, Edel avait été inscrit pour les courses au comptoir avant. Il n’y avait des frais d’inscription, bien sûr, rien d’important, et il n’y aurait aucune pénalité pour avoir perdu. Je suppose qu’une seule fois, c’était bien, alors nous étions allés de l’avant avec le processus. Pour une raison inconnue, Edel était enthousiaste à propos de tout ça.

D’ici peu…

« Très bien ! En position ! Un… Deux… COMMENCEZ !! »

La voix du membre du personnel avait été amplifiée plusieurs fois par l’objet dans ses mains, un artefact des profondeurs d’un donjon, si je devais le deviner.

Les Puchi Suris étaient partis, comme s’ils comprenaient la signification du son. Chacune des souris avait à peu près la taille d’Edel, et leur vitesse n’était pas du tout ridicule. Je suppose que chacun d’eux ressemblait beaucoup à Edel.

La couleur de leurs peaux différait, quoique légèrement. Du gris, du brun et du noir avaient traversé l’hippodrome. Ils étaient également capables d’utiliser le mana pour améliorer leur corps, car les Puchi Suris étaient après tout des monstres.

Edel aurait pu me prendre un peu de mana et prendre l’avantage sur ses pairs, mais il avait peut-être refusé de le faire au nom de l’esprit sportif. Cela m’avait un peu plus donné l’impression que cette course valait la peine d’être regardée.

« Regardez-moi ça ! Numéro un, Jacks Tiger ! Il est rapide ! Le voilà qui prend ces virages à une telle vitesse agressive ! Mais attendez, qu’est-ce que c’est ? Il est suivi de près par le numéro deux, Edel ! C’est peut-être la première fois qu’il participe à cette course, ce noir, mais il est sur le dos du roi de la course Puchi Suri ! VA-T-IL RATTRAPER LE TEMPS PERDU !? »

Un coup d’œil rapide aux alentours de la zone avait révélé qu’une grande partie de l’auditoire avait parié sur le numéro un — le champion en titre, semblait-il.

Aidi, cependant, avait une plaque pour le numéro deux, Edel. Comme il l’avait dit, il avait vraiment parié sur nous.

« TOUS DROITS ! Allez… Allez !! »

Aidi regarda, murmurant des prières. Son expression intense ressemblait beaucoup à celle d’un aventurier confronté à un monstre puissant. La réalité de la situation était cependant bien différente et l’absurdité de la situation était quelque peu pathétique.

Enfin…

« NOUS SOMMES ICI ! Le DERNIER virage ! Tourne… Voilà… Là-bas ! On le voit ! Numéro un, Jacks Tiger ! Est-ce que cela finira comme… ? Oh ? Qu’est-ce que c’est ? Je me rapproche et je me rapproche et je me rapproche ! Numéro deux, EDEL ! Quelle vitesse terrifiante ! Je n’ai jamais vu un tel rattrapage dans toute l’histoire de la Course de Puchi Suri ! Jacks Tiger s’accroche ! Edel se rapproche de plus en plus ! Il se rapproche ! Voilà… ILS SONT EN LIGNE ! Ça y est, les amis ! La FIN ! Qui sera le vainqueur ? Un ? Ou deux… !? DEUX ! C’est DEUXXXX !! EDEL S’EST ASSURÉ LA PREMIÈRE PLACE !! »

C’est ainsi qu’Edel avait rattrapé son adversaire et l’avait doublé pour décrocher la première place. À ce moment-là, Aidi sauta d’un cri triomphal.

« OUIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII !! »

Aidi avait levé le poing en l’air pour célébrer sa victoire, un contraste saisissant avec la mer de visages déçus, ainsi qu’un tas de plaques de pari jetées sur le sol. Les plaques tombées avaient ensuite été ramassées par quelques hommes. J’avais supposé qu’ils étaient des membres du personnel, très probablement pour le recyclage ou à d’autres fins.

Hmm. Tout à fait durable en effet.

« Nous l’avons fait ! Nous l’avons fait ! Grâce à cela, je peux jouer et me détendre un peu plus longtemps… Il y a une récompense pour toi aussi ! Viens me rendre visite quand tu en auras envie, je parierai sûrement sur toi à nouveau ! » dit Aidi, tout souriant.

C’était normal, car Edel était, dans tous les cas, un Puchi Suri fortifié. N’était-ce pas une violation des règles ? Quoi qu’il en soit, il n’y avait pas grand-chose en petits caractères. Je ne m’inquiéterais pas de ça maintenant.

C’est ainsi que j’avais découvert cette étrange nouvelle forme de loisir à Maalt. D’autres spectacles étranges apparaîtraient-ils bientôt dans cette petite ville ? Pour une raison ou une autre, j’avais l’impression qu’une vague de changement déferlait sur Maalt.

Bien sûr, je ne pouvais pas dire avec certitude ce qui provoquait ces changements. Oui, je ne savais rien du tout… Ce n’est pas parce qu’il se passait des choses étranges autour de moi que j’en étais responsable. C’est vrai, je ne l’étais pas.

Avec l’argent du prix, Edel m’avait fait acheter de la nourriture qui lui plaisait. Avec le reste, j’avais obtenu un bon millésime, que j’avais partagé avec Lorraine.

Dire que ce jour viendra ! Un familier qui paie ses propres dépenses… Ha. Une bonne souris, vraiment.

***

Courte Histoire Bonus : Des fantômes et des animaux domestiques

« … Un fantôme semble être apparu…, » déclara Lorraine, avec une expression de la plus grande gravité.

J’avais levé les yeux du livre que je lisais, en scrutant attentivement son visage.

« Quoi… ? Je te demande pardon ? Pourrais-tu te répéter, Lorraine ? » demandai-je.

Une blague, peut-être, ou peut-être une ruse de l’esprit. L’avais-je mal comprise ?

Lorraine, cependant, se répéta calmement. « Il semblerait qu’un fantôme a… »

J’avais levé la main pour l’arrêter au milieu de la phrase.

« D’accord, je comprends. Donc je ne me suis pas trompé sur toi, » déclarai-je.

« C’est bien qu’on se soit mis d’accord, Rentt. Eh bien, alors. Qu’est-ce que tu en penses ? » demanda Lorraine.

« Qu’est-ce que j’en… pense ? Eh bien, on pourrait le vaincre quand on en a envie, non ? De la magie purificatrice, peut-être ? Si je me souviens bien, un fantôme normal peut être envoyé sur le bon chemin même avec des sorts normaux…, » répondis-je.

Il n’y avait aucune raison de s’alarmer ou d’avoir peur. C’était juste un fantôme, après tout. J’aurais peut-être peur si j’étais enfant, mais j’étais adulte maintenant.

Étant donné que la matérialisation des fantômes était un phénomène naturel et qu’il existait des moyens de les vaincre, il n’y avait pas lieu de paniquer. Il y avait aussi Lorraine, qui assurait un soutien magique au cas où les attaques physiques ne fonctionneraient pas.

Alors… quel était le problème ? Pourquoi ce visage sérieux ?

« On pourrait penser ça, oui… Cependant, si tu le vaincs par la magie, ils émettent cet horrible hurlement, n’est-ce pas ? » demanda Lorraine.

Un bon point… On ne savait pas si les fantômes pouvaient ressentir la douleur. Cependant, lorsqu’ils étaient frappés par la magie, ils avaient tendance à pousser des gémissements qui fendaient les oreilles. C’est pourquoi exorciser les fantômes des morts la nuit était pour le moins gênant. Les voisins seraient enclins à ne pas apprécier. En tant que telles, ces demandes s’accompagnaient également de la tâche de faire le tour du bâtiment hanté en s’excusant à l’avance auprès de toutes les personnes qui vivaient autour de la bâtisse hantée en question.

C’était tout à fait gênant.

Malgré tous les ennuis, la plupart des gens accepteraient tranquillement les excuses et fermeraient leurs portes calmement. La plupart préféreraient ne pas avoir de fantôme à proximité, après tout.

Par exemple, quelqu’un pouvait rentrer à la maison pour trouver un désordre dans sa maison, même si les fenêtres étaient fermées et les portes verrouillées. Les assiettes et les bols étaient cassés, éparpillés un peu partout — un phénomène courant lorsqu’il s’agissait de fantômes errants. Même si l’on supposait que l’on pouvait supporter d’avoir des assiettes cassées, ils pourraient se réveiller au milieu de la nuit pour trouver une femme translucide, tachée de sang, debout au-dessus de leur lit. Ou peut-être cela sera une voix désincarnée pendant les repas en disant : « Moi aussi, je veux manger…, » ou quelque chose du genre. Bien que certaines personnes n’aient pas été gênées par ces événements étranges en raison de leur courage débridé, elles seraient au moins irritées, ou légèrement découragées par ces événements.

De plus, les fantômes avaient tendance à devenir plus forts s’ils étaient laissés tranquilles, et les incidents finissaient par dégénérer au point où quelqu’un serait gravement blessé. Une ou deux fois par an, peut-être, on entendrait parler de citadins assassinés par… des fantômes. C’était plus probable qu’on ne s’y attendait, et un exorcisme occasionnel était nécessaire.

Ils étaient comme… des cafards, faute d’un meilleur mot. Des cafards qui gémissaient quand ils étaient écrasés. Terrifiant.

Mais nous n’avions pas le choix.

« Qu’est-ce qu’il y a ? On ne peut pas faire grand-chose contre ces gémissements, » déclarai-je.

« Pas tout à fait, Rentt. As-tu oublié ? S’ils sont purifiés par la divinité, ils acceptent de partir paisiblement et disparaissent tout simplement, » déclara Lorraine.

« Ahhhh… oui. Je suppose que c’est mieux ainsi. Aimerais-tu le voir ? » demandai-je.

« Mais bien sûr. Ta compréhension rapide est utile comme toujours, Rentt, » déclara Lorraine.

Telle était la voie des choses. En fait, les personnes affiliées à des Églises s’acquittaient souvent de ces tâches pour de la petite monnaie. Ils avaient de bonnes affaires, tout bien considéré, et certaines personnes faisaient même appel à eux plutôt qu’à des aventuriers.

Cela dit, ces personnes n’étaient pas exactement des prêtres ou des prêtres-saints. Il pouvait s’agir d’hommes ou de femmes de foi armés d’une bouteille d’eau bénite, car cela suffisait à exorciser des fantômes, des esprits, etc.

Lorraine aurait pu aborder l’affaire de la même façon, mais elle avait plutôt choisi de venir me voir. Je ne connaissais pas ses raisons, mais ce n’était pas une tâche déraisonnable.

J’avais hoché la tête en Lorraine avant de me renseigner sur notre prochaine destination.

 

◆◆◆

« Est-ce l’endroit… ? » demandai-je.

« Oui. C’est quoi ce visage ? Surpris ? » interrogea Lorraine, se tournant vers moi quand elle l’avait demandé.

J’avais jeté un autre coup d’œil à l’endroit où ce fantôme était censé s’être matérialisé.

« Ne serait-ce que parce que c’est un tel manoir, Lorraine ? Ces gens n’auraient-ils pas les moyens d’engager un prêtre ou deux ? » demandai-je.

« Je suppose que oui, » répondit Lorraine.

C’était un manoir de grande taille. Ce n’était rien au niveau des Latuules, bien sûr, mais il était décidément plus grand que, disons, la demeure de Lorraine.

Cependant, la maison de Lorraine était de la taille qu’elle était en raison de ses préférences, puisqu’elle n’était pas exactement une femme prêchant l’excès. Si elle voulait vraiment acheter un manoir, c’était possible. Je ne me souvenais même pas d’une époque où les finances de Lorraine étaient dans une situation difficile.

« Malgré tout, ils sont liés par certaines… circonstances. On devrait y aller, Rentt, » déclara Lorraine.

Lorraine s’avança et, après un bref échange avec le garde, nous fûmes invités par les portes ouvertes du manoir.

 

◆◆◆

« Oh, merci ! Merci beaucoup d’être venus… Oh ? Et qui ça peut bien être… ? »

« Ah, oui, oui. C’est l’aventurier qui va effectuer la purification, » répondit Lorraine.

La cliente, apparemment convaincue par l’explication de Lorraine, avait fait un pas vers moi. Vu son comportement, on aurait dit qu’elle demandait… une poignée de main. La cliente ressemblait à une femme particulièrement aisée, et c’était exactement ce qu’elle était.

« Oh, s’il vous plaît, s’il vous plaît, gentil monsieur ! Je vous en supplie ! Aider l’âme de Sweetpea pour qu’il repose en paix, afin qu’il monte dans les cieux ! » déclara la cliente.

« Sweetpea… ? »

Lorraine s’était tournée vers moi. « Un monstre, Rentt. Un individu que Lady Emilstead traite ici comme sa propre famille… Une variante de Puchi Suri… »

Le sens de « variante » dans ce cas se référerait à une agressivité réduite, ou peut-être une apparence mignonne, optimisée pour être attirante pour les humains.

Je vois. Je comprends maintenant.

Je suppose que les prêtres et les autres personnes du même acabit trouveraient cette demande difficile, car la plupart des fantômes apparaissant dans la ville étaient d’origine humaine, de sorte que le but serait de les enterrer pacifiquement.

Dans ce cas, Lady Emilstead serait probablement profondément insatisfaite d’une telle procédure, car elle ne ferait que causer de la douleur à l’âme du monstre.

C’est pourquoi j’avais selon moi été appelé ici… étant un autre individu ayant une souris comme animal de compagnie.

J’avais assez bien compris les sentiments de la dame. C’est pourquoi je m’étais tourné vers elle et j’avais parlé, lui tenant les mains dans les miennes.

« Laissez-moi m’en occuper, madame… Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour mettre l’âme de Sweetpea à l’aise, » déclarai-je.

Sur ce, j’avais fait ce que j’avais promis, en envoyant l’âme de la souris s’envoler vers les cieux. Lady Emilstead me serra vigoureusement la main, les larmes aux yeux, et me proposa une fois de plus de faire appel à mes services si elle avait besoin de quoi que ce soit. Il semblait que j’avais obtenu une bonne cliente.

Immédiatement après, Lorraine avait présenté à la femme quelques Puchi Suris, une suggestion pour qu’elle en adopte un autre pour combler le trou dans son cœur.

Bien que certains pourraient soutenir que les actions de Lorraine étaient insensibles, son comportement et sa façon de parler laissaient entendre que Lorraine se souciait vraiment de cette dame en deuil. Lady Emilstead, à son tour, fut profondément reconnaissante et finit par choisir un Puchi Suri parmi ceux présentés par Lorraine. Elle avait alors décidé de l’appeler… Sweetpea…

J’avais trouvé que c’était un choix un peu trop simple…

 

◆◆◆

« Eh bien, Rentt. Avec cela, il est devenu trop facile d’obtenir des informations dans ce ménage, » déclara Lorraine après que nous ayons quitté le manoir.

« Qu’est-ce que tu veux dire par là ? » demandai-je.

« Quoi ? N’as-tu pas remarqué ? Le nouveau Sweetpea est un subordonné d’Edel. En d’autres termes, il serait notre souris à l’intérieur. Edel avait voulu avoir accès à ce manoir, alors j’ai offert de l’aide. C’est une famille aisée, vois-tu, et ils ont des invités de tous les coins du pays. Il se trouve qu’il y avait une bonne excuse pour le faire… au moins pour nous permettre de faire cela. »

Lorraine parlait-elle du fantôme… ?

« Depuis quand es-tu si vite amie avec Edel… ? » demandai-je.

« Non, ce n’est pas tout à fait ça. La vérité est un peu plus simple. Cette demeure est entourée d’une barrière, tu vois, générée par un objet magique. Il m’est arrivé de voir un Puchi Suri s’écraser contre la barrière à plusieurs reprises. Notant son comportement intéressant, je me suis tenue là et j’ai observé la souris pendant un certain temps, mais Edel s’est pointé et a commencé à lui donner des instructions. Je me suis alors approchée de lui et lui ai demandé s’il voulait entrer dans le manoir… alors j’ai offert mon aide, comme je l’ai dit, » déclara Lorraine.

« Quoi ? Tu peux maintenant même le comprendre ? » demandai-je.

« Quelques mots, oui. Pas les détails, mais c’est une expérience à laquelle je serais heureuse de participer. Un peu difficile, cependant, étant donné qu’Edel est toujours si occupé. Quoi qu’il en soit, il est bon pour ton ami de me devoir une faveur, au cas où nous aurions besoin de lui à l’avenir, » déclara Lorraine.

Et tout cela se passait-il depuis le début… ? Dire qu’Edel travaillait plus dur que moi tous les jours…

Pendant un moment, j’avais été à court de mots…

***

Courte Histoire Bonus : Rentt, Femme de ménage

« Le printemps est arrivé, hein… »

C’était il y a combien de temps ? C’était peut-être quelques années après avoir commencé à m’aventurer dans les donjons, non ? N’était-ce pas au printemps, quand l’air avait commencé à se réchauffer ? Je m’étais souvenu que c’était arrivé au cours d’un autre printemps.

L’hiver avait été rude, l’air lui-même étant tendu par le froid. Mais maintenant, le printemps était là. Je savais aussi que le fait de combattre des monstres sous les rayons chauds et confortables du printemps finirait par me faire commettre une erreur. C’est pourquoi j’avais choisi de rester à Maalt, et à la place, de m’occuper de tâches plus simples comme le nettoyage, la surveillance ou le transport de produits alimentaires. C’était aussi la raison pour laquelle j’étais présent à la guilde au moment où les nouvelles demandes étaient affichées sur les tableaux. C’était un peu après quand j’avais entendu cette voix…

« Hé ! Qu’est-ce que ça veut dire ? »

La voix était venue du comptoir des récompenses, où les aventuriers avaient remis les demandes complétées. C’était une voix jeune, et son propriétaire avait aussi l’air assez jeune — un nouvel aventurier, tout juste sorti des dossiers d’enregistrement de la guilde. À en juger par son expression, il était dans un état de panique, probablement dû à une demande qui avait mal tourné.

J’avais tendu les oreilles en écoutant la conversation.

« Même si vous dites cela… c’était une demande pour faire nettoyer un endroit. Mais il restait encore de la poussière à certains endroits… Il n’y a pas d’autre choix que de réduire les récompenses, » déclara l’employé.

« De la poussière ? Comment ça, “poussière” ? J’ai nettoyé cet endroit ! Je l’ai fait ! » déclara l’autre.

« J’ai bien peur que ce soit le client qui en soit le juge final, » déclara l’employé.

« Vous dites ça, mais non ! Oh, je comprends, c’est parce que je suis nouveau, alors ils s’en prennent à moi, hein !? Maintenant que j’y pense, c’est aussi arrivé il y a quelque temps, pour la même raison !! »

De leur échange, j’avais compris que l’aventurier et le client avaient tous deux certains problèmes qui leur étaient propres. Des aventuriers plus stricts diront peut-être que les jeunes étaient des imbéciles et qu’ils avaient tort — mais bien sûr, la discussion s’éloignerait dans cette direction. Après tout, si le client était trop pingre ou difficile, il aurait dû être assez intelligent pour le remarquer avant de signer le contrat. Se plaindre après qu’on ait signé le document ne faisait que faire tourner les choses en rond, c’était du moins ce qu’ils diraient.

Cependant, il était jeune, et ne comprenait pas grand-chose du métier d’aventurier. Il échouerait sûrement encore et encore, jusqu’à ce qu’il finisse par apprendre. Malgré cela, la réceptionniste avait du mal à s’y retrouver…

Je suppose que j’aurais aussi dû y aller, et accepter une demande ou deux. J’avais arraché quelques feuilles de demande pour les amener au comptoir. J’étais un aventurier qui avait l’habitude de faire toutes sortes de tâches tout au long de la journée. Malgré mes capacités, le fait d’en prendre trop à la fois pourrait être problématique, alors j’avais beaucoup réfléchi à mes décisions avant de m’y engager.

Même si la guilde était relativement vide à cette époque, il y avait beaucoup d’autres aventuriers qui s’occupaient des tâches ménagères, et un seul comptoir de réception était ouvert. Pour être précis, c’était le comptoir avec le jeune en colère, qui avait finalement cessé de se disputer à un moment donné.

La réceptionniste avait lu consciencieusement mes tâches.

« Oui… Une demande de nettoyage, chez Zant Currin. La récompense est de cinq pièces de bronze…, » déclara-t-elle.

Elle avait donc continué, et j’avais signé les formulaires pertinents. En entendant cela, le jeune, qui apparemment avait encore quelque chose à dire, s’était tourné vers moi.

« Tous ces gens se plaignent sans cesse. Ils trouveront de quoi se plaindre avec vous. Vous ne devriez pas accepter ces demandes, » déclara le jeune.

On aurait dit qu’il avait déjà reçu des demandes de ce client, mais j’avais secoué la tête.

« Je n’ai jamais reçu de plaintes. Quoi qu’il en soit, il est dans mon droit d’accepter cette demande, » déclarai-je.

« Vous… J’ai même été serviable…, » déclara le jeune.

Le jeune, maintenant visiblement agité, avait commencé à parler d’une chose ou d’une autre. Cependant, j’avais fini de signer tous mes formulaires, j’avais pris les documents avec moi et je m’étais tourné pour quitter la guilde.

Mais cela ne voulait pas dire que le jeune me laisserait tranquille. Au lieu de cela, il m’avait pourchassé, mettant une main sur mon épaule.

« Attendez ! » demanda-t-il.

« Qu’est-ce que vous voulez ? » demandai-je.

« Je viendrai aussi, » déclara-t-il.

« Pourquoi ? Vous ne ferez qu’interférer, » déclarai-je.

« Je vais vous aider !! » déclara-t-il.

« Je n’ai pas l’intention de partager la récompense, juste pour votre information, » déclarai-je.

« C’est très bien ! Ces types vont se plaindre. Je m’assurerai qu’ils ne puissent pas faire ça cette fois ! » déclara-t-il.

Et faire quoi, nettoyer plus dur ? avais-je pensé à lui demander, mais je m’étais finalement abstenu de le faire.

Je suppose que c’était très bien… Le jeune homme n’était rien de plus qu’un nouveau venu bruyant dans le métier, mais il semblait avoir quelques bons points. Même la réceptionniste, qui était maintenant à une bonne distance derrière le jeune, avait regardé dans ma direction et avait rapidement cligné de l’œil. Elle me demandait de montrer les ficelles du métier au nouveau venu, sans doute. Je pouvais refuser, bien sûr, mais le jeune lui-même avait dit qu’il n’avait pas besoin d’indemnisation, alors c’était tout.

Je m’étais tourné avec résolution vers le jeune.

« Vous suivrez mes instructions à la lettre. Et pas de déclarations étranges sur place. Assurez-vous de travailler dur, » déclarai-je.

« Bien sûr ! Je vais le leur montrer ! Je vais tout bien nettoyer ça…, » déclara le jeune.

Il aurait peut-être été plus impressionnant s’il avait dit ces mots devant des bandits ou des monstres.

Eh bien… peu importe. Nous étions allés chez le client.

Toutes les demandes que j’avais faites portaient sur le nettoyage des maisons, puisque c’était la saison des nettoyages de printemps dans la petite ville de Maalt.

Certaines de ces maisons étaient grandes, et le nettoyage n’avait pas pu être terminé en une journée. Je suppose que ce jeune s’était présenté l’un de ces jours-là et qu’il avait reçu des commentaires négatifs pour son travail.

◆◆◆

« Merci, Rentt. Vraiment… Et vous aussi, là-bas. Je ne l’ai jamais vu aussi propre ! En voilà un peu plus pour votre peine, » déclara le client.

Le client avait signé les formulaires de demande avant de me remettre, à moi et au jeune, deux pièces de bronze chacun. Dans des circonstances normales, les récompenses étaient déposées à la guilde de l’aventurier. Nous avions toutefois reçu de l’argent supplémentaire aujourd’hui — un pourboire, si vous voulez.

« Je vous remercie. J’espère que vous solliciterez à nouveau mes services, » déclarai-je.

Après ça, nous nous étions retournés, laissant la maison derrière nous. Nous avions terminé toutes nos tâches de la journée.

« Pas un seul…, » l’expression du jeune était de la perplexité. « Personne ne s’est plaint. Pas un seul… »

Le garçon ne semblait pas comprendre pourquoi c’était le cas.

« Savez-vous pourquoi ça s’est passé comme ça ? » demandai-je.

« Ouais… Je ne suis toujours pas très bon… dans ce que je fais…, » répondit-il.

Le nettoyage était une tâche simple, mais il y avait de nombreuses façons de procéder. Comment nettoyer certaines surfaces, frotter ou laver, meuler même les taches les plus tenaces... Tous étaient des notions de base en matière de nettoyage et d’entretien ménager. Le garçon n’avait pas de telles connaissances et, en tant que tel, effectuait un travail insatisfaisant. C’est pourquoi ses récompenses avaient été réduites.

Cependant, pour sa part, il avait observé ce que j’avais fait et avait suivi mes instructions du mieux qu’il avait pu. Il avait appris les méthodes et n’avait pas hésité à me demander s’il ne comprenait pas quelque chose. C’est pourquoi le client précédent avait fait l’éloge de son éthique au travail.

« C’est comme ça que ça se passe. L’expérience compte. Vous avez peut-être fait des erreurs dans le passé, mais ça devrait aller à partir de maintenant, » déclarai-je.

« Oui… Merci, Rentt. Non, merci, Monsieur Rentt… J’ai beaucoup appris de vous, » déclara le jeune.

« Ne m’appelez pas comme ça. Je n’ai pas vraiment l’habitude… De plus, nous partagerons équitablement les récompenses, alors ne vous inquiétez pas pour ça, » déclarai-je.

Bien sûr que je le ferais. Je n’avais jamais eu l’intention de priver le jeune de ses gains. Néanmoins, il protesta avec véhémence.

« Hein ? Non, non, c’est bon ! C’est bon, vraiment ! Pensez-y comme un cachet pour m’apprendre toutes les bases…, » déclara le jeune.

« Non, non, vous avez aussi travaillé dur. Prenez-le. La prochaine fois, vous réglerez vos demandes de la meilleure façon possible, puis apporterez cette pièce à la taverne pour prendre un verre. Ainsi, personne ne se plaindra de vous, » déclarai-je.

« Monsieur Rentt…, » déclara-t-il.

J’avais giflé le dos du jeune — pour une raison ou une autre, il avait cessé de parler en milieu de phrase.

« Eh bien ! En route pour la guilde. On doit encore les rendre. C’est comme ça qu’on voit qu’on a vraiment commencé sur le chemin de l’aventure, n’est-ce pas ? » demandai-je.

« Ouais ! » répondit-il.

Quelques années plus tard, ce même jeune homme atteindra le rang de classe Argent avant moi, puis partira en voyage, laissant Maalt derrière lui. Mais ce serait peut-être une histoire pour une autre fois…

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Illustrations

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