Nozomanu Fushi no Boukensha – Tome 2

Table des matières

***

Chapitre 1 : Le Labyrinthe de la Nouvelle Lune

Partie 1

Ma quête avait besoin d’être achevée. Je parle de la mission que j’avais acceptée auparavant, en particulier celle qui consistait à chasser les orcs et à recueillir des composants issus d’orcs.

En raison de certaines circonstances et de certains événements, je m’étais retrouvé un peu paresseux, avec une bonne partie de mon temps libre à disposition. Cependant, il me restait encore beaucoup de temps avant la date limite de la mission. À ce titre, je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait trop de problèmes.

Les orcs étaient, comme leur nom l’indique, des créatures à tête de cochon et au corps quelque peu humanoïde. Ils étaient cependant plus monstrueux qu’humains et étaient classés comme tels. Autour de la ville de Maalt, ils habitaient principalement les forêts et autres, ainsi que le Donjon de la Nouvelle Lune.

En d’autres termes, si l’on prenait une mission pour chasser les orcs, on avait deux choix simples : chercher dans les forêts, ou aller les chasser dans les salles du donjon. Mon choix, par contre, était évident. Une raison simple, vraiment : Les orcs qui habitaient les forêts autour de Maalt se déplaçaient habituellement en meutes, alors que les orcs solitaires étaient plutôt rares dans un tel environnement.

En tenant compte de ces facteurs, ainsi que du problème évident des taux de repeuplement des monstres dans la forêt, on pouvait rapidement remarquer les différences de difficulté entre les deux choix.

Bien qu’en réalité, il s’agissait plutôt d’un problème lié au fait que les orcs des forêts s’engageaient dans une guerre de groupe. Pour dire les choses simplement, on se heurterait à une bande d’orcs en furie parmi les arbres. Pour un aventurier solitaire comme moi, les chances n’étaient pas vraiment favorables.

Comparativement, les orcs qui vivaient dans le donjon — en particulier les niveaux les moins profonds — étaient, faute d’un meilleur mot, relativement stupides.

Pour commencer, l’idée de se regrouper pour tendre une embuscade aux aventuriers n’était même pas venue à ces orcs du donjon. De plus, même si les orcs des forêts étaient généralement armés d’armes et d’armures rudimentaires, les orcs du donjon s’en sortaient beaucoup moins bien à cet égard, souvent vêtus de simples haillons. Bien sûr, ils n’avaient pas très bien réussi non plus dans le domaine des armes. En termes simples, les orcs du donjon étaient beaucoup moins menaçants et ils présentaient des capacités offensives et défensives plus faibles.

Pour le dire franchement, cette même logique pourrait s’appliquer aussi aux gobelins. Les orcs, cependant, étaient plus frappants visuellement. C’est pourquoi cela n’avait aucun sens de se jeter dans un groupe immense d’orcs raisonnablement bien équipé. Mon choix était déjà fait pour moi, comme s’il n’y avait aucun doute que je choisirais plutôt d’explorer un donjon.

Avec ces pensées en tête, je m’étais retrouvé à l’entrée du Donjon de la Nouvelle Lune. Beaucoup de lunes s’étaient en effet écoulées depuis la dernière fois que je m’étais tenu à ses portes.

L’entrée était, en fait, bondée de gens, elle était animée comme à l’accoutumée. C’était un contraste frappant avec la façon dont le Donjon de la Réflexion de la Lune était, de pensée que j’y chassais aussi hier encore.

Autre explication simple : même les aventuriers débutants s’étaient retrouvés avec des gains plus importants et plus tangibles en chassant dans ce donjon, à condition de chasser en groupe. La réalité était un peu plus disparate pour les aventuriers solitaires.

Et cela s’accompagnait d’une autre explication simple de ce phénomène : contrairement à la Réflexion de la Lune, les monstres de la Nouvelle Lune s’organisaient généralement en groupes plus libres, prenant les aventuriers en embuscade quand ils le pouvaient. Ajoutez à cela le fait que les couloirs de la Nouvelle Lune étaient au moins deux fois plus larges que ceux de la Réflexion de la Lune, et il était trop facile pour un aventurier de se faire entourer de monstres dans un seul moment de négligence.

À leur tour, les monstres qui habitaient dans les couloirs de la Nouvelle Lune étaient considérablement plus puissants que ceux qui résidaient dans la Réflexion de la Lune. De ce fait, la Nouvelle Lune était considérée comme le donjon le plus menaçant, et donc le plus élevé — du moins, c’était l’opinion publique sur la question. La véracité de cette affirmation restait cependant à voir.

En me promenant dans le bruit et l’agitation à l’entrée, j’avais rencontré de nombreux groupes d’aventuriers, des groupes fixes, peut-être. C’était juste une cacophonie de bruit, vraiment, alors que les aventuriers parlaient et gesticulaient d’une manière excitée. Les laissant derrière moi, je m’étais plutôt dirigé vers l’entrée du donjon.

Bien sûr, je n’avais pas cru un seul instant qu’ils ne faisaient que jouer. Les discussions sur la stratégie du groupe et d’autres points de prudence au sein du donjon étaient, après tout, essentiels à la survie. Bien que les aventuriers chevronnés s’adonnaient régulièrement à cette pratique, il n’était pas rare pour les nouveaux aventuriers de Maalt de le faire également.

Ces aventuriers en herbe devaient probablement remercier leurs aînés, car c’était ces mêmes anciens combattants qui avaient encouragé la diffusion de telles discussions à Maalt et dans les terres environnantes. De plus, du fait qu’une simple discussion de stratégie améliorait considérablement les chances de survie d’un groupe, les nouveaux aventuriers se retrouvaient souvent plongés dans ces conversations, suivant avec obéissance les conseils de ceux qui les avaient précédés. Les bonnes pratiques formaient de bonnes habitudes — du moins, c’est ce que je ressentais à ce sujet.

D’après ce que j’avais entendu dire d’autres régions, les nouveaux aventuriers n’avaient guère participé à ces discussions. Comparés à eux, les aventuriers de Maalt semblaient plus travailleurs.

Mais cela étant dit, j’avais pris de plus en plus conscience des nombreuses paires d’yeux qui se fixaient sur moi en me dirigeant lentement vers l’entrée du donjon. Je ne les avais pas réprimandés. Ils ne comptaient pas vraiment me dévisager au départ. S’ils l’avaient fait, c’est parce que le trekking dans les couloirs de la Nouvelle Lune était un phénomène rare en soi. Leurs regards curieux, à leur tour, n’étaient pas difficiles à comprendre.

Il serait indigne de ma part de dire que personne n’avait défié ce donjon spécifique en solitaire. Ceux qui l’avaient fait avaient souvent des stratégies ou des moyens similaires pour faire face aux hordes de monstres enclins à les entourer.

Si je devais mesurer mes propres capacités à me battre en étant entouré… Hmm. Comment m’en sortirais-je, je me le demande ?

C’était difficile de le dire. Bien que j’avais absorbé une bonne quantité d’énergie vitale des monstres que j’avais vaincus et que j’avais maintenant une certaine force, jusqu’à ce jour je n’avais affronté que des squelettes, des gobelins et des slimes. Il m’était donc impossible d’imaginer ce que je ferais contre les orcs et les monstres plus forts, du moins jusqu’à ce que je puisse m’essayer à les vaincre.

Cela valait la peine de noter, cependant, que des monstres familiers tels que les squelettes et d’autres semblables apparaissaient dans les niveaux les moins profonds de la Nouvelle Lune. Pour trouver des monstres comme les orcs, je devais descendre plus profondément dans les salles du donjon.

Quoi qu’il en soit, j’avais pensé qu’il était nécessaire de tester mon courage dans les niveaux les moins profonds pour l’instant, et à partir de là, je serais en mesure de faire un jugement éclairé.

En renforçant ma détermination, j’avais mis de côté mes pensées et mes stratégies lorsque j’étais entré dans le Donjon de la Nouvelle Lune.

 

◆◇◆◇◆

Je suppose qu’on chasse vraiment plus efficacement avec un groupe dans cette région…

C’était la seule pensée qui m’était venue à l’esprit lorsque j’avais parcouru les couloirs de la Nouvelle Lune.

J’aurais probablement dû mentionner que j’étais actuellement encerclé et en combats avec un petit groupe de monstres. Une telle pensée ne résonnerait pas dans mon esprit sans raison valable, après tout.

Au moins, cela n’était pas des monstres forts. C’était plutôt comme s’ils étaient tous de vieux amis à moi, des groupes bizarres de squelettes et de slimes, me rendant visite pour une joyeuse réunion en groupes d’environ trois individus. Ils n’étaient pas plus forts qu’avant, mais je ne m’étais pas vraiment retrouvé à les couper en bandes. Les circonstances et la configuration du terrain étaient tout simplement trop différentes : si on regarde dans la Réflexion de la Lune, il m’avait été trop facile de frapper leurs points faibles, mettant fin au combat de manière décisive, mais dans les couloirs de la Nouvelle Lune, je m’étais retrouvé encerclé, ne disposant plus des mêmes fenêtres d’opportunité pour frapper.

Pour empirer les choses, chacun d’entre eux m’avait attaqué successivement, mes vieux amis m’avaient tenu relativement occupé à éviter leurs attaques. Même si je devais balancer sauvagement mon épée sur l’un d’entre eux tout en esquivant, je n’aurais guère de chance de réussir un coup significatif. Tout ce que je pouvais faire, c’était de progresser prudemment et soigneusement, en frappant quand et comme je le pouvais tout en restant sur la défensive. J’avais trouvé cela fatigant et exaspérant.

Bien que j’aurais pu simplement tuer des groupes entiers de ces monstres, cela valait la peine de se rappeler que ma cible réelle était un orc, un monstre qui habitait dans les niveaux inférieurs de la Nouvelle Lune. Si je devais épuiser mes réserves de mana et d’esprit ici, je serais confronté à la perspective de combattre un orc plus tard sans aucun moyen d’attaque. C’est comme si les arbres cachaient la forêt, comme on dit ici. Ainsi, j’avais consciemment fait le choix de ne pas dépenser inutilement mes réserves, la nécessité de cela était évidente pour moi.

En marchant dans les couloirs sinueux, j’avais continué, m’appuyant sur de légères améliorations de mon corps qui n’avaient pas rongé mes réserves. C’était tout à fait différent de mes tactiques habituelles de « une frappe ». Même le minimum absolu de mes pouvoirs magiques pour améliorer mon corps me semblait suffisant pour y arriver. Finalement, le nombre d’ennemis avait commencé à s’amenuiser. Si je pouvais continuer à ce rythme et en sortir indemne, ce serait la moitié de la bataille gagnée.

— Whoops —

Dans un moment d’insouciance, j’avais trouvé un peu de ma robe éraflée par le Jet d’Acide d’un slime. Mais la robe ne semblait pas fondre du tout, je suppose qu’il s’agissait vraiment d’un objet ayant des capacités défensives considérables. Je n’avais pas pu trouver une seule entaille ou déchirure à sa surface, malgré le fait que certains de mes adversaires portaient des armes physiques.

Peut-être que je pourrai après tout affronter un orc dans mon état actuel…

En pensant ainsi, j’avais rassemblé les cristaux magiques des slimes et squelettes qui étaient tombés sous ma lame, les plaçant dans la poche de ma ceinture à objets.

Bien qu’il ressemblait à une petite pochette qui ne pouvait pas contenir grand-chose, ma poche de taille était en fait enchantée par la magie — l’intérieur était plus grand que l’extérieur, pour ainsi dire. J’avais utilisé cette même pochette dans ma vie, étant en quelque sorte un objet magique, elle m’avait coûté beaucoup d’argent. C’était un prix raisonnable pour un tel objet, cependant, et j’avais fini par économiser pendant cinq ans pour faire l’achat.

Si je devais le dire, cependant, la capacité de la pochette n’était pas vraiment énorme. Il avait une capacité d’environ cinq à six sacs à dos de taille normale, ce qui était une taille plus que suffisante pour recueillir des cristaux magiques et autres.

Des variantes plus chères avec des capacités beaucoup plus grandes existaient, bien sûr, certaines disant même qu’on pouvait mettre en entier un dragon dans l’un de leurs sacs. Si on avait vraiment un tel trésor, cependant, il ne serait probablement pas à vendre. Quoi qu’il en soit, je n’en avais pas les moyens pour l’instant, mais peut-être qu’un jour, j’en ferais une réalité. Pour l’instant, je me contentais de rêves alors que cela restait des rêves. Bien que je continuerais tout de même sur le chemin en réalisant mon rêve de devenir un aventurier de classe Mithril.

Après avoir enfin rassemblé tous les cristaux magiques de mes ennemis tombés, j’avais recommencé à me frayer un chemin dans les profondeurs du labyrinthe.

Le Donjon de la Nouvelle Lune était étrange dans sa construction, notamment parce que le design et l’atmosphère de chaque étage étaient très différents du précédent. Si je me souviens bien, l’étage suivant était — .

En descendant les escaliers du donjon, j’avais ressenti un sentiment d’anticipation surgir en moi, comme si j’étais sur le point d’entrer dans une grande inconnue.

Vraiment… incroyable. Suis-je vraiment dans un bâtiment ? Un donjon ?

Telle était l’intensité de la vue qui m’avait salué alors que je me trouvais momentanément à court de mots. Les rayons chauds du soleil percent l’air, atterrissant sur des plaines vallonnées d’herbe folle. Au loin, je pouvais voir les contours d’une forêt.

Bien que d’autres aventuriers chevronnés m’aient emmené à cet étage à l’époque, je n’avais pu m’empêcher d’être émerveillé par le panorama vert qui s’offrait à moi. Penser que l’intérieur d’un donjon pourrait abriter un tel espace… En fait, cette zone ne se distinguait en rien des prairies et des forêts d’en haut.

Personne ne savait qui ou pourquoi ils faisaient ces Donjons, et même à ce jour, de nombreuses questions subsistaient. On ne pouvait cependant nier l’anormalité et la magnificence de la vue qui s’offrait à eux.

Peut-être l’existence de cet espace n’était-elle pas trop étrange, étant donné que la poche de ma ceinture à outils défiait les lois de la physique à l’aide de la magie. Qu’il s’agisse de magie ou de création magique, il était tout à fait possible d’enchanter un espace pour se comporter d’une manière assez étrange. Même un espace comme celui-ci pourrait être tissé de magie, en supposant que le manieur ait assez de talents pour réaliser un tel exploit.

Mais ce serait presque impossible pour les gens qui vivaient à l’époque moderne.

Il y avait de nombreuses raisons à cela, en particulier la quantité de magie nécessaire, la nature incomplète de certaines techniques de magie ancienne, et ainsi de suite. Bien que je ne connaissais pas exactement les règles et les lois de l’aménagement paysager magique, je pourrais énumérer plusieurs raisons pour lesquelles un tel spectacle serait impossible à reproduire par les mains de l’homme.

Malgré tout, des endroits magiques comme celui-ci existaient, éparpillés sur tout le territoire. De plus, ils étaient connus pour apparaître et disparaître — à des intervalles apparemment aléatoires — à plusieurs reprises au fil des saisons.

Un phénomène mystérieux en effet…

Peut-être y avait-il une fois un dieu qui avait fait de tels espaces magiques dans les donjons, ou au moins des humains qui avaient adoré un être semblable capable de tels exploits miraculeux. Certains avaient dit que les donjons étaient des terrains interdits, des lieux qui ne pourraient jamais être vraiment compris par les connaissances de l’homme. Certains avaient même dit que le simple fait d’entrer dans les donjons était un acte d’intrusion impardonnable.

Malgré cela, les donjons étaient une partie indubitablement centrale de l’humanité — de la culture et de la vie humaines. La raison en était que les ingrédients et les matériaux recueillis dans les donjons, et les monstres qui les habitaient avaient été utilisés pour créer des objets magiques complexes. Dans de rares cas, les aventuriers avaient même trouvé des trésors anciens.

De plus, tant que les donjons étaient restés intacts pendant un court laps de temps, les monstres étaient réapparus une fois de plus, avec des ingrédients utiles disponibles pour la récolte. Je pourrais presque dire que les donjons étaient une source presque inépuisable et renouvelable de ressources et de matériaux. Certains iraient même plus loin en prétendant que les donjons étaient éternellement autorenouvelables.

En réalité, cependant, les partisans des donjons s’étaient souvent retrouvés à discuter avec ceux qui pensaient que ces anciennes structures menaçaient l’existence de l’humanité. Les deux arguments avaient leurs mérites, et il n’était pas possible de nier le nombre d’aventuriers qui avaient perdu la vie en explorant les donjons pour la gloire et la fortune, sans parler du trésor. Mais si un nouveau donjon apparaissait soudainement et qu’il restait non visité, des monstres finiraient par sortir de ses profondeurs, causant la destruction à grande échelle des structures humaines.

Même en tenant compte de tous ces points, cependant, les donjons étaient encore une partie importante de la vie des personnes. Si les donjons devaient disparaître complètement un jour, de nombreux aspects du commerce et de l’industrie cesseraient subitement — telle était la situation dans laquelle se trouvait l’humanité.

Tout pouvait venir du donjon : les matériaux pour les armes, les armures, les médicaments, et même un besoin le plus fondamental, la nourriture.

Prenons, par exemple, un certain monstre humanoïde, semblable à un cochon : l’humble orc. Parmi les nombreux ingrédients alimentaires recueillis dans le donjon, la chair d’une orc était la plus prisée, un nom synonyme de cuisine délicieuse.

***

Partie 2

Il était incroyablement facile de décrire les caractéristiques visuelles d’un orc : ils étaient ronds, se tenaient sur deux pattes comme un homme, et possédaient la tête d’un cochon. Si l’on devait les décrire ainsi, même un enfant serait capable d’imaginer à quoi ils ressemblent. En fait, ils étaient assez populaires parmi les enfants — du moins, c’était l’image populaire d’un orc pour les gens qui vivaient sur ces terres.

Ils avaient l’air lents et stupides, au point qu’on pourrait supposer qu’ils pouvaient être facilement vaincus même si on manquait de technique, de talent ou de force.

Cependant, j’étais maintenant confronté à ce même monstre…

L’orc devant moi n’avait guère trotté sans se presser. Au contraire, il se précipitait sur moi avec une grande forme, visant à combler rapidement la distance entre nous. Un seul regard m’informait des muscles de ses membres, et d’un regard tout aussi sauvage dans ses yeux. Il était évident qu’un seul coup pouvait facilement moissonner la vie d’un homme adulte.

Bien que l’orc en question ne tenait pas une épée ou une lance dans ses bras, il tenait une massue grossièrement taillée, il avait probablement été récupéré venant d’un arbre dans les forêts environnantes. Il n’était pas difficile d’imaginer le type d’impact qu’une telle arme aurait sur le corps humain, car un seul coup suffisait peut-être à abattre un aventurier.

L’orc, cependant, semblait manier sans effort sa massue en bois, ce qui témoignait de sa force brute.

En tenant compte de toutes les observations ci-dessus, je pouvais dire en toute confiance que les orcs n’étaient pas des monstres faibles sous quelque forme que ce soit. Si l’on devait simplement traiter un orc comme un gobelin surdimensionné, on perdrait sûrement sa vie presque instantanément. Pour ma part, je n’étais pas étranger à de tels récits.

Alors que les orcs étaient souvent dépeints dans les livres d’images des enfants comme des êtres ronds avec un ventre large et gonflé qui trottinaient lentement sur de minuscules jambes, la réalité n’était pas aussi clémente. Une caricature d’un orc était, peut-être, loin d’être aussi menaçante que la vraie chose.

Un vrai orc était, finalement, un guerrier. Même si la qualité de son équipement laissait beaucoup à désirer, il serait insensé de baisser la garde. Cette folie pourrait facilement tuer le plus habile des aventuriers.

Cela étant dit, il valait peut-être la peine de noter que je venais d’esquiver un coup féroce de la massue des orcs.

Me propulsant rapidement vers l’arrière sans défense du monstre, j’avais tenu mon épée en l’air et je l’avais descendue en un grand arc de cercle sur son dos maintenant exposé.

Les orcs étaient en effet forts, c’est un point que je ne contesterais pas. Mais tant que l’on était conscient des forces d’un monstre, et si l’on prenait les précautions appropriées et se préparait en conséquence, la victoire serait toujours à sa portée. Cette règle s’appliquait à toutes sortes de monstres dans le donjon.

L’orc, cependant, avait rapidement compris que je l’avais attaqué par-derrière. Il s’était immédiatement retourné et avait balancé violemment sa massue dans un mouvement horizontal.

On pourrait peut-être se demander pourquoi mon attaque n’avait pas semblé inspirer la moindre crainte aux orcs. Mais cette réponse était claire : mon coup n’avait sans doute pas été très profond.

À première vue, un orc peut ne sembler n’être rien de plus qu’un gros cochon ambulant, mais sa forme ronde démentait la véritable nature de son corps, à savoir sa musculature intensément affinée. Si l’on ne s’engageait pas complètement dans le coup, ses muscles arrêteraient simplement la plupart des types de lames, ce qui ferait que l’arme ne laisserait qu’une blessure superficielle à la chair. Ce n’était pas du tout une attaque très efficace. On pourrait le considérer comme une sorte d’armure naturelle dont tous les orcs avaient été bénis à la naissance.

Mais cela ne m’avait pas suffi pour concéder la défaite.

Évitant la frappe horizontale de l’orc, j’avais canalisé mes réserves de mana et d’esprit. Si cela traînait, ce serait sûrement une longue escarmouche physique.

En m’enchantant avec le sort du Bouclier au cas où mes plans tournent mal, j’avais converti ma réserve d’esprit en force physique. Il était clair pour moi que je devais porter un coup fatal avec une seule frappe.

Un orc normal comme celui-ci n’était pas équipé d’une armure ou d’un bouclier métallique d’aucune sorte. Si je devais dire, plus de la moitié des orcs normaux n’avaient pas non plus de réserves de mana ou d’esprit. Malgré cela, cet orc particulier avait senti mon Aura changeante, levant sa massue et me regardant avec ses yeux perçants. Avant que j’aie pu terminer mes enchantements, l’orc frappa le sol avec ses pieds, se précipitant vers moi avec sa massue levée et sans une seconde réflexion.

On pouvait presque sentir l’intimidation à la vue d’un orc courant à toute vitesse vers soi-même. C’était en effet une chose à voir, et peut-être même une chose face à laquelle beaucoup d’autres pourraient fuir. Les aventuriers qui s’étaient enfuis d’un orc en train de charger, cependant, avaient fini par être dépassés par lui, perdant la vie dans le processus.

La méthode par laquelle on obtenait la victoire sur un orc était étonnamment simple : ne pas être intimidé par sa charge, et frapper ses points faibles avec toutes les capacités dont on était doté. En termes simples, on surveillait les ouvertures, puis on les exploitait. Mais pour qu’une telle stratégie soit couronnée de succès, il fallait posséder les connaissances et l’expérience appropriées, en plus d’être capable de lire le déroulement de la bataille.

Quant à moi, je possédais le savoir. Cependant, l’expérience m’avait appris qu’à moins d’être actuellement en combat avec un orc, je n’avais pas grand-chose, voir rien du tout.

Une mince ligne divisait la victoire et la défaite. Comparé à l’époque où j’étais vivant, j’avais maintenant un sens du combat aiguisé. Bien sûr, me comparer comme j’étais maintenant à la façon dont j’étais dans la vie était une chose, c’était comme me comparer à des aventuriers qui étaient de classe Argent et plus. Mais j’étais confiant d’avoir assez de force en moi pour vaincre un orc, sur ce point j’en étais certain.

Cela n’était ni une déclaration de fierté ni de folie, mais simplement un fait dont j’avais pris conscience.

Faisant confiance à mes propres capacités, j’avais préparé ma lame, me préparant à intercepter la charge de l'orc.

Une chance se dévoilera sûrement. J’en suis certain.

Oui… Ces mots résonnaient dans mon esprit.

Peu de temps après, j’avais pu voir le blanc de ses yeux. À ce moment-là, le temps lui-même semblait ralentir, car j’observais clairement les actions et les mouvements de l’orc.

Alors qu’il chargeait vers moi, l’orc souleva sa massue, avec l’intention de foncer droit sur moi tout en balançant son arme pour faire bonne mesure. Malheureusement pour l’orc, la décision de lever sa massue tout en chargeant avait créé une ouverture particulièrement grande au niveau de son torse.

Avec ma lame tendue derrière moi, j’avais claqué mon pied au sol et j’avais déplacé ma lame dans la poitrine exposée de l’orc en un grand arc de cercle.,

Dans un moment de ce qui semblait être un silence pur, l’orc et moi nous nous étions croisés. En me retournant, avec la lame encore à la main, j’avais jeté un coup d’œil à l’orc qui se tenait maintenant silencieusement, alors que de grandes quantités de sang jaillissaient de son corps. Lentement, avec la main tenant toujours sa massue, l’orc tomba face contre terre avec un bruit sourd retentissant.

En observant la scène devant moi, une seule pensée simple m’avait traversé l’esprit :

On dirait que j’ai gagné.

Et c’était exactement ce qui s’était passé.

◆◇◆◇◆

C’était bien beau d’avoir vaincu un orc, mais mon travail était loin d’être terminé. Même s’il avait été facile de creuser dans la carcasse de l’orc et d’en extraire le cristal magique près de son cœur, la demande que j’avais prise demandait spécifiquement que les matériaux soient recueillis directement sur des orcs.

Plus précisément, il s’agissait de la livraison de la chair d’orc, et non de son cristal magique. Je suppose que le client de la guilde avait l’intention d’utiliser sa chair comme ingrédient culinaire.

Diverses viandes avaient été consommées à travers le pays, les plus communes étant le porc, le bœuf et le poulet. Inutile de dire que le bétail et les autres animaux ne possédaient pas de mana ou d’autres capacités, et qu’ils étaient beaucoup plus sûrs à domestiquer et à élever. Leur viande, à son tour, était plus abordable en conséquence. Ces viandes avaient un goût relativement satisfaisant et, avec les techniques appropriées et un effort adéquat de l’agriculteur, les produits fabriqués à partir de ces viandes pourraient être d’une qualité exceptionnelle. Les bovins étaient en effet des créatures utiles.

Mais il existait encore un type de viande qui se situait au-dessus de ce dont la plupart des gens vivaient : De la viande d’orc. Tandis qu’il y avait beaucoup de raisons pour lesquelles c’était le cas, la raison la plus facile et la plus directe était le fait qu’il était bien connu que la viande d’orc avait simplement bon goût.

Je devrais peut-être dissiper une idée fausse répandue dans les masses : beaucoup supposent que le goût de la chair d’orc pourrait être attribué à sa musculature, mais ils se trompent beaucoup. La raison en était, comme j’aime à le dire, relativement simple : la chair et les muscles d’un orc étaient renforcés par le mana, ledit mana se dissipant lors de la mort prématurée de l’orc. Ceci, à son tour, ramènerait la chair de l’orc à son état mou d’origine.

On disait que le goût de la chair d’orc était largement supérieur à celui du porc le mieux élevé, à tel point que celui qui le goûterait détesterait consommer d’autres types de viande.

Peut-être trouverait-on étrange qu’un ingrédient aussi délicieux ne soit pas plus courant, mais c’était un simple cas d’offre et de demande. Au début, les aventuriers qui pouvaient activement chasser les orcs étaient peu nombreux et éloignés les uns des autres. Dans tous les cas, aucun aventurier, à ma connaissance, n’était capable de livrer une cargaison de viande d’orc en quantité suffisante pour soutenir une ville entière sur une base régulière.

C’était en effet un ingrédient rare, que l’on trouvait couramment dans les assiettes des riches et des nobles, ou sur les tables des restaurants un peu plus chers. Telle était la nature de son offre, il va peut-être sans dire qu’elle aurait un prix élevé en raison de sa rareté.

En d’autres termes, si l’on pouvait vaincre un orc et revenir avec sa chair, on serait récompensé généreusement pour ses efforts.

En m’approchant de l’orc abattu qui devait faire partie de ma fortune, j’avais rapidement coupé profondément dans son cou avec ma lame. Le sang avait recommencé à jaillir de la nouvelle blessure sur la carcasse. Ceci, combiné à la coupure déjà importante sur sa poitrine, m’avait permis de drainer rapidement le corps de ses fluides.

Au cours du processus, cependant, j’étais resté silencieux et sur la défensive. Il y avait toujours le risque que d’autres monstres apparaissent et m’attaquent, car la viande d’orc n’était pas seulement préférée des humains, après tout. Même d’autres monstres désiraient son goût prétendument paradisiaque.

C’était donc avec beaucoup de soulagement que j’avais achevé le processus sans rencontrer un autre monstre.

Poursuivant ma tâche macabre, j’avais tranché les parties de la carcasse dont j’avais besoin, enveloppant la viande fraîchement récoltée dans de grandes feuilles molles. Ces feuilles provenaient d’une plante connue sous le nom de Maalt-Hoonoki trouvée dans les forêts autour de Maalt. Il était spécialement connu pour ses effets conservateurs et il était couramment utilisé pour emballer de la viande fraîche. C’était en effet une plante utile.

Pour ma part, j’en emportais souvent une bonne quantité avec moi. Tout comme les flasques que j’avais utilisés pour recueillir les fluides corporels d’un slime, ces feuilles étaient des objets tout aussi utiles que tous les aventuriers avaient sur eux.

Les parties que j’avais découpées dans la carcasse étaient la longe, le filet et la poitrine, ainsi que de gros morceaux de ses cuisses. Bien que j’aurais préféré de loin jeter tout le corps dans mon sac, mon sac pouvait difficilement le contenir. C’était vraiment dommage.

Ces parties souvent utilisées ayant été retirées, j’avais fait quelques coupes supplémentaires, notamment au cœur, à l’intestin. C’était tout ce que je pouvais porter.

C’était une bonne prise, et dans tous les cas, cette quantité de viande rapporterait une juste somme. Après avoir bien disséqué la carcasse, je pourrais la vendre à un boucher pour une bonne quantité de pièces de monnaie. En fait, si je livrais plus que ce que l’on me demandait, je pourrais même manger ou vendre le reste. En raison de la nature de la demande, je n’avais pas à livrer tout ce que j’avais pris de l’orc, car celle-ci n’avait demandé que certaines découpes sur la carcasse. Cela n’avait pas vraiment fait de mal de collecter plus que ce que la demande exigeait, puisque de cette façon, la chair ne serait pas gaspillée.

Il convient toutefois de noter que la guilde offrait des services de dissection, en plus d’avoir une salle de dissection dédiée. Si possible, j’aurais aimé transporter la carcasse en gros, mais je suppose que je ne pouvais pas faire grand-chose avec les contraintes physiques de mon sac.

Après avoir terminé ma moisson, j’avais laissé le corps de l’orc là où il gisait, il finirait par disparaître après un certain temps, comme un autre mystère sans réponse du donjon. Peut-être qu’il nourrissait les autres monstres du donjon, ou qu’il était simplement absorbé par la structure — de toute façon, l’un de ces deux moyens naturels le revendiquait. Ce n’était donc pas vraiment dangereux pour moi de laisser la carcasse en l’état. Au contraire, il serait utilisé à bon escient comme engrais ou comme nourriture pour tout ce qui suivra.

Avec la possibilité actuelle d’une carcasse fraîche attirant les monstres, cela aussi n’était qu’une réalité de la vie, on ne pouvait pas faire grand-chose quant à l’ordre naturel des choses.

Alors, je suppose que je devrais passer à autre chose.

Alors que je repartais en déplacement, je m’étais rappelé que la demande demandait spécifiquement des morceaux de viande de trois orcs.

Avant de pouvoir en rester là, je devais vaincre et ramasser les ingrédients de deux autres orcs. Bien que je sentais que répéter deux autres batailles semblables serait éprouvant, je ne pouvais m’empêcher de me sentir plus fort après avoir absorbé la force vitale de l’orc tué. En effet, j’attendais avec impatience ma prochaine bataille.

Avec ces pensées en tête, j’avais poursuivi mon exploration, m’aventurant plus profondément dans le Donjon de la Nouvelle Lune à la recherche d’un ingrédient culinaire aussi insaisissable.

***

Partie 3

Après beaucoup de travail, j’avais finalement rassemblé les ingrédients nécessaires. Avec des coupes spécifiques de viande et d’autres organes prélevés sur les carcasses de trois orcs, j’avais commencé à m’aventurer une fois de plus, cette fois vers les étapes qui me ramèneraient au niveau précédent. Alors que des monstres m’avaient attaqué au retour de mon voyage, je ne m’étais pas trop éloigné des escaliers, remplissant les détails de ma demande dans le voisinage général. En fait, je n’avais croisé que des slimes, des gobelins, etc., alors je m’étais retrouvé à progresser facilement sans incident.

Au contraire, je me sentais assez détendu pour penser à ouvrir la Carte d’Akasha que j’avais reçue de cette femme étrange.

Malgré cela, le risque qu’un orc apparaisse soudainement était toujours présent. À la lumière de ce qui précédait, j’étais devenu encore un peu prudent, car je n’étais pas exactement assez sûr de moi pour me tenir au milieu d’une clairière et regarder une carte qui se dessinait d’elle-même. Si j’avais eu des compagnons qui surveillaient mon environnement, les choses auraient été différentes, mais bien sûr, la réalité était quelque peu différente pour un aventurier solitaire comme moi.

Je ne consulterais vraiment une carte que si je pouvais être absolument sûr de ma sécurité, ou si j’étais complètement perdu. En fait, même si j’avais le choix, je me sentirais toujours en conflit. Quel casse-tête !

Cependant, je n’avais pas pu m’empêcher de penser à la commodité que la carte m’avait apportée. Dire qu’elle était capable de tracer les chemins que j’avais parcourus aussi longtemps que je canalisais le mana à travers elle !

C’était donc en pensant à remplir le plus possible la carte que j’avais choisi de prendre un chemin différent en revenant vers les escaliers. Mais le Donjon de la Nouvelle Lune était plus grand et plus large que tout autre donjon dans lequel j’avais mis les pieds auparavant. La cartographier, à son tour, ne serait certainement pas une tâche facile. Au moins, j’aurais aimé en cartographier complètement un étage, ne serait-ce que parce que cela me permettrait d’utiliser la fonction de suivi des aventuriers de la carte. Mais d’un autre côté, cette restriction était particulièrement gênante pour les donjons à grands étages.

Dans des circonstances normales, peu m’importait si je pouvais discerner, où étaient mes compagnons aventuriers, mais cela n’était vrai que dans de telles circonstances. Au contraire, je ne dépendrais de cette fonction que si je cherchais quelqu’un, et je suppose que ce n’était pas le cas pour le moment.

Ma lourde marche fut bientôt interrompue par les sons faibles, mais provenant à tous les coups d’une bataille.

Dans de telles situations, il n’y avait pas de réponse particulièrement adéquate, les aventuriers ayant généralement des points de vue différents. Alors que certains aventuriers pensaient que c’était une courtoisie de ne pas passer à côté d’un autre aventurier et de le distraire potentiellement au combat, d’autres estimaient qu’il valait mieux observer en silence et offrir son aide si la situation s’avérait catastrophique.

Beaucoup de choses peuvent être dites à la fois sur les points de vue et les lignes de conduite, mais il était en effet difficile, voire impossible, de dire que l’un était plus juste que l’autre.

Quant à mon cas, j’appartenais à ce dernier groupe. Comme je l’avais fait lors de ma première rencontre avec Rina, je m’étais approché lentement de la source du son. Tout en gardant le silence, j’avais lentement marché dans la direction générale de l’agitation, pour finalement m’arrêter rapidement.

En jetant un coup d’œil derrière un objet me masquant, j’avais vu deux aventuriers qui s’étaient bien battus face à quelques gobelins et slimes. D’après leurs mouvements et leurs techniques, je suppose qu’il s’agissait d’aventuriers de la classe Fer ou peut-être du Bronze inférieur, âgés d’environ 15 ou 16 ans.

Cela dit, ils avaient fait preuve d’une grande compétence malgré leur jeunesse. Le garçon était en quelque sorte un épéiste, et la fille, probablement une praticienne des arts curatifs.

C’était une formation simple, mais efficace : le garçon tenait la ligne de front, et la fille le soutenait avec magie depuis derrière. Franchement, cette formation était un peu risquée pour deux personnes seulement. Bien qu’ils aient bien résisté aux gobelins, les slimes semblaient poser un problème.

Juste au moment où cette pensée me traversait l’esprit, la fille lança une boule de feu sur les slimes. Cette magie était l’un des nombreux sorts d’attaque de classe inférieure, et ceux qui avaient le talent de lancer des sorts étaient souvent rapides à le faire.

Malheureusement pour moi, je n’avais aucun talent ni aucune affinité avec les sorts. La seule chose que je pouvais faire était de renforcer mon corps avec de la magie protectrice. Bien que je ne puisse pas jeter de sorts, cette fille lançait des boules de feu avec une vitesse impressionnante, je suppose qu’elle avait assez étudié et pratiqué de son côté.

Ces slimes étaient, comme d’habitude, faibles aux attaques de nature magique, et ils avaient été immédiatement abattus par les explosions de la fille. Les slimes, prenant feu et se dissolvant, ne laissèrent finalement que leurs cristaux magiques sur le sol herbeux. Au même moment, les gobelins que le garçon combattait tombèrent, tués par sa lame.

J’avais supposé que ces deux-là allaient bien sans que j’aie besoin d’intervenir.

Satisfait, je m’étais retourné et m’étais éloigné, me dirigeant à nouveau vers les escaliers.

« … Oh, excusez-moi. »

Alors que j’avais rencontré d’autres aventuriers sur le chemin du retour, ils ne m’avaient même pas regardé et ils n’avaient pas grand-chose à dire. Pour une raison ou une autre, cela m’avait rempli d’une sorte de joie, et je m’étais vite retrouvé hors du donjon, avec une bonne journée de chasse maintenant derrière moi.

◆◇◆◇◆

« … Gaahh ! T-Toi..., » c’était le son qui m’avait salué quand j’étais entré dans la demeure de Lorraine. Lorraine, qui avait bu du thé avant mon entrée, était apparemment assez effrayée pour cracher le tout, le thé étant maintenant suspendu en l’air comme une fine brume. En y regardant de plus près, elle semblait penchée sur certains documents — des documents qui portaient mon nom enregistré auprès de la guilde. Plus précisément, celle d’un certain « Rentt Vivie ».

« Vas-tu… bien ? » avais-je demandé, en me mettant à quatre pattes avec un chiffon pour nettoyer la petite flaque de liquide couleur thé sur le sol. Lorraine, cependant, ne semblait pas aller très bien, car elle tenait sa tête des deux mains, l’air positivement exaspéré.

« … D’une certaine façon, je dirais que non, je ne vais certainement pas bien. Ce qui m’amène au fait que… pourquoi t’es-tu inscrit sous un tel nom ? N’as-tu pas pensé un seul instant qu’utiliser mon nom de famille serait étrange, étant donné notre histoire ensemble ? » demanda Lorraine.

C’était ainsi que Lorraine me l’avait dit. Bien que ce qu’elle avait dit ait du mérite, il y avait d’autres problèmes pour moi en étant ici en général, des problèmes qui étaient apparus depuis longtemps depuis mon arrivée prématurée et les entrées subséquentes dans la demeure de Lorraine. Mon entêtement à utiliser le nom de « Rentt » avait en effet empiré les choses, j’aurais pu utiliser un autre nom, sans doute, mais les choses n’étaient pas si simples.

Si j’avais utilisé un autre nom, je n’aurais peut-être pas semblé aussi suspect dans ce contexte. Cependant, les rumeurs d’un homme étrange visitant régulièrement la maison de Lorraine se répandraient bientôt, et je ne voulais pas que cela se produise. Lorraine était une femme en âge de se marier, après tout. Une telle chose ne serait pas souhaitable pour sa réputation. C’était précisément la raison pour laquelle j’avais choisi d’utiliser son nom de famille et de me faire passer pour un parent éloigné.

Avec tout cela à l’esprit, et l’histoire de mon prénom étant celui d’un Saint connu et tout ça, combiner les deux et le nom de famille de Lorraine ne semblait pas si étrange. En fait, je m’y étais habitué assez rapidement, et je l’utilisais maintenant régulièrement.

En conclusion de mon explication, l’expression de Lorraine s’était lentement adoucie. Son regard, auparavant incrédule, s’était vite évanoui et avait fini par être remplacé par un regard de compréhension.

« … Un parent… Un parent, dis-tu… Hmm… Je suppose que ce serait un peu crédible, oui…, » déclara Lorraine.

« Tu le crois ? » demandai-je.

« … Eh bien, quand même. Tu as fait des pieds et des mains pour tenir compte de ma situation, n’est-ce pas ? Ça ne me dérange vraiment pas, » déclara Lorraine. « Tout d’abord, le fait que je sois une femme et une érudite dans ces régions rurales me donne déjà une réputation douteuse, et dans tous les cas, je suis sûrement considérée comme étrange. »

Comme l’avait dit Lorraine, une érudite de Maalt, une ville frontalière lointaine et rurale, était vraiment une chose étrange dans le royaume de Yaaran.

Il n’y avait cependant aucune loi interdisant à Lorraine de faire ce qu’elle avait fait pendant tout ce temps. Bien qu’il y ait eu des opinions contraires et autres, les protestations n’étaient pas centrées sur son sexe ou sa profession, mais plutôt sur la nature physiquement éprouvantes d’opérer à partir d’une ville frontalière. Après tout, beaucoup de monstres marchaient sur ces terres, donc c’était presque un hasard professionnel pour un érudit de croiser plus de monstres que la plupart des autres professions.

Afin de pouvoir faire leurs recherches, beaucoup d’érudits avaient voyagé loin, alors j’avais supposé qu’on n’avait pas d’autre choix que de voyager après avoir quitté une institution académique à grande échelle. Ainsi, la plupart des chercheurs de son domaine de recherche étaient souvent des hommes ayant des capacités physiques supérieures — du moins, c’est ainsi que la plupart des gens les voyaient.

Bien sûr, de telles généralisations ne s’appliquaient pas vraiment à un aventurier de classe Argent comme Lorraine, mais la société aurait toujours son opinion.

Malgré cela, il y avait eu une augmentation notable du nombre de femmes chercheuses ces derniers temps, bien que dans des domaines d’études qui n’exigeaient pas trop de travail sur le terrain. Dans le cas de Lorraine, cependant, son étude des monstres et de la magie l’obligeait souvent à se lancer personnellement dans des voyages d’exploration. Telle était la nature de son travail. Je suppose qu’on pouvait dire que c’était venu avec le travail.

Mais pour le dire franchement, Lorraine n’avait jamais été du genre à se soucier de ces détails. C’est précisément pour cela qu’elle avait continué à faire ce qu’elle aimait.

Lorraine aurait pu facilement éviter les ragots et le jugement de ceux ayant un esprit étroit si elle s’était d’abord et avant tout présentée comme une aventurière. Le fait qu’elle ait insisté avec insistance pour être d’abord une érudite démontrait à quel point elle se consacrait à ses recherches. Les aventuriers étaient jugés sur leurs capacités, après tout, le genre n’était pas une considération.

Bien qu’il ne manquait pas d’aventuriers qui trouveraient à redire à Lorraine simplement parce qu’elle était une femme, leur comportement en disait peut-être plus sur eux-mêmes.

Tous ces points avaient fait de l’aventurier une profession plus favorable aux femmes qu’un érudit, tel était l’état des choses dans ce pays.

En réalité, cependant, Lorraine avait reçu la confiance de nombreux membres de la guilde, ses titres n’étant pas seulement pour le spectacle.

« Je ne peux pas… simplement… continuer à m’imposer. Je suis déjà… te causant une bonne quantité de… ennuis, Lorraine. Je ne voudrais pas… te faire avoir plus… fardeau, » déclarai-je.

« Oui, oui. C’est bien toi pour dire quelque chose comme ça. Ne t’inquiète pas trop de ce genre de choses. Pour commencer, je te suis redevable à plus d’un titre. Ne cuisines-tu pas et ne nettoies-tu pas ? Tu fais tout ça et plus encore, non ? Au contraire, nous devrions être sur un pied d’égalité maintenant — eh bien, je suppose que je te serais encore redevable, compte tenu de tout ce que tu as fait pour moi dans le passé…, » déclara Lorraine en souriant.

J’avais trouvé ces mots réconfortants, en effet, c’étaient des mots gentils pour quelqu’un comme moi. Mais la réalité était bien différente, c’était moi qui avais une dette envers Lorraine.

Dans des circonstances normales, on ne pouvait pas exactement justifier le fait de se présenter chez un ami en tant que mort ambulant et de vivre sommairement avec lui simplement parce qu’on l’avait aidé à accomplir un bon nombre de tâches. Il y avait aussi le problème toujours présent des développements potentiellement dangereux, vu que j’avais un jour pris une bouchée de l’épaule de Lorraine et que je l’avais mangée. Il n’y avait pas d’autre façon de dépeindre ce que j’avais fait.

Dans des circonstances normales, on aurait peur de moi — au minimum, ils ne voudraient pas rester à proximité de moi. Malgré tout, Lorraine avait continué d’interagir normalement avec moi, me traitant comme une personne ordinaire et me permettant de vivre dans sa maison.

J’étais vraiment reconnaissant du fond du cœur. Et c’est pour ça que j’avais dit :

« Ce… n’est pas… vrai. Je ne peux que… rester humain maintenant… que grâce à ton aide, Lorraine… »

« Rentt… Si c’est tout ce qu’il y a à faire, je resterai avec plaisir avec toi. Si l’on en croit les derniers développements, tu es de ma famille, n’est-ce pas ? De telles formalités n’ont pas leur place parmi la famille et ces proches, » déclara Lorraine.

Alors que je réfléchissais au fait que Lorraine avait rapidement utilisé à son avantage le scénario que j’avais imaginé — une femme impressionnante, comme toujours.

« Alors… Je suppose que je vais… continuer à accepter avec plaisir… ton aide, » déclarai-je, en acquiesçant de la tête en le faisant.

***

Partie 4

Après cette conversation, Lorraine et moi nous nous étions assis et je lui avais fait mon rapport, détaillant mes réalisations dans le donjon aujourd’hui, ainsi que mes pensées sur les capacités de mon nouveau corps de Thrall. La carte d’Akasha avait également fait l’objet d’une discussion, en particulier sur ce que j’avais ressenti en l’utilisant. Malheureusement, notre conversation sur ces sujets n’avait rien révélé de nouveau, et j’avais plutôt passé du temps à discuter des progrès actuels de ma carrière d’aventurier.

C’était une affaire simple, en fait, d’informer Lorraine de ma quête pour tuer les orcs, de ce qui s’était passé pendant la chasse et de mon butin pour la journée.

Les résultats de la chasse étaient tout aussi nets : ainsi, j’accepterais un test pour une progression de classe. Pour être plus précis, je ferais le test pour passer en classe Bronze. Cette évolution ne m’avait pas beaucoup surpris, surtout si l’on considère que la plupart des aventuriers n’avaient pas simplement commencé à chasser les orcs avec succès dès le début, après s’être immédiatement inscrits à la guilde. Le fait que je sois revenu avec le butin non pas d’un, mais de trois orcs relativement indemnes avait peut-être été plus que suffisant pour convaincre la guilde que ma classe d’aventurier devait être révisée.  

Mais les bons aventuriers n’étaient pas seulement définis par les prouesses martiales : un ensemble adéquat de connaissances était également nécessaire, d’où le test de classement. Fondamentalement, il s’agirait d’une sorte d’examen écrit, les sujets en question étant les règles de la guilde et des informations sur les monstres, les matériaux, etc. Du moins, dans des limites raisonnables pour un aventurier de classe Bronze.

Le test était, bien sûr, raisonnablement difficile. Pour une personne comme moi, cependant, le test avait été terriblement facile. Je pourrais dire que j’étais tout à fait prêt et que j’obtiendrais très probablement des notes parfaites à ce test.

Le problème résidait dans la partie pratique de l’examen, qui différait habituellement d’un candidat à l’autre.

Généralement, une quête de classe Bronze était remise à l’aventurier en question pour tester son courage, mais bien sûr, cela n’était pas garanti. La nature de la tâche à accomplir dépendait entièrement des caprices du chef de guilde.

Cette partie du test n’avait pas été modifiée par souci de variation. C’était plus susceptible ainsi de prévenir la tricherie et d’autres types de comportements indésirables. Cela étant dit, cependant, il était de notoriété publique que certaines personnes particulièrement talentueuses trouveraient une façon ou une autre de contourner ce voile du secret. Cet acte en soi était généralement considéré comme un bon indicateur de leurs compétences, et ils n’étaient généralement pas réprimandés trop sévèrement.

Quoi qu’il en soit, l’examen des détails du test demanderait trop de temps et d’efforts, alors j’avais décidé de passer le test normalement, en le passant avec mes propres moyens.

Je ne pouvais m’empêcher de me demander quelles épreuves m’attendaient demain, et c’est avec ces pensées à l’esprit que je m’étais assis, attendant avec impatience la prochaine aube.

◆◇◆◇◆

« Je suis venu… pour le… test d’avancement de rang…, » déclarai-je.

Arrivé à la Guilde des Aventuriers, j’avais tout de suite marché jusqu’à Sheila, annonçant mon intention sans ambiguïté. Sheila, pour sa part, avait immédiatement compris pourquoi j’étais ici.

« Ah, oui, Monsieur Rentt. Vous êtes pile à l’heure ! Je vous suis très reconnaissante, » déclara-t-elle, un sourire aux lèvres.

C’était peut-être étrange que Sheila me soit reconnaissante d’être venue à temps. Cependant, considérant que de nombreux aventuriers avaient une perception unique du temps, ses sentiments n’étaient pas trop difficiles à comprendre.

D’une part, un bon nombre de voyous et autres avaient fini par devenir des aventuriers, c’était vraiment un problème d’attitude. Bien qu’on puisse dire qu’être en retard n’était pas un problème, de petits détails de ce genre distinguaient facilement un aventurier professionnel d’un aventurier ordinaire. Les aventuriers arrivant en retard finissaient par faire que la guilde trouvait que leurs mauvaises habitudes les rattrapaient. Cela finissait généralement avec rien de moins qu’une pénalité formelle de la part de la guilde.

De plus, les aventuriers devaient souvent faire face à des clients humains au fur et à mesure qu’ils gravissaient les échelons, car l’aventure ne consistait pas seulement à tabasser des monstres, après tout. Ainsi, le fait d’avoir un grand nombre d’aventuriers en retard n’était pas bon pour la réputation et l’opinion publique des aventuriers en général, d’où les efforts de la guilde pour cultiver une certaine ponctualité chez ses membres. En fait, le fait de se présenter ponctuellement au test faisait partie du test en soi.

Mais pour le dire franchement, le retard n’était pas défini par quelques minutes ou quelques secondes de retard, car ces instruments de chronométrage précis n’étaient pas facilement accessibles aux masses, et appartenaient généralement à la royauté ou à de riches marchands et autres semblables. Je pourrais peut-être dire que les aventuriers de haut niveau avaient ce genre d’objet sur eux, mais je n’en étais pas certain.

En tout état de cause, le candidat en question perdrait des points pour s’être présenté avec un gros retard à l’examen. Comme je le savais déjà, je n’avais aucun scrupule à arriver à l’heure.

Bien que les perceptions du temps de Lorraine aient été vraiment assez larges, elle possédait en quelque sorte une pièce d’horlogerie personnelle, ne serait-ce que pour ne pas être en retard à ses propres rendez-vous.

Tandis que des horloges et d’autres objets similaires étaient installés dans les espaces publics pour l’usage général des citadins, j’avais pu lire l’heure dans le confort de la demeure de Lorraine, en grande partie en raison des habitudes de bricolage de Lorraine.

 

 

« Be… bien sûr. Est-ce que l’… épreuve écrite… D’abord ? » demandai-je.

« Oui, c’est effectivement le cas. Cependant… Vous en êtes sûr ? Il est possible de passer le test demain ou après-demain. Vous n’avez certainement pas à le faire aujourd’hui. Avez-vous au moins pensé à prendre un congé et à étudier pour le test ? Je vous conseille de faire cela…, » déclara Sheila.

J’avais compris les préoccupations de Sheila, elle m’avait simplement informé de mon droit de passer le test la veille et ne s’attendait probablement pas à ce que je me présente le lendemain. Cela avait peut-être un certain mérite, car il était en effet rare qu’une personne demande à passer le test immédiatement après avoir été informée de son droit de le faire.

Tout d’abord, plus de la moitié des questions couramment posées dans le test écrit seraient sans réponse pour la plupart des aventuriers de la classe Fer. Ainsi, la plupart de ces aventuriers prenaient des semaines, voire parfois des mois, pour étudier et acquérir les connaissances nécessaires pour passer la partie écrite du test.

Dans mon cas, j’avais prouvé que j’étais digne de passer ce test immédiatement après m’être inscrit. Donc, naturellement, le personnel de la guilde n’aurait pas eu le temps de m’avertir des connaissances requises pour le test.

Mais j’avais déjà passé le test dans ma vie, alors bien que le test ne soit peut-être pas identique maintenant, j’avais fermement mémorisé les types généraux de questions et de sujets qui m’attendaient : règles de guilde, informations sur les monstres, informations sur les matériaux, connaissances générales attendues d’un aventurier de classe Bronze, etc. J’ai eu plus qu’assez de temps pour me préparer pour ce test.

De plus, les tests n’avaient pas eu lieu tous les jours, mais plutôt sur une base mensuelle. Si je devais stagner et continuer à dériver en tant qu’aventurier de classe Fer, je ne réaliserais jamais mes rêves. C’est pourquoi j’avais dû agir lorsque l’occasion s’était présentée.

C’est en pensant à cela que j’avais offert ma réponse à Sheila : « Il n’y a pas de… problème. Où dois-je… aller ? »

Si ma mémoire était bonne, le test se déroulait au deuxième étage de la guilde, dans une sorte de salle de réunion. Même si j’avais su la réponse à ma question, j’aurais dû demander dans les deux cas.

« Il se tiendra dans la salle de réunion, au deuxième étage. De cette façon, si vous voulez bien…, » déclara Sheila en s’éloignant de son comptoir pour me guider vers l’endroit approprié.

En entrant dans la pièce, les yeux d’une poignée d’aventuriers de la classe Fer m’avaient jeté un coup d’œil, avant de revenir immédiatement sur les différents papiers qu’ils avaient en main. Chaque papier semblait rempli à ras bord de notes et d’écritures diverses. Certains aventuriers marmonnaient comme s’ils récitaient des sorts anciens.

Des notes, peut-être, écrites pour les aider dans leurs efforts pour passer le test. La Guilde les avait prêtés aux candidats à l’approche de la journée, mais comme la portée des questions était relativement large, l’information et les connaissances pertinentes pouvaient être placées sur une seule feuille de papier tant qu’un style d’écriture plus petit était utilisé.

Cette connaissance, bien sûr, s’était développée proportionnellement au rang auquel on aspirait : un livret pour la classe d’argent, un livre pour la classe d’or, une encyclopédie pour les classes au-delà, ainsi de suite.

Malheureusement, les candidats n’étaient pas en mesure d’utiliser ces documents pendant le test, mais ils devraient peut-être considérer comme une bénédiction le fait que la guilde leur ait prêté de telles ressources en premier lieu. Il y avait, cependant, une pénalité à payer s’ils la perdaient, avec la feuille de papier en question coûtant une pièce d’argent, un prix abordable même pour les aventuriers de classe Fer. Après tout, si l’on consacrait au moins une semaine ou deux à étudier pour le test de la classe Bronze, on acquiert naturellement suffisamment de connaissances pour obtenir une note de passage.

Honnêtement, il n’y avait pas de quoi s’inquiéter.

Cependant, il était intéressant de noter que pour la plus grande moitié des aventuriers présents dans cette salle, des tests écrits tels que celui-ci seraient une première dans leur vie. Ce fait expliquait peut-être l’atmosphère tendue — de penser que j’avais été une fois parmi eux ! Toute personne qui ne prendrait pas le temps de se préparer serait sûrement nerveuse.

Par ailleurs, bien que j’aie décidé de passer l’examen écrit, il existait d’autres méthodes d’examen, comme les questions orales. En fait, dans les royaumes et les pays où le taux d’alphabétisation était plus faible, c’était le format de test le plus courant.

C’était la raison pour laquelle il n’y avait que quelques aventuriers dans cette salle : en raison de la nature du processus d’examen oral, cela avait été mené dans une zone séparée, avec des temps d’attente plus élevés en raison du fait que les participants devaient être évalués individuellement. Ainsi, ceux qui n’aimaient pas attendre s’étaient souvent tournés vers la version écrite de l’examen.

Après que je me sois installé confortablement à mon siège, Sheila, qui avait quitté la pièce après m’avoir guidé jusqu’ici était revenue avec une liasse de papiers grossièrement découpés et des plumes dans ses bras.

« Bien, alors, commençons le test. J’ai l’impression que vous êtes tous alphabètes et capables d’écrire, donc je ne vais pas m’engager dans des explications inutiles. Cependant… pour rappel, cet ensemble de documents contient les questions auxquelles les candidats doivent répondre. Les candidats doivent écrire leurs réponses sur cette feuille de réponses, à l’aide des plumes d’oie fournies. L’essai se terminera formellement lorsque le sable de la partie supérieure de ce sablier sera épuisé. Y a-t-il des questions ? » demanda Sheila.

Je suppose que ce que Sheila avait dit était logique : tous les candidats présents pouvaient effectivement écrire. Même moi, j’avais déjà utilisé une plume d’oie.

Comme prévu, les aventuriers réunis dans la salle n’avaient posé aucune question.

« Ensuite, je vais maintenant distribuer les feuilles de questions et réponses, ainsi que les plumes d’oie. Je vais aussi récupérer les feuilles de révision des tests qui vous ont été prêtées par la guilde, » déclara Sheila. « Les feuilles de questions et réponses seront sur vos tables et elles seront placées avec la face cachée. S’il vous plaît, ne les retournez que quand je vous l’ordonne. »

En disant cela, Sheila avait commencé à faire le tour, distribuant les plumes et les papiers appropriés au fur et à mesure.

Une étrange aura de tension sourde remplissait l’air. Pour moi, c’était un sentiment de nostalgie. Cependant, je n’avais pas eu beaucoup de temps pour me souvenir. Sheila en avait déjà fini avec son tour, et elle se tenait maintenant à l’avant de la pièce.

D’un geste habile, Sheila retourna un grand sablier et le posa doucement sur son bureau.

« … Vous pouvez commencer, » déclara Sheila.

C’est ainsi que le test avait commencé.

***

Partie 5

Comme prévu, le test s’était déroulé sans heurts et s’était terminé sur une note relativement sans conséquence. C’était une évidence à ce moment-là, peut-être — après tout, j’avais déjà passé ce test une fois dans ma vie.

Bien que les questions elles-mêmes étaient différentes, le domaine pertinent de la connaissance restait en grande partie le même. Ça aurait été assez étrange si j’avais échoué.

Les autres candidats dans la salle, tout en ayant l’air mal à l’aise, passeraient probablement le test sans trop de problèmes. Le fait qu’ils savaient lire et écrire le montrait clairement. Ils avaient clairement eu la chance de recevoir une bonne dose d’éducation dans leur vie.

En retour, il ne serait pas trop difficile de mémoriser les faits requis pour ce test, étant donné la portée étroite des connaissances testées. Il existait des preuves empiriques à l’appui de mes observations : il était de notoriété publique que le taux de réussite à l’épreuve orale était beaucoup plus faible que celui à l’épreuve écrite.

C’était l’aîné et l’herboriste de mon village qui m’avaient appris à lire et à écrire. Mes motivations à l’époque étaient beaucoup plus simples, car pour moi, un bon aventurier devrait au moins être alphabétisé. Cela aussi avait contribué à mon rêve immuable, celui de devenir un aventurier de classe Mithril.

Nous n’avions pas attendu très longtemps la publication de nos résultats. Les copies d’examen avaient été renvoyées peu de temps après, peut-être en raison du plus petit nombre de candidats. Si son nom était lu, on ferait partie de ceux qui avaient réussi. Et moi, bien sûr…

« Rentt. Monsieur Rentt Vivie, » continua Sheila alors que je me tenais debout, marchant vers son bureau à l’avant de la pièce. « … Vous avez réussi l’épreuve écrite. Eh bien, en fait, vous avez reçu une note parfaite ! Bien que ce ne soit pas exactement un test difficile, un tel résultat est assez rare. Vous avez très bien répondu, Monsieur Rentt. »

Je suppose que ma performance était digne d’éloges. Le choix de mots de Sheila suggérait que d’autres candidats avaient reçu de temps à autre des notes complètes. Personnellement, je ne le considérerais pas comme une si grande réussite.

En y repensant, j’avais réalisé que je n’avais pas obtenu des notes parfaites lorsque j’avais passé le test pour la première fois. J’avais manqué d’expérience, j’avais oublié les réponses à certaines questions et j’avais fait des erreurs stupides. J’avais gardé tout cela pour moi, bien sûr, car on ne pouvait pas dire exactement au personnel administratif de la guilde qu’on avait déjà passé l’examen.

« … Je vois. C’est… super… que j’aie réussi. Que dois-je faire… après ça ? » C’était ma réponse relativement discrète lorsque j’avais interrogé Sheila sur l’étape suivante, principalement la partie pratique et physique de l’examen.

◆◇◆◇◆

« … Ensuite, il y a l’évaluation pratique, où vous coopérerez avec certains de vos collègues candidats et atteindrez un certain point dans le donjon. Il s’agira toutefois d’une sorte de concours, et le premier groupe de candidats qui atteindra le point désigné l’emportera. »

J’avais hoché la tête en réponse aux paroles de Sheila. Je m’étais vaguement souvenu d’avoir ramassé des herbes médicinales et autres pour ma première évaluation pratique, il y a toutes ces années. Bien que la tâche semblait relativement simple en passant, j’avais fini par devoir vaincre un bon nombre de monstres tout en me rendant dans la région où l’herbe poussait. Pendant tout ce temps, j’avais pris grand soin de ne pas me perdre dans le sous-bois dense de la forêt dans laquelle je m’étais aventuré. Dans l’ensemble, ce fut surtout une expérience désagréable, c’était le moins qu’on puisse dire.

À bien y penser, plusieurs candidats s’étaient perdus et avaient dû être récupérés par le personnel de la Guilde. Malheureusement, il va sans dire que ces pauvres gens avaient échoué dans leurs évaluations pratiques.

Par rapport à cela, l’objectif de cette évaluation semblait assez facile à atteindre. Les monstres seraient certainement présents dans le donjon, et on pourrait facilement atteindre l’endroit désigné rapidement si on achetait une carte et prenait le chemin le plus court…

Du moins, c’est ce que penserait un aventurier de classe Fer qui passait le test pour la première fois. À en juger par mes expériences passées avec les tests et les épreuves de la guilde, il était évident qu’ils n’étaient d’aucune utilité — sous le couvert d’une simple demande, des pièges et d’autres dispositifs insidieux avaient sûrement été tendus.

« Je… Je vois. Y a-t-il… la moindre… restriction ? » demandai-je.

Ce serait peut-être l’interdiction des cartes ou d’autres petits détails de même nature. Mais Sheila avait juste souri, un peu faiblement.

« Hmm… Pas vraiment, non. Tout est permis, » déclara Sheila.

Quelque chose clochait dans la façon dont Sheila avait donné sa réponse. La guilde avait planifié quelque chose. J’en étais certain. Si je devais faire tout ce qui était en mon pouvoir pour éviter cela, il serait utilisé contre moi, ou pire encore, il me disqualifierait carrément.

« Je… comprends. Alors… Où est le… aventurier avec… qui je dois… coopérer… ? » demandai-je.

« Hmm… C’est vrai, ce sont ces candidats ici. Candidats Raiz, Laura ! » déclara Sheila.

À l’appel de Sheila, deux silhouettes s’étaient séparées de la foule des aventuriers au premier étage de la guilde. Lentement, ils s’étaient dirigés vers nous : un jeune garçon et une jeune fille. Ils étaient étrangement familiers, des visages déjà connus, en effet…

Il ne m’avait pas fallu longtemps pour me rappeler que c’était le couple qui était enfermé au combat avec les gobelins et les slimes dans le Donjon de la Nouvelle Lune.

La même paire avec un épéiste et une clerc.

J’avais supposé qu’ils étaient de classe Fer ou Bronze quand je les avais vus pour la première fois, et je suppose que je n’étais pas trop loin du compte. Cependant, le fait qu’ils étaient ici signifiait qu’ils étaient des aventuriers de classe Fer, tout comme moi.

« Si je peux vous présenter Raiz Dunner et Laura Satii. Et voici Monsieur Rentt Vivie, » déclara Sheila, en nous présentant les uns aux autres.

Raiz et Laura. Hmm…

Raiz était un jeune homme de petite taille, avec une tête aux cheveux roux courts et un regard énergique. Laura, d’autre part, était une fille apparemment tranquille avec des tresses d’un brun un peu délavé.

Les deux aventuriers avaient baissé la tête devant moi quand on les appelait par leur nom, et j’avais fait la même chose. Il semblerait qu’ils soient venus ici avec des manières les plus élémentaires. Ce geste m’avait apporté un certain soulagement. Après tout, il y avait beaucoup de voyous et d’autres qui avaient fini par devenir des aventuriers. Parmi eux, il y en avait quelques-uns qui avaient d’étranges idées sur le fait de ne jamais s’incliner devant leurs camarades, le tout dans une démonstration de force mal inspirée. En vérité, un coup d’œil superficiel dans la pièce avait révélé plus qu’assez de ces imbéciles. Oui, ils étaient partout.

Chaque équipe avait un membre du personnel de la guilde qui lui était assigné, vraisemblablement pour expliquer les procédures pertinentes, mais aussi pour surveiller chaque groupe à la recherche de comportements inadéquats.

… Il n’avait pas fallu grand-chose pour que ces personnes échouent au test puisqu’elles étaient, après tout, des imbéciles qui ne pouvaient même pas saluer leurs pairs avec une certaine décence. J’avais cependant gardé mes observations et mes opinions pour moi.

Plus important encore, je devais en savoir plus sur mes coéquipiers, c’était nécessaire, étant donné que nous allions bientôt nous retrouver dans un donjon. Ne pas partager des informations adéquates entraînerait des décès et, dans la mesure du possible, j’aimerais éviter d’en mourir une deuxième fois.

« Je suis… un épéiste. Je ne peux utiliser que… l’amélioration magique… Et un sort… de Bouclier… sinon… rien d’autre, » déclarai-je.

Raiz et Laura avaient rapidement répondu à mon introduction simple.

« Je suis aussi un épéiste. Je renforce au combat mon corps et mon endurance avec le pouvoir de l’esprit. Et Laura ici présente…, » déclara Raiz.

« Je suis un mage… Mais je peux aussi utiliser la magie de guérison. Je vais travailler dur depuis les lignes arrière. J’espère qu’on s’entendra bien et qu’on travaillera bien ensemble, Monsieur Vivie, » déclara Laura.

C’est ainsi que s’était conclu notre simple échange de courtoisies, si l’on peut l’appeler ainsi.

 

 

Sheila avait poursuivi son explication :

« Eh bien ! Dans ce cas, je suppose que vous vous connaissez tous, alors je vais maintenant vous expliquer les détails du test, » déclara Sheila.

Ses paroles suffisaient à attirer toute notre attention, car si l’on ignorait quelque chose d’aussi crucial que les instructions de la guilde, sa vie serait facilement perdue. J’avais tendu l’oreille, en écoutant attentivement.

« Comme je l’ai mentionné précédemment, l’objectif de cette évaluation est d’atteindre un point désigné dans le donjon. Pour être précis, ce sera ce point, ici même sur la carte. C’est bien compris ? » demanda Sheila.

En disant cela, Sheila désigna un point sur la carte détaillant le Donjon de la Nouvelle Lune.

« La guilde vous fournira cette carte, alors utilisez-la comme bon vous semble. Ceci conclut l’explication. Mais une remarque : vous pouvez entrer en conflit avec d’autres aventuriers. Sinon, le premier groupe qui atteint ce point gagne. C’est tout, » déclara Sheila.

Raiz et Laura hochèrent la tête. J’avais des soupçons, il fallait bien que quelque chose se prépare. Malgré cela, j’étais resté silencieux.

« Il y a une limite de temps pour cette mission, à savoir jusqu’au coucher du soleil aujourd’hui. Gardez cela à l’esprit au fur et à mesure que vous progressez, » déclara Sheila. « Alors, j’espère que vous vous donnerez à fond tous les trois. Je vous encouragerai ! » Sheila nous avait dit en souriant innocemment.

***

Partie 6

« Eh bien… On va dans la Nouvelle Lune ? Peut-être devons-nous aller en calèche, comme d’habitude ? Oh… y es-tu déjà allé, Rentt ? » demanda Raiz.

J’avais acquiescé à la question de Raiz.

Il semblerait que Raiz ait jugé bon d’agir en tant que chef pour notre équipe hétéroclite. Cela s’était avéré en ma faveur, principalement parce que je n’avais pas une grande maîtrise des mécaniques d’équipe. Après tout, je m’étais aventuré tout seul tout ce temps, alors je suppose que c’était bien de laisser les choses à Raiz. S’il y avait un problème, je le soulèverais, sinon, j’avais l’intention de rester aussi silencieux que possible.

En ce qui concerne le mode de transport préféré de Raiz… Eh bien, je suppose qu’il n’y avait pas de problème avec ça.

Probablement…

Il s’était avéré que notre calèche s’était rendue en toute sécurité à l’entrée de la Nouvelle Lune. Il y avait toujours la possibilité que le chariot s’écarte de son cap et se dirige vers un autre endroit. Pour ma part, j’avais regardé le cocher, et j’avais été récompensé par ce qui semblait être un sourire amer. On ne savait pas ce qui pouvait arriver en de telles occasions, et je ne sourirais certainement pas si je me retrouvais vraiment ailleurs au lieu de l’endroit où je voulais aller.

Le sourire amer du cocher lui-même en était un bon indicateur — l’un des pièges de la guilde, peut-être. Raiz et Laura, par contre, ne semblaient pas soupçonner quoi que ce soit. Après tout, qui soupçonnerait un piège dans une activité aussi simple et quotidienne ?

Mais c’était exactement le genre de tactique que la guilde aimait utiliser, et je le savais très bien, pour ma part.

Une fois arrivés à l’entrée du donjon, Raiz et Laura avaient immédiatement commencé leurs préparatifs, impatients de partir. J’avais supposé qu’ils ne faisaient rien de mal, mais je devrais probablement dire quelque chose, et je l’avais fait.

« … Hey. Attendez… vous deux, » déclarai-je.

« Qu’est-ce qu’il y a, Rentt ? » demanda Raiz.

« Qu’y a-t-il, Monsieur Vivie ? » demanda Laura.

Au moins, je n’avais pas eu trop de mal à attirer leur attention.

« … Nous devrions… acheter de nouvelles cartes, » déclarai-je.

Les deux autres avaient eu l’air surpris par mes paroles, avant de finalement sortir la carte fournie de leurs paquets.

« On a une carte ici, Rentt, » déclara Raiz.

« C’est exact… ne peut-on pas simplement utiliser celle-ci ? » demanda Laura.

J’avais secoué la tête. « … Cette… Carte… a été dessinée… il y a presque 15 ans… Il n’y a pas de… garantie… que cette carte soit… toujours exacte, maintenant, » déclarai-je.

« Eh… ? Ah ! Tu as raison ! Pourquoi ont-ils écrit quelque chose d’aussi important en si petites lettres ? C’est même dans ce petit coin ! » déclara Raiz en finissant par distinguer les petits caractères sur le coin de la carte.

Les donjons n’étaient pas des structures statiques. Il n’était que trop courant que les pièces et les structures intérieures d’un donjon s’effondrent et se remodèlent, pour finalement former de nouvelles routes vers l’inconnu.

Selon ce que je savais, les donjon changeaient généralement leur structure intérieure une fois tous les dix à vingt ans. Étant donné que cette carte avait 15 ans, je ne pouvais m’empêcher d’avoir des doutes quant à son exactitude. Il serait préférable pour nous d’acheter la nouvelle édition de la carte de la Nouvelle Lune.

J’avais, bien sûr, la Carte d’Akasha, donc les autres cartes m’importaient peu. Cependant, le problème en l’espèce, était le fait que l’emplacement désigné ne se trouvait que sur la carte fournie par la guilde. Malheureusement pour moi, un chemin vers l’endroit désigné n’avait pas été tracé sur la carte d’Akasha — peut-être un chemin qui restait à parcourir. D’où ma suggestion, pour toutes les raisons ci-dessus, qu’il était préférable d’acheter une nouvelle carte.

« Mais à qui devrions-nous l’acheter ? » demanda Raiz, en levant la tête et en jetant un coup d’œil autour de lui.

Les marchands de cartes étaient fréquents dans les rues de Maalt, et ils étaient, bien sûr, présents en grand nombre près de l’entrée de la Nouvelle Lune. Le problème, dans ce cas, n’était pas un problème de quantité, mais de confiance : qui doit-on croire ? N’importe qui pourrait griffonner quelques lignes sur une toile et l’appeler une carte.

C’était dans cet état d’esprit que j’avais jeté un bon coup d’œil autour de moi, et je m’étais presque tout de suite décidé pour un seul colporteur au loin.

« … Nous allons acheter… notre carte… chez cette… personne, » déclarai-je.

En regardant l’individu que j’avais indiqué, mes coéquipiers avaient tous les deux plissé les sourcils.

« … Il a l’air super suspicieux, tu sais ? »

« Oui, c’est vrai… Ça a l’air un peu hors de l’ordinaire… » c’était ce qu’ils avaient à dire.

Mais je ne pouvais pas leur en vouloir. La personne que j’avais désignée était un homme vêtu d’une robe noire, qui semblait émettre une aura étrange et illisible. En y regardant de plus près, les coins des lèvres de l’homme se plissèrent dans une sorte de demi-sourire tordu, il semblait presque qu’il allait tenter de nous vendre des herbes dangereuses.

… Je ne devrais peut-être pas commenter les apparences des individus vêtus. Qu’est-ce qui me rendait si différent de l’autre homme vêtu ? Mes coéquipiers ne semblaient pas me faire autant confiance…

En tout cas, je m’étais dirigé vers l’homme vêtu d’une robe. Tous les deux, encore relativement peu convaincus, m’avaient rapidement suivi, ayant apparemment mis leurs doutes de côté pour l’instant.

◆◇◆◇◆

« … Oh ? Qu’est-ce que c’est ? Voulez-vous faire affaire avec moi ? » Un petit homme voûté, vêtu d’une robe noire, déclara cela, avec ses yeux de fouine s’arrêtant immédiatement sur moi qui m’approchait. Il avait l’air de s’amuser, si je pouvais le dire ainsi.

Autour de moi se trouvaient d’autres aventuriers de la classe Fer, tous achetant des cartes d’un marchand ou d’un autre, ayant remarqué la différence dans leurs cartes fournies par la guilde. Cela dit, le fait même que la seule personne qui s’était approchée de cet homme vêtu n’était autre que moi était un indicateur raisonnable de son apparence suspecte.

Les marchands de cartes étaient une race à part. Oui, ils étaient surtout présents en foule dans les rues de Maalt, mais aussi aux entrées des donjons. Bon nombre d’entre eux colportaient leurs marchandises, certains prétendant avoir des cartes avec des notes complexes et des informations autrement difficiles à obtenir. L’homme vêtu devant moi n’avait rien à voir avec les autres. En fait, il se tenait simplement là, se balançant parfois comme un bâton dans le vent. Inutile de dire qu’il s’est démarqué, comme on pouvait s’y attendre. Quiconque l’aurait regardé ne croirait pas qu’il vendait des cartes.

« … Vendez-moi… une carte, » déclarai-je.

L’homme semblait quelque peu impressionné par ma soudaine déclaration.

« Hmm… ? C’est très perspicace de votre part de savoir que je vends des cartes. Regardez vos pairs ! Aucun autre aventurier ne m’a approché, » déclara l’homme.

« Je n’ai pas… tenu compte de vos… observations. Veuillez me vendre… une carte, » déclarai-je.

Mais bien sûr, j’avais dû être brusque, car je connaissais trop bien les bizarreries de cet homme. S’il parlait à quelqu’un qu’il ne connaissait pas, il s’embrancherait dans des sillages inutiles, avant de disparaître finalement comme de la fumée, ne laissant aucune trace.

Peut-être ce comportement semblerait-il étrange de la part d’un prétendu marchand de cartes. Bien que de nombreuses théories aient été proposées, je suppose que l’homme n’avait tout simplement pas pour but de vendre des cartes à des individus qu’il ne connaissait pas. Après tout, il y avait des aventuriers qui n’hésiteraient pas à recourir à la violence pour atteindre leurs moyens. Avec cela à l’esprit, le comportement de l’homme n’était peut-être pas trop difficile à comprendre.

« … Hehe hehe hehe… Alors, vous voulez une carte ? Voilà pour vous… et ce sera deux pièces d’argent, » déclara le marchand.

En disant cela, l’homme retira du fond de sa robe ce qui semblait être un rouleau de papier grossièrement taillé. Moi, cependant, je n’avais rien de tout cela.

« … Je veux seulement une carte… du premier étage. Aussi… loin… c’est trop cher pour une carte. Laissez-nous… juste la première. Je paierai… cinq pièces de bronze. Un bon… prix, non ? » demandai-je.

Il sembla surpris de mon interjection, mais il retira aussitôt un autre rouleau de sa robe et me l’offrit.

« … Ho. Donc, vous allez probablement réussir le coup après tout… Vous deux, les petits. Vous écouterez cet homme si vous savez ce qui est bon pour vous…, » déclara l’homme. « Hehe. Alors, cela sera cinq pièces de bronze. »

Et c’est ainsi que j’avais donné à l’homme mes pièces d’une main, prenant la carte de l’autre. Presque immédiatement, l’homme vêtu avait disparu sous nos yeux, presque comme s’il n’avait jamais été là au départ.

Raiz et Laura, qui se tenaient debout les yeux écarquillés derrière moi tout ce temps, avaient finalement décidé de donner leur avis sur la question.

« Hé, Rentt… Est-ce que cette carte va vraiment être bonne ? » demanda Raiz.

« Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi étrange que ça auparavant…, » déclara Laura.

Je pouvais difficilement leur reprocher d’avoir des doutes, mais en tout cas, j’avais tendu la carte que nous venions d’acheter et j’en avais montré les détails à mes compagnons.

« … Nous devrions… Comparez cette carte… avec celle que la guilde… nous a donnée, » déclarai-je.

Dans tous les cas, les deux autres avaient été prompts à coopérer. En récupérant rapidement la carte de leurs sacs, nous avions commencé à comparer les deux parchemins en détail. Les différences étaient pour le moins remarquables.

« … Alors, ce passage a cédé ? Et… ce chemin a juste… changé ? Les donjons peuvent-ils faire ça ? » demanda Raiz.

« Hmm… L’homme masqué semble avoir noté l’emplacement de nombreux pièges et autres… Oh. Ce serait mal si nous prenions le chemin le plus court jusqu’à notre emplacement marqué, c’est une impasse maintenant, » déclara Laura.

Tel était le flot continu de marmonnements et de soulagement des deux jeunes aventuriers. Finalement, ils avaient tous les deux levé les yeux des parchemins et m’avaient regardé à la place.

« Tu es plutôt bon, Rentt ! Si nous ne t’avions pas eu avec nous, nous aurions sûrement couru avec cette vieille carte et nous nous serions perdus ! » déclara Raiz.

« Oui ! Avec cette carte, le test se déroulera sans aucun problème ! » déclara Laura.

Dans tous les cas, ils semblaient convaincus de mes capacités.

Bien que je ne l’aie pas dit à haute voix de peur de décourager Laura, l’obtention d’une carte n’était qu’un premier pas, ce n’était pas suffisant pour passer les épreuves de la guilde. Nous avions en toute sécurité contourné la première des nombreuses portes qui nous empêchaient d’atteindre notre but. Ce serait peut-être une image plus exacte de notre situation.

« … La guilde est… connue pour ses tractions… des tours comme ça. Ce n’est pas du tout fini… avec ce qu’il y a dans le donjon. Avançons… avec précaution, » déclarai-je.

Les deux aventuriers hochèrent la tête avec enthousiasme face à mes paroles. J’avais l’impression d’avoir eu la chance d’avoir des coéquipiers relativement honnêtes et directs.

Cependant, je ne pouvais m’empêcher de m’inquiéter de leur avenir, et un peu de doute était une chose saine à avoir. Même si je ne voulais pas leur en vouloir, on ne pouvait pas en dire autant de leurs rencontres futures.

***

Partie 7

« HAAAAAAA !! » 

Avec un grand cri et un rapide mouvement de sa lame, Raiz avait fini une courte passe d’armes face au squelette se trouvant devant lui. Bien qu’il ne s’agissait en aucun cas d’une frappe puissante, elle était précise, s’enfonçant proprement dans le crâne du squelette et le fracassant. Le squelette, pour sa part, n’avait pas semblé très satisfait de cela et avait plutôt continué à marcher, sans tête.

En sautant de derrière Raiz, j’avais frappé avec ma propre épée, enfonçant son bord tranchant à travers les os restants du squelette, lui faisant pleuvoir des fragments d’os.

« … Huff... Puff… »

Raiz semblait un peu essoufflé après notre combat. Ce n’était, bien sûr, pas le premier squelette à nous empêcher d’avancer, car nous avions abattu ses innombrables frères sur notre chemin.

Notre formation était simple : Raiz était l’avant-garde et Laura l’arrière-garde. Je me tenais entre eux, protégeant Laura tout en aidant Raiz avec les attaques que je pouvais faire.

Cependant, tous les deux semblaient proches de leurs limites. Bien que j’aurais pu progresser sans autant de difficulté, ce n’était pas le but de ce test : le but de ce test était de faire passer les épreuves de la guilde en équipe.

« … Raiz. Vas-tu… bien ? » demandai-je.

« Ne t’inquiète pas… Je veux dire… je ne devrais probablement pas dire ça. Ça m’énerve, ouais… Pour commencer, cette partie de la Nouvelle Lune a-t-elle toujours eu autant de monstres ? » demanda Raiz.

Les observations de Raiz avaient du mérite, car il y avait en effet plus de monstres dans cette zone que d’habitude. Bien que le donjon ait été habité par un bon nombre de monstres, la concentration de ces monstres dans cette région était tout à fait contre nature.

Si je devais le deviner, c’était davantage l’effort de la guilde — le personnel de la guilde avait dû se donner la peine de conduire des monstres à cet endroit. Démontrer ses prouesses et son endurance au combat faisait, après tout, partie des conditions requises pour devenir un aventurier de classe Bronze.

« Alors la guilde… doit avoir fait quelque chose. Les monstres du donjon, ils peuvent… utiliser des parfums ou… des personnes… pour mener, et concentrer les monstres… dans un certain endroit. C’est probablement… la raison, » déclarai-je.

Laura avait été la première à répondre. « Parfum… ? Ah, oui, oui. Parfums… Des encens et autres, pour conduire les monstres à un endroit précis… »

« La guilde qui fait cela… car cela fait partie du test… Alors peut-être… qu’il y a… aussi des individus… qui utilisent ces méthodes… pour piéger les autres candidats. Nous devrions… être prudents, » déclarai-je.

L’expression auparavant innocente et joyeuse de Laura était devenue sombre en entendant mes paroles de mise en garde.

« Y a-t-il des gens qui font ce genre de choses… ? » de la surprise et de la tristesse teintait sa voix.

Je suppose qu’elle n’avait pas voulu croire que de telles personnes existaient — oh, mais elles existaient effectivement. La mort était une force de la nature dans les donjons, après tout. Même si une personne en avait attiré une autre ou en avait piégé une autre jusqu’à sa mort, la discussion s’arrêtait là tant qu’elle n’était pas prise. Il y avait aussi la possibilité de laisser les monstres du donjon faire le travail. De cette façon, on n’avait pas à se salir les mains.

En fait, l’utilisation de parfums pour attirer les monstres à un autre endroit était l’une de ces méthodes, et des individus spécialisés dans ce domaine existaient. Ces événements s’étaient parfois produits à beaucoup plus grande échelle, avec des villages et des villes agressés et sommairement rayés de la carte, on pouvait dire que c’était en effet une tragédie d’envergure nationale. De penser que de tels événements étaient possibles si l’on engageait les bonnes personnes…

Si ma mémoire était bonne, les parfums en question avaient été développés à l’origine pour faciliter la chasse aux monstres. Cependant, à un moment donné, quelqu’un avait jugé bon d’en pervertir l’objectif. C’était de la malice humaine à l’état pur. Mais bien sûr, le mal existait partout.

« … Arrêtez-vous, » déclarai-je à mes deux compagnons au moment où nous étions sur le point de prendre un virage.

Ils m’avaient regardé tous les deux, confus. En réponse, j’avais chuchoté :

« Il y a… Un ennemi. Là, en attendant de… nous faire une embuscade. »

Avec des expressions assez surprenantes, les deux m’avaient répondu en chuchotant.

« … Mais Rentt… Je ne sens pas de monstres ! » répondit Raiz.

« C’est exact… et les monstres de cet étage ne devraient pas avoir l’intelligence nécessaire pour faire une telle chose…, » répondit Laura.

Laura et Raiz avaient tous deux soulevé des points intéressants. Squelettes, gobelins, slimes — tous ces monstres étaient présents sous leur forme la plus faible au premier niveau de la Nouvelle Lune. Aucun monstre à cet étage ne serait capable d’une telle tactique.

Dans le cas le plus dramatique, un monstre réapparaissait juste avant un aventurier de passage, mais c’était tout. J’avais cependant averti mes compagnons d’un danger différent.

« … L’embuscade… ce n’est pas un monstre. Ils sont… Humain, » murmurai-je.

◆◇◆◇◆

« H-Humain… ! !? » murmura Raiz.

« Pourquoi un humain nous attendrait-il ? Veulent-ils quelque chose de nous ? » demanda Laura.

Raiz et Laura, tous deux également secoués, s’étaient tournés vers moi pour obtenir des réponses. J’y avais répondu du mieux que j’avais pu.

« Il y a là… cette possibilité. Oui. Mais c’est… autre chose… En tout et pour tout, s’ils ne sont pas venus… pour nous parler… pour une raison inconnue… sinon, ils ne cacheraient pas… leur présence… ainsi, » déclarai-je.

C’était une simple observation : s’ils avaient vraiment quelque chose à nous demander, ils ne seraient pas à l’affût dans un coin, mais ils nous approcheraient normalement, comme tout le monde le ferait.

Parmi les règles du donjon, il y en avait une en particulier qui régissait les monstres et leurs morts si les aventuriers se croisaient, à savoir qu’ils ne devraient pas chasser les monstres engagés par d’autres sans permission. Cependant, il n’y avait pas de règles sur la façon d’approcher ou de parler avec les autres aventuriers. Le fait même qu’ils étaient cachés signifiait que ce qu’ils étaient sur le point de faire ne pouvait être fait que s’ils étaient cachés — en d’autres termes, il s’agissait indubitablement d’une embuscade.

Mes deux compagnons semblaient être arrivés à la même conclusion.

« Hey… tu ne veux pas dire…, » déclara Raiz.

« Tu… Tu le penses vraiment… !? » demanda Laura.

Je suppose que nous étions tous arrivés à la même conclusion, et mes mises en garde avaient atteint leur but. Si je devais deviner, mes deux compagnons avaient probablement supposé qu’un autre aventurier les attendait pour les piéger, mais ce n’était pas toujours le cas.

Il était indéniable qu’il pouvait y avoir d’autres facteurs inconnus en jeu. Il serait stupide de supposer que l’individu qui nous attendait n’était pas hostile, mais je suppose qu’il serait tout aussi inconvenant de notre part de frapper en premier.

« … Devrions-nous… les dévoiler ? » avais-je demandé, avec ma voix qui était encore un murmure doux et râpeux.

Mes deux compagnons hochèrent rapidement la tête.

« Comment… va-t-on faire ça ? » demanda Raiz.

« Si on leur demande juste… ? » demanda Laura.

Ma réponse avait été simple : « Nous allons… avancer dans la formation de combat. Vous deux… Préparez-vous à tout. Je vais… J’irai moi-même au coin du chemin. »

En disant cela, j’avais mis un pied en avant. Ma définition de « découvrir » était relativement simple : je m’approchais de l’endroit où les embusquées m’attendaient, et je regardais s’ils m’attaquaient.

Je ne pouvais pas vraiment laisser ce rôle à Raiz ou à Laura, bien qu’ils soient des aventuriers compétents, ils n’avaient pas assez d’expérience et ils pouvaient hésiter à combattre des adversaires humains.

Cependant, la raison la plus importante et la plus significative était qu’ils mourraient tous les deux s’ils étaient blessés dans l’embuscade. Bien sûr, ce n’était pas une blague. Compte tenu de tous les facteurs, je ne mourrais probablement pas très facilement même si j’étais blessé.

Après tout, j’étais un mort-vivant.

On savait en particulier que les Thralls ne mouraient pas même si on leur coupait la tête, qu’ils avaient une étrange tendance à s’accrocher à la vie. Dans mon cas, je suppose que je serais incapable de bouger si on me coupait la tête, mais dans tous les cas, je n’arrêterais pas de bouger juste parce qu’on m’avait poignardé dans la poitrine. Le fait que je fasse partie des morts-vivants dans ce cas-ci allait jouer à mon avantage. C’est pourquoi je m’étais porté volontaire.

Tous les deux m’avaient tendu la main en signe de protestation, essayant de m’arrêter, mais j’étais déjà hors de leur portée, marchant rapidement vers l’angle du couloir. En voyant cela, les deux autres avaient renoncé à essayer de m’arrêter, préparant plutôt leurs armes pour le combat.

Un choix judicieux.

Bien qu’ils aient pu crier ou élever la voix en signe de protestation, ils avaient plutôt choisi de réagir d’une manière adaptée à la situation actuelle.

C’était un trait important pour les aventuriers — tout bien considéré, ce monde n’était pas un endroit agréable. La mort pouvait venir rapidement, souvent à la suite d’une insouciance et d’un seul moment de crédulité.

— Comme c’est arrivé pour moi.

Je suppose que ce serait une mauvaise blague.

Avec ces pensées en tête, j’avais rapidement atteint le coin en question.

« WRAAAAAAAAAAAAAHHHH !! »

Avec un grand cri et de grands mouvements, un homme de type aventurier m’avait sauté dessus depuis le côté, s’étant jeté droit sur moi. Dans ses mains se trouvait une épée, déjà levée bien au-dessus de sa tête. La lame était probablement destinée à moi, car ses actions parlaient d’elles-mêmes.

Derrière lui, il y avait un homme avec un arc, et un autre qui ressemblait à un mage.

Comme je le pensais.

Un sourire avait jailli sur mes lèvres quand je plissais les yeux. Mes prédictions avaient été justes.

Dégainant rapidement mon épée, j’avais paré l’attaque de l’aventurier qui arrivait, déviant sa lame sans faire de mal.

« … Vous deux, faites… attention, » dis-je, m’adressant à mes compagnons derrière moi.

Mes avertissements n’étaient peut-être pas nécessaires après tout, car les expressions de Raiz et de Laura étaient maintenant suffisamment durcies. Ils étaient l’image même des aventuriers, il n’y avait plus aucune trace du doute et de l’appréhension qui étaient sur leur visage il y a quelques instants à peine.

Leurs regards étaient d’acier. Pour eux, tout ce qui comptait, c’était de vaincre l’ennemi devant eux. Je suppose que j’avais encore mon bon œil, car ces deux-là avaient un grand potentiel.

En gardant cela à l’esprit, moi aussi, je m’étais dirigé vers le combat.

Faisant signe à Raiz d’un signe de tête, je lui avais laissé l’épéiste ennemi, alors que je me précipitais vers l’archer et le mage un peu plus lointain. Avec une action bien pratiquée, j’avais claqué le pied sur le sol. Maintenant bénie avec plusieurs fois la capacité physique que j’avais dans la vie, je m’étais vite retrouvé juste devant l’archer ennemi.

« … Quoi — ? » s’exclama-t-il.

Tout ce qu’il pouvait faire, c’était de regarder mon masque tel que je me présentais devant lui en un éclair, avec une expression de choc et d’incrédulité sur son visage.

Mais la rencontre ne s’était pas arrêtée là. Dans une démonstration de défi, l’archer avait pointé sa flèche précédemment placée, dans l’intention de me la tirer à bout portant. Je suppose qu’il avait un certain degré de talents. Mais j’avais simplement tranché sa corde d’arc d’un coup de poignet tranchant avant qu’il n’ait eu l’occasion de lâcher son tir. En me stabilisant rapidement, j’avais enfoncé le côté plat de mon épée dans la poitrine de l’archer, le mettant hors service. Il avait fini par s’affaler par terre.

Le mage, apparemment au milieu d’un sort, n’était pas préparé à mon assaut. J’avais répété ce que j’avais fait avec l’archer, et bientôt, lui aussi avait été frappé d’incapacité.

Il ne restait qu’un seul ennemi.

La vue de Raiz et Laura engoncés dans un combat avec l’épéiste ennemi m’avait sauté aux yeux quand je m’étais retourné. Il était probablement le chef, ou du moins semblait le plus habile parmi ses pairs. Une rapide inspection de leurs compétences m’avait amené à le croire.

Raiz et Laura, par contre, n’étaient pas du tout faibles. Le fait qu’ils n’aient pas été submergés par l’homme témoigne de leur talent. Bien que l’idée de les aider m’ait traversé l’esprit, ce fut une expérience précieuse pour eux : leur premier combat contre un être humain vivant et qui respirait.

Décidant que cette expérience était cruciale pour leur croissance, j’avais rejeté toute idée de les aider, au lieu d’observer en silence leur combat. Pendant ce temps, j’avais pris note d’attacher les aventuriers ennemis tombés, en les couchant à plat sur le sol. Avec cela, je n’avais plus à m’inquiéter qu’ils se réveillent et continuent leur attaque.

Bien sûr, les laisser dans un tel état soulevait d’autres questions… Mais je suppose qu’ils s’en sortiraient.

Du moins, c’est ce que j’avais pensé en regardant dans l’obscurité du donjon. Il y avait une présence quelque part, qui observait silencieusement toute cette situation.

Peu de temps après, Raiz avait fini par obtenir des points, déviant la lame de son adversaire d’une riposte en douceur. Saisissant sa chance, Raiz abaissa sa position et se précipita sur la poitrine de l’homme avec son épaule. L’épéiste ennemi, incapable de se défendre contre l’élan de Raiz, avait rapidement perdu son équilibre.

Laura, pour ne pas être en reste, envoya une série de projectiles de terre sur leur ennemi. Même s’il semblait que ses projectiles frappaient Raiz à l’arrière, tout cela faisait partie d’une danse bien chorégraphiée, avec Raiz qui s’écartait du chemin à la toute dernière seconde. Pour l’épéiste, il avait probablement l’impression que des morceaux de pierre et de terre jaillissaient de nulle part, avec quelques fragments qui le frappaient dans l’intestin.

Et si je puis me permettre, c’était probablement la dernière chose qu’il ait vue.

***

Partie 8

« Vous… l’avez fait, » j’avais parlé aux deux autres après qu’ils eurent vaincu leur ennemi. 

« Oui… D’une façon ou d’une autre, » déclara Raiz. 

« J’ai été tellement surprise… Mais pourquoi d’autres aventuriers nous cibleraient-ils… ? » demanda Laura, encore un peu secouée.

En réponse, j’avais donné une explication.

« Vous étiez… dans la guilde, oui ? Ce serait une… compétition. L’équipe qui atteint le… le but d’abord, gagne, » déclarai-je.

Il y avait plusieurs façons d’interpréter cette affirmation : à première vue, il semblerait que le simple fait d’atteindre le but en premier permettait à une équipe de remporter la victoire. Cependant, cela signifierait aussi que les équipes qui viendraient après la première perdraient.

En retour, il ne serait pas au-dessus de la pensée de certaines personnes de supposer qu’une réduction du nombre d’équipes participantes entraînerait une augmentation des chances de victoire. Du moins, c’est ce que certains candidats penseraient.

« Donc… en gros, ces gens étaient des candidats… et ils essayaient de nous disqualifier ? » demanda Raiz.

« C’est bien ça, » déclarai-je.

À l’insu de Laura et de Raiz, de telles personnes étaient courantes à chaque test. La Guilde, pour sa part, avait veillé à ce que cela reste vrai pour chaque test, compte tenu de leurs conditions mal formulées.

En fait, il était juste de dire que les conditions de la guilde pour les tests de progression de grade avaient été conçues pour encourager les délinquants, ne serait-ce que parce qu’ils seraient ainsi éduqués et mis à leur place par des aventuriers plus compétents par la suite.

J’avais supposé que je laisserais ces points à discuter pour la fin du test.

« … Dans tous les cas, il y aura… plus d’informations plus tard. Des incidents comme celui-ci dans… l’avenir viendront. Avançons… avec précaution. Ne pas… hésiter, » déclarai-je.

Les deux autres acquiescèrent profondément à mes paroles avant de repartir vers les ténèbres du donjon.

Voyant qu’ils étaient à une certaine distance devant moi, je m’arrêtai là où je me tenais, me retournant pour parler de la présence que j’avais ressentie tout à l’heure.

« … Vous devriez… vite… les ramener, » déclarai-je.

Avec ça, j’avais senti des ombres derrière moi se déplacer. Satisfait, j’avais couru après les deux et je les avais vite rattrapés.

◆◇◆◇◆

Après que Rentt et son groupe se soient éloignés du coin du couloir, une personne était sortie de l’ombre. Vêtu d’habits noirs, il semblait se fondre dans l’obscurité du donjon lui-même. Puis, regardant dans la direction dans laquelle Rentt et son groupe étaient partis.

« Celui-là… Il m’a remarqué, hein ? C’est quelque chose, n’est-ce pas ? N’est-il pas un nouvel aventurier… ? » marmonna la silhouette. D’après le son de leur voix, on pouvait supposer que la personne était un homme.

En disant cela, l’homme en noir se dirigea vers les trois aventuriers tombés au sol, et bientôt, il se fit parler par l’épéiste.

« Vous pourrez marmonner vos observations plus tard. Enlevez-moi d’abord ces cordes…, » déclara l’épéiste.

« Ah, c’est vrai. Je suis désolé pour ça. Mais, oui, même si c’est votre travail, vous faites face à beaucoup de choses, n’est-ce pas ? » déclara l’homme en noir, presque comme s’il s’en prenait à l’épéiste abattu.

« Comme nous tous, non ? Eh bien ! Cependant, il vous a remarqué, » déclara l’épéiste, se balançant en arrière avec son propre rire.

L’homme en noir ricana, regardant l’épéiste avec une expression condescendante.

« Vous parlez comme si vous n’étiez pas vous-mêmes découverts. Ce type en robe savait probablement que vous étiez là, vous savez ? Je parle du fait que vous trois avez été engagés par la guilde. Pour les deux autres… Eh bien, je ne sais pas quant à eux, » déclara l’homme en noir.

Les yeux de l’épéiste s’ouvrirent alors. « Hein… ? Êtes-vous sérieux… ? C’est qui ce type ? » demanda l’épéiste.

L’homme en noir inclina la tête en réponse, alors son expression était celle de la contemplation.

« … Qui sait ? J’ai une petite idée… enfin, je suppose. C’est peut-être comme elle l’a dit…, » déclara-t-il.

« Hein ? » demanda l’épéiste.

« Oh, non, ne vous inquiète pas pour ça. C’est juste quelque chose à quoi je pensais, » déclara l’homme en noir.

« Alors, battons-nous en retraite ? On n’a pas quelques équipes en moins ? » demanda l’épéiste.

« Oui, deux équipes. Dire qu’on allait y aller doucement avec eux… les jeunes récemment, c’est vraiment quelque chose d’autre, » déclara l’homme en noir.

« Ce type tout à l’heure… Croyez-vous qu’il réussira ? » demanda l’épéiste.

Après ça, le groupe s’était éloigné, tout en continuant ses conversations.

◆◇◆◇◆

« … En fin de compte… C’était inattendu… le voyage était sans surprise, » murmurai-je.

Après cette attaque, nous avions continué à vaincre des monstres au fur et à mesure que nous avancions, pour finalement atteindre une zone proche du point désigné sans incident.

Même si ce n’était que le premier étage, c’était le large et gigantesque Donjon de la Nouvelle Lune. Il y avait un sentiment d’accomplissement d’être venu jusqu’ici, malgré le fait que nous n’étions qu’à un étage de profondeur.

Ce qui nous attendait, cependant, n’était pas une acclamation de félicitations ou un bouquet de fleurs — c’était plutôt une porte en pierre froide et lourde.

« Cette porte est… ce genre de porte, n’est-ce pas ? » demanda Laura, regardant dans ma direction avec appréhension.

« Ah… N’avez-vous pas déjà… vécu ce genre de choses… avec une porte à l’avant, » demandai-je.

« Pas encore, » Raiz avait vite répondu à ma question. « Ça aurait été dur, vu qu’on n’est que tous les deux… »

En soi, c’était un choix judicieux.

Les portes qu’ils n’avaient jamais franchies auparavant, des portes qui gardaient les secrets et la progression éventuelle d’un individu à travers un donjon… Ces portes n’étaient rien d’autre que…

« Une salle… de boss. J’ai entendu dire… qu’il n’y avait pas mal… Au premier étage. Cela doit être… l’une d’elle, » déclarai-je.

En effet, ce n’était rien d’autre que la chambre du boss. La disposition des salles de boss en particulier différait d’un donjon à l’autre, certaines n’en ayant qu’une par étage, d’autres ayant plusieurs salles. Parfois, il fallait passer par ces pièces pour descendre aux étages inférieurs, et parfois, on pouvait les éviter sans aucun inconvénient.

Cette fois, cependant, les portes qui se trouvaient devant nous n’avaient pas conduit aux étages inférieurs. Au lieu de cela, ce n’était que l’une des nombreuses salles de ce genre qui se trouvaient au premier étage de la Nouvelle Lune.

Pourtant, la région vers laquelle nous nous dirigions passait par ces mêmes portes. Il n’y avait pas d’autre moyen de se rendre à l’endroit désigné, alors notre route était tracée. L’intention de la guilde était évidente pour tout le monde : pour réussir cette épreuve, il fallait passer par cette pièce, vaincre le monstre qui s’y trouvait et se diriger vers le but.

C’était une porte ornée, très différente des différentes portes que nous avions franchies jusque-là. La guilde, en choisissant une telle tâche, déclarait clairement que ceux qui n’avaient pas la force appropriée ne pouvaient pas devenir des aventuriers. Bien que cette affirmation puisse sembler condescendante, elle est tout à fait vraie. Ainsi, même si les implications du test étaient de mauvais goût, on ne pouvait pas en dire grand-chose.

« Et toi, Rentt ? As-tu déjà franchi la porte d’une salle de boss ? » demanda Raiz.

Peut-être était-il curieux de savoir quelle expérience avait son collègue candidat. J’avais répondu clairement à la question de Raiz.

« Oui, quelques-uns…, » répondis-je.

La pièce où j’avais déjà rencontré le squelette-géant était exactement une de ces pièces. De plus, il s’agissait d’un type particulier de salle de boss dont il n’y avait pas d’échappatoire jusqu’à ce que son résident soit vaincu. Ce n’était certainement pas un type de salle que la plupart des aventuriers aimeraient traverser.

Cela dit, j’avais près d’une décennie d’expérience à mon actif et, à ce titre, j’avais plus qu’assez d’expérience avec les salles de boss en général. Raiz, ne le sachant pas, m’avait posé une telle question, tout en ne réalisant pas que c’était une erreur de le faire.

Comme je m’y attendais, l’expression de Raiz s’était amoindrie en entendant ma réponse, peut-être parce qu’il avait l’impression que son expérience était insuffisante. Je ne pouvais m’empêcher de poser une question à Raiz en retour.

« … Es-tu incertain… ? Si oui… Nous pourrions… abandonner, » déclarai-je.

Il y avait, bien sûr, toujours un choix. Alors que je voulais gravir les échelons rapidement et que je ne voulais pas me retirer, j’avais peur d’exposer ces jeunes au danger. Bien que je sois pressé, je n’ai pas été assez impitoyable pour échanger leur avenir contre un petit gain de temps. Après tout, je n’avais que 25 ans. Il me restait sûrement pas mal de temps…

Je m’arrêtai un instant, me demandant comment ma vie avait été affectée par le fait que j’étais maintenant immortel. Bien sûr, il n’y avait pas de réponses toutes faites, et j’avais mis ces idées de côté pour l’instant.

Raiz avait levé la tête face à ma demande.

« Je ne peux pas faire ça, pas maintenant. Si je m’enfuis maintenant… J’ai le sentiment que je ne pourrai jamais revenir…, » déclara-t-il, avec une pointe de détermination audible dans sa voix.

Je suppose que Raiz avait raison, car les aventuriers dont la volonté avait été brisée une seule fois devenaient faibles. Dans certains cas, les aventuriers étaient devenus plus forts après s’être de nouveau donné du mal, mais il y avait aussi des cas où une telle chose ne pouvait tout simplement pas se produire. C’est peut-être pour cela que Raiz avait dit cela, réalisant instinctivement cela quelque part au fond de son cœur.

D’après le peu que j’avais vu de son caractère pendant le temps que j’avais passé avec lui, je pouvais déjà dire qu’il n’était pas possible qu’il abandonne. Je le lui demandais juste par courtoisie. S’il ne voulait pas fuir et s’il s’était préparé pour les épreuves à venir, alors c’était tout ce qu’il y avait à faire.

J’avais hoché la tête à Raiz. « Je vois… Alors… c’est assez pour moi. Mais… Si tu es inquiet… j’ai… une idée. »

« Eh… ? »

En penchant légèrement la tête en arrière, j’avais dirigé l’attention de Raiz vers le couloir que nous venions d’approcher. En tournant, la mâchoire de Raiz s’était baissée — derrière nous se trouvaient quatre aventuriers, marchant lentement vers les portes aux couleurs de pierre.

« Ces types… »

« Probablement… d’autres… aventuriers. Nous devons juste… les laisser… y aller en premier, » déclarai-je.

Face à mes mots, les yeux de Raiz s’ouvrirent en grand à nouveau. Sa mâchoire, bien sûr, n’était toujours pas fermée.

***

Partie 9

« … Ha ? Qu’est-ce que c’est ? Des gamins et un monstre masqué… Comme c’est intéressant, » déclara l’un des aventuriers, apparemment le chef du groupe de quatre hommes.

Raiz, raisonnablement agacé par les paroles de l’homme, avait déjà une réplique prête. Moi, cependant, je l’avais arrêté, lui répondant calmement à sa place.

« Nous sommes… aussi… des candidats… Je ne peux pas dire… que j’apprécie… le ton de… votre voix, » déclarai-je.

« … Kuh. Tu as l’air d’un monstre, c’est sûr. Vous dites que vous êtes aussi des candidats ? Voilà la différence, tête de mort : c’est nous qui passerons cette épreuve, pas vous. Ne croyez pas une seconde que nous sommes pareils… Hoh ? L’un de ces gosses derrière toi est plutôt mignonne si on regarde de près. Qu’en dis-tu, petite fille ? Si tu viens avec nous, tu réussiras le test, c’est sûr, hein ? » déclara l’autre.

L’homme s’était approché de Laura, l’incitant à se cacher rapidement derrière moi, ne prenant pas la peine de répondre aux questions de l’homme. Visiblement offensé par sa réaction, l’homme se déplaça pour dégainer sa lame. La mienne, cependant, était déjà à sa gorge, son bord luisant dans la faible lumière des salles du donjon.

« H-Hey maintenant… !? Tu arrêtes ça. C’était juste une blague ! Ouais, une blague…, » déclara l’autre.

« Est… vraiment le cas ? Mais dans tous les cas… excuse-toi. J’ai un mauvais sens… de l’humour, » répliquai-je.

« O-Oui… C’est de ma faute. Je ne ferai rien d’autre. Alors, range ce truc…, » demanda l’homme.

« … Hmph. »

En gardant mes yeux focalisés sur l’homme, j’avais lentement abaissé ma lame, ne faisant qu’un seul pas en arrière. L’homme, pour sa part, soupira de soulagement, les épaules visiblement tombantes. Il semblait qu’il était plus lâche que je ne le pensais.

« Eh bien… ? C’est la salle du boss, n’est-ce pas ? Les groupes de candidats n’y vont-ils pas par équipes individuelles… ? » demanda l’homme, d’une voix plus calme.

« … Non. Partez, s’il vous plaît… en avance. Nous allons… nous reposer… un peu. Après ça… nous vous suivrons, » déclarai-je.

« Haah ? N’a-t-elle pas reçu la note à propos de la victoire de la première équipe qui a atteint la fin ? Vous nous laissez faire ? » demanda l’autre.

« … Bien sûr. C’est comme vous… le dite, » déclarai-je.

« Vraiment… ? Eh bien, on va y aller, d’accord ? Les gars ! Allez, on bouge ! » s’exclama l’homme, conduisant sa bande d’aventuriers au-delà des portes de la salle du boss.

Raiz, après avoir gardé le silence tout ce temps, souleva finalement une question alors que le groupe de quatre hommes franchissait les portes maintenant ouvertes de la salle du boss.

« … Est-ce que c’est vraiment bien, Rentt ? » demanda Raiz.

« Que… veux-tu dire par là ? » demandai-je.

« Je veux dire, les laisser partir en premier… n’est-on pas arrivés plus vite qu’eux ? » demanda Raiz.

Bien que cela correspondait à la description de la tâche que la guilde avait émise, il y avait, une fois de plus, quelque chose qui n’allait pas avec la façon dont elle était formulée. Cependant, afin d’assurer l’intégrité de ce test, j’avais décidé de garder ce fait pour moi. D’après ce que j’avais pu voir, ni Raiz ni Laura ne l’avaient remarqué.

Et c’est ce que j’avais dit : « … Réfléchissez-y… pendant un moment. Essayez de vous souvenir… Qu’est-ce que la membre… de la guilde… a dit ? »

C’est Laura qui avait réagi la première alors que la prise de conscience semblait se dessiner sur ses traits. Il semblerait qu’elle ait déjà compris, se tournant vers Raiz avec l’intention d’expliquer. Mais j’avais secoué la tête, faisant signe à Laura de garder ses pensées pour elle.

Connaissant le caractère trop honnête et droit de Raiz, l’amener à trop réfléchir à une question s’avérerait être une distraction intempestive. C’était pour son propre bien, et Laura, semblant le comprendre, avait souri en gardant son silence.

Sur ce, nous nous étions dirigés vers les portes. Ils étaient, bien sûr, toujours ouverts. Leur ouverture n’avait rien d’étrange, car ce genre de salle de boss n’était pas le type de salle inéluctable et autoscellant dans lequel je m’étais trouvé piégé auparavant. En fait, nous nous étions trouvés dans une bonne position pour assister à la bataille de l’intérieur depuis l’extérieur de l’entrée.

Voyant cela, Raiz hocha la tête, apparemment convaincu que notre ligne de conduite était correcte.

« … Alors, Rentt, tu me dis que si je vois ça, je ne serai plus aussi inquiet ? » demanda Raiz.

J’avais fait un simple signe de tête à Raiz. « C’est juste… un peu de reconnaissance. Raiz. »

Dès que j’avais dit ces mots, un grand monstre était apparu devant le groupe d’aventuriers, et peu de temps après, leur bataille avec le résident surdimensionné de la salle du boss avait commencé.

◆◇◆◇◆

« Eh bien… Alors… allons-y… » Affirmant que la bataille à l’intérieur de la pièce était terminée, je m’étais retourné et m’étais adressé à mes compagnons.

« Attends ! Attends un peu, Rentt ! Oh ! Regards… Regards-moi ça ! Ça n’a pas aidé du tout ! » déclara Raiz en me pourchassant frénétiquement.

En me retournant, j’avais incliné la tête de façon un peu dramatique, offrant une réponse simple.

« … Hmm. Est… Est-ce vraiment autant… ? » m’étais-je interrogé, ignorant ce dont nous venions d’être témoins.

Laura, d’autre part, regarda calmement, soupirant tandis qu’elle offrait sa propre évaluation.

« … Ces gars étaient plus faibles que je ne le pensais… Non seulement ils ont été vaincus instantanément, mais ils ont quand même été récupérés… Ces gens, tout à l’heure, ceux en noir, c’était des membres du personnel de la guilde, n’est-ce pas ? »

L’évaluation de Laura était dans l’ensemble correcte. Le groupe de quatre hommes qui nous avait précédés ne s’en était pas très bien tiré. Bien que nous nous soyons positionnés pour observer leurs stratégies et formuler certaines des nôtres au fur et à mesure que nous les observions, tous les quatre avaient perdu avant même que nous ayons pu commencer notre discussion.

Alors que nous pensions être sur le point d’assister à un décès à la suite d’une attaque particulièrement violente du monstre intérieur, deux personnes, enveloppées de noir de la tête aux pieds, s’étaient précipitées pour intervenir. Non seulement avaient-ils évité proprement les attaques du monstre, mais ils s’étaient aussi fait un point d’honneur d’attraper tous les aventuriers tombés au sol en sortant. Je suppose que c’était une évidence, étant donné que les décès n’étaient explicitement pas censés survenir au cours de la tentative. Le fait d’être témoin des actions des membres de haut rang de la guilde était toutefois tout à fait surréaliste.

Si de nombreux points viennent à l’esprit si l’on considère les raisons de leur échec, le facteur principal était celui de la force, ou, pour être précis, de l’absence de force. Il faudrait surmonter de nombreux pièges et autres pour en arriver là. Les aventuriers en question se spécialisaient probablement dans le scoutisme ou la guerre de l’information, ce qui signifiait qu’il se trouve qu’ils manquaient quelque peu de capacité de combat. Cela étant dit, c’était quelque chose qui pourrait facilement être corrigé par l’entraînement. C’était malheureux, mais dans tous les cas, ils n’avaient pas perdu la vie dans la rencontre.

Je n’avais pas pu m’empêcher d’avoir des doutes quant à la présentation de ce train d’événements à Raiz. Peut-être n’avait-il rien fait d’autre que de s’ajouter à ses inquiétudes. Juste pour être sûr, j’avais déplacé mon regard vers lui.

« … Tu sais, Rentt, je me sens stupide de m’inquiéter. Même si je ne suis pas si fort que ça… Je ne perdrais pas aussi facilement, hein ? » déclara Raiz.

Il avait un optimisme inattendu. Si l’on pouvait dire que la déclaration de Raiz était audacieuse, ce n’était pas exactement le cas. Raiz et Laura étaient tous deux très habiles pour leur âge, même parmi les nombreux aventuriers présents dans ce test. En fait, ils en avaient plus qu’assez en termes de capacité et de puissance pour réussir le test tout seuls, et je pouvais supposer sans risque de me tromper qu’ils se trouvaient déjà dans la partie supérieure de leur classe d’aventuriers. C’est pourquoi j’avais gardé le silence sur la force relative du boss dans cette pièce, car il vaudrait mieux que les deux le remarquent par eux-mêmes.

Le moral remonté, je supposais qu’ils ne risquaient plus de se paralyser devant le monstre en question.

« … Eh bien, alors. Devrions-nous… y, aller ? Il est… debout… devant toi, » déclarai-je.

En les regardant maintenant, on pouvait difficilement dire que les deux étaient inquiets il y a quelques minutes à peine.

« Ouais ! Je ne perdrai pas, pas comme eux ! »

« Oui ! Et si on leur racontait plus tard comment on a réussi ? » s’exclamèrent Raiz et Laura, levant leurs armes en l’air.

◆◇◆◇◆

Cependant, je dois dire que les choses ne s’étaient certainement pas déroulées comme prévu. En entrant dans la salle du boss, je n’avais pas pu m’empêcher d’être un peu déçu en posant les yeux sur le monstre qui nous attendait.

Si le monstre en question avait déjà été vaincu, il faudrait un certain temps pour qu’il réapparaisse. Nous pourrions donc franchir ce point sans encombre. Les conditions du test, après tout, devaient simplement « atteindre un certain point ».

Bien qu’il y ait effectivement un monstre dans cette salle du boss, et il était vrai qu’on ne pouvait pas passer par ici sans le vaincre d’abord, la guilde n’avait pas interdit aux individus de passer par cette salle sans avoir personnellement vaincu ledit monstre. Au lieu de cela, ils avaient gardé le silence sur ce point, une échappatoire qui pourrait être utilisée par ceux qui étaient au courant.

Personnellement, j’aurais préféré un tel résultat, d’où le fait que j’avais laissé passer le groupe qui nous précédait. Pour les gens aux yeux vaillants comme Raiz et Laura, je suppose que ce genre de comportement sans scrupules ébranlerait leur esprit aventurier jusqu’au fond. À la lumière de cela, j’avais gardé le silence, ne voulant pas briser leurs idéaux.

Si le groupe devant nous avait vaincu le monstre, je l’aurais simplement fait passer pour une heureuse coïncidence. En réalité, cependant, rien ne s’était déroulé comme prévu. Je suppose que quelqu’un quelque part aurait une opinion sur tout cela, quelque chose sur la façon dont on doit faire beaucoup de travail dans sa vie. Peut-être qu’il y avait du mérite à cela, mais pour l’instant, j’avais mis de côté mes pensées.

Le monstre au milieu de la pièce était un monstre familier, familier, mais rare d’une manière assez spécifique.

« … Un slime ? Non, un… Grand Slime… ? » chuchota Raiz, apparemment ému par sa circonférence majestueuse.

Malgré les paroles de Raiz, son épée avait été dégainée, sa position stable. Il était prêt à tout mouvement soudain et à toute attaque, Laura était dans la même situation.

Ce slime particulier était peut-être plusieurs fois plus gros qu’un slime normal. Les aventuriers, à leur tour, l’appelaient simplement Grand Slime, un monstre de classe supérieure d’une menace considérable.

Bien que les Géants Slimes aient souvent été vus en train de se balader par hasard sur les sols plus profonds d’un donjon, ils apparaissaient parfois sur des étages moins profonds comme des monstres de type boss. Il était, pour sa part, suffisamment intimidant, avec sa grande taille infligeant la peur dans le cœur des aventuriers. Un monstre de cette nature était résistant aux attaques physiques et encore plus vulnérable à la magie. De plus, son volume n’était pas simplement pour le spectacle, si un aventurier se retrouvait dans une position désavantageuse, il pouvait facilement être écrasé en une seconde.

Compte tenu de tous ces facteurs, il n’était pas difficile de comprendre pourquoi l’attitude de la guilde à l’égard des tests de progression était souvent considérée comme mesquine.

La guilde ferait-elle son propre test ? Non, je suppose que non.

Nous avions lentement avancé vers le slime, tout en observant les vibrations silencieuses dans son grand corps. Le slime, étant ce qu’il était, avait l’air assez aimable, mais c’était sans les restes à moitié digérés de proies que l’on trouve habituellement dans les slimes de cette taille. Laura, ayant apparemment des pensées similaires à mesure que nous avancions, commença à murmurer à elle-même.

 

 

« Je voudrais… un jouet en peluche de cette taille… C’est ce que je ressens… en le regardant…, » quelques autres mots avaient été perdus.

J’avais réfléchi aux marmonnements de Laura. Même si on possédait vraiment un tel jouet, trouver l’espace adéquat pour l’entreposer s’avérerait être tout à fait le défi. Est-ce qu’elle songeait à ranger le jouet dans sa chambre louée à l’auberge ?

Finalement, en arrivant au centre de la salle en tant que groupe, le Grand Slime avait tremblé violemment, nous lançant une énorme boule d’acide en guise de réponse. L’attaque d’un slime, l’attaque à l’acide, avait servi à marquer le début de notre défi.

Le jet d’acide était, par approximation visuelle, au moins dix fois plus gros que celui d’un slime normal. Si un aventurier était frappé par ça, les brûlures seraient le cadet de leurs soucis. À l’insu des slimes, nous avions déjà été témoins de cette attaque lorsque le groupe de quatre hommes l’avait engagée au combat, il semblait que c’était une action réflexe des slimes quand quelque chose s’en approchait. Il ne nous avait pas fallu longtemps pour trouver une contre-mesure dans nos discussions limitées, car tant que nous nous éloignions de la trajectoire du projectile d’acide, ce serait une attaque relativement inoffensive.

Cependant, la taille du projectile signifiait qu’il fallait l’esquiver de manière décisive, l’hésitation seule pouvait conduire à un impact partiel. Sur ce point, j’avais dû exprimer mes remerciements au groupe qui s’était présenté devant nous, car il semblerait que nous ayons après tout obtenu d’eux des informations utiles.

Ayant roulé sur le côté, Raiz avait couru vers l’avant, abaissant sans réserve sa lame sur le slime. Bien que les slimes étaient très résistants aux attaques physiques, ils n’étaient en aucun cas invulnérables. Si le noyau qui tourne au milieu de leur corps gélatineux était endommagé, ils mourraient quand même. De ce fait, l’attaque de Raiz avait au moins eu une bonne dose d’intimidation.

En réalité, Raiz visait le cœur du Grand Slime, mais un seul coup n’avait pas suffi pour l’atteindre. Une telle attaque aurait fonctionné dans le cas d’un slime normal, tant et aussi longtemps que sa lame aurait percé son corps et empalé son noyau, le travail serait fait. Ce serait en plus un travail facile.

Cependant, un slime de cette taille possédait une viscosité plus élevée que d’habitude que ses cousins normaux, et était beaucoup plus résistant aux attaques perçantes. Le volume du grand slime lui donnait aussi une solide défense contre les attaques perçantes, un coup qui n’avait pas assez de force en lui ne lui transpercerait jamais le cœur.

Raiz, ayant échoué dans sa tentative, fut rapidement envoyé en vol plané par une protubérance en forme de main qui s’étira du corps géant du slime.

***

Partie 10

Et c’est ainsi que Raiz avait été envoyé à plusieurs reprises voler par le bras de fortune du Grand Slime. Nous avions tous notre rôle, si l’on devait remettre en question le mien, c’était celui d’être le bouclier de Laura. Plus précisément, j’étais chargé de distraire le slime pendant que Laura incantait ses sorts. La magie était après tout la plus grande vraie faiblesse d’un slime. Au cours d’une telle rencontre, un guerrier de première ligne comme moi occupait le slime pendant que le mage du groupe exerçait sa magie sur le slime.

Alors qu’en premier lieu, j’avais l’intention de jouer un tel rôle, Raiz avait lui-même insisté sur le rôle de tourmenteur du slime lors de notre discussion avant rencontre, se portant volontaire pour attaquer le slime afin d’attirer son attention.

Je suppose qu’il y avait beaucoup de raisons pour le soudain changement d’avis de Raiz. Ce n’était certainement pas une tâche facile à faire seule. Si je devais spéculer, Raiz, qui avait maintenant honte de la façon dont il s’était comporté lorsqu’il avait posé les yeux sur une version plus grande d’un monstre ordinaire, cherchait à se racheter. Plus précisément, il était déçu de son incapacité à mesurer avec précision la force du monstre par rapport à la sienne. En réponse, il s’était décidé à se battre, contre ce slime, dans le seul but d’accumuler le plus d’expérience possible au combat pour ne pas réagir de la même façon la prochaine fois qu’il rencontrerait un tel monstre. Si quelque chose tournait mal, le personnel de la guilde interviendrait sûrement. C’était un bien meilleur arrangement que de risquer sa vie dans une rencontre non supervisée.

Une bonne décision.

Cependant, s’attendre à ce que la guilde intervienne et vienne en aide en cas de problème serait indigne d’un aventurier, mais on pouvait voir que ce n’était pas le cas pour Raiz.

Il poignardait et frappait le slime désespérément. Le slime était, comparativement, beaucoup plus grand et plus fort que lui. Raiz, pour sa part, avait fait ce qu’il avait pu pour distraire le slime, en essayant de le frapper au cœur à chaque mouvement. Il avait tiré le meilleur parti de la situation et avait choisi de faire ce qu’il était capable de faire à ce moment-là.

Je ne pouvais pas reprocher à Raiz les développements qui avaient suivi, à savoir le Grand Slime qui avait roulé vers lui dans une contre-attaque après l’avoir lancé avec son appendice en forme de main une fois encore. Raiz n’avait tout simplement pas assez d’expérience, et le Grand Slime était beaucoup plus fort que lui — c’était tout ce qu’il y avait à faire.

Je ne pouvais pas m’asseoir et regarder Raiz se faire avaler par le slime, alors je m’étais retourné, jetant un coup d’œil à Laura. Ses yeux m’avaient dit tout ce que j’avais besoin de savoir, je suppose qu’elle avait l’assurance d’esquiver même si le slime lui arrivait dessus.

En frappant mon pied sur le sol, je m’étais précipité vers Raiz et le slime, ce dernier s’approchant dangereusement de mon compagnon.

Le slime ressemblait à une tache visqueuse sous tous les angles, mais j’avais personnellement considéré son « dos » comme la direction opposée à celle où le slime s’avançait. En rattrapant la paire, j’avais promptement mis en position mon épée, puis en lui effectuant une frappe horizontale dans le dos. Avec une tache humide qui n’était ni liquide ni solide, une partie du slime s’était délogée dans la direction générale de ma lame, tombant sur le sol de la pièce.

Bien que je sois beaucoup plus fort que dans la vie, je ne sentais pas une grande différence en termes de résistance, Grand Slime ou pas. Malgré tout, je n’avais pas réussi à atteindre le cœur du slime avec seulement quelques coups d’épée.

Le noyau d’un Grand Slime lui-même était différent de celui de ses petits cousins : il possédait une plus grande résistance, tournant à une vitesse beaucoup plus rapide pour développer sa résistance interne contre les instruments à lames et autres attaques en mêlée. Mais si l’on avait la précision ou la force adéquate, on pourrait facilement percer ledit noyau indépendamment de ses défenses. Cependant, ces deux options ne m’étaient pas offertes, comme j’étais à l’heure actuelle. Tout ce que je pouvais faire à ce moment-là, c’était détourner l’attention du Grand Slime de Raiz et Laura, et il semblerait que mon attaque ait fait exactement cela.

Comme s’il répondait au coup, le noyau du slime avait tourné dans une autre direction, faisant rouler tout son corps vers moi à la place. Comme je le pensais, le concept de direction était relativement fluide quand il s’agissait de slimes. Peut-être le noyau lui-même était-il responsable de son orientation générale ?

J’avais fait une note mentale pour demander ceci à Lorraine, la Grande Érudite résidente, après mon retour de ce test, tout en me retirant loin du slime alors qu’il me pourchassait. Je m’étais assuré de partir dans une direction opposée à celle de Raiz et Laura.

Avec une vitesse à couper le souffle que l’on n’aurait jamais cru possible pour un slime, le monstre gélatineux s’était dirigé vers moi. Plus que n’importe qui d’autre, j’étais conscient de l’espace limité dans cette pièce, on ne pourrait pas s’échapper indéfiniment. Mais je n’avais pas l’intention de m’échapper, car ce n’était pas nécessaire.

Après s’être remis de ses efforts précédents, Raiz avait préparé sa lame une fois de plus, se précipitant vers le slime, maintenant distrait. Se positionnant directement en face de moi, Raiz avait infusé son aura d’esprit dans sa lame et l’avait planté dans la masse ondoyante du Grand Slime.

Maintenant attaqué simultanément par l’avant et par l’arrière, le Grand Slime, comme exaspéré, avait à nouveau frémi intensément. Peu de temps après, nous regardions tous les deux des appendices familiers, semblables à ceux d’une main, le slime ayant jugé bon d’en produire deux à la fois en réponse à nos coups. C’était exactement le même type de bras qui avait envoyé Raiz voler plus tôt, mais la vitesse des appendices était maintenant nettement plus lente, probablement à cause de la contrainte de maintenir deux projections de ce type à la fois.

Raiz, pour sa part, était maintenant capable d’esquiver les attaques au bras du slime.

De l’autre côté du slime, je n’avais presque pas eu de problèmes à suivre le bras oscillant du slime. Peut-être même que je pourrais me battre seul contre ce slime actuellement. Mais je ne serais pas en mesure de porter un coup décisif et cela finirait par être une bataille d’attrition qui deviendrait rapidement fatigante.

Je suppose qu’il y avait du mérite à perfectionner un ensemble particulier de compétences, en particulier, mes compétences avec la magie d’attaque. Encore un autre sujet à discuter avec Lorraine à mon retour.

« Je suis prête ! » déclara Laura.

L’écho de l’exclamation résonnait dans la pièce. Laura semblait en avoir fini avec son incantation, la même incantation pour un sort qu’elle tisse depuis le début de cette rencontre.

Des sorts simples et similaires pouvaient souvent être exécutés avec des chants courts. Pour faire face à un adversaire fort, comme ce Grand Slime, il allait sans dire qu’un sort plus puissant était nécessaire. C’est pourquoi Raiz et moi avions fait gagner à Laura le temps dont elle avait besoin. Alors que j’étais censé avoir protégé Laura des attaques du slime, j’avais fini par me joindre à la mêlée, tant la nature imprévisible des batailles de boss s’était fait sentir.

Tout est bien qui finit bien, je suppose que c’est un peu trop tôt pour le dire, mais en ce qui me concerne, le combat était terminé.

Au signal de Laura, Raiz et moi avions sauté en arrière, nous nous étions désengagés du slime. Je n’étais pas sûr que Laura ait eu le luxe de s’assurer que nous n’étions plus dans le rayon de l’explosion, mais avant que je m’en rende compte, elle était déjà debout devant le slime, le bâton levé. Avec une grande respiration, Laura prononça les derniers mots de son sort.

« GRAND ! PROX !! »

Avec ces mots, de grands jets de feu plusieurs fois plus grands qu’elles surgirent de la pointe du bâton de Laura. Les vrilles flamboyantes du sort s’élancèrent vers le slime à une vitesse fulgurante.

Alors qu’un Grand Slime se serrait et se tordrait pour éviter une telle attaque, celui-ci, distrait par Raiz et moi pendant tout ce temps, n’avait pas réussi une telle manœuvre. L’instant d’après, le Grand Slime s’était retrouvé plongé dans une mer de flammes, après avoir subi de plein fouet l’attaque de Laura.

Bien que le slime ait été à peine blessé par les tranchants de nos lames, il n’avait pas de mécanisme de défense contre la magie. La frappe avait fait fondre une grande partie de son corps, exposant momentanément son noyau. S’il était laissé seul dans cet état, le slime se régénérerait rapidement, effaçant ainsi toute trace de dommages causés à lui-même. C’est peut-être ce qui avait rendu les slimes monstrueux et intimidant, mais encore une fois, ce n’était guère une menace pour nous dans cet état.

Hochant la tête en signe d’approbation à Raiz, j’avais regardé dans la direction du noyau exposé du slime. Nous avions tous les deux compris ce qu’il fallait faire.

La fin d’un monstre de type boss était considérée comme un exploit héroïque par les aventuriers. Semblant quelque peu réticent à le faire, Raiz hésita, comme s’il doutait de sa propre contribution à la bataille. Il avait préparé sa lame, se précipitant vers le slime alors qu’il poussait l’instrument proprement à travers son noyau exposé. Dès l’instant suivant, la tension qui retenait le corps du Grand Slime s’était dissipée, le faisant perdre sa forme. Le Grand Slime, en train de s’effondrer, n’était plus qu’une flaque de liquide et quelques fragments gélatineux.

Le donjon récupérerait après un certain temps ses habitants morts. J’avais cependant d’autres idées, retirant quelques flacons coniques familiers des profondeurs de ma poche enchantée. En remettant un à Laura et un à Raiz, je m’étais tourné vers eux et leur avais donné une explication.

« Les fluides… d’un slime limpide… comme celui-ci… ont une valeur… pas mal d’argent. Vous devriez… prends-en un peu, aussi, » déclarai-je.

Ils s’attendaient probablement à une sorte de célébration, alors que Raiz et Laura me regardaient avec des expressions vides, déconcertés par mes paroles.

« … Même si nous devions… séparez-les. Il y aurait encore beaucoup… Pour chacun d’entre nous. Nous allons nous séparer… les récompenses. Et nous achetons nous-mêmes… Un bon repas, » déclarai-je.

Les deux, maintenant suffisamment convaincus que la masse sans vie qui les précédait valait son pesant d’or, se mirent rapidement à genoux, ramassant les liquides du slime avec les fioles que j’avais fournies dans leur main. Je suppose que leur naïveté les rendait adorables à leur façon.

***

Partie 11

Pendant que nous étions occupés à ramasser les restes du Grand Slime mort, un groupe d’aventuriers nous avait dépassés. Je suppose qu’ils avaient attendu dans l’ombre pendant tout ce temps, avec l’intention de passer par la salle du boss sans trop d’efforts, après qu’un autre groupe eut vaincu le monstre à l’intérieur.

Un choix judicieux. Ils deviendraient un jour de bons aventuriers, car il y avait une certaine ruse que les aventuriers devaient posséder.

Cependant, Raiz avait jeté un regard très désagréable sur les aventuriers. Peut-être voulait-il leur faire la leçon sur l’injustice perçue de cette situation et d’autres problèmes, Laura, d’autre part, avait simplement souri, tapant Raiz plusieurs fois sur l’épaule.

Laura, qui était beaucoup plus rapide à comprendre, avait déjà réalisé quelques-unes des nombreuses règles non dites de l’aventurier, et elle ne semblait pas trop gênée par un groupe qui progressait sur le dos de nos efforts. Je ne les laissais pas simplement passer devant nous sans raison valable, et je ne le faisais pas par charité. Les règles du test stipulaient que le premier groupe à atteindre le point désigné l’emporterait, mais il était toujours dans mon intérêt de leur permettre de passer devant.

La raison en était simple, et si mes approximations étaient exactes, elles seraient bientôt démontrées. Le chef du groupe qui attendait, pour sa part, conduisait ses compagnons hors de la salle avec le sourire aux lèvres. C’était un sourire de satisfaction d’avoir atteint son but après avoir travaillé dur. Les autres membres de son groupe étaient dans le même cas.

Mais dès qu’ils avaient franchi le seuil de la salle du boss…

Pssht !

Avec le bruit de l’air qui s’échappait, un flot constant de fumée avait englouti leur groupe, embuant le long de la porte au loin.

Un piège — encore une autre machination de la guilde.

« … Comme je… le pensais, » déclarai-je, me relevant.

Laura s’était tournée vers moi pour obtenir des réponses.

« Tu savais que ça arriverait, Rentt ? » demanda Laura.

« … Oui. Être devant… se but, c’est… la deuxième chose la plus dangereuse. Quand il… s’agit de… l’exploration… d’un donjon. La première est… de baisser… la garde, » déclarai-je.

« … Je suppose que c’est exact…, » Laura hocha la tête en entendant mes paroles.

Cependant, Raiz fixa les aventuriers envahis par la fumée avec un regard perplexe clairement visible sur son visage. Cette même fumée rampait maintenant vers le centre de la pièce, et par extension, vers nous.

« Oh… Laura. Pourrais-tu… dissiper ça… avec un peu… de magie du vent ? » demandai-je.

« Oui, bien sûr, bien sûr. Ce serait la meilleure façon de procéder… Bourrasque ! »

En un seul mot, un vent chaud, mais régulier, soufflait de l’extrémité du bâton de Laura, dispersant la fumée rampante. Bien que le sort ne soit pas assez puissant pour attaquer les monstres, il était assez facile à contrôler et à maîtriser. Assez rapidement, le gaz en question avait été introduit dans un coin éloigné de la salle du boss.

Alors que nous avions évité le piège en toute sécurité avec ce geste, c’était les aventuriers à l’entrée de la porte, qui avaient été pris au dépourvu, qui avaient été les plus touchés par la fumée. Dans des circonstances normales, nous aurions dû dissiper la fumée immédiatement, mais Laura n’était pas exactement en pleine forme. C’était peut-être dû à notre bataille intense, ou aux effets des petites quantités de gaz qui avaient réussi à nous atteindre, mais elle avait même de la difficulté à maintenir la lumière sur le bâton, indépendamment de ses talents innés en magie.

Peu de temps après, la fumée s’était dissipée.

« Tu… Tu vois…, c’était ce genre… de piège, » déclarai-je.

« Du gaz somnifère… ou quelque chose comme ça. Comme c’est effrayant… S’ils étaient attaqués maintenant, ce serait fini, » déclara Laura, en regardant les aventuriers au sol. Chacun d’eux dormait maintenant profondément sur le sol du donjon, une vue qui fut visible dans la fumée qui se dissipait.

Laura, pour sa part, n’avait toujours pas baissé la garde. Malgré sa fatigue, elle avait déjà lancé quelques sorts pour faire face à d’autres pièges à fumée potentiels. Moi, par contre, j’avais enchanté mon corps avec le sort du Bouclier, en gardant l’œil ouvert et en tenant ma lame pour voir s’il y avait des monstres ou des menaces imminentes.

Raiz, regardant les aventuriers endormis, marmonna à lui-même. « … Si nous avions continué, aurions-nous fini comme ça aussi… ? »

L’incident semblait avoir insufflé une certaine capacité de réflexion à Raiz. J’avais acquiescé en réponse à sa question.

« J’en ai… bien peur. Alors, avec ces… personnes, il suffit de passer… au bon moment, » déclarai-je.

On pourrait dire que c’était inhumain, injuste même. Cependant, ces mêmes aventuriers n’avaient pas hésité à nous utiliser pour vaincre le boss avant de progresser. Par cette vertu, l’action de nous les utilisant pour activer un piège devrait être pardonnée, si ce n’était pas permis en premier lieu.

« Argh, alors dis-le-moi à l’avance…, » Raiz grogna.

« … Si tu peux… penser… par toi-même… pour arriver à… une conclusion… alors tu auras progressé en… devenant un meilleur aventurier. Eh bien… Dans ton cas, Raiz… tu as… Laura. C’est peut-être… très bien ainsi, » déclarai-je.

Bien que je ne voulais pas que Raiz perde soudainement toute son innocence et devienne cynique, il était clair que la nature simple de Raiz allait un jour devenir un obstacle à leur développement. Heureusement pour lui, Laura semblait comprendre mes leçons relativement bien. Elle avait déjà compris le concept de méfiance à l’égard d’autres individus, aventuriers ou non.

Je suppose qu’il y avait toujours l’option de laisser toute la réflexion à Laura, avec Raiz se battant simplement sur les lignes de front. Mais j’espérais au moins que Raiz aurait un jour la capacité de comprendre les nombreuses pensées qui passaient sans aucun doute par l’esprit de Laura.

Exprimant mon point de vue à Raiz, il était d’accord, mais un peu penaud.

« Je suppose… Hé, Laura, je ne suis pas très doué pour ce travail de réflexion… Mais si tu penses que je devrais savoir quelque chose, dis-le-moi, et je ferai ce que je peux pour y penser moi-même, » déclara Raiz.

« Bien sûr que oui. Mais Raiz… tu n’as pas besoin de te pousser à réfléchir trop fort. Je travaillerai dur pour toi aussi, » déclara Laura.

En regardant les deux aventuriers, qui avaient tous les deux le sourire aux lèvres, je ne pouvais m’empêcher de me souvenir aussi de ma jeunesse. Mais je n’avais pas une fille de mon âge qui m’accompagnait dans mes aventures à l’époque.

Lorraine… ?

Possiblement… Oui, elle m’avait accompagné, mais cette comparaison n’était pas tout à fait juste. Lorraine et moi étions relativement… Peut-être que pur n’était pas le bon mot ici. En tout cas, nous étions nous-mêmes des individus problématiques et étranges.

Quoi qu’il en soit, nous devions encore terminer le reste de notre voyage.

« … Eh bien. Nous devrions… partir bientôt. Je suppose que… il n’y a plus de pièges. Néanmoins…, nous devrions encore… avancer prudemment, » déclarai-je.

Les deux hochèrent la tête en entendant mes paroles. Leur détermination était inscrite sur leurs visages. Laura et Raiz n’avaient pas envie d’échouer à quelques pas de la ligne d’arrivée. Bien qu’ils ressemblaient à n’importe quel autre aventurier simple d’esprit lorsque nous avons mis les pieds dans les couloirs de la Nouvelle Lune, ils avaient maintenant l’air plus endurcis, mais pas encore expérimentés.

Une croissance respectable en si peu de temps, si j’ose dire.

◆◇◆◇◆

« Content que vous ayez pu venir ! Vous êtes tous là pour l’Examen de la classe Bronze, non ? Félicitations ! Vous êtes le premier groupe à arriver ici, » déclara l’homme, apparemment un membre de la Guilde des Aventuriers.

Je l’avais observé, mais je n’avais pas trouvé de points bizarres, son expression ne semblait pas non plus contre nature. Juste pour être sûr, j’avais demandé sa carte d’identité délivrée par la guilde. En vérifiant que c’était bien réel, j’avais soupiré, pensant que c’était la fin du test. Avec cela, il n’y aurait plus de pièges, et nous pourrions enfin pousser un soupir de soulagement collectif.

En voyant ma réaction, le membre du personnel avait ri. « Haha ! Vous êtes doué, hein ? Je suppose que vous en avez assez fait de tout ça… Mais oui, c’est le point désigné. »

« Alors… On a fini ? On a réussi le test ? » demanda Raiz.

« Eh bien… techniquement. Je ne dirai cependant pas que nous n’avons rien d’autre dans nos manches… Quoi qu’il en soit, voici les badges qui prouvent que vous êtes arrivé à cet endroit. En voici une pour vous… et vous… et vous. Trois au total pour vous trois. Remettez ceci à la réceptionniste de la guilde à Maalt, et vous serez tous les trois officiellement promus en classe Bronze. »

En comptant les badges en question, le membre du personnel les avait distribués. C’était des petites choses en métal, pas plus grosses qu’un petit doigt. Cela aussi était probablement intentionnel, car c’était un objet facile à perdre, et nous devions le protéger avec nos vies… ou le manipuler avec grand soin.

Bien que la guilde ait mentionné avec désinvolture que la première partie à atteindre ce point « gagne », elle n’avait rien dit au sujet de la réussite du test, mais la formulation était plus gênante de leur part. L’interprétation correcte était que les badges en question devaient être restitués en toute sécurité à la guilde à Maalt.

Laura, comme si elle se souvenait des paroles de Sheila, pensa à voix haute à elle-même. « … Maintenant que j’y pense, c’était une sorte de compétition, alors nous avons dû arriver ici avant tout le monde pour gagner… »

« Ah, oui, oui. Puisque vous êtes les premiers ici, la guilde a décidé de vous remettre des articles promotionnels, pour reconnaître votre victoire sur vos pairs. Il y en a assez pour tout le monde — c’est parti. »

En disant cela, le membre du personnel nous avait offert à chacun une potion de guérison, en plus d’une poche à objets pratique faite de cuir avec une courroie cousue afin qu’elle puisse être attachée à sa taille ou à sa cuisse. Il se trouve que le support était de la taille parfaite pour la potion que nous venions de recevoir. Les potions et les porte-objets comme ceux-ci étaient des objets importants pour les aventuriers. Cependant, ils étaient chers, coûtant plusieurs pièces d’argent par unité. Les aventuriers qui en étaient à leurs débuts devaient sans aucun doute épargner pour de tels achats.

Laura et Raiz étaient suffisamment heureux d’avoir reçu des objets de valeur comme prix. Laura, cependant, avait reçu les articles avec un sourire un peu compliqué sur son visage.

« Comme je le pensais… Nous ne passons pas juste parce que nous avons gagné, n’est-ce pas… ? » Sa voix était à peine audible.

« Eh !? » Les yeux de Raiz s’ouvrirent en grand face à cette réalisation. Il s’était rapidement rétabli, posant une main sur son menton en pensant à la situation.

« … Ah… La dame de la guilde a dit que nous gagnons… si nous arrivons ici… pas “nous passons”… Argh, quel mauvais tour… ! » déclara Raiz.

Il semblerait que Raiz ait accepté ses pensées.

Personnellement, je ne pensais pas que le tour en question était trop mesquin ou difficile. Il fallait s’y attendre pour un test de progression de ce calibre, les aventuriers de la classe Bronze étaient censés savoir comment s’y prendre. C’est dans ce but que ce test avait été conçu, afin que les aventuriers participants puissent en tirer les leçons adéquates.

Beaucoup des pièges qui avaient été tendus pouvaient facilement être évités à condition d’y avoir réfléchi. J’avais pu en déduire que des pièges plus graves et plus débilitants avaient été tendus dans des tests de rang supérieur. Ces tests avaient été mis en place pour s’assurer que leurs participants échoueraient, et les mesures prises avaient été assez spectaculaires en soi. Comparé à cela, le test de progression de la classe Bronze était facile.

En tout cas, le test en question était une étape importante dans la vie d’un aventurier. À la fin de la journée, ils devaient repartir avec une meilleure compréhension de ce qu’il leur faudrait dans leur carrière d’aventuriers à partir de maintenant.

« Je vois que vous avez tout compris ! C’est comme vous dites. Mais, vous avez tous traversé beaucoup de choses pour en arriver là. Pour le dire franchement, vous en avez tous assez fait pour réussir. L’ordre dans lequel les groupes en sont arrivés à ce stade n’a guère d’importance, si ce n’est de présenter une demande complète avant sa date d’échéance. C’est l’une des bases absolues de l’aventure. Sinon, tout est permis. Enfin… presque tout, » déclara l’homme.

En gros, si nous étions arrivés ici à la dernière seconde, nous nous serions quand même qualifiés. Le test comportait de nombreux points ennuyeux, mais au fond, c’était une affaire simple.

En entendant ces paroles, Raiz et Laura soupirèrent tous les deux, évidemment soulagés. Ayant éprouvé un sentiment similaire pendant mon temps, je n’avais pas pu m’empêcher d’être un peu nostalgique.

Après ça, le membre du personnel avait souri, faisant ses adieux. « Eh bien ! Bon travail jusqu’ici. Vous avez tous travaillé dur. Tout ce que vous avez à faire maintenant est de rapporter vos résultats à la guilde de Maalt. Soyez prudent sur le chemin du retour. »

Aucun d’entre nous présent n’avait pris les paroles du membre du personnel au pied de la lettre. Bien sûr, il y avait des pièges et d’autres choses du genre qui nous attendaient sur le chemin du retour. Ayant fait tout ce chemin, il serait étrange que nous ne nous attendions pas à cela. C’était le sens que nous avions saisi au-delà du sourire amical du membre du personnel.

***

Partie 12

« URRAAAAHHH ! »

Raiz avait réagi, presque instantanément, en fronçant les sourcils lorsqu’une voix forte se fit entendre à ses côtés.

« … Je t’attendais ! PRENDS ÇA ! » Avec une réplique furieuse, Raiz déplaça sa lame, assommant parfaitement son agresseur.

« Comme prévu, il y avait un piège ici aussi…, » déclara Laura, avec un regard exaspéré présent sur son visage.

Je ne pouvais pas lui en vouloir puisque nous étions à l’entrée du Donjon de la Nouvelle Lune. En surmontant diverses autres épreuves et tribulations, nous avions finalement réussi à revenir à ce point.

Mais immédiatement après que nous étions sortis au grand jour, un autre des hommes de main de la guilde était sur nous, et Raiz avait réagi en conséquence. Un autre piège de la guilde, bien sûr.

« Ça ne s’arrête pas tant qu’on n’a pas communiqué nos résultats à la guilde, n’est-ce pas ? » demanda Raiz.

Toute cette expérience s’était révélée extrêmement instructive pour Raiz : il n’hésitait plus et ne déplorait plus les réalités de sa situation. Cependant, il en avait assez des tours de passe-passe de la guilde, cela s’écrivait clairement sur son visage.

Comme prévu, nous avions rencontré beaucoup d’autres événements similaires sur le chemin du retour à Maalt. Après avoir vu d’innombrables pièges et survécu à de multiples embuscades jusque-là, le sourire de l’employé de la guilde avait scellé le changement chez Raiz. Plus que jamais, il avait compris ce qu’il fallait faire et le fait que ce n’était pas bon pour lui de faire trop confiance aux autres à partir de maintenant.

« … Mais… n’avons-nous pas atteint la fin ? Tout est fini maintenant… n’est-ce pas… ? » demanda Laura, sa voix teintait d’incertitude alors que nous nous tenions devant l’arrêt pour la diligence.

S’ils baissaient leur garde et ne surveillaient pas de près le cocher, il y avait une possibilité qu’ils puissent être transportés ailleurs.

« Impossible… il faut aussi… penser au chariot… non ? » répondis-je.

« Ça veut dire qu’on ne peut pas se détendre tant qu’on n’est pas de retour à Maalt… Non, retour au comptoir d’accueil de la guilde…, » déclara Raiz.

Comme on pouvait s’y attendre, ils étaient raisonnablement exaspérés. Bien que je comprenais ce qu’ils ressentaient, c’était précisément pour cela que le test avait été conçu. Pour évaluer avec précision le potentiel d’une personne, il lui faudrait surmonter de très nombreuses épreuves.

Cela étant dit, je ne pensais pas que la guilde ait d’autres pièges et embuscades à l’affût. Après avoir fait tout ce chemin, les chances que nous échouions étaient proches de zéro.

Mais bien sûr… c’était ce que la guilde voulait qu’on pense. J’avais décidé de ne pas baisser ma garde.

« … Si vous… restez vigilants et prudents… à l’avenir…, alors… vous iriez probablement… bien tous les deux. Alors… Allez-y ainsi, » déclarai-je.

Les deux autres avaient répondu à mes paroles avec des expressions étonnées, apparemment, ils ne s’attendaient pas à des éloges de la part d’une personne comme moi.

« Hé, Rentt nous a félicités ! »

« … C’est un peu embarrassant, » avaient dit Raiz et Laura en riant.

Leur embarras, apparemment contagieux, m’avait poussé à accélérer ma démarche.

◆◇◆◇◆

Après cette interaction, notre groupe avait progressé prudemment, mais sûrement. Finalement, notre retour à Maalt s’était déroulé sans incident. Le cocher, étant le même individu qui nous avait transportés ici, nous avait souri en nous rassurant sur un voyage relativement sans incident après avoir jeté un coup d’œil à mon masque. Comme promis, il nous avait ramenés à Maalt sain et sauf. Alors qu’il y avait des gens qui agissaient de façon suspecte autour de nous à Maalt, nos actions et nos mouvements indiquaient que nous étions suffisamment vigilants. Comprenant cela, les individus en question s’étaient rapidement dispersés, laissant le chemin libre jusqu’à la guilde.

Ces personnes avaient également été embauchées par la guilde. Ils étaient chargés de voler les badges des aventuriers assez stupides pour baisser la garde dès leur retour à Maalt. Contrairement à leurs collègues du donjon, ils étaient simplement chargés de voler, et non d’attaquer à tout va, même la guilde avait un cœur, du moins pour les candidats qui avaient réussi jusque-là.

Peu de temps après, nous avions finalement atteint notre objectif : nous nous tenions maintenant devant la Guilde des Aventuriers.

« … Ce n’était qu’un court laps de temps, mais c’était comme une éternité…, » déclara Raiz, avec une expression et un ton de voix qui convenaient à peine à son âge.

« C’est étrange, non ? Regarder ce bâtiment une fois de plus… J’ai l’impression que ça fait longtemps, » Laura, apparemment d’humeur similaire, avait exactement la même expression que Raiz.

Cependant, je n’avais pas eu le temps de les rejoindre émotionnellement quand à tout cela.

« … Allons-y, » dis-je, en entrant immédiatement dans les couloirs de la guilde.

Les deux m’avaient rapidement suivi à la hâte, apparemment déjà habitués à mes habitudes. Leur comportement me donnait l’impression d’avoir envie de m’aventurer dans leur groupe de temps en temps, ce n’était pas si mal.

« … Je veux vérifier. Est-ce ici qu’on dépose les badges ? » demanda Raiz, une abondance de prudence dans sa voix et ses manières. Sheila, amusée à juste titre, regarda Raiz avec un scintillement dans les yeux et un sourire sur son visage.

« Hahaha. Je vois que vous avez grandi ! Oui, c’est l’endroit, » répondit Sheila.

Sans plus attendre, nous avions tous les trois remis nos badges à Sheila, qui avait procédé à la vérification de chacun d’entre eux, en tenant les petits objets métalliques à son œil.

« … Oui. Félicitations ! À partir de ce moment, le test de progression de la classe Bronze est vraiment terminé ! » déclara Sheila, avant qu’elle commence à applaudir.

Le son avait incité tous les aventuriers dans les couloirs de la guilde à se joindre à nous, en riant et en applaudissant notre succès. C’était une atmosphère chaleureuse et paisible, car eux aussi comprenaient l’importance d’un tel test. Leurs applaudissements et leurs acclamations avaient témoigné de l’acceptation et des félicitations bien méritées pour leurs cadets.

Ceux qui n’avaient pas réussi le test étaient également présents, mais leurs expressions étaient quelque peu contradictoires. Après cela, ils avaient compris à quoi s’attendre lorsqu’ils avaient passé leur prochain test, et peut-être qu’un jour, cela sera leur tour d’aller sur le podium.

Bien que l’ensemble de la population de la guilde de Maalt ait été plutôt paisible et accueillante, les aventuriers présents n’étaient pas tous du même caractère. Certains se tenaient dans les coins, nous regardant comme si nous ne méritons pas nos récompenses. Cependant, ils étaient peu nombreux, car la guilde de Maalt était connue pour avoir créé des aventuriers bien élevés. Les brebis galeuses étaient peu nombreuses.

« Alors… sommes-nous maintenant des aventuriers de classe Bronze ? » demanda Raiz.

« Eh bien… »

Alors que Sheila était sur le point de finir sa phrase, un homme était sorti de derrière elle et lui tendit un morceau de papier. En nous regardant, l’homme avait souri en hochant la tête.

« Ces trois-là sont bons. Et voilà leur rapport de leur groupe, » déclara l’homme.

« Ah… Oui. D’accord… Hmm. Pas de problème ici, » déclara Sheila en parcourant le document.

Raiz, ne comprenant pas la vue devant lui, demanda une explication.

« Qu’est-ce qu’il se passe ? » demanda Raiz.

« Euh…, » Sheila, apparemment incapable d’expliquer, garda son silence.

« … Cet homme… était là… avec nous à… nous suivre… depuis le début, » déclarai-je.

« Hein ? »

« Vraiment ? Je ne l’ai pas remarqué du tout…, » dirent les deux, choqués.

L’homme souriant s’était approché de nous en nous offrant une explication.

« Je vous ai observé tout ce temps. Le test n’est pas seulement une question de compétences d’aventurier, nous devons aussi être sûrs de votre caractère. Il n’y a aucun moyen de vous juger pour ce que vous êtes vraiment, seulement votre performance pendant cette épreuve. Eh bien… il y a des cas où nous refusons des promotions si les candidats font quelque chose de vraiment inacceptable… C’est pourquoi je vous suivais et veillais sur vous pendant tout ce temps, » déclara l’homme.

Je m’étais souvenu du groupe d’aventuriers qui s’était précipité dans la salle du boss avant nous. Oui, ce serait très désagréable s’ils avaient aussi progressé en grade. Ils n’étaient qu’un peu rudes sur les bords, donc ils n’avaient pas l’air d’aventuriers qui commettraient des crimes. Le fait que je les aie laissés passer avant nous avait peut-être été mal vu pour notre groupe. Elle pourrait même être interprétée comme le fait que nous observions volontairement la souffrance des autres.

En tout cas, ces quatre-là n’étaient pas trop inquiétants. Ils nous avaient peut-être provoqués, mais ils n’avaient pas donné suite à leurs menaces.

Quant à moi, j’avais dégainé mon épée… Je suppose que le fait de placer sa main sur sa lame n’était qu’une autre menace, il l’aurait abaissée immédiatement si j’avais montré des signes de résistance. Celui qui paraissait être le leader du groupe était calme, presque incroyablement calme, car je tenais le tranchant de ma lame près de son cou. Si l’on observait de près, on pouvait discerner les points les plus fins de leur action.

Je suppose que c’était très bien ainsi.

L’homme avait continué : « Et donc, avec le rapport que j’ai remis à Sheila tout à l’heure… Eh bien, beaucoup de choses sont écrites à propos de votre groupe, mais surtout que vous trois n’avez aucun problème. Le test est centré sur le retour d’un badge en toute sécurité, donc vous trois, qui n’avez pas commis d’actions particulièrement accablantes, êtes tous qualifiés. Donc, en gros… vous trois, vous passez ! Vous avez tous réussi ! »

***

Partie 13

« On a réussi ? NOUS L’AVONS FAIT ! Hé, Laura ! On a réussi !! »

La voix de Raiz, d’abord emplie d’incrédulité, avait lentement augmenté en volume à mesure que la réalité de la situation le frappait. Laura, aussi, avait été bientôt prise dans les célébrations.

« Oui ! On a réussi, Raiz ! Ce n’était pas une erreur d’aller à l’encontre de ce que mes parents ont dit et de quitter le village… ! » déclara Laura, avec une joie évidente dans sa voix.

Cependant, le contenu de son exclamation m’avait laissé quelque peu mal à l’aise, mais c’était une préoccupation pour une autre fois.

À bien y penser, de nombreux aventuriers étaient venus dans des villes comme Maalt pour s’éloigner des villages ruraux. Moi aussi, j’étais l’un d’eux, et j’étais à peine en mesure de faire la leçon à Laura sur ses choix de vie. Le fait qu’ils soient ici aujourd’hui montrait bien qu’ils avaient suffisamment de compétences pour survivre, et c’est tout.

Même si l’on pouvait attribuer une partie de leur succès à la chance, il était indéniable qu’ils avaient réussi à se hisser au rang de classe Bronze en grande partie grâce à leur vertu et à leur dur labeur. En tant qu’aventuriers de classe Bronze, leur capacité de gain s’était considérablement accrue, nettement supérieure à celle de l’aventurier moyen et ordinaire. Même un fermier qui possédait sa propre terre, ses récoltes et ses outils dans un village ne pouvait espérer faire plus qu’un aventurier de ce calibre.

S’ils choisissaient de retourner dans leurs villages à l’avenir, ils pourraient le faire en s’habillant de toutes sortes de parures et de richesses, ce qui était, je suppose, une raison plus que suffisante pour être heureux.

Comme je m’y attendais, j’avais également été satisfait du résultat. J’avais passé la majeure partie de ma vie comme un aventurier de classe Bronze, incapable de progresser davantage. À bien des égards, je connaissais très bien ce grade particulier d’aventurier. Ainsi, je pourrais à nouveau accepter les demandes que j’avais faites dans le passé et travailler à devenir un aventurier de classe Argent, la prochaine étape de ma carrière.

Ma vie actuelle d’aventurier était satisfaisante — non, plus que satisfaisante. Cela pourrait très bien être le sommet de ma carrière, et je continuerais, ne m’arrêtant pas un instant jusqu’à ce que j’atteigne enfin mon objectif d’être un jour de classe Mithril. Ce fut une étape importante dans ma deuxième vie d’aventurier.

Il y avait encore une myriade de problèmes, à savoir mes vêtements d’apparence suspecte, mon masque apparemment immuable et le fait que j’avais actuellement le corps d’un Thrall mort-vivant. Eh bien ! Des obstacles mineurs dans le grand ordre des choses, je devais les voir de cette façon.

Est-ce que c’est vraiment si mal d’avoir un mort vivant dans les rues de Maalt ?

Décidant de réfléchir à ma situation, j’étais resté immobile, pensant aux implications d’un tel événement…

Supposons qu’un Thrall chancelant entre sur la place du marché de Maalt, son corps plein de trous. Il s’arrête ensuite à un stand, engageant le commerçant dans une conversation décontractée.

« Je… voudrais… une pomme, s’il vous plaît… »

« D’accord, c’est parti ! Ce sera une pièce de bronze… Oui, une pièce de bronze. Dis-moi Rentt, tu es encore plein de trous aujourd’hui, n’est-ce pas ? »

« Oui… Je suis… Morts-vivants… Après tout… Ha… Haha… »

« Haha ! Tu me tues, Rentt ! »

C’était probablement ainsi que se déroulerait la conversation.

… Est-ce une si mauvaise chose ?

Ce n’était probablement pas la meilleure des images… mais pas exactement celle qui était fausse de quelque façon que ce soit. Contrairement à la plupart des autres types de morts-vivants, je ne m’étais pas déchaîné pour terroriser les habitants des villes. Emmenez cette vieille dame là-bas — elle s’en soucierait si j’étais un Thrall plein de trous, ou un sac d’os ambulant ? Non. Tout le monde s’en ficherait.

Cependant, pour être réaliste, tout cela se terminerait au moment où quelqu’un crierait et appellerait les gardes. Je dirais alors adieu à cette parole cruelle.

Hahaha…

J’avais du mal à rire des scènes imaginaires de carnage dans mon esprit.

J’avais décidé de mettre ces pensées de côté pour l’instant, car je n’aurais pas grand-chose à craindre si je continuais sur la voie de l’Évolution Existentielle. Si l’on devait croire les études de Lorraine, je pourrais un jour marcher à nouveau dans la lumière. Tout ce que j’avais à faire, c’était de continuer dans mon exploration du donjon. Tant que j’aurais fait ce que j’étais censé faire, je serais capable d’évoluer, de collecter des ingrédients de monstres pour financer mes aventures, de répondre à de nombreuses demandes de clients et finalement de monter au rang d’aventurier.

En effet, je ferais vraiment d’une pierre deux coups, peut-être trois… Enfin, si tout se passe comme prévu.

Plus important encore, je devrais finir le processus de progression de la classe Bronze. Bien que nous étions tous déjà qualifiés, il nous restait encore quelques petits détails à régler. Bien que je connaissais bien ces détails et ces processus, Raiz et Laura ne les connaissaient pas.

Comme si de rien n’était, Sheila s’était tournée vers nous.

« Pour vous trois qui avez passé avec succès à la classe Bronze, un remplacement d’une pièce d’identité émise par la guilde est nécessaire. Pour être précises, vos cartes actuelles de couleur fer seront remplacées par des cartes de couleur bronze, un peu comme celle-ci. »

En disant cela, Sheila tenait dans ses mains ce qui semblait être une carte d’aventurière de la classe Bronze. Le nom inscrit sur ladite carte, cependant, était pour le moins intéressant. Cette carte appartenait à une certaine « Guild Guildar » qui appartenait apparemment à la guilde de l’aventurier de Maalt.

Voyant la confusion sur leurs visages, Sheila avait rapidement proposé un addendum à son explication : « … Bien sûr, il s’agit d’un exemple à titre d’illustration, et la carte appartient à une personne fictive. Mais “Guild Guildar” est la personne fictive officielle que toutes les guildes d’aventuriers utilisent pour annoter leurs cartes échantillons. »

Bien que je ne sois pas du tout intéressé par ce que Sheila avait à dire, ses histoires de Guild Guildar avaient apparemment attiré l’attention de Raiz et Laura. Je suppose que c’était une rareté à leurs yeux, mais n’avaient-ils pas vu ce même nom lorsqu’on leur avait présenté leurs cartes de rang Fer ?

« Ouais, eh bien, je pensais vraiment qu’il y avait quelqu’un qui s’appelait comme ça quelque part quand j’ai reçu ma première carte…, » déclara Raiz, en se grattant la tête.

Je suppose que le membre du personnel qui s’occupait de lui à l’époque n’était pas aussi descriptif que Sheila, ou qu’ils prenaient simplement plaisir à tromper les jeunes aventuriers. Ce n’était pas nécessairement une ruse nuisible ou quelque chose qui entraverait leur carrière.

Sheila avait poursuivi sa phrase.

« Les cartes d’identité de classe bronze et supérieure sont généralement enchantées par certaines magies pour empêcher la falsification, de sorte qu’il vous faudra environ un à deux jours pour recevoir vos documents à jour. Il devrait être prêt le lendemain, mais pour l’instant, vous pouvez continuer à utiliser vos cartes d’identité actuelles. Et ne vous inquiétez pas, vous pourrez quand même accepter des demandes de classe Bronze entre temps, » expliqua Sheila.

Les magies anti-falsification en question n’avaient pas facilité l’identification du titulaire de la carte, mais elles avaient plutôt pour but de dissuader les fraudeurs de prétendre être des aventuriers, de voler des cartes et d’y inscrire leur propre nom. Mais bien sûr, ces magies n’étaient pas imprenables. Si un magicien expérimenté ou autre s’y mettait, il était tout à fait possible de falsifier et d’éditer illégalement des pièces d’identité émises par la guilde. C’était en partie pour cette raison qu’un si grand nombre de personnes suspectes aux antécédents douteux faisaient partie de la liste de la guilde. Cette situation avait fait en sorte que la guilde avait été perçue comme une organisation dont la moralité était douteuse.

Maintenant, ces enchantements anti-falsification étaient devenus plus compliqués avec chaque rang d’aventurier. Par exemple, la carte d’identité de classe Argent de Lorraine, examinée de près par la propriétaire elle-même, avait été jugée falsifiable, à condition qu’on ait le temps et l’argent pour le faire. Il fallait aussi avoir une connaissance adéquate des techniques utilisées. C’était ce que Lorraine avait à dire à ce sujet. Il en va de même pour les cartes de classe Or et Platine.

Les cartes de la classe Mithril, par contre, étaient enchantées par des pouvoirs et des sorts extrêmement puissants au point qu’il était presque impossible de les contrefaire, et encore moins de les modifier. Les aventuriers de classe Mithril étaient des trésors vivants de la guilde, après tout. La guilde ferait tout son possible pour empêcher la falsification illégale de ces cartes.

Mais Lorraine avait déclaré que ce n’était pas tout à fait impossible et qu’elle pourrait probablement faire quelque chose si elle y consacrait suffisamment de temps et de recherches. J’avais rappelé à Lorraine de ne jamais entreprendre une telle tâche, d’autant plus que je n’avais aucune idée de ce qui se passerait si Lorraine décidait un jour de faire une telle carte à cause d’une fantaisie.

Il semblait que Sheila en avait fini avec ses explications maintenant. Bien qu’elle ait eu pas mal de choses à dire, le métier d’un aventurier de classe Bronze ne s’éloignait pas trop de celui de ses homologues de la classe Fer. La principale différence réside dans la nature des demandes reçues. On s’attendait à ce que les aventuriers de classe Bronze s’engagent davantage auprès de leurs clients, en particulier pour les missions nécessitant des escortes actives. Ces aventuriers auraient alors besoin d’apprendre l’étiquette et les lois commerciales appropriées qui régissent la terre.

Tout cela était écrit dans l’épais manuel qui se trouvait sur le comptoir de la réceptionniste. Des cours et d’autres moyens de partager l’information étaient disponibles à la Guilde pour ceux qui en avaient besoin, et à un prix bas et abordable.

Mais je suppose que ce n’était pas le moment. Et plus important encore…

« … Raiz. Laura, » déclarai-je à mes deux compagnons. Bien sûr, ils s’étaient vite tournés vers moi.

Bien qu’ils se soient habitués à moi en relativement peu de temps, leurs visages joyeux n’avaient pas montré un soupçon de compréhension pour ce que j’allais dire. Les coins de mes lèvres étaient courbés vers le bas, mais il n’y avait pas grand-chose à faire. Nous n’étions rien de plus qu’un arrangement de dernière minute pour commencer : deux groupes regroupés par la guilde dans le but exprès de passer le test de progression de la classe Bronze.

Je n’allais pas me plaindre de cet arrangement maintenant de tous les temps, mais au cœur de celui-ci, mes tendances à être seul lors de mes aventures subsistaient. Il était temps pour nous de nous séparer, maintenant que le test était enfin terminé.

« Qu’est-ce qu’il y a, Rentt ? » demanda Raiz.

« Qu’est-ce que c’est ? » demanda Laura.

« … Nous avons… tous travaillé… durement. C’était… amusant. Nous avons… eu nos hauts… et nos bas. Bien que je… ne sache pas… quel genre d’aventuriers…, vous deviendriez… tous les deux…, n’oubliez pas… ce que nous avons… accompli aujourd’hui. Merci beaucoup, » déclarai-je.

Tous les deux ne semblaient pas du tout décontenancés. Plus que surprenant, c’était un calme sentiment d’acceptation. Peut-être qu’ils avaient tous les deux compris que nous devions nous séparer un jour ou l’autre, et m’avaient répondu par des expressions qui étaient un mélange de soulagement et de satisfaction.

« … Non, c’est à nous de le dire, n’est-ce pas ? J’ai l’impression que nous sommes devenus de véritables aventuriers aujourd’hui, et c’est toi qui nous as aidés à y parvenir, Rentt… Je pensais que l’aventure n’était qu’une question de compétence et de pouvoir, mais maintenant je sais que ce n’est pas comme ça. Tu nous l’as appris. Merci, Rentt… C’est moi qui n’oublierai jamais. Je me souviendrai des choses que tu m’as enseignées aujourd’hui et je développerai mes compétences sur cette base. Si jamais nous travaillons ensemble sur une autre mission… Je serais heureux de faire un groupe avec toi à nouveau, » déclara Raiz.

« Monsieur Vivie… Si possible, j’aurais voulu que tu restes avec nous pour toujours… mais ce n’est pas quelque chose que nous devrions dire, n’est-ce pas ? Je crois que je comprends, d’une certaine façon. Je comprends que tu es… différent, Monsieur Vivie. Je ne veux pas dire que tu as l’air différent, mais tes objectifs, ton but, sont différent… C’est comme si tu allais dans un endroit lointain, inconnu de nous… Je suis sûre que tu n’arriverais pas là avec nous, car c’est à toi seul d’y parvenir, » déclara Laura. « Tu nous as appris beaucoup de choses, Monsieur Vivie… Non seulement tu as veillé sur nous au combat, mais tu nous as donné l’occasion de progresser et d’acquérir une expérience précieuse, tout en nous soutenant. De plus… nous savions aussi que nous allions nous séparer une fois le test terminé. Malgré tout, bien que ce groupe soit maintenant terminé et qu’elle n’ait duré qu’une journée, tu seras toujours l’un des membres de notre groupe, Monsieur Vivie. Donc si jamais quelque chose arrive, s’il y a une occasion… s’il te plaît, reviens dans le groupe avec nous, Monsieur Vivie. Merci pour tout. »

J’avais été surpris par leurs paroles. Quand je pense qu’ils avaient compris mes intentions en si peu de temps. Je les considérais comme de jeunes aventuriers que je devais guider, mais ce n’était pas tout à fait juste. Je m’étais souvenu de divers cas où nous avions veillé les uns sur les autres, nous encourageant les uns les autres au fur et à mesure que nous avancions dans notre voyage. Au moins, j’avais maintenant senti les paroles encourageantes de Raiz et Laura me donner une tape rassurante sur le dos.

Un jour, je redeviendrais humain. Je ne pouvais pas perdre cet espoir.

« … Je m’excuse… de ne pas pouvoir… faire un groupe… avec vous, » répondis-je. « Il ne s’agit… pas que je vous… déteste ou… que ce soit… une question de force. J’ai ma… propre situation. Si, un jour… mes problèmes… sont résolus…, alors je vous… en dirai certainement… plus sur moi-même. D’ici là…, nous devrions… tous aspirer à être… de grands aventuriers. »

Après ça, nous avions partagé une poignée de main, tous les deux souriant alors qu’ils tenaient mes mains gantées dans les leurs. Malgré le port de gants, il n’était pas exagéré de penser que mes mains leur semblaient étranges sous le cuir. Malgré cela, ils ne dirent rien, me saisissant fermement les mains.

Je ne pensais pas qu’ils avaient déduit mon état, que j’étais un non-mort. Mais ils comprenaient maintenant que j’avais des circonstances et des problèmes qui m’étaient propres.

Raiz et Laura, ayant finalement terminé tout ce qu’ils avaient à faire, étaient sortis de la salle de guilde, retournant dans leurs chambres louées pour un repos bien mérité. En marchant avec eux jusqu’à l’avant de l’immeuble, je les avais salués avant de tourner pour partir en direction de la maison de Lorraine. Ce faisant, cependant…

« … Monsieur Rentt ! »

Une voix familière avait retenti derrière moi. La voix n’appartenait à personne d’autre que Sheila — et je ne pouvais m’empêcher d’être surpris de ce que j’entendais.

La façon dont elle m’avait appelé, la façon dont elle disait mon prénom — c’était presque comme si elle s’adressait à quelqu’un qu’elle connaissait depuis longtemps…

***

Chapitre 2 : Contrat magique

Partie 1

L’expression de Sheila avait attiré mon attention quand je m’étais retourné. C’était mortellement grave, assez pour que je réalise que quelque chose avait finalement mal tourné. Je n’avais pas l’impression que je pourrais m’en sortir facilement.

N’ayant pas vraiment le choix, je m’étais encore une fois dirigé vers la porte d’entrée de la guilde, m’arrêtant juste devant l’endroit où se tenait Sheila.

« … Aviez-vous besoin de… quelque chose de moi ? » demandai-je.

Même si mon discours était encore quelque peu hésitant, c’était une grande amélioration par rapport aux sons gutturaux que je produisais auparavant pendant mon temps comme Goule.

De même, la voix de Sheila était loin d’être normale. Il était clair qu’elle était troublée, accablée par quelque chose qu’elle ne pouvait pas dire.

« … O-Oui. Il y a quelque chose que j’aimerais vous demander… Si possible, pourriez-vous me suivre dans cette pièce… ? » demanda Sheila.

Il semblait que Sheila n’avait pas l’intention d’en parler en public.

Il y avait plusieurs façons d’interpréter cela : au moins, elle voulait que la question dont nous étions sur le point de discuter ne soit pas entendue par les divers aventuriers qui se promenaient dans la guilde. Si je devais deviner, Sheila avait déjà compris qui j’étais, en plus du fait que « Rentt Faina » s’était inscrit deux fois comme aventurier. Pour une raison ou une autre, elle avait gardé ce secret, alors peut-être que Sheila avait compris que j’avais une raison profonde et personnelle de le faire.

Bien sûr, cela ne signifiait pas automatiquement que Sheila découvrait que j’étais un mort vivant. Quant à savoir si Sheila garderait ce secret… C’était une tout autre histoire.

Si j’avais, en tant qu’humain, enregistré sous un faux nom… C’était quelque chose qui pouvait être pardonné. Cependant, après s’être enregistré sous un faux nom, et en tant que Morts-Vivants… C’est peut-être impardonnable à sa façon.

Que dois-je faire… ?

C’était une situation difficile. À en juger par la seule expression de Sheila, j’avais compris qu’il n’y avait pas moyen de s’éloigner de cette rencontre. Si je refusais de lui parler maintenant, cela ne ferait que compliquer les choses. Je pourrais peut-être me contenter d’une explication minimale, mais pour ce faire, une conversation avec Sheila était inévitable.

« … Je comprends. Où devrais-je… aller ? » demandai-je.

« Ah… ! Je vous remercie. Par ici, s’il vous plaît…, » l’expression de Sheila s’était un peu allégée face à ma réponse.

Malgré son attitude généralement désolée, j’avais décidé d’expliquer aussi peu que nécessaire — mais que se passerait-il si elle me demandait d’enlever ma robe ? Avais-je suffisamment d’excuses pour expliquer mon apparence ? J’essaierais de convaincre Sheila autant que possible sans révéler le fait que j’étais un non-mort.

J’avais une fois de plus suivi Sheila dans les couloirs de la guilde.

◆◇◆◇◆

Après avoir été conduit dans une partie de la salle centrale de la guilde qui était interdite à tous sauf au personnel de la guilde, j’avais été conduit dans une petite pièce, avec Sheila qui fermait la porte derrière moi. À part Sheila et moi, la pièce était vide.

Après avoir parcouru la pièce et vérifié ses limites, j’avais découvert qu’elle était pratiquement dépourvue des objets magiques permettant d’enregistrer les conversations et qu’il n’y avait pas de cercles magiques étranges en place. De tels outils étaient coûteux au départ, même pour une organisation bien financée comme la Guilde.

Bien sûr, Lorraine disposait d’un objet capable de le faire. Elle me cachait sa part de secrets, et je n’allais pas me demander où elle avait obtenu une telle chose. Peut-être qu’elle l’avait obtenu en compensation de son aide dans une affaire clandestine ou autre, c’était l’explication la plus raisonnable pour cela.

« Alors, Rentt… Je suppose que toi, plus que quiconque, tu sais ce que je vais te demander, n’est-ce pas ? » demanda Sheila.

Les paroles de Sheila avaient un fort impact en elles. Elle n’avait pas perdu de temps pour en venir au fait. Bien que son ton de voix ne soit pas hostile, il était strict, comme si elle allait immédiatement voir à travers n’importe quel mensonge. C’était évident dans la façon dont elle avait souligné mon nom, mais à la fin, je savais ce qu’elle était sur le point de demander, et pourquoi on m’avait conduit ici.

Et pourtant, je ne pouvais pas me contenter de raconter à Sheila tout ce qui s’était passé jusqu’à présent, et je n’avais pas l’intention de le faire. Je savais, pour ma part, que Sheila ne se contenterait pas d’une explication aussi épurée.

C’est pourquoi j’avais décidé d’expliquer la plupart de ce qui s’était passé, en omettant certains détails cruciaux, ou du moins en les passant sous silence. Je devais pouvoir contrôler le déroulement de la conversation, alors j’ai répondu à la question de Sheila avec l’une des miennes.

« … Avant de poursuivre…, j’aimerais confirmer… une chose : m’as-tu… amené ici en tant… que membre du personnel… de la guilde pour me dire que… tu ne trouves rien à redire… à ce que je m’inscrive… sous un autre nom ? Est-ce pour cela… que nous sommes ici… ? » demandai-je.

« … C’est moi qui pose les questions, Rentt. À l’origine, c’est une violation des règles et cela ne peut être toléré. À ce titre…, » déclara Sheila.

Je savais ce que Sheila allait dire. Bien que les règles de la guilde soient plutôt poreuses à divers égards, l’enregistrement sous plusieurs noms était contraire auxdites règles, à la surface des choses. C’est pourquoi un membre de la guilde ne pardonnerait pas simplement une telle chose. De même, il serait relativement inutile que je me trouve dans cette salle, compte tenu de la tournure que prendrait cette conversation.

La négociation n’était plus mon souci — j’avais décidé d’être réaliste sur la question à l’étude.

« Si je ne… peux pas avoir… cette garantie, je prendrai… congé et je ne me… montrerai plus jamais… ici. Je quitterais définitivement la région. Qu’est-ce que tu en dis ? » demandai-je.

Cela ne m’affecterait pas beaucoup à long terme puisque je n’étais pas sur le point d’abandonner mon rêve de devenir une classe Mithril.

J’avais déjà une autre solution : je m’éloignerais simplement de Maalt, et je m’inscrirais de nouveau à une guilde ailleurs. Comme je l’avais déjà dit à maintes reprises, les règles de la guilde étaient au mieux poreuses, il y avait trop de trous pour les compter.

Bien que l’inscription et le recommencement à partir de la classe Fer aient été difficiles, je suppose que je n’avais pas d’autre choix maintenant que j’en étais arrivé là. Changer l’apparence de mon masque ou des détails mineurs comme la couleur de mes robes ne serait pas difficile non plus, d’où ma déclaration.

Cependant, Sheila avait ouvert en grand ses yeux, paniquée. « Attends ! Ce n’est pas… »

« Sheila. J’ai été affligé par un gros problème. Même si c’est avec une organisation comme la guilde, je ne veux pas être poignardé dans le dos. Alors au moins, j’ai besoin d’avoir une garantie que je ne serai pas persécuté pour ce que j’ai à te dire sinon, je refuserai de dire quoi que ce soit. Bien sûr, je voudrais que tu signes un contrat magique contraignant pour tenir parole, » déclarai-je.

« Rentt… Est-ce que quelque chose d’aussi terrible t’est vraiment arrivé ? » demanda Sheila.

Il semblait que Sheila ne pensait pas que mes actions étaient le résultat d’un incident qui avait changé ma vie. Peut-être qu’elle avait l’impression que je ne faisais que changer mon nom, tout comme j’avais changé mon apparence avec une robe et un masque.

La réalité, cependant, était très différente. Je ne pourrais probablement jamais montrer mon corps à un être humain vivant pour le reste de ma vie. On ne savait pas si je serais chassé dès le lendemain si je le faisais, peut-être même par les mêmes aventuriers avec qui j’avais déjà dîné et exploré.

Dans ces circonstances, il n’était pas facile pour moi d’expliquer exactement ce qui m’était arrivé, mais il ne s’agissait pas pour moi de ne pas faire confiance à Sheila. Le problème venait de son affiliation : Sheila était, avant tout, membre du personnel de la Guilde des Aventuriers. Elle avait la responsabilité morale de protéger la sécurité de Maalt et de ses habitants, et si jamais elle rencontrait quoi que ce soit qui pourrait menacer cette sécurité, elle devait le signaler à ses supérieurs, puis superviser le processus par lequel ladite chose était détruit. C’est pourquoi la guilde de l’aventurier existait en premier lieu.

Avec ça, ce que je pouvais dire à Sheila était limité. Elle avait ses obligations, et j’avais mes raisons.

La seule raison pour laquelle je l’avais dit à Lorraine, c’était à cause de sa position sociale relativement isolée et de son excentricité. Mis à part cette seule exception, j’avais décidé de ne parler de mon état à personne d’autre, et c’était également vrai dans le cas de Clope le forgeron.

Mais Sheila était une tout autre question. Il ne s’agissait plus de préférences personnelles ou de la façon dont je m’entendais avec elle dans la vie, tout cela ne changeait rien au fait qu’elle était dans une position qui avait certaines obligations sociales.

J’avais hoché la tête à Sheila, en attendant sa réponse. Sheila, pour sa part, ferma les yeux, semblant perdue dans ses pensées pendant un certain temps. Finalement, en les ouvrant, elle m’avait regardé droit dans les yeux avant de dire quelque chose qui m’avait complètement pris par surprise.

« Rentt… À vrai dire, je n’ai pas rapporté ce que tu as fait à la guilde. Je ne pouvais pas être sûre que c’était toi. J’ai toutefois discuté de mes préoccupations avec le membre du personnel qui a suivi ton groupe aujourd’hui, afin qu’il soit au courant de mes réflexions à ce sujet. Quoi qu’il en soit, sur la façon dont tu t’es inscrit deux fois et tout ça — je n’ai pas l’intention de dire quoi que ce soit, alors…, » déclara Sheila.

… Un développement des plus inattendus.

***

Partie 2

« … Es-tu surpris ? » demanda Sheila, me regardant avec un sourire un peu amer sur son visage. J’avais hoché la tête en réponse, à la recherche de mots.

Bien sûr que je serais surpris. Sheila était membre du personnel de la Guilde des Aventuriers. On n’était pas simplement entré dans la guilde, on ne s’était pas inscrit et on n’est pas devenu membre du personnel. Contrairement à l’inscription en tant qu’aventurier, elle avait dû surmonter une série de tests et de processus de sélection difficiles pour être même accepté pour un poste.

Le personnel de la Guilde recevait évidemment un salaire relativement plus élevé que la plupart des autres et, contrairement aux aventuriers, il n’était pas obligé de s’exposer régulièrement au danger. Il serait également facile pour un membre du personnel d’une guilde de se mettre avec un aventurier compétent en temps voulu, ainsi va la sagesse commune dans ces pays.

En raison de ces facteurs, un poste au sein de la guilde était une affectation populaire et très recherchée pour les jeunes femmes en général. Une femme dans une telle position ne voudrait pas être congédiée de son poste, de sorte que les membres du personnel de la guilde en général étaient souvent farouchement loyaux envers la guilde. Elles gardaient ainsi les secrets de la guilde et rapportaient à la guilde toute information, aussi petite soit-elle, dès qu’elles apprenaient quelque chose. Tel était le statu quo.

Mais Sheila n’avait pas signalé mes activités à la guilde. C’était impossible pour moi de ne pas être surpris.

« Il va sans dire que je ne voudrais pas être viré…, » Sheila avait poursuivi. « Mais, la guilde n’est pas aussi stricte avec ses employés que les rumeurs voudraient te le faire croire. Au contraire, la guilde agit vaguement, et se soucie rarement des petits détails. C’est la tendance actuelle de l’organisation. Je suis sûre que tu peux le constater d’après les règles concernant les inscriptions multiples. En fait, la raison pour laquelle les jeunes femmes membres du personnel travaillent si fort pour le bien de la guilde n’est pas parce qu’elles ne veulent pas être licenciées, mais parce qu’elles aimeraient que la guilde leur présente un bon mari. Eh bien, c’est ce que cela implique, en tout cas…, » déclara-t-elle.

C’était la première fois que j’entendais parler de ce genre de chose. N’était-il pas plus facile pour un membre du personnel de choisir et d’approcher en direct un aventurier compétent ? Sheila, comme si elle le comprenait, continua son explication.

« Eh bien… si tu en as trouvé un dans un endroit comme Maalt, alors oui… Mais la plupart des aventuriers de haut rang se rassemblent dans les grandes villes, non ? Si l’on n’est pas transféré dans un endroit aussi prestigieux, pour commencer, on ne rencontrera jamais un aventurier compétent ! Elles travaillent donc toutes dur pour être transférées dans la capitale… puis elles mettent toutes sortes de parures et partent à la recherche d’un mari — c’est la tendance, dans tous les cas. Bien sûr, je n’ai aucune ambition de ce genre, donc ne pas te dénoncer à la guilde ne pose pas vraiment beaucoup de problèmes… »

Maintenant que j’y pense, les aventuriers de haut rang, tels que ceux de la classe Or, Platine ou Mithril, se retrouveraient certainement dans la capitale, ou du moins dans les grandes villes. Afin d’être mutés à partir de ces endroits, les membres du personnel devraient travailler très fort pour contenter la guilde. Il fallait tenir compte du fait qu’il était difficile de devenir fonctionnaire en premier lieu, car il s’agirait d’un environnement compétitif pour ceux qui avaient été sélectionnés. Contenter la guilde était sûrement une chose importante.

Pourtant, Sheila ne désire pas cela… ? Est-ce vraiment le cas ? Je n’avais pas pu m’empêcher d’en arriver à une telle question.

Les membres masculins du personnel de la guilde semblaient un peu plus insouciants et parfois plus négligents que leurs homologues féminins. Je suppose que c’était parce qu’ils n’avaient pas cherché à obtenir des promotions ou des transferts dans les grandes villes. Bien qu’ils puissent avoir de telles intentions, les grandes villes étaient remplies d’aventuriers qualifiés, mais leurs salaires étaient probablement dérisoires par rapport à ceux des gros bonnets de la ville. Peut-être, pour ces hommes, cela n’avait tout simplement pas autant d’importance.

Ces observations avaient ajouté du poids au monologue de Sheila sur la situation interne de la guilde. Le désintérêt apparent de Sheila pour un transfert était un autre problème en soi.

En fait, si tout cela faisait partie d’une ruse élaborée qui se terminait avec Sheila rapportant tout ce qu’elle entendait ici à la guilde, mes mains seraient liées et je serais pris et exécuté. Ce n’est pas une bonne façon de finir la journée.

Ce n’était pas comme si je n’avais pas une once de confiance pour Sheila, je la connaissais depuis assez longtemps, mais pas autant que Lorraine. Bien que je ne pouvais pas lui faire confiance sans condition à ce moment-là, elle était une membre extrêmement digne de confiance et fiable de la guilde pour travailler avec elle.

Si je me fie à mon instinct, j’avais senti qu’elle ne me mentait pas. Cependant…

Mes doutes semblaient évidents à Sheila, qui avait répondu par sa propre déclaration : « … Eh bien. Je sais que tu ne me ferais pas confiance si facilement. Je comprends tout à fait cela. Je suis employée par la guilde et j’ai des obligations éthiques à respecter, après tout… Tout cela est vrai. C’est pourquoi je l’ai préparé… »

En disant cela, Sheila avait retiré un rouleau de peau de mouton enroulé de sa poche d’uniforme, le tenant ouvert devant moi. La surface du parchemin était marquée de toutes sortes de lignes lumineuses et de lettres d’aspect complexe. Je pouvais dire exactement ce que c’était d’un seul coup d’œil.

« … Reliure magique… Contrat. Je vois. Tu… as vraiment… amené cela avec… toi, » déclarai-je.

Un contrat magique, comme son nom l’indique, était un objet magique spécifique. C’était un contrat qui liait les signataires avec des moyens obscurs. C’était un outil pratique et polyvalent, créé avec du parchemin de peau de mouton et de l’encre d’origine spéciale. Il suffisait d’inscrire les détails du contrat, puis de le faire signer par les deux personnes. Si l’un ou l’autre rompt le contenu du contrat, il subira en quelque sorte une pénalité.

La valeur de ces contrats variait considérablement en tenant compte de divers facteurs tels que les détails du contrat et l’importance des pénalités encourues. Ce que Sheila tenait dans ses mains était d’une valeur moyenne, à environ deux endroits sous le type le plus cher, et à deux endroits au-dessus du plus basique. Normalement, un parchemin de cette qualité était plus que suffisant, et les peines qu’il pouvait infliger étaient aussi raisonnablement lourdes. Sheila avait obtenu le type de parchemin le plus cher pour ce genre d’usage.

J’avais pu voir qu’elle était sérieuse au sujet de cette discussion.

« Rentt. Je ne sais pas quel genre de problème te hante… mais pourrais-tu me le dire ? Je veux seulement aider. Cela ne concerne pas ma relation avec la guilde… ça n’a à voir qu’avec toi. Tu es la raison pour laquelle je suis la personne que je suis devenue aujourd’hui. Si nécessaire, j’écrirai mon nom sur ce parchemin sans hésitation… J’ai également une solution en tête pour le membre du personnel avec lequel j’en ai discuté aujourd’hui, » déclara-t-elle.

Il était peut-être acceptable de le dire à Sheila elle-même, étant donné qu’elle était venue avec un contrat magique contraignant. Quant à l’autre membre du personnel à qui Sheila avait parlé…

Sheila ne pouvait pas défaire sa conversation. Il semblait presque impossible qu’il garde le secret pour lui tout seul. Mais Sheila avait continué.

« … Eh bien, tu vois, le membre du personnel en question est en fait mon frère. C’est pourquoi j’ai pu si facilement en parler avec lui… Mais même si je lui disais de garder ça pour lui, ce ne serait pas vraiment une garantie. Si cela doit être fait, je pourrais facilement lui apporter ce contrat. Tout ce qu’il a à faire, c’est d’y ajouter son nom, et même s’il refuse, j’ai mes méthodes…, » expliqua-t-elle.

Je me souviens que Sheila avait parlé de son frère, il y a bien longtemps. Quand je pense qu’ils avaient tous les deux fini dans la guilde de l’aventurier, je trouvais cela un peu surprenant.

Ce n’était pas trop étrange pour moi de ne pas le savoir. Le personnel de la Guilde envoyé en mission pour observer les monstres et leur population, ainsi que les membres qui faisaient plus de travail clandestin, comme l’observation des tests de progression, ne montraient généralement jamais leur visage. Le fait qu’il s’est présenté devant nous au comptoir de la réceptionniste était probablement dû à la curiosité, car il ne pouvait s’empêcher de se demander qui était exactement cet aventurier étrange que sa sœur avait apprécié. Du moins, c’est ce que j’avais cru comprendre. Soit ça, soit il était l’un de ces individus qui aimaient mettre sa sœur aînée sur un piédestal. Ce n’était probablement pas trop gentil de ma part de penser de cette façon à quelqu’un que je ne connaissais même pas, cependant…

La prochaine déclaration de Sheila, cependant, avait mis fin à cette hypothèse : « Mon frère sera transféré dans la capitale dès la semaine prochaine. Contrairement à moi, il est sur une sorte de cheminement vers une carrière de haut rang, et cette mission était son dernier emploi à Maalt. Il n’avait probablement pas d’autre occasion de te rencontrer, c’est pourquoi il voulait te voir par lui-même. Il ne voulait pas s’inquiéter inutilement. »

Je suppose que c’est pour ça qu’il s’était montré. Il allait travailler dans un autre endroit de toute façon, donc ça lui importait peu. S’il était muté à la capitale, la possibilité qu’on l’envoie à nouveau dans de telles missions de combat était mince. S’il y avait quoi que ce soit, il finirait par tenter d’accéder au rang de maître de guilde, ou quelque chose de ce genre. La décision de Sheila de rester à Maalt pouvait avoir été simplement de permettre à son frère d’aller à sa place.

Pour conclure ses explications, Sheila m’avait posé une question : « Alors, et donc ainsi, est-ce que cela va, Rentt ? Peux-tu me parler de la situation qui t’est arrivée ? Avoir un membre du personnel d’une guilde d’aventuriers de ton côté est une chose très utile quand tu as des problèmes, tu sais ? »

***

Partie 3

Honnêtement, malgré les assurances répétées de Sheila et son apparente sincérité, j’avais encore des doutes. Sheila avait suggéré ça à Rentt Faina, un humain. Ancien humain. Reviendrait-elle sur sa parole si elle découvrait que j’étais un Mort-Vivant ? Je n’en savais rien, et je n’arrivais pas à me débarrasser de ce sentiment.

Cependant…

Sheila s’était donné la peine de préparer un contrat magique contraignant. Le fait que je doutais encore d’elle était une insulte à sa détermination. Et il serait difficile d’aller à l’encontre des termes exprimés sur un tel contrat, mais pas impossible. Il y avait de nombreuses façons de le défaire ou d’y échapper, mais aucune d’entre elles n’était facile ou triviale.

En fait, j’avais déjà compris à quel point Sheila était sérieuse sur toute cette affaire dès le moment même où elle avait sorti le parchemin. Même si le contrat était rompu d’une manière ou d’une autre, il restait la question de la pénalité. Quel serait son poids exact ?

« … Personnellement, j’aimerais te croire, Sheila. Tu pourrais penser que je suis un pinailleur sur les détails, mais quelle serait la pénalité… ? » demandai-je.

Sheila m’avait regardé droit dans les yeux et m’avait immédiatement offert sa réponse.

« Je n’ai aucune intention de rompre cet accord, alors n’importe quelle pénalité est acceptable. Même si cela signifie me faire quitter la Guilde des Aventuriers, ou faire de moi une esclave personnelle… N’importe quoi. C’est très bien pour moi, » répondit-elle.

Personnellement, j’avais estimé que ces deux sanctions étaient excessivement lourdes. Bien que je craignais d’être traqué comme une sorte de monstre rare, dépouiller Sheila de son poste de membre du personnel de la guilde après tout ce qu’elle avait fait pour l’atteindre n’était rien de moins que cruel. Quant à la transformer en esclave… C’était tout simplement absurde. D’abord, la propriété des esclaves n’était pas légale ici.

Tandis que je réfléchissais à ce qui serait une pénalité plus raisonnable, Sheila avait déjà posé le parchemin sur la table au milieu de la pièce. Elle avait commencé à écrire avant que je puisse dire quoi que ce soit en signe de protestation. Peu de temps après, Sheila avait tenu le parchemin devant moi. Les mots suivants étaient écrits en lettres propres sur le parchemin :

« En cas de rupture de ce contrat, Sheila Ibarss démissionnera volontairement de son poste au sein de la Guilde des Aventuriers et de toutes les organisations associées. En outre, elle effectuera également les démarches nécessaires pour renoncer à son libre arbitre et à ses droits dans un territoire où la propriété des esclaves est reconnue, en remettant sommairement ses droits de propriété à Rentt Faina. »

Non, non non non non non. C’en était trop. C’était impossible pour moi de signer quelque chose comme ça… !

Bien que j’aie voulu protester, le contrat était déjà écrit. Nous devrions acheter un autre parchemin pour fixer de nouvelles conditions et mettre le feu à celui-ci.

Du moins, c’était ce que je voulais dire, mais je n’étais pas aveugle quant à la détermination présente dans les yeux de Sheila. C’est ce qu’elle était prête à abandonner pour entendre ce que j’avais à dire, et il semblerait que Sheila ait pris sa décision à ce sujet il y a longtemps. Apparemment, je n’avais plus mon mot à dire.

Le fait qu’elle m’ait traîné dans cette pièce et qu’elle se soit patiemment tenue ici pendant que j’hésitais sans cesse, et maintenant ce contrat… Il n’y avait pas moyen que je ne puisse pas l’affirmer avec elle, à ce rythme.

En soupirant, je m’étais tourné vers Sheila. « … Je comprends. Confirmons le contenu du contrat et signons-le. Je te dirai tout après ça. »

Sheila avait finalement souri en réponse à ma révérence. « Oui ! Je vais écrire tous les autres termes appropriés maintenant, alors attend une seconde… »

C’est ainsi que Sheila avait expliqué et discuté les détails pertinents, peut-être avec un peu trop de joie, et finalisé le contenu du contrat. Confirmant que tout était en ordre, Sheila avait rédigé le reste du contrat à une vitesse stupéfiante, la plume d’oie dans sa main bougeant comme un drapeau dans le vent.

◆◇◆◇◆

« Ainsi, je n’ai… pas le… choix, je vais tout te le dire, » déclarai-je.

Même si je me sentais un peu forcé dans tout cela, les autres conditions du contrat étaient toutes justes et raisonnables. Même alors, avoir quelqu’un dans la guilde qui coopérait avec moi était quelque chose que je pouvais difficilement laisser passer. Mais n’importe quel être humain vivant pourrait-il s’en sortir s’il comprenait ma situation actuelle… ?

C’était ma plus grande inquiétude. Sauf Sheila, une telle personne existerait-elle ? Telle était la réalité de la situation.

Peut-être que cette circonstance était inévitable. Quoi qu’il en soit, je m’étais trouvé un peu en paix avec la situation actuelle.

Mais par où dois-je commencer ? C’était un sujet difficile, peu importe comment je l’abordais, mais peut-être serait-il plus facile de commencer dès le début. Une partie du contrat stipulait que Sheila ne pouvait révéler ma véritable identité à personne sans mon consentement écrit, alors je suppose qu’il n’y avait plus lieu de s’inquiéter.

En soupirant, j’avais lentement abaissé la partie à capuchon de ma robe. La chose la plus commode à faire était d’enlever complètement la robe, mais je n’avais pas eu le courage de le faire devant une jeune femme. Quoi qu’il en soit, le simple fait de voir mon visage tout seul serait un choc suffisant pour la plupart des gens.

Même si je n’avais pas exactement un trou dans la tête, la chair sur mon visage était pourrie et, à certains endroits, encore sèche. Comparé à l’époque où j’étais encore une goule, c’était beaucoup plus proche de l’être humain — pour un mort-vivant, en tout cas.

« Quoi… !? C-Ceci… Qu’est-ce que…, » Sheila, la tête dans un mélange de confusion et de peur marchait lentement autour de moi, me jetant un coup d’œil de tous les côtés.

Devant moi une fois de plus, j’avais changé la forme de mon masque pour montrer mon visage à Sheila. Si je devais dire, c’était l’endroit qui avait le plus d’impact visuel sur mon être puisque la moitié inférieure de mon visage n’était rien de plus que des dents, des gencives à moitié pourries et une mâchoire en quelque sorte intacte.

Lorraine, érudite des monstres, était très habituée à ce genre de choses et n’avait pas l’air très surprise. Sheila, par contre, n’avait pas l’air de très bien apprécier le paysage. Son visage était maintenant d’un bleu pâle, et ses genoux semblaient frissonner lorsqu’elle s’était assise sur le sol, ne pouvant plus se tenir debout.

« … Vas-tu bien ? » demandai-je.

Bien que je lui aie demandé gentiment, la pâleur du visage de Sheila ne s’était guère estompée. Je suppose qu’elle était trop choquée pour parler.

« … Tu vois, c’était peut-être mieux de ne pas du tout avoir demandé. J’ai l’air monstrueux… Non ? » demandai-je.

Sheila secoua rapidement la tête devant mes paroles. « Ce n’est pas vrai ! » cria-t-elle, avant de continuer d’une voix plus douce.

« … Ce n’est pas… vrai. Je n’en avais aucune idée, Rentt… Aucune idée que quelque chose de si… horrible te soit arrivé… Mais je détestais encore plus ne rien savoir. Je suis surprise, mais… Je suis heureuse de savoir maintenant…, » déclara Sheila.

J’étais soulagé que Sheila ne m’ait pas crié dessus pour que je remonte ma capuche.

« Eh bien… ? Qu’est-ce que tu en… penses ? » demandai-je.

Sheila fit une pause avant de répondre.

« … Comment puis-je dire ça… ? Tu sembles très blessé… Non, gravement blessé… Et ne peux-tu pas être guéri ? Mais il y a de la magie curative, ou des potions de haute qualité… Qu’en est-il de l’Église ? Les prêtres devraient pouvoir faire quelque chose…, » déclara Sheila.

On aurait dit que Sheila ne comprenait pas toute l’étendue de mon état. Je n’avais pas d’autre choix que de m’expliquer.

« Non… Ce n’est pas comme… ça. Je suis devenu… un monstre. Ce corps… est celui d’un… Thrall, » déclarai-je.

Bien que je l’aie expliqué si rapidement, et en termes simples, cela avait semblé avoir pris beaucoup de temps à Sheila pour comprendre ce que je viens de dire.

« Hein ? C’est-à-dire… Quoi ? » s’exclama Sheila.

J’avais continué mon explication.

« Il y a quelque temps, comme tu le sais, je suis allé explorer le donjon de la réflexion de la lune. J’ai trouvé une zone inexplorée et j’y suis moi-même allé, mais j’ai soudain rencontré un dragon à l’intérieur et je suis mort. Quand je me suis réveillé, j’étais devenu un squelette. N’ayant pas le choix, j’y ai vaincu d’autres monstres. Et puis à travers l’Évolution Existentielle, j’ai évolué. Et maintenant, je suis un Thrall, qu’en penses-tu ? Histoire intéressante, n’est-ce pas ? » demandai-je.

C’était une façon de le dire qui se déprécie, mais je ne pouvais pas nier que c’était en fait quelque chose d’intéressant. J’avais souri avec ironie malgré moi.

« Non… Quelque chose comme ça s’est passé… ? Non…, » Sheila, toujours sans voix, secoua lentement la tête. Mais c’était la réalité.

Le citoyen moyen ne croirait jamais une telle histoire au départ, alors une réaction comme celle-ci n’était rien de moins que ce à quoi je m’attendais. À en juger par la réaction de Sheila et son état actuel, j’avais supposé qu’elle avait besoin d’un peu de temps pour accepter ce que j’ai dit.

« Je comprends que tu sois confuse d’avoir entendu une telle chose venue de nulle part, alors prends un moment et réfléchisse-y de mon point de vue. Crois-tu vraiment que c’est bien de coopérer avec quelqu’un comme moi ? Bien sûr, je n’ai pas l’intention de faire du mal aux gens. Tout ce que je veux, c’est continuer à travailler en tant qu’aventurier. Je suppose qu’il est difficile pour toi de me faire soudainement confiance bien que nous ayons signé un contrat, si les deux parties sont d’accord, il peut être annulé. En tout cas, je devrais y aller. Pour aujourd’hui, tu devrais penser à si tu peux me faire confiance en tant que personne, » déclarai-je.

Après ça, je m’étais retourné, avec l’intention de quitter la pièce.

Si Sheila refusait de coopérer avec moi, pour quelque raison que ce soit, alors tout ce que j’avais à faire était de défaire le contrat et d’entreprendre les préparatifs appropriés pour quitter Maalt. Il n’y avait pas besoin d’entraîner Sheila avec moi, elle avait sa propre vie à vivre.

Dans un tel cas, le fait d’avoir tout raconté à Sheila signifiait que le fait de rester à Maalt pouvait mener à mon arrestation. Tout ce que j’avais à faire, c’était d’émigrer dans une autre région, ce qui n’était pas du tout un problème. Tant que j’étais prêt à couper tous mes liens sociaux, je pouvais très facilement vivre seul. Quant à Lorraine… Je suppose qu’elle viendrait avec moi, à condition que je lui demande gentiment.

Alors —

« S’il te plaît, attends ! » Sheila cria encore une fois, comme pour m’empêcher de partir.

Je m’étais retourné, regardant Sheila dans les yeux.

« Je… Je te crois. Je crois en toi, Rentt… Même si tu devenais un monstre… tu ne ferais pas de mal aux autres… Je veux dire, tu as toujours été si gentil, Rentt ! Alors je… Je vais coopérer. Je vais travailler avec toi, » dit Sheila, d’une voix qui était presque suppliante. Lentement, elle se dirigea vers moi en titubant, me saisissant les mains avec un peu de force.

« Rentt… à partir de maintenant, si tu as des problèmes avec la guilde, parles-en avec moi… Je suis sûre… Je suis sûre que je serais en mesure de t’aider…, » déclara Sheila.

Sur ce, Sheila avait finalement relâché sa prise, me regardant avec un léger sourire sur son visage.

 

***

Partie 4

*clic*

Avec un son familier, la porte s’était ouverte pour révéler un espace familier et un visage tout aussi familier à l’intérieur. C’était le visage d’une femme que je connaissais depuis longtemps. Logique, désordonné, et parfois encline à faire des farces ennuyeuses aux autres, mais dans l’ensemble une personne douce — .

Lorraine.

« … Hmm ? Qu’avons-nous là ? As-tu quelqu’un avec toi, Rentt ? Comme c’est rare. Ne me dis pas que tu l’as draguée, hein ? » demanda Lorraine.

À en juger par le sourire légèrement tordu de Lorraine, on pourrait croire qu’elle plaisantait. Mais je sentais une étrange tension dans l’air — ou peut-être étais-je simplement fatigué par les événements de la journée.

La personne à laquelle Lorraine faisait référence n’était autre que Sheila Ibarss, membre de la guilde qui se tenait actuellement derrière moi. Après notre discussion sur mon affaire, j’avais mentionné à Sheila que Lorraine était également au courant de ma situation. Après avoir affirmé que je vivais avec Lorraine à titre d’arrangement temporaire, Sheila avait insisté pour venir avec moi pour une sorte de conversation. Cela ne voulait pas dire que je n’avais pas informé Sheila de ces arrangements avant. Bien qu’elle n’ait pas été surprise à ce moment-là, elle semblait maintenant perdue dans ses pensées, une expression compliquée était présente sur son visage alors qu’elle suivait derrière moi.

À quoi pense Sheila exactement ?

Pour ma part, je n’en avais aucune idée. Mais nous étions tout de même d’accord sur le fait qu’une conversation avec Lorraine devait avoir lieu aussitôt, alors nous étions partis.

Outre Lorraine et Sheila, la première personne à connaître ma véritable identité fut l’aventurière Rina Rupaage. Clope et sa femme, Luka, avaient très probablement compris que j’étais dans une circonstance atténuante ou une autre, mais avaient choisi de ne pas fouiner. Les deux avaient également leurs propres positions dans la société à prendre en considération, faisant partie d’une organisation qui avait des liens avec le gouvernement local et l’église. Peut-être avaient-ils compris que j’étais devenu un monstre mort-vivant, ou peut-être pas, il n’y avait aucun moyen de le savoir.

De toute façon, je réglerais la situation avec Clope une autre fois. Pour l’instant, j’avais choisi d’apprécier leur hospitalité et leur silence. Cependant, leur faveur ne resterait pas impayée. Bien que j’aie certainement l’intention d’y donner suite dans l’avenir, ce n’était pas le moment.

Une déclaration de Sheila m’avait fait sortir de mes pensées et m’avait ramené à la situation qui m’attendait.

« Non, Mlle Vivie. Rentt ne m’a rien fait. Cependant, nous avons… parlé de certaines choses. Des choses spécifiques, » déclara Sheila.

Bien que cela semblait suffisant pour que Lorraine comprenne l’essentiel de ce qui s’était passé, je ne pensais pas que Lorraine comprenait l’étendue des connaissances de Sheila à partir de ces seuls mots. C’était à moi de divulguer de telles informations, et je ne m’attendais pas à ce que Lorraine en déduise parfaitement mon intention.

Sentant que ce n’était pas une conversation à avoir à la porte, Lorraine avait pris du recul, comme pour nous accueillir.

« … Vraiment ? En tout cas, rentrez. C’est un peu désordonné, mais faites comme chez vous, » déclara Lorraine.

Il y avait quelque chose de bizarre dans la déclaration de Lorraine — pourquoi était-ce si désordonné ? J’avais nettoyé et arrangé sa maison juste avant de partir pour le test de progression. Ce n’était pas naturel de se retrouver dans un tel état en si peu de temps, même si j’avais pris en compte les habitudes de Lorraine.

Du moins, c’est ce que je pensais…

◆◇◆◇◆

Dans le silence de la demeure, le dispositif de chronométrage magique de Lorraine ronronnait et cliquait à intervalles réguliers. Cet appareil valait son pesant d’or, car généralement, seuls les nobles et les riches pouvaient se permettre un tel objet magique spécialisé. Et pourtant, Lorraine en avait un, pour des raisons inconnues.

Vu sa taille et sa taille générale, j’avais supposé que Lorraine l’avait construit à partir de zéro dans ses temps libres. Comme d’habitude, j’avais été émerveillé par l’étrange sens pratique de Lorraine. En un sens, Lorraine était capable de beaucoup de choses, peut-être même de tout…

À l’exception des tâches ménagères et autres activités domestiques. La raison m’en avait échappé, mais j’avais quelques idées. Après tout, j’avais assumé la responsabilité des tâches ménagères de Lorraine à un moment donné dans le passé, puis j’avais simplement continué à les faire. Cette prise de conscience, accompagnée d’un sentiment quelque peu enfoncé, avait imprégné toute mon âme.

… C’était peut-être une pensée qu’il valait mieux laisser pour une autre fois.

« … Eh bien. Parlons. Alors, vous avez entendu… certaines choses de Rentt, vous dites ? Permettez-moi d’être franche : qu’avez-vous entendu exactement ? » demanda Lorraine.

La question apparemment normale de Lorraine était accompagnée d’une voix sévère. L’atmosphère avait immédiatement pris une tournure sombre, surprenante même pour moi. En ce qui concerne Sheila, j’avais été tout aussi surpris de trouver une expression inédite sur ses traits. Il y avait une certaine lumière dans ses yeux, comme si elle s’était décidée sur une chose ou une autre.

« … Eh bien. Rentt m’a dit qu’il est devenu… un monstre. Et qu’il n’attaque pas les gens…, » répondit Sheila, avec sa voix douce et parfois instable. J’avais ressenti un mélange d’émotions derrière ses mots simples. Quant à savoir exactement de quoi il s’agissait… Je n’en avais aucune idée.

Lorraine, comme si elle comprenait immédiatement la situation, ricana.

« Hmph ! C’est tout, n’est-ce pas ? Et pourtant vous avez suivi Rentt chez lui de cette façon ? Ne vous sentiez-vous pas en danger ? » demanda Lorraine en se penchant en avant.

Sheila, par contre, secoua la tête. « Non… Non, pas vraiment. Rentt allait chez vous, donc ça ne semblait pas suspect. »

« N’est-ce pas seulement parce que vous n’avez pas le sens du danger ? Pensez-y, Rentt est un mort-vivant, et je suis une érudite avec au mieux une réputation douteuse, au moins ici, à Maalt. Et que se passerait-il si une jeune fille de votre âge, par exemple, errait dans l’antre d’un monstre et d’une sorcière ? On vous jetterait peut-être dans une sorte de chaudron et on vous ferait cuire à la vapeur… Ou peut-être qu’on vous dévorerait vif. N’est-ce pas là l’hypothèse courante dans la rue ? » déclara Lorraine, se qualifiant de sorcière mangeuse d’hommes pour des raisons inconnues.

Bien que Sheila ait compris qu’il s’agissait d’une sorte de blague, elle était maintenant manifestement mal à l’aise. Son visage s’était crispé alors qu’elle y forçait le sourire d’un membre du personnel de la guilde bien entraîné.

« Non, bien sûr que non… Je ne vous considérerais jamais comme une sorcière ! Même moi, je sais que vous êtes une érudite respectée, Mlle Vivie, » répondit Sheila.

« Juste “Lorraine” c’est bien… Mais non. Vous voyez, c’est simplement ce à quoi ça ressemble à la surface. Pour dire la vérité, je me faufile dans les rues de Maalt tous les soirs, à la recherche de jeunes filles vulnérables et je m’en prends à elles pour leur sang. Un goût délicieux, oui, et aussi bon pour la santé. Saviez-vous qu’il fait des merveilles pour le teint ? » demanda Lorraine.

L’expression de Lorraine ne semblait pas correspondre à ses blagues désinvoltes. Je m’étais trouvé incapable de lire les intentions de Lorraine, car ses paroles me semblaient presque menaçantes. Cependant, dans l’instant qui avait suivi…

« … C’est ce que Rentt est devenu. Le comprenez-vous vraiment ? » Lorraine avait demandé ça, terminant sa déclaration avec une certaine force dirigée vers Sheila.

Lorraine était sans expression pendant qu’elle parlait. Elle n’était ni fâchée ni hostile, laissant tomber le fait comme si c’était la chose la plus normale au monde. On pourrait penser que de telles questions étaient la norme dans cette demeure par la seule présence de Lorraine.

En réalisant la perspective de Lorraine, j’avais ressenti une peur primordiale s’élever du plus profond de moi. Pour elle, la membre du personnel de la guilde qui était assise en face d’elle n’était pas humaine, mais simplement un objet à manipuler en fonction de la façon dont elle répondait à la question posée. C’était peut-être une réponse naturelle aux choses, étant donné notre situation.

La cruauté… C’était un regard cruel. C’est ainsi que Lorraine se présentait face à un monstre lors de l’une de ses expéditions. Si je devais deviner, ses pensées étaient maintenant remplies de diverses méthodes pour éliminer la cible devant elle.

 

 

Dans une conversation que j’avais eue avec Sheila après cet incident, elle m’avait révélé qu’elle ne s’était jamais sentie aussi intimidée de sa vie. Sheila, étant membre du personnel de la guilde qu’elle était, n’avait pas beaucoup d’expérience martiale sur le terrain. Elle n’en était pas totalement dépourvue, car tous les membres du personnel de la guilde reçoivent une formation de base au combat dans le cadre de leur programme de formation. Elle avait réussi à vaincre des gobelins, des slimes, etc. avec l’aide de ses pairs plus axés sur le combat.

Mais dans ces moments-là, Sheila ressentait une peur pure. Elle n’avait vu que des monstres de loin jusque-là, et ils se pavanaient maintenant devant elle, avec leurs yeux rencontrant les siens, rendant claire leur intention de tuer. Ici, Sheila avait finalement compris pourquoi les aventuriers retenaient parfois involontairement leur souffle devant les monstres. Bien qu’elle savait logiquement que ces monstres devaient être tués, le conflit du devoir et de la peur dans son cœur avaient envoyé leurs émotions dans le désarroi.

Mais c’était relativement normal, et ce n’était pas vraiment un problème. Ce qui effrayait vraiment Sheila, c’était la présence d’un certain fragment dans ses pensées, même s’il était petit : la capacité de prendre la vie d’un autre être vivant devant elle au nom de la nécessité. Elle avait choisi de justifier de telles pensées en pensant aux bienfaits que le meurtre de monstres apporterait à l’humanité. Tout comme ses pairs, elle ne pouvait se permettre d’hésiter à prendre une autre vie, tant que c’était pour son propre bien.

L’expérience de Sheila à l’entraînement au combat lui avait beaucoup appris, et c’était pourquoi elle s’était retrouvée enracinée sur place. Regardant droit dans les yeux de Lorraine, Sheila avait compris. C’était exactement la même expression qu’elle avait utilisée contre les gobelins et les slimes dans le donjon. Elle ne s’attendait cependant pas à ce qu’un autre être humain la regarde de la même façon.

Sheila n’avait pas d’autre choix que de comprendre que Lorraine l’éliminerait si cette dernière trouvait sa réponse pas satisfaisante. Il ne s’agissait pas nécessairement d’un meurtre puisque cela n’était possible que lorsque l’autre partie reconnaissait que sa victime était un être humain.

Mais les yeux de Lorraine parlaient d’autre chose.

Pour Lorraine, ce ne serait rien de plus qu’un simple acte d’élimination. Elle pouvait facilement mettre le feu à divers objets et les réduire en cendres, humaines ou autres. Même Sheila avait compris que Lorraine avait la capacité d’effacer l’existence d’un autre être sans la moindre hésitation. Après tout, Lorraine était une aventurière, et en plus, une aventurière expérimentée de classe Argent. Il fallait répondre soigneusement, c’était très probablement la pensée singulière qui traversait l’esprit de Sheila à ce moment-là.

Se contractant sur elle-même, les lèvres de Sheila se séparèrent.

***

Partie 5

« Je… comprends. »

C’était une petite réponse, presque inaudible, un peu comme la flamme vacillante d’une petite bougie avant une tempête. Cette flamme, cependant, avait continué à brûler face à l’adversité.

« Je comprends. »

La réponse répétée de Sheila apportait maintenant un certain degré de force, sa voix était maintenant plus forte et plus audible, mais elle s’adressait plus à elle-même qu’à quiconque. C’était ce que j’avais cru comprendre.

Lorraine, comprenant enfin les intentions de Sheila, avait souri, alors que ses traits s’adoucissaient enfin. « … Je vois. Dans ce cas, il n’y aura aucun problème. »

Sheila semblait prête à s’effondrer à la suite de ces mots.

« Vous devez comprendre qu’il n’est pas dans mon intérêt de faire peur aux jeunes filles. Mais, en tout cas, il est tard. Dîne-t-on ensemble ? » demanda Lorraine.

En entendant ses paroles, j’avais lentement commencé à comprendre pourquoi Lorraine avait parlé et agi comme elle l’avait fait.

◆◇◆◇◆

« … Rentt… J’en avais déjà entendu parler, mais tu es vraiment doué pour cuisiner, n’est-ce pas… ? » dit Sheila, une expression compliquée présente sur son visage.

L’unique table de la maison de Lorraine était maintenant ornée d’une variété de plats, des repas que j’avais préparés pour Lorraine et Sheila. Ce n’était rien de très spécial. Pour moi, c’était de la cuisine maison classique, quelque chose que j’avais l’habitude de préparer. Personnellement, j’avais trouvé que la nourriture en question avait au moins un goût acceptable.

Je suppose que les aventuriers masculins qui avaient des connaissances sur les arts culinaires étaient peu nombreux et très différents des autres. Après tout, peu d’aventuriers avaient eu l’endurance nécessaire pour préparer leurs propres repas après une journée épuisante de chasse aux monstres dans le donjon. Ils seraient prêts à tomber sur leur lit dès leur arrivée dans leur chambre.

Les aventuriers, pour leur part, se faisaient généralement beaucoup plus d’argent qu’un marchand ou un colporteur, donc même s’ils mangeaient dans une taverne ou un restaurant tous les jours, cela ne réduirait guère leur revenu. Les aventuriers qui connaissaient bien la préparation des aliments étaient donc très rares.

Les aventurières, par contre, aspiraient souvent à être embauchées par la guilde comme membres du personnel, et c’est pour cette raison qu’elles pratiquaient la cuisine pendant leur temps libre. Il n’y avait pas cette tendance chez les aventuriers de sexe masculin. Il était plus courant pour les aventuriers de consacrer leur vie à gravir les échelons des aventuriers. On peut soutenir qu’il était plus facile pour l’un ou l’autre sexe de se tailler une carrière d’aventurier, à mon avis, ils avaient chacun leurs défis respectifs.

J’avais cependant acquis mes talents de cuisinier dans mon village natal, chez l’herboriste qui m’avait enseigné mes autres techniques de survie. En y repensant, j’avais souvent aidé à préparer les repas pendant qu’elle était occupée à synthétiser une sorte de médicament. À l’occasion, elle jetait aussi quelques herbes dans le pot pour faire bonne mesure. C’était un environnement d’apprentissage parfait pour les futurs herboristes et autres, et bien que cela m’ait permis d’acquérir des connaissances générales sur les plantes et les herbes, j’avais aussi fini par apprendre à cuisiner en cours de route.

« Un Rentt par maison — la société devrait être ainsi, voyez-vous. Il fait tout, la plupart du temps gratuitement, ainsi que… Mais il y a maintenant des frais. Je suppose qu’on peut dire que je paie mon dû de cette façon, » déclara Lorraine en montrant du doigt la bouteille que je tenais dans mes mains.

C’est le même flacon qui avait été enchanté avec la magie de conservateurs : celui qui contenait le sang de Lorraine. Une seule goutte était tout ce dont j’avais besoin pour mon dîner.

Le visage de Sheila était redevenu bleu pâle quand elle avait appris que la bouteille que j’avais toujours sur moi contenait du sang. Je suppose que c’est pour ça que Lorraine avait dit cela lors de la conversation.

« Je vois… Un Thrall est donc une sorte de vampire de classe inférieure…, » déclara Sheila.

Il semble que Sheila ait vite compris la situation.

J’étais, pratiquement, un monstre assis à la table d’un humain, léchant le sang contenu dans une bouteille. Pour le passant moyen, je ressemblais probablement plus à un homme masqué léchant un liquide rougeâtre avait une petite tige qui était descendue dans une bouteille inoffensive. Ce n’était pas un spectacle intimidant, peut-être plus excentrique et étrange.

« C’est la situation actuelle, oui. Dois-je comprendre que vous avez signé un contrat magique contraignant ? » Lorraine avait demandé en dirigeant la conversation de façon décontractée vers une discussion sur les moindres détails du contrat entre Sheila et moi.

Je n’étais pas obligé d’en parler à Lorraine, mais comme nous étions tous au courant du secret, j’avais supposé qu’il valait mieux en parler de tout en sa présence.

J’avais hoché la tête en réponse. « … Oui. C’est fondamentalement… Un contrat… interdit à Sheila de dire… quelque chose à propos de ce que je… suis vraiment. »

« Hmm… Je suis curieuse de connaître les détails. On devrait peut-être laisser ça pour après le repas. Des trivialités, vraiment, » dit Lorraine, en continuant à manger une partie de son repas.

Sheila, d’un autre côté, retira avec empressement le rouleau de peau de mouton de quelque part dans son uniforme de guilde.

« J’ai le contrat ici. Aimeriez-vous le voir ? » demanda-t-elle, offrant le parchemin à Lorraine.

Abaissant sa cuillère, Lorraine l’avait acceptée, le déroulant et le tenant contre son visage.

Alors que nous avions déjà signé le contrat, et qu’il ne semblait pas avoir de problèmes, Lorraine était particulièrement douée pour vérifier les documents et autres parchemins, ce qui était exactement ce qu’elle faisait. Personnellement, je ne pensais pas que Sheila violerait volontairement les termes du contrat, mais la possibilité que son subconscient révèle des informations était en effet un risque. Il serait également injuste pour Sheila que des erreurs accidentelles l’amènent à quitter la guilde.

Mais une pensée plus sinistre m’avait traversé l’esprit : je ne pouvais pas exclure la possibilité que Sheila puisse être contrôlée par un mystérieux tiers dans le futur. De telles magies existaient quelque part dans le monde, et alors que ceux qui avaient une forte volonté pouvaient résister à une telle tentative, les faibles étaient mentalement brisés, et facilement forcés de divulguer toute information qu’ils détenaient.

Si un tel événement se produisait, Sheila et moi serions dans une position désavantageuse. Il était donc essentiel qu’une personne comme Lorraine vérifie le contrat.

La disposition et les compétences de Lorraine avaient grandement contribué à notre objectif. Le contrat était magique par nature, et il était mieux passé au crible par quelqu’un qui avait une connaissance approfondie de la magie et d’autres choses du genre. Lorraine n’était ni avocate ni fonctionnaire de la loi par aucun moyen, mais l’étendue de ses connaissances était plus que suffisante pour vérifier la validité du contrat en question.

Il ne fallut pas longtemps à Lorraine pour replier le parchemin, apparemment prête à rendre son verdict.

« … Au premier coup d’œil, je suppose qu’il n’y a pas de problèmes évidents. Il y a, bien sûr, une douzaine de questions sur lesquelles je pourrais pinailler. Cela mis à part, cela semble plutôt bien, tant que Sheila elle-même ne parle pas du soi-disant secret de Rentt à des parties extérieures. La considération principale ici, alors, serait un événement où vous êtes involontairement contrôlée par une sorte de magie envahissante… Dans ce cas, je suppose que vous devriez abandonner votre vie actuelle et devenir l’esclave de Rentt, » déclara Lorraine.

« N’y a-t-il rien… qui puisse être fait au sujet de… cette partie du contrat… ? » demandai-je.

« Eh bien, tous les contrats magiques de cette nature souffrent de problèmes similaires. Dans le cas hypothétique où Sheila finirait par être contrôlée par magie contre sa volonté et se retrouve sur la voie de l’esclavage en raison des effets contraignants du contrat, alors tout ce que tu as à faire est d’annuler le contrat de ton côté, Rentt. Si, en fait, elle devient ton esclave, ses droits de propriété te sont automatiquement transférés de toute façon, de sorte que tu peux résoudre le problème à partir de là. Quoi qu’il en soit, il ne semble pas y avoir de problème avec cette partie du contrat, » déclara Lorraine.

Personnellement, j’avais eu l’impression que ces détails mêmes du contrat avaient une douzaine de problèmes qui leur étaient propres. Pour une raison ou une autre, cependant, il semble que cela ait fonctionné d’un point de vue logique, et c’est tout.

« Quoi qu’il en soit, » poursuit Lorraine, « si un tel événement se produisait vraiment, vous pourriez tout simplement vous réunir et annuler le contrat d’un commun accord. Ce que je venais de mentionner n’était qu’un scénario catastrophe… »

Le pire des scénarios de Lorraine était grave. Dans l’éventualité où Sheila serait contrôlée et que la magie serait si forte qu’elle ne pourrait être dissipée, le contrat produirait ses effets, et nous devrions vivre avec les résultats. Dans des circonstances normales, je suppose qu’il n’était pas nécessaire d’aller aussi loin dans la planification d’un scénario catastrophe. Ma situation était cependant loin d’être normale. La prudence de Lorraine était justifiée, c’est le moins qu’on puisse dire.

« Comme je le disais… Ce secret est maintenant partagé entre nous trois. Nous devons tous collaborer pour que ce secret soit gardé. Comme Rentt a l’intention de poursuivre sa carrière d’aventurier, votre rôle est particulièrement important, Sheila, alors nous comptons sur vous, à plus d’un titre, » déclara Lorraine.

« Oui… Bien sûr, c’est ce que j’ai l’intention de faire, mais…, » déclara Sheila.

« Mais ? » demanda Lorraine.

« C’est juste que, Rentt s’est… un peu trop démarqué récemment…, » dit Sheila, en regardant dans ma direction.

« Est-ce qu’il s’est passé quelque chose d’inhabituel… ? » Lorraine se tourna vers moi avec les sourcils plissés.

***

Partie 6

« Il y a… plusieurs raisons, » déclara Sheila.

« Hoho. Plusieurs ? » Lorraine inclina légèrement la tête pendant que Sheila tentait de poursuivre son explication.

Je suppose que Lorraine elle-même pouvait comprendre pourquoi j’attirais l’attention comme j’étais actuellement, mais je ne savais pas qu’il y avait plusieurs raisons qui contribuaient à ce fait.

« Eh bien… Tout d’abord, il y a le problème de son apparence… Bien que je n’appellerais pas ça un problème. Il y a beaucoup d’aventuriers vêtus… et beaucoup d’autres s’habillent tout aussi étrangement à la guilde, donc…, » déclara Sheila.

Un fait de la guilde qui était plus qu’évident pour moi. Même moi, j’étais conscient du fait que je me démarquais autant que beaucoup d’autres aventuriers.

Cependant, une combinaison de facteurs dans mon apparence avait compliqué les choses. Plus précisément, un masque fait d’os et mes robes noires. Ma peau ridée, visible à certains endroits, n’avait pas non plus beaucoup aidé. Je suppose que j’avais eu un bon classement sur l’échelle des apparences étranges.

Lorraine hocha la tête, apparemment d’accord de tout son cœur.

« Oui, en vérité. Si ma mémoire est bonne, n’y avait-il pas d’autres personnes étrangement vêtues ? Comme cet homme vêtu de vêtements aux couleurs de l’arc-en-ciel… avec un grand chapeau à plumes sur la tête. Est-ce qu’il va bien ? » demanda Lorraine.

« … Ah ! Vous devez parler d’Augurey. Il est parti pour la capitale il y a quelque temps… en disant quelque chose sur la façon dont le vent l’appelait. Il était doué, oui, mais il est étrange… La guilde s’est calmée sans lui, » déclara Sheila.

Moi aussi, je connaissais cet Augurey. En fait, je m’entendais plutôt bien avec lui, ayant participé à certaines de ses quêtes de dernière minute, ainsi qu’aux conversations à la taverne qui avaient suivi. Contrairement à son apparence désinvolte, son talent d’aventurier était formidable.

Comme moi, le problème singulier d’Augurey était celui de son apparence. Comme Lorraine l’avait décrit avec justesse, il s’était beaucoup trop distingué avec son accoutrement flamboyant. J’avais même vu des monstres fourmiller autour de lui plus d’une fois. Les monstres étaient des êtres vivants, tout comme nous, donc la combinaison violente des couleurs avait dû être particulièrement attirante pour eux.

Il était de notoriété publique que les monstres suivaient Augurey partout où il allait, que ce soit dans les forêts ou dans les donjons. Par conséquent, lui et moi étions principalement des aventuriers solitaires, ne serait-ce que parce que personne n’était assez enthousiaste pour faire un groupe avec quelqu’un qui pourrait attirer des monstres en restant immobile. Par rapport à cela, mon apparence était beaucoup plus normale — dans tous les cas, plus discrète.

Dire qu’il était allé jusqu’à la capitale…

Les aventuriers étaient connus pour leur souplesse lorsqu’il s’agissait de leur base d’opérations, de sorte que les adieux et les au revoir étaient toujours au coin de la rue. Malgré tout, je ne pouvais m’empêcher de me sentir un peu seul face au départ d’Augurey. Nous étions des camarades dans l’aventure en solo, si j’ose dire, mais je suppose que c’est ainsi que les choses se passaient dans ces pays.

Sheila avait poursuivi son commentaire.

« Quoi qu’il arrive, l’apparence de Rentt contribue au mieux à ce qu’il se démarque. Encore une fois, je ne dirais pas vraiment que c’est un problème… Mais il est allé vaincre des orcs immédiatement après s’être inscrit, puis il a réussi avec brio le test de progression de la classe Bronze… Dans des circonstances normales, je suppose que nous supposerions simplement que Rentt était un épéiste habile avant de devenir un aventurier. Cependant… il y a eu quelques incidents de nouveaux aventuriers… disparus, récemment…, » expliqua Sheila.

Le commentaire de Sheila avait soudain pris une tournure étrange. C’était peut-être un fait tape-à-l’œil pour moi d’avoir vaincu des orcs et d’avoir gravi les échelons en si peu de temps, mais ces cas n’étaient pas du tout rares. Même les nouveaux aventuriers auraient pu être compétents dans divers domaines, martiaux ou autres, avant de s’inscrire à la guilde. Tout ce qu’ils avaient à faire, alors, c’était d’étudier et de réussir adéquatement les deux parties du test de progression.

Cependant, Sheila parle de la disparition de nouveaux aventuriers…

Pourquoi serais-je lié à un tel problème ?

En rencontrant mon regard, Sheila continua.

« Les autorités recherchent les auteurs… Bien sûr, nous avons simplement supposé qu’ils étaient tombés sur des monstres dans le donjon au début. Mais, si c’était vrai, d’autres aventuriers auraient déjà trouvé leurs restes… C’est donc là que réside le problème. Nous n’avons rien trouvé, et de nouveaux cas de personnes disparues continuent d’apparaître…, » expliqua Sheila.

Le corps d’un aventurier tué pouvait simplement être absorbé par le donjon après sa mort, ou consommé par les monstres. Dans un tel cas, cependant, leurs vêtements ou leurs équipements seraient laissés sur place. La matière organique était absorbée plus rapidement que la matière inorganique par le donjon, mais même si leurs corps étaient absorbés, les identifications des aventuriers de la guilde étaient enchantées par les magies appropriées pour assurer leur longévité. Même si on ne trouvait rien d’autre, on finissait par trouver la carte d’identité d’un aventurier.

J’avais entendu dire que certaines cartes avaient été récupérées des décennies, voire un siècle, après la mort du propriétaire, mais les nouveaux aventuriers ne s’aventuraient pas jusqu’à une telle profondeur pour que cela arrive. S’ils mouraient, leurs cartes seraient récupérées relativement rapidement étant plus près de l’entrée.

Avoir un aventurier totalement disparu dans le donjon, la carte et tout le reste, n’était pas du tout naturel. Cette situation avait été exacerbée par la fréquence à laquelle cela se produisait récemment.

« Quelqu’un pourrait dire que ce n’était qu’une coïncidence, que les cartes des aventuriers morts avaient été mises dans un coin quelque part… C’est également possible. En fait, c’est certainement l’explication la plus probable. Cependant, la fréquence à laquelle ils ont disparu est beaucoup trop élevée pour être naturelle. Nous n’avons aucune preuve, bien sûr, mais c’est vraiment étrange. Une possibilité courante à laquelle la guilde est parvenue est qu’un individu sans scrupules a ciblé de nouveaux aventuriers en particulier… soit en les attaquant, soit en les kidnappant…, » expliqua Sheila.

Je suppose que la guilde avait raison. De nouveaux aventuriers disparaissaient à un rythme alarmant et leurs restes étaient introuvables. Si le taux était plus raisonnable, la guilde n’en serait peut-être pas arrivée à une telle conclusion. On pourrait même supposer que l’agresseur visait de nouveaux aventuriers, les tuait et volait leurs biens, ce qui était tout à fait possible.

« Même s’ils sont nouveaux, ils sont quand même des aventuriers, ils ne mourraient pas si vite ni si facilement. Il serait bien sûr possible pour un aventurier de haut rang de les faire… Mais la guilde n’a observé aucun comportement étrange de la part des aventuriers les mieux classés de Maalt jusqu’à présent…, » déclara Sheila.

« Je vois. Donc, pour résumer : si l’on était pressé de chercher un coupable, l’habile et pourtant étrange Rentt serait l’individu le plus susceptible d’être pointé du doigt ? » demanda Lorraine.

Sheila hocha la tête face à la conclusion de Lorraine. « C’est exactement ça. Pour empirer les choses, il est passé en classe Bronze si rapidement… Il ne manque pas d’individus qui répandent des rumeurs infondées sur lui par jalousie. »

« Jalousie… ? » demanda Lorraine.

Une émotion étrange s’éleva de l’intérieur de moi en entendant ces mots. Je ne m’étais jamais considéré comme quelqu’un dont on devait être jaloux. C’est plutôt moi qui devrais être jaloux des gens qui m’entourent.

D’un point de vue réaliste, je devrais probablement être plus contrarié par le fait que certaines personnes m’aient accusé d’un crime que je n’avais pas commis. Mais au lieu de cela, je m’étais senti étrangement ravi.

Quand je pense que d’autres aventuriers sont jaloux de mes exploits… !

Lorraine me regarda avec une expression de dégoût.

« Oh, Rentt. Ce n’est pas le moment de jubiler sur tes réalisations. Si cela continue, je ne trouverais pas étrange de te voir lynché par une foule en colère. Bien sûr, la guilde n’aurait probablement pas fait de mouvements étranges vis-à-vis de toi avec un raisonnement si flou…, » Lorraine ne semblait pas très confiante dans ses propres paroles.

Sheila, se tournant vers Lorraine, avait immédiatement répondu à ses préoccupations d’une manière quelque peu agitée.

« Bien sûr ! Rentt peut paraître étrange, mais il fait du bon travail en tant qu’aventurier ! La guilde ne maltraiterait jamais un aventurier qui est bénéfique pour la cause, » déclara Sheila.

« … Dois-je supposer que si Rentt avait une autre personnalité, il s’en serait rapidement débarrassé ? Comme c’est terrifiant, » déclara Lorraine.

Je suppose que je ne pourrais pas reprocher à Lorraine de l’interpréter de cette façon, car la perspective de la guilde sur la valeur des aventuriers individuels pourrait en effet être une chose redoutable. Mais ce n’était là que la réalité en ce qui concerne les façons de faire du monde.

J’avais personnellement donné ma juste part à la guilde ces derniers temps, non seulement j’étais revenu avec le matériel d’orc promis dans le temps imparti, mais je l’avais aussi emballé d’une manière qui préservait sa fraîcheur. Les aventuriers capables d’une telle tâche étaient peu nombreux, du moins à Maalt.

Alors que l’aventurier qualifié typique pouvait tuer un orc sans trop de problèmes, la préparation adéquate de la viande pour le transport était une autre affaire.

« Dans tous les cas… Ce sont les raisons de ta position précaire, Rentt. Fais attention…, » déclara Sheila.

◆◇◆◇◆

Après notre conversation, nous nous étions assis tous les trois et avions discuté des contre-mesures possibles, pour constater qu’il n’y avait pas de solutions simples au problème en question. Je suppose que c’était ce qui allait se passer dès le début, mais Lorraine avait fait très attention à me mettre en garde contre le cas des aventuriers disparus.

Bien que nous n’ayons pas pu trouver de solution concrète, nous avions finalement décidé que je devais, au moins, m’abstenir d’explorer les donjons pendant un certain temps. Je n’avais pas trouvé que c’était une suggestion très pratique, étant un monstre qui cherchait à passer à un autre stade d’Évolution Existentielle. Si c’était pour quelques jours, je me débrouillerais, mais les jours s’étireraient en semaines, et les semaines en mois… C’était loin d’être une perspective positive.

Il y avait des monstres dans les forêts, les montagnes et ailleurs au-delà de la ville, mais les monstres des donjons étaient encore les plus efficaces pour chasser. Le donjon avait apporté avec lui un large éventail de commodités, allant de la possibilité d’estimer la force d’un monstre par l’étage sur lequel il vivait, jusqu’au fait que certains étages n’étaient peuplés que par certains types de monstres. Inversement, les monstres dans la nature étaient quelque peu irréguliers et imprévisibles. On ne savait jamais ce qu’on trouverait dans les collines et autres. Par conséquent, la chasse en dehors des donjons était décidément inefficace.

Mais je n’avais pas envie qu’on m’accuse d’un incident mystérieux simplement parce que d’autres aventuriers étaient jaloux de mes progrès.

En tenant compte de tous les facteurs ci-dessus, nous avions finalement décidé que je resterais tranquille pour un court moment. Si la situation ne changeait toujours pas après cela, je reprenais mes activités antérieures.

Dans l’éventualité d’un retour à l’exploration, il avait été décidé que j’aurais un membre de groupe avec moi au nom de la sécurité. Cependant, il était également possible que je subisse l’Évolution Existentielle tout en combattant des monstres dans le donjon. L’Évolution Existentielle n’était pas quelque chose que je pouvais contrôler, sa nature involontaire signifiait que tout membre de mon groupe que j’amenais devait connaître ma situation. Cela avait considérablement réduit le bassin de candidats.

Bien que faire équipe avec Lorraine ou Sheila ait été la première pensée qui me soit venue à l’esprit, les deux n’étaient pas des compagnons pratiques, pour diverses raisons. Lorraine devait s’occuper de son travail quotidien et ne pouvait pas toujours m’accompagner au donjon. Sheila, bien sûr, avait son travail comme membre du personnel de la guilde, sans parler du fait qu’elle ne faisait pas exactement partie de la liste de combat de la guilde.

Il semblerait qu’il n’y avait pas vraiment d’alternative à ce que j’explore seul les donjons, même si je suppose qu’un court repos ne ferait pas trop de mal.

En tout cas, je pourrais facilement attendre quelques jours. Si je ne mettais pas les pieds dans le labyrinthe pendant un certain temps, les soupçons qui m’entouraient se dissiperaient progressivement. C’était le plan, de toute façon.

J’étais encore capable d’assumer d’autres tâches qui n’impliquaient pas d’aller dans le donjon, un peu comme le travail que j’avais l’habitude de faire dans la vie. Ces compétences particulières m’avaient à peine quitté, et ce genre de missions n’avaient jamais été rares. Je suppose qu’il n’y avait pas vraiment de quoi s’inquiéter.

Il y avait aussi une autre raison pour que je me retienne de faire de l’exploration pour le moment : j’avais des affaires à régler à Maalt, en particulier avec le forgeron, Clope. Il s’était écoulé beaucoup de temps depuis que j’avais effectué ma commande, alors peut-être qu’elle serait prête maintenant. Telle était l’impression que j’avais eue lorsque je m’étais arrêté de temps en temps à son atelier après mes récentes excursions en labyrinthe.

Cela dit, il n’y avait qu’une seule façon de le savoir : un voyage chez Clope s’imposait.

***

Chapitre 3 : Une nouvelle arme et une force nouvelle

Partie 1

« Oh, vous êtes là, hein ? Je sais ce que vous cherchez. C’est fait, » les traits rudes de Clope s’adoucirent légèrement en me saluant, le bord de ses lèvres se recourbant en souriant légèrement.

En jetant un coup d’œil dans un coin du magasin, j’avais suivi le regard de Clope. Bien sûr, mes yeux se posèrent sur une seule épée luisante, dont le tranchant était d’une brillante teinte argentée.

Je suppose que c’était tout à fait normal, car c’était l’épée que j’avais demandée à Clope.

« Est-ce que c’est… mon épée ? » demandai-je.

« Ouais, » Clope avait hoché la tête en réponse. « Mana, esprit, divinité… Elle a été forgée pour gérer les trois. La quantité de matériaux qu’il a aussi utilisé… Mais nous avons réussi à en obtenir suffisamment, d’une manière ou d’une autre. »

« J’offrirai une compensation pour toute dépense supplémentaire, » déclarai-je.

Connaissant Clope depuis longtemps, je connaissais ses principes, surtout lorsqu’il absorbait des coûts supplémentaires s’ils n’étaient pas indiqués à l’avance. Pour cette raison, j’avais proposé de payer ma juste part.

Cependant, Clope avait rejeté mes paroles d’un signe de la main, réfléchissant pendant un court moment avant d’offrir une réponse.

« … Hmph. Vous êtes toujours comme ça, n’est-ce pas ? J’ai compris. » Clope hocha la tête, comme s’il acceptait ma proposition.

« Oh, ouais… C’est une chose de le faire, mais c’est une lame spéciale, vous voyez. Ce n’est pas n’importe qui qui peut l’utiliser, alors j’aimerais que vous l’essayiez. S’il y a quelque chose qui ne vous satisfait pas, on peut arranger ça. C’est l’une de mes lames, et j’y mets tout mon cœur, après tout… Mais une arme pour les trois éléments, c’est vraiment autre chose. On ne sait pas ce qui pourrait arriver, » déclara Clope en me regardant droit dans les yeux.

Clope avait raison. Bien qu’il existe des aventuriers capables d’utiliser à la fois le mana et l’esprit, ceux qui pouvaient utiliser ces trois capacités, divinité comprise, étaient extrêmement rares. Le simple fait de pouvoir les utiliser tous les trois de la même façon, d’une manière pratique dans un combat réel, était pratiquement inédit. Une demande de cette nature serait un défi pour tout forgeron, même pour ceux qui valaient leur pesant d’or. Il était plus que naturel pour Clope de me demander de tester l’arme. Je serais surpris qu’il ne le fasse pas.

J’avais indiqué mon accord avec un signe de tête brusque.

« Dois-je aller dans votre cour à l’arrière ? » demandai-je.

Les clients qui visitaient l’établissement de Clope étaient souvent invités à y tester leurs armes. C’était un espace dégagé, avec plus qu’assez de place pour que je puisse me mouvoir avec une épée. Je pensais que Clope me demanderait d’y aller ensuite.

Clope renifla. « Oh, donc vous le saviez déjà ? C’est exactement ça. Par ici. »

Debout, Clope semblait amusé que je pose une telle question. C’était peut-être prévisible, vu que je connaissais déjà sa réponse. L’épée à la main, Clope m’avait conduit à l’arrière du magasin en passant par des portes familières.

Peu de temps après, Clope m’avait donné l’épée, et j’avais accepté l’objet des deux mains. Elle avait une bonne prise en main, comme si l’épée avait une vie propre, et choisissait de se coller fermement dans ma paume. Il aurait été impossible de faire quelque chose d’aussi bien ajusté si Clope ne connaissait pas déjà mes habitudes et mes préférences dans la vie.

Il n’y avait pas eu d’erreur : Clope avait fait ça pour moi en sachant exactement qui j’étais.

Peut-être que mon évolution vers un Thrall n’est pas après tout une si mauvaise chose. Cette pensée résonnait dans mon esprit lorsque j’avais resserré ma prise sur l’objet.

C’était un sentiment très différent, pas trop différent de celui de l’époque où j’étais une goule, mais bien différent de celui où j’étais encore un squelette. J’avais la chair sur les mains, car elles n’étaient plus sèches, mais des coussinets très épais qui, pourtant, n’étaient pas très vivants.

Quoi qu’il en soit, la sensation tactile et la prise que j’avais sur les objets revenaient lentement à ce qu’elle était dans la vie d’autrefois. C’était un bon signe, en effet.

« Que pensez-vous du maniement ? » demanda Clope.

« Plutôt bien. J’aimerais la tester en effectuant plusieurs attaques, » déclarai-je.

« Je vois. N’importe quelle cible, c’est bien, hein ? Je vais mettre un mannequin de bois ici. Donnez-m’en juste un peu de temps, » déclara Clope.

Peu de temps après, Clope était revenu avec un mannequin de bois, l’installant au milieu de la cour. Il y avait beaucoup de types de mannequins, même ceux qui portaient une armure de bambou. Un modèle en bois non armé était un choix de base, mais simple. Si j’avais entre les mains une arme légendaire faite de Mithril et d’Orichalcum, peut-être que quelque chose de plus sophistiqué serait justifié — par exemple, un mannequin avec une armure et des accessoires en métal. Cependant, l’arme que j’avais commandée n’était rien de la sorte, alors j’avais supposé qu’un mannequin de bois était correct.

Bien qu’il s’agisse d’un ordre spécial, c’était une arme normale dans la plupart des autres aspects. Si j’essayais de couper le métal une fois de trop, j’endommagerais sans aucun doute son tranchant. Cependant, cela ne tenait pas compte du fait que cette épée particulière pouvait être enchantée par le mana ou l’esprit. Je n’aurais plus à m’inquiéter d’endommager la lame, même si je n’avais pas en premier lieu l’intention de l’endommager sur un mannequin d’essai.

Préparant l’épée, j’avais stabilisé ma position, donnant à l’arme quelques bons coups sur place. Je devais m’assurer que son poids et son centre de gravité soient réglés avec précision — toute la procédure standard, bien sûr.

C’était ce que j’avais toujours fait après avoir accepté une commande nouvellement forgée de Clope.

Sans remarquer aucun problème, j’avais enveloppé l’épée d’une aura magique, la faisant descendre sur le mannequin. C’était un coup léger, presque sans effort, et avec un écho propre et fendu, l’épée avait tranché le bois.

Clope n’avait pas essayé de cacher sa surprise.

« … Hé hé hé hé, qu’est-ce que cela donne ? Est-ce que cela coupe beaucoup mieux, hein ? » demanda Clope.

Le point de comparaison dans ce cas ne serait nul autre que moi, ou du moins, quand Rentt Faina respirait encore. Bien que j’aie eu une certaine compétence dans la vie, ce que je venais de faire me dépassait. Je pouvais fendre du bois, mais ce n’était pas du tout une coupe nette. Si je devais le décrire, ce serait plus une attaque contondante, semblable à frapper le mannequin avec un objet métallique plutôt que de le couper avec une épée.

Les pièces fendues du mannequin de bois, en revanche, parlaient d’elles-mêmes. Les surfaces avaient été tranchées proprement, ce qui témoignait de la qualité de l’arme et, plus importante encore, de la compétence de l’utilisateur.

Comparées à ce que je pouvais faire à l’époque, mes compétences s’étaient considérablement améliorées, à un point tel que je pouvais être raisonnablement fier de mes progrès. C’est dans des moments comme celui-ci que j’avais pu ressentir et comprendre le chemin parcouru, c’était un exploit dont je pouvais être fier.

***

Partie 2

Bien sûr, ce n’était que le premier d’une longue série de tests, je n’avais pas commandé sur mesure une épée qui pourrait utiliser mes trois capacités innées juste pour le spectacle. J’avais encore beaucoup à faire, alors je devrais essayer toutes les combinaisons possibles.

Clope, comprenant mes intentions, avait rapidement remplacé le mannequin tombé par un autre. Alors qu’il terminait ses préparatifs, j’avais commencé à canaliser mon mana dans l’épée, enveloppant sa lame de mon Aura.

La plupart des aventuriers habiles dans le maniement de l’épée utilisaient soit le mana soit l’esprit — parfois les deux. C’était un standard du métier, pour ainsi dire. Je n’étais pas capable d’exploits aussi compliqués avec ma magie. Augmenter mes frappes physiques avec une force magique était à la mesure de mes capacités, et le coup qui en résultait était plus qu’assez mordant pour mes besoins.

Il y avait plus encore : le mana, et la magie dans laquelle il est tissé, avait aussi la capacité de préserver le tranchant d’une lame, permettant de prolonger sa longévité et, plus important encore, de découper facilement les matériaux durs.

Avec un autre coup d’essai de ma nouvelle arme, j’avais trouvé que ma lame avait presque glissé à travers le mannequin avant de le fendre en deux, une expérience nettement plus douce que ma première tentative. Les innombrables capacités de la magie étaient redoutables. Il n’y avait guère de force dans cette frappe, mais elle avait tout de même coupé tout. En y regardant de plus près, j’avais découvert qu’il n’y avait pas un seul morceau de bois collé sur le bord de la lame. En fait, la frappe laissait une surface incroyablement lisse sur les moitiés séparées du mannequin.

Magnifique. 

Avec cela, je pourrais faire un combat efficace contre des monstres de type Pierre dans les niveaux les plus profonds des Donjons. J’étais plus que satisfait de ma nouvelle arme.

Ensuite, il y avait eu un test sur les applications de l’Esprit. Une fois de plus, Clope s’était mis à remplacer le mannequin en bois.

Je ne lui avais pas demandé de le faire en soi, Clope avait de lui-même simplement fait la corvée. Peut-être fallait-il s’y attendre, étant donné que nous nous connaissons depuis une dizaine d’années.

Retirant mon aura de mana, j’avais pris une profonde respiration avant de procéder à infuser mon épée d’esprit à la place.

En théorie, les bienfaits de l’esprit étaient quelque peu similaires à ceux du mana et de la magie, comme une lame imprégnée de mana qui reste tranchante et durable même après de longues périodes d’utilisation. Il y avait, cependant, d’autres phénomènes qui pouvaient être observés si on utilisait l’esprit d’une certaine manière.

Une fois de plus, j’avais levé mon épée, la balançant vers le mannequin. Immédiatement après que la lame ait commencé à séparer le mannequin de bois, j’avais libéré l’aura spirituelle dans mon arme. Avec un hurlement fort et éclatant, il avait rapidement explosé, faisant pleuvoir des morceaux de bois dans la cour de Clope.

C’était l’une des nombreuses applications de l’esprit : l’explosion contrôlée d’une cible une fois que la lame avait percé sa chair. D’une certaine manière, on pourrait dire que l’esprit était plus destructeur que les applications courantes du mana.

Les deux utilisations contrastaient considérablement l’une avec l’autre, où les praticiens de la magie préféraient utiliser des enchantements élémentaires sur leurs lames pour frapper les points faibles des monstres, les praticiens de l’esprit détruisaient simplement leurs cibles avec une force brute. Ces méthodes peuvent être considérées comme différentes pour résoudre un problème, chacune ayant ses propres fonctions appropriées.

Personnellement, j’avais préféré m’attaquer aux ennemis de type slime avec de l’esprit, tandis que les gobelins, les orcs, etc. étaient facilement éliminés par magie. En fin de compte, c’était une question de préférence individuelle.

Enfin, l’application de la divinité était la dernière, mais non la moindre. C’était une capacité qui avait produit des effets très différents des deux précédents, et pourtant, je m’étais trouvé incapable de décrire exactement ce qu’elle avait fait. Même la plupart des individus qui pouvaient canaliser la divinité, généralement les prêtres et autres, avaient du mal à expliquer comment leur propre application de la divinité fonctionnait.

De plus, les épéistes capables d’infuser leurs armes avec la divinité étaient incroyablement rares. Communément appelés paladins, ils étaient souvent chargés d’être le visage public de l’Église ou d’autres organisations religieuses, et n’interagissaient pas très souvent avec les membres de la plèbe. Il était tout à fait naturel que les particularités de la canalisation de la divinité par l’épée restent quelque peu inconnues, ou au mieux, peut-être mystérieuses.

Malgré tout, je suppose que l’acte éprouvé de simplement infuser sa lame avec la divinité avait fonctionné — et c’était tout ce que je pouvais faire.

On disait que la divinité était une sorte de pouvoir d’un autre monde provenant des dieux, ou d’autres esprits inférieurs. Par conséquent, les praticiens savaient instinctivement comment utiliser leurs capacités, même en l’absence de théories ou de méthodologies établies. Il y avait encore d’anciennes institutions dédiées à la recherche de ces techniques et compétences, mais c’était un savoir que je ne possédais pas et que je n’avais pas les moyens d’acquérir.

Quoi qu’il en soit, cela avait simplifié les tests. Sans plus attendre, j’avais canalisé ma divinité dans l’arme. La première chose à considérer lorsque l’on canalisait la divinité était de savoir si l’arme pouvait encaisser la tension d’un tel exploit, car la divinité avait le pouvoir de nettoyer et de ramener un objet à sa forme originale.

Cependant, cela signifiait que les armes forgées avec l’alchimie et d’autres moyens magiques seraient rapidement détruites par la nature même de la divinité, retournant de force à ses matériaux de base où elles deviendraient finalement quelques morceaux de minerai. Pour éviter qu’une telle chose ne se produise, on avait besoin des services d’un forgeron compétent. Cependant, la plupart des forgerons étaient incapables de forger des armes qui pourraient résister à la canalisation et l’utilisation de la divinité.

Clope, en revanche, était un forgeron de premier ordre. Mon arme ne présentait aucune irrégularité alors que la divinité passait à travers elle, et sa lame était enveloppée d’une douce lueur chatoyante.

En me tournant une fois de plus vers le mannequin, j’avais levé mon épée et j’avais encore une fois mis à l’épreuve ses capacités. L’ampleur de la résistance, ou l’absence de résistance était surprenante. Il n’y avait pratiquement pas de friction lorsque la lame avait glissé, même si on la comparait à mon utilisation de la magie. Je suppose qu’on pouvait s’attendre à cela de la part des dieux et des fées, ses capacités étaient vraiment distinctives.

Mais les autres effets de la divinité en avaient fait une capacité difficilement descriptible.

« … Hey. Quelque chose sort de ce mannequin…, » déclara Clope, regardant en bas les moitiés tombées de la cible en bois.

Curieux, je m’étais approché des morceaux, pour voir jaillir les germes les uns après les autres des morceaux du mannequin tombé.

S’agissait-il là d’un autre exemple des capacités réparatrices de la divinité ayant des conséquences involontaires ? J’étais aussi confus que Clope.

 

 

« … Avez-vous vu ça avec d’autres manieurs de divinité avant ça ? » demandai-je.

« Non, rien de la sorte. Ils disent que les capacités de chaque praticien diffèrent en fonction de ce qui leur a accordé ces pouvoirs au départ… Alors, d’où tenez-vous votre divinité ? » demanda Clope.

« J’ai réparé… un vieux sanctuaire… près de chez moi… dans le passé, » répondis-je.

« Hmm. Quel acte de piété, hein ? » demanda Clope.

« Il n’y avait pas beaucoup de sens à mes actions. J’en avais envie, c’est tout, » répondis-je.

En réalité, j’avais réparé le sanctuaire pendant mon temps libre, car je ne pouvais pas supporter de le regarder être dans un état de délabrement. Je suppose que le passant moyen ne s’était pas arrêté et n’avait pas pensé qu’il devrait réparer un sanctuaire cassé, ce qui expliquait pourquoi il était tombé en ruines. Le sanctuaire détruit était malheureusement tenu pour acquis… Du moins, jusqu’à ce que je le répare.

« Quelle qu’en soit la raison, » poursuivit Clope, « Je pense que c’est de là que vous tenez votre divinité ? Je parle de ce vieux sanctuaire. »

« … Oui, » répondis-je.

« On peut donc supposer qu’une sorte de fée des plantes vivait dans ce sanctuaire… ou quelque chose comme ça. C’est pourquoi votre divinité et son aura ont un tel effet. Vous souvenez-vous de cette sainte prêtresse qui est venue à Maalt il y a longtemps ? Ils ont dit qu’elle était bénie par un dieu de la guérison, qu’elle guérissait les gens de maladies mineures juste en les touchant. La vôtre… serait la version végétale, si je devais le dire, » déclara Clope.

L’explication de Clope était tout à fait logique. Bien que je me souvienne d’avoir aperçu la sainte prêtresse de loin il y a longtemps, je ne me sentais pas particulièrement bien ce jour-là, et je ne me souvenais pas de grand-chose de l’incident.

Si je devais le mettre en mots, la force de sa divinité était directement proportionnelle à la force de l’être qui l’avait accordée. Je me souvenais avoir lu un tel passage dans l’un des livres de Lorraine.

Dire que j’avais de toutes choses un don pour les plantes médicinales… Ce n’était pas une capacité très utile à avoir.

Clope, comme s’il lisait dans mes pensées, attirait encore une fois mon attention sur les pousses.

« Ces pousses sont bénies, vous savez. Ils produiront du bois aux propriétés divines s’ils sont cultivés. Pourrais-je les avoir ? » demanda Clope.

« Je ne pense pas qu’ils pourraient finir par pousser comme de vieux arbres normaux, vous savez, » déclarai-je.

« C’est très bien pour moi aussi. C’est un de mes hobbies, vous voyez. Peut-être qu’ils deviendront des arbres forts qui porteront des branches divines… ou non. Néanmoins, ce sont des choses rares. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je n’ai pas entendu parler de jeunes arbres bénis par les fées des plantes à vendre ces derniers temps, » déclara Paroles.

Les paroles de Clope avaient une certaine vérité historique pour eux, car il avait été dit que l’humanité n’avait plus reçu de bénédictions des dieux et des fées des bois ces derniers temps. Pour couronner le tout, les relations entre les deux races s’étaient détériorées ces derniers temps, et même, si ma mémoire était bonne, les deux races interagissaient autrefois en des termes relativement cordiaux.

— Une pensée pour une autre fois.

Je m’étais trouvé quelque peu surpris par l’habitude de jardinage de Clope. C’était peut-être quelque chose dont nous n’avions jamais parlé auparavant. Tandis que je me tenais debout, Clope s’était mis à remplacer une fois de plus le mannequin de la cible, cette fois avec un petit sourire sur le visage. Bien que je connaissais certains des passe-temps de Clope, je suppose qu’il avait vraiment un faible pour le jardinage quelque part dans ces mains trempées par le feu.

Penser que celui-là, avec son visage, aurait un hobby si encourageant. C’était indigne de ma part de dire une telle chose, oui, mais l’humeur nettement améliorée de Clope était indéniable.

Après avoir fini de préparer le mannequin, Clope s’était approché de moi, en faisant un geste d’une main libre.

« Eh bien, c’est assez, n’est-ce pas ? On remballe bientôt ? » demanda Clope.

J’étais resté debout un moment à penser à la question de Clope. Il y avait une dernière chose que je n’avais pas encore essayée.

« … Magie, Esprit, Divinité. Que se passerait-il si je canalisais tout dans cette épée ? » demandai-je.

« Écoutez-moi bien…, » le sourire de Clope, jusqu’alors content, se transforma un peu en une grimace lorsqu’il posa une main sur son menton, fermant les yeux dans une pensée profonde. « Avez-vous déjà entendu parler de quelqu’un capable de faire quelque chose comme ça ? Parce que je ne l’ai pas fait. Peut-être que quelqu’un quelque part le peut. Mais écoutez… on ne sait pas ce qui se passera si vous y allez et essayez. »

« … Est-ce préférable de ne pas le faire ? » demandai-je.

Comme l’avait dit Clope, ceux qui avaient utilisé ces trois aspects étaient quelque peu rares, sans parler d’une personne qui pouvait utiliser chacun d’eux en toute sécurité au combat. Nous pourrions rétrécir le cercle une fois de plus si nous pensions au nombre hypothétique de personnes qui pourraient canaliser en toute sécurité les trois éléments en un seul objet à la fois. Il fallait énormément de concentration pour qu’on puisse même canaliser un seul aspect dans une arme. Canaliser les trois à la fois pouvait en effet être trop pour un aventurier, même s’il s’agissait d’un aventurier compétent.

Malgré tout…

***

Partie 3

« N’y avait-il pas des arts spirituels qui impliquaient à la fois la magie et l’esprit ? » demandai-je.

« Ça. Comment l’appelaient-ils... Art Fusionnel de la Mana-Esprit ? Il faut s’entraîner un certain temps pour faire quelque chose comme ça, vous voyez. Même vous, vous savez que seuls quelques-uns en sont capables. Mais, eh bien… Celui-ci en prendra probablement deux à la fois, sans problème. Mais si vous mettez la divinité dans le mélange… même moi, je n’en ai aucune idée. Si vous voulez vraiment l’essayer, commencez au moins avec un Art Fusionnel double. Et avec ça, pas avec votre nouvelle épée. »

Les Arts Fusionnels Mana-Esprit étaient une affaire compliquée, car ils impliquaient la canalisation simultanée du mana et du pouvoir spirituel, enchantant à la fois l’épée et le manieur. Cela lui conférait une immense capacité de destruction et de résistance. Peu de personnes pouvaient l’utiliser de façon pratique, et la nature épuisante de l’application la rendait difficile à contrôler. Une explosion pourrait très bien se produire si des erreurs étaient commises, il était donc risqué de tenter même de s’entraîner à utiliser la technique. Il n’était pas difficile de comprendre pourquoi les personnes capables d’utiliser cette technique étaient peu nombreuses.

… Mais j’étais d’une nature physique différente. Je ne mourrais probablement pas même si on m’envoyait ma tête voler quelque part. De même, les blessures au corps pourraient probablement être évitées en haussant les épaules. Bien que je ne dirais pas qu’il était sûr pour moi de pratiquer une telle chose, ce n’était pas aussi risqué que si j’étais une personne normale.

L’épée que Clope m’avait tendue était la pièce que j’utilisais jusqu’à présent : l’épée capable de canaliser à la fois l’esprit et la magie. Si j’y injectais aussi de la divinité, elle pourrait très bien se briser, alors j’avais fait part de mes inquiétudes à Clope.

« Ce n’est pas trop cher si c’est ce que vous demandez. Vu ce que vous avez payé pour votre nouvelle épée… Je l’inscrirai comme dépense, » déclara Clope.

À cheval donné, on ne regarde pas les dents, j’avais ramassé mon ancienne épée, remettant ma pièce nouvellement forgée à Clope. Je devais canaliser à la fois la magie et l’esprit dans l’instrument — ce même Art Fusionnel Mana-Esprit en question.

En théorie, c’était ce que j’étais censé faire, en pratique, c’était incroyablement difficile. C’était comme si j’essayais de mettre plus de choses dans une boîte qui était déjà remplie à ras bord. La boîte en question semblait pleine et remplie, et pour empirer les choses, le flux des deux aspects à l’intérieur de ladite boîte était instable. Il était probable qu’un désastre se produirait si le contenu de la boîte se répandait d’une façon ou d’une autre.

D’après ce que je connaissais de la technique, le désastre en question impliquait une explosion quelque part dans le corps du manieur, suffisamment évidente d’après les échecs des courageux pionniers avant moi.

Je n’avais pas eu beaucoup de temps pour réfléchir. Dès que Clope en avait fini avec la mise en place du mannequin, j’avais enfoncé ma lame dans le mannequin de bois malheureux. Avec une fissure assourdissante, le mannequin avait explosé violemment au contact de l’extrémité de la lame. La force et l’ampleur de l’explosion n’étaient rien comparées à l’explosion induite par l’esprit que j’avais démontrée plus tôt. Je ne pouvais que me tenir debout sur place, stupéfait alors que je continuais à regarder fixement l’effet de mon attaque.

Clope faisait apparemment la même chose.

« … Si jamais vous foirez, vous allez devenir comme ça, » déclara-t-il, ses mots plus lents et plus délibérés que d’habitude.

Clope avait raison, c’était un pouvoir qui comportait des risques considérables. C’était aussi excessivement fatigant — une seule tentative de la technique m’avait donné l’impression d’avoir passé toute la journée à m’entraîner.

« Regardez-moi ça… Et vous voulez toujours y ajouter la divinité ? Réfléchissez à cela… Vous n’avez pas besoin que je vous dise que c’est une mauvaise idée…, » déclara Clope.

Clope avait ses doutes, mais je l’avais déjà fait jusqu’ici. Il n’y avait pas d’autre choix que d’aller de l’avant. Même si j’échouais, ce corps m’assurait de ne pas mourir.

Bien sûr, mon corps pourrait très probablement être réduit en miettes et répandu dans la cour de Clope, à ce moment-là, je n’aurais plus qu’à dire la vérité à Clope, et lui demander de rassembler mes parties du corps. Après cela, il ne s’agirait plus que de me guérir avec la divinité.

Cependant, je n’avais aucune idée si une telle chose était même possible, ou si j’étais capable de guérir de si grandes blessures. Je n’arrivais même pas à imaginer Clope souriant paisiblement alors qu’il ramassait mes morceaux de corps éparpillés sur le sol.

Ce n’était pas simplement un pari, une attaque forte exigeait une bonne dose de préparation et de sacrifice. Dans tous les cas, j’aimerais pouvoir pratiquer dans un endroit sûr, comme celui-ci.

C’était une autre étape vers mon but — je devais devenir un aventurier de classe Mithril à tout prix. Peu importe ce qu’il avait fallu pour le faire.

Pour cela, il fallait que je devienne plus fort. S’il y avait le moindre soupçon de possibilité, je ferais bien d’explorer cette voie. Elle serait certainement pleine de dangers et de grands risques.

« Eh bien… essayez si vous voulez vraiment. Mais si ça se présente mal, vous vous arrêtez tout de suite, vous m’entendez… ? » déclara Clope.

Le problème, vraiment, c’était de ne pas pouvoir s’arrêter quand on en avait besoin tout en canalisant. Pour l’instant, j’avais écarté cette pensée.

Après avoir décidé de la marche à suivre, Clope alla chercher un autre mannequin, l’installant alors que je me tenais debout avec mon épée encore en main.

Il semblait que c’était le dernier mannequin disponible. Je me sentais un peu coupable d’avoir utilisé tout le matériel de Clope, mais c’était un mal nécessaire. De tels services étaient inclus dans le prix global que j’avais payé lorsque j’avais commandé mon arme, alors je ferais aussi bien d’en tirer le meilleur parti.

En me concentrant une fois de plus, j’avais canalisé le mana et l’esprit dans l’épée, tout comme je l’avais fait quelques instants auparavant.

Mais c’était plus facile à dire qu’à faire puisque l’arme semblait déjà instable telle quelle. Je pouvais à peine imaginer qu’il serait possible de canaliser autre chose à travers la lame. Malgré cela, j’avais fait ce que j’avais décidé.

En m’éreintant, j’avais activé la divinité en moi, ce qui l’avait forcée à s’écouler dans la lame. Je pouvais voir l’aura blanche familière qui se faufilait à travers la lame, bien qu’elle semblait avoir de la difficulté à se fondre avec les autres auras présentés.

J’aurais dû m’y attendre, mais même si j’étais quelque peu déçu, j’étais aussi soulagé. Mais mon soulagement n’avait pas duré très longtemps.

Crac.

Avec ce son inoffensif, une série de fissures s’était répandue à travers la lame. Bien que petit, je ne comprenais que trop bien que ce ne serait qu’une question de temps avant qu’il ne s’étende au reste de l’arme. Le simple fait de combiner les auras de cette façon pourrait déclencher un reflux, une situation dans lequel les auras combinées reviendraient de force en moi, avant d’exploser de façon spectaculaire. Pendant un moment, j’avais eu un aperçu mental de cet avenir.

C’est mauvais…

Même Clope, qui se tenait à une distance de sécurité, en était conscient.

« Hé, hé ! Frappez avec cette épée tout de suite, ou arrêtez-vous ! Vite ! Vite ! » cria Clope, agitant les bras sauvagement.

Mais si j’arrêtais maintenant, l’expérience se terminerait sans résultat. Je n’avais qu’un seul choix : je devais frapper immédiatement avec cette épée.

Après ça, je l’avais soulevé très haut au-dessus de ma tête, l’abaissant de façon décisive d’un seul coup. Il y avait peu ou pas de résistance, comme lorsque je canalisais à la fois le mana et l’esprit.

Pourtant, j’étais momentanément confus, car il ne se passait rien de particulièrement excitant — jusqu’à ce que le mannequin cible commence à craquer, s’effondrant rapidement en lui-même dans une spirale autoconsommatrice.

Cette réaction s’était poursuivie jusqu’à ce que le mannequin soit réduit au dixième de sa taille, pour finalement tomber sur le sol sans danger. Au même moment, de larges fissures s’étaient épandues sur toute l’épée que je tenais, et en un instant, l’arme s’était effondrée en un amas de ferraille.

Grâce au sacrifice de l’épée, j’avais cependant évité un accident de refoulement potentiellement fatal. Si je devais le deviner, ce tourbillon d’énergie instable avait été envoyé complètement dans le mannequin, et avait été dispersé en toute sécurité après mon coup.

En m’approchant de l’objet tombé, je l’avais ramassé, l’inspectant d’un œil curieux. C’était tout ce qui restait : un morceau de bois comprimé, presque en forme de boule. C’était comme une force immense qui l’écrasait et la pliait à plusieurs reprises de l’extérieur, avant de finalement l’entourer entièrement et de la comprimer dans la balle que je tenais dans les mains.

Si c’était l’effet de la combinaison des trois aspects… quels effets cela aurait-il sur un monstre, ou même sur un humain ?

C’était terrifiant de penser à un tel événement.

En m’approchant prudemment, Clope fixa la boule de bois dans mes mains avec une expression un peu compliquée. Ramassant la poignée à peine intacte de l’arme détruite, Clope soupira en se tournant vers moi.

« … Rien de bon — complètement détruit. Il n’y a plus rien à sauver non plus. Peut-être que celle que j’ai forgée pour vous pourrait résister à une telle technique… Mais je n’essaierais pas, de toute façon. Si vous insistez sur les Arts Fusionnels, limitez-le au mana et à l’esprit seulement. »

« Que ferais-je si… cela n’a pas fonctionné sur… ma cible ? » demandai-je.

Bien que mes tests m’aient semblé être des réalisations importantes, je n’avais rien de plus qu’un mannequin de bois à frapper. À l’exception du test final, les résultats de mes précédentes frappes pourraient être facilement reproduits par un aventurier de la classe Argent. Je suppose que je ne pourrais pas vraiment appeler des techniques communes comme celles-ci mon atout.

« Je comprends ce que vous essayez de dire… mais n’avez-vous jamais pensé à ce qui arriverait à votre épée après avoir fait quelque chose comme ça ? » Clope, me regardant avec une expression exaspérée, avait offert une réfutation presque immédiate. Il avait tenu la poignée en ruine de l’arme que je tenais tout à l’heure.

Encore une fois, Clope avait raison, si j’insistais pour utiliser un tel coup, ce serait un coup unique, après quoi je serais incapable de continuer à me battre. C’était un problème qui valait la peine d’y réfléchir.

« Eh bien…, » Clope avait poursuit, « Vous pourriez apporter plusieurs épées et les utiliser comme armes jetables. Même si vous apportez un tas de bons marchés, ils devraient au moins résister à la fois au mana et à l’esprit… Si ce n’est pas le cas, elles pourraient se briser immédiatement. Bien sûr, si vous avez fait quelque chose comme ça, ça vous coûtera cher. Immensément cher. »

« Je suppose que c’est vrai. Et si on lançait des couteaux ? Je serais capable de les utiliser comme une arme de jet, » demandai-je.

Si je pouvais faire quelque chose de ce genre, je me trouverais soudainement avec beaucoup plus d’options stratégiques tout en explorant. Même si les armes impliquées ne pouvaient pas résister aux auras canalisées et se désintégraient, le risque de reflux était faible, étant donné que l’objet serait loin de moi d’ici là. Dans un tel cas, ces couteaux devraient être jetables puisqu’ils seraient rendus inutiles après une seule attaque.

« Je me le demande… Voulez-vous le tester ? » demanda Clope.

Comme toujours, j’avais apprécié les gestes généreux de Clope. Il était vite revenu avec un couteau bon marché que je pouvais utiliser.

Malheureusement, l’expérience s’était soldée par un échec. Maintenir le mélange de mana et d’esprit me semblait impossible, car il s’estompait une fois qu’il avait quitté mes mains. Inutile de dire que je n’avais pas pris la peine d’essayer de lui insuffler la divinité.

Si je ne canalisais qu’un seul aspect, l’arme pourrait être capable de maintenir son aura jusqu’à l’impact, sinon elle devrait être utilisée en combat rapproché.

Les principales conclusions de cette série de tests étaient que je comprenais maintenant les effets de la canalisation du mana et de l’esprit à travers ma nouvelle arme, en plus de l’utilisation des Arts Fusionnels mana-esprit. Cela, et la canalisation des trois éléments n’étaient pas seulement risqués, mais détruiraient complètement une arme, donc je m’efforcerais de ne pas l’utiliser avec de l’équipement coûteux d’aucune sorte. De plus, les Arts Fusionnels étaient inefficaces sur le plan des ressources, il ne s’agissait pas d’attaques à utiliser sur une base régulière.

C’était à peu près tout résumé.

J’avais l’impression d’avoir acquis pas mal de connaissances, mais j’étais maintenant conscient du fait que les attaques puissantes avaient souvent de grandes conséquences pour ceux qui les brandissaient, me rappelant une fois de plus les complexités du monde. L’aventure n’était guère facile sous quelque forme que ce soit.

Malgré tout, j’avais un atout à utiliser dans des cas et des situations absolus — le bon côté proverbial des choses. Je n’envisagerais pas d’utiliser ces attaques si je n’étais pas confronté à un ennemi puissant ou si ma vie était en grand danger.

Quant à l’Art Fusionnel mana-esprit, je me sentais confiant de m’habituer aux conséquences que cela pouvait avoir sur moi, peut-être même jusqu’à un point où je pourrais l’utiliser quotidiennement sans trop de désagréments. Cependant, pour que cela se produise, il me faudrait beaucoup de pratique. Pratiquer mon atout destructeur d’armes finirait par me faire détruire une arme à chaque fois que je l’essayais.

Selon Clope, une arme fabriquée à partir de quantités importantes de Mithril ou d’Orichalque pourrait être capable de résister aux forces impliquées, mais naturellement, je n’avais pas les fonds pour une telle entreprise.

Quoi qu’il en soit, tout ce que je pouvais faire maintenant, c’était de travailler avec ce que j’avais actuellement et de continuer mon ascension constante. Telle était la conclusion à laquelle j’étais arrivé, une fois de plus mal à l’aise d’être retourné à la réalité.

***

Partie 4

Après avoir payé Luka, la femme de Clope, le solde dû pour mon épée et d’autres services, j’étais sorti du magasin. Bien que le regard de Luka ait suggéré qu’elle avait quelque chose à dire, elle garda le silence pour l’instant, et moi, pour ma part, je la regardais avec une expression ambiguë. Bien que j’avais l’intention de lui rendre la pareille avec un sourire.

Mais c’était difficile, car l’état actuel de mon visage me rendait physiquement impossible de sourire. Pour empirer les choses, la peau sur la moitié inférieure de mon visage était décidément manquante.

Tandis que je réfléchissais à ma malheureuse incapacité à sourire, Luka semblait rassurée pour une raison ou une autre, répondant par un petit sourire de sa part. Mon expression par ailleurs ambiguë transmettait-elle d’une manière ou d’une autre les mots que je voulais dire ? Je ne pouvais que l’espérer.

Ma prochaine destination, après avoir récupéré mon arme, n’était autre que la guilde. J’avais la ferme intention de commencer à travailler comme aventurier de la classe Bronze le plus tôt possible. Maintenant armé d’une épée nouvellement forgée, je serais sûrement capable de progresser dans les donjons à un rythme encore plus rapide… C’est ce que j’aurais aimé faire. Lorraine et Sheila m’avaient averti de rester à l’écart des donjons pendant un certain temps, et pour être honnête, cela m’avait beaucoup troublé. Bien que, je suppose que ma situation était assez compliquée en l’état. Même si j’avais un air suspect, et selon la personne à qui vous aviez demandé, terrifiant, j’aimerais éviter d’être considéré comme un kidnappeur.

Je ne pouvais m’empêcher de me demander quand j’allais à nouveau parcourir les couloirs des donjons. 

Tout bien considéré, les ravisseurs et les aventuriers mal intentionnés n’étaient que trop fréquents dans les donjons. La plupart des aventuriers étaient d’une force respectable et pouvaient utiliser le mana, l’esprit et la divinité. Si l’un d’eux était capturé et réduit en esclavage, il serait certainement vendu pour une grosse somme d’argent.

Alors que le royaume de Yaaran (dans lequel Maalt était) interdisait l’esclavage en raison de l’histoire et de la fierté de la classe dirigeante, c’était plus l’exception que la norme. En fait, de nombreux royaumes dans ce monde avaient souvent fermé les yeux sur la traite des esclaves. On pourrait prétendre que le commerce était alimenté par les quelques pervers avec le désir insatiable de contrôler la vie de beaucoup d’autres, mais hélas, ce n’était pas tout à fait le cas. Certaines sociétés dans ces pays étaient tout simplement devenues incapables de fonctionner sans un système d’esclavage quelconque.

Par exemple, dans les industries dangereuses comme l’extraction du minerai, il était difficile pour les employeurs d’atteindre des quotas de ressources spécifiques sans recourir au travail forcé. En fait, certaines personnes avaient été réduites en esclavage, souvent à cause de dettes importantes. Bien qu’ils aient abandonné une partie d’eux-mêmes, et avec cela une partie de leur liberté, ils seraient au moins capables de conserver une once de dignité en effaçant ce qui restait de leur dette. Mais il n’était pas rare d’entendre parler de personnes maltraitées simplement parce qu’elles étaient esclaves. Alors que les lois formelles n’existaient pas dans de nombreux royaumes, l’abus visible des esclaves n’était souvent pas toléré.

Personnellement, je ne savais pas quelle était la plus grande tragédie, c’était généralement un triste état de choses.

Il était facile de comprendre pourquoi les esclavagistes et les ravisseurs avaient choisi de cibler les aventuriers puisqu’ils étaient si forts physiquement, en plus de leur capacité d’utiliser la magie ou les arts spirituels. Les esclavagistes, pour leur part, n’avaient même pas besoin de chercher trop loin, tout ce qu’ils avaient à faire était d’entrer dans un donjon et de faire leur chasse. Les criminels potentiels auraient à traiter avec la guilde et les aventuriers forts et vertueux. D’un autre côté, ils pouvaient aussi solliciter la coopération d’aventuriers aux mœurs douteuses, telle était les voies du monde.

Il serait naïf de penser que le seul ennemi des aventuriers était les monstres — la réalité était une maîtresse beaucoup plus dure. C’est pourquoi les tests de progression de classement étaient incroyablement stricts, une partie dans le but d’éliminer ces éléments indésirables.

Toutefois, la traite des esclaves étant interdite dans le royaume de Yaaran, les enlèvements et autres incidents similaires avaient eu lieu à une échelle beaucoup plus réduite. Je ne pouvais pas douter que cela se produise encore sur ces terres, et même si je n’avais pas de sources concrètes, je pouvais au moins dire que de tels événements étaient rares.

C’est exactement la raison pour laquelle la récente vague de disparitions avait mis la guilde en état d’alerte. Vu mon apparence étrange, j’avais supposé qu’il était facile de me pointer du doigt. Certains pourraient même prétendre que j’étais derrière tout cela. C’est pourquoi je devais éviter le donjon, et me concentrer sur diverses demandes de petits boulots.

J’étais quelque peu habile avec ces petits boulots dans la vie, et je ne les trouvais pas difficiles, mais mes pensées étaient constamment hantées par le désir de subir l’Évolution Existentielle. Au moins, j’aimerais évoluer vers un être qui pourrait montrer son visage en toute sécurité en étant à côté d’humains normaux. Actuellement, je ne pouvais pas manger dans les restaurants et les tavernes. J’avais dîné à l’établissement de Loris à plusieurs reprises, oui, ne serait-ce que parce que Loris avait accepté ma situation. Et je ne l’avais fait que lorsqu’il n’y avait pas d’autres clients présents, tout en restant hors de vue de la femme de Loris, Isabel.

Alors que Loris pensait que ma peau n’était qu’une sorte d’accessoire lorsqu’il l’avait vue pour la première fois, il avait vite compris qu’elle était réelle après un simple toucher, retirant rapidement sa main. J’avais expliqué que c’était dû à une malencontreuse malédiction, et autant que je sache, Loris avait accepté mon explication. Je ne pensais pas qu’être un monstre qui parle n’avait jamais traversé l’esprit de Loris.

Si j’évoluais dans le futur, tout ce que j’avais à lui dire était que ma malédiction avait été levée par une sainte prêtresse de passage, et ce serait tout ce qu’il y avait à faire.

Telles étaient les pensées qui inondaient mon esprit lorsque je me tenais debout, en regardant les panneaux de demande sur les couloirs de la guilde. Il y avait une variété de petits travaux, allant de la demande d’un partenaire d’entraînement à une simple assistance pour le transport d’objets lourds.

Tandis que je continuais à jeter un coup d’œil sur les listes, j’avais entendu des bribes d’une conversation tout près de chez moi.

« J’ai déjà dit non, mon pote. Peux-tu aller déranger quelqu’un d’autre ? Personne ne va aller dans un trou rural comme ça ! »

« Mais… ! Je vous en supplie ! S’il vous plaît, s’il vous plaît, vous devez m’aider ! »

C’était dans la direction générale du comptoir de la réception de la guilde. En y regardant de plus près, on s’aperçoit qu’il s’agissait d’une conversation entre un aventurier en apparence chevronné et un jeune homme agité d’une vingtaine d’années.

D’après ce que j’avais entendu, les circonstances étaient donc les suivantes :

Le jeune homme, désespéré, approchait personnellement les aventuriers dans l’espoir qu’ils accepteraient sa demande. L’aventurier à qui il parlait refusait. Il était également facile de deviner pourquoi l’aventurier refusait d’assumer la tâche, car la plupart des demandes étaient simplement laissées à la guilde et épinglées sur l’un de ses nombreux tableaux. Le fait que le jeune faisait personnellement cela était déjà assez suspect. La demande était probablement déjà affichée, mais n’avait été acceptée par personne en raison de sa nature problématique. Peut-être s’agissait-il d’un voyage sur de longues distances ? Si tel était le cas, il n’était pas étonnant que la demande n’ait pas encore été satisfaite, et il ne serait pas étrange pour l’aventurier de rejeter la demande pour commencer.

Cependant…

« Espèce de bâtard insistant… Si tu ne la fermes pas tout de suite… »

Peut-être que la persistance du jeune avait touché un nerf. Quoi qu’il en soit, la situation était sur le point de prendre une tournure dangereuse.

J’avais donc décidé d’intervenir.

« … Hey. »

« Quoi… ? Qui diable es-tu ? » demanda l’aventurier, déplaçant son regard du jeune vers moi.

Ses yeux étaient dilatés et son expression folle, je pouvais voir qu’il était sur le point de traîner le jeune dans une ruelle ou une autre, avant de s’engager dans des actes de violence débridée. Cette hostilité était maintenant dirigée contre moi, l’étrange individu qui se mettait en travers de son chemin.

Pour dire la vérité, j’avais l’impression d’avoir dû intervenir. Même si les aventuriers de Maalt étaient connus pour leur morale et leur sens de l’éthique, cela ne s’appliquait qu’à ceux qui étaient principalement basés à Maalt. Cet aventurier vétéran en question ne connaissait pas tout cela. Il était donc fort probable qu’il était une sorte de vagabond. Cela signifiait aussi que les probabilités qu’il se livre à des actes de violence à l’encontre du jeune homme insistant étaient élevées, comme on pouvait s’y attendre. C’était assez difficile de regarder et de ne rien faire.

« … N’est-ce pas évident… D’après mon apparence ? Je suis un… aventurier, » répondis-je.

« Ha. Vraiment ? Qu’est-ce que ce grand et puissant aventurier veut de moi ? » demanda l’autre.

« J’aimerais que vous me laissiez m’occuper de ce jeune homme, » déclarai-je.

« Qu… ? »

L’aventurier, me fixant d’un air déconcerté, semblait encore plus surpris lorsque j’avais placé une pièce d’argent dans sa paume, en me penchant en avant. « … Je pensais que vous… seriez d’humeur à… tout cela, n’est-ce pas ? »

En entendant mes paroles, un sourire tordu se répandit sur le visage de l’aventurier. « Oh, c’est vrai ? Eh bien, c’est tout bon alors. Je vais prendre du bon vin avec ça, alors fait ce que tu veux de lui ! »

Après ça, l’homme se retourna et était sorti tout droit par les portes de la guilde.

Bien qu’il ne soit pas nécessaire que je le paye, il serait sûrement resté pour râler si j’avais simplement exigé la libération du jeune homme. Si je laissais l’aventurier à lui-même, le résultat serait sûrement gênant. Éviter une telle chose valait probablement au moins une pièce d’argent.

Le jeune homme, par contre, semblait encore plus affolé. Peut-être fallait-il s’y attendre, étant donné que l’aventurier qu’il avait supplié de l’aider était parti.

« Argh… ! » Il avait en effet une expression pathétique.

Une fois la situation résolue, j’avais l’option de retourner simplement à ce que je faisais, mais il me manquait maintenant une pièce d’argent. En gardant cela à l’esprit, je m’étais tourné vers le jeune homme.

« Vous lui demandiez de répondre à l’une de vos demandes, correct… ? » demandai-je.

« Eh… ? Oui… Qu’est-ce qu’il y a ? Ah, ne me dites pas… que vous voudriez accepter ma demande à sa place !? » demanda le jeune homme, alors que son visage s’était instantanément illuminé.

Je ne devrais pas lui donner trop d’espoir prématurément, car je n’étais pas aussi fort que j’aurais aimé l’être à ce moment-là. À en juger par la façon dont s’était déroulée l’interaction précédente entre les deux, j’avais pu en déduire que la demande en question était trop dangereuse, même pour un aventurier chevronné.

J’avais donc répondu en conséquence. « Je ne peux rien vous promettre, mais je vais au moins écouter ce que vous avez à dire. Venez. »

En disant cela, je m’étais retourné, sortant de la salle de guilde d’un pas vif.

Il n’y avait aucun moyen de savoir si quelqu’un d’autre avait entendu la conversation précédente entre le jeune homme et l’aventurier, alors je voulais discuter de cette question ailleurs, de peur que mes actions ne semblent suspectes.

À vrai dire, j’avais toujours voulu faire quelque chose comme ça au moins une fois. Mais il n’y avait aucun moyen de savoir si le jeune homme me suivrait. Il était peut-être encore là, bouche bée.

« Ah, oui ! Attendez-moi ! » déclara le jeune homme, avant de me courir après moi. Je suppose que ça avait marché.

En me tournant vers lui alors qu’il me rattrapait, j’avais informé le jeune de notre prochaine destination.

« Il y a un restaurant à proximité. Allons-y d’abord, » déclarai-je.

Après ça, j’étais reparti à vive allure, alors que le jeune homme me suivait de près.

***

Partie 5

« Alors de quel genre de demande s’agit-il ? » demandai-je.

Le restaurant où nous nous étions rendus n’était autre que le pavillon de la Wyverne Rouge, dirigé par Loris, un ancien aventurier malheureux, aujourd’hui vraisemblablement à la retraite. Il était rare que je visite son établissement si tôt dans la journée, et la plupart des autres commerçants ne se donnaient pas la peine de cacher leur répulsion involontaire quand quelqu’un comme moi passait par leurs portes. Loris, pour sa part, était incroyablement reconnaissant de mon aide et m’avait toujours accueilli à bras ouverts. C’était dans des moments comme celui-ci que j’avais ressenti, moi aussi, un profond sentiment de gratitude pour l’hospitalité de Loris.

En retour, j’avais parfois offert à tous les convives présents à dîner lors de mes visites, ce qui avait attiré davantage de clients au restaurant de Loris. C’était un arrangement mutuellement bénéfique. Je pouvais me le permettre aujourd’hui, car je n’avais plus besoin de gratter chaque pièce de bronze pour joindre les deux bouts.

« Voudriez… Voudriez-vous vraiment m’aider… ? » demanda le jeune homme assis en face de moi, avec un regard un peu inquiet présent sur son visage.

Je ne pouvais pas être d’accord sans d’abord entendre les détails.

« Je ne peux pas vous donner une réponse immédiate et si vous me disiez d’abord ce qui doit être fait ? Je déciderai après ça, » déclarai-je.

Était-ce trop prudent ? Cependant, la confiance allait dans les deux sens.

Bien que la plus grande moitié des aventuriers dans ces pays soient des individus capables, ils échouaient encore à l’occasion, ou se retiraient parfois d’une demande qu’ils avaient déjà acceptée. Un bon aventurier était en premier lieu responsable des types de demandes qu’il acceptait, minimisant ainsi les échecs et les abandons. Pratiquer une bonne éthique d’aventurier attirerait un plus grand nombre de clients fidèles à ces aventuriers, et cela pouvait éventuellement même se faire en les demandant spécifiquement par l’intermédiaire de la guilde, ou en personne.

Quant à moi, j’avais des doutes quant à la fiabilité de ma réputation, étant donné mon apparence. Mais même ainsi, je suppose que tout devait bien commencer quelque part.

« O-Oh… Est-ce comme ça que ça marche ? Je suis désolé…, » le jeune homme s’était excusé nerveusement.

Reprenant rapidement sa posture, il avait pris une grande respiration.

« … Eh bien ! Vous voyez, la situation est…, » commença-t-il.

Et c’est ainsi que j’avais finalement commencé à entendre les détails de cette demande particulière.

◆◇◆◇◆

« Je vis dans un petit village à l’est de Maalt. C’est un village près d’un lac… Le lac Ruiess. C’est peut-être au milieu de nulle part, mais c’est un endroit agréable…, » expliqua-t-il.

Je suppose que l’aventurier chevronné avait refusé sa demande en raison de son caractère rural. Le lac Ruiess, lui aussi, n’était pas du tout grand. Je m’étais vaguement souvenu de sa situation géographique par rapport à Maalt.

« Le village… de Todds ? Est-ce que c’est bien lui ? » demandai-je.

En entendant le nom de son village, le jeune homme s’était mis à sourire. « Connaissez-vous le village de Todds ? »

Il avait probablement été aussi surpris que je puisse me souvenir du nom d’un tel village rural. Bien qu’il m’ait été impossible de connaître le nom de chaque village des environs de Maalt, je m’étais efforcé d’en apprendre un peu plus sur les régions environnantes. Il se trouvait que le village de Todds en particulier m’était connu, et en vérité, pour une raison précise.

« Je suppose que oui. Si je me souviens bien, ce village organise une sorte de fête étrange d’après ce que j’ai entendu dire. J’ai toujours voulu y aller au moins une fois, » répondis-je.

Si ma mémoire était bonne, les villageois de la région avaient participé au festival en mettant à la dérive de petits bateaux en bois sur le lac Ruiess. Ensuite, une jeune femme aux aptitudes magiques et à la beauté considérable serait choisie parmi la population du village et offerte au Seigneur du Lac. Cependant, l’offrande n’était en aucun cas un sacrifice réel. Des légendes locales racontaient comment une jeune fille était offerte au Seigneur du Lac dans les temps anciens pour protéger le village d’un désastre. Les villageois n’avaient fait que perpétuer la coutume depuis.

Si je devais deviner, ce Seigneur en question était probablement une sorte de monstre. Tous les monstres n’étaient après tout pas hostiles envers les humains. En fait, il y avait des monstres qui coexistaient pacifiquement avec des humains à certains titres. Le monstre vivant dans les profondeurs du lac Ruiess serait probablement l’un de ces monstres, c’était du moins ce que je pensais.

Mais le jeune homme avait une expression difficile sur son visage.

« Eh bien, oui… c’est vrai. Cependant… c’est précisément ce festival qui pose problème…, » déclara-t-il d’une voix hésitante.

« Que voulez-vous dire par là ? » demandai-je.

« Eh bien… Je suppose que vous comprenez que nous avons fait le geste d’offrir des sacrifices au Seigneur du Lac, comme d’habitude. Mais…, » commença-t-il.

Bien sûr que je le savais. Mais ce que le jeune homme avait dit ensuite m’avait vraiment surpris.

Il semblerait que le Seigneur ait, ces derniers temps, commencé à consommer les sacrifices.

◆◇◆◇◆

« … Est-il vraiment d’accord… ? » demanda le jeune homme, se balançant d’avant en arrière par rapport aux mouvements de la calèche.

Il voulait probablement me demander si j’aurais vraiment dû accepter sa demande. C’était peut-être un peu tard pour poser une telle question, étant donné que j’étais maintenant sur une calèche avec lui, en route pour le village de Todds, en fait, nous étions presque à la fin de notre voyage.

Il m’avait peut-être semblé étrange d’avoir si hâte de quitter Maalt, mais en réalité, le village n’était pas très loin, ne nécessitant qu’une demi-journée de voyage en calèche. Le fait que l’aventurier chevronné ait refusé d’accepter la demande indiquait qu’il n’opérait normalement pas à partir de Maalt.

Pour moi, en tant que personne opérant à Maalt, le village de Todds n’était pas un endroit trop rural. Même Maalt était un canton pionnier en soi. Au contraire, le paysage n’avait pas du tout vraiment changé.

« Bien que j’aie accepté de vous suivre, je n’ai pas répondu formellement à votre demande. Après tout, vous m’avez vous-même dit que je pouvais d’abord évaluer la situation, puis exécuter la demande si elle me semblait possible, sinon j’abandonnerais, n’est-ce pas… ? » demandai-je.

C’était exactement ça. J’avais fini par suivre le jeune homme sans accepter formellement sa demande.

Pour être tout à fait honnête, il semblait impossible pour quelqu’un comme moi de « faire quelque chose » à propos d’un monstre comme le Seigneur du Lac. Certes, j’étais plus fort qu’avant, mais j’étais toujours très réaliste dans mon cœur et je n’avais pas l’intention de choisir des combats que je ne pouvais gagner. On ne vit qu’une seule fois… Une pensée ironique, venant de moi.

Alors, il me semblerait étrange de faire un tel voyage. Pourquoi voyager alors que j’étais certain de ne pas être à la hauteur du monstre en question ? Eh bien, vaincre le monstre n’était pas ce que le jeune homme me demandait. Au lieu de cela…

« Oui… Si vous pouvez sauver Amiris, ma sœur… alors je suis prêt à tout. Même si vous ne pouvez pas promettre une telle chose, je vous suis reconnaissant d’être prêt à au moins essayer…, » déclara-t-il.

Comme il l’avait dit, il voulait sauver sa sœur, et non que je m’engage dans la mort héroïque du monstre.

Oui… Si je me souviens bien, le jeune s’appelait Ryuntus et, comme il l’avait dit, sa sœur était Amiris.

Le problème était ce festival en question… et les sacrifices qu’il impliquait. Selon Ryuntus, les « sacrifices » jusqu’à présent étaient surtout cérémoniels, les filles impliquées n’ayant jamais perdu la vie.

Tout cela avait changé il y a un mois lorsque le sacrifice qui avait été fait au milieu du lac n’était apparemment jamais revenu. Et alors que la fête du sacrifice se tenait normalement sur une base annuelle, le Seigneur du Lac exigeait maintenant un sacrifice tous les dix jours.

Je me demandais comment un monstre qui vivait dans un lac pouvait exiger des sacrifices… Ryuntus, sentant ma confusion, continua à expliquer que le Seigneur en question avait des Kelpies sous son commandement, des monstres qui laissaient des marques sur les portes des sacrifices que le Seigneur désirait. Les Kelpies eux-mêmes étaient des monstres qui vivaient dans des lacs et d’autres endroits semblables, et ressemblaient à des chevaux avec des écailles. Ils étaient aussi des monstres extrêmement forts…

« Le Seigneur du Lac est-il un Kelpie géant ? » demandai-je.

Ryuntus secoua la tête. « On dit que le Seigneur du Lac vit encore plus profondément dans le lac. Les Kelpies sont… enfin, je suppose qu’ils sont quelque chose comme ses familiers… »

Pour que des monstres forts comme des Kelpies se plient à sa volonté… Est-ce qu’un monstre aussi effrayant a-t-il vraiment existé ?

Alors que j’avais mes doutes, Ryuntus prétendait que les Kelpies n’avaient attaqué personne dans le village. Ils étaient simplement entrés, avaient laissé une marque sur une porte et étaient partis.

« Est-ce toujours le cas, maintenant ? » demandai-je.

« Eh bien, non… Tout le monde a peur maintenant, et nous restons tous dans nos maisons la nuit… Mais il y aura sûrement une marque sur la porte de quelqu’un demain matin, » déclara-t-il.

Bien que je ne voulais pas me méfier de mon client potentiel, je ne pouvais m’empêcher de trouver les paroles de Ryuntus… étranges.

◆◇◆◇◆

« Eh bien, il semble que nous soyons arrivés, » déclara Ryuntus, en jetant un coup d’œil hors de la calèche avant de descendre.

J’avais suivi peu après, et j’avais été accueilli par une vue panoramique. J’avais supposé que c’était quelque part près du village de Todds.

« Grand Frère ! »

Une jeune fille s’était jetée dans les bras de Ryuntus dès que ses pieds avaient touché le sol. À en juger par son apparence, je dirais qu’elle était jeune, peut-être 15 ou 16 ans. En y regardant de plus près, c’était une très belle fille, avec des yeux de saphir étincelant. L’image même d’un sacrifice potentiel, si l’on en croit les paroles de Ryuntus.

— Une plaisanterie que je ne ferais que si les sacrifices en question n’étaient pas réellement consommés par le Seigneur du Lac. Dans les circonstances actuelles, une telle déclaration serait de mauvais goût. L’idée même de voir de jeunes filles mourir à cause de cette tradition était difficile à accepter.

« Amiris ! Pourquoi es-tu venue jusqu’ici ? N’est-ce pas dangereux ? » demanda Ryuntus.

Ryuntus n’avait guère l’air d’être d’humeur pour une réunion de famille, et je pouvais comprendre pourquoi, vu les circonstances.

Nous étions arrivés à une courte distance du village de Todds. Alors que les portes étaient bien en vue, le chemin qui y menait était entouré d’une forêt. On ne pouvait pas garantir que le chemin serait exempt de monstres, donc c’était certainement un voyage dangereux pour une jeune fille qui était seule. Cependant, il n’était que trop courant pour les filles vivant dans les zones rurales de s’aventurer seules dans les zones boisées, pour une raison ou une autre. Il était compréhensible que Ryuntus ait l’air d’être un peu trop protecteur à l’égard de sa sœur, à la lumière des événements récents.

Il était évident que Ryuntus tenait profondément à sa sœur et qu’il était prêt à faire le voyage jusqu’à Maalt pour tenter de lui sauver la vie.

« Mais tu as soudainement disparu en disant quelque chose à propos d’aller en ville… Oh, qui est cette personne là-bas… ? » demanda Amiris.

Amiris avait plissé ses yeux, regardant dans ma direction. Son regard était froid, il était facile de voir qu’elle se méfiait de ma présence. Je me sentais un peu découragé — de penser que quelqu’un qui venait de me rencontrer me verrait d’un mauvais œil !

Mais je comprenais pourquoi elle ressentait cela, car j’étais un homme étrange, masqué avec ce qui semblait un crâne, vêtu d’une robe noire et portant une épée dans le dos. Je serais surpris qu’Amiris m’accueille à bras ouverts.

Cependant, Ryuntus avait rapidement offert une explication pour ma défense. « Ah, cette personne va te sauver du fait de devenir un sacrifice, Amiris ! C’est un aventurier nommé Rentt. C’est un aventurier de classe Bronze, tu sais ? »

Ryuntus m’avait mis sur un piédestal. C’était peut-être pour mettre Amiris à l’aise. Après tout, il s’était donné la peine d’aller chercher un aventurier jusqu’à Maalt dans le but exprès de protéger sa sœur.

Mais Amiris ne semblait pas du tout impressionnée. Son regard suspicieux restait, tandis qu’elle traînait son frère dans un coin, parlant en chuchotant. Une conversation qu’elle ne voulait pas que j’entende, sans doute.

Hélas, de telles mesures étaient futiles, étant donné l’ouïe aiguë qui m’avait été conférée depuis que je suis devenu un Thrall. Je m’étais arrêté et j’avais écouté calmement.

« Grand Frère, tu t’es encore fait avoir !? Je t’ai dit tellement de fois de ne pas t’impliquer avec des gens bizarres dans la ville ! » déclara Amiris.

« Mais… Monsieur Rentt est une personne formidable ! Il m’a aidé à me sortir d’une mauvaise situation dans la ville, et il m’a même offert de l’aider dans la situation actuelle…, » déclara Ryuntus.

« Tout doit être des mensonges, Grand Frère… Comment peux-tu espérer t’offrir un aventurier de classe Bronze ? Tu sais combien nous sommes pauvres ! Pourquoi un aventurier de classe Bronze viendrait-il jusqu’ici pour une telle demande si peu intéressante pour lui ? » demanda Amiris.

« Écoute… Ce n’était pas une demande que j’ai faite à la guilde. Je lui ai personnellement demandé de venir ici avec moi…, » déclara Amiris.

« On t’a encore menti… Soupir. Il pourrait se fâcher si nous le rejetions maintenant… Dans quelle situation tu t’es mis ! Je m’en occupe, Grand Frère. Tout ce que tu as à faire, c’est de me suivre. Argh… Je ne peux m’empêcher de m’inquiéter pour toi ! Que feras-tu de toi-même quand je serai partie… ? » demanda Amiris.

Quelle conversation, et pas agréable du tout ! Je n’avais aucun moyen de tromper qui que ce soit ou de priver mes clients de leur pièce de monnaie, donc il n’était pas difficile de voir pourquoi on pouvait faire une telle supposition étant donné le caractère de Ryuntus. Mais il s’agissait quand même de grosses accusations.

Apparemment fini avec leur discussion, Amiris s’était approchée de moi, s’adressant à moi d’une manière excessivement formelle.

« Aventurier… Rentt, oui ? Merci beaucoup d’avoir accepté la demande de mon frère et d’avoir fait le voyage jusqu’à notre village, » déclara Amiris.

« Eh bien…, » commençai-je.

Je voulais lui dire de ne pas s’inquiéter de telles choses, mais j’avais été interrompu avant de pouvoir continuer.

« Cependant, la Fête de l’Offrande est une tradition ininterrompue dans le village depuis la nuit des temps. Je ne pourrais pas espérer mettre fin à la tradition à cause de mes propres désirs égoïstes. C’est pourquoi j’aimerais beaucoup que vous oubliiez toute cette conversation et que vous retourniez à Maalt…, » déclara Amiris.

Contrairement à son frère, Amiris avait une bonne emprise sur le monde en général.

Ryuntus, toujours à une certaine distance de nous, fit un geste sauvage, me demandant probablement de convaincre sa sœur du contraire. Apparemment, je n’avais pas vraiment le choix, alors je m’étais tourné vers Amiris.

« J’ai accepté une demande de Ryuntus. La seule personne qui peut modifier les termes du contrat est Ryuntus, » déclarai-je.

« Mais…, » Amiris se retourna, regardant son frère d’un air furieux. Ryuntus n’avait fait que secouer rapidement la tête dans le déni. Abandonnant, la fille soupira. « Je comprends… Si vous restez au village pour un certain temps, vous pouvez rester chez nous. Cependant, vous ne devez pas interférer avec le festival. J’ai choisi de devenir un sacrifice de mon plein gré. »

Vraiment ?

Alors que j’avais mes propres soupçons, j’avais simplement hoché la tête, ne voulant pas compliquer les choses davantage.

« … Eh bien, alors je serais à votre charge, » déclarai-je.

***

Partie 6

« Vous m’avez vraiment aidé, Rentt… Vous avez vu à quel point ma sœur est têtue ! Vous voyez, ma sœur est si têtue ! Une fois qu’elle a pris sa décision, il n’y a plus de place pour la discussion…, » Ryuntus secoua la tête.

Maintenant que je m’étais rendu chez lui et chez sa sœur, nous étions assis et nous étions en pleine discussion. Le sujet de la conversation était évident : nous devions trouver un plan d’action relativement rapidement.

« Regardez ce que dit votre sœur. Comment la sauverais-je ainsi ? Qu’allez-vous faire… ? » demandai-je.

« Eh bien… En fait, j’avais un plan depuis le début…, » déclara Ryuntus.

« Oh… ? » demandai-je.

C’était une évolution inattendue. On aurait du mal à croire que Ryuntus avait en lui le pouvoir de mener une action décisive, et encore moins de formuler un plan.

Ryuntus continua : « Amiris sera sacrifiée au lac demain. Le processus est simple : elle sera placée sur un petit bateau et flottera jusqu’au centre du lac. Cependant, il y aura trois autres bateaux présents, ainsi que des escortes pour le sacrifice, si vous voulez… Tout ce que vous avez à faire, alors, c’est de monter sur l’un de ces bateaux d’escorte. »

« … Moi, plus que quiconque, présent sur le bateau ? » demandai-je.

J’avais supposé que le rôle d’escorte était plutôt important. Cependant, Ryuntus avait simplement continué avec son explication.

« Eh bien, vous voyez… Les personnes chargées d’escorter le sacrifice sont tenues de porter un masque. Tout ce que vous avez à faire, c’est de prendre la place d’une des escortes, et il ne devrait pas y avoir de problèmes. En fait, je suis l’un des accompagnateurs, le frère du sacrifice et tout ça. Tout ce que vous avez à faire est de remplacer l’une des deux escortes restantes, alors…, » expliqua-t-il.

« Je vois. Vous avez vraiment beaucoup réfléchi à tout cela, » déclarai-je.

C’était inattendu, en effet. Le plan semblait pouvoir fonctionner, et c’était la partie la plus surprenante.

« Ceux qui seront chargés de garder le sacrifice attendront près du lac avant le début du festival. Pendant ce temps, il n’y aura pas de gardes, ce qui est à prévoir puisque les escortes sont là… Et ce sont des villageois normaux, Rentt. Donc, en gros, un aventurier comme vous…, » déclara-t-il.

Ryuntus termina son explication en s’excusant quelque peu. J’avais compris son sentiment — même si je pouvais facilement assommer les escortes en question, ces individus étaient toujours ses voisins.

J’avais hoché la tête, trouvant le plan acceptable. Ryuntus, pour sa part, semblait soulagé de ma réponse.

 

◆◇◆◇◆

Ce corps de morts-vivants ne désirait pas dormir ni se reposer, même dans les profondeurs de chaque nuit, alors je ne pouvais m’empêcher de m’ennuyer, devant attendre le lever du jour. Me levant de mon lit, j’étais sorti de la chambre. Une bouffée d’air frais la nuit n’était pas une mauvaise idée. Mais en posant ma main sur la porte, j’avais senti la présence d’un être vivant derrière elle.

Assis sur une bûche à l’extérieur de leur maison, Amiris regardait apparemment les étoiles dans le ciel nocturne tout ce temps.

« Qu’est-ce que vous faites ? » demandai-je.

« Eh… ? » Amiris semblait surprise de mon intrusion soudaine. « Ah, Monsieur Rentt… Quelque chose ne va pas ? Il est assez tard… »

Elle s’était tournée vers moi, avec des larmes encore accrochées à son visage. Il fallait s’y attendre, je suppose. Contrairement à ce qu’elle avait dit pendant la journée, Amiris avait manifestement peur de son destin imminent.

« Je n’arrivais pas à dormir. Je vois que vous êtes dans le même état, » déclarai-je.

« Non, je…, » commença Amiris.

« Vous pleuriez de chagrin sur votre destin de devenir un sacrifice…, » déclarai-je.

Amiris ne pouvait que me fixer d’un regard vide face à mes paroles brusques. Elle ne s’attendait probablement pas à ce qu’un étranger comme moi fasse de telles déclarations. Mais si je lui en donnais l’occasion, elle offrirait sûrement une réfutation pleine d’esprit ou une autre. C’est pourquoi j’avais continué avec mon monologue.

« Ne craignez rien, » déclarai-je. « Il n’y a aucune raison d’être triste. Je ferai quelque chose à propos de la situation. Quand il y a une volonté, il y a un moyen. »

Il n’y avait aucun fondement à ce que je venais de dire, si ce n’est les expériences personnelles que j’avais vécues au cours de ma courte vie. Bien qu’il m’ait été impossible de devenir un aventurier de classe Mithril dans ma vie, j’étais mort et j’étais né de nouveau comme un monstre, ce qui m’avait donné une occasion inattendue de réaliser mon rêve. Peut-être qu’alors je pourrais faire quelque chose au sujet de ce festival sacrificiel, et protéger la vie de cette fille.

Encore une fois, je n’avais aucun fondement pour mes hypothèses, mais je ne pouvais pas contester la possibilité d’une telle chose. Moi aussi, je n’avais pas pu trouver un moyen de mettre cette possibilité en mots.

« Êtes-vous… sérieux, à propos de nous aider… ? » demanda-t-elle.

« Bien sûr que oui. Je suis sérieux, » répondis-je. « Vous ne devriez pas non plus faire quoi que ce soit d’imprudent Pensez à votre frère. S’il y a ne serait-ce qu’une lueur d’espoir, luttez pour vous défendre, c’est tout ce que je veux dire. »

Sur ce, j’avais fait demi-tour et j’étais retourné dans la maison une fois de plus. Je n’avais aucun moyen de savoir comment Amiris me prendrait au mot, donc tout cela n’aurait pu servir à rien. Mais au moment où j’avais franchi les portes…

« Merci… Merci beaucoup… »

Et c’était les derniers mots que j’avais entendus ce soir-là.

◆◇◆◇◆

« Ce village a vraiment une ambiance déprimante, » déclarai-je.

Je m’étais mis en route pour un voyage touristique le lendemain matin, avec l’intention d’admirer les curiosités du village de Todds. Comme le festival était le lendemain de celui-ci, je m’étais retrouvé avec un peu de temps libre.

Le village lui-même, bien qu’animé, ne semblait pas vraiment être un endroit heureux, si l’on en croit les expressions des villageois. C’était une réaction raisonnable, je suppose, étant donné qu’une fête auparavant bénigne était maintenant devenue une condamnation à mort pour le sacrifice en question. S’il y avait quelqu’un qui était heureux d’être sacrifié, ce serait tout un spectacle à voir.

« Ce n’est pas comme si on avait le choix. Personne au village ne veut d’un tel festival. »

En me retournant, j’avais été accueilli par la vision d’Amiris se tenant derrière moi.

« … Je vois que vous avez un peu changé de ton, » déclarai-je.

Amiris soupira en réponse. « Il n’y a plus beaucoup d’intérêt à faire semblant, n’est-ce pas ? Grand frère était très heureux ce matin. Vous avez dit quelque chose pour lui remonter le moral, n’est-ce pas ? Tout comme vous m’avez dit quelque chose. Il n’y avait pas non plus de traces dans notre maison de chose disparue… Donc je suppose que vous n’allez pas nous tromper ou nous voler ou quoi que ce soit du genre. »

Comme prévu, les expressions de Ryuntus étaient beaucoup trop faciles à lire. Je n’avais pas l’intention de fouiller leur maison à la recherche d’objets de valeur, alors penser qu’Amiris était si méfiante à mon égard… C’était vraiment triste. Mais c’était ainsi que les aventuriers étaient normalement considérés.

Cependant, il y avait maintenant le fait qu’Amiris s’était comportée avec moi d’une manière très différente après notre conversation précédente. Je devrais au moins lui en être reconnaissant.

« Je vous remercie de me faire confiance, » déclarai-je.

« Je ne vous fais pas tellement confiance… Bien que, je suppose que je vous fais assez confiance. Mais… allez-vous vraiment faire quelque chose ? » demanda-t-elle.

« … Peut-être, » déclarai-je.

L’expression d’Amiris était aussi illisible que ma réponse était vague.

« … Alors… Je n’attends pas grand-chose de vous. Mais si vous pouvez vraiment faire quelque chose… alors je me battrai aussi. Est-ce acceptable… ? » demanda Amiris.

Une réponse satisfaisante.

« … Oui. C’est acceptable. Au fait, il semble qu’il y ait pas mal d’étrangers dans cette foule…, » déclarai-je.

Avec la conversation ramenée à des sujets plus banals, l’expression d’Amiris s’était adoucie, pour finalement revenir à un état plus normal.

« Oui. Les villageois sont plus généreux avec leurs dépenses pendant le festival… La plupart des étrangers sont probablement des marchands ambulants. C’est un petit village, mais pas nécessairement pauvre…, » déclara-t-elle.

« … Je vois. Cet homme là-bas, est-il l’un de ces marchands ambulants ? » demandai-je, en montrant du doigt un homme assis sur le sol avec un paillasson.

C’était peut-être une sorte de marchand de textile, car des balles de tissu étaient soigneusement empilées devant lui. Ce qui avait attiré mon attention, cependant, c’est son physique. L’homme était plus bâti que la moyenne des individus. J’avais supposé qu’être un commerçant itinérant était plus exigeant physiquement que je ne le pensais.

« Oui, c’est un commerçant itinérant qui visite souvent, » Amiris m’avait fait une réponse rapide à ma question. « Ses marchandises sont d’une grande aide, et il visite même le village quand il n’y a pas de fête. »

« Vraiment… ? » demandai-je.

On entend parfois parler de marchands de bonne volonté comme lui dans les villages ruraux. Les marchands n’étaient pas nécessairement des saints, c’était parfois une relation symbiotique. En échange de leurs marchandises, les villageois vendaient au marchand leurs récoltes à des prix moins élevés. En ce sens, je suppose que les deux parties avaient profité l’une de l’autre.

Amiris avait continué à me guider à travers le village. Selon elle, l’atmosphère de ce village était loin d’être aussi sombre dans le passé. Ce n’était devenu ainsi qu’après qu’un villageois sacrifié ait perdu la vie au cours d’une cérémonie censée être inoffensive. D’après ce qu’on m’avait dit, les villageois étaient plus que désireux de mettre fin à cette pratique, mais ils craignaient des représailles des Kelpies ou du Seigneur du Lac lui-même. Tout ce qu’ils pouvaient faire, c’était de continuer la soi-disant tradition.

Certes, ce village portait un lourd fardeau, mais ils n’avaient peut-être pas vraiment le choix. Après tout, si ce village avait autant de puissance militaire que Maalt, le Seigneur du Lac pourrait facilement être vaincu, et la tradition prendrait fin définitivement.

Pour un si petit village, cependant… Cela ne semblait pas être une option valable. C’est précisément pour cette raison que j’avais voulu faire quelque chose pour régler le problème qui se pose.

◆◇◆◇◆

Le festival commençait. La foule s’était rassemblée au bord du lac, et beaucoup de gens tenaient des chandelles. Les foules regardaient en direction de quelques bateaux décorés de façon fantaisiste, ornés d’un bon nombre de bibelots scintillants.

Ce jour-là, une jeune fille naviguait jusqu’au centre du lac sur l’un de ces bateaux, devenant ainsi un sacrifice pour le Seigneur du Lac. Les villageois avaient naturellement ressenti leur juste part de culpabilité.

Mais la réalité était dure : si un sacrifice n’était pas consenti, le village serait attaqué, que ce soit par le Seigneur du Lac ou par les Kelpies sous son commandement. Tout ce que les villageois pouvaient faire, c’était fermer les yeux et s’excuser. C’était probablement leur seule ligne de conduite. Que pouvaient faire d’autre quelques villageois d’un village rural ?

Amiris, qui devait monter à bord de l’un des bateaux cette nuit-là, se tenait à une courte distance des bateaux décorés au bord du lac. Vêtues d’une robe tissée dans un tissu scintillant, les couleurs vives contrastent fortement avec le maquillage cérémoniel de son visage. Elle était indéniablement belle.

Elle devait monter à bord des bateaux avec ses escortes, avant de partir vers sa destination.

Autour d’elle se tenaient deux personnes qui veillaient sur elle. À l’origine, il aurait dû y en avoir trois — du moins, c’est ce que pensaient ceux qui connaissent bien le festival. Cependant, le rôle de l’escorte sacrificielle était décidément un rôle d’appui. À l’origine, n’importe quel nombre d’escortes était acceptable. La plupart des villageois étaient généralement sélectionnés pour ce rôle contre leur gré.

« Cela semble encore un peu risqué, toute cette histoire… Serons-nous découverts ? » Ryuntus, l’une des escortes, déclara ça.

« Aucune garantie, Grand Frère… D’habitude, les gens ne regardent la jeune fille sacrificielle que pendant les festivals… C’est probablement bien, » déclara Amiris, le sacrifice en question.

« … Vous êtes tous les deux plus détendus que je ne le pensais, » avais-je dit au frère et à la sœur.

« Seulement parce que vous êtes là, Rentt ! Je compte sur vous ! » déclara-t-il.

« Exactement. Bien que… Je n’attendrai probablement pas grand-chose de vous, » déclara-t-elle.

D’une certaine façon, ils sont très semblables, mais très différents dans d’autres cas. Quelle étrange paire de frères et sœurs !

Heureusement, le déroulement du festival s’était déroulé sans trop de problèmes, Amiris elle-même s’approcha des bateaux pendant que l’aînée du village lui donnait les rites appropriés.

« Allons-y, Rentt…, » déclara Ryuntus.

J’avais suivi Ryuntus de près. Bien qu’il ait fourni une explication détaillée de la cérémonie, je lui avais laissé la plupart des étapes compliquées, copiant ses actions là où je le pouvais. Heureusement, notre groupe semblait avoir échappé à un examen minutieux, Ryuntus, moi-même et Amiris ayant réussi à monter à bord des bateaux et à naviguer vers le centre du lac.

Bien que plusieurs villageois aient considéré notre nombre d’escortes plus petit que d’habitude avec des regards étranges, personne en particulier ne s’en était plaint. Je suppose qu’eux aussi étaient mentalement épuisés par toute cette histoire de devoir sacrifier l’un des leurs sur une base régulière, et qu’ils étaient incapables d’en dire beaucoup plus en signe de protestation.

Après un certain temps, notre petite flotte avait atteint sa destination. Nous étions bien loin des villageois, après avoir parcouru une longue distance depuis le rivage.

« Est-ce que c’est… bon ici ? » demandai-je.

« Oui, je pense que oui, » Amiris avait réagi rapidement. « C’est le milieu du lac, après tout… Et l’orbe brille. C’est à tous les coups l’endroit. »

Amiris leva la paume de sa main, dans laquelle se trouvait une sorte de boule cristalline, apparemment un artefact mystique transmis par le village. Il avait la capacité de briller lorsqu’il était amené au centre du lac.

Ce n’était en aucun cas un objet compliqué. Même Lorraine le considérerait probablement comme un bibelot. Cependant, pour les villageois, il s’agissait d’un trésor précieux, essentiel pour le festival.

« À l’origine, les escortes n’étaient pas du tout censées garder le sacrifice… Leur rôle était de récupérer cet orbe, puis de laisser le sacrifice derrière eux…, » déclara Ryuntus.

L’explication de Ryuntus avait un certain sens. Si je devais en déduire, la condition initiale d’avoir trois escortes dans la flotte était de s’assurer qu’aucune personne ne s’enfuit avec le trésor.

En tout cas, nous avions atteint notre destination.

« … Alors, Le Seigneur du Lac apparaîtra-t-il ici ? » demandai-je.

« D’après les légendes, il — . »

Tout comme Ryuntus avait tenté de répondre à ma question, la surface du lac, jusqu’alors immobile, avait été perturbée par une série de vagues anormalement fortes.

« Quelque chose arrive… ! » cria Ryuntus.

Paniquant, Ryuntus s’était accroupi dans son bateau. « … Attendez… Vous êtes… est-ce une plaisanterie, n’est-ce pas… ? » chuchota-t-il, fixant le monstre devant lui.

Mais j’avais compris pourquoi il avait dit une telle chose. Le Seigneur du Lac qui était apparu devant nous n’était autre qu’un Kraken — le même genre de Kraken qui, dans des circonstances normales, ne pouvait vivre que dans les mers, une étendue d’eau ouverte et immense.

***

Partie 7

« Argh… ! Quoi... Qu’est-ce que c’est que ça !? Comment pouvons-nous le vaincre ? Comment est-il arrivé dans ce lac d’eau douce… !? » cria Amiris, alors que son bateau se balançait violemment dans les vagues.

Même si je ressentais la même chose, je ne pouvais pas hésiter. Les aventuriers ne pouvaient pas abandonner si facilement.

En ce qui concerne Amiris, j’avais donné mes instructions : « Amiris, allez immédiatement sur le bateau de Ryuntus. »

« Mais… Vous êtes sérieux !? Allez-vous vous battre… contre ça !? » s’écria Amiris.

Une expression incrédule, je n’en attendais pas moins. N’importe qui mettrait en doute ma santé mentale. Pourtant, dans le passé, j’avais été face à face avec un dragon. Y avait-il quelque chose de plus grave à craindre ?

À l’époque, je ne pensais qu’à m’échapper. Maintenant, cependant…

« Vite, maintenant Amiris. Vous devez changer de bateau, » ordonnai-je.

J’avais sauté de mon bateau en courant à la surface de l’eau. Saisissant Amiris dans son navire sacrificiel, je l’avais jetée dans le bateau de Ryuntus, me préparant pour la bataille qui arrivait.

« Ehhhh !? » Une réaction simultanée de la sœur qui avait été jetée, et du frère qui l’avait attrapée s’était fait entendre.

Moi, cependant, je n’étais pas parti de là. Au lieu de cela, j’avais dégainé mon épée, et j’avais face vers le kraken. Je m’étais préparé alors que je m’étais mis en position de combat en tenant ma lame en l’air.

On pouvait se demander pourquoi j’étais sur l’eau. J’avais aussi demandé à Lorraine de me fabriquer un objet magique avant de venir ici. Cependant, il s’était avéré qu’elle avait quelque chose qui correspondait à l’objectif depuis le début.

Lorraine, qui s’intéressait au festival, avait voulu venir, mais elle n’avait pas pu le faire, car elle avait dû compiler des documents pour un client. Quand j’avais appris que cette fois-ci, ma destination était un lac, Lorraine m’avait simplement donné l’objet magique approprié, et c’était tout. Comme on s’y attendait de Lorraine — les alchimistes étaient de grands amis à avoir.

« Rentt ! Ne faites rien de fou ! Si… Si c’est impossible, je vais abandonner et devenir un sacrifice, alors… ! » déclara Amiris.

J’étais reconnaissant pour les inquiétudes d’Amiris, mais je ne pouvais pas céder face à ses lamentations douloureuses, pas après avoir fait tout ce chemin.

En serrant la poignée de mon arme, j’avais frappé mon pied sur la surface de l’eau, me propulsant, la lame et tout le reste, vers le kraken.

◆◇◆◇◆

C’était… grand. C’était un fait que j’avais compris en approchant du kraken. Son corps et ses tentacules étaient couverts de bave, et si je devais deviner, il faisait au moins dix mètres de long.

Cependant, par rapport aux variantes qui habitaient la haute mer, celui-ci se situait du côté le plus petit de la plage de taille. D’après ce que j’avais appris dans certains livres, les krakens océaniques étaient capables de plier des navires gigantesques et des navires en deux en un seul coup, et mesuraient généralement de 30 à 50 mètres de long. Ça aurait dû être leur taille normale.

Celui-ci était plus petit — beaucoup plus petit.

 

 

Une rafale de tentacules m’avait fait sortir de mes pensées. Le kraken m’avait vu et avait cherché à m’écraser.

Vu le nombre de tentacules, c’était tout à fait une tâche difficile d’esquiver chacun d’entre eux. Ils n’étaient cependant pas impossibles à esquiver. Grâce aux bottes de marche sur l’eau spécialement fabriquées par Lorraine, j’avais pu me déplacer facilement, marchant sur la surface de l’eau comme si c’était un sol solide.

Sans prévenir, le kraken avait ouvert la bouche, apparemment dans l’intention de me lancer quelque chose. Piétinant rapidement la surface du lac, j’avais esquivé sur le côté, pour voir que j’avais évité de justesse une grosse boule de feu, le projectile faisant monter la vapeur d’eau de là où je me tenais juste.

« Un kraken… crachant du feu ? » demandai-je.

Une étrange combinaison !

En riant de l’absurdité de la situation, je m’étais propulsé une fois de plus vers l’avant, me rapprochant finalement de ma cible. D’un saut puissant, j’avais positionné mon épée au-dessus de ma tête, tranchant l’un des tentacules avec une frappe puissante.

Et alors que je l’avais fait — .

Riiip !!

Ce n’était pas le son qu’un invertébré faisait quand il était coupé.

« Qu… Quoi !? Qu’est-ce que c’est que ça ? Le kraken… ! » s’écria Amiris.

J’entendais la voix d’Amiris sur les vagues, elle semblait surprise.

« Pourquoi… ? » Même Ryuntus avait quelque chose à dire.

J’avais supposé qu’ils pensaient la même chose. Le kraken dans lequel j’avais enfoncé ma lame avait rapidement disparu. À sa place, il restait un grand morceau de tissu et un récipient en bois plusieurs fois plus grand que les bateaux sacrificiels que nous avions utilisé. L’équipage de ce navire était composé de quelques hommes.

Ce n’était pas un kraken.

« Espèce de salaud ! Ne vous foutez pas de nous ! Tuez-le ! TUEZ-LE !! »

Me montrant du doigt, les hommes criaient d’une manière animée avant d’envoyer un certain nombre de flèches et d’attaques magiques dans ma direction générale.

Ils étaient loin d’être compétents. Évitant facilement les attaques allant vers moi, je m’étais propulsé en l’air une fois de plus, atterrissant sur leur vaisseau d’un seul bond. Dans une série de mouvements familiers, j’avais assommé les hommes un par un, et j’avais fini par rengainer mon épée.

◆◇◆◇◆

« Alors… Quoi… ? Qu’est-ce que… tout ça ? » demanda Amiris, toujours visiblement confuse.

« Ce sont les individus qui ont fait des demandes déraisonnables au village. Et aussi, Amiris, cet homme ne vous est-il pas familier ? » demandai-je, en montrant du doigt l’un des hommes maintenant soumis.

Finalement, Amiris s’en aperçut, étonnée. « Le… Le marchand ambulant ! »

« C’est tout à fait exact, » déclarai-je.

« Mais… pourquoi ? » demanda Amiris.

Ryuntus et Amiris me regardaient fixement, incapables de croire leurs yeux. En réponse, j’avais donné un bon coup de pied au commerçant retenu avec les bottes de marche sur l’eau spécialement fabriquée par Lorraine.

« Répond… lui, » ordonnais-je.

Lentement, et un peu à contrecœur, le marchand ambulant se mit à parler.

Selon lui, les marchands avaient eu vent du festival, et bientôt ils décidèrent d’en profiter. Leur méthodologie était simple : ils faisaient semblant d’être le Seigneur du Lac et enlevaient tout sacrifice offert, avant de la vendre comme esclave ou comme marchandise. À cette fin, les hommes avaient un mage qui coopérait avec eux, ainsi qu’un marchand qui connaissait bien les routes souterraines de la traite des esclaves. Bien qu’à l’origine ils ne soient qu’un marchand ambulant et son escorte, ils avaient été vaincus par la cupidité, et ils avaient décidé d’exploiter les gens de ce village.

Le bateau lui-même était un simple bateau de pêche emprunté à un autre village sur le lac.

Les marques sur les portes avaient aussi été laissées par les hommes en question, pas par les Kelpies. En raison de la peur collective qui s’était emparée des villageois, personne ne s’en était rendu compte.

Une entreprise assez complexe…

L’illusion du kraken n’était qu’une image projetée sur le tissu par le mage. Les tentacules, aussi, n’étaient rien de plus que des cordes contrôlées et déplacées par magie. Il va sans dire que la boule de feu du bec du kraken n’était rien de plus qu’une boule de feu ordinaire, une mesure prise pour faire face aux escortes qui accompagnaient les malheureux sacrifices. C’était apparemment la première fois que la boule de feu ne fonctionnait pas. Bien sûr, toute l’image d’un kraken crachant du feu était au mieux risible.

Bien que ces hommes aient planifié leurs mauvaises actions avec un effort considérable, ils n’étaient manifestement pas assez forts pour tenir tête à ceux qui avaient plus de force qu’un villageois effrayé.

« Alors… qu’en est-il des filles qui ont été “mangées” jusqu’à présent… ? » demanda Ryuntus.

Le marchand répondit honnêtement à la question de Ryuntus : il semblerait qu’elles étaient toutes dans la cale du navire. Alors qu’elles kidnappaient des filles depuis deux mois environ, elles n’avaient pas l’intention de faire une vente qu’une fois qu’elles auraient atteint un certain nombre, au grand bonheur des filles maintenant sauvées.

« Rentt… saviez-vous cela… depuis le début ? » demanda Amiris.

« Eh bien, c’était suspect jusqu’à un certain point. D’après mon expérience personnelle, le vrai Seigneur d’un lieu ne déciderait jamais soudainement de devenir indiscipliné ou déraisonnable. Quand nous sommes passés devant ce marchand ambulant dans le village, j’ai remarqué l’odeur du sang, » déclarai-je.

C’était tout à fait conforme au fait que j’étais un mort-vivant qui vivait du sang — non pas que je pouvais l’expliquer à Ryuntus et Amiris.

Dans tous les cas…

« Avec cela, le mystère est résolu. Je suppose donc que la demande a été satisfaite adéquatement, non ? » demandai-je.

« Bien sûr ! »

« Oui !! »

Les réponses du frère et de la sœur avaient été presque simultanées.

◆◇◆◇◆

L’explication du commerçant étant satisfaisante, nous avions avancé sur le lac jusqu’au village de Todds, mais nous avions été accueillis par un tumulte prévisible et important. Amiris, qui était censée avoir été sacrifiée, était vivante. Avec elle se trouvaient les filles enlevées, et les marchands ambulants, liés de la tête aux pieds.

Après avoir expliqué que nous avions découvert la vérité derrière les récents incidents, les villageois m’avaient remercié abondamment et m’avaient même offert de signaler l’incident à la guilde afin que je sois reconnu pour mes efforts.

J’avais poliment refusé.

À première vue, j’avais prétendu que c’était dû à la nature de la demande, qu’elle n’avait pas été acceptée par les voies officielles de la guilde et qu’en tant que telle, ce n’était pas quelque chose dont je pouvais me vanter. En réalité, je ne voulais pas être lié à cet enlèvement. Si on apprenait que j’avais démantelé un réseau d’esclavagistes-kidnappeurs, ça ne servirait qu’à me rendre plus soupçonneux. Même si je résolvais l’incident en question, je pourrais facilement être soupçonné de « résoudre » un problème dont j’étais en premier lieu « responsable ».

J’avais l’air suspicieux, mais je n’y pouvais pas grand-chose. En tout cas, j’avais décidé de ne rien faire d’inutile. Les villageois, convaincus que j’étais juste modeste, étaient tout à fait contre au début, mais je devais remercier Ryuntus et Amiris de les avoir convaincus du contraire. Les frères et sœurs m’avaient remercié abondamment, mais c’était peut-être moi qui devrais les remercier à la place.

Les villageois avaient suggéré de refaire la fête, ne serait-ce que pour exprimer correctement leur gratitude au Seigneur du Lac. Ce serait une affaire beaucoup plus simple, sans plus de sacrifices comme Amiris qui flotterait dans les profondeurs du lac. Malgré sa simplicité, l’atmosphère dans le village de Todds était maintenant nettement différente, non plus maussade, mais plutôt lumineuse et pleine d’espoir. Si ma mémoire était bonne, c’est ainsi que le festival devait se dérouler au départ.

Au milieu des villageois qui célébraient, une petite tache au fond du lac avait attiré mon attention. Une jeune fille translucide sur le dos d’un Kelpie… Le vrai Seigneur du Lac, ou peut-être une illusion élaborée de la lumière. En un instant, ils avaient disparu, et le silence était revenu à la surface du lac.

◆◇◆◇◆

« Vous partez… franchement, vous devriez rester un peu plus longtemps…, » déclara Amiris en se tenant devant la calèche.

« C’est exact… Et le festival s’est aussi prolongé ! » Ryuntus continua.

J’avais secoué la tête. « Je suis un aventurier. Il reste beaucoup de travail à faire. »

Comme ma petite excursion au lac n’était pas considérée comme un travail officiel, j’avais dû faire face à quelques échéances administratives. La guilde n’aurait pas beaucoup de bonnes choses à dire sur un aventurier de la classe Bronze qui n’avait pas fait un travail significatif, et cela signifiait qu’un retour rapide à Maalt était de mise.

« Comment se fait-il que vous fassiez du bon travail, mais que vous ne vouliez pas qu’on vous le crédite ? C’est juste… étrange, » déclara Amiris.

« Vraiment ? De telles choses ne sont pas aussi rares qu’elles en ont l’air. Quoi qu’il en soit, je m’en vais maintenant, » j’avais posé une main sur la poignée du véhicule.

« Rentt… ! »

Je m’étais retourné à la mention de mon nom, et sans prévenir, Amiris sauta vers moi, ses lèvres picorant le côté de mon visage…

Ou, devrais-je dire, mon masque.

 

 

« Quoi — Amiris… ? »

Je pouvais entendre la voix tremblante de Ryuntus.

« Quoi ? C’est un geste de remerciement, d’accord ? » répondit Amiris, alors que son visage était d’un rouge profond.

Un petit échange chaleureux, en effet.

« Un peu surprenant, mais merci, Amiris de ce geste gentil. Si jamais vous vous retrouvez à Maalt, venez me voir. Je serai votre guide…, » déclarai-je.

« Ok... ! » déclara Amiris.

« Prenez soin de vous… et vous aussi. Ryuntus, » déclarai-je.

« Ouais. Merci beaucoup, Rentt… Je viendrai certainement la prochaine fois que je serai à Maalt… ! » déclara Ryuntus.

Je hochai la tête, je leur fis signe de la tête et montai enfin dans la calèche. Sa destination n’était autre que la ville de Maalt.

Pour une raison ou une autre, j’avais presque eu l’impression qu’une vie entière s’était écoulée depuis que j’avais franchi ses portes…

 

◆◇◆◇◆

 

« Attends, ne me dis rien, Rentt que tu aies fait tout ce chemin pour charmer le cœur d’une petite fille ? » demanda Lorraine.

Un dîner avec Lorraine s’imposait après mon long départ de Maalt. Mais les paroles de Lorraine m’avaient presque fait cracher mon repas.

« … Ne sois pas bête, Lorraine. Ce n’est rien de la sorte, » répondis-je.

« C’est une blague, Rentt. Mais tu vois, cette fille, c’est sûr…, » commença Lorraine.

Je savais ce que Lorraine allait dire, alors j’avais arrêté sa phrase.

« Elle oubliera bientôt quelqu’un comme moi très rapidement, » déclarai-je.

Telle était la vie d’un voyageur errant.

Les filles des villages ruraux avaient leur propre bonheur, car elles trouveraient un jour un partenaire approprié dans leur village, se marieraient et auraient probablement des enfants. L’image même de la joie d’un villageois rural.

Inutile de dire que dès le début, il n’y avait pas de place dans une image aussi heureuse pour des individus comme moi.

Lorraine soupira en me faisant des gestes avec son ustensile pendant qu’elle parlait.

« Toi, Rentt…, tu devrais être puni sévèrement pour tes péchés, » déclara Lorraine.

C’était pour le moins regrettable. Vraiment regrettable, mais…

C’était comme ça que c’était.

Je leur offrirais quand même une visite guidée de Maalt si jamais ces frères et sœurs venaient me rendre visite, c’était le moins que je pouvais faire.

***

Chapitre 4 : La Fleur de Sang du Dragon

Partie 1

« Je suppose que je devrais cette fois-ci accepter une demande en bonne et due forme, » dis-je en me tenant debout, seul, devant l’un des nombreux tableaux de demandes de la guilde.

Bien que j’aie résolu l’incident au lac il n’y a pas si longtemps, cette demande n’avait pas été faite par l’intermédiaire des canaux officiels de la guilde, et ce n’était pas quelque chose dont je pouvais m’attribuer le mérite.

Je dois me reprendre en main.

J’avais continué mes recherches…

« Celle-là…, » murmurai-je.

Mes yeux s’étaient arrêtés sur cette demande particulière. Ce n’était rien de remarquable puisque la récompense pour avoir répondu à la demande était une unique pièce de bronze. Ce n’était pas étonnant qu’il ait été laissé sur le tableau tel quel, on pouvait gagner plus d’argent en tuant un gobelin.

Mais en quoi consistait exactement cette demande ?

Mon intérêt s’était éveillé, j’avais examiné le reste un peu plus attentivement, pour découvrir que ce n’était pas une tâche simple.

« Rentt… ? envisages-tu de répondre à cette demande ? Nous te serions très reconnaissants de bien vouloir…, » commença une voix derrière moi.

Me tournant vers la source de la voix familière, je n’avais vu personne d’autre que Sheila, qui avait apparemment été réceptionniste pendant tout ce temps.

Je n’avais visité la guilde que durant ses heures les plus calmes, donc il y avait peu d’aventuriers dans la salle en ce moment, voire aucun. Sheila, elle aussi, n’avait pas beaucoup de travail de réceptionniste à faire, d’où son errance jusqu’à moi.

« La raison pour laquelle cette demande est toujours là, ce n’est pas une question d’indemnisation, n’est-ce pas ? C’est plus lié aux détails de la demande, » déclarai-je.

« Oui. Au premier coup d’œil, une seule pièce de bronze n’est pas grand-chose, mais en voyant qui l’a demandée, ça a du sens. Après tout, c’est une tradition de la guilde, » répondit-elle.

Cette tradition consistait à offrir une seule pièce de bronze en récompense. C’était quelque chose qui était fait par des individus qui avaient besoin de l’aide d’un aventurier, mais qui ne pouvaient pas se permettre d’offrir une grosse somme d’argent comme récompense. Je suppose qu’on pourrait dire que c’était quelque chose d’assez semblable au bénévolat. De telles demandes avaient été courantes depuis la création de la guilde elle-même, et les nouveaux aventuriers avaient souvent entendu parler de cette tradition par leurs aînés.

S’éclaircissant la gorge, Sheila avait continué. « Cependant, même s’il y avait des aventuriers prêts à travailler bénévolement, le contenu de la demande est… un peu… un peu… »

« Récolter une Fleur de Sang du Dragon est une demande difficile, car autour de celle-ci, il y a des choses très puissantes, » déclarai-je.

Une Fleur de Sang du Dragon était une fleur aux pétales pourpres rouges comme du sang. C’était une plante rare, à la fois ornementale et médicinale. À partir de ces fleurs, un fluide de la même couleur appelé sang de fleur du dragon pouvait être extrait, et à partir de ce fluide, une variété de médicaments pouvait être fabriquée.

La légende raconte qu’une jeune fille humaine serait tombée amoureuse d’un Dragon, leur relation transcendant les frontières des espèces. Cependant, à la suite d’une série de malentendus malheureux, un héros était arrivé et avait tué le Dragon. Son sang, à son tour, devint ces fleurs alors qu’il s’infiltrait profondément sous la terre. Jusqu’à ce jour, les Fleurs de Sang du Dragon étaient parfois offertes en cadeau à de jeunes filles amoureuses.

C’est peut-être une idée étrange de cadeau, vu la triste nature du conte. Mais dans l’histoire, le héros était le frère de la jeune fille. Bien que le Dragon aurait pu le vaincre sans trop d’efforts, il a plutôt choisi d’offrir sa propre vie par amour pour la jeune fille. C’est ainsi que cette fleur en était venue à représenter la détermination inébranlable d’une personne face à toute éventualité, d’où son statut contemporain de cadeaux romantiques.

Sa rareté signifiait qu’il était presque impossible d’obtenir de telles fleurs. Ils étaient à peine vendus chez le fleuriste commun, et ils demandaient une grosse somme d’argent.

Cette requête demandait la récupération de ces mêmes fleurs. Il était tout à fait logique de supposer que l’aventurier commun ne serait pas motivé pour entreprendre une telle tâche.

Bien que Sheila ait mentionné qu’un certain nombre d’aventuriers avaient envisagé d’accepter la demande. La raison en était le nom du client en question.

Les mots suivants étaient clairement écrits en caractères d’imprimerie sur la demande :

« CLIENT : ORPHELINS DU DEUXIÈME ORPHELINAT DE MAALT. »

Malgré sa nature, cela n’avait pas été écrit pour invoquer la pitié de quelque façon que ce soit. Les détails de la demande avaient été rédigés de façon claire, nette et formelle. Et bien que la récompense pour cette tâche ait été négligeable au mieux, il appartenait à l’aventurier de décider si cette demande valait la peine d’y consacrer son temps.

« Que vas-tu faire… ? » demanda Sheila, avec un léger sourire sur son visage. Connaissant Sheila, elle connaissait déjà ma réponse.

« Je vais accepter cette demande, » déclarai-je.

◆◇◆◇◆

 

Le deuxième orphelinat de Maalt —

Bien que Maalt fût une ville frontalière pour ainsi dire, elle avait la chance d’avoir deux labyrinthes dans ses environs et, par conséquent, une population assez importante. Maalt était dans l’ensemble une ville assez bien établie. Il y avait un bon nombre d’installations publiques disponibles — au moins un nombre proportionnel à la population de Maalt. L’orphelinat vers lequel je me dirigeais en était un.

Selon la région et le royaume, les orphelinats étaient gérés par diverses organisations. Celui-ci, en particulier à Maalt, était dirigé par un collectif de moines et de moniales appartenant à l’Église du Ciel Oriental. Cette église croyait qu’un ange était descendu du ciel au-dessus de la partie orientale de Yaaran, et que cet ange aurait accompli une variété de miracles bienveillants. L’Église, à son tour, considère l’ange comme une matérialisation de Dieu, étant ainsi la cible de son culte. Comme leurs activités le suggéraient, ils étaient une organisation relativement paisible, ne s’engageant pas dans un travail missionnaire agressif et n’exigeant pas de dons du grand public.

Cependant, ils étaient plus appauvris que d’autres organisations du même genre. Les adeptes du ciel oriental étaient connus pour leur frugalité et leurs nobles intentions, et ils étaient respectés dans tout le royaume de Yaaran. Ce phénomène ne s’était toutefois étendu qu’à Yaaran. En raison du fait que l’organisation ne s’était jamais beaucoup développée, son nom n’avait apparemment pas été entendu souvent en dehors de ces terres.

Quoi qu’il en soit, je suppose que c’était ainsi que les organisations religieuses locales concentrées dans certaines parties du pays s’en étaient tirées.

La présence de l’Église à Maalt était représentée par le deuxième orphelinat, bien qu’elle n’ait pas donné une image très agréable. Le bâtiment lui-même était délabré et avait grandement besoin d’être réparé, mais je suppose que c’était exactement comme ça. Les fissures et les trous dans ses murs étaient remplis de morceaux de gravier blanc ici et là. Bien que les réparations improvisées aient semblé faire leur travail, le manque général de financement qui affligeait l’Église du Ciel Oriental était douloureusement évident dans ces observations.

D’après les livres que j’avais lus et quelques divagations de Lorraine, un certain empire à l’ouest de Yaaran abritait un certain nombre de grandes organisations religieuses. Le pouvoir qu’ils exerçaient était immense, détenant autant de pouvoir que l’empire lui-même. On disait que ses prêtres et ses représentants étaient habillés d’une telle quantité de pierres précieuses et de parures qu’on les prenait souvent pour des bijoutiers. À Yaaran, cependant, pas un seul de leurs adeptes n’avait pu être vu.

En regardant l’état de l’orphelinat, j’avais senti que l’Église du Ciel Oriental semblait plus appropriée avec un chaudron de cuisson en cuivre qu’avec des bijoux. Mais les chaudrons de cuivre étaient chers, donc ce n’était ni l’un ni l’autre.

Je m’étais vite retrouvé devant l’orphelinat, sa porte équipée d’un grand heurtoir. En levant la main, j’avais saisi la poignée de métal, avec l’intention d’annoncer ma présence. C’est ce que je voulais faire, jusqu’à ce que le heurtoir s’arrache de la porte, maintenant une partie métallique inerte dans ma paume.

« … Je n’ai rien vu, » murmurai-je.

Heureusement, il y avait des contacts métalliques à la fois sur le heurtoir et sur la porte, donc une simple réparation s’imposait. En retirant une fiole pleine de liquide visqueux de ma ceinture à objets, j’en avais versé sur le heurtoir avant de le maintenir en place contre la porte pendant quelques secondes. En relâchant lentement ma main, j’avais été satisfait de voir le heurtoir revenir à sa position d’origine.

Ne voulant plus démolir l’infrastructure de l’orphelinat, j’avais frappé sur la porte en bois qui tremblait — doucement, de peur que je ne retire la porte de ses charnières. Évitant la zone autour du heurtoir, j’avais continué à frapper, en m’assurant qu’il y avait assez de son transmis à travers la surface de la porte. Une manœuvre des plus techniques, c’était probablement la plus élaborée que j’aie jamais effectuée en tant qu’aventurier. Mais faire cela m’avait fait réfléchir momentanément à ce que je faisais exactement de ma vie. Heureusement, la porte s’était rapidement ouverte, m’arrachant à mes pensées de plus en plus détournées.

De l’autre côté de la porte émanait une série de bruits violents — et dire que je venais de réparer le heurtoir de la porte ! Au moment suivant, la porte en bois s’était enfin ouverte, et la personne de l’autre côté ne se souciant apparemment pas beaucoup de l’état de la porte ni de ma présence suspecte, masquée par un crâne. En fait, elle avait souri.

« Ah, un invité ? Je m’excuse, mais Lillian n’est pas là aujourd’hui… »

C’était une fille d’environ 12 ans, au mieux. Ses cheveux courts, mais bien coupés se détachaient. Malgré sa pauvreté, elle était bien soignée, avec un air de raffinement, je suppose que même les périls de la pauvreté n’étaient pas suffisants pour lui enlever cela.

 

 

Mais je n’avais aucune idée de qui était Lillian, et aucune idée de comment répondre. J’avais donc décidé d’expliquer la raison de ma visite.

« … Je suis un aventurier de la guilde qui a accepté votre demande ou est-ce que vous refuseriez une personne comme moi ? » demandai-je.

Les yeux de la fille s’étaient élargis face à mes paroles.

« Ah ! Pourquoi ne l’avez-vous pas dit ? J’ai supposé que vous étiez l’un des agents de recouvrement… S’il vous plaît, entrez. J’espère que cela n’est pas trop étroit à votre goût, » déclara la fillette.

La jeune fille m’avait ouvert la porte et m’avait accueilli à l’orphelinat.

***

Partie 2

« … Les enfants ont-ils besoin de moi ? » avais-je demandé, alors que nous allions à l’intérieur du bâtiment.

De nombreuses paires d’yeux curieux m’avaient regardé pendant que nous marchions — des orphelins de tous âges et de toutes tailles. Certaines étaient de jeunes filles qui tenaient des bébés dans leurs bras, tandis que d’autres approchaient d’un âge où elles allaient bientôt travailler dans le monde extérieur pour leur subsistance.

Les orphelins étaient d’âges, de tailles et d’histoires variés. Certains étaient devenus orphelins lorsqu’ils avaient perdu leurs parents à cause de monstres ou de bandits, et d’autres avaient tout simplement été abandonnés sur les marches d’un orphelinat après leur naissance. Bien que ce dernier cas soit quelque peu rare à Maalt, le premier n’était que trop fréquent. Après tout, tout pouvait arriver une fois qu’on avait quitté les confins d’une ville fortifiée. Même si un village était établi dans une zone censée être sûre et non fréquentée par des monstres, il pourrait tout aussi bien être démoli par une bande itinérante, ou par des monstres attirés par la présence humaine. Ces événements malheureux se produisaient tous les jours et, la plupart du temps, étaient trop nombreux pour qu’on puisse les compter. 

Telle est la situation dans le monde, aussi tragique soit-elle. Ces orphelins pouvaient être considérés comme chanceux, ne serait-ce que parce qu’ils respiraient encore et avaient un toit au-dessus de leur tête.

Les regards de ces filles seraient peut-être compréhensibles, vu mon apparence.

Après avoir été conduite dans une sorte de salle de réception, la jeune fille aux cheveux courts était partie me chercher du thé. En son absence, la salle avait commencé à se remplir d’enfants, d’orphelins qui s’entassaient les uns après les autres dans la pièce, pour finalement devenir une véritable foule. Je suppose que j’avais l’air intéressant pour eux — j’étais un aventurier masqué et vêtu d’une robe — et ce n’était probablement pas le genre de personne qu’ils rencontraient régulièrement.

Il y avait d’innombrables aventuriers habillés de la même façon que moi, mais pour ceux qui ne faisaient pas partie de la profession, je suppose que mon apparence était différente.

Les dangers professionnels communs à l’aventurier standard n’étaient pas exactement partagés avec les citadins normaux. Par exemple, un citadin n’avait pas été exposé sur une base régulière à des rencontres qui pourraient irréversiblement brûler ou marquer son visage. La noirceur de ma robe n’avait contribué qu’à cette image, bien que les aventuriers portaient principalement des robes pour se cacher des monstres lorsqu’ils se déplaçaient dans les donjons ou les forêts, ils portaient généralement des robes brun foncé à cette fin. La mienne était toute noire.

Vu tout ça, je ne pouvais pas blâmer les filles de m’avoir regardé. Pour couronner le tout, moi, un aventurier, j’avais personnellement rendu visite à leur orphelinat. Inutile de dire que l’aventurier typique n’était pas vraiment connu pour visiter les orphelinats, ne serait-ce que parce que la plupart des orphelinats n’avaient pas les moyens de payer leurs services.

Ce phénomène se répercuta dans la plupart des autres royaumes et pays du continent. Étant un organisme à but non lucratif au départ, peu de fonds seraient affectés à un orphelinat comme celui-ci. Si l’on faisait abstraction de la frugalité et des problèmes financiers de l’Église du Ciel Oriental, on n’avait pas eu besoin de chercher trop loin à Maalt pour constater que les orphelinats des autres groupes religieux souffraient d’un manque de financement similaire.

En d’autres termes, la présence d’un aventurier dans un orphelinat était une rareté en soi, d’où la foule curieuse avant moi.

Cette vue m’avait quelque peu attristé. Alors que j’étais relativement inoffensif, les aventuriers étaient typiquement des personnages à la moralité douteuse, et ils n’étaient guère le genre de personnes que les enfants devraient approcher aussi facilement.

Les orphelins ne semblaient pas comprendre cela.

Comme pour interrompre mon monologue interne, la porte de la chambre s’était à nouveau ouvert, révélant la fille qui m’avait accueilli à la porte. Elle tenait dans ses mains un plateau, ainsi qu’une simple tasse et une soucoupe. Du thé pour moi, peut-être.

La fille s’est arrêtée sur ses pas, avec le plateau à thé se trouvant toujours dans ses mains. La présence d’une telle foule semblait l’avoir surpris, si l’on en croit ses yeux qui s’élargissaient rapidement.

« Qu’est-ce que vous faites !? » cria-t-elle, visiblement agitée.

Cette fille était clairement différente. Elle connaissait les dangers qu’un aventurier typique représentait, et elle avertissait les autres orphelins de se tenir loin de moi.

Je ne dirais pas qu’un aventurier au mauvais caractère typique ne pouvait pas s’empêcher pour se réconforter de frapper un enfant qui s’était approché d’eux avec insouciance, ou de tabasser une pièce remplie d’enfants curieux qui s’étaient un peu trop rapprochés.

« Pourquoi n’écoutez-vous pas ? Je vous ai dit clairement de ne pas approcher notre visiteur en aucune circonstance ! Vous le comprenez tous !? » s’écria la fille.

Avec un rugissement puissant et une cacophonie de nombreux orphelins en pleurs, la jeune fille avait chassé ses « frères et sœurs » de la pièce, avant de se tourner vers moi avec une expression désolée.

« Je… Je veux dire… Je suis désolée, je ne voulais pas suggérer que vous étiez un personnage peu recommandable…, » déclara la fille, bégayant un peu. Son ton était immensément forcé.

A-t-elle peur de ma réponse ?

« … Non. En fait, je suis rassuré, » répondis-je. « Ces enfants m’ont approché sans la moindre suspicion, et j’avais peur en me demandant si personne ne leur avait parlé des aventuriers. »

J’avais accepté ses excuses sans trop d’histoires.

Les paroles de la fille sonnaient juste. Bien que la façon dont elle criait sur les autres enfants en ma présence était un peu inconvenante, elle l’avait fait au nom de la sécurité des autres enfants, elle avait eu la bonne idée.

Il se trouve que l’aventurier présent dans cet établissement aujourd’hui était moi-même, et non un rustre violent d’une taverne locale. Cela n’avait pas changé grand-chose au fait que les aventuriers étaient des individus intrinsèquement dangereux.

Cela dit, un aventurier qui avait accepté la demande d’un orphelinat pour le grand prix d’une pièce de bronze n’était probablement pas un individu violent dans les deux cas, mais il était toujours plus prudent de pécher par excès de prudence. Les faibles et les opprimés se méfiaient de l’étrange et de l’éclectique, c’est-à-dire des aventuriers et de leurs semblables, c’était du bon sens.

La jeune fille, ayant déduit mon intention de mes paroles, baissa légèrement la tête. « Je m’excuse vraiment… Ces enfants, ils n’écoutent jamais, même si je leur dis de ne pas mettre leur nez dans le danger. Il y a toujours tant d’ennuis. Ils sont généralement bien élevés, mais une fois qu’on détourne le regard… »

Une fois que leur gardien détournait du regard, la curiosité avait pris le dessus. J’avais compris ce que la fille essayait de dire. Je supposais que tous les enfants étaient comme ça, mais il y avait des orphelins un peu plus âgés parmi eux. Eux aussi n’avaient aucun sentiment de danger ou d’appréhension.

« Le sens de la curiosité n’est pas nécessairement une mauvaise chose avec les jeunes, » déclarai-je. « Cependant, ils feraient bien d’être plus prudents. Bien que la plupart des aventuriers de Maalt soient des individus bien élevés, il y en a de moins bien qui visitent souvent la ville au cours de leurs voyages. Si la prudence appropriée n’est pas prise pendant ces moments, cela pourrait devenir un incident. »

Les meurtres et autres avaient toujours entraîné d’énormes problèmes, mais même si ce n’était pas le cas, il restait toujours la possibilité de problèmes importants et indésirables. Même si l’on cherchait le coupable, un vagabond pourrait facilement se déplacer vers la ville suivante sur leur carte — et ce serait tout.

« Oui. Je comprends. Je m’assurerai de les sermonner sévèrement par la suite, » déclara la fille.

En hochant la tête, la jeune fille me regarda, son expression teintée d’un mélange de curiosité et d’incrédulité. « Même ainsi… Vous êtes un bon aventurier, n’est-ce pas ? Bien que l’on sache que la plupart des aventuriers basés à Maalt sont raisonnables… Peu de gens s’en soucient à ce point. »

Bien qu’il serait inexact de dire que les aventuriers qui se souciaient autant que moi n’existaient pas, beaucoup choisissaient d’ignorer les enfants et de rire vaguement quand on leur offrait des excuses. Peu de gens voudraient donner un sermon à leur client sur les dangers des aventuriers.

Je ne faisais pas non plus la leçon à mes clients, mais j’avais au moins pensé qu’il était raisonnable de donner un tel avertissement. De cette façon, je ne regretterais pas de ne pas en avoir assez dit si quelque chose de malheureux se produisait à un moment donné.

C’était probablement une bénédiction que nous ayons cette conversation maintenant, étant donné que c’était seulement parce que j’avais rencontré ces enfants il y a quelques instants.

Je suppose que j’avais appris à apprécier un peu plus la vie, étant donné mes propres expériences avec la vie, la renaissance et la mort, même si j’avais un peu dépassé mes limites.

« Même si c’était un autre aventurier au lieu de moi, eux aussi auraient dit quelque chose. Étant donné le degré d’innocence de ces enfants, je suppose que cela indique à quel point ils sont heureux de vivre ici, » déclarai-je.

Un orphelinat n’était pas du tout extrêmement pauvre. Ils avaient reçu des fonds pour fonctionner, mais les orphelins avaient été traités de différentes manières, selon l’endroit où ils vivaient. Cette variation était clairement visible dans les orphelinats qui n’étaient pas gérés par le Ciel Oriental, les orphelins dans ces endroits étaient souvent traités comme un fardeau, et ils n’étaient pas pris en charge avec bienveillance.

Les orphelins ici étaient différents. Ils avaient été douchés d’amour et traités comme il se doit. La façon dont ils s’étaient comportés en était la preuve : curieux, mais pas avec crainte ou ressentiment.

Le responsable de cet orphelinat devait être un individu d’une moralité irréprochable.

Bien que j’aie accepté les demandes du premier orphelinat de Maalt, peut-être trois fois par an, je n’avais jamais accepté une demande postée par le second. C’était parce que quelqu’un d’autre acceptait toujours les demandes qui étaient présentées. Cependant, je ne me souvenais pas beaucoup de cet individu, et j’avais essayé aussi souvent que j’avais pu, mes souvenirs étaient flous, mais son nom était sur le bout de ma langue.

La réponse de la fille interrompit encore une fois mon monologue.

« Oui… Lady Lillian était vraiment bonne… Je veux dire, elle a pris grand soin de nous…, » déclara-t-elle.

Alors que la jeune fille avait été excessivement formelle jusqu’à ce point, elle semblait avoir oublié son ton de voix forcé tout en parlant d’elle-même. Elle parlait bien pour un enfant, mais sa façon de parler n’était pas parfaite.

Malgré tout, ses efforts étaient admirables, sinon malavisés, car s’adresser à quelqu’un comme moi d’une manière aussi formelle était, au mieux, étrange.

« Vous semblez trébucher sur vos paroles. Cela ne me dérange pas si vous parlez normalement, » déclarai-je.

« Hein ? Vraiment ? Mais…, » déclara la jeune fille.

« Ne vous inquiétez pas pour ça. Peut-être devriez-vous être prudente lorsque vous parlez avec d’autres aventuriers. Dans mon cas, je ne me soucis pas du tout de ça, » déclarai-je.

Les aventuriers qui étaient particuliers à ce genre de choses existaient, mais ils étaient l’exception et non la norme. Les aventuriers qui avaient une façon formelle et un peu plus raffinée de parler étaient souvent considérés comme un peu snobs. Les aventuriers se moquaient souvent les uns des autres pour diverses raisons, leur façon de parler étant un sujet commun. De telles plaisanteries étaient absentes lorsqu’un aventurier particulièrement raffiné s’adressait à une employée d’une guilde et que l’on faisait l’éloge de leur soi-disant chevalerie. Les aventuriers étaient en effet une existence compliquée et conflictuelle à bien des égards.

La plupart des aventuriers étaient tout à fait d’accord de parler et de coucher avec la vulgaire femme, mais on disait qu’ils cherchent souvent des femmes de classe pour compenser leur propre manque d’élégance sociale. Ce n’était tout simplement pas une notion que je pouvais comprendre ou avec laquelle je compatissais.

Quoi qu’il en soit, je ne me souciais pas beaucoup du ton formel de sa voix — et c’était donc ce que je lui avais dit.

Fondamentalement, la plupart des aventuriers n’avaient pas particulièrement aimé qu’on s’adresse à eux de façon formelle.

Faisant une pause momentanée, la jeune fille s’arrêta pour réfléchir, avant de hocher la tête à mes paroles. « Je comprends. Mais ne vous fâchez pas, d’accord ? Vous l’avez dit vous-même, » déclara-t-elle, parlant d’une manière plus naturelle.

Je suppose que c’était une façon plus naturelle de parler pour un enfant, du moins, je le présume.

Comme elle résidait dans cet établissement, elle était probablement orpheline, tout comme les autres enfants ici. Elle devrait s’efforcer de s’entraîner à parler de façon formelle et à être socialement alerte, de peur de s’enliser dans des incidents désagréables à l’avenir. Si elle n’avait pas ces compétences, elle serait incapable de résister et risquerait de perdre la vie, car la position sociale d’une orpheline n’était en aucun cas solide.

De ce point de vue, j’avais peut-être fait quelque chose d’inutile. Cependant, la jeune fille semblait plus détendue quand elle parlait, et c’était peut-être mieux ainsi.

Même si je lui rendais un mauvais service dans un certain sens, je veillerais dans tous les cas à ce que sa demande soit satisfaite.

« Oui, bien sûr, je ne me fâcherai pas à propos de la demande, mais avant cela, nous devrions vraiment nous présenter. Je m’appelle Rentt. Rentt Vivie. Un aventurier de classe Bronze, » déclarai-je.

« Bronze… ? Je pensais que vous étiez un aventurier de classe Fer… Vous savez, puisque c’est une demande d’orphelinat et tout ça… Oh, je suis Alize. Je n’ai pas de nom de famille, » déclara-t-elle.

Comme les orphelins venaient d’horizons divers, il n’était pas rare que certains orphelins n’aient pas de nom de famille, ne serait-ce que parce que l’identité de leurs parents n’était pas connue. Les orphelins recevaient souvent un nom de famille s’ils avaient été adoptés ou lorsqu’ils devenaient indépendants.

Alize était probablement dans des circonstances similaires.

En fait, c’était une pratique bien connue pour les orphelins d’adopter le nom de famille de leur tuteur si le besoin s’en faisait sentir. Pour ce cas particulier, je ne pensais pas que c’était nécessaire, car j’étais un aventurier, pas un fonctionnaire ou une organisation quelconque.

Essentiellement, je n’avais pas besoin qu’Alize ait un nom de famille pour signer les documents pertinents.

***

Partie 3

« Maintenant que nous connaissons le nom de l’autre, j’aimerais en savoir plus sur cette demande, » déclarai-je.

Après m’avoir entendu dire ça, Alize acquiesça d’un signe de tête, offrant rapidement une explication. « À propos de ça… Ce n’est rien d’extravagant. Ce que je veux est écrit sur la demande. »

« Vous voulez une… Fleur de Sang du Dragon, » déclarai-je.

« Oui. Puis-je vous demander ça ? » demanda-t-elle.

« Eh bien, je l’ai déjà accepté alors il n’y a aucune raison pour moi de refuser, mais je suis sûr que vous ne comprenez pas tout. Cette plante n’est pas très répandue dans les environs de Maalt. J’aimerais au moins savoir la raison pour laquelle vous me demandez une telle chose ? » déclarai-je.

Alize tourna son regard vers le bas, avec une expression difficile sur son visage.

« C’est…, » commença-t-elle.

Je suppose qu’elle avait ses propres raisons. Malgré cela, elle poursuivit rapidement son explication.

« Oui. Je sais, je sais. Vous n’êtes pas convaincu… Eh bien… Pourriez-vous attendre un peu ? » demanda-t-elle.

« Bien sûr…, » déclarai-je.

J’avais l’impression qu’Alize me parlerait clairement de sa raison, mais elle était vite partie. Je n’avais pas eu à attendre longtemps qu’elle revienne, cependant…

« S’il vous plaît, venez par ici… Je vais vous montrer pourquoi nous avons demandé une telle chose, » déclara Alize.

Me faisant signe de la main, Alize s’était retournée, sortant de la salle de réception.

◆◇◆◇◆

 

J’avais suivi Alize, mais nous n’avions pas pris beaucoup de temps pour arriver, car nous nous étions bientôt arrêtés à l’extérieur d’une pièce. En s’approchant de la porte, Alize avait frappé deux fois.

« C’est Alize…, » déclara-t-elle, comme si elle regardait la porte devant elle.

« Entrez. »

C’était une voix tremblante, presque inaudible — la voix d’une femme.

Alize hocha la tête. « Excusez-moi… »

Après ça, Alize avait ouvert la porte et entra dans la pièce. En me jetant un coup d’œil, Alize avait légèrement incliné la tête, me faisant signe d’entrer aussi.

C’était une chambre basique, meublée d’une petite étagère et d’une table, ainsi que d’un lit tout aussi simple. Dans ce lit se trouvait une femme d’âge moyen, qui luttait un peu pour s’asseoir dans son lit à la vue d’Alize et moi.

« Enchanté de vous rencontrer. Merci beaucoup d’avoir accepté notre demande… de nettoyage des caves de l’orphelinat. Nous n’avons pas grand-chose pour vous remercier de votre gentillesse, mais nous savons que nous vous sommes vraiment reconnaissants pour votre charité. Je suis la gestionnaire de cet orphelinat, Sœur Lillian Jeunne, de l’Église du Ciel Oriental. Nous comptons sur votre générosité. »

La disparité entre la demande d’Alize et les paroles de la sœur m’avait fait tourner légèrement la tête. Le regard en réponse d’Alize m’avait convaincu de garder le silence sur la question. J’avais supposé que je devrais me présenter, de toute façon.

« Ah… Oui. Je suis Rentt Vivie de la Guilde des Aventuriers. Accepter de telles demandes de temps en temps n’est pas si mal, » déclarai-je.

D’un point de vue réaliste, j’avais accepté cette demande parce que je sentais que je devais la faire. Par conséquent, l’acceptation ou le refus des demandes était laissé à l’aventurier. Mais tant qu’on acceptait la demande en question, on travaillait, et c’était la façon d’agir d’un aventurier. Le client et l’aventurier étaient tous deux considérés comme égaux, de sorte qu’il n’y avait aucune raison réelle pour le client de s’en remettre à l’aventurier en question.

« Vos paroles donnent de la force à mon cœur… Le sous-sol de l’orphelinat est petit, mais à cause de la présence de monstres, je ne pouvais pas laisser les enfants le faire. Si j’étais en meilleure santé, je combattrais les monstres moi-même, mais maintenant…, » déclara Lillian.

Je me demandais s’il était possible pour Sœur Lillian, une femme d’une quarantaine d’années, de combattre des monstres, mais le silence relatif et le regard respectueux d’Alize avaient suffi à me convaincre du contraire. Les moines et les prêtres étaient souvent entraînés à avoir une certaine capacité de combat, de sorte qu’ils étaient la seule profession autre que les aventuriers à maîtriser les techniques martiales.

Il y avait aussi des considérations sur l’utilisation de la divinité, auquel cas le physique de la sœur importait peu. Les flammes purificatrices provoquées par l’aura divine étaient plus que suffisantes pour enflammer des monstres dans un petit espace confiné.

Comparés à ce dont Sœur Lillian était théoriquement capable, mes propres pouvoirs divins étaient faibles. Après tout, je n’étais un fervent partisan d’aucune religion, alors il n’y avait pas grand-chose à faire contre cette disparité.

Cela ne me dérangeait pas trop, ayant beaucoup appris sur les applications possibles de la divinité chez Clope. Tant que j’étais créatif sur la façon dont j’utilisais ma divinité, je pouvais produire des résultats respectables.

Sur cette note, j’avais essayé un Art Fusionnel avec la divinité et le mana, et ce test s’était terminé par un échec. La réaction observée lors du mélange de la divinité et du mana était beaucoup trop violente, surtout si on la compare à celle du mana et de l’esprit. Mélanger la divinité et l’esprit n’avait pas donné de résultats plus positifs, principalement en raison du fait que les énergies à l’intérieur de l’arme s’étaient dissipées au moment où elles avaient été mélangées. Peut-être étaient-ils tout simplement incompatibles, ou du moins d’une faible compatibilité. Quoi qu’il en soit, une application réussie me semblait possible avec suffisamment d’entraînement, ou peut-être une sorte de technique que je ne connaissais pas encore.

Sœur Lillian possédait des capacités martiales, mais elle était maintenant incapable de se battre comme elle l’avait l’habitude de le faire. Il était évident de voir que la Sœur était malade.

« Êtes-vous malade... Sœur Lillian… ? » demandai-je.

« Oui, malheureusement… Il semblerait que ma force ait quitté mon corps ces derniers temps. Cependant… Je n’ai jamais eu de problèmes de santé. Je suis sûre que je vais récupérer avec un peu de repos. Alors… si vous voulez bien nous aider pendant ce temps…, » déclara Lillian.

Ne sachant pas trop comment répondre, je m’étais tourné vers Alize, dont l’expression semblait être celle d’un silence suppliant.

« … Je ferai ce que je peux. Prenez soin de vous, Sœur Lillian, je devrais y aller bientôt. Alize, » déclarai-je.

« Oui… Alors, Lady Lillian. Nous devons discuter des détails de la demande…, » déclara Alize.

Lillian hocha la tête en entendant les mots d’Alize. « Oui. Tu es un enfant très utile, Alize. Monsieur Rentt… Pensez à Alize comme ma seconde. S’il y a quoi que ce soit que vous ne sachiez pas… demandez simplement à Alize. »

Hochant la tête, nous étions tous les deux sortis de la pièce, Alize fermant la porte derrière elle.

« … J’ai beaucoup de questions. Alize, » déclarai-je.

« Eh bien… Revenons à la pièce où nous étions en premier, » déclara Alize.

Alize avait commencé à marcher dans le couloir — je suppose que ce serait problématique si Sœur Lillian avait eu vent de notre discussion.

J’avais gardé le silence, en suivant de près Alize.

***

Partie 4

« … Pourquoi ? » demandai-je.

Ce n’était qu’un seul mot, mais Alize avait assez bien compris ma question.

Je suppose que c’était une évidence, ne serait-ce que parce que c’était Alize qui m’avait fait signe de garder le silence pendant notre conversation avec la sœur.

« Désolé pour tout le dérangement… Il y a une raison…, » déclara Alize en s’excusant.

Je ne pouvais pas réprimander Alize pour ce qu’elle avait fait, surtout quand elle avait finalement accepté de me dire la vérité. Je n’avais pas l’intention de crier sur Alize ou de la remettre sur place, mais je voulais savoir pourquoi nous devions garder cela secret devant la sœur.

« Eh bien… Vous avez vu comment elle allait, n’est-ce pas ? Lady Lillian… Elle ne s’en rend pas compte elle-même. Mais elle est très malade…, » Alize commença enfin à s’expliquer.

« Je vois, » déclarai-je.

Avec ces seuls mots, j’avais largement compris la nature de la demande d’Alize. Cependant, je ne voulais pas faire de suppositions, alors j’avais laissé Alize continuer.

« Nous avons vu un guérisseur pour cela… Je veux dire, pour la maladie de Sœur Lillian. Mais elle ne peut pas être guérie par la magie… Seulement avec les pouvoirs divins de ceux qui ont été bénis par des esprits guérisseurs… »

« C’est peut-être impoli de ma part de dire cela, mais vous avez dû payer au guérisseur une somme d’argent équitable pour qu’ils puissent même voir Sœur Lillian, » déclarai-je.

Alize avait ri de mes paroles, me montrant du doigt. « Il y a plus de gens comme vous que vous ne le pensez ! Ils ont dit qu’ils ne prendraient pas d’argent si c’était pour Lady Lillian. C’est ce qu’ils ont dit, en tout cas. »

Je suppose que c’était compréhensible puisque la sœur était membre de l’Église du Ciel Oriental, ainsi qu’une religieuse qui s’occupait d’un orphelinat. Il y en a sûrement beaucoup qui avaient été sauvés par sa main bienveillante, ou même contre toute attente par ses prouesses divines. Elle était tout à fait capable de combattre les monstres alors qu’elle était encore en bonne santé.

« Eh bien… Alors, c’est pour ça. À moins qu’une prêtresse sainte ou un grand prêtre ne passe, nous aurions besoin de médicaments pour guérir Lady Lillian. En fait, une prêtresse sainte est passée il y a quelque temps, mais Lady Lillian était encore en bonne santé à l’époque…, » expliqua Alize.

Si ma mémoire était bonne, l’une d’entre elles, la sainte prêtresse, avait rendu visite à Maalt alors que je respirais encore. Je suppose qu’ils me considéreraient comme une cible pour la purification si nous nous croisions maintenant…

Certains disent que le simple fait de regarder une prêtresse — la sainteté — les avait aidés à se sentir mieux. Si je m’approchais d’une telle personne avec insouciance, je disparaîtrais peut-être. Je devrais être plus prudent à ce sujet à partir de maintenant.

« Et pour cette… médecine, vous avez besoin d’une Fleur de Sang du Dragon ? » demandai-je.

« Oui, exactement. Le médicament sera fabriqué avec l’aide du guérisseur dont j’ai parlé… Ils ont dit qu’ils chercheraient quelqu’un qui peut le faire. Et pour ce qui est des honoraires… J’ai dit que je paierais, mais ils ont refusé de recevoir quoi que ce soit de nous, » déclara Alize.

Le guérisseur en question avait sûrement l’intention de payer au nom d’Alize. Je suppose que ce genre de choses se produisait de temps à autre, et dans ce cas-ci, la gentillesse de Sœur Lillian avait bouclé la boucle, et de nombreuses personnes voulaient maintenant l’aider.

« Je vois. Je comprends maintenant… votre situation. Si je peux me permettre… Quel est le nom de… la maladie de la sœur ? » demandai-je.

« Ça s’appelle apparemment la Maladie de l’Accumulation du Miasme… C’est un type de maladie qui n’afflige que les praticiens de la divinité. Plus leur divinité est forte… plus leur corps absorbe le miasme chaque fois qu’ils utilisent leur divinité, comme une sorte de contre coup, du moins, je suppose… Et leur santé se détériore avec le temps. Mais… une Fleur de Sang du Dragon a la capacité de dissiper ce miasme…, » expliqua Alize.

Maladie de l’Accumulation du Miasme…

Étant donné que j’étais moi-même un pratiquant de la divinité, cela pourrait un jour me préoccuper. Mais je ne me souvenais pas d’avoir vécu de telles expériences dans le passé, probablement parce que la quantité de divinités que je pouvais rassembler était beaucoup trop petite pour commencer, ne laissant aucune place au miasme pour y entrer. Purifier une tasse d’eau potable ou soulager l’infection d’une plaie était à peu près tout ce que je pouvais faire. Comparée à mes prouesses mineures, Sœur Lillian avait probablement canalisé beaucoup de divinités dans sa vie.

Maintenant que j’y pense, même moi, j’allais en utiliser pas mal pour tuer des monstres… Mais c’était une idée pour une autre fois.

« … Et cette discussion sur l’entrepôt dans le sous-sol ? » demandai-je, en me rappelant les paroles de Lillian.

« C’est juste une façon détournée de parler. Après tout, si je demandais carrément à un aventurier de cueillir des Fleurs de Sang du Dragon, Lady Lillian saurait tout de suite ce que j’essaie de faire. Après tout, seule Sœur Lillian est capable d’utiliser n’importe quelle divinité ici…, » déclara Alize.

« Est-ce un si grand problème si cela était connu du public… ? » demandai-je.

« Bien sûr que si ! Lady Lillian ne demanderait jamais une chose pareille. De plus… les gens ne meurent pas du miasme accumulé tout de suite, et ce fait ne fait que rendre la demande d’aide plus difficile. C’est une maladie qui ronge lentement la personne… D’après ce que le guérisseur a dit, il faudrait au moins cinq à dix ans à une personne auparavant en bonne santé pour en mourir… Lady Lillian demanderait d’être remplacée par une autre nonne du ciel oriental si elle avait vent de ça ! »

La frugalité de Sœur Lillian était vraiment quelque chose d’authentique.

On ne pouvait pas espérer engager un aventurier pour aller cueillir des Fleurs de Sang du Dragon avec une somme normale de pièces de monnaie, alors je suppose que c’était la raison pour laquelle Sœur Lillian n’avait pas voulu faire une telle demande.

On pourrait penser que la bonne sœur demanderait de l’aide, étant donné que l’orphelinat ne fonctionnerait pas sans elle. Cependant, en raison de la nature de la maladie, il semblerait qu’elle préférait qu’un autre de ses collègues la remplace plutôt que de dépenser de l’argent pour un remède. Bien que cela ait un certain degré de bon sens, c’était un processus de réflexion des plus troublants. J’avais commencé à comprendre pourquoi Alize m’avait supplié de garder le silence sur la véritable nature de cette demande.

Alors que la plupart des nones et des moines qui vivaient selon les enseignements du ciel oriental étaient en effet saints dans leur disposition, ce même comportement était maintenant devenu la racine de ce problème. Même menacée de mort, Sœur Lillian n’y voyait rien d’autre que son devoir divin.

La maladie pouvait être facilement guérie tant qu’on avait la quantité appropriée de pièces de monnaie. Sœur Lillian, par contre, détesterait dépenser un montant aussi exorbitant pour elle-même. C’était probablement la raison pour laquelle Alize avait dû recourir à une méthode aussi détournée, et c’était une bonne chose que je me tiens ma langue.

Mais Alize semblait avoir d’autres soucis.

« Eh bien… C’est comme ça que ça se passe. Mais… pouvez-vous vraiment obtenir une Fleur de Sang du Dragon ? Ce que vous avez dit est vrai, si on l’obtenait près de Maalt… ce ne serait que dans le “Marais des Tarasques”…, » déclara Alize.

Le marais était, comme son nom l’indiquait, une région marécageuse gouvernée par une sorte de monstre redoutable, nommé Tarasque. C’était un type de monstre quelque peu apparenté aux Dragons, qui vivaient principalement dans des zones marécageuses. Ils étaient recouverts d’écailles épaisses, de six pattes et d’un puissant poison — une bête vraiment terrifiante. Les aventuriers de bas rang ne pouvaient pas espérer affronter un tel monstre au combat, et encore moins aller à la recherche des Fleurs de Sang du Dragon dans le marais.

Il était inévitable qu’Alize ait des doutes sur un aventurier de la classe Bronze comme moi, et non pas sur mon engagement envers la demande, mais si je pouvais même revenir vivant.

Une considération valable.

« Je ne pense pas que je puisse être plus puissant qu’une Tarasque, bien que j’aie mes méthodes. Après tout, ce ne sont pas exactement des Gobelins, il n’y en a pas tant que ça dans le marais, » déclarai-je.

« Vraiment… ? » demanda Alize.

« Oui. Tout ce que vous avez à faire… c’est de m’attendre. Je vais certainement… récupérer les fleurs demandées, » déclarai-je.

« Je vous remercie. Nous comptons tous sur vous… Eh bien… partez-vous tout de suite ? » demanda Alize.

« … Pas tout de suite, » répondis-je. « Le Marais des Tarasques est assez éloigné. De nombreux monstres y sont nocturnes. Je m’y rendrai demain. »

Alize voulait probablement que je parte tout de suite si cela signifiait que je pouvais guérir Sœur Lillian juste un peu plus vite, mais ce n’était pas une bonne idée. Si je me levais et partais sans aucune préparation, les chances que je ne revienne plus jamais à Maalt étaient très élevées. Prendre le temps de se préparer était le choix logique.

« Vraiment ? Hmm… Je suppose que vous êtes un aventurier qui s’y connaît, même pour un Bronze. Puisque vous en savez autant, je suppose que vous êtes vraiment un professionnel, » déclarai-je.

Les mots d’Alize avaient piqué mon intérêt.

« Êtes-vous, peut-être, intéressée par les voies de l’aventurier ? » demandai-je.

« Oh, est-ce qu’on m’a découverte ? Eh bien, oui. C’est mon rêve depuis que je suis toute petite. J’ai de la chance, enfin, je suppose. J’ai un peu de mana en moi. Vu la situation à l’orphelinat, il me semble que je ne pourrai pas faire grand-chose avant un moment. Au moins, je dois rester avec Lady Lillian jusqu’à ce qu’elle récupère…, » répondit Alize.

Si l’on en croit les paroles de Sœur Lillian, Alize était sa deuxième fille à l’orphelinat, il n’était donc pas trop étrange qu’Alize se sente obligée d’assumer toutes les responsabilités.

En fait, si Alize avait effectivement la chance d’avoir une réserve de mana en elle, elle avait le potentiel de devenir une grande aventurière, contrairement à moi avec mes deux vies accordées.

« Quand vous voudrez devenir une aventurière, dites-le-moi. Je vous aiderais, » déclarai-je.

« Vous êtes vraiment quelqu’un de bien, n’est-ce pas ? Eh bien… Je ne sais pas quand ce sera possible, mais je viendrai certainement vous chercher le moment venu, » déclara Alize, un petit sourire illuminant son visage.

***

Partie 5

Bien que je voulais retourner chez Lorraine et faire les préparatifs appropriés pour le lendemain, Alize avait une autre demande pour moi. Apparemment, le fait qu’elle parlait de monstres dans le sous-sol de l’orphelinat était réel, alors j’avais décidé de lui offrir mon aide.

La plus grande moitié des monstres qui s’étaient infiltrés dans les villages humains n’étaient pas très menaçants. Alors que ceux qui avaient la capacité de se déguiser en humains, d’attaquer du ciel ou d’infiltrer les villes par des moyens spéciaux pouvait être dangereux, on ne pouvait pas en dire autant des monstres qui se faufilaient dans les caves des bâtiments.

Suivant Alize, je m’étais dirigé vers l’entrepôt du sous-sol, me demandant quel genre de monstre avait décidé d’y nicher.

L’air frais du sous-sol m’attirait un peu. Je suppose que le fait d’être un non-mort vivant avait eu une grande influence sur mes préférences. Plus précisément, je m’étais trouvé plus attiré par les endroits sombres et humides comme celui-ci, plus que dans ma vie. Ce n’était pas forcément une mauvaise chose, mais je m’écarte du sujet.

« … Ah. Le voilà. Il est là, » déclarai-je.

« Hein ? Où ça ? Où ça ? Où ça ? Où ça ? » demanda Alize, en tournant la tête par-ci par-là.

Dans ses mains se trouvait un petit couteau, probablement destiné à l’autodéfense. On n’était jamais trop prudent, quand on avait affaire à des monstres, aussi faibles soient-ils.

J’avais pointé du doigt le coin sombre de la pièce. « Là-bas… le voyez-vous ? Il est assis à droite… Voilà. Cette chose ronde. »

« Ah… Ça ? C’est… N’est-ce pas un peu grand, non ? » demanda Alize.

Assis dans le coin de la pièce, il n’y avait nul autre qu’un Puchi Suri, un petit monstre en forme de souris.

Me rappelant mes discussions passées avec Lorraine, c’était un monstre qui avait été fréquemment expérimenté par les érudits. Dans des circonstances normales, ils n’étaient que légèrement plus gros qu’un rat d’égout. Celui-ci était au moins cinq fois plus grand, d’où les observations d’Alize. Peut-être l’environnement était-il propice à sa croissance.

Finalement, le Puchi Suri se retourna, sifflant et grinçant des dents, et nous remarqua. J’avais dû reconnaître le mérite de la souris : ses dents étaient très tranchantes, comme des couteaux qui brillaient dans l’obscurité.

Peut-être que je n’aurais pas dû emmener Alize — une erreur de jugement.

J’avais quand même dégainé mon couteau. Alors que je sortais habituellement mon épée, le sous-sol n’était en aucun cas un grand espace, et frapper avec ça par ici n’était de bon augure pour personne.

Je suppose que c’était un coup de chance si j’avais mon couteau à dissection avec moi, même s’il me permettait seulement de canaliser le mana à travers sa lame. Étant donné que mon adversaire était un Puchi Suri, ce n’était pas vraiment un problème.

« Deviens acier, » déclarai-je.

En disant cela, j’avais serré mon couteau, avant de poser rapidement mon pied sur les briques froides du sous-sol et de me propulser vers le monstre.

Les Puchi Suris étaient des organismes simples. Ils étaient plus rapides que la moyenne des citadins, ce qui les rendait difficiles à attraper.

Mais ce n’était pas le cas pour un aventurier. Devant un individu qui fortifiait son corps avec du mana ou de l’esprit, un Puchi Suri n’avait aucun espoir de victoire.

En avançant dans la direction opposée, j’avais frappé le Puchi Suri s’avançant avec mon couteau à dissection. Le monstre avait été envoyé en un vol plané, et j’avais dû remercier mon mana et ma force de non-mort.

Frappant le mur du sous-sol d’un bruit sourd et grinçant, le monstre glissa lentement vers le bas, s’immobilisant finalement sur le sol froid et en brique. Il respirait encore, bien qu’il ne reste pas beaucoup de vie dans la créature.

Tout ce que j’avais à faire, c’était de mettre fin à sa misère. J’avançai lentement vers le monstre tombé, couteau levé haut. Ce à quoi je ne m’attendais pas, cependant, il s’était relevé pour m’attaquer à nous dans un dernier mouvement de défi.

Je pourrais éviter une telle attaque, vu sa vitesse pathétiquement lente. Mais le problème était qu’Alize était derrière moi. Des cas comme celui-ci m’avaient fait reconsidérer ma position sur l’aventure en solo. Tout le temps que j’avais passé à m’aventurer seul m’avait habitué à ne penser qu’à ma propre sécurité, par opposition à celle des autres. Une erreur de jugement, en effet…

Étant donné qu’Alize était derrière moi, je n’avais pas pu éviter le coup du monstre. Et même si je frappais avec mon couteau, l’angle dans lequel il était tenu ne se prêtait pas bien à une telle attaque.

Je n’avais pas le choix — j’avais plutôt frappé de ma main libre, interceptant le monstre volant. Mais j’avais eu le malheur de frapper le Puchi Suri en plein dans les dents. Je sentais un picotement dans ma main, mais c’était une pensée après coup.

Ai-je enfin tué la bête ?

Ce que j’avais vu m’avait troublé : j’avais frappé le monstre avec assez de force pour le tuer instantanément, mais il était en convulsion sur le sol, son souffle était court et douloureux.

« Qu’est-ce que… cela signifie ? » demandai-je.

Ne voulant plus prendre de risques, j’avais lentement mis une certaine distance entre moi et la souris qui se tortillait. Je n’avais aucune idée de ce qui allait arriver, ou de ce qui pourrait arriver.

Le Puchi Suri, pour sa part, avait continué à jeter des déchets plus loin pendant quelques instants, avant de se détendre enfin, complètement étendus sur les briques froides et humides. Sa fourrure, autrefois grise, était devenue noire, foncée et intense. En même temps, j’avais ressenti une sensation étrange du plus profond de mon être.

Secouant la tête, le Puchi Suri se leva lentement, regardant tranquillement dans ma direction. Nos yeux s’étaient croisés, et j’avais finalement compris.

Le monstre avait développé une connexion avec moi.

En abaissant mon couteau, je m’approchai lentement, tranquillement, prudemment. Le Puchi Suri resta immobile en silence, maintenant son regard sur moi.

« Eh… ? Attendez… Quoi ? Quoi ? Qu’est-ce que c’est que ça ? » demanda Alize.

J’entendais la voix paniquée et confuse d’Alize derrière moi. Même moi, je ne comprenais pas bien ce que je regardais. Quoi qu’il en soit, le Puchi Suri avait poursuivi sa vigile silencieuse.

« Tourne-toi tout de suite trois fois sur toi-même, » ordonnai-je.

Comme s’il obéissait à mes paroles, le monstre avait fait ce qu’on lui a dit, tournant trois fois lentement où il se tenait. La confusion d’Alize semblait s’intensifier en voyant un tel spectacle.

« Hein ? Ahhhh ? Qu’est-ce qu’il se passe ? » demanda Alize.

J’avais finalement compris ce qui s’était passé.

En soulevant mon gant perforé jusqu’aux yeux, on pouvait voir un liquide sombre suinter de la plaie — je suppose que c’était du sang. Mon sang.

Bien que mon corps de Thrall soit sec et desséché en grande partie, il y avait des parties plus humaines qu’un cadavre. Il n’y en avait pas beaucoup, mais une certaine quantité de sang coulait dans mes veines. Malgré tout, je n’avais pas beaucoup saigné quand j’avais été blessé.

Il se trouve que les dents du Puchi Suri étaient entrées en contact avec une partie vivante de mon corps. Ce faisant, il avait ingéré une partie de mon sang, ce qui était le résultat de ce contact. C’était logique, vu que j’étais un Thrall. Les Thralls étaient des vampires, quoique pas très puissants. Les vampires avaient toujours créé des familiers en mordant les humains et en injectant leur propre sang dans la malheureuse victime. La victime se transformait alors en monstre, et parfois en Thrall. Si l’on suivait cette logique, on pouvait supposer que le Thrall, lui aussi, pouvait créer ses propres familiers.

Dans des circonstances normales, cela ne devrait pas être possible. On disait que les Thralls étaient des zombies sans cervelle, des zombies errants sans buts, de sorte qu’ils n’étaient en aucun cas capables de pensées compliquées. Il serait difficile de trouver un Thrall qui cherchait activement des victimes pour les transformer en des familiers. Même s’il réussissait d’une façon ou d’une autre à créer un familier, il n’aurait pas l’intelligence nécessaire pour le diriger et l’instruire.

Un Thrall avait sa propre volonté, aussi simple et fragile soit-elle. Cette simple volonté leur avait permis de suivre les ordres des vampires de rang supérieur et de créer, sans toutefois les contrôler, des familiers. Dans ce cas, un Thrall serait capable de créer des familiers en injectant son propre sang dans une victime. La victime d’une attaque de vampire verrait alors son corps modifié de force par le vampire, se transformant finalement en un familier Thrall.

Et maintenant… mon sang s’était retrouvé dans le Puchi Suri, d’où les convulsions, car son corps avait été modifié de force par mon sang.

Le résultat de ce processus fut le lien mental que j’avais maintenant avec cette créature. Si je devais le mettre en mots, le Puchi Suri donnait l’impression d’être une partie de moi, bien que cela soit une partie plus petite, détachée, semblable à une souris. 

Le Puchi Suri était devenu mon familier, c’était la seule supposition possible que je pouvais faire. 

Bien sûr, dire cela à Alize ne serait pas une bonne idée. Seuls les vampires et d’autres types de monstres étaient capables d’un tel exploit. Je devais trouver une excuse pour justifier ce qu’elle venait de voir. Pour Alize, tout ce spectacle devait être incompréhensible et étrange. Heureusement, j’avais l’explication parfaite pour la faire oublier.

« Il semblerait que… ma volonté soit passée dans le monstre, » déclarai-je.

« Passer » était un terme ancien et spécialisé utilisé par les dompteurs de monstres. On l’utilisait pour décrire le moment où leur magie spécialisée dominait l’esprit d’un monstre, le transformant en un serviteur obéissant. J’essayais essentiellement de convaincre Alize que ce qu’elle venait de voir était un acte de domptage d’un monstre, et non de la transformer d’un monstre en mon familier.

« Eh… ? Qu’est-ce que ça veut dire ? » demanda Alize.

Apparemment, Alize n’avait pas beaucoup de connaissances sur les dompteurs de monstres. Au contraire, elle semblait encore plus confuse par mes paroles.

Hochant la tête, j’avais donné une explication. « J’ai réussi à apprivoiser et dominer l’esprit de ce monstre. »

« Alors… vous êtes un dompteur de monstres… avec la capacité de contrôler les monstres ? » Alize commençait à comprendre.

Je n’étais pas du tout un dompteur de monstres, mais avec ça, je pouvais contrôler ce qu’Alize savait en toute sécurité. Elle avait pu découvrir que je n’étais pas une telle chose avec quelques recherches simples, et c’est pourquoi j’avais dit :

« Pas tout à fait. Je suis un épéiste, mais j’ai appris les méthodes d’un dompteur de monstres que j’ai connu il y a longtemps, alors j’ai pensé que j’allais l’essayer, » expliquai-je.

« Oh ! Les aventuriers sont vraiment quelque chose d’impressionnant, hein ? C’est incroyable… ! » déclara Alize.

Bien que l’art de l’apprivoisement des monstres soit exclusif et ne soit généralement jamais enseigné à ceux qui n’étaient pas dans leur ordre secret, Alize n’avait pas besoin de le savoir. Même si elle avait fait des recherches sur moi après les faits, il n’y avait aucun moyen de nier qu’une telle chose était possible. Avec cela, il n’y avait plus de problèmes.

« Alors…, » Alize avait continué, « Est-ce que ce monstre est sûr maintenant ? Il ne nous attaquera plus ? »

C’était une question à laquelle je pouvais répondre honnêtement.

« Oui. En fait, il va maintenant écouter tout ce que je dis. C’est pratique, car nous pourrions le faire surveiller le stockage du sous-sol. Vous avez dit que les monstres arrivaient parfois à trouver un chemin jusqu’ici, non ? » demandai-je.

Un endroit froid et humide qui attirait souvent les monstres… J’avais eu un peu pitié de Sœur Lillian, qui avait dû purifier ce sous-sol à plusieurs reprises.

Quoi qu’il en soit, nous avions maintenant un nouveau gardien pour le sous-sol. Mais Alize ne semblait pas très convaincue.

« Êtes-vous sûr… ? À propos de ça, cela ne se retournera-t-il pas soudainement pour nous mordre dans le dos ? Est-ce vraiment sûr ? » demanda Alize.

Malgré les soupçons et l’apparente méfiance d’Alize, elle avait fini par céder après quelques signes de la main et quelques claques dessus, plaçant un certain degré de confiance dans le monstre-souris surdimensionnée et réanimée qui était devenue mon familier.

***

Partie 6

Étant donné que le Puchi Suri dans le sous-sol de l’orphelinat était devenu mon familier, je suppose que je pourrais dire qu’il n’était plus une menace. Quoi qu’il en soit, traiter avec le monstre en question n’avait jamais fait partie de mon contrat au départ, alors mon intervention n’avait probablement pas beaucoup changé à cet égard.

Une recherche plus détaillée après que nous nous soyons occupés du plus grand Puchi Suri avait révélé un certain nombre de ses homologues plus petits. Ces petits n’étaient pas vraiment une menace, et j’avais pensé qu’il était prudent de laisser Alize s’attaquer à l’un d’entre eux de front. Il allait sans dire qu’Alize n’en avait combattu qu’un seul, et non pas tout le groupe. Malgré cela, elle avait réussi à vaincre le Puchi Suri avec succès, avec un regard jubilatoire sur son visage. Cela m’avait rappelé le regard des aventuriers novices lorsqu’ils avaient vaincu leur premier monstre.

J’avais dit à Alize de garder le cristal magique en complément de son argent de poche. Il fallait s’inscrire comme aventurier pour vendre son butin à la guilde, mais on pouvait aussi facilement l’échanger à un marchand de la région. Leurs prix étaient justes, en ce qui concerne les prix des marchands de rues.

Pendant qu’Alize était occupée à célébrer, j’avais décidé de tester les capacités de mon nouveau familier. Bien qu’il ait rencontré quelques difficultés dans sa quête pour soumettre ses frères rapides, mon familier avait son propre tour dans sa manche proverbiale. Un regard rapide de sa part suffisait à immobiliser le petit Puchi Suri, tout comme une souris s’était figée dans le regard d’un serpent. Son regard paralysant était si puissant que ses victimes ne bougeaient pas d’un pas, et cela même après que je les ai approchés et que je les ai touchés avec mon doigt. Le Puchi Suri se tenait debout, comme s’il avait peur d’une punition s’il osait bouger un muscle.

« … L’as-tu obligé à obéir ? » demandai-je.

J’avais ressenti un sentiment d’affirmation à travers notre lien mental commun. Il semblerait que mon familier avait la capacité de contrôler les variantes les plus faibles de son espèce, tout comme les vampires pouvaient contrôler les Thralls qu’ils avaient créés. C’était un phénomène observé de temps en temps chez les monstres où une plus grande variante du monstre régnait sur le plus petit de leur espèce.

Un bon exemple serait celui des généraux-gobelins ou des rois-gobelins qui, comme leur titre l’indiquait, avaient beaucoup de gobelins sous leur commandement. La capacité vampirique de transformer des monstres en dehors de son espèce en esclaves obéissants pourrait être considérée comme une version plus élevée de cette compétence. Cependant, un vampire devait injecter son propre sang dans la victime pour que le processus fonctionne, et les vampires avaient probablement privilégié la qualité à la quantité, contrairement aux gobelins toujours présents.

Cependant, je ne pouvais pas être sûr des capacités de commandement de mon familier. Je ne connaissais pas les limites exactes, comme la zone dans laquelle son contrôle resterait efficace. Il y avait toujours la possibilité que ce Puchi Suri plus grand régnait sur ses parents plus petits dans ce sous-sol dès le début, et leur obéissance n’avait rien à voir avec les compétences de ma famille.

D’autres recherches seraient nécessaires sur le sujet, ce qui ferait vibrer Lorraine.

J’avais pensé simplement emporter mon familier souris, bien qu’il ait été chargé à l’origine de garder le sous-sol en l’absence de Sœur Lillian. Mais avec ses parents plus petits qui écoutaient maintenant ses moindres mots… ne pourrais-je pas demander aux plus petites souris de garder la place pendant notre absence ?

Encore une autre question pour mon familier, alors j’avais projeté une pensée à la souris surdimensionnée.

« Au départ, je voulais te laisser protéger ce sous-sol. Mais puis-je laisser cette protection aux plus petits si tu es loin d’eux ? » demandai-je.

Fixant ses yeux rouges sur moi, le Puchi Suri regarda droit devant lui, avant de me transmettre ce qui me semblait être encore une autre pensée affirmative.

 

 

J’avais supposé que la capacité de communiquer sans mots ni langue commune était une aubaine unique entre maître et familier. Et c’était aussi très pratique.

Je m’étais tourné vers Alize pour lui expliquer la situation.

« Je ne comprends pas du tout… me dites-vous donc que les monstres garderont cet endroit à partir de maintenant ? Les autres enfants seront-ils en sécurité ici ? Je leur dis de ne pas jouer ici, mais parfois ils se faufilent…, » déclara Alize.

J’avais relayé la question à mon entourage et j’avais rapidement reçu une forte impulsion mentale en réponse. C’était apaisant et rassurant dans la nature.

Se tournant vers ses frères plus petits, tous bien alignés devant lui, mon familier regarda fixement, son regard intimidant pesant dans l’air. Les petits Puchi Suris avaient redressé le dos en grimaçant en réponse.

« Ils ont dit qu’il n’y aura pas de problèmes, » déclarai-je.

« On dirait que oui…, » déclara Alize, hochant la tête en continuant d’observer le Puchi Suri avec de la surprise sur tout son visage.

Pour moi, cela ressemblait plus à une sorte d’obéissance provoquée par la peur — les Puchi Suris étaient terrifiés par mon familier. Je suppose que les hiérarchies traditionnelles ne tenaient plus la route, étant donné que l’un d’eux était une souris à moitié vampire.

Satisfait de la résolution des problèmes, j’avais pris congé avec l’intention de retourner enfin chez Lorraine pour faire les préparatifs appropriés.

 

◆◇◆◇◆

« Bienvenue — !? »

Comme d’habitude, Lorraine était allongée sur son canapé, tenant et lisant un livre à contre-jour. Le bruit de l’ouverture de la porte attira son attention comme toujours. Elle se tourna lentement vers moi et s’arrêta au milieu de son salut en avalant son souffle de façon très audible.

Finalement, avec une grande respiration, Lorraine se mit à parler, lentement et calmement.

« Si je peux me permettre, Rentt… Qu’est-ce que cette souris noire de taille bizarre perchée sur ton épaule ? Je suppose que ce n’est pas une sorte d’hallucination, » déclara Lorraine.

Lorraine fut si choquée à la vue du Puchi Suri qu’elle supposa qu’elle hallucinait.

En reniflant lentement l’air, j’avais capté une odeur nauséabonde — Lorraine avait mélangé d’étranges médicaments avec les fenêtres fermées, une fois de plus. En marchant vers les fenêtres, je les avais ouvertes, puis j’étais retourné à ma place d’origine.

« Je l’ai trouvé dans le sous-sol de l’orphelinat. Il sera avec nous à partir d’aujourd’hui…, » déclarai-je.

« C’est un résumé un peu trop approximatif, Rentt. Il faudrait au moins que tu commences par le début pour que je puisse faire des commentaires à ce sujet, » répliqua Lorraine.

« Oui… Je suppose que oui. » Une explication s’imposait.

Après avoir écouté ma description des événements récents, Lorraine hocha la tête, apparemment perdue dans ses pensées. « Je vois… Cela te ressemble beaucoup d’accepter une telle demande. Mais aller au Marais des Tarasques entre tous les autres lieux ? Même moi, j’ai peur d’y mettre les pieds, Rentt. Est-ce que ça va aller ? »

« J’ai déjà réfléchi à beaucoup de plans pour m’en sortir, alors cela devrait aller, » répondis-je.

« Je suppose qu’il n’y aurait pas de problème si tu le dis comme ça, mais je m’inquiète quand même. Pourtant, il n’y a de toute façon pas grand-chose à faire pour l’instant. Dire que tu es capable de créer et de contrôler tes propres familiers… J’ai fait beaucoup d’expériences, oui, mais il n’y avait aucune qui impliquait de donner ton sang à d’autres êtres vivants, » déclara Lorraine.

La conclusion de Lorraine était raisonnable, étant un vampire de niveau inférieur, on pensait que les Thralls n’avaient pas la capacité et l’intelligence pour créer ses propres familiers. C’était logique qu’elle ne donne mon sang à aucun animal qu’elle aurait pu attraper. Lorraine, pour sa part, avait mentionné que ses expériences étaient centrées sur le fait de s’assurer que j’étais en bonne santé au départ, ainsi que sur tous les autres traits et capacités majeurs que mon corps de Thrall possédait. Je suppose que des pouvoirs moins importants comme celui-ci échapperaient naturellement à sa détection.

« Pouvons-nous… le garder ? » demandai-je.

« Fait comme tu veux, Rentt. C’est un peu tard pour s’en inquiéter, non ? Un mort-vivant vit dans cette maison. Une ou deux souris de plus ne font guère de différence. Il devra cependant gagner sa vie, » déclara Lorraine.

« Il doit… payer un loyer ? » demandai-je.

« Ne sois pas si bête. Des échantillons ! Un échantillon de sang de la souris et quelques poils suffiront. Je peux penser à beaucoup d’expériences… Beaucoup de tests. Bien sûr, je ne le viderais pas à sec. Une quantité saine suffit. En parlant de santé, Rentt. Qu’est-ce qu’il mange ? » Lorraine tendit la main vers le Puchi Suri.

Mon familier s’était penché, reniflant les doigts de Lorraine et refermant les mâchoires sur un doigt.

« Aïe ! »

C’était une morsure légère, suffisante pour percer la peau de Lorraine, mais sans causer de dommages graves.

Relâchant son doigt, le Puchi Suri avait léché la plaie de Lorraine, les gouttelettes de sang remontant à la surface de sa peau.

« Je vois. Du sang ? Comme ton créateur ? Hmph. Prévisible, » déclara Lorraine, exaspérée. « Au moins, il est facile à comprendre. Même ainsi… mon sang est tout à fait de la marchandise de nos jours, non ? »

Je n’arrivais pas à savoir si Lorraine voulait que sa déclaration soit une blague, mais elle semblait de bonne humeur. J’avais supposé que c’était assez pour l’instant. Lorraine était sans doute excitée par toutes les nouvelles expériences qu’elle avait en tête concernant notre nouvelle amie à fourrure. Mon familier, par contre, n’était pas très enthousiaste.

« Pitié… » semblait-il dire. Malheureusement, je n’avais pas pu faire grand-chose contre la tendance de Lorraine à s’engager dans la science folle, ayant enduré exactement les mêmes processus et expériences dans le passé. Tout ce que j’avais pu faire, c’est dire à mon familier de le supporter. Le Puchi Suri avait répondu avec un sentiment marqué d’appréhension et de peur.

 

◆◇◆◇◆

Un nouveau jour s’était levé sur Maalt. Le soleil, se levant lentement au-dessus des nuages, inondait les rues de Maalt, ou ce que je pouvais en voir de ma fenêtre. Sous les rayons du soleil, des nuages violets étaient devenus rouges, et avec cela, un nouveau jour avait commencé.

C’était un spectacle que je voyais régulièrement. Ce n’était pas vraiment un spectacle rare, mais j’avais dû me réveiller pour voir ça dans la vie. Je n’avais pas tant besoin de dormir maintenant que j’étais un Thrall. Cela semblait être un fait qui était resté vrai depuis que j’en étais devenu un. De temps en temps, j’avais fermé un peu les yeux, mais ce n’était plus nécessaire pour que mon corps fonctionne.

C’était terriblement ennuyeux. Tout ce que je pouvais faire pour passer le temps, c’était regarder par la fenêtre, ou allumer une lampe et lire un livre. Cela m’avait permis de fonctionner 24 heures sur 24 pendant que je répondais à une demande, bien qu’un aventurier qui n’avait pas besoin de repos aurait sûrement l’air suspect pour les autres. L’aventure n’était pas exactement un travail où l’on terminait toutes ses tâches immédiatement, même si l’aventurier était chevronné, un manque de repos pouvait entraîner de graves complications. En tant que tel, je n’avais pas d’autre choix que de me reposer.

Cependant, en raison de mes nouvelles tendances nocturnes, j’étais devenu plus érudit qu’avant, et c’était comme ça depuis environ un mois. Mes connaissances n’étaient rien comparées à celles de Lorraine, bien que tout ce que j’avais à faire pour obtenir des réponses était de demander. Un avantage pratique, dans tous les cas.

Le Puchi Suri que j’avais ramené de l’orphelinat nécessitait par contre beaucoup de sommeil. Il dormait actuellement sur le dos, étendu sur le bureau où je lisais.

Je me sentais un peu rancunier par rapport à ce que je savais. J’étais là, son maître tragique, en train de livrer un combat dans la solitude au milieu de la nuit, pendant que la souris dormait à poings fermés.

Est-ce qu’un familier ne partage pas tous mes traits de caractère ?

J’avais supposé qu’il en était ainsi, mais la réalité était bien différente.

Quelle souris insouciante… !

Puis, j’avais ressenti la moindre pensée de mon familier, ainsi que quelques émotions basiques que je pouvais comprendre. Je suppose qu’être endormi n’avait pas complètement coupé notre connexion. Des essais et des expériences appropriées révéleraient très probablement plus de détails, mais j’avais supposé que les détails pourraient être laissés à Lorraine. Après tout, elle s’engagerait dans de telles expériences sans y être incitée.

Je me sentais un peu coupable d’avoir tout laissé à Lorraine, mais je devais m’inquiéter de mon Évolution Existentielle, alors c’était bon. En fait, je m’étais retrouvé avec un temps libre excessif. On pourrait même dire que j’étais un peu un parasite.

Je ferais bien de mettre ces pensées de côté. À l’extérieur, les citoyens de Maalt s’agitaient, certains quittant déjà leur foyer. C’était au cours de ces pensées oiseuses qu’une odeur étrange s’était répandue sur mon nez.

D’où venait-elle ? Dehors ? C’était impossible. Je m’étais assuré que toutes les fenêtres soient fermées et verrouillées après que Lorraine se soit couchée.

Alors…

Avec mon sens de la curiosité piquée par cette odeur étrange, je me dirigeais vers la source de l’odeur, qui était apparemment la cuisine de la demeure.

Pour l’instant, j’avais décidé de laisser mon familier là où il était, car s’il se réveillait, son odorat aigu me dirait immédiatement quel était son parfum.

J’avais été accueilli par un étrange spectacle en arrivant dans la cuisine.

« J’aurais presque pensé qu’il neigeait aujourd’hui, » dis-je, amusé à la vue.

« Ne sois pas bête, Rentt. Même moi, je peux cuisiner si je m’y mets, » répliqua Lorraine.

Cette réponse était venue de nul autre que Lorraine, qui avait décidé de se tourner vers la cuisine du petit-déjeuner pour une raison ou une autre. De nombreux objets magiques et alchimiques étaient présents dans la cuisine, et Lorraine manipulait chacun d’entre eux avec une main experte.

Normalement, Lorraine serait endormie à cette heure, mais comme elle l’avait dit, il n’était pas étrange qu’elle soit raisonnablement capable de cuisiner. Je pourrais m’en attribuer le mérite, bien sûr, étant la personne qui lui avait appris à cuisiner en premier lieu.

Lorraine, pour sa part, cuisinait de temps en temps si elle en avait envie. Si je devais deviner, c’était le cas aujourd’hui.

« Y a-t-il quelque chose pour moi ? » demandai-je.

Bien que je n’aie pu survivre qu’avec du sang, j’avais pris un bon repas de temps en temps.

« Oui, oui, oui, » la réponse de Lorraine était rassurante. « J’y travaille, Rentt, comme tu peux le voir. Assieds-toi, ce sera bientôt fini. »

Bien que ses méthodes soient peu orthodoxes, Lorraine savait ce qu’elle faisait.

Hochant la tête, je m’étais tourné et m’étais dirigé vers la table à manger.

***

Partie 7

« Eh bien, mange maintenant, » déclara Lorraine, en faisant des gestes sur les plats disposés sur la table.

Du pain noir et du lait, ainsi que des plats vapeurs… Un petit-déjeuner de Maalt classique.

Lorraine était probablement en train de faire cuire ces mêmes plats quand je l’avais vue dans la cuisine il y a quelques instants.

C’était un simple ragoût à la vapeur avec de la chair d’orcs que j’avais conservée il y a quelque temps, avec quelques légumineuses et légumes racines. L’arôme riche du bouillon pénétrait à travers les ingrédients — un plat qui mettait l’eau à la bouche.

Étant un Thrall, mon estomac ne grondait pas beaucoup et je n’avais pas faim du tout, mais j’avais quand même un sens du goût. Mes souvenirs de la nourriture et de leurs goûts étaient vagues pendant mon bref séjour en tant que goule, devenant beaucoup plus précis après mon évolution. Je pouvais maintenant savourer et goûter, un peu comme je le faisais dans la vie.

Si je devais identifier un changement, ce serait ma nouvelle appréciation du sang. J’avais trouvé le goût du sang incroyablement agréable, même si ce n’était pas exactement quelque chose que j’évoquais à la table à manger.

En serrant les mains l’une contre l’autre avant le petit-déjeuner préparé à la main par Lorraine, j’avais fermé les yeux brièvement, récitant une prière avant de ramasser mon ensemble d’ustensiles. Inutile de dire que je ne croyais guère à l’existence de Dieu de quelque sorte que ce soit, c’était simplement par habitude.

« Un mort-vivant qui prie les Dieux avant un repas ? C’est un spectacle très étrange et bouleversant, Rentt, » déclara Lorraine.

Je n’avais pas besoin du rappel de Lorraine pour comprendre l’ironie de la situation.

Tandis que chaque religion principale avait ses propres vues séparées sur les morts-vivants, ils étaient la plupart du temps considérés défavorablement, comme des ennemis des dieux, des traîtres des cieux, ou bien pires. Quoi qu’il en soit, je pouvais toujours être sûr du fait que la plupart de ces religions considéraient les morts-vivants comme un crime contre les créations de Dieu.

« … Que penses-tu que cela ferait si je rentrais dans une église pour aller prier ? » demandai-je.

« Ho, ne serait-ce pas un blasphème ? Ou peut-être pourrais-tu même appeler cela un changement d’avis… De penser qu’un mort-vivant envisagerait d’offrir une prière aux Dieux…, » déclara Lorraine.

Comme on l’attendait de Lorraine, elle avait réussi, d’une manière ou d’une autre, à réfléchir sérieusement à ce qui était clairement une plaisanterie stupide. Je n’avais pas vraiment pensé à défier les dieux en premier lieu, et je n’avais pas du tout pensé aux dieux. Appeler cela un changement d’avis serait inexact, mais je m’étais demandé sur ce qui se passerait si j’entrais en quelque sorte dans un lieu saint.

Maintenant que j’y pense, cet orphelinat était géré par l’Église du Ciel Oriental, et si j’avais demandé, j’aurais eu accès à leur autel ou lieu de culte local. Une occasion manquée — malheureusement.

Cependant, étant donné que j’étais si près d’un lieu saint et que je ne sentais rien de mal… Peut-être qu’il n’y avait vraiment pas de quoi s’inquiéter.

Cela dit, il y avait quelque chose d’étrange dans la nourriture d’aujourd’hui. Si je devais le mettre en mots… c’était, pour une raison ou une autre, très délicieux.

Je ne voulais pas dire que Lorraine s’était miraculeusement améliorée en cuisine. Au lieu de cela, il avait simplement meilleur goût… En fait, il avait meilleur goût que tout ce que Lorraine m’avait préparé.

Pendant un moment, je m’étais assis, avec une expression d’étonnement sur mon visage. Lorraine, s’en apercevant, rayonna largement, avec une expression satisfaite qui emplissait ses traits.

« Oh, tu l’as remarqué. C’est bien, n’est-ce pas, Rentt ? » demanda Lorraine.

« Qu’as-tu mis dedans ? » demandai-je.

« C’est vraiment très simple. J’ai mélangé une seule goutte de sang pour ton bien à la toute dernière étape de ma préparation. Bien que je ne l’appellerais pas exactement une épice, j’ai pensé qu’il serait plus adapté à ton palais. Ai-je tort ? » demanda Lorraine.

J’avais apprécié les efforts de Lorraine pour préparer des plats à mon goût, mais je ne pouvais m’empêcher de me demander…

« … Mais dans ce cas, Lorraine. Cela signifierait… qu’il y a du sang, dans ton petit-déjeuner… ? » demandai-je.

Notre petit-déjeuner était-il vraiment du ragoût avec une goutte de sang ? Et Lorraine serait-elle bien avec cela ?

« Eh bien… même si c’est mon propre sang, je n’ai pas l’habitude de manger du ragoût sanglant au déjeuner. Rassure-toi, Rentt, j’en ai simplement enlevé une partie pour toi et j’ai placé une goutte dans cette partie. Pensais-tu que j’allais simplement faire à mon doigt une bonne entaille et l’immerger dans la marmite à ragoût ? Ce serait vraiment un truc de sorcière à faire, non ? » demanda Lorraine.

J’étais soulagé que Lorraine n’ait pas gâché tout un pot de petit-déjeuner pour moi. Si j’y pense, je suppose que mélanger du sang dans la nourriture était un peu un truc de sorcière, si l’on en croit les contes de fées.

« Je ne m’engage pas dans de telles pratiques, » continua Lorraine. « Dans les temps anciens, cependant, les sorcières diseuses de bonne aventure conseillaient souvent aux jeunes filles de faire des choses étranges. J’ai vraiment pitié des hommes. »

C’était vraiment une perspective terrifiante. Pensant que ce n’était qu’une blague, j’avais demandé plus d’informations et je l’avais regretté tout de suite en levant les yeux et en rencontrant Lorraine. Elle était apparemment sérieuse.

« Quand se sont-ils engagés dans une telle pratique ? » demandai-je.

« Pendant ce festival… Comment ont-ils appelé ça déjà ? Celui où il était socialement acceptable pour les femmes de proposer aux hommes… C’était pour l’anniversaire d’un saint ou quelque chose du genre. Tu te souviens des fêtes, des danses et de tout ce qui s’est passé pendant cette période, n’est-ce pas ? Cet acte a été fait à ce moment-là, » déclara Lorraine.

Je m’étais souvenu d’un tel événement. Bien que je n’y aie jamais assisté moi-même et que personne ne m’ait demandé en mariage, j’en avais souvent entendu parler par des amis et des connaissances, notamment d’anciens aventuriers qui s’étaient mariés.

Lorraine avait continué une fois de plus. « Je suppose qu’on peut dire que c’est une sorte de malédiction populaire qui a fonctionné comme la façon dont les vampires créent des Thralls pour être leurs esclaves obéissants. Dans ce cas, cependant, les femmes avaient lié les hommes à leur volonté. Des exemples presque parallèles, si l’on veut, » déclara Lorraine.

Lorraine, apparemment satisfaite de m’avoir donné une explication historiquement exacte de la coutume, s’était assise et continua à prendre son petit-déjeuner sans autre mot.

◆◇◆◇◆

« Fais attention pendant ton voyage, d’accord ? » Lorraine me l’avait dit alors que je quittais la demeure.

Maintenant que j’y pense, ce type de ragoût au petit-déjeuner avait un sens. Selon les coutumes locales, c’était un peu comme une bénédiction ou une prière pour un voyage pacifique. C’est pourquoi Lorraine s’était réveillée tôt pour le préparer. Le marais des Tarasques était un endroit dangereux, après tout.

« … Ne t’inquiète pas pour moi, Lorraine. Si cela devient trop dangereux, je m’échapperais sans aucune hésitation, » déclarai-je.

« Et veux-tu que je croie les paroles de quelqu’un qui a été mangé en entier par un dragon dans sa vie antérieure ? Eh bien… Je suppose que c’était un coup de malchance, plus qu’autre chose… Ah, oui, oui. Encore une chose… Cette souris là-bas. Pourquoi ne lui donnerais-tu pas un nom ? » demanda Lorraine en montrant mon familier souris sur mon épaule.

Si j’avais été surpris de ne pas y avoir pensé jusqu’à présent. J’étais d’accord avec Lorraine : il me fallait un nom pour mon familier. Je ne l’avais pas jugé nécessaire parce que je le traitais simplement comme une sorte de monstre de compagnie, et je n’en attendais pas grand-chose. Je ne pouvais pas imaginer l’appeler Puchi Suri pour toujours, car c’était une chose très gênante. C’est le bon moment pour régler ce problème.

« Eh bien, il est de couleur sombre, alors pourquoi ne pas l’appeler : Noir, » déclarai-je.

Lorraine avait froncé les sourcils devant mon terrible sens du nommage.

« Un peu plus d’effort ne ferait pas de mal, Rentt. “Noir” ? Vraiment ? » demanda Lorraine.

« Même si toi, tu me dis ça…, » déclarai-je.

J’avais poursuivi mon objectif de devenir un aventurier de classe Mithril toute ma vie. Par conséquent, je n’avais pas eu d’enfants et, naturellement, je n’avais pas eu beaucoup d’occasions de donner des noms à quoi que ce soit. En y repensant, je n’élevais pas d’animaux de compagnie non plus quand j’étais plus jeune.

« Tu es sans espoir, Rentt. Je vais lui donner un nom, alors. Hmm… Aha. Et Edel ? » demanda Lorraine.

Edel…

Je n’avais pas de sentiments forts pour le nom, ni rien contre lui. Mais j’étais certainement curieux de connaître l’origine d’un tel mot.

« D’où vient un tel nom ? » demandai-je.

« D’après ce que tu m’as dit, ton familier est le seigneur des petits Puchi Suri, oui ? Un peu comme un roi en quelque sorte… D’où “Edel”. Cela signifie “noble” dans une langue ancienne et perdue, » expliqua Lorraine.

« Un noble…, » répétais-je.

Personnellement, j’avais l’impression que mon familier était plus un boss de la pègre qu’un noble, un dictateur intimidant qu’un roi pieux. Prenant le fil de mes pensées, mon familier me donna un coup de pied à l’épaule, comme si je n’étais pas d’accord avec mon analyse de son caractère.

Est-ce que j’ai tort ?

L’étais-je vraiment, mais c’était un argument qu’il valait mieux laisser pour une autre fois.

Lorraine avait continué : « J’ai d’autres suggestions, vu sa taille. Le gros et rond Moppel, ou la gloutonne Fressa… et d’autres termes anciens. Qu’est-ce que t’en penses ? »

J’avais réfléchi quelques instants à la suggestion de Lorraine. Mon familier était un vrai glouton, ayant terminé la petite portion du ragoût de sang de Lorraine que je lui avais offert en quelques instants. La souris était si rapide que nous pouvions à peine suivre ses actions, et je suppose que cela avait laissé une sacrée impression sur Lorraine. Je n’aimais ni l’un ni l’autre de ces noms, et mon familier semblait préférer la première suggestion de Lorraine, alors qu’il m’avait projeté avec force cette pensée en réponse. C’était peut-être une bizarrerie de ce familier en particulier, mais je sentais que la souris sur mon épaule avait trop de volonté de son côté.

Je devrais peut-être l’appeler Moppel et en finir avec ça. Cependant, ce serait le geste d’un homme mesquin. Mais je n’étais plus un homme à ce stade, du moins, pas un homme vivant.

« Allons-y avec… Edel. Les autres… il n’a pas l’air de les aimer, » déclarai-je.

« Vraiment ? » Lorraine semblait un peu déçue de mes paroles. « Moppel et Fressa sont de grands noms, n’est-ce pas ? Oui ? »

Il semblerait que Lorraine ait pris goût à Moppel et Fressa. Dans tous les cas…

« L’homme… Eh bien. La souris elle-même dit qu’Edel est un bon nom. Nous devrions respecter… ses souhaits, » déclarai-je.

« Ah, oui, oui. Ce lien mental entre toi et la souris. Tu l’as mentionné plus tôt… Eh bien, s’il le préfère, alors c’est Edel. C’est dommage, mais je n’insisterai pas. À partir d’aujourd’hui, tu es Edel, et je suis la personne qui t’a nommé. N’oublie pas ça ! » s’exclama Lorraine en tapotant Edel sur la tête.

Sur ce, nous avions fait nos adieux à Lorraine, nous nous étions retournés et étions finalement sortis de chez elle.

***

Partie 8

« Hey… Nous sommes arrivés, » déclara le cocher, avant d’arrêter la calèche et les chevaux et de me permettre de débarquer. Edel, pour sa part, était calmement perché sur mon épaule.

En arrivant au sol, j’avais regardé au loin, près du marais en question.

« À partir d’ici, c’est le sentier du Marais des Tarasques… Allez-vous vous en sortir ? Ce n’est pas un endroit pour les aventuriers en solo ! » m’avait averti le cocher, avec de l’inquiétude apparente dans sa voix.

Il avait raison, bien sûr. Ce n’était pas un endroit où j’aurais pensé à me promener pendant que je vivais encore. Même si j’étais forcé d’entrer dans une zone aussi dangereuse, j’aurais simplement demandé l’aide des autres et formé une sorte de groupe de dernière minute, renonçant à ma philosophie solo au nom de la sécurité.

Mais cette fois, je n’avais pas le choix. Il y avait plusieurs raisons à cela, mais ce n’était pas le moment de se souvenir.

« Je n’ai aucune intention de combattre une Tarasque. Je vais aller au début de la zone. Alors, ne vous inquiétez pas pour moi, » déclarai-je.

Le cocher ne semblait pas convaincu. Au contraire, il semblait encore plus inquiet.

Avec un haussement d’épaules et un soupir exaspéré, l’homme continua. « Vous, les aventuriers, vous êtes tous comme ça. Eh bien… vous êtes responsable pour votre propre vie, mais ne faites rien d’imprudent, vous m’entendez ? Si la situation tourne mal… vous devriez revenir ici immédiatement. »

Des mots gentils, mais rares aussi. Les gens comme lui n’étaient généralement pas si inquiets pour leurs passagers.

Curieux, j’avais demandé après l’homme.

« Savez-vous ce qui s’est passé récemment, hein ? Avec les nouveaux aventuriers qui manquent dans les donjons et tout ça. C’est une chose triste, vous savez. Les individus que vous avez rencontrés hier ont soudainement disparu. Alors… Peut-être que je deviens un peu émotif. De toute façon… Faites de votre mieux. Je reviendrai ce soir. Je prie pour que vous soyez là puisque je ne peux pas m’approcher du marais plus près que ce que j’ai fait. Eh bien… Je vais y aller maintenant, » déclara-t-il.

Le cocher souleva son fouet, poussant ses chevaux vers l’avant. Bientôt, il n’était plus qu’une tache au loin.

Les aventuriers qui avaient défié le marais des Tarasques étaient peu nombreux. Les calèches s’y arrêtaient deux fois par jour : une fois le jour et une fois le soir. Si un aventurier manquait la calèche, il ou elle devrait passer la nuit dans la nature sauvage. J’avais fait une note mentale pour être conscient de l’heure de peur qu’il ne m’arrive la même chose.

Sur ce, j’avais pris le chemin, suivant les conseils du gentil cocher.

 

◆◇◆◇◆

Le Marais des Tarasques — .

Au nord-ouest de Maalt, il fallait quelques heures pour arriver en calèche. Comme son nom l’indique, c’était une région marécageuse et morne. Pour être précis, les géographes lui avaient donné un autre nom officiel il y a longtemps. Ce nom, cependant, avait été oublié, et la société en général l’appelait plutôt le Marais des Tarasques. C’était probablement en l’honneur des monstres forts qui y vivaient.

Les tarasques étaient une sous-espèce du Dragon, ou un parent éloigné. Armé d’une carapace de tortue et de trois paires de pattes, il arborait aussi un puissant poison, ce qui en faisait une bête vraiment redoutable. Bien que sa carapace blindée, ses écailles et ses veines empoisonnées aient servi de matériaux incroyablement utiles pour les armes et les armures, il fallait être un aventurier de classe Argent ou plus pour avoir une chance contre elle. Cependant, même un aventurier d’un tel rang aurait du mal à chasser s’il était entouré de quelques bêtes.

En d’autres termes, il ne serait pas sage pour un aventurier de la classe Bronze comme moi de se battre avec, ou même de croiser le chemin d’une Tarasque.

Bien sûr, le simple fait d’en rencontrer une ne me tuerait pas. Mais ça me mettrait quand même dans un sacré pétrin. C’est pourquoi j’avais pour principe d’explorer avec soin : au lieu de repousser désespérément une Tarasque, il serait préférable de ne pas en rencontrer du tout. Pour empirer les choses, une grande variété de monstres avaient désigné le marais comme étant leur maison, ainsi il serait stupide de ne pas prendre des précautions contre eux. Ceci, avec quelques autres facteurs désagréables, avait fait de l’exploration des marais une affaire des plus éprouvantes.

Dire que je fais tout ça pour une seule pièce de bronze !

Malgré tout, il n’était que normal qu’un aventurier soit charitable de temps en temps. Si j’allais à la chasse de façon prudente, je pourrais même être en mesure de ramasser quelques matériaux rares des monstres ici, ou au moins quelques plantes médicinales qui pourraient aller chercher une bonne somme d’argent.

Il était évident de voir que ce n’était pas un endroit qu’un aventurier visiterait volontiers. Cela signifiait qu’il y avait toujours une demande pour des matériaux rares que l’on ne pouvait trouver qu’ici. Même si j’avais vraiment fini dans une mauvaise passe, tout ce que j’avais à faire était de m’échapper — pas nécessairement une compétence dont je pourrais me vanter, mais m’échapper était une perspective plus attrayante que mourir une deuxième fois.

En fait, j’étais maintenant capable d’utiliser une distraction mobile. Edel se hérissa à l’idée. Apparemment, celui à côté de moi n’était pas très enthousiaste à l’idée des tâches dangereuses que j’avais en tête pour lui.

N’es-tu pas mon familier, Edel ? Ne devrais-tu pas risquer ta vie pour ton maître ? C’était du moins ce que je pensais, mais Edel ne m’avait pas semblé très loyal.

Je suppose que c’est comme ça.

J’avais mis le pied dans le marais des Tarasques, espérant ne pas croiser l’une des créatures menaçantes de mes voyages.

 

◆◇◆◇◆

Si je devais décrire les différents dangers qui remplissaient le Marais des Tarasques, je devrais certainement parler des Tarasques elles-mêmes. Je ne dis pas qu’il n’y avait pas une multitude d’autres dangers, cependant.

Il y avait beaucoup de lacs et d’étangs dans le marais qui étaient extrêmement toxiques — tout comme les jets d’air qui s’échappaient parfois d’eux. Même marcher dans le marais était dangereux en soi. Pour explorer adéquatement le marais, il faudrait d’abord un moyen de respirer dans un environnement aussi hostile, en plus de neutraliser le poison dans l’air. Un objet magique résistant aux empoisonnements remplirait cette fonction, tout comme l’utilisation continue de la divinité pour purifier l’air autour de l’aventurier. Il faudrait aussi de l’équipement et des vêtements de protection pour traverser le terrain empoisonné en toute sécurité.

Pire encore, un environnement aussi intensément empoisonné avait eu de profondes répercussions sur ses habitants, en particulier les monstres qui vivaient dans les marais. Là, les slimes s’étaient transformés en slimes empoisonnés, les gobelins avaient des armes empoisonnées, et les serpents nageant dans ces eaux troubles étaient armés de poisons mortels dans leur corps.

En tenant compte de tous ces facteurs, on se rendait compte de la trahison du marais : on ne marche pas avec désinvolture dans le marais des Tarasques.

Et comme je l’avais dit, il y avait la question des Tarasques elles-mêmes. Le marais était un endroit que les gens évitaient à tout prix.

Bien qu’il y ait eu une forte demande d’ingrédients, la plupart des aventuriers tenaient leur vie en plus haute et ils l’estimaient à bien plus qu’une pile de pièces d’or. Même moi, je ne serais pas venu ici si j’avais eu le choix dans la vie. C’était la perspective commune de la plupart des aventuriers.

Mais dans mon état actuel, le Marais des Tarasques ne m’avait pas beaucoup menacé. J’aurais évité l’endroit dans tous les cas pendant que je respirais encore, mais en tant que non-mort, je me souciais peu du terrain empoisonné, de l’air ou des gaz qui pénétraient le marais. En raison de ma nouvelle résistance au poison, vérifiée par les expériences de Lorraine, j’avais pu ignorer en toute sécurité 80 % des dangers du marais. Même les poisons des monstres n’avaient eu aucun effet sur moi, et pour moi, les habitants du marais étaient tout à fait inchangés de leurs frères normaux.

Hypothétiquement, si un poison dangereux m’affectait, je pourrais facilement le dissiper avec ma divinité. Ainsi, je pouvais en toute sécurité rayer le poison de la liste des menaces environnementales auxquelles je devais faire face.

Même Edel, qui reposait encore sur mon épaule, avait une certaine résistance au poison. Bien que nous n’ayons pas eu beaucoup l’occasion d’expérimenter et de vérifier cela, je suppose qu’il serait naturel que mon familier hérite de certains de mes traits.

Comme Edel vivait d’abord dans un sous-sol, il devrait être habitué à l’air vicié jusqu’à un certain point. Je l’avais cependant purifié avec la divinité avant de le ramener chez Lorraine.

Même si je tombais dans une flaque de poison, mon Aura divine nous purifierait tous les deux, nous permettant d’embarquer dans la calèche dans un état relativement propre.

J’avais mis un autre pied en avant, m’aventurant plus profondément dans le marais.

 

◆◇◆◇◆

Le terrain du Marais des Tarasques était le plus défavorable. Plus de la moitié du terrain était mou et instable, ce qui n’était pas exactement les meilleures conditions pour le combat. Il y avait aussi les problèmes des gouffres et des pièges dans lesquels il fallait être relativement agile pour échapper à de telles gueules mortelles.

En outre — .

« Hein… ! !? »

J’avais rapidement dégainé ma lame, sautant en arrière et coupant une flèche en deux.

Suis-je attaqué de côté ?

« Grincement ! » Edel m’avait rapidement informé de la position de la flèche via notre lien mental.

En me retournant rapidement, j’aperçus un gobelin maniant l’arc qui regardait dans notre direction. Le gobelin ne semblait pas vouloir s’approcher de nous. Au lieu de cela, une autre flèche nous avait attaqués d’une autre direction. En coupant encore une fois la flèche en deux, je m’étais retourné et, comme prévu, j’avais trouvé un autre gobelin.

Un rapide coup d’œil dans les environs avait confirmé mes craintes : nous étions entourés de gobelins.

Il y en avait une dizaine en tout. Je ne pouvais m’empêcher de me demander d’où ils venaient. L’épée tirée, j’avais fait un autre rapide balayage visuel de la zone. Un bruit distinctif remplissait l’air — des bruits venant de dessous mes pieds. Des terriers, peut-être, ou une série de tanières et de grottes présents dans la région.

Je me demandais comment ces gobelins pouvaient respirer dans la boue des marais. On répondit à ma question en jetant un coup d’œil plus détaillé sur le gobelin maniant l’arc, tenant dans ses dents un objet long, étroit et en forme de bâton. Une sorte de paille pour respirer pendant qu’ils nageaient dans le marais ?

Le terrain marécageux avait également joué en faveur des gobelins, même si j’étais alerte, il était impossible de remarquer immédiatement quelque chose de caché dans les buissons environnants.

Me maudissant d’avoir été distrait pendant que je marchais dans le marais, j’avais commencé à formuler un plan de bataille — je ne pouvais pas être vaincu ici.

Leurs attaques à longue portée étaient ennuyeuses, et les gobelins ne montraient toujours aucun signe ou intention de s’approcher de moi. Un choix stratégiquement judicieux, compte tenu du fait qu’ils étaient confrontés à une personne comme moi. Je suppose que les gobelins estimaient qu’un certain degré de prudence était nécessaire. S’ils s’approchaient de moi avec insouciance, je les écraserais avec facilité.

J’avais insufflé de l’Esprit dans mes jambes, me permettant de marcher sur le sol marécageux sans m’enfoncer. Dans un mouvement qui m’était à peu près familier, j’avais positionné ma lame, me précipitant vers les Archers gobelins.

Alors que je me déplaçais à un rythme beaucoup plus lent que ce dont j’étais capable sur un terrain solide, j’étais encore plusieurs fois plus agile que ces gobelins qui vivaient dans la boue.

Paniquants devant mon avance rapide, les gobelins avaient baissé leurs armes, se retournant et tentant de s’échapper. Les gobelins étaient connus pour leur nature lâche, bien que je ne sois pas trop différent il y a peu de temps.

Une évasion rapide était un choix judicieux si l’on ne pouvait pas gagner — cela n’avait jamais été mis en doute.

La mort avait été le grand égalisateur, la fin proverbiale pour les humains et les monstres. Je suppose que j’étais une exception…

En tout cas, je n’avais pas l’intention de laisser les gobelins s’échapper. Tous les gobelins n’étaient pas nécessairement méchants ou malveillants. Certains gobelins étaient connus pour être pacifiques et coopératifs, tandis que dans d’autres parties de ces terres, ces gobelins étaient considérés comme une sorte de bêtes de somme, et pouvaient vivre sans crainte de persécution.

Cependant, les gobelins cherchaient ici à s’attaquer aux aventuriers qui exploraient le marais. Je n’avais pas l’impression qu’il s’agissait de gobelins bienveillants sous quelque forme que ce soit.

Bien sûr, ils vivaient dans ce marais et avaient probablement des opinions différentes sur les humains en général. Même ainsi, mourir n’était pas exactement dans mon intérêt, et si je les laissais partir, ils attaqueraient certainement d’autres aventuriers.

Étant donné qu’ils avaient choisi d’interagir avec les humains d’une manière hostile, un bain de sang mutuel était inévitable. C’est pourquoi j’avais abaissé ma lame sur eux sans hésitation dès que j’avais rattrapé l’un d’eux.

Ils semblaient nettement plus forts que les gobelins dans le donjon de la Réflexion de la Lune. Je suppose que c’était un fait acquis en raison de leur capacité à vivre dans ces environs empoisonnés et de leur capacité à se cacher dans les eaux du marais.

Mais c’était vraiment tout ce qu’il y avait à faire.

Alors que les gobelins étaient assez intelligents pour utiliser le terrain à leur avantage et tirer des flèches sur des aventuriers peu méfiants, ils ne semblaient pas avoir beaucoup de capacités au combat rapproché.

D’un seul coup de mon épée, un gobelin était tombé face contre terre dans la boue. Le suivant avait bientôt suivi, et ainsi de suite. En peu de temps, les dix gobelins étaient morts, étendus dans la boue.

Confirmant qu’il n’y avait plus de menaces immédiates dans les environs, j’avais fait mes rondes, ramassant des cristaux magiques sur les corps des gobelins. Les cristaux étaient de qualité médiocre au mieux, mais dans tous les cas, ils valaient une certaine somme d’argent. Comme il n’y avait aucune utilisation connue de la peau d’un gobelin, j’avais simplement fait une grande incision avec mon couteau à dissection, en arrachant les cristaux magiques qui se trouvaient à côté du cœur des créatures. Je laisserais leurs cadavres ici comme engrais pour la flore du marais.

Puis… il m’était venu à l’esprit qu’Edel avait fait peu ou pas de travail du tout dans cette rencontre, autre que de me dire d’où la première flèche avait été tirée.

Est-ce que cette souris se considère comme mon familier ?

J’avais demandé à Edel de gagner sa vie dans notre prochaine bataille. Edel venait de me dire qu’il travaillerait s’il le fallait.

Est-ce que cette souris me considère comme son maître… ?

Je ne pouvais m’empêcher de me le demander…

***

Partie 9

Même si le marais n’était pas un endroit où la plupart des individus entraient volontairement, on ne pouvait nier qu’il y avait une grande variété de flores et de faunes, qui pouvaient toutes être récoltées et utilisées comme ingrédients ou matériaux. Pour cette raison, certains éléments d’infrastructure étaient en place pour faciliter ce processus.

Par exemple, on trouvait souvent des ponts et d’autres ouvrages semblables au-dessus de vastes étendues d’eau. C’était nécessaire pour qu’un être humain normal puisse explorer le marais, puisqu’il n’y avait pas d’humain avec mon degré de résistance au poison sur ces terres. Et étant donné qu’aucune personne saine d’esprit n’essaierait de traverser à la nage une vaste étendue d’eau de marais toxique, des ponts étaient une nécessité dans ces régions.

Même si j’étais immunisé contre les effets du poison, je n’étais pas vraiment intéressé à prendre un bain si j’avais le choix. En gros, je traverserais volontiers un pont si j’en rencontrais un.

Et pourtant, il y avait toujours un problème —

Craquement… Craquement…

Un son que je ne voulais pas entendre, pas ici, de tous les endroits.

Le matériau d’un pont différait selon l’endroit où il était construit, et ce pont spécifique était fait de bois. La facilité de construction avait été le facteur principal dans le choix des matériaux pour un pont. Cependant, il serait difficile de trouver suffisamment de matériaux pour construire un pont métallique dans un marais. En fait, un tel exploit ne serait possible que si plusieurs aventuriers étaient engagés. Ces aventuriers devraient également travailler sur le projet pendant une longue période.

C’est pourquoi un pont en bois y était placé.

Naturellement, le bois utilisé pour ce pont provenait d’un type d’arbre tolérant au poison qui poussait dans les environs. En raison de ses propriétés, il était beaucoup plus résistant que le bois normal.

Malgré tout, un pont en bois était un pont en bois. Pour des raisons de facilité, ce pont n’était qu’un ouvrage très basique, et sa simple construction l’avait fait se délabrer à un rythme accéléré. Un jour, il s’écroulerait et serait dévoré par le marais une fois de plus.

— Et aujourd’hui, c’est le jour où ce pont avait décidé de tomber, avec moi dessus.

Crac !!

Je n’avais pas d’autre choix que de tout tenter, même si je ne pensais pas réussir, alors j’avais essayé de quitter le pont en courant, mettant beaucoup de poids dans mes pas. Si j’avais réfléchi calmement à la situation, j’aurais sûrement choisi une autre voie.

Incapable de supporter mon poids, une planche pourrie avait cédé.

Les Thralls avaient beaucoup plus de force physique que l’humain moyen. Ainsi, mon piétinement imprudent avait donné un résultat trop prévisible.

Mon pied, maintenant fermement enfoncé à travers la planche, avait provoqué la déformation du pont déjà fragile, et j’étais tombé dangereusement près de la surface du marais. Edel, pour sa part, avait déjà sauté de mon épaule, grimpant sur le pont tendu et sur la sécurité de la rive opposée.

Espèce de traîtresse de souris !

Les actions d’Edel avaient du mérite, car je ne savais pas exactement à quel point il était résistant au poison. La possibilité qu’une telle chute soit fatale pour Edel ne pouvait pas être écartée, alors j’avais pardonné à mon familier pour le moment.

Le pont, qui avait fini par céder, avait plongé dans les profondeurs du marais, m’emportant avec lui. Je n’avais ressenti aucune douleur ou aucun essoufflement, je suppose que les morts-vivants n’avaient pas besoin de respirer beaucoup, voire pas du tout. C’était nouveau pour moi, ne serait-ce que parce que j’avais des bottes pour marcher sur l’eau pendant mon excursion au village de Todds.

Si je savais nager, en premier lieu, je n’avais probablement pas besoin d’un objet magique aussi coûteux. Mais j’aurais semblé suspect selon Ryuntus et Amiris.

Mais c’était du passé.

Cela dit, j’avais poussé une profonde respiration quand j’étais à terre — j’aurais paru étrange si je ne l’avais pas fait. Les humains le faisaient inconsciemment, bien qu’en comparaison, ma capacité à ne pas respirer quand j’étais submergé dans un marais empoisonné était en effet pratique. Bien que j’aie l’air peu recommandable et étrange, j’aimerais bien avoir un tel corps pour le reste de ma vie.

Inutile de dire que je serais célibataire toute ma vie, mais j’aurais toujours mon rêve de devenir un aventurier de classe Mithril pour me tenir compagnie.

Eh bien, je n’avais pas l’intention de me marier au départ, donc ce n’était pas désolant. Cependant, le fait que j’avais parfois eu de telles pensées signifiait probablement que je n’avais pas renoncé à l’idée de le faire.

En me remémorant la situation actuelle, je m’étais rendu compte que les eaux empoisonnées du marais semblaient avoir rendu impossible la survie de la plupart des êtres vivants. C’était parce que la plupart des êtres vivants devenaient instantanément violets s’ils étaient submergés dans le marais, puis mouraient dans les cinq minutes qui suivaient.

Mais le spectacle qui m’avait accueilli alors que je m’enfonçais dans les eaux du marais était tout à fait différent. Je ne pouvais pas dire que c’était une vue magnifique ou panoramique, mais il y avait des choses vivantes dans les profondeurs. Des monstres ressemblant à des poissons, de la taille d’un homme, se dirigeaient vers moi la mâchoire grande ouverte. Il y en avait plus qu’un petit nombre, car je pouvais en compter une dizaine dans mon entourage immédiat.

Je ne mourrais probablement pas si ces monstres me grignotaient, et je me demandais même si pour commencer j’étais comestible. Tant que je le supporterais, ces monstres me laisseraient probablement tranquille après un certain temps. Mais les petites parties de moi qui restaient humaines semblaient révoltées à l’idée d’être dévorées par ces monstres.

Dégainant mon épée de son fourreau, je m’étais préparé dans une position de combat face aux abominations qui approchaient. Heureusement, mes pieds étaient maintenant sur un sol solide et j’avais ainsi la possibilité de me battre.

La planche que j’avais malheureusement transpercée était encore collée à l’un de mes pieds, mais je l’avais plantée fermement dans le sol en réponse. Je pouvais nager librement si je coupais simplement la planche, mais j’avais plutôt décidé de rester en place, en frappant les poissons qui attaquaient.

Immédiatement, un gros poisson s’était précipité vers moi, les mâchoires grandes ouvertes. Tenant ma position, j’avais avancé ma lame vers sa tête, la coupant soigneusement de son corps. Mon épée était encore assez tranchante pour mes besoins, même si elle était beaucoup plus lourde sous l’eau que sur terre. Bien que ses performances actuelles ne puissent être comparées à ce qu’elle était capable de faire sur un sol sec, l’infusion d’un peu d’Esprit dans la lame était plus que suffisante pour décapiter un poisson géant.

Malgré cela, j’avais eu du mal à me défendre contre quatre ou cinq bêtes à la fois. Il m’était difficile d’être au courant de toutes les directions, ne serait-ce que parce que je restais debout sur place. Mes mouvements dans l’eau étaient également très lents.

Les poissons, par contre, avaient évolué pour se déplacer rapidement dans l’eau. J’aurais dû réfléchir à la situation difficile qui nous attend.

Les poissons se moquaient de mes regrets ou de mes mauvaises décisions. En m’approchant de tous les angles, ils avaient plutôt avancé leurs mâchoires vers mon corps. Balançant mon épée en un large arc de cercle horizontal, j’avais réussi à en disposer trois qui s’approchaient de moi par l’avant, mais deux autres m’avaient attaqué par-derrière, en enfonçant leurs dents dans ma peau. En réponse, je m’étais débattu et j’avais balancé mon épée violemment. Mes actions, cependant, n’avaient eu que peu d’effet.

J’avais ressenti un nouveau sentiment de péril, si je n’agissais pas rapidement, je risquais de perdre mon pied. J’étais dans une situation où ma vie était en danger, alors je devrais me sentir menacé. Ce n’était pas mes compétences qui m’avaient donné un faux sentiment de sécurité, mais ce corps ridiculement solide qui était le mien. Je ne mourrais probablement pas même si on m’enlevait la tête de mon corps et, par conséquent, je n’avais plus un sens précis ou raisonnable du danger, contrairement à ce que j’avais dans la vie.

C’était très inconvenant. Je devrais faire quelque chose après m’être sorti de ce pétrin. Alors, j’avais décidé d’organiser une vraie bataille.

N’entretenant plus mon Aura spirituelle, j’avais plutôt infusé mon corps de divinité. La divinité était allée plus loin pour renforcer mon corps, bien qu’un Art Fusionnel Mana-Esprit aurait été plus fort dans cette situation, je n’avais pas osé l’utiliser sous une telle tension. Si je devais vraiment l’utiliser, ce serait lorsque ma vie était vraiment en danger, par opposition à la perte d’un pied.

Alors que l’aura divine coulait à travers mon corps, j’avais senti mes mouvements s’accélérer. Comme je m’y attendais, il m’était maintenant plus facile de me déplacer dans l’eau.

Avec une force renouvelée, j’avais tiré l’un de mes pieds loin du poisson me mordant. Les autres poissons restaient toujours résolument attachés, refusant de lâcher prise.

Ma chair osseuse et immortelle était-elle si délicieuse ? Je suppose que la nourriture était rare dans le marais et que les poissons avaient l’instinct de ne pas lâcher prise une fois qu’ils avaient attrapé leur proie.

C’était horriblement inacceptable pour moi. J’avais de plus grands projets dans la vie que de pourrir au fond de ce marais.

L’un de mes pieds étant maintenant libre, et j’avais pu changer d’orientation. Tordant mon torse, j’avais levé mon épée haut, dans l’intention de mettre fin une fois pour toutes à cette menace de poissons.

La trajectoire était claire : j’allais maintenant tuer ce poisson qui mordait encore mon pied.

Cependant, au moment où cette pensée m’avait traversé l’esprit, j’avais eu l’impression que la compréhension semblait se manifester quant à ce poisson. Nageant rapidement vers le haut, le poisson m’avait traîné avec lui, avant de finalement sauter hors de la surface de l’eau et de me jeter sur la terre ferme.

« Guh… !! »

Et avec cela, ma traversée du marais avait été terminée, bien que je finisse par m’écraser sur le sol avec un son pathétique.

J’étais complètement trempé, de l’eau toxique s’égouttait sur le sol. Étonnamment, ma robe était restée incroyablement sèche. Je suppose que c’était un témoignage de sa qualité. Peut-être n’avait-elle jamais été mouillée… Cette robe était aussi mystérieuse que la femme qui me l’avait offerte.

En faisant demi-tour par-ci par-là, mes yeux s’étaient tournés vers un spectacle familier : Edel, le même familier qui m’avait abandonné à ma tombe aquatique.

« … Toi, qu’est-ce que tu fais là ? » demandai-je.

Le visage d’Edel… le museau, plus probablement, semblait étrangement gonflé. Je l’avais attrapé brutalement, je lui avais ouvert la bouche avec mes mains gantées et j’avais trouvé un assortiment de noix cachées dans ses joues.

Mon familier m’avait laissé, moi, son maître, mourir, décidant à la place de ramasser de la nourriture dans l’environnement.

Il semblerait qu’Edel comptait moins sur le sang pour se nourrir que moi.

Mais il y avait aussi quelque chose d’autre qui me dérangeait, à savoir le manque de foi… et de loyauté d’Edel.

Les familiers des vampires sont-ils tous ainsi ?

Mais bien sûr, personne n’avait pu répondre à ma question. À qui demanderais-je… ?

***

Partie 10

Peut-être que les attentes existaient pour être trahies. C’était une observation soudaine et brutale, et peut-être même un peu fataliste, assez triste, en fait. Mais je n’étais pas dans une situation où je pouvais m’allonger sur le sol et réfléchir à la philosophie. Ce qui ne voulait pas dire que je ne ressentais pas encore un sentiment écrasant de désespoir, probablement parce que ce désespoir se tenait maintenant à une courte distance de moi, en regardant ma figure trempée.

Doté d’une carapace blindée en forme de tortue et de six pattes puissantes, il était recouvert d’écailles dures, arborant un corps relativement simple, mais toujours impressionnant, semblable à celui du dragon. Ses yeux indiquaient une créature plus sauvage qu’intelligente — les yeux d’une bête. Dans ces yeux se reflétait ma propre image, un organisme plus faible qui serait chassé et consommé.

— Une Tarasque. La créature qui avait donné son nom à ce marais.

Bien que j’aurais préféré ne pas en rencontrer un au cours de mon voyage, je n’avais pas été surpris que j’aie fini par croiser son chemin. En termes simples, les Fleurs de Sang du Dragon que je cherchais ne fleurissaient qu’autour des sentiers et des zones foulées par les Tarasques. Il me serait difficile, voire impossible, d’accomplir ma tâche sans jamais me heurter à l’une d’elles. Si l’on avait un œil attentif à ces questions, on pourrait cependant identifier les traces de Tarasque, ainsi que les marques territoriales qu’elles avaient laissées pour avertir les autres monstres de leur présence. J’avais essayé de faire la même chose, puis j’avais échoué de façon spectaculaire dans ma tâche.

Quelle situation difficile… !

Au vu de la situation, je n’avais pas d’autre choix que de me battre.

S’il y avait une lueur d’espoir dans cette situation, ce serait que j’étais immunisé contre le poison de la Tarasque. Tout ce que j’avais à faire, c’était de me battre comme un monstre normal, ce qui me conduirait probablement à la victoire.

 

 

Alors que je me demandais si je possédais les compétences nécessaires, la Tarasque n’avait pas l’air de s’intéresser à mes pensées maladroites.

« GRUAAAAH... ! !! »

Un cri grondant qui était sans aucun doute une déclaration d’hostilité s’était fait entendre. Ce n’était pas du tout ce que j’avais prévu, mais je n’avais d’autre choix que de me battre.

Dégainant ma lame, je m’étais arrêté, faisant face à la Tarasque. Alors que je m’étais mis en position, la bête s’était précipitée vers moi à toute vitesse.

Compte tenu de la taille de la Tarasque, tout humain normal touché par une telle attaque serait sûrement envoyé en un vol plané, ou piétiné et écrasé sous ses pieds. Inutile de dire que ces deux options ne m’avaient pas particulièrement plu.

J’avais tenu bon, et j’avais attendu l’ouverture.

Comme une Tarasque était engoncée dans une carapace dure et avait un cou long et flexible, mes stratégies étaient limitées. Je n’avais vraiment que deux options : je pouvais soit percer sa carapace en l’attaquant, soit faire voler son cou relativement plus souple.

Pour penser à briser la carapace d’une Tarasque, il faudrait cependant posséder suffisamment de force et de compétences, ainsi qu’une arme bien forgée. Sa carapace était après tout couramment utilisée comme matériau d’armure par les aventuriers de la classe Argent ou de classe Or.

La carapace d’une Tarasque pouvait être transformée en un matériau tout à fait respectable, à condition de trouver un forgeron tout aussi capable. Les objets et armures fabriqués avec ce matériau avaient d’immenses capacités défensives.

Pour le dire logiquement, il me serait extrêmement difficile de briser une telle carapace. Cependant, il y avait l’option de fusionner le mana, l’esprit et la divinité dans ma lame tout à la fois… Bien qu’il soit possible que cela puisse briser la carapace de la bête, les conséquences du retour de flamme m’avaient poussé à mettre cette pensée en suspens pour une durée indéterminée. Si je perdais mon arme de cette façon, je perdrais sûrement la vie. Ce serait un dernier recours, et j’espérais que je n’aurais pas à l’employer.

J’avais décidé de m’en prendre au cou de la bête.

En sautant vers la Tarasque en chargeant, j’avais atterri sur sa carapace, me stabilisant et balançant mon arme sur son cou — c’était mon intention, en tout cas.

Clang !

Avec un son semblable à celui de l’acier, ma lame avait rebondi sur la peau de la Tarasque sans causer de tort. La bête, maintenant alertée de ma présence sur son dos, se jeta rapidement sur le sol, retournant son gros corps pour tenter de me déloger.

Ka-thung !

Avec un son bas et grondant, la Tarasque continua à rouler, balayant le marais autour de lui au fur et à mesure qu’elle avançait. Soulevant un nuage de gaz toxiques et de boue volante, la Tarasque se retira derrière cet écran de fumée, comme pour obscurcir ma vision. Une attaque intimidante, une attaque qui vaincrait une personne normale. Malheureusement pour la bête, je me souciais peu des poisons.

C’était une attaque à la fois défensive et offensive, une vraie bête traîtresse. Cependant, la boue empoisonnée n’était rien de plus que de la boue pour moi. De plus, je possédais une vue supérieure à celle d’un humain normal. Bien que les efforts de la bête m’aient un peu gêné dans ma vision, je pouvais encore distinguer sa forme au-delà de la boue et des gaz qui s’y déposaient.

Une capacité curieuse et pratique que je n’avais jamais utilisée aussi consciemment auparavant.

Décidant que je pouvais faire confiance à mes sens accrus de perception, je sautai à travers la pluie de boue et l’eau des marais, faisant un saut vers la Tarasque. La bête, par contre, avait gardé un profil bas, après avoir enfoncé sa carapace dans le sol mou et marécageux pour me dissuader d’avancer. Alors que les secousses étaient impressionnantes, la Tarasque était maintenant dans une position désavantageuse, car son cou était maintenant beaucoup plus près du sol. C’était une occasion que j’exploiterais grandement. Tant que j’aurais frappé au bon moment, je pourrais sûrement décapiter cette bête.

Je suppose que ce serait le moment idéal pour améliorer le tranchant de mon épée. Et j’avais justement la technique en tête pour ce but précis.

J’avais commencé à infuser deux auras dans ma lame, les auras de mana et de l’esprit. Il était temps de mettre ma technique à l’épreuve : un Art Fusionnel mana-esprit.

Si je ne pouvais pas couper à travers sa carapace, tout ce que j’avais à faire était d’écraser ses organes de l’intérieur, et ce serait tout.

Bien sûr, les vrais pratiquants des Arts Fusionnels seraient capables de concentrer ces deux auras dans le bord de leur arme, augmentant son tranchant à un point presque astronomique. Moi, par contre, j’étais actuellement incapable d’un tel exploit. Je compterais plutôt sur ma force brute et soufflerais à travers la bête.

Je m’étais dirigé vers elle, étendant mon aura d’esprit de ma lame à tout mon corps. Propulsé par une intense concentration d’Esprit, je m’étais retrouvé à côté du cou de la Tarasque avant de m’en rendre compte.

La bête continuait à lutter, et je n’avais pas l’intention d’attendre qu’elle se redresse d’elle-même. D’un geste rapide, j’avais baissé mon épée sur son cou.

Un bruit tonitruant avait rempli l’air alors que l’acier rencontrait la Tarasque.

Alors que les suites de mon attaque résonnaient dans les airs, elle était accompagnée d’une petite pluie d’écailles brisées, apparemment libérées par mon coup.

Est-ce que je l’ai tué, pensai-je, en m’arrêtant momentanément. Malheureusement, une Tarasque n’était pas un monstre faible.

Avant que j’aie pu réagir, une série de griffes acérées avaient volé vers moi, avec l’intention de m’écraser sur place, la robe et tout.

En esquivant le coup d’un geste paniqué, je m’étais réorienté, avec l’intention de frapper une fois de plus sa blessure. Au lieu de cela, j’avais découvert que la Tarasque avait levé le cou très haut.

On dirait que la bête s’est enfin redressée…

Si j’étais resté un être humain, je n’aurais pas pu profiter de tout cela, mais le cou de la bête, actuellement relevé, n’était pas non plus une bonne nouvelle pour moi. Un humain ne serait pas capable de combattre une Tarasque pour commencer — mais ce n’était pas le moment de penser ainsi.

Avec ses six pattes, la bête s’était abattue sur moi une fois de plus, mais à une vitesse plus lente qu’auparavant. Déjà, la Tarasque se méfiait d’être monté à nouveau par moi — vraiment un monstre redoutable.

De penser qu’elle pourrait apprendre et s’adapter en si peu de temps… C’était une bête sauvage qui vivait et mourait en grande partie selon ses instincts et ses sens, mais on pourrait presque penser qu’elle était en possession d’un esprit un peu logique. Personnellement, je préférerais de loin une Tarasque stupide et brutale.

J’avais supposé qu’on ne pouvait rien faire contre l’intelligence de mon ennemi. J’avais dû penser à une nouvelle stratégie.

Bien que grimper sur son dos et frapper son cou blessé était la meilleure façon de mettre fin à ce combat, mon adversaire semblait conscient de ce fait, et il était visiblement plus prudent à présent.

Que dois-je… ?

Edel — .

Edel, mon familier sur mon épaule, avait disparu.

Où est-il allé ?

En regardant autour de moi, je n’avais pas mis longtemps à apercevoir la silhouette d’Edel, courant à une vitesse folle au milieu des pieds de la Tarasque.

C’était une approche dangereuse — un faux pas, et mon familier serait écrasé ! Mais Edel se déplaçait et dansait entre les jambes du monstre, évitant ses pas frénétiques et atterrissant parfaitement sur son dos.

Tu es plutôt bonne, petite souris.

Pour la première fois depuis que j’avais mis les pieds dans le marais, je me sentais reconnaissant de l’existence d’Edel.

Et pourtant, Edel n’était encore rien de plus qu’un Puchi Suri, un petit monstre semblable à une souris, comparé à la grande et féroce Tarasque.

Juste au moment où cette pensée m’était venue à l’esprit…

« … Quoi !? »

J’avais failli tomber. Je m’étais rattrapé, c’était comme si toutes les forces de mon corps m’avaient abandonné tout d’un coup. Puis, le corps d’Edel s’était mis à briller.

Il se passe quoi… ?

Je pouvais sentir les intentions d’Edel. Il avait un plan, et tout ce que je pouvais faire, c’était regarder.

J’avais regardé la scène qui se déroulait devant moi, celle d’Edel et de la Tarasque.

Maintenant enveloppé de ce qui semblait être un voile de lumière, Edel avait couru le long du cou de la Tarasque, propulsant et claquant son corps dans la blessure exposée laissée par ma frappe précédente.

Edel était grand pour son espèce, mais il était toujours un Puchi Suri. Sa vaillante attaque ne pouvait pas laisser de traces sur la Tarasque.

Cependant, contrairement à mes attentes, la bête avait commencé à crier, évidemment dans une grande douleur.

« Gruuuaaaaaaaaarrrrggg... ! »

C’était un hurlement de fureur — fureur d’avoir été blessé deux fois au même endroit, et peut-être l’indignation d’avoir reçu un coup porté par quelque chose de beaucoup plus petit que soi. Alors que seule la Tarasque pouvait savoir lequel de ces derniers était le plus frustrant, la force et l’impact résultant de l’attaque d’Edel ne pouvaient être niés.

Tremblant et luttant, la Tarasque s’était soudain tordu le cou comme un fouet écaillé. Elle avait balayé son dos dans un large arc de cercle horizontal, à une vitesse que je ne pensais pas possible pour un monstre blessé. Il semblerait qu’Edel ait partagé mes pensées, car la vitesse du coup l’avait pris au dépourvu. Mon familier avait rapidement été envoyé en un vol plané, victime d’un impact violent.

Courant sur la trajectoire de son vol, j’avais sauté, l’attrapant avant qu’il ne touche le sol.

« … Vas-tu bien ? » demandai-je.

Cependant, Edel avait insisté sur le fait qu’il allait bien, et que je devrais faire plus que simplement courir partout pour attraper des souris volantes.

Espèce d’horrible insolent… Je suppose que je devrais apprécier sa vigueur. J’avais commencé à guérir ses blessures avec la divinité, mais il ne semblait pas avoir de blessures. Maintenant que j’y pense, j’avais été vidé d’une quantité significative de pouvoir tout à l’heure — pas de mon mana ou de l’esprit, mais de divinité.

Il semblerait qu’Edel ait utilisé la divinité qu’il m’avait prise à des fins à la fois offensantes et curatives. Je ne me rappelais pas lui avoir donné la permission, mais le voilà qui était reparti, le faisant quand même. Je suppose que c’était exactement comme ça que sont les familiers…

Est-ce qu’ils exigent et revendiquent tous simplement le pouvoir de leurs maîtres comme et quand ils en ont envie ? Pourquoi notre relation me semble-t-elle si inversée… ?

Mes pensées furent rapidement interrompues par une série de rugissements écrasants.

« Gruaaaarrgg... ! Gaaarrrg ! Gaaarrrgg!! »

Les cris douloureux de la Tarasque m’avaient ramené à la réalité. Il semblerait que la bête ait tourné en rond tout ce temps, le poids de son grand corps travaillant contre elle. Elle possédait une vitesse redoutable lorsqu’elle chargeait droit dans une direction, bien qu’elle ne semblait pas très bien gérer les virages. S’il y avait une chance de s’échapper, ce serait maintenant.

Bien qu’il y ait une certaine distance entre nous, je ne pouvais pas garantir qu’une évasion serait utile ou prudente. La bataille pourrait se transformer en un jeu de décrochage, les deux camps attendant de voir si l’adversaire manquera d’endurance en premier. Ou peut-être que je pourrais gagner du temps et me guérir moi-même ?

Cependant, Edel n’avait pas besoin d’un tel repos. Quoi qu’il en soit, l’attaque d’Edel sur la Tarasque semblait avoir laissé des marques. La bête ne pouvait plus bouger son cou aussi librement qu’avant.

S’approchant lentement, mon attention fut attirée par un panache de fumée s’échappant de la plaie ouverte de la Tarasque.

Edel avait-il la capacité de lancer des boules de feu ? Je ne me souviens pas avoir vu une telle chose. Non, ce phénomène avait été indubitablement causé par le choc de son corps.

Est-ce que c’est l’une de ses capacités spéciales ?

Non… ça ne semblait pas non plus être le cas.

Bien qu’il brillait, cette lueur était provoquée par mon Aura divine, de sorte que la Tarasque réagissait de cette façon après avoir été frappée par une attaque divine.

Une belle allusion, petite souris…

Je suppose qu’une Tarasque était plus vulnérable à la divinité, par opposition à l’esprit ou au mana. Si seulement j’avais utilisé mon Aura divine dès le début… Les indices étaient en place bien avant que je mette les pieds dans ce marais.

En raison de l’habitat de la Tarasque, elles détestaient l’eau bénite, de sorte que la plupart des aventuriers dans ces marécages en portaient une bonne quantité. On disait que se tremper dans l’eau bénite pouvait même rendre méfiantes les Tarasques les plus féroces.

Pour dire la vérité, je voulais faire la même chose, et j’avais acheté de l’eau bénite pour moi, mais c’était le résultat malheureux. Ce n’était pas la faute de l’eau elle-même, et tout compte fait, j’avais probablement fini par acheter de la fausse eau bénite par accident. J’avais dépensé pas mal d’argent pour les préparatifs de ce voyage, et j’avais fini par lésiner sur certaines fournitures. Par exemple, j’avais acheté cette eau bénite dans un magasin au bord de la route quelque peu suspect — ce n’était pas exactement le choix le plus sage.

L’eau bénite ne pouvait être obtenue que dans les églises, et elle coûtait cher. Je ne voulais pas vraiment mettre les pieds dans une église, du moins, pas avec mon corps tel qu’il était. C’est pourquoi j’avais acheté cette bouteille d’eau bénite relativement moins cher chez un marchand au bord de la route…

Je suppose qu’on en a pour son argent. Une leçon bien apprise.

Bien que je voulais faire une réserve d’eau bénite pour mon usage personnel, les méthodes utilisées pour sa création étaient étroitement surveillées par l’église. Mes tentatives pour créer de l’eau bénite avaient échoué, car toute aura injectée dans l’eau ne durerait que quelques secondes, avant de redevenir une eau potable normale. Après plusieurs essais, j’avais abandonné. Je suppose qu’il était impossible de créer sans une sorte de méthode spéciale.

Craaack !

Une fissure assourdissante m’avait ramené à la réalité. Un arbre voisin avait été déraciné et jeté en l’air.

Le cou de la Tarasque restait blessé, mais son corps fonctionnait encore normalement, et la bête était de nouveau sur notre piste. Cette fois, elle crachait des nuages de poison, ce qui ne m’inquiétait pas.

Edel, qui était encore une fois sur mon épaule, n’y avait pas non plus prêté attention. Pour nous, ce n’était rien de plus qu’un nuage chaud et violet. En fait, son souffle empoisonné avait été sa prochaine attaque.

J’avais pitié de l’environnement qui nous entourait, mais je n’avais pas perdu de temps avant de plonger dans les nuages, émergeant rapidement de l’autre côté. J’étais maintenant près de la Tarasque — un peu trop près selon elle, à en juger par ses tentatives paniquées de retraite.

Ce n’était pas trop difficile pour moi de comprendre ce que ça faisait. Je suppose que j’avais été le premier humain immunisé aux poisons qu’elle ait jamais rencontré dans sa vie. Dans tous les cas, un être humain aurait besoin d’une sorte d’objet magique qui annulerait complètement toutes sortes de poisons. Mais j’avais ma constitution de Thrall qui jouait ce rôle.

Quoi qu’il en soit, je devrais finir le travail. Contrairement à ma frappe d’épée dans l’eau, j’opterais maintenant pour un coup fatal.

J’avais concentré mon Aura divine, l’enveloppant autour de mon épée. Réagissant avec l’air empoisonné qui l’entourait, mon arme brillait d’un léger bleu doré, la brume pourpre qui m’entourait s’estompant rapidement. La visibilité autour de moi s’étant améliorée, j’avais vu un chemin dégagé vers le cou de la Tarasque.

J’avais sauté — .

D’une seule frappe décisive, j’avais frappé le cou déjà blessé de la Tarasque. En raison de mon Aura divine, les écailles de la bête fondirent et se déformèrent. Contrairement à mes tentatives de tuer la bête avec une attaque d’Art Fusionnel avec l’Esprit et Mana, ma lame imprégnée de l’aura Divine avait coupé la chair de la Tarasque sans faire de bruit. La résistance qu’offrait sa chair molle ressemblait beaucoup à celle des monstres inférieurs que j’avais rencontrés. C’était une observation intéressante…

La Tarasque s’était débattue. Elle avait l’intention de se libérer de la lame brûlante qui était en train d’enlever sa tête du reste de son corps. Mais je n’avais pas permis que ça arrive.

Avec une dernière impulsion de force, j’avais enfoncé ma lame dans et à travers le cou de la bête, les écailles, la chair, les os, et tout. Avec un bruit sourd et macabre, la tête de la Tarasque tomba au sol.

***

Partie 11

Un autre coup de tonnerre avait retenti à travers le marais lorsque le corps gigantesque de la bête tomba au sol. Se débattant et se tortillant pendant quelques instants, le corps de la Tarasque sans tête avait fini par se taire. Son cou en forme de serpent, enroulé lors de son agonie, était un spectacle dégoûtant à voir.

Penser que quelque chose de cette taille pouvait s’écrire et se tortiller d’une telle façon, un spectacle que j’espérais ne jamais revoir.

C’était probablement une étrange déclaration de ma part, étant donné que j’avais tué la Tarasque. Je n’avais pas vraiment l’intention de le faire en premier lieu, cependant, j’avais reproché à la bête de nous pourchasser.

Je ne m’excuserai pas, monstre.

Étant la bête qu’elle était, la Tarasque possédait un cristal magique, comme tous les autres monstres. Bien que la position du cristal variait d’un type de monstre à l’autre, on pouvait généralement supposer qu’il se trouvait près du cœur de la bête.

Mais pour un cristal de la Tarasque, il était enterré profondément dans sa carapace, et je n’avais d’autre choix que de le déterrer. Mais cela prendrait beaucoup de temps, et le marais de Tarasque n’était pas un endroit où l’on pouvait tourner au ralenti en toute sécurité. Il était presque justifié qu’une autre Tarasque vienne se promener pendant que j’entreprenais mon travail de dissection. C’était quelque chose que je devais éviter à tout prix.

Je suppose que vaincre une Tarasque de plus était possible, étant donné que je connaissais maintenant la faiblesse de leur espèce. Mais je n’avais aucun moyen de le savoir jusqu’à ce qu’on se batte. J’avais aussi réalisé que je n’avais pas grand-chose à craindre d’une Tarasque. Edel pourrait m’aider aussi.

Le seul problème dans tout cela était la quantité de force qui me restait en moi. Ayant utilisé une grande quantité de divinités, j’aurais du mal à couper la tête d’une autre Tarasque. Pour empirer les choses, j’avais une réserve de divinité considérablement plus petite, du moins comparé à celui de mon mana et de mon esprit. Par conséquent, souvent, quand j’avais fini par en utiliser davantage, il m’avait fallu naturellement plus de temps pour m’en remettre.

Je ne pouvais pas compter sur l’utilisation répétée des mêmes techniques sans repos. C’est pourquoi j’essayais de conserver ma divinité, et, par conséquent, je me demandais, pourquoi avais-je fini par en utiliser la majeure partie.

Quelle énigme !

Alors, abandonnerai-je le cadavre de la Tarasque et le cristal magique qu’elle renferme ?

Non. Je ne pourrais pas faire une telle chose.

Je ne ferais pas une telle chose.

J’étais incapable de faire une telle chose.

— J’étais très endetté. Pour empirer les choses, la récompense de l’orphelinat pour avoir récupéré une Fleur de Sang du Dragon était la somme princière d’une pièce de bronze. Malgré ma dette, cependant, je m’étais assuré de payer de ma poche un article bien précis avant d’arriver au marais : nul autre qu’une poche magique.

J’en possédais déjà une moi-même, mais celle-ci était relativement petite, à peine capable de contenir le corps d’un orc. Il n’y avait aucun moyen de contenir le corps d’une bête aussi grande qu’une Tarasque.

Je pouvais simplement disséquer le Tarasque et en extraire les matériaux précieux, mais ce n’était pas un endroit propice à un tel effort. C’est pourquoi il me fallait un sac de grande capacité, et c’était pourquoi j’avais obtenu un tel objet avant mon incursion dans le Marais des Tarasques.

Cependant, ma justification pour obtenir un tel sac en avance était beaucoup plus simple : j’avais, ces derniers temps, pris en compte ma chance relativement terrible. Qui, exactement, pourrait dire qu’ils avaient été mangés par un Dragon légendaire et transformés en squelette en explorant simplement la zone pour débutant d’un donjon ?

Au contraire, je m’attendais aux pires choses dans le monde qui me viendrait à la gueule.

Que se passerait-il alors si un homme comme moi s’aventurait dans le marais des Tarasques ? Contre toute attente, je tomberais sur une Tarasque. Oui, tout à fait la veine fataliste qui me venait dans mes pensées, mais il s’était avéré que mes suppositions — et mes sentiments instinctifs — étaient correctes.

Peut-être que j’avais obtenu une sorte d’instinct primitif après être devenu un monstre…

Il s’était avéré que j’avais rencontré une Tarasque. Je pourrais même dire que mon instinct était raisonnablement aiguisé.

Cela dit, cette poche magique de grande capacité n’était qu’un article que j’avais loué. Une donnée, peut-être, considérant de tels objets magiques de haute qualité valait son pesant d’or. On pourrait même acheter une maison avec le prix demandé pour ce sac.

Heureusement, la location était possible, à condition d’avoir suffisamment d’argent. On pourrait penser qu’un objet d’une telle valeur ne serait pas si facilement loué, mais ils n’auraient pas à chercher plus loin que la guilde, d’où j’avais loué la mienne. Si un aventurier était assez fou pour s’enfuir avec, les spécialistes en récupération de la guilde seraient à leur poursuite en un instant. Selon la valeur de l’objet en question, même les aventuriers de classe Or ou Platine seraient mobilisés pour l’effort. Cela signifiait qu’il serait difficile pour tout contrevenant de vivre en paix, peu importe le royaume, et c’était pourquoi les vols de cette nature étaient rares et espacés.

Ces vols semblaient presque représenter la nature infiniment sombre de l’homme, et peut-être du monde en général.

Quoi qu’il en soit, j’étais maintenant armé d’un moyen de transporter la carcasse de la Tarasque tuée.

Son corps était une mine d’or de matériaux. Même si j’excluais le produit de la vente de son cristal magique, les écailles et la carapace d’une Tarasque valaient à elles seules assez de pièces pour me sortir de mes dettes. Le produit global de cette carcasse me permettrait à lui seul de faire un profit, et c’est en tenant compte des coûts de l’expédition.

Dire que je pourrais à nouveau dépenser librement, et que j’avais réussi à le faire avec le butin d’une seule bataille ! C’était l’une des nombreuses raisons pour lesquelles je ne pouvais m’arrêter d’être un aventurier actif.

C’était la première fois que je faisais l’expérience d’une telle manne au cours de la dernière décennie que j’avais passée en grande partie à tenter l’aventure. Bien que j’aie récolté un grand cristal magique d’un monstre géant que j’avais tué il y a quelque temps, la situation à l’époque signifiait que je n’avais pas profité du tout de cet événement.

Cette fois, ce serait différent. J’avais ouvert le sac en m’agenouillant près de la carcasse de la Tarasque. Je ne voulais pas dire qu’il faudrait que je mette le sac sur cette carcasse d’une taille imposante, car c’était inutile. Il suffisait de laisser le sac magique s’attacher à l’objet pour qu’il soit transporté sans effort dans ses profondeurs sans fond.

C’était en effet des objets des plus pratiques.

Même la tête coupée de la Tarasque avait de la valeur, alors j’avais consciencieusement laissé le sac la consommer aussi. Si ma mémoire était bonne, ses globes oculaires, son cerveau et ses glandes empoisonnées avaient aussi une certaine valeur.

Une fois ma tâche terminée, je m’étais promené rapidement dans les lieux, principalement pour vérifier s’il y avait d’autres monstres dans le voisinage immédiat. Comme on pouvait s’y attendre, il y avait quelques gobelins cachés dans les buissons, dans l’espoir de récupérer les restes, enfin, je suppose.

Pour eux, le corps d’une Tarasque contenait de nombreux matériaux d’artisanat importants. Il suffisait d’observer un gobelin des marais pour s’apercevoir qu’il n’était pas pointilleux sur les matériaux qu’il utilisait. Tout était permis, même des fragments d’écailles et de carapace d’une Tarasque. Le tout avait ensuite été tissé de façon désordonnée.

Une occasion parfaite d’observer l’écosystème du marais et le cycle éternel de la vie et de la mort qui s’y répandait. J’avais cependant ramassé une série de pierres du sol, les jetant de toutes mes forces sur les gobelins en question. Bien que cela puisse paraître cruel, j’agissais simplement en légitime défense, car les gobelins avaient déjà commencé à tendre leurs arcs, les dirigeant dans ma direction.

Les rochers, s’étirant en un large arc de cercle, frappèrent un gobelin particulièrement malchanceux entre les deux yeux. Témoins de l’effondrement soudain de leur compatriote, les autres gobelins s’étaient rapidement dispersés. Pas un seul gobelin ne s’arrêta pour aider leur ami tombé au sol, et le malheureux gobelin resta à trembler sur le sol pendant un certain temps avant de se relever enfin. Secouant rapidement la tête, il boita après ses compagnons dans la panique.

Une scène réconfortante, ou plutôt amusante. Je sentais une certaine stabilité revenir dans mes nerfs, mon psychisme s’effilochait décidément après ma rencontre avec la Tarasque.

Puis, sans prévenir, le poisson monstrueux qui m’avait jeté hors du lac empoisonné se leva à nouveau des profondeurs, attrapant plusieurs des gobelins qui s’échappaient avant de disparaître à nouveau sous les vagues. Le seul gobelin qui avait survécu était celui que j’avais assommé avec le rocher.

C’est juste les lois de la jungle…

En y réfléchissant, j’avais réalisé que c’était plus ou moins le statu quo dans ces terres.

Apparemment stupéfait par ce qui venait de se passer sous ses yeux, le gobelin solitaire se tenait debout, apparemment en état de choc. Fixant sa silhouette, je ne pouvais m’empêcher de me demander s’il ne ressentait pas un sentiment de désespoir. Aurait-il pitié de la perte de ses amis, puisqu’ils l’avaient abandonné à son sort il y a quelques instants à peine ?

Telle était la voie du monde.

Je suppose que je devrais passer à autre chose, j’avais encore une Fleur de Sang du Dragon à trouver.

Affirmant qu’il y avait maintenant une bonne distance entre moi et le gobelin solitaire, qui avait à un moment donné décidé de se retirer dans le marais, j’étais retourné à mes recherches. Inutile de dire que j’avançais prudemment et lentement, ne voulant pas rencontrer une autre Tarasque.

Heureusement, je n’avais pas rencontré d’autres bêtes dangereuses, peut-être en partie à cause de ma progression prudente. De plus, le résultat de ma bataille avait confirmé que les Tarasques n’aimaient pas l’eau bénite. Dans le même ordre d’idées, je suppose que je pourrais supposer qu’ils n’aimaient pas la divinité en général, et qu’ils en éviteraient les sources dans la mesure du possible.

Je m’étais enveloppé d’une faible aura divine, avançant lentement dans le marais une fois de plus.

***

Partie 12

Ayant finalement quitté le territoire des Tarasques, je m’étais retrouvé dans un endroit vraiment époustouflant, et j’avais momentanément perdu l’usage de la parole.

Étant donné que le marais des Tarasques était rempli de gaz toxiques, d’eau, de plantes et de monstres, on pourrait supposer que c’était un paysage infernal débridé. Une hypothèse raisonnable, c’était le moins qu’on puisse dire. Après tout, les seuls individus qui avaient mis les pieds dans le marais étaient des aventuriers intrépides et ceux qui n’avaient pas toute leur tête. Les citadins et d’autres personnes plus terre-à-terre ne rêveraient pas de l’approcher dès le départ.

On pourrait également supposer que les profondeurs et le cœur même du marais avaient accueilli les plus dangereux des monstres et les plus puissants poisons. Bien qu’il soit logique de penser de cette façon, ce que j’avais vu devant moi avait défié cette logique.

Oui… Ce doit être la vraie beauté…

Je n’aurais jamais imaginé qu’un tel spectacle était possible, et dans le Marais des Tarasques entre tous les autres endroits. C’était sans aucun doute un paradis.

Devant moi se trouvait un bel étang, avec de l’eau si claire que je pouvais voir le substrat rocheux en dessous. Des fleurs pourpres entouraient le bord de l’eau, avec parfois des pétales qui tombaient et flottaient à la surface de l’eau. Les fleurs entouraient et fleurissaient autour de l’étang, comme une armée de soldats rouges et loyaux protégeant leur reine de toute autre flore du marais.

Parmi les fleurs, il y avait des insectes, des oiseaux et même des bêtes occasionnelles, qui se déplaçaient en relative harmonie. C’était la dernière chose que je m’attendais à voir au bout d’un marais empoisonné.

La raison de son existence était due aux fleurs. Ces fleurs rouges étaient les mêmes que celles que je cherchais :

Fleurs de sang du dragon.

Ces fleurs avaient la capacité de purifier leur environnement, et c’était ces mêmes fleurs sous mes pieds qui étaient responsables de la bulle purifiée dans laquelle je me tenais maintenant.

Bien que la flore et la faune à l’intérieur de cette bulle semblaient protégées par les Fleurs de Sang du Dragon, la réalité était beaucoup plus cruelle. Bien qu’elles puissent vivre et respirer librement dans la bulle protectrice des Fleurs de sang du Dragon, ils mourraient dans l’heure s’ils avaient été transportés d’une manière ou d’une autre à l’extérieur.

Un paradis, oui, mais en même temps, une prison éternelle.

Une variété d’oiseaux, d’insectes et de bêtes rares avaient considéré cette prison comme étant leur maison, et ils valaient leur pesant d’or s’ils étaient transportés hors du marais. Ce processus serait extrêmement difficile, étant donné qu’il faudrait transporter l’organisme hors de cette bulle d’air pur dans le poison du marais qui l’entourait. Transporter une seule créature était une tâche énorme, car il fallait en tout temps conserver une zone d’air relativement pur autour de soi. Certains objets magiques pourraient y parvenir, ainsi que certains types spécifiques de magie de vent, lorsqu’ils étaient maintenus indéfiniment par un mage avec de grandes réserves de mana en eux.

Bien que l’on puisse s’attendre à un certain degré de reconnaissance pour un tel exploit, les efforts qu’il avait fallu consentir avaient souvent éclipsé les récompenses. C’est pourquoi l’écosystème de cette bulle fragile avait été largement maintenu.

Si quelqu’un réussissait à endommager l’un des rares écosystèmes dans lesquels les Fleurs de Sang du Dragon pouvaient prospérer, il serait certainement la cible des critiques d’une multitude de groupes et d’organisations. Tant qu’on faisait attention à la façon dont on récoltait les fleurs, il n’y aurait pas de dommages durables. Les Fleurs de Sang du Dragon possédaient un zèle particulier pour la vie, et elles régénéraient souvent les parties endommagées assez rapidement. Un témoignage à cela était que ces fleurs avaient poussé ici, entre tous les endroits, avec le fait qu’elles avaient la capacité d’absorber les poisons dans l’environnement, convertissant tout cela en force vitale. C’était probablement pour cette raison qu'elle s’était enracinée ici, parmi la multitude de gaz toxiques, de bêtes et de Tarasques.

La carcasse d’une Tarasque dégageait des gaz extrêmement toxiques en se décomposant, et c’était l’une des nombreuses raisons pour lesquelles le marais était si pollué. Cela avait également conduit à un étrange rassemblement d’organismes qui s’étaient nourris du poison, culminant finalement dans cet étrange pays des merveilles au milieu du brouillard venimeux.

Les Tarasques étaient vraiment le pilier de l’écosystème marécageux, si elles n’existaient pas, ces Fleurs de Sang du Dragon devant moi disparaîtraient aussi. Ironique, vu la légende derrière ces fleurs, et le fait que les Tarasques étaient un parent éloigné des Dragons.

… Je devrais peut-être revenir à la tâche qui m’attendait. Lorraine serait bien mieux placée que moi pour expliquer de tels concepts.

Maintenant, pour remplir les détails de la demande…

J’avais mis un pied en avant, en entrant dans un jardin pourpre. J’avais marché à travers les fleurs, brutal, mais de tels dommages étaient bien inférieurs aux capacités régénératrices de ces fleurs.

D’après un tome que j’avais lu par hasard, une Fleur de Sang du Dragon se remettrait en un jour même si elle était violemment écrasée sous mes pieds. C’était une mesure nécessaire, ne serait-ce que pour débarrasser mes bottes de la boue toxique qui s’y accrochait.

La cueillette des fleurs était facile, car il suffisait de déterrer toute la plante, les racines et tout le reste. Même si l’on ne pouvait couper et récupérer que la tige, une telle méthode entraînerait la perte d’un peu de liquide. Cela irait à l’encontre du but de mon excursion actuelle.

Étant donné la nature problématique de toute cette affaire, on pouvait se demander s’il était possible de transplanter certaines de ces fleurs dans un endroit sûr, en les nourrissant périodiquement de poison de Tarasque concentré. Cela avait déjà été tenté auparavant, mais ces fleurs avaient à peine viré au rouge, et elles ne pouvaient pas être utilisées pour produire du sang de fleur du dragon.

Au lieu de cela, de belles fleurs blanches s’épanouiraient, mais sans propriétés curatives ou médicinales. Connues sous le nom de Fleurs du Dragon Blanc, ces fleurs étaient purement ornementales, et elles n’avaient aucune autre utilisation connue… Mais je suppose que c’était comme ça.

À genoux, j’avais creusé une bonne quantité de terre, arrachant un bouquet de fleurs avec leurs racines et tout. En enveloppant la terre extraite dans un chiffon, j’avais ouvert le sac magique une fois de plus, en plaçant doucement les fleurs dans ses profondeurs.

Je n’aurais pu cueillir qu’une seule fleur, mais plusieurs milliers de plantes avaient fleuri ici, et l’absence de quelques-unes d’entre elles ne se ferait guère sentir. Cette parcelle de terre serait probablement recouverte de fleurs de sang de dragon dans un peu moins d’une semaine.

Étant arrivé jusqu’ici, j’avais déjà des plans pour les fleurs en plus, où certaines se rendraient chez le fleuriste, et d’autres, à l’apothicaire.

Dans la vie, j’avais déjà pensé aux avantages de posséder un tel médicament, et ce sentiment était partagé par mes compagnons d’aventure. Je les vendrais, bien sûr, à un prix convenablement élevé. Les jeunes couples qui souhaitent se demander en mariage de façon particulièrement romantique peuvent se rendre chez le fleuriste, tandis que ceux qui avaient besoin de médicaments spéciaux pouvaient en acheter chez l’apothicaire de Maalt.

Malgré tout, je n’étais pas trop gourmand, prenant soin de ne récolter qu’une dizaine de tiges. C’était plus que suffisant, et une fois de plus, je ne pouvais m’empêcher de me sentir redevable à ce sac magique de grande capacité.

Maintenant que j’y pense, c’était la première fois que j’arrivais à récolter des Fleurs de Sang du Dragon avec mes propres mains. Étant donné que je n’aurais jamais pu cueillir ces fleurs dans la vie, je m’étais senti un peu heureux de cet exploit.

« … Aïe. »

J’avais senti une piqûre d’épine de douleur remonter mon doigt en creusant le sol, mais si ma mémoire est bonne, les Fleurs de Sang du Dragon n’avaient pas d’épines.

Curieux, j’avais examiné de près une fleur voisine et j’avais découvert qu’une sensation d’engourdissement s’infiltrait à travers mon doigt lorsque je touchais un pétale. Une sorte de mécanisme d’autodéfense, enfin, je suppose. C’était tout à fait naturel, compte tenu de la façon dont elle avait survécu dans un tel environnement.

Après avoir terminé ma moisson, je m’étais levé et je m’étais dépoussiéré. Il ne restait plus qu’à retourner au point de ramassage, retourner à Maalt et remettre une fleur à Alize. Son ami herboriste lui rendrait visite, et mon travail serait terminé.

J’avais commencé à remonter jusqu’à l’entrée du sentier, pour être accueilli par une silhouette au loin.

Un ennemi… ? Non, pas tout à fait. Il ne ressemblait pas à un gobelin, et il n’y avait pas d’autres monstres humanoïdes dans le Marais des Tarasques.

Je suppose que c’est une sorte d’aventurier.

Malgré tout, je devais être prudent. Dans certaines circonstances, les aventuriers pouvaient très bien dégainer leurs lames les uns sur les autres. Alors que les cartes d’aventuriers se trouvaient facilement dans les confins du donjon, les combats dans un endroit comme le Marais des Tarasques pouvaient très bien avoir comme conséquence la preuve de la mort de quelqu’un s’enfonçant dans les profondeurs venimeuses.

Avec bien plus qu’une raison suffisante pour être prudent, alors j’avais dégainé ma lame une fois de plus, stabilisant ma position pendant que j’attendais, jusqu’à ce que je puisse voir le blanc de ses yeux…

 

À suivre...

 

***

Illustrations

.

***

Histoire en prime

Partie 1

Fin de la Route

« Ce n’est pas vraiment quelque chose que j’aimerais trouver au quotidien… »

Cela s’était passé à l’époque où je respirais encore, à l’époque où Rentt Faina était encore dans le royaume des vivants.

À l’époque, j’étais plus ou moins connu comme l’aventurier millénaire de la classe ssss, et je me rendais quotidiennement dans le donjon du reflet de la Lune. Ma routine était, le plus souvent, très semblable à celle d’aujourd’hui : je chassais quelques monstres, je collectais leurs matériaux et leurs cristaux magiques, j’échangeais mon pitoyable butin au comptoir de la guilde et j’allais me coucher avec seulement un peu d’argent de poche pour me faire plaisir.

C’était l’époque où un jour s’évanouissait dans un autre, plus ou moins semblable à celui qui l’avait précédé.

Ce jour-là, cependant, ce sentiment de régularité avait été brisé par un certain objet que j’avais trouvé…

« Une carte d’aventurier, hein. Voyons voir… Classe bronze. Gott Rangul. »

Il était bien connu que la carte d’aventurier restait dans le donjon, surtout si l’on perdait la vie. Même si le donjon les avait consommés, cette carte était restée là, indemne. Si on leur donnait suffisamment de temps, même les armes et les armures disparaîtraient dans ces salles mystérieuses. Mais la carte d’aventurier était éternelle.

Ainsi, le destin d’un aventurier était quelque peu noir et blanc par nature. Un jour, quelqu’un, quelque part, trouverait une carte semblable à celle-ci et comprendrait que son propriétaire était tombé au combat. Cela pouvait prendre des jours, des années et, dans certains cas extrêmes, des siècles. En fait, on avait parfois découvert des cartes datant de dizaines de siècles, du moins en ce qui concerne les légendes et les rumeurs.

C’était grâce à ce système que les aventuriers avaient trouvé un étrange accord avec la mort. L’idée qu’une personne puisse éventuellement être découverte et rapportée par un autre aventurier après un certain temps était étrangement rassurante. On ne se sentait plus seul dans la mort, ce qui était un étrange privilège en soi.

Mis à part les anciennes cartes d’aventurier, la plupart d’entre nous ne voulaient pas tomber sur la carte d’un autre aventurier, ne serait-ce que parce que cela signifierait que ledit aventurier avait atteint sa fin. En général, les parents survivants croyaient souvent que leurs proches étaient encore en vie quelque part, qu’ils étaient perdus ou incapables de revenir. La découverte d’une carte d’aventurier avait cependant fait annuler toutes ces notions. Une carte trouvée dans les salles d’un donjon symbolisait une mort indéniable, bien qu’il y ait eu de rares cas où le propriétaire l’avait simplement égarée ou perdue, de tels événements étaient rares.

La plupart des autres aventuriers avaient choisi de ramasser une telle carte au cas où ils en rencontreraient une, la raison étant qu’ils seraient récompensés pour leurs efforts. Bien que ce ne fût pas une grande récompense, c’était plus qu’assez pour un dîner chic. Une perspective bien sombre, mais trouver la carte d’un aventurier tombé au sol, c’était un peu comme trouver de la petite monnaie sur le terrain.

Bien que certains puissent considérer que ce ne soit rien d’autre que cela, j’avais estimé que les aventuriers avaient le devoir d’informer les proches. La récompense en question était également directement proportionnelle au rang de l’aventurier, de sorte qu’il fallait trouver une carte d’aventurier au-dessus de la classe Bronze pour obtenir une somme d’argent significative. La plupart des aventuriers l’avaient fait par devoir et par compassion, et moi aussi, j’avais ressenti la même chose.

La carte que j’avais en main devait être remise à la guilde, après quoi je serais très probablement chargé d’informer les parents survivants que cet aventurier pourrait avoir. Il s’agissait d’une demande officielle de la guilde, et l’une d’entre elles avait été récompensée de manière appropriée pour ses efforts. Mais c’était presque toujours une entreprise difficile, et il était courant pour la plupart des aventuriers de refuser catégoriquement la tâche. Dans certains cas, la tâche allait être confiée à un autre aventurier plus volontaire.

Mais j’avais senti qu’il était important pour moi de transmettre ce que j’avais trouvé en personne, ainsi que tous les détails pertinents sur l’endroit où j’avais trouvé la carte.

Une atmosphère lourde m’entourait.

« Mais je devrais quand même aller jusqu’au bout… »

J’étais retourné à Maalt.

 

◆◇◆◇◆

« Oui… ? Qui est-ce ? »

La petite maison devant moi se trouvait à l’extérieur des murs de Maalt. C’était une maison d’apparence chaleureuse, avec une cour bien rangée remplie de fleurs, des jardinières décoratives et une porte polie de couleur caramel.

La femme qui m’avait accueilli avait un sentiment d’intimité et respirait la même chaleur que cette charmante petite maison.

J’avais senti ma poitrine se resserrer, à la lumière de ce que j’allais lui dire…

« Je suis Rentt Faina… ici sur une demande officielle de la guilde. Je suis venu vous livrer ceci en ce jour…, » déclarai-je.

J’avais sorti de mon sac une petite boîte en bois. Ces boîtes en bois étaient d’une qualité remarquable et étaient spécialement utilisées pour abriter les cartes des aventuriers tombés au combat. C’était un fait connu des aventuriers que cette femme, vraisemblablement la femme de Gott, connaissait probablement aussi.

Ses yeux s’étaient élargis à la vue de la boîte, et peu après, des larmes silencieuses avaient coulé sur son visage.

« Je… Je vois. Merci… Pour avoir pris le temps… de m’apporter ça. S’il vous plaît… entrez, » déclara-t-elle.

Malgré son choc et sa peine évidents, la femme s’était rapidement calmée, m’invitant dans sa demeure.

J’avais refusé.

Pour elle, je ne devrais être qu’un émissaire de la Mort elle-même et dire qu’elle m’avait invité à l’intérieur !

Mais la femme ne voulait pas qu’il en soit autrement et j’avais fini par céder à contrecœur.

 

◆◇◆◇◆

« Je vois que vous avez un enfant très vivant, » déclarai-je.

L’intérieur de la demeure était rempli de joyeux dessins d’enfants, ainsi que de quelques jouets épars et autres créations enfantines.

La femme — elle s’appelait Lily — avait fait un signe de tête.

« Oui. Elle a cinq ans cette année… C’est pourquoi je lui ai dit d’arrêter l’aventure, et de trouver un travail plus raisonnable… Ah, je m’excuse, je ne voulais pas vous offenser…, » déclara-t-elle.

Je savais plus que quiconque qu’elle ne voulait pas dénigrer l’aventure comme carrière, alors j’avais secoué la tête lentement.

« S’il vous plaît, madame, ne faites pas attention. C’est comme vous le dites. Je… compatis profondément à votre perte, » déclarai-je.

« Je… »

Pendant un moment, nous étions restés assis tous les deux, un silence inconfortable entre nous. Je n’avais pas pu rester longtemps et j’avais fini par expliquer les circonstances et les détails de la découverte. Les larmes continuaient à couler sur le visage de Lily alors qu’elle écoutait ce que j’avais à dire.

Finalement, en signe de respect, j’avais baissé la tête pour terminer mon rapport.

« Merci beaucoup. Si vous ne l’avez pas trouvé… Gott aurait été tout seul tout ce temps… Grâce à cela, je peux enfin faire mon deuil en paix, » déclara-t-elle.

 

◆◇◆◇◆

En sortant de la maison, je ne pouvais penser qu’à retourner dans ma chambre louée.

« Ah ! Hé, Grand Frère ! Avais-tu besoin de parler à maman de quelque chose ? »

C’était la voix d’un enfant, c’était peut-être le seul enfant de Lily.

En me retournant, j’avais été accueilli par une fille à l’air joyeux. Je suppose qu’elle ne savait encore rien.

Je m’étais agenouillé, je lui avais tapoté la tête. « Non… ce n’est rien, » dis-je en secouant vaguement la tête d’avant en arrière.

La jeune fille, toujours souriante et joyeuse, avait commencé à faire des gestes animés en posant les yeux sur mon épée gainée.

« Oh ! Es-tu un aventurier, Grand Frère ? Le père de Mei en est aussi un ! Il est vraiment fort, tu sais ? Il a même battu un slime l’autre jour ! Et puis…, » déclara-t-elle.

Je n’avais pu qu’écouter patiemment le joyeux monologue de la jeune fille, en faisant de mon mieux pour y répondre de manière convaincante aux intervalles appropriés. À la fin, Mei s’était arrêtée, apparemment épuisée. Avant de nous séparer, elle m’avait demandé de lui promettre de lui dire bonjour si jamais je rencontrais son père. J’avais fait un signe de tête.

Alors que j’étais allongé sur mon lit cette nuit-là, un mélange d’émotions turbulentes s’était élevé du plus profond de mon cœur.

Vais-je atteindre mon but, comme Gott l’a fait ? Malgré tout…

Malgré cela, je ne pouvais pas — et ne voulais pas — arrêter l’aventure.

Quelles ont été les dernières pensées de Gott alors qu’il gisait mourant sur le sol froid et dur du donjon ? Je suppose que personne ne le saura jamais. J’avais bientôt fermé les yeux, dérivant en silence dans le monde des rêves.

 

Une promesse avec le marchand de cartes

« Soupir… Je suppose que cela suffit pour aujourd’hui. »

Je ne savais plus combien d’heures s’étaient écoulées depuis que j’avais mis les pieds dans le donjon du reflet de la lune. Tout ce que je savais, c’est que j’avais réussi à tuer un grand total de trois esprits de l’eau. C’était plus que suffisant pour couvrir mes dépenses en tant qu’aventurier de classe Bronze.

Bien que j’aie commencé à m’aventurer il y a un certain temps, je trouvais un peu pathétique de chasser encore dans un endroit comme celui-ci. Mais en même temps, le fait que j’avais encore tous mes membres et toutes mes facultés après tant d’années d’aventures en solo méritait d’être reconnu. La plupart des autres aventuriers avaient été contraints de prendre leur retraite pour une raison ou une autre après quelques années de carrière.

Si certains pouvaient penser que mon état de santé relatif était le résultat de la lâcheté, je n’avais pas jugé prudent de m’exposer imprudemment au danger. C’était, pour le moins, une responsabilité que j’avais envers moi-même.

D’un autre côté, je suppose que c’est pour ça que je n’avais pas progressé en tant qu’aventurier… Eh bien, peut-être qu’on y remédierait avec le temps.

 

◆◇◆◇◆

« Ah, je vois que vous avez terminé, Monsieur Rentt Faina ! »

En quittant les profondeurs du donjon, je m’étais trouvé confronté à une salutation assez particulière.

Normalement, l’entrée serait relativement déserte, ou seulement peuplée de quelques aventuriers à mon niveau de force. L’homme qui m’avait salué ne semblait pas du tout être un aventurier. Au lieu de cela, il avait été drapé de la tête aux pieds dans une robe noire. Quel étrange petit homme!

« Et vous êtes… ? » demandai-je.

« Je vous présente mes excuses. Je ne m’étais pas présenté, non ? Je suis Jack. Jack le Marchand de cartes… »

Un nom familier, et une profession encore plus familière.

« Jack le Marchand de cartes… ? Est-ce donc vous ? J’ai entendu dire que vous vendiez de bonnes cartes, cependant… J’ai également entendu dire que personne ne vous rencontre dans des circonstances normales, » déclarai-je.

L’homme qui m’avait précédé était, sans aucun doute, le cartographe le plus connu de tout Maalt. Malgré cela, Jack n’était pas facile à trouver et semblait prendre des visages et des formes variées.

Jack avait simplement gloussé en réponse. « Ces individus n’ont pas seulement cherché assez fort ! Ce que je cherche… Oui… Ce que je cherche, ce sont de bons aventuriers… »

En d’autres termes, Jack n’était pas seulement préoccupé par la force, mais aussi par les aventuriers qui faisaient preuve de certaines compétences de niche.

Mais…

« Très bien, alors que veut quelqu’un comme vous avec quelqu’un comme moi ? Je suppose que vous le savez déjà, mais je ne suis qu’un aventurier médiocre qui n’a jamais pu passer la classe Bronze, » déclarai-je.

C’était comme ça, mais Jack avait juste secoué sa tête à capuche.

« Non, non ! Vous êtes un bon aventurier, oui oui. La preuve est là, dans cette carte que vous avez faite… C’est encore mieux que ma propre carte du Reflet de la Lune ! J’ai demandé à des centaines d’aventuriers qualifiés… Oui, ils préfèrent vos talents de cartographe aux miens… Même si je suis un marchand de cartes compétent, le vôtre est encore un cran au-dessus, » déclara-t-il.

J’avais été un peu surpris, de voir que tant de mes collègues étaient aussi convaincus par ma carte.

Je suppose qu’il y avait un certain mérite à cela… S’il y a une chose sur laquelle j’avais confiance, ce serait ma carte du reflet de la Lune, annotée personnellement.

Et pourtant, où exactement Jack a-t-il appris l’existence de ma carte ? Je ne me souviens pas l’avoir transmise gratuitement.

Comme s’il anticipait ma question, Jack avait poursuivi son explication. « Vous avez, après tout, aidé à marquer les cartes de nombreux jeunes aventuriers, n’est-ce pas ? Et dans certains de ces marquages, vous avez mis en évidence des pièges et des passages cachés que même moi je ne connaissais pas ! »

« Je vois… Alors, êtes-vous ici pour acheter ma carte ? Ou quelque chose de ce genre ? » demandai-je.

Si c’était effectivement le cas, ce serait une sacrée aubaine, même si je n’étais pas exactement contre.

Le donjon du reflet de la lune avait été bien exploré, et la plupart des aventuriers en auraient déjà une carte. Pourtant, Jack avait quand même choisi de m’approcher — je suppose qu’il avait quelques idées en tête.

***

Partie 2

Une promesse avec le marchand de cartes (suite)

« Oui, eh bien… oui, cela en fait partie. J’ai une demande… Pourriez-vous venir dans mon humble demeure ? » me demanda-t-il.

En disant cela, il avait laissé des indications sur une habitation située au fond des ruelles de Maalt, puis il avait disparu sans un mot.

Assez suspect…

« Eh bien… S’il veut vraiment acheter ma carte, je peux aussi bien lui rendre visite, » murmurai-je.

 

◆◇◆◇◆

« Est-ce… vraiment l’endroit… ? »

Il s’agissait des mots que j’avais laissé échapper lorsque je m’étais tenu devant le bâtiment marqué. C’était plus misérable que je ne l’imaginais. Cet endroit n’avait pas du tout l’air d’une boutique.

En franchissant la porte…

« Ce… C’est incroyable…, » murmurai-je.

« Oui. N’est-ce pas ? » Une voix s’était élevée derrière moi, elle n’était autre que celle de Jack.

« Je suppose que vous êtes le seul à avoir autant de cartes chez vous ! Enfin, à Maalt, au moins » déclarai-je.

Je pensais vraiment ce que j’avais dit, car l’intérieur de la boutique était rempli de cartes : du sol au plafond, et dans chaque recoin. L’ancien et le nouveau, les petites cartes et les grandes cartes, certaines cartes affichaient même une géographie que je ne reconnaissais pas, très probablement des cartes de pays étrangers.

« Je ne peux pas imaginer comment quelqu’un comme vous aurait besoin d’acheter ma carte. »

C’était ce que je voulais dire, mais Jack m’avait interrompu avant même que je ne prononce un mot.

« Venez maintenant. Rien de tel ! Je l’ai déjà dit. Je désire de bons aventuriers, » déclara Jack.

« Et que voulez-vous dire, exactement… ? » La déclaration de Jack était rédigée de façon étrange.

« Je ne veux pas de pitié… je vais donc parler simplement. Mon père était un aventurier, il y a très, très longtemps, oui. Mais maintenant, il a disparu. Je souhaite que vous cherchiez… Oui, pour rechercher sa carte d’aventurier, » déclara Jack.

Une demande que j’avais entendue plus d’une fois. C’était peut-être pour cette raison que Jack avait mentionné sa demande avec tant de désinvolture. Bien que son insouciance soit restée, je pouvais voir un sentiment de détermination au fond de ses yeux.

« Ça ne me dérange pas. » J’avais fait un signe de tête.

« Vous acceptez beaucoup trop facilement, non ? » demanda Jack.

« Je ne veux pas que vous me disiez cela… Mais, vous comprenez la limite de mes capacités, n’est-ce pas ? Je ne pense pas que cela devrait être trop difficile…, » déclarai-je.

Jack avait hoché la tête, expliquant les détails de sa situation.

D’après Jack, son père avait disparu dans un certain donjon dans lequel il avait plongé dans les profondeurs. Mais Jack n’avait aucune idée de l’endroit où se trouvait ce donjon. Bien que les détails de l’événement ne soient pas connus, le père de Jack avait rapporté que les aventuriers de son groupe avaient péri dans le donjon, peu avant de mourir lui-même. Bien que la guilde elle-même se soit renseignée sur les circonstances, le père de Jack s’était engagé seul dans un autre donjon après avoir rapporté la mort de son camarade, puis avait disparu sans laisser de trace.

« Les circonstances sont beaucoup trop vagues…, » déclarai-je.

« Oui, oui. C’est pourquoi je suis devenu un marchand de cartes. Si je continuais à cartographier les donjons, je pourrais éventuellement suivre les traces de mon père… Du moins, j’espère pouvoir le faire, » déclara Jack.

Une étrange motivation, mais pas exactement une qui était imparfaite.

Mais en s’arrangeant ainsi avec les aventuriers, il y avait une plus grande possibilité que quelqu’un finisse par trouver la carte de son père. Les cartes d’aventurier avaient été conçues pour ne jamais être absorbées par un donjon. Elle finira par être trouvée, et si ce n’est par ma main, alors par celle de quelqu’un d’autre.

« C’est une longue histoire… mais bon, je comprends. Je ne sais pas quand ni où je la trouverais, mais j’accepte la demande, » déclarai-je.

« Oh, c’est vrai ? Eh bien, alors… Je vous laisse entre de bonnes mains, oui. En échange… Je vais acheter votre carte à un bon prix, oui ? » déclara Jack.

« J’apprécie cela. Alors… pourrais-je aussi vous acheter des cartes quand j’en aurai besoin ? » demandai-je.

« Bien sûr… Si vous souhaitez m’acheter une carte à l’avenir, dite simplement… “Vendez-moi une carte”. Je ne répondrai pas si vous dites autre chose… Vous vous en souvenez, oui ? » me demanda-t-il.

« Une sorte de code, hein ? Je comprends. Je compte sur vous aussi, Jack, » déclarai-je.

Bien que je ne le savais pas à l’époque, mon étrange amitié avec Jack allait finir par me profiter grandement dans le futur…

Celui qui peint la mort

« Cet endroit est-il bien ? »

« Oui… Oui ! Ce paysage… C’est ce que je voulais voir ! »

Le jeune homme avait sorti quelques fournitures artistiques de son sac, avant de déposer la toile qu’il avait soigneusement transportée jusqu’ici, sur le sol.

Très vite, il s’était mis à peindre. Sa concentration et son aura étaient intimidantes, assez pour même effrayer les aventuriers les plus chevronnés.

Il était peintre et s’appelait Roy. Il était né et élevé à Maalt, et ses œuvres étaient devenues populaires dans la capitale ces derniers temps. Ces derniers jours, il était revenu de la capitale à Maalt, alors qu’il ne lui restait que trois mois à vivre.

 

◆◇◆◇◆

« Personne… Personne n’a accepté ma demande. Mais… vous le feriez ? » demanda Roy.

Allongé sur son lit, Roy s’était tourné vers moi, le visage pâle et fatigué. Moi, Rentt Faina, j’avais fait un signe de tête en réponse.

« Oui. Vous souhaitez voir le Marais des Tarasques de près… ou, le plus près possible, n’est-ce pas ? Je dois vous dire, cependant… nous ne pouvons pas entrer. Si nous le faisions, vos trois mois se raccourciraient instantanément en trente secondes… Pourquoi y voyagez-vous exactement ? Le seul détail inscrit dans votre demande était la nécessité d’une escorte, » demandai-je.

« Eh bien… vous voyez, je suis un peintre… Assez populaire dans la capitale, malgré mon apparence actuelle. Si je continuais… mon nom serait immortalisé à l’Académie royale des arts…, » déclara Roy.

« C’est vraiment autre chose. Cependant, je trouve cela curieux…, » déclarai-je.

Ce n’était pas mal pour un peintre habile d’être quelque peu fier, mais je ne comprenais pas pourquoi Roy se donnait tant de mal à quelques mois de son lit de mort. Il n’avait pas besoin de faire ses preuves, donc je suppose que ses paroles étaient vraies.

L’Académie royale des arts ne comptait parmi ses membres que les meilleurs artistes du pays. Être considéré comme un membre de l’académie était l’un des plus grands honneurs qu’un artiste pouvait recevoir. Quand je pense que Roy était allé aussi loin dans sa jeunesse… C’était vraiment un génie.

Même s’il ne lui restait pas beaucoup de temps, j’avais pensé qu’il devait mieux utiliser ce qui lui restait de vie, au lieu d’errer si dangereusement près d’une tourbière pleine de gaz toxique.

« J’ai toujours… dessiné le même sujet, en tant qu’artiste. J’ai dessiné et peint… la vie des gens. Maintenant que moi aussi, je suis au bout du chemin… Je veux peindre le contraire de cela. La mort… Je souhaite peindre la mort, et il n’y a pas de meilleur endroit pour cela que le Marais des Tarasques. Les habitants de Maalt l’appellent le “marais de la mort”, n’est-ce pas ? » répondit Roy.

« “Le marais de la mort”, hein. Oui, je suppose qu’ils le font…, » répondis-je.

Tout animal ou plante normale périrait en moins de trente secondes s’il était d’une manière ou d’une autre transporté dans le marais. C’était vraiment un endroit terrible. C’est plutôt là que l’ichor de la mort s’était rassemblé.

« Eh bien… Je suppose que je pourrais vous y emmener. Vous pensez peut-être que je suis un moins que rien pour avoir dit cela, mais… si vous veniez à périr à mi-chemin dans l’excursion, je voudrais être exonéré de toute responsabilité, » déclarai-je.

« Oui, oui, bien sûr. J’ai préparé mon testament ici aussi… et je l’ai arrangé de manière à ce que ma mort prématurée, si elle survenait, ne vous cause aucun problème avec la guilde. S’il vous plaît, ne vous inquiétez pas, » répondit Roy.

Il semblerait que Roy ait fait preuve d’une réelle détermination. Comme il était allé aussi loin, je n’avais aucune raison de rejeter sa demande.

C’est ainsi que nous nous étions rendus au marais des Tarasques quelques jours plus tard, après avoir préparé ce dont nous avions besoin pour le voyage.

 

◆◇◆◇◆

Les secousses de la calèche à cheval avaient fait des ravages sur le corps déjà fragile de Roy. Le peintre crachait parfois du sang, mais il ne m’avait jamais demandé de faire demi-tour.

Tenant une grande toile comme s’il s’agissait de son trésor, Roy garda le silence alors que le carrosse approchait lentement du marais des Tarasques. En nous en rapprochant le plus possible, nous avions finalement atteint un point qui avait satisfait Roy.

Contre la puanteur du marais, un masque en tissu normal était inutile. À la place, Lorraine avait préparé un filtre spécial, créé avec un mélange d’eau bénite, de cendres et d’épices. Il était ensuite attaché à un masque en tissu que nous mettions sur notre visage. Pourtant, le simple fait d’inhaler m’avait brûlé les poumons. J’avais promis à Lorraine que je ne périrais pas pendant ce voyage, mais…

« Hé, ça va ? » demandai-je.

Roy, comme sourd à mes questions, avait simplement continué à peindre. Tout son être était concentré sur sa toile, et l’image du marais devant lui.

Moi aussi, je m’étais tourné vers le marais. La mort se reflétait en effet à sa surface, tandis que les corps des monstres tués jonchaient la boue, se dissolvant lentement dans les profondeurs empoisonnées.

Du bois pourri, des os, et des restes qui disparaîtraient un jour…

C’était une représentation presque calme et douce de la décomposition de la mort et de l’ordre naturel des choses.

C’était le spectacle que Roy avait gravé sur la toile. Ses mains avaient continué à bouger, jusqu’à ce qu’il s’arrête enfin, faisant un pas en arrière. Immédiatement, Roy s’était effondré, le dernier fragment de ses forces semblant le quitter. J’avais pris dans mes bras le peintre malade qui avait effectivement terminé sa peinture. Transportant Roy et sa toile terminée, j’étais retourné à la voiture.

« Monsieur Rentt… Je… Je l’ai peint… »

C’est tout ce que Roy avait dit lorsque nous étions retournés à Maalt — et c’était également ses derniers mots.

◆◇◆◇◆

« Et voici le tableau de cette excursion… ? »

Une exposition d’art se tenait à Maalt, présentant des œuvres d’art distinguées de l’Académie Royale des Arts. Beaucoup de temps s’était écoulé depuis la mort de Roy…

Moi aussi, j’avais connu la mort, et j’étais maintenant un mort-vivant. Ce paysage, cependant, était encore frais et inchangé dans mon esprit.

Conformément à son testament, j’avais rendu le tableau terminé à l’Académie royale des arts, et Roy fut déclaré membre honoraire à titre posthume. Un membre honoré de l’académie était traité de la même manière que les saints sont traités par les membres de l’église. Je suppose que cela était dû au sentiment d’émerveillement que cette peinture avait suscité chez le citoyen moyen.

À côté de moi se tenait Lorraine, un faible sourire aux lèvres alors qu’elle continuait a observé le tableau. Il semblerait que Lorraine ait compris l’intention de Roy.

« Le “Marais des Tarasques”… Oui… Ce sentiment de mort qui persiste… Très bien représenté en effet. Surtout cette petite silhouette au premier plan… Cela donne au tableau un charme quelque peu mystérieux. Le peintre qui voulait — avait besoin — de peindre, même sous la douleur de la mort… Et le Dieu osseux de la mort à côté de lui, sur le point de récolter sa vie alors qu’il terminait son dernier travail…, » déclara Lorraine.

Comme l’avait dit Lorraine, le peintre était Roy. Le mort m’avait probablement représenté.

Roy avait-il des hallucinations à l’époque ? Ou bien a-t-il vu autre chose dans ces fumées toxiques qui ont conduit à cette peinture ?

Personne ne pourra répondre à cette question.

Quoi qu’il en soit, le tableau semblait communiquer que la mort n’attendait personne, que la mort se moquait de qui elle prenait, que la mort était le grand égalisateur. C’est ce que j’avais ressenti en regardant la toile vieillie.

« As-tu entendu, Rentt ? Le motif du Dieu de la mort est vraiment en train de prendre de l’ampleur dans la capitale. Dire que ce tableau a été le début de tout cela ! » déclara Lorraine.

« … Et je suis le… modèle. Quel étrange… sentiment, » répondis-je.

« Tu vois comme j’ai l’œil pour ces choses-là, Rentt ? À l’époque, tu étais imprégné de mort. Comme tu l’es… en ce moment…, » déclara Lorraine, en souriant à elle-même en silence.

Je ne pouvais pas nier ses paroles. J’étais là, un aventurier qui s’était stupidement précipité vers la mort. Mort, et maintenant marchant dans la mort.

Peut-être ma vraie nature se reflétait-elle dans ce tableau.

Que peindrait Roy maintenant, en voyant ma forme actuelle… ?

Je ne pouvais pas m’empêcher de me le demander…

***

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, informez-nous en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur Ctrl + Entrée s’il vous plaît. Il est conseillé de se connecter sur un compte avant de le faire.

Laisser un commentaire