Murazukuri Game no NPC ga Namami no Ningen toshika Omoenai – Tome 3

Table des matières

Ils m’ont protégé, maintenant je vais les protéger

La vérité se trouve au nord

***

Prologue

« Ceci n’est pas bon… Ce n’est pas bon du tout ! », avais-je dit en faisant la grimace devant l’écran du PC.

C’était aujourd’hui le Jour de la Corruption. Certains d’entre nous étaient restés après le travail, inquiets du résultat, mais à cette heure tardive, nous étions encore très peu nombreux. D’après ce que j’avais pu voir, tous les joueurs affectés à mes collègues voisins avaient passé la journée sans encombre. Comme nous perdions des joueurs tous les mois, j’étais vraiment heureuse de voir que mes collègues avaient des raisons de faire la fête pour la nouvelle année. J’avais jeté un coup d’œil d’un bout à l’autre, fixant la pièce vide. C’était bien trop grand pour l’avoir pour moi tout seul.

Les tendons craquèrent dans mon cou.

« Je suis si raide. Je suis assise ici depuis des lustres. »

Tout ce que je voulais, c’était rentrer à la maison et prendre un long bain chaud, mais je ne pouvais pas. Pas encore. Je devais savoir ce qu’il faisait. Ce qu’il pensait. Sinon, pourquoi serais-je restée dans un bureau vide longtemps après que tout le monde soit parti ?

Je m’étais penchée en arrière sur ma chaise et je m’étais étirée, tout en regardant l’horloge sur le mur. Il était minuit passé. On venait à peine de célébrer le début de la nouvelle année que tout s’écroulait déjà.

« Alors c’était vraiment un dieu corrompu. Je n’aurais jamais pensé qu’il irait si loin. »

Cela faisait un moment que j’avais un œil sur le joueur en question, mais son comportement quotidien ne me laissait pas penser qu’il serait capable de mesures aussi extrêmes. Je savais qu’il avait un tas d’émotions sombres qui couvaient sous la surface, mais j’avais toujours pensé que sa rationalité le retiendrait.

Je voulais croire que je m’étais trompée à son sujet, mais je ne pouvais pas m’empêcher de penser que quelqu’un l’avait poussé à faire ça. Pourtant, je n’avais aucune idée de la motivation de cette personne-là.

« Peut-être que c’était l’autre côté. »

Toute cette histoire ne me plaisait pas, et ceci depuis le début, mais ça ne faisait qu’empirer.

Devrais-je le dire à quelqu’un ? Je devrais au moins informer les six premiers dieux mineurs, non ? Mais si…

Non, je ne pouvais pas prendre le risque de divulguer cette information.

Je ne pouvais en parler qu’à ceux en qui je savais que je pouvais avoir confiance. En y réfléchissant bien, garder tout cela pour moi ne ferait que causer des problèmes. Et pourtant, essayer de trouver un moyen d’expliquer tout cela me faisait mal à la tête. Je serais inévitablement blâmée pour cela, en particulier par certains des membres les plus têtus de l’équipe.

« Qu’est-ce que tu fais, Senpai ? », me dit une voix désinvolte derrière moi.

Je m’étais retourné pour trouver une femme qui me regardait en buvant un thé à bulles. Ce truc était super populaire, mais à ce stade, c’était plutôt dépassé.

J’avais laissé échapper un petit soupir. Elle était toujours comme ça, manquant de professionnalisme. Ses cheveux blonds étaient ramassés haut sur la tête, et sa peau était d’un halé foncée. Ses oreilles étaient percées à plusieurs endroits, et son haut dévoilait ses bras et son ventre, son décolleté, si apparent qu’il était évident qu’elle voulait le montrer. Elle portait un short taille basse, qui convenait à ses longues jambes, même s’il était un peu trop révélateur pour le travail.

« Parle correctement. Tu es toujours habillée de façon si décontractée. Ne va pas trop loin. »

« J’aime m’habiller comme ça. Je suis décontractée. »

Je détestais sa manière franche de dire tout ce qu’elle pensait, mais je savais qu’elle ne le faisait pas pour être ennuyeuse. Je m’étais tellement habituée à elle que je ne prenais même plus la peine de la corriger. Elle avait toujours été à part, mais je n’aurais jamais pensé que son sens de la mode serait aussi… pointu. Ça lui allait pourtant bien.

« Bref, Senpai, quoi de neuf ? »

« Il y a un développement inattendu. Et comme ce n’est pas quelque chose que j’ai déjà traité auparavant, je ne sais pas vraiment quoi faire. »

« Oh. Veux-tu que je t’aide ? », dit-elle en souriant et en se penchant en avant pour regarder mon écran.

Ses manières et sa présentation pourraient laisser croire le contraire, mais au fond d’elle-même, elle avait bon cœur. Elle l’avait toujours été, même si parfois son côté gaffeuse transparaissait. Pour le meilleur ou pour le pire, elle était toujours elle-même. Accepter cela la rendait plus facile à vivre.

Dans de meilleures circonstances, j’aurais réglé mes problèmes moi-même, mais c’était une urgence, et le temps pressait. Je faisais confiance à cette femme. Et puis…

J’avais jeté un coup d’œil à un bureau voisin portant le nom de « Kusuri ». Le propriétaire était déjà parti pour la soirée. Si je voulais l’aide de quelqu’un d’autre, je devais le rappeler au bureau. Mes subordonnés viendraient immédiatement si je le leur demandais, mais je n’avais tout simplement pas assez de temps.

« Oui, j’aurais besoin de ton aide. Merci. »

« Pas de soucis ! »

Elle donna alors un grand coup de poing à sa poitrine, faisant vaciller ses seins qui faillirent déborder de son haut. Heureusement pour elle qu’il n’y avait pas d’hommes dans le coin, ils n’auraient pas pu ne pas remarquer quelque chose comme ça.

« Pourrais-tu m’aider avec la programmation d’abord ? Assurons-nous qu’il a la même version que nous. »

« Bien sûr. »

Elle s’était assise sur le siège à côté du mien et avait démarré l’ordinateur sans un mot de plainte. En fait, elle semblait heureuse de m’aider. Je devrais la remercier comme il se devait une fois que nous aurions réglé cette question. J’avais rapidement expliqué la situation, et une rare expression d’inquiétude traversa son visage.

« Ça a l’air vraiment dingue, Senpai. »

Même elle pouvait dire à quel point la situation était grave.

« Le portail est instable. Je ne pense pas que cela soit déjà arrivé avant. »

« Ce n’est pas le cas. Je sais que nous sommes encore en période de test, mais c’est un bug que nous ne pouvons pas ignorer. Nous devons le corriger dès que possible. »

Le jeu agissait souvent indépendamment de la volonté des développeurs, mais nous ne pouvions pas permettre aux joueurs d’exploiter de dangereuses failles dans les règles. Et au cas où ils le feraient, nous devrions faire le ménage derrière eux. Habituellement, ces incidents étaient la faute d’autres départements, mais cette fois, c’était nous. Cela ne pouvait pas se reproduire. Je devais m’en occuper maintenant.

« Senpai, si nous avons besoin de plus de monde, nous pouvons demander à Un-chan. Elle t’aime vraiment bien, non ? Je viens de la croiser dans les escaliers. Elle est probablement encore au deuxième étage. »

Un, hein ? Elle est sérieuse et très têtue, mais c’est une enfant intelligente. Elle serait d’une grande aide dans un moment comme celui-ci. Il y avait juste un problème.

« Non, nous ne pouvons pas le lui demander. Elle a été transférée dans un autre service, on ne peut pas la faire revenir. De plus, les gens qui travaillent au deuxième étage ne sont pas autorisés à monter au troisième. »

« Bon sang, tout le monde est si strict ici ! Tu as besoin de te détendre. Prends-moi un peu en exemple. C’est parce que tu es tellement obsédée par leurs règles que c’est arrivé. »

« Tu ne fais pourtant jamais attention aux règles ! »

J’avais rapidement fermé ma bouche, en espérant qu’elle ne se vexe pas.

Je l’avais regardée, mais son sourire n’avait pas changé.

« Je suis décontractée. », dit-elle tout en continuant à taper sur le clavier en face d’elle.

Une fois que ce sera terminé, je lui offrirai ses sucreries préférées.

Si seulement Un était aussi détendue. Peut-être que les choses seraient différentes. Mais ce n’était pas comme si j’avais le droit de dire quoi que ce soit alors que je n’avais même pas remarqué ce qui se passait sous mon nez.

Attends, ce n’était pas le moment de faire revenir à la surface des souvenirs douloureux ! J’avais du travail à faire !

« Tiens bon, Yoshio-kun. »

***

Ils m’ont protégé, maintenant je vais les protéger

Chapitre 1 : Fin et début d’année

J’avais amené Carol dans ma chambre et je l’avais allongée sur le futon. J’avais ensuite tapoté doucement sa tête innocente, tout en prenant soin de ne pas la réveiller. Je m’étais un peu calmé maintenant, mais alors que je pensais à ce qui allait se passer, je n’avais pas pu m’empêcher de pousser un gros soupir.

« Tu parles d’un avenir sombre… »

Mon partenaire de travail senior, Yamamoto-san, s’était présenté chez moi le soir du Nouvel An. Il m’avait dit qu’il jouait le rôle d’un dieu corrompu dans le jeu et m’avait ensuite attaqué avec un pied de biche. Les blessures que j’avais reçues étaient graves, mais elles furent complètement guéries lorsque j’avais pris le médicament envoyé par le Village du destin. Mon lézard doré, Destinée, avait réussi à mettre un terme à l’attaque de Yamamoto-san. Je savais que Destinée était intelligent, mais je ne savais pas qu’il pouvait cracher un gaz toxique ou pétrifier les gens. Malgré son apparence, je ne pouvais plus croire qu’il s’agissait d’un lézard ordinaire à la peau hérissée de piquants. Être témoin de ses capacités m’avait conduit à une seule conclusion.

Destinée s’était assis à côté du futon de Carol et me regarda fixement.

« Je veux que tu me répondes honnêtement. Es-tu un basilic ? »

Destinée hocha la tête une fois.

Je m’en doutais.

Destinée avait l’habitude de faire l’idiot au moment où je lui parlais, mais il répondit cette fois immédiatement. Il devait savoir que je l’avais bien cerné.

Les basilics étaient communs dans les environnements fantaisistes. Ils avaient une apparence de lézard, et pouvaient respirer des gaz nocifs et pétrifier les gens d’un simple regard. Sur Internet, ils étaient souvent représentés avec six pattes, mais Destinée n’en avait que quatre. Aurait-il deux jambes supplémentaires à un moment donné ? Je l’espérais.

On confondait autrefois le basilic avec le cocatrix, mais ce dernier avait un corps de poulet et une queue de serpent, tandis que le basilic ressemblait davantage à un lézard.

« Tu sais, je pensais que j’imaginais des choses. »

Mais il n’y avait plus moyen d’échapper à la vérité. Et l’identité de Destinée ne fut pas le seul coup dur porté à mon sens de la réalité. Il y avait aussi Carol, l’enfant qui dormait sur mon futon.

C’était une jeune fille de sept ans, ses cheveux blonds bouclés firent une sacrée impression. J’étais tellement habitué à voir son visage de l’autre côté de l’écran, et j’avais essayé de me convaincre qu’elle n’était rien de plus qu’un personnage de jeu vidéo. Pourtant, elle s’était présentée chez moi dans une boîte en carton, avec ce livre sacré.

Et aux dernières nouvelles, je n’étais pas devenu fou. Pourtant, est-ce que tout ce qui s’était passé jusqu’à présent n’était qu’un rêve ou une illusion ? Cela expliquerait tout.

Tout sauf la réalité qui me regardait en face à ce moment précis.

« Peu importe de quelle manière je la regarde, c’est bien Carol. »

Aucune fille japonaise n’aurait des cheveux de cette couleur. Aucune personne de ce pays ne porterait de tels vêtements. J’avais vu son visage endormi presque tous les soirs depuis maintenant deux mois.

« Que penses-tu que je devrais faire, Destinée ? »

Ce dernier m’ignora complètement et continua à grignoter un fruit. Message reçu.

« Débrouille-toi tout seul. »

C’était dur, mais juste. Je devais résoudre mes problèmes sans dépendre des autres tout le temps.

Et je devrais commencer par mettre les choses au clair dans ma tête.

Le Village du Destin n’était pas seulement un jeu. C’était un monde réel, parallèle. Un monde où mes villageois vivaient et menaient leur vie quotidienne. Un monde que je surveillais à travers mon PC. C’était comme ça qu’ils m’envoyèrent toutes ces offrandes. Yamamoto-san, un dieu corrompu, avait attaqué mon village et l’avait détruit. Chem fit alors quelque chose, l’écran devint noir, et Carol fut envoyée chez moi.

« Et je pense savoir ce qu’elle a fait. »

Au dernier moment, Chem dit quelque chose sur la façon dont l’un d’eux pourrait être sauvé. Les villageois avaient dû m’envoyer Carol comme une offrande, à travers l’autel. Et si vous ignoriez simplement toute l’étrangeté de cette situation, c’était assez logique.

« C’est pourtant la seule et unique explication. »

Il s’était passé tellement de choses improbables que mon cerveau en était surchargé. Je voulais me glisser dans mon futon, m’endormir et espérer que tout ceci ne soit qu’un mauvais rêve. Mais Carol se trouvait au travers du chemin.

Le monde du jeu, la sécurité de mes villageois et l’existence des dieux. Il y avait encore tant de questions qui restaient sans réponse, même si « questions » semblait vraiment être un mot trop trivial.

« Toutes les réflexions du monde ne m’aideront pas à résoudre ce problème. Je dois m’en tenir aux choses que je peux faire. »

J’avais déjà décidé que je n’allais plus fuir la réalité. J’étais prêt à accepter n’importe quoi, même ce qui était censé être impossible.

Je fis alors une liste, m’attaquant ainsi à chaque problème par ordre de priorité.

« Numéro un. Carol. »

J’étais un homme célibataire d’une trentaine d’années avec une petite fille dans sa chambre. Quiconque découvrirait cela irait directement à la police et je serais reconnu coupable, même si je n’avais rien fait de mal. J’avais regardé le visage paisible de Carol pendant que j’essayais de trouver une solution.

« Mmmngh… », marmonna-t-elle doucement.

Cette dernière cligna des yeux, s’assit pour se frotter les yeux et s’étira. Elle regarda la pièce pendant un moment, mais il ne lui fallut pas longtemps pour réaliser que quelque chose n’allait pas. Ses yeux s’agrandirent lorsqu’elle m’aperçut.

« H-huh ?! Où suis-je ?! Qui êtes-vous, Monsieur ?! »

Carol sauta du futon et recula en se faisant mal, ses épaules heurtant le mur. Elle me fixait avec des yeux énormes et effrayés.

Elle s’était réveillée dans une pièce inconnue et avec un homme inconnu. La voir paniquée n’avait donc rien d’étonnant. Je devais rester calme, pour elle.

Je devais la rassurer.

Je pris donc une profonde inspiration, ravalant ma propre peur.

« Mon nom est Yoshio. Je suis le Dieu du Destin… »

J’avais fait une pause.

« Le disciple du Dieu du Destin. C’est un plaisir de te rencontrer. »

Me qualifier de disciple semblait être une option bien plus sûre que de prétendre être le dieu lui-même. Les dieux devaient être majestueux. Ce que je n’étais pas.

J’avais parlé avec assurance et douceur, en essayant de la mettre à l’aise.

« Vous êtes un disciple du Dieu du Destin ? »

Carol se redressa et baissa la tête aussi profondément qu’elle le pouvait. C’était une révérence parfaite.

« Tu n’as pas besoin d’être si humble. Je suis juste un disciple. S’il te plaît, lève ta tête, Carol. En fin de compte, je suis qu’un simple un être humain, comme toi et ta famille. Tu peux t’adresser à moi sans aucun honorifique. »

Ugh. J’avais l’air si effrayant.

Eh bien, je suppose que ça n’avait pas d’importance du moment que ça la mettait à l’aise. Je lui avais fait mon plus gentil et plus rassurant sourire.

« Vous connaissez mon nom ? »

« Bien sûr. »

Le jeu n’était pas vocal, et c’était la première fois que je l’entendais parler. Étant donné le fait qu’elle avait l’air adorable, je m’étais demandé comment étaient les voix des autres villageois. J’étais prêt à parier que celle de Gams était profonde et masculine, que celle de Chem était probablement douce et gentille, et que celle de Rodice était peut-être un peu timide. Celle de Lyra était à tous les coups plus profonde et fiable, et Lan et Kan… enfin, ils ne parlaient pas beaucoup, mais…

« Qu’est-ce qui ne va pas, M. Yoshio ? Vous pleurez ? »

Carol s’était approchée de moi et regarda mon visage abattu.

Dire qu’elle pouvait montrer de l’intérêt pour moi dans une telle situation. Mais qu’est-ce que je faisais ? Je devais être celui qui la réconfortait !

« Merci. Je vais bien. »

J’avais tendu une main vers elle. Pendant une fraction de seconde, elle s’était figée, et un éclair de peur apparut dans ses yeux. Mais elle me permit ensuite de poser doucement ma main sur sa tête. Je l’avais tapotée tandis qu’elle soupira doucement tout en fermant les yeux.

« Votre main ressemble à celle de Gams ! »

« C’est un honneur d’être comparé à un homme aussi bon que Gams. Carol, il n’est pas nécessaire de m’appeler “Monsieur”. Je veux être ton ami. », dis-je en gloussant doucement

Je réprimai le frisson qui parcourait mon échine en me forçant à parler comme un sale type. Je ne pouvais pas me permettre d’être timide ici.

« Donc, euh, Yoshio. Où suis-je ? Où sont maman et papa et tous les autres ? », commença Carol.

Je savais qu’elle allait me demander ça, mais ça m’avait quand même fait trébucher. Il fallait que je réponde correctement, jusqu’au dernier mot.

« C’est un monde différent de celui d’où tu viens. C’est là que vivent les dieux. »

« Le monde des dieux ? »

Les sourcils de Carol s’étaient rapprochés, pensifs.

« Je comprends que tu aies du mal à le croire maintenant. Pourrais-tu regarder ceci pour moi ? »

J’avais pris une des statues en bois de mon étagère et je l’avais tendue vers elle.

« Hé ! Je l’ai sculptée ! »

« En effet. Tu l’as ensuite envoyée au Dieu du destin comme offrande. Il était très heureux, et me la donna ensuite afin que je m’en occupe. »

« Vraiment ?! Génial ! »

Le visage de Carol s’était éclairé d’un sourire.

J’étais content d’avoir pris soin de toutes les offrandes qu’ils avaient envoyées. Je ne pouvais pas savoir que quelque chose comme ça allait arriver.

Carol semblait se détendre un peu. Peut-être était-il temps de lui expliquer le fond du problème, mais vaguement. Je ne voulais pas la bouleverser.

« S’il te plaît, écoute attentivement, Carol. Je vais t’expliquer pourquoi tu es ici. Te souviens-tu que ton village a été attaqué par des monstres ? »

« Oui. Il y en avait beaucoup, alors maman et papa m’ont emmenée à l’intérieur de la grotte. Ensuite, maman m’a donné du thé, et puis tout est devenu noir… »

Le fait qu’elle ne se souvienne de rien d’autre me soulagea.

« Après ça, les monstres ont détruit la clôture. Les autres villageois t’ont envoyée dans ce monde sur l’autel pour te protéger. »

Je n’en avais pas la preuve, mais c’était la seule explication qui avait un sens.

« Mais qu’est-il arrivé à tout le monde, Yoshio ? »

Les yeux de Carol débordaient de larmes.

J’avais reposé ma main sur sa tête et j’avais souri doucement.

« Ils se sont enfuis. Et comme ils ont envoyé le livre saint avec toi, on ne peut pas voir ce qui s’est passé, mais je suis sûr qu’ils sont en sécurité. J’ai demandé au Dieu du destin de les sauver et de les protéger. »

J’avais gonflé ma poitrine et mis un poing dessus, injectant autant de confiance que possible dans ma voix. Je ne pouvais pas la laisser sentir un soupçon d’anxiété, où lui montrait que je doutais de mes propres paroles. Je devais me rappeler qu’elle était bien plus effrayée que moi.

« Le Seigneur les a sauvés ?! »

« Oui ! Il ne laisserait rien leur arriver. Maintenant, toute personne envoyée dans ce monde ne peut pas retourner immédiatement dans son monde d’origine, alors essaye d’apprécier ton séjour. Nous avons tout ce dont tu as besoin ici, tu n’as donc pas à te soucier de quoi que ce soit. »

« Oh, ok. Um, merci ! », dit Carol en souriant.

J’avais réglé le cas de Carol, cela faisait donc un problème en moins parmi les millions à gérer. Pourtant, je me sentais plus calme. Penser à l’avenir me faisait mal à la tête, mais pour l’instant, la tranquillité d’esprit de Carol était ma priorité absolue.

Est-ce que j’ai quelque chose avec quoi elle passera le temps ou… attendez. Comment suis-je censé expliquer ça à ma famille ?

J’étais tellement préoccupé par tout le reste que je n’avais même pas pensé à ça.

« Bref, il s’est avéré que le village que j’aidais était en fait dans un autre monde ! Ils m’ont envoyé une petite fille, alors je me demandais si elle pouvait vivre avec nous ? »

Il n’y avait aucune chance que ça passe.

Ma famille rendait visite aux parents de mon père en ce moment, mais mon prochain problème était là, sous mes yeux. Il ne restait plus que quelques minutes avant le Nouvel An. Ma famille devait revenir le 4 janvier. J’avais quatre jours pour régler les choses. Quatre jours pour trouver une explication.

« Yoshio ! Yoshio, ce lézard brillant est vraiment mignon ! »

Carol berça Destinée dans ses bras sans une once de peur.

Destinée était mignon, même si sa taille pouvait être effrayante au premier abord. Carol ne semblait pourtant pas du tout effrayée. Au contraire, ses yeux brillaient. Je suppose que c’était ce qu’on obtenait quand on grandissait dans un monde grouillant de monstres.

« Cette créature est sortie de l’œuf que tu as envoyé en offrande au Dieu du destin. Il lui a donné le nom de “Destinée”. S’il te plaît, traite-le avec amour et gentillesse. »

« Ça vient de l’œuf ? Wôw ! Salut, Dessie ! »

Carol caressa Destinée, qui encaissa tout sans même se tortiller. Il pouvait se montrer patient quand il le voulait.

J’avais soupiré et regardé l’heure. Il était presque minuit.

Cette année fut vraiment folle. Espérons que l’année prochaine sera un peu plus normale.

Je n’avais pas beaucoup d’espoir.

La petite fille blonde d’un autre monde jouait maintenant avec le lézard doré, lui aussi d’un autre monde. Oui, mon avenir n’allait pas devenir moins bizarre de sitôt. J’avais souri ironiquement au moment où l’horloge sonna minuit.

« C’est la nouvelle année. Bonne année, Carol. »

« Oh ! Bonne année ! »

Carol posa Destinée avant de se tourner vers moi et de s’incliner poliment. J’avais pensé que toute cette histoire de célébration du Nouvel An était peut-être propre à notre monde, mais cela ne semblait pas être le cas.

En parlant de Nouvel An, je devais trouver une résolution. Hmm. Peut-être, « Pas de regrets ». Yup. Ça ferait l’affaire.

J’aurais certainement des problèmes à régler par la suite, mais j’allais continuer à avancer, même si c’était lentement. Je devais m’occuper de Carol, et j’étais vraiment très inquiet du sort de mes villageois. Pourtant, je ne pouvais pas montrer mon anxiété devant elle étant donné qu’elle était déjà assez effrayée. Et même si tout ceci n’était qu’une simple comédie, je devais laisser derrière moi l’homme que j’étais et devenir un adulte sur lequel elle pourrait compter.

J’avais redressé mon dos et j’avais serré les dents, faisant face à la fille et au lézard. Ce fut à ce moment-là que la porte derrière moi s’ouvrit.

« Hé, Yoshi, quand est-ce que je me suis endormi ? J’ai fait un rêve super bizarre… »

Je m’étais retourné. C’était Seika. Ses yeux à demi fermés étaient lourds de sommeil, mais ils devinrent de plus en plus grands au moment où elle vit Carol dans la pièce.

Toute émotion quitta aussitôt son visage, et elle tourna son regard glacé vers moi. Une sueur froide coula alors dans mon dos. C’était mauvais. Vraiment mauvais.

« S-Seika-san. Il y a une explication à tout ça. Veux-tu bien m’écouter ? »

« S’il te plaît. Dis-moi tout, Yoshio-san. »

Jamais sa voix ne me parut aussi froide.

***

Chapitre 2 : Innocence troublée

J’avais laissé Carol jouer tranquillement avec Destinée dans ma chambre et j’avais pris Seika avec moi. Nous n’avions pas dit un mot durant notre descente dans les escaliers, mais j’avais senti ses yeux se planter dans mon dos. J’étais parvenu à garder mon sang-froid et je l’avais conduite au salon. En me retournant pour lui faire face, j’étais tombé à genoux. Seika me dominait sans la moindre émotion sur son visage. Je savais déjà ce qu’elle pensait.

Je m’étais empressé de faire le tri entre ce que je pouvais lui dire et ce que je devais cacher. En tout en prenant soin d’éviter ce dernier point, j’avais commencé à parler.

« Avant de t’expliquer la présence de cette fille, tu te souviens que j’aidais à ce projet de développement de village ? »

C’était la couverture que j’utilisais avec ma famille en ce qui concernait Le Village du Destin.

« Je me souviens. Le village t’a envoyé de la viande et des fruits en guise de remerciement, et tu en as partagé avec moi, c’est ça ? »

« Oui, c’est vrai. Et, euh… »

Je ne pouvais pas m’empêcher d’être trop rigide avec elle alors qu’elle baissait les yeux, me jugeant silencieusement.

« Une famille d’outre-mer s’est installée dans ce village. La fille à l’étage est leur fille. J’avais l’habitude de parler avec elle par le biais de l’ordinateur, et je lui ai dit qu’elle serait la bienvenue pour venir me voir, mais je ne pensais pas qu’ils me prendraient au sérieux. »

Tout cela n’avait bien sûr aucun sens. Et ma faculté à mentir aussi facilement me surprenait même. J’avais levé les yeux vers Seika. Elle avait les bras croisés, pensive.

« Où sont ses parents ? »

C’était une question importante. Si je me trompais, tout serait fini.

« Ils ont dû retourner dans leur pays pour faire face à une urgence. Mais Carol — c’est son nom — a piqué une crise et a dit qu’elle voulait rester au Japon. Je leur ai dit qu’elle pouvait rester ici sans vraiment y réfléchir, puisque mes parents et ma sœur pouvaient m’aider à m’occuper d’elle, mais j’ai oublié de leur en parler suite à l’histoire avec le harceleur de Sayuki, et avant même que je m’en rende compte, elle s’est présentée à ma porte. »

J’avais raconté toute l’histoire d’une traite pour que Seika n’ait pas l’occasion de faire des commentaires avant d’avoir tout entendu.

Sayuki m’avait prévenu que j’avais l’habitude de détourner le regard quand je mentais, alors j’avais fait de mon mieux pour garder les yeux sur Seika pendant que je parlais. Avec un peu de chance, j’aurais l’air convaincant.

« Ok. Ce n’est pas vraiment à moi de juger ce que tu fais de ta vie, mais comme ta mère m’a demandé de m’occuper de toi pour le Nouvel An, j’ai senti que j’avais la responsabilité de découvrir ce qui se passait. »

Je la connaissais suffisamment bien pour reconnaître qu’elle était en colère. Elle avait tendance à utiliser de longs mots, ressemblant au chef d’un comité. Elle avait l’air d’être calme, mais ce tic sur sa joue me disait qu’elle ne faisait que retenir sa colère. Jouer les innocents devant une femme en colère me faisait me sentir encore plus mal. Je n’avais pas appris grand-chose pendant mes dix années de NEET, mais j’avais appris à ne pas énerver les femmes.

« Tu n’as quand même pas inventé tout ça sur le champ ? Tu n’as pas un enfant illégitime ou une femme secrète ? », demanda Seika avec hésitation, sa voix se brisant.

Ne me regarde pas comme ça ! Attends, ça veut dire qu’elle serait triste si j’étais secrètement marié ? Est-ce que ça veut dire… Aucune chance. Je ne devrais pas avoir d’espoirs.

« Tu sais bien qu’il est impossible pour moi d’être marié, Seika ? J’ai été un NEET pendant des années. Je quittais à peine la maison. Comment aurais-je pu rencontrer quelqu’un ? »

« Pas faux… »

On aurait dit qu’elle me croyait. J’aurais aimé que ça me rende plus heureux.

Son expression était toujours méfiante, mais elle avait juste soupiré, déplié ses bras et s’était assise en face de moi. Pour une fois, mon histoire d’enfermement s’était révélée utile.

Bien que je ne devrais pas considérer cela comme un réel avantage.

J’avais à peine réussi à la convaincre, mais je devais réfléchir à la prochaine étape. Étais-je vraiment équipé pour prendre soin d’une fille d’un autre monde ?

Idéalement, je devais renvoyer Carol dans son monde, mais je n’avais aucune idée de la façon de le faire. De plus, le village avait été détruit, et je ne savais pas si les villageois avaient survécu. En supposant que tout le monde était mort, il serait peut-être préférable de garder Carol ici. J’aurais tant aimé vivre seul ou être autosuffisant. Comme je pouvais le constater, je ne pouvais rien faire par moi-même. Je ne pouvais même pas me permettre de prendre soin de moi.

Je suis si inutile que je ne peux même pas m’occuper d’un enfant qui a tout perdu…

Des milliers de regrets flottaient dans ma tête.

« Pourquoi as-tu l’air si inquiet ? Oh, attends, je voulais te demander… pourquoi je dormais dans l’autre pièce ? Je crois que j’ai fait un rêve vraiment bizarre, mais je ne me souviens de rien. Tu étais tellement cool dedans, Yoshi. Tu as été blessé, mais tu as risqué ta vie pour me protéger, et-hey, Yoshi, tu m’écoutes ? »

« Huh ? Oh, euh, désolé. Je pensais juste à quelque chose. »

Elle m’avait surpris au moment où je me demandais quoi faire avec Carol.

Les souvenirs de Seika semblaient être confus, et cela m’arrangeait bien. Il valait mieux qu’elle croie que tout ce qui s’était passé était un rêve. En fait, c’était presque trop pratique. En y repensant, les harceleurs de Sayuki avaient dit quelque chose de similaire à la police. Ils s’étaient souvenus de m’avoir menacé, mais n’avaient plus aucune idée du reste. À l’époque, j’avais pensé qu’ils mentaient pour se protéger, mais les situations avaient un facteur commun. Le souffle empoisonné de Destinée pourrait-il avoir une sorte d’effet amnésique ? Il avait seulement léché Seika, mais peut-être que le composé effaçant la mémoire était sur sa langue ou dans sa salive. Je pourrais toujours le tester en demandant à Destinée de me lécher ou de respirer sur moi, mais cela semblait un peu méchant. De plus, j’étais très heureux d’avoir ces souvenirs-là, dans ma tête.

« Allez, Yoshi, tu as été distrait tout ce temps. Es-tu vraiment si inquiet pour cette gamine ? »

« Oh. Désolé. »

« Écoute, je ne pense pas que tu puisses faire grand-chose à part t’occuper d’elle jusqu’au retour de ses parents. Si ça t’inquiète, alors… »

Seika fit alors une pause

« Puis-je t’aider ? »

« Oui, s’il — »

Je m’étais coupé. Devrais-je vraiment accepter son aide ? Cette situation était précaire, totalement détachée de la réalité. Je ne devrais pas l’impliquer plus profondément. Elle avait déjà dû endurer toute cette histoire avec Yamamoto-san… et elle aurait même pu être tuée si Destinée n’était pas intervenu. Elle s’en était sortie par pure chance, mais serait-ce encore le cas si quelque chose comme ça se reproduisait ?

Je ne pouvais pas le risquer.

« Je-je peux prendre soin d’elle par moi-même. J’ai passé trop de temps dans ma vie à dépendre des autres. Je vais pour une fois m’attaquer seul à mes problèmes. Mais en cas d’urgence, je viendrai te demander de l’aide. C’est d’accord ? »

« Bien sûr que c’est d’accord. Et je comprends ce que tu veux dire. »

« Merci. »

C’est préférable.

« Avez-vous fini de parler ? »

Je m’étais retourné pour trouver Carol derrière nous, tenant Destinée dans ses bras comme un ours en peluche.

« L-L-lézard ! », cria Seika tout en se plaquant contre le mur. Elle tremblait, son visage était pâle.

« N’approche pas Destinée de la jeune femme, d’accord, Carol ? Elle a peur des lézards. »

« D’accord ! », répondit Carol avec enthousiasme.

Elle traversa alors la pièce jusqu’à moi, en évitant Seika. Cette dernière mit une main soulagée sur sa poitrine une fois que la distance entre elle et Destinée s’était agrandie.

« Je suis désolée. Le fait que j’aie peur de votre animal de compagnie doit-être perturbant. »

« Ne vous inquiétez pas pour ça. Je savais déjà que vous n’étiez pas amoureuses des reptiles. »

« Merci. En tout cas, je n’ai pas la moindre idée de la langue que vous parlez, mais c’est impressionnant. »

Je m’étais délecté de l’admiration dans ses yeux, avant de réaliser ce qu’elle avait dit.

Quelle « langue » ? Carol ne parlait-elle pas simplement japonais ? Seika n’était pas du genre à plaisanter, surtout dans une situation comme celle-ci. Cela signifiait donc que j’entendais du japonais, mais qu’elle entendait quelque chose de totalement différent.

« Carol, cette dame est mon amie. Peux-tu la saluer pour moi ? »

« Oh, d’accord ! »

Carol s’était tournée vers Seika et inclina la tête avec enthousiasme.

« Ravie de vous rencontrer ! Je m’appelle Carol ! »

Seika avait souri poliment, mais n’avait rien dit. Elle se glissa vers moi et me chuchota à l’oreille.

« Yoshi ! Qu’est-ce qu’elle a dit ? »

Comme je le pensais, elle ne l’avait pas comprise.

« Elle a dit : “Ravi de vous rencontrer ! Je m’appelle Carol !” »

« Son nom est Carol-chan, hein ? Ce n’était ni de l’anglais, ni de l’espagnol, ni du français. Ça ne ressemblait pas non plus à une langue asiatique. »

Seika était familière avec plusieurs langues, elle pouvait au moins saluer les gens et échanger des civilités. Comme ils traitaient avec beaucoup d’entreprises étrangères au travail, elle avait appris quelques phrases simples.

Ce n’était pas quelque chose que je pouvais simplement laisser de côté. Je devais trouver une explication convaincante.

« Sa famille vient du fin fond des montagnes européennes, et ils parlent avec un dialecte très fort. C’est comme si nous avions des problèmes avec les dialectes de Tohoku ou de Kyushu. Ils ont même parfois du mal à communiquer avec d’autres locuteurs natifs. »

Pas mal pour quelque chose que j’avais inventé à l’instant. Même les Japonais de souche avaient du mal avec le japonais parlé dans un fort dialecte régional. Je pouvais à peine comprendre mes grands-parents quand ils parlaient rapidement. Je devais demander à papa de traduire.

« Pas étonnant que je ne la comprenne pas. Tu sais, je ne te croyais pas vraiment avant, mais ton histoire doit être vraie vu que tu parles couramment sa langue. »

« Je ne dirais pas que je parle couramment. Je ne connais que les bases de la conversation. On a beaucoup parlé en chat vocal, et honnêtement, je suis assez surpris de la rapidité avec laquelle je l’ai appris. »

Seika me crut pour de bon maintenant. Le Village du Destin avait fait de moi un menteur expérimenté.

Mais ce problème étant résolu, je devais passer au suivant.

Je m’étais dit que je ne pouvais comprendre Carol qu’à cause de mon implication dans le jeu, et qu’un étrange pouvoir traduisait pour moi. Mais qu’en était-il de mon discours ?

Carol pouvait donc me comprendre. Je ne parlais pourtant que le japonais, et je n’étais pas un maître des langues d’un autre monde.

Je devrais peut-être faire des tests.

« Tu me comprends bien, Carol ? Mais peux-tu comprendre cette dame ? »

« Je peux te comprendre, mais je ne peux pas la comprendre ! »

Je m’y attendais…

« Tu as compris ce que je viens de dire à Carol, Seika ? »

« Non. Tu parlais une langue totalement différente. »

Dans mon esprit, je parlais japonais, mais quand je parlais à Carol, mon discours semblait automatiquement traduit dans la langue de son monde. Si une tierce personne écoutait, elle entendait notre conversation dans cette langue inconnue.

C’était plutôt utile, mais je ne pouvais pas me laisser aller. Les mystères s’accumulaient les uns après les autres.

Juste à ce moment-là, j’avais entendu un étrange grondement sourd. Je m’étais retourné pour trouver Carol se tenant le ventre, le visage rouge vif. Les villageois n’avaient probablement pas eu le temps de manger pendant le Jour de la Corruption.

« As-tu faim ? », avais-je demandé.

« Je sais qu’il est déjà minuit passé, mais mangeons des soba. Je vais en faire suffisamment pour que Carol-chan en ait aussi. »

Seika se dirigea vers la cuisine et commença ses préparations avec l’aisance d’une longue pratique. Elle était clairement aussi à l’aise pour cuisiner ici que dans sa propre maison.

« Puis-je aider ? », avais-je demandé.

« Merci, mais tu ne ferais que gêner. Concentre-toi sur Carol-chan. Elle est probablement nerveuse d’être dans un nouvel environnement. »

J’avais jeté un coup d’œil vers Carol. Elle s’accrochait toujours à Destinée et me regardait comme si elle n’était pas sûre de ce qu’elle devait faire.

« Ok. Je vais te laisser faire la cuisine. »

Seika sourit et me fit un clin d’œil.

« Laisse-moi faire, gamin ! »

Le fait qu’elle se sente assez à l’aise pour faire l’imbécile avec moi comme ça me rendait heureux. Je voulais lui demander si elle voyait quelqu’un en ce moment, mais j’avais peur qu’elle dise oui. J’étais terrifié. Je n’étais plus un NEET, mais j’avais encore beaucoup de soucis.

« Yoshio, c’est quoi cette table avec le tissu ici ? »

Carol tira sur ma manche et montra le kotatsu.

Elle avait gardé sa bonne humeur habituelle, mais je devais me rappeler qu’elle venait de se réveiller dans un endroit étrange, entourée de personnes inconnues. Son anxiété devait être là, quelque part. Je devais être aussi amical que possible pour la mettre à l’aise. Je ne pouvais pas laisser mon désespoir sur le sort de mon village me submerger.

« C’est un appareil de chauffage appelé kotatsu. Essaie de mettre tes pieds dessous. C’est agréable et chaud. »

« Wôw ! C’est vraiment chaud ! C’est incroyable ! »

En regardant Carol s’amuser, mes soucis semblaient moins pressants. Je la protégerais à tout prix. Même si je devais supplier mes parents de la laisser rester ici. J’étais censé être le Dieu du Destin, et j’avais pourtant laissé mon village être détruit. Protéger Carol était le moins que je puisse faire.

« Le soba est prêt, Yoshi. Peux-tu le mettre sur la table ? »

« Bien sûr. », dis-je en me levant.

Carol m’avait suivi. Avait-elle peur d’être seule ?

« Qu’est-ce qui ne va pas ? », lui avais-je demandé.

« Je veux aider. »

Même dans un autre monde, ses manières restaient impeccables. J’avais regardé en arrière vers la table où Destinée gisait à moitié sous le kotatsu. Il ne semblait pas disposé à aider, mais après ce qui s’est passé avec Yamamoto-san, je ne pouvais plus le voir comme un lézard normal.

Cette année était terminée, et une nouvelle venait de commencer. Si l’année dernière avait été pesante, eh bien… celle-ci semblait prête à m’écraser complètement.

***

Chapitre 3 : Nouvelle année, nouveau départ

Carol apprécia sa première dégustation de soba. Elle débarrassa ensuite son assiette, puis commença à avoir l’air fatiguée. Je l’avais alors mise dans la chambre d’amis afin qu’elle se repose.

« Penses-tu que tu puisses dormir sur ce futon-um, lit ? »

« Oui ! C’est tellement moelleux ! Et si blanc et joli ! Puis-je vraiment m’allonger dessus ? »

Carol tripota nerveusement les draps et la couverture. Comparés aux lits grossiers qu’ils avaient dans la grotte, ceux-ci devaient sembler presque trop propres et frais. Ils faisaient évidemment la lessive au village, mais leurs draps étaient faits de matériaux différents et beaucoup plus usés. C’était un peu comme comparer vos draps à la maison et ceux d’un hôtel cinq étoiles.

« Bien sûr que tu peux dormir dessus. Fais comme chez toi. »

« OK. Je suis contente que tu sois gentil, Yoshio. Um… Maman, Papa et Gams vont tous bien, hein ? »

Carol leva les yeux vers moi en s’allongeant timidement sur le futon. Elle semblait effrayée, comme si le sourire qu’elle avait arboré toute la journée n’était qu’un visage courageux. Elle n’était qu’une enfant, mais elle faisait tout de même de son mieux pour paraître joyeuse par politesse.

« Ne t’inquiète pas pour eux maintenant. Repose-toi. »

J’avais tenu sa petite main dans la mienne.

« OK. »

Elle ferma alors les yeux, se détendant un peu.

J’avais attendu que sa respiration s’équilibre avant de lâcher sa main et de sortir silencieusement de la pièce. Je m’étais retourné pour m’assurer qu’elle était vraiment endormie, puis j’avais fait glisser la porte derrière moi.

« Carol-chan dort ? »

« Elle dort comme un bébé. »

Seika me fit alors signe d’aller vers le kotatsu. Je m’étais donc assis en face d’elle, et j’avais accepté une tasse de thé. J’avais pris une gorgée reconnaissante.

« Désolé. Je ne voulais pas t’obliger à cuisiner également pour elle. »

« Ne t’inquiète pas pour ça. J’aime les enfants. Et même si je ne la comprends pas, je peux dire qu’elle est douce et amicale. »

Seika fit une pause.

« Néanmoins, je pense qu’elle force un peu les choses. Ses parents lui manquent probablement. »

Seika s’en était aussi rendu compte, hein ?

J’avais pris une autre gorgée de thé et j’avais soupiré.

« Elle est intelligente. Elle ne veut rien laisser paraître. J’espère juste qu’elle pourra s’amuser un peu pendant son séjour ici. »

J’avais essayé d’injecter un peu de légèreté dans ma voix, mais je ne pouvais pas échapper au fait que je n’avais aucun moyen de la renvoyer chez elle. Mais tant qu’elle était au Japon, je pouvais l’emmener dans certains endroits afin de lui changer les idées.

« Je pensais amener Carol au sanctuaire demain. Pour le Nouvel An. Ce sera probablement intéressant pour quelqu’un venant d’un pays différent. »

Merde. J’avais failli déraper là.

« Oui. N’avions-nous pas l’habitude d’y aller ensemble chaque année ? »

Effectivement, mais c’était avant que je ne devienne grabataire. On y allait tous les ans, sans jamais rater ce rendez-vous. On faisait le tour des stands et on goûtait ce qu’on voulait. À l’époque, ça semblait si simple, mais je n’étais pas allé dans un sanctuaire depuis une décennie.

« Je vais peut-être demander quelque chose aux dieux cette année. Je veux dire, s’il y a des dieux. Et il se pourrait bien qu’il y en ait. », avais-je dit.

Il y a même un dieu assis à côté de toi en ce moment, bien qu’il soit un peu pathétique.

« Je pensais que tu étais athée, Yoshi. Attends, ne me dis pas que tu es parti et que tu as rejoint une sorte de secte. »

Wôw, non ! Tu as complètement tort, Seika ! Depuis que j’avais commencé à jouer au Village du Destin, je m’étais senti plus en phase avec les dieux et les choses de ce genre. Je n’y pouvais rien, puisque je prétendais en être un moi-même.

« Rien de tout ça. Je suis bien trop occupé pour rejoindre une secte. »

« Tu as changé, Yoshi. Attends, non, ce n’est pas ça. C’est plutôt comme si tu étais redevenu comme avant. », dit mon amie d’enfance en souriant.

« J’ai changé ? Je suppose que oui. J’ai bien trop gâché ces dix dernières années. Je ne peux pas regarder en arrière sans ressentir un incroyable regret. Je suis désolé de t’avoir fait du mal, Seika. »

J’avais redressé ma posture et j’avais incliné ma tête vers elle avec tout ce que j’avais.

« Arrête. Tu n’étais pas si coincé avant. Tu étais… égoïste, orgueilleux, arrogant et malicieux. »

Seika se mit à compter mes mauvais attributs sur ses doigts.

Il n’y avait rien que je puisse dire. Elle avait raison.

« Tu n’as pas besoin de le souligner… »

« Mais pas seulement ça. Tu avais un grand sens de la justice. Tu étais gentil, et tu faisais passer les autres avant toi. Je sais comment tu étais ces dix dernières années, mais je sais aussi comment tu étais avant. »

Seika avait l’air si sérieuse que je ne savais pas comment réagir.

« Le Yoshi que j’ai connu et aimé est de nouveau là, et c’est génial. Bon retour parmi nous, Yoshi. »

« Merci… »

Je rougissais beaucoup, mon visage était si chaud que je pensais qu’il allait s’enflammer.

Comment pouvait-elle dire tous ces trucs dégoûtants en gardant un visage impassible ? Je suppose qu’on apprenait à être moins gêné quand on passait assez de temps à interagir comme un membre à part entière de la société. Oh, attendez. Maintenant que j’avais regardé de plus près, ses joues étaient aussi rouges.

« Donc je suppose qu’on peut continuer à traîner ensemble comme avant ? »

« Oui. J’ai hâte. »

J’avais automatiquement pris la main qu’elle me tendait. Nous étions des trentenaires agissant comme des adolescents, deux adultes du sexe opposé passant du temps ensemble la nuit. Les drames et les mangas m’avaient appris que les choses allaient devenir sérieuses.

J’avais raccompagné Seika chez elle et j’étais retourné dans mon salon, légèrement trempé à cause de la pluie. Je m’étais alors séché avec une serviette et m’étais assis avec mes jambes sous le kotatsu.

Il ne s’était donc rien passé avec Seika.

« Je suppose que la réalité peut être décevante », avais-je marmonné en me laissant tomber sur le dessus du kotatsu.

J’étais trop inquiet pour mon village et Carol en ce moment pour essayer de pousser les choses plus loin, m’étais-je raisonné. J’avais envisagé d’inviter Seika à venir avec nous au sanctuaire, mais j’avais décidé de ne pas le faire. J’avais déjà dit que je n’allais pas l’impliquer davantage.

Je ne pouvais l’inviter nulle part tant que je ne savais pas exactement ce qui se passait et que je ne pouvais pas garantir sa sécurité. J’étais toujours inquiet à propos de Yamamoto-san. J’avais tout d’abord pensé qu’il avait perdu les pédales à cause du stress, mais plus j’y pensais, moins ça avait de sens. Au moment où il s’était effondré, j’avais vu cette étrange brume noire sortir de lui. Je m’étais alors convaincu que ce n’était que le fruit de mon imagination, mais si ce n’était pas le cas ?

« Penser à ça ne m’apportera aucune réponse. J’espère qu’il s’arrêtera de pleuvoir avant demain matin afin qu’on puisse aller au sanctuaire. »

J’avais terminé le thé que Seika m’avait préparé, le laissant rajeunir mon corps et m’aider à penser un peu plus calmement.

« Le village a-t-il vraiment disparu ? »

J’avais dit à Carol que tout allait bien, mais je l’avais vu pour la dernière fois au bord de la destruction. Carol n’avait survécu que parce qu’ils me l’avaient envoyée à travers l’autel. Elle, et le livre saint. C’était tout ce dont j’étais sûr.

Qu’était-il arrivé aux autres villageois ? Après m’avoir envoyé Carol, il semblerait qu’ils étaient sur le point de faire exploser les monstres, ainsi qu’eux-mêmes. Et c’était probablement ce qui s’était passé.

Pourtant, je n’avais pas renoncé à eux. Je ne pouvais pas les abandonner ni perdre l’espoir qu’ils soient en vie. Je ne les avais jamais vus mourir. Et s’ils avaient jeté la bombe par une fente de la porte et fait exploser les monstres sans être blessés eux-mêmes ? C’était assez improbable, mais c’était le seul espoir que j’avais.

Je devais m’efforcer de le croire.

« Je ne les ai pas vus mourir. Ils sont vivants. J’ai juste besoin de trouver un moyen de le confirmer. Je ne peux plus rien voir à travers le jeu. »

J’avais sorti mon téléphone et j’avais quand même vérifié. À part l’application Village du Destin, tout fonctionnait normalement. Le dysfonctionnement ne venait pas du téléphone lui-même. J’avais ouvert l’application, mais l’écran était totalement noir, comme avant. J’avais tapé dessus, m’attendant à voir à nouveau le même message : que le livre saint n’existait plus sur la carte.

Pourtant, le message ne s’était pas affiché.

« Huh ? »

J’avais appuyé sur le bouton retour, et cela m’avait amené au menu des miracles. J’avais regardé de plus près. Le symbole du livre et mon solde de points de destin étaient toujours en haut à droite de l’écran.

Qu’est-ce qui se passe ?

Après avoir renvoyé Yamamoto-san, je n’avais pas été capable de faire quoi que ce soit dans l’application. Un message d’avertissement clignotait en rouge. Mais maintenant, j’avais accès à des miracles.

« Mais je ne peux en exécuter aucun, hein ? »

La plupart des éléments de la liste étaient barrés d’une épaisse ligne noire. J’avais appuyé dessus à titre expérimental et j’avais reçu une pop-up en retour : « Vous ne pouvez pas les utiliser pour le moment. »

Le seul miracle disponible était celui qui changeait le temps.

« Je suppose qu’il est actif par la simple raison que c’est le seul miracle qui n’affecte pas directement mon village ? »

La confusion m’avait envahi, mais il valait mieux agir. J’avais activé le miracle et réglé la météo sur « ciel bleu ». Mes PdD baissèrent, mais l’écran était resté noir. Comme des points avaient été retirés, je supposais donc que le miracle s’était activé ? Ça voulait dire que le jeu fonctionnait toujours, non ?

*

Le jeu fonctionnait toujours, et mes villageois étaient toujours en vie. Je ne pouvais pas encore perdre espoir.

« J’ai besoin d’une pause dans toutes ces réflexions. Je devrais aller prendre un bain, et merde. J’aurais probablement dû en proposer un à Carol. »

Cette pensée ne m’avait même pas traversé l’esprit. Mais comme le fait de la réveiller maintenant me mettrait mal à l’aise, j’avais donc décidé d’aller en prendre un moi-même et de dormir sur le canapé du salon. J’avais ouvert la porte coulissante de l’autre pièce juste un peu afin qu’elle puisse me voir si elle se réveillait. Comme ça, elle saura que j’étais là.

« Bon sang, je n’ai pas utilisé mon cerveau comme ça depuis des lustres. J’avais oublié à quel point penser pouvait être épuisant. »

J’étais monté dans ma chambre pour prendre une couverture et voir Destinée, qui dormait recroquevillée dans son réservoir. Il avait dû remonter à l’étage au moment où je raccompagnais Seika.

J’avais éteint la lumière.

« Merci pour tout, Destinée. Prends un bon et long repos. »

La somnolence m’avait envahi au moment où je m’étais allongé sur le canapé du salon.

« Avec un peu de chance, je me réveillerai et je réaliserai que tout ça n’était qu’un mauvais rêve… »

Je me réveillerais pour trouver mes villageois sains et saufs, et Carol courant à leurs côtés.

Et alors que mon cœur ne souhaitait rien d’autre, je m’étais aussitôt endormi.

***

Chapitre 4 : Ma prière et ma détermination

Je m’étais réveillé dans une pièce qui ne m’était pas familière.

« Ce n’est pas ma chambre… Oh, c’est vrai. »

J’avais dormi dans le salon la nuit dernière. Je m’étais alors levé et j’avais jeté un coup d’œil dans la chambre voisine pour trouver Carol encore endormie, accrochée à Destinée. Ce dernier avait dû redescendre à un moment donné pendant la nuit. Il était réveillé, mais toujours couché patiemment dans les bras de Carol. Destinée me remarqua et me fit un petit signe de la queue. Quelle créature attentionnée ! Il était bien plus attentionné que moi.

« Je suppose que je n’ai plus besoin de m’inquiéter qu’il reste dans son réservoir. »

Destinée n’étant pas un lézard ordinaire, je n’avais donc pas besoin de le dorloter autant, mais je devrais quand même toujours le traiter comme un animal de compagnie devant ma famille.

J’avais ouvert les rideaux du salon, laissant la lumière du soleil pénétrer dans la pièce.

« C’est un temps magnifique, surtout après la pluie que nous avons eue hier soir. »

J’avais ouvert la fenêtre pour laisser entrer un peu d’air frais, puis l’avais regretté immédiatement en sentant le vent froid. Je l’avais refermée à la hâte et j’avais plongé sous le kotatsu. J’avais presque oublié que c’était le jour de l’an. Il faisait effectivement très froid.

Ça m’a au moins réveillé. Je vais prendre un petit-déjeuner.

Auparavant, mon petit-déjeuner était composé de toasts ou de quelque chose de similaire, mais dernièrement, maman m’avait appris à cuisiner des plats simples. J’avais donc préparé un repas avec des ingrédients que j’avais trouvés dans le réfrigérateur.

« Bonjour. Ooh, ça sent bon ! »

Les yeux endormis de Carol s’étaient ouverts en grand. Elle s’était précipitée vers le kotatsu pour admirer la nourriture qui s’y trouvait.

Elle tenait toujours Destinée comme on tiendrait une peluche. J’avais incliné ma tête vers lui pour m’excuser, mais ce dernier leva sa griffe droite comme pour dire que ça ne le dérangeait pas. Ce lézard était si doux.

« Bonjour. Pourquoi ne te laves-tu pas le visage avant de manger ? Je vais t’apprendre à utiliser l’évier. »

J’allais tout simplement arrêter d’être trop formel avec elle. Ça la rendait juste nerveuse.

Je l’avais emmenée devant l’évier et lui avais montré comment ouvrir et fermer le robinet.

Le visage de Carol s’était éclairé : « Wôw ! Je parie que maman aimerait quelque chose comme ça ! »

Elle était si impressionnée par un simple robinet. C’était adorable.

Nous nous étions lavés le visage ensemble, puis nous étions retournés au kotatsu pour prendre le petit-déjeuner. J’avais observé les villageois manger, ils n’étaient pas difficiles en matière de nourriture. Aujourd’hui, je servais du pain, de la viande frite, des fruits et de la soupe, c’était donc un repas principalement constitué avec les ingrédients envoyés par le village. C’était peut-être pour cela que Carole avait tout mangé avec plaisir. Et une fois que nous en avions eu fini, nous avions apporté nos plats à l’évier.

« J’ai pensé que nous pourrions aller à un petit festival aujourd’hui. C’est quelque chose que nous faisons dans ce monde au début de chaque année. Qu’est-ce que tu en penses ? »

« Un festival dans le Monde des Dieux ? Je veux y aller ! Tout le monde va être tellement jaloux ! »

Carol sautait de haut en bas, excitée. Le simple fait de la voir si ravie suffisait à me remonter le moral.

Si nous allions au sanctuaire, nous avions quelques préparatifs à faire. J’avais examiné Carole et j’avais hoché la tête.

« Tu devrais d’abord prendre un bain, tu te changeras ensuite. »

« Tu as un bain !? »

Mais oui, les villageois adorent prendre des bains.

J’avais compris que leur village d’origine avait une grande culture du bain, mais la grotte où ils avaient emménagé n’en possédait pas. Et comme ils devaient se contenter de tremper des chiffons dans de l’eau chaude et de s’essuyer avec, ils ne se lavaient donc qu’en surface. Je m’étais rappelé la joie immense qu’ils eurent, surtout les femmes, le jour où Kan et Lan leur avaient construit une baignoire qu’ils pouvaient utiliser tous les deux jours.

J’avais emmené Carol dans la salle de bains et j’avais essayé de lui expliquer la douche, mais cela semblait l’effrayer. J’avais simplement rempli la baignoire pour elle. Et pendant qu’elle se lavait, j’étais allé dans la chambre d’amis et j’avais fouillé dans le placard. J’étais presque sûr que maman y gardait nos vieux vêtements.

J’avais trouvé un tas de vieilles affaires que je n’avais pas vues depuis des années, rangées dans une caisse au fond du placard.

« Dieu merci, elle ne les a jamais jetés. »

Le fait de laisser Carol porter certaines de mes vieilles affaires ne me dérangeait pas, mais comme Sayuki était toujours mieux habillée que moi, j’avais sorti un tas de ses vêtements à la place. Et comme ils étaient pliés et emballés sous vide, Carol pouvait les porter tout de suite. Étant donné que mon sens de la mode n’était pas un de mes points forts, je l’avais laissée choisir ses propres vêtements. J’avais sorti quelques affaires qui semblaient lui aller et je les ai étalées.

J’étais revenu dans le salon pour trouver Carol portant une serviette, la vapeur s’évaporant encore de sa peau.

« Tes cheveux sont mouillés. Viens ici. Je vais les sécher pour toi. »

J’avais séché ses cheveux avec soin, en utilisant un sèche-cheveux et une serviette.

« Tu es vraiment bon à ça, Yoshio ! C’est agréable et chaud ! »

« Eh bien, je l’ai souvent fait. »

Sayuki avait toujours eu les cheveux longs, j’avais pris l’habitude de les sécher exactement comme ça.

Une fois le séchage fini, j’avais emmené Carol choisir des vêtements. Elle était devenue incroyablement excitée (plus qu’elle ne l’avait été depuis son arrivée ici) et s’était lancée dans un défilé de mode. Elle avait du mal à choisir ce qu’elle voulait porter, et elle retournait sans cesse dans la pièce pour essayer autre chose.

« Comment est-ce, Yoshio ? », dit Carol en bondissant hors de la pièce dans une robe de couleur claire et en faisant une pirouette.

« C’est mignon, et la couleur est sympa. C’est pourtant un peu trop léger pour la saison. »

« Oh, ouais. Ok, je vais essayer autre chose ! »

C’était déjà la troisième tenue.

Combien de temps cela va-t-il encore durer ?

J’étais tenté de mentir et de dire que tout allait bien, mais j’avais assez d’expérience avec Sayuki pour savoir que c’était une mauvaise idée. Et lui donner une réponse vague ne servirait également à rien.

J’étais resté positif et honnête sur ce que j’aimais. Carol s’était finalement joyeusement décidée pour un pull, tricoté par maman, et une jupe longue et solide. Elle ajouta par-dessus un manteau chaud et moelleux. Et comme elle aimait le look d’un sac à dos en forme de visage d’ours, je l’avais aussi laissée le prendre.

Je n’exagérais pas si je disais qu’elle ressemblait à un enfant modèle. Elle était absolument adorable. Si Seika ou Sayuki étaient là, elles seraient certainement en train de couiner. Chem devrait faire attention.

« Comment me trouves-tu, Yoshio ? »

« C’est la tenue la plus mignonne que je n’ai jamais vu. »

« Yay ! Mais je pense que tu es trop élogieux ! »

Malgré ses mots, elle sourit timidement pendant que je prenais quelques photos d’elle avec mon téléphone.

Et au moment où nous étions tous les deux prêts, j’avais pris sa main et l’avais fait sortir de la maison. Il avait plu à verse la nuit dernière, mais le sol était complètement sec.

En regardant de plus près, j’avais réalisé que seule la zone autour de ma maison ne présentait aucune trace du temps de la nuit dernière. Peut-être que nous nous étions simplement trouvés dans l’espace entre deux nuages de pluie.

Le temps était parfaitement clair maintenant, le ciel ne montrait aucune menace pouvant bloquer notre sortie. Le sanctuaire était à environ dix minutes de marche de la maison et était assez grand. Nous avions monté les marches de pierre familières et étions passés sous la grande arche. Le gravier blanc crissait sous nos pieds. Normalement, nous devrions être en mesure de voir le sanctuaire maintenant, mais aujourd’hui, il était bloqué par une énorme foule.

« Je n’ai jamais vu autant de monde, Yoshio ! », s’exclama Carol, le regard perdu dans les deux sens.

Une foule aussi dense n’existait pas dans son monde. Carol montra du doigt les étals et les demoiselles du sanctuaire, me bombardant de questions.

« C’est une échoppe. On peut y acheter de la nourriture. Allons y jeter un coup d’œil après avoir été au sanctuaire. Cette fille est une servante du sanctuaire. Elle travaille pour les dieux. »

« Alors elle est comme toi ? »

« Oui. »

Je ne ressemblais pas vraiment à une demoiselle du sanctuaire, mais je suppose que nos devoirs étaient similaires. Ça ne voulait pourtant pas dire que je pouvais m’identifier à elles.

« Mettons-nous en ligne avec les autres. »

« D’accord ! Hé, Yoshio ! Qu’est-ce qu’ils vendent dans ce magasin là-bas ? »

« Des Yakisoba. Ce sont des nouilles frites. »

« C’est quoi ce truc qui ressemble à des nuages ? »

« De la barbe à papa. C’est très sucré ! »

J’avais répondu à chacune de ses nombreuses questions. Les autres visiteurs nous regardaient et souriaient chaleureusement. Pour eux, Carol devait avoir l’air d’une jeune étrangère curieuse. Je me sentais comme un père fier d’avoir une fille extrêmement mignonne. C’était ce que devaient ressentir les parents lorsque leurs proches faisaient l’éloge de leurs enfants.

J’avais pris d’autres photos, en espérant pouvoir les montrer à Rodice et Lyra plus tard. J’étais sûr qu’elles les adoreraient. En fait, je voulais que tous mes villageois viennent dans ce monde et passent du temps avec moi. Ça avait l’air génial.

« C’est quoi tous ces cliquetis ? Pourquoi tout le monde applaudit-il ? », demanda Carol tout en tirant sur ma manche et interrompant mes pensées.

Elle me montra du doigt les visiteurs devant la boîte à offrandes, qui applaudissaient et priaient.

« C’est comme ça qu’on prie dans ce monde. »

J’avais appris à Carol la coutume de la double inclinaison, du double applaudissement, puis de la nouvelle inclinaison devant le sanctuaire. Nous l’avions pratiqué encore et encore dans la file. Ce spectacle fit sourire les gens autour de nous et je n’avais pas pu m’empêcher de sourire avec eux. Je n’avais plus jamais le droit de me moquer de mes proches qui faisaient de même avec leurs enfants.

Quand ce fut notre tour, je m’étais approché de la boîte de l’offertoire avec Carol. Je savais déjà combien les microtransactions étaient importantes pour l’œuvre d’un dieu, j’avais donc fait quelques folies et j’avais sorti deux pièces de 500 yens, une pour chacun de nous. J’avais jeté un coup d’œil à Carol pour voir comment elle allait. Elle avait les yeux fermés, profondément en prière.

« S’il vous plaît, faites que maman et papa et Gams et Murus et Kan et Lan et… Chem soient en sécurité. Faites en sorte que je puisse les revoir », pria Carol désespérément.

Elle était si joyeuse, mais au fond d’elle-même, sa famille et les autres villageois lui manquaient cruellement. J’avais décidé de prier pour la même chose : pour la sécurité des villageois et pour que Carol puisse les retrouver.

« Je vous ai donné un petit extra. S’il vous plaît, faites-nous un miracle. », avais-je chuchoté aux dieux.

En fait, cela ne me dérangerait pas de garder Carole avec moi à partir de maintenant. Si je convainquais mes parents, je pourrais continuer à m’occuper d’elle. Je savais que c’était mal de ma part, que c’était égoïste. Je devais souhaiter son bonheur, et cela signifiait la renvoyer chez elle.

« Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »

« Maintenant, on va voir les stands. Dis-moi si tu veux quelque chose, et je l’achèterai pour toi. »

« Vraiment ? ! Est-ce que maman et papa ne vont pas se fâcher ? »

« Ne t’inquiète pas pour ça. Ces trucs ne sont rien comparés à toutes les merveilleuses offrandes que tu as faites au Dieu du Destin. Ne te retiens pas. Penses-y comme une gratitude envers toi et envers tous les habitants du village. »

« Je leur dirai merci à mon retour ! »

« Bonne idée. »

Je l’avais très souvent vu, et je savais à quel point elle se comportait bien à travers l’écran de mon PC, et maintenant qu’elle était ici avec moi, je pouvais sentir combien d’amour et de discipline ses parents avaient mis dans son éducation.

« Par où veux-tu commencer ? », avais-je demandé.

« Um, je veux un nuage duveteux, et un de ces trucs ronds, et, um… et… »

« Il n’y a pas d’urgence. Les stands ne s’enfuiront nulle part. On va d’abord prendre de la barbe à papa, d’accord. », dis-je en gloussant.

Carol attrapa ma main et m’entraîna. Avions-nous l’air d’un père et d’une fille pour tous ceux qui nous entouraient ? Cela correspondait à nos âges. Bien qu’il y ait les cheveux dorés de Carol et ses traits occidentaux… À la réflexion, nous n’avions probablement pas l’air apparentés. C’était un peu dommage.

« C’est quoi cette boisson que les gens bien habillés distribuent ? »

Carol désignait les prêtres et les servantes qui distribuaient le saké sacré.

« C’est une boisson alcoolisée que l’on est censé offrir aux dieux. Comme aujourd’hui est un jour spécial, tu as donc le droit de le boire. »

« Je suis un enfant, donc je n’ai pas le droit. »

« C’est vrai. Mais tu peux manger ce que tu veux à la place. »

Je n’avais jamais bu le saké sacré moi-même, car je ne tenais pas l’alcool. Seika aimait boire, mais sa tolérance était encore pire que la mienne. Je parierais qu’elle aimerait être ici en ce moment.

Carol et moi avions pris notre barbe à papa, un takoyaki, et un yakisoba sur un banc voisin. Elle était ravie. Nous avions choisi un endroit donnant sur un étang, un peu à l’écart du sanctuaire. Seuls les locaux connaissaient cet endroit, il était complètement désert. Le faible murmure de la foule était juste audible au loin.

Il faisait exceptionnellement chaud pour le mois de janvier, et le ciel était clair, mais il faisait encore frais à l’ombre. Je craignais que Carol ne prenne froid, mais celle-ci grignotait son takoyaki avec un immense sourire.

« Le festival était très amusant ! Il y avait beaucoup de gens, et ils avaient tous l’air si heureux ! »

Je suis heureux de voir qu’elle ce soit amusée.

Comme Carol mangeait en silence, j’avais fouillé dans la poche intérieure de mon manteau et j’en avais sorti un livre, le livre saint qui était arrivé dans ce monde avec Carol. La couverture était semblable à celle de n’importe quel autre livre relié. Il était plus grand qu’un livre de grande diffusion ordinaire, mais plus petit qu’un manga. Je l’avais feuilleté. Il était rempli des prophéties que j’avais envoyées à mes villageois.

Pendant un instant, je m’étais perdu dans les pages, les souvenirs de chaque message me revenant en mémoire. J’avais dû me forcer à revenir à la réalité. La présence de ce livre dans mon monde était la raison pour laquelle je ne voyais plus rien dans le Village du Destin.

Hier, dans mon bain, j’avais échafaudé toutes sortes de théories pour tenter de trouver une issue à cette situation. Si ce livre était l’objet qui donnait son pouvoir au Dieu du Destin, alors peut-être que son existence dans ce monde était aussi un problème pour les développeurs du jeu. Mais au fait, qui étaient ces développeurs ? C’était le plus grand mystère de tous. Toutes mes expériences surnaturelles me firent pencher vers la conclusion qu’ils étaient eux-mêmes des dieux. Mais ce n’était pas comme s’ils étaient des Dieux pour avoir créé un jeu comme Le Village du Destin, mais plutôt des Dieux au sens propre du terme. C’était la seule explication possible.

« Pourquoi as-tu une tête en forme d’épi ? Ta bouche et tes oreilles ne te font pas mal ? »

J’avais levé les yeux pour voir que Carole n’était plus à côté de moi. Elle était debout à quelques mètres de là, mangeant une pomme d’amour et parlant à un homme portant une tenue super bizarre. Son visage avait l’air japonais, mais ses cheveux étaient blonds et coiffés en plusieurs pointes comme un coq. Ses lèvres et ses oreilles étaient couvertes de piercings. Il portait un T-shirt de groupe de rock occidental sous une veste en cuir, et son jean était déchiré à plusieurs endroits. Ce n’était le genre de personne que je n’aurais jamais pensé rencontrer de toute ma vie.

« Viens, Carol. Désolé pour elle. »

Je m’étais levé du banc et j’avais incliné la tête vers l’homme.

« Pas d’inquiétude. C’est quelque chose que j’entends tout le temps vu mon allure. »

Il semblait amical, malgré son apparence. Il avait souri à Carol.

« Tu as l’air d’avoir froid ! »

« Non, mon âme est toujours en train de brûler. En fait, je suis en surchauffe en ce moment. »

Amical ou pas, je n’étais pas sûr de son langage. J’avais continué à incliner ma tête et je m’étais glissé derrière Carol. J’avais posé une main sur son épaule pour l’éloigner, mais ma main s’était refermée sur de l’air.

« Huh ? »

J’avais levé les yeux. L’homme avait attrapé le bras de Carole, s’accrochant à elle. L’avait-elle vraiment rendu furieux ?

« Je suis désolé si nous vous avons ennuyé. Je vais m’excuser correctement. Pouvez-vous me la rendre maintenant ? »

« Je crains que non… Dieu du destin. »

***

La vérité se trouve au nord

Chapitre 1 : Le feu et la poêle

Le voyou me sourit en s’accrochant à Carol par-derrière.

Il vient vraiment de m’appeler le Dieu du Destin, non ? Je ne l’ai pas mal entendu ? Bon sang, je suis vraiment un idiot ! Il s’est approché de Carol, pas l’inverse ! Pourquoi n’ai-je pas remarqué plus tôt ?

Une chose était sûre. Ce type jouait le même jeu que moi.

« Dis-moi qui tu es », avais-je dit.

« Je suppose que tu ne me demandes pas mon nom. Écoute, tu n’as pas besoin de savoir qui je suis. Je veux juste jeter un coup d’œil à ton livre, et discuter un peu avec cette petite. »

Plus il parlait, plus je devenais confus. Qu’est-ce qu’un dieu corrompu voulait faire avec Carol et le livre saint ?

« Sais-tu au moins ce qu’est ce livre ? »

« Bien sûr que je le sais. C’est le livre sacré du Dieu du Destin. Je ne sais pourtant pas comment tu as réussi à l’amener dans le monde réel. Regarde ce que j’ai là. »

L’homme sortit alors son téléphone et me le jeta au visage.

Un livre qui ressemblait beaucoup au mien dominait l’écran. Je savais maintenant avec certitude que c’était un autre joueur.

Reste calme. Carol compte sur toi !

« Es-tu un dieu corrompu ? », avais-je demandé.

« Hé, tu es malin. Mais ne joue pas les héros, sauf si tu veux que la gamine passe le reste de sa vie avec une vilaine cicatrice sur le visage. »

Ce dernier sortit alors un canif de sa poche.

« Wôw, c’était un peu cucul, hein ? Cela fait trop méchant cliché, si tu vois ce que je veux dire. Je peux réessayer ? »

Prenait-il ça pour une blague ? En l’étudiant de plus près, je le trouvais un peu maigrichon. Je devrais avoir un avantage avec mon physique, mais il avait ce couteau.

« Essaie. Et tu verras ce que je ferai à ton visage », lui avais-je répondu.

« Quelle arrogance pour quelqu’un qui n’a pas d’armes ! »

Je n’allais pas le laisser m’intimider devant Carol. J’étais l’un des disciples du Dieu du Destin.

En parlant de Carol, elle semblait complètement calme. J’avais peur qu’elle soit effrayée, mais il se pourrait qu’elle ne comprenne pas ce qui se passait. Et c’était franchement mieux ainsi, j’étais sûr qu’elle ne se débattrait pas.

*

Et pendant que nous parlions, j’avais lentement réduit l’écart entre nous, en espérant qu’il ne le remarquerait pas. J’avais besoin d’être assez proche pour attraper le couteau et éloigner Carol de lui.

« Pourquoi as-tu besoin de Carol et du livre ? », avais-je demandé.

« Oh, tu sais. Aucune raison particulière. Ooh, ne t’approche pas trop ! Je n’aime pas les casse-cou. C’est pourquoi j’ai amené des amis avec moi. »

L’homme mit le couteau dans sa bouche et fit claquer ses doigts. Plusieurs silhouettes apparurent alors de derrière les arbres et les distributeurs automatiques autour de nous.

« Ce sont tes amis ? », dis-je en serrant les dents.

Il y avait un type rondouillard d’une vingtaine d’années, une femme dans un kimono aux couleurs vives, et un vieil homme au dos légèrement courbé avec une canne. Rien ne les reliait visiblement. Ils ressemblaient à de simples visiteurs du sanctuaire.

J’avais alors réalisé que leurs visages étaient vides de toute émotion, leurs corps se balançant doucement. C’était comme regarder une bande de zombies. Un frisson parcourut immédiatement ma colonne vertébrale.

« Qu’est-ce que tu leur as fait ? »

« Tu es vraiment futé. Restez là, les gars. »

Le trio s’était immédiatement figé à son ordre. Ils étaient si immobiles qu’on aurait dit qu’il avait arrêté le temps.

« Qu’est-ce que tu en penses ? Ce sont mes marionnettes, et elles font ce que je dis. C’est pourquoi tu devrais réfléchir avant de jouer les héros. »

Il était sérieux ? Qu’il puisse les contrôler ou non, aucun de ces trois-là n’avait l’air d’avoir toute sa tête. Comment pouvaient-ils donc comprendre ses ordres ?

« Qu’est-ce que tu as fait ? De l’hypnotisme ? Des drogues ? »

« Bon sang, on dirait que tu as lu beaucoup trop de mangas. Tu penses vraiment qu’une telle merde me permettrait de les contrôler autant ? Je rigolerais bien, mais la vérité est encore plus folle. C’est un miracle. Je peux contrôler ces types avec le pouvoir que me donne mon statut de dieu corrompu. »

« Les miracles ne fonctionnent pas dans le monde réel, abruti ! », avais-je crié.

L’homme a eu l’air interloqué pendant une fraction de seconde avant de se mettre à rire.

« Ne me dis pas que tu en es encore au niveau 1 ! Je suppose que tu ne connais pas grand-chose au jeu, hein ? »

Des niveaux ? Quoi ?

« Je ne m’attendais pas à ce que tu sois aussi drôle. Eh bien, je vais t’expliquer. J’ai toujours voulu faire un monologue de méchant. »

Il essuya ses larmes de rire et se tourna vers moi avec un sourire en coin.

Je détestais le fait qu’il se moquait de moi, mais j’étais curieux de connaître son explication. Carol était toujours silencieuse. J’espérais qu’elle pourrait tenir le coup un peu plus longtemps.

« Sache donc qu’il y a une tonne de joueurs dieux corrompus tout comme il y a des dieux normaux. Maintenant moi, je suis le Dieu de la Tentation. »

S’il y avait différents dieux corrompus, les miracles qu’ils pouvaient accomplir étaient également probablement différents.

« Je peux contrôler les gens en amplifiant leur avidité et en les tentant. C’est plus facile s’ils sont mentalement faibles, ou s’ils sont ivres ou un peu à côté de la plaque. Ces types étaient ivres à cause du saké cérémoniel, c’est pourquoi je les ai choisis. »

C’était donc de simples visiteurs du sanctuaire qui n’avaient rien à voir avec le jeu. Mon plan initial consistant à frapper toutes les personnes présentes et à ramener Carol était réduit à néant. Je ne pouvais pas risquer d’impliquer ces personnes innocentes.

Pouvions-nous vraiment utiliser les miracles dans le monde réel ? Cela semblait trop beau pour être vrai, mais je ne pouvais pas nier cette possibilité après tout ce qui m’était arrivé hier. J’avais encore une tonne de choses à apprendre sur le Village du destin.

Donc ce type utilise la cupidité des gens pour les tenter et les contrôler ? Attendez. Est-ce que ça veut dire que… Non, c’est stupide.

J’avais posé la question à voix haute sans m’en rendre vraiment compte.

« Es-tu la personne responsable de l’état de Yamamoto-san ? »

« Huh, je ne m’attendais pas à ce qu’un NEET soit capable de comprendre ça. Bon travail. J’ai juste arrangé un peu le cerveau de ce clochard avant qu’il aille chez toi. »

Il me tira la langue et me tripota le front.

La rage brûlait en moi.

« Alors tout était de ta faute. »

« Attends, reviens en arrière une seconde. Ne me regarde pas comme ça. Tout ce que j’ai fait, c’est le rendre un peu plus avide, hein ? Je lui ai juste donné un petit coup de pouce. Je ne peux rien faire avec les gens qui n’ont pas ces désirs. Tu me comprends ? »

Chaque mot m’énervait de plus en plus.

J’ai besoin de me calmer. Il tient Carol. Il attend que je lui donne une raison.

Si je perdais mon calme, il pourrait prendre le contrôle de moi. J’étais dans une situation totalement désavantageuse. Il avait Carol, un couteau et trois étrangers sous ses ordres.

J’avais pris une grande inspiration et l’avais laissé sortir lentement, refroidissant la colère qui brûlait en moi. Il était au moins vraiment prêt à parler. Il prenait cette histoire de méchant au sérieux.

« Que vas-tu donc faire de Carol et du livre ? »

« Je connais des gens qui paieront cher pour les avoir. Le livre et l’enfant. »

Son mobile était donc financier. Mais qui étaient ces gens à qui il allait le vendre ?

« Je suis le seul à pouvoir utiliser ce livre. De plus, le kidnapping et le trafic sont illégaux. »

« Je m’en fiche, du moment que ça me rapporte de l’argent. En plus, cette enfant n’appartient pas à ce monde. Rien de ce que je lui ferais ne comptera comme un crime. Elle pourrait mourir sans que personne ne le sache vraiment, car elle n’a jamais techniquement existé. »

La peur traversa le visage de Carol. Elle pouvait comprendre ce qu’il disait, parce qu’il jouait lui aussi au jeu.

« Ne parle pas d’elle comme ça. Carol est mon invitée ici ! »

« Tu t’énerves, hein ? Bon sang, je déteste les gars têtus comme toi. De toute façon, j’ai fini de parler. Donne-moi juste ce livre. Tu ne voudrais pas que cette enfant soit blessée ? », dit-il en souriant et en pointant le couteau sur moi.

« Si je te donne le livre, tu la laisseras partir ? »

« Je préférerais avoir les deux, mais si je devais en choisir un, ce serait le livre. Les gens se méfieraient en voyant un type comme moi trimballer un enfant. »

Je n’hésiterais pas à échanger le livre contre Carol, en supposant bien sûr que je puisse lui faire confiance. Le livre et son rôle dans le jeu étaient importants pour moi, mais Carol était irremplaçable.

« D’accord. »

« Tu sais comment faire, hein ? Bien. Hé, toi ! Prends-lui le livre et apporte-le-moi », ordonna l’homme à la femme en kimono.

Cette dernière s’approcha de moi, le regard vide. Elle était innocente dans tout ça, car elle avait subi un lavage de cerveau.

« Tu peux m’entendre ? »

J’avais chuchoté, mais il n’y avait aucune réponse. Le contrôle de ce type semblait être absolu. Je lui avais passé le livre, et elle l’avait apporté à l’homme.

« Merci, poupée. Alors c’est un vrai livre saint, hein ? »

L’homme l’avait étudié avec intérêt, en feuilletant les pages. Sa garde était totalement baissée, mais j’étais trop loin pour faire quoi que ce soit. Il pouvait atteindre Carol avec le couteau plus vite que je ne pouvais l’atteindre.

« Tu as le livre. Donne-moi Carol. »

Je savais qu’il y avait peu de chances qu’il accepte de faire ça. La plupart des kidnappeurs auraient une deuxième demande à ce stade, s’ils ne refusaient pas carrément de coopérer.

« Bien sûr. Je n’ai rien contre les enfants, il n’y a pas besoin de la contrarier. »

L’homme donna à Carol une légère poussée vers moi.

J’avais tort, hein ? Je suppose que je peux dire adieu au livre, mais au moins Carol est en sécurité.

« Par ici, Carol. Ne te précipite pas. Tout va bien maintenant », je l’avais appelé doucement alors qu’elle hésitait.

Mais elle n’avait pas bougé, elle regarda tantôt l’homme, tantôt moi.

« C’est un mauvais garçon, n’est-ce pas, Yoshio ? Et le livre est vraiment important. Il est important pour maman, papa et tout le monde. »

« C’est vrai, Carol, mais tu es plus importante. Ne t’inquiète pas pour ça, d’accord ? Viens ici. »

Je lui avais fait signe, mais elle ne bougea toujours pas. J’étais terrifié à l’idée que le type puisse soudainement changer d’avis.

S’il te plaît, écoute-moi, Carol.

Sans le livre, je ne pourrais plus jamais envoyer de prophéties ou faire de miracles, même si mes villageois étaient encore en vie, mais je faisais le bon choix. Aucun des villageois ne me remercierait d’avoir choisi le livre plutôt que la vie de Carole.

« Pars d’ici. Je te laisse partir. »

« Pars ici, Carole. Vite ! »

Malgré nos encouragements, Carol tint bon. Elle s’accroupit et commença à fouiller dans son sac à dos d’ours, le dos toujours tourné à l’homme.

« Carol… »

« Attends. »

Carol prit alors quelque chose dans son sac à dos et se retourna.

« Qu’est-ce que c’est ? Une sorte de poupée minable ? Bon sang, c’est-gah ! Ah ! Mes yeux ! Ma gorge ! »

L’homme commença à tousser violemment. Il tomba au sol et se tordit, s’agrippant à sa gorge et s’arrachant les yeux. J’étais trop choqué pour dire quoi que ce soit. Peu à peu, ses mouvements ralentirent avant de s’arrêter complètement. J’avais regardé attentivement son visage. Des larmes, de la morve et de la bave coulaient de chaque orifice. C’était une scène familière. La même chose était arrivée il y a quelques mois au harceleur de Sayuki, Yoshinaga, et à ses hommes.

« Yay ! »

Carol s’était retournée, serrant Destinée dans ses bras. On aurait dit qu’il me souriait, mais ça devait être mon imagination, non ?

« Tu as apporté Destinée ici, dans ton sac ? »

« Et bien, je suis désolée. Je me sentais mal de le laisser seul à la maison, et je pense qu’il voulait venir avec nous, alors je l’ai pris. »

Carol tira la langue timidement. Je devrais être en colère contre elle, mais elle nous avait sauvés.

« Ok. Eh bien, si tu le sors à nouveau, assure-toi de me le dire. Et merci vous deux. »

J’avais couru vers eux et les avais pris dans mes bras.

J’aurais vraiment souhaité que tout soit fini, mais je savais que ce n’était pas le cas. Les trois personnes que l’homme contrôlait s’étaient également effondrées et avaient perdu connaissance. Si je les laissais ici, j’aurais des problèmes quand l’homme reviendrait à lui. J’avais déplacé les trois innocents sur le banc et j’avais mis l’homme sur mon dos.

***

Chapitre 2 : Mon questionnement, une vérité choquante, et mon manque de compréhension

J’avais emmené l’homme dans un grand parc naturel situé à côté du sanctuaire et je l’avais installé sur un banc usé. Cet endroit avait un beau lac, qui était magnifique au début du printemps quand tous les cerisiers en fleurs étaient sortis. Mais il était pratiquement désert au milieu de l’hiver. Les fleurs n’étaient pour l’instant que des bourgeons, mais elles nous cachaient plutôt bien.

Nous étions suffisamment loin de l’endroit où j’avais laissé les trois autres personnes pour que, même s’il pouvait les contrôler à distance, il leur faille du temps pour arriver jusqu’ici. Et comme je ne voulais pas que Carol voie ce que j’allais faire, je lui avais dit d’aller jouer dans un endroit où je pourrais encore la surveiller.

« C’est parti ! Ah, ça n’a pas marché. », dit-elle.

Elle jouait actuellement avec un yo-yo merdique qu’elle avait gagné à l’un des stands. J’espérais qu’elle ne s’en lasserait pas.

J’avais jeté un coup d’œil autour de moi pour confirmer qu’il n’y avait pas de témoins avant de secouer l’épaule de l’homme. Assis à côté de lui, Destinée balançait son corps au rythme de ses pointes blondes, comme envoûtée par leur mouvement.

« Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui se passe ? », dit l’homme en bâillant.

Ses mots n’étant qu’une bouillie confuse, mais lorsqu’il m’aperçut, ses yeux s’écarquillèrent.

« H-hey, toi-ngh ! Je ne peux pas bouger ! »

Il voulait courir, mais il ne pouvait bouger aucune partie de son corps en dessous du cou. Il était coincé sur le banc.

« Tu n’iras nulle part. Regarde. »

J’avais essayé de faire un sourire menaçant, mais je ne savais pas si j’avais été convaincant ou non. Destinée redressa alors les épaules et me lança un regard exaspéré.

Je suppose que ce n’était pas très convaincant. Tu es plutôt expressif pour un lézard.

Mais l’homme n’avait pas eu le temps d’évaluer mes compétences d’acteur. Maintenant qu’il réalisa qu’il ne pouvait pas bouger, son visage devint pâle et sa bouche se ferma. C’était une réaction parfaitement naturelle pour quelqu’un dans sa situation.

« Qu-Qu’est-ce que tu m’as fait ?! »

Je m’étais rapproché, me mettant en face de lui.

« Tais-toi. Fais des histoires, et je te paralyse aussi la tête. »

J’avais pris Destinée et je m’étais assuré qu’il le voit bien.

« Quoi, le lézard m’a fait quelque chose ? Allez, mec ! Écoute, si tu me laisses partir maintenant, j’oublierai tout ça. Non, garde ce lézard dégoûtant loin de moi ! Et dis quelque chose, bon sang ! Éloigne cette chose ! »

Il était terrifié par Destinée. J’avais le sentiment qu’il essayait de courir, mais son corps n’avait même pas tressailli.

« Je t’ai dit de ne pas faire d’histoires. Hey, Destinée. S’il crie encore, peux-tu paralyser ses lèvres pour moi ? »

Destinée hocha la tête, sa langue glissant dans et hors de sa bouche. L’homme secoua alors la tête d’un côté à l’autre, paniqué.

« Fais-le. », dis-je en souriant

Avec chaque muscle en dessous de son nez gelé, le punk était immobilisé. Ses yeux étaient tellement écarquillés par le choc que je me demandais comme ils faisaient pour ne pas sortir de son crâne. Il n’allait pas me donner plus d’ennuis.

« Je vais te dépétrifier la bouche maintenant, mais si tu cries encore, ce sera ton nez et ta bouche. Si tu comprends ce que je viens de dire, cligne deux fois des yeux. », dis-je en souriant, tout en essayant de garder la menace dans ma voix.

L’homme cligna des yeux pas seulement deux fois, mais plusieurs fois. Je l’avais complètement à ma merci.

« Destinée. »

Destinée s’était dirigé vers l’homme. Il posa un pied sur son corps et cligna des yeux une fois. La couleur était immédiatement revenue sur les lèvres de l’homme.

« Je peux parler… »

« Bien. J’ai quelques questions à te poser. Ne t’avise pas de me mentir. OK ? »

« Allez-y. Mais ne me tue pas ! »

« Je n’aurai pas à le faire si tu fais bien les choses. »

Il était plus effrayé que je ne le pensais. Peut-être que je suis allé trop loin.

« Première question. Comment contrôles-tu les gens exactement ? »

« Idi-Euh, je veux dire, avec le pouvoir que j’ai obtenu dans le jeu. »

Il était sur le point de me narguer à nouveau avant que je ne lui montre Destinée en face.

« Tu peux donc également utiliser les miracles dans le monde réel ? »

« En effet. Quand tu détruis des villages et que tu tues des gens et tout ça, tu montes de niveau. À un moment donné, tu obtiens la capacité d’utiliser les miracles dans la vraie vie. Tu es vraiment mal informé, mec. Tu es donc toujours au niveau 1 ? Cela signifie-t-il que ton lézard n’utilise pas de miracle ? »

Je n’avais pas pu comprendre la dernière chose qu’il avait dite, mais le reste me fit cligner des yeux de surprise.

Il y avait des niveaux dans le jeu ? Et ils vous donnaient la possibilité d’utiliser des miracles dans la vraie vie ? C’est dingue !

Attendez, je me souvenais de quelque chose à ce sujet. J’avais repensé à un certain message que j’avais vu lorsque j’avais joué au jeu pour la première fois.

« Voici une liste de miracles que vous pouvez accomplir. Au fur et à mesure que votre village s’améliore et que votre population augmente, vous débloquerez des miracles plus puissants. »

Par « miracles plus puissants », j’avais supposé que cela signifiait simplement que je débloquerais différents types de miracles, et non que mes miracles actuels monteraient en niveau. Je devais également remplir des conditions pour monter de niveau. Les dieux corrompus devaient détruire des villages, et les dieux majeurs devaient améliorer leurs propres colonies. En remplissant ces conditions, les joueurs pouvaient monter de niveau pour utiliser leurs miracles dans le monde réel. Je savais déjà que ce n’était pas un jeu ordinaire, mais combien de fois allait-il faire exploser mes attentes ?

« Question numéro deux. Qui t’a demandé de récupérer Carol et le livre saint ? Pourquoi les veulent-ils ? »

« Je ne sais pas trop. Je te jure que je ne sais pas ! Je viens de recevoir un mail avec ton adresse me disant qu’ils me paieraient. Je suis sérieux. Je veux dire, j’ai tout d’abord pensé que c’était vraiment suspect, mais j’avais ensuite pensé qu’il n’y a presque personne qui connaît ce jeu, non ? Et l’argent est tout ce dont tu as besoin pour acheter plus de points, et plus de points signifient plus de miracles. J’ai pensé que ça valait le coup d’essayer, même si ça s’était avéré être une arnaque. »

Il était vraiment là pour l’argent et rien d’autre. J’avais besoin d’en savoir plus sur la personne qui lui avait envoyé le courriel, mais il ne semblait pas en savoir beaucoup.

« Question suivante. Pourquoi ne pas m’avoir fait boire ou autre chose et ensuite utiliser ton miracle de tentation sur moi ? »

Il suffisait d’un état mental affaibli pour contrôler quelqu’un, non ? Ça aurait été plus rapide pour lui de me choisir comme cible de son miracle.

« Hum, et bien. Utiliser les miracles directement sur un joueur ennemi est contre les règles. Si tu le fais, et que ce joueur est blessé, c’est un game-over instantané. Je devais donc être plus malin que ça. »

Cette règle s’appliquait-elle aussi à ceux qui jouaient des dieux majeurs, ou était-ce seulement pour les dieux corrompus ?

« Attends, où as-tu entendu parler de cette règle ? Je n’ai jamais vu quelque chose comme ça dans ma version du jeu. As-tu parlé à d’autres joueurs ? »

« Hein ? Qu’est-ce que tu veux dire ? Oh, attends. Bon, si tu es encore au niveau 1, tu n’as probablement pas encore accès aux forums. »

Bien qu’il ait murmuré ces mots pour lui-même, ils ne m’avaient pas échappé. Il avait dit « forums », non ? Comme dans les forums en ligne ? Ces endroits où les joueurs pouvaient discuter de stratégies et d’informations sur le jeu ?

« Des forums en ligne ? Je croyais que tu n’avais pas le droit de divulguer des informations sur le jeu à d’autres personnes ? »

« En quelque sorte, mais pas tout à fait. C’est vrai, tu n’es pas censé parler du jeu, mais il y a une exception. Tu peux en parler avec d’autres joueurs. Quoi, tu n’as même pas… hum… »

Chaque fois qu’il était sur le point de m’insulter, Destinée lui lançait un regard froid, et il reculait. C’était amusant, mais je n’avais vraiment pas le temps d’en rire.

On a le droit de parler du jeu aux autres joueurs, hein ?

J’avais appris beaucoup de choses de ce gars. Mais plus j’apprenais, plus j’avais de questions.

« Tu me connaissais donc grâce à l’e-mail ? As-tu parlé à d’autres joueurs de Carol ou du livre saint ? »

S’il l’avait fait, je pourrais avoir plus de sales types à mes trousses.

« Je ne l’ai dit à personne. Je pense que l’e-mail a été envoyé à tous les dieux corrompus, parce que tout le monde en parlait sur les forums. Tu peux dire que je suis dans un groupe, non ? Gérer des groupes coûte une blinde. On doit louer notre studio, acheter les instruments, distribuer les billets. Les dépenses ne s’arrêtent jamais, je te jure. »

J’avais pensé que sa tenue était peut-être juste un truc de mode, mais je m’étais dit que c’était logique.

« Bref, j’ai reçu cet e-mail avec ta photo et ton adresse, et il disait que je pouvais toucher, genre, dix millions de yens simplement si je piquais ton livre. Impossible de résister, hein ? »

Dix millions de yens ?!

Il était sérieux ? Mon livre valait dix millions de yens ? Attendez. En y repensant, Yamamoto-san avait mentionné qu’il avait reçu cinq millions pour la destruction d’un grand village, alors peut-être que ce n’était pas si fou.

L’argent n’était pourtant pas le seul problème ici.

« Tu es en train de me dire que chaque dieu corrompu a reçu une photo de mon visage et mon adresse ?! »

J’étais tellement horrifié que j’avais tendu le bras pour attraper le col de sa chemise, mais comme il était paralysé, je n’avais pas pu avoir une bonne prise.

« Je pense que oui. Quand tu en auras fini avec moi, ils viendront probablement tous vers toi. Je veux dire, c’est dix millions de yens, non ? Et tu as un bonus si tu amènes la gamine. »

Qu’est-ce que je devrais faire ? Qu’est-ce que je pouvais faire ? Ils connaissaient mon visage. Mon adresse. Destinée nous avait sauvés cette fois, mais je ne pouvais pas compter sur ça à l’avenir.

« Penses-tu que tu puisses me lâcher maintenant ? Je t’ai déjà tout dit, et je te promets de te laisser tranquille à partir de maintenant ! »

Je ne pouvais pas lui faire confiance. Pas en voyant ce sourire stupide sur son visage. Mon livre valait dix millions de yens, et ce type était fauché. Est-ce qu’il laisserait vraiment passer une chance comme celle-là ?

« Tu devrais juste me laisser partir et sortir d’ici. On ne sait jamais, il pourrait y avoir d’autres gars qui regardent et attendent dans l’ombre en ce moment, essayant de mettre la main sur le livre et cette fille. »

J’avais regardé autour de moi par réflexe, mais j’avais seulement vu Carol se débattre avec son yo-yo. Le parc était vide.

Mais cela ne signifiait pas que nous étions en sécurité. Quelqu’un pouvait arriver à tout moment. Nous devions être raisonnables et partir, mais qu’en était-il de lui ? Et s’il avait utilisé son miracle ? Et s’il contrôlait une foule entière pour venir me chercher ? Il était bien trop puissant. Je ne pouvais pas le laisser partir.

Cela ne me laissait donc qu’une seule option.

« OK. Je vais vous laisser partir. Destinée, peux-tu le dégeler juste à cet endroit ? »

J’avais montré la poche de l’homme, il y avait clairement quelque chose à l’intérieur.

« A -Attends ! Qu’es-tu en train de faire ?! Attends ! Stop ! Arrête-toi là, lézard ! Merde ! Si je n’ai pas mon téléphone, je ne peux pas faire de miracles ! »

L’homme protesta si bruyamment que Destinée pétrifia très gentiment sa bouche à nouveau. En même temps, il dégela sa cuisse, me permettant de sortir le téléphone du gars et de vérifier l’écran.

Là, l’autre monde. Il ne s’était même pas écoulé un jour depuis la dernière fois que je l’avais vu, mais une boule s’était tout de même formée dans ma gorge. J’avais regardé un énorme monstre borgne traverser la nature, apparemment en reconnaissance. J’aurais aimé fouiller un peu plus pour voir à quoi ressemblait le jeu de l’autre côté, mais je n’avais pas le temps. J’avais ignoré le monstre, vérifiant ses miracles à la place. Il avait « charme », « tentation » et « contrôle ». J’avais réprimé l’envie de les essayer.

« L’écran principal des options est le même que dans Le Village du destin. »

Je l’avais ouvert et j’avais cherché jusqu’à ce que je trouve « Abandonner le jeu ».

« C’est ici ! »

Ce bouton était aussi dans Le Village du destin. J’avais levé les yeux vers le type. Il me fixait, le visage pétrifié d’horreur. Je pouvais presque l’entendre me crier d’arrêter. J’avais appuyé sur le bouton sans hésiter.

Vous êtes sûr ?

Oui Non

Un message de confirmation clignota sur l’écran. J’avais appuyé sur « oui ». Un message de fin de partie, le même que Yamamoto-san avait reçu, était apparu à l’écran. Le jeu disparu du téléphone à la seconde suivante. Les yeux du gars se révulsèrent. Ses souvenirs avaient probablement été effacés en même temps que le jeu.

Il n’était plus une menace pour moi, mais je ne pouvais pas pour autant me détendre. D’autres types comme lui allaient arriver, et je devais être prêt. Tout se passerait bien s’ils ne s’en prenaient qu’à moi, mais je ne voulais pas que ma famille ou Seika soit impliquée dans tout ça.

J’avais serré les dents. Je savais ce qu’il fallait faire. J’avais juste besoin de rassembler ma détermination.

« Il n’y a qu’une seule façon de se sortir de ce pétrin. Carol ? »

« Oui ? »

Carol se précipita vers moi, son yo-yo s’était emmêlé sur lui-même.

Je m’étais agenouillé, en la regardant dans les yeux. J’avais alors pris une grande inspiration.

« On va aller voir Dieu. »

***

Chapitre 3 : Les vagues d’information et ma noyade

Partie 1

« Dieu ? Tu veux dire le Dieu du destin ? », demanda Carol.

« C’est exact. Cet homme aux cheveux hérissés était le serviteur d’un dieu corrompu. Ce dieu lui a dit de venir et de prendre le livre saint. »

Je n’avais pas dit qu’il en avait aussi après Carol. Cela ne ferait que l’effrayer.

« On va aller demander de l’aide au Dieu du destin. Il pourrait même nous aider à te ramener chez toi plus vite. »

« Vraiment ? ! Yay ! Allons-y ! »

Le visage de Carol s’était éclairé. Elle se mit à sauter de haut en bas. Elle semblait s’amuser dans ce monde, mais je ne pouvais pas lui reprocher de vouloir rentrer à la maison.

Mon idée semblait folle, mais je savais que j’avais raison. Il y avait un risque élevé que d’autres joueurs se présentent pour prendre le livre et Carol. Je ne pouvais pas rester à la maison et ignorer la menace.

J’avais deux options.

La première était de remettre le livre sans me plaindre. Après cela, je devrais être tranquille… sauf que j’aurais toujours Carol sur les bras. Un adversaire avide s’en prendrait aussi à elle. En plus de cela, le livre était mon lien avec le village. Sans lui, je ne pourrais pas faire de miracles ou envoyer des prophéties. Je ne pourrais plus jamais jouer au Village du destin.

Ma deuxième option était de garder le livre et Carole pour moi. Cela signifiait que je serais, à toutes fins utiles, en guerre avec les dieux corrompus. J’ignorais combien ils étaient et quelles sortes de miracles ils pouvaient utiliser. Et mon équipe n’était composée que d’une petite fille, d’un ancien NEET et d’un lézard jaune.

Destinée était mon plus fort combattant. Son regard pétrifiant et son souffle empoisonné étaient inestimables, mais pas invincibles. Son souffle pouvait me revenir en pleine figure si le vent venait de la mauvaise direction ou si nous étions dans un espace clos. Le regard pétrifiant nécessitait que la cible soit dans la ligne de mire de Destinée. Si l’adversaire attaquait de loin, ou se faufilait par-derrière, nous étions morts. De plus, je ne connaissais pas toute l’étendue des pouvoirs de Destinée. J’avais besoin d’expérimenter avec eux.

« Où est le Seigneur, Yoshio ? »

Je savais qu’elle me demanderait ça.

« Il vit dans un endroit froid au nord. »

Je n’avais pas inventé ça. Je ne savais pas si ce jeu avait été créé par de vrais dieux, mais j’avais une idée générale de l’endroit où ils étaient basés. Ils envoyaient des colis chez moi, et l’adresse de retour était toujours là, sur l’étiquette : Hokkaido.

C’était peut-être une fausse adresse, mais pour l’instant, c’était ma seule piste. Si je voulais en savoir plus sur le jeu et ramener Carol chez moi, je devais parler aux développeurs. Je voulais aussi les remercier de m’avoir envoyé le jeu… et faire quelques réclamations.

« On rentre à la maison, Carol ? »

Rester ici était bien trop dangereux. Laissant le punk inconscient derrière moi, j’avais pris Carol par la main, et nous avions pris le chemin du retour.

*****

J’avais soigneusement inspecté les alentours de ma maison, mais il n’y avait rien d’inhabituel. J’avais fait entrer Carol en premier avant de me hâter derrière elle, en prenant soin de verrouiller la porte derrière nous. J’étais resté en état d’alerte durant tout le trajet retour, à regarder dans tous les sens. J’avais probablement l’air très suspicieux, mais cela n’avait pas d’importance pour moi en ce moment. De toute façon, en raison de mes dix dernières années, ma réputation dans le quartier était déjà au plus bas.

Carol s’était immédiatement endormie sous le kotatsu du salon. Le fait qu’elle se soit endormie après tout ça ne me surprenait pas. J’avais songé à la mettre au lit dans la chambre d’amis, mais il était plus sûr de l’avoir à proximité. Je l’avais prise dans mes bras et l’avais emmenée dans ma chambre, lui donnant la possibilité de câliner Destinée dans le but que cela l’aide à s’endormir. Il n’avait pas fallu longtemps avant qu’elle soit endormie. Son endormissement fut sans doute aidé par la quantité de nourriture qu’elle avait mangé.

« Je dois faire attention à ne pas la réveiller. »

Je m’étais assis à mon bureau, sortant le livre saint de ma poche et le mettant de côté. J’avais allumé l’écran de mon PC. Cet ordinateur (que j’utilisais exclusivement pour Le Village du Destin) était allumé depuis le Jour de la Corruption. J’avais juste gardé l’écran éteint. Voir l’écran vide en permanence me désespérait. Comme prévu, l’écran était…

« Complètement différent ?! »

Sur l’écran de mon ordinateur se trouvait une vue aérienne d’un monde. Mon cœur fit un bond en pensant que le Village du destin était de retour, mais cette vue était totalement différente. C’était familier, mais ce n’était pas mon village.

« C’est… ma maison ? Ce toit est celui de Seika. Et le reste, c’est le quartier… »

Pourquoi mon PC affichait-il une carte de ma maison et de ses environs ? De plus, la carte était très réaliste et détaillée, comme ces images satellites que vous pourriez trouver en ligne, mais avec une différence majeure. Le deuxième étage de ma maison était affiché avec une vue en coupe. Le toit était coupé et on pouvait voir ma chambre, celle de Sayuki, celle de mes parents et même la salle de bain.

« C’est Carol… et ça, c’est moi ? »

J’avais immédiatement levé les yeux, mais le plafond était bien entendu là. Je l’aurais remarqué s’il avait disparu. J’avais regardé à nouveau l’écran et j’avais levé la main. Le moi à l’écran leva aussi la main. J’avais essayé de faire défiler l’écran pour zoomer, comme on pouvait le faire sur le Village du destin. Ça fonctionnait bien. On pouvait voir le visage endormi de Carol et Destinée, qui semblait un peu mal à l’aise dans ses bras.

« Qu’est-ce qui se passe ? »

Réfléchis. Il doit y avoir une raison à cela. Jusqu’à présent, cet ordinateur ne me montrait que le Village du Destin. Alors pourquoi me montrait-il maintenant ma maison ?

L’écran était centré sur ma chambre.

« Attendez… »

J’avais regardé le livre saint sur mon bureau. Ça devait être ça.

Ce livre jouait un rôle important dans le jeu. Son existence dans ce monde était-elle la raison pour laquelle je voyais maintenant ma propre maison sur l’écran ?

« Ce n’est pas le moment de m’inquiéter sur ce point. Je dois juste trouver quoi faire maintenant. »

À ce stade, j’étais habitué à ce que le jeu fasse des choses impossibles. Je développais une tolérance à la folie. Si j’y pensais trop, je me figerais et je risquerais de perdre la tête.

J’avais essayé de me déplacer sur la carte à l’écran. Mes PdD étaient affichées dans le coin, et j’avais accès à l’écran des options et au menu des miracles, comme sur mon téléphone.

« Ce qui veut dire… »

J’avais sorti mon téléphone et ouvert l’application. Bien sûr, une image identique à l’écran de mon PC y était affichée. Je pouvais donc aussi jouer sur mon téléphone. Sauf que ce n’était pas le même monde parallèle avec lequel j’avais l’habitude de jouer. C’était le Japon.

« Je comprends pourquoi quelqu’un pourrait vouloir le livre si cela lui permettait de voir son environnement d’en haut comme ça. C’est comme un satellite personnel instantané. Et il peut voir à travers les murs. C’est encore plus précieux. »

Je ne croyais pas ce type quand il m’avait dit que le livre valait dix millions de yens, mais si c’était ce que l’on pouvait faire avec, je comprenais pourquoi il était si précieux. Les grandes entreprises, ou même les nations débourseraient des milliards pour un tel outil.

« Je me demande pourquoi il s’est soudainement mis à fonctionner. »

L’écran de mon PC était resté sombre pendant un moment, même après que Carol ait apporté le livre dans ce monde. Je m’étais creusé la tête en essayant le « jeu », mais rien de ce que j’avais trouvé n’avait de sens.

« Je suppose que je vais commencer par ce que je sais au lieu d’essayer de répondre à des questions impossibles. »

J’avais délibérément parlé à haute voix pour m’aider à rassembler mes pensées.

D’abord, j’avais vérifié l’historique. Il contenait toutes les conversations que j’avais eues avec Carol depuis son arrivée.

« Il n’y a rien sur mes villageois. Comme je m’y attendais. »

Néanmoins, je ne pouvais pas en conclure qu’ils étaient morts. Le livre ne reprenait que les conversations proches. Je le savais depuis que Gams et les autres avaient combattu le gobelin rouge à un œil. J’avais fait défiler l’historique, espérant trouver un indice. Puis j’avais remarqué un message en rouge.

« Félicitations. Vous avez atteint le niveau 2. »

J’avais monté mon niveau ?! Quand ?

C’était apparemment arrivé au moment où Yamamoto-san était parti et que j’avais découvert le paquet avec Carol à l’intérieur. Mais je n’avais pas remarqué de notification ou autre.

Le type dans le parc avait dit que les joueurs jouant un dieu corrompu gagnaient des niveaux en tuant des gens et en détruisant des villages, mais je ne savais pas comment les joueurs de mon camp faisaient. Je pensais que cela avait probablement un rapport avec la croissance de votre village, mais ce n’était qu’une supposition. Une partie de moi aurait voulu lui en demander plus, mais rester dans les parages plus longtemps aurait été dangereux.

« D’après mes connaissances des jeux vidéo, vous montez probablement en grade lorsque votre village atteint une certaine taille. Soit ça, soit il y a une condition cachée à remplir. Ou peut-être que c’est basé sur l’expérience acquise grâce à un tas de facteurs différents ? »

La façon la plus courante d’acquérir de l’expérience dans les jeux était d’accomplir des missions assignées. Faites suffisamment de quêtes et gagnez suffisamment d’expérience, et votre niveau augmentera. Dans le cas du Village du Destin, vous gagniez peut-être un tas de points d’expérience chaque fois que vous surmontiez un Jour de Corruption. Ou peut-être en battant des monstres ? C’était un autre moyen courant de monter de niveau.

« Peut-être que mes villageois ont survécu, ont vaincu les monstres et ont survécu au Jour de Corruption après avoir envoyé Carol chez moi, me faisant ainsi gagner des points d’expérience. Ça pourrait être ça, non ? »

C’était plausible. Peut-être que c’était une vision trop optimiste de la chose, mais cela pourrait être la preuve que mes villageois étaient encore en vie.

« Je dois garder espoir. Mes villageois ont survécu. Chacun d’entre eux est en sécurité ! »

C’était mieux que de croire qu’ils étaient morts, et ça m’avait aidé à trouver quoi faire ensuite.

« Mm… Maman… Papa… »

***

Partie 2

Je m’étais retourné, inquiet d’avoir réveillé Carol. Elle marmonnait juste dans son sommeil avec un lourd froncement de sourcils. Je m’étais assis à côté d’elle et j’avais caressé doucement ses jolies boucles blondes.

« Ne t’inquiète pas, Carol. Je vais te ramener au village. »

Son expression sembla s’adoucir un peu. J’avais aussi caressé Destinée, qui dormait à côté d’elle. Il me jeta alors un coup d’œil et tira la langue plusieurs fois, comme pour dire qu’il s’occuperait de Carol pour moi. Je n’avais pas pu réprimer un sourire. J’avais donc laissé Destinée faire du baby-sitting, et j’étais retourné à mon ordinateur.

« Si j’ai monté de niveau, cela signifie que j’ai plus d’options. »

Le punk dans le parc avait dit quelque chose sur le déblocage des forums.

Je devrais pouvoir y accéder maintenant, non ?

J’avais fait défiler le menu des options et j’avais trouvé un nouveau bouton intitulé « Forums de discussion ». C’était de ça qu’il parlait ? Est-ce que je trouverais d’autres joueurs discutant du jeu ici ? J’étais curieux, mais aussi légèrement anxieux.

Il y avait encore beaucoup trop de mystères autour de ce jeu, et j’avais peur de m’aventurer trop loin. Et si la vérité ne faisait que compliquer et embrouiller encore plus ma vie quotidienne ? Le simple fait de penser à des choses encore plus folles me faisait hésiter.

« J’ai toujours essayé de rester en dehors de tout ce qui semblait être un problème. »

Mais les choses étaient différentes maintenant. J’avais des gens que je voulais protéger. J’avais des choses à faire. J’avais des faveurs à rendre.

J’avais attrapé la souris et cliqué fermement sur le bouton des forums.

« Cela ressemble à n’importe quel forum. »

Sa mise en page et son design rappelaient les plus célèbres forums de discussion du Japon. L’en-tête « forums de discussion » figurait en haut en grosses lettres, et en dessous se trouvait une liste de fils de discussion. J’avais laissé mes yeux se promener vers le bas.

Fil de discussion : Identification des monstres (179)

Fil de discussion : Dieux corrompus (Discussion anti-dieux corrompus strictement interdite) (234)

Qui est le Dieu mineur le plus mignon ? (66)

Comment économiser des points de destin de manière efficace (16)

Les gars, vous ne savez pas comment lire les règles ? (7)

Fil de discussion : Joueurs d’élite (niveau 3 et plus) (18)

Fil de discussion : Plaintes des Noobs de niveau 2 (7)

Je vais noter votre village ! (32)

Un truc cool que j’ai fait avec les miracles… (14)

Je pense qu’il y a un problème avec mes villageois ? (3)

Besoin de conseils pour mon village ! (22)

Je viens d’apprendre que les femmes naines peuvent aussi se faire pousser la barbe (5)

Voyons qui a le villageois le plus fort ! (33)

Mon villageois m’a parlé de son divorce, mais je suis célibataire… (4)

Les trucs religieux dans ce jeu sont plutôt bizarres (5)

Des hommes-chats et des hommes-chiens sont soudainement apparus dans mon village ! (23)

« Je ne m’attendais pas à un truc comme ça », m’étais-je murmuré.

Il devait y avoir au moins une centaine de sujets de conversations ici. Certains d’entre eux semblaient sérieux, d’autres moins. C’était beaucoup trop décontracté à mes yeux. J’avais cliqué sur le premier sujet avec curiosité. Un avertissement s’était affiché.

Ne pas poster de vrais noms ou adresses.

Ne publiez pas d’informations permettant de vous identifier personnellement.

N’hésitez pas à laisser des messages injurieux sur les dieux corrompus.

Ne postez pas de fausses informations dans ce fil de discussion.

Les autres joueurs ne pourront pas lire les informations qu’ils ne sont pas autorisés à connaître.

Ce forum est réservé aux joueurs se trouvant du côté des dieux majeurs. Toute personne jouant un dieu corrompu ne peut pas voir ce forum.

Une centaine de pensées s’étaient précipitées dans ma tête d’un seul coup, et toutes n’étaient pas excellentes. Selon les points 1 et 2, les joueurs n’étaient pas autorisés à publier des informations permettant de les identifier personnellement, mais je savais déjà que cette règle avait été enfreinte. Ce type dans le parc avait dit que tout le monde parlait de moi. La divergence avait probablement quelque chose à voir avec la règle numéro 6. Les joueurs qui contrôlaient des dieux corrompus utilisaient un forum différent du nôtre, ce qui signifiait que nous ne pouvions pas communiquer avec eux ici. Les règles 4 et 5 me firent aussi réfléchir, mais je pourrais en parler plus tard. Je voulais simplement lire le fil de discussion lui-même pour le moment.

1 : Les gobelins verts doivent être les monstres de l’affiche de ce jeu.

2 : Ouais, ils sont plutôt intelligents et donc ennuyeux à gérer.

3 : Intelligents à la même manière des singes, ouais.

4 : Hey, ça les rend aussi intelligents que certains humains.

5 : C’est ça ! Qui se moque de moi ?!

6 : Écrit donc requin au lieu de singe !

C’était comme n’importe quel autre forum Internet : vingt pour cent de discussions sérieuses, quatre-vingts pour cent d’absurdités hors sujet. Mais comme il y avait cependant des informations utiles sur les monstres, j’avais pris note d’y revenir plus tard. J’avais fait défiler l’écran jusqu’à ce que je tombe sur le fil 27 : Fil de la FAQ des débutants.

« Ça, ça a l’air utile. »

« Vos points sont nommés d’après votre dieu. »

Comme j’étais le Dieu du destin, mes points s’appelaient Points du destin. C’était plutôt logique.

« Le nombre de dieux dans le jeu est actuellement indéterminé. Cependant, chaque dieu n’a qu’un seul joueur humain. Aucun dieu n’est contrôlé par plus d’un joueur. »

En d’autres termes, j’avais le contrôle exclusif du Dieu du destin.

« Les joueurs sont séparés entre ceux alliés aux dieux corrompus et ceux alliés aux dieux majeurs. Les joueurs alliés aux dieux majeurs sont généralement découragés de se battre entre eux, mais il n’y a pas forcément de punition pour cela. »

Cela signifiait donc qu’il pouvait y avoir une punition, ce qui était probablement suffisant pour dissuader les gens de se retourner les uns contre les autres, même si je m’interrogeais sur l’utilisation du mot « généralement ».

« On pense qu’il y a seulement cinq niveaux, mais seulement quatre ont été confirmés. »

J’avais encore un long chemin à parcourir, hein ?

« Utiliser des miracles à des fins criminelles vous fera perdre immédiatement la partie. »

Cela semblait être une règle réservée aux joueurs du côté des dieux majeurs. Contrôler les gens pour voler un livre doit être considéré comme un crime, non ?

« Le contenu de certains fils sera invisible pour les joueurs en dessous d’un certain niveau. Le texte visible est codé par couleur. Le noir signifie que le texte peut être vu par tous les joueurs. Le jaune l’est pour ceux de niveau 3 et plus. Le rouge l’est pour ceux de niveau 4 et plus. »

Cela expliquait les différentes couleurs. J’avais essayé de cliquer sur le fil de discussion pour les joueurs de niveau 3 et plus. La plupart des textes étaient rouge ou jaune et un message disant « Vous ne pouvez pas lire ce message » apparaissait au-dessus. J’avais encore des tonnes de questions, mais quelques fils déverrouillés semblaient prometteurs. J’irai les voir plus tard. Mais d’abord, je devais créer mon propre message.

« Comment dois-je écrire ça ? »

J’avais l’habitude de créer des fils de discussion sur les forums réguliers, mais c’était une expérience complètement nouvelle.

« Un joueur jouant un dieu corrompu est venu me harceler dans la vie réelle. N’est-ce pas contraire aux règles ? Ça devrait le faire. »

Je reçus mes premières réponses en quelques secondes.

543 Bien sûr qu’ils l’ont fait lol

545 Nope

546 Tu es sûr que ce « joueur » n’était pas tout simplement issu de ton imagination ?

« Salauds… »

Ce genre de réponses était courant sur les forums habituels. Je m’étais dit que je n’avais pas besoin d’être aussi formel. Je ne me sentis alors plus trop nerveux. Il semblerait vraiment que ce qui m’était arrivé était rare.

547 Attendez, pourquoi pensez-vous qu’il ment ? Ces forums ne permettent pas de poster de fausses informations, non ?

548 Oh oui. Attendez, tu veux dire qu’il dit la vérité ?

549 Ok, maintenant je dois savoir ! Dis-nous tout, 542 !

Ils commençaient à me croire. 542 était mon numéro de poste.

« Comment suis-je censé expliquer ? Le dieu corrompu a trouvé mon adresse et est venu voler mon livre saint. Il a dit qu’il y avait un groupe de personnes prêtes à payer dix millions de yens pour l’avoir. C’était bien, non ? »

552 Il est venu voler votre livre saint ? Pour 10 millions de yens ? ! Pervers.

553 Tu as dû écrire quelque chose contre les règles, parce qu’une partie a été censurée.

554 Il est venu pour voler son cul lol.

555 Quelqu’un a dit yaoi ?

556 Non. Sors d’ici.

De quoi parlaient-ils ? Le fil de discussion s’éloignait du sujet.

Oh, attendez. Il y avait cette règle interdisant aux joueurs de lire des informations qu’ils n’étaient pas autorisés à connaître, non ? Je n’avais donc pas le droit de leur parler de la situation avec mon livre saint ? Je suppose que c’était une situation sans précédent.

En y repensant, le fait de voir à quel point ce punk était honnête avec moi était étrange. J’avais fait savoir aux autres utilisateurs du forum qu’il y avait certaines informations que je ne pouvais pas leur dire avant d’essayer de les expliquer avec le plus de détails possible. Je leur avais dit que j’avais été la cible de deux joueurs corrompus distincts au cours des deux mois qui suivirent mes débuts dans le jeu. Je leur avais raconté ce qui s’était passé depuis la veille du Nouvel An tout en essayant de ne pas déclencher à nouveau la censure.

560 Cela semble sérieux. Il y a un fil de discussion où tu peux parler aux développeurs directement, alors pourquoi ne pas demander là ?

561 C’est fou. Mais si c’est vrai, on dirait que tu as de gros problèmes.

562 Fait nous savoir ce que les développeurs disent.

563 Je veux savoir aussi.

564 Je suis assis ici tout nu, et je ne bougerai pas tant que tu ne seras pas revenu.

565 Habille-toi.

566 Et si je suis une fille avec des seins bonnet E ?

567 Envoie des photos.

Et nous étions encore sortis du sujet. Quoi qu’il en soit, les conseils étaient rassurants, même si l’interaction s’est faite par texto. Comme j’avais toujours pensé que j’étais le seul à jouer, le fait de savoir qu’il y avait tant d’autres joueurs prêts à aider faisait du bien. Ce simple fait me remplissait de détermination.

J’avais trouvé le fil qui permettait de contacter les développeurs et je leur avais raconté tout ce qui s’était passé ces deux derniers jours sans épargner le moindre détail.

Rien ne sera censuré de leur part ?

Comme je n’attendais pas de réponse immédiate, j’étais allé parcourir d’autres fils en attendant. Puis mon téléphone sonna. Le nom du contact s’afficha : « Développeurs ».

***

Chapitre 4 : Coup de fil des Développeurs et ma nervosité

Est-ce que les vrais développeurs m’appellent ?!

« Leur timing est bien trop parfait ! »

Je n’avais pourtant jamais mis le numéro des développeurs dans mon téléphone. D’ailleurs, je ne connaissais même pas leur numéro. Mais il n’y avait aucune erreur dans le texte sur l’écran de mon téléphone. Ce dernier n’arrêtait pas de sonner, mais je ne trouvais pas le courage de répondre. Le fait que je puisse penser que plus rien ne pouvait me surprendre après ce qui s’était passé ces deux derniers jours montrait à quel point j’étais naïf. J’avais pris une profonde inspiration et j’avais décroché le téléphone.

« A… Allô ? »

« Bonjour ! Je suis un développeur du Village du Destin ! »

Une voix joyeuse heurta mon tympan.

C’était une femme, dont le ton décontracté donnait l’impression qu’elle appelait pour discuter avec un vieil ami. Elle avait l’air jeune, mais je n’avais pas assez d’expérience avec les femmes pour en juger par sa voix.

« Oh, hum, bonjour. Vous êtes développeur ? »

« C’est exact ! J’allais vous envoyer un e-mail, mais j’ai pensé qu’il pourrait être intercepté. Laisser des preuves textuelles ne mène qu’à des problèmes ! J’ai donc pensé qu’un coup de fil serait plus sûr ! »

« D-D’accord. »

Mais comment avait-elle eu mon numéro ? Pourquoi mon téléphone savait-il que l’appel venait des « Développeurs » ? J’avais une tonne de questions à lui poser, mais je les avais retenues.

« Je vais être brève, au cas où nous serions surveillés. Si vous venez ici, je pense que nous pouvons faire renvoyer Carol et le livre dans l’autre monde. Nous viendrions vous voir si nous le pouvions, mais j’ai bien peur que cela ne soit pas possible ! »

« Vous pouvez la renvoyer chez elle ? ! Vraiment ? ! Merci beaucoup ! »

Je n’avais pas pu m’empêcher de crier de joie.

« Ne vous inquiétez pas. En fait, tout ceci était un peu notre faute. Je suppose qu’on peut appeler ça un bug. Nous n’avons jamais pensé que quelque chose comme ça arriverait. Nous essayons de le corriger en ce moment même. C’est la folie ici ! Nous étions très occupés à essayer de faire en sorte que vous puissiez aussi utiliser le livre dans ce monde. »

Cela expliquait pourquoi le jeu avait été hors service pendant un certain temps.

« Eh bien, je suppose que découvrir ce genre de bug est le rôle des testeurs, non ? »

C’est vrai, le jeu est toujours en alpha. J’avais complètement oublié !

« Où êtes-vous basé ? », avais-je demandé.

« Vous devriez déjà le savoir. Écoutez, je vais raccrocher avant que les choses ne deviennent risquées, mais je suis impatiente de vous rencontrer, Yoshio-kun ! Oh, et assurez-vous de ne parler à personne de notre conversation ! Si vous la postez sur les forums, personne ne pourra la lire. »

« Ok. Et-oh, elle a raccroché… »

J’avais encore des questions, mais j’avais au moins un point de départ. Elle avait quand même dit beaucoup de choses bizarres… Sa façon de parler super familière m’avait fait perdre la tête. J’avais été nourri de cette image que les développeurs étaient des Dieux, je m’attendais à quelque chose d’un peu plus majestueux.

« Est-ce que je vais vraiment rencontrer des dieux quand je serai là-bas ? »

J’avais sorti un petit bout de papier du tiroir de mon bureau. C’était l’adresse de retour d’un des colis.

« C’est là que je dois aller. »

Je me sentais dépassé par la rapidité avec laquelle les événements se déroulaient, mais j’avais enfin un objectif clair. J’avais vérifié le solde de mon compte bancaire et j’avais cherché les itinéraires et les prix pour me rendre à Hokkaido.

« On dirait que je peux choisir le train où l’avion. Oh, on pourrait aussi prendre le ferry. »

J’avais déjà pris l’avion et le train, mais seulement avec ma famille ou mon école. Je n’avais jamais passé par le processus d’achat d’un billet et de planification d’un voyage par moi-même. J’étais anxieux, mais les adultes faisaient cela tous les jours.

Je m’étais répété cela.

J’avais poursuivi mes recherches, tout en ressentant la douleur familière de ma propre inutilité.

*****

Le lendemain matin, j’avais été surpris de me rappeler qu’on n’était que le 2 janvier.

« Trois jours se sont seulement écoulés depuis que toutes ces folles choses sont arrivées. »

J’avais vécu ces dernières 48 heures suffisamment de choses pour tenir un mois entier, sans parler de tout ce qui s’était passé depuis que j’avais commencé à jouer au Village du destin. Ma vie entière avait changé. Il n’était pas exagéré de dire que j’étais devenu une personne entièrement différente. Entre le harceleur de ma sœur et Yamamoto-san, j’avais traversé deux événements qui avaient mis ma vie en danger, plus un tas d’événements inexplicables.

On dit que l’adversité était censée vous rendre plus fort, mais je n’en avais pas l’impression. Au contraire, elle m’avait fait réaliser à quel point j’étais inexpérimenté, ce qui m’avait alors donné envie de changer. Je voulais devenir un adulte digne de mon âge physique. Le fait que je me battais pour organiser un voyage à Hokkaido montrait tout le chemin qu’il me restait à parcourir.

« Il y a des billets d’avion moins chers que le train à grande vitesse. Huh. »

Le prix de l’avion variait considérablement en fonction de la compagnie. J’avais toujours pensé que l’avion était une façon classe de voyager, mais je suppose que les choses avaient changé. Le Nouvel An pourtant était une période de grosse affluence dans les avions, et les jours à venir étaient bien plus chers qu’à la normale., mais cela restait toujours moins cher que ce à quoi je m’attendais.

« On dirait que tous les billets d’avion sont vendus ou presque. Prendre l’avion pourrait être difficile. »

Même si je parvenais à obtenir des billets, il y avait toujours le problème de Destinée. Je doute que les reptiles soient autorisés dans les avions. Et même si je le rangeais dans mon sac, ils vérifiaient vos bagages dans les aéroports. Je ne pouvais pas le faire passer à la sécurité.

Peut-être que je pourrais demander à Carol de le tenir et de prétendre que c’est juste un animal en peluche ?

J’avais étudié Destinée, qui était assis sur le coin de mon bureau et me regardait attentivement. Il avait une peau dure et hérissée et des yeux énormes.

« Ouais, tu ne ressembles pas vraiment à une peluche. »

Prendre l’avion serait le moyen le plus rapide, mais cela était hors de question. Le prochain prétendant était le train, de préférence le train à grande vitesse. J’avais vérifié s’il y avait des sièges réservés disponibles, mais ils étaient tous pris. Il était possible de se rendre sur place le jour même pour essayer d’obtenir un siège non réservé, mais le nombre de passagers attendus était supérieur de 50 % à la capacité. Il était plus facile d’obtenir un siège maintenant qu’hier, mais la situation s’était à nouveau dégradée vers le 4 janvier. Je suppose que les gens allaient reprendre le travail le 5. Ils voulaient avoir le temps de rentrer chez eux afin de se préparer. C’était sûrement normal pour la plupart des gens, mais pour moi, qui avais passé les dix dernières années à l’écart de la société, cela ne m’avait même pas traversé l’esprit.

Nous devions partir pour Hokkaido le plus tôt possible. Et il n’y avait pas que les dieux corrompus qui m’inquiétaient, il y avait aussi ma famille. Ils revenaient le 4. Si nous n’étions pas partis d’ici là, je devrais justifier la présence de Carol. Je voulais évidemment la présenter, mais en réalité, cela ne ferait qu’augmenter les problèmes.

Papa froncerait les sourcils. Maman serait méfiante. Sayuki me détesterait carrément sans attendre d’explication.

J’avais donc pris la décision de partir avec Carol le lendemain, le 3. Nous nous préparerions à ce qu’il y ait beaucoup de monde, mais nous essaierions quand même d’avoir des places. Cela signifiait que c’était le dernier jour de Carol ici. Je voulais qu’elle s’amuse. Je voulais qu’elle aime mon monde.

*****

On était le 3 janvier, c’était le jour de notre départ. La veille, j’avais emmené Carol faire le tour de quelques magasins et du centre commercial, mais elle était si excitée par tous les paysages et les sons que le simple fait de la regarder me donnait le sourire.

« Tu t’es amusée hier ? »

Carol hocha la tête avec enthousiasme. Nous avions fini le petit déjeuner, et elle était tout habillée et prête à partir. Elle sortit alors de sous le kotatsu, mit son sac à dos préféré en forme d’ours et me fit une petite pirouette.

« C’était vraiment, vraiment amusant ! Le monde des dieux est incroyable ! Tout est si grand, et il y a des tonnes de gens, et tout est si brillant ! C’est comme un monde de contes ! »

Malgré l’heure matinale, elle était pleine d’énergie. Les vêtements que nous avions achetés au centre commercial hier lui allaient parfaitement. Elle portait un pull pastel et une jupe longue avec un motif rose. Elle avait vraiment l’air d’une enfant modèle, mais cela serait vrai pour n’importe quelle tenue. Il lui avait fallu une heure entière pour les choisir.

Je devais me rappeler combien de temps les femmes pouvaient prendre dans un magasin, même les enfants. J’avais choisi le centre commercial parce qu’il serait bondé, ce qui découragerait les dieux corrompus de me cibler. Il y aurait trop de témoins.

Ce n’était pourtant pas moi qui avais eu cette idée. J’avais passé beaucoup de temps sur les forums après mon message initial et j’avais recueilli un tas d’informations précieuses. Par exemple : les miracles sont moins efficaces dans le monde réel que dans le monde du jeu. Les utiliser sur plusieurs personnes ou sur une zone étendue était également très coûteux, et difficile pour les joueurs de niveau 2 et 3. C’était pourquoi les autres utilisateurs m’avaient suggéré de rester dans les endroits bondés. Si un ennemi me surprenait accidentellement lors d’un miracle, cela compterait comme une utilisation contre un autre joueur, et il obtiendrait un game-over instantané.

J’avais utilisé tous ces conseils pour offrir à Carol une journée amusante, en m’assurant qu’elle n’avait pas besoin de penser à ses parents ou au village. C’était tout ce que je voulais pour elle.

« J’ai déjà dit à Seika et à mes parents que je partais à Hokkaido. »

J’avais téléphoné à papa hier soir pour lui dire que j’allais dans le village qui m’envoyait toujours des trucs.

« Je vois. Assure-toi de ne pas avoir d’ennuis. »

Ce fut tout ce qu’il me dit, il ne posa pas de questions complémentaires. Malgré sa brièveté habituelle, il avait l’air heureux pour moi. Mais peut-être que c’était juste un vœu pieux.

Comme Seika connaissait déjà Carol, le voyage fut donc facile à expliquer. Elle avait même réussi à nous obtenir deux places réservées dans le train à grande vitesse. J’avais du mal à le croire et je l’avais remerciée abondamment.

« L’achat de billets est un art, et je connais quelqu’un. N’oubliez pas de vous couvrir chaudement, d’accord ? Et ramène-moi un petit souvenir sympa. Faites un bon voyage ! », m’expliqua-t-elle

J’avais passé toute la journée d’hier avec Carol, puis on se coucha tôt. À huit heures, elle faisait des câlins à Destinée et s’installa. Ce fut alors que j’avais eu l’occasion de recueillir des informations. Les forums étaient animés la nuit.

Il s’était avéré que je n’étais pas le seul à avoir des doutes sur le jeu. La majorité des joueurs semblaient avoir compris que le jeu se déroulait dans un monde parallèle et n’était pas qu’un simple programme informatique. Tous les dieux avaient accès à différents miracles. Par exemple, le dieu des ruisseaux clairs, qui dépendait du dieu de l’eau, avait le pouvoir de contrôler et de purifier l’eau. Ce joueur était très excité, il était de niveau 3 et écologiste. Il aimait utiliser ses miracles de purification pour promouvoir la santé du monde naturel.

J’avais découvert qu’aucun autre joueur n’avait accès à un golem ou à un miracle permettant de contrôler la météo. Cela semblait être l’apanage du Dieu du destin, bien que je ne sois pas sûr du rapport entre ces choses et le destin. J’avais pourtant ma théorie sur ce sujet.

Le destin était lié à la chance. Si vous n’aviez pas de chance, vous pouviez être surpris par la pluie. Avec de la chance, il y avait du soleil. En ce sens, contrôler la météo était semblable au contrôle de la chance ou du destin de quelqu’un. Et le destin était lié à la vie elle-même. Le simple fait de naître signifiait que vous étiez destiné à avoir une vie. Invoquer le golem, c’était donner une vie temporaire à une statue. Tout cela devenait fort logique pour moi, mais je pouvais demander directement aux dieux développeurs quand je les verrais.

Tous les dieux joueurs avaient accès à un livre saint et à la possibilité d’envoyer une prophétie par jour. Plus j’entendais parler des autres dieux et de leurs miracles, plus j’étais satisfait de mon propre élément. Les autres dieux avaient des miracles qui semblaient utiles dans le monde réel, mais les miens étaient plus adaptés au développement de mon village. Pourtant, j’avais l’impression de ne jamais avoir eu la chance d’utiliser mes miracles à leur plein potentiel.

« Pourquoi regardes-tu dans le vide, Yoshio ? On ne sort pas ? »

La question de Carole me ramena à la réalité. J’étais tellement plongé dans mes pensées que j’avais perdu de vue mon environnement. Elle et Destinée me regardaient anxieusement, la tête du lézard dépassant de son sac à dos en peluche.

Destinée venait avec nous. Sans son pouvoir, je n’aurais pas échappé à tous ces dangers. C’était notre garde du corps, ainsi que le compagnon de sommeil de Carol.

J’avais tapoté sa tête doucement.

« Tu es aussi né dans l’autre monde. »

Comme il était arrivé ici dans un œuf, il ne pouvait donc avoir aucun souvenir de l’endroit où il était né, mais j’étais sûr qu’il aimerait un endroit où il pourrait courir et explorer. Je considérais Destinée comme mon lézard domestique, mais c’était un basilic, une créature qui ne devrait pas exister dans ce monde. Il n’avait pas sa place ici. J’avais l’intention de demander aux développeurs de le renvoyer, s’ils le pouvaient.

« Allons-y, alors. Tu as tout pris, Carol ? »

Nous avions vérifié nos bagages à la porte d’entrée, cette même porte qui était pour moi une porte lourde et dominatrice. Deux mois plus tard, elle ne représentait plus aucune menace. J’avais attrapé la poignée de la porte et l’avais ouverte d’un coup sec.

« C’est parti ! »

***

Chapitre 5 : En voyage

Partie 1

« Wôw ! Il y a encore plus de monde qu’au festival ! »

« En effet. Alors, assure-toi de ne pas lâcher. »

« OK ! »

Carol s’accrocha à l’ourlet de mon manteau, regardant autour d’elle avec étonnement. Je voulais lui parler correctement, mais j’étais pour l’instant occupé à vérifier les horaires. Nous étions devant les distributeurs de billets de la gare. C’était une gare de trains à grande vitesse, ce qui signifiait qu’elle était immense et bondée. Il y avait plusieurs femmes habillées en kimono, probablement en route vers un sanctuaire pour la nouvelle année.

Attends, arrête de te laisser distraire ! Concentre-toi sur ce que tu dois faire !

Je me suis approché du distributeur de billets afin de récupérer nos billets. C’était la première fois que je faisais quelque chose de ce genre. Les billets n’étaient pas donnés, mais c’était nécessaire. Seika me proposa de payer nos billets, mais j’avais poliment refusé. Comme elle avait déjà pris la peine de les réserver pour nous, je ne pouvais évidemment pas lui demander de payer.

Je dois simplement appuyer sur le bouton indiquant réservation en ligne ?

J’avais regardé sur le net comment faire, mais j’étais encore nerveux.

J’avais fini par y arriver et j’avais conduit Carol, qui ronronnait encore d’excitation, vers la zone d’attente. La partie la plus difficile était terminée. J’avais l’habitude de prendre le train pour aller à l’école, j’étais maintenant en terrain connu.

« Je vais te montrer ce que tu dois faire ensuite, d’accord, Carol ? Tu n’as qu’à me copier. »

« OK ! »

C’était une procédure simple, mais l’innocente Carol me regardait avec beaucoup de respect. Je m’en sentais vraiment indigne, mais ça faisait du bien. J’avais mis mon ticket dans la fente et j’avais essayé de passer le portail. Elle s’était fermée juste devant moi.

« Huh ? »

Je l’avais mis correctement, non ?

« Yoshio ? »

Carol leva les yeux vers moi d’un air interrogateur. J’aurais préféré qu’elle ne le fasse pas. Mon visage devint alors brûlant d’embarras et de confusion. Qu’est-ce que j’avais fait de mal ?

Dans ma panique, j’avais remarqué un membre du personnel de la gare qui s’approchait à grands pas.

« Vous devez mettre le ticket express sur le ticket normal et les mettre tous les deux en même temps. »

« Oh, c’est vrai. Désolé. »

Attendez, c’était pour ça qu’on en avait deux ? Je pensais que l’un des deux était uniquement destiné à être présenté à l’agent dans le train, comme j’avais vu dans les séries télévisées.

« Qu’est-ce qui ne va pas, Yoshio ? »

« Oh, euh… l’homme est venu s’excuser parce que la porte n’a pas accepté mon billet. »

Désolé, membre mystérieux du personnel de la station.

Comme il ne pouvait pas nous comprendre, je lui avais fait porter le chapeau. J’avais mis les deux billets cette fois-ci, et Carol fit de même. Nous avions vérifié dans quelle voiture nous étions, puis nous avions acheté des boîtes à lunch sur le quai en attendant. J’avais toujours voulu manger un panier-repas de luxe dans un train à grande vitesse. C’était peut-être banal pour la plupart des gens, mais pour une personne recluse, cela semblait impossible. J’avais toujours aimer faire quelque chose que les autres faisaient sans réfléchir. Il y avait une beauté cachée à cela.

« Hé, comment ce gros et long serpent peut-il aller si vite ? Est-ce de la magie ? », demanda Carol, les yeux brillants.

Les trains étaient un élément de base de notre société, mais elle n’en avait jamais vu auparavant.

« Ce n’est pas de la magie. C’est une technologie que nous utilisons dans le monde des dieux, un pouvoir que tout le monde peut utiliser. »

« Donc je peux aussi faire en sorte que le serpent aille plus vite ? »

« Tu le pourrais, à condition d’étudier et d’apprendre à le faire. »

« Wôw ! C’est tellement incroyable ! »

Bien que je n’avais rien à voir avec cela, le fait de l’entendre faire l’éloge de la technologie de mon pays était fort appréciable.

Lorsque le train s’était arrêté et qu’il était temps de monter, le visage de Carol se figea à cause de la nervosité. Puis elle rassembla son courage et se lança à l’intérieur.

« Il ne va pas nous manger, hein ? », demanda-t-elle nerveusement.

« Ne t’inquiète pas. Ce n’est pas vraiment un serpent. »

J’avais pris la main de Carol et l’avais conduit à nos sièges. Les sièges d’un train à grande vitesse étaient disposés par deux ou trois. Carol et moi avions deux places côte à côte.

« Nous y sommes. Tu peux avoir le siège côté fenêtre. »

« Vraiment ? ! Yay ! »

J’aurais apprécié avoir le siège côté fenêtre parce que j’avais souvent le mal des transports, mais elle l’apprécierait plus que moi. De plus, si un joueur jouant un dieu corrompu se présentait, je devais pouvoir me lever.

« Puis-je laisser Destinée sortir, Yoshio ? », demanda Carol, tout en déplaçant son sac à dos d’ours et en montrant la fermeture éclair.

« Hmm. Pose le sac à tes pieds et dézippe-le. Il pourra ainsi prendre l’air. »

« OK. »

Carol dézippa le sac, et Destinée sortit sa tête. Il étira ses pattes avant comme un vieil homme à l’étroit.

« Désolé. Essaie de te détendre un peu, Destinée. »

Ce dernier s’allongea sur le sol, se recroquevilla et ferma les yeux. J’avais aussi mis mon sac sur le sol, bloquant ainsi la vue. Si quelqu’un se rendait compte qu’on avait amené un énorme lézard dans le train, ce serait la panique.

« Wôw ! On bouge, mais on ne se balance pas du tout ! Et c’est si calme ! »

J’avais réalisé que nous avions quitté la station. J’étais tellement stressé, mes épaules étaient tellement crispées, que je perdais de vue mon environnement. Je devais être plus prudent. Je ne pouvais pas baisser ma garde, mais rester aussi tendu n’était pas une option. J’étais sur le point d’avertir Carol de baisser le ton pour ne pas déranger les autres passagers, quand j’avais remarqué quelque chose. Sa voix résonnait dans toute la voiture, mais elle n’était pas si forte que ça. L’environnement était juste étrangement calme.

Quand nous étions arrivés, le train était bondé, mais personne ne disait rien. Ça n’avait pas de sens. Il y avait même d’autres enfants ici.

« Carol, tu veux bien te taire une seconde ? »

« Oh, désolée. », dit-elle en mettant ses mains sur sa bouche.

Je n’avais même pas le temps de me sentir coupable.

Maintenant qu’elle ne parlait plus, le silence semblait encore plus flagrant. On n’entendait pas un seul bruit dans les environs. Le seul bruit audible était celui du train qui avançait à toute vitesse sur son chemin. J’avais retenu ma respiration tout en écoutant, jusqu’au moment où la porte du wagon suivant s’était ouverte. J’avais passé ma tête dans l’allée pour regarder.

« Ce n’est pas possible… »

Mon esprit s’était vidé devant l’impossibilité de la scène qui se déroulait devant moi. Un horrible monstre à la peau verte se frayait un chemin dans le wagon. C’était un gobelin. Un gobelin que j’avais vu des tonnes de fois dans le monde du jeu.

« Yoshio ! C’est un gobelin vert ! »

Carol pleurnicha, s’accrochant à mon bras et tremblant.

Je voulais la rassurer, mais bien que j’aie ouvert la bouche, aucun mot n’en était sorti. La peur me desséchait la gorge. Je n’avais jamais réalisé à quel point cette créature était terrifiante jusqu’à maintenant, alors qu’elle était juste devant moi. Comment une telle chose pouvait-elle exister dans la vie réelle ? C’était tellement fantaisiste que j’avais l’impression que l’espace à l’intérieur du wagon avait été arraché à la réalité. De la sueur froide perla sur ma peau. Je commençais à trembler.

Voilà donc ce que ressentaient mes villageois lorsqu’ils se battaient pour leur vie ? J’allais pour la première fois connaître ce qu’était réellement la peur. Je voulais désespérément m’enfuir. Si c’était comme ça que le monde extérieur pouvait être, j’étais prêt à tout jeter et à m’enfermer à nouveau.

Non…

« Yoshio… »

Carol tira sur ma manche, sa voix était petite et faible.

N’ai-je pas dit qu’il était temps d’arrêter de fuir la réalité ? ! Je dois la protéger !

J’avais dégluti, serré mes mains en poings et pris une inspiration.

« Carol. Baisse la tête et reste calme. »

« O-okay. »

Je lui avais donné une tape rassurante sur la tête, puis je m’étais levé et j’étais sorti dans l’allée. Le gobelin s’était arrêté à quelques mètres devant moi. Aucun des passagers n’avait sourcillé devant le monstre improbable qui se tenait au milieu du train. J’avais balayé mon regard sur eux, me demandant si un joueur jouant un dieu corrompu pourrait être parmi eux, mais ils semblaient tous dormir profondément. Comment ? Le fait que tous les passagers de ce train aient décidé de faire une sieste en même temps était strictement impossible.

Je m’étais retourné vers le gobelin vert, tout en l’étudiant attentivement. Il était un peu plus petit que moi, et à part une ceinture de peau d’animal autour de sa taille, sa peau verte était entièrement exposée. Ses bras et ses jambes étaient épais et musclés. Il portait une massue primitive dans une main. Il était plus grand que tous les gobelins que j’avais vus dans le jeu, mais il était plus petit que moi.

Cela restait quand même un monstre, ce qui était suffisant pour me faire perdre mon courage.

***

Partie 2

Chaque chose en son temps. Cette chose doit avoir un lien avec un joueur jouant un dieu corrompu. Je ne m’attendais pas à ce que quelqu’un fasse un geste aussi audacieux avec autant de témoins.

« Qu’est-ce qu’un gobelin vert fait au Japon ? », avais-je demandé, sans m’attendre à ce qu’il réponde.

« Donne-moi le livre et la fille. »

Il avait répondu ! Et beaucoup plus facilement que je ne le pensais. Ça voulait dire qu’il pouvait comprendre le langage humain ? Les gobelins émettaient des sons dans le jeu, mais je ne les ai jamais vu parler ensemble. C’était quoi cette chose ?

C’était probablement un monstre invoqué par un miracle, ce qui serait logique de la part d’un dieu corrompu. Mais ça reste terrifiant.

« Donne-moi le livre et la fille », répéta le gobelin avec impatience.

« Et si je dis non ? »

« J’utiliserai la force. »

Le gobelin s’avança vers moi lentement.

Il avait une massue, et je n’avais pas d’arme. J’étais plus grand, mais je n’avais pas de réelle expérience du combat. Je n’avais pas confiance en mes chances.

« Qu’est-ce que tu veux dire par “livre” ? », avais-je demandé, en faisant l’idiot.

« Ne sois pas stupide. Je veux dire le livre saint. Je ne te ferai pas de mal si tu me le donnes. »

Il était intelligent et calme, je pouvais lui parler bien plus facilement qu’avec ce voyou du parc. De toute façon, il était au courant pour le livre saint.

« Pourquoi es-tu là ? Tu es un gobelin vert. Est-ce que quelqu’un te contrôle ? »

« Je n’ai pas à répondre à tes questions. Donne-moi le livre saint et la fille. »

Il n’avait visiblement pas envie de prolonger inutilement la conversation. Je m’étais un peu calmé en réalisant qu’il pouvait me comprendre parfaitement, malgré son apparence.

« Tu souhaites donc recourir à la force si je refuse. N’est-ce pas contraire aux règles ? Tu n’as pas le droit de blesser directement les autres joueurs. »

« J’ai entendu dire que tu n’étais que de niveau 1. On dirait que mes sources ont besoin d’être mises à jour. »

Il savait qui j’étais, et maintenant il savait que j’étais niveau 2. J’avais pris une grande inspiration et j’avais regardé de mon côté. J’avais chuchoté à Carol, qui s’accrochait toujours à mon pantalon, et après un moment de réflexion, elle me répondit en chuchotant.

« Arrête ça. J’ai de nombreuses façons d’obtenir ce que je veux. »

« Pourquoi ne pas simplement foncer ? Viens prendre ton game-over. »

J’avais sorti le livre saint de ma poche et l’avais montré au gobelin. Je l’avais vu tressaillir, mais rien de plus.

S’il essayait de prendre le livre par la force, tout ce que j’avais à faire était de me défendre. En supposant que cette créature avait été invoquée par miracle, la partie serait terminée dès qu’elle poserait un doigt sur moi. Je ne me laisserais évidemment pas toucher, mais c’était un dernier recours. Je préférais que cette chose nous laisse tranquilles sans faire d’histoires.

« Tu n’es pas un vrai gobelin, hein ? Tout ceci n’est qu’une illusion ou un déguisement créé par un miracle. »

Je savais que différents dieux avaient accès à différents miracles, et que ces miracles correspondaient souvent aux attributs du dieu. J’avais déjà vu des capacités similaires à celle-ci dans des mangas, des animes et des jeux. C’était une petite avance que j’avais obtenue grâce à ma vie de reclus.

« Tu as vu clair en moi, hein ? »

« Attends, j’avais raison ? »

« C’était quoi ça ? »

« Oh, rien… »

Wôw, j’ai réussi à l’avoir. La silhouette du gobelin commença à s’estomper. Une seconde plus tard, celle-ci disparut pour laisser place à une silhouette d’homme d’âge moyen légèrement grassouillet. Il avait un costume usé et une calvitie naissante. L’allure typique du salarié moyen.

« Je ne m’attendais pas à ce que tu vois à travers mes pouvoirs. »

« Tu étais trop grand pour être un vrai gobelin vert. Ceux du jeu sont plus petits. »

Ce type de déguisement avait souvent l’inconvénient de ne pas pouvoir tenir compte de la taille de la personne. L’illusion devait vous recouvrir complètement, sinon certaines parties de votre personne réelle restent visibles. Dans le jeu, les gobelins verts étaient à peu près aussi grands qu’un enfant humain. Celui-ci était évidemment plus grand.

Et puis il y avait la façon dont il parlait. Les gens du Village du Destin ne parlaient pas une langue terrienne, je l’avais appris en observant Carole. Notre conversation chuchotée de tout à l’heure ne servait qu’à confirmer qu’elle ne comprenait pas ce qu’il disait. Ce qu’il disait n’était pas traduit automatiquement. Il parlait japonais.

J’aurais pu me tromper, mais le type lui-même l’avait admis. Je n’allais pas m’en plaindre.

Il me sourit amicalement : « Je suppose qu’il n’y a plus de raison de se cacher. Quoi qu’il en soit, que diriez-vous de me vendre ce livre ? »

« Je pensais que vous alliez utiliser la force ? »

« Je pourrais tout simplement vous le prendre. Je gagnerais plus d’argent de cette façon, mais j’ai pensé être gentil et proposer une négociation. De cette façon, nous pouvons tous les deux en profiter. »

En supposant qu’il disait la vérité, il n’avait plus l’intention de me faire du mal. Il valait effectivement mieux se parler que se battre, mais je devais tout de même ne pas baisser ma garde.

« Combien me donneriez-vous donc pour le livre ? »

« Disons cinq millions de yens ? C’est la moitié de sa valeur. »

Il le vendrait donc probablement pour 10 millions de yens. Le voyou du parc m’avait d’ailleurs mentionné ce même prix. Ce type était donc au moins honnête sur la valeur du livre.

« Vous avez été un NEET reclus pendant longtemps, non ? Cela signifie que vous avez besoin d’argent, non ? »

« Vous en savez autant sur moi ? »

« Bien sûr. Mon travail étant de, ah oui, je ne vous avais pas dit que je suis un vendeur. Mais je ne fais pas que vendre des produits, je collecte aussi des informations de temps à autre. Je n’aurais jamais pensé que vous deviendriez assez indépendant pour emmener une petite fille, venant d’un autre monde en plus, jusqu’à Hokkaido. »

Il fouinait donc dans mon quartier et collectait des informations sur moi ? J’étais content d’être parti de chez moi dès que j’avais pu.

« J’ai moi-même besoin d’argent. Le jeu et ses microtransactions, et les jeux d’argent, font partie intégrante de ma vie maintenant. J’étais enterré sous une montagne de dettes. Ma femme et ma fille en avaient marre de tout ça. Elles m’ont quitté. Et aujourd’hui, je ne travaille que pour payer mes dettes. Je n’ai jamais eu d’espoirs ou de rêves. »

N’est-ce pas entièrement de ta faute ?

Je n’étais pas en position de critiquer qui que ce soit, mais ce type était la définition même du déchet inutile.

« Puis j’ai eu un coup de chance. Non seulement je pouvais gagner de l’argent avec ce jeu vidéo extraordinaire, mais votre livre et cette petite fille vont me rapporter un gros bonus. Assez pour effacer complètement mes dettes. Je pourrais alors retourner jouer et dépenser de l’argent dans les jeux. »

C’était vraiment un bon gros bon à rien.

Est-ce que tous les joueurs jouant des dieux corrompus ont du mal à joindre les deux bouts ? Ce type, ce voyou, Yamamoto-san… tous les dieux corrompus peuvent échanger des points contre de l’argent.

Si c’était une coïncidence, elle était vraiment énorme. Et pourtant, j’étais aussi mal financièrement, et j’étais du côté des grands dieux. Peut-être que les finances n’étaient pas le seul facteur.

« Je comprends que vous ayez besoin d’argent, mais je ne vais pas simplement vous remettre ce livre ou la fille. Ils sont tous les deux irremplaçables pour moi. »

« Dans le métier, c’est ce qu’on appelle une rupture des négociations. C’est dommage, mais je suppose que je n’ai pas d’autre choix que d’abandonner. N’hésitez pas à me contacter si vous changez d’avis. Je mets ma carte ici. »

L’homme posa alors sa carte de visite sur le sol avant de se retourner pour quitter le wagon.

Est-ce vraiment tout ce qu’il voulait ?

L’homme s’arrêta juste avant d’ouvrir la porte.

« Je vais y aller maintenant. Contactez-moi si vous arrivez à survivre assez longtemps. »

Après avoir dit ces mots sinistres, il partit.

J’avais pris la carte avec précaution. Elle portait le nom d’une entreprise et un numéro de téléphone. Son propre nom était griffonné sur un côté.

« Est-ce que tout va bien, Yoshio ? »

Carol leva les yeux vers moi avec anxiété en s’accrochant à ma taille.

« Nous avons fini de parler. Je pense que c’est probablement bon maintenant. »

Ses derniers mots m’avaient troublé, mais j’espérais que cela n’aille pas plus loin.

« Souviens-toi juste qu’il y a beaucoup de mauvaises personnes comme ça. Assure-toi de rester près de moi, d’accord ? »

« OK ! »

Nous étions retournés à nos places. Tout était encore calme. Les autres passagers étaient tous endormis. Une vague de somnolence s’était abattue sur moi, mais je n’allais pas tomber dans le panneau comme un idiot. Je devais rester éveillé, au moins jusqu’à ce que nous arrivions à Hokkaido.

« Yoshio ? Yoshio, j’ai faim. »

Carol leva les yeux vers moi, son visage rougissant alors que son estomac laissait échapper un petit gargouillis.

« Bien, c’est l’heure du déjeuner. Tu veux ouvrir ta boîte à lunch ? »

J’essayais de rester aussi naturel que possible.

« Ouais ! »

Se battre avec un estomac vide étant impossible, nous avions donc pris notre déjeuner ensemble.

***

Chapitre 6 : Un rêve bien réel et ma foi

Partie 1

« Je pense que nous en avons fait assez ici pour nous en sortir », remarqua une jolie fille aux longs cheveux bruns.

Elle portait une robe rappelant celle d’une prêtresse, qui avait dû être blanche à un certain moment. Et si l’on omettait ses vêtements sales et les gravats dans ses bras, on aurait dit qu’elle appartenait à une église.

« Oui. Cette zone est en principe dégagé. »

À côté de la fille se tenait une jeune femme avec de magnifiques cheveux noirs attachés en arrière. Elle essuya la sueur de son front. En tant qu’elfe, ses traits étaient androgynes, mais je savais que c’était une femme.

« Pourquoi ne faisons-nous pas une pause ? », dit un homme depuis l’endroit où il réparait la clôture en rondins autour de la grotte.

Son visage et ses bras étaient couverts de cicatrices, et bien que son comportement soit distant, il avait un bon cœur.

« Oui, tu as raison. Les trous dans la clôture ont été couverts. Nous n’avons plus besoin de nous inquiéter des monstres de l’extérieur », dit la plus jeune fille.

« Le fait que la tour de guet ait survécu me rend vraiment heureuse, même s’il est dommage que nous ayons perdu les chevaux. »

Les restes de plusieurs bâtiments entouraient la grotte, il ne restait que leurs fondations. L’un d’eux avait abrité l’un des couples de la grotte, et l’autre était une écurie, bien qu’il n’y ait plus moyen de le savoir. La tour de guet était restée miraculeusement indemne.

Tous trois s’assirent sur des rondins qu’ils utilisaient pour les réparations, où ils furent rejoints par deux autres personnes.

« Bonjour, Kan, Lan. Allez-vous vous reposer avec nous ? »

« Oui. »

« Volontiers. »

Comme à leurs habitudes, ils ne dirent pas grand-chose. Ils s’étaient allongés tous les deux sur la terre nue. C’était un couple d’hommes bêtes ayant l’apparence de pandas roux, et c’était d’habiles charpentiers.

C’était normalement des créatures propres et aimant les bains, mais leur fourrure était actuellement si sale qu’il était difficile de dire de quelle couleur elle était, ce qui témoignait de l’ardeur avec laquelle ils travaillaient pour réparer le village.

« Je vais aller voir si Rodice et Lyra souhaitent se joindre à nous. »

La jeune fille s’apprêtait à se lever lorsque son frère lui attrapa la main.

« Non, laissez-les. On devrait les laisser tranquilles. »

« Oh… tu as raison. Penses-tu que j’ai fait le bon choix en envoyant Carol au Seigneur ? »

Son frère la prit par les épaules et l’attira dans son étreinte. Cette dernière ferma les yeux et se pencha sur lui.

« Nous ne savions pas que nous allions survivre à l’époque. Tu as fait ce qu’il fallait », dit doucement l’elfe en s’approchant des frères et sœurs.

« Merci, Murus. »

Les deux hommes bêtes acquiescèrent. Le groupe arpenta leur grotte endommagée, où un couple s’affairait à réparer en silence. L’un d’eux était un ex-marchand. Autrefois timide et velléitaire, il arborait désormais une expression de pierre en collectant les outils qui ne pouvaient plus être utilisés. Sa femme travaillait aussi près de lui qu’elle le pouvait. C’était la femme qui donnait confiance et soutien aux villageois.

Leurs visages étaient ternes et sans expression tandis qu’ils travaillaient.

« Tu devrais te reposer un peu, Lyra. »

« Toi aussi. »

Bien que clairement inquiets l’un pour l’autre, leurs voix manquaient d’énergie. Il était facile de dire qu’ils étaient en deuil et anxieux pour leur fille. Ils voulaient qu’elle sache qu’ils étaient en sécurité, mais ils n’avaient aucun moyen d’envoyer ce message.

« Lyra. S’il te plaît, crois que nous allons revoir Carol. Le Seigneur s’occupe d’elle pour l’instant. »

« Chéri… même si elle est arrivée là où se trouve le Seigneur, comment reviendrait-elle ? Je ne pense pas que nous la reverrons un jour. »

Les larmes jaillirent des yeux de la mère, et son mari courut afin de la serrer fortement dans ses bras.

« Nous la reverrons. Le Seigneur doit veiller sur nous, même maintenant. Nous devons avoir la foi. Tout va bien se passer. »

C’était généralement sa femme qui le réconfortait, mais dans des moments comme celui-ci, il était tout à fait capable de prendre le relais.

Attendez-moi. Je vous promets que je renverrai Carol à la maison saine et sauve.

*****

« Je savais que ce n’était qu’un rêve. »

Au moment où j’avais ouvert les yeux, les villageois avaient disparu, et j’étais de retour dans le train. Ce n’était rien d’autre qu’une vision créée par mon propre désir. Pourtant, la joie de revoir mes villageois après si longtemps m’avait envahi.

« Je n’ai pas le temps de me détendre. »

Je m’étais redressé, essayant de faire le vide dans ma tête.

Je n’avais pas l’intention de m’assoupir, mais mon estomac plein et ma tension mentale l’avaient emporté. J’avais vérifié mon téléphone. On venait juste de passer l’heure de déjeuner.

« J’ai dormi pendant vingt minutes, hein ? »

Carol était appuyée contre moi, profondément endormie. Le livre saint était toujours en sécurité dans ma poche, mais je m’en voulais encore d’avoir été stupide. C’était le moment de rester sur ses gardes.

Personne ne semblait pourtant avoir tenté quoi que ce soit pendant que je dormais. Ce type aurait tout de même pu revenir et me prendre le livre. Peut-être qu’il faisait vraiment marche arrière. Je voulais le croire, mais il ne semblait pas particulièrement digne de confiance. Peut-être qu’un autre facteur l’empêchait de revenir.

Je fixais le sol dans mes pensées quand Destinée sortit sa tête du sac à dos de Carol. Il me regarda droit dans les yeux.

« Tu faisais de la surveillance ? »

Ce dernier n’avait pas répondu. Quoi qu’il en soit, le fait que nous soyons en sécurité me rendait sincèrement heureux. L’anxiété ne troublant plus mon esprit, j’avais vérifié la situation autour de nous. Le profond silence qui régnait avant que je ne m’endorme avait disparu. Les passagers avaient recommencé à parler.

« Je suppose que le miracle qu’il a utilisé sur eux s’est dissipé. »

En supposant que c’était ça, je devais ajouter « narcolepsie surprise » aux pouvoirs de l’homme d’affaires. Mais il se pourrait bien qu’il ait pu avoir un complice.

Maintenant qu’ils sont réveillés, on devrait être un peu plus en sécurité.

J’avais laissé une petite vague de soulagement m’envahir, même si je me suis résolu à ne pas me rendormir.

*****

Après un long, long voyage en train, nous étions enfin arrivés. Nous avions changé pour un train local au terminus et avions voyagé pendant un peu plus d’une heure. On avait enfin fait nos premiers pas à Hokkaido.

« Yoshio, regarde ! Tout est blanc ! Whoa ! Et il fait si froid ! »

Carol courut devant la gare pendant que je restais là à frissonner.

Je suppose que c’est pour ça qu’on dit que les enfants doivent être à l’extérieur.

Mon visage était trop gelé pour lui offrir un sourire correct, mais j’avais réussi à faire un sourire crispé.

« Il fait si froid que ça fait mal. »

Les mots quittèrent ma bouche comme une brume blanche. Nous nous étions promenés dans la gare pendant un moment avant de sortir. Je venais de faire ma première expérience de températures vraiment glaciales.

La gare elle-même était un bâtiment neuf et très propre. Le quartier environnant était vivant et florissant. C’était une station bien plus impressionnante que celle de chez moi.

Une grande place et un rond-point se trouvaient justes devant la gare, le tout étant recouvert de neige. Le mot « magnifique » me traversa l’esprit pendant une fraction de seconde, avant que le vent glacial ne l’emporte. Ma ville natale pouvait être froide, mais ce n’était rien de comparable à Hokkaido. J’étais à peine sorti ces dix dernières années, et je n’étais pas du tout habitué à ce genre de temps. Le vent froid était implacable dans son assaut sur moi, sans se soucier de mes sensibilités.

« Retournons à l’intérieur de la station. »

« Quoi ? On vient juste de sortir d’ici ! »

« Nous avons beaucoup de préparatifs à faire. »

« D’accord… »

Carol était très obéissante et faisait rarement des caprices, ce qui rendait ce voyage beaucoup plus facile qu’il ne l’aurait été. J’avais repensé à mon jeune cousin et à la façon dont il se comportait. Il fouillait dans les frigos des gens quand il était en visite, mangeait bruyamment à l’heure des repas et refusait même de goûter ce qu’il n’aimait pas. C’était un tel petit monstre que même papa craqua et il déclara à sa sœur de ne plus l’amener chez lui. Il appelait ce gamin « petit singe ». Comparé à lui, Carol était un ange. J’étais vraiment impressionné par les compétences parentales de Rodice et Lyra.

Nous étions entrés dans un café dans la gare et nous nous étions assis à une table dans un coin. J’avais commandé des boissons chaudes, du gâteau et des fritures pour nous deux. Le gâteau était pour Carol, et les fritures pour moi.

« Tu vas bien, Destinée ? »

J’avais doucement dézippé le sac à dos ours de Carol sur le siège à côté de nous. Destinée était à l’intérieur, enroulée autour d’une chaufferette jetable. J’avais enlevé la panure de la nourriture frite et lui avais passé la viande. Ce dernier l’attrapa avec ses deux griffes avant et plongea ses dents dedans avec avidité. Il gardait le chauffe-mains près de lui. Il devait être sensible au froid comme les lézards normaux.

« Utilise la chaufferette autant que tu en as besoin, OK ? »

Destinée fit alors un signe de tête fatigué. Comme il avait l’air un peu fragile, j’avais pris une serviette dans mon propre sac afin de l’envelopper. Espérons que cela gardera un peu de chaleur. Comme il avait une pile de chauffe-mains, il pouvait en utiliser autant que nécessaire. Je lui avais appris à les activer avant notre départ et il pouvait s’en servir tout seul. Un voyage avec une petite fille et un lézard aurait pu être un cauchemar, mais ils étaient tous deux assez intelligents pour simplifier grandement le processus.

J’avais sorti mon téléphone au cas où je recevrais un appel. J’avais contacté mon patron à l’entreprise de nettoyage pour lui faire savoir que j’étais à Hokkaido, et il m’avait dit que le travail ne devrait pas être trop chargé même s’ils reprenaient le 5. Je pouvais donc me détendre et m’amuser un peu. Comme j’avais demandé des nouvelles de Yamamoto-san, le patron me dit qu’ils s’étaient croisés au sanctuaire. Apparemment, Yamamoto-san était étrangement joyeux et incroyablement impatient de retourner au travail. Son enthousiasme était en partie la raison pour laquelle le patron était d’accord pour me laisser me balader à Hokkaido pendant un moment. J’étais à la fois soulagé et un peu découragé d’entendre que je n’étais pas nécessaire.

***

Partie 2

« Peut-être que je suis en train de devenir un bourdon de l’entreprise… »

N’importe qui ayant un travail à plein temps me frapperait s’il entendait ça.

On avait alors bu notre thé chaud et on s’était un peu reposé, Carol s’enfonça béatement du gâteau dans la bouche tout en se mettant de la crème sur les joues au passage. J’avais essuyé son visage avec un mouchoir alors qu’elle se tortillait, embarrassée. Cela me fit glousser. Je me demandais ce qu’un étranger penserait s’il nous voyait ensemble. C’était une jolie fille aux cheveux dorés, et j’étais juste un trentenaire terne. Comme Carole semblait heureuse, la plupart des gens ne se méfieraient pas, mais personne ne pouvait nier que nous n’étions pas assortis. Et si la police m’interrogeait sur notre relation ? Et dans le pire des cas, quelqu’un pourrait penser que je l’avais kidnappée ? J’essayais de trouver une solution pour faire face à cette éventualité quand j’avais remarqué quelque chose dans le journal de mon téléphone.

« Whoa, tant d’appels manqués. Qui sont ils-oh. »

J’avais des appels manqués de Maman, Papa, Sayuki, et Seika. Et des messages, aussi. Je n’étais toujours pas habitué à utiliser un smartphone, et j’oubliais souvent de vérifier les notifications.

Quand j’avais dit à ma famille que je partais à Hokkaido hier, Maman et Sayuki m’avaient harcelé à ce sujet. Elles voulaient probablement prendre de mes nouvelles. Pourtant, répondre à tout le monde me prendrait trop de temps, j’avais donc tapé un message que j’avais envoyé à ma famille et à Seika ensemble.

« Je suis arrivé à Hokkaido, je me dirige vers le village maintenant. »

Ils savaient que j’allais à Hokkaido, mais ils ne savaient pas que c’était pour visiter un studio de jeux. J’avais aussi demandé à Seika de ne pas parler de Carol à ma famille. Cette dernière accepta, mais je ne savais pas si c’était parce qu’elle m’avait cru quand j’avais dit que je ne voulais pas avoir à supporter beaucoup de questions ou si elle avait senti que quelque chose de plus se passait en coulisses.

Destinée était mon deuxième problème. Dès que ma famille sera à la maison, ils remarquaient qu’il n’était pas dans son terrarium. Je savais qu’ils me questionneraient à ce sujet, alors je devais trouver une excuse.

« Destinée avait l’air un peu mal en point, les villageois m’ont demandé de l’amener afin qu’ils puissent l’examiner. »

C’était aussi une excuse pour mon départ si subit pour Hokkaido. Papa et Seika avaient tout de suite compris, étant eux-mêmes de grands fans de Destinée. Je voulais renvoyer Destinée dans l’autre monde avec Carol, et j’étais sûr que ces deux-là ne seraient pas contents.

Penser à cela me déprimait. J’avais pris une gorgée de mon thé pour réorienter mes pensées.

La question la plus urgente était notre prochain mouvement. Nous étions arrivés à Hokkaido, mais le bâtiment des développeurs était beaucoup plus loin. Hokkaido était aussi grande que la distance entre Tokyo et Osaka. Nous étions seulement arrivés à la bonne préfecture.

Le moyen le plus direct serait de s’y rendre un taxi, mais cela augmenterait encore nos frais de transport. Il nous fallait encore un endroit où loger et de l’argent pour le retour, et je ne voulais pas dépenser plus que ce que j’avais déjà.

Le studio se trouvait dans une petite ville dont je n’avais jamais entendu parler. Il faudrait donc beaucoup de changements de trains et de bus pour s’y rendre, ce qui augmentait le risque d’annulation des correspondances ou de décalage des horaires en cas de fortes chutes de neige. La météo ne prévoyait rien pour le moment, mais cela pouvait changer.

J’avais vérifié l’horaire des bus. Celui dont nous avions besoin arrivait dans vingt-cinq minutes. Et bien que le ciel soit dégagé, il faisait un froid insupportable dehors. Nous resterions dans la chaleur de la gare jusqu’au dernier moment.

« Yoshio, allons-nous encore dans une de ces calèches sans chevaux ? Um, une… voiture ? »

Sa manière de prononcer « voiture » sonnait un peu faux. Elle avait dû essayer de le dire en japonais. Nous regardions la télé hier, et je lui avais expliqué ce qu’étaient les voitures. Elle avait donc dû l’apprendre de cette manière.

« C’est vrai. Nous allons dans une grosse voiture. Ça s’appelle un bus. Mais comme il va falloir attendre un certain temps avant qu’il n’arrive, nous resterons ici en attendant. »

« Um, Yoshio, pouvons-nous attendre dehors ? Je veux voir plus de neige », m’avait-elle demandé gentiment tout en penchant la tête sur le côté.

Je ne pouvais pas dire non quand elle me regardait comme ça.

« Il fait vraiment froid dehors », l’avais-je prévenue.

« Je sais, mais je veux faire une poupée de neige ! »

Une poupée de neige devait être le nom donné aux bonhommes de neige dans l’autre monde.

Quand est-ce que j’avais fait un bonhomme de neige pour la dernière fois ? Probablement quand j’étais au collège. Avec autant de neige, on pourrait créer tout un village de neige.

« Très bien. Jouons dans la neige jusqu’à ce que le bus arrive. »

« Yay ! Je t’aime, Yoshio ! », dit Carol en applaudissant et en se jetant sur moi.

Sayuki avait aussi l’habitude de faire ça, s’accrocher à moi et appeler « Oniichan ! Oniichan ! ». Bien sûr, il n’y avait aucune chance qu’elle fasse quelque chose comme ça aujourd’hui.

J’avais suivi Carol qui s’était précipitée hors de la station.

« Il fait froid ! »

Je m’étais préparé, mais j’avais encore envie de faire demi-tour. Mon nez piquait, et mon souffle sortait en fumée blanche. J’avais suivi Carol du mieux que j’avais pu sur mes jambes tremblantes. Elle courait joyeusement sur la neige.

« Ce serait bien d’être à nouveau un enfant. »

J’avais l’air d’un homme d’âge mûr, mais je le pensais vraiment.

« Tu veux qu’on fasse une poupée de neige ensemble ? »

Carol avait couru vers moi, m’avait pris la main et m’avait traîné sur la place.

Il serait préférable de bouger avec elle que de rester immobile et de mourir de froid, avais-je pensé en me préparant à jouer avec elle.

« Prends ça ! »

Carol gloussa en me lançant une boule de neige.

« Ah ! Joli coup ! »

Je lui en avais renvoyé une en douce.

Carol sauta derrière notre poupée de neige pour l’esquiver et reconstituer ses munitions. Comme nous avions encore du temps après avoir réalisé notre chef-d’œuvre, nous avions fait une bataille de boules de neige et joué à la tague jusqu’à l’arrivée du bus. J’aurais épuisé mon énergie au bout de trois minutes l’année dernière, mais mon travail physique avait développé mon endurance. Carol était une enfant, ce qui signifiait qu’elle n’était jamais fatiguée. J’essayais de canaliser l’enfant qui était en moi afin de la suivre, mais je n’avais pas tardé à me traîner.

« Trêve, Carol. Le bus va bientôt arriver. », dis-je en haletant

« Ok ! »

J’avais balayé la neige sur elle, faisant une pause pour ouvrir la fermeture éclair de son sac à dos. Destinée était enveloppée dans deux serviettes et s’accrochait à trois chauffe-mains à la fois. Il avait l’air d’avoir froid.

« Tu vas bien ? », avais-je demandé doucement.

Il cligna alors deux fois des yeux en guise de réponse avant de fouiller plus profondément dans son sac à dos, d’en sortir une autre chaufferette, d’ouvrir habilement l’emballage et de l’activer avec ses mains. Il s’était alors mis en boule, dos à moi, en tenant la chaufferette contre son corps.

On dirait qu’il va bien pour l’instant.

« Fais-nous savoir si ça devient trop mauvais. »

Ce dernier tourna sa tête vers moi et hocha la tête.

J’avais regardé le ciel. Il s’était couvert, comme s’il allait neiger. Si c’était le cas, il ferait encore plus froid.

J’avais alors regardé la grande horloge sur le mur de la gare. Le bus devait arriver dans cinq minutes. Il était temps de commencer à faire la queue. J’avais regardé à notre arrêt pour voir qu’un bus attendait déjà. Il n’y avait pas d’autres passagers, ils étaient probablement déjà montés. Si nous manquions ce bus, il faudrait attendre près d’une heure avant le prochain, j’avais donc pris la main de Carol et je l’avais entraînée vers le bus en trottinant. Mes jambes semblaient devenir progressivement plus lourdes au fur et à mesure que nous avancions, et bientôt elles cessèrent de bouger toutes ensemble.

« Qu’est-ce qui ne va pas, Yoshio ? On ne monte pas dans le bus ? »

« Hum, oui… »

Nous devions monter dans ce bus et arriver à notre prochaine destination avant que le temps ne se gâte. Alors pourquoi mes jambes ne bougeaient-elles pas ? Était-ce de l’instinct ? Regarder ce bus me mettait mal à l’aise. Quelque chose n’allait pas.

Les portes du bus étaient fermées. Pourquoi personne n’attendait-il pour monter ? C’était un arrêt de bus dans une grande gare, il aurait dû y avoir beaucoup de passagers qui devaient aller dans cette direction. Avaient-ils vraiment tous continué leur voyage en voiture ou en train ? Sommes-nous les seuls à avoir prévu de prendre ce bus ? Peut-être que j’étais juste paranoïaque à ce stade, mais je ne pouvais pas me débarrasser de ce sentiment. Le bus mis à part, le fait que Carole et moi étions seuls sur la place était bizarre en soi.

« Yoshio ? Le bus. »

J’avais posé une main réconfortante sur la tête de Carole et lui avais dit d’attendre une seconde. Le bus devait partir dans moins de trois minutes. Nos corps s’étaient réchauffés pendant que nous jouions, mais je me sentais complètement gelé maintenant. Si nous restions plus longtemps ici, nous risquions d’attraper froid. Je devais prendre une décision.

J’avais sorti mon téléphone pour vérifier les itinéraires alternatifs. Peu importe comment on regardait les choses, ce bus était le plus rapide. J’avais rangé mon téléphone et regardé en direction de la station. Il y avait plusieurs personnes à l’intérieur, mais aucune ne sortait. C’était l’entrée principale, mais tout le monde semblait utiliser les autres sorties, qui étaient plus éloignées.

« Nous allons retourner à l’intérieur de la station pour le moment, Carol. »

« O-okay. »

Carol m’avait suivi docilement, mais elle était clairement confuse. Je ne pouvais pas la blâmer. La décision de prendre ou non un bus n’aurait pas dû être si importante.

Au moment où nous étions sur le point d’entrer à nouveau dans la station, j’avais réalisé que la porte vitrée avait disparu, remplacée par un mur de béton. Nous avions utilisé cette porte il y a moins d’une demi-heure. Je n’aurais pas pu oublier sa position. Elle devrait être ici.

« Où est passée la porte ? »

Carol se souvenait qu’elle était là, elle aussi. Je l’avais prise fermement par la main, je m’étais retourné et j’avais appelé le nom de la carte de visite que j’avais récupérée dans le train.

« Pourquoi ne vous montrez-vous pas, Habatake-san ? »

***

Chapitre 7 : Combat inévitable et mon courage

Partie 1

« On dirait que tu m’as encore eu. »

Le salarié lambda du train, Habatake, sortit alors du bus. C’était un sournois, mais il était apparemment assez joueur pour admettre quand il était pris.

« Ce bus est une autre illusion, non ? Mais qu’est-ce qui s’y cache vraiment, une sorte de minivan ? »

« Encore gagné ! Mon Dieu, rien ne t’échappe ? »

Ce dernier claqua des doigts, et le bus fut remplacé par une camionnette.

Elle ressemblait à la camionnette blanche que nous utilisions à mon travail, avec des rideaux tirés sur ses fenêtres. Et je n’avais pas moyen de savoir si quelqu’un d’autre se cachait là-dedans. Il avait clairement utilisé le même truc que la fois où il s’était fait passer pour un gobelin.

« As-tu utilisé tes illusions pour tromper les gens à l’intérieur de la station afin qu’ils ne viennent pas ici ? »

« Oui, c’est ça. »

Cela signifiait qu’il pouvait avoir au moins deux illusions actives à la fois.

« Tu ne travailles donc pas seul ? »

« Oh ? Qu’est-ce qui te fait penser ça ? Je suis très intéressé par ton raisonnement. »

Était-ce du sarcasme ? Malgré son ton poli, il était manifestement en train de se moquer de moi. Cela commençait à me taper sur les nerfs.

« Tu ne peux pas utiliser les miracles directement pour nuire à un autre joueur, donc tu dois trouver un moyen de contourner cette règle. Me faire marcher volontairement dans un bus déguisé serait tout juste acceptable. Ça doit être le genre de pari tordu dont tu es si fier. »

« Je vois, je vois. S’il te plaît, continue. »

Habatake hocha la tête d’un air moqueur.

« Tu avais prévu de laisser tomber l’illusion et de demander à ton complice de nous attraper de l’intérieur du bus une fois que nous serions assez proches ? »

« Oh, je suis impressionné ! Tu es plutôt intelligent pour un reclus. Dire que je pensais que tu n’arriverais jamais à rien. »

Il essaie vraiment de m’énerver. Tout ceci n’était qu’une blague pour lui.

Je n’avais jamais moi-même pensé que j’arriverais à quelque chose.

La neige devenait plus lourde, mais je sentais à peine le froid. Ma colère et la chaleur de Carol qui s’accrochait à moi me tenaient chaud.

« Mais comment as-tu su que le bus était un faux ? Je pensais avoir fait du bon travail dessus. »

Il avait raison. Mettez-le à côté d’un vrai bus, et je n’aurais pas été capable de faire la différence. Mais il n’avait pas tenu compte de la neige. Comme le bus était en fait un petit van, la neige semblait disparaître par le toit en tombant. Sans cela, je serais tombé dans le panneau.

Il y a quelques minutes, après avoir vérifié les options de notre itinéraire sur mon téléphone, j’avais activé le miracle météorologique pour faire tomber la neige. J’étais au niveau 2 maintenant — je pouvais aussi faire des miracles dans le monde réel.

« Quoi encore ? Tu veux encore négocier ? »

J’avais souri tout en essayant de jouer les durs. Je ne pouvais pas me permettre de montrer une quelconque faiblesse qui pourrait inquiéter Carol. De plus, nous avions une carte maîtresse. J’avais jeté un coup d’œil au sac à dos de Carol. Une petite main était sortie d’un trou dans la fermeture éclair et m’avait donné un coup de pouce confiant. Destinée était vraiment un allié fiable.

« Non, nos négociations ont déjà été rompues. Et même si je te proposais une meilleure offre, tu ne la prendras pas, pas vrai ? »

« C’est exact. »

« Tu as raison, je ne peux pas te nuire directement. C’est pourquoi je n’avais pas d’autre choix que de demander de l’aide, même si je ne le voulais pas. »

Habatake soupira et leva sa main gauche.

Trois hommes sortirent du minivan. Ils avaient tous des cheveux bruns, des vêtements tape-à-l’œil et le sourire aux lèvres. En un mot, ils avaient l’air faible. Ils semblaient très similaires aux types que Yoshinaga avait envoyés après moi. Si Habatake disait la vérité, ces hommes n’étaient pas des joueurs. Cela venait avec son propre lot de problèmes.

« Tu n’es pas autorisé à parler du jeu à des étrangers. »

« Exact. J’ai juste dit que j’avais un petit travail pour eux. Trouvez-moi le livre et la fille, et je les récompenserai généreusement. Cette fille n’a même pas de nationalité. La kidnapper ne sera pas techniquement un crime. »

Ce n’était rien d’autre qu’un groupe de durs à cuire payés. Et puisqu’il n’utilisait pas de miracle, le fait que ces hommes me fassent du mal ne serait pas contraire aux règles. Peut-être que les rideaux dans la camionnette servaient moins à les cacher qu’à les empêcher d’être témoins des illusions.

« Hé, ça a l’air si terrible ! On est juste là pour reprendre ce livre que tu as emprunté à un ami. Et tu as dit que cette fille était ta fille, non ? »

L’un des durs sourit, mais il était évident qu’il ne croyait pas à l’histoire que Habatake leur racontait. Il savait qu’il était complice d’un crime.

« Ah oui, désolé. C’est exact. Maintenant, je vais te donner une dernière chance de négocier. Aurais-tu l’amabilité de me passer le livre et la fille ? Je ne te donnerai évidemment rien. »

Sale bâtard avare. Il peut bien évidemment m’offrir n’importe quelle somme d’argent, je ne lui donnerais jamais ce qu’il veut.

J’avais serré Carol contre moi.

« Jamais de la vie. »

Habatake haussa les épaules et sourit : « Ce n’est pas ce que je pensais. Veuillez accepter mes plus sincères excuses. Messieurs ? »

« Oui, monsieur ! »

Les trois durs s’approchèrent lentement. Je savais ce que je devais faire. J’avais plongé ma main dans le sac à dos de Carol et en avais sorti un Destinée enveloppé dans une serviette. Je l’avais tenu en face de moi.

« Ne bougez pas. Dans le cas contraire, je ne me retiendrais pas. », avais-je prévenu.

Un des durs fronça le nez : « C’est quoi cette espèce de lézard dégoûtant ? »

Destinée battit sa queue de manière menaçante. Il n’aimait pas du tout être insulté.

« Quoi, tu crois qu’on a peur d’un petit reptile ? »

« Vous savez qu’ils ont bon goût si vous les écorchez et les faites frire ! »

« Ou on pourrait le vendre à une animalerie et se faire de l’argent. »

Les durs à cuire n’avaient pas ralenti leur approche ou montré de la peur. Ça me convenait, surtout qu’ils étaient sous le vent.

« Utilise ton haleine empoisonnée pour… »

« Dispersez-vous, les gars ! Cet homme a un spray qui peut vous paralyser ! », cria Habatake.

Les durs gardèrent immédiatement leurs distances et commencé à m’encercler.

Il était au courant pour Destinée ? ! Est-ce qu’il me regardait me battre contre ce punk ?

« Tu as une sorte de spray ? Penses-tu que nous sommes des criminels ? »

« Je ne suis pas du tout comme vous ! », avais-je crié.

Le souffle de Destinée ne toucherait qu’un seul d’entre eux s’ils étaient répartis comme ça, et cela dépendait de la direction du vent.

« Tu devrais regarder devant toi ! »

L’un des durs me sauta dessus par le côté, ayant comblé l’écart entre nous pendant que je réfléchissais.

Je lui avais rapidement tourné le dos pour protéger Carol de son coup.

« Ton dos est grand ouvert ! Maintenant-Hey ! Je ne peux pas bouger ! »

Je m’étais retourné afin de voir le dur gelé à mi-course du cou vers le bas. Pendant ce temps, Destinée s’accrochait à mon front, sa tête reposant sur mon épaule. Mais son regard pétrifiant ne fonctionnait que sur une personne à la fois. L’un des durs était maintenant gérer, mais les deux autres étaient toujours des menaces.

« C’est quoi ce bordel ? Je croyais que ce type était un bon à rien de NEET ! Tu nous as menti, vieil homme ! »

« Comment peut-il être gelé comme ça ?! »

Les deux autres durs reculèrent quand ils virent leur ami devenir aussi immobile qu’une statue. N’importe qui ayant un peu de bon sens aurait fait de même. Peut-être que j’étais la personne la plus étrange ici, car j’acceptais le fait que Destinée puisse faire quelque chose comme ça.

C’est maintenant où jamais. Si j’intensifie l’intimidation, ils devraient perdre la volonté de se battre.

« Mais venez donc. Votre ami semble tellement s’amuser. »

Je leur avais fait signe, mais ces derniers commencèrent à reculer lentement.

« Oubliez la fille ! Je paierai le triple à celui qui pourra obtenir ce livre en premier ! », cria Habatake.

Tu n’avais vraiment pas besoin de faire ça…

Les durs échangèrent un regard et hochèrent la tête avant de venir m’entourer de part et d’autre. Ils venaient de me voir utiliser un super pouvoir, et ils étaient encore prêts à tout risquer pour de l’argent.

Je suppose que l’argent est vraiment tout-puissant !

« Gack ! Mes yeux ! Ma gorge ! »

Le dur à ma gauche s’était étouffé en prenant le souffle empoisonné de Destinée dans le visage.

Il n’en restait plus qu’un à traiter, mais déparalyser le premier dur pour geler ce type me prendrait trop de temps. Il était juste au-dessus de nous.

« Prends ça ! »

Alors que je vacillais, Carol bondit en avant et s’accrocha à la jambe de l’homme.

***

Partie 2

« Lâche-moi, petite ! Je n’ai plus besoin de toi ! »

L’homme leva son poing pour l’abattre sur la tête de Carol.

« Ne t’avise pas de la toucher ! »

J’avais donné un coup de pied dans le côté de l’homme aussi fortement que possible.

Carol ayant toute son attention, il ne m’avait pas vu arriver. Mon pied était entré en collision avec lui, il s’était plié en deux et vola. Je m’étais précipité vers Carol et lui avais attrapé les épaules.

« Tu vas bien ? Tu n’es pas blessée ? »

« Je vais bien. Merci, Yoshio. »

Je l’avais examinée, puis j’avais laissé échapper un soupir de soulagement.

« Merci mon Dieu. Ne refais plus rien de tel, d’accord ? »

« Je suis désolée. »

Je l’avais prise dans mes bras. Elle tremblait. Se dresser contre un adulte avait l’air terrifiant, mais elle l’avait fait, et pour moi.

Merci, Carol.

« Oh, mon Dieu ! Vous avez abattu les trois ! Je suppose que c’est tout ce qu’on peut obtenir en engageant ce genre de personnes. C’est vraiment pénible. »

Malgré ses paroles, Habatake semblait parfaitement calme.

Je venais de vaincre ses hommes, mais il ne semblait pas du tout dérangé. Avait-il un autre tour dans sa manche ?

« Pourrais-tu m’aider maintenant ? »

« Je suppose que je n’ai pas le choix, hein ? »

Quelqu’un d’autre sortit du mini-van. J’en avais eu le souffle coupé.

Ses cheveux dorés étaient coiffés en épis, et son jean était troué.

« Encore toi ? »

« Hey. Content de te voir. »

C’était le voyou qui m’avait attaqué dans le parc près du sanctuaire.

« On dirait que tu as vu un fantôme. Quoi, tu ne t’attendais pas à ce que je me sorte du pétrin dans lequel tu m’as mis ? »

J’avais secoué la tête avant même de pouvoir m’arrêter.

« D’accord ! Et si je disais que ce téléphone était mon double et que l’écran que tu as vu dessus n’était qu’une illusion ? »

Oh.

J’avais jeté un coup d’œil à Habatake. Ce dernier me sourit et me fit un signe enthousiaste du pouce en retour. Je n’étais pas sûr d’avoir déjà rencontré quelqu’un de plus ennuyeux.

« Vous travailliez déjà ensemble à l’époque ? »

« C’est vrai. Tu ne peux pas faire un mouvement sans connaître ton adversaire et l’ampleur de la menace qu’il représente. », dit Habatake

Le voyou s’était mis à rire : « Je t’ai bien eu, hein ? »

Sa panique dans le parc était juste simulée. Ce type devrait quitter son groupe et devenir acteur.

« Qu’est-ce que tu veux dire par “eu” ? C’est toi qui es parti seul après avoir convenu que nous travaillerions ensemble, et tu as laissé un lézard renverser la situation. Tu n’étais même pas au courant de l’illusion que j’ai placée sur ton téléphone ! C’était censé être une mesure de sécurité, juste au cas où. », dit Habatake.

« Je pensais que tu avais dit que tu ne lui dirais rien… »

Apparemment, il n’était pas un si bon acteur. Si Habatake était avec lui quand il m’avait attaqué au sanctuaire, les choses auraient pu être bien pires.

Même avec toutes ces nouvelles informations, la situation restait inchangée. Cela signifiait simplement que j’avais un autre ennemi à affronter.

« Assez de bavardages pour le moment. Es-tu prêt à m’aider ? »

« Bien sûr. Allez, fais ton truc. »

Le voyou appuya sur quelques boutons de son téléphone. Le dur empoisonné et celui que j’avais frappé s’étaient redressés.

« Comme ces gars sont faibles, je peux les contrôler facilement. Empoisonner celui-là avec ton lézard était une perte de temps ! »

Ils savaient tout des pouvoirs de Destinée, ce qui me mettait dans une situation difficile. Ils avaient probablement déjà planifié cela sous la direction d’Habatake. Je pouvais encore faire en sorte que Destinée utilise son souffle empoisonné sur le punk, mais il gardait ses distances. Et comme il savait que j’allais essayer, il fit de son mieux pour rester dans le vent.

Je pourrais dire à Destinée de libérer sa pétrification sur le dur et de l’utiliser sur le punk à la place, mais il n’y avait aucune garantie que cela interrompe son miracle. De plus, j’aurais un tout autre dur à gérer. La seule option concevable était de sortir d’ici. Rapidement.

« Carol. Quand je donne le signal, nous allons courir aussi vite que possible, d’accord ? », avais-je chuchoté dans son oreille.

« Ok. »

Elle fit un petit signe de tête en retour.

« Oh, j’aurais probablement dû mentionner qu’essayer de courir est une perte de temps. Retourne-toi et vois par toi-même. »

Habatake pointa du doigt derrière moi.

J’avais jeté un coup d’œil par-dessus mon épaule aussi vite que j’avais pu, craignant que ce soit une tentative de me distraire. Il y avait deux hommes en bleu de travail qui tenaient des panneaux indiquant « Passage interdit ».

« Ils bloquaient la route pour éviter que des personnes innocentes ne s’y aventurent, mais je les ai appelés en renfort. J’essaie toujours d’avoir toutes mes bases couvertes. Saviez-vous que cette phrase vient du baseball ? »

Je ne me souciais pas de l’étymologie de son idiome, mais cela expliquait pourquoi il était si calme.

N’y avait-il rien d’autre que je puisse faire ?

Il y avait les trois durs devant moi, un pétrifié et deux sous le contrôle du punk. Derrière et à droite d’eux se trouvaient Habatake et le punk lui-même. Directement derrière moi, il y avait les deux hommes en bleu de travail. La gare était à notre droite, mais il y avait une bonne distance entre elle et nous. La voie de bus était à notre gauche, mais elle n’était pas très proche non plus. Je ne voyais personne d’autre que nous dehors, probablement à cause de la neige (qui n’était plus influencée par mon miracle).

« Sois gentil et abandonne maintenant, s’il te plaît. Nous allons prendre le livre et la fille. »

« Allez les chercher. »

Sur l’ordre du punk, les deux durs commencèrent à marcher vers nous, les yeux vides de toute émotion. Pire encore, ils étaient dans le vent.

Que dois-je faire maintenant ? Utiliser le regard de Destinée sur l’un et attendre que l’autre soit assez proche pour être affecté par son poison ? Je vais devoir retenir ma propre respiration. C’est risqué, mais je n’ai pas d’autre choix !

J’avais échangé un regard avec Destinée, tout en murmurant mes instructions. Ce dernier acquiesça. Les durs continuèrent à s’approcher petit à petit. Nous attaquerons au moment où ils feront deux pas de plus.

Mais les hommes disparurent, soudainement mis de côté par la silhouette d’une femme qui passait devant nous, la jambe tendue dans un coup de pied volant.

« Huh ? »

Je ne savais pas si c’était moi, Habatake ou le voyou qui avait dit ça. Ils étaient aussi surpris que moi, se tenant immobiles comme si le temps lui-même s’était arrêté. C’était plus qu’inattendu. Qui était cette personne ?

Sa frange était coupée parfaitement droite, et elle portait une jupe tailleur soigné. Les jambes fines qui s’étiraient sous la jupe étaient recouvertes de collants noirs. Elle semblait avoir à peu près le même âge que Sayuki : une vingtaine d’années.

« Hé ! Tu es encore sous le choc après avoir vu comment mes jambes sont superbes, non ? », dit-elle en me souriant et en me faisant un clin d’œil.

Être capable de dire quelque chose comme ça à un moment comme celui-ci… Elle devait avoir des nerfs d’acier.

« Qui es-tu ? », avais-je demandé.

Elle était de mon côté, non ? Je veux dire, elle vient juste de me sauver.

« Je t’expliquerai plus tard ! Mais je suis du côté des grands dieux ! Maintenant, partons d’ici ! »

Mais bien sûr. Il était important de savoir qui elle était pour le moment. Je pourrai lui en demander plus sur elle une fois qu’on sera loin de ces types !

« Tu avais des alliés qui travaillaient avec toi aussi ? Je suppose que j’ai été stupide de supposer que tu n’en avais pas. Tu n’as pas l’air du genre à avoir beaucoup d’amis. »

Habatake était libre de s’épancher sur la façon dont il comprenait soudainement la situation, mais j’aurais préféré qu’il s’arrête.

Et même si notre situation était meilleure maintenant, nous étions toujours confrontés à Habatake, au punk, à trois durs zombies et à deux ouvriers. Un de ces durs était encore pétrifié, les deux que la femme avait mis à terre se relevaient lentement. Deux contre sept, c’était toujours mieux qu’un contre sept, mais ce n’était pas génial.

« Je ne sais pas qui tu es, mais tu es une vraie plaie. Attrapez-la, les gars ! Elle est sur le chemin ! »

Sur les ordres du punk, les deux durs à cuire se dirigèrent vers la femme.

« Vous deux, ne restez pas plantés là ! Faites quelque chose ! »

Habatake cria alors aux hommes en bleu de travail qui avaient commencé à se déplacer presque malgré eux vers nous. On aurait dit qu’il n’avait pas beaucoup d’emprise sur eux.

Je m’étais placé devant la mystérieuse femme et j’avais fait face aux durs zombifiés. Son coup de pied était impressionnant, mais je ne pouvais pas rester en retrait et la laisser faire tout le combat à ma place.

« Ooh, tu me protèges ? Qui a dit que la chevalerie était morte ? »

« J’ai vécu sans fierté pendant si longtemps. J’aimerais en récupérer une partie. »

J’avais failli faire un pas en arrière quand l’un des durs sortit un canif, mais j’avais réussi à tenir bon.

Combien de fois ai-je été menacé avec des armes maintenant ? Franchement, les gars…

***

Partie 3

J’avais toujours pensé que l’autre monde était bien plus dangereux que celui-ci, mais la violence existait bel et bien ici aussi.

J’avais échangé un regard avec Destinée, qui était à mes pieds et qui fixait les durs à cuirs. Nous avions tous deux hoché la tête, comme si nous savions ce que l’autre pensait.

« C’est tout ou rien maintenant ! Vous - »

J’avais élevé la voix, essayant d’intimider l’ennemi.

L’arrivée soudaine d’une voiture me coupa la parole. Cette dernière quitta la route et traversa la place dans une traînée blanche, droit vers nous.

« Hé, Senpai ! Je suis venue te sauver ! N’es-tu pas heureuse de voir mon joli visage ? »

Une fille blonde et bronzée passa la tête par la fenêtre du conducteur. Malgré son choix juvénile de maquillage, elle semblait être une adulte.

La voiture dérapa sur le côté avant de s’arrêter juste à côté de nous. Il y avait seulement quelques centimètres entre moi et le pare-chocs.

C’est ce qu’on appelle être près du but.

« Bon timing ! Allez, Yoshio-kun, Carol-chan ! »

La femme ouvrit alors la porte arrière et nous fit entrer rapidement.

La phrase « l’ennemi de mon ennemi est mon ami » me traversa l’esprit. J’espérais que c’était vrai.

« Monte, Carol ! »

« Okay ! »

Destinée et moi avons sauté après Carol, et à la seconde où nous étions à l’intérieur, la voiture démarra. La neige fut propulsée autour de nous alors que nous évitions de justesse Habatake et le punk. Ils se remettaient de leur choc, mais c’était trop tard. Ils avaient juste crié après nous.

« On se barre d’ici ! », dit la conductrice.

« Pour une fois, je ne dirai rien sur ton excès de vitesse, puisque nous devons les secouer. »

La femme parlait avec animation sur le siège avant tandis que la voiture filait sur la route principale. Je m’étais retourné pour voir une forme blanche derrière nous, minuscule, mais qui grossissait. C’était le minivan de Habatake.

« Ils nous poursuivent ! »

« Oh merde, c’est vrai ! Ils sont sérieux, hein ? »

La conductrice s’était tordue pour voir par la fenêtre arrière.

La femme en costume la ramena à la place du conducteur d’un coup sec.

« Pour l’amour de Dieu, garde les yeux sur la route ! »

J’avais regardé le compteur de vitesse. Nous roulions à plus de 100 km/h, ce qui signifiait que le van allait encore plus vite que ça.

« Compte tenu de ces routes en hiver, ils sont vraiment imprudents. »

« Penses-tu qu’ils puissent être des locaux, Senpai ? »

Les femmes ne semblaient pas préoccupées par l’approche du mini-van. Elles formaient un duo improbable, l’une portant un costume sobre et l’autre étant habillée de façon décontractée, mais à la mode. J’avais une tonne de questions à leur poser, mais ça pouvait attendre qu’on soit sortis de ce pétrin.

« Je vais rejoindre la route principale. Je ne veux pas que des civils aient un accident à cause de nous. »

« Bonne idée. Cette route par ici est toujours vide. »

Comme je ne connaissais pas la géographie de cet endroit, je n’étais d’aucune aide. Je m’étais juste concentré pour garder Carol occupée. Elle avait le visage collé contre la fenêtre, captivée par la vue.

Elle était rayonnante : « Yoshio ! L’extérieur passe si vite ! »

Je suppose que je n’avais pas besoin de m’inquiéter pour elle. Je pensais qu’elle aurait peur, mais elle semblait s’amuser. Je m’étais penché pour boucler sa ceinture de sécurité.

Notre autre passager était penché sur l’appui-tête, un regard sérieux fixé sur le van qui approchait. Destinée et moi, nous avions plissé nos yeux et nous étions concentrés sur la scène. Le voyou conduisait avec Habatake sur le siège passager. Je ne pouvais pas dire si le reste des gars étaient là aussi.

« Nous ne nous sommes pas encore présentés, n’est-ce pas ? Yoshio-kun ? »

Je m’étais retourné au son de mon nom.

« Je suis Sewatari Seri. Je suis du côté des grands dieux. Je joue un dieu qui gouverne la fortune. », dit la femme en costume.

Elle jouait un dieu de la fortune ? On dirait qu’elle pourrait être liée au Dieu du destin.

« Je suis la suivante. Quoi de neuf, je suis aussi du côté des dieux majeurs ? Je travaille avec Senpai, et je joue le Dieu de la Na (ture ??)… », dit la fille maquillée.

Sewatari-san toussa soudainement, l’interrompant.

Était-elle sur le point de dire quelque chose qu’elle ne devrait pas ? Quelque chose qui irait à l’encontre des règles ?

« Je suis une fille sexy qui aime se détendre ! Mon nom est Nattyan ! Enchantée de te rencontrer ! »

Était-elle vraiment sexy ? Je ne le savais pas trop. Mais vu qu’elle conduisait, elle devait avoir au moins 18 ans. C’était donc plus une femme qu’une fille. Mais ce n’était pas comme si j’allais dire ces choses à voix haute.

« Je suis Carol ! Lui, c’est Yoshio ! Et voici Destinée ! »

J’étais sur le point de me présenter quand Carol le fit pour moi. Destinée agita amicalement sa queue dans les bras de Carol, qui l’avait tendue.

« Tu es vraiment adorable, Carol-chan. Voudrais-tu être ma fille ? »

« Tu aimes les petites filles comme elle, hein, Senpai ? C’est un peu effrayant. »

« Non, ça ne l’est pas ! Il n’y a rien de plus précieux que l’innocence d’une petite fille ! »

La réponse de Sewatari-san était si passionnée que j’avais décidé de garder Carol loin d’elle. Juste pour être sûr.

Pourtant, cette conversation m’avait appris une chose : Carol pouvait les comprendre. Sinon, elle n’aurait pas su faire une introduction après qu’elles aient fait la leur. Elles ne mentaient donc pas sur le fait qu’elles jouaient au jeu.

« J’adorerais vous expliquer correctement, mais nous devrions vraiment faire quelque chose pour notre situation difficile d’abord. Ne savent-ils pas que les hommes collants ne sont pas attirants ? »

Sewatari-san regarda derrière nous avec dégoût.

« Je ne sais pas. J’aime bien quand un homme sait ce qu’il veut. », dit Nattyan.

J’avais jeté un coup d’œil derrière nous. Le mini-van était encore plus proche qu’avant. Pendant que nous parlions, nous avions quitté la ville en trombe pour nous engager sur une route longue et droite qui traversait de larges champs de neige. Il était impossible de dire si les champs étaient des terres agricoles ou simplement des zones sauvages vides.

J’avais déjà vu à la télévision de longues routes comme celle-ci s’étendant vers l’horizon, mais les voir en vrai était tellement plus impressionnant que j’étais perdu. Je n’étais pas le seul, Carol avait de nouveau le visage collé à la fenêtre, captivée par notre environnement enneigé. C’était comme si notre voiture roulait dans un monde entièrement blanc. Un conte de fées.

« C’est beau, non ? Même s’il n’y a rien ici. Ce serait bien si nous pouvions ralentir, et si vous pouviez vraiment prendre le temps de… »

Les mots de Sewatari-san furent noyés par le son d’un klaxon derrière nous. Le van était si proche maintenant que je pouvais clairement voir les visages des hommes sur les sièges avant.

« Ils ne vont pas essayer de nous enfoncer ? Tu dois toujours payer cette voiture ! »

« Je ne l’ai que depuis deux ans. Mais je ne pense pas qu’ils seront aussi imprudents. Ils ne sont pas autorisés à nuire directement à un autre joueur. D’où toutes ces méthodes sournoises. », dit Sewatari-san.

Nous percuter devait être contraire aux règles. Est-ce que ça veut dire qu’on est en sécurité tant que l’on continue à rouler ?

« On ne peut pas les laisser nous suivre comme ça. »

« Non. On doit se débarrasser d’eux, mais je ne sais pas par où commencer. »

Les règles fonctionnaient malheureusement dans les deux sens. Nous ne pouvions donc pas les blesser directement. Mais il y avait quelqu’un qui pouvait.

Destinée était toujours en train de fixer l’arrière. Remarquant mon regard, il s’était retourné et m’avait regardé avec ses grands yeux ronds. Les pouvoirs de Destinée ne comptaient pas comme des miracles, c’était donc la seule chose qui pouvait nous sortir de ce pétrin. J’avais passé en revue nos options dans ma tête, en essayant de trouver la meilleure.

« Um, Nattyan-san ? Serait-il possible de ralentir un peu ? »

« C’est Nattyan, d’accord. Je pourrais évidemment ralentir, mais ils vont nous rattraper ! »

« C’est pour ça que je demande. »

Ça avait l’air d’une demande absurde, mais j’avais incliné la tête aussi profondément que possible, en espérant avoir l’air de savoir ce que je faisais.

« Hé ! Tu as du cran, tu es gentil, et tu es humble ! J’aime ça ! C’est drôle, parce que tu as l’air super ordinaire de l’extérieur. »

Essayait-elle de me féliciter ou de m’insulter ?

« Oui ! Yoshio-kun a cette lueur vraiment cool dans les yeux quand il prend une décision sur quelque chose. »

Sewatari-san avait l’air presque fière, comme si elle me connaissait déjà, mais je ne me souvenais pas l’avoir jamais rencontrée.

« D’accord ! Comme tu veux, Yoshiocchi ! À quelle vitesse dois-je aller ? »

« Eh bien, le GPS dit qu’il y a une grande courbe à venir. Crois-tu que tu puisses descendre à 30 km/h justes avant de l’atteindre ? »

« Bien sûr ! Je fais ce genre de choses tout le temps dans les jeux ! »

Ce n’était pas particulièrement encourageant, mais je n’avais pas d’autre choix que de lui faire confiance. Maintenant, je devais juste m’assurer que Destinée et moi étions sur la même longueur d’onde.

***

Chapitre 8 : Bataille et vérité

Partie 1

La route ne possédait qu’une seule voie. Nous approchions de la courbe, et la voie en sens inverse semblait dégagée. Cela signifiait que personne ne serait pris dans cette histoire si tout allait mal. Aucun bâtiment ne bordait la route, seulement des arbres. Cet endroit était parfait pour cette manœuvre.

La camionnette de Habatake était si proche maintenant que je pouvais lire leurs expressions, mais ils gardaient leurs distances, ne voulant clairement pas entrer en collision avec nous.

« Nattyan-san ! Maintenant ! »

« Je t’ai dit que Nattyan me convenait ! »

J’avais senti mon corps basculer vers l’avant au moment où elle appuya sur les freins. Seule ma ceinture de sécurité me maintenait en place. Derrière nous, la panique se lisait sur les visages de Habatake et du punk. Ils furent alors forcés de s’arrêter brusquement, faisant déraper le van.

Et une fois qu’ils ralentirent suffisamment, j’avais brandi Destinée, en prenant soin de m’assurer que nos suiveurs puissent le voir clairement.

« Le pneu avant. »

Destinée fixa l’un des pneus avant et transforma le caoutchouc en pierre en un instant. Le van avait freiné brusquement sur une route glacée, et l’un de ses pneus était maintenant une pierre. Il dérapa sur le côté, glissant hors de vue. Incapable de prendre le virage, il fut projeté vers l’un des champs enneigés, atterrissant sur le côté dans un banc de neige.

« Vous ne pouvez pas être si brutal avec le volant sur une route glacée comme celle-ci », soupira Nattyan tout en jetant un coup d’œil à son rétroviseur.

J’aurais pu demander à Destinée de transformer son pneu en pierre à tout moment, mais cela aurait été trop dangereux quand ils roulaient à plus de 60 mph. Au mieux, ils auraient été gravement blessés, au pire, ils seraient morts. Ils étaient incroyablement gênants, mais un assassinat volontaire serait vraiment exagéré. Yamamoto-san avait essayé de me tuer, mais je ne sentais pas que le punk était prêt à le faire.

« Ils ne seront pas de retour sur la route avant un moment maintenant. Bien joué, Yoshio. »

« Oh, c’est grâce à Nattyan-sa-Nattyan. »

Un léger regard furieux me rappela qu’il fallait laisser tomber l’honorifique à mi-chemin.

Maintenant, nous pouvions prendre de l’avance et gagner du temps. Et tandis que la tension s’évacuait de mon corps, je m’affaissai contre le siège et laissai échapper un profond soupir.

« Bon travail, tous les deux. Maintenant, nous pouvons parler correctement. »

Sewatari-san se retourna depuis le siège passager et me sourit.

« Permettez-nous de nous présenter à nouveau. Je m’appelle Sewatari Seri. Je joue le Dieu de la Fortune. »

« Mon nom est Nattyan. Je joue aussi un bon dieu, mais je ne vais pas te dire lequel pour l’instant. Ça rendra les choses plus amusantes. Je travaille dans la même entreprise que Senpai ici présente. »

Sewatari-san était la femme en costume avec la frange droite. La femme bronzée avec un sens de la mode intéressant était Nattyan. Malgré leurs présentations, j’avais du mal à croire qu’elles travaillaient dans la même entreprise. Sewatari-san était habillée comme une employée de bureau standard et sérieuse, tandis que Nattyan semblait à peine capable d’occuper un emploi. Peut-être qu’elle aimait juste s’habiller de façon voyante pendant ses jours de repos et qu’elle s’habillait de façon plus conservatrice au travail.

« Nous allons aussi nous présenter à nouveau aussi. »

« Ne vous inquiétez pas pour ça. Tu es Suenaga Yoshio-kun, tu es Carol-chan, et ton lézard particulier est Destinée-chan. Je peux l’appeler Deedee pour faire court ? »

La plupart des gens auraient été surpris par la peau épineuse et la taille énorme de Destinée, mais Sewatari-san prit la situation en main en caressant la tête du basilic.

« Hey, ce n’est pas juste, Senpai ! Je veux aussi le caresser ! »

« Conduis d’abord. Tu le caresseras plus tard. »

Elles formaient un duo improbable, mais leur amitié était indéniable. Le fait de les écouter m’avait calmé. Je m’étais alors raidi tout en prenant une profonde inspiration.

« Sewatari-san, j’ai beaucoup de questions à te poser. »

En fait, je n’avais que des questions, surtout après ce qui venait de se passer. Le fait qu’elles soient des joueuses n’expliquait pas comment elles étaient arrivées au bon moment. Et qu’avaient-elles à gagner en nous sauvant ?

« Bien. Je suppose que vous êtes confus. Je pense que c’est le bon moment, puisqu’on dirait que Carol-chan est endormie. »

J’avais suivi le regard doux de Sewatari-san pour trouver Carol endormie à côté de moi. Nous avions beaucoup joué dans la neige, puis nous avions fait une course-poursuite en voiture. Elle devait être vraiment épuisée, tant physiquement et mentalement. Elle pouvait enfin se reposer. Je l’avais posée contre ma cuisse et lui avais donné une petite tape.

« Tu es douée avec les enfants », remarqua Sewatari-san d’un air pensif.

Je lui adressai alors un sourire en coin : « Je m’occupais beaucoup de ma petite sœur. »

« Bon, alors. Par quoi dois-je commencer ? Je suppose que ta plus grande question est de savoir comment nous savons qui tu es et pourquoi nous sommes venues te sauver. »

Elle avait raison. Je voulais vraiment le savoir. J’avais calmé la main qui apaisait Carol et j’avais attendu son explication.

« Je pense qu’il serait plus simple de commencer par le début. »

Son ton était devenu sérieux alors qu’elle commençait à expliquer.

« Toi et moi jouons tous les deux au Village du Destin, Yoshio-kun. Tu ne trouves pas ça étrange ? »

Je ne m’attendais pas à ce qu’elle me lance une question tout de suite, surtout pas une comme ça.

« Pardonnez-moi, mais je ne comprends pas vraiment en quoi c’est étrange. »

« Il n’y a pas besoin d’être si formel. Ni avec l’une ni avec l’autre. Et tu peux simplement m’appeler Sewatari ou Seri sans honorifique. Laisse-moi le dire autrement. Tu joues le Dieu du Destin, et le jeu s’appelle Le Village du Destin. Pour toi, c’est logique. Mais d’autres joueurs jouent au Village du destin, et tous contrôlent des dieux différents. Ne trouves-tu pas étrange que le mot “destin” soit utilisé dans le titre dans ce cas ? »

« Eh bien, au début, je pensais que chaque joueur contrôlait un Dieu du destin, mais maintenant que tu le dis, c’est assez bizarre. »

Le Dieu du Destin veille sur le Village du Destin. Cela a toujours été logique pour moi. Mais maintenant, je savais qu’il y avait d’autres joueurs qui jouaient des dieux comme le Dieu de l’Eau ou le Dieu du Feu…

« Tu comprends, hein ? Tu peux penser qu’ils ont choisi le nom “Le Village du Destin” parce que ça sonne bien, mais il y a en fait une signification plus profonde. Le Dieu du Destin est un dieu mineur, un dieu gouverné par un dieu majeur. »

« C’est vrai, je sais ça. »

Mes villageois l’avaient déjà mentionné.

« Bien, ça fera gagner du temps. Le Dieu du Destin est le dieu avec le plus haut rang parmi tous les dieux mineurs. »

« Le plus haut rang ? »

« Les dieux mineurs ont des rangs. Les rangs 1, 2, 3, 4 et 5. Les rangs inférieurs servent les rangs supérieurs. C’est comme une entreprise. Les dieux majeurs sont les PDG, puis les dieux mineurs de rang 1 sont les directeurs, puis viennent les chefs de département, les chefs de section, les chefs de sous-section, et enfin les employés ordinaires. Est-ce que c’est plus facile à comprendre ? »

« Oui, je crois que j’ai compris. »

Je n’avais pas réalisé qu’il y avait une hiérarchie. Je pensais que tous les dieux mineurs étaient égaux.

« Ton Dieu du Destin est un dieu de rang 1, et mon Dieu de la Fortune est de rang 2. »

Je pouvais voir Nattyan jeter un coup d’œil constant à Sewatari alors qu’elle me parlait depuis le siège passager. Nattyan souriait comme si quelque chose l’amusait.

« Je sais qu’il y a beaucoup de dieux majeurs. Cependant, si je peux me permettre de demander… hum, lequel règne sur le Dieu du Destin ? »

Sewatari fronça les sourcils alors que je glissais presque dans un discours formel à nouveau, tout comme Nattyan l’avait fait auparavant. Comme elles étaient pratiquement des inconnues pour moi, leur parler de manière décontractée était franchement angoissant, d’autant plus qu’il s’agissait de femmes. Mais si c’était ce qu’elles voulaient, je devais essayer.

« Les principaux dieux sont le Dieu de la Lumière, le Dieu du Clair de Lune le Dieu du Feu, le Dieu de l’Eau, le Dieu des Plantes, le Dieu de la Foudre et le Dieu de la Terre, n’est-ce pas ? Lequel est le manager, euh, le dirigeant du Dieu du Destin ? », dis-je en les énumérant sur mes doigts.

« Le Dieu du clair de lune. On dit que la lune a une forte influence sur la vie et le destin, c’est probablement pour ça. »

Je savais que la lune jouait un grand rôle dans la cartomancie grâce à Sayuki. Elle aimait la cartomancie.

« Je vois. Comment savez-vous cela, Sewatari-san ? », avais-je demandé.

« Les hommes impatients ne sont pas attirants ! Ne m’interromps pas. Et n’utilise pas — san. »

Sayuki et Seika m’avaient déjà réprimandé pour ce genre de choses dans le passé. J’étais censé laisser toutes les questions jusqu’à la fin de l’explication, apparemment.

« Quand tu montes de niveau dans ce jeu, tu peux faire plus de choses et avoir accès à plus d’avantages. Il y a plus de miracles que tu peux accomplir dans la vie réelle, et les restrictions qui les entourent deviennent plus souples à mesure que ton niveau augmente. Quand tu arrives au niveau 5… »

Elle fit une pause et m’adressa un sourire significatif.

***

Partie 2

« Tu peux discuter directement avec le dieu que tu incarnes. Mais il y a un hic. Tu ne peux plus poster sur les forums une fois que tu as atteint le niveau 5. Mais tu peux toujours y naviguer. »

C’est donc pour ça qu’il n’y avait pas de joueurs de niveau 5 sur les forums. Ce n’était pas que le niveau 5 n’existait pas, c’était juste qu’ils ne pouvaient pas poster.

« Au niveau 2, tu ne peux voir que les forums réservés aux autres joueurs du Dieu de la Lune. Ceux réservés aux joueurs d’autres grands dieux ont des titres différents. »

Sewatari se tourna vers Nattyan.

« Je crois que les joueurs du Dieu du Feu jouent aux Villageois de la Passion Ardente, non ? »

« Ce titre est vraiment minable. Mais je suppose qu’il convient au Dieu du Feu », dit Nattyan en fronçant les sourcils.

« J’ai effectivement vu des joueurs sur le forum qui avaient l’air d’être sous le Dieu de l’Eau. »

J’avais beau me dire que ça allait, c’était épuisant d’être désinvolte avec des inconnus virtuels.

« Ils doivent être de niveau 3 ou plus. Une fois que tu as atteint le niveau 3, tu peux utiliser les forums attribués à d’autres dieux. Mais ils ne sont pas autorisés à en parler aux personnes de niveau 2 ou moins, donc s’ils essaient, le message sera censuré. »

C’était probablement le genre de choses dont ils avaient parlé dans le fil de discussion pour les joueurs de niveau 3 ou plus.

« Au fait, les joueurs ne sont pas censés se parler dans la vie réelle, alors considère ceci comme une exception. Comme tu l’as vu, il y a certains joueurs dieux corrompus qui ne prennent pas la peine de suivre cette règle. »

Donc les dieux corrompus avaient des règles différentes, ou leurs règles étaient plus laxistes. Dans ce cas, les joueurs des dieux mineurs étaient désavantagés.

« Quel est votre niveau, Sewatari ? Je me pose cette question depuis qu’on s’est rencontré. »

J’étais presque sûr de le savoir grâce à notre conversation, mais je voulais vérifier avec elle.

Ses yeux s’étaient adoucis. Elle me sourit comme si elle avait attendu que je le demande.

« À quel niveau penses-tu que je suis ? »

« Niveau 5 ? »

« Exactement ! Le fait que tu l’aies trouvé du premier coup est quand même ennuyeux. Je voulais te voir sursauter quand je te dirais que tu avais tort, en fait, je suis niveau 5 ! »

« Oui. Pourquoi n’as-tu pas joué le jeu ? », dit Nattyan en faisant la moue.

Pourquoi me critiquait-on pour avoir donné la bonne réponse ?

« Je m’excuse. Vous jouez depuis longtemps ? »

« Des excuses ? ! Tu es encore trop formel ! Bref, environ deux ans. »

Je ne savais pas combien de temps cela faisait dans le grand schéma des choses, mais elle jouait depuis bien plus de temps que moi.

« Savez-vous quand le jeu est sorti pour la première fois ? Je l’ai eu quand il était encore en alpha, donc je suppose qu’il a été en test pendant tout ce temps ? »

Sewatari fit une pause pensive.

« Si l’on en croit les rumeurs sur les forums, il a environ dix ans à l’heure actuelle. Il n’y a pourtant pas de réelle preuve pour étayer cela. »

Il y a 10 ans. C’est aussi à cette époque que j’étais devenu grabataire. Dix ans, c’était une longue période pour gérer un jeu en ligne. C’était aussi une période de test alpha absurdement longue, mais le fait qu’un jeu comme celui-ci existe était suffisant pour me montrer que tout était possible. Une longue phase de test était peut-être la chose la moins mystérieuse à propos du Village du Destin.

« Ok, passons maintenant à la raison pour laquelle nous sommes venus te sauver. J’ai parlé au Dieu de la Fortune, et il m’a demandé de venir te sauver, toi, le joueur du Dieu du Destin. Nattyan et moi vivons à Hokkaido, c’est probablement pour cela que nous avons été choisis. »

« Je vois. Merci beaucoup de m’avoir secouru. »

J’avais incliné profondément la tête et j’avais remarqué que Carol copiait mon comportement. Elle avait dû se réveiller à un moment donné. Même Destinée était en train de hocher la tête dans ses bras.

« C’était quand même un incroyable travail d’équipe. Je suis un peu jalouse. Tu sais, j’ai eu du mal à croire le Dieu de la Fortune quand il a dit qu’il y avait eu un accident et qu’une fille de l’autre monde avait été envoyée ici avec un livre, mais elle est si jolie que ça ne me dérange pas qu’elle soit là. », dit Sewatari.

« Assure-toi de garder Carol-chan loin de Senpai, ok, Yoshiocchi ? »

J’avais remarqué une passion dans les yeux de Sewatari lorsqu’elle fixait Carol, mais jusqu’à présent, je pensais que c’était juste mon imagination.

« Je ferai attention », avais-je promis.

« Hé, j’aime juste les choses mignonnes ! Qu’est-ce qu’il y a de mal à ça ? »

« Tu vas trop loin, Senpai. C’est effrayant. »

Le duo commença à se disputer. Alors que Sewatari critiquait le sens vestimentaire laxiste de Nattyan, cette dernière l’accusait d’être une lolicon.

« De quoi parlent-elles, Yoshio ? », demanda Carol.

Apparemment, cette conversation n’était pas traduite, probablement parce qu’elle n’était pas appropriée aux enfants. J’en étais heureux.

« Hum… »

« Nous étions juste en train de dire à quel point tu es mignonne, Carol-chan ! »

« Merci, Oneechan ! »

Carol gloussa faiblement, ses joues rougissant.

« Alors, tu as compris ce qu’elle a dit, Carol ? », avais-je demandé.

« J’ai compris maintenant, oui ! Mais je n’ai pas compris ce qu’elles disaient avant ça. »

Tout comme moi, il semblerait que Sewatari et Nattyan étaient capables de passer du japonais à la langue du monde du jeu. Cela devait être quelque chose que tous les joueurs pouvaient faire.

« Question. Cela te dérangerait-il que Carol-chan reste dans ce monde pour que je puisse l’adopter comme sœur ? », dit Sewatari.

« Oui, ça me dérangerait. »

« Bien sûr que ça le dérangerait ! Oublie les règles, tu es une menace pour la société. Tu sais quoi, je pense que je vais appeler les flics tout de suite. »

J’espérais que Sewatari plaisantait, mais elle avait l’air cent pour cent sérieuse.

« Regarde ce sourire pur qu’elle a ! Ça me donne envie de lui donner trois portions extra-larges de dessert ! »

« Carol, assure-toi de rester loin de cette femme quand nous ne sommes pas là, d’accord ? », l’avais-je prévenue.

« Tu es déraisonnable ! Ce n’est pas une chose effrayante ! J’aime juste les petites filles ! Et je déteste les petits malins de son âge tout autant. »

D’après son ton, on aurait dit qu’elle détestait les garçons autant qu’elle aimait les filles. Je m’étais demandé quel genre de traumatisme avait conduit à cette situation.

J’espérais que quelqu’un allait changer de sujet, car cela ne pouvait qu’empirer.

« Oh, il y a quelque chose d’autre que je voulais demander. Je sais que tu prévois de renvoyer Carol-chan dans son monde, mais qu’en est-il du livre ? », dit Sewatari.

« Eh bien. Je veux aussi renvoyer le livre. »

C’était logique, non ? Le livre saint appartenait à l’origine à mes villageois, alors pourquoi ne pas le renvoyer ?

« Tu n’es pas un type avide, hein ? Tu comprends que tu peux utiliser ce livre pour avoir une vue d’ensemble de n’importe quel endroit où tu es allé ? Tu peux même voir à l’intérieur des bâtiments, ce que je suis sûre que tu sais maintenant. Il y a une tonne de possibilités avec ce truc. »

J’avais moi-même eu les mêmes pensées. C’était sans aucun doute l’appareil de navigation le plus puissant du monde. Sa véritable valeur était bien au-delà de mon imagination. Oubliez les dix millions de yens demandés par les dieux corrompus, il y a probablement des gens qui paieraient plus de cent millions pour un tel objet.

« Je le sais. Mais cela appartient à mes villageois. Ce n’est pas à moi de le garder. De plus, s’ils ne l’ont pas, je ne pourrais plus envoyer de prophéties ou les sauver s’ils ont des problèmes. Je ne serais même pas capable de les surveiller. »

Leur sécurité valait plus que n’importe quelle somme d’argent.

« Ce livre et mes villageois n’ont pas de prix. Ils m’ont sauvé quand j’étais au plus bas. Ils sont tout aussi importants pour moi que ma famille biologique. »

J’avais caressé doucement la tête de Carol pendant que je parlais. Je n’avais aucune preuve que mes villageois soient encore en vie, mais je le savais pourtant. Ils étaient vivants, et en ce moment même, ils travaillaient dur pour reconstruire le village. Je devais leur rendre Carol et le livre le plus vite possible.

« C’est vraiment génial. Il y a des tonnes de joueurs, même du côté des dieux majeurs, qui agissent comme si leurs villageois n’étaient que des personnages de jeux vidéo. Tu n’es pas l’un d’entre eux, Yoshio-kun. Je savais qu’il y avait une raison pour laquelle je croyais en toi. »

L’éloge de Sewatari m’avait rendu heureux, mais que voulait-elle dire par « croire en moi » ? C’était une chose étrange à dire à quelqu’un que vous venez de rencontrer. A moins que… je devienne enfin populaire auprès des femmes ? Attendez, attendez. D’après Internet, le fait de confondre une fille qui est gentille ou qui vous complimente avec un véritable intérêt était super pathétique. Bien que je suppose que je savais déjà que j’étais pathétique…

Carol leva alors les yeux vers moi.

« Pourquoi ton visage devient-il tout drôle, Yoshio ? »

Oh, génial. Je n’avais pas réalisé que j’étais si facile à lire.

« Maintenant qu’il n’y a plus de danger, allons manger quelque chose ! Tu as faim, Carol-chan ? »

« Ouais ! J’ai vraiment faim ! », dit Carol en gazouillant.

Nattyan était d’accord : « Pareil ! Je pourrais vraiment avoir envie d’un thé à bulles. »

Leurs deux mains s’étaient levées en l’air. C’était gentil de la part de Nattyan de montrer sa solidarité, mais j’aurais aimé qu’elle se concentre sur la conduite.

J’avais regardé dehors. J’étais tellement concentré sur notre conversation que je n’avais pas remarqué que la nuit tombait.

« Puisque tu es à Hokkaido, allons manger du Genghis Khan ! Tu sais, ce plat de mouton grillé ? Je connais un bon endroit. On va y aller ! »

Le Gengis Khan était un plat célèbre. J’avais toujours voulu le goûter.

Ma principale priorité ici était de rencontrer les développeurs, mais nous étions encore loin de leur bâtiment. Et ce n’était pas la peine de nous affamer juste pour arriver plus vite. Je voulais aussi que Carol mange toutes les choses délicieuses qu’elle pouvait. Je voulais qu’elle se souvienne de ce pays, le pays des dieux (enfin, le Japon), comme d’un endroit amusant.

J’avais senti que quelqu’un me regardait. Je m’étais retourné pour trouver le regard de Destinée.

Ne t’inquiète pas, je désire que tu manges également de la nourriture délicieuse.

J’avais demandé à Nattyan d’accélérer un peu, ne serait-ce que pour empêcher Carol et Destinée de tirer sur chacune de mes manches afin de me dire qu’ils étaient affamés.

***

Chapitre 1 : Cœur pur et émotions contradictoires

Partie 1

Nous étions maintenant dans un hôtel. Étant donné que nous étions encore assez éloignés de notre destination, nous n’avions donc pas le choix. Hokkaido était une grande préfecture.

Réalisant qu’un blizzard s’annonçait, nous avions choisi l’endroit le plus proche possible. Ces conditions étaient trop dangereuses pour voyager.

Mais nous avions immédiatement rencontré un problème. La chambre que nous avions réservée était grande, mais elle était destinée à une famille de quatre personnes. Il n’y avait que deux lits doubles pour moi, Carol, Sewatari, Nattyan et Destiné.

« Peut-être aurions-nous dû réserver deux chambres », avais-je dit tout en poussant une chaise dans le coin de la pièce et en m’asseyant.

Nous étions tous étalés sur les lits, discutant, y compris Destiné. Elles s’étaient alors toutes tournées pour me fixer.

« Vous êtes toujours en train de parler de ça ? Nous avons convenu que c’était plus sûr de ne pas se séparer. De plus, c’est moins cher », déclara Sewatari.

« C’est amusant d’être avec tout le monde ! », dit Carol.

« Ne me dis pas que tu as des pensées impures, Yoshiocchi ? »

Les filles s’étaient liguées contre moi, ignorant mon malaise. Fort heureusement, Carol ne comprendrait pas où Nattyan voulait en venir.

Destiné ! Ne te contente pas de hausser les épaules ! Pourquoi tu as l’air si déçu par moi ? Écoute, ce n’est pas comme si j’avais une quelconque peur !

Je savais très bien qu’il pouvait y avoir des gens jouant des dieux corrompus à nos trousses en ce moment précis. Nous ne pouvions pas être trop prudents. Sewatari n’avait pas besoin de me faire remarquer le problème de sécurité. Il ne serait pas facile de nous pourchasser dans ce blizzard, mais nous ne savions pas quels puissants miracles ils avaient à leur disposition. Ils avaient peut-être la capacité de contrôler le temps, comme moi, ou une autre méthode pour traverser la tempête.

J’étais juste préoccupé par le fait qu’un homme partage une chambre avec deux femmes. Mais ce n’était pas comme si je prévoyais de faire quelque chose de bizarre, j’avais un certain niveau de retenue. Honnêtement, je m’inquiétais davantage pour Sewatari, qui serrait Carol dans ses bras avec un sourire étrange sur le visage.

« Tu veux juste rester dans la même pièce que Carol, n’est-ce pas ? », avais-je demandé.

« Oui ! », répondit-elle avec un sourire angélique.

J’aurais éloigné Carol si elle avait l’air mal à l’aise, mais elle souriait, elle aussi. De plus, Sewatari ne tenterait rien si Nattyan la regardait ?

« On va prendre un bain ? Ils ont un énorme bain public ici ! »

« Un grand bain ? Oui ! Allons-y ! Allez, Seri ! Nattyan ! »

« Je vais te laver. D’accord, Carol-chan ? Senpai n’a pas le droit. »

« Pourquoi pas ?! »

Le trio rassembla des vêtements de rechange et partit au bain. Je les avais accompagnées à mi-chemin, avant de me diriger vers le bain des hommes.

Je m’étais faufilé sous le tissu marquant les bains masculins et j’étais dans le vestiaire vide. Soit il était un peu tôt dans la soirée pour se baigner, soit cet endroit n’avait pas beaucoup de réservations.

« Les filles sont probablement en train de s’amuser sans moi. »

Seul, j’avais parlé à voix haute par habitude.

J’avais dézippé mon sac avec mes vêtements de rechange, et Destiné sortit sa tête de l’interstice. J’avais pensé à le laisser, ainsi que le livre, dans notre chambre, mais cela ne semblait pas sûr. De plus, Destiné pourrait me protéger si quelque chose arrivait.

« Attends-moi dans le casier, d’accord ? Je ne vais pas le verrouiller. Si quelque chose arrive, fais beaucoup de bruit pour me prévenir. »

J’avais gratté son menton pendant que je parlais.

Destiné me fixa de ses grands yeux, puis hocha lentement la tête. Je me sentais beaucoup plus en sécurité avec mon lézard de garde dans les parages.

J’avais fermé le casier et ouvert la vitre de la baignoire. La vapeur me frappa d’un seul coup, enveloppant mon corps. Les douches et la baignoire elle-même étaient si grandes que je me sentais gêné de les avoir pour moi tout seul. Je m’étais rincé avant d’entrer dans l’eau.

« La chaleur retire donc bien la fatigue, hein ? »

Mon corps et mon esprit étaient tellement fatigués que je me sentais encore mieux que d’habitude. J’aurais pu rester des heures, mais je ne voulais pas que Destiné reste trop longtemps dans ce casier.

« Ça ne peut pas faire de mal de prendre un peu de temps. »

J’avais essayé de faire le vide, mais mon cerveau refusa de me laisser faire, tournant en rond. Des pensées d’Habatake et du punk. Des pensées de Sewatari et Nattyan.

Je savais que Habatake et son groupe étaient dans le camp opposé, et j’étais presque sûr que Sewatari et Nattyan étaient de mon côté. Il était possible qu’elles finissent par me trahir, mais j’en doutais. Qu’est-ce qu’elles auraient à y gagner ? Elles auraient pu facilement intervenir et prendre Carol et le livre à l’extérieur de la station sans prétendre me défendre. Non, elles étaient définitivement mes alliées. Pour je ne sais quelle raison, Sewatari me fit sentir… en sécurité.

Malgré cela, je restais sur mes gardes. J’avais utilisé le livre pour surveiller les deux femmes plus tôt, lorsqu’elles nous avaient laissées, Carol et moi, mais elles n’avaient rien fait de suspect. Je ne serais pas aussi paranoïaque s’il n’y avait que moi en danger, mais Carol, Destiné et même les autres villageois étaient concernés. Je ne pouvais pas laisser de place à l’erreur.

Je m’étais enfoncé dans l’eau jusqu’à ce qu’elle arrive à mon menton et j’avais fixé le plafond.

« Peut-être que si j’étais plus intelligent, je pourrais trouver une sorte de plan. »

*

Avant de mettre la main sur Le Village du Destin, je n’avais jamais utilisé mon cerveau pour quelque chose de plus complexe que de battre un jeu vidéo. J’avais gâché mes journées sans prendre la peine d’accumuler des connaissances ou de me connecter à la réalité. J’avais dû réfléchir davantage au cours de ces deux derniers mois que pendant le reste de la décennie.

« Penser est vraiment fatigant, hein ? », avais-je demandé au lézard doré qui nageait dans la baignoire devant moi, sa queue ondulant à travers les…

« Attends, qu’est-ce que tu fais là ?! »

Il était censé être dans le casier !

J’avais regardé autour de moi, l’air fort troublé, mais il n’y avait personne d’autre ici. Mon Dieu, imaginez si l’un des autres clients avait vu un énorme lézard dans les bains publics. J’avais sauté hors de l’eau, attrapé un seau, et jeté Destiné à l’intérieur.

« Pourquoi es-tu venu ici ? Je pensais t’avoir dit de rester dans le casier ! »

Je l’avais regardé fixement. Ce dernier cligna des yeux vers moi et tira la langue innocemment.

« Non, tu ne t’en sortiras pas en te comportant comme un lézard ordinaire ! »

J’avais alors soupiré.

« OK, je suis désolé. Je suppose que tu voulais venir aussi, hein ? »

Je ne pouvais pas rester en colère quand il me regardait comme ça. Je voulais dire, je l’avais laissé dans un casier pendant que j’allais profiter d’un bon bain chaud tout seul.

« Très bien. Tu peux rester avec moi, mais nous devons partir dès que quelqu’un d’autre entre, d’accord ? »

J’avais caressé doucement la tête de Destiné, ses yeux s’étaient rétrécis de plaisir. Il n’y avait aucun moyen qu’il ne puisse pas comprendre ce que je disais.

J’avais donc décidé que nous ne nous baignerions que quelques minutes de plus. Je ne voulais pas laisser les filles m’attendre. Une fois que nous avions terminé, j’avais remis Destiné dans le seau. Le vestiaire était encore vide, et quand j’avais vérifié notre casier, j’avais constaté qu’il était scellé par une couche de gel.

« Oh, c’était intelligent. Bon travail. », dis-je à Destiné

Il avait fait en sorte que le livre saint et le reste de nos affaires soient en sécurité. On s’était tous les deux rapidement séché, puis je l’avais remis dans mon sac. Il y aurait une humidité inconfortable à l’intérieur vu que Destiné venait de sortir du bain, mais c’était la seule véritable option.

Nous avions quitté les bains et nous étions assis sur un banc pour attendre les filles. Elles devaient être encore en train de se baigner. N’ayant rien d’autre à faire, j’avais sorti mon téléphone et cliqué sur l’application Village du Destin. Elle s’était ouverte sur la zone autour des bains avec une vue d’ensemble.

« Voir dans des bâtiments comme celui-ci ne devrait pas être possible avec notre technologie actuelle. »

Même chose pour les personnages du jeu. Ils étaient censés être animés par une IA performante, mais j’avais du mal à y croire. Je veux dire, j’avais des doutes depuis le début, mais maintenant il n’y avait pas d’autre explication. Cela signifiait que le jeu était lié à un autre monde, et… cela ne semblait pas non plus très probable.

En jouant avec l’application, j’avais réalisé que ce téléphone pouvait regarder dans les bâtiments, et en ce moment, il me montrait juste l’extérieur des bains publics. Si je zoomais… je pourrais voir dans les bains eux-mêmes, non ?

J’avais vraiment besoin de savoir si Carol était en sécurité.

« Je plaisante. Je ne ferais jamais quelque chose d’aussi sordide. »

« Qu’est-ce qui est sordide ? », me chuchota une voix dans mon oreille.

« Gah ! »

Je m’étais aussitôt mis debout.

Les filles étaient là, les joues rouges.

Depuis combien de temps sont-elles là ?!

« Tiens. »

Sewatari me passa une bouteille de boisson fraîche.

Je la pris avec reconnaissance, j’étais desséché après le bain. J’avais bu tout en essayant d’effacer mes pensées indécentes.

Le trio portait un yukata fourni par l’hôtel. La tenue convenait particulièrement bien à Sewatari. Sa beauté était mise en valeur par le vêtement traditionnel. Nattyan ressemblait à… une lycéenne allant à un festival. Tout ce dont elle avait besoin, c’était de la barbe à papa dans une main et des calmars séchés dans l’autre. Carol ressemblait simplement à une touriste, mais la façon dont ses cheveux blonds s’harmonisaient avec le yukata la rendait encore plus mignonne.

Apparemment, elles s’entendaient bien toutes les trois.

« Tu avais l’air un peu anxieux là. Ne le sois pas. Il n’y a plus de raison de s’inquiéter pour le jeu. Tu dois parler directement aux développeurs. Ce ne sera plus très long maintenant. », dit Sewatari.

« Oui ! »

Nattyan était d’accord.

« Ça ne sert à rien de stresser en ce moment. »

« Oui, vas-y doucement. »

Comme elles avaient raison, j’avais hoché la tête, même si ce n’était pas du tout ce qui m’angoissait. Mais elles n’avaient pas besoin de le savoir.

***

Partie 2

« Vous avez raison. Je vais arrêter d’être obsédé par ça. Il est plus important de se concentrer sur l’arrivée à bon port. », dis-je.

« Tu as tout compris ! Maintenant, allons prendre un dessert ! »

« Oui ! »

Carol jeta un poing triomphant en l’air. Geste qui fut aussitôt repris par Nattyan. Et bien qu’elles ne se connaissent que depuis une demi-journée, elles étaient totalement à l’aise ensemble. Je ne serais pas surpris si elles étaient proches en âge, du moins, mentalement.

J’avais regardé Carol sourire, laissant Nattyan et Sewatari la tenir par les mains. J’avais eu l’envie soudaine de tendre la main et de la tirer en arrière. Carol allait bien, mais elle était encore une enfant. Sa mère devait lui manquer, ce qui la poussait à s’habituer très vite à toute présence féminine. Je le comprenais, mais je me sentais quand même un peu exclu.

« Je me demande si nous allons bientôt terminer ce voyage. »

Si tout allait bien, nous devions rencontrer les développeurs demain.

C’est peut-être la dernière soirée que je passe avec Carol.

La solitude serra mon cœur, mais, pour son propre intérêt, je ne pouvais pas le laisser paraître.

J’avais fini ma bouteille de thé, m’étais levé et étais allé les rejoindre.

Au moment où je m’étais réveillé à l’hôtel, je trouvais une femme qui dormait à côté de moi.

Je plaisantais. Je m’étais réveillé avec Destinée. Il roupillait confortablement dans mes bras, mais n’offrait pas beaucoup de chaleur. Destinée dormait habituellement avec Carol, mais Nattyan et Sewatari lui tinrent compagnie la nuit dernière. Je m’étais assis pour m’assurer qu’elles étaient toutes présentes. Et fort heureusement, ce fut le cas. Elles dormaient même encore profondément. Comme Sewatari et Nattyan avaient porté leur yukata au lit, j’avais eu des aperçus séduisants de leurs poitrines et de leurs jambes. Et même si j’aurais aimé continuer à regarder, je m’étais forcé à détourner mon regard.

Les laisser dormir me paraissant bizarre, j’avais ainsi pris mon téléphone et mis l’alarme. Elles s’étaient réveillées en sursaut. J’avais attendu dans le hall le temps qu’elles se changent, puis j’étais entré pour me changer moi-même, avant que nous ne nous dirigions tous vers la réception pour régler nos comptes.

Le ciel était clair aujourd’hui. D’après les prévisions météorologiques, nous allions avoir des conditions de conduite parfaites toute la journée. J’espérais qu’elles étaient exactes.

Nous avions quitté l’hôtel en pensant atteindre notre destination avant midi, mais lorsque j’avais regardé le paysage, l’anxiété m’envahit. Nous n’avions vu que des arbres depuis un certain temps déjà. La route que nous avions empruntée n’était même pas goudronnée, et c’était un miracle que notre voiture soit arrivée jusqu’ici. Et malgré le temps qu’il faisait, l’épais feuillage bloquait la lumière du soleil, rendant le monde lugubre. La route était si cahoteuse que je n’arrêtais pas de me cogner la tête contre le plafond de la voiture.

« Tu es sûr que c’est le bon chemin ? », avais-je demandé.

« Bien sûr ! C’est plus rapide que l’autoroute. »

« Oui. C’est ce que je voudrais dire, mais Senpai n’a aucun sens de l’orientation. Ça ira tant qu’on suit le GPS. Technologie moderne, non ? »

L’assurance de Nattyan a eu l’effet inverse de celui escompté. Aujourd’hui, c’était Sewatari qui conduisait, et si elle avait l’air confiante, je ne l’étais pas.

J’avais jeté un coup d’œil sur le GPS. La route de montagne sur laquelle nous nous trouvions n’était même pas indiquée. Pourquoi aucune des deux n’était-elle inquiète ? Mais comme c’était elle qui vivait dans la région, et pas moi, je devais donc leur faire confiance. Je n’avais même pas de permis de conduire.

J’essaierai peut-être d’en obtenir un une fois de retour chez moi…

Je m’étais accroché à ma ceinture de sécurité et j’avais regardé par la fenêtre. La voiture tanguait tellement qu’on avait l’impression qu’on allait sortir de la route à tout moment. Oh, avais-je mentionné qu’il y avait un gros précipice à gauche du chemin ? C’était si raide que la probabilité qu’on en sorte vivant en y tombant n’était pas totale.

« Ah, oups. J’ai failli déraper un peu là ! »

« Bordel, c’est intense ! »

J’allais à tous les coups obtenir mon permis si je rentrais à la maison sain et sauf. Je l’avais ajouté à ma liste de moyens pour remettre de l’ordre dans ma vie.

« Il y a tellement d’arbres ici ! C’est comme au village ! », dit Carol avec enthousiasme.

Elle avait le visage collé à la fenêtre et regardait la nature abondante qui défilait.

Je n’avais pas fait le lien avant, mais elle avait raison. Le village était entouré d’arbres comme celui-ci.

Je me demande comment vont mes villageois…

J’avais vérifié l’application. Mes points de destin continuaient à augmenter. Je m’étais décidé à prendre ça comme une indication que mes villageois étaient en vie. J’avais pourtant besoin de les voir de mes propres yeux avant que cela ne devienne autre chose qu’une spéculation pleine d’espoir. J’évitais autant que possible de parler du village, afin de ne pas contrarier Carol. La tristesse assombrit ses yeux alors qu’elle regardait par la fenêtre. Il était clair que ce qu’elle avait à l’esprit.

« Nous allons bientôt rencontrer les dieux, Carol. Ils seront en mesure de t’aider. »

« Oui ! Je sais que tout le monde est en sécurité ! »

« C’est vrai. Ils sont sains et saufs. »

J’avais injecté autant de certitude dans ma voix que je le pouvais. Ils allaient bien. J’en étais sur.

« Nous serons bientôt hors des montagnes ! On va bientôt arriver. », annonça Nattyan.

Carol et moi avions redressé le dos. Une brèche s’était ouverte entre les arbres sur la route devant nous, laissant passer la lumière du soleil.

« Après ça, nous serons à l’air libre », dit Sewatari.

Soulagé par le fait que nous ayons enfin laissé ces routes terrifiantes derrière nous, j’avais regardé à travers le pare-brise la clarté qui nous attendait. J’avais instinctivement serré mes paupières, et quand je les avais rouvertes, je vis alors une ligne de chemin de fer. Nous roulions sur une route parallèle à la voie ferrée qui s’incurvait sur la droite. Au lieu des vastes champs typiques d’Hokkaido, cette zone était dominée par plusieurs grandes usines.

« Cette voie ferrée longe la zone industrielle. Beaucoup de grandes entreprises ont leurs lignes de production ici, c’est donc une zone assez animée même si elle est éloignée de toute grande ville. », expliqua Sewatari.

« Oui, il y a une zone résidentielle non loin des usines. », acquiesça Nattyan.

J’avais repéré une petite gare en amont, avec un rond-point devant elle, et quelques magasins et restaurants sur une bande à proximité. J’avais également vu quelques chaînes de magasins, mais la plupart d’entre eux ressemblaient à des magasins locaux. Il y avait peut-être même plus de magasins ici que là où je vivais à la campagne.

« Avoir tous ces restaurants et magasins autour doit être pratique », avais-je dit.

« Oui ! Tu dois seulement conduire quelques minutes pour trouver la plupart des choses. »

C’est vrai, ça… attendez. Comment Nattyan pourrait-elle savoir ça ?

« Ow ! »

J’avais inhalé brusquement quand la voiture s’arrêta, me cognant la tête contre le siège du conducteur devant moi. J’avais levé les yeux pour me plaindre, mais j’avais constaté que les deux avaient défait leur ceinture de sécurité et me regardaient avec impatience.

« Nous sommes arrivés, Yoshio-kun. »

« C’est la société qui développe Le Village du Destin : Isekai Connection », dit Nattyan.

J’avais suivi leurs regards. Un immeuble de quatre étages à occupation mixte se tenait à côté de nous. Je l’avais reconnu sur l’image satellite que j’avais vue en cherchant l’adresse. Il était encore plus miteux dans la réalité qu’il ne l’était en ligne. Les murs extérieurs étaient d’un gris terne, et le bâtiment semblait vieux de plusieurs décennies. Cela ne ressemblait peut-être pas à la demeure des dieux, mais qu’est-ce que les promoteurs pouvaient bien être d’autre ?

« Est-ce ici qu’ils ont fait le jeu ? »

J’étais sorti après Nattyan et Sewatari. L’immeuble à côté d’Isekai Connection abritait une petite boutique et un café, dessinés à partir du même design ancien. Les piétons déambulaient dans les rues.

Incapable de croire que la société à l’origine d’un jeu aussi impossible se trouvait juste à l’extérieur, j’avais consulté le répertoire à l’extérieur du bâtiment. Le premier étage abritait une agence de voyage. Les deuxième, troisième et quatrième étages appartenaient tous à Isekai Connection. Maintenant que j’étais enfin là, ma nervosité augmentait.

Si on comparait mes expériences actuelles à un jeu vidéo, tout ce qui s’était passé jusqu’à présent n’était que le prologue. C’était ici que le vrai jeu commençait. Il était temps de parler avec les développeurs et de trouver un moyen de renvoyer Carol chez elle.

« Tu as l’air un peu raide », remarqua Sewatari.

« Je deviens nerveux en pensant à ce qui nous attend. »

« Oh, à propos de ça. Nous devrions probablement nous excuser. »

Sewatari se gratta la tête maladroitement et détourna son regard.

« La vérité est que… »

« Vous travaillez ici, non ? En tant que développeurs. »

Ses yeux s’arrondirent et elle me fixa. Elle ne s’attendait clairement pas à ce que je dise ça. Nattyan, qui jouait avec Carol à côté, entendit et regarda avec surprise.

« Tu… le savais ? »

« C’était évident. Je veux dire, vous n’arrêtiez pas de me faire des allusions, non ? »

D’après la conversation qu’on avait eue dans la voiture, ce n’était pas trop dur à comprendre. Elles connaissaient trop bien la région, elles parlaient comme des gens du coin. Tout le monde pouvait s’en rendre compte.

« Eh bien, oui, tu as raison. On a pensé que ce serait plus facile pour toi si tu le découvrais au lieu qu’on te le dise tout d’un coup. »

Je devrais être reconnaissant pour ça. C’était comme elle avait dit. Puisque j’avais déjà tout compris, je pouvais accepter cette révélation sans broncher.

« Attends, vraiment ?! »

Nattyan avait l’air choquée. Apparemment, elle n’avait pas été dans le plan de Sewatari.

Carol et Destinée avaient l’air de s’en moquer, regardant à travers la grande fenêtre de l’agence de voyages au premier étage. Ils remarquèrent alors que je regardais, je leur avais fait signe de revenir vers nous.

Sewatari attendit que nous soyons tous regroupés, puis sourit : « Bienvenue, joueur Suenaga Yoshio. Bienvenue, villageoise de l’autre monde, Carol. Et bienvenue, Destinée le basilic. Je suis l’un des développeurs du jeu. Je suis le Dieu du destin. »

***

Chapitre 2 : Compagnie des Dieux et ma vie en tant que NEET

Partie 1

C’était le Dieu du Destin ? Je savais qu’elle travaillait pour l’entreprise, mais je n’aurais jamais imaginé que Sewatari… san soit le véritable Dieu du Destin, celui que j’incarnais. Je ne pouvais pas laisser tomber l’honorifique maintenant que je savais qui elle était, même dans ma tête. Peut-être que je ne devrais même pas penser à elle en tant que Sewatari-san mais en tant que Dieu du Destin.

C’était donc la personne avec qui j’avais parlé au téléphone auparavant, j’en étais soudainement sûr. Attendez, comment n’avais-je pas pu le remarquer avant ? Elle n’avait pas utilisé une sorte de changeur de voix.

« Tu te poses des questions sur ma voix, hein ? Eh bien, je suis un dieu. Bloquer ta conscience sur ce genre d’aspect est plutôt mineur. »

« Vraiment, ce n’est pourtant pas ton pouvoir. C’était un de nos collègues. »

Nattyan… san fit alors un clin d’oeil malicieux.

« Hé ! J’essaie d’avoir l’air impressionnant et divin. »

Sewatari-san, le Dieu du Destin, lui répondit en la frappant.

Je n’avais même pas parlé de l’appel téléphonique. Avait-elle lu dans mes pensées ? Je m’étais donc décidé à la tester.

« Tu penses que j’ai parlé de façon très informelle au téléphone ? Eh bien, je ne voulais pas me trahir. C’était uniquement pour ça. »

Oh mon Dieu, elle pouvait vraiment lire dans mes pensées. Elle avait parfaitement répondu à ma question silencieuse.

« Il y a cependant des limites à ma capacité. Je ne peux pas lire dans tes pensées où je veux. Notre pouvoir est plus fort lorsque nous sommes dans cette zone, c’est pourquoi c’est assez efficace. Ne trouves-tu pas cela un petit peu injuste, non ? Moi qui suis la seule à lire dans les pensées. Attends une seconde. »

Sewatari-san sortit son téléphone et tapota l’écran plusieurs fois.

« Ok, ça devrait le faire. J’ai emprunté le pouvoir du livre pour bloquer ma lecture des pensées. Ce serait mauvais si tout le monde au deuxième étage découvrait ma capacité. »

Selon l’annuaire, le deuxième étage appartenait à Isekai Connection. Ça ne voulait-il pas dire qu’ils étaient ses collègues ? D’autres dieux ?

Si Sewatari-san était un dieu, alors Nattyan-san devait en être un aussi. Je ne pouvais pas être informel avec elles comme je l’étais avant.

« Yoshio, qu’est-ce que Seri vient de dire ? », me demanda Carol.

Sewatari-san avait fait en sorte que Carol ne puisse pas la comprendre, hein ? Je lui avais lancé un regard. Cette dernière se gratta la tête maladroitement.

« Si Carol-chan découvre que je suis un dieu, elle ne me regardera plus de la même façon. »

Très juste. Dans l’autre monde, les dieux étaient très vénérés, et personne ne semblait douter de leur existence. Ils n’étaient pas comme moi, qui n’avais cru aux dieux que très récemment.

« On disait que nous aidions les dieux dans leur travail ici toutes les deux, et qu’on était désolés de l’avoir caché. »

« Vous aidez les dieux ? ! Wôw ! Tout ce que je peux faire, c’est aider les gens avec qui je vis. »

Carol leva les yeux vers Sewatari-san, les yeux brillants de respect.

Sewatari-san répondit un peu timidement : « Devrions-nous continuer à parler à l’intérieur ? Il fait froid ici. Il y a probablement une salle de réunion libre quelque part. »

« Je vais aller en réserver une et la faire déverrouiller. »

Nattyan-san s’élança dans les escaliers sans attendre la réponse du Dieu du Destin.

Le Dieu du Destin laissa alors échapper un petit soupir : « Allons-y. »

« Oui, Seigneur », dis-je.

« Arrête ça. Nous ne sommes rien d’autre que des païens dans ce monde, alors traite-nous comme des humains normaux. Ne t’embête pas non plus avec les titres honorifiques. »

« Ok, Sewatari...san. »

Je n’avais pas pu m’empêcher d’ajouter le « san » même après qu’elle m’ait dit d’arrêter. Celle-ci fronça les sourcils. Même cette petite expression semblait lourde de pouvoir.

Nous étions entrés par la porte vitrée que Nattyan-san avait laissée ouverte derrière elle. Le bâtiment était tellement plus chaud qu’à l’extérieur. Les escaliers étaient juste en face de nous, avec un ascenseur à notre droite. Sur la gauche, il y avait la porte de l’agence de voyages.

« Notre département est au troisième étage. Cela ne vous dérange pas d’utiliser les escaliers, n’est-ce pas ? Je peux vous expliquer un peu plus en montant. »

Sewatari-san prit la tête. Je l’avais suivi, en prenant Carol par la main. Destinée s’était accroché à mon dos et posa sa tête sur mon épaule.

« Cette agence de voyages au premier étage n’a rien à voir avec nous, nous ne parlons donc pas des jeux avec eux, même si nous sommes amicaux. Formater la mémoire des gens est ennuyeux. »

Oui, je m’étais demandé s’il y avait un lien.

Attendez, qu’est-ce qu’elle vient de dire ?

« Que voulez-vous dire par “Formater la mémoire” ? »

« Oh, un des autres dieux qui travaille avec nous a le pouvoir de manipuler les souvenirs. C’est ce qu’on utilise quand quelqu’un a un game over. »

C’était ce qui était arrivé à Yamamoto-san juste devant moi, il avait perdu tous ses souvenirs du jeu. Avec tout ce qui se passait, j’avais pris tout ça à la légère, mais c’était intéressant de savoir que c’était basé sur un miracle.

« Je sais que nous avons l’air ordinaires, mais nous sommes des dieux. J’ai d’autres pouvoirs, aussi, mais il y a des limites. »

« Des limites ? »

Elle avait aussi mentionné des limites quand elle avait parlé de son pouvoir de lecture des pensées.

« Oui. Mais je t’en parlerai plus tard. Pour faire court, nous avons perdu beaucoup de nos pouvoirs quand nous sommes venus au Japon. »

Quand ils sont venus au Japon ? L’expression de son visage me montra que c’était un sujet sensible. De plus, elle avait dit qu’elle entrerait dans les détails plus tard. Je pouvais attendre jusque là.

« Bon, c’est le deuxième étage. »

Ce palier avait une porte vers la section principale du bâtiment et un hall d’ascenseur, tout comme le premier étage. La porte principale était grande et en verre, flanquée de plantes d’intérieur. Au-delà, il y avait des bureaux avec des ordinateurs, disposés en lignes bien ordonnées. Cela ressemblait à n’importe quel autre bureau que j’avais visité pour mon travail de nettoyage, un espace ouvert tout à fait ordinaire. Une quinzaine de personnes travaillaient dur ou parlaient au téléphone. Seuls trois d’entre eux portaient des costumes, les autres étaient habillés de manière décontractée. Ce n’était pas ce que l’on attendrait d’employés de bureau.

« Il n’y a pas de code vestimentaire dans notre entreprise. D’habitude, je m’habille un peu plus décontracté que ça, mais je voulais être élégante pour le moment où nous viendrons te chercher, Yoshio-kun. Est-ce que ça me va ? »

Sewatari-san posa une jambe sur l’escalier au-dessus et prit la pose. Avec sa silhouette élancée et son joli visage, elle ressemblait à un mannequin tout droit sorti d’un magazine de mode.

« Oui, ça vous va incroyablement bien. »

« Je t’ai dit de ne pas être si formel ! Je comprends que tu sois nerveux devant un dieu, mais essaie d’être comme avant, d’accord ? »

« Je ferai de mon mieux. »

C’était une demande difficile. Je n’étais pas assez courageux pour traiter un dieu comme mon ami. Et même si son apparence n’avait pas changé, elle était différente. Divine. Je savais qu’elle me disait la vérité.

« N’essaie pas non plus de regarder sous ma jupe. Sauf si tu veux sentir ma colère. »

« Je ferai attention. », dis-je en gloussant nerveusement.

Était-ce une blague ? Étais-je censé sourire ou elle aurait trouvé ça impoli ?

« Ugh, c’est pour ça que je ne voulais pas que tu saches qu’on était des dieux jusqu’à la fin ! Je te l’ai dit, on est des païens ici ! Nous sommes seulement des dieux dans l’autre monde. Tu n’as pas à être si nerveux. »

Elle pouvait me le dire autant de fois qu’elle le voulait, je ne pouvais pas faire comme si je ne le savais pas. Ce n’était pas un événement quotidien. Comment étais-je censé réagir à cela ?

« Ok, je vais continuer à parler. N’allez pas dans le bureau du deuxième étage. Tu peux faire ce que tu veux au troisième étage, mais le deuxième est complètement interdit. », dit Sewatari-san en soupirant.

Sewatari-san posa ses mains sur ses hanches comme si elle s’attendait à ce que cela aide à faire passer le message.

Je n’avais pas compris. Le deuxième étage appartenait aussi à Isekai Connection, c’était donc ses collègues, non ?

« Le deuxième étage est un département différent. Pour être tout à fait honnêtes, nous ne nous entendons pas vraiment avec eux. Beaucoup de gens de notre étage ont des préjugés contre eux, et vice versa, mais je n’en fais pas partie. Restez juste à l’écart. »

Malgré son ton léger, un froncement de sourcils était gravé sur son front. C’était assez intimidant pour me faire frissonner étant donné que sa vraie nature divine était imprégnée dedans.

***

Partie 2

Carol, Destiné et moi avions hoché la tête.

« Vous êtes tous si raisonnables, cela me rend heureuse ! Et maintenant, nous sommes dans mon département ! », dit Sewatari-san en gloussant.

Elle s’était dirigée d’un pas rapide vers la porte. Le troisième étage était identique au deuxième, avec le hall d’ascenseur et le décor. La seule différence était le type de plantes d’intérieur.

« Entrez ! », dit Sewatari-san en faisant signe.

De l’autre côté de cette porte se trouvait un bureau rempli de dieux, avec moi maintenant, un ancien NEET. Je ne pouvais pas vraiment entrer là-dedans ?

Je m’étais arrêté net, vaincu par la peur. Carol, pendant ce temps, entra avec Destiné dans ses bras. J’avais admiré son innocence et sa curiosité d’enfant. Je ne pouvais pas la laisser m’impressionner. J’avais gonflé ma poitrine, j’étais entré à grandes enjambées. Ma confiance était bien sûr complètement fausse.

« Mon joueur vient d’envoyer une autre prophétie folle ! Bon sang, je ne peux pas juste confisquer ce livre ? »

« Es-tu sûr que tu veux utiliser autant de miracles ? Il ne te restera presque plus de points… »

« Mon écran est bizarre. Que quelqu’un appelle IT ! »

« Je jure que si ces dieux corrompus dépassent les bornes encore une fois… »

À l’instant même où nous étions entrés, des voix bourdonnèrent autour de nous. La pièce spacieuse était remplie de bureaux, chacun possédant trois cloisons afin de donner à son occupant son propre espace. Le plafond faisait un peu plus de quinze pieds de haut selon mon estimation, et il devait y avoir près d’une centaine de bureaux, dont la moitié était occupée par des gens… non, des dieux, qui travaillaient.

Leurs apparences étaient étrangement variées. Certains étaient manifestement asiatiques, tandis que d’autres semblaient scandinaves.

« Ce sont tous des dieux de l’autre monde ? »

« Oui. Il y a parfois des humains ici, mais aujourd’hui, il n’y a que des dieux. »

Leurs visages, leurs vêtements et leur discours leur conféraient à tous une apparence complètement humaine, mais les habitants de l’autre monde avaient aussi une apparence humaine. C’était donc logique, puisque beaucoup de nos dieux avaient aussi l’air humains.

Malgré leur apparence, je devais me souvenir de leur divinité et faire attention à ne pas leur manquer de respect. Je m’étais préparé du mieux que j’avais pu. Le fait que certains d’entre eux grignotaient en travaillant ou bâillaient et jouaient avec leurs téléphones n’aidait pourtant pas.

« Allons-nous dans la salle de réunion ? »

« O-oui, madame. »

J’avais suivi Sewatari-san avec raideur. Je jetais des coups d’œil autour de moi, mais je ne pouvais pas distinguer cet endroit d’un bureau ordinaire. J’avais pourtant remarqué que certains employés me fixaient durement. Je ne pouvais pas les blâmer, n’importe quel humain, surtout un aussi quelconque que moi, aurait semblé déplacé ici.

J’avais essayé de ne pas établir de contact visuel. Même avec plus de cent personnes travaillant, le bureau semblait spacieux. Il semblait certainement beaucoup plus grand que de l’extérieur, à tel point que j’avais du mal à le croire. D’après la taille du bâtiment, il ne devrait même pas faire un dixième de cette taille. Je ne pouvais pourtant pas nier ce que je voyais. Normalement, je serais resté bouche bée de surprise, mais après tout ce que j’avais vécu, ce serait une réaction excessive. Ce bureau abritait un tas de dieux. Manipuler l’espace n’était probablement rien pour eux.

Une porte à notre gauche s’était ouverte, et le visage bronzé de Nattyan-san apparu derrière elle.

« Oh, hé, vous avez réussi. Venez, entrez là ! »

Son sourire amical me rassura. Même en sachant qu’elle était un dieu d’un autre monde, son attitude me mettait à l’aise.

« Merci, Nattyan ! Par ici ! »

Sewatari-san nous fit signe d’avancer.

J’avais accéléré le pas et m’étais glissé dans la pièce derrière elle, soulagé d’être à l’abri des regards de tous.

La salle de réunion contenait une longue table entourée de chaises pliantes et d’étagères remplies de dossiers. Un grand aquarium grouillait de poissons tropicaux multicolores. Un tableau blanc était accroché au mur de droite, vierge à l’exception de quelques taches, comme si quelqu’un avait effacé quelque chose à la hâte. J’avais plissé les yeux, me demandant si je serais capable de lire quelque chose.

« Réponse à la corrup… tion. Microtransactions… Prix plus bas… »

« Arrête ça. Ce sont des secrets commerciaux ! »

Sewatari-san effaca le reste du tableau et se retourna.

Elle tapa sa main contre le tableau blanc et sourit.

« Il est temps d’entrer dans le vif du sujet ! »

Je m’étais assis sur l’une des chaises. Une boisson chaude fut placée devant moi. Je levais les yeux et constatais qu’une femme avec des cheveux noirs jusqu’à la taille se trouvait là. Enfin, j’avais supposé que c’était une femme parce qu’elle portait une robe bleue, mais ses cheveux cachaient complètement son visage.

« Merci », dis-je.

Elle tint le plateau contre sa poitrine et me fit un rapide signe de tête. Je ne savais même pas à quel moment cette personne était entrée. Je ne me souvenais même pas avoir entendu la porte s’ouvrir. Quand j’avais levé les yeux de mon verre, elle était partie.

« Huh ? »

J’avais cru qu’elle était repartie en silence, mais je remarquais rapidement qu’elle était assise seule dans un coin. Avec sa façon de regarder et d’agir, elle me faisait penser à un fantôme. Peut-être que c’était impoli de penser ça. Quoi qu’il en soit, elle semblait être ici pour participer à la réunion.

Elle brandit alors un petit panier de snacks et fit signe à Carol et Destiné. Ces derniers s’étaient approchés avec hésitation, envoûtés par la promesse de bonbons. Si elle les divertissait, je pourrais me concentrer sur ce que Sewatari-san disait. J’avais incliné ma tête, mais elle rejeta rapidement mes remerciements. Je ne pouvais pas voir son visage, mais je dirais qu’elle était embarrassée. Mais comme ni Sewatari-san ni Nattyan-san n’avaient réagi, j’avais décidé de laisser tomber.

« D’abord, je veux m’excuser de vous avoir menti sur nos identités. Je suis désolée. »

« Oui, désolée. »

Les deux femmes baissèrent la tête. Je m’étais levé d’un bond, incapable de faire face à cette situation.

« S’il vous plaît, ne vous excusez pas ! LE fait que vous m’ayez menti ne me dérange pas ! »

C’était beaucoup trop pour moi. Qu’est-ce qui pouvait pousser deux dieux à s’excuser auprès d’un NEET ?!

« Nous arrêterons de nous excuser si tu cesses de nous parler si poliment ! »

Sewatari-san leva alors les yeux vers moi, toujours penchée en avant.

Je n’avais pas réalisé qu’il s’agissait d’une négociation.

« Mais j’essaie juste d’être respectueux ! »

« Je croyais que les Japonais n’étaient pas vraiment religieux ? C’est ce qu’on entend dans les milieux d’affaires divins. »

Il y a des milieux d’affaires divins ?

Mais elle avait raison. Il y avait bien des Japonais qui fêtaient Noël ou qui allaient visiter un sanctuaire le jour de l’an, mais nous avions toujours un pourcentage élevé d’athées et étions considérés comme un pays plus laïque que la moyenne. Mais cela ne signifiait pas que toute personne raisonnable serait assez courageuse pour agir avec indifférence face à un vrai dieu. Il n’y avait vraiment aucune raison de tenir bon si elles ne voulaient pas que je le fasse.

« O-ok, je le ferai… J’essaierai d’être plus décontracté. »

« Super ! Nous allons donc continuer ! »

Sewatari et Nattyan se redressèrent à nouveau. Bien que Sewatari ait dit qu’elle ne pouvait plus lire mes pensées, j’avais pris soin de ne pas ajouter d’honorifiques à leurs noms dans mon esprit.

« Tout d’abord, tu dois savoir que nous ne nous attendions pas non plus à ce que Carol-chan se retrouve dans ce monde. Le système n’était pas censé laisser passer des humains ou d’autres offrandes vivantes. »

« C’est vrai. Les humains ne devraient pas pouvoir passer par le portail. »

Les êtres vivants ne pouvaient pas être envoyés ? Et qu’est-ce qu’ils voulaient dire par « portail » ? Elles allaient trop vite pour moi. Je devais recevoir des explications.

« Puis-je poser une question ? »

« Vas-y, Yoshio-kun. »

Sewatari, qui portait à présent une paire de lunettes à monture noire, je n’avais d’ailleurs pas vu à quel moment elle les avait mises, me lança un pointeur. Je ne savais pas non plus d’où cela venait. Elle essayait probablement de m’injecter de la confiance, mais on aurait dit qu’elle jouait le rôle d’un professeur.

« Tu as dit que les êtres vivants ne pouvaient pas être envoyés en offrande, mais qu’en est-il de Destiné ? »

« Ah, c’est vrai. Comme c’était encore un œuf, le système l’a probablement reconnu comme de la nourriture. C’est aussi notre faute. »

Il avait pensé que c’était de la nourriture ? Comment ce système fonctionnait-il exactement ?

« Que voulais-tu dire à propos des portails ? »

« Oh, oui, le portail ! Pour expliquer cela, je pense qu’il faut revenir sur la façon dont nous, les dieux, sommes arrivés dans ce monde et avons commencé à développer le jeu. »

***

Partie 3

Apparemment, j’avais posé une question pertinente. Je m’étais redressé, prêt à écouter chaque mot.

« Tu dois savoir que le monde d’où nous venons existe sur un plan légèrement supérieur à celui de la Terre. Imagine que notre monde et la Terre soient deux aquariums différents. Le réservoir de notre monde est situé plus haut que celui de la Terre. Du moins d’un point de vue géographique. »

Sewatari prit son verre et se dirigea vers l’aquarium, celui où des poissons tropicaux flottaient tranquillement. Elle s’accroupit devant lui et tendit sa tasse légèrement en dessous.

« Il y a longtemps, dans notre monde, le monde du jeu, les dieux corrompus ont affronté les principaux dieux. Ce fut une bataille féroce qui a fini par ouvrir une fissure dans le monde. Une fissure invisible qui recouvrait tout. Penses-y comme à un petit trou dans le côté de cet aquarium. »

Sewatari tapota son pointeur sur la partie inférieure de l’aquarium. S’il y avait un trou à cet endroit, toute l’eau s’écoulerait.

« Nous, les dieux, avons essayé désespérément de boucher ce trou, ou portail, mais le réparer s’est avéré bien plus difficile que prévu. Comme ce n’était qu’un petit trou, il n’avait aucun effet sur les dieux majeurs puissants ou corrompus, mais les dieux mineurs plus faibles ont commencé à être aspirés à travers et à tomber dans l’autre aquarium. »

Sewatari agita le pointeur, mimant l’eau qui s’écoulait dans sa tasse.

« Donc vous, les dieux mineurs, êtes tombés dans la tasse, autrement dit, la Terre ? »

« Exactement ! Tu as compris. »

C’était logique. Enfin, ça l’était si j’oubliais momentanément tout ce que je savais être vrai sur le monde.

« Quand tu dis Portail, tu ne veux pas dire quelque chose de physique, hein ? C’est plus quelque chose de… spirituel ? »

« Je pense que les principaux dieux ont dit que c’était, comme une sorte de barrière entre les mondes. Quelque chose d’invisible qui transcende le temps et les dimensions, euh… »

Nattyan traîna alors en longueur.

« Oui, c’est ça. », dit Sewatari en hochant la tête.

Une barrière ? Je crois que j’ai compris.

« Bref, notre pouvoir divin a commencé à s’échapper de ce trou petit à petit. C’était comme de l’eau, coulant vers le bas, et comme notre monde est au-dessus du vôtre, c’est là qu’il est allé. Ce pouvoir divin a coulé sur la Terre. »

« Attends, une puissance mystérieuse invisible… comme ton aura, a donc commencé à se déverser sur Terre ? »

« Oui. Oui, c’est ça. D’ailleurs, “Aura” est un bon mot pour le décrire. »

Vraiment ? C’est le premier mot qui m’est venu à l’esprit.

« Comme nous, les dieux mineurs, sommes constitués de cette aura divine intangible, on a commencé à glisser du portail vers la Terre. Comme ça. »

Nattyan leva les bras et remua son corps en signe de démonstration.

« Nous avons essayé de revenir depuis, mais il est difficile de nager contre une cascade constante d’aura divine. Pire encore, nous avons perdu la plupart de nos pouvoirs lorsque nous sommes tombés sur Terre. »

Les épaules de Sewatari et Nattyan s’affaissèrent et elles soupirèrent. Je ne saurais dire s’il s’agissait d’une véritable manifestation de déception ou si elles exagéraient pour faire passer le message à un humain comme moi.

« C’est tout ce que nous pouvions faire pour garder des formes physiques comme celle-ci, et il n’y avait aucune chance que nous soyons assez forts pour retourner dans notre monde. Tous les dieux mineurs qui sont tombés ici ont fini par s’unir pour survivre. »

Ces dieux s’étaient soudainement retrouvés perdus dans un monde inconnu. Je sais que ce n’était pas très gentil de ma part de penser ça, mais cela avait probablement été assez drôle.

« On était en mode panique totale. Nous avons utilisé le dernier de nos pouvoirs pour fixer la mémoire du type qui possédait le terrain où l’aura tombait, en le prenant sous notre aile ainsi que la structure construite dessus. Puis on a créé la société de jeux là où tu te trouves. »

« Pourquoi des jeux ? »

« Je savais que tu demanderais ça. Nous, les dieux mineurs, avons besoin d’un apport constant d’aura divine, sinon nous ne pourrons pas survivre. On peut s’en éloigner pendant quelques jours, mais on ne peut pas utiliser nos pouvoirs quand elle n’est pas à proximité. »

S’ils pouvaient utiliser leurs pouvoirs, nous aurions probablement eu plus de facilité à nous échapper de ces joueurs dieux corrompus.

« Nous étions donc coincés à Hokkaido, où l’aura se déversait. Nous devions trouver quelque chose à faire sans quitter ces bureaux, et il se trouvait qu’il y avait déjà une société de développement de jeux dans ce bâtiment. Je suppose qu’on peut appeler ça le destin, hein ? »

Était-ce une blague ? Je ne savais pas si je devais rire ou non. Et qu’était-il arrivé aux personnes qui avaient travaillé ici auparavant ? Une partie de moi ne voulait pas le savoir.

« L’aura divine est générée par la foi des gens vers les dieux. Sans cela, nous disparaîtrions tout simplement. On a créé notre jeu à la fois pour s’assurer des adeptes et pour gagner l’argent dont on a besoin pour survivre dans ce monde. »

Logique.

Pourtant, je voulais avoir le temps d’assimiler toute cette absurdité. Je ressassais tout ça dans mon esprit, en essayant de lui donner un sens, mais cela n’avait produit au final qu’une génération de multitude de questions.

« Je suppose que c’est tout pour le moment. Tout autre chose ne ferait que t’embrouiller à ce stade. Nous t’expliquerons plus tard, donc c’est ton tour maintenant, Yoshio-kun. Des questions ? Inquiétudes ? », dit Sewatari.

« Est-il possible de renvoyer Carol et Destiné dans leur monde d’origine ? »

J’avais demandé sans hésiter. Carol, Destiné et la femme dans le coin s’étaient tous tournés vers moi à la mention de leurs noms, des bonbons à la main.

« C’est vrai, c’est la plus grande préoccupation ici. Je pense que c’est possible. »

Un soulagement m’envahit. J’avais échangé un regard avec Carol. Celle-ci rayonna.

« Je sais que cela semble être une bonne nouvelle, mais j’ai peur qu’il y ait un “mais” à venir. », dit Sewatari.

Carol et moi avions fait une pause à mi-course pour regarder Sewatari. Elle s’inclina, les mains jointes.

« Ce n’est rien de grave, nous ne pouvons simplement pas les renvoyer immédiatement. Donne-nous un peu de temps, et ça devrait être possible. », nous promit-elle.

« Vraiment ? »

Je ne voulais pas être pris au dépourvu par un autre « mais ».

« Comme je l’ai dit, l’aura divine s’écoule de notre monde comme une cascade. C’est facile de laisser tomber quelque chose dans la piscine en dessous, cela s’écoule simplement avec l’eau. Mais essayer de faire remonter quelque chose de la piscine au sommet de la cascade est pratiquement impossible. »

Sewatari fit un geste vers l’aquarium et se lança à nouveau dans des explications.

« Les offrandes étaient faciles à amener dans ce monde, puisqu’elles suivaient le flux de l’aura divine. Essayer de renvoyer les choses, par contre… Je veux dire, si nous étions capables de le faire, nous ne serions pas nous-mêmes coincés dans ce monde. »

Évidemment. Pourquoi resteraient-ils dans un autre monde s’ils n’y étaient pas obligés ? Si c’était si facile de revenir en arrière, ils n’auraient pas pris la peine de créer toute une société de jeux juste pour survivre.

« Et même si nous pouvions lutter contre le flux d’aura et atteindre le sommet, le portail est trop petit pour que nous, dieux mineurs, puissions le franchir. Il était plus grand avant, mais on dirait que les dieux majeurs l’ont rafistolé pour empêcher trop d’aura de sortir. »

« C’est bien trop étroit pour qu’on puisse le franchir. »

Nattyan le démontra en faisant un anneau avec son poing et en passant son doigt à travers. Elle ne semblait pas réaliser que ce geste pouvait être sauvagement mal interprété.

« Cela ne veut-il pas dire que renvoyer Carol et Destiné est impossible ? », avais-je demandé.

« L’aura divine nous affecte, nous les dieux, bien plus qu’elle ne touche les humains et les monstres. Comment pourrais-je le dire… ? »

Sewatari se tourna alors vers Nattyan pour avoir son avis.

Nattyan s’était montrée du doigt comme pour confirmer que Sewatari voulait qu’elle explique, puis elle commença à balancer la tête d’avant en arrière dans ses pensées.

« Euh, voyons voir… et bien, comme nous sommes constitués d’aura, ce serait pour nous comme nager contre un courant boueux et puissant. Comme les humains et les monstres n’ont pas vraiment d’aura, ils pourraient par contre nager dans une piscine calme. »

« Oui ! C’est ça ! Bon travail ! »

Nattyan grimaça faiblement devant les louanges de Sewatari.

« En d’autres termes, il est plus facile pour les humains et les monstres de lutter contre le courant que les dieux. Le portail est d’une taille parfaitement adaptée pour toi. Nous devons juste faire quelques ajustements, ce qui prendra un peu de temps. Pas beaucoup, cependant ! »

« OK. S’il vous plaît… renvoyez-les chez eux ! »

J’avais baissé la tête si fortement qu’elle faillit claquer contre le bureau.

« S’il vous plaît ! », ajouta Carol.

Je devais juste leur faire confiance, et attendre, et être satisfait qu’elles fassent de leur mieux.

« Laisse-nous faire ! Oh, et je voulais te demander quelque chose. Pendant qu’on répare le portail, veux-tu faire un peu de travail pour nous ? »

« Euh, excusez-moi ? »

***

Chapitre 3 : Compagnie des Dieux et mon travail

Partie 1

« Bonjour ! »

« Bonjour ! », dit Carol en écho.

« Bonjour, les gars », dit un des dieux en bâillant.

Nous avions interrompu notre nettoyage pendant que les dieux montaient les escaliers vers leur lieu de travail au troisième étage. Nous les avions salués joyeusement. Carol, qui affichait un énorme sourire et sa propre tenue de travail, les salua avec encore plus d’enthousiasme que moi. Les dieux ne purent pas s’empêcher de lui sourire en passant.

Le fait qu’ils avaient réussi à m’obtenir une tenue m’avait surpris, et encore plus une tenue de nettoyeur assez petite pour elle. Elle avait plus l’air de faire du cosplay que de travailler, mais elle était si adorable que cela n’avait guère d’importance.

On m’avait assigné la tâche de nettoyer l’immeuble d’Isekai Connection. C’était l’idée de Sewatari, je devais rester et travailler ici jusqu’à ce que Carol soit capable de retourner dans l’autre monde. J’avais eu peur qu’elle me demande d’aider à développer le jeu, mais c’était parfait. J’avais utilisé plus de la moitié de mes économies pour nous amener à Hokkaido. À ce rythme, je n’aurais plus rien à dépenser pour Le Village du Destin une fois rentré chez moi.

Ils m’avaient demandé de nettoyer les toilettes, le hall d’ascenseur, les escaliers et le couloir principal. À part ça, je faisais des petits boulots, comme sortir les poubelles. J’avais prévu de travailler seul, mais Carol insista pour m’aider et elle n’accepta pas de refus. Quant à Destiné, il était recroquevillé devant le chauffage dans le bureau du troisième étage. Comme tout bon lézard, il n’aimait pas le froid. Hokkaido était beaucoup plus dure pour lui que l’endroit d’où nous venons. Toute motivation qu’il aurait pu avoir à travailler fut immédiatement sapée par la température de l’air. Je craignais qu’il ne soit gênant, mais il semblait très populaire auprès du personnel, ou des dieux, et passait un merveilleux moment à se détendre et à manger des bonbons.

« Yoshio, devrais-je essuyer les escaliers ? », demanda Carol.

« Oui, bonne idée. Je vais utiliser l’aspirateur, euh, cette chose ici, pour aspirer la saleté, alors pourrais-tu utiliser cette serpillière pour nettoyer derrière moi ? »

« OK ! »

J’avais mis un panneau en bas des escaliers qui disait « nettoyage en cours », et j’avais mis en marche l’aspirateur. En général, on était censé commencer à nettoyer à l’étage le plus élevé et descendre, mais le quatrième étage et les escaliers qui y mènent étaient interdits. L’ascenseur avait un bouton pour le quatrième étage, mais rien ne se passait quand j’appuyais dessus. Quand j’en avais parlé à Sewatari, elle me dit que c’était top secret.

J’étais curieux, mais je n’étais pas non plus assez courageux pour essayer de fouiller dans les affaires divines, j’avais donc laissé tomber. Les escaliers du quatrième étage étaient entourés de ces cordes qui agissaient comme des talismans de sanctuaire, et il faisait si sombre qu’on ne pouvait pas distinguer le palier, même en plein jour. L’effet était effrayant, comme si l’obscurité attendait d’engloutir tout ce qui oserait s’en approcher. Le regarder me fit frissonner.

Je m’étais retourné vers Carol, nous avions alors commencé à nettoyer. Et une fois que nous avions terminé avec les escaliers du troisième étage, nous étions passées au hall de l’ascenseur au deuxième étage. Bien que le couloir du deuxième étage soit également sur ma liste des endroits à nettoyer, on m’avait prévenu de rester sur mes gardes. Cet étage contenait un profond et sombre secret qui lui était propre.

« Oh, vous êtes le nouveau nettoyeur qui travaille ici dernièrement ? », une voix m’appela de derrière nous alors que j’attendais que Carol finisse avec la serpillière.

Je m’étais retourné pour faire face à un homme à l’air louche, au crâne rasé, portant des lunettes de soleil et un costume rayé. Il devait mesurer plus d’un mètre quatre-vingt, ce qui le rendait encore plus intimidant. Il me rappelait un méchant dans une série télévisée.

« Effectivement. Ravi de vous rencontrer. »

« Continuez à faire du bon travail. Faites en sorte que ce soit propre et agréable pour nous. »

Son accent n’était pas celui que je m’attendais à entendre à Hokkaido, mais je m’étais dit qu’il devait être aussi un dieu. Je veux dire, tout le monde qui travaillait ici l’était, à part les agents de voyage au premier étage. Il semblait pourtant avoir beaucoup de temps libre.

« Quel est le problème ? Quelque chose sur mon visage ? »

« Oh, non. Je ne suis pas… »

« Ta tête est toute brillante ! Pourquoi tes lunettes sont-elles colorées ? »

C’était bien évidemment Carol qui posait les questions impolies, et pas moi. J’avais rapidement sauté pour couvrir sa bouche, mais c’était trop tard. J’avais senti le regard de l’homme à travers ses lunettes de soleil. Carol n’avait pas fait attention, fixant la tête du dieu avec étonnement.

« Ne demande pas des choses comme ça, Carol. Je suis vraiment désolé, monsieur. »

« N’ayez crainte. Je pense qu’elle a du potentiel. Tu veux un bonbon ? »

L’homme lui adressa un sourire déconcertant et lui offrit une friandise tirée de sa poche.

Peut-être que ma première impression était exagérée, mais j’avais quand même pensé que nous devions être prudents. Je savais qui il était. Les travailleurs du troisième étage étaient des dieux mineurs, mais tous ceux du deuxième étage étaient alliés aux dieux corrompus.

Je connaissais un peu la querelle entre les deux groupes grâce aux conversations de mes villageois. Un groupe de dieux connu sous le nom des huit sacrés régnait sur tous les autres. Un jour, le plus fort d’entre eux mena une rébellion de dieux mineurs. Il n’aimait pas la direction que les sept autres prenaient pour le monde.

Les dieux les plus faibles choisirent chacun un dieu plus fort avec lequel s’allier, et la bataille fit rage pendant plus d’un an, pour finalement aboutir à la défaite du dieu rebelle, qui fut scellé sous terre. C’était le principal dieu corrompu. Le seul dieu corrompu, en fait.

Au moment où j’avais entendu l’histoire pour la première fois, j’avais été surpris par le côté déséquilibré de la tradition. Comme il y avait sept dieux majeurs, je m’attendais à ce que l’autre côté s’équilibre, mais c’était vraiment un contre sept. Le dieu corrompu avait plusieurs dieux mineurs dans son entourage, mais la différence de pouvoir entre les dieux mineurs et majeurs était énorme.

En d’autres termes, ce seul dieu corrompu devait être incroyablement puissant.

Malgré l’apparence rude de cet homme, il semblait gentil. J’avais commencé à douter de mon évaluation initiale.

« Vous vous méfiez parce que je suis un dieu corrompu ? »

Un frisson parcourut ma colonne vertébrale. Pouvait-il lire dans mes pensées ? Non, Sewatari a dit qu’elle avait mis un terme à cela.

« On lit en vous comme dans un livre ouvert. N’importe qui saurait que vous êtes nerveux en ce moment en regardant votre visage. »

Vraiment ?

J’avais touché mon visage avec curiosité, seulement pour baisser les yeux et trouver Carol qui me faisait un signe de tête. J’avais toujours pensé que j’étais bon pour cacher mes émotions, mais apparemment non.

« Savez-vous au moins la différence entre le dieu corrompu et les dieux majeurs ? »

La différence ? Pas vraiment. Je ne connaissais que l’histoire racontée par les villageois, et les morceaux que j’avais rassemblés lors de mes rencontres avec des dieux mineurs corrompus.

« Seulement qu’il y a eu une grande guerre. »

« C’est ce que je pensais. Le problème, c’est que la guerre a commencé à cause d’une différence de valeurs. »

« Une différence de valeurs ? »

Étrange. Je pensais qu’il allait dire que le dieu corrompu était mécontent des autres.

« En effet. Les principaux dieux favorisent les gens et les animaux, mais ils détestent les monstres. Ils pensent qu’ils sont sales. Mais notre dieu dit que les monstres sont égaux aux gens. Il dit que toute vie est égale, et qu’il n’est pas juste de soutenir une espèce plutôt qu’une autre. », dit-il calmement.

J’avais dégluti. Si ce qu’il disait était vrai, alors les dieux corrompus étaient moins mauvais que je ne le pensais.

« La même chose se passe sur Terre, non ? On dit que l’histoire est écrite par les vainqueurs. Vous avez remarqué que ce sont toujours les gentils qui gagnent ? Si j’étais humain, je me rangerais du côté des grands dieux. Après tout, ce sont eux qui me favorisent, » murmura l’homme.

J’avais étudié son visage. Il n’avait pas l’air de mentir, mais je n’avais pourtant aucune preuve qu’il disait la vérité.

« Ton visage est devenu tout fripé, Yoshio. »

Carol me fit alors signe. Je m’étais accroupi pour être à son niveau. Elle mit alors un doigt sur mon front, frottant comme si elle essayait d’atténuer mon froncement de sourcils.

***

Partie 2

« Ne t’inquiète pas. J’étais juste en train de réfléchir. »

Essayer de comprendre quelque chose qui était au-delà de ma compréhension par sa nature même était une perte de temps. Je m’étais dit que j’allais demander ça à Sewatari ou Nattyan plus tard.

« Elle est adorable, hein ? Rien que de la regarder me calme. »

Le dieu corrompu sourit à Carol. Un sourire presque paresseux, sans la solennité qu’il avait montrée quelques instants auparavant.

« Tout le monde penserait que tu la dragues, Gen. »

« Dégage de là. »

Une femme avec une coiffure courte apparut. Si j’avais bonne mémoire, cette coiffure s’appelait un « bob ». Le modèle préféré de Sayuki avait la même coupe de cheveux. Cette femme avait des yeux en amande et des lèvres rouge vif. Elle portait un costume similaire à celui de Sewatari, un choix vestimentaire rare par ici.

« Tu n’es pas censée travailler, Gen ? »

« Je suis occupé à admirer cette petite fille en ce moment. », répondit Gen.

« Tu devrais faire attention en disant des choses comme ça avec ton apparence. Toute personne raisonnable appellerait la police. »

J’avais failli hocher la tête pour acquiescer, mais je m’étais vite arrêté lorsque Gen me lança un regard noir.

« Tu es toujours si sérieuse, Un-chan. Peu importe dans quel monde on se retrouve ! »

« Je t’ai dit et répété de ne pas m’appeler comme ça. »

Sa voix basse et menaçante était presque noyée par le bruit du vent.

Le vent soufflait contre ma frange, si fortement que j’avais dû fermer les yeux. Je les avais rouverts et m’étais figé. Le pied de Un-chan était pressé contre la gorge de Gen. Elle avait dû donner un coup de pied pendant la seconde où j’avais les yeux fermés.

« Tu réagis de façon excessive ! Les dieux ne s’affrontent pas entre eux, tu te souviens ? »

Gen enroula une main autour de sa cheville, l’empêchant de l’étouffer.

« Nous nous disputons, nous ne nous battons pas. Je te donnais simplement un coup de pied pour m’avoir tapé sur les nerfs. »

Un-chan le regarda froidement, sans prendre la peine de baisser sa jambe.

En tant qu’humain, je ne savais pas comment désamorcer cette situation. Tout ce que je pouvais faire était de regarder en silence. J’avais mis Carol derrière moi et j’avais commencé à reculer vers les escaliers. Juste à ce moment, j’avais senti une main sur mon épaule. Je m’étais retourné pour trouver Sewatari qui fronçait les sourcils devant moi.

« Un-chan ! Gen-chan ! »

Sewatari fit un pas en avant et leur donna une pichenette sur le front.

« Vous vous ridiculisez devant les humains ! »

Le visage d’Un-chan rougit.

« Je suis désolée, Senpai. C’était déplacé de ma part. »

Elle baissa lentement sa jambe et lissa sa jupe. La violence avait complètement disparu de son comportement.

« Tu agis comme une sainte-nitouche maintenant parce qu’elle est venue ! », grogna Gen. Sewatari l’avait appelée « Un-chan », et elle ne l’avait pas corrigée. En fait, elle en avait l’air heureuse.

« Je sais que tu travailles dur, Un-chan, mais tu dois faire plus d’efforts pour t’entendre avec tes collègues. »

« Oui, madame. Je suis désolée, Gen… même si tu es un pédophile. »

« Salope ! »

Ce n’était pas vraiment ce qu’on pouvait appeler des excuses.

« Heureuse de voir que vous vous êtes réconciliés. Au fait, Gen-chan… Yoshio-kun et Carol-chan sont des amis très chers, je suis sûre que tu ne leur causeras aucun problème. », dit Sewatari.

Elle souriait en parlant, mais son regard montrait une tout autre forme d’émotion.

« O-Oui », grommela Gen tout en pâlissant.

D’après les apparences, il n’aurait pas dû avoir peur de la fine Sewatari, mais c’était un dieu du plus haut rang, et elle le surpassait probablement. Alors qu’il s’éloignait en silence, je me sentais honnêtement un peu mal pour ce gars.

« C’est ton joueur, Senpai ? » demanda Un-chan gentiment en s’agitant.

Je n’arrivais pas à croire que c’était le même dieu qui venait de frapper Gen.

« Exact. »

« Ton joueur… »

Un-chan me regarda, je me sentis gelé devant son regard glacé. Pendant un instant, j’avais senti une flambée de haine intense focalisée sur moi, avant qu’elle ne disparaisse.

« Je dois me présenter. Je suis le dieu chargé de la fortune. Traite-moi comme une amie, tout comme tu le fais avec Senpai. Tu peux m’appeler Un-chan si tu veux, ou comme tu veux. »

Elle me sourit chaleureusement tout en me tendant la main.

Je ne pouvais pas oublier ce regard sinistre. J’avais tendu la main avec précaution, mais elle l’avait saisie et m’avait tiré en avant.

« Ne te familiarise pas trop avec Senpai. Compris ? » me chuchota-t-elle à l’oreille.

« O-Oui… »

Wôw, ne pense même pas l’appeler Un-chan. Plutôt Un-sama. Était-elle vraiment le Dieu de la Fortune ? En parlant de ça, Sewatari avait dit qu’elle jouait au Dieu de la Fortune lors de notre première rencontre, non ?

« Je suis heureuse de constater que vous vous entendiez bien. Ça te dérange de veiller sur ces deux-là, Un-chan ? S’assurer que personne ne les dérange ? »

« Bien sûr, Senpai. Je ferais n’importe quoi pour toi ! »

Elle lâcha immédiatement ma main comme si elle était sale et se précipita pour prendre celle de Sewatari.

Cela commence à être un peu tendancieux là…

Un-sama n’avait vraiment pas l’air d’aimer que je sois près de Sewatari. On dirait qu’elle ferait n’importe quoi pour le Dieu du Destin.

« Si vous voulez bien m’excuser, je dois me remettre au travail. »

Un-sama se retira dans le bureau du deuxième étage, jetant un coup d’œil par-dessus son épaule plusieurs fois en chemin.

Attends… le bureau du deuxième étage ? J’étais sûr qu’elle travaillait pour les grands dieux. Après tout, elle était en bons termes avec Sewatari et hostile envers ce seul dieu corrompu.

« Désolé que vous ayez eu à voir ça, surtout de la part de dieux. Comme je l’ai déjà dit, vous devez faire attention aux travailleurs du deuxième étage. Même s’ils semblent gentils, ils sont toujours nos ennemis. »

Est-ce que cela incluait Un-sama ? Je voulais le savoir, mais j’avais gardé le silence. Pas la peine de fourrer mon nez dans les affaires des dieux. Et même s’ils avaient l’air aussi humains que moi, ou s’ils me montraient de la gentillesse, je devais me rappeler qu’ils étaient des êtres d’une tout autre dimension.

*****

Nous avions réussi à travailler sans être interrompus, et à midi, nous avions terminé le nettoyage. J’avais rangé les outils et m’étais changée dans la salle du personnel de l’entretien. Puis nous nous étions dirigées vers le troisième étage pour faire notre rapport.

Carol et moi avions trouvé Sewatari assise à un bureau près de la fenêtre arrière, en plein travail. Je n’arrivais toujours pas à me rendre compte à quel point le bureau était immense. Nattyan avait expliqué que l’aura divine tordait l’espace, ce qui expliquait pourquoi il était si grand. J’avais juste hoché la tête et fis semblant de comprendre. J’avais essayé de compter le nombre de travailleurs ici, mais j’avais perdu le compte au bout de vingt et j’avais dû recommencer. Je ne pus jamais en faire le décompte intégral.

« On a fini de nettoyer. »

« Beau travail. Vous pouvez rentrer chez vous pour la journée. »

Sewatari me fit un signe de la main, les yeux rivés sur son écran d’ordinateur.

Carol et moi avions incliné la tête et l’avions laissée à son travail. Nous nous étions arrêtées devant la porte du bureau pour récupérer Destiné, qui était recroquevillée sous le chauffage. Je l’avais rangé dans mon sac.

À l’extérieur du bâtiment, j’avais expiré un long panache de brouillard blanc. Nous étions arrivés à Hokkaido il y a cinq jours, et je n’étais toujours pas habitué au froid, même si le fait de voir de la neige tous les jours lui faisait perdre sa nouveauté. Le paysage couvert de blanc semblait parfaitement normal maintenant.

« Faisons une bataille de boules de neige plus tard, Yoshio ! »

Carol était toujours fascinée par la neige, elle courait partout avec excitation. Je suppose qu’elle n’avait plus beaucoup de temps pour en profiter. Sewatari avait dit que Carol pourrait retourner dans son monde dans environ quatre ou cinq jours. Comme nous étions arrivés à Isekai Connection il y a trois jours, c’était demain au plus tôt. C’était la dernière journée de Carol à la neige. Je pouvais supporter le froid.

« Très bien, déposons nos affaires à l’hôtel, puis nous ferons une bataille de boules de neige. »

« Oui ! »

Le temps qu’il me restait avec Carol était limité. J’avais décidé de jouer avec elle autant que je le pouvais, jusqu’à ce que je n’aie plus d’énergie ou qu’elle s’ennuie.

***

Chapitre 4 : Voyage et Regard Protecteur

« Je suis vraiment désolé. »

« Hey, ne t’inquiète pas. Nous n’avons pas beaucoup de demandes si tôt dans l’année. Janvier n’est que peu propice aux affaires. En fait, je me sentais mal de ne pas pouvoir t’offrir beaucoup de travail. »

J’étais au téléphone dans la chambre d’hôtel, en train de m’excuser auprès de mon employeur. Il savait que j’étais à Hokkaido, mais rien de plus. Sewatari avait fini par le contacter pour lui demander si je pouvais officiellement accepter un travail de nettoyage à Isekai Connection.

« Tu sais, Yoshio, parfois je pense que tu es un peu trop honnête. Tu n’avais pas besoin de m’impliquer. Tu aurais pu simplement faire le travail et prendre tout l’argent pour toi. »

« Je ne pourrais pas faire ça. Je ne sais comment faire ce genre de travail que grâce à vous et à votre société. »

« Eh bien, je suis heureux de voir que tu ressens ainsi les choses. Mais puisque techniquement tu travailles toujours pour ma société, tu n’as pas besoin de t’inquiéter sur ce qui se passe ici. Profite de Hokkaido autant que tu le peux. Vois ça comme un voyage d’affaires. Je te donnerai aussi un bonus. Assure-toi juste de nous ramener quelques souvenirs ! »

« Merci. »

Je l’avais remercié physiquement, même s’il ne pouvait pas me voir.

Pour être tout à fait honnête, Sewatari n’avait contacté mon lieu de travail que sur mon insistance. Je voulais faire quelque chose pour rembourser mon patron de tout ce qu’il avait fait pour moi, et j’avais besoin d’un moyen d’effacer la culpabilité que je ressentais pour être parti à Hokkaido au lieu de retourner au travail. C’était aussi une bonne motivation pour travailler dur ici, puisque mes performances se refléteraient sur l’entreprise.

J’étais sur le point de raccrocher le téléphone quand je m’étais souvenu d’une autre question.

« Comment va Yamamoto-san ? »

Après m’avoir attaqué le soir du Nouvel An, Yamamoto-san avait perdu tous ses souvenirs du combat. Le patron m’avait dit qu’il était revenu au travail après le Nouvel An plein de motivation, comme s’il était une toute nouvelle personne. Pourtant, j’étais inquiet que la perte de mémoire puisse avoir des effets secondaires.

« Il va bien ! Il n’est plus dépressif depuis la nouvelle année. »

J’étais heureux de l’entendre. Ma colère contre Yamamoto-san s’était évanouie au moment où j’avais appris qu’il était contrôlé par ce voyou. Il m’avait pourtant causé beaucoup d’ennuis, ainsi qu’à mes villageois et à Carol.

« Je vois. Dites-lui bonjour ainsi qu’à Misaki-san. Au revoir. »

J’avais mis fin à l’appel et branché mon téléphone sur le chargeur. Juste avant que j’appelle le patron, Sewatari m’avait contacté avec des nouvelles. Carol et Destiné pouvaient rentrer chez eux demain.

« Tu ne vas pas dormir, Yoshio ? »

Carol jouait avec Destiné sur le lit. Elle tapotait la couette comme pour me dire de rentrer avec elle.

C’est la dernière nuit que nous aurons ensemble.

Je n’avais passé qu’une semaine avec Carol, mais ce court moment passé ensemble était irremplaçable pour moi. Dans le cas de Destiné, nous étions ensemble depuis des mois. Il était comme un autre membre de la famille à ce stade.

Il était encore un peu tôt pour aller au lit, mais je m’y étais quand même assis. Destiné était à ma droite, et Carol s’était allongée de l’autre côté.

« Tu t’es amusée dans le Japon du Monde des Dieux, Carol ? »

« Oui ! C’était super ! Maman et papa vont être vraiment jaloux de moi ! »

En la voyant gesticuler avec tant d’enthousiasme en parlant, mon cœur s’était gonflé d’émotion. J’étais vraiment plus à l’écoute de mes sentiments maintenant que j’avais la trentaine.

« Qu’est-ce qui ne va pas, Yoshio ? As-tu mal au ventre ? »

Carol et Destiné levèrent les yeux vers moi avec anxiété. Je n’avais pas pu m’empêcher de les serrer toutes les deux dans mes bras.

« Nous allons dormir maintenant. Nous avons une grosse journée qui nous attend demain. »

Si j’étais plus doué avec les mots, j’aurais peut-être pu trouver quelque chose de mieux à dire. Mais tout ce que je pouvais faire était de leur montrer ce que je ressentais par mes actions. Je m’étais assis et j’avais veillé sur eux jusqu’à ce qu’ils s’endorment rapidement.

*****

J’étais arrivé au bâtiment tôt le lendemain matin. Les dieux de passage me saluèrent aussi joyeusement que d’habitude. Je n’avais jamais vraiment parlé qu’avec Sewatari, Nattyan et Un-sama. J’étais tout simplement en bons termes avec tous les autres. Je faisais parfois un signe de tête à la femme qui me donnait du thé dans la salle de réunion, et parfois je discutais rapidement avec Gen, le dieu corrompu. Certains dieux me méprisaient manifestement, mais la plupart d’entre eux se comportaient parfaitement bien. À tel point que si je ne les connaissais pas mieux, je n’aurais jamais pensé qu’ils étaient autre chose que des humains.

D’habitude, je faisais un détour par la salle du personnel pour enfiler ma combinaison, mais aujourd’hui, je m’étais dirigé directement vers la salle de réunion dans mes vêtements normaux. J’avais dit bonjour à tout le monde en passant. Leurs voix étaient juste un peu différentes aujourd’hui, plus gentilles et plus chaudes. Certains ne me dirent rien, mais me donnèrent une légère tape sur l’épaule.

J’avais l’impression d’avoir déjà vu des gens se comporter comme ça dans des films. J’étais sur le point de me souvenir du contexte lorsque j’étais entré dans la salle de réunion. Sewatari, Nattyan, et la dame du thé étaient déjà à l’intérieur.

« Je vois que tu as réussi, jeune héros. »

Sewatari s’était retourné de façon spectaculaire pour nous accueillir, un rideau enveloppant ses épaules comme une cape. Les deux personnes à côté d’elle donnèrent une salve d’applaudissements un peu forcés.

Pourquoi ai-je soudainement l’impression d’être dans une secte ?

« Hé, essaye au moins d’avoir l’air impressionné ! Tu vas me faire de la peine ! »

« D-Désolé. Je ne m’attendais pas à ça. »

« Renvoyer ces deux-là dans l’autre monde est une cérémonie de grande importance. On voulait s’assurer de bien le faire comprendre. »

J’avais vu de meilleures performances aux festivals culturels de mon lycée, mais je ne le leur avais pas dit.

« Ahem ! Ne nous embêtons pas avec d’autres formalités. »

Sewatari écarta son manteau rideau et toussa, ses joues rougissant d’embarras.

« Nous allons renvoyer Carol-chan et Destiné-chan dans l’autre monde maintenant. Êtes-vous prêt pour cela ? »

Carol leva alors la main en l’air : « Je suis prête ! », déclara-t-elle avec enthousiasme. Destiné, qui était assise sur la table, leva une patte avant et la queue en réponse.

« Heureuse de l’entendre ! Allez, venez ! Nous allons monter au quatrième étage. »

« Le quatrième étage ? », dis-je en écho.

Je pensais que cet étage était réservé.

« C’est exact. C’est là que se trouve le portail. »

« Le portail par lequel vous êtes tous passés ? »

« Lui-même. »

C’est donc pour ça que personne n’était autorisé à monter là-haut, il y a un portail qui relie le Japon à un autre monde !

« Allons-y. Ce sera plus rapide de vous montrer que de tout expliquer ici. »

Au moment où nous avions quitté la salle de réunion, j’avais senti que les dieux du bureau nous fixaient, les yeux lourds d’émotion.

Nattyan mit ses mains sur ses hanches.

« Les gars, arrêtez de nous regarder. Vous allez nous rendre nerveux. »

Ce ne fut que maintenant que je compris ce que signifiaient ces regards.

« Ils sont inquiets pour nous ? »

Je m’étais penché en avant pour demander à Sewatari, qui était à la tête du groupe.

« Euh, eh bien… attends, laisse-moi passer en mode japonais », me murmura-t-elle à l’oreille.

Elle ne devait pas vouloir que Carol entende.

« Il est normal que des choses soient envoyées de l’autre monde au Japon par le portail, mais c’est la première fois que nous envoyons quelque chose en retour. »

Ils avaient le regard fixe parce que c’était un territoire inconnu. Leurs regards étaient les mêmes que ceux des personnages de films disant au revoir aux soldats se rendant sur le champ de bataille.

« Y a-t-il une chance que ça ne fonctionne pas ? »

« Oui, mais je suis sûr que c’est minuscule. Nous avons déjà essayé d’envoyer un objet à travers le portail, et ça a bien marché. »

« Avez-vous envoyé des gens à travers ? »

« Eh bien, non. Ce sera la première fois ! »

Elle me fit un clin d’œil effronté, mais je n’étais pas dupe.

Je m’étais déjà préparé à lui dire au revoir, mais cette certitude faisait place à l’anxiété. Ne serait-il pas préférable de ne pas les renvoyer s’il y avait le moindre risque d’échec ? Je ne pourrais plus affronter mes villageois si quelque chose arrivait à Carol. Et même si je supposais qu’il n’y avait pas vraiment de moyen sûr d’expérimenter sur les humains, peut-être que quelqu’un d’autre pourrait passer avant Carol ?

Je ne savais pas quoi faire, et le temps me manquait. Mais avant que je m’en rende compte, nous étions dans le hall des ascenseurs au quatrième étage.

Il ressemblait exactement à tous les autres étages, sauf que là où il y avait une porte vitrée menant à un bureau, cet étage avait une énorme porte en acier, si sombre qu’elle était presque noire. Elle faisait au moins trois mètres de haut et trois mètres de large, avec des poignées de porte moulées pour ressembler à des poignées d’épées. Un motif ressemblant à un vortex tordu était gravé sur les portes. L’effet global était incroyablement sinistre.

« Nous allons entrer. »

Nattyan et la dame du thé attrapèrent chacune une poignée de porte et l’ouvrirent lentement. Je pouvais sentir le poids à travers les vibrations du sol, le son du métal rouillé grattant remplissant l’air. IL y avait une obscurité totale dans la pièce. Aucune lumière ne pénétrait dans le hall, comme s’il y avait une sorte de barrière qui l’empêchait d’entrer. J’avais plissé les yeux, mais je ne pouvais toujours pas voir quoi que ce soit là-dedans, simplement plus d’obscurité.

« Effrayant, pas vrai ? »

Sewatari se gratta l’arrière de sa tête maladroitement avant de lever une main et de claquer des doigts.

« Rendons-le un peu plus accueillant. »

La zone au-delà des portes s’illumina alors.

Des flammes apparurent, flanquant un chemin au-delà de la porte. L’espace était beaucoup plus grand que je ne l’imaginais presque effroyable. Il faisait facilement deux fois la taille du bureau du troisième étage. Il n’y avait pas de plafond, seulement plus d’obscurité. À l’intérieur se trouvaient de grands chandeliers. C’étaient d’ailleurs leurs flammes qui éclairaient le chemin, et bien plus intensément que les flammes d’une bougie ordinaire n’auraient pu le faire. Cette lumière révéla un sol pavé de marbre blanc.

Des piliers romans se dressaient à intervalles réguliers, plus grands que tous ceux que j’avais vus auparavant. Ils étaient aussi bien plus épais que ma taille. Ils se fondirent dans l’obscurité au-dessus de nos têtes.

Sewatari et les autres n’hésitèrent pas. Carol et moi avions échangé un regard, hoché la tête et pris une profonde inspiration. Nous nous étions ensuite tenus par la main et les avions suivis. Destiné s’accrocha à mon dos, regardant devant lui avec solennité.

« Nous comptons sur toi », avais-je chuchoté à Destiné.

Sa langue jaillit alors de sa bouche. Il me fit un clin d’œil encourageant et remua sa queue.

Il y avait au moins une personne qui était confiante.

Nous marchâmes le long du chemin éclairé par les flammes. Il n’avait pas fallu longtemps pour que les trois dieux devant nous s’arrêtent.

« C’est le portail. »

Le trio s’était retourné, s’écartant pour révéler un grand piédestal métallique au centre du chemin. Il ressemblait à une pyramide avec le sommet coupé, des tuyaux de différentes longueurs serpentant à partir de lui sur le sol. Au sommet du piédestal se trouvait un grand cercle de… quelque chose. Un vortex sphérique, cristallin. Je ne pouvais pas dire de quelle couleur il était, mais il n’était pas transparent non plus. Peut-être un noir rougeâtre, bleuâtre avec des nuances d’arc-en-ciel. Mon cerveau refusa de l’identifier, même si je le regardais droit dans les yeux. Loucher ne m’aida pas.

Je ne pouvais pas m’empêcher de regarder cet abîme. Il me remplissait de terreur, mais je ne pouvais pas m’empêcher d’être attiré vers lui. Je voulais détourner mon regard, mais aussi le fixer pour toujours. Des émotions contradictoires s’affrontaient dans mon esprit.

Un claquement fort me fit sortir de ma transe. J’avais levé les yeux pour voir Sewatari avec ses mains jointes.

« C’est probablement un peu malsain de le fixer trop longtemps. Il n’est pas originaire de ce monde. », dit-elle joyeusement.

Je m’étais soudain rendu compte que mon nez était à quelques centimètres du portail. Quand cela était-il arrivé ? J’avais fait plusieurs pas en arrière en essayant d’avaler avec ma gorge sèche.

« Tous les préparatifs sont terminés. Si vous sautez dedans, vous serez de retour au village. Sachez que je ne peux pas vous dire comment se porte le village en ce moment. Ce serait contraire aux règles — cela vous donnerait un avantage injuste. »

J’en étais conscient, car je lui avais déjà posé la question. Cela me laissa pourtant dans une situation périlleuse. Supposons qu’ils soient tous morts, que le village soit détruit. Je renverrais Carol mourir seule. J’avais imaginé Carole et Destiné debout, en état de choc, entourées des ruines du village. Cette image me fit mal à la poitrine.

Tenant Destiné fermement dans ses bras, Carol fit alors un pas vers le portail. Puis un autre. Un dernier pas, un grand pas, et elle serait au sommet. Je ne pouvais pas m’empêcher de tendre une main vers son dos minuscule et fragile. J’avais ouvert la bouche pour dire quelque chose, mais tout ce qui en était sorti était un souffle rauque.

J’étais pathétique. Elle était sur le point d’entreprendre un voyage vers l’inconnu, et je n’étais même pas capable de trouver des mots de réconfort.

Carol s’arrêta juste devant le portail, se retourna et me sourit comme elle le faisait toujours.

« Merci, Yoshio ! C’était super amusant ! »

Carol fit alors un signe de la main, et Destiné me regarda fixement depuis ses bras. J’avais serré ma main tendue en un poing et m’étais tourné pour regarder Sewatari à côté de moi.

« Le portail est sûr, non ? Je veux dire, pour les humains ? »

« Je suis confiante dans le travail que nous avons fait. Pourtant, je ne peux pas vous donner de garantie. Nous n’avons jamais envoyé un humain à travers lui. Les dieux ne peuvent pas l’utiliser, et ce n’est pas comme si on pouvait juste prendre quelqu’un dans la rue pour l’envoyer comme test. »

Elle a raison, pensais-je.

« Les gens de ce monde peuvent-ils passer à travers ? », avais-je demandé.

« Aucune raison de ne pas le faire. En fait, ce serait probablement plus facile pour eux, puisque les humains de ce monde ne sont pas affectés par l’aura divine, alors-Hey ! »

J’avais couru en avant avant même qu’elle ait fini son explication. Alors que je dépassais Carol, nos regards se croisèrent. Les siens étaient ronds de surprise. Je lui avais lancé un pouce en l’air.

« Moi d’abord. »

J’avais plongé dans le portail un grand sourire aux lèvres.

***

Chapitre 1 : Mon intrusion dans l’autre monde

Partie 1

Tout s’était obscurci. Je ne voyais rien, ma vision était peinte par l’obscurité. Avais-je même encore un corps, en tout cas je ne le ressentais pas. La peur d’être engloutie par les ténèbres me traversa, mais il était inutile de la combattre. D’ailleurs, le fait que Carol ne soit pas le cobaye me rendait heureux. Je savais moi-même que ce que j’avais fait était imprudent, mais j’avais déjà gaspillé les dix dernières années de ma vie. Me sacrifier pour quelqu’un d’autre n’était pas un si mauvais moyen de partir. La pensée que je pourrais aider les gens que j’aimais profondément rendait la fin plus supportable.

« Je me demande s’ils seront tristes quand ils apprendront que je suis mort. Maman, papa, Sayuki… et Seika. »

Quelques mois auparavant, je n’étais qu’un fardeau pour ma famille. À l’époque, je pensais qu’ils seraient heureux si je mourais. Quel était l’intérêt de chercher du travail ? Je ne faisais rien d’autre que gaspiller mon temps. J’avais pourtant réussi à mettre un pied dehors. J’étais devenu… enfin, pas respectable, mais j’avais fait des efforts dans ma vie. J’avais commencé à croire qu’un jour viendrait où je pourrais rembourser ma dette envers ma famille et Seika. Ma vie reprenait à nouveau sens. Perdre ça était frustrant.

« Je suis désolé, papa, maman, Sayuki, Seika. »

Tout ce que je pouvais faire était d’envoyer mes excuses désespérées dans le vide.

« Yoshio ! Réveille-toi ! Réveille-toi ! »

Quelqu’un appelait mon nom. C’était la voix familière d’une fille. J’avais senti une sensation humide contre ma joue. À qui était cette voix ? Et quelle était cette sensation gluante sur mon visage ?

« Réveille-toi, réveille-toi, réveille-toi ! »

Le désespoir me fit reprendre mes esprits.

Je suis… Yoshio. J’ai sauté à travers ce portail dans les ténèbres…

Tout était redevenu clair maintenant. Je savais qui j’étais et ce que j’avais fait. Mes paupières étaient aussi lourdes que du plomb, et les ouvrir demandait un effort. Quand j’avais enfin réussi, je vis Carol qui me regardait, en pleurant, et Destiné qui me léchait avec sa longue et fine langue.

« Carol. Destiné », dis-je.

Carol jeta alors ses bras autour de mon cou.

« Tu es en sécurité ! J’avais tellement peur ! Tu ne bougeais pas ! »

« Oh. Je suis désolé. »

Je m’étais redressé et j’avais tapoté la tête de Carol, puis celle de Destiné, qui s’accrochait à ma poitrine et clignait des yeux vers moi avec douceur. Je me sentais encore étourdi. J’avais pris plusieurs grandes respirations, remplissant mes poumons. L’air était froid, me glaçant de l’intérieur. Je pouvais sentir des plantes, beaucoup de plantes.

Nous étions entourés d’arbres, le sol était recouvert d’herbes courtes. Le gel recouvrait tout, engourdissant mes mains qui reposaient sur le sol. J’avais beau regarder partout autour de moi, aucune trace des bureaux de l’Isekai Connection à l’horizon. Nous n’étions plus dans un bâtiment, et le portail n’était nulle part en vue. Nous étions en plein air. Nous étions…

« Qui est là ? A- Attendez. Carol ?! »

Une voix cria derrière nous, la colère s’y était rapidement dissipée, remplacée par la surprise. Je m’étais retourné pour trouver un homme avec une épée à deux mains et un visage ciselé. Derrière lui se tenait une clôture faite de rondins, avec une porte en bois.

Une clôture en rondins, ici, dans cette forêt. Un homme armé d’une épée, qui avait reconnu Carol.

Je connaissais cet endroit. Je connaissais cet homme.

Nous l’avions fait.

Mes sens revenaient à moi maintenant, j’avais donc décidé de perdre mon sang-froid plus tard. J’avais besoin de me faire une idée de ce miracle.

« Carol. Tu es vivante ! Éloigne-toi de cet étranger, vite ! »

Le regard de soulagement de Gams fut rapidement remplacé par la colère, et je m’étais retrouvé face à la pointe de sa lame. Je ne pouvais pas lui reprocher de me trouver suspect.

« Gams ? Pourquoi cris-tu, Carol ?! »

Une jeune femme en robe religieuse apparut aux côtés de Gams.

Puis, un homme à l’air timide et une femme aux cheveux roux s’étaient précipités, le visage ravagé par l’émotion.

« Carol ! Carol ! »

« Carol ! C’est toi ?! »

Ils jetèrent alors leurs armes. Carol sauta dans leurs bras.

« Maman ! Papa ! »

Ils pleurèrent énormément tous les trois tout en se tenant dans les bras l’un de l’autre. Rien que les voir réunis ainsi comme ça me fit comprendre que tout ce que j’avais fait en valait la peine. J’avais soupiré et essayé de réprimer mes propres larmes.

Dieu merci…

Je voulais continuer à regarder Carol et sa famille et laisser le soulagement m’envahir, mais j’avais toujours une lame étincelante dans mon visage.

« Qui êtes-vous, et pourquoi vos vêtements sont-ils si étranges ? Pourquoi étiez-vous avec Carol ? Je vous préviens, une mauvaise réponse sera fatale. »

Gams avait une voix masculine et profonde. J’aurais dû en avoir peur, mais je savais qu’il n’était pas du genre à blesser quelqu’un sans réfléchir. Je le connaissais mieux que ça. Je les connaissais tous. La gentille fille qui se cachait derrière lui et qui me regardait avec méfiance, la famille de trois personnes qui s’embrassait, les pandas roux bipèdes qui venaient d’arriver, et la belle elfe androgyne. Je ne pourrais jamais en oublier un seul.

Rien que de les regarder maintenant, les larmes coulaient de mes yeux.

« Pleurer ne t’aidera pas à t’en sortir ! Dis-moi qui tu es ! »

« Je suis… »

Je m’étais arrêté. Qu’est-ce que je devais dire ? Je ne voulais pas prétendre que je ne savais pas qui ils étaient. Pas maintenant.

Je savais que l’homme avec des épées dans les deux mains était leur plus grand combattant, Gams. Je savais que la fille pieuse derrière lui, si attachée à son frère, était Chem. Je savais que la famille de trois personnes était Carol, Rodice et Lyra. Je savais que celle qui pointait son arc sur moi à distance était Murus. Je savais que les deux qui pointaient leurs lances vers moi étaient Kan et Lan.

« Je vois que vous êtes tous sains et saufs. »

J’étais si heureux que je ne pouvais m’empêcher de pleurer. Je voulais les rencontrer depuis si longtemps, et maintenant ils étaient là, devant moi. Je ne pouvais pas contenir ma joie.

« Tu es vraiment effrayant. Puisque tu ne parles pas, que dis-tu de ça ? »

Gams approcha sa lame si près de mon visage qu’elle touchait mon nez. Si je bougeais le petit doigt, il me le couperait. Je savais qu’il n’hésiterait pas à me tuer si cela signifiait sauver la vie des autres. Voilà le genre de type qu’il était.

Allez, réfléchis ! À quoi tout cela t’aura-t-il servi s’il te prend pour une menace et que tu meurs ici ?!

« La vérité est que… »

« Ne brutalise pas Yoshio, Gams ! »

Carol se jeta entre nous et tendit ses bras pour me protéger.

« Carol ! C’est dangereux ! »

Gams retira son épée rapidement.

Carole fit alors la moue et le regarda fixement.

« Yoshio aide les dieux ! Il m’a protégé tout ce temps ! »

Carole me défendait contre Gams, qu’elle adorait. Mon cœur s’était gonflé d’émotion.

Merci. Je me sens plus confiant maintenant.

Je posais une main sur l’épaule de Carol et me levais. J’avais soutenu le regard de Gams en parlant.

« C’est un plaisir de vous rencontrer, les élus. Je m’appelle Yoshio, et je suis un disciple du Dieu du Destin. Je suis venu ici pour vous rendre Carol. Elle a été placée sous la garde du Seigneur dans le Monde des Dieux il y a quelques jours. »

Je n’avais pas osé montrer à quel point j’étais nerveux. J’avais souri pour leur assurer que je ne leur voulais aucun mal. Je n’avais pas l’habitude d’utiliser autant les muscles de mon visage, et je sentais mes joues se contracter. C’était la même histoire que j’avais utilisée avec Carol.

« Un disciple du Seigneur ? Et vous pensez que nous allons croire… »

« C’est vrai, Gams ! On a joué ensemble dans le Monde des Dieux ! Et j’ai eu beaucoup de nourriture délicieuse là-bas ! »

Destiné grimpa sur l’épaule de Carol et agita son pied et sa queue pour soutenir son argument fervent.

« Je ne sais pas, Carol. Et quel est ce monstre sur ton épaule ? »

Gams fronça les sourcils en regardant le lézard.

« C’est mon ami, Destiné ! »

Gams n’essaya pas de retirer Destiné de son dos, il avait probablement pensé que ce n’était pas dangereux. De plus, Destiné avait un aspect presque divin avec son corps baigné par la lumière du soleil. Sa peau dorée se détachait sur les arbres.

« Je comprends vos soupçons. Tout ceci arrive assez soudainement. Mais d’abord, s’il vous plaît, permettez-moi de rendre ceci. »

J’avais sorti le livre saint de mon sac et l’avais offert à Chem.

« Le livre ! Vous êtes vraiment un disciple du Seigneur ! »

Chem poussa alors un cri de joie, tomba à genoux et s’inclina profondément. Gams rangea immédiatement ses armes et s’agenouilla pour la rejoindre. La seconde suivante, tous les villageois étaient à genoux. Seule Murus restait debout, les bras croisés, le regard froid.

« Pardonnez mon ignorance et mon impolitesse ! J’en prendrai l’entière responsabilité ! Mais je vous en prie, épargnez les autres villageois ! Ils n’ont rien fait de mal ! », cria Gams.

Tu réagis de façon excessive.

« Mon frère était simplement inconscient ! Ayez pitié ! Je vais m’offrir, alors soyez indulgents dans votre jugement ! » supplia Chem, enfonçant son front dans le sol.

Voilà ce que cela faisait d’être un dieu tout-puissant ? C’était affreux. C’était l’exact opposé de ce que je m’attendais au moment où j’avais dit que je suivais le Dieu du Destin.

« S’il vous plaît, levez-vous. Je ne suis pas du tout en colère, et le Seigneur non plus. Gams, vous avez bien protégé le village. Le Seigneur est content de vous. »

Je n’essayais pas de mentir, j’étais vraiment rempli de la plus grande gratitude pour lui.

« Je suis également heureux de voir que tout le monde est sain et sauf. »

Ce n’était pas particulièrement divin ou poétique, mais c’était tout ce que j’avais pu trouver.

J’avais l’habitude d’incarner un dieu grâce à toutes les prophéties que j’avais envoyées, mais parler si poliment et calmement sur place était bien plus difficile. Arranger tous les mots ensemble sans une seule erreur était presque trop pour moi.

« Merci ! S’il vous plaît, nous ne pouvons pas rester dehors dans le froid. Nous sommes encore en train de réparer notre village, mais permettez-nous de vous y accueillir. », dit Chem, les yeux pétillants.

Elle était une fervente croyante du Dieu du destin. Mon personnage supposé était probablement ce qu’elle aspirait à être elle-même. Les autres villageois se levèrent aussitôt et me firent signe de les suivre.

« Très bien, je vais me joindre à vous. J’ai hâte de voir comment se porte votre village, et j’aimerais vous parler de l’expérience de Carol dans le Monde des Dieux. »

Je les avais suivis, regardant autour de moi avec émerveillement. J’avais vu cette vue des tonnes de fois sur mon écran d’ordinateur, mais le voir en vrai était vraiment une autre chose. Le soleil filtrant à travers les trous dans les arbres. Les visages de mes villageois. La sensation de la terre sous mes pieds. L’odeur épaisse de la végétation et de la nature.

***

Partie 2

C’est vraiment un tout autre monde.

À première vue, la clôture en rondins qui entourait le village était la même qu’avant qu’elle ne s’effondre le dernier jour de la Corruption, mais de près, je pouvais voir les différences. Les rondins étaient plus récents, et la clôture entourait un espace plus grand. Elle était incomplète pour le moment, avec une section délimitée par une corde à la place. Une porte en bois avait été construite au centre de la clôture. Cela ne faisait qu’une semaine, et pourtant mes villageois avaient déjà fait tout cela. Même s’ils ne s’étaient pas reposés, ils ne devraient pas être aussi avancés.

Peut-être que j’avais des trous de mémoire. Ce jour-là fut quand même une situation de vie ou de mort. Peut-être que les dommages à la clôture n’étaient pas si graves.

« Bienvenue dans notre village. Ce n’est pas grand-chose, mais… »

Gams ouvrit le portail et Chem me fit signe d’entrer.

La zone au-delà de la clôture était méconnaissable. L’espace était plusieurs fois plus grand qu’avant, parsemé de structures ressemblant à des huttes. Ces dernières n’étaient pas en bois, c’étaient des tentes faites dans un tissu légèrement crasseux. Elles avaient des sommets en forme de crayon, et elles ressemblaient à des yourtes de notre monde, ces maisons portables mongoles.

« Quelles sont ces tentes ? »

« Nous les avons reçues d’un marchand. Ce sont des habitations faites de tissu et faciles à monter. Tout ce que vous avez à faire est de draper de la toile sur un poteau. »

Un marchand ? Ce doit être Dordold. Il fait la plupart de ses transactions après le Jour de la Corruption.

Les tentes étaient assez grandes pour abriter chacune une famille, et il y en avait peut-être une dizaine.

« Vous avez beaucoup plus que ce dont vous avez besoin ? »

« Oui, eh bien… Sortez tous ! C’est sans danger ! », dit Chem.

Plusieurs visages que je n’avais pas reconnus regardèrent hors des tentes.

Qui sont ces types ? Non, vraiment ! Qui sont-ils ? !

Il y avait une dizaine d’humains et cinq beaux elfes aux longues oreilles, hommes et femmes. Et il pourrait y avoir plus de personnes à l’intérieur des tentes. De l’autre côté de la zone clôturée se trouvaient les restes d’un glissement de terrain. C’était là que se trouvait la grotte.

Comment tout cela est-il arrivé ?

L’enclos contenait un puits et quelques parcelles agricoles. Près des parois rocheuses se trouvaient une clôture en bois et quelques cabanes en rondins. C’était complètement différent de ce que j’avais vu sur l’écran de mon PC.

« S’il vous plaît, venez par ici. »

Chem ouvrit l’entrée de la seule tente aux couleurs vives, les autres étaient dans les tons marron et gris, et elle s’était écartée pour moi.

Ils me traitaient comme un invité d’honneur, même si je n’étais qu’un humain normal comme eux. Cela me fit me sentir un peu coupable. J’avais pénétré dans la tente, remarquant l’épais poteau de bois en son centre qui montait jusqu’au plafond. À côté, il y avait un foyer creux et une statue en bois du Dieu du destin à côté d’un autel.

Je me demande si c’est leur église.

Le sol était recouvert d’un tapis, j’avais donc automatiquement retiré mes chaussures. Mais il n’y avait nulle part où les mettre, et de près, je pouvais voir des empreintes de chaussures sur le tapis lui-même. Il devait être possible de porter des chaussures à l’intérieur ici, comme c’était le cas à l’étranger.

Cette tente était bien plus grande à l’intérieur qu’elle n’en avait l’air. Une famille entière pouvait vivre ici assez confortablement. Gams, Chem, Rodice, Lyra, Carol et Destiné m’avaient tous suivi à l’intérieur. Murus, Lan et Kan étaient restés à l’entrée pour faire le guet.

Je m’étais assis sur un épais coussin, et immédiatement, tous (sauf Murus) s’étaient mis à genoux et baissèrent la tête. Ce ne fut que maintenant que je m’étais rendu compte que Murus n’avait pas dit un mot depuis mon arrivée. Elle avait simplement gardé ses distances et m’avait observé. La suspicion se lisait dans son regard, et peut-être une touche de solitude.

Je m’étais souvenu du fait que le village de Murus s’était également vu attribuer un dieu, un autre joueur comme moi. Sa maison avait été détruite lorsque ce dieu l’avait abandonnée, mais ce village était toujours gratifié de la protection de son dieu. Face à un gage de l’amour de ce dieu (moi), cela ne devait pas être facile pour elle.

Tout le monde me regardait en silence, comme s’ils attendaient un discours.

« Il n’y a pas besoin d’être si formel. N’est-ce pas, Carol ? »

« Oui ! »

Avoir Carol à mes côtés rendrait certainement les choses moins gênantes. Cette dernière se précipita vers moi au moment où j’avais croisé son regard, sautant sur mes genoux.

« C-Carol ! Qu’est-ce que tu fais ? ! Lève-toi tout de suite ! », cria Rodice.

« Nous sommes vraiment désolés ! Nous promettons de la gronder plus tard ! »

Une Lyra paniquée s’était jointe à son mari. Elle fit alors désespérément signe à Carol, mais celle-ci leva les yeux vers moi sans bouger.

« Ce n’est pas grave. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble dans le Monde des Dieux, n’est-ce pas, Carol ? », dis-je.

« Oui, c’est vrai, Yoshio ! »

On s’était alors souri.

Les autres villageois nous regardaient d’un air dubitatif, mais au moins ils se détendaient un peu.

« Veuillez vous asseoir confortablement. Je suis peut-être un disciple du Seigneur, mais dans ce monde, je ne suis rien de plus qu’un simple humain comme vous. Nous sommes tous égaux ici. »

Qu’importe l’aspect par lequel vous regardez, j’étais aussi humain qu’eux.

« S’il vous plaît, pourriez-vous me dire ce qui s’est passé après que vous ayez envoyé Carol dans le Monde des Dieux ? Le Seigneur s’appuie sur le livre saint pour voir dans ce monde, mais il a perdu ce pouvoir lorsque le livre lui a été envoyé. »

« Je vois. Pardonnez-nous d’avoir fait quelque chose de si… »

« Il n’y a pas de quoi s’excuser. »

J’avais arrêté Chem avant qu’elle ne puisse à nouveau baisser la tête. J’avais l’habitude de m’excuser moi-même, et pas le contraire. Je ne pouvais plus supporter ça.

« Je vais donc vous expliquer ce qui s’est passé. »

Chem était très nerveuses. Je voulais lui dire de se détendre à nouveau, mais j’avais peur que cela ne fasse que la stresser davantage.

« Nous étions prêts à perdre nos vies après avoir renvoyé Carol, et nous étions sur le point de quitter la pièce où nous étions réfugiés, avant que Kan et Lan ne nous arrêtent. »

Elle jeta un coup d’œil aux pandas près de l’entrée, qui hochèrent la tête.

« La pièce où nous étions cachées avait des murs barricadés. Ils nous ont parlé d’une issue de secours cachée derrière. »

Je m’étais souvenu de ce jour-là, de Kan et Lan blottis au fond de la grotte. J’avais supposé qu’ils avaient cédé au désespoir. En y repensant maintenant, c’était logique. Ils avaient vécu dans cette grotte avant l’arrivée des villageois et en connaissaient les secrets. Les réserves cachées, et maintenant un chemin de fuite. Le fait qu’ils ne l’aient pas mentionné plus tôt m’avait un peu ennuyé.

« Nous avons enlevé les planches et trouvé ce passage caché. Nous avons allumé les explosifs laissés dans la grotte et nous nous sommes échappés avant qu’ils n’explosent. Et il semblerait bien que les monstres aient tous été tués dans l’éboulement qui a suivi. »

Les villageois s’étaient donc échappés pendant que les monstres mouraient. C’est une bonne chose. Mais…

Je sais que c’est mesquin de ma part, mais j’aurais vraiment aimé voir l’explosion !

Je n’arrive pas à croire que j’ai manqué l’explosion de la grotte qui avait emporté tous les monstres avec elle. Je parie que c’était spectaculaire. Bien sûr, le fait que mes villageois survivent était le plus important. Ils s’en étaient bien sortis.

« Notre village a été entièrement détruit. Nous étions complètement perdus, mais Dordold est arrivé. Il nous a prêté les matériaux nécessaires pour restaurer notre maison, ainsi que de la nourriture pour tenir le coup. Ces tentes appartenaient à des nomades, il nous les a laissées pour un très bon prix. »

Des nomades ? Cela explique pourquoi elles me rappellent les yourtes mongoles.

« Il a aussi amené des migrants avec lui, comme nous l’avions demandé auparavant. »

Cela explique les nouveaux visages.

« Certains d’entre eux vivaient avec nous dans notre ancien village, et d’autres sont des survivants du village de Murus. Nous avons tous travaillé dur pour restaurer les choses ici. Ce que vous voyez maintenant est le fruit de nos efforts. »

Les gens que Dordold avait amenés avec lui connaissaient donc déjà mes villageois. C’était parfait, le marchand avait fait du bon travail. Et il était arrivé exactement au bon moment. J’espérais avoir l’occasion de le remercier personnellement.

« J’ai compris — je veux dire, je comprends ce qui s’est passé. Vous avez clairement tous travaillé sans relâche. Je suis sûr que le Seigneur est très satisfait de vos efforts. »

Je m’étais presque remis à parler de manière décontractée.

Reprends-toi ! Rappelle-toi que tu es censé être un disciple du Dieu du Destin !

Chem leva une main timide, le regard toujours fixé sur le sol.

« Puis-je vous poser une question, Yoshio ? »

« Tout ce que tu veux. »

J’aurais voulu qu’elle cesse d’être si formelle, mais c’était la personne la plus dévouée au Dieu du Destin parmi eux. Je doutais de pouvoir la faire se détendre.

« Pourquoi êtes-vous venu dans ce village avec Carol, monsieur ? Le Seigneur vous a-t-il donné une sorte de mission à remplir ? »

Ah ! J’étais tellement heureux de voir mes villageois en sécurité et Carol réunie avec sa famille que j’ai complètement oublié !

J’avais sauté à travers le portail sans une seconde d’hésitation et sans même demander la permission aux dieux. Ils étaient probablement furieux. Je ne l’avais fait que pour m’assurer que Carol serait en sécurité, mais il devait sûrement prendre ça comme un acte de défiance, non ? Si je provoquais vraiment la colère des dieux, je serais probablement puni. La culpabilité me compressa la poitrine. Qu’avais-je fait ?

« O-oh, s’il vous plaît, pardonnez-moi. C’était peut-être impoli de demander ça », dit Chem qui remarqua que je fixais le sol en silence.

« Non, pas du tout. »

J’avais essayé de garder mon expression calme, même si une tempête de panique faisait rage en moi.

« Le Seigneur m’a demandé de vérifier l’état du village et d’aider à vos réparations. »

Comme c’était la première excuse qui me venait à l’esprit, je l’avais dit sans réfléchir.

« Oh, je vois ! Cela signifie que vous allez rester avec nous pendant un certain temps, et ne pas retourner immédiatement dans le Monde des Dieux ? »

« O-oui, tant que cela ne représente pas un inconvénient… »

Oh, oui. C’était une question.

Comment étais-je censé rentrer au Japon ?

***

Chapitre 2 : Mon voyage dans l’autre monde

Partie 1

J’avais réussi à les convaincre que je ne leur voulais aucun mal, pourtant mes vrais problèmes ne faisaient que commencer. Je ne voulais pas les gêner dans leur travail, et comme j’avais pensé que Carol voudrait passer un peu de temps seule avec ses parents, nous nous étions donc tous dispersés après cela. Carol pourrait raconter à tout le monde son court voyage dans mon monde. Ses parents préféreront probablement l’entendre d’elle plutôt que de moi.

« Bon sang, mes épaules sont raides. »

J’avais passé tellement de temps à parler formellement et à essayer de garder un sourire serein sur mon visage. Je n’avais pas réalisé à quel point il était fatigant de jouer la comédie. J’avais jeté un coup d’œil autour de moi pour m’assurer que j’étais vraiment seul avant de m’effondrer en arrière et de m’allonger sur le tapis. Dire qu’ils m’avaient laissé tout seul dans cette énorme tente.

Je m’étais endormi tout en regardant le plafond. Il faisait vraiment froid. Même avec le tapis, la fraîcheur s’insinuait dans le sol. Je m’étais redressé et j’avais croisé mes jambes. J’avais senti soudainement quelque chose ramper sur elles. Destiné était recroquevillé sur mes genoux.

Je suppose que je n’étais jamais vraiment resté seul ici.

J’avais caressé son dos froid et hirsute et j’avais commencé à réfléchir.

« Je suis en fait dans un autre monde, hein ? »

Dire que c’était inattendu était un euphémisme. Lorsque j’avais commencé Le Village du Destin, je m’étais acheté quelques romans et mangas isekai comme référence, mais je ne m’attendais pas à ce qu’ils deviennent des guides pratiques. En général, ces protagonistes avaient un super pouvoir ou une astuce qu’ils pouvaient utiliser dans le nouveau monde pour avoir un avantage. Est-ce que j’avais une capacité de ce genre ? J’avais tendu ma main et j’avais essayé de l’imprégner de pouvoir.

« Guuooorgh ! Aaaargh ! Nnnnngh ! Haaaaaah ! »

Rien. J’étais juste un type bizarre qui tendait la main en grognant. En y réfléchissant maintenant, la plupart de ces protagonistes avaient acquis leurs pouvoirs grâce à un dieu ou une créature similaire qui leur avait confié une tâche. Et j’étais venu ici sans même demander la permission aux dieux. Ils n’allaient évidemment pas me bénir avec des pouvoirs.

Plus urgent encore, comment allais-je rentrer au Japon ? J’avais réussi à trouver une vraie bonne idée, mais pour être honnête, c’était la seule que j’avais trouvée.

Ne pourrais-je pas… être envoyé en offrande comme Carol le fut ? Sewatari-san avait dit qu’envoyer des choses de ce monde au Japon était facile. Donc… pas de raison de paniquer. Et vu que j’étais déjà ici, je pouvais aussi bien passer un peu de temps pour apprendre à connaître l’endroit. De plus, j’étais certain que les dieux allaient me passer un savon en rentrant chez moi, et je voulais repousser cela le plus longtemps possible. Peut-être que je pourrais les laisser se calmer un peu. C’était un espoir un peu naïf, mais quand même.

« Si mon téléphone fonctionne ici, je peux les appeler et m’excuser. »

J’avais sorti mon téléphone de ma poche et j’avais essayé de l’allumer. Il s’était allumé, mais il n’y avait pas de signal. Ne m’attendant à rien, j’étais allé dans mes contacts et j’avais essayé d’appeler « Développeur — Sewatari. »

« Attends. Ça sonne ?! »

Ça n’avait aucun sens ! J’étais dans un monde totalement différent ! Le ton retentit trois fois, et avant que je puisse décider de raccrocher ou non, elle répondit.

« Yoshio-kun ! Oh, Dieu merci, tu as réussi à passer ! »

La voix de Sewatari-san sortait du téléphone.

Et pas seulement sa voix. Son visage anxieux remplissait l’écran. Attendez, ce n’était même pas un appel vidéo !

J’avais appuyé le téléphone contre le poteau au centre de la tente, je m’étais agenouillé sur le tapis et j’y avais écrasé mon front.

« Je suis vraiment désolé d’avoir fait quelque chose d’aussi stupide ! »

Je m’étais excusé aussi sincèrement que je le pouvais, du plus profond de mon cœur.

« Hé, pourquoi tu t’excuses si vite ! J’avais préparé un joli petit sermon rien que pour toi ! »

Elle avait l’air bien moins en colère que ce à quoi je m’attendais. J’avais soigneusement écarté mon visage du sol.

Attendez. Elle n’a pas du tout l’air fâchée ?

« Écoute, il y a beaucoup de choses que je devrais te dire maintenant, mais je sais que tu as fait ça pour Carol-chan, non ? Je comprends ça. Je suis quand même un dieu, non ? »

Elle me fit un clin d’œil. En cet instant, elle avait vraiment l’air d’un dieu.

« Hé, ne t’emporte pas ! Tu dois réaliser à quel point les autres gars se moquaient de Senpai. »

Le visage de Nattyan-san apparut, cachant celui de Sewatari-san. Sa peau bronzée était difficile à distinguer, mais elle semblait avoir des cernes sous les yeux. Ses cheveux, habituellement en parfait état, étaient ébouriffés.

« Modifier le portail pour laisser passer les ondes électroniques était vraiment pénible à faire. Je suis épuisée. »

« Je suis tellement, tellement désolé ! »

J’avais de nouveau pointé mon front vers le tapis. Même lorsque Sewatari-san m’assura que tout allait bien, je savais que je leur avais causé beaucoup de problèmes.

« Hey, pas de soucis pour ça. Nous nous demandions juste si vous aviez des questions. Honnêtement, c’était bien que tu passes au travers en premier. Cela nous a permis de confirmer que le transfert de Carol et Destiné se passerait bien. Merci, Yoshio-kun. »

Sewatari-san sourit doucement, et je m’étais retrouvé enchanté. Elle avait passé tellement de temps à se saouler à Hokkaido et à se plaindre de son travail que je doutais qu’elle soit vraiment un dieu. Je me sentais mal d’avoir pensé autrement maintenant.

« Je m’excuse sérieusement. »

« D’accord, mais pourquoi ne pas passer à quelque chose d’un peu plus constructif ? As-tu l’intention de vivre dans l’autre monde de façon permanente, Yoshio-kun ? »

Je ne pouvais pas répondre immédiatement. En fait, j’étais sûr de l’avoir mal entendue.

« Désolé, quoi ? »

« Tu peux rester dans ce monde en tant que disciple du Dieu du Destin si tu le souhaites. Je veux dire, ce genre de choses est populaire dans les romans et les animes récents, non ? »

En effet, mais ce n’était que des histoires fantastiques. Ici, c’était la vraie vie.

« U-um, tu es sérieuse ? », avais-je demandé.

« Tout à fait sérieuse. Je croyais que c’était le rêve de tout Japonais d’être transporté dans un autre monde ? Et tout le monde te respecte là-bas. Tu seras traité comme un roi. Tu pourras même avoir un harem. Je t’ai donné une application pour faire des miracles depuis ton smartphone. »

Si les villageois me voyaient faire des miracles sous leurs yeux, ils me respecteraient probablement encore plus. Assez pour suivre tous mes ordres. C’était tentant comparé à l’existence pitoyable que je laisserais derrière moi, mais avais-je vraiment envie de jeter ma vie entière en l’air ?

« Je — »

« Tu n’as pas à répondre tout de suite. Après tout, je veux que tu restes dans le coin pour un moment. Amuse-toi, d’accord ? Pense à ça comme à des petites vacances. »

« Tu veux que je reste pour toujours ? »

« Non, c’est juste que… c’est le deuxième étage. Ils ont découvert qu’on a envoyé quelqu’un du Japon dans l’ancien monde, et ça cause quelques frictions. On essaie de réparer le portail pour que rien d’autre ne puisse être envoyé de ce côté. Je sais qu’il y a aussi des dieux corrompus après toi, alors reste tranquille. Je vais essayer de les convaincre de ne pas s’en prendre à toi directement. »

Si elle était si inquiète pour ma sécurité, que pouvais-je faire d’autre ?

« OK. Faites-moi savoir quand les choses se seront calmées, et j’essaierai de m’amuser ici en attendant. »

« Je te remercie pour ta compréhension. Je vais essayer d’arranger les choses aussi vite que possible. Sûrement avant le prochain Jour de Corruption. »

J’avais presque oublié ça. J’étais dans le Village du Destin lui-même, ce qui signifiait que j’affronterais personnellement un Jour de Corruption si j’étais encore là à la fin du mois, donc de vrais monstres. Mes pensées ensoleillées d’adoration se furent instantanément taries. Mes villageois passaient régulièrement cet événement, mais je n’avais vraiment pas envie d’être ici pour une quelconque attaque à grande échelle.

« Je reste en contact, ok ? »

« A-Attendez, je-oh, elle a raccroché. »

Elle avait bon cœur, mais j’aurais aimé qu’elle soit plus à l’écoute. Je savais que j’avais au moins un moyen de rentrer maintenant. Tout ce que j’avais à faire était d’attendre et de m’assurer que je restais convaincant devant les villageois.

« Ce qui ne sera pas vraiment facile. »

L’idée de me forcer à garder cette attitude de disciple officiel me pesait, mais je n’avais pas le choix. Si mes villageois commençaient à avoir des soupçons sur moi, le disciple du Dieu du Destin, cela pourrait nuire à leur foi dans le dieu lui-même. Si je voulais continuer à jouer le jeu une fois rentré chez moi, je devais continuer à jouer la comédie.

« Très bien, je fais quoi maintenant ? »

Comme ruminer sans objectif clair n’était qu’une perte de temps, j’avais décidé de voir comment le village se portait. Je pourrais ensuite réfléchir à mon prochain mouvement. Je m’étais levé, Destiné s’accrochant à ma poitrine et sortant sa tête de mon manteau. Je savais qu’il détestait le froid, mais il voulait probablement voir ce qui se passait, lui aussi.

Au moment même où j’avais quitté la tente, j’avais immédiatement senti les yeux des villageois se poser sur moi dans toutes les directions. Quand je m’étais retourné, ils détournèrent immédiatement leurs regards et se dispersèrent comme des bébés-araignées.

Voilà donc ce qu’on inspire quand on est célèbre ?

Je doute qu’ils aient eu beaucoup de disciples divins venant du Monde des Dieux. À leur place, je les fixerais aussi. J’avais essayé de les ignorer, tout en me rappelant que je risquais toujours d’être observé. Si j’étais à l’extérieur de la tente, je devais être prudent. Je m’étais étiré, puis je m’étais dirigé avec assurance vers l’endroit où se trouvait la grotte.

« Il n’y a vraiment plus rien, hein ? »

L’ancienne mine était complètement détruite. Je l’avais vu de loin, mais je ne pouvais m’empêcher de soupirer de regret. Cet endroit avait été vital pour la survie de mes villageois à l’époque où Gams était blessé.

« Merci de les avoir protégés pendant tout ce temps. », dis-je en joignant les mains.

J’aurais aimé voir l’espace dans lequel ils avaient vécu, mais il avait disparu. Après une telle explosion, tout ce que nous avions découvert n’était que poussière.

Pourrait-il y avoir encore des choses utiles là-dedans ?

Quelques pioches et des charrettes à bras étaient posées à proximité. Manifestement, mes villageois avaient la même idée. J’avais parcouru la zone et j’étais tombé sur un espace entouré de planches de bois. C’était nouveau.

« Qu’est-ce que c’est ? Ces planches sont juste un peu plus grandes que moi… »

Comme elles se tenaient près de l’ancienne grotte, je les avais suivies jusqu’à ce que j’atteigne une cabane en rondins. Je ne pouvais rien dire à son sujet d’ici, sauf qu’elle était grande. Comme la porte était fermée et que je ne voulais pas entrer sans autorisation, je m’étais dit que je pourrais revenir plus tard.

Je m’étais ensuite dirigé vers la clôture en rondins qui entourait le village et, en la longeant, j’avais rencontré les villageois au travail. Les hommes étaient occupés à allonger et à renforcer la clôture. Les elfes aidaient Kan et Lan à raboter des morceaux de bois. Les elfes étaient doués pour le travail du bois, ils vivaient en harmonie avec la nature. Murus, bien que médecin et tireur d’élite, n’était pas très douée pour l’artisanat. Elle supervisait les choses de loin. Tout comme les humains, les elfes avaient leurs forces et leurs faiblesses individuelles.

J’avais continué à marcher et j’étais tombé sur les tours de guet. Il n’y en avait qu’une avant, construite en rondins. Maintenant, il y en avait quatre, plus hautes et faites de planches de bois solides. Avec l’augmentation récente de la population du village, les tours de guet pouvaient maintenant être occupées à tout moment.

***

Partie 2

L’explosion avait laissé le village à nu, mais il avait été restauré en quelque chose d’encore mieux. Une population plus importante crée de la force, et sans aucun doute, le développement du village se poursuivra à pas de géant.

J’étais retourné à la tente-église improvisée, ma maison pour l’instant. Je m’étais assis devant le foyer et j’avais regardé la statue du dieu du destin à travers les flammes. L’ancienne statue avait été grossièrement sculptée, difficile de dire si elle était censée être masculine ou féminine. Celle-ci avait été sculptée par des mains bien plus habiles. J’imagine que Kan et Lan l’avaient fabriquée quand l’ancienne fut détruite dans l’explosion.

« Qu’est-ce qu’un disciple du Dieu du Destin est censé faire toute la journée ? »

Je n’étais pas venu dans ce monde pour passer des vacances amusantes. Je voulais simplement passer plus de temps avec les villageois après tant d’heures passées à les observer à travers l’ordinateur. Mais je ne m’étais pas jusqu’à présent révélé à eux comme leur dieu, et je ne voulais pas ruiner la perception qu’ils avaient de moi. Le fait que je les connaisse maintenant personnellement rendait ce sentiment encore plus fort. Peut-être que je devrais juste leur demander s’ils avaient besoin d’aide pour quoi que ce soit.

J’avais agi au moment où cette pensée avait surgi dans mon esprit. J’avais appris que c’était la façon d’éviter d’être un NEET, agir tout de suite. J’avais quitté la tente et cherché un villageois qui n’avait pas l’air trop occupé.

*****

« C’est… plutôt… dur… », dis-je en haletant tout en balançant ma pioche à l’extérieur de l’ancienne grotte.

Plus tôt, j’avais quitté la tente et trouvé Chem.

« S’il vous plaît, ne soyez pas déraisonnable ! Je ne pourrais pas demander au disciple du Seigneur de lever un seul doigt ! »

Je m’attendais à ce qu’elle dise quelque chose comme ça. J’avais donc préparé mon contre-argument.

« Le Seigneur m’a demandé d’aider le village, et si je ne le fais pas, il me grondera quand je reviendrai. Permettez-moi de vous aider. Vous me rendrez service. »

Au moment où j’avais mentionné le nom de son dieu, Chem ne me répondit plus rien. Elle m’avait donné un récapitulatif des tâches à accomplir. J’avais porté mon dévolu sur l’une des tâches les plus exigeantes physiquement. Entre mes séances d’entraînement et mon travail de nettoyage, je m’attendais à ce que ce soit une tâche aisée, mais c’était plus difficile que prévu. Balancer une pioche utilisait un ensemble différent de muscles, et je pouvais sentir la tension de chaque mouvement dans mes bras et ma taille.

Je travaillais actuellement dans les mines. La grotte s’étant effondrée, il serait possible d’extraire du minerai de l’ancien puits de mine, et Dordold avait promis d’acheter tout ce que nous trouverions, ce qui serait une nouvelle source de revenus. Même après sa destruction totale, la grotte qui avait autrefois abrité mes villageois continuait à les aider. Il était difficile d’imaginer où ils seraient sans elle.

L’exploitation minière était une tâche secondaire. Les villageois ne s’y consacraient que pendant les pauses dans leurs autres efforts de restauration, et ils avaient à peine assez de personnes pour cela. C’était la raison pour laquelle je m’étais porté volontaire pour aider. Ici, seul, je n’avais pas à me soucier d’une observation constante. Je pouvais laisser tomber le masque et me détendre un peu.

J’avais essuyé ma sueur avec une serviette de mon sac, j’avais poussé un profond soupir et je m’étais frotté les épaules. Sewatari-san avait donné mon sac à Carol avant qu’elle ne me suive à travers le portail, ce qui fut une véritable aubaine. Il était plein de choses utiles. J’avais vérifié l’heure sur mon téléphone. Il n’était même pas encore midi, je travaillais depuis environ deux heures. J’avais rechargé mon téléphone avec un chargeur solaire que j’avais miraculeusement pensé à emporter. Je l’avais gagné dans un concours il y a longtemps, mais comme je ne sortais jamais, il avait passé toute sa vie au fond de mon placard.

Grâce à lui, Sewatari-san pouvait me contacter dès qu’elle en avait besoin, sans craindre que mon téléphone tombe en panne de batterie. Et je pouvais faire des miracles. J’avais testé l’application en changeant le temps. Ça avait fonctionné exactement comme prévu. Je pouvais compter sur les miracles si j’en avais besoin.

Faisant une pause, j’avais trié les photos que j’avais prises depuis mon arrivée ici. Je voulais en avoir le plus possible, mais si je continuais à ce rythme, j’allais bientôt manquer d’espace de stockage. J’avais l’impression que je ne me lasserais jamais de photographier les paysages du village et les villageois eux-mêmes.

La nuit dernière, j’avais eu l’occasion de parler avec mes premiers villageois dans la tente. Je leur avais montré les photos que j’avais prises de Carol dans mon monde.

« C’est à ça que ressemble le Monde des Dieux ? ! C’est si lumineux ! Et il y a tellement de gens ! »

« C’est quoi ces grands bâtiments étranges ? »

« Oh, regarde le sourire de Carol ! On dirait qu’elle s’amuse beaucoup ! »

Mes villageois étaient rivés à l’écran, émerveillés par ce qu’ils voyaient.

« Ça s’appelle un sanctuaire, et nous sommes allés à un festival ! Cette nourriture duveteuse était si délicieuse ! »

Carol se vantait. Rodice et Lyra ne pouvaient s’empêcher de lui sourire.

L’expression de Gams n’avait pas changé, il avait juste fixé le téléphone en silence. Chem sursauta, sa jalousie à l’égard de Carole qui passait du temps dans le Monde des Dieux était évidente dans son regard. Elle était tellement religieuse que je ne pouvais pas la blâmer. Pas étonnant qu’elle ait eu envie d’y aller elle-même.

Chaque fois que la photo changeait à l’écran, Kan et Lan se tenaient droits et lançaient leurs bras en l’air. Ça les prenait au dépourvu à chaque fois. Murus essayait de faire semblant de ne pas être intéressée, mais je remarquais qu’elle ne quittait jamais le téléphone des yeux. Je m’étais dit à moi-même que c’était dommage qu’elle ne vienne pas voir de plus près.

Je ne leur avais montré les photos que sur un coup de tête, mais nous avions fini par les parcourir jusqu’à ce que mon téléphone rende l’âme. Il faudrait qu’on regarde le reste un jour.

En parlant de photos, j’avais demandé à Gams et aux autres de m’emmener à la chasse. Je voulais voir un monstre de près au moins une fois pendant que j’étais ici. J’avais emporté une lance empruntée, juste au cas où, mais je n’avais toujours aucune idée de ce que je faisais et j’avais promis de rester en retrait et de regarder. Je pensais que je pourrais leur donner un coup de main s’ils en avaient besoin. Mais les choses ne s’étaient pas passées comme je l’avais prévu.

Deux loups noirs apparurent. Je les connaissais déjà, car je les avais vus dans le jeu. Gams, Kan et Lan s’étaient mis en position de combat, Murus prépara son arc et j’avais… reculé. Était-ce de vrais monstres ? Ils étaient terrifiants. Être poursuivi par un gros chien était déjà assez effrayant, mais là, il s’agissait de terrifiantes créatures de légende. J’étais si effrayé que je pouvais à peine penser.

Ils étaient tous aussi grands qu’un homme adulte, la salive dégoulinait entre leurs crocs longs et pointus, et les muscles se contractaient visiblement sous leur pelage noir de jais. Ils émirent alors des grognements bas et menaçants. N’importe qui aurait eu peur face à des monstres comme ceux-là. Une sueur froide se répandit alors sur tout mon corps, et mes jambes tremblèrent. Ma gorge était incroyablement sèche. Je n’avais aucune envie de me battre, seulement de courir. Je n’avais réussi à rester debout qu’en me soutenant avec ma lance.

J’étais resté en retrait et j’avais regardé les villageois vaincre les bêtes avec facilité. L’un des loups eut la tête coupée, et un autre recula dans une giclée de sang lorsqu’une flèche pénétra dans son œil. L’odeur des arbres autour de nous se mêlait à celle du fer rouillé, ce qui me piqua le nez. La puanteur étouffante et les éclaboussures de sang firent monter la nausée dans mon estomac, mais j’avais réussi à la retenir. Je ne me souvenais pas de ce que les villageois me dirent par la suite, mais lorsque nous étions rentrés au village, je m’étais effondré sur le sol de ma tente. J’avais alors compris que je n’étais pas fait pour combattre les monstres de ce monde comme un protagoniste isekai. J’étais mieux adapté à un travail lent, et c’était ce que je ferais.

« Je vais faire autant d’efforts que possible pour l’exploitation minière. »

J’avais rangé mon téléphone et fis de nouveau face au sédiment devant moi. Je voulais extraire chaque morceau de minerai que je pouvais.

Et tandis que je creusais, j’avais senti que quelqu’un m’observait. Je m’étais retourné et j’avais croisé le regard de deux villageois qui me regardaient de derrière l’une des tentes. L’une était une femme de l’âge de Lyra, et l’autre une petite fille. Je leur avais fait un signe de tête, et elles répondirent par de profondes révérences avant de s’éclipser.

« C’est toujours la même chose. »

Les villageois étaient clairement intéressés par moi, mais ils ne s’étaient jamais approchés. J’avais essayé de combler le fossé plusieurs fois, mais ils répondaient de manière si formelle qu’il était difficile de maintenir une conversation.

Parmi les villageois, le comportement de Chem était celui qui m’avait le plus marqué. Elle me fixait toujours avec un tel respect. Je m’y étais habitué, mais je n’avais toujours pas réussi à avoir une vraie conversation avec elle.

« Bonjour. »

J’avais essayé de la saluer.

« Y-Yoshio ! Comment allez-vous ? Merci au Seigneur pour cette autre belle journée ! »

« Eh bien, il pleut un peu. J’espère que ça va s’arranger bientôt. »

Essayer de garder mon discours formel me rendait tellement nerveux que je savais à peine ce que je disais.

Quand j’avais essayé de parler à Gams, il répondit par : « Oui », « Je sais » ou « J’ai compris ». Et peu importe ce que je disais, la conversation était terminée. Rodice et Lyra s’excusaient constamment parce que leur fille s’imposait à moi. Kan et Lan se parlaient à peine, et mes échanges avec eux n’étaient guère meilleurs que ceux que j’avais avec Gams. Chaque fois que je croisais Murus, elle me faisait un signe de tête avant de s’éclipser. Je ne lui avais pas encore parlé une seule fois. Il était évident qu’elle m’évitait.

« Qu’est-ce qui ne va pas, Yoshio ? Tu as l’air triste ! Tu dois sourire ! »

Carol sauta devant moi et repoussa les coins de mes lèvres avec ses doigts. Elle portait toujours son sac à dos en peluche du Japon, la tête de Destiné dépassant de la fermeture éclair. Elle avait recommencé à porter ses vêtements de ce monde, mais elle n’enlevait jamais son sac à dos.

« Tu es une bonne fille, Carol. »

Carol était la seule personne du village qui me parlait sans hésiter. Elle se plaignait que ses parents et Chem la grondaient d’être si familière avec moi, mais j’espérais ardemment qu’elle ne s’arrêterait pas.

« Tu es préoccupé par quelque chose, Yoshio ? »

« Oui. Je veux apprendre à mieux connaître tout le monde dans le village, mais ils se tiennent à distance de moi. »

« Tout le monde dit que c’est impoli de te parler parce que tu es le disciple de Dieu. Mais je ne pense pas que ce soit impoli, parce que tu es Yoshio ! »

Je ne les blâmais pas pour ce comportement, et cela ne me dérangeait pas de la part des nouveaux arrivants, mais je connaissais mes villageois d’origine depuis si longtemps que leur distance me faisait mal. Je les avais observés pendant des mois dans le jeu, mais bien sûr, ils ne le savaient pas. C’était une relation unilatérale que j’aurais probablement dû prévoir.

« Si Dieu a dit qu’ils devaient être gentils avec toi, alors je pense qu’ils le seraient ! »

« Oui, ça… pourrait marcher. », dis-je en gloussant.

Je n’avais jamais pensé à ça !

Chem avait de nouveau le livre saint. Rien ne m’empêchait d’envoyer une prophétie avec mon téléphone.

J’avais décidé d’essayer. J’en avais marre d’être ignoré !

***

Chapitre 3 : Message divin et Mon espoir d’amitié

Partie 1

Maintenant que j’avais pris la décision d’envoyer une prophétie, je devais trouver comment la formuler. Les persuader d’être plus amicaux avec moi serait-il la bonne approche ? J’avais l’impression de tricher, de mettre des mots dans la bouche de leur dieu, mais j’avais décidé de ne pas trop y penser. J’avais donc sorti mon téléphone et tapé un brouillon de message.

« Mes chers disciples. Merci de prendre soin de mon disciple. Je vous demande de le traiter gentiment comme l’un des vôtres. C’est ma volonté. »

Dans le ton, ce message était un petit peu décalé. Je ne savais pas si le Dieu du destin ferait une demande aussi superficielle, si encore le terme superficiel était le bon mot. Mais je suppose que j’avais déjà demandé des conseils en amour auparavant.

Est-ce qu’il était bon pour un dieu d’essayer de se rapprocher de ses disciples ? Je devrais peut-être mettre plus de majesté dans ma demande et la faire ressembler à un devoir.

À ce rythme, ils finiront simplement par me prendre pour un fou.

« Yoshio, tu as l’air bizarre. »

« Oh ! Désolé. »

J’avais presque oublié que Carole était avec moi. Je devrais retourner au travail et réfléchir à la prophétie pendant que je creuse.

« Je dois retourner au travail, Carol. Qu’est-ce que tu fais ? »

« Je vais aider maman ! Puis je vais faire en sorte que Gams passe du temps avec moi ! »

Elle ne fit aucune mention de Rodice. Je me sentais mal pour lui. Carol avait passé la majeure partie de son premier jour de retour avec ses parents, mais le deuxième jour, elle était à nouveau toute à Gams. J’étais assez jaloux de Gams, et à plus forte raison Rodice. Je n’avais passé qu’une semaine avec Carol, mais elle était la plus spéciale de tous mes villageois pour moi. Il n’y avait rien d’inconvenant dans mes sentiments. Je la voyais comme une de mes filles.

« Oh, est-ce que Dieu a des messages pour nous ? Tout le monde est inquiet, car il n’y a pas de nouvelles prophéties dans le livre. »

Attendez, Carol était-elle après moi ?

« Tout le monde a hâte d’en avoir un autre, parce que ça fait longtemps ! »

Bien sûr ! Mais à quoi pensais-je ? Sa question était totalement innocente. Les villageois n’avaient plus leur livre saint depuis une semaine. Cela signifiait ni prophétie ni miracle. En plus d’avoir tout perdu, ils ne sentaient plus la présence de leur dieu. Pas étonnant qu’ils soient anxieux.

Pour des motifs purement égoïstes, je ne pouvais pas envoyer une prophétie. Si je voulais que mes relations avec les villageois s’améliorent, je devais faire le travail moi-même. Ayant donc pris ma décision, j’avais changé l’approche de ma prochaine prophétie. J’exprimerai mon soulagement sur le fait qu’ils soient tous sains et saufs et leur dirai de faire bon usage du disciple que le Dieu du Destin avait envoyé.

« Pourrais-tu dire à Chem qu’il y aura bientôt une prophétie ? Le Seigneur m’a dit plus tôt qu’il allait en envoyer une », avais-je dit.

« Oh ! Tu peux parler à Dieu avec ce bloc lumineux ! C’est vrai ! Je vais aller lui dire ! »

Carol me salua en courant. J’avais salué en retour et je m’étais mis au travail.

« Mes chers disciples, je suis immensément heureux de vous voir tous sains et saufs et d’assister à votre brillant triomphe sur l’adversaire. Soyez assurés que j’accorderai ma protection à tous les nouveaux arrivants du village. Mon disciple restera avec vous pour un temps. Veuillez le faire travailler comme n’importe quel autre membre du village; il n’a pas besoin d’un traitement spécial. Cela l’aidera à se sentir plus à l’aise. »

C’était ma première prophétie depuis un certain temps et j’étais un peu rouillé, mais je savais que mes villageois passeraient gentiment outre le choix des mots.

Je devais travailler sur ma propre relation avec les villageois. Je pouvais tout juste me souvenir des nouveaux noms et des compositions familiales. J’avais un long chemin à parcourir. Je devrais commencer par mes cinq d’origine, plus Kan et Lan. Et comme Murus m’évitait ouvertement, je la laissais donc tranquille pour l’instant. Elle viendrait me trouver quand elle se sentirait prête.

« Je crois que je vais commencer par les pandas. »

Et je ne les avais pas seulement choisis afin d’obtenir une occasion de toucher leur fourrure duveteuse ou parce que le simple fait de les regarder améliorait mon humeur. C’était plutôt parce que, même s’ils croyaient au Dieu du Destin, leur foi n’était pas particulièrement passionnée. Ils étaient aussi généralement réservés, apprendre à les connaître ne devrait donc pas demander trop d’efforts.

J’étais sorti de ma tente et j’avais immédiatement senti les regards. J’avais souri aux villageois, faisant de mon mieux pour ne pas laisser ma bouche s’agiter. Ils s’étaient inclinés comme un seul homme avant de se disperser dans toutes les directions. J’étais resté tout seul, avec pour seule compagnie le vent froid qui fouettait les feuilles à mes pieds. Mon cœur se sentait vide. Être spécial et respecté n’était pas du tout une partie de plaisir.

*****

Kan et Lan avaient construit leur nouvelle cabane là où se trouvaient leur maison et leur atelier avant l’explosion, exactement au même endroit. À l’extérieur de la hutte se trouvait un four en pierre, construit spécifiquement pour la forge du fer

En m’approchant, j’avais entendu qu’on enlevait le bois à l’intérieur. Ils devaient être en train de travailler.

« Bonjour ? C’est Yoshio. Avez-vous le temps de me parler ? »

Une pause s’ensuivit.

« Entrez. »

La porte s’ouvrit pour me révéler le panda à la fourrure plus claire, Lan. Même de près, elle ressemblait à un gros ours rouge habillé. Ces deux-là étaient difficiles à comprendre, car même leur visage était couvert de fourrure. Il n’y avait jamais beaucoup d’inflexion dans leur discours. Leurs sentiments étaient toujours un mystère pour moi.

À l’époque où je jouais au jeu, je passais une grande partie de mon temps libre à observer ces deux-là. J’avais une certaine expérience de leur langage corporel. En ce moment, leurs oreilles étaient dressées et ils me fixaient. Cela signifiait qu’ils étaient soit nerveux, soit anxieux. Des oreilles plates signifiaient la peur, et des bras levés l’intimidation. Tout allait donc bien pour l’instant.

« Je m’excuse d’avoir interrompu votre travail. »

« Ce n’est pas grave. »

« Pas de problème. »

Kan, qui rabotait du bois dans la hutte, arrêta ce qu’il faisait et tituba jusqu’à moi.

Bon sang, pourquoi faut-il qu’ils soient si mignons ?

Je m’étais efforcé de ne pas afficher un grand sourire niais sur mon visage. On ne pouvait pas le dire en les regardant, mais ces deux-là étaient plus âgés que Rodice et Lyra. Ils n’apprécieraient pas qu’on leur fasse des câlins.

En serrant les dents, j’avais réussi à garder une expression sobre.

« Vous avez sculpté la statue du Dieu du destin dans la tente ? »

« Oui. »

« C’est notre œuvre. »

Un autre silence s’ensuivit. Je m’attendais à ce que cette conversation demande un peu d’effort, mais là, c’était ridicule.

Je leur avais posé plus de questions sur leur travail et d’autres sujets, mais ils ne répondirent que par « Oui », « Non », « C’est bien » et « C’est mal ». Même l’assistant virtuel de mon smartphone était un meilleur interlocuteur que cela.

Heureusement, j’étais préparé. J’avais ouvert mon sac et j’avais fouillé jusqu’à ce que je trouve ce que je cherchais.

« Qu’est-ce que c’est ? »

« Montrez-nous. »

C’était la première fois qu’ils montraient de l’intérêt pour quoi que ce soit depuis que j’étais ici. Ils fixèrent sans sourciller les objets que j’avais sortis.

« Ce sont des outils de charpentier du Monde des Dieux. Ceci est un rabot japonais, et ceci est un trait d’encre. »

Il s’agissait de deux outils de menuiserie traditionnels japonais. Je les avais achetés d’occasion en ligne. Sewatari-san ayant insisté pour que les personnes et les objets puissent traverser le portail, j’avais acheté quelques souvenirs pour mes villageois. En voici deux d’entre eux.

« C’est la ligne d’encre. Vous disposez la ficelle comme ça, et quand vous la tapez, elle laisse une ligne noire derrière elle. La ligne est parfaitement droite. J’ai pensé que vous pourriez l’utiliser pour votre menuiserie. »

J’avais fait une démonstration sur l’un des morceaux de bois de rebut dans le coin de la pièce. Ils furent tous les deux stupéfaits.

« C’est un rabot japonais. Vous pouvez l’utiliser pour raboter une surface et la rendre parfaitement plane. »

J’avais fait une démonstration avec le même morceau de bois, et ils sursautèrent à nouveau. Leurs petites pattes rondes se tortillaient d’excitation et leurs yeux brillaient, impatients d’essayer les outils par eux-mêmes.

« J’aimerais vous les donner en cadeau pour marquer le fait que nous apprenons à nous connaître. Les accepterez-vous ? »

J’avais tendu le rabot et le trait d’encre vers eux. Les pandas se regardèrent, hochèrent la tête à l’unisson, se redressèrent et tendirent leurs pattes vers moi.

« Nous acceptons. »

« Nous les prenons. »

J’avais senti mon cœur se serrer à nouveau. J’avais gardé un visage aussi droit que possible, et j’avais réussi à leur passer les outils sans me mettre à sourire. Après cela, leur attention se détourna de moi pour se concentrer uniquement sur leur travail du bois. Ils étaient tournés vers l’extérieur, mais je pouvais sentir leur plaisir. Ne voulant pas me mettre en travers de leur chemin, je m’étais retourné pour partir.

Mais avant que je puisse partir, j’entendis leurs voix dans mon dos.

« Merci. »

« Ils sont super. »

C’était tout ce que j’avais besoin d’entendre. J’avais levé la main et laissé la petite maison de Kan et Lan derrière moi.

« Qui est le prochain… Attendez, j’ai bien reçu une invitation dernièrement, non ? »

Rodice et sa famille m’avaient déjà demandé de venir pour pouvoir me remercier comme il se doit. Carol était excitée à l’idée de prendre un repas ensemble. Je ne voulais pourtant pas débarquer à l’improviste et leur demander de me cuisiner quelque chose. Je devais les prévenir.

« J’aurais dû le demander plus tôt à Carol, quand elle était encore avec moi. »

Mais il était trop tard pour revenir en arrière. Je l’avais donc cherchée dans le village, ce qui n’était pas trop difficile puisque, même s’il était plus grand qu’avant, il n’était pas encore énorme. J’avais trouvé Carol assez rapidement, elle transportait du bois de chauffage.

« Hey, Carol. »

« Yoshio ! »

Elle courut vers moi, rayonnante. J’avais immédiatement senti mon propre esprit s’élever.

« Tu donnes un coup de main ? »

« Oui ! Maman m’a dit d’apporter ce bois de chauffage pour elle ! »

Carol vacillait sous le poids du bois. Elle avait pris avec elle tout ce qu’elle pouvait supporter.

***

Partie 2

« Peux-tu dire à ta maman et à ton papa que j’aimerais venir les voir ? »

« D’accord ! Mais qu’en est-il du bois de chauffage ? »

« Je vais le prendre pour toi, alors ne t’inquiète pas. »

« Ok ! »

Carol me tendit le bois et partit en courant.

J’aimerais avoir son énergie…

J’avais songé à courir immédiatement après elle, mais j’avais décidé de ne pas le faire. Ils voulaient probablement se préparer à la visite du disciple. Embellir un peu l’endroit, mais aussi se préparer mentalement.

J’avais marché aussi lentement que possible. Le village était suffisamment petit pour qu’un rythme normal m’amène à leur porte en moins d’une minute, mais j’avais réussi à le faire en trois minutes. Je posai le bois de chauffage à côté de l’entrée et je m’époussetais les mains.

« Bonjour ? C’est Yoshio. »

Le rideau de la porte s’était immédiatement écarté. Ils devaient m’attendre.

« Bienvenue, Yoshio ! Je crains que ce ne soit pas grand-chose, mais entrez, je vous en prie ! »

Le visage de Rodice était pâle de nervosité, le sourire qu’il montrait était clairement forcé.

J’étais entré sans hésiter.

Carol se tenait devant une table basse et ronde autour de laquelle étaient disposés des coussins.

« C’est ton siège, Yoshio ! », annonça-t-elle en tapotant le coussin à côté de celui où elle était assise. Je l’avais rejointe.

« Fais attention à tes manières, Carol », avertit Rodice tout en essuyant la sueur nerveuse de son front.

Lyra était apparue, apportant un service à thé d’un pas chancelant. Sa fiabilité inébranlable semblait s’être évanouie en ma présence.

« Je vous en prie, ne soyez pas si nerveux. J’aimerais que vous me traitiez de la même façon que Carol. »

« M-mais, monsieur ! On ne peut pas parler avec autant de désinvolture à un disciple du Seigneur ! »

« Mon mari a raison ! C’est inacceptable ! », s’écria Lyra tout en tenant une assiette devant son visage.

Rodice parlait habituellement sur un ton formel, mais entendre Lyra parler comme ça me semblait très étrange. J’avais failli lui demander qui elle était, et ce qu’elle avait fait de la vraie Lyra.

« Je ne suis qu’un simple humain moi aussi. Je parle d’une manière qui sied à un disciple du Seigneur, mais je n’ai pas parlé de cette manière avec Carol, non ? »

« Oui ! Tu as trop l’air bizarre maintenant ! »

Je m’étais alors mis à rire.

« Désolé. Parfois, les adultes doivent changer leur façon de parler entre eux. »

Il était si facile de parler à Carol, c’était la seule personne du village qui ne semblait pas avoir peur de moi. Lyra et Rodice me fixaient en me voyant parler si simplement à leur fille.

« Vous comprenez ? S’il vous plaît, ne vous sentez pas obligée d’être trop polie. »

« Je comprends, mais nous avons toujours une dette envers vous, monsieur. Merci beaucoup d’avoir pris soin de notre fille », dirent Rodice et Lyra en inclinant la tête.

« Ce n’était rien. J’ai beaucoup apprécié le temps que j’ai passé avec elle. Tellement que j’ai envie de vous remercier. »

Ce que je venais de dire n’était pas que de la pure politesse, je le pensais vraiment. Je n’avais jamais eu l’impression que Carol était un fardeau, même si elle m’avait vraiment épuisé.

« Ah, je sais. Est-ce que vous aimeriez revoir ensemble les photos qu’on a prises dans le Monde des Dieux ? »

« Oui, s’il vous plaît ! », dirent-ils à l’unisson.

Je leur avais déjà montré ces photos lors de la fête de bienvenue, mais nous avions dû les parcourir rapidement en raison du nombre de personnes présentes. Lyra et Rodice voulaient probablement y jeter un coup d’œil. J’avais affiché les images sur mon téléphone et les avais regardées une par une.

« Elles viennent du festival, non ? On les a vus l’autre jour. »

« Tu peux acheter plein de trucs délicieux sur ces stands ! »

« Ça a l’air bien ! Et tout est si joli. »

« Oui ! Le Monde des Dieux est vraiment coloré et lumineux ! »

Tout en les parcourant, Carol et moi avions expliqué l’origine de chaque photo. Ses parents hochèrent la tête avec intérêt, le visage illuminé. Nous en avions regardé une dizaine quand un grognement de faim résonna dans la tente. Le visage de Carol se mit à rougir. Elle posa alors ses mains sur son ventre. Apparemment, voir toute cette nourriture sur les photos lui donna faim. Nous étions tellement plongés dans la conversation que l’heure du déjeuner était passée depuis longtemps.

« On a faim, hein ? Je vais préparer le déjeuner. Vous en voulez aussi, Yoshio ? Je dois vous prévenir, il n’y aura rien d’excessif. », dit Lyra en rigolant.

« Oui, s’il vous plaît, si vous me le proposez. Ça vous dérangerait de me laisser préparer aussi un petit quelque chose ? Je n’ai besoin que d’un coin de la cuisine. »

« Je ne pourrais pas… »

« Yoshio va cuisiner ? ! Qu’est-ce que tu vas faire, Yoshio ? ! »

Carol interrompit alors l’objection de sa mère.

J’avais sorti quelque chose de mon sac pour le montrer à Carol. Elle jeta immédiatement ses mains en l’air et commença à sautiller d’excitation, comme elle le faisait à chaque fois qu’elle était la plus heureuse.

« C’est mon préféré ! Maman, Papa, je vous promets que c’est de la vraie bonne nourriture du Monde des Dieux ! »

« Du Monde des Dieux ? ! », s’exclamèrent Rodice et Lyra.

« Tout ce dont j’ai besoin, c’est d’un peu d’eau chaude », avais-je dit.

« Est-ce tout ? »

Je m’étais glissé derrière une Lyra confuse et j’avais commencé. Il suffisait d’enlever le couvercle à moitié, de vider le sachet de soupe en poudre et de verser de l’eau. Lyra fit bouillir des légumes et fit sauter de la viande. Le repas comprenait aussi du riz, ainsi qu’une boîte de nouilles instantanées que j’avais donnés à chacun.

« Il y a trois saveurs, alors goûtez et choisissez celle que vous préférez. »

Il y avait sauce soja, du porc, et du curry.

« Veux-tu bien montrer à tes parents comment les manger, Carol ? »

« Ok ! Regardez ça ! »

Carol prit fièrement une des tasses, retira son couvercle et commença à remuer le contenu avec une fourchette.

Ses parents prirent chacun une tasse et suivirent son exemple. Ils goûtèrent, les yeux plissés dans un mélange de curiosité et d’anxiété. Leurs expressions s’éclaircirent simultanément.

« C’est délicieux ! »

« Je n’ai jamais goûté quelque chose comme ça avant ! »

« Vous voyez ? ! Goûtez un peu des miennes ! »

Ils avaient échangé nos tasses afin d’essayer les saveurs des autres. J’avais regardé la joyeuse famille tout en goûtant un peu de la cuisine de Lyra. Elle n’était parfumée qu’avec du sel et du poivre, mais c’était bon. Dordold vendait des épices, mais elles avaient une grande valeur dans ce monde, ce qui signifiait que Lyra donnait le meilleur d’elle-même pour moi. J’avais savouré le goût, reconnaissant à Lyra d’utiliser des ingrédients aussi précieux.

Grâce à la présence de Carol, j’avais fait de bons progrès avec la famille de Rodice.

La prochaine sur la liste était Chem. Elle serait plus facile à approcher que Gams, étant donné qu’elle me respectait beaucoup et n’aurait jamais songé à me répondre ou à me contredire. Et bien que Gams ne soit pas aussi dévot que sa sœur, sa foi dans le Dieu du destin était toujours aussi forte. Il était silencieux dans le meilleur des cas, mais encore plus quand j’étais là. Je suppose que je le rendais nerveux.

Chem était habituellement dans l’église à cette heure de la journée, mais cette église était actuellement mes quartiers. Lyra avait dit qu’elle ferait peut-être la lessive à la place.

Les villageois faisaient leur lessive dans une source à l’intérieur de la grotte, mais elle avait explosé en même temps que tout le reste. J’avais peur qu’ils soient allés jusqu’à la rivière, mais Lyra me donna des indications. Je les avais donc suivis jusqu’à cette zone entourée de planches que j’avais rencontrées plus tôt. La porte de la hutte en bois étant pour une fois ouverte, j’étais entré directement. Au-delà de la porte, il y avait plusieurs étagères à gauche et à droite, avec deux autres portes entre elles. J’avais tout de suite su de quel genre d’endroit il s’agissait.

« Un bain public ? »

Les étagères devaient être des étagères à chaussures, et les portes bleues et rouges étaient destinées respectivement aux hommes et aux femmes. Le design de style japonais de l’endroit pourrait avoir été influencé par les joueurs du jeu, puisqu’il avait été construit récemment.

Il y avait quatre paires de chaussures sur les étagères près de l’entrée des femmes, ce qui signifiait que Chem n’était pas seule ici. Lyra m’avait dit que cet endroit était utilisé pour la lessive pendant la journée, je pouvais donc juste entrer par l’entrée des femmes. Mais c’était trop gênant. Je m’étais approché de la porte et m’étais raclé la gorge.

« Bonjour ? »

« Yoshio ? »

Une voix survint de derrière moi. Je m’étais aussitôt retourné, choqué. Il y avait Gams, fronçant les sourcils vers moi.

« Qu’est-ce que vous faites ici ? », avais-je demandé.

Attendez. Ne me dites pas qu’il est là pour draguer les filles. Il a toujours l’air si sérieux…

« Je suis venu chercher Chem. On va chasser et patrouiller. »

Bien sûr ! Et quoique Chem ne soit pas une combattante, elle pouvait utiliser la magie de guérison, traitant les blessures mineures en un instant.

« Je vois. »

« Pourquoi êtes-vous ici ? », me dit Gams.

« Je… fais le tour du village. Je voulais parler avec tout le monde. Je viens juste de quitter la famille de Rodice. »

« Oh. Eh bien, je vais chasser seul. »

Gams se retourna pour partir, mais j’avais posé une main sur son épaule pour l’arrêter.

« Si vous devez combattre des monstres, vous devez être prêt à tout. Je peux parler avec Chem une autre fois. »

La sécurité du village était plus importante que mes désirs d’amitiés personnels.

« Je vois. Au revoir. »

Gams ouvrit la porte de l’entrée des femmes et entra sans hésiter. Je l’avais suivi, résolu à être aussi audacieux que lui.

L’intérieur était vaste, avec un bain en plein air et une zone de lavage pavée de pierres. Le bain était assez grand pour contenir peut-être dix personnes, avec des becs en pierre à une extrémité, un pour le chaud et un pour le froid. Chem et Murus faisaient la lessive. Je n’avais pas réalisé qu’elle serait ici.

« Vous avez aussi de l’eau chaude ici ? »

« Oui. L’explosion a ouvert une source chaude à côté de la source froide d’origine. Nous pouvons puiser aux deux sources maintenant. », dit Gams.

Entendre Gams dire autant de choses en si peu de temps était une chose rare. Ils auraient pourtant dû mentionner qu’ils avaient pris un bain ! Ils n’arrêtaient pas de m’apporter des seaux d’eau chaude, ça commençait à me faire sentir coupable. Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour me prélasser dans une source chaude luxueuse !

***

Partie 3

« Oh, Gams. Et Yoshio ?! »

Chem, qui faisait la lessive en nous tournant le dos, se leva rapidement et s’inclina profondément. Murus me jeta juste un regard avant de continuer son travail.

Elle ne m’aime vraiment pas, hein ?

« Avez-vous bientôt fini la lessive ? J’ai envie de sortir. »

« Oui, je viens de finir. Venez-vous avec nous, Yoshio ? »

Je ne m’attendais pas à cette question et je m’étais retrouvé à hocher automatiquement la tête. Elle avait dû penser que c’était pour ça que j’étais là, même si je m’étais juste ridiculisé la dernière fois. Pourtant, je voulais essayer à nouveau.

« Ça vous dérange ? J’essaierai de ne pas me mettre en travers du chemin. », avais-je demandé.

Je devais m’exposer aux monstres au moins un peu, pour essayer d’atténuer ma réaction initiale de panique. Je ne pouvais pas me permettre de la perdre en cas d’urgence. Je n’avais pas besoin de pouvoir les combattre, juste de ne pas me retrouver paralysé par la peur quand quelqu’un avait besoin de moi.

Chem et Gams échangèrent un regard dubitatif.

« C’est bon s’il reste à l’écart et regarde, non ? »

Je ne m’attendais pas à ce que Murus prenne ma défense. Elle n’avait pas l’air ravie, mais j’étais tout de même reconnaissant de son soutien.

« Si je me mets en travers du chemin, vous pouvez me renvoyer à tout moment. »

« Eh bien, si vous insistez. Gams ? »

« D’accord. »

Je les avais remerciés, nous avions donc convenu de nous retrouver aux portes du village dans cinq minutes. J’étais rapidement retourné à ma tente pour trier mon sac. Au moment où je m’apprêtais à partir, j’avais aperçu Destiné, recroquevillé dans le lit, me regardant d’un air accusateur.

« Tu veux venir avec nous ? »

Il avait hoché la tête avec enthousiasme. J’avais donc ouvert mon sac, et il plongea immédiatement dedans. J’avais encore quelques chauffe-mains jetables dedans.

« Ton travail consiste à me protéger, d’accord ? Je suis désolé de compter autant sur toi, mais tu me protégeras ? »

Destiné me fit un clin d’œil.

Je suis heureux d’avoir un lézard si fiable.

J’étais arrivé aux portes pour trouver le trio qui m’attendait, ainsi que Kan et Lan.

« Kan et Lan voulaient aussi venir », a dit Chem.

« Merci pour les outils. »

« On va vous protéger. »

Ils me tendirent leurs pattes duveteuses. J’avais accepté leur poignée de main sans hésiter.

Ils sont si moelleux ! Et leurs coussinets ! Hnngh !

« Vous vous êtes fait des amis ? », dit Chem.

« J’ai eu l’occasion de parler avec eux tout à l’heure. »

Mais plutôt que mes talents de conversation, ce furent les cadeaux qui les avaient conquis. Quoi qu’il en soit, le fait qu’ils veuillent me protéger me rend heureux. Avec Destiné à mes côtés, je ne devrais pas gêner les batailles.

J’avais hoché la tête lorsque nous étions passés devant les nouveaux villageois qui montaient la garde à la porte. Ils s’étaient raidis et s’étaient inclinés à des angles parfaits de quatre-vingt-dix degrés. Maintenant, j’y étais habitué. J’avais juste souri et salué.

C’était seulement la deuxième fois que je sortais du village, je n’y étais pas retourné depuis mon altercation avec ces loups. Je m’étais préparé, déterminé à ne pas agir aussi honteusement cette fois-ci. Dans la nature, il était dangereux de baisser sa garde, ne serait-ce qu’une seconde. C’était un monde grouillant de monstres féroces.

Avant de trouver la grotte, mes villageois avaient dormi en pleine forêt. Cela avait dû être terrifiant. Tant de choses sur un lieu ne pouvaient pas être transmises au travers d’un écran. J’avais besoin d’en boire le plus possible tant que je le pouvais, avant de retourner jouer au jeu normalement.

Nous avions traversé la forêt en silence. Gams marchait devant, suivi de Murus, Chem, moi, puis Kan et Lan en arrière. Cette formation nous protégerait des attaques par l’arrière ou en tenaille.

J’avais vu la zone autour du village assez souvent pour savoir que nous nous dirigions vers la section nord-est de la forêt. La « Forêt interdite » se trouvait directement au nord. Les villageois évitaient généralement cette zone, mais il semblait qu’ils avaient déjà chassé tous les monstres proches.

« Nous avons pris l’habitude de passer par là récemment, afin de réduire le nombre de monstres avant le Jour de la Corruption », expliqua Chem.

Après avoir frôlé la destruction la dernière fois… cela avait du sens.

Les monstres qui entouraient le village n’étaient pas nécessairement ceux invoqués par les autres joueurs. Beaucoup d’entre eux vivaient ici depuis très, très longtemps, et ils se déchaînaient le Jour de la Corruption tout autant que n’importe quelle horde contrôlée par un joueur. Réduire leur nombre était logique.

Nous avions continué vers le nord-est, tout en restant sur nos gardes. J’avais sorti mon téléphone pour avoir une vue d’ensemble de la zone, et c’était là que je l’avais remarqué. Il y avait du mouvement au sud-est. J’avais zoomé dessus.

« Gams. On a des gobelins verts qui viennent de par là. »

J’avais pointé du doigt. Gams fronça les sourcils d’un air dubitatif, mais il mit une main sur son front et loucha au loin. Murus regardait attentivement au loin. Elle n’avait pas pris la peine de cacher le fait qu’elle ne me croyait pas.

Yup. Elle me déteste vraiment.

« On dirait qu’il y a quelque chose. »

« J’entends des bruits de pas. »

Leurs froncements de sourcils furent remplacés par des regards de surprise. Chem avait joint ses mains, me regardant avec admiration. J’avais ressenti plus de culpabilité que de bonheur. En réalité, c’était le jeu qui les avait repérés, et non pas moi.

J’avais fait quelques pas en arrière pour me mettre à l’abri. Lan était restée pour me garder, et Chem s’était également éloignée. Kan se tenait à côté de Gams, tous les deux préparant leurs armes. Ils regardaient à travers les nombreux grands arbres et obstacles qui bloquaient leur vision. Gams s’était caché derrière un arbre à droite tandis que Kan derrière un à gauche. Murus s’accroupit et murmura quelque chose. Les mauvaises herbes qui se trouvaient là se mirent à pousser, la dissimulant.

« C’est un sort… »

Ce n’était même pas une magie tape-à-l’œil, mais je n’avais pas pu contenir mon excitation de la voir pour la première fois. Je me rendis alors vraiment compte que je n’étais pas vraiment sur Terre.

Lan, Chem et moi nous étions cachés et avions regardé, restant silencieux jusqu’à ce que nous entendions des bruits de pas qui s’amplifiaient lentement. Gams fit un signe de tête à Kan alors que les gobelins verts apparaissaient entre les arbres.

J’avais réussi à rester calme cette fois-ci. J’avais déjà vu un gobelin vert, même si c’était une illusion. Qui aurait cru que cette rencontre dans le train me serait utile ?

Les gobelins étaient passés juste devant Kan et Gams, et un instant plus tard, deux d’entre eux avaient des armes plantées dans le dos. Le troisième gobelin se retourna aux gémissements de ses alliés, mais il n’eut pas le temps de crier avant de tomber sans vie sur le sol de la forêt, une seule flèche dépassant de son crâne.

L’attaque était parfaitement fluide, c’était une expérience complètement différente de celle que l’on vit à travers un écran. Les poils de ma peau se hérissèrent. Réalisant alors que j’avais cessé de respirer à un moment donné, j’avais pris une grande inspiration.

Le fait que j’ai pu réussir à garder mon sang-froid à la vue de trois créatures humanoïdes en train de mourir devant moi m’avait un peu surpris. Peut-être que toutes les épreuves que j’avais traversées m’avaient rendu plus fort mentalement. Ce serait bien.

Pourtant, les odeurs de la forêt mêlées à la puanteur du sang n’étaient pas quelque chose à quoi je pensais pouvoir m’habituer. Je m’étais approché de Gams, en essayant de ne pas regarder les gobelins morts.

« C’était impressionnant. »

« Trois gobelins ne représentent rien pour moi. »

Le ton de Gams était indifférent plutôt que fanfaron alors qu’il s’occupait des restes. Ils empilèrent les corps, les arrosèrent d’huile et les incinérèrent, en prenant toutes les précautions nécessaires pour que le feu ne se propage pas. Ils l’avaient fait de nombreuses fois dans le jeu, ils brûlaient les restes pour que les autres monstres ne soient pas attirés par l’odeur du sang.

« Nous allons continuer, si vous êtes d’accord », dit Gams.

« Bien sûr. »

Il m’offrait la possibilité de retourner au village, mais ça me convenait. Ça se passait beaucoup mieux que ma première tentative.

*****

Nous avions exploré la forêt pendant une heure environ sans autre incident. Nous étions sur le point de retourner au village, quand un cri résonna dans les arbres.

« À l’aide ! »

On aurait dit une femme. Je m’étais retourné pour demander à Gams ce que nous devions faire, mais il était déjà en mouvement, s’élançant dans la direction de la voix, Murus suivant juste derrière. Ils n’avaient pas hésité une seconde. Et comme rester derrière était dangereux, le reste du groupe s’était dépêché de suivre. Les cris arrivèrent par intermittence. Celui qui était là s’accrochait encore à la vie, mais probablement pas pour longtemps. J’avais couru aussi vite que j’ai pu, mais Murus et Gams avaient de l’avance. Même Chem avait dû réguler son rythme pour me permettre de les rattraper. Les habitants de ce monde avaient une forme physique impressionnante.

Gams et Murus n’étaient plus que des taches au loin quand ils dévièrent soudainement sur la gauche vers un bruit de métal qui s’entrechoquait.

Un combat d’épées ?

« Ne te préoccupe pas de ma sécurité, Lan ! S’il te plaît, va les aider ! »

Lan jeta un coup d’œil à Chem. Cette dernière acquiesça. Lan se mit donc à quatre pattes et partit à une vitesse incroyable. Le temps que je les rattrape, à bout de souffle, tout était fini. Des corps jonchaient le sol. Un couple de loups noirs, une personne en armure de cuir, deux chevaux et un chariot cassé. La charrette était plus sophistiquée que celle du village, peinte en blanc et lourdement décorée.

Nos combattants étaient indemnes. J’avais eu le temps d’être soulagé une fraction de seconde, avant que mon souffle ne soit à nouveau coupé par l’étrangère présente sur les lieux. Elle avait des cheveux dorés qui frôlaient ses épaules et une frange lisse et droite. Ses traits étaient magnifiquement dessinés et parfaitement symétriques. Ses lèvres étaient rouges, ses yeux légèrement peints. C’était la première fois que je voyais quelqu’un se maquiller dans ce monde. La femme était juste un peu plus petite que Chem et portait une robe élégante, lui donnant un air de classe supérieure. À côté de mes villageois, elle se distinguait.

Gams lui tendit la main, et elle se leva.

« Oh. »

J’avais haleté à voix haute. Chem et Murus étaient elles-mêmes très belles, mais cette femme était hors du commun. Ce n’était pas seulement son visage, mais la façon dont elle se tenait. Elle suintait le charme féminin. Chem lui jeta un regard terrifiant, fixant l’endroit où la femme tenait la main de son frère.

Oh, mon Dieu. Chem et Carol n’allaient certainement pas apprécier la présence d’une femme magnifique et raffinée parmi elles.

Je sens qu’un bain de sang va arriver.

***

Chapitre 4 : Décision définitive

Partie 1

J’étais persuadé que l’arrivée de la femme allait provoquer une énorme bataille autour de Gams, mais elle était finalement partie quelques jours plus tard avec un groupe de chasseurs. Ils étaient apparemment à sa recherche. Je m’étais donc inquiété de la sécurité de Gams pour rien.

La femme se prénommait Salem, et c’était la fille d’une famille noble. Elle avait été attaquée par des bandits sur la route près de la Forêt interdite et s’était enfuie dans les bois pour éviter d’être capturée. Le soldat qui la gardait était secrètement de mèche avec les voleurs, mais des monstres les attaquèrent au moment où ils se rapprochaient d’elle. Les bandits s’enfuirent, et Salem pensa qu’elle était finie, jusqu’à ce que Gams arrive pour la sauver. Charmée par ses compétences, elle essaya de l’engager comme garde pendant son séjour au village, mais il refusa.

Au moment de partir, elle lui prit la main, semblant réticente à l’idée de se séparer d’elle, ce qui lui valut deux regards méchants de Chem et Carol.

N’importe quel autre jeu aurait probablement un événement impliquant de la laisser rejoindre le village, mais elle était partie après seulement deux jours, ce qui était probablement plus sûr pour toutes les parties concernées.

« On dirait qu’il s’est passé beaucoup de choses depuis que je suis partie ! »

Nous étions dans ma tente, et Carol expliquait les événements des derniers jours à un homme rondouillard. C’était un marchand à la parole claire et au sourire doux : Dordold.

Pas plus de vingt minutes plus tôt, Dordold était à genoux et s’était prosterné devant moi, un instant après que je me sois présenté.

« Disciple du Dieu du Destin ! Je m’appelle Dordold ! Je ne suis qu’un humble marchand ! »

De toutes les réactions que j’avais eues, la sienne était sans doute la plus exagérée.

« Levez la tête, s’il vous plaît. Je suis un simple serviteur. Traitez-moi comme n’importe quel autre villageois. Le Seigneur m’a dit qu’il vous était reconnaissant de l’aide que vous apportez à son peuple bien-aimé. »

« O-Oh non ! Je suis indigne d’un tel éloge ! »

Je pris la main de Dordold et mis un genou à terre.

« Le Dieu du destin vous accorde sa protection. »

De grosses larmes coulèrent des yeux de Dordold et dégoulinèrent sur le sol. J’avais trouvé les mots sur le moment, mais ils semblaient faire l’affaire. Dordold abandonna son extrême formalité et me parla sans réserve. Étant marchand, il était plus souple et plus à l’aise avec le changement que mes villageois.

« Combien de temps allez-vous rester au village, Yoshio ? », demanda Dordold.

Chem et Rodice, qui étaient avec nous, me regardèrent avec intérêt.

« J’ai l’intention de partir avant le Jour de la Corruption. »

Sewatari-san ne m’avait pourtant pas encore contacté, ce fait me rendait vraiment nerveux.

« Je vois », murmura Chem en regardant le sol.

Rodice n’avait rien dit, mais il avait aussi l’air un peu abattu. Ils avaient dû repenser à la tragédie du dernier Jour de la Corruption. Ils espéraient peut-être que je serais là pour les aider, étant donné mes liens avec le Dieu du Destin.

« Ne vous inquiétez pas. Le Seigneur veille toujours sur vous. Bien que je sois parti, sa protection restera. Je vais personnellement demander au Seigneur de s’en assurer. »

Je leur avais adressé un sourire encourageant, dans l’espoir de dissiper l’atmosphère lourde. Leurs expressions s’étaient un peu adoucies.

Cela leur avait permis d’avoir l’esprit tranquille. Maintenant, je n’avais plus qu’à m’inquiéter du mien.

*****

Dordold et les autres prirent congé. M’étant trouvé seul dans ma tente, j’avais poussé un gros soupir. D’après mon téléphone, nous étions le 25 janvier, soit six jours avant le Jour de la Corruption.

« J’aimerais qu’ils m’aient déjà contacté… »

Mon téléphone retentit alors, comme s’il pouvait m’entendre. J’avais fait un bond de près d’un pied en l’air, mais je m’étais vite ressaisi et j’avais vérifié l’écran.

« C’est Sewatari-san ! »

J’avais répondu à l’appel et allumé ma vidéo.

« Ouf, désolé pour le retard, mais nous avons tout mis en ordre maintenant ! Tu peux revenir quand tu veux. Tu peux même revenir immédiatement. »

« Merci. »

J’avais attendu son appel avec impatience, et pourtant je sentais mon cœur s’affaisser.

« Tu n’as pas l’air heureux. »

« Désolé. Puis-je vous demander une faveur ? »

« Il suffit de demander ! Pas besoin d’être si formel ! »

J’avais pris quelques grandes respirations pour me ressaisir. Ma demande était imprudente, mais aussi nécessaire. Je ne serais pas capable de me regarder dans le miroir, sinon.

« Pourrais-je rester ici jusqu’après le Jour de la Corruption ? »

« Attends, tu es sérieux ? Est-ce que tu sais au moins ce que tu demandes ? »

« Bien sûr. »

Je connaissais les dangers aussi bien que n’importe qui.

« Si tu meurs là-bas, c’est fini. Tu n’auras pas juste un écran de fin de partie et tu ne réapparaîtras pas au Japon. »

« Je sais. »

« Eh bien, tu sembles avoir déjà pris ta décision. Puis-je t’en demander la raison ? »

« Je ne peux pas m’enfuir et laisser mes villageois affronter le danger par eux-mêmes. Rester à l’abri dans ma chambre et leur donner des ordres de là. Ce serait pathétique. »

Ma vie entière fut déjà entièrement pathétique, ce ne seront pas ces quelques décisions lâches de plus qui changeront quoi que ce soit dans le grand schéma des choses ? Mais peu importe pourquoi je le faisais, que ce soit pour me prouver quelque chose ou autre. Je n’étais pas un NEET ou un grabataire ici. J’étais le Dieu du destin ! Ou du moins son représentant.

« Je vois. Eh bien, j’ai dit que tu pouvais vivre là pour toujours si tu le voulais. Montre à tout le monde tes miracles, dis-leur que tu es un disciple de Dieu. Forme un harem. Je vais même te donner l’upgrade de ton choix. », dit Sewatari-san.

« Arrête d’essayer de me tenter. Je ne vais pas faire ça. »

« Tu es vraiment un homme singulier, Yoshio-kun. Enfin, peut-être la moitié d’un homme singulier. Tu y arriveras. Tu as beaucoup grandi depuis que tu as commencé à jouer. C’est comme si tu étais une personne différente. », dit Sewatari-san en riant.

« Tu m’as observé ? »

« Eh bien, je veux dire… tu as toi aussi regardé les villageois vivre leur vie pendant tout ce temps. Je suis un dieu. Je peux faire ça. »

« Et pour mon, euh, mes moments intimes ? »

« Pas de commentaire. », dit-elle en faisant une pause.

Je n’avais pas aimé ce moment d’hésitation, mais je n’avais pas insisté.

« Si tu as pris ta décision, je ne me mettrai pas en travers de ton chemin. Et pour te récompenser de ta bravoure, je vais te donner un cadeau et quelques conseils. Les deux joueurs que tu as combattus à Hokkaido prévoient de cibler ton village le jour de la Corruption. Fais attention à cela. », dit-elle

Cet insipide salarié Habatake et ce voyou, hein ?

S’ils attaquaient ensemble, nous devrions nous rallier.

« Je te donnerai le cadeau le jour de la Corruption. Euh… je suppose que je vais dire quelque chose de divin avant de partir. »

Elle s’éclaircit alors la gorge.

« J’ai entendu votre demande. Lorsque le Jour de la Corruption touchera à sa fin, vous retournerez dans votre patrie, le Japon. »

Sewatari-san parla d’un ton majestueux. Elle avait vraiment l’air d’un dieu.

« Merci beaucoup d’avoir accepté ma requête égoïste. »

« Eh, c’est un bon type d’égoïsme, donc j’approuve. J’ai eu raison de te choisir comme joueur. »

« Au fait, je me pose la question depuis un moment. Y a-t-il des critères pour choisir les joueurs ? », dis-je.

« En quelque sorte, mais c’est un secret industriel. Je pourrais t’en faire part si tu montes assez haut dans la hiérarchie. Assure-toi juste de survivre à la prochaine attaque, d’accord ? »

« Je ferais de mon mieux. Oh, j’ai une autre question. C’est à propos des dieux corrompus… »

Quand l’appel s’était terminé, je m’étais senti faible, toute la tension s’écoulant de mon corps. J’avais vraiment dû m’arc-bouter pour demander quelque chose d’aussi déraisonnable à un dieu, aussi gentil soit-il.

« Maintenant, je ne peux plus m’enfuir. Je dois rester et faire face à ça. »

J’avais dit les mots à haute voix pour me motiver. Le seul moyen de s’en sortir était de passer par là. Je survivrais au danger avec mes villageois, et nous sortirions victorieux de l’autre côté. Mon amour pour mes villageois ne ferait que grandir… et peut-être que mon amour pour moi-même aussi.

J’allais laisser mes pensées négatives et les parties inutiles de moi derrière moi dans ce monde. Je retournerai au Japon avec une âme plus vraie. Mourir ici n’était pas une option !

La détermination s’élevant dans ma poitrine, j’avais commencé à tapoter sur mon téléphone. J’allais utiliser toutes mes connaissances pour relever ce défi.

*****

Demain étant le jour de la corruption, je n’avais pas fait de travaux miniers aujourd’hui, mais j’étais allé rencontrer Kan et Lan dans leur atelier. La survie de ce village dépendait entièrement des armes et des outils qu’ils fabriquaient. Je leur avais offert mon soutien et partagé quelques idées. Ils travaillaient actuellement à la fabrication de nouvelles flèches, des centaines de flèches. Comme les nouveaux villageois elfes étaient des archers, tout comme Murus, on ne pouvait jamais en avoir trop.

Les hommes du village réparaient et renforçaient la clôture en rondins, et s’affairaient dans le village. Ils avaient terminé la clôture il y a deux jours, mais ils vérifiaient les points faibles de chaque rondin et remplaçaient rapidement toute partie qui semblait défectueuse.

Les femmes et les enfants travaillaient à préparer autant de nourriture que possible en prévision du lendemain. Lyra et Chem étaient en charge de la cuisine.

Les défenses du village étaient plus fortes que jamais, et certains des nouveaux villageois étaient des combattants, ce qui rendait nos forces offensives beaucoup plus puissantes. Par-dessus tout, j’étais reconnaissant envers les elfes. En tant qu’archers compétents, ils pouvaient escalader les tours de guet et tirer sur les ennemis à distance. Nous aurions une longueur d’avance dès le départ.

Dordold nous avait vendu des armes et des armures à un bon prix, nous ne manquions donc de rien. Nous avions huit chasseurs de mêlée, dont Gams, Kan et Lan. Six elfes s’occupaient des attaques à distance, dont Murus. Cela faisait trois fois plus de mains offensives qu’auparavant. J’avais aussi économisé mes PdD pour les miracles ou l’invocation du golem. Je n’en avais pratiquement pas utilisé depuis le début de l’année, j’avais donc beaucoup de réserves sans avoir à dépenser d’argent frais. Mais j’avais quand même demandé à Sewatari-san de convertir mes gains à Isekai Connection en points.

Le soir était arrivé, Gams et sa patrouille étaient revenus. J’étais chargé du dîner pour aujourd’hui, conscient que c’était peut-être ma dernière chance de manger avec tout le monde. J’avais cuisiné en utilisant des épices chinoises que j’avais ramenées de l’autre monde dans une boîte rouge et un bouillon de style japonais. Un plat multinational.

Tout le monde avait fini son assiette avec délectation.

On dirait que maman m’avait bien appris.

Après le dîner, j’étais allé me détendre dans les bains, Destiné m’accompagnant comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.

Tout le monde s’était finalement rassemblé dans le centre de la ville.

« Le Jour de la Corruption commence à minuit ! Traversons-la ensemble ! », déclara Rodice, ce qui lui valut une acclamation de la foule.

Le village n’avait pas de chef officiel, mais Rodice semblait remplir ce rôle naturellement. Je le déclarerai chef officiel dans une prophétie plus tard.

« Je ne parlerai pas longtemps, car tout le monde a besoin de repos. Yoshio ? As-tu des mots pour nous ? »

***

Partie 2

J’avais redressé mon dos. Je pensais qu’il allait me demander de dire quelque chose, j’avais déjà préparé mon discours.

« Il n’y a qu’une seule chose que je veux dire. Traversons cette épreuve ensemble. Sachez que le Seigneur veille toujours sur vous. Qu’il bénisse ce village et ses habitants ! »

J’avais essayé de garder un ton brillant. C’était limite, mais je n’aurais pas pu faire mieux.

Les villageois remercièrent le Dieu du destin avec des voix pleines de larmes. J’avais touché la tête de chacun d’eux alors qu’ils s’inclinaient dans une prière fervente, en prononçant leur nom à tour de rôle. Après en avoir fini, j’avais souri et leur avais dit de relever la tête.

Mais à l’instant même où j’étais retourné dans la tente, je m’étais mis à genoux et j’avais écrasé ma tête contre ma couverture.

C’était tellement dégoûtant ! Ai-je vraiment fait ça ? ! Moi ? GAAAAARGH ! Je sais que j’essaie d’entrer dans mon rôle, mais c’était vraiment trop ! AAAARGH !

Je me tortillais dans ma couverture, incapable de supporter l’embarras.

Écoutez, j’ai fait de mon mieux, d’accord ?!

Franchement… réussir à faire quelque chose d’aussi minable simplement pour encourager mes villageois… peut-être devrais-je considérer ceci comme impressionnant.

Je n’aurais probablement pas pu le faire si ce n’était pas ma dernière soirée avec eux. Après m’être encore tortillé et rassuré, je m’étais finalement calmé.

« J’ai fait tout ce que je devais faire. Maintenant, je n’ai plus qu’à attendre demain… qui est dans moins de trois heures, d’après mon téléphone. »

Je m’étais allongé et j’avais tiré les couvertures sur moi, mais j’étais bien trop alerte pour dormir. Je m’étais redressé, jetant mon regard dans la tente. C’était ma dernière nuit ici. Je n’avais dormi ici que pendant environ un mois, mais le fait de savoir que c’était la dernière me semblait étrange. J’avais regardé le poteau en bois au centre et le meuble en bois brut qui soutenait mon sac.

Depuis mon arrivée, j’avais porté les mêmes vêtements que les villageois. Mes vêtements d’Hokkaido étaient restés pliés dans mon sac. Je n’avais gardé que mon manteau, les villageois semblaient l’utiliser pour me repérer dans la foule. De plus, il faisait froid dehors.

Destiné était pelotonné dans un panier à côté de mon lit, dormant confortablement. En dehors de cela, la tente contenait la statue en bois du Dieu du destin, la plus belle sculptée par Kan et Lan. La statue contenait deux épées à manier lorsque j’activais le golem. Le contrôler était un peu compliqué sur mon téléphone, le D-pad et les boutons apparaissaient, et il fallait les utiliser en les répartissant sur l’écran tactile. Mais comme je m’étais entraîné tous les soirs, je n’avais pas peur de me planter.

Les habitants de mon village se couchaient toujours tôt, j’étais le seul à être encore debout. Comme j’avais passé une grande partie de ma vie sans routine, j’avais toujours du mal à dormir la nuit. Mon corps était fatigué, mais mon esprit était bien éveillé.

Si je voulais passer le Jour de la Corruption avec mes villageois, je devais être prêt à affronter le pire des scénarios. En réalité, c’était peut-être ma seule chance de parler à nouveau à ma famille.

« Je pensais que j’étais totalement préparé à ça… »

Et bien qu’il soit onze heures du soir, je me sentais figé. Mais comme rester assis à ne rien faire ne résoudrait rien, j’avais attrapé mon téléphone, qui s’était soudainement réveillé et commençait à jouer la sonnerie de ma mère.

« Allô ? Tu ne causes plus d’ennuis à ces villageois maintenant ? », demanda Maman.

Wôw, elle était plus préoccupée par les étrangers que par moi. Classique.

« Je ne leur cause pas de problèmes ! Je les aide ! Et vous, comment vous portez-vous ? »

« Bien, mais tu manques à Papa et Sayuki. »

« Non, tu ne nous manques pas ! Arrête de lui mentir ! »

J’avais entendu Sayuki crier à travers le téléphone. Elle devait être juste à côté de maman.

« Je suis content que tu ailles bien. Hum, tout ceci est bien sûr hypothétique, mais que se passerait-il si je ne revenais pas ? », dis-je.

« Pourquoi, tu cherches du travail là-bas ? », me demanda maman.

« C’est bien, du moment que tu es heureux. Tu vas nous manquer, bien sûr, mais en tant que parents, nous devons t’encourager à voler de tes propres ailes. Je suis sûr que ton père ressent la même chose. »

Le fait qu’elle comprenne les choses de travers était préférable. Et j’étais content de savoir ce qu’elle ressentait vraiment.

« Tu ne reviens pas ? »

La voix de Sayuki était sortie du téléphone. Elle avait dû l’arracher à maman. Elle avait l’air ennuyée.

« Sayuki ? Non, c’était juste un “et si”. »

« Fais ce que tu veux, mais reviens au moins nous voir avant de t’installer définitivement là-bas. Tu dois te préparer pour le déménagement et tout ça. Et… je veux m’excuser auprès de toi. »

Sayuki s’était ensuite tue.

« C’est moi. »

Papa prit alors la parole.

« Tu n’es pas malade ? »

Il était plus direct que jamais, mais je pouvais détecter son inquiétude.

« Je vais bien. Ça ne pourrait pas aller mieux. »

« Bien. Je ne sais pas ce qui t’inquiète, mais souviens-toi que l’échec dans le suivi d’un chemin choisi pour toi fait plus mal que l’échec d’une décision que tu as prise toi-même. Il est important d’apprécier l’opinion des autres, mais c’est toujours toi qui as le dernier mot. »

C’était vraiment un bon conseil.

« Je comprends. Je m’en souviendrai. Merci, papa. »

« Pas de problème. C’est ta vie, alors vis-la comme tu veux. Tu as tellement grandi, je suis sûr que tu feras le bon choix. Quoi que tu fasses, on est ta famille, et on te soutiendra du mieux que nous pourrons. Prends soin de ta santé, d’accord ? »

La conversation s’était arrêtée là.

Ce coup de fil m’aida à prendre ma décision, mais j’avais encore besoin d’un dernier coup de pouce. Au lieu d’éteindre mon téléphone, j’avais fait défiler mes contacts pour passer un autre appel.

« Allô ? »

« Yoshi ! Ne fait-il pas trop froid à Hokkaido ? Est-ce que tu dors correctement avec ces températures ? Et Carol-chan ? A-t-elle pu revoir ses parents ? »

Je n’avais pas pu m’empêcher de sourire à ses questions.

Tu t’inquiétais pour moi, hein ?

« Je vais bien. Carol est avec ses parents. Elle est toujours en train de faire la course et me fait jouer avec elle.

« Oh, c’est un soulagement. Alors, qu’est-ce qu’il y a ? Quelque chose te tracasse ? », dit Seika en rigolant.

« Pas vraiment… »

« Tu ne peux pas me tromper ! Tu ne m’appelles jamais sans avoir un but précis. »

Je n’avais pas réalisé que j’étais un si mauvais menteur. Pas étonnant que Sayuki et Seika aient toujours vu clair en moi.

« Pour te dire la vérité, les villageois m’ont demandé si je voulais vivre ici. Ils peuvent me trouver du travail, alors… »

« Oh. Que veux-tu faire, Yoshi ? »

« Je ne sais pas. C’est une opportunité rare, mais je pourrais ne pas pouvoir rentrer à la maison. »

Surtout si je meurs, mais je ne pouvais pas lui dire ça.

« Je pense que tu devrais faire ce que tu veux. »

Elle accepta ma décision plus rapidement que je ne l’aurais cru. Je suppose que j’avais été stupide de penser qu’elle me supplierait de ne pas y aller.

« C’est la meilleure façon de choisir, hein ? », avais-je dit.

« Oui. Et où que tu ailles, je viendrai te voir. »

« Huh ? »

« Je viendrai te voir, que ce soit à Hokkaido ou ailleurs. Je ne te laisserai pas t’échapper à nouveau. »

Je ne suis pas en train d’entendre des voix là ?

J’avais l’impression que mon visage s’était enflammé, mon corps picotait de partout à cause d’une émotion prise entre l’excitation et la gêne.

« Je ne savais pas que tu étais du genre à courir après… »

« Non. Durant tout ce temps, je me suis retenue parce que je ne voulais pas te blesser, mais je ne vais plus le faire. Quand on a recommencé à se parler après toutes ces années, j’ai décidé que je n’allais pas te laisser partir cette fois. Je t’ai attendu pendant dix ans, alors tu peux être sûr que je suis sérieuse ! »

Je ne savais pas qu’elle pouvait être aussi affirmative. Je m’étais demandé quel regard elle avait sur son visage en ce moment. Se sentait-elle aussi mal à l’aise que moi ? Est-ce qu’elle rougissait ?

« Dis quelque chose, s’il te plaît ? Je viens dire tout ce que je ressens là. »

« Désolé, hum. Tu sais. Moi aussi. »

« C’est tout ce que j’avais besoin d’entendre. Je ne veux pas te faire dire autre chose. Réfléchis d’abord à tes mots. Ne me promets rien sous l’impulsion du moment. »

Quand nous nous étions retrouvés après tant d’années, j’avais pensé qu’elle n’avait pas changé depuis que nous étions étudiants. Mais j’avais tort. Elle était sortie de sa timidité. Elle était incroyable.

« Ok. Je vais réfléchir, et… je te le dirai un jour. »

Dès que j’aurai un peu confiance en moi.

« Je ne peux pas attendre. »

« Je ne comprends pourtant pas ce que tu aimes chez moi. J’ai été une loque humaine pendant une décennie. Tu aurais dû me laisser tomber. »

Je voulais sincèrement savoir pourquoi elle ne l’avait pas fait. Si j’étais Seika, il n’y avait aucune chance que je tombe amoureuse d’un type comme moi. J’avais lu sur Internet que les femmes avaient des critères plus élevés que les hommes et qu’elles se souciaient plus de l’argent que d’autre chose.

« Pourquoi est-ce que je renoncerais à toi ? Tu passes trop de temps en ligne. Je ne suis pas une statistique inventée ayant une personnalité bidon. Je suis ton amie d’enfance, Seika, qui te connaît depuis plus de trente ans. Je suis… une femme qui connaît tous tes points forts et tes points faibles. »

D’accord, c’était une question stupide, et même pour moi. Si une femme merveilleuse comme elle était attirée par moi, alors je devais arrêter de me rabaisser.

« Merci, Seika. Je sais ce que je dois faire maintenant. »

« Quoi que tu décides, je viendrai te soutenir, d’accord ? Dors bien. »

« Bonne nuit. »

La conversation s’arrêta là, j’avais respiré un bon coup. Maintenant que je savais ce que ma famille et Seika avaient à dire, je n’hésiterais pas. Quelque chose tira alors sur mes vêtements, j’avais baissé les yeux pour trouver Destiné qui me regardait avec de grands yeux aimables.

« Destiné. C’est la dernière nuit que nous passons ensemble. Veux-tu dormir avec moi ? »

Je m’étais amusé à soulever les couvertures. Il me jeta un coup d’œil, secoua la tête comme si ça le dérangeait trop, et se recroquevilla.

Tu me rejettes ! Eh bien, c’était normal. Il dormirait probablement mieux tout seul, et nous avions une journée chargée demain. Nous avions tous deux besoin de repos.

Je m’étais allongé et j’avais fermé les yeux. Même si je n’arrivais pas à m’endormir, je me reposerais un peu. Au bout d’un moment, j’avais senti un poids sur mon corps. J’avais ouvert les yeux pour voir Destiné allongée sur ma poitrine.

« Bonne nuit. »

Son poids sur moi était réconfortant. Rassuré, j’avais rapidement glissé dans un sommeil satisfaisant.

***

Chapitre 5 : Mon challenge durant le troisième jour de Corruption

L’alarme de mon téléphone sonna trois fois avant que je ne l’arrête. J’avais vérifié l’heure, et, bien sûr, il était minuit. Le Jour de la Corruption était arrivé. Je n’avais dormi que trois heures, mais ma tête était étrangement claire.

Les deux dernières fois, l’attaque n’avait pas commencé avant le lever du soleil, mais tout ce qui dépassait minuit était bon à prendre. Je savais à qui j’avais affaire cette fois-ci, je ne pouvais pas les sous-estimer. Habatake et le punk étaient des gens sans pitié. On pouvait supposer qu’ils connaissaient bien mon village. Je ne serais pas surpris qu’ils attaquent la nuit pour nous prendre au dépourvu.

J’avais enlevé mes vêtements du village pour remettre ceux de mon monde.

« Ceux-ci me vont beaucoup mieux. »

C’était mon dernier jour en tant que disciple du Dieu du Destin. Je voulais être présentable.

J’avais couvert la statue dans la tente avec un grand tissu. Nous ne pouvions pas risquer de l’endommager, c’était notre carte maîtresse.

J’avais fait quelques étirements légers avant de sortir dans la nuit pour parcourir le village. Kan et Lan étaient sur la tour de guet. Ils vivaient tous les deux la nuit, avec une bonne vision nocturne et une épaisse fourrure pour les protéger du froid. C’était à tout niveau les meilleurs prétendant au poste de garde de nuit.

Deux des jeunes nouveaux venus patrouillaient près de la porte. J’avais reconnu leurs visages et je m’étais approché pour les saluer.

« Assez dévoués, ils font la patrouille de nuit », avais-je dit.

« Monsieur ! Que faites-vous dehors si tard ? »

« Je me promène. Je suis un peu trop anxieux pour dormir, vu le jour que nous sommes. »

Je m’étais gratté la tête maladroitement.

J’essayais de jouer le maladroit pour me rendre plus accessible. Ce conseil m’avait été donné par un site web sur la façon de créer des liens avec ses subordonnés, à l’époque où je cherchais comment devenir plus divin.

« Ne travaillez pas trop dur, ok ? »

« Merci ! On ne le fera pas ! »

Ils s’inclinèrent et continuèrent leur patrouille, suivant la ligne de la clôture vers le centre du village.

Mon téléphone me signalerait quand le Jour de la Corruption commencerait réellement. Je n’avais probablement pas besoin d’être aussi prudent, mais être ici en chair et en os était bien plus éprouvant que d’attendre devant mon ordinateur. L’air était tendu par l’anxiété du village, et mon corps s’était raidi. J’essayais de prendre mon téléphone pour me distraire, mais je ne pouvais pas risquer de vider la batterie. J’avais levé les yeux vers le ciel nocturne.

Des étoiles, des étoiles, et encore des étoiles remplissaient l’obscurité. Je n’avais jamais vu autant d’étoiles de ma vie, et je ne connaissais pas assez l’astrologie pour savoir si elles étaient différentes de celles de la Terre. Leur beauté pure était indéniable.

Et comme c’était la dernière fois que je les voyais, je les avais gravées dans ma mémoire.

Le soleil s’était levé sans aucun signe d’attaque en vue. Un Destiné endormi rampa hors de ma tente avec une serviette sur la tête, grimpant sur mes jambes et se glissant dans mon manteau. Je n’avais pas fait attention, la chaleur du chauffe-mains contre ma poitrine était agréable.

Les villageois se réveillaient et sortaient eux aussi de leurs tentes. Tout le monde s’était réuni pour manger, la nourriture étant strictement répartie. Les femmes se dépêchaient de tout préparer aussi vite que possible.

Je n’avais pas faim, mais je devais manger. Je me dirigeais vers la cuisine, quand une sirène retentit dans mon téléphone. Les villageois environnants me dévisagèrent pendant que je vérifiais.

Le Jour de la Corruption est arrivé !

Les lettres d’un rouge saignant clignotaient sur l’écran.

« Tout le monde, le Seigneur m’a fait savoir que les monstres sont sur le point d’attaquer ! », avais-je dit.

Gams laissa immédiatement tomber son pain dans son assiette.

« Prenez vos positions ! »

« Ennemis à l’est ! »

« Beaucoup d’ennemis ! », dirent Kan et Lan depuis la tour de guet.

« Que les femmes et les enfants se rassemblent et se mettent à l’abri ! »

« Il n’y a pas besoin de se précipiter ! Souvenez-vous juste des exercices ! »

Lyra et Rodice rassemblèrent ceux qui ne pouvaient pas se battre et les conduisirent à l’abri d’une tente.

« Ne vous inquiétez pas ! Gams est vraiment fort ! »

Carol rassurait certains des autres enfants, les menant par la main.

Je savais que je pouvais compter sur mes villageois d’origine, mais j’étais déterminé à ne pas les laisser me faire faux bond. J’avais escaladé une tour de guet vide pour regarder par-dessus la clôture, repérant immédiatement une meute de loups noirs qui caracolaient dans l’herbe. J’en avais compté plus de vingt.

Ça semblait beaucoup, mais…

« Préparez vos arcs ! Tirez ! »

Suite à l’ordre de Murus, les flèches plurent depuis les tours de guet. Les archers elfes étaient d’une précision parfaite, chaque flèche atteignant sa cible. Je savais qu’ils étaient de bons archers, mais je n’avais jamais imaginé qu’ils étaient aussi bons. Leurs compétences rivalisaient même avec celles de Murus. Tous les loups étaient morts avant même d’avoir atteint la barrière.

« Incroyable… »

Ils avaient utilisé beaucoup de flèches pour leur attaque, mais nous en avions encore beaucoup en réserve. Le mois dernier, autant de loups noirs auraient signifié de sérieux problèmes, mais ils ne représentent plus une menace maintenant. J’avais senti l’espoir monter dans ma poitrine.

Une autre attaque eut lieu trente minutes plus tard. Elle ne contenait que quelques loups noirs de plus que la dernière fois. Toute la meute tomba sous une autre pluie de flèches. Gams et ses combattants n’avaient même pas eu besoin de faire quoi que ce soit. Croisons les doigts pour que toute la journée se déroule comme ça.

Trente minutes, une heure, une heure et demie, deux heures…

L’après-midi était arrivé sans aucune autre attaque. C’était un schéma similaire à celui du dernier Jour de la Corruption. À l’époque, Yamamoto-san m’avait empêché d’aider mes villageois, mais cette fois-ci, mes ennemis ne pourront pas lever le petit doigt sur moi. J’étais quand même dans le monde du jeu.

« Est-ce qu’ils économisent leurs forces pour une grande attaque finale ? »

Je doutais que les deux joueurs de dieux corrompus persistants et calculateurs que j’avais rencontrés à Hokkaido optent pour une attaque frontale directe. J’avais sorti mon téléphone afin de vérifier le village et ses environs depuis le ciel. Si je ne pouvais pas me battre, je pouvais au moins faire de la reconnaissance.

Il n’y avait pas de monstres près de la clôture, mais lorsque j’avais regardé plus profondément dans la forêt, j’avais vu quelque chose se tortiller entre les arbres. En zoomant, j’avais vu d’innombrables créatures. Pas seulement des loups noirs, il y avait des gobelins verts et un gobelin rouge borgne. Et des gobelins jaunes, que je n’avais jamais vus auparavant.

J’avais appelé la tour de garde la plus proche.

« Murus ! Il y a des monstres qui se cachent dans la forêt ! »

Murus mit sa main sur son front et loucha au loin. Son froncement de sourcils méfiant s’était transformé en surprise, et elle s’était mise à sonner la cloche qui pendait du plafond de la tour aussi fortement qu’elle le pouvait.

« Ennemis ! Ils se rapprochent ! Tout le monde prend ses positions d’urgence ! »

Les villageois se mirent à l’œuvre, ne se croisant plus les bras. Les elfes grimpèrent sur les tours de guet, et Gams et les combattants de mêlée prirent position devant la porte du village. Les villageois qui ne pouvaient pas se battre retournèrent à la tente-abri désignée. Les elfes préparèrent leurs arcs, et Gams distribua des lances. Ce dernier s’accroupit et regarda par l’un des judas de la clôture.

Le message La dernière vague du Jour de la Corruption clignota sur mon téléphone.

Je m’étais détourné de la porte du village et m’étais précipité vers ma tente. Deux villageois se tenaient près de l’entrée, jetant des regards méfiants autour d’eux alors qu’ils commençaient à entrer.

« Vous êtes peut-être ici pour demander mon aide ? »

L’un des villageois sursauta et se retourna. L’autre n’avait pas réagi tout de suite, mais se retourna lentement.

J’avais reconnu leurs visages. Il s’agissait de deux nouveaux membres masculins du village, de corpulence similaire à la mienne et d’apparence moyenne.

« Monsieur… c’est vrai ! Nous sommes venus vous prévenir de l’arrivée de grandes vagues de monstres. »

Sa voix était si rauque que je pouvais à peine le comprendre.

« Merci de vous être donné cette peine. Mais j’ai peur de ne pas bien comprendre. C’est moi qui ai donné l’alerte en premier lieu. Vous ne m’avez pas entendu ? », avais-je dit tout en rendant délibérément les choses embarrassantes.

« Vraiment ? Nous sommes désolés, nous n’avons pas entendu… »

« Pourquoi tenez-vous des torches allumées ? C’est le milieu de l’après-midi. Et qu’est-ce qu’il y a dans ce sac en cuir ? Ça ne peut pas être de l’huile ? »

J’avais rétréci mes yeux sur eux.

L’orateur jeta un coup d’œil à l’autre homme, puis dégaina son épée.

« Depuis combien de temps le sais-tu ? »

À chaque fois que je parlais à ces deux-là au village, ils me répondirent de manière agréable. Cet agrément disparu soudainement, remplacé par des regards hostiles. La raucité de la voix de l’interlocuteur disparu, elle sonnait maintenant étrangement aiguë et féminine. L’autre avait également dégainé son épée. Il était resté silencieux.

« Je le sais depuis le début. »

Pour être parfaitement exact, c’était depuis qu’une certaine personne avait quitté le village. Depuis lors, j’avais gardé un œil sur ce villageois en particulier.

J’avais mes raisons d’être méfiant. Mon premier indice me fut donné il y a quelques jours, lorsque j’avais posé une question à Sewatari-san juste avant de raccrocher le téléphone.

« Les dieux corrompus ne peuvent-ils contrôler que des monstres ? Ou bien ont-ils aussi des adeptes humains ? »

Sewatari-san me répondit qu’ils avaient effectivement des adeptes humains, mais pas en très grand nombre. Sa réponse me fit réfléchir. Il serait donc possible pour un dieu corrompu d’envoyer des infiltrés dans mon village. C’était le plus simple des plans, envoyer des espions et des saboteurs dans la base d’un ennemi était une stratégie très courante dans les romans.

La question était donc devenue : si les dieux corrompus envoyaient des espions dans mon village, quelle serait leur mission ?

Assassiner les principaux chefs du village était évident, mais Gams était un solide combattant. Ils n’avaient aucune chance de réussir dans leur entreprise.

Donc s’ils ne pouvaient pas faire ça, que pouvaient-ils faire d’autre ? Si c’était moi, je détruirais la statue du Dieu du Destin afin qu’on ne puisse pas utiliser le golem. Et je le ferais avec du feu. Ça détruirait notre atout et provoquerait la panique au moment où ça se répandrait.

« Qu’avez-vous fait aux vrais villageois, au fait ? Et qu’est-ce qui ne va pas avec le gars à côté de vous ? », avais-je demandé, bien que je connaissais déjà la réponse.

C’était un scénario catastrophe, mais j’avais quand même demandé, juste au cas où.

L’orateur avait clairement pris la place de quelqu’un. Le type à côté de lui était probablement une victime innocente contrôlée par un miracle. Tout le monde connaissait le nom des autres dans ce village. Tout espion serait reconnu instantanément. Les possibilités d’infiltration de l’ennemi étaient limitées.

« Tu en sais beaucoup. »

Le ton de l’espion était joyeux. La silhouette du villageois en face de moi avait semblé se déformer, disparaissant pour être remplacée par une femme en robe noire.

« Ravi de te voir, Salem. »

Salem m’adressa un sourire en coin. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle soit une adepte d’un dieu corrompu.

« Tu le savais donc ? »

« C’était de la simple logique »

J’avais menti, mais j’avais besoin qu’elle croie que j’étais plus intelligent que je ne l’étais. Ce n’était pas du tout de la logique, c’était simplement dû à une connaissance du jeu et des expériences précédentes que j’avais eues à Hokkaido.

Je connaissais la magie d’illusion parce que j’avais vu Habatake utiliser le même tour. L’application du jeu avait une fonction qui me permettait de toucher n’importe quel villageois sur la carte et d’apprendre son nom et quelques informations biographiques de base. Lorsque j’avais tapé sur elle, rien ne s’était affiché, comme cela avait été le cas avec Murus avant qu’elle ne rejoigne officiellement le village. Cela avait commencé à se produire le jour où Salem était partie. Elle avait probablement fait semblant de partir avant de reprendre son déguisement et de revenir en douce.

Le villageois à côté d’elle avait vu ses informations s’afficher normalement. Il devait être contrôlé par le miracle, endormi ou drogué.

« Cela te dérange de te rendre ? Je ne veux pas que ça traîne trop longtemps. »

J’avais des problèmes plus urgents pour le moment. J’avais entendu les villageois beugler derrière moi, leurs voix se mêlant aux cris des monstres et aux fracas de la bataille. Le combat à grande échelle avait commencé. Je devais faire sortir le golem le plus vite possible.

« Je suis un adepte du Dieu des Charmes. Je ne peux pas reculer, même si je le voulais. Mes excuses, mais je vais devoir mettre fin à ta vie ici. Le Seigneur m’a dit que ton corps est comme celui de n’importe quel autre humain, malgré ton titre de disciple. »

Elle sortit une dague tordue de la manche de sa robe.

« Tu arrives un peu tard, j’en ai peur. Nous avons déjà répandu l’huile dans toute la tente. Il ne reste qu’une chose à faire. »

Avant que je puisse l’arrêter, Salem jeta la torche allumée derrière elle. Elle tomba vers la tente et l’enflamma. Les flammes se répandirent sur le tissu en un instant, formant une gigantesque colonne de feu.

« Voilà, tu n’as plus d’issu de secours maintenant. Il ne nous reste donc plus qu’à nous occuper de toi. »

Les lèvres de Salem s’étaient tordues en un sourire, et elle et l’autre villageois s’étaient lentement approchés de moi.

Je les avais ignorés et j’avais sorti mon téléphone à la place.

« Hein ? Qu’est-ce que tu crois pouvoir faire avec ce petit… ah ! »

Un coup de couteau résonna dans l’air, et le duo tomba au sol, face contre terre. Derrière eux se tenait la statue du Dieu du Destin, sa figure vaillante soutenue par des flammes. Ce n’était pas le moment de l’admirer, mais elle avait l’air plutôt majestueuse.

Même si la statue était sortie de ces flammes déchaînées, elle ne présentait aucun dommage. Ce n’était pas une coïncidence.

« Tu peux sortir maintenant. »

Le héros du spectacle sortit sa tête de la poche de mon manteau. Je l’avais tapoté sur la tête.

« Merci, Destiné. Tu m’as encore sauvé. »

Destiné avait utilisé ses pouvoirs pour transformer la statue en bois en pierre. Cela signifie qu’elle ne brûlait pas et qu’elle était beaucoup plus difficile à briser. C’était pour cette raison que je n’avais pas paniqué. Je n’étais pas d’une grande aide quand il s’agissait de travail physique ou de combat, mais j’avais beaucoup de temps pour réfléchir. Mon expérience antérieure avec mes ennemis m’avait permis d’élaborer des contre-mesures. Mais ce n’était pas le moment d’être arrogant.

J’avais utilisé le golem pour démolir la tente, puis j’avais activé le miracle météorologique pour invoquer une pluie diluvienne afin d’éteindre les flammes. Comme cette tente était habituellement l’église du village, elle était construite à une certaine distance de leurs maisons, et le feu ne s’était pas propagé.

J’aurais bien eu besoin de souffler un peu, mais le vrai combat ne faisait que commencer.

« Cette fois, ça va être différent ! »

Il ne restait plus qu’à se débarrasser des monstres, et je n’allais laisser personne se mettre en travers de mon chemin. J’allais sauver ce village de mes propres mains !

***

Chapitre 6 : Le village et moi

Partie 1

J’avais couru tout en contrôlant la statue du Dieu du destin avec mon téléphone. Je m’étais dirigé vers la porte du village, d’où je pouvais entendre des cris et des bruits de destruction. J’avais gardé la trace de la statue grâce à mon téléphone, elle y était arrivée avant moi.

La porte et la clôture en rondins étaient cassées. Gams luttait pour repousser les monstres qui grouillaient. Il avait poignardé un loup noir avec la lance qu’il tenait dans sa main droite et décapité un gobelin vert avec l’épée qu’il tenait dans sa main gauche. Les mains occupées, il donna alors un coup de pied à un deuxième loup qui lui sautait au visage, puis l’avait achevé en retirant la lance de son compagnon. Kan, Lan et les autres villageois se tenaient derrière lui en ligne, tenant les monstres à distance du mieux qu’ils pouvaient.

Ils s’étaient battus avec acharnement, mais le flot de monstres ne s’arrêtait jamais. Les flèches qui pleuvaient depuis la tour de guet empêchaient les ennemis de pénétrer dans le village, mais à ce rythme, ce n’était qu’une question de temps. Chem était derrière les combattants et soignait ceux qui étaient blessés, mais ils n’étaient pas en état de repartir au combat.

Je m’étais accroupi près d’une maison avec une vue sur le champ de bataille et je m’étais concentré sur le contrôle du golem. Les villageois n’avaient pas besoin que je les encourage depuis les coulisses. Ils avaient besoin du pouvoir d’un dieu !

« Laissez-moi faire, les gars ! »

J’avais tapé sur l’écran et j’avais envoyé le golem droit dans la nuée d’ennemis.

« Tenez bon ! Si on les laisse passer, c’est fini ! »

Gams, le corps couvert de blessures, tenait bon, encourageant ses alliés tout en continuant à brandir son épée. Puis, la statue du Dieu du Destin sauta devant lui, une épée dans chaque main. Elle coupa en deux un loup noir et un gobelin vert de chaque côté, de leur tête jusqu’à leur abdomen.

« C’est le Dieu du Destin ! », cria Gams avec un plaisir inhabituel.

La couleur commença à revenir sur les visages des autres villageois, même sous leurs contusions. Aucun des nouveaux arrivants n’avait jamais vu la statue bouger, mais ils avaient dû en entendre parler. Tout le monde regardait, les yeux pétillant d’espoir.

En tant que leur dieu, c’était à moi de répondre à cet espoir.

À vous tous, merci de les avoir retenus jusqu’ici.

Comme la statue ne pouvait pas parler, je lui avais fait lever une de ses épées en signe de gratitude. Puis je l’avais envoyé à travers le trou dans la clôture. Il y avait des monstres là dehors, à perte de vue. Des loups noirs, des gobelins verts, des sangliers, des gobelins jaunes, un gobelin rouge borgne… tant de monstres de toutes sortes. Il y avait même une chose qui ressemblait à un lion avec des ailes et un golem humanoïde fait de roche.

J’avais laissé les petits monstres comme les gobelins et les loups à Gams et aux autres, en me concentrant sur les grandes créatures peu familières. Le premier que j’avais repéré était le gobelin rouge à un œil. J’avais donc envoyé la statue droit sur lui. Je n’avais pas ralenti, même si les gobelins verts se pressaient autour de moi : la statue trancha le cou et le torse de tous les monstres qui s’approchaient.

La statue atteignit le gobelin rouge borgne en un instant, laissant une traînée de sang derrière elle. Le gobelin essaya de préparer son arme, non préparé à l’arrivée du golem, mais il était trop lent. La statue planta son épée dans son gros globe oculaire grotesque, le tranchant vers le haut et projetant sa cervelle en l’air. La statue se tenait fièrement debout sous les acclamations des villageois.

Je me souvenais avoir été surpris par la force surhumaine de la statue en bois la dernière fois que je l’avais invoquée, mais elle était encore plus forte maintenant. Était-ce parce que j’étais au niveau 2 ou parce que Destiné l’avait transformée en pierre ? Cela n’avait pas d’importance. Plus elle était forte, mieux c’était.

Avec le gobelin rouge à un œil vaincu, les autres monstres s’étaient figés en état de choc. J’avais envoyé la statue sur sa prochaine cible, le monstre ressemblant à un lion, coupant tout sur son passage. La statue donna un coup d’épée, mais le lion s’était envolé à la dernière seconde et esquiva. Son pouvoir de vol montrait qu’il était un danger réel pour le village. J’avais fait en sorte que la statue saisisse un cadavre de gobelin vert à ses pieds et le lance dans les airs, frappant le lion avant qu’il ne puisse à nouveau esquiver. Les deux monstres tombèrent au sol dans un enchevêtrement. La statue coupa alors la tête de la créature avant qu’elle ne puisse se relever. Elle retira ensuite le sang de son épée.

Je m’étais occupé des plus gros monstres, mais il en restait encore tellement. Les tuer tous semblait impossible, mais c’était la seule option.

La statue du Dieu du Destin tua bête après bête. Son épée ayant disparu depuis longtemps, elle utilisait maintenant une massue de gobelin abandonnée et ses mains nues à la place. Ses coups de poing en pierre étaient assez puissants pour pulvériser la tête d’un ennemi d’un seul coup.

Le ciel était clair lorsque le combat avait commencé, mais la pluie tombait à verse maintenant. La zone située à l’extérieur de la clôture du village étant légèrement plus basse, des flaques d’eau se formaient rapidement et rendaient les déplacements périlleux. La statue, elle, n’avait rien à craindre. Avec sa force surhumaine et son nouveau corps, l’eau roulait directement sur sa peau de pierre. Elle était bien plus résistante que les monstres. À ce rythme, nous allions sous peu pouvoir revendiquer la victoire.

Le seul problème étant que les monstres avaient commencé à éviter de m’affronter directement, gardant leurs distances.

« Ils ont commencé à utiliser leurs têtes. »

Je ne pouvais pas déplacer le golem trop loin de la barrière, car je risquais de voir des monstres se glisser dans le village. Ce n’était pas bon.

« Ils attendent que mes PdD s’épuisent ? »

Ils étaient éparpillés tout en restant hors de ma portée. Si je m’attaquais à l’un d’entre eux, les autres seraient libres de se concentrer sur le village.

« Combien de microtransactions ont coûté tous ces monstres ? » avais-je grommelé, l’anxiété et l’impatience effilochant mon tempérament.

Yamamoto-san m’avait expliqué que convoquer et élever des monstres coûtait de l’argent. La facture pour autant de créatures devait être faramineuse, mais je n’avais pas le temps de m’inquiéter du porte-monnaie de mes adversaires. Mes PdD allaient s’épuiser si cette impasse continuait. Je devais faire quelque chose.

Il restait une cinquantaine de monstres ennemis, mais aucun d’entre eux n’était un loup noir ou un gobelin vert. Si une seule de ces créatures entrait, nous étions grillés. Mes villageois épuisés ne feraient pas le poids face à eux.

Comme si cela confirmait mes pires craintes, j’avais entendu une explosion suivie de cris provenant de la partie nord du village. J’avais vérifié sur mon téléphone pour avoir une vue d’ensemble. Un autre groupe de monstres s’était faufilé et avait brisé la barrière de l’autre côté.

Évidement… J’avais affaire à deux joueurs Dieux corrompus. J’aurais dû savoir qu’ils se sépareraient et lanceraient une attaque surprise ! J’avais envie de me gifler, mais je n’avais pas le temps. Mon décompte initial de cinquante ennemis était très erroné. L’autre groupe était principalement composé de gobelins verts, mais ils étaient nombreux. Et si j’envoyais ma statue vers eux, les monstres qui se tenaient à la porte d’entrée seraient libres d’entrer.

« Merde ! Je suis coincé ici à ne rien faire ! »

Gams et les autres s’étaient ralliés pour faire front contre le deuxième groupe, mais leur épuisement et leurs blessures émoussèrent leurs réponses. Les elfes avaient épuisé leurs flèches et étaient contraints de descendre des tours afin de se battre au corps à corps.

S’il y avait un moyen de gagner, je ne le voyais pas.

Sommes-nous juste censés attendre et mourir maintenant ?

Tout ça pour ça ? Allais-je laisser mon village être détruit à nouveau ?

« Non ! Ce n’est pas encore fini ! Je ne peux pas abandonner ! Ce n’est pas le moment de s’enfuir. Combat jusqu’à la fin ! »

Réfléchis. Réfléchis ! Y a-t-il un miracle que je peux invoquer ?

Je faisais défiler désespérément le menu des miracles quand j’avais senti quelque chose de frais contre mon visage brûlant. C’était Destiné. Ce dernier appuya ses pattes avant contre ma joue et me regarda fixement depuis mon manteau. Il sauta ensuite au sol et s’enfuit en courant vers le nord du village.

« Attends ! Attends, Destiné ! »

Il m’avait ignoré, et je n’avais pu que regarder sa silhouette devenir de plus en plus petite.

Destiné était un meilleur combattant que moi, mais son regard pétrifiant ne fonctionnait que sur une seule cible à la fois, et il l’utilisait actuellement sur la statue du Dieu du Destin. Son attaque au gaz toxique ne pouvait pas être dirigée, elle pouvait finir par blesser nos alliés. Alors que faisait-il ?

« Reviens ! »

Je ne pouvais pas supporter de perdre Destiné en plus de tout le reste.

« Non… allez, n’abandonne pas ! »

Je m’étais giflé la joue pour faire tomber le désespoir en moi et je m’étais remis debout. Je laissai la détermination bouillir en moi, puis je m’étais penché afin de ramasser une lance mise au rebut. J’avais besoin de faire quelque chose maintenant. N’importe quoi était mieux que de s’allonger et de mourir.

J’avais couru après Destiné, mais mon téléphone commença à émettre une lumière jaune aveuglante. Quand elle s’était calmée suffisamment pour que je puisse voir l’écran, j’avais vu une ligne de texte.

Allez-vous lui permettre d’évoluer ?

Je m’étais immédiatement souvenu de ce que Sewatari-san m’avait dit au téléphone.

Je te donnerai le cadeau le jour même.

Était-ce son cadeau ?

Qui s’en soucie ? Ça n’a plus d’importance maintenant !

Tout en me raccrochant au minuscule espoir résidant en moi, j’avais tapé sur l’écran. Je m’étais regardé, j’avais regardé la statue, puis je m’étais regardé à nouveau. Rien ne s’était produit. Mince. J’avais espéré que l’un de nous obtiendrait une sorte de bonus.

« Mais alors, qu’entendait-elle par évolution… ? »

« Aaaaah ! Si brillant ! »

Des cris résonnèrent du côté nord du village, mais c’était des cris d’étonnement, pas de désespoir. Je m’étais tourné pour regarder et j’avais vu un énorme monstre, son corps brillant d’une lumière dorée. Sa peau était protégée par des écailles dures et tranchantes, et ses six pattes étaient aussi épaisses que des troncs d’arbre. Il devait faire au moins quatre mètres de long, sans compter sa queue. Il frappait les gobelins verts à gauche et à droite.

« Destiné… san ? »

On se serait cru dans un film catastrophe. C’était tellement incroyable que je m’étais surpris à l’appeler de manière polie.

Il était plus grand, plus robuste et avait plus de jambes qu’avant, mais derrière tout cela, il ressemblait toujours à Destiné. Il cracha de la fumée violette, laissant les gobelins verts se tordre de douleur sur le sol. D’autres gobelins volèrent au-dessus de ma tête, fouettés en l’air par un balayage de sa queue. D’autres encore furent transformés en pierre par un simple regard. Quand les gobelins essayaient de fuir, il les piétinait. Les monstres étaient censés perdre leur sens de la conservation le jour de la Corruption, mais ils avaient quand même fui Destiné.

Après avoir éliminé une tonne de monstres en très peu de temps, Destiné tourna ses grands yeux ronds vers moi et fit un signe de tête satisfait. J’avais hoché la tête en retour. Il replia alors ses six pattes et s’accroupit, donnant un puissant coup de pied au sol. Il franchit alors la clôture sans difficulté, se retournant sur les monstres regroupés autour de la porte du village. Il les faucha avec sa queue létale, coupa leurs mouvements avec ses six pattes et leur arracha la tête avec ses mâchoires. Tous les monstres qui osaient s’approcher pour essayer d’aider leurs alliés recevaient un souffle empoisonné sur le visage et devenaient immobiles.

Je regardais avec étonnement. Les monstres tombaient à gauche et à droite, impuissants à se défendre.

« Destiné, tu es incroyable. Attends ! Je ne peux pas rester là ! »

Pendant que Destiné distrayait l’ennemi, j’avais ramené la statue du Dieu du destin à l’entrée du village. Je savais ce qu’il fallait faire maintenant. La statue leva son bras droit en l’air. Repérant le signal, Gams s’était retourné et il disparut dans la maison de Kan et Lan.

« Compris ! »

Gams et Rodice émergèrent, tirant une tige de métal dans un chariot en bois. Chem, Lyra et Carol les poussèrent par-derrière. C’était tous mes villageois d’origine, travaillant ensemble.

***

Partie 2

La statue s’était approchée du chariot et prit la tige dans sa main. Mes villageois s’étaient mis à genoux et commencèrent à prier. À première vue, la baguette ressemblait à une longue lance de trois mètres de long avec une pointe aiguisée. Elle était lourde, mais la statue pouvait la faire tourner au-dessus de sa tête sans problème.

La statue était retournée sur le champ de bataille, une nouvelle arme à la main. Les ennemis dispersés s’étaient rassemblés en un seul endroit. Destiné les regardait fixement, son dos trempé par la pluie vers le village. J’avais dirigé la statue pour qu’elle se tienne à ses côtés.

La première rangée de monstres avait été immobilisée, mais ceux qui étaient entassés derrière étaient indemnes. Ils utilisaient leurs alliés de pierre devant eux comme un bouclier contre le regard de Destiné. Un seul souffle de poison pouvait tous les assommer, mais en ce moment, un vent puissant soufflait vers le village. Destiné devait être prudent.

Même ainsi, avec la statue et Destiné ensemble, nous pouvions gagner.

C’est juste que…

J’avais regardé en haut à droite de l’écran de mon téléphone. Mes points de destin avaient diminué sensiblement plus vite depuis que Destiné avait évolué. Nous avions peut-être trois minutes.

Les monstres semblaient se moquer de nous, comme s’ils savaient.

« C’est notre chance ! »

La statue sauta sur le dos de Destiné et lança la tige de métal dans les cieux. Destiné comprit ce qui se passait et recula aussi près que possible de la clôture du village. Il s’abaissa ensuite au sol et donna un coup de pied, la boue giclant derrière lui alors qu’il fonçait vers les monstres.

Et une fraction de seconde avant qu’il ne les percute, ce dernier sauté, survolant le groupe d’ennemis et touchant le sol en courant. Mais la statue n’était plus sur le dos de Destiné. Elle sauta en l’air, atterrissant directement au milieu de la foule. Elle enfonça sa lance dans le sol détrempé.

Les monstres s’étaient précipités sur la statue, mais je les avais ignorés. J’avais appuyé sur un bouton de mon téléphone et j’avais fermé les yeux. Un éclair blanc déchira l’obscurité derrière mes paupières, et un grondement de tonnerre martela mes tympans. Mes villageois s’étaient accroupis, les mains sur leurs oreilles. On aurait dit qu’ils criaient, mais le coup de tonnerre couvrait tous les autres sons.

Un éclair aveuglant et un rugissement assourdissant retentirent, puis un silence s’ensuivit. Les villageois au sol se levèrent les uns après les autres, s’approchant lentement du trou dans la clôture. J’avais empoché mon téléphone et je les avais suivis.

La statue du Dieu du destin, mouillée par la pluie, se tenait sous le ciel maintenant dégagé, scintillant sous la lumière du soleil. D’innombrables monstres gisaient morts sur le sol autour d’elle, carbonisés et fumants. Mes villageois s’étaient précipités vers la statue, s’étaient mis à genoux et avaient commencé à louer le Dieu du destin, sans se soucier de la boue qui salissait leurs vêtements. Cela ressemblait à une peinture religieuse : les gens étaient rassemblés autour d’une statue qui levait une tige métallique vers le ciel dans une pose héroïque de victoire.

« On a réussi… »

J’étais trop épuisé pour ressentir une quelconque émotion. Je m’étais affalé contre la barrière derrière moi et j’avais vérifié mon téléphone.

Le Jour de la Corruption est terminé. Plus aucun monstre n’apparaîtra aujourd’hui.

« C’est terminé. On a réussi… On a vraiment réussi cette fois ! »

Mettant mes mains en boule, j’avais levé les yeux au ciel. N’importe qui, sans en savoir plus, aurait pensé que l’arrivée opportune de la pluie était un miracle. Et je suppose que ça l’était, c’était un miracle que j’avais activé avec mon téléphone.

J’avais commencé par utiliser la pluie pour inonder la zone autour du village, là où se trouvaient les monstres. Kan, Lan et moi avions préparé la lance, le bâton de foudre. Une fois que la statue l’eut, j’avais déclenché un orage, et la foudre tua tous les monstres ayant un pied dans la zone inondée.

C’était le plan que j’avais mis au point, utiliser le golem et la météo ensemble, toute la bataille menant à ce moment précis.

« Nous l’avons fait. Je suis capable de plus que je ne le pensais, hein ? »

Après avoir passé la journée, je me sentais un peu plus confiant en moi. Je m’étais avancé pour féliciter les villageois en prière pour leurs efforts. Mais j’avais alors remarqué mes pieds. Ils étaient presque transparents, de mes orteils à mes chevilles. Je pouvais voir le sol à travers eux.

« Bon… »

Le temps qui m’était promis ici était écoulé. J’avais seulement demandé à rester jusqu’à ce que le Jour de la Corruption soit terminé. Et c’était maintenant le cas. Même si je voulais me joindre à la célébration, ce n’était pas possible. Le bras que j’avais utilisé pour leur tendre la main était invisible jusqu’à mon coude. Je retournais dans le monde réel, où je redeviendrais un joueur et où ils ne seraient que des personnages.

Ça faisait mal, mais c’était ce qu’il y avait de mieux pour moi. Je n’allais plus fuir la réalité. Je ne les regarderai peut-être que de loin, mais je les garderai dans mon cœur. Je prierai pour leur bonheur.

« Prenez soin de vous, les gars. Je vais continuer à travailler pour pouvoir vous consacrer tout ce dont vous auriez besoin. »

J’avais gardé mes yeux sur eux, attendant de disparaître de ce monde. Un mouvement dans ma vision périphérique ramena mon regard vers le bas. Destiné était en train de sauter à mes pieds.

« Tu as retrouvé ta taille normale, hein ? Oui, je pense que ça te va mieux. »

Destiné arrêta de sautiller et me regarda.

« Merci pour toute ton aide. J’ai pris beaucoup de plaisir à traîner avec toi, mon pote. »

Je m’étais accroupi et lui avais offert mon poing qui disparaît. Il leva alors une petite patte avant pour le rencontrer. D’énormes larmes coulèrent de ses yeux ronds.

 

Hé, tu n’as pas le droit de pleurer ! Sais-tu à quel point j’essaie de me retenir ?

J’avais mis mes bras disparaissant autour de Destiné, même si je ne pouvais pas le tenir correctement.

« Merci. Merci beaucoup. Prends soin de toi, d’accord ? Et ne mange rien de bizarre. Assure-toi d’être gentil avec tout le monde, et… et… »

Je ne pouvais plus parler à travers mes larmes. Le visage de Destiné fut la dernière chose que je vis. Je pourrais jurer qu’il souriait en pleurant.

J’avais flotté vers une lumière blanche, à travers un espace où j’étais la seule chose qui existait. C’était incroyablement confortable, comme s’allonger sur un lit de plumes.

« Comment était l’autre monde, Yoshio-kun ? », dit soudainement une voix dans l’obscurité.

Cela ne m’avait pourtant pas du tout choqué.

« Sewatari-san, Dieu du destin, je vous remercie. Je me suis beaucoup amusé. »

J’avais dit ce que je pensais réellement. Leur monde n’avait pas les commodités du Japon, mais le temps que j’y avais passé était quand même satisfaisant.

« Heureux de l’entendre. Tu sais, la plupart des gens qui vont dans un autre monde ne veulent jamais revenir à la maison. Tu es un cas à part, hein ? »

« Je ne pense pas que je serais rentré à la maison si j’y étais allé il y a quelques mois. Mais les choses sont différentes maintenant. Il y a tellement de choses que je veux encore faire, et des choses que je dois faire. Et j’ai des gens qui m’attendent. », dis-je.

Je ne pouvais pas tout jeter et m’échapper dans un autre monde. Je n’étais pas un tel enfant ingrat. Plus maintenant, et plus jamais. Mon combat n’était pas dans l’autre monde. Il était dans celui-ci.

Il y aura des jours où je regretterais de ne pas être resté avec mes villageois. Mais même ainsi, je serais fier de la force qu’il m’avait fallu pour prendre ma décision. J’avais fait le choix de ne pas m’enfuir.

« Comment était-ce d’interagir directement avec tes villageois ? », demanda Sewatari-san.

« Je ne peux plus les voir comme des PNJs. Ce sont des êtres humains vivants, qui respirent, tout comme moi. »

« Je suis heureuse d’entendre cela. Tu continueras donc à t’occuper d’eux ? »

« Bien sûr que je le ferai ! Merci de m’avoir permis de les voir pour de vrai. »

« J’ai bien fait de t’avoir choisi, Yoshio-kun. »

La voix de Sewatari-san était douce.

Ma vision s’obscurcit à ce moment-là, mais ce n’était pas du tout effrayant. C’était apaisant. Flottant dans cette obscurité, je m’étais souvenu de ce que Chem m’avait dit une fois à propos du Dieu du Destin.

« On dit que le Dieu du Destin est le dieu le plus proche des gens. On dit même qu’il a visité secrètement ce monde pour vivre parmi les humains. On raconte qu’il a eu des enfants avec un humain. Le Dieu du destin aime et prend soin des humains plus que tout autre dieu. Il aide ceux qui sont dans le besoin, et il rit et pleure avec nous. C’est comme s’il était presque humain lui-même. »

Coïncidence ou pas, c’était ce dieu qui m’avait choisi. Je ne ferais jamais honte à son nom, jamais.

L’obscurité s’estompa et je m’étais retrouvé sur un banc, dans un endroit complètement différent. Les arbres et les plantes avaient disparu. J’étais entouré de fer et de béton lugubres. Il y avait des panneaux d’affichage électroniques au-dessus de moi, et devant moi, un train à grande vitesse passait à toute vitesse. Une longue file de personnes attendaient le prochain train.

J’étais dans la salle d’attente d’une gare. J’avais vérifié le nom. C’était la gare la plus proche de ma ville natale.

« Je ne suis plus à Hokkaido ? »

À ce stade, rien ne pouvait plus me surprendre. Mon sac était à mes pieds, ainsi que plusieurs sacs en papier. Ils étaient remplis de souvenirs.

« C’est gentil de leur part. »

J’avais vérifié mon téléphone. On était bien le 1er Février et il était 12 h. Le Jour de la Corruption s’était bien déroulé hier. Le mois dernier ressemblait à un rêve. Le monde du jeu auquel je jouais existait vraiment, et j’y avais vécu avec mes villageois et combattu des monstres. J’aurais l’air fou si j’avais dit tout cela à haute voix, mais je connaissais la vérité.

J’avais ouvert l’application le Village du Destin. Mes villageois étaient occupés à réparer la clôture endommagée. Malgré les épreuves de la veille, ils étaient déjà à pied d’œuvre. J’avais résolu de leur envoyer une prophétie plus tard. Je ne voulais pas qu’ils s’inquiètent pour moi. Même si mes jours de vie avec eux étaient terminés, je pouvais toujours les voir à travers le jeu. Notre lien resterait fort.

La statue du Dieu du Destin était de retour dans sa tente, en bois brut une fois de plus. À côté d’elle se trouvait un nouvel autel, et des villageois faisaient une pause dans leur travail pour y faire des offrandes. Ils l’avaient fait pendant toute la durée de mon absence. Il y avait donc probablement beaucoup de bons plats qui nous attendaient, moi et ma famille, à la maison.

Je me demande ce qu’ils vont envoyer aujourd’hui.

J’avais souri en les regardant aligner les fruits sur l’autel et prier ensemble. La lumière clignota comme toujours, mais juste avant que les offrandes ne disparaissent, quelque chose vacilla. Quand la lumière s’était éteinte, l’autel était vide, et les fruits étaient éparpillés sur le sol.

« Qu’est-ce que c’était ? Hé, arrête ! »

Je m’étais adressé au lézard qui tirait sur ma manche à côté de moi.

« Tu as faim ? Tu manges beaucoup pour un animal aussi petit. Tu-attends. »

Destiné leva les yeux vers moi. Celui-là même qui était censé être dans l’autre monde. Il avait dû virer tous ces fruits de l’autel et était devenu lui-même une offrande. Étrange, Sewatari-san n’avait-il pas dit qu’ils avaient fait en sorte que les gens ne puissent plus passer le portail ?

Attends, je dois arrêter de penser à lui comme à une personne juste parce qu’il agit comme une personne !

« Tu es de retour, hein ? J’aurais dû t’appeler Trouble au lieu de Destiné. Bref, c’est bon de t’avoir ici, mon pote. »

Je lui avais tendu un doigt, qu’il avait attrapé fermement.

Le monde réel pourrait être plus fou que le monde du jeu. Il y aurait probablement des problèmes à venir, peut-être même des problèmes de vie. Peut-être que je serais tellement accablé que je me couperais à nouveau de la société. Peut-être qu’un jour, j’aurais la nostalgie du village. Mais je savais maintenant qu’avoir des regrets et faire des erreurs faisait partie de la vie.

Mes villageois travaillaient toujours aussi dur de l’autre côté de l’écran.

« Je dois suivre leur exemple. »

J’avais mis Destiné dans l’un des sacs en papier de rechange et je m’étais levé du banc. J’allais donner des souvenirs à mon patron et m’excuser, donner des souvenirs à ma famille et m’excuser, et donner des souvenirs à Seika et m’excuser…

On dirait que j’ai du pain sur la planche…

C’était le chemin que j’avais choisi, et rien ne m’empêcherait de le suivre. Peu importe si j’allais lentement, si je faisais une pause pour réfléchir ou si je faisais des erreurs. Même si mon chemin était plongé dans l’obscurité, tant que je continuais, il y avait une chance que quelque chose de beau se trouve au bout du chemin.

***

Épilogue

J’avais poussé un long et profond soupir. J’avais regardé tout le film, et c’était enfin terminé. J’avais poussé mon clavier sur le côté et m’étais effondré sur le bureau.

« Si tu vas soupirer aussi fort, couvre au moins ta bouche, Senpai. »

Ma collègue de travail assise à côté de moi secoua la tête de manière désapprobatrice. Elle avait terminé le reste de son thé et elle bâilla en étirant ses mâchoires. Je ne lui avais pas fait remarquer son hypocrisie cette fois-ci. Elle était trop gentille, et elle avait passé toute la nuit à travailler dur à mes côtés. Il y avait probablement une punition divine en réserve pour moi si j’osais la critiquer maintenant, même si j’étais moi-même divin.

« Merci pour toute ton aide. »

« Pas de soucis. Je ne l’ai pas fait dans le seul but d’être gentille. J’ai pensé que si Yoshiocchi nous était reconnaissant pour notre aide, ça pourrait lui donner envie de revenir. »

J’avais vu un éclair dans son regard, mais je n’avais rien dit. Elle avait tendance à passer pour une écervelée et une fugitive, faisant tout le temps ce qu’elle voulait, mais elle était intelligente. Elle savait ce qu’elle faisait. Elle analysait calmement chaque situation et agissait en fonction des avantages et des inconvénients. Cela l’avait rendue impopulaire auprès de certains dieux, mais pas auprès de moi. Elle aimait ses disciples plus que quiconque, et elle s’occupait toujours de ceux qui étaient faibles ou opprimés.

« En tout cas, je suis content que Yoshiocchi s’en soit sorti. Ces types étaient super ennuyeux ! »

« Oui. On dirait que beaucoup d’informations ont été divulguées aux joueurs de dieux corrompus. Nous devons voir comment sévir contre ça. »

Deux joueurs avaient ciblé Yoshio-kun avec persistance, des représentants du dieu de la Tentation et du dieu des Charmes. Je ne serais pas surprise que ce soit eux qui aient divulgué les informations de Yoshio-kun et proposé d’acheter son livre saint.

« Nous aurions pu nous occuper d’eux s’ils avaient commencé quelque chose ici », s’était lamenté Nattyan.

« Je le sais… »

C’est probablement pourquoi ils n’avaient pas essayé. J’avais demandé à Yoshio-kun de travailler ici pour les attirer, mais ils n’avaient pas été assez stupides pour mordre à l’hameçon. Ils nous avaient seulement surveillés de loin.

« Je vais descendre au deuxième étage et donner à chacun une bonne réprimande plus tard. Un-chan m’aidera si je le lui demande. »

« Oui… »

La réponse de Nattyan vint avec un serrage de dents.

« Quelque chose ne va pas ? »

« Non. C’est juste que Un-chan me déteste. »

Elle avait raison. Un-chan faisait tout ce que je disais, mais elle était toujours froide avec Nattyan. Je les appréciais toutes les deux, et j’aimerais qu’elles s’entendent un peu mieux.

« Espérons que les villageois de Yoshiocchi pourront se reposer un peu maintenant. »

« Je l’espère aussi. Mais je reste quand même la déesse du destin. »

« Le destin aime jouer des tours, hein ? Même à son propre joueur ? »

Un joueur était béni par le dieu qu’il incarnait, mais ce n’était pas toujours une bonne chose. Même si j’avais un certain pouvoir sur son destin, les dieux n’avaient pas le droit d’interférer dans la vie d’un joueur plus que nécessaire. Tout ce que je faisais maintenant ne pouvait qu’attirer l’attention des autres dieux, à moins que mes interventions ne l’aient déjà fait.

« Les roues rouillées du destin de Yoshio-kun commencent tout juste à tourner. Je ne peux pas m’empêcher de me demander ce qui l’attend. »

***

Illustrations

Fin du tome.

***

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Un commentaire :

  1. amateur_d_aeroplanes

    Merci pour cette ultime tome. Peut être une suite prévue ?

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