Murazukuri Game no NPC ga Namami no Ningen toshika Omoenai – Tome 1

Table des matières

Le simulateur de village

Changer la réalité

Travailler dur, se battre à fond

***

Prologue

« Allez, Carol, Chem. Toi aussi, Gams ! Ne reste pas assis là ! »

L’homme était assis seul dans une pièce lugubre. La seule lumière provenait de l’écran d’ordinateur étincelant devant lui. Ses cheveux étaient ébouriffés et non brossés. Son sweat-shirt et son pantalon avaient sûrement dû être portés plus d’une fois à ce stade. Il avait cependant l’air propre, comme s’il se douchait régulièrement. Il marmonnait pour lui-même, mais il ne semblait pas en colère. Et malgré son ton exaspéré, il souriait.

Le contenu de sa chambre était simple : un bureau et l’ordinateur posé dessus, une bibliothèque remplie de mangas et de LN. Au sol, il y avait son futon, qu’il ne prenait jamais la peine de replier, et quelques poids qui traînaient dans un coin.

Habituellement, l’homme dormait toute la journée et jouait à des jeux le soir. Ces derniers temps, cependant, il commença à se lever tôt le matin. La raison ? Un nouveau jeu : Le Village du Destin.

Sur l’écran de son ordinateur, des gens coupaient la vaste forêt qui les entourait et construisaient un village. Ils semblaient très humains.

L’I.A. du jeu était impressionnante, surtout en ce qui concernait les conversations. En dehors des salutations standard, l’homme voyait rarement les mêmes lignes deux fois.

« Hé, tout le monde ! C’est l’heure de la prophétie quotidienne ! »

Une belle femme vêtue d’une robe sacrée apparut sur l’écran. Elle ouvrit un livre brillant tandis que les villageois se rassemblaient autour d’elle.

L’homme sourit chaleureusement.

« Les gars, faites de votre mieux pour moi, d’accord ? », chuchota-t-il tout en sachant que les villageois ne pouvaient pas l’entendre.

***

Le simulateur de village

Chapitre 1 : Chapitre 1 : Un jeu étonnant et un homme qui ne le mérite pas

« Il faut que tu trouves un travail. Ton père ne peut pas travailler éternellement ! Tout va bien pour l’instant, mais qu’en est-il de l’avenir ? Que feras-tu quand nous serons partis ? »

« Allez, maman, tu m’as dit ça un million de fois ! Je le sais ! »

Pourquoi ne pouvait-elle pas me laisser manger mon déjeuner en paix ? J’aurais dû faire la grasse matinée, comme d’habitude.

Pourtant, elle avait raison. J’étais le pire. J’avais réussi à obtenir mon baccalauréat et mon diplôme sans faire beaucoup d’efforts, mais je n’arrivais pas à trouver un emploi, peu importe le nombre d’entreprises auxquelles je postulais. Une année s’était écoulée… puis une autre… et une décennie plus tard, j’étais toujours au chômage.

« Tu as trente ans ! Trente ans ! Notre voisin Masashi-kun a trente ans, et il a un bon travail à plein temps et un enfant adorable ! »

Ce n’était pas la première fois qu’elle parlait de Masashi-kun. C’était toujours lui ou mes camarades de classe. Ils travaillaient tous dur, et certains avaient déjà leur propre famille. Comparé à eux, je n’avais rien accompli.

« Je n’ai plus faim. »

Je m’étais levé de ma chaise, voulant sortir de cette conversation. Mais au moment où je m’apprêtais à retourner dans ma chambre, mon seul refuge au monde, on sonna à la porte. J’avais vérifié l’interphone. Cela ressemblait à un paquet.

« Livraison ! », dit l’homme.

J’étais sur le point de laisser quelqu’un d’autre le recevoir quand je remarquais le logo familier sur le côté de la boîte : il s’agissait d’un site web d’achat.

« J’arrive tout de suite ! », dis-je.

« Ne me dis pas que tu as acheté quelque chose avec tout cet argent que tu n’as pas », grogna ma mère.

« Non. J’ai dû gagner un autre concours. »

J’aimais participer à des concours en ligne. J’avais gagné quelques fois. Comme parfois les prix étaient des articles pour adultes, j’avais décidé qu’il était plus sûr d’y aller moi-même. Il pourrait y avoir quelque chose que je ne voudrais pas que mes parents voient.

J’avais ouvert la porte. Le livreur m’avait alors regardé fixement pendant une seconde. Je savais exactement pourquoi. J’étais une personne qui devrait être dehors en train de travailler… mais au lieu de ça, j’étais à la maison, et j’avais l’air d’une loque. J’étais habitué à ça. Honnêtement, la plupart de mes voisins étaient moins subtils que ce type.

« Veuillez signer ou tamponner. »

« Je vais signer. »

Je lui avais pris la petite boîte légère.

« N’est-ce pas de la nourriture ? » demanda ma mère tout en regardant mon paquet.

Mais quand elle vit qu’il était petit, elle s’en désintéressa et retourna dans la cuisine. J’avais apporté le paquet à l’étage dans ma chambre et j’avais fermé la porte derrière moi.

Je l’avais ouvert pour trouver…

« Hein, un jeu. »

Dans la boîte, il y avait un CD-ROM et une seule feuille de papier. Tout ce que le disque contenait était le nom du jeu, et la feuille de papier ne contenait aucune image ou capture d’écran, ni même le nom de l’éditeur. J’avais participé à quelques concours avec des jeux en guise de prix et j’avais également postulé pour tester certains jeux, peut-être s’agissait-il de cela ? Mais je ne me souvenais pas de ce jeu en particulier.

« Le Village du destin. C’est quoi, une copie bêta ou quoi ? », dis-je en lisant.

Je ne me souvenais pas avoir participé à un concours pour gagner ce jeu, j’avais donc décidé de lire la lettre.

*****

Cher Yoshio-sama,

Félicitations ! Nous avons le plaisir de vous informer que vous avez été sélectionné pour tester notre nouveau jeu en alpha-test.

Vous jouez le rôle d’une divinité qui régit le destin des villageois qui vous vénèrent. Une fois par jour, vous réalisez une prophétie, leur donnant des instructions pour les aider à développer leur village. Notre I.A. révolutionnaire donne à nos personnages la capacité de parler et d’agir comme de vrais humains !

Révolutionnaire… C’était une affirmation audacieuse, même pour une démarche publicitaire. Il faudra voir ce qu’il en est.

C’est tout ce que nous allons vous dire pour l’instant. Le reste, vous l’apprendrez en jouant !

Le jeu ressemblait à une sorte de simulation de village. Je connaissais déjà les jeux de simulation de ville, mais de village, c’était une première pour moi.

S’il vous plaît, promettez de garder le contenu du jeu confidentiel, et n’en parlez jamais sur le net. Si vous le faites, le jeu devra nous être rendu.

Une promesse ? N’ont-ils pas l’habitude d’appeler ça une condition ? Ne vont-ils pas me faire signer une sorte d’accord de confidentialité ? De plus, même si je divulguais quelque chose en ligne, ce n’était pas comme s’ils savaient qui l’avait fait. Je ne pouvais quand même pas être le seul testeur alpha.

Deux autres choses. Premièrement, ce jeu nécessite une connexion Internet. Deuxièmement, si vos villageois sont décimés, le jeu s’arrête définitivement. Le jeu utilise une sauvegarde automatique, donc vous ne pourrez pas recharger à partir d’un fichier de sauvegarde précédent.

Ça, c’était juste méchant. En plus, ça n’avait aucun sens. J’étais censé faire un test alpha pour eux, non ? Et si les niveaux de difficulté devaient être modifiés ? J’avais pris note de ceci afin de m’en plaindre.

Honnêtement, ça me semblait un peu louche. J’avais cherché le titre en ligne, mais rien n’était apparu. Et comme je n’avais pas le nom de la société de développement, je ne pouvais pas faire grand-chose d’autre. Tout cela commençait à sembler vraiment suspect.

Je ne veux pas prendre le risque d’attraper un virus…

J’avais gagné mon PC principal comme prix, mais je ne m’étais jamais débarrassé de mon ancien PC. J’avais décidé d’essayer le disque sur celui-ci en premier. S’il était détruit, ce n’était pas grave.

J’étais sûr à ce moment-là que tout cela n’était qu’une sorte de farce, mais ce n’était pas comme si j’avais quelque chose d’important à faire. Et puis, si je me faisais avoir, ça ferait au moins une bonne histoire à mettre en ligne.

J’avais configuré mon vieux PC et mis le disque dans le lecteur. Il n’y avait même pas la liste des spécifications requises, la seule façon de savoir s’il fonctionnerait était donc de l’essayer. Le titre Le Village du destin était apparu sur mon écran en grosses lettres, le mot « entrer » clignotant en dessous.

Minimaliste, ou juste paresseux ?

J’avais appuyé sur la touche « Entrée ».

« Sérieux… »

Les graphismes sur mon écran étaient magnifiques, bien loin du pathétique écran de titre. J’avais regardé un chariot traverser une forêt, tiré par deux chevaux alezans. Je pouvais voir chaque poil et chaque goutte de sueur sur la peau des chevaux qui galopaient.

Bien sûr, les graphismes s’amélioraient sans cesse, mais c’était les graphismes les plus réalistes que j’avais jamais vus…

J’avais regardé avec émerveillement la suite de la scène d’ouverture. Les chevaux galopaient à travers la forêt. Le conducteur tenait les rênes, jetant de temps en temps un regard paniqué en arrière. Il avait de beaux traits ciselés, marqués par une grande cicatrice sur le visage. Ses vêtements m’avaient cependant intéressé plus que son visage. À première vue, ses vêtements ressemblaient juste à des chiffons sales et brunâtres, mais en regardant de plus près, il portait une armure en cuir. Il avait une épée longue sur son dos et une dague à sa taille.

« Donc, c’est un jeu de simulation… qui se déroule au Moyen-Âge. Hm. »

La caméra fit un panoramique de la charrette bruyante, révélant ce qui la poursuivait : une meute de créatures ressemblant à des sangliers, chevauchée par des humanoïdes à la peau verte, aux yeux rouge sang et aux crocs acérés sortant de leur bouche, montrant clairement qu’ils n’étaient pas humains. D’accord, ce n’était pas vraiment historique, donc… c’était un jeu de fantasy avec des monstres.

La caméra s’éloigna ensuite des bêtes, passa devant le nez des chevaux et pénétra dans la charrette elle-même. À l’intérieur se trouvait une famille de trois personnes : un homme timide d’âge moyen tenant sa femme et sa fille près de lui avec des bras tremblants. En face d’eux était assise une jeune fille en tenue religieuse. Ses mains étaient jointes et elle invoquait le « Dieu du destin ».

La caméra était revenue à une vue aérienne. Les monstres se rapprochaient et frappaient le chariot avec des épées et des haches rouillées. À chaque coup, l’écran tremblait et les gens à l’intérieur criaient.

Je savais que c’était un jeu, mais la détresse sur leurs visages et la peur dans leurs cris étaient si réelles ! Soudainement, le chariot fut enveloppé d’une lumière dorée, et j’avais expiré. J’avais retenu ma respiration.

Le livre de la jeune fille qui priait était la source de cette lumière. Aveuglés, les monstres se protégèrent les yeux et se mirent à hurler. Beaucoup d’entre eux tombèrent de leur sanglier alors que les chevaux tirèrent finalement le chariot en lieu sûr.

*****

Après que le chariot en lambeaux se soit arrêté dans une clairière, le conducteur en armure poussa un petit soupir. Il descendit de son siège, mais ce fut qu’après avoir bien regardé autour de lui qu’il se permit de s’étirer.

Les gens sortirent de l’arrière un par un. La famille de trois personnes s’était serrée les unes contre les autres, le soulagement se lisant sur leurs visages. La religieuse était allée parler au chauffeur, mais leurs voix n’étaient pas audibles. La caméra fit un lent panoramique autour des personnages avant de remonter à la vue d’ensemble.

« Je suppose que la scène d’ouverture est terminée. Et maintenant ? »

J’avais fait pivoter la souris sur l’écran. Il n’y avait pas de texte explicatif, c’était donc tout ce que je pouvais faire. J’avais essayé de cliquer sur le cocher.

Gams, 26 ans. Épéiste avec d’innombrables cicatrices de combat sur son visage et son corps. Frère aîné de la prêtresse Chem.

« En cliquant sur eux, on obtient leur biographie, hein ? Ce n’est pas surprenant. »

J’étais ensuite allé voir la fille qui priait.

Chem, 19 ans. Prêtresse qui vénère le Dieu du destin. Petite sœur de Gams.

« Une paire de frère et sœur épéiste et prêtresse ? Intéressant… »

Gams avait des cheveux et des yeux noirs, tandis que Chem avait des cheveux bruns et des yeux bleus. Ils ne ressemblaient pas à des frères et sœurs, mais ils étaient tous les deux beaux et on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’un jeu s’embarrasse de ressemblance familiale. Gams avait une allure robuste, et son corps était à la fois musclé et mince. Sans ses cicatrices, j’aurais pensé qu’il était une sorte d’athlète. Chem, par contre, était plutôt guindée et correcte, ce qui rendait sa tenue de prêtresse encore plus appropriée. Sa tenue ample dissimulait sa silhouette, mais on voyait tout de même qu’elle avait une poitrine assez formée.

D’après mon expérience, les jeux occidentaux donnaient toujours à leurs personnages féminins des traits de visage trop marqués, tandis que les hommes étaient bizarrement plus musclés. Dans ce jeu, cependant, le design des personnages semblait plus orienté vers un public japonais.

« Je me demande où ce jeu a été fait. »

La plupart des jeux de simulation venaient de l’occident et étaient traduits en japonais, mais j’avais le sentiment que ce jeu était un original japonais. D’après la qualité des scènes, ce jeu semblait avoir un budget décent. Rien que ces graphismes attireraient certainement beaucoup d’attention en ligne.

J’étais curieux, mais je ferais des recherches plus tard. J’avais encore quelques biographies de personnages à lire. À savoir, la famille de trois personnes.

J’avais commencé par le père. Il était mince, avec des cheveux blonds sales, des yeux tombants et des joues creuses, un type tout à fait maigre. Certainement pas quelqu’un que je choisirais pour m’aider dans un combat.

Rodice, 33 ans. Mari, et père d’une fille. Dirige un petit magasin général dans le village.

J’étais passé à sa femme. Ses cheveux couleur cuivre étaient attachés en une queue de cheval. Ses yeux étaient grands, et sa bouche était large. Elle était aussi plus charnue que Rodice. Je la choisirais bien pour m’aider dans un combat.

Lyra, 30 ans. Volontaire et dominatrice.

Leur fille avait des cheveux dorés ondulés et de grands yeux. En d’autres termes, elle avait hérité des meilleurs traits de ses parents. J’avais cliqué sur la fille pendant qu’elle gambadait.

Carol, 7 ans. Toujours souriante, mais mature pour son âge.

« Ce doit être les personnages principaux… Donc je suppose que c’est eux que je dois diriger, hein ? »

Le problème était que je ne savais pas trop quoi faire. Bien sûr, les graphismes étaient superbes, mais si je ne maîtrisais pas les commandes, je serais coincé à regarder le même écran pour toujours.

La lettre ne parlait-elle pas d’une prophétie ? J’avais fouillé dans le paquet pour essayer de la retrouver, quand j’entendis soudainement un étrange bruit de tapotement. J’avais regardé l’écran et j’avais constaté que mes villageois parlaient entre eux, leur discours étant écrit dans des zones de texte. Il semblerait que seules les scènes de ce jeu soient parlées.

« Je suis désolé… J’étais censé défendre tout le monde, mais c’est tout ce que j’ai pu faire pour vous sauver tous les quatre… »

Gams s’inclina en s’excusant devant Rodice et sa famille.

« Le fait que nous ayons survécu est déjà un miracle. Nous devrions vous remercier ! »

Rodice inclina sa tête plus profondément que Gams, sa femme et sa fille suivirent son exemple.

« Quelle était cette lumière à l’instant, Gams ? Dis-moi, Grand Frère ! », demanda Carol avec impatience.

« Allons, allons, Carol. Comme je te l’ai dit tant de fois, Gams est mon frère, pas le tien. »

Chem s’avança pour essayer de déloger Carol du bras de Gams, auquel elle s’accrocha comme à de la colle.

Bien qu’il n’y ait aucune indication de son émotion dans le texte, le minuscule graphique affiché au-dessus de la tête de Chem montrait qu’elle était en colère. J’avais zoomé sur son visage. Bien sûr, même si son expression était douce, elle n’avait pas l’air amusée. Elle devait être du genre petite sœur affectueuse. Vu l’archétype populaire et son beau design, si elle n’était pas un personnage principal, je mangerais le disque du jeu.

« Allez, Chem, c’est juste une enfant. »

« Désolée, Gams. »

« Oui, je suis juste une enfant ! »

Carol jeta un regard noir à la fille plus âgée, qui lui rendit son regard noir.

Gams laissa échapper un soupir. On dirait que tous ces personnages avaient leur propre personnalité et leur propre histoire.

Ce jeu semblait de mieux en mieux. Les graphismes n’étaient pas seulement magnifiques, les animations des personnages étaient aussi incroyablement variées. Plus je regardais, plus je me sentais happé par le jeu.

« Très bien, vous deux, arrêtez de flirter. Parlez-nous de cette lumière », dit Lyra.

Chem s’était éclairci la gorge : « On n’était pas… Bref. Cette lumière est sortie de mon livre saint. »

Elle tendit son livre pour le leur montrer. À ce moment-là, le PC avait émis un bip et un texte apparu à l’écran.

« Vous êtes le Dieu de ces villageois, celui qui doit diriger leur communauté et l’aider à s’épanouir. Vous ne pouvez pas contrôler les personnages, mais vous pouvez écrire une nouvelle prophétie dans leur livre sacré une fois par jour. Essayez d’écrire quelque chose maintenant. N’importe quoi fera l’affaire. »

« Attendez, il n’y a pas de liste ? Je dois écrire quelque chose par moi-même ? »

C’était trop bizarre ! L’I.A. de ce jeu était-elle vraiment capable de comprendre n’importe quel message que je faisais ? Cela semblait totalement impossible.

Peut-être que le programme sélectionnait simplement des mots-clés de mon texte pour dicter le comportement des personnages… mais même cela semblait au-delà des capacités d’un jeu vidéo normal. J’avais entendu parler d’une I.A. capable de penser et d’apprendre, mais cela faisait partie d’un projet de recherche de plusieurs millions de dollars. Cela n’avait rien à voir avec les jeux vidéo.

« Je vais juste l’essayer. Je peux m’inquiéter de comment ça marche plus tard. »

J’avais tapé la phrase la plus longue, la plus verbeuse et la plus divine que j’avais pu trouver. Puis je m’étais assis et j’avais attendu de voir ce qui allait se passer.

***

Chapitre 2 : Chapitre 2 : Le Dieu du Jeu et le vrai moi

J’avais fini par écrire une longue prophétie pour mes villageois, juste pour voir s’ils pouvaient en comprendre ne serait-ce qu’un fragment. S’ils le pouvaient, ce jeu avait le potentiel d’entrer dans l’histoire.

Mes fidèles disciples, je suis le Dieu du Destin. Mon miracle vous a permis de sortir sains et saufs de l’attaque des monstres afin que vous puissiez vivre une vie paisible et heureuse dans le village que vous allez construire ici. À partir de ce jour, je vous transmettrai un message chaque jour. Suivez mes commandements et vous prospérerez, désobéissez-y à vos risques et périls ! Votre première tâche consistera à abattre des arbres pour vous construire un abri.

Je n’aimais pas écrire de manière aussi prétentieuse, mais j’étais Dieu, non ? Ou du moins, un Dieu, et c’était plutôt amusant. J’avais prévu d’écrire n’importe quoi, puisqu’ils ne comprendraient de toute façon pas, mais je m’étais tellement amusé que j’avais même vérifié les fautes de frappe dans mon texte. J’avais secoué la tête d’un air ironique en appuyant sur la touche Entrée.

Le livre dans les mains de Chem s’était éclairé. Elle s’était alors empressée de l’ouvrir.

« C’est donc Lui qui a fait ce miracle tout à l’heure… Seigneur, merci ! »

Chem s’était mise à genoux et avait joint ses mains, tournées vers le ciel.

« Tout le monde ! Le Dieu du Destin nous a envoyé un message ! »

Pour quelqu’un dont le travail consistait à prendre des messages de Dieu, Chem semblait terriblement surprise. Les villageois s’étaient rassemblés pour regarder le livre. J’attendais avec impatience leurs réactions.

Gams et Rodice le fixaient avec étonnement, les yeux écarquillés.

« Qu’est-ce que ça dit ? Ni Carol ni moi ne savons lire », dit Lyra d’un air penaud.

Carol fit écho avec joie : « Nous ne savons pas lire ! »

« Je ne peux en lire qu’une partie. C’est un peu compliqué par endroits. Chem, tu peux le lire pour nous ? », dit Gams.

« Mais Gams… »

Chem avait commencé, mais elle hocha ensuite la tête.

« C’est une bonne idée, Gams. Je vais le lire à haute voix. »

À en juger par la réaction de Chem, Gams faisait seulement semblant d’être mauvais en lecture, probablement pour que Lyra et Carol ne se sentent pas mal. C’était un gars assez calme, mais il semblait avoir un bon cœur. Au début, je l’avais un peu détesté parce qu’il avait tant de qualités, mais je m’étais surpris à l’apprécier.

J’aimais le temps que ce jeu consacrait aux petits détails. Certains diront que le rythme était trop lent, mais j’aimais ce genre de développement dans les personnages. Je n’étais pas l’un de ces joueurs qui voulaient passer directement à l’action.

Chem prit une grande inspiration et lut mon message aux autres mot pour mot. Je n’avais pas été très impressionné par cette lecture. Il n’était probablement pas difficile du point de vue de la programmation de faire répéter à un personnage exactement ce que j’avais écrit.

« Le Seigneur nous a sauvés ! Il prend soin de nous ! Quelle joie d’être en vie ! », déclara Chem.

« Et Il nous parlera tous les jours ! Oh, Seigneur, merci ! »

Rodice et sa femme tombèrent à genoux à côté de Chem. Carol aussi, bien que je ne sois pas sûr qu’elle comprenne ce qu’elle faisait. Gams ferma les yeux et inclina la tête en une prière silencieuse.

« Pas possible… », avais-je murmuré.

Ils réagissaient comme s’ils avaient compris chaque mot que j’avais écrit. Ce jeu semblait bien trop avancé. C’était vraiment un jeu à part, différent de tout ce que j’avais déjà rencontré. J’avais utilisé des applications qui pouvaient répondre à des questions simples et rechercher des choses sur Internet pour vous, mais je doutais qu’elles puissent comprendre quelque chose d’aussi complexe. Peut-être que le jeu avait des scènes prédéfinies basées sur le type de messages que les gens étaient susceptibles d’écrire et que j’en avais déclenché une ?

« Si le Dieu du Destin dit que nous devons construire un abri ici, faisons-le ! Allons couper. », dit Gams.

Ou peut-être que ces personnages avaient vraiment compris tout ce que j’avais écrit.

« Tous les arbres que nous avons abattus seront trop verts pour être utilisés pendant un certain temps. Ils devront être façonnés et séchés. », dit Rodice.

J’avais été surpris par cette tournure de la conversation. Un jeu normal aurait laissé de côté ces détails et vous aurait permis de transformer du bois en habitation en cliquant sur un bouton. Dans quelle mesure le Village du Destin se voulait-il réaliste ?

« Doit-on vraiment faire sécher le bois ? »

Chem demanda exactement ce que j’avais en tête.

« Les arbres contiennent beaucoup d’eau. Si on ne sèche pas le bois avant de l’utiliser, il finit par se déformer. Même en essayant de traiter le bois avant de le sécher, le produit fini aura toutes sortes de problèmes. »

« Oh. Je ne savais pas ça. »

Chem et moi avions hoché la tête en signe de compréhension en même temps.

C’était nouveau pour moi. Jusqu’à présent, je ne faisais pas un très bon travail de présence omnisciente.

« Le Seigneur travaille de façon mystérieuse. Il doit savoir ce qu’il fait. Pourquoi ne pas commencer par collecter le bois ? Même si nous ne pouvons pas l’utiliser tout de suite, nous pouvons commencer à le rassembler. »

Je suis content de voir que Rodice a au moins foi en moi…

Ils déballèrent le chariot pour aller chercher leurs scies et leurs haches, et chargèrent les hommes, Rodice et Gams, de ramasser le bois. Pendant ce temps, les femmes étaient parties à la recherche de nourriture.

En faisant défiler la molette de la souris, j’avais pu faire un zoom avant et arrière. J’avais décidé de regarder la carte. Lorsque j’avais fait défiler la carte, j’avais constaté que la majeure partie de la carte était recouverte par un brouillard sombre, les seules zones éclairées étant celles où mes personnages travaillaient et la route sinueuse particulière à travers la forêt. En d’autres termes, la carte ne montrait que les zones où mes personnages étaient déjà allés.

« Demain, j’enverrai quelqu’un en exploration. »

Je commençais à être frustré. Je ne pouvais pas contrôler les personnages, et je ne pouvais pas avancer dans le jeu. Il n’y avait pas d’option d’avance rapide.

« Ne me dites pas que ce jeu doit être joué en temps réel… Ça veut dire que je dois attendre demain dans la vraie vie pour envoyer mon prochain message ? C’est impossible ! »

Où était le plaisir là-dedans ? ! Bien sûr, c’était assez agréable de regarder les différents personnages, mais je n’appellerais pas ça « jouer » à un jeu. J’avais appuyé sur des touches aléatoires du clavier, en espérant que quelque chose se produise. J’avais dû faire quelque chose de bien, car un message était apparu.

« En tant que Dieu du destin, vous pouvez utiliser vos Points de Destin pour accomplir divers miracles. »

(NdT : l’expression Points de Destin sera abrégé PdD ensuite)

« C’est quoi les Points de Destin ? », avais-je demandé à haute voix.

« Les PdD sont gagnés lorsque la gratitude de vos villageois à votre égard augmente. Votre total de PdD est affiché dans le coin supérieur droit de l’écran. »

J’avais jeté un coup d’œil. Il y avait un symbole qui ressemblait au livre saint de Chem, ainsi qu’un nombre.

« Plus la population de votre village augmente, plus vos PdD augmentent. Elle augmentera aussi quand vos prophéties gagneront la gratitude des villageois. »

Je gagnerais donc plus de PdD si mes prophéties étaient utiles. Je devrais faire plus attention à ce que j’écrirais à l’avenir.

« Voici une liste de miracles que vous pouvez accomplir. En améliorant votre village et en augmentant votre population, vous débloquerez des miracles plus puissants. »

Mon opinion sur ce jeu montait et descendait comme une balançoire. Avec ce nouveau développement, je m’étais retrouvé accroché une fois de plus. J’avais fait défiler la liste des miracles.

« On dirait que je ne peux pas leur donner uniquement des objets. Voyons voir… “Créer un marchand itinérant”, “Créer un médecin itinérant”, “Créer un chasseur”, “Réunir les villageois en fuite”. Bon, j’ai compris. Je suis le Dieu du Destin, mon pouvoir consiste donc à influencer le destin des gens. Ah, et il y a des miracles liés à la météo. Je suppose que c’est une chose qu’un Dieu peut faire. »

Enfin, quelque chose qui comptait dans le jeu !

Je n’avais que 100 PdD pour commencer, peut-être ceux obtenus par la gratitude de mes villageois pour les avoir aidés à échapper aux monstres. Il était logique que le jeu vous fasse démarrer avec un peu d’argent, mais ce n’était pas suffisant pour faire grand-chose. Je devais choisir avec soin. J’avais donc décidé de les sauver, même si j’avais vraiment envie de tenter un miracle. Après tout, je ne savais pas encore ce dont mes villageois avaient besoin. Je devrais probablement écouter ce qu’ils avaient à dire avant de leur envoyer des miracles.

Gams et Rodice étaient occupés à couper des arbres en silence, il semblerait donc que je n’allais pas obtenir grand-chose d’eux. Bien que Rodice s’efforçait de faire la conversation, Gams ne répondait que par un « oui » occasionnel.

« Bonne chance, Rodice », avais-je marmonné tout en décidant qu’il serait plus logique de voir ce que les femmes faisaient pour le moment.

« Combien de nourriture as-tu réussi à prendre, Lyra ? », demanda Chem alors qu’elle et Lyra cueillaient des plantes ensemble.

« Trois boîtes, donc environ deux semaines d’approvisionnement tant qu’on fait attention. Ce qui est un miracle, étant donné la gravité de la situation. »

« Deux semaines… Ça va passer en un clin d’œil. »

De la nourriture, hein ?

Je me demandais si le marchand ambulant vendrait de la nourriture, mais je ne savais même pas si mes villageois avaient de l’argent. Ils pourraient être parfaitement capables de trouver leur propre nourriture si je les laissais faire. Ce que je voulais vraiment, c’était savoir quelles options ils avaient pour trouver de la nourriture dans la région.

« Peut-être que je devrais demander à Gams de faire un peu de reconnaissance demain ? Mais je ne sais pas si c’est prudent de laisser les autres seuls… »

En fouillant les environs, il serait plus facile de préparer mes villageois à d’éventuelles menaces. En même temps, je ne savais pas ce qu’il y avait là-bas. Il serait peut-être plus dangereux de les séparer.

Je ne savais pas quoi faire. Du point de vue du jeu, envoyer la gamine explorer la zone serait le meilleur choix, puisqu’elle ne faisait pas grand-chose. Elle était plutôt inutile pour le village. Ainsi, si quelque chose la tuait, ce ne serait pas une si grande perte.

Mais je n’avais pas pu me résoudre à le faire. Ces personnages étaient trop humains. Je ne pouvais pas envoyer un petit enfant vers le danger et vivre avec. Ils travaillaient tous si dur, tirant le meilleur parti de leur vie. Si je prenais ces vies pour acquises, ils finiraient par me détester.

Bien sûr, ce n’était qu’un jeu vidéo, mais je voulais quand même voir comment chacun d’eux allait grandir et se développer.

Je ne joue que depuis trois heures, et je suis déjà attaché à eux… Je ne pourrai pas dormir ce soir si je les mets en danger.

Quelle serait la meilleure chose à faire pour eux, pour leur survie ? J’avais jeté un autre coup d’œil à la liste des miracles pour voir si quelque chose pouvait les aider. Leur plus gros problème pour le moment était la nourriture. Il fallait s’assurer ensuite qu’ils aient les bons outils et les bons matériaux pour se construire des maisons.

« Attendez, c’est quoi ça ? »

En dessous de la liste des miracles, il y avait une dernière option : « Familiers »

Dans les histoires fantastiques, les familiers étaient des serviteurs magiques qui aidaient leurs maîtres en allant chercher des objets ou en recueillant des informations.

« Recueillir des informations ! »

Si j’avais un familier, je pourrais peut-être l’utiliser pour explorer une plus grande partie de la carte !

J’espère juste pouvoir m’en offrir un avec les PdD que j’ai.

En cliquant sur le bouton, j’étais arrivé à une liste de familiers disponibles. J’avais parcouru la liste. Il devait y en avoir au moins cinquante !

« Chiens, chats, souris, lézards, grenouilles, serpents, chauves-souris, corbeaux, pigeons… »

La liste ne contenait pas que des animaux ordinaires. Il y avait un bon nombre de créatures fantastiques, comme les licornes et les slimes. J’avais à peu près assez de PdD pour une grenouille, une souris ou un lézard, mais avec une petite chose comme ça, que pouvais-je vraiment faire ? Elle risquait de se faire dévorer par quelque chose dès qu’elle mettrait le pied dans les bois. Si je voulais explorer la région, un oiseau serait le mieux, mais ils étaient tous assez coûteux. Je pouvais obtenir qu’un poussin pour le moment.

« Inutile… sauf si mon peuple aime les œufs. Et de toute façon, il faudra un certain temps avant qu’il puisse en pondre. »

Un chat ou un chien serait aussi un bon choix, mais je n’avais pas assez de PdD pour me les offrir. Je m’étais alors demandé s’il y avait un autre moyen de gagner des points que la gratitude de mes villageois. Comme si le jeu lisait dans mes pensées, un message était soudainement apparu sur l’écran.

« Vous pouvez acheter des PdD avec de la monnaie réelle. 1 000 yens vous permettent d’acheter 10 PdD. »

Super. Et j’étais là, sans emploi et fauché. Bien sûr, le jeu avait des microtransactions. J’aurais dû m’y attendre, mais j’étais assez dégoûté qu’ils les aient mises dans la version alpha du jeu.

Si j’achetais 20 000 yens de PdD, je pouvais m’offrir un chat ou un petit chien. Et en général, avoir plus de points rendrait la vie de mes villageois beaucoup plus facile. J’avais alors pris mon portefeuille dans la petite mallette à côté de mon ordinateur et je l’avais ouvert.

« Seulement 10 000 yens, hein ? Je pourrais peut-être vendre quelques vieux livres ou jeux. Ou je pourrais vendre aux enchères en ligne certains de mes prix non ouverts… »

J’étais resté assis là à réfléchir pendant un long moment, ignorant la petite voix dans ma tête qui me disait que j’accordais trop d’importance à la vie d’une bande de pixels.

 

 

***

Chapitre 3 : Chapitre 3 : Enquête sur le jeu et son système de points

J’avais pensé qu’il serait préférable d’en savoir plus sur les mécanismes du jeu avant d’investir de l’argent. La première étape était de faire une liste des choses que j’avais déjà apprises. J’avais ouvert le bloc-notes de mon PC et j’avais commencé à taper.

« 1. le jeu fonctionne en temps réel. Pas d’avance rapide. Le gameplay est sommaire et manque de nombreuses fonctionnalités de simulation standard. »

Je m’étais demandé pourquoi les développeurs n’avaient pas réussi à implémenter les fonctions les plus basiques d’un jeu de simulation — il y avait si peu de choses que je pouvais faire. Bien sûr, il y avait des jeux qui avaient la réputation d’être particulièrement difficiles ou opaques, mais là, ça semblait extrême. Et voir que ce problème n’avait pas été soulevé lors du développement m’avait surpris, j’aurais aimé qu’ils fassent leur travail correctement. Mais ce n’était pas comme si je pouvais juger si quelqu’un était mauvais dans son travail.

« Si je veux voir ce qu’ils font le matin, je vais devoir me lever tôt… Je suppose que je vais devoir m’endormir en même temps qu’eux. »

J’avais la mauvaise habitude de me parler à moi-même en essayant de rassembler mes pensées, ou en jouant à des jeux et en regardant des animes. La seule personne à qui je parlais vraiment dans la vie réelle était ma mère. Tous mes amis étaient en ligne. Je soupçonnais que j’avais commencé à le faire pour me distraire de ma solitude.

« Si quelqu’un m’entendait, il penserait probablement que je suis super bizarre. »

Et voilà, je recommence…

« 2. la prophétie quotidienne. Innovation ou gadget ? Je ne peux leur envoyer qu’un message par jour, qu’ils reçoivent dans leur livre saint. »

« J’ai peut-être eu de la chance la première fois. Je me demande s’ils comprendront ce que je leur dirai demain. »

Il faudrait que je réfléchisse bien à mon message, surtout si mes villageois ne retenaient que des mots-clés comme je le pensais. Quoique, même ça, c’est assez impressionnant pour un jeu comme celui-ci.

« 3. Les points du destin (PdD) sont nécessaires pour accomplir des miracles. Ils peuvent être gagnés par la gratitude des villageois ou en dépensant de l’argent réel via des microtransactions. »

« Je ne peux pas encore dire si 1 000 yens pour 10 PdD valent le coup ou pas… »

J’avais déjà 100 PdD, et 1 000 yens ne m’en donneraient qu’un dixième. Cela ne semblait pas beaucoup, mais j’en serais certain quand j’aurais appris combien je pouvais gagner en une seule journée.

« 4. Miracles. En dépensant des PdD, je peux accomplir des miracles, la plupart d’entre eux étant liés au destin des gens, sans leur procurer des choses utiles. Quand ils commenceront à cultiver, je peux envoyer la pluie et je peux aussi acheter un familier. »

J’avais hâte d’acheter un oiseau ou un monstre à apprivoiser et à utiliser comme mes yeux et mes oreilles dans le monde du jeu.

« 5. PNJ. Les PNJs de ce jeu sont très réalistes. Ils peuvent comprendre ce que je leur dis, et ils ont des conversations qui semblent naturelles. »

« Sûrement la partie la plus intéressante de tout le jeu… »

Le comportement des PNJs avait vraiment attiré mon attention. La façon dont ils comprenaient la prophétie quotidienne était incroyable. Il existait bien des jeux où le personnage à l’écran réagissait à certains mots prononcés par le joueur, mais ces mots étaient généralement très limités, et les réponses préprogrammées. Même les assistants numériques n’étaient pas encore à ce niveau. Mais même en dehors de cela, leur conversation était si naturelle et variée. Ils ne disaient jamais deux fois la même chose, ce qui était quelque chose que je n’avais jamais rencontré auparavant, et j’avais joué à beaucoup de jeux vidéo.

Chaque personnage avait sa propre personnalité et sa propre façon de parler et de bouger. Les joueurs avaient l’habitude de voir les personnages faire toujours la même chose, mais ce jeu n’avait rien de cela. Leurs mouvements étaient tout aussi variés que leur discours.

Carol, la plus active des villageois était particulièrement intéressante. Elle sautillait, courait, marchait, sautait, tombait et retenait même ses larmes. Elle réagissait à tout ce qui se passait autour d’elle. Les visages des personnages étaient également impressionnants : à part Gams, je pouvais lire ce que chacun d’entre eux ressentait dans son expression à tout moment.

« C’est nouveau, ça ? », m’étais-je demandé à voix haute.

Les graphismes ne faisaient que s’améliorer au fil du temps, certains jeux devenaient très proches de la réalité. J’avais également entendu à la radio que les doubleurs devaient lire des scripts les plus épais qui soient pour enregistrer toutes les réactions vocales possibles. Mais c’était pour un jeu entier. Après une demi-journée de jeu, j’avais déjà l’impression d’avoir entendu plus de conversations de mes personnages que la plupart des jeux pendant toute leur durée de vie. Ils étaient tout simplement trop humains pour que je puisse croire qu’ils faisaient partie d’un programme. Aucun de leurs comportements ne semblait programmé.

« Je suppose que les gens ne plaisantaient pas quand ils disaient que l’I.A. devenait trop indépendante pour son propre bien. »

Je ne pouvais pas imaginer ce que cela pouvait être d’autre.

« Ou peut-être que c’est normal, et que ce truc est devenu bien plus avancé pendant que j’étais coincé à l’intérieur… »

Tout ce que je savais sur la société venait d’Internet. Les nouvelles ne m’intéressaient pas du tout, et tout mon historique de recherche était consacré aux jeux et aux animes. Peut-être que si je regardais la télévision, j’aurai une meilleure idée de ce qui se passait dans le monde, mais je n’en avais pas dans ma chambre. Tout ce dont j’avais besoin était mon ordinateur.

Mais ce n’était pas l’idéal : « Finalement, peut-être que ce n’est pas génial. »

En tant que NEET, j’avais une vision étroite du monde. Je connaissais si peu l’actualité que je doutais de pouvoir avoir une conversation avec une personne « normale » de mon âge. Je n’avais pas parlé à mes amis d’enfance depuis des années. De quoi parlerions-nous ?

J’étais sur le point de tomber dans une spirale négative. Pour essayer de m’arrêter, je m’étais levé et j’étais allé à ma fenêtre.

J’avais regardé la maison du voisin. C’était une maison traditionnelle japonaise d’un étage. Enfant, j’avais l’habitude d’y aller pour jouer. Maintenant, je n’avais plus aucun contact avec mon ami qui y avait vécu.

De plus, il n’y avait rien de respectable dans le reflet qui me fixait par la fenêtre. Quel genre d’homme s’asseyait chez lui à midi un jour de semaine, à moins que ce ne soit son jour de congé après avoir travaillé le week-end ? Cela faisait des années que je n’avais pas quitté la maison. Je me rasais à peine et me coupais les cheveux peut-être une fois par an. Je ne me souvenais pas de la dernière fois où j’avais acheté des vêtements ou des chaussures. Ma mère m’achetait des sous-vêtements une fois par an, mais tout le reste était très vieux.

J’avais besoin de changer. J’y pensais tout le temps, attisant l’anxiété qui s’installait constamment au creux de mon estomac, mais je ne savais pas quoi faire. C’était plus facile de me perdre dans le monde des films et des jeux vidéo.

Dix ans. 3 650 jours, tous identiques. C’était suffisant pour me donner envie d’en finir. Mais si j’avais trop peur pour trouver un emploi, comment pouvais-je trouver le courage de me tuer ?

« Ça fait déjà dix ans… Je devrais abandonner. »

Personne n’attendait plus rien de moi. Pas même ma famille. Quand ma mère m’avait crié dessus afin de trouver un travail, elle savait que rien ne changerait.

Je m’étais assis de nouveau devant l’ordinateur et j’avais fixé l’écran du jeu. J’avais décidé de jouer. C’était une bonne chose, car je n’avais rien d’autre à faire.

***

Chapitre 4 : Chapitre 4 : Les Villageois Laborieux et leur Dieu Paresseux

« Déjà le matin ? »

J’avais bâillé tout en jetant un coup d’œil à la lumière qui s’échappait de sous les rideaux. J’avais vérifié l’horloge près de mon oreiller. Il était 9 heures du matin.

« 9 heures du matin, hein ? Ça fait longtemps que je ne me suis pas levé à une heure aussi normale. »

D’habitude, je n’ouvrais les yeux que dans l’après-midi. J’avais essayé de me rappeler à quelle heure je m’étais couché. J’avais joué au Village du Destin jusque tard dans la nuit. Bon, ce n’était pas comme si je jouais vraiment, disons plutôt que je regardais. J’avais appris beaucoup de choses, y compris que mes villageois se couchaient ridiculement tôt !

Dès que le soleil se couchait, ils mangeaient leur dîner et allaient directement au lit. Gams restait debout pour faire le guet, mais même lui était au lit avant neuf heures.

J’étais pourtant un peu préoccupé par leur dépendance à l’égard de Dieu, moi. Leur dévotion extrême semblait être une bonne chose au début, mais j’avais entendu une conversation qui m’avait mis mal à l’aise :

« Pourquoi ne pas aller au lit, Gams ? »

« On ne sait pas quand un monstre peut attaquer, Rodice. Nous avons besoin de quelqu’un pour faire le guet. »

« Dieu a fait un miracle sous nos yeux et nous a parlé directement ! Il veille sur nous. Il éloignera les monstres. »

« Je l’espère… »

Je voulais leur dire que je n’étais pas si puissant. Je me demande s’ils pensent que je pourrais toujours les garder en sécurité. Ils avaient supposé que mon ordre de couper du bois avait une signification et que j’avais un plan pour compenser les problèmes logistiques. Ils pensaient tous que j’avais tout prévu.

« J’espère qu’ils ne vont pas commencer à penser que je peux les garder en sécurité tout le temps. Je devrais peut-être leur dire que je ne suis pas tout-puissant… mais si je faisais ça, leur gratitude baisserait probablement, ainsi que mes PdD… »

C’était un sacré dilemme. Désireux de ne pas décevoir, j’avais fini par chercher en ligne des informations sur la façon de traiter le bois, jusqu’à ce que je m’endorme.

Peut-être que si je n’avais pas gaspillé dix ans de ma vie à regarder des vidéos, à parcourir les médias sociaux et à troller sur des forums de discussion, j’aurais vraiment quelque chose de valeur à leur dire. Peut-être même que je saurais comment traiter tout ce tas bois qu’ils avaient coupé. Au moins, j’aurais quelques économies que je pourrais utiliser pour mes PdD. Si leur Dieu était un membre actif de la société au lieu d’un grabataire minable, leur vie serait bien plus facile.

« Les jeux sont censés être amusants ! Ils ne sont pas censés me faire réfléchir à mes choix de vie ! »

Les jeux étaient censés être une évasion de la réalité. Mais mes villageois avaient tout donné, même Carol. J’avais aussi entendu une autre conversation hier soir.

« Carol, tu es si petite ! Pas besoin de te fatiguer trop. »

« Être petite n’est pas une excuse, père. Je veux faire ma part ! », avait dit Carol.

« Tu sais que tu peux me demander de l’aide si ça devient trop dur, n’est-ce pas, Carol ? », lui rappela gentiment Rodice.

« Merci, père ! Mais je vais m’en sortir ! »

Même si Rodice donnait tout ce qu’il avait, il s’était quand même assuré que sa fille allait bien. Je l’avais vu se décider à aller l’aider, puis s’arrêter, plusieurs fois. Et Carol, toute jeune qu’elle était, travaillait sans se plaindre.

Je savais que ce n’était qu’un jeu, mais ces personnages semblaient vraiment vivants. Et plus vivants que moi en tout cas. J’avais toujours eu peur du travail honnête. Les voir faire tant d’efforts pendant que je restais assis à ne rien faire me serrait la poitrine. Chaque pas qu’ils faisaient et chaque charge qu’ils portaient était comme une coupure fraîche dans mon cœur pourri.

J’avais regardé autour de moi. Des emballages de bonbons sur le sol, c’était les restes d’une friandise que ma mère avait achetée pour l’essayer elle-même, avant que je les arrache et les engloutisse. Tout ce que j’avais accompli au cours de la dernière journée était de la création d’ordures, de la vaisselle sale, des piles de linge. Franchement, ma prophétie quotidienne à ces gens devrait être qu’ils ne devraient pas trop attendre de moi.

S’ils mettaient trop de foi en moi, cela pourrait les empêcher d’agir à un moment critique et le village pourrait être détruit. Après tout, je n’avais droit qu’à un seul essai dans ce jeu.

 

***

J’avais mis du temps à trouver un message qui ferait comprendre à mes villageois mes pouvoirs limités sans leur faire perdre confiance en moi. J’espérais seulement qu’il serait suffisant. Je regardais anxieusement mes villageois lire ma prophétie quotidienne.

« Tout le monde ! Le Seigneur nous a envoyé un autre message », dit appelé Chem tout en amenant les autres à arrêter ce qu’ils faisaient pour se rassembler autour d’elle.

« Je vais vous le lire. Mes chers croyants, j’ai perdu certains de mes pouvoirs. Tout ce que je peux faire, c’est veiller sur vous avec amour et accomplir de temps en temps de petits miracles. Vous devez travailler ensemble pour survivre. C’est mon souhait le plus cher. Si vous le faites, vous recevrez ma bénédiction. »

Leur silence fut long et gênant, et j’avais regardé en retenant mon souffle tout en espérant que cela se passerait comme je l’avais prévu. Je n’entendais rien à travers les haut-parleurs de mon ordinateur, à part le gazouillis des oiseaux et le bruissement des arbres. Je m’étais donc demandé ce qui leur passait par la tête. Peut-être avaient-ils déjà vu clair en moi et perdu la foi ? Honnêtement, ça faisait mal à voir. J’aurais dû trouver quelque chose de mieux, mais il était trop tard pour faire quoi que ce soit maintenant.

« Oh, comme c’est merveilleux ! Le Seigneur nous aime et veille sur nous ! Merci, Seigneur ! »

Chem, folle de joie, tomba à genoux et commença à me louer.

« Il a accompli un grand miracle pour nous, même sans tous ses pouvoirs ! Et il nous a donné sa bénédiction, même si nous sommes indignes ! Je suis sûre qu’Il a perdu ses pouvoirs dans une grande lutte contre les forces du mal, mais Il a quand même accompli un miracle pour nous, même au milieu de sa détresse ! !! Nous devons travailler dur et ne pas L’accabler ! »

Merci de m’avoir couvert, Rodice !

J’avais été impressionné par la quantité de mimiques qu’il était capable d’intégrer dans ses louanges à mon égard. On aurait dit que je les avais convaincus. J’avais alors laissé échapper un soupir de soulagement. Et pendant que mes villageois continuaient à me remercier, j’avais remarqué que mes PdD augmentaient.

« La prophétie quotidienne a donc un effet direct sur mes PdD. »

Mes PdD avaient beaucoup augmenté pendant que je regardais, mes villageois devaient être vraiment contents de moi. Mais je n’en avais toujours pas assez pour obtenir le familier que je voulais. J’avais commencé avec 100 PdD hier et j’en avais gagné 110 de plus aujourd’hui. Je m’attendais à une cinquantaine par jour, mais il semblerait que je les avais sous-estimés. Pourtant, les miracles seront rares pendant un bon moment encore. Je pouvais probablement m’en permettre un par semaine, mais ce n’était vraiment pas suffisant. Mes villageois avaient besoin de beaucoup plus que ce que je pouvais leur offrir. Par exemple, les femmes voulaient un endroit convenable pour dormir.

« La charrette est pleine de courants d’air et n’est pas non plus très sûre — j’aimerais avoir un autre endroit où dormir ! Si seulement nous avions une sorte de clôture ou de mur pour nous protéger des monstres. Cela permettrait aussi à Gams de nous protéger plus facilement », dit Chem.

« Je m’inquiète pour le stockage de la nourriture. Si seulement nous avions un peu plus de sel », répondit Lyra.

La plupart de leurs conversations portaient sur ce dont ils avaient besoin pour survivre. Si j’avais plus de PdD, j’aurais pu résoudre au moins une partie de leurs problèmes. Mais je ne pouvais pas en gaspiller pour le moment.

« Je suppose que mon seul choix est de payer… »

J’avais mis mes prix non ouverts aux enchères en ligne. S’ils étaient tous vendus, j’en tirerais environ 30 000 yens, pas plus. Je pourrais vendre mes mangas et mes jeux dans un magasin de vente d’occasion, mais cela me forcerait à sortir. Et je n’étais plus sorti en plein jour depuis environ deux ans.

J’avais jeté un coup d’œil à l’écran. Mes villageois devenaient de plus en plus humains à mesure que je les regardais. Ils travaillaient dur pour survivre. Les choses allaient bien, mais nous étions encore au début du jeu. On ne pouvait pas savoir ce qui allait se passer, mais j’étais sûr que ce serait intéressant. Je détestais l’idée qu’ils meurent avant que je puisse voir tout ça.

Je devais les aider, et pour cela, j’avais besoin de plus de PdD. Est-ce que c’est ce que ressentent les flambeurs, me suis-je demandé, lorsqu’ils dilapidaient leur argent encore et encore dans leurs jeux en ligne ?

« Je suppose que je vais sortir… »

Enlevant mon sweat-shirt et mon pantalon, je m’étais changé en des vêtements plus appropriés. Tout était un peu serré sur moi. Je n’avais pas pris de poids, j’étais juste peu habitué à porter quelque chose d’aussi restrictif. Au moment où je m’étais regardé dans le miroir, je vis un trentenaire pataud qui était mort à l’intérieur.

Quand j’étais enfant, je pensais qu’être un adulte signifiait être une personne respectable avec un bon travail, et peut-être une famille. Je pensais que je grandirais pour être comme eux. Au lieu de ça, j’étais là. Je ressemblais à un adulte, mais à l’intérieur, j’étais toujours un enfant. Peut-être même que j’étais moins responsable qu’un enfant. À l’époque, j’étais allé à l’école et tout ça. Tout ce que j’avais à montrer ces dix dernières années, c’était ma capacité à jouer à des jeux et à écrire des messages sur Internet.

Même maintenant, mon cerveau me disait que je n’avais pas à faire ça, que je pouvais enlever ces vêtements et retourner au lit. Normalement, j’aurais écouté, décidant que je pouvais réessayer demain, repoussant tous mes espoirs d’un jour de plus. Mais aujourd’hui, c’était différent.

Je m’étais retourné vers mes villageois. Rodice et Gams enlevaient l’écorce des troncs dans un silence amical. Ils travaillaient si dur, mais je ne les avais jamais entendus se plaindre. Chem était à la recherche de nourriture. J’avais entendu Gams dire qu’elle n’avait pas beaucoup d’endurance, mais cela ne l’arrêtait pas. Lyra lavait des vêtements à la rivière voisine. L’eau devait être froide, elle soufflait sans cesse sur ses mains pour les garder au chaud. Carol aidait partout où elle le pouvait, souriant tout le temps et ne mentionnant jamais son estomac vide.

Mon travail consistait maintenant à subvenir à leurs besoins. Même s’ils n’étaient que des personnages de jeu, je me sentais responsable d’eux. Ils étaient le coup de pouce dont j’avais besoin. J’avais quitté ma chambre et j’avais descendu les escaliers. Quand j’étais passé le salon, ma mère me repéra.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? Tu sors ? »

« Je reviens vite. »

« Très bien… Amuse-toi bien. »

Je voyais bien qu’elle était surprise, mais elle ne m’avait rien demandé d’autre. Pendant un instant, j’avais cru entrevoir un sourire, mais il était parti trop vite pour en être sûr.

« À plus ».

Cette réponse était tellement simple, mais je ne l’avais pas dit depuis des mois et des mois.

Il faisait froid dehors. Je n’avais pas remarqué que c’était l’hiver. Ayant passé toute ma vie dans un environnement climatisé, je n’avais jamais fait attention à la météo.

J’avais déverrouillé mon vélo avant de hisser ma jambe sur la selle. J’étais un peu nerveux, cela faisait si longtemps, mais finalement, mon corps s’était souvenu de ce qu’il fallait faire. En traversant le quartier, j’avais remarqué que les passants parlaient entre eux. Je m’étais demandé s’ils ne se moquaient pas de moi, s’ils ne faisaient pas des commérages sur un homme de mon âge, dehors en plein milieu de la journée. Les questions tournaient dans ma tête. Je savais que j’étais probablement paranoïaque, mais j’avais peur. Je ne pouvais pas supporter le fait d’être ridiculisé. Ce n’était probablement que mon imagination, mais je pouvais entendre leurs rires dans mes oreilles, et cela me faisait honte.

Je voulais faire demi-tour et rentrer chez moi, mais je m’étais souvenu de mes villageois. Ils étaient probablement en train de travailler dur en ce moment. Je voulais leur faciliter la vie, ne serait-ce qu’un peu. J’avais donc gardé les pieds sur les pédales.

 

***

Je me sentais beaucoup plus à l’aise à l’intérieur du magasin d’occasion, où personne ne me reconnaîtrait. Et j’avais bien réussi. J’avais vendu deux sacs remplis de mangas que j’avais déjà lus à mort et tous mes vieux jeux. Le seul jeu dont j’avais besoin en ce moment était Le Village du Destin. Je n’en avais pas tiré grand-chose, mais l’un des mangas avait maintenant un anime, et il s’était vendu plus cher que prévu.

J’avais été tenté de prendre un fast-food avant de rentrer, pour me faire plaisir, mais j’avais décidé de ne pas le faire. À la place, j’avais fait un petit tour à la boutique d’occasion.

D’abord, j’avais pris un livre de menuiserie et un magazine sur la construction en rondins. Les informations étaient probablement toutes en ligne, mais il serait bon d’avoir un livre sur le sujet. Après tout, on ne savait jamais ce qui était réellement vrai en ligne. Et alors que je continuais à parcourir les rayons, me demandant s’il y avait autre chose d’utile, j’étais arrivé dans la section des LN. C’était rempli de romans isekai populaires. La plupart d’entre eux étaient gratuits en ligne, ce qui les rendait parfaits pour un NEET fauché comme moi, les loisirs gratuits étant tout ce que je pouvais me permettre.

Les versions imprimées étaient éditées et améliorées, et elles étaient accompagnées d’illustrations. J’avais vraiment envie d’acheter un exemplaire de ma série préférée, pour soutenir l’auteur, mais je n’avais tout simplement pas l’argent nécessaire pour le moment.

« Dans beaucoup de ces livres, un type apporte ses connaissances modernes à une société médiévale et en retire tout le mérite, non ? »

Ma propre situation avec Le Village du Destin était très similaire. Peut-être que ces livres me seraient quand même utiles ? J’avais acheté quelques exemplaires d’occasion, juste au cas où.

Même en vivant aux crochets de mes parents, j’étais tellement fauché que je devais acheter mes livres d’occasion. Quelle pensée déprimante ! Même les enfants savaient qu’il fallait de l’argent pour aller quelque part dans le monde, mais je m’étais caché cette vérité pendant tout ce temps. Tout ce que je voulais, c’était rentrer chez moi. Mais sur mon chemin, j’avais vu une pâtisserie que ma famille avait l’habitude de fréquenter. À l’intérieur, une petite famille choisissait un gâteau avec son enfant. Ils étaient tous souriants.

« Ce n’est peut-être pas une mauvaise utilisation de mon argent… »

Je m’étais arrêté et j’avais pris quatre puddings, qui eurent toujours du succès auprès de ma famille.

***

Chapitre 5 : Chapitre 5 : Un pauvre homme et une paix brisée

En rentrant à la maison, j’avais tendu les puddings à ma mère, qui regardait toujours la télé.

« Est-ce pour nous ? Merci ! »

« J’en ai assez pour tout le monde. »

Comme je ne voulais plus voir le visage souriant de ma mère, je m’étais dépêché de retourner dans ma chambre. Je n’avais rien fait d’autre que d’acheter un dessert. Ce n’était pas comme si j’étais rentré avec un ticket de loterie gagnant. J’étais toujours le même bon à rien que j’avais toujours été. Une si petite chose ne devrait pas me rendre si fier.

« Mais qu’est-ce que je fais de ma vie ? »

Je m’étais donné une bonne gifle pour reprendre mes esprits et je m’étais assis devant mon ordinateur. Mes villageois travaillaient joyeusement. Une fois qu’ils étaient de nouveau en sécurité sur mon écran, je commençais à feuilleter le magazine et le livre que j’avais acheté. J’avais hâte d’obtenir des PdD afin d’accomplir un miracle, mais si je ne faisais pas mes recherches, il y avait de fortes chances que je les gaspille. Je devais être sûr de prendre les meilleures décisions pour mes villageois.

Tout d’abord, j’avais décidé d’acheter des PdD, juste au cas où. Environ 20 000 yens devraient suffire.

 

***

Le livre sur le travail du bois s’était avéré très captivant. C’était le soir précédent la tragédie. Mes villageois étaient en train de se préparer pour le dîner. La veille, j’avais trouvé une fonction qui me permettait de consulter l’historique de leurs conversations. Je l’avais fait défiler, à la recherche de ce que j’avais manqué pendant la journée.

« Le temps est si beau. »

« Oui. »

« J’espère que nous ne rencontrerons pas de monstres ! »

« Moi aussi. »

Allez Gams, Rodice essaie d’apprendre à te connaître !

Gams était un gars honnête et direct, mais je ne pouvais pas m’empêcher d’être désolé pour Rodice. Ça devait être comme parler à un mur de briques.

J’avais l’impression de lire leurs conversations privées, mais c’était le meilleur moyen pour moi de savoir comment les aider. En tout cas, ce fut ainsi que j’avais essayé de me justifier. J’avais ouvert le journal.

« Le linge devrait bientôt sécher », dit Lyra.

« C’est bien d’avoir la rivière si près », répondit Chem.

« Ça ne me dérangerait pas de me baigner… mais que se passerait-il si des monstres attaquaient pendant que je suis nue ? »

« Sans compter que les hommes pourraient revenir ! »

« Je ne suis pas inquiète. Mon mari et ma fille m’ont vue nue des centaines de fois, et je suis sûre que Gams n’aurait pas envie de regarder une vieille dame mariée ! », dit Lyra en riant.

C’était vrai. Lyra était censée avoir trente ans, le même âge que moi. Personnellement, je ne pensais pas qu’il y avait quelque chose de « vieux » chez elle. Elle avait une belle silhouette et était plutôt belle, même pour quelqu’un coincé dans la nature sans maquillage ni bijoux.

Pour être honnête, j’étais plutôt jaloux de Rodice.

« Ça ne me dérange pas non plus si Gams me voit ! », annonça Carol.

Sachant à quel point Carol aimait Gams, je ne serais pas surpris de la voir lui demander de la rejoindre dans la rivière.

« Ne sois pas stupide, Carol. Et je n’en sais rien, Lyra. Mon frère est peut-être un gentleman, mais c’est toujours un mâle au sang chaud ! »

Chem devait être plus attachée à son frère que je ne le pensais…

Leur conversation n’avait rien d’époustouflant, mais j’en avais appris un peu plus sur l’origine de mes villageois.

« Je dois me demander… quels étaient ces monstres qui ont attaqué notre village ? C’était tellement étrange, même en considérant la date. Et puis, juste comme ça, tout le monde est parti. »

Que voulait-elle dire par « en considérant la date » ? J’avais pensé à le demander dans ma prochaine prophétie, mais en même temps, je n’étais pas sûr que ça en valait la peine.

« Notre village était grand, nos murs étaient solides et bien construits, et nous avions tellement de chasseurs forts comme mon frère. Nous aurions dû être capables de nous défendre. »

« Je me demande si le gentil vieux couple d’à côté va bien », dit Carol.

Même en lisant le texte, je pouvais imaginer à quel point elle devait être triste.

« La forêt est peut-être dangereuse, mais nous n’avons plus d’options tant que nous n’aurons pas réparé les roues du chariot… Je doute qu’elles puissent nous porter pendant une journée dans leur état actuel. »

En faisant défiler l’historique, il semblerait que mes villageois venaient d’un village de quelques centaines d’habitants, ce qui était à peu près la moyenne pour ce monde. Un jour, un groupe de monstres les avait attaqués et, bien qu’ils aient essayé de se défendre, ils s’en étaient sortis de justesse. D’autres personnes étaient avec eux, mais ils avaient été séparés lorsqu’ils s’étaient enfoncés dans les bois, et maintenant ils ne connaissaient même pas leur chemin de retour, et s’il était même sûr d’essayer. Et quand bien même ils le feraient, le chariot était pratiquement détruit. Ils étaient coincés.

Maintenant, je comprenais pourquoi il y avait un miracle pour « retrouver les autres villageois ». Peut-être que si je l’utilisais, je pourrais faire travailler plus de gens dans mon village.

« Le dîner est prêt ! »

Au son de la voix de ma mère, j’avais fermé mon livre. Pour une fois, mon père se joignait à nous pour le dîner. D’habitude, il rentrait du travail beaucoup plus tard. Ses cheveux étaient séparés et gominés dans leur style habituel, et ses yeux regardaient froidement derrière ses lunettes à monture noire. C’était un homme franc qui ne disait jamais plus qu’il fallait. Il ressemblait ainsi un peu à Gams. Nos emplois du temps étaient si différents que nous ne nous voyions que quelques fois par mois, et nous n’avions jamais grand-chose à nous dire. Après une grosse dispute que nous avions eue il y a quelques années, il semblait totalement indifférent à mon égard. Il n’était pas méchant, juste désintéressé.

« Où est Sayuki ? », avais-je demandé.

« Elle fait des heures supplémentaires. Elle a dit qu’elle serait en retard. »

« Je vois. »

C’était assez courant actuellement.

Sayuki était ma petite sœur. Même si elle était un peu plus jeune que moi, elle travaillait déjà dans le domaine de ses rêves et avait le sourire aux lèvres chaque jour. En fait, elle aimait faire des heures supplémentaires. Je ne savais pas exactement ce qu’elle faisait, mais je pense qu’elle était dans l’administration ou quelque chose comme ça.

« Oh, c’est vrai ! Okiku-san m’a donné des cornichons faits maison aujourd’hui. Tu en veux ? », dit soudainement ma mère.

« Bien sûr. »

« Le temps était si beau que je suis allée me promener dans le parc. C’est là que je l’ai rencontrée ! On a fait du shopping ensemble, et elle m’a invitée à entrer… »

Ma mère n’en finissait pas de raconter sa journée pendant que mon père et moi mangions en silence, en ajoutant seulement une interjection de temps en temps pour lui faire savoir que nous l’écoutions toujours.

Je m’étais rendu compte que j’avais de la chance d’avoir ce que j’avais. Nous vivions dans une maison individuelle à l’écart de la ville. Pour l’instant, le grand et beau jardin ressemblait davantage à un champ, empilé avec de vieilles étagères et chaises en bois que mon père construisait à ses heures perdues, mais il disait vouloir en faire quelque chose un jour. Si ma famille avait été pauvre, elle n’aurait pas pu supporter le fardeau d’un fils paresseux comme moi. Ici, j’avais de la nourriture, un abri, et même Internet. Comparé à mes villageois, je n’avais pas à me plaindre.

Après avoir fini de manger, je m’étais levé pour retourner dans ma chambre quand ma mère m’arrêta.

« Pourquoi ne prends-tu pas un de tes puddings avec toi ? Regarde, chéri. Yoshio les a achetés pour nous. », dit-elle à mon père.

« Vraiment ? Je vais donc en prendre un. »

Comme je ne pouvais pas dire s’il était en colère ou heureux, j’avais couru jusqu’à ma chambre avec mon pudding dans les mains.

Maman avait attendu que papa rentre à la maison pour servir le dîner, il fut donc plus tardif que d’habitude aujourd’hui. Tous mes villageois, sauf Gams, étaient déjà endormis dans la charrette. À la lumière du feu de joie, son visage semblait encore plus fort et plus stoïque que d’habitude. Le village avait de la chance de l’avoir. La magie de Chem n’était constituée que de sorts de guérison, et même si j’aimais bien Rodice, il n’était clairement pas fait pour le combat, ni physiquement ni émotionnellement. Il était plus enclin à fuir les monstres qu’à les attaquer. Gams était le seul combattant. J’avais appris en lisant les conversations de mes villageois qu’il gagnait sa vie en chassant des monstres.

Après avoir appris que leur Dieu n’était pas tout-puissant, mes villageois avaient décidé de se relayer pour surveiller les nombreux monstres nocturnes qui vivaient dans ces bois. Le fait de voir Gams debout, veillant sur ses compagnons, m’avait mis à l’aise. J’étais sûr que son apparence y était pour quelque chose. Il avait des cheveux noirs et des yeux sombres. Je ne savais pas exactement quelle était sa taille, mais à en juger par la taille des autres, il devait approcher les 1,80 m, voire plus. Il avait une épée longue et une épée courte, et était très capable de les manier toutes les deux en même temps. J’avais tiré beaucoup d’informations sur lui en lisant les conversations entre Chem et Lyra. Il était également extrêmement sérieux et calme, et ne se plaignait jamais, même si la tâche qu’il avait à accomplir était désagréable ou ardue. C’était certainement la personne la plus fiable du village, et ils ne s’en seraient probablement pas sortis sans lui.

« Je compte sur lui autant que sur mes villageois. Je devrais probablement voir si je peux obtenir quelques habitants supplémentaires. »

Cinq personnes, ce n’était pas suffisant. Je pouvais augmenter ma population en utilisant mes PdD, mais cela était stupidement coûteux. Le coût variait selon le type de personnage, il y avait des marchands, des soldats, des archers, des civils, des charpentiers… Il y avait aussi une option « Aléatoire ». Je savais que la meilleure chose à faire était de l’éviter. Je ne voulais pas risquer de leur apporter une sorte de criminel… et je ne voulais pas non plus devenir accro au jeu pour obtenir des ressources pour mon village. J’avais vu à quel point il était facile de perdre une tonne d’argent sur les jeux gacha si l’on ne faisait pas attention.

De plus, même si je trouvais d’autres villageois, ils n’auraient nulle part où vivre. Et comme il n’y avait plus de place dans le chariot, quelqu’un aurait dû dormir dehors. Construire une maison où mes villageois pourraient se reposer tranquillement devait être ma priorité absolue.

« Une maison… », m’étais-je murmuré à moi-même.

Devrais-je dépenser tout l’argent que j’avais gagné pour acheter un charpentier afin d’accélérer le processus ? Les matériaux n’étaient pas un problème, ils vivaient au milieu d’une forêt. Il y avait déjà beaucoup de rondins, et cinq troncs étaient dépouillés de leur écorce. Gams supervisait l’abattage des arbres, tandis que Rodice était chargé de les transformer. Les troncs étaient gros, et on en tirerait probablement un bon nombre de planches. Le problème était qu’elles avaient encore besoin de temps pour sécher correctement.

Et tout cela mis à part, je voulais toujours vraiment un familier. De plus, j’estimais que je devais toujours avoir des PdD sous la main en cas d’urgence. Je suppose que j’aurai à le découvrir demain…

Pas besoin de se précipiter. De plus, j’aurais plus de PdD demain. Le fait de laisser Gams faire le guet tout seul me mettait mal à l’aise, mais je ne pouvais rien faire d’autre. J’avais décidé qu’il était temps de me coucher, afin de me lever tôt demain pour décider de ma prophétie.

À ce moment-là, j’avais entendu un bruit bizarre venant de l’ordinateur. Je m’étais retourné pour voir le mot « Attaque ! » écrit en rouge sur l’écran. Gams était en train de dégainer ses deux épées et se préparait au combat.

« Tout le monde ! Réveillez-vous ! »

Les visages endormis des villageois surgirent de la charrette à son appel.

« Qu’est-ce qui se passe, Gams ? », cria Chem.

« Des monstres ! Garde tout le monde dans le chariot, Chem ! »

« Est-ce que Gams va s’en sortir ? », demanda Carol avec anxiété tout en sortant la tête.

« Ne t’inquiète pas pour moi ! », dit Gams en souriant.

Carol et ses parents s’étaient retirés dans le chariot comme on leur avait dit. Chem serra ses mains devant sa poitrine et posa son regard inquiet sur son frère.

« Je peux me battre… »

« Ton travail est de me guérir si quelque chose ne va pas. Pour l’instant, prends soin des autres. »

Chem hésita avant d’acquiescer et de suivre les autres dans la charrette. Je n’étais pas capable de voir à l’intérieur, mais je pouvais imaginer Rodice et sa famille se blottissant et tremblant de peur. Sur la carte, je pouvais voir assez loin, grâce aux efforts d’exploration de mes villageois. Mais l’obscurité de la nuit signifiait que seule la zone autour du feu de camp était visible pour le moment.

Deux grands loups noirs étaient apparus dans l’obscurité. J’avais cliqué sur l’un d’eux pour voir ce que le jeu avait à dire.

« Loup-garou. On sait relativement peu de choses sur ces carnivores vicieux. À ce qu’il paraît, il s’agit de loups ordinaires qui s’étaient transformés en monstres. Ils sont plus forts que les loups ordinaires, certains ont même des crocs venimeux. »

« J’espère que Gams va s’en sortir… Je sais qu’il est fort, mais c’est deux contre un. »

Les loups s’étaient approchés de Gams, mais il avait tenu bon. S’il se concentrait d’abord sur un des loups, les choses seraient plus faciles, mais il prendrait le risque de voir l’autre s’attaquer au chariot. Les chevaux étaient attachés à un arbre proche, mais heureusement, il ne semblait pas que les loups s’intéressaient à eux pour le moment. Au lieu de cela, ils s’étaient séparés pour venir sur Gams des deux côtés, montrant leur intelligence.

« S’il te plaît… S’il te plaît, gagne, Gams ! »

Je ne pouvais rien faire d’autre que prier et regarder. Mais je ne savais pas qui je priais, vu que j’étais censé être le Dieu de ce monde.

« Attends ! Je suis Dieu ! Je devrais être capable de faire quelque chose ! »

Je m’étais empressé d’ouvrir le menu des miracles et de le faire défiler alors que Gams commençait à faire un geste. Les loups-garous bondirent sur lui. Gams balança ses deux épées en même temps. Il y eut un bruit d’entaille, et l’instant d’après, les loups étaient tombés au sol.

« Whoa! »

Malgré son incroyable exploit, Gams n’avait pas hésité à asséner un coup de grâce à chaque loup-garou. Bon sang, Gams était vraiment quelque chose !

« Vas-tu bien, Gams ? », demanda Chem tout en courant vers lui.

Gams posa sa main sur sa tête et sourit doucement.

« Je suis désolé. Prends soin de… tout le monde… », dit-il.

Gams s’était effondré sur le sol.

J’avais cliqué sur lui frénétiquement, me demandant s’il avait été blessé sans que je m’en aperçoive. Et au moment où je l’avais fait, il y eut un texte rouge clignotant sur sa boîte d’état.

« Empoisonné. »

***

Chapitre 6 : Chapitre 6 : Villageois en panique, Dieu en panique

La victoire de Gams semblait si facile, mais elle avait coûté cher.

« Tiens bon, Gams ! », avais-je dit en serrant les dents.

« Gams ! Il est si froid… », cria Chem tout en s’accrochant à son corps.

Rodice et sa famille étaient sortis du chariot.

« C’est bon, Chem. Il a encore un pouls, mais sa température corporelle est en train de chuter, et il est pâle. Et regarde cette blessure sur son bras… Je n’aime pas cette couleur. », dit Rodice.

Ce dernier se leva pour étudier l’un des loups tombés.

« Il a dû être empoisonné. Chem, as-tu des sorts qui guérissent le poison ? »

J’avais senti mes espoirs s’envoler à sa question. Peut-être que ma panique n’avait servi à rien.

« Je n’ai encore rien appris de tel. Avons-nous un antidote ? »

« J’ai bien peur que nous n’en ayons pas. »

Rodice secoua la tête et détourna son regard.

Lyra serra Carol contre elle en regardant. Comprenant qu’il n’y avait rien à faire, Chem prit la main de son frère. Des larmes coulaient sur son visage.

« Si on perd Gams, c’est fini pour nous », chuchota-t-elle.

J’avais essayé de me rappeler que ce n’était qu’un jeu en regardant mes villageois en deuil, mais mon cœur battait la chamade et j’étais au bord des larmes. Honnêtement, je pensais que c’était seulement le fait que leurs dialogues étaient textuels, et non vocaux, qui m’avait empêché de m’effondrer.

« S’il vous plaît, Dieu ! Sauvez mon frère ! Je suis prête à faire n’importe quoi ! Juste s’il vous plaît… S’il vous plaît, sauvez… »

Chem s’était mise à gémir, incapable de terminer sa demande.

Dieu… C’était vrai, j’étais Dieu. Il devait bien y avoir un miracle que je pouvais utiliser ! J’avais ouvert la liste, je l’avais parcourue aussi vite que possible, j’étais sûr d’avoir vu quelque chose d’utile…

« Pas le marchand… pas le chasseur… là ! »

J’avais trouvé ce dont j’avais besoin : « Faire apparaître un médecin itinérant. »

Aussi cher que ce soit, je ne m’étais pas soucié du coût. J’avais plus de 300 points maintenant, grâce à l’argent que j’avais versé aujourd’hui. C’était juste assez. Le coût élevé m’avait donné l’espoir qu’il serait efficace.

Mais va-t-il vraiment apparaître au moment où je fais le miracle ? Et s’il apparaissait à un endroit assez éloigné ?

« S’il vous plaît, faites que ça marche ! »

Mes jointures étaient blanches et j’avais serré les poings.

« Baisse d’un ton, Yoshio ! »

Maman m’avait appelé en haut des escaliers. Je tapais souvent des pieds sur le sol en signe de protestation quand elle se plaignait du bruit, mais je n’avais pas le temps d’être aussi mesquin maintenant.

« Ne serait-ce pas un peu bizarre qu’il apparaisse tout de suite ? Et si mes villageois ne lui faisaient pas confiance ? Attendez… il est minuit passé ! »

Les pensées tourbillonnaient dans ma tête comme une tornade tandis que je tapais furieusement.

« Tu m’entends, Gams ? Gams… »

« Y a-t-il un problème ? »

Mes villageois s’étaient retournés à la voix inconnue. Là, de l’autre côté du feu de joie, se tenait un jeune homme. Il avait de longs cheveux noirs soyeux, qui mettaient parfaitement en valeur sa belle apparence. En fait, je n’étais pas sûr que ce nouveau venu soit un homme ou une femme. Les traits de son visage androgyne ne laissaient pas deviner grand-chose, mais si je devais deviner, je dirais que c’était un homme. Il portait un manteau à capuche et portait un grand sac sur son dos. Il y avait plusieurs petits sacs accrochés à sa ceinture. Cela devait être le médecin !

« Qui êtes-vous ?! », Chem était sur ses pieds, s’interposant courageusement entre son frère et le nouvel arrivant.

Rodice saisit l’une des épées de Gams et prit une position défensive devant sa famille.

« N’ayez pas peur. Je suis un médecin itinérant. »

Mes villageois s’étaient échangés des regards méfiants. Cela semblait trop beau pour être vrai. J’avais alors appuyé sur la touche Entrée de la prophétie que j’avais déjà écrite, faisant briller le livre de Chem. Le livre s’était ouvert tout seul, et des mots apparurent sur la page blanche.

« Dieu nous parle ? »

Chem regarda alors le livre avec étonnement.

Elle commença donc à lire, oubliant dans sa hâte de lire à haute voix. Au fur et à mesure qu’elle lisait, des larmes commencèrent à couler de ses yeux.

« Merci, mon Dieu », murmura-t-elle avant de se mettre à sangloter.

J’étais content d’avoir pensé à leur envoyer une prophétie leur expliquant tout.

« Il semble que je sois arrivé juste à temps. Puis-je voir votre compagnon tombé ? », dit le médecin.

« Oui, s’il vous plaît ! », cria Chem sans hésiter.

Les autres villageois se taisaient en regardant, ne comprenant pas encore tout à fait la situation. Le médecin examina la blessure de Gams. Il sortit une petite bouteille et versa la moitié du contenu dans la bouche de Gams et l’autre moitié dans la blessure. Son expression douloureuse commença à s’adoucir sous nos yeux.

« Dieu merci, ça a marché. »

Je m’étais affalé sur ma chaise, la tension s’évacuant de mon corps tandis que je desserrais les poings.

Le fait que le médecin soit arrivé à temps m’avait vraiment rendu heureux. Soulagé, j’avais porté mon attention sur les autres villageois. Rodice et sa famille regardaient Chem et le médecin, l’air perplexe. Chem était tellement occupée à tenir son frère dans ses bras que Rodice avait pris son livre et avait commencé à le lire lui-même. Une lueur de compréhension était finalement apparue dans ses yeux. Comme je l’avais espéré, ma capacité à envoyer une prophétie quotidienne s’était réinitialisée à minuit.

« Je ferai preuve de clémence pour ce brave guerrier. Il n’est pas encore temps pour lui de me rejoindre. J’ai utilisé le pouvoir du destin pour vous envoyer un médecin. Même si de nombreuses épreuves vous attendent, n’oubliez pas que je veille sur vous. »

J’avais essayé de ressembler à un dieu en l’écrivant, mais j’étais tellement paniqué que je ne savais pas si j’avais réussi. Peut-être que si j’avais adopté un ton décontracté avec eux dès le début, je n’aurais pas à me soucier d’écrire de manière aussi formelle maintenant. J’aurais pu ainsi sembler moins divin, mais j’avais l’impression que cela les aurait beaucoup moins impressionnés. Si j’avais eu la possibilité de commencer un nouveau jeu, j’aurais aimé essayer d’être un dieu décontracté.

« Bon travail, tout le monde. »

Même si je sentais que le danger était passé, je continuais à surveiller mes villageois à la place de Gams.

***

J’avais regardé jusqu’au matin, même si je ne pouvais rien faire de plus. J’étais heureux de regarder Gams qui dormait paisiblement, guéri du poison.

Les villageois s’étaient levés avant six heures pour se mettre au travail. Chem s’occupait de son frère. Rodice prit une petite lance dans le chariot et monta la garde, conscient qu’il était le seul homme encore en état de se battre. Pendant ce temps, Lyra et Carol préparaient le petit-déjeuner ensemble. Le médecin était toujours là, mélangeant des médicaments avec un mortier et un pilon. Chem n’arrêtait pas de lui lancer des regards comme si elle voulait dire quelque chose, mais n’arrivait pas à trouver le courage de le faire. Finalement, elle prit une grande inspiration.

« Excusez-moi, Monsieur le Médecin… mais comment se fait-il que vous soyez ici ? »

Le médecin continuait à trier ses herbes tout en parlant : « Cette forêt est un endroit dangereux, mais elle est aussi pleine d’herbes médicinales utiles. J’étais en train d’en cueillir hier soir, et alors que je m’apprêtais à monter le camp, j’ai vu une colonne de lumière. J’ai senti que je devais aller voir, et je me suis retrouvé ici. »

« Le Seigneur vous a guidé », dit Chem.

« Je ne crois en aucun dieu. Je me fie uniquement aux bienfaits de la nature. Cela dit, je n’ai pas d’autre explication pour ce qui s’est passé hier soir. »

Donc le médecin était un non-croyant. Cela me fit m’interroger sur la religion dans ce monde. Peut-être que l’existence de Dieu était considérée comme un fait, mais que le fait de le suivre dépendait de l’individu.

« Dans combien de temps devez-vous rentrer chez vous ? », demanda Chem.

« Je ne peux pas laisser mon patient, même s’il semble que le pire soit déjà passé. Me permettez-vous de rester avec vous, ne serait-ce que quelque temps ? »

« Bien sûr. Restez aussi longtemps que vous le souhaitez ! Mais je crains que nous ne puissions pas vous offrir un abri. Est-ce que cela vous convient ? »

La présence du médecin me mettrait à l’aise. Si seulement il y avait un endroit pour qu’il puisse dormir. Le chariot était déjà bondé. Mes villageois n’avaient pas non plus de tente dans leurs réserves.

« Il est peut-être temps d’utiliser d’autres PdD. »

Il faudrait probablement quelques jours de plus avant que Gams soit à nouveau en état de se battre. Et même si Rodice pensait pouvoir protéger tout le monde en attendant, je n’avais pas beaucoup de foi en lui. Je ne pouvais pas m’empêcher de craindre qu’il y ait une autre attaque de loup avant que Gams ne soit de nouveau opérationnel. Pour l’instant, mes villageois avaient besoin d’un endroit où ils pouvaient s’abriter en toute sécurité.

Je ne me sentais pas à l’aise pour utiliser mes points après en avoir déjà dépensé autant, mais je ne voyais pas d’autre solution.

Je devrais peut-être faire apparaître un marchand ?

« Il y a une grotte à proximité, en fait, c’est une mine abandonnée. Elle nous fournirait un abri suffisant pour tous, et il pourrait y avoir des objets utiles laissés par les mineurs », dit le médecin.

Ouah !

Enfin un endroit où mes villageois pourront dormir en sécurité ! Ils avaient convenu que c’était une idée fantastique et étaient partis immédiatement vers la grotte. Avec Gams dans le chariot, mes gens avaient suivi le médecin sur le chemin de la sécurité.

***

Ils étaient arrivés à destination après seulement cinq minutes de voyage. Là, contre la paroi abrupte de la montagne, se dressait un mur improvisé de planches inclinées. Elles étaient disposées en demi-cercles d’environ trois mètres de rayon, bricolées ensemble pour protéger des éléments l’entrée de la grotte. Derrière elles se trouvait un ensemble de doubles portes suffisamment grandes pour y faire passer un chariot et une seule porte plus petite, comme une entrée ordinaire de maison.

« Cette grande porte est destinée aux cargaisons et aux gros objets, tandis que la plus petite est l’entrée proprement dite. Je crois qu’à l’origine, c’était une mine en activité, mais lorsque les mineurs ont trouvé un meilleur endroit à proximité, ils ont utilisé cet endroit pour le logement et le stockage », dit le médecin en ouvrant les grandes portes doubles et en faisant signe aux autres d’entrer.

Et alors que mes villageois et le chariot entraient dans la grotte, l’écran de jeu changea : le toit était devenu transparent et j’avais pu voir à l’intérieur.

« Bon sang, c’est plus grand que je ne le pensais », avais-je dit.

Il y avait encore beaucoup d’espace dans la grotte, même avec le chariot, les chevaux et les villageois à l’intérieur. Il y avait aussi plusieurs tunnels qui partaient de la zone principale, leur contenu étant caché derrière des portes. La grotte était sale, et on aurait dit que personne n’y avait vécu depuis des années. Pourtant, comparé au fait de dormir dans une charrette, c’était le paradis. Mes villageois s’étaient précipités pour examiner la grotte, leurs yeux s’illuminant.

« Il y a une petite pièce par ici ! », cria joyeusement Rodice, tout en regardant derrière l’une des portes.

« Il y a même un petit ruisseau d’eau de source ! Et un four en pierre ! Cet endroit a tout ce dont nous avons besoin ! Eh bien ça alors ! Mettons de l’ordre dans cet endroit ! », s’exclama Lyra.

Cette dernière retroussa ses manches tandis que sa fille sautillait joyeusement autour d’elle.

Je lui devais vraiment quelque chose.

Grâce au médecin, mes villageois avaient un endroit sûr pour dormir. Les planches qui protégeaient la grotte étaient épaisses et renforcées de fer, et il fallait une sacrée force pour les briser.

Finalement, mon peuple pouvait commencer à construire un vrai village.

***

Chapitre 7 : Chapitre 7 : Frère Parfait et Frère Honteux

Pendant que Gams se reposait, les autres villageois se mirent au travail. D’abord, ils choisirent une des petites chambres, la nettoyèrent et installèrent Gams dans un des lits abandonnés. Il pourra ainsi mieux récupérer. Le médecin était resté à son chevet pour le surveiller pendant que les autres villageois commençaient le vrai nettoyage. Lyra prit immédiatement les choses en main.

« Faisons tous de notre mieux pour que lorsque Gams sortira, il soit étonné de voir à quel point c’est propre et net ici ! Rodice, mon cher, rassemble tout ce que nous ne pouvons pas utiliser et mets-le dehors. »

« Compris. Je vais voir s’il y a des objets qui méritent d’être réparés et j’en prends note. », répondit Rodice.

Je pouvais voir à sa réaction qu’il était habitué à ce que sa femme lui donne des ordres.

« Carol, tu fais la poussière dans les chambres, sauf dans celle de Gams. Et travaillons en silence afin qu’il puisse se reposer. »

« Il y a quatre chambres. Je peux partager celle de Gams. Je parie qu’il me laissera partager son lit ! », dit Carol, qui se passa ensuite les mains sur le visage, embarrassée, quand elle réalisa ce qu’elle avait dit.

Chem regarda fixement la jeune fille à travers la fente de la porte de la chambre de Gams. Carol semblait vouloir dire quelque chose, mais au lieu de cela, elle s’était retournée et s’était remise à nettoyer.

« Je suis sa sœur, je devrais être celle qui partage le lit avec lui. Il la laisse abuser de lui beaucoup trop facilement, il devrait apprendre à lui dire “non”. », dit Chem.

Elle continua ainsi à marmonner sombrement pendant qu’elle travaillait.

Lyra semblait sur le point de donner une tâche à Chem, mais elle s’était ravisée et était passée à autre chose. J’étais heureux de voir que la plupart de mes villageois s’entendaient bien. Il n’y avait que Chem et Carol qui se disputaient de temps en temps.

Cette grotte était une véritable aubaine (bien qu’indirectement, je suppose). Même si des monstres parvenaient à entrer, les différentes pièces pouvaient être fermées pour les protéger pendant que Gams agissait pour les chasser. J’étais sur le point de pousser un soupir de soulagement quand j’avais remarqué quelque chose d’étrange. Il y avait une bulle au-dessus de la tête de Gams avec le mot « rêve » écrit dessus. J’avais regardé le médecin pour voir sa réaction, mais il l’ignorait. Le plus probable étant qu’il ne pouvait pas du tout la voir. Je ne savais pas vraiment pourquoi le jeu voulait que je sache qu’il rêvait, mais j’avais cliqué dessus, sans m’attendre à ce que quelque chose se passe.

L’écran était devenu noir.

 

***

Quel était cet endroit ? Cela ressemblait à une ruelle lugubre d’un village inconnue, tout en pierre et en métal, sans aucun arbre en vue. De la neige tombait et se déposait légèrement sur les dalles. Des lanternes suspendues à des poteaux de chaque côté du chemin diffusaient une faible lumière. La nuit semblait si froide que j’avais presque commencé à frissonner.

Là, un jeune homme et une petite fille marchaient main dans la main. Il me semblait qu’ils auraient dû être couchés dans leur lit, et pas en train de marcher dans cet endroit inhospitalier. Le visage de l’homme était sinistre, et la fille semblait prête à fondre en larmes à tout moment. Il était vêtu d’une armure de cuir, et les épées qu’il portait dans le dos et à la hanche me dirent qu’il était épéiste. La fille portait un manteau bien trop grand sur elle et laissait parfois entrevoir le pyjama qu’elle portait en dessous.

« Où va-t-on, Gams ? »

« Ailleurs, Chem. »

C’était donc des versions plus jeunes de Gams et Chem. Il n’y avait pas encore de cicatrices sur le visage de Gams, et celui de Chem était adorablement rond. Ils semblaient tous les deux en détresse. Il avait dû se passer quelque chose, et Gams avait dû être malheureux de traîner sa petite sœur dehors par une nuit aussi froide.

« Que va-t-il arriver à maman et papa ? »

« Ne t’inquiète pas pour eux. Ils ne sont plus nos parents. »

« Mais si nous ne rentrons pas bientôt à la maison, ils vont être très en colère ! »

Chem baissa les yeux vers le sol. Sa main libre tremblait, et pas à cause du froid.

« Nous ne rentrerons plus jamais à la maison, alors n’aie pas peur, d’accord ? »

Gams tapota doucement la tête de Chem. Le sourire qui accompagnait ses paroles n’était pas très convaincant.

Ils avaient dû s’enfuir de chez eux. On aurait dit que leurs parents étaient violents.

Le duo continua de marcher en silence. Le rythme de Chem était de plus en plus lent, jusqu’à ce qu’elle finisse par s’arrêter et s’accroupir sur le sol.

« Je ne peux plus marcher. »

« Fatiguée, hein ? Viens, je vais te faire faire un tour sur mon dos. »

Chem grimpa sur le dos de Gams. Et bien qu’elle ait toujours l’air triste, il y avait une petite lueur de soulagement dans ses yeux. Gams avançait à un rythme plus lent, emmenant sa sœur plus loin de la maison.

« Gams, pourquoi maman et papa me détestent-ils ? Est-ce que je suis une mauvaise fille ? »

« Bien sûr que non ! », dit Gams, un peu trop fort.

Chem tressaillit à sa voix.

« Ce n’est pas vrai. Tu n’es pas une mauvaise fille. Ce sont de mauvais parents. », dit-il, plus calmement cette fois.

« Ils ont dit qu’ils allaient me vendre comme esclave parce que j’étais mauvaise… Ils ont dit que puisque je n’allais être là que quelques jours de plus, je devais être une bonne fille. »

Ce n’était pas juste une tentative de fugue innocente. Je savais que la maltraitance des enfants existait même dans ma société moderne, mais je n’avais jamais entendu parler de quelque chose d’aussi horrible auparavant…

« Oublie-les, Chem. Ce ne sont pas nos parents, ils ne valent rien. Ils n’ont même pas de travail. Ils ne font qu’accumuler des dettes de jeu, et maintenant ils veulent te vendre pour les payer. J’allais venir te chercher une fois que je serais un chasseur à part entière, mais j’aurais vraiment dû agir plus tôt. Je suis désolé. »

Gams regardait le ciel nocturne, le regret étant clair dans ses yeux.

« À ce moment-là, j’étais heureuse de voir que tu étais venu. »

« Ne t’inquiète pas. On va bien s’amuser à partir de maintenant, d’accord ? »

« Je t’aime, Gams ! »

Chem serra son frère très fortement et enfouit son visage dans son cou.

Je comprenais maintenant pourquoi elle l’aimait tant et se fiait autant à lui : il venait à son secours quand elle en avait besoin.

« Pas étonnant que tout le monde aime Gams. Il est beau, et il a un cœur d’or. »

Le rêve s’était évanoui, me ramenant à la grotte.

 

***

J’avais continué à observer mes villageois jusqu’à ce que je réalise qu’il était presque l’heure de déjeuner. J’étais affamé, et mes yeux commençaient à être inconfortablement secs. Il était temps de faire une pause. Mais au moment où j’étais sorti dans le couloir, la porte de la chambre voisine de la mienne s’était ouverte, révélant ma jeune sœur Sayuki. Cela faisait longtemps que nous ne nous étions pas croisés ainsi. Elle se frottait l’arrière de la tête, comme si elle venait de se réveiller, mais son expression changea dès qu’elle me vit.

« Argh, c’est toi. », dit-elle de mauvaise humeur

« Es-tu de repos aujourd’hui ? »

La question était sortie de ma bouche avant que je puisse m’en empêcher.

J’avais depuis longtemps perdu la notion des jours de la semaine. Et grâce au Village du Destin, c’était encore pire ces derniers temps.

Je suppose que ça veut dire qu’on est dimanche.

Elle avait travaillé tard hier soir, c’était pourquoi elle était encore en pyjama.

Tout comme Gams et Chem, ma sœur et moi ne nous ressemblions pas beaucoup. Les gens aimaient nous le dire chaque fois qu’on nous voyait ensemble. C’était probablement parce que ma sœur était conventionnellement belle et que j’avais l’air d’une loque.

Quand elle était au lycée, elle me parlait de tous les types qui lui avaient fait des avances. Elle était encore plus jolie maintenant qu’à l’époque. C’était comme si je n’avais hérité d’aucune des qualités de mes parents pour qu’elle puisse les avoir toutes. Ses beaux cheveux noirs tombaient juste sous ses épaules. Ses yeux s’étaient rétrécis, me repoussant presque rien que par leur regard.

Même sans maquillage, elle était jolie. Je m’étais presque surpris à la fixer. Si je n’étais pas son frère, je l’aurais probablement trouvée encore plus belle que je ne la trouvais. Elle avait encore une vingtaine d’années, et je ne pouvais pas m’empêcher d’être jaloux. J’aurais aimé être aussi jeune à nouveau.

La façon dont elle me regardait me disait que j’allais me faire engueuler si je jetais encore un regard dans sa direction.

« Je vais juste aux toilettes », avais-je marmonné en m’éloignant.

Je n’avais plus trop envie d’aller déjeuner maintenant. Et je doutais qu’elle le fasse aussi si je descendais.

« N’utilise pas les toilettes du bas, d’accord ? »

Je n’avais jamais eu envie de me battre avec elle, et je ne pensais pas non plus en avoir le droit. Elle gagnait de l’argent pour notre famille. Je ne faisais que prendre de l’espace.

« Je sais, » avais-je répondu.

Sayuki détestait même l’idée de partager une salle de bain avec moi et me le rappelait souvent, et maintenant je m’en tenais à la salle de bain de l’étage par habitude. Et de toute façon, elle était plus proche de ma chambre.

« Ne dis pas juste “je sais” ! », murmura Sayuki.

Elle continua à marmonner pour elle-même, mais je n’avais pas entendu la fin parce qu’elle était déjà à mi-chemin dans l’escalier. Peut-être voulait-elle que je me dispute avec elle.

Je n’avais pas la volonté de lui parler, car elle était toujours en colère contre moi. Nous étions proches quand nous étions enfants, mais comme la plupart des bonnes choses dans ma vie, c’était une chose du passé. Quand j’avais commencé à être désillusionné par la vie, elle commença à me traiter comme un étranger. Et quand j’avais finalement renoncé à chercher un emploi, elle cessa même de me parler. Avant tout cela, nous sortions ensemble assez souvent.

Maintenant, nous nous parlions à peine. Mais je ne pouvais pas voir ce qu’elle pensait que j’aurais dû faire différemment. Peut-être que j’aurais dû… non.

J’avais réalisé que je me serrais le ventre.

Ressasser le passé était inutile. Je m’étais habitué à ce que ma sœur me traite de la sorte, mais après avoir vu le rêve du passé de Gams et Chem, je me sentais à vif et peiné aujourd’hui.

Gams s’était occupé de sa sœur. Je ne l’avais pas fait. Comment pouvais-je ne pas me comparer ?

Je savais que Sayuki aurait préféré avoir un frère comme Gams. De retour dans ma chambre, j’avais veillé sur mes villageois jusque tard dans la nuit.

 

***

Comme d’habitude, ils avaient travaillé toute la journée sans se plaindre. Ils étaient toujours là pour se soutenir et prendre soin les uns des autres. Chem apporta un verre d’eau à son frère alité avec un sourire. Ils avaient vraiment une bonne relation. Si seulement Sayuki et moi pouvions être comme eux…

« Je veux changer. »

Mes yeux s’étaient élargis de surprise en entendant les mots sortir de ma bouche. J’avais senti quelque chose éclabousser le dos de ma main, une fois, puis une autre. C’était chaud et humide. Des larmes.

« Alors je pleure, hein ? J’ai tellement de regrets… que j’en pleure ? ! Alors pourquoi n’ai-je rien fait ? ! », avais-je bégayé pour moi-même.

Mes mots s’étaient transformés en sanglots. Je ne pouvais pas m’arrêter.

***

Changer la réalité

Chapitre 1 : Le Dieu Vénéré et son style de vie pingre

Trois jours après l’installation de mes villageois dans la grotte, Gams s’était complètement rétabli. Et il l’était suffisamment pour aider aux travaux lourds. Il explorait la zone le jour et montait la garde la nuit. Soit les gens de ce monde guérissaient très vite, soit leurs médicaments étaient incroyablement efficaces. Peut-être que les développeurs savaient simplement que personne ne voulait attendre des siècles pour que ses villageois guérissent.

Le nom du médecin était Murus. J’étais content qu’il se soit installé avec les villageois. Pendant que ses longs cheveux noirs étaient attachés, j’avais étudié son visage. Ses yeux bridés étaient longs et étroits, et son nez parfaitement droit. Son corps était mince et gracieux. Sa façon de parler m’avait fait penser que c’était un homme, mais son apparence androgyne me fit demander s’il n’était pas une femme déguisée. Si le jeu était entièrement vocal, je le saurais peut-être avec certitude.

Quoi qu’il en soit, Murus était un excellent ajout à mon village. Non seulement il avait une connaissance approfondie des plantes et de la médecine, mais il connaissait bien la géographie locale. C’était aussi un excellent archer. Avec Murus et Gams qui montaient la garde, je pouvais dormir tranquille la nuit. Et ce n’est pas tout, Murus pouvait faire de la magie à base de plantes. Il séchait les troncs d’arbres de mes villageois et les préparait à servir d’abri. Honnêtement, il avait l’air plutôt OP.

La magie faisait partie de la vie quotidienne dans ce monde. Je m’en doutais déjà grâce à la magie de guérison de Chem, mais l’ajout d’un mage végétal était encore une surprise. Je m’étais demandé quelles autres sortes de magie étaient présentes, attendant que je les découvre.

Et bien que je sois heureux d’avoir invoqué un nouveau venu aussi utile, tout ne se passait pas sans heurts. Murus était traité comme un « invité » dans mon village. Lorsque j’avais cliqué sur lui, je n’avais pu voir que son nom. Le reste de ses informations était noirci avec le mot « secret » écrit dessus. Il y avait probablement des conditions à remplir pour qu’il rejoigne mon village, mais je n’arrivais pas à les comprendre. J’avais espéré qu’après avoir dépensé 20 000 yens, je pourrais au moins l’avoir de façon permanente. Je suppose que je devais simplement être reconnaissant du fait qu’il ait sauvé Gams… c’était ce que j’essayais de me dire.

« Allez, rejoignez-nous… »

Au moins, la grotte était encore mieux que ce à quoi je m’attendais. C’était un lieu de vie confortable pour mes villageois, et elle était équipée pour répondre à tous leurs besoins. Il n’y avait pas de lumière naturelle, mais il y avait des lanternes lumineuses éclairées par des « orbes de lumière », une sorte de minerai spécial dans ce monde qui brillait de mille feux. Il y avait aussi des pioches et des outils de forgeron laissés par les mineurs. Il y avait même des armes qui traînaient. Aucun de mes villageois ne savait forger, mais j’espérais qu’un jour, un nouveau villageois possédant ces compétences arriverait.

Ils vivaient enfin comme une vraie communauté. Pour être honnête, la découverte de cette grotte semblait trop belle pour être vraie, mais je ne devais pas m’attendre à un réalisme total de la part d’un jeu vidéo. Je pense que le personnage que j’invoquerais en premier y conduirait mon peuple. Même un jeu plein de microtransactions devait avoir à un moment donné pitié de moi.

Murus savait quelles plantes et baies étaient comestibles, et la rivière voisine était pleine de poissons. Parfois, Gams et Murus revenaient même avec de la viande, ce qui était une bonne chose, car ils n’avaient plus rien à manger de leur village d’origine. Je m’étais dit que la prochaine étape serait de labourer un peu de terre pour les cultures.

La famille de Rodice avait l’habitude de cultiver de la nourriture dans leur village, les connaissances en agriculture n’étaient donc pas un problème. La zone autour de la grotte regorgeait de végétation, le manque de terre fertile n’était donc pas non plus un problème. Le problème était qu’ils n’avaient rien à faire pousser.

Dans la plupart des jeux, je sélectionnais une parcelle de terre et mes personnages commençaient à labourer. Quelques jours plus tard, les cultures poussaient, comme par magie. Mais Le Village du Destin n’était pas comme la plupart des jeux. Je m’étais demandé s’il n’était pas temps d’appeler un marchand.

Depuis l’acte coûteux d’appeler Murus, je n’avais pas fait d’autre miracle, j’avais donc fait remonter mes PdD. Mes villageois m’étaient incroyablement reconnaissants d’avoir sauvé Gams, et j’avais déjà récupéré un quart de ce que j’avais utilisé pour appeler Murus.

Mes villageois vivant dans une paix relative, j’avais sauté une des prophéties quotidiennes. Mais comme ils commençaient à s’inquiéter du fait que je les avais abandonnés, j’avais donc recommencé à envoyer un message chaque jour, même s’il n’y avait rien d’instructif. C’était difficile de trouver quelque chose de nouveau à dire chaque jour et de continuer à faire preuve de piété. J’avais même trouvé des vidéos de sermons en ligne pour essayer de trouver des choses que je pourrais voler pour les raconter. Je n’arrivais pas à trouver de nouveaux commandements à leur donner, alors je me contentais généralement de leur envoyer du superflu pour les faire patienter.

« Mes villageois, veillez à boire beaucoup d’eau potable chaque jour. Reposez-vous quand vous êtes fatigués. Gardez vos corps au sec, car la nuit venue, l’humidité vous donnera froid. Prendre soin de votre santé est d’une importance vitale. Ne l’oubliez pas. »

Ce message me donnait l’impression d’être leur grand-père. En fait, c’était exactement le genre de choses que les parents de mon père, à la campagne, disaient quand je leur rendais visite. Mais c’était difficile de trouver quelque chose de profond chaque jour. C’était vraiment devenu une sorte de corvée. J’aurais aimé être plus décontracté avec mes villageois, mais je ne voulais pas les embrouiller. De toute façon, j’étais plus préoccupé par ce que je devais faire avec mes PdD que par l’écriture de messages. En vérité, même si mes villageois avaient des besoins et des envies, je voulais vraiment un familier.

Il y en avait un en particulier que je ne pouvais pas quitter des yeux. J’avais cliqué dessus, ce qui fit apparaître la description.

« Golem. Humanoïde. Comprends les commandes de base et travaille toute une journée sans avoir besoin de se reposer. Il peut être contrôlé via une manette de jeu. »

Les Golems étaient un élément de base de la fantasy. Leurs principales caractéristiques étaient leur grande taille et leur corps de pierre durable. Ce n’était pas seulement la capacité de combat potentielle qui m’avait attiré, mais aussi le fait qu’il puisse travailler toute la journée. Ce serait une aide considérable pour une petite population.

Ensuite, il y avait le fait que je pouvais le contrôler. Enfin, je pourrais faire plus que simplement regarder et envoyer des messages. J’en avais tellement envie, mais je n’en avais pas les moyens — même si le curseur de ma souris s’en approchait sans cesse avant que je ne m’en empêche. La plupart des miracles coûtent entre 100 et 200 PdD, mais le golem coûtait la bagatelle de 700 PdD ! Cela représente 70 000 yens ! Bien sûr, je n’avais pas à le payer… mais pour l’instant, je ne recevais qu’environ 10 PdD par jour de mes villageois. Cela signifiait attendre presque deux mois, et ne faire aucun miracle pendant ce temps. Je n’avais pas la patience pour cela, d’autant plus que je voulais appeler un marchand pour rendre la vie de mes villageois un peu plus facile. Et, bien sûr, il pourrait y avoir une autre urgence…

Si je pouvais me permettre d’acheter des PdD, ce ne serait pas un problème, mais mes économies étaient anéanties, même celles de mon enfance et les restes de l’allocation que j’avais reçue de mon père lorsque nous étions encore en bons termes. Pour l’instant, j’avais 160 PdD, ce qui n’était pas mal, vu que j’en avais utilisé 300 pour invoquer Murus. Mais la gratitude ne pouvait pas me mener bien loin. Les bribes de conseils que j’en étais réduit à envoyer ne faisaient pas grand-chose. L’autre option était d’augmenter la population du village, mais là encore, cela signifiait dépenser des PdD pour un miracle. Y avait-il des événements aléatoires faisant en sorte que quelqu’un puisse se joindre au village sans que je doive payer ?

Alors que je regardais et réfléchissais, mes villageois s’étaient rassemblés. Ils transportaient les bûches et leur faisaient… quelque chose, mais quoi ?

« Tu es sûr que c’est suffisant, Chem ? »

« C’est ce que nous ressentons qui compte, Gams. Il veille sur nous, alors je suis sûr qu’il comprendra. »

Chem serra la main de son frère.

Ils s’aimaient plus que jamais. Des fois, je pourrais jurer avoir vu quelque chose d’un peu plus intense que l’amour fraternel dans le regard de Chem, mais je n’en étais pas sûr.

« Alors, vous construisez un autel avec une statue de Dieu ? »

« C’est ça, Murus. J’aimerais que nous puissions gérer quelque chose de plus extravagant pour Lui, mais un lieu de culte sera suffisant. », dit Chem.

Les frères et sœurs avaient créé une statue à partir de rondins, et elle était impressionnante. Il fallait loucher un peu pour comprendre qu’elle était censée avoir une forme humaine, mais l’effort qu’ils avaient mis dedans me réchauffa le cœur.

« S’il vous plaît, acceptez nos humbles cadeaux, Seigneur », dit Chem tout en plaçant un bol de fruits sur l’autel.

Ce type de fruit était populaire auprès des villageois, il avait la forme de poires, mais le même rouge profond que les pommes.

À l’exception de Murus, tous mes villageois s’étaient avancés pour prier devant l’autel. Lorsqu’ils avaient terminé, le fruit s’était mis à briller d’une forte lumière. La lumière s’estompa progressivement, et quand elle s’estompa, l’offrande avait disparu.

« Merci, Seigneur », dit Chem, émerveillé.

J’étais vraiment surpris, mais ils avaient pris les choses en main. Si l’existence de Dieu était connue de tous, la disparition d’offrandes devait sembler tout à fait normale. Rien ne disait que les lois de la physique devaient être les mêmes dans un monde complètement différent.

Et puis, vous savez… c’était un jeu vidéo.

Les graphismes de ce jeu étaient si réalistes que je continuais à penser que je surveillais une dimension parallèle ou quelque chose comme ça. Il fallait vraiment que j’arrête d’être aussi surpris lorsque quelque chose de fantastique se produisait.

L’offrande fit remonter mes PdD, ce à quoi je ne m’attendais pas. Une explication était apparue sur mon écran :

« Les Points de Destin augmentent lorsque vos villageois font des offrandes. Plus ces offrandes sont précieuses, plus vous gagnez de points. Les villageois prospères pourront offrir des offrandes plus coûteuses ! »

J’étais quoi, leur papa gâteau ?

C’était une information utile. Je pouvais encourager mes villageois à m’offrir tout ce dont ils n’avaient pas besoin. Je n’avais pas encore envoyé ma prophétie quotidienne… C’était peut-être le bon moment pour le faire.

Même si des offrandes de plus grande valeur étaient préférables, je ne voulais pas imposer un trop lourd fardeau à mon peuple. J’avais décidé d’adopter une approche plus douce.

« J’ai reçu vos offrandes. C’est un grand plaisir pour moi de savoir que j’ai inspiré une telle gratitude. Cependant, je ne souhaite pas que vous vous imposiez un fardeau trop lourd. Comprenez que ce ne sont pas seulement vos offrandes qui me plaisent, mais aussi les sentiments qui les accompagnent. Ce sont ces sentiments et ces offrandes qui me confèrent le pouvoir d’accomplir des miracles, mais je me contenterai des surplus de votre vie quotidienne. »

J’avais repensé à ce que j’avais écrit. Même si j’essayais d’être humble, j’avais l’impression d’être un peu égoïste. Mais mes villageois étaient tous des gens simples et gentils. Ils ne penseraient pas en mal de moi.

J’avais envoyé mon message. Immédiatement, mes villageois commencèrent à s’étonner de ma « modestie » et de ma « prévenance ». Leur acceptation franche de mes paroles m’avait en fait un peu inquiété. S’ils vivaient dans le Japon moderne, ils seraient des cibles de choix pour les escrocs ou les sectes.

D’ailleurs, n’était-ce pas ce qui se passait en ce moment même ?

Quoi qu’il en soit, j’avais maintenant une nouvelle source de PdD. Qu’elle provienne de restes de bûches ou même de déchets, ça m’était égal. J’avais passé le reste de la soirée à chercher des informations en ligne, comment transformer le bois et comment jouer à Dieu quand on est transporté dans un autre monde.

*****

Le temps passa en un clin d’œil. Lorsque mes yeux commencèrent à être secs, je m’étais tourné pour regarder par la fenêtre, pour constater que le soleil était déjà couché.

« Ce jeu fait vraiment passer le temps… »

Je venais de décider de faire une pause quand j’avais entendu ma mère m’appeler d’en bas.

« Yoshio ! Tu as un paquet ! »

Un autre prix ? J’avais vraiment eu de la chance ces derniers temps. Bien que le fait que je n’aie pas gagné à la loterie soit une honte.

J’étais descendu pour trouver ma mère portant une boîte en carton.

« C’est lourd. Qu’as-tu commandé cette fois ? »

« Rien ! Laisse-moi voir… Attends, quoi ?! »

Il y avait une petite étiquette avec le nom de l’expéditeur. Ce nom était Le Village du Destin.

***

Chapitre 2 : Le Village et ses Offrandes suspectes

« Est-ce encore un de tes prix ? », demanda maman.

J’avais à peine enregistré sa question qu’un vague sentiment de panique s’était installé. Est-ce que c’était une sorte d’envoi du monde du jeu vers moi ? Non, c’était stupide. Comme je me le répétais, ce n’était qu’un jeu ! Ça devait venir des développeurs.

« Je commence vraiment à perdre la tête… »

« Qu’est-ce que tu… Oh mon Dieu ! Il y a des fruits là-dedans ! Quelle forme étrange ! Je n’ai jamais rien vu de tel. », dit maman en haletant.

Quand elle en sortit un de mon paquet, le fruit qu’elle tenait dans sa main était identique à celui du jeu.

« Ce n’est pas vrai… »

« Où les as-tu gagnés ? Ils sont magnifiques ! On peut les avoir pour le dessert ? »

« Oh, oui, bien sûr. »

Maman m’en avait tendu un avant d’emporter la boîte dans la cuisine. Je l’avais regardé fixement. Il n’y avait aucun doute sur le fait que c’était un vrai, un authentique fruit. Je l’avais reniflé. Il sentait bon.

« Ça doit être une sorte de nouvel hybride », avais-je dit d’une voix forte tout en essayant surtout de me convaincre.

« Je crois que je vais en prendre une bouchée. »

Je me sentais un peu nerveux, mais il serait impoli envers mes villageois de ne pas essayer. Attendez, non, il était absurde de penser qu’ils l’avaient vraiment envoyé. Mais après une bouchée, tout ce que je pouvais penser était à quel point c’était délicieux. Il était riche et juteux, l’équilibre parfait entre le sucré et l’aigre. Et je me sentais bien après l’avoir mangé, très bien, en fait. À chaque respiration, le parfum fruité et rafraîchissant me revenait en mémoire. Ma famille les aimerait aussi.

J’avais jeté un coup d’œil dans la cuisine pour constater que ma mère avait déjà déballé la boîte et l’avait laissée près de la poubelle. J’avais décollé l’étiquette de l’expéditeur avant de remonter dans ma chambre. Peu importe le nombre de fois où je lisais l’étiquette, les mots ne changeaient jamais. L’expéditeur était le Village du Destin. Ce qui m’intéressait le plus, cependant, c’était l’adresse. Le paquet original du jeu n’avait pas d’adresse de retour, mais celui-ci en avait une.

« Hokkaido, hein ? Hmm… »

Je l’avais saisi sur le net. L’image satellite montrait un petit immeuble de bureaux. C’était un endroit isolé en dehors d’une ville célèbre dont j’avais entendu parler. Le bâtiment faisait environ cinq étages, et l’extérieur semblait assez daté. L’équipe qui travaillait sur un jeu d’avant-garde travaillait-elle vraiment dans un tel endroit ? Peut-être était-ce qu’un petit bureau pour l’équipe marketing, et le développement se faisait ailleurs.

Mon paquet avait donc été envoyé depuis un endroit réel. Dommage que je n’aie pas eu l’argent ou le courage d’aller à Hokkaido pour le vérifier.

« Merci pour le cadeau, les gars », avais-je marmonné tout en pensant à moitié que c’était probablement leur idée d’une blague.

Si c’était une blague, ils m’avaient bien eu. Je pensais que l’obligation de connexion à Internet était juste pour pouvoir acheter des PdD, mais peut-être qu’ils collectaient aussi des données sur le jeu. J’étais après tout un testeur alpha, même si j’oubliais toujours ce fait.

De toute façon, les fruits étaient délicieux, je supposais donc que tout s’était finalement bien passé.

*****

Le jour suivant, ma mère m’avait encore appelé.

« Yoshio, viens ici tout de suite ! »

Maman n’avait pas l’air contente. Je m’étais précipité en bas pour la trouver me faisant signe de la porte d’entrée.

« Un autre paquet de ce Village du destin ! Les fruits étaient jolis, mais qu’est-ce qu’on est censés faire avec ça ?! »

Elle montrait une bûche. Une bûche que j’avais reconnue.

La veille, j’avais écrit à mes villageois pour les remercier :

« Mes villageois, merci pour les fruits. Même si je n’ai pas besoin de manger pour survivre, je peux quand même apprécier la saveur de la nourriture. Mais s’il vous plaît, ne vous surmenez pas en m’en envoyant davantage. La nourriture est d’une importance vitale pour votre survie. Vous pouvez envoyer des offrandes autres que de la nourriture lorsque cela est nécessaire, et vous n’avez pas besoin d’en envoyer tous les jours. S’il vous plaît, faites passer vos propres besoins en premier. »

Essayer de parler de façon formelle et chaleureuse en même temps était vraiment difficile. Tenant compte de mon message, le lendemain matin, mes villageois avaient décidé de m’envoyer une de leurs meilleures bûches. Il ne m’était pas venu à l’esprit que je recevrais vraiment une bûche. Le fruit avait été une farce amusante, mais ça ? Ces développeurs étaient fous…

Même quand il était là, devant moi, j’avais du mal à en croire mes yeux.

« Je crois que je vais le mettre dans le jardin », avais-je proposé.

« Oui, utilise tes muscles à bon escient », dit ma mère en fermant la porte d’entrée derrière elle et en me laissant dehors.

J’avais trouvé une corde dans l’abri de jardin et je l’avais attachée autour du rondin. Elle était aussi grosse que moi, alors j’avais tiré avec tout ce que j’avais.

« Merde ! Depuis quand le bois est-il si lourd ? »

Malgré un départ difficile, j’avais réussi à la faire avancer. Je n’avais pas été complètement inactif ces dix dernières années, j’avais continué à faire de l’exercice. Je ne m’attendais cependant pas à ce que ça me soit utile pour ça.

Une fois la bûche dans le jardin, j’avais fait une pause. Malgré la courte distance entre la porte d’entrée et le jardin, j’étais trempé de sueur. Avoir dit à mes villageois d’abattre des arbres me faisait sentir maintenant mal. Je ne pouvais m’empêcher d’imaginer ce que cela devait être de traîner toutes ces bûches dans la forêt.

Notre jardin était suffisamment grand pour que la bûche ne gêne pas, mais je ne savais toujours pas quoi en faire. Peut-être que je pourrais la vendre ? Mais j’aurais besoin d’une licence… Je pourrais le demandé à mon père. Comme il travaillait pour une entreprise d’importation, il pouvait peut-être savoir ce que c’était. Ou peut-être qu’il le voudrait, car il aimait le bricolage.

Quoi qu’il en soit, les développeurs du jeu avaient prouvé qu’ils étaient dévoués au projet, mais j’étais sûr qu’ils n’essaieraient pas de faire mieux.

*****

Je m’étais dit que les développeurs devaient avoir terminé, mais le lendemain, j’étais à quatre pattes dans le jardin, désespéré. Mes villageois m’avaient envoyé un paquet de viande. De la viande de monstre emballée sous vide !

Dès que j’avais vu Gams et Murus abattre une créature ressemblant à un sanglier ce matin-là, j’avais eu un sentiment de malaise au creux de l’estomac. Une fois l’offrande de morceaux de choix déposée sur l’autel, j’avais eu des sueurs froides.

« C’est quoi ce Village du destin, Yoshio ? Ce porc a l’air bon, et il y en a beaucoup… », demanda ma mère.

J’avais essayé de réfléchir rapidement. Maman étudiait la viande de près pendant qu’elle la découpait.

« Ça pourrait être du sanglier. J’ai répondu à un sondage en ligne sur les sources alternatives de viande, de fruits et autres… pour une petite entreprise dans un petit village. Ils ont suivi mes idées, ils doivent donc envoyer ces trucs pour me remercier. »

« C’est merveilleux, Yoshio ! »

Maman tapa alors dans ses mains avec joie. Eh bien, on dirait que j’étais coincé avec cette histoire. Je suppose que, techniquement, j’aidais à développer un village. Et hé, j’avais même eu un emploi de testeur de jeux !

Enfin, peut-être pas.

Je n’étais pas prêt à dire non à des trucs gratuits, mais je ne pouvais pas m’empêcher de m’émerveiller devant les développeurs de jeux. Comment diable faisaient-ils ça ? Les villageois ne devaient envoyer que certains types de choses, que la société gardait en réserve. Ça me paraissait encore un peu fou, mais je ne voyais pas d’autre explication.

Peut-être que la sortie officielle du Village du Destin serait commercialisée auprès de personnes riches ayant trop de temps à perdre. Les gens pourraient facilement dépenser 10 000 yens par mois pour ce jeu, avec les microtransactions en supplément. Le prix serait justifié par le fait que les joueurs recevraient des offrandes de leur village. Ils auraient des tonnes de joueurs et pourraient même collaborer avec des entreprises alimentaires. Imaginez ce que les gens dépenseraient pour obtenir ces fruits et ces viandes exclusifs !

« Recevez des objets du jeu directement à votre porte ! »

Je ne pouvais pas m’empêcher d’être impressionné. Je savais que ce n’était qu’une supposition de ma part, mais cela avait beaucoup de sens, et cela expliquait l’IA super complexe et tout le système d’offrande. Cela avait également ajouté un tout nouvel élément interactif au jeu, faisant apparaître vos villageois comme des personnes ordinaires et travailleuses. Je m’étais à nouveau demandé pourquoi on me l’avait envoyé : m’avait-on pris pour une personne riche qui pouvait se permettre tous les extra ?

Si j’avais raison, il serait intelligent de tirer le maximum du jeu avant qu’ils ne réalisent leur erreur. J’étais retourné dans ma chambre et m’étais assis devant l’ordinateur. Comme d’habitude, mes villageois travaillaient dur. Chaque détail de leurs conversations était suivi, et le jeu montrait chaque larme et chaque tache sur leurs vêtements. La façon dont ils se déplaçaient, leurs expressions… tout était si naturel et réaliste.

« C’est juste une nouvelle technologie incroyable… non ? »

Il y a une minute, j’étais si sûr de ma théorie sur le jeu et les développeurs derrière lui. Mais maintenant que je regardais à nouveau mes villageois, je m’étais rendu compte que ce n’était pas le cas.

 

 

***

Chapitre 3 : Le travail acharné des villageois et ma panique

Après deux semaines de jeu du Village du destin, je recevais une offrande presque tous les jours. Certaines étaient géniales. D’autres, pas tant que ça. Au moins, je les avertissais de ne rien envoyer d’illégal, comme des armes.

« Je ne peux pas accepter d’objets dangereux en offrande. Veuillez garder vos armures et vos armes pour vous. »

J’avais un peu peur que mon message fasse penser aux développeurs que je prenais le jeu trop au sérieux, mais au moins je n’aurais pas à m’inquiéter de recevoir une épée par la poste. Même si ça serait plutôt cool.

Pourtant, c’était les trucs comestibles que j’appréciais le plus. Et mes parents étaient d’accord.

Ma mère disait des choses comme : « Est-ce qu’ils vont envoyer plus de fruits ? C’était si bon, et je pense même que je me sens en meilleure santé quand je les mange ! Oh, et Sayuki a adoré la viande qu’ils ont envoyée ! »

« La viande était bonne. On peut vraiment voir la différence entre la viande de chasse et la viande d’élevage. », en convenait papa.

Je n’avais pas entendu mon père parler autant depuis des années. Il avait dû vraiment aimer cette viande.

Après cela, j’avais laissé entendre à mes villageois que leur Dieu du Destin préférait la nourriture aux autres offrandes. En conséquence, ils nous avaient à nouveau envoyé des pommes en forme de poire, ainsi qu’une variété d’autres produits de leur monde. Mon préféré était le fruit ressemblant à un kaki qui avait le goût du raisin.

Cela ne voulait pas non plus dire que les bûches avaient cessé d’arriver. Nous en avions reçu une troisième hier.

Ils avaient aussi envoyé un des orbes de lumière de leur grotte. J’avais ouvert la porte pour ce paquet avant que ma mère ne puisse l’atteindre. Quand je l’avais inspecté dans ma chambre, cela ressemblait à une pierre ordinaire, mais elle brillait. Même s’il s’agissait en fait d’une pierre fabriquée avec une ampoule à l’intérieur, c’était suffisamment étrange pour que je ne veuille pas que ma famille la voie. Je l’avais posée dans un coin de ma chambre et j’avais mis une boîte dessus pour que sa lumière ne puisse pas s’échapper. Je la sortais pourtant afin de l’utiliser la nuit. Cela m’avait permis de réduire ma consommation d’électricité.

Lorsque j’avais commencé à recevoir ces cadeaux quotidiens, maman cessa de me harceler pour que je cherche un emploi. Notre relation commença à redevenir ce qu’elle était pendant mes années d’école. Je savais que si je laissais mon village s’effondrer, je serais de retour à la case départ. J’avais donc redoublé d’efforts. Je m’étais creusé la tête afin de trouver les meilleurs moyens d’économiser mes PdD et d’obtenir le maximum de PdD des offrandes de mes villageois. J’avais même entré mes gains quotidiens de PdD dans une feuille de calcul afin de compter les jours jusqu’à ce que j’atteigne mon objectif.

J’avais passé le reste de mon temps à étudier comment transformer le bois.

*****

Mon père n’ayant pas voulu de la bûche, j’avais donc décidé d’en faire quelque chose.

« C’est plus dur que je ne le pensais. Peut-être que le livre est faux ? »

J’étais face à la bûche qu’ils m’avaient envoyée. Elle était juste là, et si j’apprenais à travailler le bois, je pourrais découvrir quelque chose qui pourrait aider mes villageois. Malheureusement, il faisait déjà bien trop sombre pour faire quoi que ce soit. Nous avions déjà dîné, et la lumière du salon qui se répandait dans le jardin était tout ce dont je disposais pour travailler. J’avais sorti une grande lampe de la remise pour éclairer un peu plus la situation pendant que je parcourais la page du livre de menuiserie.

Tirez, plutôt que de pousser votre scie. Remarquez la direction du grain du bois…

Voici le genre de choses que vous aviez besoin de faire pour comprendre. Tout ne se résumait pas à cliquer sur des choses.

Je m’étais secoué les mains et j’avais essuyé la sueur de mon front. J’avais décidé de travailler un peu plus longtemps avant de prendre un bain. Je m’étais penché sur le livre, et avant même de m’en rendre compte, la lumière du jour s’était complètement éteinte. J’avais dû perdre la notion du temps, car quand j’avais levé les yeux, j’avais trouvé mon père qui me regardait.

« Qu’est-ce que tu fais ? »

« Je pensais faire quelque chose avec cette bûche au lieu de la laisser traîner. J’ai emprunté tes outils… »

« C’est bon. »

Et bien qu’il n’ait pas l’air d’avoir autre chose à dire, il n’avait pas bougé. Avec son visage impassible, je n’avais aucune idée de ce qu’il pensait. J’avais donc décidé de continuer. Avec un peu d’effort, j’avais réussi à scier les deux extrémités de la bûche. Mon premier objectif devrait probablement être d’apprendre à scier correctement. J’avais essayé de planter la scie dans le bois à nouveau… mais rien ne s’était passé. J’avais ensuite essayé de la retirer, mais j’avais utilisé tellement de force pour l’enfoncer qu’elle était coincée.

« Laisse-moi voir. »

Marchant dans ses sandales depuis le salon, mon père s’était approché de moi.

Il avait facilement sorti la scie du bois et commença à trancher la bûche comme si c’était une miche de pain.

« Whoa… »

Je m’émerveillais de sa vitesse.

« Ta technique de sciage est affreuse », dit mon père sans se retourner pour me regarder.

La plupart des gens se seraient mis en colère pour une telle remarque, mais je savais que ses mots avaient un sens caché. J’étais après tout son fils, même si aucun de nous n’agissait comme tel. Quoi qu’il en soit, les actes étaient plus éloquents que les mots, et ce week-end-là, mon père m’avait aidé à transformer le rondin en clôture de jardin.

Et tout ceci était dû au Village du Destin. J’étais censé être leur Dieu, mais dernièrement, j’avais le sentiment qu’ils faisaient plus pour moi que je faisais pour eux. Après tout, ils se débrouillaient bien avant mon arrivée, mais ils m’avaient donné une nouvelle perspective, un but et une raison de changer. J’avais adapté mes habitudes de sommeil à celles de mes villageois, me couchant à onze heures et me levant à six heures. J’allais les voir et prenais mon petit-déjeuner après le départ de mon père et de ma sœur. Malgré les améliorations que j’avais apportées, j’avais encore trop honte de prendre le petit-déjeuner avec tout le monde et de les voir partir. Je ne pouvais pas les regarder partir au travail comme si de rien n’était, alors que c’était la seule chose que je n’arrivais jamais à faire.

Une fois de retour dans ma chambre, j’étudiais tout en gardant un œil sur mes villageois. Mes lectures ne se limitaient plus à la menuiserie, j’étudiais maintenant la cuisine et les techniques de survie. Mais je n’étais toujours pas près de trouver des conseils valables que je pourrais donner à mes personnages.

Pour le déjeuner, j’utilisais mes nouveaux talents de cuisinier pour me préparer quelque chose de simple. Maman sortait tous les après-midi de la semaine, alors je passais généralement le déjeuner seul. Après le déjeuner, je m’entraînais un peu avant de rédiger et de prononcer la prophétie du jour. Je passais le reste de la journée à planifier l’utilisation de mes PdD, à dîner avec mes parents et à prendre un bain. Je visitais ensuite les environs du village avant de m’endormir. Le lendemain, je me réveillais, et tout le processus recommençait.

Et par rapport à tout ce que nous avions vécu au début, le village traversait actuellement une période de paix. En fait, je m’étais presque convaincu que rien n’allait jamais changer… jusqu’à ce que cela arrive.

*****

« On dirait qu’on en a fini avec la clôture maintenant. »

Gams s’était levé après avoir enfoncé le dernier clou avec un soupir de soulagement.

Puisqu’ils n’avaient plus besoin de construire des maisons, mes villageois avaient décidé d’utiliser leur bois pour créer une clôture autour de l’entrée de la grotte, et elle était enfin terminée. Ce n’était pas grand-chose de plus que des poteaux et des planches minces, mais elle pouvait retenir les monstres pendant un certain temps, au moins assez longtemps pour que Murus puisse les tuer et que les autres puissent s’enfuir plus profondément dans la grotte. Son existence était au moins rassurante.

Avec la générosité de la forêt et la rivière voisine et ses poissons en abondance, la nourriture n’était toujours pas un problème. Les réserves de mes villageois augmentaient. L’hiver serait bientôt là, et j’avais déjà prévu de ne plus demander d’offrandes comestibles lorsque la pénurie de nourriture commencerait. Mais pour l’instant, ils s’en sortaient bien. Ils fumaient le poisson et la viande pour les faire durer, et ils avaient trouvé du sel dans les grottes pour assaisonner leur nourriture, au grand soulagement de Lyra. Personnellement, le fait qu’ils n’aient pas de poivre pour l’accompagner me fit sentir mal, mais les épices semblaient être un luxe dans le monde du jeu.

Ils avaient un abri, de la nourriture et de l’eau. Tout aurait dû être parfait, mais quelque chose clochait. Ils se comportaient bizarrement ces derniers temps, ils étaient presque agités. Gams était constamment sur ses gardes, et il sursautait au moindre bruit, surtout lorsqu’il était de garde. Les autres villageois souriaient de moins en moins.

« Leurs conversations deviennent aussi un peu gênantes… »

Il y avait une lourde tristesse dans l’air. Je les voyais souvent regarder les objets en bois qu’ils apportaient chacun du village (j’avais compris qu’il s’agissait de calendriers), soupirant chaque fois qu’ils voyaient un jour de plus passer.

« Peut-être qu’il y a un grand jour qui arrive. Peut-être qu’il y a une tradition qui les faisait déprimer. »

Mais même après avoir lu chaque bribe de conversation que je pouvais dans le journal, je n’avais toujours aucune idée de ce qui les dérangeait. Jusqu’à ce qu’un villageois tout aussi confus que moi prit la parole.

« Qu’est-ce qui ne va pas, maman et papa ? », demanda Carol un soir, alors que tout le monde se préparait à aller se coucher.

Enfin, je pourrais avoir une réponse ! Merci, Carol. J’avais zoomé pour voir ce qui se passait.

« Oh, rien, Carol. Ne t’inquiète pas. »

« Ne t’inquiète pas, ta maman et ton papa sont toujours aussi amoureux ! »

Ils avaient souri et s’étaient penchés dans un câlin mutuel.

Carol plissa les yeux de façon suspecte : « Ce n’est pas ça ! Tout le monde soupire, se morfond et fait semblant d’avoir peur et tout ça ! »

Lyra et Rodice échangèrent un regard inquiet. Ils regardèrent Gams et les autres pour demander de l’aide, mais ils se contentèrent de faire de petits signes de tête encourageants.

Rodice hésita avant de poser une main douce sur la tête de sa fille.

« Eh bien, Carole… Nous ne voulions pas t’inquiéter, mais te souviens-tu au village, quand nous te disions de rester à l’intérieur à la fin de chaque mois et d’aller te coucher tôt ? »

« Oui ! Je n’aimais pas ça, parce que tous les adultes étaient toujours grognons ces jours-là, et je n’avais pas non plus le droit de quitter le village ! »

« Ces règles étaient destinées à vous protéger, toi et les autres enfants. Tu connais déjà les mois de l’année, n’est-ce pas ? »

« Oui. Chaque mois, un Dieu différent veille sur nous ! Le Dieu de la Lumière, le Dieu du Clair de Lune, le Dieu du Feu, le Dieu de l’Eau, le Dieu des Plantes, le Dieu de la Foudre, le Dieu de la Neige, et le Dieu de la Terre ! »

J’avais noté tout cela. Non seulement c’était intéressant, mais ça pouvait être utile. J’avais ensuite réalisé qu’elle n’avait pas mentionné le « Dieu du Destin ».

« Tu es si intelligente, tu te souviens de tous, Carol. »

« Mais, papa, il y a bien plus de mois que ces sept-là, non ? Il y a douze mois entiers, donc on a besoin de cinq autres Dieux ! »

Tu lis dans mes pensées, Carol.

« C’est un très bon point ! À l’origine, chaque Dieu était réponsable d’un jour de la semaine. »

« Oh, je le sais aussi ! Lumdi, Lundi, Feudi, Eaudi, Pladi, Neidi, et Tedi ! »

Leur façon de compter les jours était donc très similaire à la nôtre. Je supposais qu’il fallait que ce soit le cas pour que le jeu progresse en temps réel comme il le faisait.

« C’est vrai, Carol. Les Dieux qui s’occupent de chaque jour de la semaine sont appelés les Dieux Majeurs. Ensuite, il y a les nombreux Dieux mineurs qui travaillent sous leurs ordres. Le Dieu du Destin, qui nous surveille, est l’un d’eux. »

Je m’étais demandé si je devais répondre à l’un des Dieux Majeurs… C’était une question intéressante. Mais de toute façon, qui superviserait le Dieu du destin ? Peut-être le Dieu de la Lumière, ou le Dieu du Clair de Lune…

« Pendant de nombreuses années, les choses étaient paisibles. Mais certains dieux mineurs sont devenus jaloux et ont déclenché une grande guerre entre les dieux majeurs et mineurs. Pendant les trente et un premiers jours, il y eut un puissant et terrible vent glacial. Le 120e jour, le Dieu des Plantes a pris le dessus. Le 182e jour, le dieu de l’Eau et le dieu de la Foudre se sont violemment affrontés. Le 243e jour, le Dieu du Feu s’est déchaîné, et ainsi de suite. Il a fallu une année entière pour que la bataille se termine. »

Une année semblait soit trop longue, soit trop courte pour une bataille entre Dieux. J’avais toujours pensé que les batailles mythologiques duraient des centaines ou des milliers d’années. Même si les autres villageois avaient probablement déjà entendu cette histoire, ils écoutaient tout aussi attentivement que Carol.

« Les Dieux majeurs ont gagné et ont pris en charge le monde. Chaque Dieu a pris en charge la période pendant laquelle il a fait la plupart de son travail. Et c’est pourquoi nous avons sept Dieux majeurs responsables de leurs mois. »

« Mais qu’en est-il des Dieux qui ont perdu ? », demanda Carole.

« Les Dieux qui ont perdu sont devenus connus comme les Dieux corrompus. Ils ont été scellés au plus profond de la terre, mais ils vivent toujours, et leur pouvoir augmente toujours. Une fois par mois, ils donnent une partie de leur pouvoir aux monstres du monde, dans l’espoir de revenir à la surface un jour. On appelle ça le Jour de la Corruption. »

« C’est toujours le dernier jour du mois. C’est pourquoi il est si dangereux de sortir. Les monstres sont encore plus forts et plus vicieux ce jour-là », ajouta Chem.

L’explication terminée, les villageois s’étaient préparés à aller se coucher. Je ne savais pas exactement à quel point le dernier jour du mois serait dangereux, mais on n’était jamais trop préparé.

« Je suppose que cela explique toute l’angoisse dernièrement… »

J’avais cliqué sur l’un des calendriers de la grotte. Les jours correspondaient aux nôtres dans le monde réel. En vérifiant mon propre calendrier, j’avais vu qu’on était le 20 novembre, ce qui nous donnait dix jours avant la fin du mois. Il me semblait donc que le jeu était configuré pour avoir une grosse attaque de monstre par mois. Il était logique qu’un jeu fait avec autant de soin ait des événements spéciaux assez souvent. Même si je ne savais pas quelle serait l’ampleur de l’attaque ni quelle forme elle prendrait, je devais trouver un moyen d’aider mes villageois à se défendre.

***

Chapitre 4 : La journée des villageois et de leur Dieu inactif

Quand je m’étais réveillé et que j’avais ouvert mes rideaux, il faisait encore sombre dehors. L’horloge m’avait dit qu’il n’était que cinq heures du matin, ce qui était mon ancienne heure pour me coucher.

Je m’étais levé tôt aujourd’hui parce que j’avais un but. J’étais allé voir mes villageois et j’avais constaté qu’ils étaient tous encore endormis.

« On dirait que je suis le premier debout. Bien, tout se passe comme prévu. »

Même à six heures, quelqu’un était généralement debout et travaillait, mais je suppose qu’il était encore trop tôt, même pour mes villageois.

J’avais mis du temps à élaborer ce plan, et il était enfin temps de le mettre en pratique. Aujourd’hui, j’allais surveiller mes villageois pendant toute la journée… sans lever le petit doigt. Cela pouvait sembler être ce que je faisais tous les jours, mais je passais généralement beaucoup de temps à chercher des informations utiles sur mon deuxième ordinateur ou à lire mes livres. Mais même si je pouvais rattraper le retard pris dans les conversations plus tard, il n’y avait aucune information sauvegardée sur ce que mes personnages faisaient réellement pendant qu’ils parlaient. C’était pourquoi j’avais décidé de passer une journée entière à observer mes villageois et rien d’autre.

Lyra fut la première à se lever. Elle était sortie du lit sans faire de bruit pour ne pas réveiller Rodice et Carol, qui dormaient encore profondément. Elle prit une grande casserole dans la cuisine et la remplit avec l’eau de source qui coule à proximité.

« C’est tellement pratique d’avoir de l’eau fraîche juste ici. Cela rend les corvées tellement plus faciles ! »

Lyra sourit joyeusement en plongeant sa main dans le ruisseau. Alors qu’ils vivaient encore dans la charrette, elle avait dû marcher jusqu’à une rivière voisine, en faisant attention aux monstres sur son chemin. C’était clairement plus facile et plus sûr.

Et alors que Lyra commençait à préparer le petit-déjeuner avec des mains expérimentées, l’une des portes de la chambre s’était ouverte. C’était Chem.

« Bonjour, Lyra. »

Elle avait l’air remarquablement alerte pour quelqu’un qui venait de se réveiller, pas du tout léthargique. Elle était clairement matinale.

« Bonjour, Chem. J’ai tout sous contrôle ici si tu as besoin de plus de sommeil. »

« J’ai bien dormi, merci. S’il te plaît, laisse-moi t’aider. »

Elles commencèrent alors à cuisiner ensemble. Et malgré la différence d’âge, en raison de l’apparence jeune et à l’énergie de Lyra, elles ressemblaient à des sœurs. Lorsque la nourriture fut presque terminée, Chem prit un chiffon et un balai dans un coin de la grotte et commença à nettoyer ma statue en bois près de l’autel.

« Merci de veiller sur nous, Seigneur », avait-elle dit en travaillant.

Je pouvais voir à son expression que ce n’était pas une tâche routinière pour elle, elle exprimait sa gratitude du fond de son cœur. Je n’avais jamais vu quelqu’un nettoyer avec un sourire aussi authentique.

Alors que Lyra allait chercher la vaisselle dans un placard, d’autres villageois étaient sortis de leur chambre.

« Bonjour, maman ! Laisse-moi t’aider ! »

Bien que ses paroles soient gaies, Carol luttait encore pour enlever le sommeil de ses yeux. C’était adorable. C’était vraiment une bonne fille. À son âge, je dormais toujours jusqu’à ce que ma mère me réveille. Non seulement cela, mais elle proposait d’aider d’elle-même, ce que je n’avais jamais fait. Une partie de moi souhaitait pouvoir remonter le temps et montrer à ma jeune personne ce qu’était une enfant modèle.

Ils mangèrent ensuite sur une grande table en bois près du milieu de la grotte. C’était une chose simple, faite de quatre rondins tranchés dans le sens de la longueur et attachés pour former un plateau, mais elle était solide et assez utile. Elle avait été abandonnée par les mineurs. Rodice l’avait réparée et polie pour la rendre à nouveau utilisable.

Après avoir mis la nourriture sur la table, Carol passa la porte de la chambre que Gams et Chem partageaient. Gams était encore endormi à l’intérieur. Au lieu de faire irruption à l’intérieur, Carol sortit un petit miroir de sa poche et commença à étudier son apparence. Il semblerait que sa frange la dérangeait, car un instant plus tard, elle sortit une brosse et la peigna.

« Elle agit des fois comme une adolescente », avais-je fait remarquer.

Je pensais que son béguin était adorable, mais tout le monde n’était pas d’accord avec moi. Chem n’arrêtait pas de jeter des coups d’œil à Carol et de se renfrogner quand elle avait le dos tourné.

« Et elle agit aussi comme une enfant parfois. »

La tendance possessive de Chem s’étendait à toute personne vaguement féminine qui s’approchait de son frère, même un enfant. Je n’avais pas l’impression d’avoir une sœur jalouse, mais je ne pensais pas que je manquais quelque chose.

Finalement, Carol n’avait pas pu attendre plus longtemps.

« Gams ! C’est l’heure du petit déjeuner ! »

En regardant Carol, j’avais l’impression qu’elle appelait Gams aussi gentiment qu’elle le pouvait. Chem me donna raison en fronçant les sourcils. Lyra avait l’air un peu troublée par leur conflit, mais elle n’avait rien dit.

« Bonjour », dit Gams en sortant de sa chambre et en donnant à Carol la classique tape sur la tête.

Gams pourrait le faire, mais ça serait probablement effrayant si j’essayais. Sayuki aimait bien quand je lui tapotais la tête comme ça, mais aujourd’hui, elle me mordrait probablement le bras.

« Allez, Gams. Chem en veut un aussi. »

Chem regardait de loin, tapotant distraitement sa propre tête. Gams ne semblait pas la remarquer.

« Tu m’as oubliée, Carol ? », marmonna Rodice en dormant, tout en sortant de leur chambre.

« Oh, désolé ! »

« Ne t’inquiète pas pour ça », dit-il, bien que ses épaules s’affaissaient.

« Je dois aussi appeler Murus ! Murus ! Petit-déjeuner ! », cria Carol tout en se précipitant vers la porte du médecin.

« Merci. J’arrive tout de suite. »

Murus était sorti de sa chambre, se frottant la tête avec les yeux mi-clos. D’habitude, il était si bien organisé que ce Murus débraillé et endormi était tout le contraire de l’image qu’il donnait habituellement.

Mes villageois s’étaient assis pour prendre le petit déjeuner. Carol s’était glissée pour prendre sa place à côté de Gams. Chem étant bien sûr de l’autre côté. Rodice soupira à la vue de sa fille, tandis que Lyra lui massait doucement les épaules. Murus observait tout cela avec une lueur amusée dans l’œil.

Une fois le petit-déjeuner terminé, tout le monde se mit au travail. Gams et Murus partirent à la chasse. Ils ne cherchaient pas seulement de la nourriture, mais aussi d’éventuels monstres qui pourraient représenter une menace pour la grotte.

« Ça te dérange si on s’enfonce un peu plus dans la forêt ? », demanda Gams.

« Pas du tout, tant que nous n’allons pas trop loin. Il y a plusieurs zones dangereuses que même moi je ne connais pas », prévint Murus.

Gams passa plus de temps à tuer des monstres qu’à chasser pour se nourrir, probablement parce qu’il s’inquiétait de la prochaine Journée de la Corruption. J’étais un peu préoccupé par le fait qu’il prenait plus de responsabilités qu’il n’en avait besoin. Je m’étais demandé si je devais lui dire de ne pas être si dur envers lui-même dans la prochaine prophétie.

Les villageois restés à la grotte étaient également au travail. Lyra et Chem faisaient la vaisselle et quelques lessives. Rodice comptait leurs réserves de nourriture et prenait quelques notes sur un bout de papier.

« Maman ! Je veux faire la lessive de Gams ! », annonça Carol.

« Tu t’entraînes à être sa femme ? », répondit Lyra en souriant.

Carol se tortilla, gênée. Rodice lui sourit, mais son expression était un peu raide, et il y avait de la tristesse dans ses yeux. Je m’étais dit que n’importe quel père aurait du mal à penser à sa fille qui grandissait et tombait amoureuse.

« Et si tu faisais la lessive de tout le monde ? Chem a des choses qui ont besoin d’être lavées. », demanda Lyra.

« Hein ? Non ! »

Carol fit la moue devant l’injustice de cette demande.

La tension dans la relation entre Carol et Chem était évidente. Heureusement, Chem était en train d’étendre du linge à sécher, elle n’entendit donc pas Carol. Elle souriait en travaillant dans la lumière chaude du soleil. Elle étalait les vêtements fraîchement lavés sur le portemanteau en bois que Gams et Rodice avaient fabriqué. La voir travailler si paisiblement m’avait en quelque sorte apaisé. C’était comme si tout ce qui se trouvait à l’intérieur de la clôture en bois était piégé dans une bulle de paix, malgré les monstres qui rôdaient dans la forêt voisine. J’avais pourtant bien vu Gams et Murus se heurter à des monstres tous les jours. Même si tout semblait calme, les villageois ne pouvaient pas baisser la garde.

Tout comme dans le monde réel, les villageois prenaient trois repas par jour. Une fois la lessive terminée, c’était l’heure du déjeuner. Les femmes avaient préparé un repas, et les quatre villageois de la grotte mangèrent ensemble. Lyra avait donné à Gams et Murus des paniers-repas le matin, ils mangèrent donc dans la forêt. Gams avait rapidement grimpé dans un arbre pour vérifier que la voie était libre avant de se reposer. De là-haut, j’étais presque sûr qu’il pouvait voir la grotte. Ils ne s’étaient jamais aventurés si loin qu’ils ne pouvaient pas revenir en courant en cas d’urgence.

Je voulais vraiment qu’il y ait plus de monde dans mon village. Mes villageois étaient tellement occupés par leurs corvées qu’ils n’avaient pas le temps de travailler à leur expansion. Plus que tout, je voulais quelqu’un qui sache se battre. Avec Gams absent presque toute la journée, il n’y avait plus personne pour protéger la grotte. Mais j’avais décidé que les nouveaux arrivants pourraient attendre jusqu’à ce que nous ayons passé le Jour de la Corruption. Je devais préserver mes PdD jusqu’à ce que le danger soit passé.

Au coucher du soleil, Gams et Murus étaient retournés à la grotte. Ils avaient réussi à tuer du gibier. Gams s’était alors mis au travail afin de dépecer les carcasses et de pouvoir cuisiner la viande pour le dîner. Puisque tout le monde était ensemble, j’avais décidé d’envoyer la prophétie du jour. C’était quelque chose que j’avais récupéré sur un blog de psychologie, maintenant que le Jour de la Corruption approchait.

Ils semblaient impressionnés quand ils la lurent. Si seulement ils savaient que je l’avais juste copié et collé d’Internet.

Comme d’habitude, Carol et Chem eurent une petite dispute, et après le dîner, chacun était retourné dans sa chambre pour se détendre avant de se coucher. Ils dînaient toujours bien avant la tombée de la nuit, généralement une heure avant que ma famille ne prenne son repas.

« Yoshio ! Dîner ! », me dit ma mère.

J’avais décidé d’arrêter là mon observation. Il ne semblait pas que quelque chose d’intéressant allait se produire avant qu’ils ne dorment.

Je me demande ce qu’il y a pour le dîner ce soir…

La viande que mes villageois mangeaient avait l’air si bonne, j’espérais vraiment que maman ait cuisiné quelque chose qu’ils nous avaient envoyé. Et dès que je sentis cette odeur de gibier en descendant les escaliers, j’eus un sourire.

***

Chapitre 5 : Mes villageois enfermés et mes premiers pas à l’extérieur

Bien que mes villageois soient déjà endormis, je fixais l’écran, sans me sentir le moins du monde fatigué. Après les avoir regardés vivre toute une journée, ils me semblaient plus réels que jamais. Rodice et sa famille dormaient tous ensemble dans le même grand lit. Gams et Chem partageaient une chambre, mais elle dormait dans un lit tandis que lui dormait sur un tas de feuilles sèches sur le sol, gardé au chaud par une peau d’animal. Murus avait sa propre chambre, où il dormait paisiblement.

« Ils ne sont vraiment pas différents de nous », avais-je murmuré.

J’avais cessé d’essayer de savoir s’ils étaient vraiment le produit d’une IA complexe ou non, puisque le fait d’y penser ne me donnait aucune réponse. Pour l’instant, je devais me concentrer sur le développement du village et m’assurer qu’ils continuaient à m’envoyer des tas d’offrandes délicieuses.

« Dix jours avant l’attaque du monstre. »

Il y avait beaucoup de choses que je pouvais faire pour me préparer. La première était de trouver plus de villageois pour m’aider à me défendre contre une attaque. Pour l’instant, je pouvais m’en permettre un de plus avec mes PdD. Plus de combattants signifiaient des villageois plus en sécurité et moins de pression sur Gams. Le seul problème était que je n’avais aucune idée du genre de personne que serait ce nouveau guerrier. Avec des personnages aussi complexes, sa personnalité pourrait être problématique, et l’ajout d’une nouvelle personne pourrait provoquer des conflits et des querelles avant même que le Jour de la Corruption n’arrive. Je n’étais pas sûr de vouloir prendre ce risque.

Il y a déjà beaucoup d’armes, donc nous sommes bien à ce niveau… mais seuls Gams et Murus savent vraiment s’en servir. Je pourrais leur demander de construire un mur de pierre à l’extérieur de la clôture en bois… mais avec si peu de personnes, je doute qu’il soit prêt à temps.

Comme leur grotte avait été une mine, il y avait forcément de la pierre de bonne qualité. Encore une fois, mon problème était le manque de personnes. J’avais vérifié s’il y avait d’autres miracles utiles. L’un d’entre eux était relativement bon marché : il permettait de faire apparaître un groupe de mercenaires qui aideraient temporairement mes villageois à se battre. De même, il y en avait un autre qui faisait apparaître un groupe de chasseurs qui resteraient au village pendant trois jours. Ils aideraient probablement aussi à se défendre contre l’attaque.

En ce qui concernait les mercenaires, je m’inquiéterais à nouveau de leur personnalité — les mercenaires dans les romans ne sont généralement pas des types droits. Je ne voulais pas convoquer quelqu’un qui pourrait mettre mon village encore plus en danger. Dans la plupart des jeux, je n’avais pas à me préoccuper de savoir si mes personnages s’entendaient bien ou non. Et c’était en partie ce qui rendait le Village du Destin si intéressant. Bien que les problèmes posés par le jeu soient similaires à ceux des autres jeux, vous ne pouviez pas les aborder de la même manière. Vous ne pouviez pas non plus vous entraîner ni apprendre des stratégies infaillibles.

Il y avait une autre option : je pouvais invoquer ce golem qui me tapait dans l’œil. Comme je pouvais le contrôler directement, je pouvais l’utiliser là où il était le plus nécessaire. Je n’aurais pas non plus à m’inquiéter du fait qu’il se déchaîne sur mes villageois. Et comme j’étais presque sûr qu’il ne pouvait pas parler, il ne provoquera donc pas de querelles. Mais je n’avais même pas la moitié des points dont j’aurais eu besoin pour l’acheter.

J’aurais bien acheté plus de PdD, mais je n’avais plus d’économies. J’avais quelques centaines de yens, mais ce n’était qu’une goutte d’eau dans l’océan par rapport à ce dont j’avais besoin.

J’avais regardé mes étagères, qui étaient vides de mangas et de LN. Je n’avais également plus de prix à vendre aux enchères. Mes seules autres possessions étaient mon deuxième ordinateur et mon équipement d’haltérophilie. Rien qui puisse se vendre à un prix élevé.

Peut-être que je pourrais emprunter de l’argent à maman et papa…

J’avais immédiatement écarté cette idée. Je venais juste de commencer à rétablir ma relation avec eux, et je ne voulais pas gâcher ça maintenant.

« Vous pourriez me prêter de l’argent pour un jeu en ligne ? »

Oui, si je leur demandais ça, ils me diraient de faire mes valises sur-le-champ.

Peut-être que je devrais demander à Sayu…

Je n’avais même pas pris la peine de terminer cette pensée.

Et si je pouvais vendre certaines des offrandes de mes villageois… Les gens seraient probablement trop méfiants pour acheter les fruits, mais peut-être que quelqu’un voudrait les bûches. J’avais rapidement cherché comment vendre du bois en ligne. Il semblerait que je n’avais pas besoin d’une licence. Peut-être que je pourrais les utiliser pour construire quelque chose et ensuite le vendre…

C’était une excellente idée en théorie, mais je ne savais même pas comment faire des planches, et encore moins comment travailler le bois. Et même si je le faisais, il n’y avait aucune garantie que je le vende et que je sois payé dans le délai de dix jours. J’avais soupiré. Je n’avais pas d’autre choix que d’abandonner le jeu, mais la culpabilité me rongerait. J’étais devenu plus émotif ces derniers temps, à tel point que même un épisode sentimental d’anime pouvait m’étouffer. L’idée d’abandonner mon petit village était trop fort pour moi.

J’avais alors réalisé qu’il y avait une autre option, un moyen d’obtenir de l’argent que j’avais essayé d’ignorer pendant tout ce temps. Je m’étais tourné vers mon deuxième PC et j’avais ouvert un site d’offres d’emploi. Je pourrais prendre un emploi à temps partiel pendant un certain temps et gagner de l’argent de cette façon. Simple, non ? Pour la plupart des gens, du moins… mais je n’avais jamais travaillé de ma vie. Je n’avais pas eu de travail à temps partiel quand j’étais étudiant. Je n’avais même jamais eu à étudier à la maison. J’avais bien passé des entretiens pour quelques emplois à temps partiel quand j’étais à l’université, mais je m’étais planté, car j’étais trop nerveux et je n’avais jamais eu d’offre.

Est-ce que c’était vraiment les nerfs ? Ou, avais-je l’impression que ce travail trop minable pour moi ? J’avais la même attitude lorsque j’avais commencé à postuler pour de vrais emplois. Je n’avais postulé qu’à des postes exigeants des étudiants des meilleures écoles, avec des salaires élevés. Et nous avions tous vu comment cela avait fonctionné pour moi.

J’avais postulé à des emplois qui recherchaient les meilleurs des meilleurs, encore et encore. Et j’avais raté les entretiens tout autant. Au cours des dix dernières années, l’idée de chercher du travail m’avait traversé l’esprit plusieurs fois, ne serait-ce qu’un emploi à temps partiel. Mais j’avais toujours trop peur que les gens pensent que j’étais pathétique, travaillant à temps partiel à mon âge.

Mais le fait que je n’aie jamais rien accompli par moi-même n’était-il pas le plus pathétique ? Mes parents avaient postulé pour toutes les écoles que j’avais fréquentées, y compris mon université. Même certains de mes entretiens après l’obtention de mon diplôme avaient été obtenus grâce aux relations de mon père. J’avais tellement peur que mes efforts soient vains que j’avais fini par perdre dix ans de ma vie. J’avais réalisé à quel point cette façon de penser était erronée qu’il y a peu de temps. Pendant toutes ces années, je m’étais menti à moi-même, prétendant que c’était le choc de tous ces entretiens ratés qui avait causé mon isolement. Mais j’étais au chômage et j’avais la trentaine. Je ne méritais pas le sentiment du devoir que je ressentais. J’avais été tellement stupide. Je m’étais toujours dit que je pourrais réessayer demain, mais quand demain est devenu aujourd’hui, je n’avais jamais agi. Même quand ma mère m’encourageait, quand mon père se fâchait contre moi, quand Sayuki se moquait de moi, je restais inactif. Mais ce jeu était ma chance de faire enfin la différence, peut-être ma dernière chance. Si je ne pouvais pas me résoudre à travailler pour mes villageois, cela pourrait être ma vie jusqu’à ma mort.

« Je me suis promis que j’allais changer ! Je veux changer ! »

Il était donc maintenant temps de le faire réellement. D’une main tremblante, j’avais commencé à faire défiler les offres d’emploi à court terme. Et si je ne faisais pas la fine bouche, il y avait beaucoup de postes disponibles. J’avais cliqué dessus pour voir si j’étais qualifié pour l’un d’entre eux. Ce que je voulais vraiment, c’était quelque chose que je pouvais commencer tout de suite et finir à la fin du mois, afin de pouvoir me permettre de garder mes villageois en sécurité pendant ce dernier jour.

Il n’y avait pas beaucoup de travail administratif, et beaucoup des emplois qui semblaient tentants demandaient plus d’expérience que ce que je pouvais offrir. Même les postes à court terme dans les magasins de proximité exigent six mois d’expérience. Mais ces postes ne m’auraient de toute façon pas convenu. Les seules personnes à qui je parlais étaient ma famille, et je pouvais à peine tenir une conversation avec eux, je ne me sentais donc pas vraiment qualifié pour travailler au contact de la clientèle. Il y avait aussi quelques emplois dans le domaine de la construction qui annonçaient un travail quotidien, mais je ne savais pas si je pouvais faire ça non plus. La construction n’était-elle pas censée être super dure et stressante ?

J’avais pensé à abandonner sur le champ… mais il ne me restait plus beaucoup de temps. Je devais juste choisir quelque chose qui me tienne jusqu’à la fin du mois. J’avais essayé de penser qu’il pouvait y avoir quelque chose dans notre quartier, mais je n’avais pas trouvé grand-chose. C’était trop rural, et j’avais besoin d’une mobylette ou d’une voiture pour me déplacer. Je n’avais le permis pour aucun des deux. Mon manque d’effort des dix dernières années me rattrapait de bien des façons. Peut-être que l’un des magazines locaux gratuits proposait des offres d’emploi, il fallait juste le découvrir. Je m’étais habillé et j’avais descendu les escaliers.

« Tu sors encore ? », demanda maman, surprise.

« Oui. Je reviendrai plus tard. »

En quittant la maison, j’avais enfourché mon vélo.

« Contente-toi de pédaler. Ne pense pas. Ne t’inquiète pas. Contente-toi de pédaler. », avais-je marmonné dans mon souffle.

Je ne pouvais pas m’arrêter. Si je m’arrêtais, mon cerveau trouverait un million d’excuses. J’avais ignoré les regards des voisins qui m’entouraient. Qu’ils parlent de moi s’ils le voulaient. Je m’en fichais.

*****

J’avais récupéré des magazines locaux gratuits à la librairie et au magasin de proximité. J’avais également acheté des formulaires de CV vierges. Je savais que j’en avais chez moi depuis des années, mais qui sait où je les avais mis. J’avais l’habitude d’acheter de nouveaux formulaires et de ne jamais les utiliser. En arrivant à la maison, j’étais tombé sur maman, qui était sortie faire des courses. J’avais remarqué qu’elle avait écarquillé les yeux en voyant les magazines que je tenais dans ma main, mais je m’étais empressé de la dépasser et de monter les escaliers.

La première chose que j’avais faite fut d’entourer tous les emplois qui correspondaient à mes qualifications. Une fois que j’eusse fini, j’étais retourné sur Internet. Cette fois, je voulais découvrir quels types d’emplois convenaient aux personnes ayant de faibles compétences sociales.

« Yoshio ! Dîner ! »

L’appel de maman me fit sursauter. Je n’avais pas réalisé qu’il était déjà si tard. Je devais être vraiment concentré. Je devais encore rédiger un CV pour les emplois qui m’intéressaient. Je pourrais le faire après le dîner.

Quand j’étais descendu, j’avais trouvé les trois autres membres de ma famille à table. Ma sœur était en tailleur, elle devait revenir du travail.

« Tu es à la maison », ai-je dit.

« Tu aimerais que je ne le sois pas ? »

Sa réponse était aussi cinglante que d’habitude.

Je me souvenais encore de l’époque où elle était petite et me disait qu’elle m’épouserait quand elle serait plus grande. Cette époque était révolue depuis longtemps.

« Bien sûr que non. Bienvenue. »

Sayuki fit une pause : « Merci. »

Ma sœur avait l’air surprise par le fait que je me comportais pour une fois comme un être humain normal. Je ne pouvais pas lui en vouloir. D’habitude, je me contentais de marmonner quelque chose d’amer ou de m’enfuir et de me cacher dans ma chambre. J’avais toujours trop honte pour avoir une conversation normale avec elle.

J’avais pris mon siège. Sayuki était sortie brièvement pour se changer avant de revenir à table. Elle ne cessait de jeter des regards dans ma direction, se demandant probablement pourquoi j’avais décidé de manger en famille pour la première fois depuis si longtemps.

« Est-ce que nous célébrons quelque chose, maman ? Le dîner semble plus sophistiqué que d’habitude. », demanda Sayuki.

Je ne l’avais pas remarqué avant que Sayuki ne le dise. Non seulement il y avait plus de plats que d’habitude, mais ils étaient tous complexes et prenaient du temps. Après avoir étudié la cuisine, j’avais été capable de porter un tel jugement.

« C’est parce que Yoshio a commencé à chercher un emploi ! », dit maman en souriant.

Je m’étais étouffé avec mon thé.

« Oh ? »

Papa leva un seul sourcil.

« Huh. Il était temps… »

Sayuki me regardait, mais il n’y avait aucune malice dans ses yeux. Je pouvais sentir mes entrailles se tortiller sous leurs regards.

« Je cherche seulement quelque chose de courte durée au début. J’ai besoin d’argent. »

« La raison n’a pas d’importance. C’est une bonne chose à faire. »

Je m’étais figé. Mon père avait-il vraiment dit ça ? Je m’attendais à ce qu’il soit en colère parce que je ne cherchais pas un emploi à plein temps.

« Tu sembles différent ces derniers temps, Oniichan. Tu as quoi, une petite amie ? », dit Sayuki

« Ne sois pas stupide. Il n’a pas pu avoir de petite amie. »

J’avais balayé la remarque de maman : Sayuki m’avait appelé Oniichan. Je ne me souvenais pas de la dernière fois qu’elle s’était adressée à moi autrement que par « Oh » ou « Dégage de mon chemin ». Et alors que je la fixais avec surprise, celle-ci détourna son regard. Peut-être que c’était juste un lapsus.

« Est-ce que ça a un rapport avec le village qui continue à nous envoyer des cadeaux ? »

Même si papa gardait habituellement ses pensées pour lui, il pouvait être très perspicace.

« En quelque sorte, oui. Je sais que je les aide, mais le fait qu’ils m’envoient tous ces trucs me fait sentir mal. Je veux faire quelque chose de plus pour eux que juste leur donner des conseils. »

Ce n’était pas vraiment un mensonge…

« C’est quoi cette histoire de village ? Je n’ai rien entendu à ce sujet. », demanda Sayuki tout en se penchant en avant sur la table.

« Ne fais pas ça pendant que nous mangeons et mange ta nourriture tant qu’elle est chaude. Laisse-moi te raconter tout ça », dit maman en donnant à Sayuki une légère tape sur la tête.

Sayuki fronça les sourcils, mais fit ce qu’on lui a dit. Maman semblait si heureuse que j’ai décidé de lui laisser l’explication.

***

Chapitre 6 : Village en danger et nerfs à vif

Papa aimait s’asseoir dans le jardin après le dîner. Un soir, je l’avais rejoint, regardant le ciel nocturne.

« Alors, tu as trouvé un travail ? »

« Pas encore. Il y en a trois qui m’intéressent, je vais leur téléphoner demain. »

« Tous à court terme ? »

« Oui. Le village a besoin de quelque chose à la fin du mois, alors je pensais commencer à travailler le plus tôt possible pour finir d’ici là. »

« Le plus tôt possible… tu avais l’habitude de toujours dire que tu ferais les choses demain, puis de te mettre en colère. », murmura mon père.

« Je le pense vraiment. Je veux sérieusement travailler cette fois. »

« Quel genre de travail cherches-tu ? », demanda papa.

« Eh bien, je veux me dépasser, mais je ne sais pas si je pourrais m’occuper de quelque chose en contact avec la clientèle. Ça donnerait probablement une mauvaise image de l’endroit si je travaillais là-bas. Donc je pensais à un truc de type travail manuel. Je ne dis pas que c’est un travail facile, mais j’ai l’impression que c’est un moyen de me rendre utile. »

« Écoute, si tu es sérieux, je peux demander à une de mes connaissances. »

J’avais hésité. J’étais reconnaissant de son offre, mais je craignais que si je me laissais à nouveau compter sur quelqu’un d’autre, cela ne se transforme qu’en de nouvelles excuses.

Papa me regarda alors droit dans les yeux : « Yoshio. Peu importe l’âge que tu auras. Je serai toujours ton père. Tu n’as pas à avoir honte de prendre mon aide, et cela ne voudra pas dire que tu n’as pas atteint cet objectif par toi-même. Si tu as un but, alors c’est la responsabilité de ta famille de t’aider à l’atteindre. Être adulte, c’est reconnaître ça. »

J’avais eu l’impression qu’il voulait m’aider. Pour une raison quelconque, ça m’avait rappelé Rodice surveillant Carol. C’était une enfant indépendante, mais Rodice veillait toujours sur elle et semblait aimer qu’elle se repose sur lui. Peut-être que lui et mon père n’étaient pas si différents.

« Dans ce cas… oui, s’il te plaît », avais-je dit.

Je crois que c’était la première fois en dix ans que je demandais de l’aide à mon père.

« Donne-moi un moment. »

Papa sortit un téléphone portable qui semblait dater du siècle dernier. Il entra dans le salon et passa un appel.

Je ne pouvais plus trouver d’excuses maintenant. Il n’y avait aucune chance que je laisse tomber papa, pas encore. Pourtant, mon cœur battait la chamade, et la sueur coulait dans mon dos. La seule pensée de travailler me faisait paniquer.

« Yoshio. As-tu des vêtements dans lesquels il est facile de bouger ? », demanda papa tout en passant sa tête à l’extérieur.

« Euh, oui, j’ai un maillot. »

« Très bien. Change-toi et descends. »

On dirait qu’il avait réussi à me décrocher un entretien.

« Je n’ai pas encore rédigé mon CV… »

« Ça n’a pas d’importance. Je connais le gars, donc tu pourras régler ça plus tard. »

C’était donc vraiment un entretien. J’étais peut-être censé passer un test physique, c’était pourquoi j’avais dû me changer.

J’avais couru à la salle de bain pour me raser. Je ne pouvais pas aller à un entretien avec mon visage dans cet état. Et dès que j’avais fini avec ça, j’étais retourné dans ma chambre et j’avais sorti un maillot.

Mes mains tremblaient. J’avais passé toute la journée à chercher du travail. Le fait d’avoir eu un entretien aurait dû me rendre heureux ! Je me rappelais encore avoir fondu en larmes en regardant Gams et Chem ensemble. Était-ce juste un moment de faiblesse ? Quand j’avais dit que je voulais changer, est-ce que je le pensais vraiment ?

J’avais jeté un coup d’œil à l’écran de mon ordinateur. Chem et Gams inspectaient la clôture pour voir si elle était endommagée. Carol faisait la sieste pendant que sa mère vérifiait les réserves de nourriture, et Rodice effectuait quelques réparations.

Mes villageois travaillaient si dur, alors que leur Dieu était trop lâche pour aller travailler. Je ne pouvais pas les laisser tomber.

Merci à tous…

Regarder mes villageois m’avait donné le courage dont j’avais besoin. J’avais secoué la tête pour calmer ma nervosité.

« Je vous verrai plus tard. »

Changé, j’avais fermé la porte de la chambre derrière moi.

*****

Papa m’attendait devant la porte d’entrée.

« Quel genre de travail est-ce ? », avais-je demandé.

« C’est une entreprise de nettoyage. Ils ont besoin de plus de personnes pour aider à nettoyer les supermarchés pendant la nuit. Leur employé à temps partiel a démissionné récemment, alors ils étaient plus qu’heureux de te prendre. »

J’avais repensé à l’entreprise qui avait viré mon collège. Je m’étais souvenu des machines high-tech qu’ils avaient, comme celle avec les brosses tournantes et l’aspirateur géant.

Nous étions arrivés devant un petit supermarché. On était après la fermeture, mais toutes les lumières étaient allumées.

C’était le point de non-retour. Au moment où je sortirais de cette voiture, il n’y aurait pas de retour en arrière. Mais il était encore temps de demander à papa de me ramener à la maison, de lui dire que je ne voulais pas faire ça.

C’était ma chance de changer, pour mes villageois et pour moi.

Alors que papa et moi marchions vers le supermarché, j’entendais toutes sortes de bruits mécaniques provenant de l’intérieur. Un grand homme était sorti pour nous accueillir.

« Merci beaucoup d’être venus ! Tu as l’air assez fort, c’est génial ! »

Il m’avait donné un coup sur l’épaule. La puissance de sa main me fit me demander pourquoi cet homme n’était pas dans les montagnes à chasser le carcajou.

« Je vais faire de mon mieux. »

« Prends bien soin de lui », dit papa tout en se retournant pour partir.

Une petite voix dans ma tête me disait d’aller avec lui. Mais je ne pouvais pas. Papa s’était donné la peine d’organiser tout ça pour moi. Je ne pouvais pas le décevoir maintenant.

« Ne sois pas si nerveux ! Fais juste ce que je te dis. En fait, c’est moi qui dirige cette entreprise. S’il y a quelque chose que tu ne sais pas faire, ou si tu as des questions, demande-le à moi ou à l’un des deux autres là-bas. Personne ne sait jamais quand on débute, je préfère donc que tu me demandes tout ! »

Il appela alors les autres nettoyeurs : « Hé, les gars ! On a un nouveau qui travaille avec nous aujourd’hui. Soyez gentils avec lui, d’accord ? »

Il semblait être une personne vraiment gentille, mais j’avais du mal à croire que quelqu’un comme lui dirigeait sa propre entreprise.

Je ne devrais probablement pas le juger si durement pour mon premier jour.

Je ne travaillais que pour pouvoir verser de l’argent dans un jeu en ligne, ce qui était une raison plutôt pathétique. Je ne devrais pas juger qui que ce soit.

Les deux personnes auxquelles il avait fait signe, un homme et une femme, étaient venues me saluer.

« Salut toi. Tu ne travailles ici que jusqu’à la fin du mois, n’est-ce pas ? C’est sympa de te rencontrer ! »

« Tu es plutôt grand ! Tu peux nettoyer les fluorescents. »

Ils avaient tous les deux l’air d’avoir mon âge, ou peut-être un peu plus ce qui était franchement un petit soulagement. Ce serait difficile d’avoir des personnes plus jeunes s’occupant de moi. La différence d’âge pourrait les amener à me traiter différemment. Ces deux-là semblaient gentils et avaient clairement de meilleures compétences sociales que moi. Même s’ils étaient tous les deux en uniforme pour le moment, j’avais l’impression qu’ils étaient aussi mieux habillés que moi. Mais ce n’était pas le moment d’agir comme si j’avais le droit de me vanter. Je devais m’y mettre et travailler dur, comme les villageois.

J’avais pris une grande inspiration et j’avais regardé les deux personnes en face de moi.

« Je ferai de mon mieux », avais-je promis tout en m’inclinant.

*****

« Tu peux donc revenir demain, hein ? »

« Oui. »

« Super ! Ce sera encore un autre travail de nuit, tu auras donc les mêmes horaires qu’aujourd’hui… Quoique je suppose que c’était hier maintenant, techniquement. Quoi qu’il en soit, je viendrai te chercher à huit heures. Bon travail aujourd’hui. »

« Merci. À demain. »

« À demain ! »

Le patron m’avait déposé devant chez moi. J’avais réussi à passer la nuit. Quand le stress commençait à me submerger, j’imaginais mes villageois. Le patron et mes collègues étaient très gentils, ce qui me mettait à l’aise. Et pour le travail manuel, mon manque d’expérience n’était pas un problème aussi important que je le pensais. C’était le genre de travail que tout le monde pouvait faire assez facilement. Et si j’avais vraiment fait des recherches sur le travail et gardé l’esprit ouvert, je m’en serais rendu compte plus tôt.

Après avoir salué la voiture de mon patron pendant qu’il s’éloignait, j’étais entré tranquillement. Il était trois heures du matin, et tout le monde dormait.

Nettoyer un supermarché était un travail très physique. Et même s’il était facile à apprendre, c’était un travail dur et exigeant, et j’étais trempé de sueur. J’avais envie de décoller le maillot de mon dos collant et d’entrer dans le bain le plus vite possible.

« Je suppose que le nettoyage est un travail plus difficile que je ne le pensais. »

J’avais passé toute la nuit à pousser une grande machine de type aspirateur qui aspirait le gravier et l’eau sale, et maintenant mes bras et mes cuisses étaient endoloris. J’avais également lavé le matériel de nettoyage une fois que nous en avions eu terminé. J’étais presque sûr que le patron me donnait les tâches les plus faciles vu que j’étais nouveau. Ils auraient probablement pu faire tout ce que je faisais cent fois plus vite et mieux, mais j’avais quand même fait ma part. Ça devait faire des années que je n’avais pas autant bougé, mais ça faisait du bien. J’avais travaillé, et j’étais fier de pouvoir le dire.

J’avais allumé dans le salon. Il y avait quelque chose sur la table à manger. C’était une boule de riz, des saucisses et une petite omelette. Il y avait aussi une note.

« Bien joué au travail. J’ai pensé que tu avais peut-être faim, alors je t’ai préparé à manger », avais-je lu à haute voix.

Et bien que maman ait étudié la calligraphie et que son écriture soit généralement parfaite, cette fois-ci, elle était un peu désordonnée, comme si elle avait écrit la note à la hâte. L’omelette et la boule de riz n’étaient pas non plus aussi soignées que ce à quoi j’étais habitué de sa part. Elle était probablement endormie quand elle les avait faits.

Je m’étais assis et j’avais déballé mon repas. Il était encore un peu chaud. J’avais d’abord pris une bouchée de la boule de riz.

« Je ne savais pas que la nourriture pouvait avoir aussi bon goût… »

Après avoir fini mon repas, je m’étais dirigé vers le bain. Je n’avais réalisé qu’il faisait encore chaud là-dedans que lorsque j’étais à poil. Il faisait si froid dehors que j’étais habitué à ce que la salle de bain soit gelée à cette heure de la nuit. J’avais enlevé le couvercle de la baignoire pour découvrir qu’elle était encore remplie d’eau à la bonne température…

« C’est trop propre pour être utilisé… »

Maman avait dû la nettoyer et la remplir pour moi.

« Merci », avais-je dit devant le bain en lieu et place de maman.

***

Chapitre 7 : Homme suspect et muscles endoloris

Quand je m’étais réveillé, il était déjà midi. Je ne m’étais pas réveillé aussi tard depuis longtemps et j’avais dormi comme un loir, sans faire de rêve. Lorsque je m’étirais, mes bras et mes cuisses se contractaient douloureusement en signe de protestation.

Tout mon corps me faisait mal, mais mes cuisses étaient particulièrement douloureuses. Quand je faisais de la musculation, je travaillais rarement les jambes, et j’en payais le prix maintenant. J’avais essayé de me lever, mais je m’étais effondré instantanément comme un bébé cerf. Abandonnant, je m’étais mis à ramper maladroitement. J’avais réussi à atteindre mon ordinateur pour prendre des nouvelles de mes villageois.

« Je me demande si quelque chose est arrivé pendant mon absence… »

J’avais fait défiler l’historique. Au début, tout semblait normal, mais j’avais trouvé ensuite quelque chose d’inhabituel. Quelqu’un avait parlé aux premières heures du matin, alors que personne d’autre n’était réveillé.

« Je n’ai rien vu de suspect jusqu’à présent. Je suis sûr que ce ne sont que des réfugiés. Oui. Je vais jeter un coup d’œil et je reviens. »

Ça ressemblait à une conversation, pas à quelque chose que quelqu’un se murmurerait à lui-même. J’aurais aimé voir ce qui s’était passé, mais tout ce que j’avais était le texte retranscrit.

« Je suis sûr que le Jour de la Corruption les éliminera tous sans notre aide, tout comme la dernière bande d’humains et ces nains répugnants qui se sont installés ici. »

Je ne savais pas qu’il y avait des nains dans ce monde, mais c’était une race de base dans la fantasy…

« Je suis légèrement inquiet au sujet des bénédictions qu’ils reçoivent du Dieu du Destin. Si nous nous en mêlons, nous pouvons invoquer sa colère. C’est pourquoi je pense que nous devrions nous en tenir à l’observation… Oui. Je comprends. Ceux qui empiètent sur notre terre sainte doivent faire face au jugement du Dieu des Plantes. »

Ça devait être Murus. C’était la seule personne qui connaissait la forêt et qui était assez proche de mes villageois pour les observer. Il n’était donc pas le médecin serviable qu’il semblait être. D’après ce que j’avais entendu, il appartenait à un groupe qui vivait déjà à proximité et qui se méfiait de mes villageois. Était-ce pour cela que je ne pouvais pas voir sa biographie comme les autres personnages ? Après avoir passé si longtemps à apprendre à le connaître, sa trahison me fit mal.

« Au moins, je suis content qu’ils m’aient. »

Heureusement, il semblerait qu’il ne prévoyait pas d’agir contre mon village. Si ce n’était pas à cause de moi, le Dieu du Destin, peut-être que Murus n’aurait pas si peur de leur faire quelque chose. Ce qui m’inquiétait, c’était que j’avais compté sur lui pour protéger mes villageois durant le Jour de la Corruption. Si je ne pouvais pas compter sur lui, alors Gams était le seul villageois apte au combat.

Je voulais trouver une solution tout de suite, mais je m’étais réveillé affamé. Il valait mieux manger quelque chose d’abord afin que mon cerveau puisse travailler à plein régime.

Et quand j’étais descendu, j’avais trouvé maman en train de faire la vaisselle.

« Oh, tu es réveillé ! Je vais te réchauffer ton déjeuner. »

« Ne t’inquiète pas. Je vais le faire moi-même. »

Le déjeuner était constitué des restes du dîner d’hier soir et d’une soupe. Maman avait fini de faire la vaisselle et s’était assise en face de moi pendant que je mangeais.

« Comment était le travail ? »

« Tout le monde est très gentil. Je dois aussi travailler ce soir. À la même heure. »

« Oh, vraiment ? C’est bien. »

Maman m’avait souri.

Cela faisait des années qu’elle n’avait pas semblé aussi heureuse. Pourtant, le fait qu’elle me félicite pour quelque chose que la plupart des gens faisaient quotidiennement et sans arrière-pensée me mettait mal à l’aise.

« Comment était la nourriture que je t’ai laissée ? », avait-elle demandé.

« Oh, hum… c’était super. Er… Um… Merci », avais-je réussi à dire.

Non seulement mes villageois s’entraidaient, mais ils étaient aussi très reconnaissants, ce qui contribuait au bon fonctionnement de leurs relations. Je voulais suivre leur exemple.

« Il n’y a pas de quoi. Tous ces changements sont vraiment bien, Yoshio. »

« Oui… »

Je m’étais levé et je m’étais précipité dans ma chambre, incapable de supporter davantage cette gêne.

J’allais retourner au lit et reposer mes muscles avant de travailler, mais je m’étais assis devant mon ordinateur sans réfléchir.

« Huh. Je suppose que je suis en mode pilote automatique. »

De toute façon, il était temps de prendre les choses au sérieux avec mon village. Je ne pouvais pas rester assis à les regarder comme je le faisais habituellement. Je devais garder un œil sur Murus. J’avais envisagé de lui faire savoir que j’étais après lui dans la prophétie quotidienne, mais je devais faire attention à dire quelque chose que lui seul pourrait comprendre, pour ne pas alarmer mes villageois. J’avais brièvement pensé à leur dire directement que Murus n’était pas de leur côté, mais j’avais décidé de ne pas le faire. Ils avaient déjà assez de soucis. De plus, je ne voulais pas non plus qu’il s’enfuie. Il était encore précieux lorsqu’il s’agissait de garder mon peuple en sécurité et de le nourrir.

*****

J’avais enfin fini d’écrire ma prophétie. Les villageois étaient tous réunis et venaient de déjeuner, il n’y avait donc pas de meilleur moment pour l’envoyer.

Chem avait rapidement avalé sa dernière bouchée de nourriture.

« Regardez, tout le monde ! La prophétie du jour est arrivée ! »

Oups. Je n’avais pas réalisé qu’elle était encore en train de manger.

« Je sais que vous êtes tous inquiets à propos du Jour de la Corruption, mais s’il vous plaît, restez forts. J’ai encore assez de pouvoir pour accomplir quelques miracles. N’oubliez pas que vous êtes sous ma protection. Et si quelqu’un ose vous faire du mal, il subira ma colère. N’oubliez pas ça. »

Chem avait lu mon message. Et pendant qu’elle le faisait, j’avais gardé un œil sur Murus, et je n’avais pas manqué le changement d’expression de son visage : ses yeux allaient et venaient, paniqués. Il avait peur ! Il ne tenterait plus rien maintenant.

« Nous allons nous en sortir. Le Seigneur veille sur nous. Mais cela ne veut pas dire que nous pouvons nous relâcher ! Le Seigneur ne récompense pas les paresseux ! Nous devons encore faire de notre mieux. », dit Gams.

Allez, Gams, ne vas-tu pas un peu trop loin là…

Je savais déjà que je ne méritais pas d’être le Dieu de quoi que ce soit, sauf peut-être de la Paresse.

Quoi qu’il en soit, maintenant que j’avais réglé la situation de Murus, il était temps de se concentrer sur le plan de survie pour le Jour de la Corruption. Tout d’abord, je devais continuer à travailler pour pouvoir m’offrir plus de PdD. J’étais payé à l’heure, je ne savais donc pas combien je pouvais espérer gagner, mais j’estimais que je rapporterais environ 30 000 yens.

Mes yeux étaient alors tombés sur un paquet dans le coin de ma chambre. Il était arrivé pendant que je dormais. Je l’avais ouvert pour trouver un petit caillou très rond.

« Je parie que tu as passé des heures à le choisir pour moi, hein, Carol ? »

Je savais que ce n’était qu’un caillou, mais je n’avais pas pu m’empêcher de sourire en le tenant dans ma paume.

Mes villageois pensaient qu’ils ne pouvaient m’envoyer qu’une offrande par jour, mais en réalité, ils pouvaient en envoyer jusqu’à deux. Carol utilisait l’un de ces « créneaux » en copiant les adultes et en déposant sa propre offrande sur l’autel. Ses cadeaux étaient généralement des cailloux dont elle aimait la forme ou de petites fleurs blanches. Parfois, j’avais même droit à une motte de terre. Dernièrement, elle avait commencé à m’envoyer de petites sculptures en bois, un talent qu’elle avait acquis en regardant Chem et Gams fabriquer ma statue. Je pensais que c’était censé être des poupées, mais ce n’était pas très clair. Elles étaient de mieux en mieux, et j’avais toujours hâte de voir quel genre de création elle m’enverrait ensuite. Cela ne m’empêchait cependant pas de m’inquiéter chaque fois qu’elle prenait le couteau à découper.

J’avais posé le galet sur l’étagère où je rangeais mes mangas et mes LN. Ses objets en bois étaient aussi là. N’importe qui d’autre aurait probablement pensé que j’étais fou de garder ces choses, mais pour moi et Carol, c’était des trésors rares.

Je savais que ce n’était probablement pas de vrais cadeaux. Même si un enfant les avait faits, c’était probablement un des enfants des développeurs. Mais je voulais croire qu’ils étaient réels, aussi pathétique que cela puisse être.

« Je sais qu’elle n’est pas réelle… »

Avec mon nouveau caillou sur l’étagère, j’avais étiré mes membres et laissé échapper un bâillement. Bon sang, j’étais endolori.

« Je crois que c’est l’heure de la sieste. J’espère juste que mes membres iront mieux quand je me réveillerai. »

Rien que le fait de me lever de ma chaise provoqua une douleur lancinante dans mes muscles. Je n’étais pas aussi nerveux à l’idée de travailler qu’hier soir, probablement parce que je savais à quoi m’attendre. Jusqu’à présent, l’idée même de travailler m’avait donné la nausée. Pourtant, j’étais là, presque impatient de le faire. Je pourrais aider quelqu’un et gagner de l’argent en le faisant. Mais surtout, je pourrais faire sourire maman.

*****

Ce soir-là, je travaillais avec les deux mêmes collègues que la veille. Pendant la pause, notre patron nous avait raconté qu’il travaillait pour une grande entreprise de nettoyage, mais qu’elle payait mal et traitait ses employés comme de la merde. Alors, il y a dix ans, il avait pris tout ce qu’il avait appris et créa sa propre entreprise. Quand il y avait beaucoup de travail, il demandait à d’autres petites entreprises de nettoyage de prêter certains de leurs employés ou d’engager des travailleurs temporaires comme moi.

« Et tu deviens déjà très bon dans ce domaine », m’avait dit mon patron costaud.

Je n’utilisais l’aspirateur que pour aspirer l’eau sale, mais j’avais apprécié les compliments.

« D-D’accord », avais-je dit.

« Pas besoin d’être si nerveux ! Je sais que c’est seulement ton deuxième jour, mais tu te débrouilles bien… »

« Merci ! »

J’avais affiché un sourire, en espérant qu’il ne penserait pas que je me moque de lui.

Avec mes compétences sociales limitées, je ne savais pas trop comment agir. J’avais essayé de me rappeler comment j’étais à l’université, mais ces souvenirs s’étaient estompés au cours des dix dernières années. Cela faisait longtemps que je n’avais pas interagi avec des gens en dehors de ma famille.

« Ces jours-ci, mes employés sont vraiment très gentils. Et même s’ils ont l’air d’une bande de bons à rien, ce sont tous d’excellents travailleurs. »

J’avais suivi le regard du patron pour voir un de mes nouveaux collègues, en plein travail. Il s’était teint les cheveux en brun clair et n’avait pas l’air d’un type qui prenait le travail au sérieux. Mais quand je l’avais regardé travailler, j’avais pu voir avec quelle efficacité il s’attaquait à la tâche à accomplir.

« La meilleure chose que tu puisses faire est de prendre le travail au sérieux. Fais ça, et personne ne pourra t’en demander plus. »

« Merci ! »

Ses mots m’avaient vraiment touché, et ma réponse était sortie un peu plus fortement que je ne le voulais.

« Eh bien, je suis content que tu t’amuses ! »

« Hé, patron ! Arrêtez de tuer le temps avec le nouveau et venez nous aider ! Et Yoshio-kun, ne sois pas trop enthousiaste ! Tu ne veux pas t’épuiser ! »

« Si vous vous relâchez, patron, nous allons nous donner une augmentation et la retirer de votre salaire ! »

« D-Désolé les gars… Hé, attend ! Tu n’es pas le comptable ! Et je suis ton patron ! »

Le patron s’était précipité dans un spectacle de rage assez comique.

L’atmosphère détendue m’avait permis de me décontracter facilement. Je n’avais rien à quoi comparer, mais je savais que c’était amusant d’être ici. Je savais que ce n’était pas tout n’était pas toujours rose, mais j’avais l’impression que c’était un travail auquel je pouvais me donner à fond, quoi qu’il arrive.

« Je dois le faire… pour eux. »

Il restait moins d’une semaine avant le Jour de la Corruption.

***

Chapitre 8 : Père troublé et ignorance

« Au revoir. »

J’avais salué mes collègues de travail en sortant de la voiture devant chez moi.

Le travail avait commencé dans l’après-midi aujourd’hui, donc même si l’heure du dîner était passée et qu’il faisait nuit, j’étais à la maison beaucoup plus tôt que d’habitude. Apparemment, le travail pour les trois prochains jours serait le même.

« Je suppose que je vais manger seul ce soir. »

Je ne pouvais pas m’empêcher de me sentir un peu déprimé. Lors de mes gardes de nuit, je pouvais manger avec tout le monde avant de partir au travail. C’était quand même drôle, car jusqu’à récemment, je préférais manger seul. Je n’avais pas pu m’empêcher de sourire ironiquement en voyant mon changement d’attitude.

Quand j’étais entré, papa était dans le salon et maman dans la cuisine.

« Je suis rentré. »

« Bienvenue à la maison. Tu aurais dû me dire à quelle heure tu rentrais ! On aurait pu manger tous ensemble ! »

« Ça ne me dérange pas. En plus, je ne savais pas à quelle heure je rentrerais. Tout dépend de l’heure à laquelle nous avons terminé. »

« Ah, je vois. En tout cas, tu dois avoir faim ! Laisse-moi te réchauffer quelque chose ! »

Maman se mit alors à siffler joyeusement tout en allumant la cuisinière

Elle semblait encore plus joyeuse que d’habitude. Je voulais demander à papa s’il s’était passé quelque chose, mais j’étais encore un peu nerveux en lui parlant. Il était si réservé et franc que même à l’université, il m’était difficile de lui parler. Mais les choses étaient différentes maintenant… non ?

Il était assis sur le canapé, en train de lire un journal. Tout ce que j’avais à faire était de demander, « Comment se fait-il que maman soit de si bonne humeur ? »

J’avais ouvert la bouche, mais aucun mot n’en était sorti. Il faudrait probablement un certain temps avant que je puisse lui parler sans devenir nerveux. Pourtant, je devais être courageux. Je lui devais au moins un remerciement pour m’avoir trouvé un emploi.

« Papa… »

« Le repas est prêt ! »

La voix de maman avait complètement noyé la mienne.

Je suppose que je vais commencer par manger…

Et pendant que je mangeais, maman resta assise en face de moi avec un large sourire. Je connaissais ce regard. Elle voulait que je lui demande ce qui se passait. C’était presque insupportable de s’asseoir en face d’elle comme ça et de ne rien demander. Si je laissais faire, elle continuerait à s’asseoir en silence, souriant et souriant encore. J’avais presque décidé de l’ignorer et de continuer à manger, mais finalement, je n’en pouvais plus. J’ai posé mes baguettes.

« Il s’est passé quelque chose, maman ? »

« Veux-tu vraiment le savoir ? »

Elle gloussa alors comme une écolière.

Arrête de faire comme si tu ne voulais pas me le dire…

D’habitude, quand elle était comme ça, c’était parce qu’elle avait fait quelque chose dont elle était fière. Et pour être parfaitement honnête, c’était toujours quelque chose dont je ne me souciais pas vraiment. Mais j’étais trop impliqué pour m’en aller maintenant, elle ne ferait que s’énerver contre moi.

« Devine ce que ton père a fait aujourd’hui ! »

« Chérie, l’émission que tu aimes commence ! »

Papa l’appela du salon.

« Oh ! J’arrive tout de suite ! »

Merci, papa. Tu m’as sauvé.

Pour être honnête, j’étais encore plus curieux maintenant. Papa avait dû l’arrêter exprès, non ?

C’était donc quelque chose qu’il ne voulait pas que je sache. Peut-être que c’était quelque chose de sentimental, du genre que leur relation était géniale… Dans ce cas, j’étais vraiment content que mon père l’ait arrêté. Eh bien, comme je n’allais pas le lui demander maintenant, j’avais mis mes assiettes dans l’évier et je m’étais dirigé vers la salle de bain pour prendre un bain.

« Merde… maintenant, je suis vraiment curieux. »

Papa ne s’est jamais énervé pour rien. Du moins rien dont je puisse me souvenir…

*****

Une fois sortie du bain, j’avais jeté un coup d’œil à mes parents, mais ils étaient toujours assis amicalement côte à côte. Je m’étais donc décidé de les laisser seuls. Et de toute façon, j’étais épuisé. Un de mes collègues était en congé aujourd’hui, nous avions donc dû prendre le relais. Je savais que je m’endormirais à la seconde où je me mettrais au lit, mais avant cela, je voulais voir comment allait mon village.

Il était tard. Carol dormait déjà. Chem et Gams s’installaient aussi dans leur chambre, Gams s’occupait de son épée et Chem récitait ses prières. Murus était dans sa chambre, allongé sur le lit, les yeux ouverts. Depuis que je lui avais fait savoir que je l’avais à l’œil, je m’attendais à ce qu’il parte, mais pour le moment il était toujours là.

« Peut-être qu’il s’assure que mes villageois restent ici jusqu’au Jour de la Corruption. »

J’avais décidé de garder un œil sur lui. Et même s’il se méfiait de moi, cela ne garantissait pas qu’il ne tenterait rien. Il ne connaissait pas l’étendue de mes pouvoirs.

Rodice et Lyra se faisaient les yeux doux dans une pièce dans laquelle Carol ne dormait pas. Il était probablement préférable que je ne leur prête pas trop d’attention pour le moment. J’étais heureux qu’ils se sentent suffisamment en sécurité et détendu pour passer un peu de temps seuls ensemble.

Pour être honnête, les graphismes étaient si réalistes que je me sentirais comme un voyeur si jamais je voyais quelque chose. Il n’y avait pas de baignoires ni de toilettes, j’avais pu donc les apercevoir en train de se laver avec des chiffons ou de profiter du grand air de temps en temps. Je savais que c’était un jeu et que je n’avais pas à me sentir mal à l’aise avec ce genre de choses, mais j’étais censé être le Dieu du destin, pas le Dieu de la Perversité. Et, après toutes ces semaines d’observation, je ne pouvais plus les considérer comme de simples personnages de jeu. Je m’étais retrouvé à respecter leur vie privée autant que celle de ma propre famille.

« Je vais bientôt me coucher… », m’étais-je promis tout en me frottant les yeux et en me tapant les joues pour me tenir éveillé.

J’avais besoin d’aller me coucher, mais je voulais vérifier les échanges du jour avant de m’éteindre pour la nuit.

« Tu n’es pas fatigué, Gams ? Pourquoi ne fais-tu pas une pause ? »

« Gams ! Gams ! Faisons une sieste ensemble dehors ! Le soleil est beau et chaud ! »

« Carol, j’essaie de parler à mon frère. S’il te plaît, tais-toi. »

« Mais il veut faire une sieste avec moi ! Pas vrai, Gams ?! »

« Non, il ne veut vraiment pas. S’il veut faire une sieste… il la fera avec moi. »

Aucune réponse n’était venue de l’homme en question.

« Gams ?! Où vas-tu ? »

« Attends ! Et notre sieste ? ! »

Je pouvais imaginer la scène clairement dans mon esprit, Chem et Carol se disputant Gams juste devant lui.

Rien de nouveau à ce sujet.

J’avais continué à faire défiler et j’avais trouvé une conversation entre Gams et Murus.

« Les monstres deviennent agités. »

« Je l’ai aussi remarqué. Nous devrions rester sur nos gardes. »

« Cela a tendance à se produire lorsque le Jour de la Corruption approche. Peut-être serait-il préférable que les autres restent dans la grotte jusqu’à ce que le jour soit passé ? »

« Bonne idée. Je vais leur dire. »

On aurait dit qu’ils étaient en patrouille. Avant, j’aurais été soulagé, mais là, j’étais vraiment inquiet, car Murus pouvait tenter quelque chose. Je voulais avertir Gams et les autres, mais j’étais tellement endormi en ce moment que je ne pouvais pas avoir un jugement correct. J’avais fait défiler la page pour trouver une conversation entre Lyra et Rodice.

« On dirait que Carole est endormie… »

« Je vois… C’est pour ça que tu es si proche tout d’un coup ? »

« Eh bien… Nous n’avons pas eu de temps pour nous depuis longtemps… »

C’était suffisant pour aujourd’hui. Je ne voulais pas me faire des cauchemars ! En tout cas, il ne s’était rien passé d’important pendant mon absence. J’avais laissé échapper un bâillement.

« Bon sang, ça fait longtemps que je n’ai pas été aussi fatigué. »

Juste à ce moment-là, un étrange symbole dans le coin supérieur gauche de l’écran avait attiré mon attention.

« Il est écrit… “réalité” ? »

C’était vraiment une première. Cela me rappelait la fois où le mot « rêve » était apparu au-dessus de la tête de Gams. Peut-être qu’il se passerait aussi quelque chose si je cliquais dessus.

Très bien, je clique dessus rapidement, et ensuite je vais me coucher.

En déplaçant la souris vers le coin supérieur gauche de l’écran, j’avais cliqué sur « réalité ».

*****

Comme avant, l’écran était devenu noir avant de me montrer une nouvelle scène. J’avais vu une coupe transversale d’une maison ordinaire vue d’en haut, avec le toit invisible. Ce qui était étrange, c’est qu’elle ressemblait à une maison totalement moderne. Elle avait des toilettes, une salle de bain, un salon, un porche et une cuisine.

« Ça me semble plutôt familier. Vraiment familier. »

C’était ma maison. Il m’avait fallu une seconde pour comprendre, car je ne l’avais jamais vue d’en haut. Mais comme je vivais ici depuis trente ans, il ne m’avait pas fallu longtemps pour réaliser ce que je regardais. Je connaissais cette maison comme ma poche. Combien de nuits avais-je passées éveillé, à surveiller cet endroit ? Ok, peut-être que le dire comme ça était un peu exagéré.

La vue aérienne montrait une personne dans la salle de bain et deux dans le salon. Par curiosité, j’avais déplacé le curseur sur la salle de bain, un texte apparu alors.

« Je suis si fatiguée… et, argh, pourquoi ma peau est-elle si sèche ces derniers temps ? ! Hmm… j’aimerais que ma poitrine se développe un peu plus — j’ai fait tous ces exercices… »

J’avais tellement dézoomé que je ne voyais pas grand-chose, mais on aurait dit qu’elle regardait sa poitrine et la frottait. Si c’était réel et qu’elle savait que je l’avais vue, je serais mort.

Heureusement que ce n’est pas réel, non ? J’avais quand même détourné les yeux, juste au cas où.

J’avais porté mon attention sur l’autre pièce. Quand j’avais regardé de plus près, j’avais vu maman et papa assis sur le canapé où je les avais laissés quand j’étais monté dans ma chambre — ils n’avaient pas bougé, même si la télé était éteinte maintenant.

Ok, c’est vraiment un rêve.

J’avais dû penser au secret de ma mère avant de m’endormir, c’était pourquoi je rêvais d’elle maintenant. Et puisque c’était un rêve, écouter leur conversation n’était pas un problème. J’avais placé mon curseur sur eux.

« S’il te plaît, ne mentionne pas ce genre de choses devant notre fils. »

« Mais je suis si heureuse ! C’est la première fois en dix ans que tu te souviens de notre anniversaire, et tu m’as même acheté un cadeau ! Je veux juste le partager avec le monde entier ! »

Je ne savais pas que c’était leur anniversaire aujourd’hui. Mais même si c’était agréable de les voir s’entendre, en tant que fils, je ne pouvais m’empêcher de me sentir gêné de fouiner dans un moment privé, même imaginaire.

« Je suis juste content que ça t’ait rendue heureuse… et je suis désolé de ne pas l’avoir fait plus tôt. J’ai juste été tellement… tellement inquiet ces dix dernières années. »

« Je sais. Tu pensais tout le temps à Yoshio, non ? »

« Oui. »

Sa confession transperça mon cœur. La vérité était que mon père n’avait pas toujours été aussi renfermé. Il avait toujours été silencieux, mais il y avait tellement de vie sous cet extérieur calme. Une fois, il s’était froissé un muscle en faisant des excès dans la course de relais père-fils. Une autre fois, il trébucha en me portant sur ses épaules, se blessant pour m’empêcher de tomber. Quand j’étais bloqué sur mes devoirs, il me les expliquait. Quand maman se fâchait contre moi, il allait secrètement me chercher une glace et s’asseyait avec moi jusqu’à ce que j’arrête de pleurer.

J’avais toujours pensé que mon père était strict et distant… ou peut-être m’étais-je simplement convaincu qu’il était comme ça. J’avais enfoui tous ces souvenirs pour ne pas avoir à affronter la vérité. Le fait que les choses étaient si tendues dans la famille était entièrement de ma faute, et maintenant, ils revenaient en force. Je ne m’étais laissé que le temps de me souvenir des choses qui faisaient que mon style de vie de NEET semblait être la seule option. Ce rêve me montrait la vérité à laquelle je m’aveuglais quand j’étais éveillé.

« Yoshio est tellement plus heureux depuis qu’il a obtenu ce travail. »

« J’en suis heureux. Je voulais m’excuser auprès de lui depuis longtemps. »

Mes yeux s’étaient élargis. J’avais relu le texte. Il voulait s’excuser auprès de moi ? Pour quelle raison ? C’est moi qui avais besoin de m’excuser, et j’avais beaucoup de raisons de l’être. Il n’avait rien à se faire pardonner.

« Tu veux dire à propos de la dispute que vous avez eue ? »

« Oui. Je n’oublierai jamais ce que je lui ai dit. »

Je me souvenais aussi de cette dispute, mais je ne me rappelais pas que papa avait dit quelque chose qu’il devait regretter. Tout ce qu’il avait dit était vrai.

« Je lui ai crié dessus et lui ai dit qu’il ne travaillait pas assez dur. Que n’importe qui pouvait trouver un travail s’il s’y mettait. »

Je m’étais souvenu de ça. Ça m’avait choqué à l’époque, parce que je pensais que j’essayais. Maman pensait que j’essayais. Et elle aussi semblait toujours surprise quand on se disputait. Mais je réalisais maintenant que je n’essayais pas, pas vraiment, et mon père avait vu clair dans mon jeu.

« C’était peut-être déplacé… Tu te relâchais aussi à l’université », dit ma mère.

« Je n’appellerais pas ça se relâcher. »

« Peut-être pas, mais tu allais à beaucoup de fêtes. »

Papa resta silencieux.

À présent, j’étais sûr que c’était un rêve. Il était impossible que mon père soit une sorte de fainéant d’université.

« Je suppose que oui. Mais quand j’avais son âge, il y avait la bulle, et il était presque impossible de ne pas trouver du travail, même si on ne cherchait pas. Si j’avais grandi dans cette économie, j’aurais peut-être eu encore plus de problèmes que lui. »

La bulle, c’était quand l’économie japonaise était en plein essor, et que l’avenir semblait radieux. J’avais vu des émissions à ce sujet à la télévision, mais pour tous ceux qui étaient nés après, c’était presque inimaginable.

« Yoshio était un meilleur étudiant que je ne l’ai jamais été, et quand il s’agissait de chercher un emploi, il faisait de son mieux. Je n’avais pas le droit de lui dire ce que je lui ai fait. »

Je ne pouvais pas voir les visages de mes parents puisque c’était une vue de haut. Mais j’avais vu mon père trembler et taper du poing sur la table, comme s’il pleurait.

« Quand nous sommes devenus parents, je me suis dit qu’il était temps de grandir. Je devais devenir sérieux et parler comme un adulte. Mais au lieu de cela, j’ai pris la grosse tête et j’ai commencé à faire la morale à Yoshio alors que je n’étais pas meilleur que lui à son âge. Je suis le pire… »

Papa…

Je ne l’avais jamais vu si vulnérable avant.

« Ma propre mère était toujours en train de me dire que je devais prendre mes études au sérieux. Je détestais ça. C’est pourquoi j’ai toujours essayé de ne pas harceler Sayuki et Yoshio à ce sujet. Mais je suppose qu’au final, j’ai fini comme ma mère. »

Non, papa.

Même si toutes ces choses sur son passé étaient vraies, je l’admirais quand même. Pour moi, c’était un homme qui faisait toujours de son mieux en tout, et je voulais désespérément être comme lui.

« Tu étais un homme merveilleux à l’époque, et tu es un homme merveilleux maintenant. Mais je pense que tu pourrais te détendre un peu. Nous sommes peut-être les parents d’enfants adultes, mais nous sommes toujours les mêmes personnes qu’avant. Notre famille est composée de quatre adultes maintenant, et même si nous les battons en âge et en expérience, cela ne veut pas dire que nous n’avons pas fait nos propres erreurs. »

« Tu sais, quand j’étais enfant, j’ai toujours pensé que les adultes savaient tout. »

« Moi aussi. Je pense aussi que nous avons tous les deux encore beaucoup de choses à apprendre. Yoshio travaille si dur pour changer. Peut-être devrions-nous suivre son exemple. »

Mes parents s’étaient regardés et avaient souri.

Entendre que mes parents avaient un jour ressenti la même chose que moi à propos des adultes me fit aussi sourire. Pour moi, ils étaient déjà parfaits. Mais même eux avaient leurs problèmes.

Mon cœur s’est senti un peu plus léger. Ils n’étaient finalement pas si différents de moi.

*****

« Je le savais. »

Je m’étais réveillé. J’avais alors réalisé que mon visage était appuyé sur le clavier et que la lumière vive du soleil entrait à travers les rideaux. Lorsque j’avais touché ma joue, j’avais pu sentir l’empreinte des touches. J’avais regardé l’écran de l’ordinateur en face de moi et, bien sûr, tout ce que je voyais était le Village du Destin. Il n’y avait pas de boutons bizarres étiquetés « réalité ».

Je le savais. Mais même si mon rêve n’avait pas été réel, cela me rendait heureux. Peut-être que je pourrais être plus ouvert avec mes parents à partir de maintenant.

***

Interlude : Le village ravagé et les réfugiés

Lorsque la petite fille s’était réveillée, le soleil du matin pénétrait dans sa chambre. Elle s’étira de confort et regarda autour d’elle. Le lit était bien trop grand pour elle seule, et il y avait trois oreillers dessus. Le livre d’images que ses parents lui avaient lu hier soir se trouvait à côté d’elle. Il s’intitulait La princesse et le prince charmant. La jeune fille se dépêcha de s’habiller, sachant que ses parents étaient déjà debout. Elle prit un moment pour vérifier qu’elle était présentable devant le miroir de sa mère avant de sauter par la porte du salon.

« Bonjour, maman ! Papa ! »

« Bonjour, Carol. »

« Tu fais la grasse matinée, princesse Carol ? Pourquoi ne vas-tu pas te laver le visage ? »

« Bien sûr, maman ! »

Carol fit la révérence comme la princesse de son livre, puis éclata de rire.

Carole sortit pour aller voir le puits. Il y avait un seau d’eau plein à côté. Elle en prit un peu pour se laver le visage.

« C’est mieux ! Je dois aussi refaire mon lit. »

Elle utilisa un peu plus d’eau pour lisser ses épis, puis se sécha les mains sur ses vêtements lorsqu’elle réalisa qu’elle avait oublié une serviette.

« Bonjour, Carol ! »

Carol s’était retournée pour voir une fille de l’autre côté de la clôture.

« Salut… Chem. Où est Gams ? »

« Eh bien, c’était une sacrée pause. De toute façon, Gams surveille la porte aujourd’hui. »

« Eh bien, s’il n’est pas là, je ne veux pas te parler ! »

Carol s’était retournée pour retourner à l’intérieur.

« Hé, attends… »

Le reste des mots de Chem furent coupés par la porte qui claquait.

« Carol, c’était Chem à l’instant ? », demanda sa mère.

« Je ne sais pas ! », répondit Carol en se remplissant les joues de pain.

Ses parents échangèrent un regard amusé avant de se plonger dans leur propre petit-déjeuner.

« Merci pour le repas ! Je vais aller dehors ! »

« Attends, Carol ! Où vas-tu ? »

« Je vais voir Gams ! »

« Tu ne peux pas aujourd’hui ! C’est… », dit sa mère, mais Carol avait déjà mis sa vaisselle dans l’évier et s’en alla en courant.

Elle courut sur le chemin de terre aussi vite qu’elle le pouvait.

« Oh, bonjour, Carol ! Je vois que tu es aussi dynamique que d’habitude ! »

« Bonjour ! Le temps est si beau et ensoleillé, non ? »

Carol salua la vieille dame qui passait en trombe.

« Hé, Carol ! J’ai reçu de beaux fruits aujourd’hui ! Viens en manger ! », dit le mari de la femme.

« Je suis désolée ! J’ai déjà pris mon petit-déjeuner ! »

« Rodice et Lyra sont-ils à la maison ? », demanda un autre voisin de passage.

« Oui, je crois qu’ils sont encore là ! »

Carol était populaire dans le village. Tout le monde souriait et la saluait chaleureusement. Elle les salua tous poliment en réponse et finit par arriver aux portes du village.

« Elles sont si grandes ! », s’étonna Carol.

Elle avait déjà vu les portes plusieurs fois auparavant, mais leur taille ne manquait jamais de l’étonner.

En plus de ces portes, le village était entouré d’un mur de pierre, plus grand que deux hommes adultes. Autrefois, le village avait été une place forte lors d’une grande guerre. Et quand les soldats étaient partis, les réfugiés y emménagèrent, devenant un village. Maintenant, le mur et les portes protégeaient les villageois contre les attaques de monstres.

Les portes étaient censées être ouvertes une fois le soleil levé, mais aujourd’hui elles étaient fermées. Non seulement cela, mais il y avait plus de personnes debout sur le mur que d’habitude. Ils étaient tous armés et avaient une expression sinistre.

Malgré la tension dans l’air, Carol s’était précipitée vers eux. Une fois qu’elle trouva celui qu’elle cherchait, elle se jeta sur lui avec joie.

« Gams ! »

« Oh, salut, Carol. Désolé, mais tu ne peux pas quitter le village aujourd’hui », dit Gams en la reposant sur le sol.

« Comment ça se fait ? », demanda Carol.

Gams s’accroupit pour la regarder dans les yeux.

« C’est un jour spécial. Regarde autour de toi. Ne vois-tu pas que tu es la seule enfant ici ? »

Ce ne fut qu’à cet instant qu’elle se mit à regarder autour d’elle et qu’elle réalise qu’il avait raison. La zone devant les portes était très populaire auprès des villageois. Elle était habituellement remplie de marchands, d’adultes discutant et d’enfants jouant. Aujourd’hui, elle était vide, à part les adultes armés qui se tenaient autour de façon tendue.

« Tes parents sont probablement inquiets pour toi. »

« Te voilà, Carol ! »

Comme si elle avait été appelée par les mots de Gams, Lyra apparut et se précipita vers sa fille.

« Je te tiens maintenant ! Ne t’enfuis plus ! »

« Laisse-moi partir ! » Carol hurlait tout en gloussant et en s’agitant dans les bras de sa mère.

« Je suis désolée qu’elle soit si ennuyeuse. Je ne manquerai pas de lui faire la morale ! », dit Lyra.

« Ne sois pas trop dure avec elle », dit Gams.

« À plus tard, Gams ! »

Carol fit un signe de la main pendant que Lyra l’emmenait.

Gams leva la main en guise de réponse. Ce ne fut que lorsque Carol et sa mère furent hors de vue qu’il se retourna vers les portes avec une expression sinistre. Il grimpa sur l’échelle placée contre le mur de pierre et regarda au loin, les yeux bridés, les nuages de poussière soulevés.

« J’espère que je te verrai plus tard, Carol », murmura Gams en fronçant les sourcils devant le danger qui se rapprochait.

*****

Carol rentra à la maison et participa aux tâches ménagères lorsqu’elle remarqua une agitation à l’extérieur.

« Qu’est-ce qui se passe aujourd’hui, maman ? Une grande fête ? »

Lyra fit une pause dans sa couture et jeta son regard vers la fenêtre.

« J’aimerais que ce soit le cas. Mais ne t’inquiète pas. Demain, nous pourrons faire un grand festin. »

« Vraiment ? Super ! »

Carol bondit de joie tandis que ses parents lui sourient tristement. Ils se regardèrent et soupirèrent avant de reporter leur attention sur la fenêtre. Carol était si petite qu’elle ne pouvait pas voir ce qui se passait dehors, mais eux, ils pouvaient. Les villageois se précipitèrent dans tous les sens, paniqués, et barricadèrent leurs portes et leurs fenêtres. Certains avaient déjà complètement évacué. Rodice lui-même avait rempli quelques boîtes de nourriture et de produits de première nécessité, juste au cas où. Il s’était également assuré que le chariot était en état de voyager et que les chevaux étaient prêts à partir. Il espérait vraiment que rien de tout cela ne soit nécessaire.

Cela arrivait tous les mois, mais cette fois-ci, il se sentait particulièrement mal à l’aise. D’habitude, il ne se préparait pas au pire des scénarios. Rodice avait tourné son regard vers l’église et avait joint ses mains pour essayer de calmer ses nerfs.

« S’il vous plaît, Seigneur, aidez-nous à traverser cette épreuve. Que demain soit aussi paisible et sans incident que d’habitude. »

Il pria pour que sa fille puisse garder le sourire.

*****

« Rodice ? Lyra ? Est-ce que ça va ? »

Chem et son frère avaient arraché les restes de leur porte d’entrée et étaient entrés dans la pièce. Ils avaient laissé échapper un soupir de soulagement en voyant les trois membres de la famille se blottir ensemble dans un coin.

« Nous allons bien. Que vous est-il arrivé à vous deux ? », répondit Rodice.

Le regard de soulagement de Rodice, quand il vit que ses visiteurs n’étaient pas des monstres, fut remplacé par de l’inquiétude. Le frère et la sœur étaient couverts de sang.

« Ne vous inquiétez pas, ce n’est que du sang de monstre, et Chem a aidé les blessés. »

Gams avait quelques coupures fraîches sur lui, mais elles avaient été rafistolées avec la magie de Chem.

« Quelle est la situation, Gams ? », demanda Rodice.

Gams haussa les épaules.

« Je ne vais pas mâcher mes mots. C’est sans espoir. »

Rodice et Lyra déchantèrent. Les yeux de Carol passèrent d’un adulte à l’autre alors qu’elle s’efforça de comprendre ce qui se passait.

« Ils ont franchi les portes. Il y a des monstres dans le village. Nous avons déjà perdu la plupart de nos combattants. »

« Je suis inquiète, mais nous ne pouvons plus rien faire. Nous devons évacuer », dit Chem.

Rodice se leva, un regard inhabituellement déterminé sur son visage.

« Le chariot est rempli de fournitures d’urgence et il est prêt à partir. Allons-y. »

Rodice les conduisit dans la petite zone de stockage qui faisait office d’écurie et vérifia le cheval et la charrette. Lyra emmena Carol dans la charrette couverte d’un auvent. Rodice prit les rênes pendant que Chem prenait position à l’avant de la charrette. Une fois que tout le monde fut à bord, Gams ouvrit les portes devant eux, révélant l’état épouvantable dans lequel se trouvait le village.

Le couple de personnes âgées en face avait été déchiqueté par des loups-garous. Un autre couple avait été battu à mort par des gobelins. Les cadavres étaient éparpillés sur le sol, et le sang coulait entre eux. Certaines des maisons en bois étaient en feu, et l’air empestait le feu et le sang.

« Allons-y », dit Gams en grimpant à côté de Rodice.

Rodice s’était mordu la lèvre et lâcha les rênes. Le chariot sortit en trombe de l’entrepôt, passant devant d’autres villageois qui tentaient de s’échapper. Ils appelaient à l’aide encore et encore, et Rodice dut lutter contre l’envie d’arrêter. Mais comme il était un père, il devait continuer. Il devait faire passer sa famille en premier.

Gams ressentait la même chose. Il aurait pu se sacrifier pour aider davantage de personnes à s’échapper, mais il devait protéger sa sœur et la famille de Rodice, qui l’estimaient, lui et Chem, autant que leur propre enfant. Il avait endurci son cœur contre les supplications des autres villageois. Gams utilisa une longue lance pour tenir les monstres à distance pendant qu’ils s’échappaient.

« Nous ne pouvons pas passer par les portes principales, mais ils ont détruit une partie du mur au nord-ouest. Nous pouvons nous échapper par là ! », dit Gams.

« D’accord ! », répondit Rodice tout en faisant tourner le chariot.

Les maisons, qui se tenaient encore debout ce matin même, étaient maintenant des ruines en feu. Leur village animé n’était plus que sang, feu et monstres. Le chariot continua sa course, laissant derrière lui des cadavres et des villageois paniqués. Et alors qu’ils s’enfuyaient de leur vie, ils priaient désespérément pour trouver un endroit sûr.

***

Travailler dur, se battre à fond

Chapitre 1 : Mon travail et l’imminence du Jour de la Corruption

« Je dois les surveiller autant que je le peux. »

Je n’avais plus autant de temps pour surveiller mes villageois étant donné que j’avais commencé mon travail, mais je travaillais pour leur bien. Ils travaillaient aussi très dur, surtout sur leurs défenses. La clôture en bois qui entourait l’entrée n’était plus un assemblage grossier de poteaux et de planches, elle avait été renforcée avec des rondins serrés et construite jusqu’à ce qu’elle soit aussi haute que Gams, puis renforcée avec de nouvelles planches. Mais comme elle n’avait jamais subi de véritable attaque, je me demandais quelle était sa résistance réelle.

J’avais décidé de faire un test : j’avais dressé l’un des rondins que les villageois m’avaient envoyés et j’avais essayé de le frapper avec une batte dans le coin du jardin. Je ne m’étais arrêté qu’au moment où j’avais senti des yeux me transpercer l’arrière de la tête. Je m’étais retourné pour voir maman qui me regardait fixement, le téléphone à la main, l’air préoccupé. J’avais vite fait de l’emballer après ça. Quoi qu’il en soit, j’avais quand même constaté qu’il faudrait beaucoup de force pour casser les rondins.

Heureusement, la clôture n’était pas la seule protection des villageois. Ils avaient construit une simple tour de guet en bois juste à l’entrée de la grotte. Cela leur permettait de voir par-dessus la clôture et de repérer les monstres de plus loin. Apparemment, cela donnerait également à Murus un endroit pour utiliser son arc, mais je ne pouvais pas être sûr qu’il se battrait lors du Jour de la Corruption. Je devais supposer qu’une des femmes finirait par faire office de vigie à la place. Murus traînait toujours dans la grotte. Je commençais vraiment à me demander s’il comptait vraiment partir. S’il n’allait pas aider à protéger les autres, il avait probablement prévu de disparaître dans le chaos de l’attaque.

Il ne restait que trois jours. Et comme c’était le premier Jour de Corruption auquel j’allais être confronté, je devais espérer que ce serait comme une étape de tutorat et que cela se passera en douceur. Mais je savais maintenant que le Village du Destin suivait ses propres règles. Je ne pouvais pas me permettre de baisser ma garde. Si mon village était anéanti, c’était fini. Chaque décision que je prenais devait être prudente.

J’avais 540 PdD. Je pouvais utiliser mon salaire pour acheter le reste des points dont j’avais besoin pour mon golem. Ce golem semblait être ma meilleure chance d’assurer la survie de mon village, avec ou sans Murus. J’avais passé une grande partie des dix dernières années à jouer à des jeux vidéo, des jeux de combat, des FPS, des jeux d’action, et je savais que je n’aurais aucun mal à contrôler le golem. Mais ce n’était pas seulement pour le Jour de la Corruption que je voulais le golem. Jusqu’à présent, la seule façon dont je pouvais « jouer » au jeu était d’écrire des messages. Je voulais faire plus que ça, et ce sentiment grandissait de jour en jour. Si j’avais un golem, je pourrais les aider directement, au lieu de me contenter d’observer.

« Ce soir, c’est ma dernière garde. Demain, je passerai la journée à me préparer pour le Jour de la Corruption. »

Mon patron avait aussi mentionné qu’ils manquaient de personnel le mois prochain, il m’avait donc demandé de travailler quelques jours. J’avais accepté avec joie. Après le travail de ce soir, je devrais enfin pouvoir m’offrir mon golem.

Lorsque mon taux de PdD avait augmenté suite aux offrandes des villageois, j’avais calculé que j’atteindrais facilement mon objectif, mais il semblerait que l’anxiété de ces derniers jours ait ralenti les choses. La gratitude était abondante lorsque leur Dieu les aidait activement, mais je n’avais pas fait de miracle ces derniers temps, et mes messages récents avaient tous été assez peu inspirés. Le fait qu’ils ne se sentent pas particulièrement reconnaissants n’était donc pas étonnant. J’avais pensé à faire un petit miracle dans l’espoir de regagner plus que ce que j’avais perdu, mais la seule chose que j’avais essayée, mettre du soleil quand Lyra se plaignait de son linge mouillé n’avait pas semblé affecter mes points.

« Je devrais travailler sur la façon dont le jeu calcule les PdD… mais plus tard. Pour l’instant, je dois me concentrer sur la sécurité de mes villageois. »

J’espérais juste que ce serait suffisant. Ils avaient la clôture et une issue de secours dans la partie la plus profonde de la grotte. Ils avaient aménagé la seule pièce qui n’était pas utilisée comme chambre, et un vieux débarras avec des murs en planches de bois et des outils éparpillés comme abri d’urgence. Mais le plus gros problème restait la puissance de combat. Gams et Murus étaient encore tout ce que j’avais. Rodice n’ayant aucune expérience du combat, il avait donc été affecté à la dernière ligne de défense à l’intérieur de la grotte, et bien que Chem ait chassé avec son frère et pouvait se battre un peu, sa magie de guérison la rendait bien trop précieuse pour la risquer en première ligne. J’avais étudié quelques stratégies tirées d’anciennes guerres civiles au Japon, mais je n’avais pas assez de personnes pour les utiliser. J’avais aussi pensé à utiliser des pièges, mais aucun de mes villageois n’avait l’expertise nécessaire pour les fabriquer. J’avais même lu les romans isekai que j’avais achetés afin de trouver des idées, mais là encore, les seules idées valables nécessitaient plus de main-d’œuvre que je n’en avais. De plus, tout cela n’était que de la fantasy, je ne savais donc pas à quoi m’attendre.

J’avais soupiré. Je savais à peine comment survivre moi-même, et j’avais appris plus d’informations utiles de Murus que de mes recherches. Mais je ne pouvais pas me permettre de me laisser abattre. J’avais décidé de consulter à nouveau les archives, au cas où je trouverais quelque chose qui pourrait m’aider.

*****

Après avoir déjeuné ensemble ce jour-là, mes villageois étaient restés dans la grotte, prenant le temps de se reposer. Gams polissait ses deux épées préférées en silence. Chem priait ma statue. Même si elle était très occupée, elle priait toujours trois fois par jour, au petit-déjeuner, au déjeuner et au dîner. Alors que mes autres villageois se contentaient de joindre les mains, elle se mettait toujours à genoux et priait à haute voix.

« S’il te plaît, veille sur nous encore aujourd’hui, Seigneur. »

Mes PdD augmentèrent un peu. Il semblerait qu’au moins la moitié des PdD que j’obtenais par la gratitude provenait de la seule Chem.

« Tu peux mettre ça sur l’étagère pour moi, chérie ? »

« Bien sûr, laisse-moi juste finir de laver ça. »

Rodice et Lyra nettoyèrent après le déjeuner et faisaient la vaisselle ensemble. Le fait que Rodice aide aux tâches ménagères quand il n’avait rien d’autre à faire n’était pas inhabituel. Les hommes étaient en fait considérés comme plus désirables lorsqu’ils faisaient leur part du travail ménager, mais connaissant Lyra, je me demandais si elle l’avait entraîné à le faire.

« Gams… Est-ce que le Jour de la Désolation va bien se passer ? » demanda Carol avec anxiété tout en tirant sur sa manche.

Je voulais croire que c’était une question innocente, et qu’elle n’essayait pas de faire en sorte que Gams la dorlote. Mais je savais que ce n’était pas le cas.

« Corruption, » corrigea Gams.

« Ne t’inquiète pas. Nous avons toutes sortes de choses pour nous protéger des monstres. »

« Et tu me protégeras si des monstres effrayants m’attaquent, hein ? Parce que tu es mon grand frère ! »

Carol lui sourit et passe ses bras autour de sa taille.

Chem les regarda tous les deux avec insistance.

« Je te l’ai dit mille fois, il n’est pas ton frère, Carol. C’est le mien », dit Chem.

« Gams, elle me fait peur ! », se lamenta Carol

Son air innocent était en fait très convaincant.

« D’accord, d’accord », soupira Chem tout en faisant un geste d’apaisement.

Elle regarda alors son frère : « Gams… selon toi, comment se passera la journée de demain… ? »

« Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour nous préparer au pire », dit Rodice, se joignant à la conversation.

Lyra lui prit le bras, l’expression trouble.

Les villageois tournèrent leurs regards inquiets vers Murus, qui connaissait cette forêt mieux que quiconque. Il fit une pause dans son mélange d’herbes pour répondre à leur question non exprimée.

« C’est la Forêt Interdite, où vivent de nombreux monstres différents. Même moi, j’ai tendance à rester à l’écart lorsque le Jour de la Corruption approche. Je crains de ne pouvoir vous donner beaucoup d’espoir. »

Murus secoua la tête tristement, mais je croyais en lui autant que les larmes de crocodile de Carol.

« Je t’en prie, ne t’inquiète pas. Nous te sommes très reconnaissants pour ton aide. Merci pour tout ce que tu as fait », dit Chem tout en souriant et en s’inclinant profondément devant lui.

Je souhaitais tellement qu’il soit la personne gentille et désintéressée qu’elle pensait qu’il était.

« Si seulement notre chariot pouvait être réparé, nous pourrions sortir d’ici. Mais… nous ne pouvons quand même pas sortir d’ici à pied ? », dit Rodice.

« Gams ou moi pourrions probablement sortir dans la forêt à pied. Cependant, si nous devions protéger les autres, les choses seraient… beaucoup plus difficiles. », répondit Murus.

Donc en gros, le reste du groupe se mettrait en travers du chemin. Les autres villageois n’avaient rien dit. Ils étaient probablement en train de penser à quel point ils étaient impuissants.

« Nous allons devoir nous retrancher et rester forts. Ne vous inquiétez pas, je vais tous vous protéger. Nous allons nous en sortir. », dit Gams avec de la détermination dans la voix.

J’avais jeté un coup d’œil à Murus, curieux de voir sa réaction. Il fronçait les sourcils avec anxiété, mais je ne savais pas si son expression avait quelque chose à voir avec ses véritables sentiments.

Gams regardait également Murus.

« Merci pour tout. Ton aide a été précieuse… mais je ne pense pas qu’il soit juste de te mêler à nos problèmes le jour même. », dit-il au médecin.

Tout le monde, à l’exception de Carol, copia cette démonstration de gratitude. Carol ne l’avait fait qu’après avoir regardé autour d’elle et s’être rendu compte qu’elle était la seule à être exclue.

Murus les avait tous regardés avec de grands yeux, il avait l’air aussi surpris que moi. Mes villageois avaient dû comprendre qu’il avait l’intention de partir.

« Vous n’avez pas besoin de me remercier. J’aurais dû vous le dire plus tôt, mais même si j’aimerais vous aider, ma famille et mes proches m’attendent. J’avais prévu de prendre mon congé ce soir. J’ai rassemblé quelques herbes utiles avant mon départ. »

L’expression de Murus était troublée, et on aurait dit qu’il avait mis du temps à prendre sa décision. Que se passait-il vraiment dans sa tête ?

« Vous partez, Murus ? », demanda Carol.

« Oui, Carol. Je dois vous quitter à regret. »

« Mais vous reviendrez quand même nous voir ? »

Carol tendit la main pour la serrer et leva les yeux vers lui avec des yeux larmoyants.

Il lui tapota doucement la tête en réponse. Cela aurait été une scène émouvante, si seulement je n’avais pas su ce qu’il projetait. Murus était avec mes villageois depuis plus de deux semaines, et je me demandais si le fait de vivre avec mes villageois l’avait changé. Je ne savais toujours pas grand-chose de lui, mais il n’avait pas l’air d’un homme mauvais. Il avait respecté toutes les règles et coutumes de mes villageois pendant son séjour, et je ne pouvais m’empêcher de me demander si quelqu’un ne le forçait pas à les espionner. Il n’avait jamais rien fait pour les mettre en danger. J’espérais donc que cela signifiait que sa gentillesse à leur égard était au moins partiellement authentique.

Quoi qu’il en soit, à deux jours de l’évènement, nous avions un homme en moins. Mais le regard déterminé de mes villageois me disait qu’ils étaient déjà prêts à se battre sans lui.

*****

Je m’étais penché en arrière sur ma chaise et je m’étais étiré, puis j’avais vérifié l’heure dans le coin de mon écran.

Oh, zut ! Je vais être en retard au travail !

Notre entreprise avait un minivan qui s’arrêtait chez chaque travailleur pour les récupérer. Il devait arriver dans dix minutes. J’avais enfilé l’uniforme vert clair qu’ils m’avaient donné il y a quelques jours et j’avais couru en bas pour trouver de la nourriture sur la table et maman avec un sourire compatissant. J’avais englouti mon dîner juste à temps.

« À plus, maman ! »

« Travaille bien, Yoshio ! »

Durant les prochaines heures, je devrais oublier mon village et me concentrer sur le travail.

***

Chapitre 2 : L’amour des jeux vidéo de mon collègue et ma manière de jouer

Comme d’habitude, je poussais le gros aspirateur. Cela commençait toujours facilement puisque la machine était vide, mais plus j’aspirais d’eau, plus elle devenait lourde.

Chaque personne de l’entreprise était responsable d’une tâche différente. Le patron polissait le sol, et ma collègue Misaki-san s’occupait d’évacuer l’eau sale. L’autre gars qui travaillait avec nous, Yamamoto-san, nettoyait et cirait le sol. Et bien que ces trois personnes se débrouillaient très bien toutes seules, ma présence était apparemment d’une grande aide. J’avais essuyé la sueur sur mon front avec la serviette autour de mon cou et j’avais laissé échapper un soupir.

J’avais pourtant déjà vu des nettoyeurs plusieurs fois dans ma vie, et j’avais toujours considéré que ce travail était indigne de moi. Mais je n’avais jamais imaginé que j’arriverais à cet âge sans travailler. Maintenant que j’étais moi-même nettoyeur, j’avais réalisé à quel point ce travail était épuisant et minutieux. On ne le devinerait pas si on était un simple spectateur, mais mon patron avait un réel sens du détail et disposait de diverses techniques pour rendre chaque recoin étincelant de propreté. Ce travail n’était vraiment pas aussi facile qu’il en avait l’air. J’avais grimacé, me rappelant le temps où je me trouvais bien trop bon pour ça.

*****

Après deux heures de travail, nous avions eu une pause de dix minutes. Au moment où j’avais commencé ce travail, mes muscles hurlants réclamaient cette pause. Elle était maintenant agréable, mais je n’en avais pas besoin. J’aurais dû me douter que mon entraînement musculaire rendrait ce travail plus facile. Le travail et l’haltérophilie étaient tout simplement différents, et l’entraînement de mes muscles ne faisait pas grand-chose sur mon endurance globale. Mais c’était quand même bien mieux que de partir de zéro.

J’étais sorti et je m’étais acheté un thé au lait chaud au distributeur. Mon souffle s’était transformé en brume blanche. Ces nuits de fin novembre étaient froides.

« Fan de thé au lait, hein ? Moi, je suis plutôt du genre à boire du thé normal », dit Yamamoto-san en se tenant devant le distributeur.

Yamamoto-san était plus petit que la plupart des hommes. Il avait les cheveux teints et des piercings, ce qui m’avait rendu nerveux au début de la conversation. Mais quand j’avais fini par le faire, j’avais réalisé que c’était juste un gars décent et joyeux qui vivait à sa façon.

Misaki-san passait un coup de fil un peu plus loin de nous. Elle ne se maquillait jamais, mais son assurance ne semblait pas en souffrir. Misaki-san était une mère célibataire divorcée. Je le savais parce que chaque fois que je lui parlais, elle se plaignait surtout de son ex-mari. Bien que son histoire soit assez lourde, elle la racontait avec une lueur joviale dans les yeux. À en juger par les réactions du patron et de Yamamoto-san, ils avaient entendu les mêmes histoires des tonnes de fois. Ils écoutèrent donc avec des visages ennuyés et émirent même des grognements occasionnels.

Je ne savais pas quoi répondre à la remarque de Yamamoto-san. Et la seule chose que j’avais trouvée était quelque chose d’incroyablement ennuyeux.

« Le thé normal est tout aussi bon. »

« Hé, mec, pas besoin d’être si nerveux en me parlant, ok ? On a le même âge. »

« Je sais, mais tu es là depuis plus longtemps… »

« Exact. Eh bien, vas-y à ton rythme alors, ok ? »

« Merci. Je vais faire de mon mieux. »

« Hé, plus tu essaies, plus c’est difficile. »

Il avait souri et s’était assis à côté de moi. Je m’étais un peu tortillé intérieurement au moment où il entrait dans mon espace personnel, mais j’avais gardé un visage neutre. Yamamoto-san n’avait pas semblé le remarquer. Après avoir pris une gorgée de son thé, il sortit son téléphone et ouvrit un jeu.

« Je vais juste faire mes rouleaux de gacha gratuits pour la journée. J’essaie de les faire dès que je m’en souviens, parce que j’oublierai si je laisse ça à plus tard. »

« Bien sûr. »

Je savais qu’il aimait les jeux. Il y jouait sur son téléphone, sur ses consoles, et allait même à la salle d’arcade une fois par semaine environ.

« Tu joues à des jeux mobiles ? », demanda-t-il.

« En fait, je n’ai pas de téléphone. Je n’en ai pas eu besoin… »

« Ah, d’accord. Je suppose que si tu avais accès à ton ordinateur 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, ce qui serait quand même un meilleur moyen de jouer. »

Il jeta alors un coup d’œil à son téléphone.

« Merde. Aujourd’hui aussi, c’était un échec. »

Yamamoto-san n’avait pas agi différemment envers moi quand il découvrit que j’étais un reclus. En fait, il m’avait dit qu’il l’était aussi quand il était plus jeune, et que sa famille était dure avec lui à ce sujet. J’étais reconnaissant qu’il me le dise, car cela m’avait permis de me sentir moins seul. Selon ses mots, il était un « accro déprimé », mais une fois qu’il commença à travailler, il était devenu « ennuyeusement joyeux ».

« Tu as joué à de bons jeux récemment ? », avais-je demandé.

« Oh, bien sûr ! Il y a ce jeu dont je suis super accro en ce moment. Les graphismes sont superbes. Au début, je trouvais le principe un peu bizarre, mais je suis content de lui avoir donné une chance. »

Il réagit à ma question avec plus d’enthousiasme que je ne le pensais, se penchant vers l’avant, l’excitation brillant dans ses yeux. J’avais l’impression d’avoir le même air quand je parlais de mes passions, ce visage était la marque d’un vrai accro.

« Comment ça s’appelle ? »

« Hein ? Oh, c’est vrai. C’est… »

« Retournez au travail, les gars ! La pause est terminée ! », dit le patron, tout en étouffant le reste des paroles de Yamamoto-san.

J’étais curieux à propos jeu, mais ça n’avait pas trop d’importance. De toute façon, je n’avais de temps que pour le Village du Destin en ce moment. Une fois mon service terminé aujourd’hui, je pourrais à nouveau me concentrer pleinement sur le jeu, je m’étais donc donné à fond lors de mes dernières heures.

*****

« À plus ! »

« Au revoir ! »

« Tu m’as vraiment aidé, Yoshio. Nous aurons beaucoup de travail le mois prochain, puisque c’est la fin de l’année. J’espère que tu seras là pour nous rejoindre à ce moment-là. »

« C’est super », avais-je dit, surpris par mon véritable enthousiasme.

Ma voix était sortie plus fortement que prévu. Je m’étais empressé de me couvrir la bouche au moment où je m’étais souvenu qu’on était au milieu de la nuit. Alors que la camionnette s’éloignait, j’avais pu voir Miyuki-san et Yamamoto-san sur le siège arrière, qui se moquaient de moi, mais qui me saluaient aussi fortement qu’ils le pouvaient. J’avais salué en retour, un peu gêné, avant de rentrer chez moi.

Comme d’habitude, le reste de ma famille était endormi. J’avais mangé mon dîner, pris un bain, puis étais retourné dans ma chambre aussi discrètement que possible. Je m’étais assis devant mon ordinateur pour prendre des nouvelles de mes villageois, mais ils étaient tous endormis.

La chambre de Murus était vide, à l’exception de quelques paquets d’herbes. Il devait déjà être parti.

« Il a laissé des médicaments et n’a pas saboté quoi que ce soit en partant. Je devrais probablement lui en être reconnaissant. »

Son peuple semblait très méfiant envers mes villageois, mais Murus semblait vraiment se soucier d’eux. Il avait laissé une petite note qui décrivait quels mélanges faisaient quoi et combien il fallait en prendre. Je ne pouvais pas croire qu’il voulait vraiment leur faire du mal, ce qui devrait être suffisant pour le moment. Peut-être qu’il reviendrait après le Jour de la Corruption.

Le temps que je termine mon bain, il était minuit passé. C’était officiellement la veille du Jour de la Corruption. Mais après une si longue journée, je pouvais à peine garder les yeux ouverts. Si je continuais à jouer maintenant, je finirais par faire quelque chose de stupide. J’avais décidé de dormir maintenant pour pouvoir rester debout pendant les vingt-quatre heures du Jour de la Corruption.

*****

Je m’étais réveillé, m’étais retourné et avais vérifié mon réveil.

« Il est déjà midi ?! »

Sautant du lit, je m’étais dirigé vers mon PC pour trouver mes villageois en plein travail.

« Oh, c’est vrai. Il est midi. Ok… tout va bien. »

J’avais ouvert les rideaux pour laisser la lumière éblouissante du soleil se répandre dans ma chambre. Une fois que demain sera passé, mes villageois et moi continuerions tous nos vies en paix. Prenant de profondes inspirations pour me calmer, je m’étais assis sur ma chaise et j’avais commencé à les examiner en détail. Tout le monde avait l’air aussi sombre que je le pensais. Gams avait du mal à rester tranquille, passant constamment de l’entraînement à l’épée à la surveillance de la tour de guet. Chem polissait ma statue dès qu’elle avait un moment de libre. Rodice vérifiait leurs provisions et renforçait la clôture, et Lyra faisait la lessive en silence. Et bien que leurs activités ne soient pas différentes de la normale, ils parlaient beaucoup moins.

Le simple fait de les regarder me rendit plus nerveux pour demain. Même Carol se comportait aujourd’hui comme si elle savait que les adultes n’avaient pas le temps de se concentrer sur elle. Elle aidait silencieusement son père avec la clôture et réparait les armes.

« Tout le monde a l’air si déprimé. Je me demande s’il y a quelque chose que je peux faire. »

La première chose qui me vint à l’esprit fut de leur écrire une prophétie qui aiderait à calmer leurs craintes. Mais qu’est-ce que je devrais écrire exactement ? Devrais-je essayer d’ajouter un peu d’humour pour les faire rire ? Sans doute pas. Ce n’était pas une chose qu’un Dieu ferait.

J’avais toujours eu du mal avec la prophétie quotidienne, mais aujourd’hui c’était particulièrement mauvais. Peut-être que je pourrais leur dire que j’interviendrais s’ils étaient en danger ou autre. Ou alors…

Après avoir écrit brouillon après brouillon, j’avais enfin quelque chose dont j’étais content. Du moins quelque chose dont je pouvais être fier actuellement. J’avais appuyé sur le bouton d’entrée. Dès que le livre situé devant ma statue s’était mis à briller, mes villageois s’étaient précipités vers lui. Ils étaient vraiment agités aujourd’hui.

« Le Seigneur nous a envoyé une prophétie ! », dit Chem.

« Mes pieux villageois, je suis sûr que vous êtes tous inquiets du prochain Jour de la Corruption. N’oubliez pas que je veillerai sur vous. Si l’un d’entre vous se trouve en danger, soyez assurés que je pourrai vous donner un coup de main. »

Voilà. En me limitant à « un coup de main », j’espérais qu’ils seraient rassurés, mais aussi qu’ils sauraient ne pas trop compter sur moi. J’espérais aussi qu’ils comprendraient que le golem était de leur côté une fois que je l’aurais invoqué. Mais j’aurais peut-être dû mentionner le golem dans la prophétie elle-même…

« Le Dieu du destin veille sur nous ! », annonça Chem.

« Exact ! Il n’y a pas besoin de se rabaisser à ça ! », ajouta Gams alors que l’obscurité s’était levée sur son visage et celui de sa sœur.

« Tant qu’il veille sur nous, nous n’avons rien à craindre ! », dit Rodice.

« C’est vrai. Alors, arrête d’être un tel lâche, et prépare-toi à te battre… mon cher ! », dit Lyra.

« Et nous avons aussi Gams pour nous protéger ! », ajouta Carol.

Leurs visages s’étaient un peu éclaircis et ils avaient commencé à bavarder comme avant, avec l’habituelle bonne humeur dans l’air. J’avais hoché la tête, satisfait que le problème de moral soit au moins résolu.

Je ne pouvais pas envoyer un autre message avant minuit, et je ne voulais pas gaspiller de PdD. J’étais tenté d’invoquer mon golem tout de suite et de le tester, mais je n’avais toujours aucune idée de comment cela fonctionnerait. Et s’il disparaissait après un certain temps ? Je ne pouvais pas risquer de l’avoir trop tôt. Le golem était la « main secourable » dont je parlais dans ma prophétie. Je devais le garder pour le moment où il serait vraiment nécessaire.

Cela signifie qu’il n’y a rien d’autre que je puisse faire ! Je suppose que je vais préparer le déjeuner.

Comme c’était un après-midi de semaine, tout le monde était sorti. Je m’étais offert une tasse de nouilles et j’avais fait frire de la viande mystérieuse que les villageois m’avaient envoyée. Pour le dessert, j’avais pris un fruit non identifié. C’était bien sûr une autre offrande.

« C’est vraiment bon. »

La viande ressemblait à du porc et avait un bon mordant. Ses jus riches avaient une sublime note de douceur.

Heh, cette nourriture est si bonne que je commence à ressembler à un critique gastronomique. Ma famille mangeait tous ces plats depuis un moment déjà, et personne n’était tombé malade. Papa avait même dit que son lumbago s’était amélioré et l’insomnie de maman avait disparu. J’avais l’habitude d’avoir une mauvaise digestion, mais je n’avais plus de problèmes avec ça depuis un moment maintenant. Cette nourriture devait être super nutritive car elle guérissait tous nos problèmes. Je me demandais si les gens riches mangeaient ce genre de choses tout le temps. Cette pensée me paraissait manifestement luxueuse.

Et alors que je rangeais la vaisselle, le téléphone sonna. Il y avait un mois à peine, je l’aurais laissé sonner, mais cette fois, j’avais décroché. C’était grâce à mon travail et à mon habitude de parler à des inconnus.

« Allô ? »

« Yoshio-kun ? Je suis si heureux que tu sois là », dit mon patron.

Je m’étais retrouvé à vérifier le calendrier instinctivement, mais bien sûr, je n’étais pas censé travailler aujourd’hui. Je commençais à craindre d’avoir fait une erreur.

« Il y a un problème ? », avais-je demandé.

« Non, non ! Je me demandais simplement si tu étais libre aujourd’hui ? Je suis un peu à court de personnel, et ce travail est arrivé à la dernière minute… »

Techniquement, j’avais des projets. Mais je ne pouvais pas imaginer le refuser parce que j’avais prévu de jouer à un jeu vidéo dans lequel je n’avais strictement rien à faire. J’étais déjà en train de formuler une vague excuse dans ma tête, mais… cet homme avait fait des pieds et des mains pour me donner un travail malgré mon manque d’expérience et sans même me connaître. Je devais aider mes villageois, mais c’était un jeu, et lui, c’était un être humain bien réel. Cela aurait dû être une évidence pour toute personne normale, mais je m’étais retrouvé à hésiter.

« À quelle heure allons-nous finir ? J’ai des projets demain… », avais-je dit.

« Ne t’inquiète pas, je m’en souviens. Ils veulent qu’on finisse tôt, donc on devrait avoir fini vers neuf heures au plus tard. »

Neuf heures, hein ? J’aurais largement le temps de manger et même de prendre un bain, et j’avais déjà décidé que je ne pouvais rien faire de plus aujourd’hui. Travailler ce soir et gagner un peu plus d’argent pour mes PdD pourrait être utile. J’avais donc décidé d’y aller.

« Très bien. Je vais commencer à me préparer. », avais-je dit.

« Merci beaucoup ! Je serai là pour te récupérer, d’accord ? Je t’en dois vraiment une ! Désolé pour le court préavis, mais Yama a appelé à la dernière minute. »

Je suppose que ce Yama est Yamamoto-san. J’espère qu’il va bien…

Il y aurait probablement des occasions dans le futur où j’aurais soudainement besoin d’un jour de congé pour m’occuper de quelque chose dans mon village. Si je faisais une faveur au patron maintenant, je pourrais probablement recevoir une faveur plus tard. Mais peut-être que j’allais trop vite en besogne en pensant que quelques heures de travail supplémentaires comptaient comme une faveur.

***

Chapitre 3 : Le Jour de la Corruption et mon manque d’oxygène

« Merde ! », avais-je crié tout en courant dans la nuit, à bout de souffle.

J’avais vérifié l’heure sur la montre que papa m’avait prêtée, il était une heure et demie du matin, ce qui signifiait que c’était déjà le Jour de la Corruption. Pour autant que je sache, mes villageois pouvaient déjà être attaqués. Je devais rentrer chez moi, et vite. Mes jambes frappaient le pavé plus vite qu’elles ne l’avaient jamais fait auparavant, poussées par la possibilité terrifiante que mes villageois soient déjà morts.

Le travail avait pris du retard. Le client était exigeant, et nous avions fini par devoir nettoyer des endroits pour lesquels nous n’avions pas été engagés. Mon patron avait essayé d’insister sur le fait que tout cela ne faisait pas partie du contrat, mais le client avait insisté, et il avait fini par céder. Il m’avait dit que je pouvais rentrer chez moi, mais j’avais refusé. Avec tout le monde présent, le travail supplémentaire n’avait pas pris plus d’une heure, mais il y eut des retards pour rentrer à la maison. La route du retour était fermée à cause d’un accident. C’était le jour idéal pour une série de malchances !

L’air froid de l’hiver remplissait mes poumons et me faisait mal à la poitrine, mais je continuais à avancer. J’avais fini par arriver à la maison, m’effondrant sur le porche.

« Qu’est-ce que c’est ?! Yoshio, qu’est-ce qui ne va pas ?! »

Maman s’était précipitée vers moi, déjà en pyjama.

« Je vais bien. Je viens juste de courir pour rentrer à la maison… », avais-je haleté

« Tu es couvert de sueur ! Eh bien, le bain est prêt pour toi. »

« J’en prendrai un plus tard. Il y a juste quelque chose que je dois d’abord faire. », avais-je promis

Le fait de l’avoir réveillée si tard dans la nuit me fit mal, mais je ne pouvais pas m’attarder sur ce sentiment de culpabilité. J’étais monté à l’étage et m’étais assis devant mon ordinateur sans même prendre la peine d’enlever ma salopette. Tous mes villageois étaient dans la grotte, sauf Gams, qui était assis dehors avec une arme.

« On dirait que tout est bon pour l’instant… »

Tout le monde dans la grotte était au lit, mais seule Carol était endormie. Je savais que Gams avait dû leur dire de se reposer, mais ils étaient probablement trop anxieux. J’avais pensé prendre un bain rapide, mais si quelque chose arrivait pendant que j’étais là-dedans, je ne me le pardonnerais jamais. En sueur comme je l’étais, je pouvais passer une journée sans me laver. Je veux dire, mes villageois n’avaient même pas de bains. Ils se contentaient de s’essuyer.

« Pourquoi ce tapage à cette heure de la nuit ?! »

Je m’étais retourné pour voir Sayuki debout devant la porte de ma chambre, que j’avais oublié de fermer dans ma précipitation. J’avais fait pivoter ma chaise vers elle, en m’assurant de la positionner de façon à ce qu’elle ne puisse pas voir ce qui était sur l’écran.

« Désolé, je ne savais pas que tu étais réveillée. J’étais juste pressée, mais je ne ferai plus de bruit. Tu peux retourner te coucher. »

« Très bien. »

Sayuki s’était retournée pour partir, mais elle s’était arrêtée.

J’avais serré les dents. J’avais besoin qu’elle parte d’ici pour pouvoir me concentrer sur le village.

« Tu pues. Si tu traînes dans tes vêtements sales comme ça, tu vas tomber malade. Va prendre un bain. »

« Oui, oui, je le ferai. Je m’y rendrais un peu plus tard. »

« Je sais que tu mens. Tu as toujours eu ce tic où tu regardes à gauche dans ces cas-là. »

J’avais soudainement compris pourquoi Sayuki était toujours aussi douée pour déceler mes mensonges. Je m’étais dit dans ma tête d’être plus prudent la prochaine fois.

« Tu laisses ton ordinateur allumé et tu joues à ce jeu depuis longtemps. Il y a-t-il un événement aujourd’hui ? », avait-elle demandé.

« Comment sais-tu ça ? », avais-je demandé.

Est-ce qu’elle était venue dans ma chambre pendant que j’étais sorti ?

« Quoi, un événement ? Dans le jeu ? Maman m’a parlé du jeu. Elle a dit que tu lui avais dit de ne jamais éteindre ton ordinateur. »

Maman avait l’habitude de venir dans ma chambre sans demander, alors je lui avais demandé de ne pas toucher à mon ordinateur.

Je ne savais pas quoi dire à Sayuki. La lettre ne disait-elle pas que je perdrais mon droit de jouer si je diffusais des informations sur le jeu en ligne ? Cela signifiait que je devais probablement ne rien dire à Sayuki. J’avais décidé d’improviser.

« Oui, il y a un événement. Sauf que ce jeu est encore en développement, et que je le teste. Je suis aussi payé pour ça. Si je divulgue des informations à son sujet, je serai viré et je devrai payer des dommages et intérêts. Alors, ne le dis à personne, d’accord ? »

Je l’avais regardée droit dans les yeux, en m’assurant que je ne faisais pas ce tic bizarre de « regarder à gauche » dont elle parlait.

Elle m’avait rendu mon regard de manière égale avant de le détourner brusquement et de marmonner quelque chose pour elle-même.

« Eh bien, peu importe. »

« Huh ? Quoi ? »

« Rien. Si tu t’inquiètes pour ton jeu, je peux garder un œil dessus pendant que tu prends ton bain. Tu ne peux pas jouer correctement si tu es malade. »

Pourquoi était-elle en colère maintenant ? Je puais vraiment à ce point ? Je m’étais reniflé pour vérifier, mais tout ce que je sentais était le détergent que nous utilisions au travail.

Elle avait cependant raison sur une chose. Si je tombais malade, je ne serais pas en mesure de protéger mes villageois aujourd’hui. De toute façon, discuter avec elle prendrait probablement plus de temps que de céder.

« Très bien. Je serai rapide, alors regarde le jeu pour moi en attendant. Il est censé y avoir un événement aujourd’hui, mais ils n’ont pas dit à quelle heure il commence, je ne peux donc pas quitter mon ordinateur. Si tu vois des monstres, tu peux venir me chercher tout de suite ? »

« Je vais faire attention à tes monstres. Fais vite, d’accord ? », grommela-t-elle.

Malgré son ton, ma sœur était une femme de parole, je me sentais donc en sécurité en lui laissant mes villageois entre ses mains.

J’avais pris mes sous-vêtements, mon sweat-shirt et mon pantalon, les vêtements habituels que je portais pour dormir, je m’étais dirigé vers la salle de bain et je m’étais déshabillé. Je m’étais lavé avant d’entrer dans le bain pendant quelques secondes seulement. J’étais sur le point de repartir, mais j’avais réalisé que Sayuki serait probablement en colère si je ne me lavais pas au moins les cheveux. Je m’étais donc empressé de le faire.

Une fois hors du bain, je m’étais séché aussi vite que possible. J’avais enfilé mon survêtement et enroulé une serviette autour de mes cheveux mouillés. Ma peau était encore un peu humide et mes vêtements s’y collaient dessus, mais je savais que j’allais bientôt sécher. J’avais récupéré le dîner que maman avait laissé pour moi, pris une bouteille de thé et j’étais retourné dans ma chambre.

Sayuki regardait l’écran, une expression vide sur son visage.

« Merci », avais-je dit.

« Pas de problème. Oh, tu as trouvé ça, hein ? », dit Sayuki tout en remarquant l’assiette dans ma main.

Elle la fixait, peut-être avait-elle faim.

« Es-tu sûr de t’être lavé correctement ? Tu as mis, genre, deux secondes. »

« Ne t’inquiète pas. Je suis propre maintenant. S’est-il passé quelque chose pendant ce temps ? »

« Non. Personne ne bouge. Je me disais juste que les graphismes sont superbes. C’est assez réaliste pour être un film d’action. »

Je n’avais pas répondu, je m’étais juste assis par terre, dos à elle, et j’avais déballé mon dîner. Si elle ne pouvait pas voir mon visage, tous mes mensonges passeraient inaperçus.

« Oui, c’est un jeu d’avant-garde. Le budget est énorme. »

« Tu caches quelque chose. Tu ne tournes le dos comme ça que lorsque tu te sens coupable. »

Ugh ! Encore ? !

Je commençais à comprendre comment elle avait pu être aussi perspicace durant toutes ces années. Ce devait être la raison pour laquelle j’avais perdu tant de petits concours et de jeux avec elle au fil des ans. C’était bizarre d’apprendre quelque chose de nouveau sur ma sœur après tout ce temps.

« Oui, je suppose que je cache quelque chose. Mais je te jure que ce n’est rien de grave », lui avais-je répondu sèchement tout en me retournant.

Son regard rencontra le mien, et aucun de nous ne détourna les yeux cette fois.

« C’est quelque chose que tu ne peux pas dire à moi ou à maman et papa, n’est-ce pas ? »

« Oui. Pour le moment, du moins. »

« Très bien. Je crois que je vais aller me coucher alors… Oniichan. »

J’étais tellement décontenancé que je n’avais pas pu lui répondre. Sayuki ne prit d’ailleurs pas le temps de l’attendre pour me laisser seul dans ma chambre.

« Je ne me souviens pas de la dernière fois où nous avons autant parlé. C’est un peu comme au bon vieux temps… »

J’avais souri à moi-même pendant un instant avant de réaliser.

« Oh, c’est vrai ! Je dois aller voir mon village. »

Il était important que je ne laisse rien me distraire du village aujourd’hui. Comme Sayuki l’avait dit, tout était calme pour le moment. J’avais fait un zoom arrière jusqu’à ce que je puisse voir toute la carte visible, mais il n’y avait pas un seul monstre visible. J’avais donc la possibilité de me détendre un peu, ce que je fis donc. J’avais ramassé ma nourriture et ma boisson sur le sol et les avais posées sur mon bureau.

« Deux heures sont passées, et il en reste vingt-deux. Je ne peux pas baisser ma garde. »

La journée va être longue.

J’avais tranquillement pris une bouchée de ma boule de riz.

*****

Finalement, le jour se leva à la fois dans le Village du Destin et dans le monde réel. À six heures et demie, mes villageois s’étaient déjà réunis pour le petit-déjeuner.

« J’avais l’habitude de rester debout toute la nuit. Je suppose que c’est à cause de tous ces travaux forcés que je fais maintenant. », avais-je dit en bâillant.

Je m’étais frotté les yeux et j’avais tapé sur mes joues, mais les vagues de somnolence continuaient à arriver.

Peut-être que je devrais faire une sieste…

Non, c’était une mauvaise idée. J’avais travaillé trop longtemps pour cette journée. Si quelque chose arrivait pendant que je dormais, tout cela n’aurait servi à rien. Je devais résister encore un peu.

« Je suppose que je vais prendre du café. »

J’avais vérifié qu’il n’y avait pas de monstres sur la carte avant de descendre.

Maman était dans la cuisine, et papa dans la salle de bain. Je n’avais pas réalisé qu’ils seraient levés si tôt. Je suppose qu’ils avaient fait cela presque tous les jours au cours des dernières décennies, comme le reste de la société civilisée. Plus j’y pensais, plus cela m’impressionnait.

Il ne restait que des assiettes vides sur la table à manger, ce qui m’indiquait que Sayuki était déjà partie au travail. Elle avait l’habitude de mettre sa propre vaisselle dans l’évier, elle devait donc être pressée aujourd’hui. Je l’avais fait pour elle ce matin, j’avais quand même perturbé son sommeil la nuit dernière.

« Oh, tu t’es levé tôt malgré le fait que tu sois rentré si tard hier soir », dit maman.

« Tu te souviens que je t’ai dit que j’avais un truc à faire à la fin du mois ? Je dois parler aux villageois en ligne aujourd’hui, et je dois être prêt pour ça. »

« On dirait que tu travailles dur. »

Papa était sorti de la salle de bain, fraîchement rasé et les cheveux gominés.

« Je suppose que oui. »

Je ne voulais pas traîner plus longtemps au cas où ils auraient des soupçons, j’avais donc pris une boîte de café dans le réfrigérateur et j’avais fait en sorte de retourner dans ma chambre.

« Tu ne veux pas de petit-déjeuner ? »

« Non merci, je suis encore en train de digérer le dîner d’hier soir », avais-je dit par-dessus mon épaule.

Lorsque je fus de retour, je vérifiai immédiatement mon ordinateur, mais tout était encore paisible. Rodice était de garde tandis que Gams était dans sa chambre en train de faire une sieste.

« Je vais m’en sortir… Je vais m’en sortir ! Les monstres ne sortent de toute façon pas le matin… » Rodice se murmurait à lui-même, sa lance prête à l’emploi.

L’instant d’après, il poussa un cri en entendant le bruit d’une feuille solitaire pousser par le vent. J’avais soupiré, décidant qu’il serait bon que je fasse le guet moi-même.

« Je me demande ce que les femmes sont en train de faire. »

J’avais déplacé la vue à l’intérieur de la grotte. Gams était le seul dans une des pièces, et bien qu’il ait les yeux fermés, il ne dormait pas. Tous les autres s’étaient réfugiés dans la grotte, et Carol jouait seule avec des blocs de construction.

« Pourquoi ne peut-on pas déjà être demain ? », soupira-t-elle tristement.

« J’espère que Rodice ne se donne pas trop de mal », dit Lyra tout en faisant le ménage et la lessive.

« Seigneur, faites que nous survivions tous ensemble afin de voir demain », dit Chem en priant devant ma statue.

Tout le monde semblait agité, même s’ils essayaient de garder leur anxiété pour eux. Je ne pouvais pas les blâmer, car j’étais dans le même état.

« J’espère que rien ne se passera… mais c’est un jeu vidéo. C’est un peu cruel de leur part de me faire surveiller pendant vingt-quatre heures », avais-je grommelé à haute voix, même si je savais que les développeurs ne m’entendraient pas.

L’anxiété et l’appréhension faisaient rage dans mon estomac. Je ne voulais pas qu’il se passe quelque chose, mais j’espérais aussi un peu d’excitation. Pourtant, la seule chose que je pouvais faire était de regarder.

Même après le déjeuner, tout était calme. À part sortir pour aller aux toilettes, j’avais passé toute la matinée assise sur ma chaise à regarder. Le sommeil menaçait de m’envahir encore et encore, mais à chaque fois, je me forçais à me réveiller.

« Je devrais peut-être faire une sieste. »

J’étais doué pour me lever quand il le fallait, alors si une sorte d’alarme se mettait à résonner au moment où les monstres arriveraient, je serais prêt à bondir rapidement. Le problème était que je n’avais toujours aucune idée de ce à quoi m’attendre aujourd’hui.

J’étais en train de penser à un autre café quand j’avais remarqué quelque chose parmi les arbres à l’extérieur de la clôture du village. J’avais rapidement augmenté le volume de mon ordinateur. Je pouvais entendre un bruissement. Gams, qui était de garde, l’avait aussi remarqué. Dégainant ses épées, il regarda par-dessus la clôture. L’instant d’après, le jeu déclencha une sirène hurlante. Un texte rouge apparu sur l’écran.

« Le Jour de la Corruption est arrivé ! »

Oh, il y avait donc une notification. Je le garderai en tête pour la prochaine fois. Je m’étais penché en avant pour fixer l’écran, retenant mon souffle lorsque cinq loups-garous étaient apparus de la forêt.

Le Jour de la Corruption avait enfin commencé.

***

Chapitre 4 : Les monstres qui avancent et mon jugement qui vacille

Gams se précipita en bas de l’échelle de la tour de guet. Les loups-garous étaient à environ cinq mètres et avançaient régulièrement vers la clôture.

« On doit d’abord s’occuper de ceux-là », avais-je marmonné tout en me rappelant qu’ils avaient des crocs empoisonnés.

La dernière fois, Gams avait réussi à en combattre deux. Maintenant, il y en avait cinq, et il les combattait toujours seul. Peut-être que la barrière les arrêterait, et qu’ils rentreraient chez eux…

J’avais regardé l’un des loups-garous s’approcher de la clôture, renifler, puis faire quelques pas en arrière. Soudainement, il s’était mis à courir, puis avait bondi et avait facilement franchi la clôture. Mais il n’était pas allé loin.

Gams planta une lance dans le ventre du loup au moment où il commençait à descendre, il le vit à travers l’un des nombreux judas de la clôture et avait parfaitement synchronisé son coup. Voir les judas porter leurs fruits me rendit heureux, j’avais suggéré qu’ils en fassent.

Gams secoua le loup de sa lance et le laissa tomber à l’extérieur de la clôture, mort. Il espérait peut-être envoyer le message suivant : sauter par-dessus est une mauvaise idée, vous devriez partir. Mais ce qu’ils firent était complètement inattendu. Dès que le corps fut tombé, ils sautèrent dessus et l’engloutirent. Eh bien… c’était horrifiant.

Leur compagnon de meute dévoré, les quatre autres loups s’étaient éloignés de la clôture ensemble.

« Ils ne peuvent pas avoir l’intention de charger tous en même temps… »

Un moment plus tard, ils m’avaient montré à quel point j’avais tort, car ils avaient chargé et sauté par-dessus la barrière à l’unisson. Je ne pensais pas que Gams pourrait s’occuper de quatre individus à la fois. Il me montra alors ses capacités de maniement de la double arme, en transperçant deux d’entre eux d’un coup de lance. Les deux autres arrivèrent à l’intérieur de la clôture.

Il jeta les lances et sortit ses deux épées. Il poignarda l’un des loups avant qu’il n’ait pu se relever d’un atterrissage douloureux, puis se retourna et trancha la gorge de l’autre.

« Merde, il est plus fort que je ne le pensais. Je suppose que je l’ai sous-estimé. »

Je m’étais retrouvé à m’incliner devant l’écran en guise d’excuse, me demandant si j’avais besoin d’invoquer le golem. Quand Gams n’était pas distrait par la défense d’autres personnes, il était inarrêtable.

« Wôw, Gams ! Tu es trop cool ! »

Carol sauta de l’entrée de la grotte.

Chem l’avait suivie.

« Je savais que tu pouvais le faire, mon frère ! »

« Reculez, vous deux. Il pourrait y en avoir d’autres. », avertit Gams en tendant la main pour les arrêter.

J’avais vérifié la carte, mais les choses étaient à nouveau calmes. Pourtant, écrire une prophétie juste pour le leur faire savoir serait un vrai gâchis.

« Je ne vois pas de monstres. Je pense que nous sommes en sécurité ! », proclama Rodice du haut de la tour de guet, la main sur son front en regardant autour de lui.

Il était au moins un peu plus courageux maintenant.

« Ne te penche pas autant en avant ! »

Lyra l’appela d’en bas.

« Puisqu’il n’y a pas de monstres, pouvez-vous m’aider ? », demanda Gams.

« Bien sûr ! Je ferai n’importe quoi ! », promet Carol.

« Reste en arrière, Carol. C’est un jour où les enfants doivent rester constamment cachés. Bon, que veux-tu que je fasse, Gams ? », demanda Chem tout en se frayant un chemin dans son espace personnel avec Carol.

Au début, Gams avait l’air un peu fatigué, puis il hocha la tête et tapa dans ses mains comme s’il venait de penser à quelque chose.

« Pourriez-vous m’aider à porter les loups morts de l’autre côté de la barrière ? »

Il désigna les loups sur le sol. Le visage des filles s’effondra.

« Je vais aussi aider Gams avec les loups », dit Rodice, maintenant descendu de la tour de guet.

Il commença à retirer l’un des corps, la lance toujours à l’intérieur. Gams donna à chaque fille une petite tape sur la tête avant de le rejoindre.

« J’ai un travail que nous pouvons faire tous ensemble ! Pourriez-vous venir et aider ? », dit Lyra.

Les deux filles se précipitèrent à l’intérieur aussi vite qu’elles le pouvaient.

« On a plutôt bien géré la première vague. J’espère juste que tout sera aussi facile… », m’étais-je murmuré à moi-même.

*****

Il y eut quelques autres attaques de monstres ce jour-là, mais Gams les avait tous tués sans problème. Chem avait soigné ses petites blessures avec sa magie. J’avais noté le moment où les monstres attaquaient et j’avais vite compris que chaque nouvelle vague arrivait soit trente minutes, soit une heure après la dernière. Et plus ils mettaient de temps à revenir, plus l’attaque était brutale. Les vagues après une heure contenaient plus de monstres que celles de la demi-heure. Jusqu’à présent, ceux-ci étaient tous arrivés en groupes. Au début, c’était surtout des loups-garous, mais j’avais ensuite commencé à voir des monstres ressemblant à des sangliers que je connaissais très bien. C’était l’origine de la viande que mes villageois m’envoyaient sans cesse. Après cela, ils auraient de la viande pendant des jours, ce qui signifiait que ma famille et moi aurions aussi de la viande pendant des jours.

J’avais cliqué sur l’un des sangliers. Apparemment, ils étaient appelés « boarnabies ». C’était un nom étrangement mignon pour quelque chose qui avait l’air si intimidant. Ça les faisait paraître plus grognons qu’effrayants. Mais en vérité, ils étaient plus difficiles à gérer que les loups. Ils s’étaient acharnés contre la clôture, encore et encore. Et à cause d’eux les rondins allèrent bien vite s’effondrer.

Heureusement, mes villageois avaient un plan. Ils avaient placé plusieurs pieux pointus devant la clôture, à la même hauteur que la tête des cochons. Les cochons se lançant dans ces pieux étaient tués sans que Gams ait besoin de lever le petit doigt. Après une attaque, Gams et Rodice allaient ramasser leurs corps, libérant les pieux et récupérant la bonne viande à l’intérieur pour la transformer.

« Jusqu’ici, tout va bien », m’étais-je dit.

Tout se passait bien mieux que ce à quoi je m’attendais, même si je supposais que je devais remercier la grotte pour cela. Gams avait déjà combattu cinq vagues de monstres à lui tout seul. Je l’avais même vu en affronter trois à la fois. J’étais vraiment impressionné, mais même ainsi, obtenir d’autres combattants devait être mon prochain objectif.

Il commençait à faire sombre, tant dans la vie réelle que dans le monde du jeu. J’avais regardé l’heure. Il était déjà plus de cinq heures du soir.

« La plupart des monstres sont nocturnes, non ? Je suppose que les choses vont commencer à devenir sérieuses maintenant. »

Mes villageois le savaient aussi. Ils avaient fait en sorte que Gams se repose pendant que Rodice et Chem montaient la garde. J’avais peur qu’il s’épuise trop tôt. J’avais eu des problèmes après quelques heures passées sur l’aspirateur, alors je ne pouvais qu’imaginer la tension qu’il ressentait en ce moment. S’il était trop épuisé, mentalement ou physiquement, il pourrait faire une erreur. Cette pensée m’avait rendu encore plus nerveux.

« Il est peut-être temps que je fasse mon coup. »

Une fois la vague en cours terminée, j’en avais profité pour filer en bas et dire à ma mère que je ne me joindrais pas à la famille pour le dîner en m’emparant de quelques snacks et boissons.

« Mais je vais faire ce poulet frit que tu aimes tant ! Es-tu sûr ? »

« Désolé, maman, mais je ne peux vraiment pas », lui avais-je répondu en retournant à l’étage.

Bien que l’idée de son poulet frit me mette l’eau à la bouche… j’espérais pouvoir y aller quand il sera prêt et en prendre un peu pour le monter.

J’avais posé ma nourriture et mes boissons autour de mon ordinateur. J’avais tourné mon horloge vers moi pour garder un œil sur l’heure. Tout ce scénario me rappelait un autre jeu, un MMO avec un événement spécial qui ne donnait que deux jours aux joueurs pour chasser un monstre rare. Le monstre apparaissait une fois par heure et je me souviens avoir attendu et surveillé les points d’apparition. Je me souviens aussi avoir eu l’impression de prendre le jeu très au sérieux, mais ce n’était rien comparé à la protection de mon village.

Jeu ou pas, je voulais protéger ces gens. Ils m’avaient donné un nouveau départ dans la vie. Ils m’avaient sauvé, et je voulais leur rendre la pareille.

« Il reste un peu plus de six heures. Vous pouvez le faire, les gars ! »

Je n’étais pas prêt à baisser ma garde. Pas maintenant.

*****

J’avais mâché du poulet frit en faisant le guet. L’attaque suivante avait eu lieu juste après sept heures. C’était la première après le coucher du soleil. C’était aussi la première fois que deux types de monstres différents faisaient équipe, cinq loups terriers et trois boarnabies. Je m’étais dit que le fait de demander aux loups d’attaquer les cochons plutôt que mes villageois était trop demandé.

Rodice était sur la tour de guet. Il avait repéré les monstres justes un peu après moi.

« Attaque de monstre ! Cinq loups redoutables et trois boarnabies ! », cria-t-il.

L’instant d’après, la porte de la grotte s’ouvrit et Gams sauta dehors. Chem et Carol voulurent le suivre, mais il leva une main pour les arrêter.

« Merci, Rodice ! Retournez tous à l’intérieur, s’il vous plaît ! », dit Gams.

« Sois prudent, d’accord ? N’en fais pas trop. », répondit Rodice.

Une fois la porte fermée et tout le monde en sécurité à l’intérieur, Gams ramassa ses lances.

« Je dois me surpasser ou je ne pourrai pas les vaincre », répondit-il dans son souffle, mais surtout pour lui-même.

Ses mots ne faisaient que rendre plus clair le fait qu’ils avaient besoin de plus de combattants. Comme d’habitude, Gams prit position près de la barrière et prépara une lance dans chaque bras. Il en tua deux alors qu’ils sautaient et en décapita deux autres avec ses épées peu après. J’avais laissé échapper un soupir de soulagement une fois qu’il n’en avait plus qu’un seul à traiter… jusqu’à ce que j’entende le grand fracas de plusieurs troncs tombant.

« Ils sont passés à travers ?! », avais-je haleté.

Deux des cochons avaient dégringolé à travers le grand trou qu’ils avaient créé dans la clôture. J’avais cherché l’autre pour trouver sa tête empalée sur un pieu. Le loup restant bondit sur Gams, profitant de la distraction. Il roula alors sur le sol, réussissant tout juste à l’esquiver. Mais maintenant, il était entouré de trois monstres.

« Dois-je invoquer le golem ? »

J’avais fait une pause, après tout ce que j’avais vu faire à Gams, je pensais qu’il pouvait gérer ça.

Les deux cochons s’étaient précipités vers Gams, qui n’avait pas perdu de temps pour ramasser une des lances à ses pieds et l’utiliser comme une perche pour sauter par-dessus eux. Dès que ses pieds touchèrent le sol, il s’était retourné et jeta la lance sur l’un des cochons, mettant rapidement fin à sa vie.

« En voilà un », murmura-t-il pour lui-même.

Le deuxième cochon était à l’entrée de la grotte. Il dérapa pour faire face à Gams avant de le charger à nouveau. J’étais curieux de voir le dernier loup-garou, mais au moment où j’avais regardé, il avait déjà une dague dans la tête. Avec un seul ennemi à affronter, les chances étaient en sa faveur. Tout ce qu’il fallait, c’était une seule attaque.

Cinq monstres, et il les avait tous éliminés sans le moindre problème. Viril, fort et compétent, je n’étais pas surpris qu’il soit populaire auprès des femmes de la grotte. Même la façon dont il essuyait la sueur de son front était captivante. Chem et Carol auraient probablement été extrêmement jalouses de la place que j’occupais au premier rang de ses prouesses de combat.

« Maintenant que c’est terminé, nous devrions réparer la clôture. »

Sans même prendre le temps de respirer, Gams s’était attelé aux réparations. Les autres villageois lui avaient apporté des rondins de remplacement depuis l’intérieur de la grotte.

« Essayons de la rendre encore plus solide qu’avant ! », dit Chem.

« Bien ! Va te reposer, Gams, nous allons nous occuper de ça. Si tu t’effondres, nous sommes fichus. Carol, emmène-le à l’intérieur ! »

« Ok ! Allez, Gams ! C’est l’heure de la sieste ! »

Carol était plus qu’heureuse de suivre l’ordre de Lyra.

Je pouvais voir que Gams voulait insister sur le fait qu’il pouvait continuer, mais il fit ce qu’ils avaient dit, s’asseyant sur le sol et regardant tout le monde travailler avec un froncement de sourcils mécontent sur son visage. Chem travaillait dur pour rattraper son frère, mais elle n’était pas de taille face à Rodice, qui faisait la majorité du travail.

« Tu peux me trouver une aiguille et du fil ? », demanda Rodice à Chem.

« Bien sûr ! Je reviens tout de suite ! »

« Lyra, viens m’aider par ici », dit-il.

« J’arrive ! De quoi as-tu besoin ? »

J’étais heureux de voir Rodice donner des ordres avec autant d’assurance. Il était difficile de croire que c’était le même homme qui tressaillait à la vue d’une feuille. Même si Gams lui faisait de l’ombre la plupart du temps, il était fiable à sa façon.

Je surveillais les environs pour m’assurer que rien ne les surprendrait pendant qu’ils travaillaient. Si je repérais quelque chose, je leur envoyais immédiatement une prophétie.

Grâce à l’entraînement des villageois ces derniers jours, ils avaient pu réparer la clôture en un rien de temps. Ils la renforcèrent avec des planches de bois.

L’attaque suivante amena huit monstres. Il semblerait que ça ne ferait qu’empirer à partir de maintenant. À ce moment-là, j’avais remarqué que quelque chose bougeait dans la forêt voisine. J’avais regardé de plus près. Ce n’était pas seulement un ou même deux monstres. Il y en avait cinq, dix, quinze… plus de vingt. Alors que je m’efforçais de les compter, un avertissement était apparu sur l’écran en grosses lettres rouges.

« Jour de la Corruption : Assaut final ! »

Les mots clignotèrent à plusieurs reprises, et une alarme perçante retentit.

« Je suppose que c’est le combat contre le boss ! Je suis vraiment prêt ! », avais-je souri.

« Tout le monde, dans la grotte ! Je peux les sentir… Ils sont nombreux ! », cria Gams en sautant sur ses pieds.

Aucun des villageois n’avait contesté le regard alarmé qu’il arborait. Ils s’étaient précipités dans la grotte sans un mot de plus. Les buissons épais de la forêt s’étaient séparés pour révéler un groupe de vingt monstres.

***

Chapitre 5 : La confrontation de mes villageois avec la mort et ma détermination

La seule ombre au tableau était que c’était la dernière vague.

Il y avait un nouvel ennemi cette fois : les orcs de la séquence d’ouverture. J’avais cliqué sur eux pour découvrir qu’ils étaient simplement appelés « gobelins verts ». Ils avaient une apparence plus humaine que les autres monstres, et ils semblaient avoir l’intelligence correspondante puisqu’ils avaient commencé à détruire les piquets de la clôture avec leurs massues. Les cochons s’étaient alors écrasés sur la clôture, envoyant le reste des piquets voler ainsi que plusieurs bûches.

Les monstres grouillaient à l’intérieur, ayant des vues sur Gams alors qu’ils chargeaient. Il avait envoyé une lance sur un gobelin, et bien qu’elle avait atteint sa cible, il n’avait pas pu se défendre contre la ruée des cochons. Il s’envola d’abord dans les airs, puis s’écrasa sur le sol, rebondissant et roulant comme une des poupées de Carol.

Il avait essayé de se relever, mais n’avait pu que se mettre à genoux en haletant. Les monstres l’avaient envahi. Malgré sa mauvaise position et ses blessures, Gams avait réussi à en abattre quelques-uns, mais je savais qu’il ne tiendrait pas longtemps.

« Gams ! », cria Chem tout en jetant un coup d’œil à l’intérieur de la grotte, les larmes aux yeux lorsqu’elle l’aperçu.

« Chem ! Reste calme ! », l’avertit Rodice.

« Je sais ce que tu ressens, mais tu dois rester avec nous », insista Lyra.

Ils la tenaient fermement pour l’empêcher de se jeter dans la mêlée. Carol ne dit rien, mais elle trembla et son visage devint pâle. À ce rythme, ils seront tous tués.

« Je ne peux pas m’asseoir et regarder, il est temps d’invoquer le golem ! »

J’avais déjà le menu des miracles ouvert, et j’avais cliqué sur le bouton. À ce moment-là, l’écran du jeu était devenu blanc et passa à une vue à la première personne. J’étais à l’intérieur de la grotte, et je regardais la famille de Rodice et Chem qui me fixaient avec étonnement. J’étais tenté de voir ce que cette chose pouvait faire, mais ce n’était pas le moment.

« C’est donc la perspective du golem, hein ? »

J’avais attrapé ma manette de jeu. Les commandes étaient dans le coin inférieur gauche de l’écran, et elles semblaient assez standard. J’avais sauté par-dessus l’autel et pris une arme sur le mur. Quand j’avais essayé de sprinter, le golem s’était déplacé plus vite que prévu. J’avais toujours pensé que les golems étaient censés être des créatures lentes et paresseuses, mais apparemment pas dans ce monde.

 

J’avais essayé de déplacer l’épée en courant. Celle-ci bougea exactement comme je le voulais. Si l’agilité de ce golem était une erreur, c’était le genre d’erreur avec laquelle je pouvais vivre. Ma forme de golem était peut-être un peu plus grande que Gams et fonctionnait comme les protagonistes humains de la plupart des jeux d’action auxquels je jouais. Cette familiarité était un soulagement. J’étais passé devant Chem et les autres et j’avais bondi hors de la grotte.

« Dieu du Destin… »

J’avais vu Chem murmurer.

Elle m’avait reconnu instantanément, ce qui me fit me demander si le golem brillait d’une lumière divine. De mon point de vue, je ne serais pas capable de voir quelque chose comme ça.

Gams se battait toujours dehors. Du sang coulait sur son visage, et son bras droit pendait mollement à son côté. Il était couvert de blessures, mais il continuait à se battre.

« Je ne peux pas… les laisser entrer ! Même si je dois mourir ! »

Gams fixa les monstres. Toute personne normale se serait effondrée sous le poids de ces blessures.

« Je suis vraiment fier de toi, Gams. Maintenant, laisse-moi m’occuper du reste ! »

Je m’étais avancé et j’avais abattu le loup-garou qui plantait ses crocs dans sa jambe. Ma lame l’avait transpercé. Ce golem était aussi puissant que je l’avais espéré. Levant mon épée une fois de plus, je m’étais préparé à attaquer le boarnaby qui me chargeait. J’avais attendu le bon moment et j’avais appuyé sur le bouton pour attaquer, coupant le cochon en deux. Les deux moitiés de son corps passèrent devant moi avant de s’écraser sur le sol derrière moi. Gams pouvait lui aussi tuer des monstres d’un seul coup, mais il n’y parvenait qu’en évitant soigneusement de toucher les os — même lui ne pouvait pas trancher une créature de la tête à la queue par sa seule puissance. Économiser mes PdD pendant si longtemps en valait la peine !

Je m’étais lancé dans la mêlée, balançant mon épée dans tous les sens. Chaque coup réduisait leur nombre. Je ne subissais pas non plus beaucoup de dégâts. J’avais passé la journée à étudier les monstres et leurs modes d’attaque pour être prêt. Les loups-garous s’accroupissaient toujours avant de bondir, je devais juste m’écarter au bon moment. Les cochons chargeaient toujours en ligne droite, il suffisait donc de tendre mon épée pour qu’ils s’empalent dessus.

Je n’avais pas d’informations sur les gobelins verts, mais j’étais sûr d’apprendre rapidement. Je n’avais pas joué à des jeux toutes ces années pour rien. Une partie de moi voulait laisser les ennemis m’attaquer pour voir ce que mon golem pouvait supporter, mais j’avais décidé de ne pas le faire, juste au cas où il serait un golem en verre.

Si les monstres avaient coopéré entre eux au lieu de suivre leurs instincts individuels, le combat aurait été certainement plus difficile. Mais seuls les gobelins semblaient réfléchir à leurs attaques. Heureusement qu’ils n’étaient pas particulièrement forts. Un coup rapide de mon épée fit voler leurs têtes en l’air.

Le seul inconvénient était que j’étais bien meilleur aux jeux à la troisième personne qu’à la première.

Attendez ! Je peux changer la vue !

L’option était juste là, cachée au bas de la boîte qui m’expliquait les commandes. Après avoir esquivé une autre attaque, j’avais cliqué sur ce bouton et, comme je m’y attendais, la caméra changea pour me permettre de regarder derrière le corps de mon golem.

Hein ?

Le golem n’était pas du tout le géant de pierre robuste que j’avais imaginé. Son corps était d’un brun sombre, mais sa tête était petite, et il avait de longs cheveux attachés qui lui arrivaient aux hanches. Il portait même une sorte de robe avec un tissu noué à la taille. J’avais déplacé la caméra pour la regarder de face.

« C’est plutôt beau… »

Son visage androgyne était orné d’un sourire doux et aimant qui ne semblait jamais vaciller. En un mot, c’était divin.

Le golem portait une armure sur ses avant-bras et ses mollets qui me rappelait les gladiateurs romains que l’on voyait parfois dans les films. Même si je le regardais avec surprise, je continuais à tuer les monstres autour de moi. La façon dont il se déplaçait était vraiment aussi belle et élégante que ce que l’on pouvait attendre d’une divinité ramenée sur terre. Même le sang qui giclait autour de lui ne pouvait lui enlever sa divinité à couper le souffle.

Peut-être que c’était ce à quoi le Dieu du Destin ressemblait canoniquement. Cela expliquerait pourquoi Chem m’avait reconnu. La couleur de son corps ressemblait moins à de la pierre qu’à du bois. Maintenant que j’y pense, j’étais apparu juste à côté de l’autel… Ce corps était-il vraiment la statue que Chem et Gams avaient fabriquée ? Penser qu’une statue aussi simple et grossière pouvait se transformer en quelque chose d’incroyablement élégant, comme si elle avait été faite par les plus grands sculpteurs du monde !

Je ne comprenais toujours pas pourquoi on l’appelait golem alors qu’il n’était pas fait de pierre ou de terre, même si je supposais que certains jeux et romans avaient des golems en métal, ou même un patchwork de cadavres. J’avais peut-être déjà entendu parler d’un golem en bois.

Si mon golem était en bois, il pourrait être assez fragile. J’étais content de ne pas avoir testé cela avant. Quoi qu’il en soit, tout ce qui importait était que je puisse l’utiliser pour protéger mes villageois.

Après avoir vaincu tous les ennemis, j’avais reposé ma manette de jeu sur mon bureau. J’avais souri en sirotant la fin de ma bouteille de thé.

« Finalement, j’ai vraiment fait quelque chose de divin. »

Avec un peu de chance, je pourrais continuer à utiliser le golem pour protéger mes villageois.

 

« Le Jour de la Corruption est terminé. Plus aucun monstre n’apparaîtra aujourd’hui. »

Un jingle triomphant retentit alors que ces mots rouges apparaissaient sur l’écran. Nous avions réussi, et nous pouvions enfin nous détendre. Je n’avais pas pu m’empêcher de lancer un poing victorieux en l’air.

« Oui ! Oui ! Ouiiiii ! »

J’avais même bondi de ma chaise et applaudi, la joie éclatant dans tout mon corps.

« Yoshio ! Baisse le ton ! »

J’avais entendu maman crier d’en bas.

Une fois que je m’étais calmé, j’étais retourné au jeu pour vérifier l’état de Gams. Tous mes villageois étaient réunis autour du golem.

« Il est certainement très courageux ! Merci beaucoup, Seigneur », dit Chem.

« Merci d’être intervenu pour me sauver la vie, Seigneur. »

« Ouah ! La statue a pris vie ! »

« Il l’a fait, n’est-ce pas, Carol ? C’est grâce à lui qu’on s’en est tous sortis », dit Lyra.

« Merci, Seigneur, d’avoir sauvé ma famille, Chem et Gams », dit Rodice.

Des larmes de gratitude coulaient sur les joues de Chem. Gams mit son bras autour d’elle et la serra contre lui. Carol sautilla comme si elle ne pouvait pas contenir sa joie. Ses parents la regardèrent et se serrèrent l’un contre l’autre en pleurant de soulagement. L’ampleur de leur gratitude me mettait plus que jamais mal à l’aise. Je sentais mes joues s’échauffer, même si je savais que ce n’était qu’un jeu.

En tant que leur Dieu, je devais répondre à leurs remerciements d’une manière ou d’une autre. Il y avait un moyen de lever la main du golem, me suis-je dit… C’était quoi déjà ? Mais quand j’avais essayé de le faire, ça n’avait pas marché.

« Huh ? Il s’est cassé ? Peut-être qu’il s’arrête au bout d’un certain temps… »

J’avais jeté un coup d’œil aux contrôles en bas de l’écran.

« L’utilisation du golem consomme des PdD. Si vous n’avez plus de PdD, vous ne pourrez plus utiliser le golem. De plus, vous ne pouvez utiliser le golem qu’une fois par jour. »

« C’est quoi toutes ces restrictions ? »

J’avais vérifié mes PdD dans le coin de l’écran : zéro. J’en avais beaucoup, même après avoir invoqué le golem, mais l’utiliser pendant quelques minutes les avait complètement vidés. Des milliers de PdD, disparus ! Je ne voulais même pas penser à l’argent que cela m’avait coûté !

J’avais de grands espoirs pour mon golem, mais il s’était avéré que je devais faire très attention à ne pas trop l’utiliser.

« Ce truc consomme plus d’essence qu’une voiture américaine ! Bon, ce n’est pas comme si j’en avais déjà conduit une. »

Non seulement c’était cher à l’achat, mais aussi à l’utilisation. Ils auraient pu au moins me prévenir !

J’avais soupiré, mes épaules s’étaient affaissées. Le fait de réaliser combien d’argent j’avais dépensé était vraiment douloureux. J’avais décidé de n’utiliser le golem que pour les urgences à partir de maintenant.

« Je suppose que je dois continuer à travailler maintenant. Les microtransactions dans ce truc sont encore pires que ces jeux gacha. »

C’était assez déprimant de penser que le salaire d’une journée entière pouvait disparaître en une fraction de seconde comme ça. Mais… j’avais obtenu mon poste pour protéger mes villageois, et c’était exactement ce que j’avais fait.

« Le Jour de la Corruption est terminé, et tout le monde a survécu ! Je devrais fêter ça ! »

Je m’étais reconcentré sur l’écran, décidant d’être heureux.

Mes villageois étaient plus calmes maintenant qu’ils portaient ma statue en bois jusqu’à l’autel. Je me sentais mal de les avoir obligés à la porter, mais sans PdD, je ne pouvais pas faire grand-chose d’autre. Une fois ma statue remise en place, Chem tendit ses mains devant elle. Elles commencèrent alors à briller, la lumière se diffusant dans les blessures de Gams. Elle utilisait sa magie de guérison sur les blessures de Gams. Ses blessures s’étaient refermées sous nos yeux. Le fait que sa magie ne puisse pas aider contre l’épuisement était vraiment honteux, mais c’était extrêmement pratique.

« On dirait que Gams est hors de danger. Oh, c’est vrai ! Je devrais utiliser la prophétie pour leur dire qu’il n’y aura plus d’attaques aujourd’hui. »

Je m’étais donc attelé à le faire, tout en les félicitant pour leur travail acharné. Dès qu’ils lurent la prophétie, ils s’écroulèrent écroulés au sol, soulagés.

« Bon travail, les gars. Maintenant, allez vous reposer. »

Mes villageois avaient pris leur repas un peu plus tard que d’habitude. J’avais surveillé la situation pendant qu’ils le faisaient. La zone à l’intérieur de la clôture était jonchée de cochons morts. Et contrairement à la plupart des jeux, les ennemis morts ne disparaissaient pas. Les laisser là risquant d’attirer d’autres monstres, mes villageois devaient donc s’en occuper. Pour l’instant, ils avaient traîné tous les monstres qu’ils ne pouvaient pas manger dans les trous qu’ils avaient déjà creusés pour les enterrer, bien que les brûler serait probablement hygiénique. J’avais zoomé, vérifiant qu’il n’y avait pas de monstres vivants cachés parmi les cadavres, quand je remarquais quelque chose.

Il y avait plusieurs flèches logées dans la clôture. J’avais fait défiler les corps dans les trous et j’avais constaté que beaucoup d’entre eux avaient aussi des flèches. La seule chose était… qu’aucun de mes villageois ne savait utiliser un arc et des flèches.

« Je suppose qu’on a eu de l’aide. »

Et bien que le médecin soit parti depuis longtemps, je lui avais envoyé un mot silencieux de remerciement.

***

Chapitre 6 : Ma sœur ivre et le ciel d’hiver

Une fois mes villageois bien bordés dans leur lit, j’étais sorti de ma chambre. J’avais jeté mes bouteilles vides et les emballages des collations, puis j’avais jeté un coup d’œil dans le réfrigérateur. J’avais plutôt faim après avoir été sur les nerfs toute la journée. Et comme nous avions encore beaucoup de viande du village, j’avais décidé d’en faire frire.

Et alors que je cuisinais, la porte du couloir s’ouvrit pour révéler Sayuki dans son costume. Son visage était tiré et fatigué, ce qui enlevait vraiment à sa belle apparence. La voir en costume m’avait toujours déconcerté. À mes yeux et dans mes souvenirs, elle était toujours en uniforme d’écolière, et j’avais du mal à me faire à l’idée qu’elle était maintenant une adulte avec un travail à plein temps. J’avais vérifié l’heure, il était 10 heures. Elle avait dû faire des heures supplémentaires.

« Ça sent bon, Oniichan », dit Sayuki.

« Tu en veux ? »

« Oui, s’il te plaît. Je suis affamée ! Je n’avais pas réalisé qu’il était si tard. »

Non seulement elle m’avait appelé « Oniichan » comme si ce n’était rien, mais sa voix semblait presque douce. Bien sûr, elle avait été un peu moins irritable avec moi ces derniers temps, mais ça semblait un peu louche. Peut-être que quelque chose s’était passé au travail qui l’avait mise de bonne humeur. Je l’avais étudiée pendant qu’elle allait regarder la télé, sifflant alors qu’elle commençait à se débarrasser de son costume.

Va faire ça dans ta chambre, s’il te plaît ! Il va être tout froissé si tu ne l’accroches pas !

Malgré sa minceur, Sayuki mangeait comme un ogre, je lui avais donc donné une généreuse portion de riz avant d’ajouter la viande et la sauce. J’avais ajouté quelques œufs pour faire bonne mesure.

« C’est prêt. »

« Merci…, » répondit-elle sans enthousiasme.

Maintenant, Sayuki était assise avec ses jambes sous le kotatsu, juste en chemise. On aurait dit qu’elle s’attendait à ce que je lui apporte la nourriture. Pourtant, elle souriait et balançait la tête d’un côté à l’autre. Et franchement, c’était un peu effrayant.

« Purée, ça a l’air trop bon ! Merci, Oniichan ! Laisse-moi t’embrasser pour te remercier ! », dit-elle en fronçant ses lèvres.

C’est quoi ce bordel ?! Est-ce vraiment ma sœur ?!

J’avais posé une main sur son front pour l’éloigner de moi, et ce fut alors que j’avais remarqué l’odeur qui se dégageait d’elle, et ses joues rouges.

Elle est ivre !

Soudainement, tout prit un sens. J’avais complètement oublié que ma petite sœur avait largement dépassé l’âge de boire. Je lui avais donné un léger coup sur la tête, profitant de l’occasion pour mettre notre nourriture sur la table afin que nous puissions nous asseoir pour manger. Ce n’était pas un repas complexe, mais la sauce et la viande formaient une combinaison délicieuse.

« La viande a bien meilleur goût quand on est fatigué », dit Sayuki tout en s’enfournant la nourriture dans la bouche.

Ce n’était peut-être pas particulièrement digne d’une dame, mais j’étais heureux de voir qu’elle aimait la nourriture que j’avais préparée.

« Tu rentres souvent tard ces derniers temps. Est-ce que tu vas bien ? », avais-je demandé.

« Oui, je vais bien ! C’est parce que j’aime mon travail ! Je vais bien ! », avait-elle répété tout en me faisant un signe du pouce satisfait.

C’était une réponse bizarre, mais elle n’avait pas l’air de mentir. Et bien qu’elle ait des poches sous les yeux, la joie dans son regard était authentique. Peut-être que c’était juste l’alcool ?

« Mais.. », dit-elle, sans poursuivre sa pensée.

Avait-elle quelque chose en tête ? J’étais censé demander « qu’est-ce qui ne va pas ? » dans un moment comme celui-ci, non ? Je ne savais pas ce que je pouvais lui dire pour l’aider, mais si Gams me voyait ignorer les problèmes de ma sœur, il serait vraiment déçu.

« Si tu veux dire quelque chose, je t’écouterai, d’accord ? Je ne serai probablement pas d’une grande aide, mais parfois il est bon de se défouler. »

Il y avait un regard sérieux dans les yeux de Sayuki alors qu’elle posait ses baguettes. Je lui avais rendu son regard de manière égale, peut-être pour la première fois depuis des années.

« Ces derniers temps, j’ai l’impression que quelqu’un me suit… ou peut-être me regarde. Je veux dire, je sais que c’est probablement mon imagination, mais… »

« Tu as un harceleur ? »

Je pense que la plupart des gens auraient balayé ses inquiétudes, mais Sayuki avait déjà été harcelée auparavant, quand j’étais à l’université. C’était probablement la raison pour laquelle elle était si inquiète. Le fait qu’elle soit si belle m’avait toujours rendu jaloux, mais la beauté avait aussi de mauvais côtés.

« C’est inquiétant. Surtout depuis que tu rentres si tard », avais-je dit.

« Tu es… inquiet pour moi ? »

Elle leva les yeux vers moi avec anxiété.

« Bien sûr que je le suis. Gros naze ou pas, je suis toujours ton frère. »

« J’ai toujours pensé que tu ne m’aimais pas. »

Quoi ? N’était-ce pas l’inverse ?

« Non, mais je comprends pourquoi tu m’as détesté pendant si longtemps. Je suis pathétique. »

« Tu sais, tu commences à ressembler un peu à ce que tu étais avant… C’est plutôt… cool. »

Sayuki détourna rapidement le regard, gênée par son aveu.

Je m’étais forcé de croire que ses rougeurs étaient dues à l’alcool. Mais même si cela venait de son ivresse, ses mots m’avaient touché. Je pouvais pratiquement me sentir pleurer en me rappelant à quel point nous étions proches.

« Cool. Oui, c’est moi. »

J’avais essayé de cacher mon embarras en ébouriffant doucement ses cheveux. Je n’avais pas fait ça depuis des années, mais ma main faisait toujours ce geste automatiquement. Je devais me rappeler qu’elle n’était plus une enfant ! J’attendais qu’elle se mette en colère et qu’elle m’agresse, mais elle ne l’avait pas fait.

« Sayuki ? »

« O-oh… désolée. Je suis vraiment somnolente. C’est probablement l’alcool. Mais je ne suis pas ivre… », dit-elle en riant tout en agitant ses mains devant son visage.

J’avais pensé qu’elle dégrisait, mais j’avais clairement tort.

« Pourquoi on n’échangerait pas nos numéros ? Comme ça je pourrais venir te chercher les soirs où tu rentres tard. »

J’avais sorti mon smartphone de ma poche et le lui avais proposé.

C’était le vieux téléphone de maman. Elle me l’avait donné récemment pour s’assurer que j’avais un moyen de rester en contact pendant que je travaillais. J’étais d’accord pour avoir un téléphone jetable bon marché sans Internet ni rien d’autre, mais elle m’avait dit de « vivre avec mon temps ». Pendant ce temps, papa, qui utilisait encore un téléphone qui ressemblait à une brique, faillit s’étouffer derrière elle.

« Tu es sûre que je peux t’appeler ? »

« Bien sûr. Tant que ce n’est pas quand je travaille. »

« D’accord. Mais si quelque chose arrive, ne deviens pas fou cette fois, d’accord ? »

Sayuki sourit face à son téléphone tout en tapant mon numéro et mon adresse électronique. J’espérais que cela la faisait se sentir au moins un peu plus en sécurité.

Il y avait encore un long chemin à parcourir avant que je sois un aussi bon frère que Gams, mais je sentais que j’y arrivais lentement.

*****

Mes villageois étaient tellement reconnaissants que j’avais récupéré une grande partie de mes PdD dès le lendemain. Mais ce n’était rien comparé à ce que je pouvais obtenir si je payais. Ce jeu favorisait clairement les riches. J’étais sûr que les joueurs FreeToPlay pouvaient encore s’amuser avec, mais je ne voyais pas comment ils pourraient dépasser le Jour de la Corruption. Ils s’amusaient avec la version gratuite pendant près d’un mois, puis le jeu leur imposait soudainement un événement si difficile… Mais peut-être que c’était le but. Ils seraient probablement tellement attachés à ce jeu qu’ils ne pourraient pas s’empêcher d’y investir leur argent réel.

« Très sournois… »

C’était ennuyeux, mais les développeurs savaient vraiment comment soutirer de l’argent aux gens.

Aujourd’hui, mes villageois étaient occupés à faire des réparations.

« Tu devrais te reposer un peu, Gams. »

« Désolé, Rodice, je ne peux pas ! Qui va faire le gros du travail sans moi ? », répondit Gams tout en tenant une bûche dans ses bras.

Et bien que la magie de Chem ait scellé ses blessures, il n’avait pas encore retrouvé toute sa force physique. Mais cela ne l’empêchait pas de travailler. Chem lui demanda à plusieurs reprises de se reposer, mais il refusa.

« Je suis assez fort moi-même », dit Rodice.

C’était peut-être vrai, mais Rodice aurait quand même eu du mal à faire le travail de Gams. Je m’étais dit que je devrais dire à Gams de se reposer via la prophétie, mais un Gams fatigué ferait quand même plus de travail qu’un Rodice en pleine forme. En fait, Gams travaillait tout aussi dur que les jours où il n’avait pas passé son temps à se battre.

« Cela doit être fait avant toute autre attaque. »

Gams avait clairement pour priorité de faire réparer la clôture le plus vite possible. La nuit dernière, tout le monde était trop fatigué pour faire quoi que ce soit d’autre que dormir, et ils s’étaient donc réveillés avec une clôture pleine de lacunes et de trous par lesquels les monstres pouvaient encore ramper.

« Tu ne dois pas te forcer », prévint Chem tout en courant à ses côtés et en regardant bien son visage.

« Ne t’inquiète pas. Je sais. »

Gams n’avait pas réagi à l’anxiété qui se lisait dans ses yeux.

« Je vais te faire un massage ! Papa les adore ! », promit Carol tout en s’interposant entre Gams et Chem.

Chem lui jeta un regard dur.

« Carol, Gams et moi sommes en train de parler. C’est impoli de nous interrompre. »

L’expression sur son visage était effrayante. Pour une prêtresse qui était habituellement si gentille et douce, elle était vraiment en colère.

« Gams préférerait me parler ! »

« Non, seulement dans tes rêves. »

Les deux sourirent à Gams, mais ce dernier ne sourcilla même pas. Pourtant, après avoir zoomé plus près, je pourrais jurer voir de la sueur qui coulait sur ses tempes.

« Arrête d’embêter Gams, Carol ! Il est fatigué ! Chem, j’aurais aussi besoin de ton aide ! », dit Lyra.

« Ok ! »

Les filles disparurent plus profondément dans la grotte, et Gams poussa un soupir de soulagement.

Je voulais continuer à regarder, mais j’avais du travail ce soir-là. J’enfilai ma salopette, observant mes villageois quelques instants de plus afin de me motiver, puis je partis à la rencontre de mon collègue.

*****

J’étais de retour au travail. Je voulais gagner assez pour acheter plus de PdD. Aujourd’hui, nous ne nettoyions pas un supermarché, mais un bâtiment polyvalent où nous devions nous occuper des sols et des fenêtres. Faire le sol ne me posa aucun souci, mais les fenêtres étaient plus difficiles que je ne le pensais. J’avais vu des gens dans des films et des fictions nettoyer les fenêtres comme si ce n’était rien, mais en réalité ce n’était pas si simple. Le patron et Yamamoto-san n’avaient pas l’air d’avoir de problèmes avec ça, il y avait donc probablement un tour de main que je n’avais pas encore. Au lieu de cela, j’avais concentré mon attention sur les étages, où je serais plus utile.

« Travailler en journée fait une grande différence », me suis-je murmuré.

C’était la première fois que je travaillais l’après-midi, et c’était plutôt rafraîchissant.

« Hé ! »

Yamamoto-san inclina la tête vers moi frénétiquement alors que je me tenais devant le distributeur automatique pour prendre ma pause.

« Désolé pour l’autre soir. Quelque chose d’urgent est arrivé. Merci beaucoup de m’avoir couvert ! »

« Pas de problème. Mon truc était prévu le dernier jour du mois, mais je pouvais travailler la veille. », avais-je répondu.

Et malgré une petite panique de ma part, tout s’était arrangé.

« Oh, bien ! Tu veux quelque chose à boire ? Je vais te le chercher pour te remercier. »

Ce serait impoli de refuser, non ? J’avais donc hoché la tête.

« Je vais prendre un thé au lait chaud, si ça te va. »

« Bien sûr. Voilà. »

Celui qu’il avait choisi se trouvait être ma marque préférée. Nous étions en décembre maintenant, et les jours devenaient encore plus froids, j’étais reconnaissant d’avoir quelque chose pour me réchauffer.

« C’est quoi ce truc urgent qui est arrivé, au fait ? », avais-je demandé.

« Euh, je te le dirai si tu promets de garder le secret vis-à-vis du patron », dit Yamamoto-san en baissant la voix.

« Bien sûr. Je ne suis pas très bavard. »

De toute façon, je pouvais deviner ce que c’était. Contrairement à moi, Yamamoto-san était sociable, il avait donc probablement un rendez-vous. Sinon, pourquoi m’aurait-il appelé ?

« Je sais que tu es aussi un joueur… En fait, il y avait un événement à durée limitée dans un de mes jeux », dit-il.

« Oh. »

Sa réponse n’était pas celle à laquelle je m’attendais. La plupart des gens seraient probablement consternés de le voir s’absenter du travail pour jouer à un jeu vidéo, mais pas moi. Cela ferait de moi un hypocrite.

« Je comprends tout à fait. C’était un événement rare ? », avais-je dit.

« Ouf ! J’avais un peu peur que tu t’énerves contre moi. Bref, tu te souviens que je te parlais de ce jeu qui me passionnait ? Un événement venait d’apparaître subitement à la fin du mois, et je voulais avoir la journée pour m’y préparer. »

Confiant dans le fait que je comprenais, son explication s’était animée.

Je ne pouvais pas m’empêcher d’être curieux. Dans les jeux, la fin du mois était une période courante pour organiser des événements, le fait que nous soyons tous les deux occupés à cette période pouvait donc être une parfaite coïncidence. Malgré tout, j’avais décidé de creuser un peu plus.

« Quel genre de jeu est-ce ? Une sorte de RPG ou… une simulation de village ? », avais-je demandé.

« Pas du tout. Je m’ennuie avec ce genre de jeux. Je préfère les jeux de type battle-royale où tu tues d’autres joueurs. Tu sais, le genre de choses qu’on ne peut pas faire dans la vie réelle ! »

L’envie de tuer de Yamamoto-san était un peu terrifiante, mais j’avais entendu dire que ce genre de jeux était populaire en ce moment. Comme ils étaient multijoueurs, on était confronté à une stratégie différente à chaque fois, il était donc difficile de s’en lasser. Beaucoup de mes connaissances sur Internet y jouaient.

Bref, il ne parlait pas du Village du Destin. Il y avait aussi des meurtres dans ce jeu, mais pas entre personnes.

« Oh oui, j’ai déjà essayé ces jeux, mais je n’arrive pas à m’y mettre. Je ne suis pas mauvais aux jeux de combat, par contre », avais-je dit.

« Oh, c’est vrai. Eh bien, j’allais te dire que tu devrais essayer, mais je pense que ça ne sert à rien maintenant. »

Yamamoto-san croisa les bras et se mit à réfléchir. Rien qu’à son apparence, j’avais toujours pensé qu’il était trop bien élevé pour s’entendre avec moi, mais j’aimais vraiment parler de jeux avec lui pendant nos pauses. Pour être honnête, il n’y avait pas grand-chose d’autre sur lequel je savais comment avoir une conversation. J’avais englouti mon thé au lait, reconnaissant d’avoir rencontré quelqu’un avec qui je pouvais communiquer. Cela m’avait permis de me sentir prêt à affronter le reste de la journée de travail.

*****

« Enfin… »

Cette nuit-là, le travail était plus difficile que d’habitude. Nous étions censés terminer en fin d’après-midi, mais le client était tendu et n’arrêtait pas de nous faire remarquer les endroits que nous avions « ratés », si bien que nous n’avions terminé que bien après le coucher du soleil. Avoir encore un client comme ça semblait être pour moi de la malchance, mais le patron m’avait dit que c’était assez courant. L’industrie du nettoyage était beaucoup plus compliquée que je ne le pensais.

Je voulais d’autres en-cas et boissons, j’avais donc demandé au patron de me déposer à l’épicerie près de chez moi. Une fois que j’avais eu tout ce que je voulais, je m’étais mis à rentrer chez moi. J’avais fait quelques folies, c’était agréable.

Notre quartier étant plutôt résidentiel, les rues étaient donc calmes à cette heure de la nuit. Assez silencieuses pour entendre l’éclat de rire d’une famille qui passait du temps ensemble. Voir des familles s’entendre me dérangeait beaucoup, mais dernièrement, je ne leur accordais même pas un regard. Il était incroyable de constater à quel point un simple changement de perspective pouvait affecter votre vie.

« Des brioches à la viande par une journée froide… Y a-t-il quelque chose de meilleur ? », avais-je dit à haute voix.

Je marchais le long du chemin, ma brioche à la viande dans une main et du thé dans l’autre. À ce moment-là, mon téléphone commença à sonner dans ma poche. Enfournant le reste de la brioche dans ma bouche, j’avais sorti mon téléphone pour voir que Sayuki m’appelait. J’avais cligné des yeux de surprise. C’était la première fois qu’elle m’appelait.

« Allô ? Qu’est-ce qu’il y a ? », avais-je demandé avec des restes de la nourriture dans ma bouche.

« Oniichan ! Je crois que mon harceleur me suit ! »

J’avais avalé le reste de la brioche immédiatement au moment où j’entendis la panique dans sa voix.

« Où es-tu ? Je vais venir directement ! »

« Je me cache dans la supérette près de notre maison ! »

J’avais fait demi-tour. J’avais commencé à sprinter dans le sens inverse de mon trajet. Je n’allais pas laisser quiconque poser la main sur ma sœur !

***

Chapitre 7 : Sœur troublée et vieilles blessures

J’avais couru jusqu’à l’épicerie. Et quand j’y étais arrivé, j’avais le souffle coupé. Pousser des aspirateurs était une chose, mais je n’avais pas couru comme ça depuis des années ! Enfin, à part la fois où j’étais rentré chez moi durant le Jour de la Corruption.

Je pouvais voir Sayuki à travers la vitrine du magasin. À part les employés du magasin, il n’y avait personne d’autre à l’intérieur, et je ne pouvais voir aucun type d’harceleur. Sayuki m’avait repéré, son regard anxieux s’était alors légèrement détendu. En retour, son soulagement me fit me sentir un peu mieux. Je voulais aller m’assurer qu’elle allait bien, mais j’avais remarqué qu’elle désignait quelque chose dehors. J’avais sorti mon téléphone et j’avais fait semblant de passer un appel pour ne pas éveiller les soupçons, puis je m’étais retourné lentement.

Sayuki désignait le coin d’une rue. J’avais gardé mon regard dessus, mon téléphone toujours collé à mon oreille. Je pouvais juste distinguer une silhouette dans l’obscurité.

Devrais-je essayer de voir qui c’est ? Ça pourrait le rendre plus facile à gérer…

« Je suis au magasin. Tu peux te dépêcher de venir me chercher ? Il fait froid ici ! »

J’avais fait mine de me blottir contre le froid en parlant au téléphone.

Je m’étais éloigné du magasin, essayant d’apercevoir la personne qui s’y trouvait sans que cela soit évident. J’espérais qu’il penserait que je cherchais la voiture qui était censée venir me chercher.

Agit naturellement, me suis-je dit encore et encore. Juste un peu plus loin, et je devrais être capable de voir qui est ce type.

J’avais essayé de refouler l’anxiété qui montait en moi. Au moment où j’étais enfin assez près pour bien voir la silhouette, celle-ci s’était retournée et s’était enfuie.

Bon sang !

Si je courais maintenant, je pourrais peut-être encore la rattraper. Mais juste au moment où j’allais partir, mon téléphone sonna. C’était Sayuki.

« Ne le poursuis pas ! », avait-elle crié d’une voix tremblante.

Son appel me fit reprendre mes esprits. Elle avait raison. Le type était parti depuis longtemps. Je m’étais retourné afin de me rendre dans le magasin. C’était mieux ainsi, je ne voulais pas que les choses se passent comme la dernière fois que j’avais attrapé son harceleur.

*****

Sayuki avait été harcelée alors qu’elle était encore au collège et moi à l’université. Fou de rage, j’avais attrapé le garçon et lui avais crié dessus. C’était juste un gamin de sa classe, mais quand je l’avais trouvé en train de fouiller dans nos poubelles, c’était la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase. Il lui faisait peur. J’avais 10 ans de plus que lui, j’avais donc pensé que je pourrais lui faire peur.

Mais je ne m’attendais pas à ce qu’il ait un couteau.

Cette lame changea tout. Le regard tordu dans ses yeux et l’éclat du tranchant m’avaient absolument terrifié.

Je m’étais recroquevillé, ne voulant rien d’autre que m’enfuir. Même avec Sayuki derrière moi, je ne pensais qu’à me sauver. Je voulais fuir et la laisser derrière moi. Je ne me souvenais plus de ce que j’avais dit, mais c’était sûr que j’étais pathétique. J’avais probablement supplié pour ma vie. Le regard en larmes de ma sœur était la seule chose dont je me souvenais clairement.

Le gamin m’avait poignardé. Je n’avais pas pu esquiver assez vite, et le couteau s’était enfoncé dans mon estomac. Je n’oublierai jamais la sensation du métal qui plongeait en moi, et la douleur atroce qui l’accompagnait.

L’instant d’après, j’étais dans un lit d’hôpital, relié à une perfusion. Et bien que j’aie perdu beaucoup de sang, aucun de mes organes n’avait été touché. Tout bien considéré, je m’étais rapidement rétabli.

L’image du visage en larmes de Sayuki m’était revenue en mémoire. À l’époque, j’avais laissé ma conscience s’éteindre sans même lui offrir un seul mot de réconfort.

*****

Si je m’en prenais à ce nouveau harceleur et qu’il me blessait, qui pourrait alors protéger Sayuki ? S’il avait un couteau, j’étais fichu, je n’avais rien pour me défendre. Ils pourraient même me tuer, et je devais m’occuper de mes villageois.

« Je ne peux pas faire la même erreur deux fois. »

La cicatrice sur mon flanc était un rappel de ne plus jamais sous-estimer personne. J’avais inconsciemment touché mes vêtements sur cet endroit. J’étais retourné vers ma sœur, qui me regardait fixement devant le magasin.

*****

« Écoute, je suis heureuse de voir que tu es venu quand j’ai appelé, mais je pensais t’avoir dit de ne pas devenir fou cette fois ! »

« Calme-toi, tu veux ? On est en plein milieu de la nuit ! », avais-je rétorqué en faisant un geste vers elle.

« Ugh ! »

Sayuki fit alors la moue et détourna le regard.

Elle faisait toujours ça quand elle était de mauvaise humeur ou qu’on la grondait, et ceci depuis qu’elle était enfant. Je me demandais combien d’autres habitudes elle conservait, toutes inaperçues parce que je faisais de mon mieux pour ne pas la regarder ces dix dernières années.

« On peut y aller ? »

« Oui, bien sûr. Et, euh… merci, Oniichan. »

« Pas de problème. »

C’était comme au bon vieux temps, mais ce n’était pas un changement d’attitude de la part de Sayuki. C’était juste qu’elle voyait l’effort que je faisais et était prête à me rencontrer à mi-chemin.

Quand j’avais essayé d’aider Sayuki avec son dernier harceleur, j’avais tout fait de travers, et je détestais penser au fait que les choses auraient pu être pires s’il s’en était pris à Sayuki au lieu de s’enfuir après m’avoir poignardé. J’avais commencé à soulever des poids après l’attaque, dans l’espoir d’acquérir la force nécessaire pour protéger Sayuki la prochaine fois, mais ce fut aussi un échec. Ces muscles ne servaient simplement à rien. J’avais oublié ma motivation première depuis longtemps, et j’avais commencé à prétendre que le temps que je passais à m’entraîner compensait en quelque sorte le fait de ne pas avoir de travail. Vraiment, c’était juste pathétique, comme tout ce qui me concernait à l’époque.

« Pourquoi soupires-tu ? », demanda Sayuki.

« Ah, ne t’inquiète pas. Ce n’est rien. »

Je pourrais m’en vouloir pour le passé plus tard, quand je serais seul. Pour l’instant, mon travail consistait à m’assurer que Sayuki se sente en sécurité. Nous avions parlé de nos deux emplois sur le chemin du retour. J’avais raconté avec ardeur du fait que Yamamoto-san et Misaki-san m’avaient mis en garde contre certaines de mes erreurs au travail. Sayuki avait alors ri de mon histoire.

Le vent était froid en cette soirée d’hiver, mais parler à ma sœur m’avait réchauffé plus que le thé dans ma main ne le pourrait jamais.

*****

Sayuki m’avait laissé prendre le premier bain, je m’étais donc empressé de me laver avant d’entrer dans la baignoire. Il n’y avait pas si longtemps, elle se plaignait de devoir utiliser l’eau de mon bain. Je savais qu’elle avait une longue journée de travail, alors j’étais sorti rapidement pour lui laisser place.

« J’ai fini ! », avais-je dit.

« Merci ! »

Ayant terminé mon bain, j’avais attrapé les boissons que j’avais achetées plus tôt et les avais montées dans ma chambre. Sur le chemin du retour, Sayuki et moi avions convenu que je viendrais la raccompagner chez elle aux heures les plus calmes de la nuit, et que si je ne pouvais pas, maman ou papa le feraient. Ils avaient accepté immédiatement, ce qui me soulagea d’un énorme poids.

Maintenant que tout était réglé, il était temps de retourner auprès de mes villageois, mais je ne m’inquiétais pas trop pour eux pour le moment. Les monstres s’étaient calmés au point qu’ils n’attaquaient généralement pas si mes villageois les rencontraient. J’avais quand même pris des nouvelles du village, mais tout le monde dormait profondément, comme il se devait à cette heure de la nuit. J’avais aussi regardé l’historique, mais c’était toujours la même vieille rengaine : Chem et Carol se battant pour Gams et Rodice et Lyra s’admirant l’une l’autre. C’était une période de paix relative, c’était donc le bon moment pour utiliser mes PdD et faire un autre miracle.

« Hm… Je pourrais faire venir plus de personnes, mais ce que je veux vraiment, c’est plus de puissance de combat. Ou peut-être que je pourrais faire apparaître un marchand pour faire le plein de ce dont nous manquons. »

J’étais inquiet du manque d’argent de mes villageois avant, mais après avoir joué un peu plus longtemps, il semblerait qu’ils pouvaient vendre certains des minerais de la grotte ou certaines parties des monstres qu’ils tuaient.

« Ce sera le marchand. Avoir les bons objets est important dans n’importe quel jeu. Attends… c’est quoi ça ? »

En faisant défiler la liste des miracles, j’en avais trouvé un surligné d’une couleur différente.

« Événement bonus à durée limitée. Terminez l’événement et vous débloquerez un objet puissant ou un allié, ou les deux. »

C’était tentant, tout vrai joueur ne laisserait pas passer une telle opportunité. J’avais vérifié la limite de temps. Je devais commencer l’événement avant la fin de la journée. Si je ne le faisais pas maintenant, je perdrais peut-être l’accès à ces objets ou alliés pour l’éternité. J’avais en plus assez de points pour commencer l’événement. Mais je m’inquiétais de ce que cela impliquerait exactement.

« Cela fait seulement deux jours depuis le Jour de la Corruption… »

Mes villageois me pardonneraient-ils si je les jetais à nouveau dans le danger si tôt ?

« Ce n’est pas n’importe quel jeu. Je dois être sûr de ça d’abord. »

Chacun de mes villageois était irremplaçable. Aussi tentante que soit l’offre, je ne pouvais pas justifier le risque.

« Merde, il est déjà si tard ? Je suppose que je vais utiliser la salle de bain et ensuite aller me coucher. »

Je ne me sentais pas très bien, j’avais fini par m’asseoir pendant un moment. Soudainement, j’avais entendu des bruits de pas et la voix de ma sœur venant de l’extérieur.

« Hey, puis-je emprunter ton ordinateur ? Je voulais regarder quelque chose, mais je n’ai plus de place sur mon téléphone. »

« Bien sûr. »

Je ne voyais pas ce que l’espace de son téléphone avait à voir avec quoi que ce soit, mais je n’avais aucun problème à ce qu’elle emprunte mon…

attends.

« Attends une seconde ! Utilise mon nouvel ordinateur, d’accord ? ! Pas l’ancien ! »

J’avais crié, mais il n’y avait pas de réponse.

Et bien que j’aie brièvement mentionné ce jeu à Sayuki auparavant, je ne lui avais pas dit exactement de quoi il s’agissait. Et si elle avait accidentellement accompli un miracle coûteux ou quelque chose comme ça ?

Je m’étais rincé en un temps record avant de m’envoler de la salle de bain et d’entrer dans ma chambre. Sayuki s’était retournée lentement. Je pouvais voir la culpabilité dans ses yeux et la sueur froide se former sur son front. Cela n’avait pas l’air bon.

« Je suis désolée… Je pense que j’ai dû cliquer sur quelque chose… »

Sayuki s’était levée pour me laisser voir l’écran.

Il y avait un message dessus, écrit en grosses lettres.

« Événement bonus activé ! L’événement commencera à 10 heures après-demain. »

Pourquoi, Sayuki ?!

***

Chapitre 8 : L’innocence de Carol et ma surprise

Il n’y avait maintenant rien que je puisse faire à ce sujet. C’était ma faute. J’avais laissé le jeu en marche et j’avais donné à Sayuki la permission d’utiliser mon PC.

« Ne peux-tu pas l’annuler ? », demanda timidement Sayuki.

Après une vérification rapide, j’avais constaté que cela n’était pas le cas. Je ne m’attendais pas à ce que tout cela arrive, mais je n’étais pas en colère contre elle.

« Non, mais je pensais déjà à lancer l’évènement, alors ne t’inquiète pas pour ça. Si tu veux toujours chercher quelque chose, tu peux utiliser mon autre ordinateur. »

J’avais laissé Sayuki s’asseoir à mon nouvel ordinateur pendant que je reportais mon attention sur le Village du Destin.

Dans deux jours, à dix heures…

J’avais vérifié le calendrier pour voir si je devais travailler ce jour-là. Par chance, j’avais un jour de congé. Je pourrais me consacrer entièrement à l’événement. En y pensant maintenant, j’aurais probablement regretté d’avoir laissé passer cette occasion. Puisque je n’avais pas le choix, je pouvais aussi bien en profiter.

Je m’étais installé dans mon lit après que Sayuki soit retournée dans sa chambre. Tout bien considéré, la journée avait été plutôt bonne. J’étais inquiet au sujet du harceleur de Sayuki, bien sûr, mais je ne pouvais pas m’empêcher de voir le bon côté des choses : cela nous rapprochait.

Après une journée aussi chargée, je savais que j’allais bien dormir.

*****

Je m’étais réveillé le lendemain matin à huit heures. Sayuki et papa étaient déjà partis au travail. Il était temps de commencer ma routine quotidienne.

En sortant du lit, j’étais allé voir mes villageois.

« Bonjour, les gars », avais-je dit.

D’abord, j’avais vérifié si quelque chose d’inhabituel se passait, puis j’avais scanné la zone autour de la grotte sur la carte. Comme il n’y avait rien d’anormal, j’étais descendu. J’étais tombé sur maman, nous avions ainsi pris le petit-déjeuner ensemble.

« Toi et Sayuki êtes rentrés ensemble à la maison hier soir ? Je suis contente de voir que vous vous entendez bien. »

« Elle pense qu’elle a un harceleur, alors je suis allé la chercher. »

« Oh, c’est vrai ! As-tu bien vu le visage du type ? »

« Non, je ne l’ai pas vu. »

Maman s’était assise sur son siège en fronçant les sourcils. Après ce qui s’était passé, il y a toutes ces années, je n’avais vraiment pas envie de lui dire quoi que ce soit à ce sujet, mais je n’avais pas le choix. J’avais besoin d’elle pour veiller sur Sayuki quand je ne pourrais pas le faire.

« Prends bien soin de ta sœur, d’accord ? »

« Bien sûr. »

Elle n’avait pas besoin de me le dire. J’avais passé les dix dernières années à négliger Sayuki, et même si cela ne compensait pas, ce serait un début.

« Juste… assure-toi de ne pas te mettre en danger cette fois. Vous êtes tous les deux trop précieux pour que je vous perde. »

« Je le sais… »

Je ne savais pas comment répondre autrement.

Ce ne fut qu’une seule phrase, mais je l’avais ressentie comme un couteau qui me transperçait la poitrine. J’avais toujours pensé que mes parents m’avaient abandonné depuis longtemps. Je m’en servais comme excuse pour ne plus essayer. Parfois, je les détestais même. Je rejetais la responsabilité de mes échecs sur eux et sur la société dans laquelle ils s’inséraient et dans laquelle je ne trouvais pas ma place. Et si je les détestais, il était parfaitement logique qu’ils cessent de s’intéresser à moi.

Mais j’avais tort. Mes villageois avaient éclairci ma vision trouble et m’avaient permis de voir que ma famille m’aimait depuis le début. En me jetant tête baissée dans le monde des jeux pour échapper à ma réalité, j’avais trouvé mon salut. Je comprenais encore si peu de choses sur le jeu, mais je savais que je devais le remercier pour beaucoup de choses.

J’avais mangé le reste de mon petit-déjeuner en silence, en gardant la tête baissée pour que maman ne voie pas mes yeux larmoyants, puis j’étais retourné dans ma chambre.

« Je dois m’assurer que nous passons cet événement sans encombre. C’est le moins que je puisse faire pour les remercier de tout ce qu’ils ont fait pour moi. »

J’étais en conflit, devais-je augmenter le nombre de mes villageois ou garder mes PdD de côté en cas d’urgence. C’était exactement le même problème que j’avais eu avant la Journée de la Corruption. Amener des renforts supplémentaires pour mon village était coûteux, peu importe comment je m’y prenais, et une grande partie de mes PdD était déjà dépensée pour activer l’événement lui-même.

« Peut-être qu’il y aura quelque chose de bon marché et d’utile ».

J’avais fixé l’écran, mes yeux dérivant vers la liste des miracles.

« Hé, je ne pense pas que c’était là avant. »

« Gacha d’œufs. »

Qu’est-ce que ça voulait dire ? Je savais ce que gacha voulait dire, ce genre de jeux était populaire ces derniers temps. Ils étaient basés sur ces distributeurs automatiques dans lesquels on mettait de l’argent pour obtenir un jouet aléatoire, mais dans la version en ligne, on obtenait un personnage ou un objet aléatoire. Beaucoup de gens assimilaient les jeux gacha aux microtransactions, et ils n’avaient pas forcément tort.

Quoi qu’il en soit, « gacha d’œuf » signifiait probablement que j’obtiendrais un œuf aléatoire. Je n’étais pas vraiment sûr de ce que mes villageois allaient faire avec un seul œuf, j’avais donc cliqué sur le miracle pour obtenir une explication.

« Activez-le pour obtenir un œuf gratuit une fois par mois. Les prix comprennent des œufs d’oiseaux, des œufs de reptiles, des œufs d’amphibiens, des œufs de monstres et des œufs de monstres rares. Lorsque l’œuf éclot, la première personne que la créature voit deviendra son maître. Il peut être élevé comme animal de compagnie ou comme compagnon de chasse. Il n’y a pas d’inconvénients. »

C’était plus ou moins ce à quoi je m’attendais. C’était bien que ce soit gratuit, mais le problème était qu’on ne savait pas ce qui allait éclore. Mais je suppose que ça ne pouvait pas être dangereux tant qu’il voyait un de mes villageois comme son maître. Si c’était une sorte de poulet, on aurait des œufs normaux. Si c’était un reptile ou un amphibien, il ferait un repas savoureux ou un animal de compagnie mignon… si vous aimez ce genre d’animaux (ce n’est pas mon cas). Si c’était un monstre, il pouvait aider à défendre le village, d’autant plus s’il était rare.

Maintenant que j’y pense, il y avait un autre jeu impliquant des monstres avec ce genre de mécanisme d’œufs aléatoires. Je l’avais aussi vu dans un anime fantastique. Peut-être que les œufs étaient à la mode en ce moment.

« Ce n’est peut-être pas si mal. En plus, c’est gratuit. Je suppose que je vais juste le faire. »

S’il mettait trop de temps à éclore, il pourrait encore faire de bons œufs brouillés. Je laissais le soin à mes villageois de décider. Pour être honnête, ce n’était que des excuses pour aller de l’avant et assouvir mon envie de jouer au gacha. J’avais l’habitude d’harceler maman pour qu’elle me laisse utiliser ces machines tout le temps quand j’étais enfant. Et c’était plus pour la chance de gagner quelque chose de rare que le prix lui-même.

« Voyons ce que j’obtiens… »

J’avais lancé le gacha. Des images d’œufs clignotèrent sur mon écran avec un bouton « STOP » en dessous. C’était à moi de l’arrêter au bon moment. Il y avait des œufs qui ressemblaient à des œufs de poule ordinaires et d’autres avec des couleurs qui suggéraient qu’ils étaient empoisonnés. Ils étaient tous de tailles différentes : certains semblaient assez gros pour sortir de l’écran, d’autres n’étaient pas plus gros que mon petit doigt.

« C’est trop rapide pour que je puisse essayer de viser quoi que ce soit. En plus, l’ordre change tout le temps. Je suppose que je vais juste cliquer n’importe quand et tenter ma chance. »

Et de toute façon, ce n’était pas comme si l’apparence de l’œuf me permettait de savoir ce que j’allais recevoir.

Suivre les œufs qui défilaient me donnait le tournis, j’avais donc fermé les yeux et je m’étais lancé. J’avais cliqué une fois, puis j’avais ouvert les yeux pour trouver un seul œuf oblong sur l’écran. Il ne ressemblait pas à un œuf de poule, bien qu’il ait à peu près la même taille.

Je me demande ce qu’il y a dedans…

L’œuf disparut de l’écran et fut remplacé par un texte.

« Félicitations pour avoir reçu votre œuf. Il sera placé près de votre village. »

Il n’allait donc même pas me dire ce qu’il y avait à l’intérieur ? Non seulement ça, mais en plus, il était placé quelque part afin que les villageois le trouvent ?

J’avais vérifié la carte, il y avait une lumière rouge clignotante, qui était probablement l’endroit où se trouvait mon œuf. Il était assez loin de la clôture, un peu plus loin dans la forêt. Mes villageois devraient vraiment bien observer la zone pour le trouver, et ils pourraient le manquer facilement si je ne leur donnais pas d’indice.

« Je suppose qu’il est temps d’écrire ma prophétie. »

« Il y a une vie fragile qui vous attend dans la forêt, cachée dans une coquille blanche. Reste à savoir si cette vie vous sera d’une quelconque utilité, mais il peut être amusant de la chercher et de voir. »

J’avais regardé ce que je venais d’écrire, mais ce message ne me semblait pas correct. Je devrais probablement le reformuler pour qu’il soit plus facile à comprendre. Je devrais aussi les prévenir que quelque chose allait se passer demain. Il était difficile de rester concentré sur le fait que je sois Dieu sans que mon message soit trop sinistre. Après de nombreuses révisions, j’avais finalement délivré ma prophétie.

« Il y a une vie fragile qui vous attend dans la forêt, cachée dans une coquille blanche. Il reste à savoir si cette vie pourra vous être utile, mais il peut être intéressant pour vous de la ramasser. Ce que vous ferez de cette vie sera votre décision, l’élever ou la consommer. De plus, je prévois qu’une forte force du destin s’abattra sur vous demain. Soyez sûrs de vous préparer. »

Écrire des prophéties n’était jamais devenu plus facile. J’avais essayé d’être plus créatif ces derniers temps, et j’avais commencé à chercher des fortunes en ligne pour m’aider, mais je n’avais toujours pas confiance en mes capacités d’écriture.

Pourtant, mes villageois avaient pris mes paroles à cœur et avaient rapidement trouvé l’œuf caché dans la forêt.

« Maman, Papa ! Je l’ai trouvé ! »

Étonnamment, ce fut Carol qui l’avait repéré en premier.

« Miam ! J’adore les œufs ! »

« Non, Carol, il ne faut pas le manger ! Je sais que le Seigneur nous a donné la permission de faire ce que nous voulions, mais c’est quand même un cadeau de Sa part. Nous devons le chérir. »

« Oui, maman ! », répondit docilement Carole.

Elle porta alors l’œuf et le posa délicatement sur mon autel.

« Merci, mon Dieu ! Parce que Vous avez dit que nous devions le chérir, je vais Vous le donner comme tous mes autres trésors ! »

L’œuf brilla brièvement avant de disparaître.

Elle… Elle n’a pas juste…

« Elle m’a juste… envoyé l’œuf, comme une offrande ?! », avais-je inhalé

Carol ! C’était censé être un cadeau de ma part !

Lyra était restée bouche bée devant Carol, bien trop choquée pour être en colère contre elle.

« Je suppose qu’il n’y a rien que je puisse faire maintenant, à part lui écrire une gentille prophétie de remerciement après qu’il soit arrivé demain… »

« Seigneur ! Pardonnez-lui ! Elle ne voulait pas faire de mal ! Pitié ! Pardonnez-nous ! »

Lyra criait désespérément devant ma statue.

Ne t’inquiète pas, je ne suis pas en colère.

Carol se contenta de regarder sa mère avec confusion, ne comprenant visiblement pas ce qu’elle venait de faire.

« De toute façon… qu’est-ce que je ferais avec l’œuf ? Si ce n’est pas un œuf de poule, ce sera trop risqué de le manger. Dois-je essayer de le faire éclore ? »

J’avais un sentiment de malaise au creux de l’estomac. Je n’étais pas un grand fan des reptiles ou des amphibiens, mais je ne pouvais pas simplement jeter l’œuf. Je devais juste croiser les doigts et espérer que ce soit un oiseau. Le fait de m’inquiéter ne résoudrait rien, j’avais donc fait un dessin rapide de l’œuf et je l’avais posté sur un forum pour voir si quelqu’un pouvait l’identifier. J’avais reçu une réponse rapide, la plupart des gens disant que cela ressemblait à un œuf de reptile, probablement un serpent ou un lézard.

« C’est tout ce dont j’ai besoin… »

Quand même, c’était un cadeau d’un de mes villageois, je voulais donc le traiter avec respect. J’avais commencé à chercher des moyens de le couver et de m’en occuper. Je pourrais toujours le donner à quelqu’un qui aimait les reptiles. J’avais beau me dire que c’était juste la société de développement qui envoyait ces offres, j’avais du mal à me convaincre que le monde du jeu n’existait pas vraiment quelque part dans un univers parallèle. Si c’était vrai, je pourrais avoir à faire face à l’éclosion d’un monstre dans le futur.

« Allez, ce serait trop fou. Ce sera juste un petit lézard ou un serpent, quelque chose qu’on peut garder comme animal de compagnie. Je suppose que je devrais vraiment m’inquiéter de la réaction de ma famille… »

Il me faudrait la permission de mes parents pour garder un animal à la maison. Je m’inquiétais toujours de ma relation avec Sayuki, et s’il s’avérait qu’elle détestait les reptiles, cela pourrait déclencher une nouvelle période difficile entre nous.

À ce moment-là, je m’étais souvenu d’une autre personne que je connaissais et qui les détestait, bien que je ne l’avais pas vue depuis des années. Le souvenir de son visage déclencha une douleur dans ma poitrine, j’avais donc rapidement secoué la tête pour la faire disparaître. Ce n’était pas le moment pour un voyage dans le passé…

« Si seulement les chats sortaient des œufs. J’aurais peut-être pu avoir un chaton à la place… »

Avec tout ce qui se passait, c’était la dernière chose dont j’avais besoin. Je ne pouvais pas rester en colère contre Carol… mais j’espérais qu’elle ne m’en voudrait pas si je me plaignais un peu d’elle.

***

Épilogue

« Yoshio ! Tu as un autre colis ! »

J’étais descendu à l’appel de ma mère, l’anxiété me traversant. Elle tenait un paquet assez petit.

Je le savais.

Il y avait une étiquette sur le paquet qui disait « Produits périssables ». Ce n’était pas tout à fait inexact.

« Qu’est-ce que c’est ? De la viande ? Encore des fruits ? », demanda maman avec excitation tout en regardant la boîte.

Il fallait quand même bien que je lui explique, tôt ou tard. J’avais posé la boîte sur le kotatsu dans le salon. Je l’avais ouvert. Au centre des couches de papier bulle se trouvaient quelque chose de blanc et de long. C’était le même œuf que j’avais vu sur l’écran hier. Je l’avais ramassé. Il était plutôt dur, surtout si l’on considérait que les personnes qui avaient posté hier avaient dit que les œufs de lézard ou de serpent avaient tendance à être mous.

« Un œuf ? Il ne ressemble pas à un œuf de poule », dit maman.

« Hmm… c’est probablement un œuf de reptile. »

J’avais observé attentivement sa réaction, mais elle ne semblait pas mécontente.

« Tu leur as demandé de t’envoyer un reptile de compagnie pour que tu puisses te rapprocher de Sayuki ? »

« Hein ? »

Pourquoi une telle chose gagnerait-elle les faveurs de Sayuki ?

« Elle aime les reptiles. Ton père aussi. Je suppose que ce genre de chose est courant dans la famille. »

« Je ne savais pas… »

« Ton père avait un lézard domestique avant qu’on vive ensemble. Je ne les aime pas, alors il l’a laissé à ses parents quand nous nous sommes mariés. Mais Sayuki les aime aussi, c’est pourquoi elle en garde un dans sa chambre. »

Vraiment ?!

Je n’avais pas mis les pieds dans la chambre de Sayuki une seule fois au cours des dix dernières années, il n’était donc pas étonnant que je ne le sache pas. Ce devait être aussi des créatures silencieuses, puisque je ne l’avais jamais entendu.

« Je m’y suis habituée maintenant. Je peux même voir pourquoi elle l’aime tant ! »

« Oui… »

Tout d’abord, j’étais choqué d’être si ignorant des hobbies de ma sœur. Deuxièmement, j’étais étonné qu’un reptile vive dans la chambre juste à côté de la mienne et que je n’en aie jamais rien su.

Quoi qu’il en soit, grâce à son amour des choses à écailles, le problème de l’œuf avait été résolu assez facilement. J’avais décidé de lui demander comment l’élever lorsqu’elle rentrerait du travail. Pour l’instant, je l’avais enveloppé dans une serviette pour le garder dans ma chambre. Sur Internet, on m’avait dit que les œufs de reptiles devaient être manipulés avec précaution en raison de leur fragilité, mais celui-ci était très résistant. Il était également important de le garder dans une atmosphère humide.

Après avoir placé l’œuf avec précaution sur mon bureau, j’étais redescendu. J’avais pris une cuvette et je l’avais remplie de la terre que nous gardions pour le potager, puis j’avais aspergé la terre d’eau. J’avais placé l’œuf par-dessus.

C’était tout ce que je pouvais faire pour l’instant. Pour le reste, je devais le demander à Sayuki. Je lui avais envoyé un message rapide pour lui faire savoir que je voulais qu’elle m’aide à faire quelque chose quand elle rentrerait. Elle m’avait répondu presque immédiatement.

« Je rentrerai tôt. Je pourrai donc manger avec vous. »

C’était rapide. N’était-elle pas censée travailler ? J’aurais pensé qu’elle aurait été réprimandée pour avoir utilisé son téléphone au travail, mais peut-être que ce n’était pas un problème.

Quoi qu’il en soit, le problème de l’œuf étant réglé, je pouvais me concentrer à nouveau sur l’événement de demain. Non pas que je puisse faire autre chose que de donner à mes villageois un petit avertissement dans la prophétie.

« Eh bien, j’ai fait ce que je pouvais, je suppose donc que le reste est entre les mains du destin… C’est plutôt ironique. »

J’avais gloussé pour moi-même, regrettant à moitié le fait qu’il n’y avait personne autour de moi pour partager cette ironie.

*****

Comme promis, Sayuki rentra à six heures. Papa étant aussi rentré tôt, cela signifiait donc que nous étions tous ensemble pour le dîner, ce qui était agréable. Il y a un mois à peine, je n’aurais pas cru que cela soit possible. Sayuki et nos parents mangeaient ensemble, mais j’étais toujours celui qui manquait. Sans le sentiment de culpabilité qui m’assaillait lorsque je dînais seul, mon cœur se réchauffait et la nourriture avait bien meilleur goût.

J’avais prévu de demander à Sayuki son avis sur l’œuf après le dîner, mais comme papa était là et qu’il aimait aussi les reptiles, j’avais décidé de leur demander leur avis à tous les deux tant que j’en avais l’occasion.

J’avais posé mes baguettes.

« J’allais aussi demander à Sayuki, mais je peux avoir ton avis sur quelque chose, papa ? »

Ils m’avaient regardé fixement. Pour je ne sais quelle raison, Sayuki avait l’air un peu en colère, tandis que Papa essayait clairement de garder son habituel visage impassible. J’avais vu le bout de ses lèvres se retrousser un peu.

« Vas-y », dit-il.

« C’est en rapport avec le message que tu m’as envoyé ? », demanda Sayuki.

« Mon village m’a envoyé une sorte d’œuf de reptile. Il semble que les reptiles soient devenus assez populaires dans le village. Je suppose qu’ils considèrent que cela fait partie de leur développement. »

J’avais travaillé tard la nuit dernière pour créer une histoire pour le village. Heureusement, ils avaient semblé y croire.

« Ils m’ont demandé si je voulais essayer de m’en occuper, et j’ai dit oui. Vous aimez aussi les reptiles, non ? »

J’avais posé la question comme si je me souvenais de ce fait à leur sujet depuis des années. J’espérais que maman ne dirait rien.

« Eh bien, ce n’est pas comme si j’étais une experte, mais je pourrais probablement t’apprendre une chose ou deux », dit Sayuki.

« N’hésite pas à demander ce que tu veux. J’ai même un vieux terrarium avec tous les accessoires dans la remise si tu le veux. », dit papa.

J’avais été surpris de voir à quel point ils étaient prêts à m’aider. J’avais récupéré l’œuf à l’étage et je le leur avais montré pour avoir leur avis.

« Il ressemble vraiment à un œuf de reptile, mais la coquille est un peu dure. Tu pourrais avoir affaire à un gecko ou à un crocodile. », dit papa.

« Un crocodile ? Comme un de ces petits ? Est-ce que c’est légal ? »

Sayuki ajouta son grain de sel.

Je pouvais voir qu’ils devenaient excités maintenant. Il n’avait pas fallu longtemps pour que je perde la trace de ce qu’ils disaient. Ils parlaient du type d’éclairage et de température dont il aurait besoin et de l’espèce (que je ne reconnaissais pas) à laquelle il pourrait appartenir. J’avais écouté du mieux que j’avais pu, ne donnant qu’un « euh huh » ou un « ça a l’air bien » robotique lorsqu’ils me demandèrent mon opinion non éclairée.

Après tout cela, nous avions dégagé un espace dans ma chambre et installé le terrarium pour la créature, en le remplissant de sable et de bois secs. Ils avaient même fait un petit bassin pour qu’il ait tout ce dont il pourrait avoir besoin. Tout cela provenait de vieux équipements que papa et Sayuki possédaient déjà. Peut-être que cela me semblait plus impressionnant parce que j’étais un novice, mais c’était comme s’ils avaient créé un tout autre monde à l’intérieur de cet aquarium. Une fois qu’il fut installé, ils commencèrent même à prendre fièrement des photos de lui sous tous les angles. J’avais à peine fait le travail moi-même, j’avais donc noté mentalement d’acheter quelque chose de sympa pour eux deux la prochaine fois que je serai près du magasin.

« Assure-toi de nous faire savoir quand il éclot ! Je suis curieux de voir ce que ce sera », dit papa.

« Moi aussi ! N’oublie pas de me le dire aussi ! », dit Sayuki.

« Compris. »

Je n’allais pas contester ce qu’ils disaient alors que je n’avais pas la moindre idée de ce que je faisais. J’avais vraiment de la chance de les avoir. Et même les choses se sont passées ainsi que par hasard, c’était un autre exemple de l’impact du Village du Destin dans le renforcement des liens dans notre famille. Peut-être y avait-il vraiment un Dieu du Destin qui veillait sur nous.

Grâce à papa et à Sayuki, je pouvais maintenant porter mon attention sur l’événement arrivant. Et comme tout semblait aller bien dans le village pour le moment, je m’étais décidé à aller dormir afin d’être sûr d’être debout avant dix heures demain.

*****

Je m’étais réveillé à neuf heures le lendemain matin. Ne sachant pas ce qui m’attendait, je commençais à m’inquiéter. Je m’étais dit qu’il fallait être prêt à tout. J’avais pensé à utiliser le golem pour essayer de communiquer directement avec mes villageois, mais avec seulement des gestes à ma disposition, ça ne marcherait probablement pas. Je pouvais toujours essayer d’écrire un message dans le sable, mais je ne pouvais pas supposer que nos langues soient les mêmes. Bien sûr, ils comprenaient les prophéties que j’écrivais en anglais, mais il n’y avait aucune garantie qu’elles n’étaient pas traduites par une sorte de technologie de jeu vidéo. Même sans tout cela, le golem était cher à faire fonctionner et je devais l’utiliser avec parcimonie.

Si je voulais communiquer avec mes villageois, la prophétie quotidienne était le seul moyen. C’était une limitation ennuyeuse par moments, mais je supposais que cela faisait partie de ce qui rendait le jeu intéressant.

Je ne voulais pas avoir à quitter mon ordinateur une fois que l’événement aurait commencé, j’étais donc descendu pour prendre des collations. Tout le monde était déjà parti. De retour en haut, j’étais allé voir mes villageois. Ils étaient agités, clairement sur les nerfs à cause de l’avertissement que je leur avais envoyé hier.

Dans une heure, quelque chose allait se passer. Un mélange d’excitation et d’anxiété m’avait traversé pendant que j’attendais. Je voulais croire que cet événement n’allait pas être un autre Jour de Corruption, mais je n’aurais pas cru que les développeurs puissent faire quelque chose comme ça.

J’avais gardé les yeux sur l’écran pendant que je mangeais mon casse-croûte. À ce moment-là, j’avais entendu un bruit familier : un cafard.

Argh.

J’avais pris un magazine sur mon bureau et je m’étais levé lentement, en espérant qu’il ne sentirait pas l’aura meurtrière qui émanait de moi. J’avais balayé le sol, mais il n’était pas là. J’avais vérifié les murs, rien.

C’était peut-être mon imagination ?

J’avais reposé le magazine, prêt à baisser ma garde, quand je l’avais entendu à nouveau. J’avais écouté aussi fortement que possible pour repérer sa position. Ce fut alors que je remarquais que l’œuf dans le réservoir se balançait légèrement.

« Est-il déjà en train d’éclore ? ! Qu’est-ce que j’ai fait ? ! Attends, Sayuki m’a laissé une note… »

Alors que je le cherchais, une simple fissure était apparue dans l’œuf. Puis une autre. Et encore une autre. Bientôt, l’œuf entier avait été couvert de fissures. J’avais arrêté ma recherche et j’avais regardé l’œuf. Une partie de la coquille s’était détachée, révélant une petite bouche. Puis d’autres tombèrent. J’avais pu voir une tête, des pieds, un corps et une queue.

« C’est jaune… »

À part son ventre, la créature était d’un jaune vif qui semblait scintiller sous la lumière de l’aquarium. Sur son visage mince se trouvait une paire de grands yeux avec des iris verticaux. Sa peau avait une texture rugueuse et elle marchait à quatre pattes. Sa queue était aussi longue que la partie principale de son corps.

Il n’y avait aucun doute sur le fait que c’était un lézard. J’avais poussé un petit soupir de soulagement, ce n’était donc pas un serpent. Bien que je ne sois pas un fan des reptiles, celui-ci était plutôt petit et mignon. La façon dont ses yeux bougeaient de gauche à droite en observant son environnement était adorable. Malgré mes craintes initiales, j’étais sûr de pouvoir l’élever avec l’amour qu’il méritait.

Je l’avais étudié. Je l’avais vu jaune avant, mais en y regardant de plus près, c’était plutôt une couleur dorée. En fait, la façon dont il brillait n’était pas un effet de la lumière, mais sa peau naturelle. Il y avait également deux petites bosses qui dépassaient de l’arrière de sa tête. Ses pattes arrière étaient un peu plus épaisses que ses pattes avant, et il avait de grandes écailles d’aspect dur. Il ressemblait à quelque chose que j’avais déjà vu dans une encyclopédie sur les dinosaures.

« Oh, c’est vrai ! Je suis supposé prendre une photo de ça. »

J’avais pris une photo rapide avec mon téléphone et je l’avais envoyée à Sayuki et à Papa. Ils m’avaient dit auparavant que quoi qu’il arrive, il devrait être bien dans ce terrarium. J’espérais donc qu’il serait heureux là-dedans pour le moment.

« Ça va aller, hein ? »

Le lézard semblait hocher la tête pour me répondre, bien que je sois sûr que c’était une coïncidence. Au moins, il était obéissant.

« Attends juste que l’événement soit terminé, puis je reviendrai te donner un nom. »

J’avais vérifié l’heure. Il était dix heures moins trois. Prenant une profonde inspiration, je m’étais assis devant mon ordinateur, prêt pour le début de l’événement.

J’étais tellement absorbé par mon anticipation que j’avais fait abstraction de tout ce qui m’entourait. À l’époque, je n’avais aucune idée de la façon dont cette petite créature qui me regardait depuis le terrarium était sur le point de changer toute ma vie, et mon sens de la réalité.

 

Bonus : Postface (extraits)

(NdT : Ce roman est tellement différent des autres que j’ai voulu voir ce que l’auteur en dirait. J’ai trouvé son explication suffisamment intéressante pour vous en donner une assez grosse partie du texte. J’ai juste retiré les remerciements.)

… Ce n’est pas une histoire que l’on trouve dans un manga typique, avec un jeune garçon qui devient un héros. Il s’agit plutôt d’un homme d’une trentaine d’années qui lutte pour remettre sa vie sur le bon chemin.

Yoshio n’a jamais réussi à trouver un emploi et, malgré ses regrets, il n’a pas le courage de faire le premier pas. Ce n’est que grâce à un jeu vidéo qu’il va pouvoir trouver ce courage. C’est un résumé assez simple de l’histoire.

Je crois, sur la base de mes propres expériences, que même ceux qui sont incapables de faire quoi que ce soit pour eux-mêmes peuvent être motivés pour faire quelque chose pour le bien de quelqu’un d’autre, et je pense que cela vaut pour beaucoup de gens.

Mon objectif dans ce travail n’est pas de dire aux chômeurs qu’ils doivent trouver un emploi. Il me suffirait que mes lecteurs dans une situation similaire à celle de Yoshio réalisent qu’ils ont plus de potentiel qu’ils ne le pensaient.

En dehors de Yoshio, j’aimerais parler de l’histoire elle-même. Je vais essayer d’éviter les spoilers pour ceux qui aiment lire la postface en premier.

Tout d’abord, il ne s’agit pas d’un isekai, et le personnage principal n’est en aucun cas surpuissant ! Il s’agit simplement d’un NEET enfermé qui joue à un jeu vidéo mystérieux. Je sais que cela ne semble pas très excitant, mais croyez-moi quand je dis que ça l’est ! Comme je l’ai écrit, j’ai essayé de rendre l’histoire attrayante malgré son cadre très ordinaire. C’est tout ce que je peux dire sans trop en dévoiler, alors n’hésitez pas à lire par vous-même !

Si vous avez déjà terminé l’histoire, qu’en avez-vous pensé ? Avez-vous eu un personnage préféré ? En tant qu’auteur, j’espère que vous vous attacherez à Yoshio, mais personnellement, Carol est mon personnage préféré. Mais ne vous méprenez pas, je ne suis pas un lolicon !

Sans elle, l’histoire aurait probablement fini beaucoup plus sombre qu’elle ne l’est. Je pense que Carol a beaucoup fait pour remonter le moral de ceux qui l’entourent, y compris Yoshio. Elle a aussi beaucoup d’importance dans l’histoire en tant que personnage principal.

J’aime aussi beaucoup les autres personnages, bien sûr, et je suis très attaché aux cinq villageois principaux. Il y a Gams, un homme fort et fiable, sa sœur Chem, qui lui porte une affection inhabituelle, Rodice, qui semble faible au premier abord, mais qui a la tête froide, et sa femme Lyra, joyeuse et courageuse.

Chacun de ces personnages contribue à l’histoire à sa manière. Dans la partie de l’histoire qui se déroule dans la vie réelle, nous avons Yoshio, sa sœur Sayuki et ses parents, ainsi que le patron et les collègues de Yoshio. Aucun d’entre eux n’est un personnage de second plan; chacun a son rôle à jouer. L’histoire avance sous l’influence du jeu et des événements de la vie réelle, j’espère donc que vous apprécierez ces deux parties parallèles et leurs personnages.

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Illustrations

Fin du tome.

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3 commentaires :

  1. amateur_d_aeroplanes

    Merci pour cette histoire.

  2. merci pour le chapitre

  3. merci pour la traduction gratuite. grâce a vos histoire, je peut évacuer le stress qui me ronge, donc merci beaucoup

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