Le Maître de Ragnarok et la Bénédiction d’Einherjar – Tome 4
Table des matières
- Prologue
- Acte 1 : Partie 1
- Acte 1 : Partie 2
- Acte 1 : Partie 3
- Acte 1 : Partie 4
- Acte 1 : Partie 5
- Acte 2 : Partie 1
- Acte 2 : Partie 2
- Acte 2 : Partie 3
- Acte 2 : Partie 4
- Acte 2 : Partie 5
- Acte 2 : Partie 6
- Acte 2 : Partie 7
- Acte 3 : Partie 1
- Acte 3 : Partie 2
- Acte 3 : Partie 3
- Acte 3 : Partie 4
- Acte 3 : Partie 5
- Acte 3 : Partie 6
- Acte 3 : Partie 7
- Acte 4 : Partie 1
- Acte 4 : Partie 2
- Acte 4 : Partie 3
- Acte 4 : Partie 4
- Acte 4 : Partie 5
- Acte 5 : Partie 1
- Acte 5 : Partie 2
- Acte 5 : Partie 3
- Acte 5 : Partie 4
- Acte 5 : Partie 5
- Acte 5 : Partie 6
- Acte 5 : Partie 7
- Acte 5 : Partie 8
- Acte 5 : Partie 9
- Épilogue 1
- Épilogue 2
- Illustrations
***
Prologue
Avec sa rune, Skírnir, la Servante Sans Expression, Félicia était une Einherjar possédant à la fois sagesse et force.
Cela dit, en matière de combat, elle n’était pas à la hauteur de Sigrun ou de Skáviðr, et dans le domaine politique, elle était loin d’être aussi compétente que Jörgen ou Linéa. Même en ce qui concernait les magies telles que le galldr et le seiðr, elle ne pouvait pas égaler les capacités d’un Einherjar qui s’y était spécialisé.
Il y avait un certain nombre d’autres compétences qu’elle avait cultivées, mais aucune d’elles n’était au même niveau qu’un spécialiste.
Elle pouvait apprendre à faire presque n’importe quoi, mais elle ne pouvait jamais atteindre la pleine maîtrise de n’importe quoi.
Dans le passé, c’était quelque chose dont elle avait gardé un complexe d’infériorité, mais maintenant c’était quelque chose dont elle était très fière.
Il était vrai que toutes ses diverses connaissances et compétences n’étaient pas à la hauteur de celles des professionnels du métier. En termes plus négatifs, elle n’était rien de plus qu’une amatrice. Cependant, cela la distinguait aussi de ceux qui n’avaient vraiment aucune compréhension.
Elle pourrait avoir une conversation appropriée avec des spécialistes dans n’importe quel domaine. Elle avait ainsi été en mesure de comprendre et de prendre en considération leur situation et leurs besoins particuliers et, dans la plupart des cas, cela lui avait permis d’utiliser sa position pour trouver des points de convergence réalistes.
Son maître bien-aimé, Yuuto Suoh, avait puisé dans les connaissances qu’il appelait « triches » et qui couvraient de nombreuses disciplines différentes. D’autre part, il y avait aussi de nombreux cas où Yuuto lui-même manquait étonnamment de connaissances spécialisées ou même communes.
Et c’était ainsi qu’un soi-disant homme à tout faire et un maître sans pareil comme Félicia était la personne parfaite pour faciliter les relations entre Yuuto et les nombreux experts dans ces domaines.
« Très bien ! Je ferai de mon mieux aujourd’hui aussi ! » Félicia s’était préparée pour le travail de la journée en s’habillant.
Dernièrement, il faisait nettement plus froid, alors elle avait mis à jour sa tenue de prêtresse et l’avait complété avec une robe blanche plus épaisse.
Les vêtements plus chauds montraient moins de peau, et le fait qu’elle ne sentait plus le regard de son Grand Frère assermenté sur sa poitrine la rendait un peu triste (Yuuto faisait peut-être de son mieux pour le cacher, mais les femmes sont très sensibles aux regards des autres, surtout de ceux qui leur étaient chers). Cependant, si elle portait des vêtements plus révélateurs par ce temps et contractait un rhume, elle finissait par lui causer des problèmes, ce qui n’en valait pas du tout la peine.
« En plus, Grand Frère m’a dit que cette tenue me va bien, » se le rappela-t-elle de vive voix.
Alors qu’elle était souriante et gloussante d’un petit rire, elle avait pris une tablette d’argile dans l’énorme pile présente sur son bureau.
Yuuto avait accompli d’incroyables progrès rapides pour le Clan du Loup en tant que patriarche, et maintenant toutes sortes de correspondances arrivaient pour lui de l’intérieur et de l’extérieur des frontières de la nation. Cependant, bon nombre d’entre eux n’étaient pas non plus assez importants pour le déranger directement.
Une partie du travail quotidien de Félicia au petit matin consistait à les lire tous pendant que son frère dormait encore et à choisir ceux qu’elle devait lui transmettre.
« Oh, celle-ci m’est adressée ? Je me demande si c’est une autre demande en mariage, » déclara Félicia.
Félicia recevait fréquemment des demandes officielles de mariage, car c’était une fille aux manières douces et d’une beauté exceptionnelle.
Elle avait déjà quelqu’un à qui elle avait décidé de tout promettre. Donc elle n’avait pas d’autre choix que de refuser poliment et soigneusement chacun d’eux. Mais chaque fois qu’elle rencontrait des membres plus âgés du clan, ils disaient toujours des choses comme : « Je ne peux pas croire que vous soyez déjà si vielle et que n’ayez même pas été mariée. » En se plaignant directement face à elle.
Honnêtement, c’était incroyablement irritant pour elle. En raison de cela, de nos jours, le simple fait d’entendre parler de son âge suffisait à faire ressortir un côté plus inconvenant d’elle.
« ... Hein ? » Au fur et à mesure que Félicia lisait le message qui lui était adressé, son expression devenait de plus en plus tendue.
Son visage devint pâle et son corps commença à trembler.
« Argh !! » Avant de s’en rendre compte, elle avait projeté le message sur le sol de toutes ses forces, le brisant.
Ce n’était qu’une tablette fragile faite d’une fine couche d’argile cuite, donc elle s’était immédiatement brisée en morceaux qui s’étaient dispersés sur le sol.
« Hm ? Tout va bien, Félicia ? » La voix de Yuuto s’éleva depuis la pièce voisine.
Pour des raisons de sécurité, il fallait passer par la chambre de Félicia pour se rendre chez Yuuto. De plus, pour entrer dans la chambre de Félicia, il fallait passer par celle de Sigrun. C’était une défense en béton.
« O-Oui, je vais bien, » déclara-t-elle rapidement. « J’ai simplement laissé tomber l’un des messages. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter. T’ai-je réveillé ? Je suis vraiment désolée, Grand Frère. »
« Non, ne t’inquiète pas, j’étais déjà debout, » répondit Yuuto.
« Je vois. C’est un soulagement. » Alors que Félicia expirait en soulagement, elle commença rapidement à nettoyer les fragments du message brisé.
Même si elle savait que Yuuto ne pouvait pas le lire, elle ne voulait pas que quelque chose comme ça reste quelque part où il pourrait le voir, pour un instant de plus.
Ses yeux s’étaient arrêtés une seconde sur l’un des plus gros fragments, et les mots écrits dessus.
« Informez ma sœur cadette bien-aimée, Félicia. Je suis ton frère aîné — . »
***
Acte 1
Partie 1
« Voici la prochaine, » déclara Félicia. « Informez l’honorable Seigneur Yuuto, patriarche du Clan du Loup. Je suis Douglas, patriarche du Clan des Cendres. »
L’automne était déjà bien entamé. La lumière du soleil s’était adoucie et l’air semblait plus froid sur la peau.
Dans le bureau du patriarche, Félicia lisait à haute voix à Yuuto le contenu des messages qui lui étaient adressés, comme elle le faisait toujours, d’une belle voix comme une clochette dorée.
Cependant, Yuuto avait eu l’impression que sa voix était moins fougueuse que d’habitude. Dernièrement, Yuuto avait été tellement occupé que cela lui avait fait tourner la tête. Cela signifiait que son adjointe devait aussi ressentir la même chose. Il était possible qu’elle commence à se sentir épuisée.
Yuuto ne se sentait pas bien de lui faire toujours lire des messages comme celui-ci, mais il ne pouvait pas lire l’écriture d’Yggdrasil, alors il n’y avait rien qu’il puisse faire pour l’instant.
« Ohh, le Clan des Cendres. Cela me ramène en arrière, » fit remarquer Yuuto avec un peu de surprise, en analysant enfin ses paroles.
Le Clan des Cendres s’était jadis joint à Botvid du Clan de la Griffe pour attaquer Iárnviðr. Ils avaient été les adversaires de Yuuto lors de sa première vraie bataille — et sa première grande victoire. Tout cela s’était passé il y a un an et demi, mais il s’en souvenait encore très bien.
Jusqu’à il y a un peu plus de deux ans, Yuuto Suoh était un garçon relativement normal qui fréquentait le lycée dans le Japon du XXIe siècle. Grâce à une combinaison de coïncidences, il s’était retrouvé transporté dans le monde déchiré par la guerre d’Yggdrasil, et que ce soit le destin ou une malédiction, il était maintenant le souverain du Clan du Loup.
Tandis que Yuuto se livrait à quelques réminiscences, la douce voix de Félicia continuait à lire le message.
« “Moi, Douglas, j’exprime mon humble requête pour que Seigneur Yuuto puisse échanger avec moi le Serment du Calice. Et, dans ce cas, je m’engage par la présente à offrir ma fille de sang, Dorothéa, afin de servir le Seigneur Yuuto dans son palais...”, » avait-elle lu.
« Argh, pas encore ! » s’exclama Yuuto, fatigué et renfrogné.
Il avait déjà reçu le même genre de lettres du Clan du Blé et du Clan du Chien des Montagnes, tous deux d’anciens clans subordonnés du Clan du Sabot.
Yuuto avait vaincu le souverain suprême d’Álfheimr, autrefois connu sous le nom de Yngfróði, le Seigneur de l’Abondance : le patriarche Yngvi du Clan du Sabot. Et peu de temps après, il avait aussi vaincu Steinþórr, patriarche du Clan de la Foudre, un guerrier hors pair connu sous le nom de Dólgþrasir, le Tigre Affamé de Batailles. Après ça, les autres clans voisins étaient apparemment tous impressionnés et effrayés par la force militaire de Yuuto.
Dans chaque cas, Yuuto était parti à la guerre qu’à contrecœur et pour se défendre, mais d’un point de vue plus éloigné, il était compréhensible qu’il puisse apparaître comme un nouveau dirigeant ambitieux désireux d’étendre son territoire et son influence.
Face à un tel adversaire, qu’ils ne pouvaient pas vaincre militairement, ces individus essayaient de se protéger le plus possible en déclarant leur intention de se soumettre à lui et d’entrer sous sa protection, plutôt que d’attendre qu’il les envahisse potentiellement.
« C’est exactement ce que je veux, du moins pour ce qui est d’obtenir plus de clans de mon côté et sous mon influence, mais..., » Yuuto s’était affaissé contre sa chaise, et avait fait un sourire fatigué face à l’ironie.
La partie la plus délicate de cette situation était de savoir comment traiter avec les « princesses », les filles de haut rang que les autres nations lui envoyaient. Elles devaient servir à la fois d’otages qui servaient de garantie physique de l’alliance et d’épouses ou de maîtresses potentielles qui favoriseraient des liens plus étroits entre lui et leur pays d’origine.
Certains diront peut-être qu’en tant qu’homme entouré de nobles filles parmi lesquelles il pouvait choisir, il avait eu la chance déraisonnable d’être choyé par sa situation. Mais Yuuto avait quelqu’un de spécial pour lui au Japon, son amie d’enfance Mitsuki Shimoya. Avec son attente courageuse et patiente de son retour, il n’avait jamais pu penser à la trahir.
« Pour l’instant, réponds poliment aux autres partis que j’aimerais échanger le Serment du Calice avec eux, mais que je refuse toute demande en mariage. Je te laisse le soin de trouver une bonne raison, » déclara Yuuto.
« Oui, Grand Frère, » déclara Félicia. « Je crois qu’avec le statut actuel du Clan du Loup, tu serais en mesure de faire avancer les négociations avec un clan plus petit et plus faible avec tes propres conditions, et cela, sans trop de difficultés. »
Hochant la tête, Félicia donna son opinion en notant les paroles de Yuuto sur un morceau de papier.
Et c’était vraiment comme elle le disait... Le Clan du Loup était maintenant beaucoup plus grand et puissant que lorsque Yuuto était devenu patriarche.
Ce n’était pas comme s’il faisait des demandes déraisonnables. S’il avait affaire à un petit clan, incapable de mobiliser même un millier de soldats, il ne devrait pas être difficile de les convaincre d’accepter l’alliance dans ces conditions.
« Eh bien... plus important encore, le plus gros problème en ce moment, c’est qu’on est devenus si gros. » Yuuto secoua la tête et soupira, laissant tomber son regard sur une feuille de papier étalée sur le bureau.
C’était une simple carte des terres entourant le Clan du Loup. Les techniques d’arpentage et de mesure étaient encore peu développées à Yggdrasil. Il y avait plus que probablement une assez grande différence entre cette carte et la géographie réelle, mais c’était quand même mieux que rien.
En tapant du doigt sur la carte, Yuuto marmonnait à lui-même. « Le problème le plus flagrant est la pénurie de personnel. »
En l’espace d’un an, le Clan du Loup avait étendu son territoire à près de trois fois sa taille antérieure. Il devait gouverner tout ce territoire nouvellement acquis, mais naturellement, cela signifiait qu’il devait nommer des fonctionnaires civils pour effectuer le travail quotidien localement dans chaque zone, ainsi que fournir des forces armées pour protéger la paix dans les villes locales et les défendre contre les bandits et les menaces étrangères.
Parce qu’une bonne partie de ce nouveau territoire se trouvait le long de la frontière avec le Clan de la Foudre, avec lequel il venait d’entrer en guerre, il donnait la priorité aux ressources là-bas, et à son tour ils commençaient à voir des effets secondaires négatifs graves ici à Iárnviðr.
En tout état de cause, le manque de main-d’œuvre avait fait que son administration n’était plus en mesure de gouverner sans heurts.
« Nous devons faire quelque chose à ce sujet..., » murmura Yuuto.
Il avait besoin de trouver des gens plus compétents, et vites. Pour Yuuto, c’était son plus grand dilemme non résolu.
Après avoir terminé son travail pendant la première moitié de la journée, Yuuto avait déjeuné sur la terrasse et, en regardant dans la grande cour, il avait vu que le marché de style bazar était en plein fonctionnement en ce moment.
Les marchands et colporteurs avaient dressé leurs tentes et leurs étals à l’intérieur desquelles diverses marchandises étaient étroitement placées les unes à cotés des autres. Ainsi, tout le lieu était rempli de voix vives et excitées.
En particulier, un magasin installé du côté nord de la cour semblait être en plein essor, avec une bande de marchands qui se précipitaient frénétiquement pour enchérir sur les marchandises qui s’y trouvaient.
« Je propose trente byggs d’argent ! »
« Alors j’enchéris à 40 byggs ! »
« Grrr... puis un barr ! »
« Un barr, vingt byggs ! »
« Un barr, trente byggs ! »
Apparemment, quoi que ce soit, c’était si populaire qu’il était vendu aux enchères. Les marchands avaient levé les mains l’une après l’autre, et à chaque seconde qui passait, le prix montait en flèche.
« C’est sûr que ça chauffe en bas. » Debout à côté de Yuuto, Sigrun avait parlé d’un ton désintéressé.
Cette fille aux cheveux argentés était la chef de l’unité de Múspell et également la chef de la garde personnelle de Yuuto. Elle était également la plus grande guerrière du Clan du Loup, responsable de la mort du héros Mundilfäri du Clan de la Griffe et du patriarche Yngvi du Clan du Sabot, tous deux des guerriers intrépides et sans rivaux à part entière.
Et peut-être à cause du climat plus froid de la fin de l’automne, elle portait aujourd’hui un manteau de fourrure à capuche. Le capuchon avait des oreilles de loup attachées à la capuche, et cela lui allait très bien.
« Ohhhhhhhhh !! » Tout d’un coup, un chœur de cris se répandit dans la foule des marchands comme une vague. Il semblait que le vainqueur avait été décidé.
Le concept de monnaie standardisée comme les pièces de monnaie n’étaient pas encore apparut dans Yggdrasil, de sorte qu’il était normal pour la plupart des commerçants de régler leurs paiements avec de l’argent.
« Bygg » et « Barr » étaient des unités de mesure de poids. Un Bygg équivaut au poids de 180 grains d’orge et un Barr équivaut à 60 byggs.
Yuuto avait déjà mis son smartphone, le LGN09 alias Laegjarn (166 grammes) sur la balance du commerçant, et il était monté à 20 byggs. Donc, cela signifie qu’un Barr pesait environ 500 grammes.
« Whoa, c’est un prix fou, » chuchota Yuuto à son grand étonnement. « Et c’est juste pour quelque chose comme ça... » Il avait tapé un ongle avec un tintement contre le verre se trouvant devant lui.
Soit dit en passant, le travail manuel moyen des roturiers recevait un salaire équivalent à environ deux byggs d’argent pour un mois de travail.
« Si tu veux mon avis, “Juste pour quelque chose comme ça” est une façon assez dure de l’estimer. Il nous a fallu beaucoup de travail pour en arriver là où nous pouvions faire “quelque chose comme ça”, tu sais, » assise en face de Yuuto, une fille aux cheveux roux avait gonflé ses joues en signe d’insatisfaction.
La fille s’appelait Ingrid. Comme Yuuto, elle n’était qu’au milieu de son adolescence, mais elle était une Einherjar avec la rune Ívaldi, l’Enfanteuse de Lames, et un génie pour produire les choses.
Étriers, roues hydrauliques, papier, et bien plus encore...
Lorsque Yuuto avait utilisé les informations obtenues à l’aide de son smartphone pour trouver diverses idées et inventions, il n’était pas exagéré de dire que c’était grâce à Ingrid chaque fois qu’il était capable de construire et produire chacun d’entre eux.
Si Yuuto était l’acteur vedette, le personnage principal qui avait publiquement reconstruit le petit et faible Clan du Loup et vaincu tous ses voisins hostiles, alors cette fille était son meilleur acteur de soutien, et le rôle principal en coulisses.
« En outre, ils devraient être en mesure de faire plus qu’assez de profit même s’ils les achètent à ce prix, » déclara Ingrid. « S’ils les emmènent à Glaðsheimr, la Capitale Impériale, les personnes de la famille impériale et de la classe supérieure seront prêtes à payer plusieurs fois ce prix. Après tout, dans tout Yggdrasil, Iárnviðr est le seul endroit où tu peux les trouver. Ce sont clairement les biens les plus rares au monde. »
Ingrid parlait avec confiance, gonflant sa poitrine de taille moyenne avec fierté.
On disait que le verre avait ses origines vers 3000 av. J.-C., et même à Yggdrasil, on en connaissait déjà l’existence.
Cependant, la façon commune de produire du verre à Yggdrasil était assez primitive. Après la construction d’un moule de coulée principalement en sable, le verre fondu était coulé directement dans le moule.
Les pièces de verre ainsi formées étaient principalement utilisées par les riches et les nobles comme objets d’art décoratifs de luxe, et rien de plus.
« Il devait également y avoir une méthode précoce de fabrication du verre appelée “verre sur noyau” qui s’est développé en Mésopotamie vers 1550 avant J.-C., bien que..., » Yuuto murmura cela à lui-même.
Yggdrasil était quelque part à la fin de l’âge du bronze sur le plan de civilisation et de technologie, donc les époques devraient théoriquement s’aligner, mais il semblait que la technique de fabrication du verre sur noyau était encore inconnue ici.
Bien sûr, ça ne disait pas grand-chose. À titre d’exemple, la fabrication de la soie était originaire de Chine vers 3000 av. J.-C., mais la technique n’avait atteint l’Occident qu’au VIe siècle après J.-C., soit 3600 ans plus tard.
C’était un monde sans téléphone ni Internet. Il n’était pas rare qu’une technique ou une invention utilisée depuis longtemps dans une région soit presque totalement inconnue dans une autre région depuis des centaines ou des milliers d’années.
Il avait été dit que les pièces de verre créées par la méthode de formation par noyau avaient autrefois été traitées comme des objets de valeur égale à celle de l’argent et de l’or. Et il y a quelques instants, ces marchands avaient en effet attribué autant de valeur à des objets en verre aussi simples que la coupe devant Yuuto maintenant.
« Tu parles d’un massacre, » murmura-t-il.
La technique de fabrication du verre que Yuuto avait introduite était le soufflage du verre, établi dans la seconde moitié du Ier siècle avant J.-C., 1 500 ans après la formation du noyau.
En attachant un morceau de verre fondu appelé « manchon initial » à une extrémité d’un mince tuyau de fer et en soufflant dedans, on pourrait faire prendre de l’expansion et former le verre comme on le voulait. C’était une technique encore utilisée au 21e siècle.
Grâce à l’avènement de cette méthode, il était maintenant possible de produire un plus grand volume de produits verriers et de le faire à moindre coût.
***
Partie 2
« Tu es incroyable comme toujours, Grand Frère, » déclara Félicia. « Avec cela, le Clan du Loup ne fera que prospérer de plus en plus. La pauvreté dans laquelle nous étions il y a deux ans est si loin maintenant. Je n’aurais jamais imaginé qu’à l’époque, nous pourrions même prendre nos repas au milieu de la journée comme nous le faisons là. »
Félicia arracha un morceau de son pain et le mit dans sa bouche, faisant une grimace de plaisir absolu et tremblant même un peu pendant qu’elle en savourait le goût.
Deux repas par jour étaient la norme à Yggdrasil : le petit déjeuner et le souper. Mais pour Yuuto, qui était à la fois habitué à trois repas par jour et un jeune homme en pleine croissance, cela ne semblait pas suffisant, et maintenant que la situation alimentaire du Clan du Loup s’était tellement améliorée, il avait récemment commencé à prendre trois repas par jour. En tant qu’adjointe, Félicia était toujours à ses côtés, alors elle avait commencé à prendre trois repas par jour.
« Tout ce que j’ai fait, c’est montrer une vidéo sur le soufflage du verre à Ingrid. C’est elle qui a su recréer cette technique et la mettre en pratique, » déclara Yuuto.
« Tee hee ! Ingrid est impressionnante, n’est-ce pas ? » déclara Félicia.
« J-Je n’ai rien fait de spécial non plus, d’accord ? » Le visage d’Ingrid avait commencé à rougir. Elle était timide et avait du mal à accepter des compliments directs comme celui-ci. « Si vous voulez faire des compliments, faites-en aux artisans qui les ont faits. Tout ce que j’ai fait, c’est leur enseigner les bases, et ils ont fait le reste. »
Les principaux composants du verre étaient le sable, les cendres végétales et la chaux, tous présents en abondance partout dans le monde. Mais même si Ingrid était un génie, elle n’était qu’une seule personne. Elle ne pouvait s’occuper seule d’une manière efficace de la production en série du verre.
Yuuto avait aussi beaucoup d’autres emplois pour lesquels il avait besoin d’elle. Ce serait une perte de temps que de la laisser consacrer tout son temps et tout son talent uniquement à la production d’objets en verre.
C’est ainsi qu’un groupe entier d’apprentis verriers, formés à la technique du soufflage du verre qu’Ingrid avait maîtrisée, avait été entraîné. Les objets en verre vendus dans le bazar à l’heure actuelle avaient tous été fabriqués par ses apprentis.
« Je suis contente que ces prix montrent qu’ils sont appréciés pour ce qu’ils valent. Ces types se sont tous vraiment démenés ces six derniers mois..., » Ingrid parla doucement, regardant la cour. Yuuto pouvait voir des larmes dans les coins de ses yeux.
Elle passait habituellement tout son temps enfermée dans l’atelier, mais le fait qu’elle se soit fait un point d’honneur d’assister à la première vente des travaux de ses apprentis montrait qu’elle était une fille qui savait s’occuper des autres. Elle avait dû être particulièrement émue de voir la preuve que ses élèves s’étaient pris en main.
D’ailleurs, elle avait aussi enseigné la méthode du four à tatara pour raffiner le fer à un groupe de ses artisans les plus compétents et les plus dignes de confiance, et c’est ainsi que le processus de raffinage du fer en masse avait commencé dans divers endroits du territoire du Clan du Loup.
Afin d’empêcher la fuite d’informations sensibles sur le processus vers les clans voisins, cela avait été fait sous de multiples couches de sécurité lourde.
En fin de compte, on ne pouvait pas parler de la prospérité actuelle du Clan du Loup sans mentionner le rôle d’Ingrid dans tout cela.
« E-Euh, j-j’ai apporté du thé ! » Derrière lui, Yuuto entendit une voix mignonne qui parlait avec un bégaiement maladroit.
En se retournant, il vit une mignonne petite fille d’une dizaine d’années, aux cheveux châtain clair coupés à la longueur des épaules, tenant un plateau de service et affichant une expression incroyablement nerveuse.
Ce n’était pas la même servante qui les servait d’habitude. Mais le plus important, c’était que quelque chose d’autre chez elle avait été remarqué par Yuuto. Il était certain de reconnaître son visage.
« Attends, n’es-tu pas..., » commença Yuuto.
« O-O-Oui, Maître ! Je suis Éphelia, l’esclave que le Maître a achetée avec ma mère ! » déclara la jeune fille.
Tandis qu’Éphelia bégayait d’une voix aiguë, Yuuto claqua des doigts quand le souvenir lui revint. « Ah ! Ainsi, tu es la petite fille de l’époque. »
C’était à peu près au moment où il avait fait prisonnier Linéa, patriarche du Clan de la Corne, et l’avait ramenée à Iárnviðr. Il avait acheté une mère et une fille qui étaient vendues comme esclaves sur le marché.
Ce n’était qu’à peine il y a trois mois, mais juste après, les guerres avec le Clan du Sabot et le Clan de la Foudre s’étaient succédé, ce qui donnait l’impression à Yuuto que cela s’était passé il y a très longtemps.
« E-E-Et voilà pour v-v-vous..., » avec des mains tremblantes, Éphelia inclina son pichet pour verser le thé dans le verre de Yuuto. Elle était si nerveuse et tremblante qu’en la regardant agir, Yuuto s’était senti anxieux.
« Hé, ne sois pas si tendue, c’est chaud ! » Son avertissement était arrivé trop tard, et le thé chaud qu’elle versait éclaboussa à côté du verre ainsi que le pantalon de Yuuto.
« Ah ! Awawa ! Je-je-Je suis tellement désolée !! » Le visage d’Éphelia avait failli devenir bleu de peur, et elle s’était empressée d’utiliser son foulard pour essayer d’essuyer la tache sur le pantalon de Yuuto. « Ohh... Je ne peux pas croire ce que j’ai fait... Je suis désolée, je suis désolée, je suis désolée, je suis désolée, je ferai tout ce que vous voulez, je vous le promets, mais pardonnez-moi. Je suis désolée, je suis vraiment désolée. »
Éphelia s’excusa encore et encore, semblant avoir été complètement sous le choc.
Pour une esclave comme elle, étant dans les profondeurs de la société, un souverain de clan comme Yuuto était tellement au-dessus d’elle qu’il pourrait aussi bien être un dieu. Et il était aussi son maître direct, avec le droit de décider même de sa vie ou de sa mort. Ce n’était pas déraisonnable pour elle d’avoir peur de lui dans cette situation.
Alors qu’Éphelia semblait sur le point de fondre en larmes, Yuuto posa doucement sa main sur sa tête et caressa ses cheveux. « Je ne vais pas m’énerver contre toi pour un truc comme ça. »
« Eh... oh... »
Alors qu’elle leva les yeux vers Yuuto, on pouvait voir la lumière revenir dans les yeux d’Éphelia à mesure qu’elle se calmait. Elle semblait comprendre qu’elle ne l’avait pas contrarié.
« T’es-tu habituée à vivre ici ? Personne ne t’embête, hein ? » Yuuto s’était assuré de lui parler d’une voix douce.
Si elle avait honte d’avoir été si bouleversée et qu’elle commençait à s’excuser à nouveau pour cela, ils reviendraient tout de suite au point de départ. Changer complètement de sujet était la meilleure chose à faire dans le cas présent. Un bon dirigeant devait toujours saisir rapidement l’occasion de faire bouger les choses en sa faveur.
« O-Oui, » déclara-t-elle nerveusement. « Tout le monde a été très gentil avec moi. »
« Hm, je vois. » Yuuto lui avait fait un petit sourire.
Il n’était pas le Yuuto naïf d’il y a deux ans, qui aurait simplement pris ses mots au pied de la lettre et aurait été rassuré sans trop réfléchir.
Cependant, bien que le ton de la voix d’Éphelia avait encore quelques restes de nervosité, il n’y avait aucune trace de la morosité de quelqu’un qui vivait une expérience douloureuse et qui essayait de la cacher. Il pouvait supposer qu’elle parlait avec son cœur.
« Au fait, qu’est-il arrivé à la fille habituelle ? » demanda Yuuto.
« O-oh, c’est vrai. Elle a attrapé un rhume et ne se sentait pas bien aujourd’hui. Mais tous les autres étaient si occupés. Donc Éphy voulait... ah ! Non, euh, j-je voulais... »
« Ohh, c’est gentil de ta part. Je suis impressionné, » déclara Yuuto.
Il semblerait qu’elle se soit normalement référée à elle-même à la troisième personne. Ce n’était pas très rare chez les enfants de son âge.
Yuuto fit semblant de ne pas remarquer l’erreur d’Éphelia, et avec un rire bienveillant, il caressa à nouveau ses cheveux.
« E-Ehehehehe ! » Éphelia gloussa timidement, mais aussi joyeusement.
Elle était comme un petit chiot.
Yuuto n’avait pas pu s’empêcher d’encore plus lui caresser les cheveux.
« Awawa ! M-Maître !? »
« Hahaha, je te donne juste une récompense pour ton dur labeur, » répliqua Yuuto.
« Nnn..., » embarrassée, Éphelia fixa le sol, le visage rouge vif, ce qui la rendait encore plus mignonne.
Yuuto avait plusieurs petites sœurs et filles assermentées grâce au Serment du Calice, mais toutes étaient assez proches de lui par leur âge, et chacune d’elles était une combattante digne de confiance ou une professionnelle exemplaire dans un domaine. Les jumelles du Clan de la Griffe étaient un peu plus jeunes que lui, mais elles étaient toutes les deux terriblement douées à leur manière.
En revanche, l’impuissance d’Éphelia avait réveillé le désir instinctif de Yuuto de protéger d’une manière presque rafraîchissante. S’il avait eu sa propre petite sœur, elle pourrait être comme ça.
« Éphelia est un nom un peu long, » déclara-t-il. « Puis-je t’appeler Éphy ? »
« B-Bien sûr. Éphy est la propriété du Maître, alors utilisez le nom que vous voulez, » déclara Éphelia.
« D’accord, » alors qu’il était toujours en train de caresser la tête d’Éphelia, Yuuto fit un signe de tête rassurant et facile à faire...
... et soudain, il remarqua qu’il pouvait sentir plusieurs regards intenses sur lui.
Avec un frisson, Yuuto leva les yeux pour voir trois Einherjars dirigeant leur regard dans sa direction avec des expressions très compliquées et difficiles à lire.
Yuuto était la figure d’autorité ultime du Clan du Loup. Félicia était son adjointe, Sigrun, le capitaine de sa garde personnelle, et Ingrid, son amie intime et sa partenaire.
Et pourtant, ce qui avait refroidi Yuuto, c’était sans aucun doute de la terreur.
« Q-Qu’est-ce qu’il y a ? Les filles, quelque chose ne va pas ? » demanda Yuuto, incapable de s’empêcher de broncher un peu face à ça.
Face à ces mots, elles semblèrent toutes les trois revenir à la raison et secouer précipitamment la tête.
« N-non, il n’y a rien de mal, » dit rapidement Félicia. « (P-Peut-être, qu’après tout, Grand Frère préfère les filles plus jeunes ! Il a mentionné que sa bien-aimée Lady Mitsuki était un an plus jeune que lui, et il semble certainement avoir pris goût à Kristina...) »
« Ce n’est rien, Père, » Sigrun était d’accord avec elle. « (P-Pourquoi ? Même moi, je n’arrive pas à me faire caresser la tête à ce point par Père. Je suis jalouse d’elle, mais je ne peux pas le dire tout haut devant tout le monde... !) »
« O-ohh, non, ce n’est rien, ne t’inquiète pas, » lui assura Ingrid. « (C-Comment pourrais-je admettre que je suis jalouse d’une petite fille !?) »
« Euh ! A-Alors, c’est bien, » Yuuto n’avait pas l’impression que les réponses qu’il avait entendues étaient vraies, et il se demandait ce qu’elles murmuraient, mais il n’avait pas poursuivi sur le sujet.
Le sentiment de terreur qu’il avait ressenti il y a un instant était encore frais dans sa mémoire.
Comme on dit, un homme sage se tient loin du danger, pensa-t-il.
« Ah, c’est vrai. Éphy, tu veux l’une de ses douceurs ? » Se ressaisissant, Yuuto avait pris l’un des restes de biscuits cuits dans une assiette sur la table et le tendit à Éphelia.
Une fois de plus, l’atmosphère autour de la table semblait soudainement oppressante. Yuuto avait l’impression qu’il avait peut-être commis une terrible erreur, mais il était maintenant trop tard pour faire demi-tour.
« O-oh, n-non, merci ! Il serait impensable de manger la nourriture du Maître, » Éphelia secoua violemment la tête d’un côté à l’autre, tremblante.
Étonnamment, les douceurs cuites au four avaient une longue et riche histoire. Même dans l’ancienne Mésopotamie au 22e siècle av. J.-C., il y avait un gâteau sucré appelé « mersu ». Il avait été fait en prenant de la pâte malaxée et en mélangeant des choses comme des dattes, des figues, des raisins secs, du miel, et certaines variétés d’épices, et cuites dans un pot d’argile.
Bien sûr, à une époque précoce comme celle-ci, les confiseries et les desserts étaient une gâterie qui ne pouvait être consommée que par ceux qui avaient au moins une certaine richesse et un certain statut. Il était, en effet, impensable pour une esclave comme elle d’en manger un.
Sa réaction avait été à peu près ce que Yuuto avait prédit, alors il avait délibérément fait une tête déçue quand il avait répondu. « Je vois. Eh bien, c’est un problème. Tu vois, je ne suis pas fort sur les sucreries. Mais si je ne les finis pas, ce serait irrespectueux pour ceux qui les ont faits. Et surtout, ils iraient à la poubelle. Ça m’aiderait vraiment si quelqu’un en mangeait un, tu vois ? »
« Eh... euh... euh... m-mais... » Éphelia bégayait, mais ses yeux étaient déjà fixés sur la sucrerie dans la main de Yuuto. Au fond, elle voulait le manger plus que tout. Elle avait dégluti par réflexe. Tout ce dont elle avait besoin, c’était d’un coup de pouce de plus.
« Vas-y, prends-le. » Avec un peu de force, Yuuto avait pris la main d’Éphelia et y plaça la douceur cuite au four. « Maintenant, mange-le avant qu’il ne soit rassis. C’est vraiment délicieux. »
« D-D’accord. Alors, j’accepte humblement ! » Après s’être vue remettre personnellement l’objet par son maître, Éphelia ne pouvait certainement pas le lui redonner. Elle s’était donc décidée et l’avait mis dans sa bouche.
Elle mâcha quelques fois, puis un regard de joie et d’extase se répandit sur son visage. Il semblerait que les filles aimant les sucreries étaient aussi vraies à Yggdrasil qu’au Japon d’aujourd’hui.
« C’est... est si miam miam miam. » Quelques larmes étaient tombées des yeux d’Éphelia.
« Hé, c’était vraiment assez bon pour pleurer ? » lui avait dit Yuuto.
« Oui. Oui. Mais, ce n’est pas seulement cela... Je viens de me rappeler en avoir mangé un il y a longtemps..., » répondit Éphelia.
« Il y a longtemps ? ... Oh, c’est vrai. » Yuuto se souvient vaguement que lorsqu’il avait acheté Éphelia et sa mère, le marchand d’esclaves avait mentionné qu’elles avaient vécu une vie où elles avaient été « bien traitées ».
Même si elle n’avait encore qu’une dizaine d’années, elle avait déjà dû vivre des expériences effrayantes. La peur qu’elle lui avait démontrée après sa première gaffe ne lui avait donné qu’un aperçu de la gravité de la situation.
« Hey, je suis désolé si je t’ai fait te souvenir de quelque chose de pas bien, » déclara-t-il.
« Non, ce n’est pas grave. C’est vraiment délicieux. » Éphelia mâcha lentement, semble-t-il, en savourant toutes les saveurs.
Selon les goûts de Yuuto, ils manquaient de douceur et de texture par rapport aux sucreries et aux gâteaux du Japon d’aujourd’hui, mais cela devait être un régal incroyablement riche pour elle.
« D’accord, alors..., » déclara-t-il. « ... Hein ? Attends un peu. Hé, Éphelia, par hasard, peux-tu lire cette pancarte ? » Yuuto avait montré du doigt l’enseigne d’un magasin dans la cour.
Éphelia inclina la tête pendant un moment, puis répondit. « Euh, celui qui dit “Un bygg d’argent pour 360 byggs de laine de mouton” ? »
« OK, ça fera l’affaire. Bon, tu peux en manger autant que tu veux, » déclara Yuuto.
Avec un signe de tête satisfait, Yuuto ramassa l’assiette de restes de sucrerie et remit le tout à Éphelia.
« H-huuuuh !? N-Non, je ne peux pas accepter ça ! » Éphelia avait pâli et se mit à secouer la tête d’avant en arrière. Il semblait que le fait d’avoir reçu tant d’offrandes de son maître était vraiment trop dur à accepter pour elle.
« C’est très bien ainsi. Après tout, grâce à toi, je viens d’avoir une très bonne idée. » Yuuto lui avait fait un sourire confiant et rassurant.
Avec les pensées qui traversaient l’esprit de Yuuto, il ne pouvait plus rester assis et déjeuner tranquillement. Il avait l’impression que le monde s’était soudain ouvert devant lui, et dans un élan de bonne humeur, il se leva de table pour partir.
« ... Les hommes préfèrent donc vraiment les filles plus jeunes, n’est-ce pas ? » marmonna Félicia. « Je... Je comprends, cependant. L’année prochaine, j’aurai déjà vingt ans, et après tout, je serais une femme qui a dépassé la fleur de l’âge... »
« Dire qu’elle a pu gagner la faveur de Père en si peu de temps..., » Sigrun pleura. « Cette fille, je l’ai sous-estimée... ! »
« Parfois, je n’arrive pas à y croire ! Tu te faufiles d’une fille à l’autre... Apprends donc à te contrôler un peu ! » murmura Ingrid.
Les trois filles qui servaient de personnes de confiance à Yuuto semblaient être occupées à avoir une sorte de malentendu fondamental à son sujet.
***
Partie 3
« L’éducation obligatoire ? » Félicia inclina la tête, perplexe.
Elle n’avait pas tout de suite compris la signification du terme.
Félicia et Yuuto s’étaient séparés des autres filles sur la terrasse, et maintenant les deux étaient seuls dans le bureau de Yuuto.
Yuuto hocha la tête en s’appuyant contre sa chaise préférée. « C’est exact. C’est bien ça. Écoute, cette Éphy savait lire, non ? »
« Oui, eh bien, elle était censée vivre bien avant de devenir esclave, alors elle a probablement assisté à un vaxt à un moment donné, » répondit Félicia.
Yggdrasil était un monde encore à l’âge du bronze, mais il y avait des endroits dans de nombreuses grandes villes qui enseignaient la lecture de base, l’écriture et l’arithmétique, essentiellement des écoles de base pour former de futurs fonctionnaires bureaucratiques. Un tel lieu s’appelait une « maison des tablettes », ou un vaxt.
Bien sûr, comme en témoigne le taux d’alphabétisation d’Yggdrasil inférieur à 1 %, à l’heure actuelle, seuls les membres d’une couche très aisée de la société pouvaient se permettre d’assister à un vaxt.
« Hmm-hm, c’est probablement vrai, » déclara Yuuto. « Ce qui signifie qu’avec une bonne éducation, même un petit enfant comme Éphy peut apprendre à lire. Et, sans aucune éducation, même un adulte mature ne peut pas lire un mot. »
« Oui, c’est... vrai ? » Félicia avait donné une réponse vague et incertaine. Pour elle, c’était probablement comme si Yuuto ne faisait rien d’autre que de dire ce qui était évident. Elle n’avait pas saisi ses véritables intentions en soulevant cette question.
« Alors, penses-y, » déclara Yuuto. « En supposant que nous le fassions d’une manière flexible et adaptée à notre situation actuelle, nous pourrions faire en sorte que tous les enfants âgés d’environ sept à quinze ans reçoivent une éducation. Ne trouves-tu pas ça intéressant ? »
Les coins de la bouche de Yuuto s’élevèrent avec un sourire excité.
Il se souvenait comment le terme populaire « éducation spartiate » avait ses racines dans l’ancienne cité grecque de Sparte, où chaque citoyen avait vécu une période incroyablement dure et intensive d’éducation et de formation obligatoires.
Le monde d’Yggdrasil était un monde dans lequel la classe dirigeante était déterminée par la capacité et le mérite plutôt que par la lignée, grâce au calice d’allégeance et au système clanique. En ce sens, elle présentait quelques similitudes avec les systèmes démocratiques de la Grèce et de Rome antiques, où les citoyens avaient plusieurs droits et pouvaient élire leurs dirigeants par le vote.
Dans une société plus figée gouvernée par l’héritage, où les enfants des paysans ne pouvaient que devenir paysans et les enfants des soldats ne pouvaient que devenir soldats, Yuuto aurait pu s’attendre à un retour de bâton dans la mise en place d’une éducation généralisée, principalement des puissantes classes supérieures. Mais dans une société méritocratique avec le Serment du Calice en son centre, il devrait être comparativement plus facile d’acclimater la population à cette idée.
Évidemment, il y avait certainement eu des problèmes qui allaient surgir une fois qu’il aurait essayé de mettre en œuvre la politique, mais tout ce qu’il avait à faire, c’était de les régler à mesure qu’ils se présentaient.
Pour Yuuto, cette idée semblait brillante et inspirée, mais l’expression de Félicia ne faisait que devenir plus suspecte et emplie de doute.
« ... Euh, Grand Frère ? Tu dis “tous les enfants”, mais je voudrais souligner que la réalité est que la fréquentation d’un vaxt coûte très cher, et je crois qu’il n’y en a qu’un nombre limité qui pourrait se le permettre. Ne serait-il pas difficile pour les citoyens que de se voir imposer un tel fardeau ? »
« Hm ? Oh, tu n’as pas à t’inquiéter pour ça. On va leur rendre l’accès gratuit, tu vois, » déclara Yuuto.
« ... Pardon ? » Désorientée, Félicia demandait maintenant à Yuuto de se répéter.
Eh bien, c’est compréhensible, pensa Yuuto avec ironie. L’idée était tout à fait normale pour quelqu’un du 21e siècle, mais elle devait avoir l’air complètement bizarre pour une personne de cette époque.
« Ce sera gratuit. Les salaires des enseignants, les fournitures, l’entretien — tous ces frais seront pris en charge par le Clan du Loup, » expliqua Yuuto.
« Q-Quoi ? E-Euh, Grand Frère, il est vrai que grâce à tes énormes efforts, le Clan du Loup est aujourd’hui incomparablement plus prospère qu’avant. Mais même ainsi, je ne pense pas que nous ayons assez d’argent pour nous le permettre..., » déclara Félicia.
« Eh oui, grâce au verre. Tu as vu à quel point tout le monde était fou à cause de ça dans le bazar tout à l’heure. Cela va nous rapporter un bénéfice énorme, bien plus important que celui du papier, » déclara Yuuto.
« Je vois... C’est vrai... Toutefois, pour parler franchement, je pense que c’est un plan à très long terme en matière de résultats. Je ne vois pas comment cela peut contribuer à notre dilemme actuel avec notre manque de personnel... »
« Tu as raison, mais c’est un problème en soi, et j’ai l’intention d’y travailler séparément. Mais d’où je viens, il y a quelques dictons appropriés pour des moments comme celui-ci. Le premier est “la hâte entraîne du gaspillage”, et le second est “le chemin le plus long est le chemin le plus court pour rentrer chez soi”, » déclara Yuuto.
Souvent, lorsqu’ils étaient confrontés à un problème difficile, beaucoup de personnes avaient tendance à retarder l’accomplissement de la tâche la plus difficile qui permettrait de résoudre la cause principale du problème, et à la place, ils concentraient sur la prise de mesures immédiates et de mesures palliatives.
Mais si l’on continuait à ne produire que des solutions incomplètes et temporaires, le problème s’aggraverait au fil du temps jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucune mesure palliative et qu’on ne puisse plus rien faire.
Cela ne faisait qu’un peu plus d’un an que Yuuto était devenu patriarche, mais il ne le savait déjà que trop bien.
C’était vrai qu’il voulait désespérément mettre la main sur de nouvelles recrues talentueuses pour son administration, mais elles n’allaient pas de sitôt surgir pour lui.
« Donc, pour commencer, je suppose que nous devrions nous en tenir à la lecture, à l’écriture et à l’arithmétique de base pour tout le monde, et à un entraînement au combat pour les garçons. » Yuuto regarda dans le vide, comptant les sujets nécessaires avec ses doigts.
L’idée d’enseigner à de jeunes enfants innocents quelque chose d’aussi violent et brutal que le combat ne le mettait pas vraiment à l’aise, mais Yggdrasil était un monde de puissance, où le fort prenait ce qu’il voulait aux faibles qui ne pouvaient résister.
Yuuto avait déjà envoyé ses armées à plusieurs reprises, pour défendre le territoire du Clan du Loup.
« S’il ne possède pas la volonté et les moyens de se protéger par son propre pouvoir, alors, peu importe la grande nation, elle ne maintiendra pas longtemps sa paix et son indépendance. C’est parce que, incapable de compter sur son propre pouvoir pour se protéger, elle ne peut compter que sur la fortune. » C’était une citation de sa bible sur la politique, Le Prince de Nicolas Machiavel.
En fin de compte, la préparation du prochain conflit à venir était absolument nécessaire dans ce monde déchiré par la guerre.
« Cela peut sembler loin d’être le cas en ce moment, » déclara Yuuto. « Mais si nous nous assurons de semer les graines dès maintenant, alors cinq ou dix ans plus tard, lorsque nous en récolterons les fruits, le Clan du Loup sera plus fort qu’il ne l’a jamais été auparavant. »
Et c’est une bonne assurance pour après mon retour au Japon, ajouta Yuuto dans ses pensées.
Les menaces du Clan de la Griffe et du Clan de la Corne étaient depuis finies. Les guerres avec le Clan du Sabot et le Clan de la Foudre qui avaient suivi avaient été inattendues, mais elles avaient entraîné la croissance et l’expansion du Clan du Loup.
En ce qui concerne Yuuto, il avait déjà plus qu’accompli la tâche que lui avait laissée son prédécesseur.
Il ne lui restait plus qu’à s’inquiéter de ce qui allait arriver au Clan du Loup après son retour chez lui.
Il souhaitait sincèrement que le clan puisse vivre dans la paix et la prospérité, même après son départ.
Ce n’était là qu’une raison de plus pour laquelle il voulait se préparer sur un si long terme.
***
Partie 4
« Tu souhaites connaître tous les célèbres utilisateurs de la magie seiðr ? » demanda Kristina en clignant des yeux, surprise.
À première vue, elle ressemblait à une jeune fille normale et mignonne d’environ douze ou treize ans. Normalement, elle allait toujours partout accompagnée de sa sœur Albertina, mais ce soir, elle était seule.
Albertina était actuellement au lit dans leur chambre, serrant un oreiller dans ses bras et ronflant profondément.
« Considérant les techniques divines que tu possèdes déjà, Père —, tu les appelles des “tricheries”, n’est-ce pas ? — Je ne vois pas pourquoi tu aurais besoin d’eux. En plus, tu as aussi Tante Félicia, » Kristina semblait mystifiée par la demande de Yuuto.
Seiðr, signifiant « art secret », était un type de magie rituelle qui exigeait des conditions et des étapes plus compliquées à accomplir, mais il pouvait produire des effets plus puissants que la magie des chants des galldrs qui ne nécessitait que sa propre voix.
Ils étaient principalement utilisés pour des choses comme prier pour la pluie ou une moisson abondante, chasser la maladie de ceux de haut rang, ou voir l’avenir.
Bien sûr, ce n’était pas parce qu’on faisait un seiðr qu’on garantissait que la pluie tomberait, que la récolte serait abondante, ou que les malades seraient guéris. Le manque général de fiabilité de leurs résultats était tels qu’ils ne semblaient pas beaucoup mieux que des simulacres ou des placebos du point de vue de Yuuto.
Pour lui, les techniques modernes qu’il utilisait étaient beaucoup plus puissantes et fiables. Il y avait la stratégie des sacs de sable qu’il avait utilisée pour endiguer les eaux d’une rivière et ensuite déclencher une inondation sur son ennemi, ou le système de rotation des cultures de Norfolk qui s’appuyait sur ses propres résultats dans un cycle vertueux, ou son utilisation d’un meilleur assainissement urbain pour réduire la propagation des maladies.
Cependant...
« Eh bien, ça n’a pas vraiment d’importance. Parle-moi de celles que tu connais. » Cachant ses véritables intentions, Yuuto avait fait pression sur Kristina pour qu’elle continue.
Kristina resta dans un silence pendant une minute. « Je pense que la plus célèbre serait la prêtresse et voyante, Völva. On dit que ses pouvoirs d’oracle ont aidé l’Empereur Divin Wotan à unir Yggdrasil et à établir le Saint Empire Ásgarðr. »
« Hmm... passons-en revue que des individus qui sont encore en vie. » Yuuto avait appris de Félicia que le premier Empereur Divin avait fondé l’empire environ deux cents ans auparavant. Il ne pouvait pas imaginer que quelqu’un de l’époque serait encore en vie aujourd’hui.
« Hm, alors dans ce cas, que dirais-tu de Sigyn, la Sorcière de Miðgarðr ? C’est une Einherjar avec la rune Svaðilfari, le Voyageur Malchanceux, et son nom est connu même ici dans le bassin de Bifröst, » répondit-elle.
« Oh, intéressant. Quels types de seiðrs peut-elle par exemple utiliser ? » demanda Yuuto.
« Laisse-moi voir. Elle est compétente avec un seiðr qui donne une partie de sa propre chance à une autre personne, Hamingja, et un autre seiðr qui lui permet d’affronter le malheur qui est sur le point d’arriver à quelqu’un, Fylgja, » répondit-elle.
« Ohh, donc comme le nom de sa rune le suggère, elle est ainsi douée pour manipuler la chance ? » demanda-t-il.
« En plus de cela, elle est aussi célèbre pour un seiðr appelé Fimbulvetr qui peut transformer les gens en puissants berserkers qui se battent sans peur jusqu’au bout, » répondit-elle.
« Wôw, celui-là fait peur. Toutes finissent par créer des malheurs comme sous-produit, que ce soit pour elle ou pour ses ennemis. Y a-t-il quelqu’un d’autre ? » demanda-t-il.
« Il y a Sif, la prêtresse du Clan des Neiges. J’ai entendu dire qu’elle peut utiliser le seiðr Gullveig, utilisé pour promouvoir une récolte abondante, » répondit-elle.
« Hein ? Attends ! N’est-ce pas aussi l’un des noms du prédécesseur de Linéa, l’ancien patriarche du Clan de la Corne, dans le passé ? » demanda Yuuto.
« Exact. C’est parce que le précédent patriarche du Clan de la Corne, Hrungnir, avait si bien maîtrisé ce seiðr, qu’il n’y avait personne de mieux que lui pour ce surnom, » répondit-elle.
« Ehm, hmm, je vois. Je n’ai pas besoin d’en savoir plus sur les cultures. Y en a-t-il d’autres ? » demanda-t-il.
« Je pense que l’agriculture est la chose la plus importante et la plus fondamentale pour une nation... Hmm. Cela me fait me souvenir de quelque chose, Père. Tu m’as dit que tu as été convoqué ici par le seiðr Gleipnir de Tante Félicia, n’est-ce pas ? » Kristina avait soudain l’air d’avoir réalisé quelque chose, et elle regarda droit dans les yeux de Yuuto, qui se de son côté avait déplacé son regard.
« O-Ouais. C’est vrai, je l’ai bien été. » Yuuto avait fait de son mieux pour ne pas s’inquiéter, mais sa remarque avait touché si près de son but qu’il avait légèrement reculé.
« Hmmmm..., » c’était comme si cette fille intelligente avait soudain tout reconstitué. Elle avait rétréci les yeux, son regard fixe était présent sur lui alors qu’elle le blâmait.
« Je comprends maintenant. Tu cherchais une méthode pour rentrer chez toi. Tu es un père tout à fait cruel, enrôlant ta nouvelle fille pour l’aider à cette tâche, » déclara-t-elle.
« Je sais. Je suis désolé, » Yuuto avait rapidement lâché des excuses et il avait baissé ses épaules, vaincu.
Parce qu’il avait été appelé dans ce monde lors d’un rite de plaidoirie pour la victoire du Clan du Loup, Yuuto avait cru que s’il les aidait à remporter cette victoire, il pourrait rentrer chez lui. Mais finalement, même après avoir vaincu le Clan de la Griffe et le Clan de la Corne, même après avoir vaincu le Clan du Sabot et le Clan de la Foudre, il n’y avait aucun signe qu’il puisse bientôt revoir le Japon.
Ce qui avait attiré Yuuto dans ce monde, c’était la Gleipnir, un seiðr qui était habituellement utilisé pour saisir des pouvoirs contre nature ou d’un autre monde et les sceller. Ainsi, Yuuto avait depuis un certain temps envisagé qu’un autre type de seiðr pourrait avoir une chance de le renvoyer.
Depuis son arrivée, les menaces de danger immédiat et de crise l’avaient contraint à remettre ses recherches à plus tard, et plus de deux ans s’étaient écoulés.
Il ne voulait pas laisser plus de temps s’écouler. Quelqu’un l’attendait chez lui. Il était donc de plus en plus impatient de commencer sérieusement ses recherches.
« C’est pour ça que tu t’es donné tant de mal pour m’appeler ici en pleine nuit, car tu ne voulais pas que Tante Félicia nous entende ? » demanda-t-elle.
« Tu as encore raison, » avait-il admis.
Je ne peux vraiment pas sous-estimer cette fille, se dit Yuuto.
Elle était une experte pour être capable de déduire pleinement ce genre de choses avec seulement un infime indice. Elle était encore très jeune, mais sa capacité à manipuler et à analyser l’information était inégalée.
« Bien sûr, si je le disais à Félicia, je suis sûr qu’elle me dirait ce qu’elle sait et m’aiderait à chercher, mais..., » Yuuto avait commencé à faire un sourire amer.
Il avait l’impression que si elle l’aidait, elle sourirait probablement à l’extérieur, tout en pleurant à l’intérieur. Il savait à quel point elle tenait à lui.
Félicia lui avait dit un jour qu’elle voulait qu’il compte davantage sur elle. Yuuto la considérait déjà comme sa confidente de confiance, et il était sûr qu’il compterait beaucoup sur elle dans les jours à venir.
Même lorsqu’il s’agissait de rentrer chez lui, s’il avait épuisé toutes les autres possibilités et qu’il n’avait d’autre choix que de compter sur ses pouvoirs, ce serait douloureux, mais il lui demanderait de l’aide.
Cependant, il ne voulait pas lui faire de mal si c’était quelque chose qu’il pouvait faire en utilisant d’autres personnes.
C’est à elle que l’on devait de l’avoir amené à Yggdrasil, mais c’est aussi à elle qu’il devait sa vie. Elle s’occupait de lui et l’aidait depuis les premiers jours où il était sans défense.
« Honnêtement, c’est toute une déception, Père, » dit Kristina. « Plus que tout, c’est très impoli envers moi. »
« J’ai dit que j’étais désolé, OK ? C’était mal de ma part, » le résultat des efforts de Yuuto avait été qu’il s’était retrouvé à s’excuser abondamment auprès de Kristina.
Elle l’avait reconnu comme le seul homme qu’elle pouvait juger digne de faire de lui son père assermenté, et cela ne faisait même pas trois jours qu’elle avait échangé le Serment du Calice avec lui, pour découvrir maintenant qu’il cherchait secrètement à abdiquer de sa position de patriarche et à s’échapper seule chez lui.
On n’y pouvait rien si elle le considérait comme totalement irresponsable.
« Franchement, j’étais si sûre que tu avais cédé à tes pulsions bestiales, » déclara Kristina. « J’attendais avec impatience un rendez-vous nocturne dangereux et palpitant. »
« Attends, c’est ce que tu voulais dire par là !? » s’écria Yuuto.
« Es-tu sûr que ça va, de vivre une vie de célibataire à ton âge ? Ça ne t’affecte-t-il pas ? » demanda Kristina.
« Le fait qu’une gamine comme toi semble si bien informée à ce sujet est beaucoup moins bien pour moi en ce moment ! » déclara Yuuto.
« Oh, je viens de trouver l’information quelque part. Vraiment, c’était juste par hasard, » déclara Kristina.
« Oui, c’est vrai... Je sais exactement quel genre de personne tu es, » répliqua Yuuto.
« Eh bien ! Je ne suis qu’une petite fille normale, je n’ai pas la moindre idée de ce que tu insinues, Père, » Kristina gloussa malicieusement.
Il semblait qu’en ce qui concerne l’infidélité et le manque de respect de Yuuto, elle était prête à laisser tomber l’affaire sans autre commentaire. Elle avait même utilisé une blague inattendue et farfelue afin de briser l’atmosphère oppressante de l’air. C’était vraiment une fille intelligente.
Intrinsèquement reconnaissant à sa fille assermentée et attentionnée, Yuuto se plaignait à lui-même de ce qu’il allait faire ensuite.
« Eh bien, en ce qui concerne mon retour chez moi et le besoin de plus de personnel, nous devons faire ce que nous pouvons pour découvrir des gens qualifiés et les recruter. “Les individus sont mes armées, les individus sont mes murs de pierre, les individus sont mes douves, la miséricorde est mon alliée, le mal est mon ennemi.” Ces paroles sont plus vraies que jamais, » déclara Yuuto.
Il s’agissait des paroles de Takeda Shingen, le seigneur de guerre et souverain japonais célèbre pour son étendard de combat, le furinkazan, qui lui-même comportait des citations de Sun Tzu.
La citation soulignait que ce qui protégeait vraiment une nation, ce n’était pas les châteaux, les murs ou les douves, mais d’abord et avant tout la puissance de son peuple. C’était une citation qui avait servi de bonne représentation de l’homme connu comme peut-être le chef militaire le plus fort de la période Sengoku.
« D’accord, alors, » murmura-t-il à lui-même. « Que faire... »
***
« L’introduction de la monnaie est incroyablement bien reçue par la population de la ville. Tout le monde parle de la simplification des transactions et de la réduction du nombre d’arguments qui en découle. Les choses se déroulent mieux, il y a beaucoup plus de transactions, et le marché est plus actif que jamais. »
C’était le lendemain, et dans le bureau de Yuuto, un homme lui rapportait la situation actuelle d’une voix plus vive et plus fervente.
Il avait la trentaine, avec le visage masculin et intense et la peau bronzée de quelqu’un qui avait passé de nombreuses années sur les routes.
Il s’appelait Ginnar. Il était le gérant et le patron du bazar d’Iárnviðr.
À l’origine, c’était un commerçant qui avait parcouru tout le territoire d’Yggdrasil, mais il y a environ six mois, Yuuto avait vu son talent et avait jugé bon de l’employer personnellement.
Yuuto avait fait quelques recherches sur des théories économiques sur Internet, mais à la fin, il n’était toujours pas meilleur qu’un amateur total quand il s’agissait de la vraie chose. À l’heure actuelle, le commerce était la principale source de revenus du Clan du Loup, alors un homme d’expérience comme Ginnar, qui connaissait le sujet à fond, était un atout précieux pour lui en tant que conseiller.
Cela dit, il aurait quand même été inapproprié que le patriarche fasse prêter soudainement son Serment du Calice directement à un étranger, de sorte que pour le moment, Yuuto avait demandé à Ginnar d’échanger le Serment du Calice fraternel avec son commandant en second, Jörgen.
Jörgen était l’enfant subordonné de Yuuto, et Ginnar était devenu le frère cadet assermenté de Jörgen, donc selon la hiérarchie clanique, Yuuto était techniquement devenu son parent assermenté, semblable à un beau-père dans les jours modernes.
Jörgen lui-même était devenu la figure paternelle de la plus grande famille de faction du Clan du Loup, forte de plus de mille cinq cents hommes, soit l’équivalent de la population d’un petit clan. Le poste de subordonné d’un tel homme n’était pas une perte de statut pour Ginnar. C’est tout le contraire, objectivement parlant, c’était un traitement tout à fait préférentiel que d’accorder un tel statut à une nouvelle recrue.
« Et puis il y a le fait que la confiance dans la monnaie crée de la valeur ajoutée, alors nous faisons un peu plus de profit sur chaque vente, » poursuit Ginnar. « Sans parler du fait que l’utilisation de pièces de monnaie en cuivre nous permet d’obtenir le matériel pour eux à faible coût en recyclant les armes et armures en bronze que nous n’utilisons plus. On fait un tel profit que c’en est presque un vol. Vous êtes vraiment incroyable, mon Père ! Même nous, les marchands, aurions du mal à trouver une méthode aussi sournoise. »
« Oh franchement, ne faites pas comme si j’étais une sorte de méchant. » Yuuto secoua la tête avec un sourire ironique. Il savait que l’homme le complimentait, mais le choix des mots laissait à désirer.
Malgré sa réaction exaspérée, il avait trouvé qu’il pouvait se détendre davantage lorsqu’il parlait avec quelqu’un comme Ginnar. Dans sa position de patriarche, la plupart des gens étaient trop humbles et trop prévenants envers lui.
L’attitude franche et amicale de Ginnar était sa marque de commerce, et cela venait sûrement de sa vie de commerçant qui voyageait d’un endroit à l’autre, devant constamment établir des liens avec des étrangers et faire affaire avec eux.
« Eh bien, » déclara Félicia de derrière Yuuto, « C’est merveilleux d’apprendre que tout s’est si bien passé. »
Yuuto hocha la tête. « Ouais, ça c’est sûr. Cela signifie qu’il devrait être possible d’étendre la pratique à toutes les régions du territoire du Clan du Loup. Une fois que nous aurons fait cela, je dois juste trouver un moyen de faire en sorte que les autres clans sous notre protection commencent aussi à utiliser de la monnaie. Je suppose que la seule façon d’y parvenir est d’avoir des discussions directes avec les autres patriarches. »
Une monnaie qui n’était vraiment utilisée qu’à Iárnviðr poserait encore beaucoup d’inconvénients sur le plan commercial. En fait, les négociants qui achetaient les produits en verre du Clan du Loup n’utilisaient toujours pas la nouvelle monnaie du Clan du Loup, mais payaient au poids en argent brut ou en orge.
Si la monnaie gagnait du terrain dans une zone plus large, il serait aussi assez pratique pour les commerçants de commencer à l’utiliser dans leurs transactions. Cela se traduirait par une augmentation des bénéfices commerciaux au sein de la sphère d’influence du Clan du Loup et par une plus grande prospérité pour le clan.
« Dans ce cas, commençons tout de suite les arrangements, » déclara Ginnar. « Les ventes de verrerie d’hier nous ont donné beaucoup d’argent, mais je ne peux pas être sûr que nous ayons encore assez de pièces de cuivre pour couvrir la grande quantité de territoire en discussion. »
« D’accord. Alors, je vous laisse vous occuper de ces questions. Oh, mais avant ça, je devrais vous donner votre récompense, » déclara Yuuto.
C’était la politique de Yuuto, et donc du Clan du Loup, de toujours donner une récompense appropriée à ceux qui accomplissaient quelque chose pour le clan.
Machiavelli, que Yuuto avait appris à respecter en tant que son mentor sur les questions politiques avait dit ceci à ce sujet :
« Un grand dirigeant doit nommer des personnes talentueuses comme conseillers et les récompenser comme il se doit pour leurs réalisations. »
L’introduction d’une nouvelle pratique ou coutume comportait toujours des risques associés, même si elle était beaucoup plus pratique. Les compétences et l’expérience de cet homme, Ginnar, avaient certainement joué un rôle important dans l’acceptation de la nouvelle monnaie par les habitants de la ville.
« Hehe hehe, merci beaucoup. Si c’est possible, j’aimerais vraiment avoir quelque chose comme cet ornement en verre que vous avez là, » se frottant les mains, Ginnar jeta un coup d’œil sur une belle statuette en verre représentant un loup trônant sur le bureau de Yuuto.
Comme on l’attendait d’un ancien commerçant, il avait un bon œil pour les objets de valeur. Les apprentis d’Ingrid étaient tous devenus des artisans compétents, mais Ingrid elle-même était toujours la seule personne assez compétente pour être capable de créer quelque chose d’aussi fin et complexe.
« Désolé, mais c’est quelque chose qu’une de mes bonnes amies m’a donné afin de célébrer notre récente victoire, » déclara Yuuto. « Je ne peux pas vous le donner. »
« N-Non, bien sûr que non, et ce n’est pas que j’ai vraiment besoin que ce soit celui-là en particulier. Je serais d’accord avec quelque chose qui lui ressemble, » répondit-il.
« Hmm, alors c’est d’accord. Je vais voir si je peux demander à Ingrid de..., » Yuuto s’était arrêté au milieu de la phrase. Puis, avec un souffle, ses yeux s’étaient écarquillés. Et lentement, un large sourire se répandit sur son visage.
« J’ai trouvé ! Ginnar... Et si je vous donnais quelque chose de bien mieux qu’un ornement en verre ? » demanda Yuuto.
« Ohhhh ! V-Vous me donneriez quelque chose d’encore mieux que ça !? » s’exclama Ginnar.
« Oh oui, et ça réglera aussi le problème de personnel du Clan du Loup. Je vais m’assurer que vous l’acceptiez, que ça vous plaise ou non, » déclara Yuuto.
« H-Hein? » s’exclama Ginnar.
La déclaration suggestive de Yuuto avait suffi à obscurcir le visage de Ginnar avec une soudaine suspicion.
Les yeux du maître du marché se précipitèrent instinctivement vers l’adjudant de Yuuto, Félicia, comme s’il cherchait de l’aide, mais elle ne secoua que légèrement la tête en réponse.
Yuuto expliqua ensuite quel genre de récompense il allait donner à Ginnar.
« Qu-Quoiiiiiiii !? » Le cri d’étonnement de Ginnar était assez fort pour être entendu à l’extérieur des murs du bureau du patriarche.
***
Partie 5
En même temps que Yuuto s’employait à mettre en place les dispositions nécessaires pour laisser le Clan du Loup en sécurité une fois qu’il serait parti, loin à l’ouest, l’ancienne capitale Nóatún du Clan du Sabot venait de passer sous le contrôle d’un nouveau chef.
Le patriarche du Clan de la Panthère, Hveðrungr, s’était assis sur son trône et avait souri. « Pas mal. Je dois dire que je trouve cette chaise très confortable. »
Si l’on devait décrire son apparence avec deux mots, cela serait « étrange » et « suspect ». Un masque noir couvrait la moitié supérieure de son visage, sa surface scintillante d’un lustre sombre et inquiétant.
Il y a un an, cet homme était apparu de manière inattendue sur les terres du Clan de la Panthère, qui à l’époque n’était rien de plus qu’un petit clan nomade dans la région de Miðgarðr. Malgré le fait qu’il leur était étranger, il s’était rapidement distingué par tant de grandes réalisations qu’il s’était imposé comme un héros au sein de leur clan, devenant par la suite leur prochain patriarche.
En un clin d’œil, le Clan de la Panthère avait alors procédé à la conquête et à l’annexion de tous les clans voisins, et pour couronner le tout, ils venaient de conquérir le Clan du Sabot, l’un des dix Grands Clans d’Yggdrasil, aussi facilement que le fait d’écraser une mouche.
Tous les membres du Clan de la Panthère étaient d’accord pour dire que c’était grâce à cet homme, Hveðrungr, et au fer raffiné et aux étriers qu’il avait inventés pour eux.
« Hehe-hehe-hehe-hehe, mais malheureusement le reste du palais du souverain suprême d’Álfheimr est dans un état lamentable. » Les lèvres de Hveðrungr s’étaient levées dans un sourire de joie sinistre.
C’était exactement ce qu’il avait dit. Les magnifiques décorations qui tapissaient autrefois les murs et les salles du palais de Nóatún avaient toutes été pillées ou détruites à tout jamais, et partout où l’on regardait, il y avait d’innombrables taches de sang. Les cadavres avaient été emportés, mais c’était un spectacle assez horrible pour submerger les personnes au cœur fragile.
Les deux généraux qui attendaient Hveðrungr avaient chacun pris la parole, le moral gonflé.
« Père, saisissons cet élan et capturons aussi les terres au sud de la rivière Örmt ! »
« Oui, avec cette dernière bataille, leurs forces sont déjà en difficulté. Ils pourront à peine se défendre contre nous ! »
Le premier des deux généraux était Narfi, un homme svelte aux traits élégants et nets et à la prestance digne d’un gentleman. L’autre, Váli, était tout le contraire, large et musclé avec un aspect brutal, sauvage et un visage poilu. Tous les deux étaient des guerriers vétérans du Clan de la Panthère, et tous les deux des Einherjars.
« Oubliez-les, » la réponse de Hveðrungr était laconique et désintéressée.
Ses deux généraux étaient visiblement déçus. Pour un clan nomade de chasseurs de subsistance, permettre à une proie affaiblie de s’échapper était honteux.
Les paroles d’un patriarche étaient absolues et définitives, mais ces deux généraux ne pouvaient pas encore se résoudre à les accepter.
« Père, je trouve cela étrange, » objecta Narfi. « Ce ne sont pas les paroles d’un homme aussi sage que vous. Leur prise est à notre portée et attend qu’on le prenne. »
« C’est comme le dit Narfi, » Váli était d’accord. « Si nous les laissons se réorganiser par négligence, ce sera encore plus difficile pour nous. Nous devons agir maintenant, Père ! »
Tous les deux se rapprochèrent de Hveðrungr en faisant leurs plaidoyers passionnés et vantards. Mais le patriarche restait assis, le menton appuyé contre une main, sans aucun signe qu’il avait été le moins du monde persuadé.
« Détruisez complètement le Clan du Sabot, et le Clan de la Foudre nous attendra, » déclara le patriarche. « Si nous provoquons des ennuis avec leur “tigre”, ce sera beaucoup de travail de s’occuper de lui. Je vais laisser cette zone du Clan du Sabot intacte comme zone tampon. »
Les rumeurs sur le Dólgþrasir, le Tigre Affamé de Vanaheimr, avaient même atteint la région éloignée du nord de Miðgarðr. Ces rumeurs avaient parlé d’un jeune homme si puissant qu’il en était invincible que même un groupe d’Einherjars combattant ensemble n’avait pas été assez fort pour le vaincre.
Hveðrungr ne le considérait pas comme un adversaire imbattable, mais il n’avait aucun doute qu’une bataille ferait aussi beaucoup de victimes de son côté.
Non, le seul ennemi que Hveðrungr devait vraiment tuer était ailleurs, et cette ville forte de Nóatún qu’il venait de capturer le rapprocherait encore plus de cet objectif. Se battre inutilement contre d’autres ennemis dont il se fichait serait une perte de temps ennuyeuse.
Heureusement, l’ancien patriarche du Clan du Sabot, Yngvi, avait échangé le Serment du Calice fraternel sur un pied d’égalité avec le patriarche du Clan de la Foudre Steinþórr. Il n’y avait pas eu d’échange de serment avec le plus récent patriarche du Clan du Sabot, mais au moins, les deux clans étaient officiellement liés pour le moment. Le Clan de la Foudre n’envahirait pas aveuglément le territoire du Clan du Sabot dans cet état.
Et, d’après ce que Hveðrungr avait entendu parler du caractère du Dólgþrasir, il ne trouverait pas que les forces du Clan du Sabot, vaincues et affaiblies, soient un adversaire assez fort pour être digne de l’attaquer. Ils feraient le bouclier parfait.
« Hm, je vois, » dit Narfi. « C’était donc votre raisonnement. »
Il semblait comprendre le sens des mots de Hveðrungr maintenant, et acquiesça d’un signe de tête. Váli, par contre, refusait toujours de céder.
« Ce soi-disant tigre a vécu sa vie au chaud et en sécurité derrière les murs de la ville, ce n’est rien de plus qu’un chat domestique ! Pourquoi avez-vous si peur de lui, Père !? Si c’est comme ça que ça va se passer, j’irai m’occuper moi-même du Clan du Sabot et du Clan de la Foudre ! »
Váli s’était levé et s’était mis à hurler avec fureur.
Il était encore jeune, et il était seulement dixième au classement du Clan de la Panthère, le plus bas parmi les officiers en chef. Mais lorsqu’il s’agissait de bravoure sur le terrain, c’était un guerrier puissant et réputé qui avait survécu à d’innombrables batailles, et il était l’un des trois plus forts combattants du clan.
Peut-être que son esprit jeune et compétitif l’avait aussi poussé à aller de l’avant, un désir de combattre le Dólgþrasir et de voir par lui-même à quel point il était un adversaire fort.
Cependant — .
« ... Vraiment ? » demanda Hveðrungr. « Alors tu me défieras et déplaceras mes armées par tes propres moyens. Est-ce ce que tu dis, Váli ? »
« Ah... ! »
À l’instant où Hveðrungr murmura ces mots, Váli fut subitement saisi d’un sentiment de terreur mortelle, comme si un couteau était pressé directement contre sa gorge.
Les mots eux-mêmes étaient calmes, mais les yeux derrière le masque de Hveðrungr brillaient de haine silencieuse et de fureur. C’était une intention meurtrière tellement compréhensible et intense qu’une sueur froide avait commencé à couler sur le dos de Váli.
« N-n-non, non, pas ça, Père. Je... C’est impossible. Jamais. Je ne pensais qu’à vous, Père, et au Clan de la Panthère, donc je... »
« Oui, j’en ai assez entendu. Je n’ai plus besoin de toi, » Hveðrungr se leva lentement, fixant d’une manière hautaine Váli, qui s’était figé en place. Il n’y avait pas une once d’hésitation dans ses yeux. Ils étaient impitoyables et sans compassion... les yeux de quelqu’un qui regardait un simple objet.
« Père, s’il vous plaît, pardonnez-moi. Je me suis trop laissé emporter par moi-même. Je sais que c’était mal. » Váli semblait s’être rétréci sur lui-même, son corps tremblant, comme si toutes ses fanfaronnades précédentes n’avaient été qu’un mensonge.
C’était un guerrier respecté, reconnu pour sa bravoure sur le champ de bataille, et loin du genre d’homme qui se recroquevillait devant la mort.
Mais maintenant il était gelé devant Hveðrungr comme un cerf dans les phares, paralysé par une peur instinctive qui engloutissait son esprit.
« Pardonne-lui, Rungr. » Une femme qui se tenait debout à côté du trône s’approcha du patriarche, faisant tomber son corps contre le sien, et plaça doucement sa main sur la sienne avant qu’elle puisse finir de bouger pour dégainer l’épée à sa hanche.
Elle était une beauté dans la pleine floraison de la jeunesse, avec de longs cheveux blanc-argenté qui coulaient le long de son dos dans une grande queue de cheval. Elle pressa sa poitrine abondante contre Hveðrungr, et lui fit un sourire coquet.
« Váli est peut-être un idiot, mais c’est l’un de nos meilleurs combattants, » déclara-t-elle. « Tu vas bientôt livrer ta bataille la plus importante, n’est-ce pas ? Tu ne penses pas que ce serait un gâchis de perdre quelqu’un comme lui maintenant ? »
« Le fait que c’est important est exactement la raison pour laquelle je n’ai pas besoin du genre d’idiots qui agissent seuls, » grogna Hveðrungr. « Dans le passé, tous mes plans, et tout ce que j’avais construit ont été ruinés par ce type d’homme. »
Comme si ses propres paroles avaient déclenché quelques souvenirs, l’aura vicieuse émanant de Hveðrungr avait grandi en intensité.
Sa haine était si intense qu’elle semblait tourbillonner autour de lui, et tous ceux qui étaient dans la pièce avec lui avaient eu le cœur brisé par la peur noire qu’elle leur inspirait.
La femme n’avait pas fait exception à la règle. La confiance s’était dissipée de son expression, et toute couleur avait commencé à disparaître de son visage. Tout comme Yuuto Suoh du Clan du Loup avait l’esprit et l’aura d’un grand chef, tout comme Steinþórr du Clan de la Foudre avait l’esprit et l’aura d’un guerrier hors pair, Hveðrungr du Clan de la Panthère avait une intense aura de méchanceté et de mal qui pouvait dominer les gens.
Mais même sous la pression de cette aura maléfique, la femme avait ri de façon ludique.
« Hmhm... hee hee hee hee, tu fais toujours aussi peur à un homme. C’est exactement pour ça que je t’ai choisi pour être mon mari, et que je t’ai cédé le poste de patriarche. » Sigyn fixa avec amour le visage de Hveðrungr, enveloppée de son masque de fer.
Elle ne connaissait pas tous les détails de ce qui lui était arrivé dans le passé. Cependant, il n’y avait aucun doute que, quel que soit l’événement qui avait déclenché chez lui une telle haine, il eût aussi brûlé toute trace de douceur ou de naïveté. Pour Sigyn, cela le rendait extrêmement fiable et irrésistiblement attirant.
Sigyn n’était pas seulement l’utilisatrice de seiðr connu comme la Sorcière de Miðgarðr. Jusqu’à il y a deux mois, elle était aussi le patriarche du Clan de la Panthère, et sa plus grande guerrière depuis une génération.
C’est pourquoi elle avait su, par ses propres expériences, qu’un « dirigeant bienveillant », vertueux et tolérant, n’était finalement rien de plus que les idéaux vides de sens.
Les gens qui devaient se tenir au-dessus des autres et les gouverner avaient besoin d’une fierté qui ne permettrait pas l’idée de l’existence de quelqu’un de plus grand qu’eux. Ils avaient besoin d’être assez impitoyables pour mettre de côté et sacrifier leur propre enfant, sous serment ou non, lorsque la situation l’exigeait. Ils avaient besoin d’un cœur vigilant et suspicieux, peu disposé à faire entièrement confiance à quiconque, qu’il s’agisse d’un ami ou d’un membre de la famille.
Naturellement, Sigyn n’avait aucun moyen de le savoir, mais des siècles plus tard, l’homme qui allait tenter de conquérir le monde, Alexandre le Grand auraient écrit ceci à son sujet dans la Varia Historia de Claudius Aelianus :
« Il détestait Perdiccas parce qu’il était un grand soldat, Lysimaque parce qu’il était un commandant compétent, et Seleucus parce qu’il était courageux et vaillant. Antigone et sa générosité, les bonnes mœurs irréprochables d’Attalus et la bonne fortune de Ptolémée l’irritèrent toutes. »
Oui, Alexandre le Grand avait des sentiments compliqués envers tous ses subordonnés qui possédaient des qualités spécifiques qui le dépassaient.
Même l’homme qui deviendra plus tard le fondateur et le premier empereur de la dynastie Han, Liu Bang, réussissant à unir la Chine, tombera ensuite dans un modèle de purge de ceux qui se trouvaient sous lui et qui avaient commencé à devenir célèbres grâce à leurs réalisations.
L’un des serviteurs de Liu Ban, Han Xin, serait connu comme l’un des trois grands héros de la première dynastie Han, mais il se retrouvera alors emprisonné. À cette époque, il écrivit : « Le chien de chasse devient aussi de la nourriture après qu’il a été utilisé pour chasser le gibier ! ».
Dans l’histoire japonaise, il y aurait le cas de Minamoto no Yoritomo, le fondateur du shogunat Kamakura. Il se méfiait de ses propres frères, Yoritomo et Yoshitsune, après qu’ils se soient fait un nom dans la guerre contre le clan Taira. Craignant qu’ils ne visent à le remplacer, il les rétrograda et les tua plus tard.
L’intuition de Sigyn, fondée sur sa propre expérience de vie, avait donc touché un aspect de la vérité de la nature humaine.
Mais c’était aussi un fait que les gens ne suivraient pas un dirigeant qui n’était que trop cruel. Elle avait donc décidé que son rôle en tant qu’épouse serait de le soutenir et de le compléter lors de son règne.
« Même un idiot comme lui est un enfant que j’ai pris grand soin d’élever au fil des ans, » déclara Sigyn. « Pourrais-tu lui pardonner cette fois-ci, pour moi ? Je ne manquerai pas de lui donner un entretien très approfondi, qu’il n’oubliera pas de sitôt. S’il te plaît. »
« ... Hmph, » murmura Hveðrungr. « Très bien, si tu insistes. Mais Váli, il n’y aura pas de prochaine fois. »
Même Hveðrungr ne pouvait pas rejeter catégoriquement une demande aussi sincère de son prédécesseur en tant que patriarche.
Il avait comparu devant le Clan de la Panthère il y a un an et demi, de sorte que son autorité en tant que chef n’avait pas encore été pleinement établie. Ce ne serait pas une bonne idée de manquer de respect à sa femme, la personne qui pourrait le plus se porter garante de son autorité.
Du moins, pas pour l’instant.
Váli s’était mis à genoux sur place et avait baissé la tête. « O-Oui, Père ! Je prendrai ces mots à cœur, et je m’assurerai de connaître ma place en me consacrant à votre fidèle service ! »
L’homme sentait, jusqu’à la moelle de ses os, qu’il ne pouvait rien faire pour gagner contre cet homme, et toute trace d’esprit rebelle dans son cœur avait disparu. Son visage indiquait qu’il était épuisé, alors que des ruisseaux de sueur s’écoulaient de là.
Cependant, Hveðrungr ne faisait plus attention aux gens comme lui.
« Presque l’heure... c’est presque l’heure, » murmura-t-il.
Le regard de Hveðrungr était fixé vers l’est, vers les terres du Clan du Loup, le lieu qu’il avait autrefois appelé chez lui.
Vers les terres de l’ennemi détesté qui lui avait tout volé.
Les sombres caprices du destin avaient poussé deux frères sur des chemins très différents, et maintenant, après un an, ils étaient sur le point de se rencontrer à nouveau.
***
Acte 2
Partie 1
Le même soir, un rassemblement de personnalités assez importantes avait lieu dans une salle du palais à Iárnviðr.
Il y avait le commandant en second Jörgen, l’officier supérieur du Clan du Loup.
Félicia, l’adjudante de Yuuto et sa petite sœur.
Ingrid, chef de l’atelier de Mótsognir, qui le mois dernier s’était hissée au septième rang du clan.
Sigrun, capitaine de la garde personnelle de Yuuto, qui était également passé le mois dernier du quinzième au huitième rang, une promotion extraordinaire.
Les sœurs jumelles Albertina et Kristina qui n’étaient pas aussi hautes en grade. Mais elles étaient quand même encore hautes dans la hiérarchie en tant que princesses du Clan de la Griffe voisin.
Linéa, patriarche du Clan de la Corne voisin, qui avait choisi de rester à Iárnviðr après la Cérémonie du Calice des jumelles afin d’observer le style de gouvernement de Yuuto.
Et enfin...
« Pourquoi... Pourquoi ? Pourquoi Éphy est-elle ici... !? »
L’esclave Éphelia, qui était très nerveuse à l’idée qu’elle n’était pas à sa place tremblait et était au bord des larmes, était également là.
D’une certaine façon, sa réaction avait été parfaitement naturelle.
De son point de vue, toutes ces personnes étaient tellement au-dessus d’elle qu’elles pourraient aussi bien vivre dans un monde différent.
« D’après ce que j’ai entendu, Père a pris goût à toi l’autre jour. » Jörgen avait fait un grand sourire à Éphelia. « Si c’est le cas, tu as tout autant le droit d’être ici. »
Son visage féroce portait des cicatrices sur le front et les joues. Pour un enfant de seulement dix ans comme Éphelia, le sourire de Jörgen ne rendait pas son visage moins effrayant.
Linéa se tendit légèrement et fixa son regard sur Éphelia, la regardant de près. « Grand Frère... a pris goût à toi ? »
« Ah... argh..., » Éphelia était devenue encore plus pitoyable et effrayée, alors que son corps tremblait tellement qu’elle avait l’air d’avoir des convulsions.
Juste au moment où il semblait qu’elle avait dépassé sa limite mentale et qu’elle risquait de s’évanouir en raison du stress...
« Bon sang, » Ingrid poussa un soupir exaspéré, se grattant l’arrière de la tête d’une main, et utilisa l’autre pour hisser Éphelia par le col.
« Hwah!? »
« Calme-toi, d’accord ? » Ingrid avait placé Éphelia sur ses genoux et la serra dans ses bras. Ingrid avait une façon brutale et énergique de parler, mais c’était le genre de fille qui prenait soin des autres.
« C’est vrai, tu n’as pas à t’inquiéter. Tu vois ? » En tapotant Éphelia sur la tête, Félicia fredonna un air calme et doux.
« Ah... D’accord..., » Éphelia découvrit rapidement que les sentiments effrayants avaient mystérieusement disparu de son cœur et que ses frissons s’étaient arrêtés.
Le toucher de la peau humaine et le son des battements du cœur d’une personne étaient bien connus pour leurs effets calmants. Cela rappelait peut-être aussi le sentiment de l’étreinte de sa propre mère. Les effets du galldr de Félicia avaient sûrement aussi joué un rôle.
Malgré cela, la situation n’en était pas moins accablante pour Éphelia, et elle était maintenant douce comme un agneau, s’accrochant fermement à Ingrid.
Cela semblait tirer sur les cordes sensibles d’Ingrid, et une expression ravie la submergea alors qu’elle serrait encore plus fort Éphelia, chuchotant à elle-même.
« Ohh... les petits enfants sont vraiment si mignons. Un jour, lui et moi... »
« Nnn..., » le fait d’être serrée si fort était un peu douloureux, mais Éphelia pouvait aussi sentir l’affection qu’Ingrid lui témoignait et se trouvait incapable d’opposer une quelconque résistance. Elle avait fait un petit gémissement, mais rien de plus.
Quand la pièce s’était calmée, Jörgen s’était levé. Il commença par se tourner vers sa gauche et s’inclina devant Linéa, qui s’était assise à la tête de la table.
« Tante Linéa, je dois d’abord m’excuser et vous demandez pardon pour vous avoir si impudemment convoquée ici de mon plein gré, » déclara Jörgen.
« Non, ça ne me dérange pas du tout, » déclara-t-elle. « Le Clan du Loup et le Clan de la Corne sont une famille maintenant. Je suis reconnaissante d’avoir l’occasion d’interagir et d’approfondir mes liens avec mes nièces et mes neveux de cette façon. »
« C’est un grand soulagement que d’entendre cela, » après avoir salué encore une fois Linéa, Jörgen se tourna vers les autres filles assises et rencontra tour à tour chacune de leurs yeux, avant de déclarer d’un ton grave : « Il n’y a qu’une seule raison pour laquelle je vous ai tous appelés ici si tard dans la nuit. C’est au sujet de Père. »
« ... ! » Chaque personne assise à la table s’était tendue, et leur visage était devenu instantanément plus inquiet.
Dans le monde d’Yggdrasil, les relations formées par le Serment du Calice étaient spéciales. On ne pouvait pas choisir les parents dont vous étiez issus, mais ils pouvaient choisir le parent auquel ils avaient prêté serment. Et, parce que ce choix avait été fait de plein gré, on s’attendait à ce qu’ils soient totalement loyaux, corps et âme, envers leur parent assermenté ou leur frère ou sœur plus âgés.
Bien sûr, c’était juste le concept officiel. C’était la forme qu’il fallait donner aux choses, du point de vue de la société. Ce n’était pas comme si toutes les relations formées par le Serment du Calice étaient à la hauteur de cet idéal, il était assez courant pour le gain, la perte et l’effet de levier de jouer un rôle dans les affaires du calice, avant et après que les serments aient été échangés. Cependant, dans tous les cas, chaque personne présente à cette table avait une certaine loyauté et affection pour Yuuto.
Le fait qu’ils aient tous été délibérément réunis ici pour discuter de Yuuto avait été plus que suffisant pour qu’ils traitent cette affaire comme une affaire sérieuse.
« Père possède une grande variété de connaissances venant d’au-delà des cieux, et a fait preuve d’une grande ingéniosité tant dans les affaires d’État que militaire, mais il n’est ni arrogant ni hautain, » dit Jörgen. « C’est le genre de personne qui travaille continuellement à tempérer ses propres capacités par un travail acharné. De plus, il est tolérant et aimable par nature, et pourtant, quand la situation l’exige, il fait preuve d’une volonté résolue plus grande que celle de quiconque, et nous guide tous sur la bonne voie. Je dirais qu’il est sans défaut, qu’il est clairement né pour être un dirigeant. Personne ici ne nierait que la prospérité que nous connaissons aujourd’hui au sein du Clan du Loup est entièrement due au Père. »
Face à ces mots, tous les autres hochèrent la tête profondément.
Aucun d’entre eux n’aurait pu le nier, car presque tous étaient pleinement conscients que, si ce jeune homme n’était pas arrivé à Yggdrasil quand il l’avait fait, le Clan du Loup aurait depuis longtemps disparu de ce monde. (Éphelia et Albertina étaient les deux exceptions.)
« Le père ne montre aucun signe d’abus de son pouvoir et de son statut pour s’engager dans des réjouissances oisives et passe chaque jour à s’appliquer pleinement à ses tâches, » poursuivit Jörgen. « J’ai entendu dire que, l’autre jour, ces efforts ont une fois de plus porté leurs fruits. Sous la direction de Père, je n’ai aucun doute que le Clan du Loup poursuivra sûrement son chemin de croissance et de développement. Cependant, je suis aussi inquiet... personnellement, je me demande si Père ne travaille pas trop fort. »
Le front de Jörgen se plissa en sillons, et avec une expression grave, il continua.
« Cela fera bientôt un an et demi que Père est devenu patriarche. Le fait qu’il se pousse constamment pour le bien de notre clan et de son peuple me laisse profondément humble, mais tout cela sera pour rien s’il ruine sa santé à cause de cela. En fin de compte, nous, du Clan du Loup, ne pouvons exister sans lui. »
Les paroles de Jörgen n’étaient pas de la simple flatterie ou de l’humilité, mais ils exprimaient directement ses véritables sentiments.
Dans le cadre de son rôle de commandant en second, il avait servi en tant que patriarche par intérim en l’absence de Yuuto à de nombreuses reprises. S’il arrivait quelque chose à Yuuto, il était le premier dans la lignée de la succession.
Jörgen lui-même était une figure respectable qui avait gravi les échelons jusqu’à son poste actuel grâce à ses propres compétences et efforts. Il n’avait pas été sans ses propres aspirations de devenir un jour chef du clan.
Cependant, ayant vécu jusqu’à l’âge de quarante ans, il avait commencé à mieux comprendre ses propres forces et limites. Il n’était pas assez prétentieux pour penser qu’il remplacerait Yuuto de la même façon.
« Et donc, je suis d’avis que nous devrions faire en sorte que Père puisse se détendre et s’amuser de temps en temps, » poursuit l’homme. « Bien qu’il soit vrai que tout le monde est occupé à cause de notre manque actuel de personnel, en même temps, il n’y a pas de questions urgentes qui requièrent le commandement direct du Père. Rassurez-vous, je peux gérer les choses ici pendant quatre ou cinq jours. »
Jörgen frappa une main contre sa poitrine avec insistance.
En temps de guerre, on lui avait confié la tâche de rester derrière pour protéger et diriger la ville pendant que Yuuto s’en allait avec l’armée, et il s’acquittait donc seul de ses tâches administratives pendant des semaines, voire des mois. Il était persuadé qu’il pouvait tenir le coup sans problème pendant quelques jours.
Sigrun leva la main et prit la parole. « Je suis tout à fait d’accord pour que Père fasse une pause pour se reposer et se détendre, mais qu’est-ce que vous voulez que je fasse, exactement ? »
Sigrun n’avait aucune connaissance de la politique ou de l’administration.
Elle était plus que disposée à faire n’importe quoi pour rendre son père assermenté heureux, mais comme elle n’avait passé sa vie qu’à s’entraîner aux arts martiaux, elle ne voyait malheureusement pas comment elle pourrait être utile.
« Elle a raison, je veux voir Yuuu — je veux dire, Père, se reposer, mais si je devais m’occuper d’une partie de son travail, c’est... vous savez, je ne sais pas ce que je pourrais faire à ce sujet. » Ingrid, qui ne connaissait le travail qu’en tant qu’artisan à qui elle se consacrait, était également mal à l’aise.
Jörgen avait rejeté leurs préoccupations avec un rire chaleureux.
« Ha ha ha ha ha, vous n’avez pas à vous inquiéter pour ça. Comme je viens de le dire, je vais m’occuper de tout seul. J’aimerais que vous fassiez tous autre chose, » déclara Jörgen.
« Quelque chose d’autre, vous dites ? » répète Félicia avec interrogation.
« Père est un homme sérieux avec un sens aigu des responsabilités, » déclara Jörgen. « Tant qu’il sera ici à Iárnviðr, il se souviendra sûrement d’une tâche importante ou d’une autre, et ne se permettra pas de vraiment se reposer et d’oublier le travail. C’est pourquoi j’ai l’intention de lui faire faire un voyage à la base du mont Surtsey, pour qu’il s’y détende. Les feuilles d’automne devraient y être à leur plus belle époque de l’année. Et... Je suis sûr que Père s’amuserait encore plus s’il y avait aussi de belles fleurs. N’est-ce pas le cas ? »
À cette dernière ligne, Jörgen avait fait aux filles un regard significatif.
Jörgen avait l’air d’un homme coriace au visage abîmé, mais il n’était ni simple ni asocial. En fait, avec trois épouses et huit enfants, il était la personne la plus versée et la plus expérimentée en ce qui concerne les subtilités des relations entre hommes et femmes.
Jörgen s’arrêta un moment, regarda à nouveau chacune des filles à tour de rôle, puis porta le coup de grâce.
« Je pense que cette proposition fonctionnerait aussi en votre faveur. Normalement, le Père est toujours occupé par ses devoirs, mais lors d’un voyage dans un environnement nouveau et inconnu, il sera capable d’oublier ses responsabilités et de devenir beaucoup plus libre dans son cœur. Ne pensez-vous pas que ce serait l’occasion parfaite de devenir plus intime avec lui ? » demanda Jörgen.
En un instant, le regard de plusieurs des filles présentes dans cette pièce avait complètement changé.
En effet, elles étaient toutes devenues des louves.
***
Partie 2
Entre-temps...
« Quoi ? » Il y avait eu un cri soudain venant du haut-parleur du smartphone.
« Hein ? Qu’est-ce qui ne va pas, Mitsuki ? » demanda Yuuto, légèrement paniqué.
La puissance du signal reçu par son téléphone avait été considérablement influencée par la phase actuelle de la lune. Ce n’était que quelques nuits après la nouvelle lune, et Yuuto avait donc gravi les marches de la Hliðskjálf, la tour sacrée du Clan du Loup, jusqu’à la pièce du sanctuaire, ou hörgr, à son sommet.
Du coin de l’œil, Yuuto pouvait voir un membre familier de la garde de son palais se tenir immobile et tranquille sur le côté. Apparemment, Félicia et Sigrun avaient été convoquées par Jörgen à une sorte de réunion, et cet homme les remplaçait.
Il faisait déjà bien tard dans la deuxième moitié de l’automne, et dans des endroits dans les montagnes comme Iárnviðr, les nuits étaient très froides. Yuuto se sentait coupable d’avoir fait en sorte que d’autres personnes le suivent dans ce froid pour quelque chose d’aussi égoïste.
« Ah, n-non, désolé, Yuu-kun. Il n’y a rien qui cloche. C’est juste que j’ai senti ce froid étrange me couler dans le dos. Je me demande ce que c’était ? » Mitsuki s’était calmée.
Yuuto pouvait facilement l’imaginer maintenant, la tête inclinée sur le côté, perplexe.
« Es-tu sûre que tu n’as pas attrapé un rhume ou un truc dans le genre ? » dit Yuuto en riant un peu. « Veille bien sur ta santé. Il fait déjà assez froid là-bas aussi, non ? »
« Hmm, je n’ai pas vraiment l’impression que c’est cela... Yuu-kun, fais attention aussi, d’accord ? »
« Ah, ça va aller. Je m’assure de m’habiller chaudement, » répondit Yuuto.
« Euh, ce n’est pas vraiment ce que je veux dire... fais juste attention. »
« C’est vrai, je sais. Je ferai attention. »
Il n’était pas sûr de ce à quoi il était censé faire attention, mais il l’avait quand même dit, acquiesçant de la tête.
Comme toujours, elle est si inquiète, Yuuto s’était dit avec un sourire ironique, mais en réalité, il avait en vérité fait tant de choses qui allaient l’inquiéter encore et encore, alors il ne pouvait pas vraiment lui en vouloir pour cela.
Pourtant, cette fois au moins, il pensait que Mitsuki s’inquiétait pour rien.
« Ne t’inquiète pas pour moi, » déclara-t-il. « C’est vrai qu’on ne sait jamais ce qui va se passer ici, mais pour l’instant, c’est calme. »
« Argh... Je ne sais pas pourquoi, mais cela m’a rendue encore plus anxieuse, » la voix de Mitsuki, venant du haut-parleur, semblait troublée.
En effet, c’était exactement comme Yuuto l’avait dit : Iárnviðr, les choses étaient occupées et trépidantes, mais c’était paisible.
Cependant, il y avait eu aussi des incidents qui ne pouvaient se produire qu’en temps de paix.
L’intuition d’une femme était vraiment une chose redoutable.
Plusieurs jours s’étaient écoulés sans incident, et le mouton sans méfiance — Yuuto Suoh — s’était retrouvé au sommet d’un cheval.
Yuuto n’était pas encore assez habile pour monter seul, alors il était assis derrière Félicia.
Le mont Surtsey, où ils se dirigeaient, n’était pas une région très développée, donc les routes n’étaient pas bien entretenues. La calèche qu’ils utilisaient normalement pour voyager aurait pris deux jours, mais en voyageant directement à cheval, ils pourraient y arriver avant le coucher du soleil aujourd’hui.
Il était extrêmement important de pouvoir réduire de deux jours le temps de déplacement lorsque les choses étaient aussi occupées comme elles l’étaient dernièrement.
« Pourtant, même si je suis très occupé, j’aurais vraiment dû prendre le temps de pratiquer l’équitation..., » Yuuto grogna en levant les yeux vers le ciel bleu et clair, temps rare pour cette fin d’automne.
Un souverain devait projeter une image de force physique à ses sujets à tout moment, quelle que soit la vraie vérité. Si la personne responsable était perçue comme faible, son règne ne serait pas aussi efficace.
L’opinion de Machiavelli sur le sujet, telle qu’énoncée dans Le Prince, était : « Un prince doit se méfier, strictement et avant tout, d’être méprisé ou dénigré. »
Yuuto trouvait pathétique que toutes les filles qui l’accompagnaient manipulassent très bien leurs chevaux, et pourtant il ne savait pas encore monter à cheval. Il avait estimé que c’était exactement le genre d’affichage honteux qui conduirait les gens à le mépriser.
Bien sûr, la vérité était que voyager avec un si grand groupe de belles jeunes filles avec lui, l’une d’elles assise avec lui sur son cheval, projetait une image d’une telle force que ses propres sujets tremblaient devant sa puissance, mais il n’avait aucun moyen de savoir cela.
Mais Yuuto et ses grognements furent immédiatement réprimandés par Félicia, ainsi que par Sigrun, qui était à leurs côtés.
« Oh, franchement, Grand Frère ! » déclara Félicia gaiement. « Ne nous inquiétons pas de telles choses aujourd’hui. »
« Elle a raison, Père, » Sigrun avait acquiescé. « Au moins pour la durée de ce voyage, oubli ces soucis formels et détends-toi. »
L’objectif déclaré de ce voyage était que le Yuuto, normalement surchargé de travail, ait la chance de se reposer et de se détendre.
Lorsqu’ils lui avaient proposé l’idée pour la première fois, Yuuto avait refusé en disant : « Je ne peux pas prendre des vacances pendant que tout le monde est si occupé. » Mais avec son commandant en second, l’assistant du second, le chef des anciens du clan et tous ses subordonnés de confiance d’Einherjar le suppliant de « faites une pause cette fois-ci », même un souverain invaincu dans la guerre comme Yuuto s’était trouvé forcé d’admettre sa défaite.
« Je suis vraiment un bâtard chanceux, d’avoir des sujets aussi loyaux et dévoués dans ma famille, » murmura Yuuto d’un soupir ironique, mais c’était une ironie teintée de vérité.
Maintenant qu’il avait l’occasion d’y réfléchir, depuis qu’il était devenu patriarche, c’était un flot continu de crises et d’incertitudes. Il avait passé chaque jour à travailler sans vraiment avoir eu la chance de prendre des vacances.
Le fil bien tendu se coupe facilement, comme le dit l’adage. Il devrait probablement y aller doucement et se détendre de temps en temps.
Yuuto se sentait un peu coupable d’avoir fait en sorte que ses subordonnés s’inquiètent tellement pour lui, et en même temps, il sentait une grande chaleur dans son cœur qu’ils pensaient tous tellement à lui.
« Eh bien, je suppose que je vais accepter leur gentillesse cette fois-ci et m’amuser. » Yuuto avait profité de l’agréable sensation du vent frais de l’automne contre son visage, et du paysage qui passait.
Voyager à cheval sur la route était très différent de l’expérience de l’équitation en calèche.
D’abord et avant tout, il y avait le mouvement du dos du cheval sous lui, l’impression qu’il était au sommet d’une chose vivante. Il sentait clairement non seulement les pas du cheval, mais aussi de petits mouvements comme le balancement de la tête ou l’ondulation de la queue. Ce genre de sensation aurait été impossible à vivre en calèche.
La hauteur de son point de vue était également radicalement différente. Le paysage environnant lui paraissait différent et nouveau.
En regardant tout cela, je me rends compte qu’une grande partie du « paysage naturel » du Japon est assez artificiel, pensa Yuuto.
Même les lieux appelés « parcs naturels » dans son pays étaient des endroits où les arbres étaient plantés en privilégiant la beauté visuelle, avec des cerisiers en fleurs au printemps et des feuilles d’érable colorées à l’automne.
La petite ville où Yuuto avait grandi était entourée de montagnes, mais tous les arbres étaient des cèdres japonais, plantés pour leur cycle de croissance rapide et leur facilité d’utilisation dans les zones résidentielles.
En comparaison, la nature d’Yggdrasil était totalement intacte. Il y avait des roches et des cailloux éparpillés partout, et la diversité de la vie végétale grandissait au hasard, d’une manière qui paraissait beaucoup moins belle que la nature du Japon.
Mais c’était vraiment naturel.
Pendant un bon moment, Yuuto se laissa simplement absorber par la majesté de ce paysage.
***
Partie 3
Le mont Surtsey était un volcan en activité, situé au sud-est d’Iárnviðr. Le groupe de Yuuto avait réussi à arriver à la villa du patriarche au pied de la montagne avant le coucher du soleil.
Bien qu’on l’appelait une villa, elle était bien loin de l’ampleur du palais d’Iárnviðr — rien de plus qu’une simple, quoique légèrement grande, cabane ronde en bois, entre deux petits bâtiments de même fabrication.
À l’intérieur, il n’y avait que quelques lits, un bureau et des peaux de loup gris sur le sol à la place de la moquette.
Selon Jörgen, il avait été construit par le troisième patriarche du Clan du Loup comme lieu de cure thermale, à l’époque où le Clan du Loup contrôlait la majeure partie du territoire du bassin de Bifröst.
Le prédécesseur de Yuuto, Fárbauti, s’était également rendu là-bas à plusieurs reprises.
Il y avait un petit village de chasseurs à proximité qui vivaient de la vente de la viande et des peaux de cerfs et de sangliers qu’ils chassaient. Ils avaient été informés de la venue de Yuuto, et les femmes du village étaient donc venues et elles avaient nettoyé l’endroit de fond en comble.
Pour Yuuto, c’était un endroit parfaitement confortable pour passer les deux prochains jours.
Dès que Yuuto était entré dans le bâtiment, il s’était dirigé droit vers le lit et s’était précipité, avant de s’écraser face contre le lit. « Ouf ! Je suis si fatigué... »
Monter à cheval et se faire tirer par l’un d’eux en étant dans une calèche étaient des expériences complètement différentes, bien qu’ils puissent avoir le cheval en commun. L’équitation était un sport officiel en soi, après tout. Dans le Japon actuel, il y avait des machines d’exercice électroniques qui simulaient l’équitation vendue dans le cadre de la perte de poids, en raison du fait qu’elles faisaient beaucoup travailler les muscles du corps pour maintenir son équilibre tout en faisant de l’équitation.
La raison pour laquelle Yuuto était allongé, face contre le lit, c’était que ses fesses lui faisaient mal après avoir fait un si long voyage à cheval.
Pourtant, il avait pris de fréquentes pauses et s’était assuré d’appliquer au préalable une pommade à base d’huile de cheval sur ses cuisses, ce qui lui avait heureusement épargné la douleur des cuisses irritées. Il s’agissait là d’une réalisation importante en soi.
Il venait ici pour un bain curatif dans les sources chaudes, donc ça n’aurait pas été drôle s’il était arrivé avec des cuisses irritées, incapable d’aller dans l’eau chaude.
Félicia avait rapidement ouvert leurs bagages et s’était approchée de lui avec une grande serviette en tissu. « Grand Frère, que dirais-tu d’entrer tout de suite dans les sources chaudes, pour guérir une partie de la fatigue de ton voyage ? »
Yuuto avait envie de dormir comme un rocher là où il était, mais il se sentait aussi mal à l’aise d’être trempé de sueur jusqu’à ses sous-vêtements.
« Oui, je pense que je vais le faire, » Yuuto avait forcé son corps fatigué à se relever.
Comme les filles étaient plus nombreuses que lui, il se sentait un peu mal d’utiliser les bains avant elles. Mais, se mettant à leur place, elles ne se sentaient pas vraiment à l’aise en tant que subordonnées avec l’idée d’aller avant leur patriarche, et même si elles le faisaient, elles ne pourraient sûrement pas prendre leur temps et s’amuser.
En tant que supérieur, la chose à faire dans cette situation serait de se dépêcher en allant se baigner rapidement, pour que les autres puissent utiliser les bains sans se soucier de rien.
« Alors, d’accord, » déclara-t-il. « J’espère que ça ne te dérange pas, mais je vais commencer. Vas-y, dis-le aux autres de ma part. »
Il voulait éviter à tout prix toute situation où lui et les filles se croiseraient dans les bains.
En tant qu’homme, ce n’était pas comme s’il n’avait jamais fantasmé sur ce genre de situation, mais le simple fait que Mitsuki le découvre ne lui avait pas seulement donné froid dans le dos, mais cela lui avait aussi donné des maux de ventre.
Certes, il y a environ deux mois, dans le palais du Clan de la Corne, il avait fini par devoir entrer dans le bain avec Félicia et Sigrun pour des raisons de sécurité alors qu’il se trouvait dans une nation étrangère. Mais il était sur le territoire du Clan du Loup en ce moment.
Yuuto avait pris la serviette de Félicia et l’avait déroulée rapidement avec un clin d’œil satisfaisant, avant de la mettre sur son épaule. Il s’était ensuite dirigé vers l’extérieur, vers les sources chaudes situées à l’arrière du bâtiment.
« Ahhh, voilà comment on apprécie la nature, » murmura-t-il en appréciant le paysage.
Il y avait un ruisseau de montagne clair et profond qui coulait avec une profondeur qui allait jusqu’aux genoux, et derrière lui s’étendait une étendue luxuriante d’arbres, avec certains d’entre eux qui présentaient des feuilles tachées d’un beau rouge.
Il y avait des rochers éparpillés le long de la rive de la rivière et, dans un secteur, il y avait une falaise, en dessous de laquelle Yuuto pouvait voir la vapeur blanche monter. Ce n’était pas si différent d’un bassin d’eau normal, mais ça devait être les sources chaudes. D’un côté, il y avait une petite structure en forme de pavillon, qui servait probablement à la fois d’abri contre les éléments et de vestiaire.
« Joli ! » Yuuto avait immédiatement pris goût à cet endroit, et malgré la fatigue qu’il ressentait, il avait trouvé que ses pas s’allégeaient en entrant dans le pavillon.
Avec excitation, il s’était rapidement déshabillé et avait mis sa main dans l’eau pour le tester. C’était peut-être un peu trop chaud à son goût, mais pas au point qu’il ne pouvait pas le supporter.
Dans le Japon moderne de Yuuto, les stations thermales et les hôtels affichaient la température de l’eau sur un écran. D’après son expérience de ces endroits, cette eau était probablement à environ 42 degrés Celsius. S’il entrait et qu’il laissait son corps s’y habituer, la température allait être excellente pour un bain d’eau chaude.
« Whoa, c’est chaud ! » Yuuto avait utilisé un seau qu’il avait trouvé dans le pavillon pour se laver la sueur avec de l’eau chaude, puis il avait marché lentement dans la piscine et s’était abaissé.
« Whewee, c’est le paradis..., » s’exclama Yuuto.
Il y avait un rocher de forme très pratique à proximité, alors Yuuto s’était appuyé contre lui et avait pris une grande respiration.
C’était comme si toute sa fatigue se dissipait dans l’eau chaude de la source.
Et contempler la majesté de la nature lui donnait un sentiment de paix. Il sentait son cœur s’alléger, libéré des pressions constantes de son devoir de patriarche.
Je suis vraiment content d’être venu ici, se dit Yuuto.
Et alors qu’il l’avait fait...
« Wooow, des sources chaudes, des sourccccess chaudeeees ! » s’exclama Albertina.
« Al, s’il te plaît, ne court pas comme une petite enfant, » déclara Kristina.
« N-Ne dis pas ça, Kris, je ne suis pas une enfant ! » s’exclama Albertina.
« Eh bien, voyons voir, la dernière fois que tu as fait pipi au lit, c’était..., » déclara Kristina.
« Awawawa, qu’est-ce que tu dis tout d’un coup ? Qu’est-ce que tu dis !? » s’écria Albertina.
« Et au fait, ce bruit de ruissellement que j’ai entendu tout à l’heure..., » déclara Kristina.
« C-Ce n’était pas moi, d’accord ? Je ne l’ai pas fait ! » s’écria Albertina.
« Oh, je parlais seulement du son du ruisseau. Mais tu as l’air un peu sur la défensive, là. Quelque chose t’est-il venu à l’esprit ? » demanda Kristina.
« N-non non non non non, rien ! Je ne me suis pas pissée dessus depuis une éternité ! » déclara Albertina.
« Je suppose que c’est vrai, même pour quelqu’un comme toi, Al. Tu n’es pas si bébé que ça, » déclara Kristina.
« Uh huh, c’est vrai, » déclara Albertina.
« Tu étais juste un peu nerveuse la première fois que tu as rencontré Père, non ? » demanda Kristina.
« Ne parle pas de ça quand il est juste devant nous ! » déclara Albertina.
Deux voix familières avaient sorti Yuuto de son état d’esprit rêveur et l’avaient ramené à la réalité.
Tandis qu’il se tournait frénétiquement vers les voix, il voyait les jeunes jumelles, badinant comme toujours l’une avec l’autre.
« Pourquoi êtes-vous venues ici toutes les deux ? » Yuuto éleva la voix pour les interroger, mais Kristina le regarda d’un air vide.
« Qu’est-ce que tu veux dire ? On était juste à côté de toi tout ce temps, » déclara Kristina.
« Quoi, vraiment !? » Yuuto n’avait rien remarqué du tout.
Bien sûr, c’était parfaitement compréhensible. Toutes les deux étaient inégalées au sein du Clan du Loup pour leur art de dissimuler leur présence. Yuuto n’était pas meilleur qu’un amateur en ce qui concerne les arts martiaux, donc il n’avait aucun moyen de les percevoir.
« Oui, et nous avons eu un regard ample, approfondi et complet sur toi, » avait souri Kristina.
« Ouais, j’étais tellement surprise que le sien soit bien plus grand que celui de notre père ! » déclara Albertina.
« En effet, et considérant que celui de notre père est beaucoup plus grand que celui de l’homme moyen... Comme on s’y attendait du célèbre et infâme Loup, Hróðvitnir ! Tu dois me faire gémir de plaisir tous les soirs, » déclara Kristina.
« Ne pars pas comme ça en crachant des rumeurs nuisibles comme ça ! » Yuuto cria, et bien qu’il savait qu’il était déjà trop tard, il se couvrit instinctivement l’entrejambe de ses mains.
Son visage était insupportablement chaud. Même s’ils n’étaient que des enfants, être vus nus par quelqu’un du sexe opposé comme ça était embarrassant. Il s’était mis en colère dirigeant une seule main vers les deux jumelles.
« S-Sortez d’ici pour l’instant. Ce voyage est censé être pour que je puisse me détendre, alors laissez-moi au moins me baigner en paix pendant un moment. Tant que vous êtes là, je ne pourrais pas me détendre même si je le voulais, » déclara Yuuto.
« Ça ne suffit pas, » insista Kristina. « Après tout, nous sommes censées vous protéger. »
« Je n’en ai pas besoin. Il n’y a pas de bandits par ici, » Yuuto cracha les mots, devenant de plus en plus irrité.
Les sources chaudes étaient entourées dans trois de ses quatre directions par les bâtiments de la villa, et bloquées par un mur de roche sur la quatrième. Les bâtiments avaient été construits dans le but de défendre facilement le bain curatif personnel du patriarche. Et les guerrières vétéranes Einherjar de Yuuto étaient actuellement dans ces bâtiments. Ce n’était vraiment pas un endroit où les criminels pouvaient se faufiler.
C’était exactement ainsi que Jörgen lui avait recommandé l’endroit en disant : « Vous n’aurez pas peur d’être accosté par des bandits dans cet endroit. Vous pourrez profiter pleinement des sources chaudes sans aucun souci. »
« Il est vrai que je doute que des bandits nous attaquent ici, mais il y a des cerfs sauvages et des singes dans les bois qui viennent parfois ici, alors le commandant en second nous a dit de veiller à te protéger avec vigilance, Père, » déclara Kristina.
« Qu’est-ce que... !? » Les yeux de Yuuto s’étaient écarquillés. C’était la première fois qu’il en entendait parler. « Mais ce n’est pas comme si vous pouviez faire quoi que ce soit contre les animaux sauvages. » Yuuto avait saisi ce qui semblait être une opportunité. « Allez appeler Run ou quelqu’un d’autre à la place. »
Kristina n’était pas douée au combat, et bien qu’Albertina soit une maîtresse des techniques d’assassinat qui pouvait aller encore plus vite que Sigrun, elle n’avait pas la force pure nécessaire pour combattre les bêtes sauvages.
Utilisant cela comme excuse, il les envoyait chercher quelqu’un d’autre, puis il en profitait pour se dépêcher et remettre ses vêtements.
En réagissant à une situation aussi imprévue avec une telle rapidité d’esprit, il aurait aimé pouvoir dire qu’il avait été à la hauteur de sa réputation de stratège invaincu, mais il avait dû admettre que Kristina était un niveau au-dessus de lui, considérant que la petite diablesse avait soigneusement réussi à le mettre dans un tel piège dès le départ.
Pourtant, tout irait bien maintenant.
« Tu as raison. Et c’est pourquoi tout le monde devrait arriver d’un moment à l’autre, » déclara Kristina.
« Hein... ? » Yuuto était abasourdi. « Tout le... monde ? »
« C’est vrai. Regarde. » Avec un sourire diabolique, Kristina se retourna et montra du doigt.
« Quoi... quoi... » Le regard de Yuuto avait suivi le doigt, et il avait été stupéfait.
Il était tellement absorbé par sa dispute avec Kristina qu’il n’avait pas remarquée, mais toutes les autres filles s’approchaient maintenant, les serviettes à la main !
« Tu m’as piégé, n’est-ce pas, Kris !? » cria-t-il.
« Qu’est-ce que tu racontes ? » demanda Kristina.
« Argh, petite renarde intrigante ! » Yuuto avait crié d’exaspération après sa fille assermentée, qui n’avait fait que sourire calmement en guise de réponse.
On disait que le grand général carthaginois Hannibal avait utilisé des tactiques astucieuses pour encercler et anéantir une force ennemie beaucoup plus importante lors de la bataille de Cannae, envoyant une énorme onde de choc dans la République romaine de l’époque.
Et pendant la période Sengoku au Japon, pendant la bataille d’Okitanawate, le clan Shimazu avait utilisé une tactique militaire désormais célèbre appelée « le pêcheur et le bandit » pour simuler et encercler une force plusieurs fois plus grande que la leur, avant de les battre.
Sur le champ de bataille, l’encerclement de ses ennemis leur conférait une incroyable supériorité tactique. C’était assez pour apporter la victoire à une force numériquement beaucoup plus faible.
En revanche, en ce moment, Yuuto était un homme seul entouré de sept femmes.
La situation sur son champ de bataille était, de l’avis général, tout à fait désespéré.
***
Partie 4
« C’est vraiment le paradis, » déclara Félicia en soupirant de plaisir. Elle reposait son dos contre l’un des rochers, avec juste ses jambes trempant dans les sources.
Alors qu’elle expirait, ses gros seins se balançaient légèrement. Malgré leur taille, ils étaient assez fermes pour que ses mamelons saillants soient légèrement inclinés vers le haut. Et avec sa taille serrée, sa silhouette attirait les regards envieux de toutes les filles présentes.
« Oui, c’est l’endroit parfait pour que Père puisse se reposer, » Sigrun se tenait au centre de la piscine, sa silhouette nue et bien tonique était entièrement exposée. Sa silhouette était serrée et musclée, mais toujours féminine et souple, rappelant celle d’un gros chat prédateur.
Elle tenait encore une épée à la main, ce qui la faisait ressembler encore plus à une déesse mythique, avec un air de dignité sacrée en elle.
« O-O-Oui, c’est vraiment génial, ouais ! » La réponse d’Ingrid avait été de crier d’une voix disproportionnellement forte et criarde, alors que son visage était rouge comme une pomme mûre.
Tout comme Félicia, elle se reposait contre un rocher, les pieds dans l’eau, mais peut-être par embarras, elle se couvrait fermement avec sa serviette. Pourtant, avec la moitié supérieure de ses seins exposés, et la ligne de sa taille fine, les courbes féminines de son corps étaient encore évidentes à voir.
« C’est la première fois que je visite une source chaude, mais c’est vraiment bien. Ahh..., » Linéa se tenait contre un rocher, y appuyant ses bras, avec le bas du corps dans la source, et laissant échapper des soupirs de plaisir.
L’expression sur son visage rougi semblait érotique. L’image de son dos élancé et de son derrière bien formé gigotait sous les ondulations de la vapeur de l’eau.
« Wheee, le vent est si doux ! » Albertina gloussa en courant par ici et par là, le long de la rivière.
Elle était aussi complètement nue.
Au moins, elle semblait en bonne santé et pleine d’énergie.
Kristina soupira. « Franchement, Al, un de ces jours, tu dois apprendre la modestie en tant que femme. » Alors qu’elle suivait sa sœur des yeux, elle poussa un soupir exaspéré.
Kristina était occupée à ramasser de l’eau avec ses deux mains et à la laisser retomber, encore et encore. Les ondulations créées par cela avaient réussi à dissimuler sa forme nue d’une manière qui ressemblait presque à une illusion magique.
Le fait d’être presque capable de voir, mais pas tout à fait, avait un effet étrangement fascinant.
« E-Est-ce qu’une esclave comme Éphy peut vraiment être autorisée à être dans un endroit aussi incroyable que celui-ci ? » Éphelia était assise dans la source, les genoux serrés, et tremblait nerveusement.
Elle avait initialement prévu de rester dans le pavillon et de garder les vêtements de tout le monde, mais Félicia et Ingrid avaient insisté pour qu’elle y entre aussi, et elle n’avait pas pu refuser leur demande.
Yuuto, quant à lui, était assis le dos tourné vers les filles, prisonnier d’une spirale interne de regrets. « J’aurais dû m’enfuir quand j’en avais l’occasion. »
Il ne pouvait pas se lever et sortir du bassin nu avec toutes ces filles qui le regardaient, et il s’était retrouvé assis là, attendant une ouverture pour s’échapper.
Selon la sagesse commune, la retraite était l’aspect le plus difficile d’une bataille. Une fois qu’un général s’était rendu compte que la situation était trop désavantageuse, il devait être prêt à accepter certaines pertes et à battre en retraite immédiatement.
C’est ainsi que se déroulait la logique, mais les gens avaient tendance à perdre la capacité d’agir de façon rationnelle et sans émotion lorsqu’ils étaient confrontés à une situation de crise réelle.
En ce sens, Oda Nobunaga avait vraiment été une figure incroyable. Pendant le siège de Kanegasaki en 1570 apr. J.-C., Nobunaga avait senti le danger que ses forces pourraient être prises dans une attaque en tenaille, et malgré le succès de la bataille jusqu’à présent en sa faveur, il avait rapidement ordonné une retraite.
« Mais comment aurais-je pu prédire ça... ? » Yuuto continua à se plaindre doucement.
De retour à Iárnviðr, il s’était assuré d’expliquer les choses à tout le monde à plusieurs reprises, et après cela, il avait pu prendre des bains seul sans avoir à dire quoi que ce soit en particulier.
L’incident des bains dans la capitale du Clan de la Corne n’avait été qu’une exception dans des circonstances d’urgence, et Yuuto s’était assuré que ses petites sœurs et filles le comprennent.
Yuuto était pleinement conscient de ses propres lacunes. C’est exactement pour cela qu’il avait choisi de faire confiance aux autres, en comptant sur eux pour l’aider.
Cette confiance sincère avait profondément marqué ses subordonnés, leur inspirant une profonde loyauté et la volonté de faire quelque chose pour lui.
C’était, en effet, la qualité rare appartenant à un vrai dirigeant et souverain. Mais surtout dans des moments comme celui-ci, cela avait eu des effets secondaires négatifs.
Souvent, les forces et les faiblesses d’une personne étaient les deux faces d’une même médaille. Yuuto n’avait jamais eu d’obsession particulière pour son propre pouvoir ou son autorité, et il avait donc été terriblement négligé quand il s’agissait de ses propres alliés.
« Père ? Au lieu de t’enfermer dans un coin comme ça, pourquoi ne pas venir te détendre un peu plus ? » Kristina l’avait appelé.
« Tu crois que je peux faire ça maintenant !? » s’écria Yuuto.
« Tout va bien, Père. Je t’assure que le tien est un spécimen splendide et extraordinaire, donc tu n’as pas à t’en inquiéter, » déclara Kristina.
« Change de sujet ! En fait, je suis ici depuis assez longtemps déjà ! Je m’en vais ! » Yuuto cria en colère sans regarder dans la direction de Kristina, et il était sorti de l’eau. À ce moment-là, il était assez en colère pour qu’il ne puisse plus se soucier si elles le voyaient nu une fois.
Les filles étaient arrivées justes après qu’il se soit déshabillé et qu’il se soit mis à l’eau, avec un drôle de minutage qui lui avait rendu la tâche de s’échapper très difficile. Et les deux premières d’entre elles avaient été les jumelles, les expertes en actions furtives. Rien que cela avait suffi à Yuuto pour comprendre que ce fût planifié.
Donc, même s’il avait attendu que la tempête passe, pour ainsi dire, il était peu probable qu’elles lui en donnent l’occasion. Il était clair que rester ici ne ferait qu’empirer les choses.
Sigrun et Félicia s’étaient déplacées, avec une rapidité incroyable, pour se tenir devant le vestiaire et bloquer le chemin.
« S’il te plaît, attends, Père, » déclara rapidement Sigrun. « Je n’ai pas pu te laver le dos pendant ce temps au palais du Clan de la Corne, alors je te supplie de me donner une autre chance ! »
« C’est exact, Grand Frère, » déclara Félicia. « Tu as accordé ce vœu à l’aînée Linéa la dernière fois, mais il est bien trop froid de ne pas accorder ce même privilège à celles d’entre nous qui font partie de ton propre clan. Je suis assez attristée que tu donnes l’impression d’avoir mis de la distance entre nous. »
Ni l’une ni l’autre ne faisaient d’efforts pour se couvrir.
Yuuto s’était retrouvé à tourner la tête vers la droite par embarras. Mais quand il avait fait cela, les silhouettes des autres filles qui se baignaient encore étaient entrées dans son champ de vision, alors il avait été forcé de fermer les yeux, et il ne pouvait plus bouger. Il avait finalement réalisé, trop tard, qu’il était en échec et mat.
Yuuto avait baissé la tête. « ... Très bien, faites ce que vous voulez. »
À ce stade, tout ce qu’il pouvait faire était de dire ces mots.
***
Partie 5
« ... Qu’est-ce que c’est que cette situation !? » Yuuto était hors de l’eau, assis sur un rocher de forme pratique, et complètement désemparé.
Ses yeux étaient encore fermés, il n’avait donc pas une bonne idée de la situation, mais il pouvait voir que les filles étaient entassées autour de lui en entendant le bruit de leur respiration.
« C’est le résultat d’innombrables discussions que nous avons eues, en tirant une leçon de l’échec du bain du Clan de la Corne, sur la façon dont tout le monde pouvait montrer correctement son dévouement envers toi, Grand Frère, » déclara Félicia.
« Pourquoi cette petite chose est-elle si importante pour vous ? » cria Yuuto d’une voix aiguë.
Un dicton populaire disait que les hommes venaient de Mars et les femmes de Vénus. Même à l’ère moderne du XXIe siècle, ce qui se passait dans la tête des femmes restait un mystère total pour les hommes.
Et en effet, il en était de même pour Yuuto à ce moment-là. Rien n’avait de sens pour lui.
« L’appeler “une petite chose”, c’est trop, » le réprimanda Félicia. « Je ne peux pas te permettre de dire ça, Grand Frère. Chacune d’entre nous t’est reconnaissante du fond du cœur, et nous souhaitons exprimer ce sentiment en te lavant le dos, mais jusqu’à présent nous n’avons pas été capables de le faire. Nous ne pouvions pas laisser passer une occasion aussi rare. »
« D’ailleurs, nous avons déterminé nos positions équitablement en tirant au sort, » déclara Kristina, en tenant le bras gauche de Yuuto. Il pouvait dire par le ton de sa voix qu’elle aimait l’observer dans cette situation.
Albertina tenait son bras droit. Sigrun était à côté de sa jambe droite, et Ingrid était à côté de sa gauche, rougissant et murmurant, « Oh mon Dieu, oh mon Dieu, » à elle-même.
Linéa était juste devant lui, les deux genoux au sol et penchés sur lui avec une serviette.
Et sa fidèle adjudante Félicia avait, semble-t-il, tiré au sort le fait de s’occuper de son dos.
Yuuto s’était battu jusqu’au bout pour laisser son entrejambe en dehors de ça. La serviette enroulée autour de sa taille était son dernier acte de résistance contre elles. Jamais auparavant dans sa vie un seul morceau de tissu n’avait été aussi important pour lui.
D’ailleurs, Éphelia avait refusé le tirage au sort. Les subordonnés directs du patriarche, qui avaient échangé avec lui le Serment sacré du Calice, attendaient avec ferveur l’occasion de réaliser le désir qui leur avait été refusé pendant si longtemps. Elle avait trouvé l’idée d’une esclave comme elle qui participait trop impudente.
« Augh, qu’on en finisse, c’est tout ! Mais une fois que c’est fini, on rentre directement à la maison ! Compris !? » La déclaration de Yuuto avait été rejetée et avait suscité un peu de ressentiment. Il se sentait comme un morceau de viande sur la planche à découper.
La retenue avec laquelle Yuuto ne devait pas ouvrir les yeux était digne d’éloges.
C’était un homme de la campagne à l’ancienne. Le monde d’Yggdrasil n’était pas un monde où le choix de qui et si elle devait se marier était une question de liberté personnelle, comme au Japon du 21e siècle.
Tout comme ce qui s’était passé au Japon avant le boom économique de l’après-guerre, et comme Félicia l’avait vécu, la société d’Yggdrasil était froide envers les femmes qui ne pouvaient se marier.
Dans un monde avec ces valeurs, Yuuto s’était fermement engagé à ne pas regarder une femme nue célibataire, car il était incapable de prendre ses responsabilités à l’ancienne et de l’épouser.
Mais il ne pouvait pas non plus nier que le même attachement à ses valeurs lui avait coupé les moyens d’échapper à cette situation.
« Très bien, je vais commencer, Grand Frère. » Yuuto entendit la voix de Linéa, et il sentit une serviette mouillée commencer à frotter contre sa poitrine.
« Avec ta permission, Père ! »
« Eh bien, Père... »
« Commençons, Grand Frère. »
Il ressentait la même sensation en commençant par les bras et les jambes. Ça chatouillait un peu, mais ça faisait aussi du bien. Le fait d’avoir une autre personne lavant son corps était en fait une expérience intensément agréable. Et celles qui le lavaient étaient toutes des filles d’une beauté exceptionnelle.
Même s’il avait les yeux fermés, il ne pouvait s’empêcher d’y penser. Il sentait la zone entre ses jambes devenir plus chaude.
Ce n’était pas ce genre d’acte entre un homme et une femme, ce n’était rien de plus qu’une expression de la piété filiale des filles à leur Grand Frère et père juré. Yuuto s’était répété ça dans son esprit, mais — .
*Étreinte.*
« Uwagh !? Mademoiselle F-Félicia, qu’est-ce que vous utilisez pour me laver le dos !? » Yuuto était si étonné qu’il parle à Félicia dans un langage poli.
Félicia répondit en chuchotant à son oreille, d’une voix pleine de sensualité. « C’est évident... Je te lave avec ma poitrine. »
« Q-Qu-Quoiii !? » s’écria Yuuto.
« Laver le dos de mon Grand Frère bien-aimé avec un simple outil ou un chiffon serait le summum de la grossièreté. Je dirais que te laver avec mon propre corps est la façon la plus fidèle et la plus pure d’exprimer ma dévotion envers toi ! » déclara Félicia.
« Il y a définitivement quelque chose qui ne va pas avec haaaaagh !? » Yuuto sentit soudain quelque chose de mouillé contre la plante de son pied gauche.
« R-R-R-Run ! Qu’est-ce que tu viens de faire ? » demanda Yuuto.
Qu’est-ce que c’était ? Yuuto n’avait pas la moindre idée. C’était une sensation qu’il n’avait jamais ressenti de sa vie.
« Je te léchais le pied, Père. Euh, ç-ça n’a pas fait mal, j’espère ? » demanda Run.
« T-Tu me lèches !? » s’écria Yuuto.
« Oui, j’avais peur qu’une soldate maladroite comme moi puisse abîmer ta précieuse peau, alors j’ai demandé conseil à Félicia, et elle m’a répondu que je devrais utiliser ma langue, » déclara Run.
« Félicia, quel genre de conseil donnes-tu à Run ? » demanda Yuuto.
« Kh... ! C-C-C-Comme prévu des deux personnes les plus proches de Grand Frère ! Je ne peux pas me permettre d’avoir peur dans cette situation ! » déclara Linéa.
« J’ai autant de gratitude envers Yuuto que vous toutes, et je ne vais pas perdre ! » cria Ingrid.
« Vous devriez tous les deux prendre l’habitude de la compétition et l’utiliser pour autre chose ! » déclara Yuuto.
Les cris désespérés de Yuuto n’avaient pas atteint leurs oreilles. Il avait commencé à ressentir des sensations chaudes et douces sur sa poitrine et sa jambe droite qui ne venait pas du tissu. Il ne voulait pas penser à ce que c’était, et n’avait vraiment plus la capacité d’y penser.
Il était déjà depuis longtemps dans les sources chaudes fumantes, et il commençait à s’évanouir. Sa situation actuelle ne l’aidait pas. En fait, cela ne faisait qu’empirer les choses.
« D’accord, je vais aussi essayer ! » s’exclama Albertina.
« Al, tu es encore trop jeune pour ça, alors utilisons ces chiffons de lin pour le frotter, d’accord ? » déclara Kristina calmement.
« Wôw, wôw, ça a l’air si incroyable, Maître ! » s’écria Éphy.
Le fait que les plus jeunes filles ne participaient pas à cette compétition arrivée ex-aequo était une consolation au moins, mais cela n’avait pas arrêté les autres.
« Ah... oh... merde..., » Yuuto avait l’impression que quelque chose était sorti de son nez. Mais, il n’avait plus la capacité de penser à ce que c’était.
Comme sa conscience commençait à s’estomper, il avait seulement senti la sensation que sa tête tournait, et le sentiment étrange de ne pas savoir de quel côté était en haut.
« Grand Frère !? »
« Père !? »
« Grand Frère !? »
« Y-Yuuto !? »
« Père !? »
« Maître !? »
Le son faible et lointain des voix des filles fut la dernière chose que Yuuto entendit avant qu’il perde enfin conscience.
***
Partie 6
« Nous sommes vraiment désolées ! Pardonnez-nous, s’il vous plaît. »
Quand Yuuto s’était réveillé, il était sur un lit à l’intérieur de la villa.
Il avait ouvert les yeux pour voir sept paires d’yeux inquiets qui le regardaient depuis le haut.
Après un moment de joie qu’il ait repris connaissance, les filles s’étaient toutes levées de son lit, s’étaient agenouillées et avaient commencé à s’excuser à profusion.
« Euh..., » Yuuto était encore étourdi et ne savait pas trop comment réagir.
Il secoua la tête, se vida l’esprit et essaya de comprendre la situation.
Il avait dû être transporté ici alors qu’il était inconscient. Il n’y avait pas d’autres hommes qui l’accompagnaient dans ce voyage, donc c’était les filles qui l’avaient fait.
Il portait des vêtements de nuit amples, et il était clair que les filles avaient dû l’habiller pour se retrouver ainsi. Elles auraient donc dû tout voir. C’était incroyablement embarrassant. Rien que d’y penser, son visage avait commencé à être chaud.
« G-Grand Frère !? T-Tu ne devrait pas..., » Félicia commença à se précipiter à ses côtés, mais Yuuto leva la main pour l’arrêter.
« Non, je vais bien, Félicia, » déclara Yuuto.
Pendant qu’il était dans les sources chaudes, la chaleur et la montée du sang vers sa tête s’étaient combinées à sa réaction agitée face aux corps nus des filles, et il n’avait pas été capable de penser clairement. Mais maintenant, il avait retrouvé un bon état d’esprit.
Avant toute chose, il y avait des questions à se poser.
« Alors, pourquoi avez-vous toutes fait ça ? Je suis presque sûr d’avoir dit que je voulais me baigner seule. N’est-ce pas ? » demanda-t-il.
« C’est-à-dire... qu’il y a des animaux sauvages qui s’approchent parfois des sources chaudes, alors j’ai pensé que j’avais besoin d’être là, juste au cas où..., » Sigrun commença à donner exactement la même défense que Kristina avait utilisée plus tôt.
Il est vrai que les carnivores comme les loups n’étaient pas les seuls animaux sauvages à se méfier, même les singes et les cerfs pouvaient être extrêmement dangereux.
Franchement, mon commandant en second a vraiment raté son coup en oubliant de m’avertir de quelque chose d’aussi important, se dit Yuuto en soupirant profondément.
Cela expliquait au moins les actions de son officier militaire. Yuuto avait ensuite tourné son regard vers les autres filles.
« Euh, c’est ce que j’ai dit dans les sources chaudes, mais nous te devons une énorme dette de gratitude, Grand Frère, » déclara Félicia, alors que ses yeux ne quittaient pas le sol. « Nous voulions que tu nous permettes de nous écouter et d’exprimer ce sentiment. Et comme tu rentreras un jour chez toi, nous voulions le faire maintenant, pendant que nous en avions l’occasion. »
Plusieurs autres filles acquiescèrent d’un signe de tête.
Yuuto était faible contre cette argumentation. Il savait que les filles rassemblées dans cette salle avaient un amour et un respect sincères pour lui. Et le sentiment de vouloir faire quelque chose pour les personnes les plus proches dans sa vie était aussi un sentiment qu’il comprenait. Y compris le fait que ces sentiments étaient d’autant plus forts qu’on savait qu’il n’y avait pas beaucoup de temps.
Lorsque sa défunte mère était tombée malade en phase terminale, Yuuto avait été plein de regrets. Il était en colère contre lui-même, se demandant pourquoi je n’ai pas pu être un fils plus dévoué ?
Il avait tant de dettes envers son frère aîné assermenté, mais il n’avait finalement réussi qu’à le rembourser dans la misère, un souvenir qui lui faisait encore mal au cœur.
« ... D’accord, c’est bon. C’est moi aussi ma faute, » Yuuto avait pris une grande respiration, et alors qu’il expirait, il relâcha la tension de son visage.
Jusqu’à présent, il avait toujours refusé que les filles s’occupent personnellement de lui. Bien sûr, la plus grande raison pour cela était son obligation envers Mitsuki, mais une grande partie de cela était aussi les sentiments de gêne et de honte qu’il portait avec leurs racines dans les valeurs et les mœurs du Japon d’aujourd’hui.
Cependant, dans ce monde d’Yggdrasil, avec une culture qui mettait davantage l’accent sur les liens familiaux formés par le calice que sur les liens du sang et exigeait une loyauté et un service total de la part du cœur, l’attitude de Yuuto envers les filles était peut-être vraiment trop distante et réservée.
Son entêtement n’avait fait que les pousser à vouloir le servir encore plus, invitant le genre d’incident qui venait de se produire, là où elles étaient allées trop loin.
« Quand vous êtes à Rome, faites comme les Romains, » disait le proverbe. Il fallait peut-être que tout le monde se défoule un peu de temps en temps.
Dans tous les cas, pour la sécurité de Yuuto.
« D’accord, c’est bon, » déclara-t-il. « Pour le reste de ce voyage, je vous laisserai me servir comme vous le voulez. Mais vous allez porter des vêtements ! Et on ne peut pas non plus être trop collantes ! D’accord !? »
« M-Merci beaucoup !! » Toutes les filles criaient leurs remerciements à l’unisson, leur visage s’illuminait d’une joie rayonnante.
Est-ce vraiment quelque chose dont on peut être heureux comme ça ? Yuuto pensait ça avec ironie, mais il se sentait aussi coupable de les avoir rejetées pendant si longtemps jusqu’à maintenant.
Il avait parlé avec tant d’insistance et pensait à elles comme à sa famille, mais peut-être qu’à un certain niveau, il avait gardé une certaine distance entre lui et elles.
Après cela, les filles s’occupèrent généreusement de tous les besoins de Yuuto (avec modération), et Yuuto passa le reste de ses vacances en tout confort.
Il était parti pour son voyage de retour à Iárnviðr avec son corps reposé et son esprit rafraîchi.
***
Partie 7
Après avoir accompli sa mission de cinq jours en tant que patriarche par intérim, Jörgen était maintenant en train de descendre tranquillement la rue vers sa demeure.
Le commandant en second du Clan du Loup, Jörgen, s’arrêta soudain, se retourna et cria dans l’obscurité derrière lui. « Avez-vous besoin de quelque chose de ma part ? »
Dans l’obscurité de cette nuit, la seule lumière dont il fallait parler venait de la lune dans le ciel et de la petite torche qu’il tenait. Jörgen ne pouvait presque rien voir à cinq Elles devant lui. (Une Elle était une ancienne forme de mesure en Yggdrasil égale à environ 50 centimètres.) Malgré cela, les yeux de l’ancien combattant étaient fermement fixés sur un point devant lui dans l’obscurité.
« J’étais presque sûre d’avoir moi aussi effacé ma présence. Vraiment, vous êtes un homme redoutable, commandant en second ! ♪ »
Avec ces derniers mots sur un ton chantant, la propriétaire de la voix s’était glissée hors de l’obscurité et dans le champ de vision de Jörgen. C’était une très jeune fille, qui aurait normalement semblé déplacée sur une route sombre la nuit. Mais on ne peut pas juger par les apparences seules.
Malgré son âge, c’était une personne d’une grande compétence et d’un grand potentiel, et l’autre jour, elle avait échangé le Serment du Calice directement avec le patriarche Yuuto, devenant ainsi sa fille assermentée. Elle s’appelait Kristina, se souvient Jörgen.
« Je pourrais dire la même chose de vous, vous avez passé les deux dernières années à peaufiner votre capacité à vous fondre dans l’ombre, n’est-ce pas ? » Le coin de la bouche de Jörgen s’était relevé en un sourire.
Le Clan du Loup et le Clan de la Griffe avaient déjà été des ennemis mutuels, et Kristina avait tenté d’infiltrer le palais d’Iárnviðr plus d’une fois. Chaque fois, ce qui l’avait forcée à abandonner et à revenir en arrière, c’était la présence de Jörgen et Skáviðr, les deux vétérans combattants du clan.
« Donc, vous êtes aussi au courant de ça, » dit Kristina. « Au moins, j’étais sûre que je n’avais jamais été vraiment repérée... »
« Vous ne l’étiez pas, ce qui était vraiment impressionnant. Je viens juste d’apprendre que c’était vous. Je me souviens après tout de cette sensation déstabilisante qui rampait sur la peau, » Jörgen avait remonté sa manche pour révéler la chair de poule sur son bras.
L’intuition pure d’un guerrier qui avait survécu à une bataille après l’autre, marchant sur le fil du rasoir, n’était pas quelque chose que l’on pouvait expliquer avec logique. Peu importe avec quel point l’adversaire pouvait cacher son intention de tuer, ou sa présence, cet homme pouvait encore ressentir quelque chose. Sa peau avait réagi.
Jörgen n’avait pas sur lui de rune, mais il avait un instinct bien aiguisé qui n’était pas moins extraordinaire que celui d’un Einherjar. L’expérience accumulée pouvait parfois s’avérer plus puissante que la capacité brute.
« Eh bien, ce serait certainement très pratique pour nous si vous utilisiez cette technique pour le bien du Père, » déclara Jörgen.
« Bien sûr ! C’est bien ce que je vais faire. N’est-ce pas évident ? Je suis sa fille maintenant, vous savez » déclara Kristina.
« Je sais qu’il ne faut pas croire les paroles d’une renarde, » répliqua Jörgen.
« Bonté divine. J’ai été très honnête, » Kristina soupira, l’air terriblement triste.
Jörgen n’y prêta pas attention et la fixa d’une pression encore plus forte, comme si elle essayait d’extraire ses vrais sentiments. « Alors, je le redemande : Aviez-vous besoin de quelque chose de ma part ? »
« Non ! Rien de vraiment important, » répondit Kristina. « Je voulais juste venir vous remercier d’avoir agi si vite. »
« Non, non, c’est moi qui devrais vous remercier. Vous avez fait une grande chose en m’informant, » répondit Jörgen.
« Oh, mais qu’est-ce que vous voulez dire ? Je n’ai rien fait de plus que de vous poser une question ou deux, par souci pour mon père » répondit Kristina.
« Ahh ! Est-ce ce que vous avez fait, n’est-ce pas ? » demanda Jörgen.
« En effet, c’est bien ça, » Kristina gloussa de façon suggestive.
Elle s’était rendue chez Jörgen, prétendant recueillir des informations pour les recherches de Yuuto.
« Père est à la recherche d’informations sur les célèbres manieurs de la magie seiðr. Savez-vous quelque chose sur eux ? » C’est ainsi qu’elle l’avait formulé. Et elle avait prévu de rapporter tout ce qu’elle avait appris à Yuuto.
Quelle fille attentionnée et dévouée je suis à mon père, aurait-elle dû penser.
Et, bien sûr, quelles que soient les conclusions que Jörgen puisse en tirer après avoir entendu sa question, et, quelles que soient les actions qu’il puisse entreprendre, elles étaient toutes dans son plan.
« Toute cette affaire est un casse-tête, » déclara Jörgen. « Il a d’abord demandé à l’impérial goði Alexis s’il existait une technique pour traverser les mondes, et il a collectionné avec ferveur de vieilles légendes et des rumeurs de tout le pays. Et maintenant, il enquête sur les manieurs de seiðr. Il semble que Père ait enfin commencé à concentrer tous ses efforts pour retourner dans son royaume au-delà des cieux. »
Jörgen secoua la tête, alors que son visage indiquait qu’il souffrait.
Il n’avait pas l’intention de blâmer Yuuto ou de le traiter d’irresponsable. Le jeune homme n’avait jamais eu l’intention de mettre les pieds dans ce monde en premier lieu, et avait été appelé ici contre sa volonté. Son désir de retourner dans son pays natal était aussi naturel et juste pour lui que pour tout être humain.
Il n’avait pas non plus aspiré au trône de patriarche. Au lieu de cela, le patriarche précédent l’avait pratiquement forcé à occuper ce poste. Et malgré cela, le jeune homme avait sauvé le Clan du Loup d’une crise après l’autre, et les avait aidés à grandir et à prospérer à nouveau.
Dans des circonstances normales, face à une telle dette de gratitude, la bonne chose à faire serait que tout le Clan du Loup s’unisse pour l’aider à chercher un moyen de rentrer chez lui, et qu’il reparte avec un adieu affectueux.
« C’est comme je l’ai dit lors de notre précédente rencontre, au final, nous, du Clan du Loup, ne sommes rien sans Père, » pleura Jörgen. « Personne ne peut prendre sa place. »
Maintenant que le Clan de la Griffe et le Clan de la Corne étaient officiellement au service du Clan du Loup, les Clans du Blé et du Chien des Montagnes tentaient également d’entrer sous leur protection. Mais ils ne s’engageaient pas vraiment au service du Clan du Loup —, mais seulement au service de Yuuto, une figure aussi puissante et charismatique qu’écrasante.
Jörgen pensait qu’il n’avait pas du tout ce qu’il fallait pour maintenir ces mêmes relations internationales s’il succédait à Yuuto. Et le raisonnement de Jörgen s’était déjà avéré juste.
Ce jeune homme aux cheveux noirs, connu sous le nom de Yuuto Suoh, était pour le Clan du Loup une figure beaucoup plus importante que celle dont Yuuto lui-même était au courant. En effet, il était trop grand.
« Nous devons faire en sorte que Père renonce à partir, quoi qu’il arrive. » Jörgen s’était exprimé avec détermination et volonté.
Personnellement, il sympathisait avec Yuuto et se sentait coupable, mais en tant que fonctionnaire qui pensait à la sécurité et à la prospérité du Clan du Loup, c’était la seule conclusion à laquelle il pouvait arriver.
Cependant, Yuuto était l’autorité suprême au sein du clan, donc naturellement l’usage de la force était hors de question.
Cela laissait la persuasion, mais bien que Yuuto puisse paraître doux, une fois qu’il avait décidé quelque chose, il s’entêtait à aller jusqu’au bout, avec une volonté indomptable.
Dans l’état actuel des choses, même si tout le monde se rassemblait et le suppliait de rester ici, cela ne ferait rien d’autre que de l’énerver. Il n’y avait aucune chance qu’il cède.
Du moins, pas encore.
« Dans la mesure du possible, j’espérais que l’une d’entre vous aurait profité de l’occasion pour faire plus ample connaissance avec lui, » déclara Jörgen. « Je ne sais pas si je devrais être plus déçu par mes sœurs de clan, qui ne peuvent même pas séduire un homme célibataire malgré l’occasion parfaite qui leur était donnée, ou si je devrais louer la fidélité inébranlable du Père, qui a su se retenir en dépit de tant de belles femmes qui l’entouraient. C’est vexant de toute façon. »
Jörgen soupira, avec un regard dur sur son visage balafré.
Au retour de Yuuto, il n’y avait aucun sentiment que lui et les filles partageaient le genre de tension maladroite, romantique et douce qui était unique à un couple nouvellement intime.
Même sans avoir voyagé avec eux, Jörgen avait tout de suite su qu’aucun jumelage de ce genre ne s’était produit lors de ce voyage.
« Hehe hehe, ça me fait me souvenir de quelque chose. On dit qu’il y a une rumeur transmise des temps anciens selon laquelle ceux qui visitent les sources d’eau chaude seront bénis avec des enfants, » Kristina avait fait à Jörgen un regard suggestif et omniscient.
Jörgen avait répondu avec un large sourire satisfait de lui-même. « Alors, vous avez des oreilles pointues, petite renarde. Oui, j’avais pensé que si Père concevait un enfant, cela ferait pencher la balance de son cœur un peu plus en notre faveur. Eh bien, il semble qu’il y ait eu au moins quelques petits progrès cette fois-ci, alors je suppose qu’il va falloir que je sois satisfait pour l’instant. Nous avons encore le temps. Nous pouvons créer autant d’opportunités que nécessaire. »
« Oh, impressionnant. Comme on pouvait s’y attendre de la part du commandant en second du Clan du Loup, vous avez un sacré don pour ce genre de complot, » déclara Kristina.
« Mais je ne suis rien comparé à votre père biologique, » déclara Jörgen.
Pendant la longue ascension de Jörgen jusqu’à son poste actuel, il avait survécu à de multiples luttes de pouvoir politiques internes.
On ne peut pas influencer les gens par seulement une approche énergique.
Le visage effrayant et meurtri de Jörgen démentait son vrai talent : il excellait dans la politique détournée, gérant des intérêts divergents et préparant le terrain pour que les plans avancent sans heurts. Son statut de commandant en second n’était pas une coïncidence.
Bien qu’il ait toujours eu tendance à se concentrer sur la coopération et les affaires intérieures, sa capacité de voir les choses d’un point de vue plus large était limitée.
« J’ai quand même été un peu surpris par vous, » ajouta Jörgen. « Le Clan de la Griffe ne sera-t-il pas plus à l’aise si Père quittait ce monde ? »
« Je suis maintenant une enfant directe subordonnée du patriarche du Clan du Loup, vous savez. Mais, d’accord, si je m’efforçais de parler en tant que fille du Patriarche du Clan de la Griffe Botvid, je dirais ceci : Plutôt que d’essayer bêtement de saper le Clan du Loup et de lui voler sa richesse, il serait plus prudent et beaucoup plus rentable de lui rester fidèle et de recevoir une part de sa prospérité. Voilà à quel point Père est puissant et grand, » répliqua Kristina.
« ... Hm, je vois, » répondit Jörgen.
Je pensais que la petite renarde ne révélait toujours pas toutes ses intentions, mais on dirait qu’elle croyait ce qu’elle disait tout à l’heure, se dit Jörgen.
Après la grande défaite du Clan de la Griffe au siège d’Iárnviðr et la campagne de représailles du Clan du Loup après l’accession de Yuuto au poste de patriarche, le Clan de la Griffe avait perdu beaucoup de son territoire et de ses soldats. Peut-être la situation intérieure y était-elle encore pire que ne le croyait le Clan du Loup.
« C’est quand même impressionnant d’avoir une telle perspicacité pour quelqu’un d’aussi jeune, » déclara Jörgen. « Je crains pour l’avenir. »
« Bonté divine, dois-je me répéter ? Je suis une subordonnée directe du patriarche du Clan du Loup. J’aimerais que vous disiez que vous avez de grands espoirs pour moi, » Kristina avait gonflé ses joues dans un spectacle d’irritation enfantine.
D’après sa personnalité, c’était clairement un jeu d’acteur.
Jörgen avait souri, puis répondit par un long soupir affecté. « De mon point de vue, j’ai l’impression qu’on nourrit un serpent dans notre sein. »
« Quelle cruauté ! D’abord je suis une renarde, et maintenant vous me comparez à un serpent ? Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je suis toujours une fille avec des sentiments... »
« Vous devriez prendre ça comme un compliment sur le fait que je pense que vous êtes trop intelligente et dangereuse pour vous ignorer. Eh bien, au moins sur le point de ne pas vouloir perdre notre maître et bienfaiteur, il semble que le Clan du Loup et le Clan de la Griffe partagent un intérêt commun. Un apprentissage qui a de la valeur en soi. » Il hocha la tête profondément, puis fit un large sourire. « J’espère que c’est le début d’une amitié durable. Ha ha ha ha ha ! »
À la lumière d’une petite torche dans l’obscurité, les épaules de Jörgen tremblèrent de son rire joyeux et éclatant.
Il avait confirmé que, du moins pour l’instant, la petite renarde rusée au milieu d’eux s’efforcerait de faire profiter le Clan de la Griffe en travaillant loyalement pour le Clan du Loup.
C’était une bonne nouvelle pour lui, et il avait fait disparaître un poids énorme de son esprit.
***
Acte 3
Partie 1
La salle était bordée de douzaines de bureaux alignés, où les enfants sculptaient des lettres sur des tablettes d’argile.
Ils affichaient tous des expressions rigides et, bien qu’ils s’efforçaient manifestement de se concentrer sur le travail devant eux, plus d’un enfant jetait de temps en temps un regard furtif derrière eux.
Un homme d’âge moyen se tenait devant les enfants, lisant à haute voix un récit épique de l’histoire du siège d’Iárnviðr. « C’est ainsi que le Patriarche Yuuto a réussi à vaincre et a chassé les armées alliées du Clan de la Griffe, du Clan des Cendres et du Clan du Croc, sauvant ainsi le Clan du Loup de sa crise de vie ou de mort. »
Il s’agissait d’un vaxt dans la ville d’Iárnviðr, une école pour la formation de futurs scribes et fonctionnaires.
L’enseignant qui dirigeait la classe était un vétéran de vingt ans, et il avait déjà lu cette histoire à haute voix des centaines de fois, alors normalement il aurait pu la réciter mot pour mot de mémoire. Cependant, aujourd’hui, il y avait une hésitation dans sa voix, et il ne parlait pas aussi facilement.
C’était peut-être compréhensible, cependant, car le personnage principal du conte épique était assis à l’arrière de sa classe, observant le processus d’enseignement.
« Entendre parler de ça ainsi est vraiment embarrassant..., » commenta Yuuto.
« Tee hee, » gloussa Félicia. « Mais j’ai entendu dire que les enfants font beaucoup plus attention quand les histoires parlent de toi, Grand Frère. Et les enfants semblent apprendre plus rapidement avec les sujets qui les intéressent. »
Ses paroles avaient fait se souvenir à Yuuto une citation de Confucius, et il avait haussé les épaules dans la défaite. « Bon sang. “Ceux qui connaissent la vérité ne sont pas égaux à ceux qui l’aiment, et ceux qui l’aiment ne sont pas égaux à ceux qui s’en réjouissent”, est-ce bien cela ? »
Étudier quelque chose d’agréable était plus efficace que d’être forcé d’étudier quelque chose d’ennuyeux. Il semblait que la vérité restait constante, quelle que soit l’époque.
Yuuto se tourna vers Éphelia, qui était assise à côté de lui, et posa une main sur sa tête. « Alors, tu penses que tu peux le faire ? »
« Fwah !? » La voix de Yuuto l’avait tellement effrayée qu’elle avait émis un bruit étrange. Apparemment, elle avait été tellement absorbée à écouter le récit qu’elle n’avait plus conscience de ce qui l’entourait. « Oh, e-euh, mais est-ce vraiment bien pour Éphy d’assister à un vaxt ? »
« Il n’y a pas de bien ou de mal à cela, » déclara Yuuto. « Fais-le. C’est un ordre. »
« Oh..., » Éphelia semblait timide et sans confiance, alors Yuuto s’était affirmé pour lui faire comprendre la situation.
Il s’était dit que s’il lui laissait trop de choix en la matière, cela la rendrait encore plus incertaine.
Dans le Japon natal de Yuuto, au XXIe siècle, l’éducation des enfants était obligatoire. Peu importe que l’on veuille aller à l’école ou non, il le fallait.
« Ta tâche, c’est d’étudier ici, » déclara Yuuto. « Si tu as de bonnes notes, tu seras payé en récompense. Si tu travailles dur, tu seras en mesure de réunir plus rapidement les fonds nécessaires à ton but. »
Si un esclave pouvait payer à son maître une somme d’argent équivalente à son prix d’achat, il était alors possible de racheter sa liberté et ses droits en tant que citoyen normal.
Personnellement, Yuuto aurait aimé lui donner l’argent sans condition, mais il n’avait pas les moyens de montrer à Éphelia ce traitement préférentiel. Et s’il devait émanciper tous les esclaves qui travaillent dans le palais, le trésor national du clan s’en trouverait lourdement affecté.
Yuuto était le patriarche du Clan du Loup, mais les fonds du clan n’étaient pas sa propriété personnelle. Il était sérieux quant à sa responsabilité de les utiliser pour le bien du Clan du Loup dans son ensemble, et non pour sa propre satisfaction.
Yuuto ébouriffa vigoureusement les cheveux d’Éphelia, comme s’il lui insufflait son propre esprit combatif. « Travaille dur, d’accord ? Plus vite tu apprendras à écrire, plus mon travail sera facile. »
« O-okay ! Je ferai de mon mieux ! » Éphelia serra ses petites mains en poings devant elle, en se réconfortant.
C’était vraiment une fille sérieuse dans l’âme, comme Yuuto l’avait d’abord pensé.
Il avait le sentiment qu’elle pourrait être à la hauteur de ses attentes.
***
« Ouf, je suis content qu’on ait réussi à la faire accepter ! » Alors qu’il était dans une calèche sur le chemin du retour, Yuuto souriait de satisfaction.
Éphelia pourrait commencer à assister au vaxt tout de suite, à partir d’après-demain. Un voyage de mille milles commence par le premier pas, comme le disait l’adage. Il franchissait ainsi le premier obstacle majeur qui l’empêchait d’atteindre son objectif.
« Oui, bien qu’ils aient rechigné un peu à l’idée. » Félicia sourit ironique et haussa les épaules.
Éphelia s’était rapidement endormie sur les genoux de Félicia. Elle n’avait pas dormi depuis hier, quand on lui avait dit qu’elle viendrait avec eux pour observer le vaxt. Une fois qu’ils avaient terminé et qu’elle avait enfin eu l’occasion de se détendre, elle s’était assoupie et s’était endormie. Le doux balancement du chariot n’avait fait qu’accélérer le processus.
Yuuto avait répondu par un sourire ironique. « Peut-être, mais il fallait qu’ils l’acceptent, quoi qu’il arrive. »
Seuls les enfants de familles aisées étaient présents dans les vaxts. Même les enseignants avaient un penchant un peu élitiste, alors ils s’étaient poliment opposés à lui, arguant que ce serait une perte de temps que d’essayer d’enseigner à un simple esclave.
Il était probable qu’il y en avait plus d’un qui était du même avis, même parmi les officiers du Clan du Loup. Ils doivent sûrement penser que Yuuto devrait utiliser les profits de la vente de produits verriers pour quelque chose de plus utile et de plus valable.
Et c’est exactement pour ça qu’il était important de s’assurer qu’Éphelia assiste à un vaxt.
Avec une bonne étude, même un esclave pourrait s’alphabétiser. Si Yuuto pouvait démontrer ce fait, cela devrait permettre à tout le monde de comprendre l’idée derrière l’application d’un système d’éducation obligatoire.
Il pouvait, bien sûr, techniquement, utiliser son autorité absolue en tant que patriarche pour faire avancer le plan... mais les enfants sans instruction sur le territoire du Clan du Loup se comptaient par dizaines de milliers.
Veiller à ce qu’ils reçoivent tous une éducation serait une réforme à grande échelle et exigerait donc des sommes d’argent, du temps et de la main-d’œuvre proportionnellement considérables. Yuuto pouvait déjà imaginer l’échec qui l’attendait s’il essayait de faire avancer les choses tout seul.
« Même si un individu incroyablement talentueux investit la totalité de son énergie dans son travail, la préservation et l’amélioration des résultats de ce travail nécessitent la coopération d’un grand nombre d’autres personnes. Une nation ne peut garantir sa survie sans ce type de coopération. » C’était les paroles de Machiavel.
Contrairement à ce qui s’était passé deux ans auparavant, Yuuto était maintenant parfaitement au courant de l’importance de jeter les bases et d’établir un consensus avec la majorité.
Et Éphelia était parfaite pour cette tâche. Elle était la plus persévérante et travailleuse dans tout ce qu’elle faisait, en plus d’avoir déjà reçu une certaine éducation, et à en juger par le fait qu’elle savait déjà lire et écrire des lettres, elle était aussi intelligente. Il y avait fort à parier qu’elle obtiendrait de bons résultats.
Tant qu’elle n’avait pas d’ennuis.
« Par contre, est-ce qu’elle va devoir faire face à l’intimidation ? C’est ce qui m’inquiète le plus, » murmura Yuuto. En tant que personne qui connaissait la vie scolaire au Japon moderne, il était tout naturel pour lui d’avoir cette préoccupation.
« Je pense que tout ira bien à cet égard, Grand Frère, » déclara Félicia. « Aujourd’hui, tu as bien dû leur faire comprendre qu’elle est l’une de tes favorites. Et je crois qu’un bon nombre d’enfants doivent être impatients d’en savoir plus sur toi, alors je suis sûre qu’elle deviendra très populaire. »
« Oui, je l’espère, » murmura Yuuto à lui-même avec incertitude. Il craignait exactement le contraire : la possibilité que la connaissance de son favoritisme envers elle suscite l’envie chez les autres enfants, ce qui l’exposerait à une multitude de cruautés inconsidérées.
L’envie était une émotion qui défiait toute rationalité. Comprendre dans sa tête que c’était mal n’était pas suffisant pour empêcher son cœur de le sentir.
Les êtres humains ne vivaient pas leur vie en choisissant les émotions les plus agréables auxquelles s’accrocher, Yuuto ne le savait que trop bien maintenant.
Un rire amer lui échappa. « D’une certaine façon, nous avons été mis dans des situations similaires. »
Cette scène terrible d’il y a un an et demi était revenue du fond de son esprit : son frère aîné assermenté, rendu fou de jalousie, tentait de l’abattre avec une épée et tuait plutôt son prédécesseur, qui avait sauté devant lui pour le protéger.
En y repensant rétrospectivement, Loptr avait dû toujours considérer Yuuto comme quelqu’un « en dessous » de lui. Il n’y avait rien d’inhabituel à cela, en fait, c’était une compréhension parfaitement correcte des choses. Yuuto avait après tout été son frère subordonné.
Et comme l’avait montré Loptr, lorsqu’une personne qui voit quelqu’un d’autre comme « en dessous » d’elle trouve que ces positions étaient inversées, c’était dans la nature humaine de ressentir d’intenses sentiments d’irritation ou même de haine.
Il n’y aurait donc rien d’étrange s’il y avait des gens qui ne seraient pas capables d’accepter l’idée d’un esclave, quelqu’un qui était clairement en dessous d’eux, qui monte à leur niveau ou au-dessus dans la société. En fait, ce serait bien plus étrange s’il n’y avait pas de gens comme ça.
« Et, étant donné cela, devoir choisir quelqu’un pour servir d’exemple est l’un des aspects les plus difficiles quant au fait d’être le patriarche, » avec un sourire fatigué, Yuuto secoua la tête et soupira.
Le plus souvent, les décisions qu’il prenait en tant que patriarche étaient prises en conflit avec ses propres sentiments. Par exemple, il n’avait jamais pu s’habituer à l’impression quand il donnait à Sigrun l’ordre de charger au combat.
Malgré tout, c’était son devoir de renforcer son cœur et de prendre la bonne décision dans des moments comme celui-ci, car c’était lui qui était au sommet.
En tant que patriarche réfléchissant à l’avenir du Clan du Loup, il devait absolument faire tout ce qu’il fallait pour mettre en place l’éducation obligatoire. Et pour cela, il avait besoin de résultats préliminaires.
Il ne lui serait pas utile de se concentrer uniquement sur les démérites et les désavantages, car cela l’empêcherait d’aller de l’avant.
Éphelia avait une adorabilité naturelle pour elle, un peu comme un mignon petit animal. C’était l’une de ses qualités qui la rendait très appréciée par beaucoup de gens.
Il était donc beaucoup plus probable que Félicia ait raison, et les préoccupations de Yuuto étaient sans fondement. Éphelia pourrait très bien devenir populaire parmi les enfants, assez populaire pour écarter toutes les émotions négatives de ses pairs qui avaient acquis au cours du processus.
Dans de telles situations, il n’y avait rien d’autre à faire que de lancer les dés et de voir comment ils s’arrêteraient.
De plus, aller à l’école ouvrirait de grandes possibilités pour l’avenir d’Éphelia. Permettre à ses soucis d’écarter ces possibilités serait un terrible gâchis.
Un enfant choyé par la surprotection ne grandit pas. Il y avait un vieux dicton : « Le lion jette son petit dans un profond ravin. » Parfois, les dures épreuves étaient ce qui était le plus nécessaire pour quelqu’un. Et donc...
« Pour l’instant, il ne nous reste plus qu’à la surveiller, » déclara-t-il.
Ce que Yuuto pouvait faire pour Éphelia maintenant, c’était de lui faire confiance et de s’occuper d’elle à distance, afin que s’il devait un jour agir en son nom, il puisse lire les signes et lui venir rapidement en aide d’une manière appropriée.
Il s’était résolu que, quoi qu’il arrive, il assumerait cette responsabilité en tant que celui qui l’avait choisie pour ce processus.
Tandis que la jeune fille continuait à dormir, Yuuto caressa doucement sa tête. « Fais de ton mieux, Éphy. »
***
Partie 2
Le lendemain de l’inspection du vaxt par Yuuto, la situation devint soudainement beaucoup plus turbulente.
Il s’était remis de sa léthargie post-vacances et reprenait sa routine de travail habituelle dans son bureau. Mais alors deux voix l’appelèrent, l’une infiniment brillante et joyeuse et l’autre fraîche et calme.
« Salut, désolé de débarquer comme ça ! »
« Excuse-moi de te déranger au milieu de ton travail. »
Les voix étaient opposées dans leur attitude, mais identiques dans leur tonalité et leur timbre. Leurs propriétaires n’étaient autres que les jeunes jumelles symétriques et charmantes qui étaient ses filles nouvellement assermentées.
« Hm... Qu’est-ce qui se passe avec vous deux ? » demanda Yuuto.
« Eh bien, Père, le truc c’est que..., » Kristina plaça une main sur sa joue et sembla troublée. « Al voulait tellement te voir qu’elle pleurait et faisait une crise de colère. Il semble qu’elle ne pouvait tout simplement pas oublier cette nuit ardente et passionnée que vous avez partagée ensemble... »
« Attends, » s’était écrié Yuuto. « Ne commence pas une conversation en jetant des mensonges comme si ce n’était rien. »
« Non, je ne faisais pas une crise de colère ! » s’écria Albertina.
« C’est vraiment épuisant d’avoir une enfant aussi égoïste pour sœur, » déclara Kristina.
« Comme je l’ai dit, je ne faisais pas ça ! » cria Albertina.
« Oh ? Alors tu dis que tu ne veux pas voir Père ? Eh bien ! Quelle fille terriblement inconsidérée tu es, » déclara Kristina.
« H-huuuuh !? Non, c’est... non, bien sûr que je veux voir Père, mais je pensais qu’interrompre son travail serait..., » déclara Albertina.
« Et voilà, c’est ainsi. Alors, tu as eu envie de le voir. Ne dit pas des mensonges comme s’ils n’étaient rien, Al, » déclara Kristina
« Euh... Hmm..., » balbutia Albertina.
« Ne devrais-tu pas me remercier du fond du cœur, Al ? Ta chère sœur, ne pensant qu’à toi, s’est donné tant de mal pour préparer une raison valable pour que tu voies Père, » déclara Kristina.
« Uh huh huh, je sais ! J’ai vraiment de la chance d’avoir une sœur qui tient tant à moi ! » Albertina sourit joyeusement.
Yuuto s’était retrouvé à mettre une main sur son visage, pressant ses doigts sur les coins intérieurs de ses yeux.
Comme toujours, l’une des jumelles contrôlait l’autre selon ses caprices.
Certes, le bonheur était à certains égards une chose subjective. Si Albertina elle-même se considérait comme heureuse, il n’y avait pas grand-chose à dire à ce sujet. D’ailleurs, même si certains pourraient trouver cela insensible, il se préoccupait beaucoup plus d’autre chose.
« D’accord, Kris, et si tu me parlais de cette “bonne raison de me rencontrer” ? » demanda-t-il.
Bien que son apparence soit encore un peu enfantine, le Clan du Loup n’avait rien de plus talentueux que Kristina lorsqu’il s’agissait de recueillir de l’information. Et elle était extrêmement perspicace, elle aussi.
Si Kristina avait intentionnellement choisi d’éviter d’envoyer un rapport écrit et de venir livrer l’information en personne, alors ce seul fait atteste à quel point il doit être urgent et important.
« Hehe hehe, je n’en attendais pas moins, Père, » Kristina gloussa, et avec un petit sourire de satisfaction, elle avait sorti une seule feuille de papier.
Aussi étonnante qu’elle puisse être, il lui était bien sûr impossible d’opérer seule sur une zone étendue. Depuis l’époque où elle faisait partie du Clan de la Griffe, elle possédait un certain nombre d’espions protégés qui travaillaient sous ses ordres. Cette information avait dû lui parvenir par l’un d’eux.
« La capitale du Clan du Sabot, Nóatún, a été reprise par le clan nomade Miðgarðr, le Clan de la Panthère. »
« Le grand Clan du Sabot a été vaincu !? Et par le Clan de la Panthère, dis-tu !? » Félicia avait fait entendre sa voix en état de choc et sur la défensive.
« ... Hm, » en revanche, Yuuto était plus discret, ses yeux ne s’élargissant que légèrement.
C’était un peu surprenant pour lui aussi, bien sûr, mais ce n’était toujours pas quelque chose qui dépassait complètement ses attentes. « L’histoire se répète, » comme le dit l’adage. Pour n’importe quelle nation, la perte soudaine d’un dirigeant puissant et influent plongerait cette nation dans le chaos, et un déclin rapide suivrait bientôt.
Oda Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi, Takeda Shingen... Rien qu’en regardant la période Sengoku de l’histoire japonaise, le décès de dirigeants aussi puissants et charismatiques avait toujours été rapidement suivi par l’effondrement de leurs maisons dirigeantes.
Et en regardant l’histoire du monde, c’était un événement commun pour les royaumes établis basés sur l’agriculture d’être envahis et conquis par de puissantes tribus nomades.
Mais même si Yuuto connaissait le cours de l’histoire de cette manière — non, parce qu’il le connaissait — les mots suivants de Kristina lui faisaient douter de ses oreilles.
« Selon mon subordonné, le Clan de la Panthère a combattu comme une force de plusieurs milliers de cavaliers armée. Ils se déplaçaient à toute vitesse en tirant des flèches à pointe de fer, jetant le Clan du Sabot dans la panique, puis fonçaient à pleine vitesse, dispersant complètement les forces du Clan du Sabot, » déclara Kristina.
Yuuto s’était levé, faisant claquer sa chaise en même temps. « Impossible ! Ils n’ont pas pu ! C’est beaucoup trop tôt ! »
Il avait été visiblement secoué.
S’il n’y avait eu que du fer, c’était un peu plausible. Historiquement parlant, les Hittites avaient développé un processus de raffinement du fer dès le 15e siècle av. J.-C., bien que parce qu’ils l’avaient traité avec le plus grand secret, la connaissance ne s’était pas étendue aux pays voisins avant des centaines d’années. Il ne serait donc pas tout à fait étrange qu’à ce stade, l’un des clans d’Yggdrasil ait aussi réussi à découvrir comment affiner le fer.
Cependant, les Scythes auraient été l’une des premières cultures de l’histoire à maîtriser la guerre à cheval, et ce n’était que depuis les VIIIe et VIIe siècles av. J.-C.
C’était beaucoup trop loin dans le futur.
Sans étriers ni selles, l’équitation et le combat au sommet d’un cheval à dos nu exigeaient une technique d’un niveau absurde.
Pour le dire d’un point de vue pratique, le char était l’arme la plus puissante couramment utilisée sur les champs de bataille d’Yggdrasil à l’heure actuelle, et selon ce que Yuuto savait, l’origine de cette technologie remontait au XVIIIe siècle av. J.-C. avec la culture Andronovo.
Même parmi les clans nomades qui avaient été élevés pour être familiers avec l’équitation et l’utilisation de l’arc, à l’âge du bronze, ils n’avaient normalement pas essayé de se battre à cheval, mais ils avaient plutôt utilisé des chars.
Le développement progressif de la technologie et des techniques nécessaires à la généralisation du combat à cheval au sein d’un clan aurait dû prendre beaucoup, beaucoup plus de temps que cela.
Enfin, à moins qu’ils n’aient des étriers.
Mais cela ne faisait même pas deux ans que Yuuto avait introduit les étriers dans le Clan du Loup. Il y a seulement six mois, il avait réussi à déployer une unité de cavalerie montée dans des batailles réelles.
Même avec des technologies simples comme l’étrier, dans un monde sans téléphone ni Internet, la transmission des connaissances techniques entre les cultures avait un temps incroyable.
Par exemple, l’étrier avait existé en Chine au début du IVe siècle apr. J.-C., mais son utilisation n’avait pas été documentée dans la péninsule coréenne ou au Japon avant le Ve siècle. Il avait fallu plus de cent ans pour franchir cette distance.
De plus, le Clan du Loup et ce Clan de la Panthère n’étaient pas géographiquement proches l’un de l’autre.
La possibilité que la technologie ait été volée était pratiquement nulle...
Une fois que le train de pensée de Yuuto avait atteint ce point, une seule possibilité lui avait traversé l’esprit.
« Ce n’est pas possible... Grand Frère... ça pourrait ? » balbutia Yuuto.
Il se souvient du jeune homme qui avait été commandant en second du Clan du Loup, un Einherjar possédant la rune Alþiófr, bouffon des Mille Illusions, une rune dite pour lui permettre de voler toutes les techniques.
Loptr connaissait la méthode du four tatara, et il connaissait à la fois le design de l’étrier et son utilité potentielle.
Tout s’était parfaitement aligné.
« Oui, il n’y a pas de malentendu... c’est cet homme, » déclara Félicia, d’une voix qui semblait figée.
Bien qu’il ne faisait pas froid dans la pièce, Yuuto pouvait entendre ses dents claquer, et vit que son visage était devenu si pâle qu’elle avait l’air si mortelle qu’elle pouvait s’écrouler à tout moment.
Autant il s’inquiétait de son état physique, autant il était attiré par la certitude de ses paroles.
« ... Tu sais quoi, Félicia ? » demanda Yuuto.
« C’était peut-être il y a un demi-mois, » déclara-t-elle misérablement. « Un message est arrivé de cet homme, adressé à moi. »
« Quoi !? » s’écria Yuuto.
« Le message m’a demandé de quitter tes côtés et de venir à lui. Il a aussi dit qu’il était le patriarche du Clan de la Panthère, » déclara Félicia.
« Pourquoi... non, peu importe, » déclara Yuuto.
Pourquoi ne me l’as-tu pas dit ? Yuuto avait commencé à le demander, mais il avait réussi à s’arrêter. Il n’avait même pas besoin de le demander.
Félicia avait vu son propre frère aîné tenter de tuer Yuuto, pour ensuite tuer le patriarche précédent, qui l’avait protégé. Cette tragédie avait été une expérience traumatisante pour elle.
Félicia se comportait normalement bien, avec une attitude joyeuse et parfois enjouée, une sœur aînée fiable pour les autres. Mais à l’intérieur, elle était d’une fragilité inattendue, et facilement susceptible d’être submergée par l’anxiété.
Elle avait probablement voulu détourner les yeux de la situation. Miðgarðr était une terre lointaine, peu susceptible d’avoir affaire avec le Clan du Loup. Elle s’en serait convaincue, puis aurait évité d’y penser autant que possible.
« P-Pour avoir gardé le silence sur le sujet jusqu’à présent, j’accepte toute punition nécessaire, » bégaya Félicia. « Mais s’il te plaît, crois-moi. Je... Je jure ma loyauté envers toi et toi seul, Grand Frère Yuuto ! »
« Je le sais bien. Je n’ai aucune raison de te punir, » affirme Yuuto. « En fait, je suis fier que tu aies pu dire la vérité tout à l’heure. »
Il posa une main rassurante sur l’épaule de Félicia. Elle était son adjudante de confiance. Il ne voulait pas qu’elle se culpabilise pour cette affaire.
Le fait qu’elle ait gardé le silence jusqu’à présent n’était certainement pas quelque chose digne d’éloges, bien sûr. Et le Yuuto d’il y a deux ans se serait peut-être fâché et lui avait reproché sa « faiblesse ».
Mais le Yuuto d’aujourd’hui avait compris que les gens n’étaient pas des créatures qui pouvaient toujours être fortes.
Avec un grincement, Yuuto s’était assis et s’appuya contre sa chaise, regardant vers le haut dans un espace vide. « Je suis sûr que Grand Frère Loptr m’en veut encore... »
Le Loptr que Yuuto avait tant admiré était aussi humain et devait avoir ses propres faiblesses intérieures. Mais en tant que père de substitution de Félicia, frère aîné de Yuuto et pilier de la direction du Clan du Loup, il avait sûrement fait tout son possible pour ne jamais les montrer aux autres.
Sous son sourire joyeux, il s’était sûrement débattu avec son lot de doutes et d’inquiétudes. En ce sens, les deux frères et sœurs étaient semblables. Ils avaient tous les deux tendance à enfouir leurs sentiments négatifs au plus profonds d’eux-mêmes, pour ensuite provoquer un accès de colère à un moment donné.
Yuuto regrettait, voir se fâchait, il y a deux ans, envers son moi immature, le garçon qui avait pris quelqu’un avec cette faiblesse au pied de la lettre, en supposant simplement qu’il était parfaitement fort et l’avait idolâtré.
« C’est quand même impressionnant, » dit Yuuto. « En un an et demi, il s’est fait patriarche du Clan de la Panthère... Pour l’instant, feignons l’ignorance. Nous lui enverrons un message de félicitations pour sa conquête et un désir de relations amicales pour l’avenir. »
En conquérant Nóatún, le Clan de la Panthère possédait désormais un territoire adjacent au Clan de la Corne, qui était sous la protection du Clan du Loup.
Maintenant qu’ils étaient devenus voisins, il ne pouvait s’empêcher de traiter avec eux. Qu’on le veuille ou non, il y avait forcément des conflits d’intérêts entre les deux clans.
Il avait sincèrement souhaité qu’ils puissent trouver un moyen de coexister. Il ne voulait pas être entraîné en conflit avec le frère aîné assermenté qui s’était occupé de lui pendant si longtemps.
Et pour s’en assurer, le premier point à l’ordre du jour était...
« Hey, Kris et Al, » déclara-t-il.
« Excuse-moi, mais je trouve troublant que tu parles de nous ensemble comme si nous étions une sorte d’unité, » déclara Kristina avec indignation.
« Je suis sûr que tu comprends, mais rien de ce dont nous avons parlé ici ne quitte cette pièce, d’accord ? » déclara Yuuto.
« J’en suis pleinement consciente. Et je vais soigneusement conditionner Al, donc il n’y a pas de raison de s’inquiéter. »
« Conditionner !? » cria Albertina.
« Bien. Je compte sur toi, » déclara-t-il.
« Et il approuve ça !? » s’écria Albertina.
Yuuto était un peu désolé pour Albertina, mais comme la situation était ce qu’elle était, elle allait devoir y faire face.
Si, même par hasard, on apprenait que le patriarche du Clan de la Panthère était Loptr, ancien commandant en second du Clan du Loup, il y aurait un flot de voix appelant à la guerre contre le Clan de la Panthère.
Dans le monde d’Yggdrasil, tuer un parent était le plus grand tabou. L’homme qui avait commis ce crime odieux était maintenant assis sur le trône du patriarche dans un autre clan. Du point de vue du Clan du Loup, c’était impardonnable et impossible de se laisser faire.
Loptr lui-même ne voulait certainement pas faire savoir publiquement qu’il était un tueur qui avait assassiné son propre père assermenté. Mais, à en juger par le message qu’il avait envoyé à Félicia, il n’avait pas l’air de s’inquiéter si Félicia et Yuuto savaient pour lui. Peut-être avait-il compté sur la possibilité que Yuuto fasse semblant d’ignorer la véritable identité du patriarche du Clan de la Panthère.
Dans ce cas, tant que Yuuto se taisait, il pouvait enterrer la vérité.
Mais, même si la pensée brisa le cœur de Yuuto, il eut une prémonition, une prémonition qui ne lui paraissait que trop certaine, qu’il serait finalement incapable d’éviter le conflit.
« “Les deux faits suivants sont ceux que vous ne devez jamais tenir pour acquis,” » Yuuto avait cité un passage des Discours de Livy écrit par Machiavel pour lui-même. « “Premièrement, ne pensez pas que la patience et la générosité, aussi grandes soient-elles, suffiront à dissoudre l’inimitié d’une personne. Deuxièmement, ne pensez pas que rendre hommage ou aider suffira à transformer une relation hostile en une relation amicale.” »
Normalement, il se fiait aux paroles de Machiavel comme source de sagesse politique, mais aujourd’hui, elles lui semblaient inquiétantes, laissant présager un sombre avenir en perspective.
***
Partie 3
Cette nuit-là, seul dans ses quartiers, Yuuto glissa son doigt sur l’écran de son smartphone, faisant défiler les messages en toute hâte.
Yuuto était le patriarche, un souverain. Tous sentiments ou blocages mis à part, il avait le devoir juré de protéger la sécurité et la prospérité des gens sur le territoire de son clan. Tenir une branche d’olivier dans la main droite et une épée dans la main gauche était le principe le plus fondamental de la diplomatie internationale.
Il serait beaucoup trop dangereux d’être sans défense face à la menace venant de son nouveau voisin. Il devait trouver des contre-mesures appropriées.
Traiter des négociations diplomatiques entre deux nations ressemblait à une rencontre avec un yakuza.
Si un yakuza commençait par marcher et brandir un couteau ou un pistolet, toute personne normale céderait à cette menace et serait forcée d’accepter des conditions et des exigences déraisonnables. De la même manière, pour parvenir à des négociations pacifiques avec une nation militairement puissante, il fallait avoir un contrepoids équivalent à sa force militaire.
Par nécessité, Yuuto s’était familiarisé avec les stratégies de contre-infanterie et de contre-chariot, mais il avait supposé qu’il n’aurait jamais eu à affronter la cavalerie armée, et il était donc encore complètement ignorant quand il s’agissait de cela. Il utilisait donc frénétiquement Internet pour faire des recherches sur les stratégies anti-cavalerie. Cependant...
« Bon sang, c’est super de les utiliser, mais c’est l’enfer pour l’ennemi, » déclara Yuuto.
Plus il faisait de recherches, plus il constatait à quel point la cavalerie était puissante. Et puis il avait réalisé autre chose...
« Oh, merde. Pas plus que ça, et je ne pourrai pas parler... Hé, Mitsuki, es-tu là ? » Yuuto réfréna son envie de continuer à chercher, et composa le numéro de son amie d’enfance.
« Salut, Yuu-kun. Bonsoir. » Le simple fait d’entendre sa voix douce et familière effaçait la fatigue de la journée et soulageait son cœur.
Il aurait pu lui envoyer un texto disant qu’il ne pouvait pas l’appeler ce soir, et penser rationnellement à la situation. C’était ce qu’il aurait dû faire, mais quand même, il l’avait quand même appelée. Il voulait ce sentiment de réconfort.
Pour Yuuto, ses discussions informelles avec Mitsuki étaient la seule fois où il pouvait oublier son rôle de patriarche.
Pendant les périodes où il avait dû partir en voyage dans d’autres villes ou en campagne militaire, il avait pu sentir son cœur devenir de plus en plus bouleversé. Quelle que soit la situation politique, tant qu’il était encore à Iárnviðr, il ne pouvait supporter d’abandonner le temps qu’il passait avec elle.
« Hé, bonsoir à toi aussi, » déclara-t-il. « Qu’as-tu fait aujourd’hui ? »
« Rien de spécial. C’était juste une journée ennuyeuse et normale. Alors Yuu-kun, que t’est-il arrivé ? » demanda-t-elle.
« Hein ? » demanda Yuuto.
« Je vois que tu fais tout ce que tu peux pour avoir l’air heureux, tu sais ? » déclara Mitsuki.
« ... Bon sang, tu m’as percé à jour, » déclara Yuuto.
« On est ensemble depuis aussi longtemps qu’on s’en souvienne, » déclara Mitsuki.
« Je suppose que je ne peux rien te cacher, » déclara Yuuto.
« Non, tu ne peux pas. Par exemple, quand tu es revenu des sources chaudes, tu avais l’air suspect, mais je t’ai fait une faveur et j’ai fait semblant de ne pas le remarquer, » déclara Mitsuki.
« Uh... ah... uh... uh. » Un frisson avait couru le long de la colonne vertébrale de Yuuto. L’intuition de son amie d’enfance était tout à fait étrange.
Et, bien qu’elle parlait toujours sur le même ton, d’une certaine façon, il pouvait sentir un peu de colère dans sa voix.
Je vois. Je ne peux vraiment pas sous-estimer le fait qu’on est ensemble depuis toujours.
« Eh bien, disons que je t’en demanderais plus à ce sujet si mon “compteur de colère” était au maximum un jour, » avait-elle ajouté.
« Euh... ha ha ha ha ha..., » Yuuto s’était étouffé d’un rire sec, et s’était juré intérieurement qu’il ferait de son mieux pour ne pas remplir cette jauge.
« Alors, je vais demander au patriarche Yuu-kun : Pops, quel genre de problème as-tu ? Je ne pourrai peut-être pas le résoudre pour toi, mais je vais au moins t’écouter, d’accord ? » déclara Mitsuki.
« Merci..., » murmura-t-il.
Yuuto avait été salué comme une race rare de héros qui avait fait du Clan du Loup l’une des nations les plus fortes de la région. Mais avant tout cela, il n’était qu’un étudiant qui avait grandi dans un Japon pacifique.
Il y avait des moments où il avait besoin de pleurnicher et de se plaindre un peu à quelqu’un. Mais en tant que patriarche, il ne pouvait pas demander à ses subordonnés de jouer ce rôle.
Pour Yuuto, l’existence de son amie d’enfance était une source de salut pour lui dans ce monde.
« OK, donc le truc c’est que..., » commença Yuuto.
Yuuto avait tout raconté à Mitsuki sur la situation actuelle du Clan du Loup.
Il lui avait raconté comment le Clan de la Panthère était apparu et avait pris le contrôle du Clan du Sabot.
Il lui avait raconté que l’armée du Clan de la Panthère était une force composée de cavalerie.
Et il lui raconta comment le patriarche du Clan de la Panthère était Loptr, l’homme qui s’était occupé de lui comme son frère aîné assermenté.
Une fois qu’elle avait tout entendu, Mitsuki lui avait parlé avec inquiétude dans sa voix. « Yuu-kun... Est-ce que ça va ? »
En entendant cela, Yuuto commença à regretter de tout lui avoir dit. Même s’il avait essayé de le lui cacher, si la guerre devait éclater, elle l’aurait quand même découvert.
En fait, même si les choses n’allaient pas aussi loin que la guerre, la tension incertaine avec le Clan de la Panthère affecterait Yuuto à l’avenir, et son amie d’enfance serait certainement capable de reprendre le dessus.
Elle lui avait déjà dit qu’elle voulait qu’il lui fasse toujours part de ce genre de choses. Parce que s’il disparaissait sans prévenir, son cœur ne pourrait pas le supporter.
Il causait toujours des ennuis à Mitsuki, et il voulait honorer ses souhaits à cet égard.
« Eh bien, je trouverai une sorte de contre-stratégie, » déclara Yuuto. « Mais je n’ai pas beaucoup de temps, donc à partir de demain, je pense que je ne pourrai plus te parler autant. Je suis désolé. »
« Non, eh bien, j’étais inquiète pour ça aussi. Mais ce n’est pas ça. Yuu-kun, ça va aller avec... Loptr ? » demanda Mitsuki.
« ..., » Yuuto n’avait pas trouvé de mots pour répondre.
Il était tellement préoccupé par la façon de contrer la cavalerie qu’il n’avait pas vraiment pensé à cet aspect de la situation. Non... peut-être inconsciemment, il avait évité d’y penser.
Sa bouche s’assécha soudain, Yuuto avala et leva les yeux vers le plafond, puis il parla, plus à lui-même qu’à Mitsuki.
« Je suis le patriarche du Clan du Loup. Si le moment est venu, peu importe que je le veuille ou non. Je vais devoir me battre, » déclara Yuuto.
***
« Je te respecte beaucoup, Grand Frère, mais quand même, je ne peux pas accepter ça ! » La langue de Linéa était respectueuse, mais son indignation avait mis un ton sauvage dans chaque mot.
Le lendemain du rapport de Kristina sur la chute de Nóatún, Linéa s’apprêtait à retourner dans son clan en réponse à l’évolution de la situation politique lorsque Yuuto l’avait approchée pour lui donner des instructions sur leurs stratégies pour l’avenir.
Et c’était sa réponse.
« “Cache-toi derrière les murs de la ville, et quoi qu’il arrive, ne lance pas d’attaques”, dis-tu ? Comment vais-je pouvoir protéger mon peuple ? L’ennemi a donc les coudées franches pour tout détruire comme il l’entend à l’extérieur des murs ! » s’écria Linéa.
« Calme-toi une minute, Linéa, » déclara Yuuto.
« Comment puis-je être calme ? Je n’arrive pas à croire que tu rabaisses autant mes soldats ! » C’était probablement la première fois que Linéa était aussi ouvertement en colère contre Yuuto depuis qu’elle avait échangé le serment de son Calice frère et cessé d’être ses ennemis mutuels.
Linéa tenait certainement en haute estime les conseils de son frère aîné assermenté bien-aimé, mais vu l’importance qu’elle accordait aux habitants de son pays natal, elle ne pouvait pas accepter facilement ce qu’il lui disait de faire.
Cependant, Yuuto ne pouvait pas non plus reculer dans cette situation.
« Je ne méprise ni ton clan ni tes combattants. Je donnerais les mêmes ordres à mes hommes. Ce n’est pas un adversaire que tu peux battre dans un combat direct ! » Yuuto avait saisi les bras de Linéa, élevant désespérément la voix pour dire les choses en des termes très clairs.
En lisant son ton frénétique et son langage corporel, Linéa avait finalement semblé comprendre à quel point une cavalerie armée menaçante était terrifiante. « ... Grand Frère, sont-ils vraiment si forts que ça ? »
Du point de vue de Linéa, Yuuto était un grand général dont la stratégie avait complètement vaincu le grand héros du Clan du Sabot, Yngvi, ainsi que le Tigre Affamé du Clan de la Foudre, Steinþórr. Il était comme un dieu de la guerre.
Et quelqu’un comme lui disait de ne pas se battre, que la défense était leur seule option...
Avant de s’en rendre compte, Linéa avait dégluti nerveusement avec un son bien audible.
« Oui, ils sont aussi forts que ça, » déclara Yuuto. « Une bande massive de cavaliers est le pire ennemi auquel on puisse faire face. »
Yuuto avait pris une longue respiration, puis soupira profondément, son expression tendue et sévère.
Retraçant les fils de l’histoire du monde oriental, la confédération des tribus nomades à cheval connues sous le nom de Xiongnu avait été assez puissante comme nation pour vaincre la dynastie agricole Han de Chine sous le règne de l’empereur Gaozu (Liu Bang) en 200 avant Jésus Christ. Pendant des décennies après, avant le règne de l’empereur Wu, les Xiongnu avaient reçu des tribus des Han chinois et traité la région comme un État vassal.
Si l’on regarde l’Occident, au IVe siècle apr. J.-C., c’est encore une fois la menace d’invasion par une nation nomade équestre, les Huns, qui avait contribué au grand bouleversement des peuples germaniques en Europe, connu sous le nom de période de migration.
Et puis il y avait l’Empire mongol, qui avait conquis le plus grand nombre de territoires de tous les empires de l’histoire.
Et encore une fois en Chine, pendant la dynastie des Song du Nord, il y avait eu un incident au cours duquel seulement 17 cavaliers armés de la nation Jurchen avaient mis en déroute 2 000 fantassins Song, des chiffres qui, à première vue, semblaient une sorte de blague.
« C’est pour ça que c’est si important, d’accord ? » Yuuto avait saisi les épaules de Linéa et, se penchant vers elle, répéta son avertissement pour faire bonne mesure. Son visage était plus sérieux que jamais. « Si le Clan de la Panthère t’attaque, concentre-toi sur la défense ! »
***
Partie 4
Après avoir vu Linéa partir, Yuuto revenait par les portes. Une horrible puanteur l’avait forcé à se boucher le nez.
« Cette odeur est plus horrible que jamais, » déclara Yuuto.
À côté de lui, Félicia grimaça aussi bien qu’elle avait jeté un coup d’œil vers la source de l’odeur. Il reposait sur quatre pattes, beaucoup plus hautes qu’un cheval, avec des bosses sur le dos qui étaient peut-être son attribut unique le plus célèbre.
C’était un chameau.
Puisqu’ils pouvaient voyager pendant des jours sans manger ni boire, ils étaient parfaitement adaptés pour voyager dans des terres arides avec peu de sources d’eau, et ils pouvaient porter une charge plus lourde que le cheval moyen. Bon nombre des commerçants qui étaient venus à Iárnviðr en avaient utilisé un.
Cependant, l’odeur nauséabonde de leur corps était l’un de leurs inconvénients. Et si vous n’approchiez pas correctement un chameau, il vous menacerait en vous crachant dessus, car il puait tellement qu’il pourrait être vraiment dégoûté pendant un moment.
Dans le passé, Yuuto s’était rapproché de l’un d’eux par curiosité et avait connu un sort terrible. Depuis lors, il s’était fait un point d’honneur de ne pas s’approcher trop près des chameaux.
Cependant, alors que son regard se posait sur le visage familier de l’homme qui discutait amicalement avec le propriétaire du chameau, Yuuto courut rapidement vers lui et l’appela d’une voix théâtrale et amicale. « Bien, bien, bien, si ce n’est pas mon nouveau fils prometteur, comment allez-vous, mon garçon ? »
« Voyons. S’il vous plaît, arrêtez ça, Père. » L’homme — Ginnar — grimaça, l’air aussi mal à l’aise que possible.
Yuuto avait failli éclater de rire à ce moment-là, mais il avait réussi à tenir le coup et avait continué à prendre un air sérieux pendant qu’il parlait. « Non non non, vous ne devez pas être si humble. Le marché du Clan du Loup est aussi prospère qu’il l’est aujourd’hui grâce à vos efforts. Je suis un père si chanceux quant au fait d’avoir un fils si magnifique que vous ! »
Yuuto croisa les bras et hocha la tête pour mettre l’accent sur ça.
Juste avant de partir en vacances, Yuuto avait reconnu les réalisations de Ginnar dans la mise en œuvre de l’utilisation de la monnaie, et avait échangé le Serment du Calice avec lui directement. Ginnar n’était entré dans le clan que six mois auparavant, donc c’était un rythme inhabituellement rapide pour une promotion aussi élevée.
Ginnar avait fait habituer sur le marché l’utilisation des pièces de monnaie comme monnaie sans presque aucun problème ou confusion, et ce n’était certainement pas une réalisation légère. Mais c’était Yuuto et les officiers de haut rang du Clan du Loup qui avaient eu l’idée en premier lieu et y avaient travaillé jusqu’à sa mise en œuvre, et vu le temps écoulé après le recrutement formel de Ginnar, cet exploit n’était toujours pas vraiment suffisant pour lui permettre de devenir le subordonné direct de Yuuto.
En vérité, certains officiers s’étaient opposé à ce que Yuuto échange directement le Serment du Calice avec lui pour cette même raison. Yuuto leur avait alors expliqué que la raison en était qu’il avait un objectif spécifique en tête, qu’il s’agissait d’un cas particulier. Il les avait donc persuadés d’oublier la tradition cette fois.
Quant à cet objectif...
L’autre marchand avait immédiatement repéré une occasion d’affaires et s’était rapidement lancé dans des présentations cordiales, se vendant du mieux qu’il le pouvait. « Ohhhh ! Alors, vous devez être le célèbre Patriarche Yuuto du Clan du Loup ! C’est un plaisir de faire votre connaissance. Je suis un humble commerçant, originaire des terres du Clan de l’Épée — . »
Yuuto pouvait voir les arrière-pensées de l’homme aussi facilement que le jour, mais il continua à converser avec le marchand et Ginnar sans rien dire.
C’était un monde sans téléphone ni Internet, donc il était très difficile d’obtenir des informations des pays étrangers. Les marchands itinérants qui se déplaçaient de ville en ville étaient une source importante et précieuse d’informations.
« Pourtant, je n’en attendais pas moins de vous, Ginnar, » déclara Yuuto. « Un grand professeur que je respecte a écrit un jour : “La meilleure, et la plus facile méthode pour estimer la valeur d’un homme est de regarder avec quel type d’hommes il s’associe,” et vous avez établi d’excellentes relations personnelles. »
« Hahaha, haha, Seigneur Yuuto, vous êtes un expert en flatterie ! » s’écria le marchand de chameaux.
Yuuto secoua la tête, non, délibérément et avec insistance, provoquant un autre rire de l’homme.
« Non, je suis sincère, » déclara-t-il. « Et vous avez l’air d’être le genre d’homme que l’on aime bien et que l’on connaît bien. En ce moment, le Clan du Loup est à la recherche de bonnes personnes. S’ils sont talentueux, je les accueillerai à bras ouverts, comme je l’ai fait avec Ginnar ici présent. Peu importe la profession. Si vous connaissez de bonnes personnes qui pourraient faire l’affaire, j’aimerais bien que vous me le fassiez savoir. »
« Seriez-vous aussi prêt à accepter quelqu’un comme moi ? » demanda le marchand de chameaux en tentant sa chance.
« Mais, bien sûr. Nous vous souhaitons la bienvenue, » déclara Yuuto.
« Vraiment !? Ahh, ça valait vraiment le coup de faire le grand saut et de vous demander. Eh bien, après avoir apporté ces produits verriers à Glaðsheimr, je reviendrai tout de suite ici ! » déclara l’autre.
« Et je vous attendrai. J’espère que vous suivrez les traces de Ginnar. » Yuuto échangea une poignée de main passionnée avec le marchand.
« Père, euh..., » Ginnar faisait un visage troublé, et jetait un regard significatif vers la direction du palais.
Yuuto s’en était rendu compte et avait hoché la tête. « Eh bien, avec ça, je dois y aller. Bon voyage à vous ! »
« Ohh, merci beaucoup, Seigneur Yuuto. Puissiez-vous toujours être en bonne santé ! » déclara l’autre.
Avec ces adieux, le groupe de Yuuto entra dans la ville.
Après quelques instants de marche, Yuuto jeta un coup d’œil autour de lui pour s’assurer qu’il n’y avait personne d’autre que Félicia à proximité, puis interrogea Ginnar.
« Alors, de quoi vouliez-vous parler, ô sage et grand fils ? » Il n’avait pas pu résister au langage dramatique, les coins de sa bouche se tordant dans un sourire espiègle.
« Arrêtez ça, Père ! Quand vous me mettez sur un piédestal comme ça, je me sens si mal à l’aise et pas à ma place ! Je n’en peux plus ! » s’exclama Ginnar.
« Haha hahaha ! C’est un petit avant-goût de ce que c’est tout le temps pour moi. Tu dois apprendre à le supporter, Ginnar, » déclara Yuuto.
« Je n’arrive pas à croire le rôle pénible que vous m’avez imposé, Père, » soupira Ginnar, avec ses épaules tombant.
Il était écrit sur le visage de Ginnar à quel point il était mal à l’aise avec toute cette affaire, et Yuuto était un peu désolé pour lui, mais ils ne pouvaient pas se permettre de se retirer maintenant.
Yuuto posa une main sur l’épaule de Ginnar pour tenter de le consoler. « Mais grâce à toi, nous avons déjà beaucoup de gens qui font la queue pour travailler pour nous. »
« Mais je n’ai rien fait. C’était votre idée, Père, » déclara Ginnar.
En effet, le jeu d’acteur qui s’était joué quelques instants plus tôt faisait partie du plan de Yuuto pour résoudre la pénurie de personnel du Clan du Loup.
Il y avait un vieux proverbe japonais : « Kai yori hajimeyo », ou en français, « Commencez par ce qui est porté de main ».
En japonais d’aujourd’hui, l’adage voulait normalement dire que la première personne qui suggérait une idée ou une tâche devait être la première à s’y atteler. Cependant, les origines de l’expression remontent en fait à la période des États belligérants de la Chine.
Le roi Zhao de Yan, l’un des sept royaumes en guerre à l’époque, savait qu’il avait besoin de recruter plus de gens talentueux pour renforcer la puissance et la prospérité de son royaume, et il avait donc demandé au savant Guo Kai comment il pourrait attirer des gens de talent pour servir comme ses fonctionnaires.
Réponse de Guo Kai : « Si mon roi veut inviter des sages à son service, commencez par cet humble Kai. Si vous faites cela, les hommes beaucoup plus sages que moi se demanderont tous pourquoi. Et ils viendront à vous de près, mais aussi depuis mille lieues. Ils viendront tous pour être vos fonctionnaires. »
Voyant que ce raisonnement était valable, le roi Zhao avait construit un palais spécial pour Guo Kai et l’avait appelé « maître », c’est du moins ce que dit l’histoire.
Dans les années qui suivirent, certains des plus grands généraux de l’époque, tels que Yue Yi et Zou Yan, passèrent d’ autres royaumes au royaume de Yan, et avec leur force, le roi Zhao amena le royaume de Yan à la hauteur de sa prospérité.
Utilisant cette anecdote historique comme exemple, Yuuto avait copié l’événement avec Ginnar. Il avait veillé à ce que ses autres enfants subordonnés ne deviennent pas jaloux ou ne le voient pas comme un favori.
À Yggdrasil, les commerçants avaient beaucoup contribué au relais et à la diffusion des informations. La conversation de Yuuto avec le marchand avait été une excellente occasion d’utiliser l’homme pour répandre des rumeurs dans les environs.
Yuuto avait déjà eu des conversations similaires avec plusieurs autres marchands ambulants.
Et cet effort en valait la peine, à peine deux semaines après son lancement, le nombre de nouveaux candidats aux postes de bureaucrates du Clan du Loup avait considérablement augmenté.
***
Partie 5
Sigrun tenait son nihontou non gainé devant la lumière et poussa un soupir incroyablement lourd.
C’était une guerrière courageuse et belle, même louée par certains autres soldats comme la « déesse de la bataille » pour son allure fracassante, mais maintenant elle était effondrée et son air semblait beaucoup moins glacé et puissant. C’était plus éphémère, voire fragile.
Ingrid, maître de la forge, posa les mains sur ses hanches et fronça les sourcils, clairement mécontente. « C’est l’un de mes meilleurs travaux sur quoi tu soupires. De quoi es-tu insatisfaite ? »
Pour Ingrid, les armes qu’elle avait créées étaient comme ses propres enfants. Et cette épée en particulier était l’une de ses meilleures, un chef-d’œuvre dont elle avait une confiance absolue en la qualité. Pour elle, le soupir de Sigrun chaque fois qu’elle regardait la lame n’était rien moins qu’insultant.
« Ah, eh bien, je n’ai aucun problème avec la qualité, » déclara Sigrun. « C’est vraiment génial. Je t’en remercie. »
« Pour quelqu’un qui me remercie, tu n’as pas l’air satisfaite du tout, » répliqua Ingrid.
« Ah, eh bien, c’est juste que... tu as forgé celui-là, non ? Avec tes apprentis là-bas, » déclara Sigrun.
« Oui, je l’ai fait. Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda Ingrid.
Sigrun soupira de nouveau.
« Cherches-tu la bagarre avec moi ? Je m’en fous que tu sois le Mánagarmr ou la déesse terrifiante, je suis prête à y aller, ici et maintenant ! » Une veine avait jailli sur le front d’Ingrid, et elle avait commencé à retrousser ses manches. Elle n’avait pas l’air de se soucier du fait que l’autre partie tenait une épée.
Ingrid avait sa fierté d’artisan en jeu, et elle n’était pas une personne très calme et patiente dès le départ. Il semblait qu’elle avait atteint les limites de son tempérament.
En revanche, Sigrun était la plus agitée. « Ah... e-euh... Je suis désolée. Je ne voulais pas dire grand-chose. »
« Je m’en fous que tu veuilles dire quelque chose ou pas ! Je ne te laisserai pas sortir de cet atelier tant que tu ne m’auras pas dit à quoi servent ces soupirs ! Et si la réponse n’est pas acceptable, je ne te fabriquerai plus jamais d’armes ! » cria Ingrid.
« A-Attends ! Ce serait un problème ! » Même la voix de Sigrun s’était fait entendre comme un cri de panique face à cette menace.
L’arme d’un guerrier était l’objet auquel on confiait sa vie. La confiance accordée par les armes forgées par Ingrid, le plus grand forgeron du Clan du Loup, était tout à fait différente de celle de n’importe qui d’autre. Et sur le champ de bataille, cette différence de fiabilité pourrait séparer ceux qui avaient survécu de ceux qui étaient morts. Pour Sigrun, c’était littéralement devenu une question de vie ou de mort.
« C’est si la réponse n’est pas acceptable, » s’écria Ingrid. « Si c’est quelque chose dont tu as le droit de te plaindre, je te pardonnerai. Je le reforgerai même gratuitement et réparerai tout ce qui ne va pas, d’accord ? »
« Ngh... D-D’accord, j’ai compris. Je vais te le dire. M-Mais, peux-tu juste demander à tes apprentis de nous laisser tranquilles d’abord ? » demanda Sigrun.
« Excuse-moi !? Tu crois que j’accepterai le genre de raison que tu ne peux même pas dire devant tout le monde ici ? Je comprends que tu risques ta vie sur le front, mais nous savons tous ici que nous sommes responsables des armes qui protègent la vie de nos soldats, et nous y mettons tout notre cœur et toute notre âme ! Ne pense pas que tu peux t’en tirer en manquant de respect à mes hommes ! » cria Ingrid.
Un collectif « Ohhhhh » était né de l’admiration des apprentis d’Ingrid pour son courage. Lorsqu’il s’agissait d’artisanat, elle avait la ferme volonté et refusait de se plier ou de faire des compromis avec qui que ce soit, peu importe qui ils étaient. Elle était vraiment l’incarnation même d’un maître artisan.
Le discours passionné d’Ingrid était assez intense pour que Sigrun prenne un peu de recul, mais elle semblait alors s’énerver. Elle avait dégluti une fois, puis avait parlé d’une petite voix chuchotée, en plaçant timidement ses deux index ensemble.
« C’est juste que, euh, Père n’a pas fait celui-ci lui-même..., » murmura Sigrun.
« Plus fort ! » s’écria Ingrid.
Sigrun était alors passée d’un murmure à un véritable cri. « Si possible, je voulais que Père soit celui qui fasse mon épée ! »
Une fois qu’elle avait dit les mots, son visage était devenu rouge vif et elle avait regardé par terre, mais elle ne pouvait pas revenir en arrière maintenant. Elle continua doucement.
« B-Bien sûr, je sais que Père est très occupé en ce moment. Et je sais que cette épée est encore meilleure que celle que j’avais avant. Mais ce sentiment, comme si Père se battait à mes côtés, ce sentiment de sécurité et d’excitation... Je me demandais juste si je ne le sentirais plus jamais. Et quand j’y ai pensé, eh bien..., » expliqua Sigrun.
Le visage de Sigrun s’abaissa, et avec un regard contenant une terrible solitude, elle serra fortement la poignée de l’épée qu’elle tenait.
L’épée qu’elle avait utilisée jusqu’à récemment avait été forgée par Yuuto et Ingrid ensemble, mais pendant la bataille contre le Clan de la Foudre, Steinþórr l’avait arrachée de ses mains. Après ça, elle avait été emportée par les eaux déchaînées vers un endroit inconnu.
Les guerriers étaient un groupe superstitieux, et Sigrun ne faisait pas exception.
Pour elle, cette épée avait été le porte-bonheur qui lui avait sauvé la vie pendant les combats avec Yngvi et Steinþórr. Même lorsqu’elle avait combattu et vaincu le héros du Clan de la Griffe Mundilfäri, l’épée avait été différente, mais elle avait été forgée par Yuuto.
Sigrun croyait vraiment que c’était grâce à la protection de Yuuto, canalisée par son épée, qu’elle vivait encore.
Bien qu’elle semblait toujours calme et imperturbable, elle n’était encore qu’une adolescente. Elle avait perdu la source de la force sur laquelle son cœur comptait au combat, et maintenant elle ressentait une étrange incertitude qu’elle ne pouvait décrire.
À la recherche de mots, Ingrid se gratta la nuque. « Ah... uhhhh... »
Si Ingrid avait été un homme, elle se serait peut-être fâchée encore plus contre Sigrun en criant : « Tu es un guerrier ! Comment peux-tu déverser de telles conneries avec une si faible volonté !? » et la réprimander.
Mais bien que certains de ses maniérismes plus masculins aient été ce qui ressortait, en dessous de tout cela, Ingrid était la fille avec beaucoup plus de sensibilité féminine que beaucoup d’autres subordonnés de Yuuto. Elle comprenait les sentiments de Sigrun, et douloureusement. Elle comprenait trop bien, ce qui rendait la situation beaucoup trop embarrassante.
Tandis qu’Ingrid se tenait là, ne sachant plus quoi répondre, un autre visiteur arriva.
« Yo, Ingrid. Il y a une petite faveur que je voulais te demander..., » déclara le nouveau venu.
« P-Père !? » Sigrun avait visiblement paniqué quand le sujet de sa confession était entré dans la pièce.
Elle avait toujours jugé sa valeur personnelle par son utilisation sur le champ de bataille, et elle s’était désignée comme « l’épée de Yuuto ». Elle ne voulait pas qu’il l’entende exprimer sa faiblesse ou ses doutes.
« Oh, Sigrun, tu es aussi là ? » demanda Yuuto. « C’est parfait. J’ai reçu ça de Ginnar il y a un instant... »
Yuuto bougea le menton vers un long et mince sac en tissu que Félicia tenait. Félicia hocha la tête en signe de reconnaissance et ouvrit le sac.
« Oh... ohhhh ! » Sigrun avait aperçu le contenu du sac, et ses yeux s’ouvrirent avec étonnement.
Puis elle avait arraché avec force le sac des mains de Félicia, la surprenant.
« Argh ! Attends — Run, c’est bien trop violent ! » s’écria Félicia.
Félicia se gonfla les joues avec indignation et protesta contre un traitement aussi grossier, mais Sigrun n’en entendit pas un mot. Elle serrait le sac contre elle doucement, avec amour, comme si c’était son enfant perdu depuis longtemps, et se frottait la joue contre la poignée abîmée pendant que de grosses larmes tombaient de ses yeux.
Sigrun était une guerrière. Même si l’usure pouvait la changer, il n’y avait aucune chance qu’elle ne reconnaisse pas sa propre poignée d’épée.
« La poignée est en très mauvais état, mais la lame elle-même est toujours dans un bon état, » déclara Yuuto. « Tu peux demander à Ingrid de la réparer... Je ne pense pas qu’elle écoute. »
« Cela semble être le cas, » déclara Félicia en soupirant. Mais son expression exaspérée fut vite remplacée par un sourire gentil et affectueux. « Tee hee... eh bien, je suis contente pour toi, Run. »
***
Partie 6
De l’autre côté de la chaîne de montagnes septentrionale du bassin de Bifröst se trouvait la région de Miðgarðr, une région aride où la pluie tombait rarement. La majeure partie des terres de Miðgarðr était couverte soit par le désert, soit par les steppes, vastes plaines d’herbes courtes et presque sans arbres.
Il n’y avait pas beaucoup de lacs ou de rivières, et avec si peu de sources d’eau, la terre n’était pas adaptée à l’agriculture.
À cause de cela, les gens qui vivaient dans cette région vivaient principalement de l’élevage du bétail. Afin de s’assurer que leurs animaux ne mangent pas trop et n’épuisent pas les prairies, ils n’étaient jamais restés au même endroit, voyageant plutôt d’un bout à l’autre du pays selon un cycle régulier.
Dans les civilisations de Miðgarðr, on enseignait que les gens vivaient de deux types d’aliments : la « nourriture rouge » et la « nourriture blanche ». La nourriture rouge était de la viande, et les aliments blancs étaient faits de lait.
« Hehe... il semble que les saveurs plus familières conviennent le mieux à mes goûts, » Hveðrungr avait pris une bouchée de son pain et une gorgée de son vin, puis il acquiesça de la tête.
Ces deux articles étaient difficiles à trouver à Miðgarðr. Et dans le passé, c’était deux choses auxquelles il avait facilement accès tous les jours. Alors qu’il commençait à sourire un peu à la nostalgie de tout ça...
Une douleur sourde s’était fait sentir sur son front, et Hveðrungr grimaçait en serrant les dents. « Nkh... ! »
C’était la blessure que lui avait faite le guerrier du Clan de la Griffe Mundilfäri, à l’époque où il se faisait encore appeler Loptr.
Chaque fois que cette vieille blessure commençait à lui faire mal, ses souvenirs les plus détestés remontaient à la surface des profondeurs de son esprit. Cela s’était produit au cours de cette même bataille, celle au cours de laquelle il avait reçu ladite blessure. C’est à ce moment-là que ce maudit petit avait pris sa place.
« “Informez Hveðrungr, patriarche du Clan de la Panthère”. » Hveðrungr cracha ses mots avec dégoût en se rappelant le message qui lui avait été livré. « “Je suis Yuuto, patriarche du Clan du Loup”. Alors, c’est comme ça. Tu as beaucoup de culot de t’asseoir là et de te dire patriarche après m’avoir trompé, moi, ton frère aîné, et après avoir tué Père en te servant de lui comme bouclier. Tu n’as pas le droit de t’appeler comme ça, enfoiré ! »
Même aujourd’hui, il pouvait encore sentir la sensation persistante dans ses mains, de trancher la chair et l’os de son père assermenté, ainsi que de lui ôter la vie.
Pendant l’année écoulée, chaque fois qu’il dormait, il voyait ce moment se répéter dans ses rêves, et cela lui avait rongé le cœur.
Les humains étaient des créatures énigmatiques qui, pour préserver leur propre esprit, étaient parfois même capables d’altérer leur propre mémoire et de l’interpréter de la manière qui convient le mieux à leurs propres sentiments.
« Je suis tombé dans le piège du plan diabolique que cet enfant pourri avait mis en place, et je me suis retrouvé piégé à tuer mon propre père bien-aimé. »
À un moment donné, cette interprétation des choses était devenue la seule et unique vérité de Hveðrungr.
« Mais quand je pense qu’il s’abaisserait même à faire quelque chose d’aussi sournois que de faire faire un tel message à ma petite sœur bien-aimée Félicia. Attends-moi, Félicia ! Je viendrai te sauver bientôt ! »
Alors que Hveðrungr avait dit ça, il avait froissé dans son poing le deuxième message qu’il avait reçu du Clan du Loup, une lettre en papier.
Il était écrit que le seul frère aîné que Félicia suivait était Yuuto, et personne d’autre.
La petite sœur de Hveðrungr était une bonne fille qui s’occupait de son frère aîné. Elle était sa seule famille de chair et de sang au monde. Il n’y avait aucune chance, aucune possibilité qu’elle le rejette comme ça. Par conséquent, Hveðrungr n’avait pu que conclure que cette lettre était complètement fausse. Et si la lettre était fausse, sa petite sœur devait déjà être prisonnière de cet usurpateur trompeur.
Sa vieille blessure avait palpité, et une autre poussée de douleur sourde avait traversé son front.
Cette blessure avait été gravée dans sa chair par le manieur de la rune Alsviðr, le Cheval qui Répond à son Cavalier. C’était peut-être pour cela que chaque fois qu’il avait mal, il entendait une voix qui lui murmurait : « Satisfais tes désirs », de quelque part au fond de son cœur.
Des pulsions noires et compulsives se répandaient en lui, et il ne pouvait plus maîtriser ses émotions. Mais il sentait aussi une incroyable puissance se répandre dans tout son corps.
Hveðrungr abandonna son chœur à cette voix intérieure, et un sourire affamé se répandit sur son visage alors qu’il léchait ses lèvres d’une manière semblable à une bête carnivore.
« Je te ferai tout me donner, Yuuto. Tout ce que tu m’as pris. Tout, » cria-t-il.
***
Myrkviðr était une ville fortifiée située à l’extrémité ouest du territoire du Clan de la Corne. Il était situé assez près de la chaîne de montagnes de Himinbjörg, et avait une longue histoire de prospérité en tant que centre du commerce du bois.
La ville proprement dite avait été construite sur une île entre les bras de la rivière Örmt, limitant les points d’approche et fournissant une défense naturelle contre l’invasion par des clans étrangers.
Lorsque l’ancien chef du Clan du Sabot, Yngvi, avait lancé son invasion du Clan de la Corne, il avait aussi apparemment trouvé trop difficile de conquérir cette ville, choisissant plutôt de faire le tour de Fólkvangr et d’avancer vers le sud par des terres plus dégagées.
L’homme chargé de gouverner Myrkviðr s’appelait Gunnar. Il était connu comme un commandant talentueux au sein du Clan de la Corne, avec une série de réalisations militaires remontant à l’époque du précédent patriarche du Clan de la Corne, Hrungnir.
Et en ce moment, son plus gros problème était la tribu d’envahisseurs qui avait commencé à attaquer par l’ouest il y a dix jours.
« Détestables barbares, » Gunnar grogna avec un air renfrogné.
Selon les rapports, ils étaient tous arrivés à cheval, vêtus de l’habit caractéristique des nomades de la région de Miðgarðr. Ils avaient immédiatement commencé à attaquer les villages et les villes entourant Myrkviðr, tuant les hommes et enlevant les femmes, volant la nourriture, et mettant le feu à tout ce qui restait dans une manifestation de violence scandaleuse et gratuite.
Les bruits forts et aigus commencèrent à se faire entendre.
« Alors, ils sont revenus. Qu’ils aillent au diable..., » déclara-t-il.
Les envahisseurs se montraient enfin près des murs de Myrkviðr. Peut-être qu’ils avaient complètement pillé toute la terre environnante.
Le patriarche Linéa lui avait donné des ordres stricts de maintenir la défense à l’intérieur des murs de Myrkviðr, et de s’abstenir de lancer une attaque, mais il était à la limite absolue de sa patience.
Gunnar était le gouverneur de la ville de Myrkviðr et des environs. S’il n’avait pas pu protéger la vie et les biens des citoyens sous sa surveillance, alors pourquoi était-il ici ?
Dans quel but les gens de ce pays avaient-ils présenté des taxes et des tributs ?
Qui promettrait leur fidélité aux dirigeants qui ne lèveraient pas le petit doigt pour les défendre ?
La colère dans le cœur de Gunnar avait finalement débordé. « Je n’en peux plus ! Je vais mettre ces foutus bandits en déroute et les disperser aux quatre vents ! »
Il rassembla ses troupes et les conduisit hors de la ville.
Selon les rapports de ses guetteurs, l’ennemi en comptait moins de cinq cents. Myrkviðr, en revanche, s’enorgueillit de posséder 1 500 soldats, ce qui lui donne un avantage de 3 pour 1.
Et ce n’était pas tout. Leur patriarche Linéa n’avait que des compétences légèrement supérieures à la moyenne en tant que commandant de campagne, mais elle était incroyablement accomplie en tant que dirigeante de leur nation, à la fois talentueuse et flexible.
Elle avait importé beaucoup d’objets et d’idées de ce patriarche du Clan du Loup, Yuuto, qui était si compétent en stratégie militaire que les gens l’appelaient le dieu de la guerre réincarné.
L’un de ces exemples était une arme, une lance de fer trois fois plus longue que la taille d’une personne. Elle avait fourni ces longues lances aux soldats qui protégeaient ses frontières à Myrkviðr. Et ces deux derniers mois, elle leur avait fait suivre une formation sur la façon de combattre en utilisant la formation phalangienne très serrée.
Avec cette combinaison ultime d’armes et de tactiques à leur disposition, il n’y avait aucune chance que des bandits indisciplinés ne puissent jamais les égaler.
« Attaquez ! » ordonna Gunnar. « Attaquez ! »
À son commandement, les forces de Myrkviðr chargèrent.
Mais dès qu’ils étaient entrés en contact avec l’ennemi, les cavaliers s’étaient séparés proprement en trois groupes.
Le groupe qui se trouvait juste en face d’eux avait habilement changé de cap et avait commencé à tirer des flèches en se retirant.
La phalange se vantait d’une puissance incomparable dans un assaut frontal, mais elle ne pouvait égaler la vitesse des chevaux.
Leurs longues lances leur donnaient une portée écrasante en mêlée, mais cela ne pouvait être comparé à la portée d’un arc.
En conséquence, les soldats de Myrkviðr ne pouvaient pas effectuer un seul coup, et avaient été forcés de recevoir des attaques continues et unilatérales de l’ennemi.
Au moment où Gunnar réalisa à quel point c’était dangereux, il était déjà trop tard.
Les deux autres groupes ennemis avaient profité de la mobilité supérieure de leurs chevaux pour contourner et avancer sur les flancs des troupes de Myrkviðr en venant des deux côtés, et avaient commencé à lancer leurs propres flèches.
En un rien de temps, Gunnar et la garnison de Myrkviðr s’étaient retrouvés complètement entourés d’une force d’à peine un tiers de leur taille.
Les archers de la formation Myrkviðr avaient fait de leur mieux pour riposter, mais ils étaient à pied et leurs adversaires se déplaçaient rapidement à cheval. Les flèches de Myrkviðr trouvaient rarement leur cible, tandis que les flèches de l’ennemi frappaient juste, volant une vie après l’autre en une succession rapide.
Face à cette situation terriblement unilatérale, les soldats Myrkviðr avaient perdu leur sang-froid, et certains avaient été assez paniqués pour tenter de fuir. Leur formation s’était effondrée.
Bien sûr, les cavaliers ennemis avaient saisi cette occasion.
Les cavaliers sur les deux flancs avaient lâché leurs arcs et s’étaient mis à la lance, embrochant les soldats Myrkviðr paniqués des deux côtés dans une attaque en tenaille.
Au départ, la phalange était une formation axée sur l’attaque à l’avant et terriblement vulnérable aux attaques latérales ou arrière. Cette situation avait été exacerbée d’autant plus par la panique des soldats.
En moins d’une heure, les forces de garnison de Myrkviðr avaient été anéanties. Sur 1 500 soldats, moins de 500 avaient survécu.
Le Clan de la Panthère, d’autre part, avait subi des pertes inférieures à dix hommes. C’était pratiquement une victoire sans faille.
Ainsi, faute de troupes suffisantes pour protéger les portes, la ville fortifiée de Myrkviðr tomba facilement entre les mains du Clan de la Panthère.
***
Partie 7
La nouvelle de l’attaque du Clan de la Panthère était parvenue à Yuuto dans la journée.
En commençant par les travaux de Sun Tzu, il y avait un grand nombre de traités sur la stratégie militaire qui discutaient de l’importance de l’information.
Yuuto avait compris que parce que le Clan de la Corne bordait les territoires de puissantes nations hostiles comme le Clan du Sabot et le Clan de la Foudre, il fonctionnait stratégiquement comme un bouclier orienté à l’ouest pour le Clan du Loup. C’était donc avec cette idée en tête qu’après la guerre de Yuuto avec le Clan du Sabot, il avait enseigné à Linéa les techniques d’utilisation des signaux de fumée pour relayer l’information.
L’utilisation de signaux de fumée codés avait été enregistrée comme ayant eu lieu dès le 2e siècle av. J.-C. en Chine. Ils avaient rapidement envoyé des messages à travers le pays au sujet des attaques du peuple Xiongnu qui montait à cheval, dans une situation étrangement similaire à celle à laquelle Yuuto faisait face maintenant.
Les signaux de fumée pourraient être utilisés pour communiquer sur de grandes distances en peu de temps, soit l’équivalent de 140 kilomètres à l’heure. Bien sûr, on ne pouvait pas envoyer des messages compliqués avec de la fumée, mais c’était parfait pour signaler un « état d’urgence » aussi vite que possible.
De plus, une fois que le premier avertissement avait été donné rapidement par un signal de fumée, il pouvait être suivi par la suite d’informations plus détaillées transmises par les pigeons voyageurs. Yuuto avait appris de telles informations sur la chute de Myrkviðr au cours des deux jours suivants.
« Alors, on n’a vraiment pas d’autre choix que de se battre, hein..., » avec un soupir, Yuuto avait levé les yeux vers le ciel.
Il y a deux ans, la nuit où il avait enfin réussi à affiner le fer, Loptr lui avait raconté son rêve d’alors qu’ils étaient sous un ciel étoilé comme celui-ci. Yuuto se souvenait de cette nuit comme si c’était hier.
Loptr aurait dû être celui qui dirigeait et protégeait le Clan du Loup, mais maintenant il était protégé par Yuuto. Et Loptr était maintenant furieusement en train de pointer ses crocs vers le même Clan du Loup qu’il aurait dû protéger.
Yuuto n’arrivait pas à se débarrasser de ce sentiment d’ironie tragique.
Dans son cœur, il se sentait encore incertain, hésitant.
Combattre Loptr, c’était pointer sa lame sur la gorge de son frère. Ce ne serait pas personnellement et directement, mais ce serait quand même l’acte de viser à prendre la vie de son adversaire.
Pourrait-il vraiment se résoudre à le faire ?
Et s’il y avait une autre alternative à la bataille ?
Cependant, maintenant que Myrkviðr était tombé, Yuuto ne pouvait plus se permettre le luxe d’hésiter. Si son incertitude retardait ses décisions, le coût en serait supporté par des civils innocents.
« Quand je mourrai, j’irai en enfer, n’est-ce pas ? » Yuuto ferma les yeux, murmurant les mots. « ... Eh bien, je suppose qu’il est un peu tard pour y penser. »
Ses mains étaient déjà tachées du sang de tant de gens.
Malgré tout, il avait décidé de continuer à aller de l’avant.
Parce que Yuuto était le patriarche, un souverain.
Se laisser piéger par ses sentiments serait une insulte aux âmes de toutes les vies qu’il avait sacrifiées pour arriver ici.
Il ne s’agissait pas de savoir s’il pouvait séparer ses sentiments sur l’affaire. Il n’avait qu’à le faire.
Avec ces paroles le conseillant, Yuuto donna l’ordre de lever ses armées, afin de protéger la nation de sa petite sœur.
***
Acte 4
Partie 1
Les soldats du Clan du Loup avaient commencé à se rassembler dans les environs de la capitale du Clan de la Corne, Fólkvangr.
Ils étaient près de huit mille. Pendant la guerre avec le Clan du Sabot, il y a trois mois, environ quatre mille soldats du Clan du Loup s’étaient rassemblés ici. Compte tenu de cela, il s’agissait d’une augmentation étonnante de la taille.
Bien sûr, le plus grand facteur était que le Clan du Loup s’était procuré de grandes quantités de terres cultivables et avait augmenté sa population au cours des six derniers mois. Mais au bout du compte, c’était encore une fois leur fer qui avait joué un rôle central ici.
En géochimie, il y avait un terme appelé la grandeur Clarke (ou simplement Clarke), du nom du scientifique américain Frank Wigglesworth Clarke. Le Clarke exprime en pourcentage l’abondance relative des éléments de base dans la couche superficielle de la croûte terrestre. Selon la table des indices de Clarke, cela avait montré que le cuivre, principal élément utilisé dans les armes en bronze d’Yggdrasil, n’avait qu’une abondance de 0,01 %, alors que l’étain n’était que de 0,004 %. Ces deux métaux étaient relativement rares.
Dans la pratique, il était encore plus difficile de rassembler une quantité suffisante d’armes et d’armures en bronze pour une armée qu’il l’était d’obtenir suffisamment de provisions pour les nourrir.
En comparaison, le fer était le quatrième élément le plus abondant près de la surface de la Terre, avec un Clarke 470 fois supérieur à celui du cuivre ! Tant que l’on possédait les connaissances nécessaires pour affiner le fer, il était possible d’en obtenir de grandes quantités, et de le faire beaucoup moins cher et beaucoup plus facilement que le bronze.
Yuuto avait identifié des gisements de sable de fer sur tout le territoire du Clan du Loup. La position de leurs terres entre deux chaînes de montagnes avait probablement été un facteur important à cet égard. Ils avaient toutes les matières premières dont ils avaient besoin.
De plus, tout comme pour la verrerie, récemment, de nombreux apprentis d’Ingrid avaient décidé d’installer des fours à tataras indépendants dans divers endroits du pays, ce qui avait entraîné une croissance explosive de la production de fer. Le fer était si abondant dans la nation du Clan du Loup qu’il était même utilisé dans les outils des fermiers comme les houes et les charrues.
De ce fait, même si la taille de l’armée du Clan du Loup augmentait considérablement, elle serait en mesure de lui fournir de l’équipement en fer dans un délai extrêmement court.
« Grand Frère, je te remercie sincèrement d’avoir encore une fois apporté ton aide au Clan de la Corne, » déclara Linéa. « Comme la dernière fois, je suis impressionnée par la rapidité avec laquelle tu es arrivé. »
« Tu sais ce qu’on dit : “La rapidité est l’âme de la guerre”. Naturellement, je suis le plus rapide. ... Je plaisante, c’est tout. Vraiment, cette fois c’est grâce au fer, tu vois. » Yuuto répondit aux salutations de Linéa par un clin d’œil ludique et un sourire, puis se tourna et fit signe à la file des chariots qui le suivaient.
Tandis que Linéa se tournait vers les chariots, elle s’émerveillait rapidement. « Quoi !? Tu as enveloppé les roues dans du fer !? Je... Je vois. Le fer peut donc aussi être utilisé de cette façon. »
« C’est exact, et c’est une amélioration pratique. » Yuuto avait souri fièrement.
Fondamentalement, la vitesse de marche d’un groupe de soldats était déterminée par le plus lent parmi ses effectifs.
Avec une armée complète, il y avait des troupes spécialisées qui transportaient des vivres et de l’équipement, l’équivalent du corps de transport moderne. Ils devaient déplacer des chariots lourdement chargés avec des roues en bois, ce qui signifiait que même si les rayons réduisaient un peu l’impact, il y avait toujours de petites pannes, en raison des dommages accumulés.
Jusqu’à présent, s’arrêter pour faire des réparations dans ces cas était une perte de temps inévitable.
Cependant, en utilisant du fer pour recouvrir la jante extérieure des roues du chariot et pour renforcer le châssis lui-même, on pourrait augmenter considérablement la durabilité de ces pièces. Cela signifiait que le type habituel de pannes communes était presque entièrement éliminé et que la formation pouvait se déplacer plus facilement et plus rapidement.
« Tu es vraiment incroyable, Grand Frère, » déclara Linéa avec admiration. « Et comparé à toi, je suis... Même si j’ai donné des ordres stricts de ne pas sortir, ils ont été ignorés. Je ne peux même pas faire adhérer mes subordonnés à mes instructions. C’est ce qui a mené à cette horrible situation. Je suis profondément désolée. »
Linéa se pencha dans un arc de cercle bas et profond, les mains serrées en poings sur les bords de sa jupe.
Elle ressentait une grande responsabilité personnelle dans cette affaire, ce qui était typique de sa personnalité sincère et sérieuse.
« Non, il n’y avait rien que tu puisses faire. C’est le genre de chose qui n’a pas de sens tant qu’on n’en fait pas l’expérience de première main. Personne n’a non plus compris Li Mu au début. » Avec une expression frustrée, Yuuto avait affaissé ses épaules.
Li Mu était un grand général d’une époque de l’histoire chinoise connue sous le nom de Période des Printemps et Automnes. Il n’était pas exactement une figure historique bien connue au Japon, mais en Chine, il était connu comme un héros qui avait établi des tactiques d’infanterie à utiliser contre les attaques de cavalerie.
La stratégie de Li Mu était exactement celle que Yuuto avait donnée à Linéa : Utilisez les signaux de fumée comme système d’alerte rapide en cas d’urgence pour avertir quand des cavaliers xiongnus ennemis attaquaient, et évacuez immédiatement les citoyens à l’intérieur des murs de la ville. Ne permettez pas à vos soldats d’attaquer, au lieu de cela qu’ils se concentrent uniquement sur la défense des murs de la ville.
Parce que sa stratégie était si défensive, voire passive, Li Mu avait été traité de lâche non seulement par les Xiongnus, mais aussi par les soldats de son propre royaume Zhao, et rapidement relevé de son commandement.
Après cela, le général plus agressif qui le remplaça comme protecteur des frontières nord de Zhao avait lancé des attaques audacieuses contre les Xiongnus et combattues avec acharnement, mais il avait subi d’énormes pertes chaque fois et perdu le contrôle de la frontière, forçant le roi à remettre rapidement Li Mu dans son ancien poste.
Cachés derrière des murs fortifiés, ils ne s’étaient concentrés que sur leur protection. C’était en effet une tactique de lâche, permettant passivement aux assaillants de ravager le territoire environnant autant qu’ils le voulaient. Mais en fin de compte, c’était la façon de réduire au minimum les pertes contre une force de cavalerie armée.
Mais même si c’était les faits...
« On ne peut pas s’attendre à ce que les gens soient d’accord avec quelque chose juste parce que c’est rationnel, tu vois ? » Yuuto se lamenta d’un soupir, les doigts dans les cheveux dans la frustration.
Pour les soldats et leurs commandants, combattre l’ennemi était leur travail. Il serait toujours difficile de leur faire suivre l’ordre de ne pas attaquer l’ennemi. C’était d’autant plus le cas, lorsqu’ils étaient confrontés aux pertes des terres et des personnes qu’ils étaient censés défendre.
Avec cela, Yuuto sentait d’autant plus vivement combien il était difficile de commander les autres.
« Père ! » Sigrun était arrivée sur les lieux, apparemment pressés.
Yuuto plissa son front et son visage se froisse de déplaisir. À côté de lui, Félicia et Linéa avaient fait exactement la même chose.
Sigrun s’en rendit immédiatement compte et commença à s’excuser en exprimant un terrible malaise.
« Je... Je suis vraiment désolée d’arriver en retard. Tomber derrière toi est une honte à mon devoir de chef de ta garde royale. Je promets de faire de mon mieux pour que cela ne se reproduise plus jamais, alors..., » déclara Sigrun.
« Non, je ne suis pas en colère, d’accord ? Tu n’es pas encore habituée à ça, n’est-ce pas ? On n’y peut rien, » déclara Yuuto.
« Merci de me pardonner ça, Père ! » déclara Sigrun.
« Euh, ouais, euh. Donc, je sais que tu es arrivée maintenant, donc pour l’instant tu pourrais aller plus loin pour le moment ? » demanda Yuuto.
« Gh... !! » Sigrun sursauta comme si elle avait été frappée d’un coup mortel, ou comme si elle était face à la fin du monde. Son visage s’était raidi et était devenu totalement pâle. « P-P-P-Père, tu es vraiment en colère contre moi à cause de mon retard, n’est-ce pas ? Auugh... J’ai contrarié Père... il me déteste... Qu-Qu’est-ce que je suis censée... »
« R-Run, tu n’as pas besoin de perdre le contrôle de tes émotions ainsi, » dit rapidement Félicia. « Grand Frère ne te déteste certainement pas. C’est impossible qu’il le fasse ! »
« Oui, oui, c’est vrai, » Linéa était d’accord. « Tu es le Loup d’argent le plus fort, le Mánagarmr, et le fier chef de l’unité des Múspell. Tu es la puissante épée de Grand Frère. Il ne te détesterait jamais. »
« Félicia, Tante Linéa..., » Sigrun se tourna vers les deux autres filles, alors ses beaux traits glacés étaient éclairés momentanément par un sourire reconnaissant.
« Mais, s’il te plaît, éloigne-toi de nous tout de suite ! » Félicia et Linéa avaient immédiatement suivi leurs paroles aimables avec une demande qui n’avait pas laissé de place à la discussion.
« Quoi !? Gh... ughhh, d-d’accord, je... Je comprends..., » Sigrun parvint à marmonner, frappée par le choc, et elle retourna lentement dans la direction d’où elle venait.
Yuuto la regarda partir, se sentant coupable. Elle semblait être comme un chiot abandonné. « Vous ne trouvez pas que c’était un peu dur tout à l’heure, vous deux ? Vous devriez au moins lui dire pourquoi. En tant qu’homme, c’est un peu dur pour moi de le lui dire. »
« E-Eh bien, il est vrai que le malentendu doit être dissipé tout de suite, mais... à vrai dire, je ne veux pas non plus me rapprocher de Run pour l’instant, » déclara Félicia. « Ça pourrait s’étendre à moi, d’une part. Mais je suppose que je n’ai pas d’autre choix. »
Faisant de courts regards vers Yuuto et Linéa, Félicia poussa un long soupir et poursuivit Sigrun. Elle avait conclu qu’elle ne pouvait pas exactement imposer ce rôle à l’une ou l’autre des deux personnes qui l’avaient surclassée.
Une fois que Yuuto put voir que Félicia avait (de loin) commencé à donner une explication à Sigrun, il se retourna vers Linéa. « Alors, que fait le Clan de la Panthère maintenant ? »
Cela ne servait à rien de regretter ce qui s’était déjà passé. Leur plus grande priorité était de faire face à la menace actuelle et de continuer.
« Après avoir traversé Myrkviðr, ils ont envahi les terres autour de Sylgr, » dit Linéa. « J’ai entendu dire qu’ils sont peu nombreux, seulement quelques centaines... »
« Et ce n’est qu’une des façons dont ils essaient de nous faire baisser notre garde. » Yuuto fit claquer sa langue avec rancune.
Le Clan de la Panthère essayait d’encourager ses ennemis à les sous-estimer comme une force plus petite, et ainsi les provoquer dans un combat sur les plaines dégagées, où la cavalerie avait l’avantage.
« C’est vrai. J’ai donc fait très attention à ce que mon général comprenne qu’il doit garder les portes de la ville fermées, et se concentrer uniquement sur la défense. Après avoir appris à quel point Myrkviðr est facilement tombé, je crois que tout le monde va suivre ses ordres maintenant, mais..., » Linéa avait une expression douloureuse, et ses paroles la faisaient trembler.
Chercher un abri derrière les murs de la ville limiterait en effet les effets de l’invasion du Clan de la Panthère.
Cependant, presque toutes les terres agricoles se trouvaient à l’extérieur de ces murs. À ce rythme, les agriculteurs ne pouvaient pas vivre et travailler en toute sécurité sur ces terres.
On ne pouvait pas laisser les choses comme ça.
Yuuto acquiesça lentement à l’implication tacite de Linéa, puis parla avec conviction.
« Je le sais, Linéa. Nous devons faire tout notre possible pour les faire sortir du territoire du Clan de la Corne. »
***
Partie 2
« Tch, lâches. » Váli, l’un des généraux du Clan de la Panthère, se plaignait grossièrement en regardant les murs de la ville de Sylgr. « Les salauds ne mettront pas un seul orteil derrière le mur. »
Comme le voulaient les ordres du Patriarche Hveðrungr, celui qui dirigerait l’unité d’avant-garde était Váli qui avait également saccagé la ville de Myrkviðr. Il avait poursuivi sa route vers l’est par la suite et tentait maintenant de capturer Sylgr.
« Ces gars sont une proie plus dure, » murmura-t-il.
Le Clan de la Panthère utilisait la même stratégie pour combattre le Clan de la Corne qu’à Myrkviðr.
La stratégie était simple. Tout d’abord, leurs soldats avaient eu carte blanche pour piller la zone autour d’une ville, pour mettre en colère l’ennemi au point de lui faire quitter les murs et lancer une offensive sur un terrain découvert. Les forces du Clan de la Panthère mettaient en déroute l’infanterie ennemie sur le terrain et s’emparaient ensuite de leur forteresse.
Le Clan du Sabot avait commencé par être divertissant, tombant facilement dans le piège, mais maintenant le Clan du Sabot était apparemment une bande de lâches, s’enfermant dans les murs de la ville et refusant d’en sortir.
« Je ne peux pas prendre trop de temps ici, sinon Père va se montrer. » Váli grogna, son visage se tordant d’un profond mécontentement.
C’était peut-être parce qu’ils vivaient dans un environnement naturel si rude, mais l’idéologie méritocratique d’Yggdrasil était encore plus profondément ancrée dans la culture du Clan de la Panthère. Ils croyaient en la loi du « bien fait » et accueillaient chaleureusement toute personne dans leurs rangs, quelle que soit son origine, à condition qu’elle fasse preuve de force et de talents.
De l’autre côté de la médaille, si quelqu’un était perçu comme manquant de capacités, il pouvait s’attendre à être rejeté et à ce qu’un rang ou son statut lui soit retiré.
Malgré les souhaits de Váli, les événements de la réunion du conseil de guerre il y a quelques jours lui étaient revenus à l’esprit. Il avait déjà gagné la colère de son patriarche une fois. Il devait éviter de se déshonorer à nouveau ici, à tout prix.
« On dirait que tu as des problèmes. » Une voix soudaine était venue de juste derrière Váli.
« Gah ! » Tout le corps de Váli frissonna de terreur pendant un instant. Mais quand il avait réalisé le véritable propriétaire de la voix, il avait poussé un long soupir de soulagement.
« C’est quoi ce bordel, Narfi !? Ne me fais pas peur comme ça. »
« Hm hmm, est-ce que je lui ressemblais ? »
Váli lui avait fait un regard glacial. « Ouais, et ça m’a terrifié ! »
« Je te présente mes excuses pour cela. » Le jeune homme à l’allure gentleman appelé Narfi avait souri malicieusement.
« Alors, qu’est-ce que tu veux ? Es-tu venu ici pour te marrer avec le type qui a fait une énorme gaffe et qui n’a même pas pu renverser une ville comme celle-là ? » Peut-être parce qu’il était encore agité, les paroles de Váli étaient plus cyniques et tachées d’insécurité que d’habitude.
Narfi haussa les épaules et sourit ironiquement. « Rassure-toi, je sais aussi bien que toi que cet ennemi ne nous laisse pas faire les choses comme nous le ferions normalement. Apparemment, le patriarche Yuuto du Clan du Loup est un expert en guerre. »
« Oui, et à vrai dire, les voir rester derrière ces murs sans bouger d’un poil me rend fou. J’ai l’impression qu’il voit à travers ce qu’on essaie de faire. » Même avec Myrkviðr, il avait fallu beaucoup de temps pour attirer les troupes de garnisons sur le terrain.
Le Clan de la Panthère utilisait clairement un petit nombre de troupes. Malgré cela, leurs ennemis avaient insisté pour se défendre derrière les murs. C’était bizarre.
C’était dû aux ordres qu’ils avaient reçus d’en haut, c’était la seule façon pour que ça ait du sens.
« Ça me fait flipper d’y penser. » Váli frissonna une fois, grinçant des dents.
Il n’y avait même pas un mois que le Clan de la Panthère avait envahi le territoire du Clan du Sabot près de la rivière Örmt. Et Myrkviðr avait été la première fois qu’ils combattaient le Clan de la Corne.
Alors, comment est-ce arrivé ? Non seulement l’ennemi semblait avoir appris les méthodes du Clan de la Panthère, mais il avait déjà réussi à mettre en place une contre-stratégie ! Cela n’avait absolument aucun sens pour Váli.
Au moins pendant la bataille de Myrkviðr, le général du Clan de la Corne et ses soldats n’avaient pas vraiment compris la puissance terrifiante du Clan de la Panthère, ce qui les avait finalement fait perdre patience et attaquer. Mais la chute de Myrkviðr avait aussi servi à accroître la prudence du commandant ici à Sylgr.
Váli avait l’impression que, même si lui et ses hommes essayaient de les provoquer, les habitants de la ville resteraient enfermés comme une tortue cachée dans sa carapace.
Le tir à l’arc à cheval des combattants du Clan de la Panthère était d’une puissance imbattable contre l’infanterie, mais contre des murs solidement construit, c’était une tout autre histoire. S’ils attaquaient directement, ils seraient simplement repoussés.
« Au moins, ils devraient avoir presque fini de monter ce truc qu’on a utilisé à Nóatún. »
« Ah, donc tu utilises ça. » Narfi hocha la tête avec un air de compréhension.
Quant le Clan de la Panthère avait avancé sur Nóatún, le Clan du Sabot avait fait exactement comme Sylgr le faisait maintenant, verrouillant fermement les portes de la ville et se préparant pour une défense de siège. Peut-être qu’à travers les batailles jusque-là, le Clan du Sabot en était venu à saisir pleinement la terrifiante puissance stratégique de la cavalerie, et la peur s’était enfoncée profondément en eux.
Comme on pouvait s’y attendre de la capitale construite par le souverain suprême d’Álfheimr, Nóatún avait des murs beaucoup plus hauts et encore plus solides qu’une ville comme Sylgr.
Mais, même ces fortifications insurmontables n’avaient pas tenu plus de dix jours contre le patriarche du Clan de la Panthère, Hveðrungr.
« Oui, c’est une bonne chose que nous ayons pu capturer Myrkviðr, » dit Váli. « Grâce à cela, nous avons obtenu tout le matériel dont nous avions besoin. Heh heh heh heh heh, j’aurai cette ville chétive dans la journée. »
***
« La ville de Sylgr est tombée !? » Yuuto haussa sa voix sans réfléchir en recevant la nouvelle de Kristina.
À ce moment précis, les forces du Clan du Loup étaient en train d’avancer vers Sylgr pour la sauver. Le choc pour Yuuto était d’autant plus grand qu’il pensait arriver à temps.
Tandis que Yuuto réfléchissait en silence, digérant douloureusement la nouvelle, Félicia parla à sa place. « Les soldats sont-ils tombés sous les provocations de l’ennemi et ont-ils lancé une attaque, comme ce fut le cas pour Myrkviðr ? »
C’était la seule chose plausible qui me venait à l’esprit.
La force du Clan de la Panthère attaquant Sylgr était une petite avant-garde, seulement quelques centaines. Même si, par hasard, le corps principal de l’armée du Clan de la Panthère s’était joint à eux, il était difficile d’imaginer qu’ils seraient capables de capturer la ville en quelques jours à peine.
Kristina secoua la tête. « Non, il semble que le commandant de Sylgr et ses hommes soient restés en défense à l’intérieur des murs de la ville comme tu l’as ordonné, Père. »
« Franchement... ? » Yuuto ne pouvait pas le croire. « Alors comment Sylgr a-t-elle été capturée ? Je me fiche de la folie de la puissante cavalerie armée, cela ne devrait pas s’appliquer aux remparts fortifiés de la ville... »
« Il semble... que les murs de la ville ont été détruits. Ils ont été bombardés par de grosses pierres venant du ciel. C’est la même méthode que celle que tu as utilisée auparavant, Père..., » répondit Kristina.
« Ce n’est pas possible... ils ont des trébuchets !? » cria Yuuto, incrédule, puis il regarda le ciel lointain en serrant les dents.
Le trébuchet était une arme de siège fixe, un dispositif de catapultage à contrepoids qui utilisait une simple mécanique à levier — « l’effet bascule » — pour lancer un objet lourd comme munition.
Yuuto les avait introduits pour la première fois pendant le siège d’Iárnviðr. À l’époque, Loptr avait été le commandant en second du Clan du Loup.
C’était une arme plus de 2500 ans plus avancée que les standards technologiques actuels de ce monde, et la simple construction en pierre des murs des villes d’Yggdrasil était une défense insignifiante contre sa puissance destructrice écrasante.
« De penser qu’il ait si facilement surmonté la stratégie défensive de Li Mu comme ça..., » Yuuto avait placé une main dans ses cheveux, puis s’était arrêté et avait soupiré.
Du haut des murs solides et hauts, les troupes en défense pouvaient échapper aux assauts rapides et au tir à l’arc mobile de la cavalerie, tout en tirant leurs propres flèches pour menacer et repousser les attaques sur le mur.
Cela avait été la base de la stratégie anti-cavalerie pendant plus d’un millénaire de l’histoire chinoise, mais ici, elle avait été facilement maîtrisée par la technologie du futur, une tricherie insérée dans cette ère.
***
Partie 3
« Hyahahaha ! » Váli ricana. « C’est une grande armée que tu as là. Alors, je suppose que je ne peux pas t’encercler. »
Váli se tenait debout sur le mur extérieur de Sylgr, regardant les troupes du Clan du Loup qui s’approchaient, et leva les deux bras dans ce qui semblait être un haussement d’épaules résigné et sans défense. Mais son visage débordait de confiance, les coins de sa bouche se dressaient vers le haut avec un sourire excité.
Miðgarðr était une terre pleine de vastes plaines. Ayant grandi dans ces plaines, la vue de Váli était bien meilleure que celle des citadins. L’armée au loin venait à peine de devenir visible à ses yeux, ce qui signifiait qu’il faudrait encore beaucoup de temps avant qu’ils atteignent la ville.
« Quand ils bougent si lentement comme ça, ça me donne envie de les attaquer avec quelques rochers, mais je suppose que ça n’arrivera pas, » déclara Váli.
Le trébuchet avait peut-être un pouvoir destructeur dominant, mais il avait aussi une faiblesse paralysante. Il était si grand et si lourd qu’il était impossible de le transporter une fois construit.
C’est pourquoi, lors de leur conquête de Sylgr, ils n’avaient eu d’autre choix que de prendre le temps d’en construire un sur place.
De plus, le pointage et le tir de l’arme exigeaient un certain temps de préparation, de sorte qu’ils ne pouvaient pas non plus tirer rapidement en succession. C’était excellent contre des cibles fixes, mais il n’était tout simplement pas adapté pour être utilisé contre des soldats en mouvement.
« Dommage. Je voulais laisser les hommes s’amuser un peu plus. » Váli ria de nouveau, puis se retourna pour contempler la ville qu’il avait capturée la veille.
Les maisons avaient toutes été détruites, les cadavres éparpillés, et l’air étaient étouffés par l’odeur du sang. Les cris des femmes se faisaient encore entendre ici et là. En ce moment même, les subordonnés de Váli étaient en train de profiter du butin de leur victoire.
« Mais... l’instant choisi est parfait. Et il est temps de partir. » Il avait sorti une seule flèche du carquois sur son dos, et la lança en l’air.
Lorsque la flèche volait, elle émettait un sifflement perçant. Plusieurs petits trous avaient été percés dans l’axe de la flèche, de sorte que l’air qui passait par-dessus les trous produisait le bruit fort quand elle était tirée.
Au signal, les subordonnés de Váli commencèrent à se rassembler aux portes de la ville de Sylgr.
Ils étaient tous vêtus de tuniques sans manches et de pantalons simples, avec des carquois attachés au dos. Ils n’étaient qu’environ quatre cents, mais chacun d’eux était un guerrier d’élite, un guerrier puissant choisi pour l’avant-garde.
« Très bien, bande de salauds, vous allez sortir et agir comme d’habitude ! » Váli cria ses ordres, et tous ses hommes montèrent leurs chevaux au même rythme. Leurs mouvements étaient incroyablement légers et agiles.
Váli acquiesça d’un signe de tête de satisfaction face à leurs mouvements bien entraînés et sans effort.
« Comparés à vous, ces citadins sont aussi lents que d’habitude. » Il se tourna en ricanant vers le Clan du Loup qui avançait. Bien sûr, ils étaient très nombreux, mais les yeux de Váli ne pouvaient que voir à quel point ils semblaient se mouvoir avec une lenteur incroyable.
L’unité de cavalerie d’avant-garde de Váli commença tranquillement sa retraite. En effet, leur rythme était assez détendu. Ils alignaient délibérément leur vitesse sur celle de l’ennemi, en avançant assez lentement pour que l’ennemi puisse rattraper son retard. Cependant...
« Qu’est-ce que c’est que ça ? Pourquoi ne nous poursuivent-ils pas ? Quelle bande de poules mouillées ! » au grand dam de Váli, les troupes du Clan du Loup avaient donné la priorité à la reprise de la ville, et ne montraient aucun signe de poursuite. C’était une déception totale.
« Très bien, voyons si on peut les mettre d’humeur à jouer le jeu, » Váli avait souri malicieusement et ordonna à ses hommes de faire demi-tour.
Si l’ennemi n’allait pas le pourchasser, il lui suffisait de le motiver à le faire.
Ils avaient sûrement supposé que lui et ses hommes continueraient à fuir. Il profiterait de cette défaillance dans leur garde pour les secouer. C’était dans cet état d’esprit que Váli avait fait bouger son cheval et qu’il avait de nouveau visé les soldats du Clan du Loup...
Whoosh ! Whoosh ! Whoosh ! D’un seul coup, une volée de flèches lancées par l’ennemi se dirigèrent vers lui.
« Quoi, quoi !? » Dans cette fraction de seconde, Váli avait réussi à dégainer l’épée à sa taille et à dévier la flèche qui l’aurait touché, mais maintenant son expression était tendue et grave.
Pour les peuples des tribus nomades de Miðgarðr, la chasse faisait partie de la vie quotidienne. Ainsi, tous les hommes du Clan de la Panthère connaissaient intimement l’arc depuis leur enfance et, à l’âge adulte, ils étaient devenus des archers experts bien entraînés. Et pourtant, même eux n’auraient pas été capables de tirer des flèches qui auraient atteint leur ennemi de cette distance.
« Ce sont donc les arbalètes dont j’ai entendu parler de la part de Père, » grogna Váli.
Il avait oublié les détails de leur fonctionnement, mais c’était des armes qui pouvaient tirer plus loin qu’un arc et des flèches. Mais elles n’étaient pas capables de tirer aussi vite.
Dans ce cas, il lui suffisait de réduire la distance avant qu’ils ne puissent lancer une autre volée. Après ça, ils ne seraient plus à la hauteur des tirs rapides de ses propres hommes. Le Clan de la Panthère était aussi rapide que ça.
« Vous êtes tous aussi rapides que de la colle ! » Váli cria, ricanant de dérision.
Et à la fin, avant que les arbalétriers ne puissent charger et tirer une deuxième salve, il les avait mis à portée de son propre arc.
Ils étaient si lents, c’était carrément fatigant. Le temps que l’ennemi puisse tirer, ses hommes pourraient en tirer dix.
Et pour couronner le tout, on aurait dit qu’il y avait une certaine agitation entre les arbalétriers et les soldats derrière eux. Considérant qu’ils étaient au milieu d’une bataille et que l’ennemi approchait rapidement, c’était une triste démonstration d’insouciance.
« Je vais vous montrer à quoi ressemble le vrai tir à l’arc ! Mais j’ai peur que ça vous coûte cher ! » Sur son cheval, Váli plaça une flèche et tira la corde de l’arc.
Il avait tiré une fois, deux fois, une douzaine de fois.
Au début, ses tirs semblaient désordonnés, comme s’il ne se donnait pas la peine de viser correctement avant de tirer. Cependant, chacune des flèches de Váli avait trouvé une cible, frappant les soldats du Clan du Loup juste entre les yeux.
Váli était un Einherjar avec la rune Hrímfaxi, le Frostmane, qui avait renforcé son tir à l’arc pour être le plus grand au sein du Clan de la Panthère. C’est ainsi qu’il avait été dit que lorsque ses ennemis s’étaient retrouvés face à face avec la vue de son incomparable talent, ils avaient eu le cœur gelé de peur, comme le nom de sa rune le suggérait.
Cette attaque semblait enfin avoir suffi à enflammer l’esprit combatif de ses ennemis, car ils lâchèrent un cri de guerre retentissant. « Rrraaaaaghhhhhh !! »
Cette fois-ci, des soldats d’infanterie munis d’énormes et longues lances avançaient devant les arbalétriers de chaque côté, et prenaient une formation étroitement liée avant de charger en avant. C’était une charge impressionnante, les soldats levant des nuages de poussière à leurs pieds alors qu’ils avançaient en courant.
« Ohh, la phalange, hein ? » Váli s’interrogea. « Bien sûr, avec ça, même nous aurions des ennuis si nous vous attaquions par devant. »
La cavalerie du Clan de la Panthère était inégalée dans son potentiel d’assauts mortels. Ils avaient utilisé ce potentiel au maximum pour écraser les armées du Clan du Sabot.
Néanmoins, s’ils devaient charger dans ce mur de lances, le Clan de la Panthère serait celui qui finirait par subir de lourdes pertes.
« Mais j’ai déjà vu ce tour à Myrkviðr ! Et vous, bande d’idiots, vous ne pourriez pas être plus lent ! » Váli avait rugi avec un mélange de frustration et de joie.
S’il ne pouvait pas les battre en se battant de front, il n’avait pas besoin de se battre de front.
Váli fit signe de la main gauche, et ses hommes cessèrent tous de tirer à l’arc.
Il avait tiré sur ses rênes, tournant brusquement son cheval. Ses subordonnés avaient tous suivi son exemple.
Leurs mouvements, si fluides et coordonnés, avaient suffi à démontrer leur haut niveau d’entraînement.
« Je vais vous laisser sentir mon derrière ! » Váli avait ri. Il avait donné un coup de pied à son cheval au galop.
Mais il ne l’avait pas laissé aller à sa pleine vitesse. Il avait refusé de laisser l’ennemi trop loin derrière lui. Il maintenait un rythme parfaitement calculé, juste assez pour faire croire à l’ennemi qu’il pourrait bien rattraper son retard.
« Uooooooohhhhhhhhh !! » Avec un autre cri de guerre, l’ennemi reprit son élan, comme Váli l’avait prévu.
Dans des circonstances normales de combat, lorsqu’une force en poursuivait une autre, les poursuivants avaient l’avantage. Même le plus petit soldat de la base le savait.
Normalement, la plupart des soldats qui participaient à de telles batailles étaient plus ou moins enrôlés sous les drapeaux. D’un autre côté, c’était l’occasion pour ces conscrits de gagner un peu d’argent supplémentaire. Plus ils vaincraient d’ennemis, plus ils pourraient gagner de butin.
En d’autres termes, pour ces soldats, une bataille gagnable était aussi une occasion relativement sûre et rentable pour eux.
Il n’est pas étonnant que vous puissiez continuer la chasse avec une telle vigueur et un tel esprit, pensa Váli en riant. « Et si vous étiez contre quelqu’un d’autre, je suis sûr que ça aurait signifié quelque chose. »
Alors qu’ils avançaient, la bande de cavaliers de Váli se tourna vers l’arrière et prépara leurs arcs.
Malgré leur vitesse, et malgré le fait qu’ils n’avaient pas les deux mains aux rênes, leur équilibre et leur position n’avaient pas faibli. Même avec des étriers, c’était une démonstration étonnante d’équilibre et de technique.
« Feu ! » Le cri de Váli avait coupé à travers le vacarme, et lui et ses hommes avaient lâché leurs flèches.
Les boucliers et les armures de l’ennemi les servaient bien, mais ils ne pouvaient pas dévier la totalité des centaines de flèches qui tombaient sur eux.
***
Partie 4
L’un après l’autre, les soldats s’étaient effondrés au sol, mais les forces du Clan du Loup avaient quand même enjambé les corps de leurs compagnons et avaient continué leur poursuite.
Après avoir acquis un tel élan, ils ne pouvaient plus s’arrêter. Comme leur formation était si serrée, si l’un d’eux essayait de ralentir ou de s’arrêter, il serait simplement poussé vers l’avant par les soldats derrière lui.
En essayant de faire marche arrière et d’aller à l’encontre de la formation, le soldat risquait de perdre l’équilibre et peut-être d’être piétiné à mort par ses camarades.
« Alors, battre en retraite, c’est la mort, hein ? Mais c’est la même chose même si vous continuez, vous savez. » Souriant avec un plaisir débridé, Váli arracha flèche après flèche de son carquois, les plaçant sur la corde et tirant.
À chaque tir, un autre soldat du Clan du Loup tomba. Avec chaque camarade tombé au combat, l’unité de phalanges semblait se précipiter vers eux avec une rage de plus en plus féroce.
« Hah ! Si lente ! » Váli ne pouvait pas retenir son rire moqueur.
Quelle que soit la bravoure avec laquelle ils chargeaient, les pieds d’un humain ne pourront jamais espérer égaler la vitesse d’un cheval, aussi courageux soient-ils.
Je vous tourmenterai tous à mort, pensa Váli avec joie. Je vous tuerai tous comme ça, un par un, à mon gré. Il s’était léché les lèvres par anticipation.
C’était là que c’était arrivé.
« Guagh ! »
« Hurgh... ! »
Des flèches s’envolèrent soudainement vers eux depuis la forêt à leur droite, et Váli vit plusieurs de ses hommes relâcher leur dernier souffle et tomber de leurs chevaux. Ses mains s’étaient gelées.
L’instant d’après, un groupe d’hommes armés de lances sauta hors des bois, se précipitant pour couper la voie d’évasion de sa bande.
« Une embuscade !? Ont-ils prédit qu’on ferait demi-tour pour les attaquer !? » demanda-t-il.
Tandis qu’il crachait ces mots, plusieurs des hommes qui tenaient le côté droit de sa formation furent abattus de leurs chevaux par les frappes des longues lances de l’ennemi.
« Tch, bon sang ! Hé, bande de salauds, on court vers le nord ! » cria Váli.
Ils étaient pris au piège par des ennemis à l’avant et à l’arrière, et par la forêt à leur droite, mais heureusement il y avait des plaines ouvertes sur leur gauche.
Utilisez la mobilité écrasante des chevaux pour empêcher l’ennemi de vous rattraper et lâchez des attaques de flèche unilatérale hors de leur portée. En un mot, c’était la stratégie gagnante du Clan de la Panthère.
Ils n’étaient pas du genre à s’engager dans des combats en mêlée, où alliés et ennemis luttaient et se battaient à bout portant, mais l’embuscade de l’ennemi les avait mis dans cette situation précise.
Ils ne pouvaient pas faire bon usage de la plus grande force de leur cavalerie, sa vitesse et sa mobilité supérieures. Et inversement, la lenteur de l’infanterie, dont Váli s’était si bien moqué, n’était effectivement plus un désavantage.
Par-derrière, la force principale de l’ennemi avait continué à charger vers eux. Ils auraient de sérieux ennuis s’ils ne s’échappaient pas vite.
« On dirait que toute cette histoire d’“expert en guerre” était vraie, après tout, » marmonna Váli, en claquant la langue avec mépris.
Il trouvait cet ennemi vraiment troublant. Cela aurait dû être la première fois qu’ils l’affrontaient au combat, mais ils étaient beaucoup trop versés dans les contre-mesures contre la cavalerie armée.
« Tu ne t’échapperas pas ! » Un homme qui semblait être le chef des forces d’embuscade s’écria, et chargea vers Váli, monté sur un cheval.
Les yeux de l’homme étaient aiguisés et perçants. Plus que tout, il semblait dégager une sorte d’aura sombre et inquiétante.
Váli sentit un filet de sueur froide couler sur son dos.
« Hah ! » Le chef de l’ennemi avait projeté sa lance sur la poitrine de Váli.
« Quoi ! » Váli l’avait à peine dévié avec son épée.
Ce moment avait marqué la première fois dans l’histoire d’Yggdrasil... non, non, dans l’histoire de la Terre... dans laquelle deux cavaliers armés s’étaient engagés dans la bataille.
« Tah ! Hyah ! » Le chef de l’ennemi déclencha deux autres frappes successives de sa lance. Váli évita de justesse le premier coup en inclinant rapidement son corps, et détourna le second avec son épée, frappant la lance vers le haut.
Le haut du corps de son adversaire avait également été poussé vers l’arrière. Váli se préparait à profiter de cette ouverture pour contre-attaquer, mais il s’étonnait de ce qui allait se passer.
La lance de son adversaire, qui était censée avoir été repoussée vers le haut, traçait maintenant un arc de cercle propre dans l’air, et soudain le bout aiguisé de la tige de la lance se dirigeait droit vers la tête de Váli.
Il avait lui-même été pris au dépourvu, et il n’avait aucun moyen de bloquer à temps.
« C’est quoi ce bordel !? » Au dernier moment, il avait réussi à déplacer sa tête en arrière, mais il avait perdu quelques cheveux en cours de route.
Il avait littéralement esquivé de la largeur d’un cheveu. Le bruit de coup de fouet dans l’air qui lui arrivait aux oreilles lui disait à quel point l’attaque de l’homme avait été puissante et tranchante.
Váli avait l’impression qu’il était condamné à ce rythme, alors il se hâta de tirer sur les rênes, de faire tourner la tête de son cheval en cercle et de lui donner un coup de pied au ventre.
C’était le signal pour courir à toute vitesse. Le cheval bien entraîné de Váli avait réagi immédiatement et avait foncé en avant, malgré le fait qu’un ennemi se trouvait juste devant lui.
Les deux chevaux étaient entrés en collision frontale, mais c’était le cheval de l’ennemi qui avait été projeté à l’arrière.
Avec cela, les deux chevaux avaient également déterminé lequel était dominant.
Le cheval de l’ennemi trébucha un moment, puis fit un autre pas en arrière, comme s’il craignait le cheval le plus fort. Le chef ennemi donna un coup de pied pour pousser son cheval en avant, mais il ne voulait pas avancer.
« Ha ha ha ha ha, les chevaux de Miðgarðr sont une classe à part des chevaux faibles que vous élevez en ville ! » Avec cette raillerie, Váli avait remis son cheval à l’abri de l’ennemi.
Ce n’était pas qu’il ne pouvait pas se battre avec des épées ou des lances en soi, c’était juste que ce n’était pas l’arme dans laquelle il était spécialisé.
De plus, se battre à mort sur un pied d’égalité n’était pas son style. Mettre fin à la vie de l’ennemi par des attaques unilatérales et sans risque était le moyen de combat préféré de Váli.
Alors que son cheval s’éloignait à toute vitesse, il se retourna et prépara son arme préférée.
Sa position ne portait aucune trace des maniérismes désordonnés qu’il avait montrés plus tôt. Il avait stabilisé son objectif, poussant son esprit jusqu’aux limites de sa concentration, et avait tiré.
« Hup ! »
En un éclair, le chef ennemi avait utilisé sa lance pour dévier la flèche, bien qu’elle ait été tirée de si près —
« Quoi !? »
— Et c’était à son tour d’avoir les yeux écarquillés par la surprise.
C’était une réaction tout à fait naturelle, car lorsque la première flèche avait été repoussée, une deuxième flèche s’était révélée juste derrière elle.
En tirant deux flèches à un intervalle précis, la deuxième flèche était dissimulée dans l’ombre de la première. Et la deuxième flèche avait aussi été tirée à un angle légèrement différent.
La première flèche pouvait être déviée ou esquivée, mais à cet instant, la deuxième flèche arrivait sans laisser le temps de réagir. Pris au dépourvu, l’ennemi serait ainsi transpercé par la deuxième flèche.
C’était la technique ultime de Váli.
« Gah ! »
Mais cette fois, son ennemi n’était pas un homme ordinaire. Avec des réflexes que l’on ne peut qualifier que de phénoménaux, l’homme inclina la tête pour esquiver la deuxième flèche.
Malgré tout, ce n’était pas tout à fait suffisant, et un jaillissement de sang rouge vif avait jailli de la tempe de l’homme. Pourtant, l’homme ne tomba pas de son cheval et garda son regard vif fixé sur Váli.
C’était comme si la Faucheuse le dévisageait. Et pourtant, Váli s’était retrouvé à sourire en réponse.
« Dire que quelqu’un pourrait esquiver cette attaque dès qu’il la verrait pour la première fois. Je me souviendrai de ton visage, mon pote. Au revoir pour l’instant ! J’espère que nous nous reverrons ! » Avec ces derniers mots, Váli avait lâché une autre flèche. Il l’avait suivie avec une autre, et une autre.
Fuyant l’ennemi avec une mobilité supérieure, lui et ses hommes avaient continuellement tiré leurs munitions sur l’ennemi qui les poursuivait. Ils s’étaient battus l’un après l’autre, sans subir de pertes importantes. C’était après tout la stratégie de base du Clan de la Panthère.
Une fois qu’ils eurent tiré toutes leurs flèches, Váli et sa bande de cavaliers s’éloignèrent de leur ennemi, disparaissant rapidement hors de leur vue.
Yuuto se tenait à côté d’une section du mur défensif de Sylgr, fronçant les sourcils pendant qu’il inspectait les dégâts.
Le mur était au moins trois fois plus haut que lui, mais ici, il avait été réduit en pièces d’une manière spectaculaire.
Il y avait eu aussi des dommages collatéraux, certaines des maisons en briques se situant à côté du mur avaient été partiellement détruites, écrasées par la force des chutes de pierres.
Un tas de ces énormes rochers étaient encore éparpillés dans la région, juste à l’extérieur du mur. D’un coup d’œil, il était clair que cette destruction avait été l’œuvre d’un trébuchet.
Et après avoir appris que ses hommes avaient découvert l’arme en question à une certaine distance de là, où elle avait probablement été construite par le Clan de la Panthère, il n’y avait aucun doute.
« Alors, c’est ici que vous étiez. » Une voix soudaine était venue de derrière lui.
Félicia, qui était juste à côté de lui, sursauta de surprise et tourbillonna rapidement, puis expira en soulagement.
Yuuto se retourna aussi, et leva la main avec désinvolture pour saluer l’individu familier.
« Salut, assistant du second. Comment va ta blessure ? » demanda Yuuto.
« Cela ne posera pas de problème, » répondit froidement Skáviðr. Le pansement imbibé de sang enroulé autour de sa tête était douloureux à regarder, et il exacerbait son apparence déjà sinistre.
Cela dit, il était stable sur ses pieds, de sorte qu’il semblait que Yuuto pouvait croire l’homme sur parole qu’il allait bien. C’est exactement ce que l’on peut attendre de l’ancien Mánagarmr qui n’avait pas été tué.
« Sur cette note, je voulais te demander quelque chose, » dit Yuuto. « Comment était-ce, en fait, de les combattre ? »
« Ils n’ont offert aucune résistance, » déclara Skáviðr.
« Mais tu ne dis pas qu’ils étaient faibles, n’est-ce pas ? » demanda Yuuto.
« Exact, Maître... Un instant, si vous voulez bien, » Skáviðr ramassa une brique de taille moyenne parmi les restes du mur détruit, puis la jeta en l’air.
Frappe ! Il y avait un éclair argenté dans l’obscurité, la lune se réfléchissant sur le fer.
« Étonnant, » remarqua Yuuto en applaudissant sincèrement.
La brique avait été tranchée proprement en deux, et les nouvelles surfaces formées par la coupe étaient régulières et lisses. Même avec le tranchant exceptionnel d’une épée japonaise, un tel exploit serait toujours impossible sans un niveau de compétence considérable.
***
Partie 5
Yuuto lui-même avait un peu d’expérience dans l’art du sabre, mais si quelqu’un de son niveau essayait la même chose, il ne ferait probablement que frapper la brique et la faire voler.
« Ce nihontou, ainsi que la phalange, sont inégalé dans un affrontement au corps à corps, » déclara Skáviðr. « C’est-à-dire, tant qu’on peut faire en sorte qu’un tel affrontement se produise. »
« … Je vois, » Yuuto hocha la tête. « Tu n’as donc pas ressenti de résistance de la part de l’ennemi parce qu’il était presque impossible de faire en sorte que cela se produise. »
« Oui, Père. Les longues lances utilisées dans la phalange ne peuvent pas correspondre à la portée des flèches. Et aussi magnifique que soit le tranchant d’une épée, les hommes à pied ne peuvent rattraper ceux à cheval. Même après les avoir pris par surprise dans une embuscade, ils ont réussi à s’échapper proprement, » déclara Skáviðr.
« Hm, ne pas être capable d’utiliser mes forces spéciales en ce moment rend les choses difficiles, » réfléchit Yuuto. « Crois-tu que j’ai pris une mauvaise décision ? »
Le Clan du Loup avait sa propre unité de cavalerie, une force spéciale d’élite dirigée par Sigrun. Bien sûr, cela faisait un peu moins de deux ans que Yuuto avait introduit l’utilisation des étriers. Les seules personnes parmi les citadins de son peuple qui pouvaient apprendre à se battre à cheval efficacement en si peu de temps étaient celles qui avaient un certain talent. Il n’avait qu’un total d’environ deux cents hommes jusqu’à présent, une force plus petite que celle de son ennemi.
Ce n’est pas que Yuuto ait trouvé quelque chose de romantique ou d’inspirant dans l’idée qu’un petit groupe de soldats batte une force qui les dépassait en nombre. Il préférait faire la guerre en utilisant une stratégie et des tactiques qui donnaient à ses troupes un avantage absolu par rapport à l’ennemi, de sorte que la victoire était le résultat naturel. C’est pourquoi, au lieu d’utiliser l’unité de Sigrun ici, il leur avait donné une autre mission. Mais la perspective qu’un petit groupe conquière un grand groupe l’intéressait toujours.
Ses forces n’avaient pas été en mesure de les pourchasser parce qu’elles étaient de l’infanterie. Mais s’il avait plutôt utilisé sa propre cavalerie, auraient-ils pu pourchasser l’ennemi et le vaincre ?
Skáviðr secoua tranquillement la tête. « Non. Si vous les aviez envoyés à leur poursuite, ils n’auraient pas pu faire mieux que de les rattraper, pour ensuite être vaincus quand l’ennemi se serait retourné contre eux. »
Obtenir une réponse aussi définitive, et désespérée avait fait que Yuuto avait voulu lever les mains dans la frustration. « Vraiment ? »
L’unité de Múspell était un regroupement des combattants d’élite du Clan du Loup. Se faire dire avec une telle assurance qu’ils auraient été vaincus avait été un peu difficile à accepter sur le plan émotionnel.
Malgré tout, c’était l’opinion de l’homme qui s’était battu avec l’ennemi et son commandant. Il ne pouvait pas prendre les mots de Skáviðr à la légère.
« Il y a une trop grande différence en termes de compétences fondamentales, » expliqua Skáviðr. « Si l’ennemi n’avait été qu’à égalité avec l’unité de Múspell, j’aurais pu les éradiquer pendant cette embuscade. »
« Oui, cette bataille m’a vraiment surpris. J’étais sûr que ça marcherait aussi, » déclara Yuuto.
Le moment choisi de l’embuscade avait été si parfait que Yuuto avait voulu se tapoter le dos à ce moment-là. Mais à la fin, ils n’avaient vaincu qu’une dizaine de cavaliers.
Bien qu’ils aient été pris au dépourvu, les combattants ennemis n’avaient pas paniqué. Ils s’étaient bien défendus contre les attaques à la lance, puis avaient suivi les ordres de leur commandant et avaient fait une retraite bien organisée.
Franchement, c’était tellement impressionnant que Yuuto souhaitait même les avoir comme soldats.
« Plus précisément, c’est la façon dont ils ont pu équilibrer leur corps tout en avançant rapidement, » déclara Skáviðr. « Il serait insultant de nous comparer à eux à cet égard. »
« Ah, je vois, » déclara Yuuto.
La capacité d’un soldat à maintenir son équilibre se traduit directement par sa capacité à bien se battre.
Par exemple, si un soldat se tenait debout sur un sol ferme et sec, et son adversaire sur un terrain boueux, il allait sans dire que le premier serait à un avantage écrasant.
Grâce aux étriers, il était maintenant plus facile pour une personne de maintenir son équilibre sur un cheval en mouvement, assez pour qu’elle puisse apprendre à se battre à cheval. Mais il y avait un piège : Il n’était devenu possible de se battre qu’à cheval, rien de plus.
Un cheval était un être vivant avec sa propre volonté, indépendant de son cavalier. Il avait quand même fallu beaucoup de temps pour maîtriser l’art du combat à cheval.
Avoir des étriers aurait à l’origine couvert la différence de compétence, mais le Clan de la Panthère les utilisait aussi. C’était un clan élevé dès la naissance pour être familier avec les chevaux et l’équitation, il était donc logique que la cavalerie de Yuuto ne soit pas de taille face à eux.
« Et c’est cet équilibre qui permet cette incroyable technique qui est la leur… le “coup des Parthes”, » murmura Yuuto.
Il faisait référence à la technique que les cavaliers du Clan de la Panthère avaient démontrée lors de la bataille précédente, celle où ils tournaient leur corps tout en se retirant au galop, puis tiraient à reculons sur leurs poursuivants. Les Européens avaient commencé à l’appeler ainsi parce que les nomades à cheval de la nation moyen-orientale de Parthe s’étaient distingués pour l’avoir utilisé contre l’Empire romain.
C’était une tactique qui s’était également transmise chez les Scythes et les Mongols, et qui était devenue l’une des principales tactiques utilisées par les nations nomades pour terroriser les nations agricoles sédentaires.
Dans les temps plus modernes, le terme en anglais avait pris un sens métaphorique semblable à celui de « Dernier Mot », une remarque ou une insulte lobée en adieu, par un lâche ou un pauvre perdant, par exemple. En fait, on peut se demander si les Occidentaux n’avaient pas été de piètres perdants pour avoir attaché un tel sens à ce terme.
Si Yuuto avait négligemment envoyé son infanterie à la poursuite des cavaliers du Clan de la Panthère, même la phalange, la formation imbattable qui lui avait apporté la victoire jusque-là, pourrait aussi bien être impuissante contre le coup des Parthes. Et, même après avoir utilisé une embuscade pour créer une attaque en tenaille, l’ennemi leur avait glissé entre les doigts.
Ce fossé écrasant en matière de mobilité était une menace terrible, pure et simple.
« J’avais déjà pris ça en considération, » soupira Yuuto.
Si l’on regarde la situation à l’envers, cela signifie que s’il faisait pression sur eux avec une grande masse de troupes, ils choisiraient d’utiliser leur stratégie clé et de battre en retraite, plutôt que de rester et de se battre de front.
Lorsque Yuuto avait fait des recherches sur le sujet en ligne, il avait lu que parce que les nations nomades avaient tendance à avoir des populations plus petites que les nations agricoles, elles avaient une idéologie plus forte et plus cohérente d’éviter le combat direct avec un adversaire qu’elles ne pouvait vaincre.
De plus, parce que les peuples nomades n’étaient pas restés installés à un seul endroit, ils ne s’étaient pas concentrés sur la construction ou l’entretien de forteresses défensives. En fait, le Clan de la Panthère avait tout simplement abandonné les villes fortes qu’il s’était donné la peine de capturer.
Pour l’instant, le Clan du Loup devait continuer et pousser l’ennemi hors du territoire du Clan de la Corne. Par la suite, Yuuto avait travaillé sur la théorie qu’ils pouvaient construire de nouveaux murs défensifs, semblables à la Grande Muraille de Chine, sur les frontières extérieures de leurs terres agricoles. S’ils se concentraient alors sur leur défense, ils pourraient protéger le Clan de la Corne.
Bien sûr, il faudrait beaucoup plus qu’un jour ou deux pour construire une structure géante semblable à la Grande Muraille, mais Yuuto avait appris une idée utile de l’histoire de la bataille de Nagashino au Japon au XVIe siècle. C’était dans cette bataille qu’Oda Nobunaga avait triomphé de la cavalerie presque inattaquable du clan Takeda, en utilisant des palissades en bois.
Pour les amateurs d’histoire japonaise, l’histoire de la bataille de Nagashino était plus célèbre pour la fameuse utilisation par Nobunaga d’un « tir de volée de trois rangs » avec ses artilleurs. Mais il avait également été dit que Nobunaga avait été le premier général japonais à proposer et à utiliser des barrières de palissade anti-cavalerie.
Une clôture ou une barrière utilisée pour bloquer le mouvement des chevaux n’avait pas besoin d’être très haute, comme le montre une recherche rapide d’images.
C’était parce que les chevaux étaient naturellement réticents à essayer de sauter par-dessus des obstacles.
Myrkviðr était connu pour ses vastes ressources en bois d’œuvre, alors Yuuto pensait qu’ils seraient capables de construire rapidement et à peu de frais des défenses de base basées sur des stocks.
« Pourtant, s’ils ont maintenant des armes de siège à longue portée, ils pourraient facilement percer mes défenses, » murmura-t-il. Ce nouveau facteur allait être le vrai mal de tête.
L’arme de siège la plus courante à Yggdrasil était toujours le bélier en billot. Contre quelque chose comme ça, une volée de flèches de l’intérieur de la barricade serait plus que suffisante pour la défendre, mais le trébuchet avait une portée de 300 mètres. C’était plus du double de ce qu’une arbalète pouvait accomplir.
« Donc, si nous ne pouvons pas nous défendre, nous devrons frapper l’ennemi… Cela dit, même si nous essayons de les poursuivre, ils continueront de réduire nos forces. Nous avons besoin d’un moyen de les attirer dans un piège…, » déclara Yuuto.
Li Mu de Zhao, le célèbre général qui était bien connu comme le pionnier des stratégies anti-cavalerie dans la Chine antique, avait commencé sa carrière entièrement axée sur la défense. Mais quelques années plus tard, il avait conçu des stratagèmes pour attirer les troupes de la nation xiongnu dans un piège, vainquant ainsi plus de cent mille cavaliers.
Apparemment, après cela, les Xiongnus n’avaient pas osé s’approcher de la frontière du royaume de Zhao pendant dix ans après.
En d’autres termes, il avait mis fin à l’appétit de leur nation pour les invasions en leur imposant une forte impression dans l’ensemble : « Si vous nous croisez, vous ne ferez que souffrir beaucoup pour cela. »
« Merde, » murmura Yuuto. « Alors, est-ce que s’entretuer est le seul moyen de s’en sortir… ? »
Afin de créer un impact suffisant pour donner cette impression dans le cœur de la nation ennemie, cela signifiait que la bataille devait être horrible dans son issue. Il y avait plus que de bonnes chances pour qu’il doive aussi tuer le frère aîné assermenté qui s’était si bien occupé de lui. Il y avait aussi la possibilité que Yuuto lui-même soit tué.
Yuuto gardait encore l’espoir de régler ce problème avec seulement quelques petites batailles sur le territoire, sans que cela devienne une guerre à grande échelle. C’était une pensée un peu naïve, mais il y avait aussi de l’espoir dans la réalité. Mais maintenant, le dispositif que Yuuto avait aidé à mettre au point à tout ça avait réduit cet espoir en ruines.
« Je suppose que tu récoltes ce que tu sèmes, » murmura Yuuto. « Bon sang, ça montre à quel point ces tricheries sont vraiment horribles maintenant que l’ennemi s’en sert. »
Ces tricheries avaient foulé aux pieds tout ce qui était possible avec les normes de guerre actuelles à Yggdrasil. Même si Yuuto prenait toutes les bonnes décisions stratégiques, la technologie de l’avenir pouvait facilement le maîtriser.
C’était comme jouer aux échecs contre un adversaire dont les pions avaient tous été promus reines.
« Mais ça ne veut pas dire que je peux rester assis et te laisser faire ce que tu veux, Grand Frère. Il est temps que je me défende contre toi, » déclara Yuuto.
Yuuto fixa le regard vers l’ouest. Son adversaire n’était pas le seul à avoir une rangée pleine de reines.
***
Acte 5
Partie 1
« Tch, je sais que j’ai utilisé la même stratégie, mais c’est vraiment agaçant quand on s’en sert contre toi, » Yuuto regarda dans la direction d’où l’ennemi était apparu, faisant claqué sa langue en raison de l’irritation.
Actuellement, l’armée du Clan du Loup avait quitté Sylgr, et elle se dirigeait vers Myrkviðr afin de la reprendre.
Le problème se posant actuellement à Yuuto était lié à la même tactique qu’il avait ordonné à Sigrun d’utiliser contre le Clan du Sabot, et c’était la même que celle qu’il avait utilisée à cheval. Le Clan de la Panthère était apparu comme un coup de vent soudain venu de nulle part pour créer une perturbation parmi l’ennemi avec quelques attaques rapides, puis avait disparu tout aussi rapidement.
Pendant la guerre avec le Clan du Sabot, l’Unité de Múspell s’était simplement enfuie après avoir attaqué, mais le Clan de la Panthère laissait toujours un cadeau d’adieu sous la forme d’une pluie de flèches, les rendant d’autant plus mauvais comme adversaires.
Yuuto avait ordonné à ses hommes d’entrer dans des formations carrées d’infanterie capables de faire face à des attaques de toutes parts, de sorte qu’il ne subissait réellement pas trop de pertes. Mais ces derniers jours, la menace constante et l’incertitude quant à la date de la prochaine attaque les avaient empêchés d’avoir un moment de paix.
Il pouvait déjà voir les signes de fatigue physique et mentale apparaître sur les visages de ses soldats. Les choses commençaient à aller dans une mauvaise direction.
« Grand Frère, s’il te plaît, baisse-toi ! » cria Félicia.
« Ah ! Wôw !? » s’écria Yuuto.
En entendant les paroles de Félicia, le corps de Yuuto avait bougé par instinct. Tandis qu’il s’esquivait, une flèche fila au-dessus de la tête.
En succession rapide, une deuxième flèche claqua sur le côté du chariot de Yuuto, rebondissant en produisant un claquement.
« Ouf… ! Je suis si content qu’on ait renforcé ce truc avec des feuilles de fer, » déclara Yuuto.
L’ennemi utilisait des flèches à pointe de fer. Celle-là aurait pu le percer s’il avait roulé dans un chariot garni uniquement de planches de bois, comme celles qu’ils utilisaient auparavant. Rien que d’y penser, ça lui avait fait froid dans le dos.
« Pourtant, l’ennemi doit être un archer d’une force et d’une habileté extraordinaires pour être capables de te tirer dessus avec précision de si loin, » déclara Félicia. « Il est peut-être encore plus fort que le maître archer Haugspori du Clan de la Corne. Et tout cela à cheval, ce qui, de plein droit, devrait faire vaciller son objectif… »
« C’est à peu près ce qu’il faut pour être celui qui a réussi à blesser Skáviðr. Mais nous ne les laissons pas seulement nous tirer dessus gratuitement, » déclara Yuuto.
Actuellement, la seule arme dont disposait le Clan du Loup pour faire face à la tactique des Parthes était leur arbalète, qui avait une portée supérieure à celle des arcs du Clan de la Panthère.
L’arbalète avait historiquement été utilisée dans la Chine antique comme contre-mesure contre les attaques des Xiongnus du nord. Le piège était qu’une arbalète prenait beaucoup plus de temps à préparer et à tirer un projectile. En une minute environ, un soldat pouvait tirer une dizaine de flèches d’un arc standard, mais une arbalète ne pouvait tirer que deux coups au maximum.
Et c’est là que Yuuto avait adopté une autre tactique.
Les ordres de Skáviðr résonnaient dans l’air, sa voix était froide, mais digne. « Premier rang, feu ! Deuxième rang, passez les arbalètes au premier. Passez les arbalètes utilisées au troisième rang ! »
La vérité était que, même avant de faire des recherches en ligne sur les stratégies anti-cavalerie, Yuuto avait déjà connu la tactique de tir de volée à trois rangs qu’Oda Nobunaga avait utilisée pour vaincre la cavalerie du clan Takeda lors de la bataille de Nagashino. C’était l’une des choses des temps anciens qui étaient relativement bien connus au Japon au travers des médias et de la culture populaire.
Quand il l’avait consulté, il avait lu que le récit de Nobunaga utilisant le tir à la volée était contesté comme ayant probablement été ajouté dans les années suivantes. D’ailleurs, le Clan du Loup n’avait dès le départ pas de fusils, alors il était sur le point d’abandonner l’idée comme tactique viable pour sa situation.
Cependant, trois cents ans avant Nobunaga, sous la dynastie des Song en Chine, il y avait des preuves évidentes de tirs de volée de trois rangs, à l’arbalète. Les soldats du troisième rang replaçaient la corde d’arbalète en place, puis passaient les arbalètes au deuxième rang qui chargeait le carreau, et le premier rang n’avait plus qu’à se concentrer sur le tir avec les arbalètes préparées pour lui. Cela compensait la vitesse de tir lente de l’arme.
C’était une technique militaire 2 500 ans avant l’âge de Yggdrasil, et Yuuto l’avait maintenant mise en œuvre dans l’armée du Clan du Loup.
« Ils se sont beaucoup améliorés, n’est-ce pas ? » Jetant un coup d’œil sur le côté de son véhicule, Yuuto regardait avec fierté ses arbalétriers dignes de confiance.
Naturellement, la théorie était une chose, mais sa mise en pratique avait toujours été une autre histoire.
Pour que cela soit efficace, il fallait tirer des volées de flèches sans décalage entre les mouvements requérait de la pratique, et de la discipline de la part de chaque soldat de la formation.
Même les soldats du Clan du Loup, plus habitués à la vie sous des ordres stricts, ne pouvaient pas accomplir ce genre de chose du jour au lendemain.
Lors de leur premier véritable engagement avec le Clan de la Panthère, leur coordination s’était détériorée et ils n’avaient pas réussi à tirer plus de deux ou trois salves consécutives.
Mais tout comme Yuuto avait personnellement fait l’expérience de l’apprentissage d’une nouvelle langue, lorsque les gens étaient menacés et luttaient désespérément, cela avait tendance à les faire apprendre beaucoup plus rapidement.
Dans le onzième chapitre de l’Art de la guerre de Sun Tzu, intitulé « Les neuf situations », il y a un passage particulièrement pertinent : « … les hommes de Wu et les hommes de Yue sont ennemis, mais s’ils traversent une rivière dans la même barque et sont pris dans une tempête, ils s’entraident comme la main gauche aide la droite. »
L’important, c’est que, face à une menace commune et mortelle, même les ennemis historiquement farouches pouvaient mettre de côté leurs différences pour travailler ensemble et survivre. Cela impliquait que, sous ce même type de contrainte en temps de guerre, les camarades d’armes devraient être capables d’atteindre un niveau encore plus élevé de coopération et de coordination, et être vraiment comme les deux mains d’un même corps.
C’est l’origine d’un vieil idiome japonais assez célèbre, « Wu et Yue dans le même bateau », utilisée pour décrire des étrangers ou des ennemis forcés à partager leur destin.
Et comme l’avaient laissé entendre les paroles de Sun Tzu, dans leur situation menaçante actuelle, les soldats du Clan du Loup avaient amélioré leur coordination. C’était inévitable, en un sens.
Ces derniers jours, les attaques constantes du Clan de la Panthère avaient en effet causé beaucoup de stress aux soldats du Clan du Loup. Mais en même temps, ils avaient servi de forme de formation encore plus importante.
***
« Merde ! C’est quoi le problème avec eux !? » Váli avait maudit et utilisa son épée pour dévier les carreaux d’arbalète alors qu’ils accéléraient vers lui.
Au cours de ce premier combat, il avait été piégé par l’utilisation de soldats en embuscade, mais depuis lors, il avait tout fait dans les règles de l’art.
Il attaquerait l’ennemi encore et encore, alors ils seraient incapables de se défendre complètement contre les attaques soudaines de la cavalerie venant de Dieu sait où. Il les poussait mentalement dans un coin et leur brisait le moral.
C’était ainsi que les choses devraient se passer.
Mais au lieu de cela, chaque attaque successive avait vu une augmentation de la vitesse de tir des arbalètes des ennemis. À ce moment-là, l’intervalle entre les volées n’était rien comparé à ce qu’il était au début.
Avec une véritable pluie de carreaux qui s’abattait sur eux, même les combattants d’élite du Clan de la Panthère devaient maintenant utiliser tout ce qu’ils avaient pour détourner les tirs, et ils n’avaient pas le temps de préparer et de tirer avec leurs propres armes. Après tout, leurs armes avaient moins de portée que celles de l’ennemi.
Même s’ils chargeaient avec des arcs armés et prêts, le fait d’être exposés à l’attaque était une menace suffisante pour perturber leur concentration, et il devient de plus en plus difficile de maintenir leur objectif sur leurs cibles.
« Gyaah ! » « Guhagh… ! »
Váli entendit les cris de plusieurs de ses camarades qui tombaient, leurs chevaux hurlants. Il avait lâché une malédiction alors qu’il avait les dents serrées. « Kh… Va te faire foutre ! »
La différence de nombre était trop grande pour qu’il puisse faire quoi que ce soit.
S’il avait eu assez d’hommes de son côté, il aurait pu profiter du fait que l’adversaire n’utilisait que des arbalètes. Il aurait pu fermer les yeux sur un certain nombre de blessés, et faire charger ses hommes avec les lances, frappant dans toutes les directions pour les perturber. Mais avec autant d’ennemis en formation, s’il essayait cela, il n’arriverait qu’à abattre toutes ses forces avant qu’elles ne puissent charger au centre.
Les tactiques de Frappe et Fuir de Váli avaient bien fonctionné pour lui précisément parce qu’il avait utilisé un petit groupe de cavaliers, mais maintenant il se retrouvait soudainement incapable d’agir face à la force de l’ennemi en nombre.
« Grrgh, ces gars sont vraiment un cauchemar ! » Váli grogna encore une fois, puis cria à ses hommes. « D’accord, bande de salauds, on s’en va d’ici ! »
***
Partie 2
« Grand Frère, l’ennemi se retire ! » s’exclama Félicia avec enthousiasme.
« Oh ? On dirait qu’ils n’ont pas pu nous lâcher un tir cette fois-ci non plus, » dit Yuuto avec sarcasme, le coin de sa bouche se dressant en un sourire.
Comme toujours, la retraite du Clan de la Panthère fut rapide et coordonnée, mais les tirs de volée de trois rangs avaient bien réduit leur nombre.
Les cadavres des soldats tombés au champ d’honneur du Clan de la Panthère et leurs chevaux avaient permis de donner toutes les indications que le Clan du Loup avait réussi un exploit remarquable dans cette série de batailles. D’après les chiffres de leur première bataille, ils auraient pu éliminer environ la moitié des soldats de la bande de guerres de l’ennemi.
Il semblait que même les guerriers d’élite de la cavalerie du Clan de la Panthère ne pouvaient pas se défendre complètement contre une telle rafale de carreaux d’arbalète.
Yuuto n’avait pas réussi à vaincre le commandant ennemi, mais le fait de leur infliger autant de pertes les empêcherait d’être trop désireux de mener des raids simples pour le moment. Cela devrait donner à ses propres soldats une pause suffisante pour se détendre et dormir un peu.
« Pourtant, je suppose qu’en premier lieu, il n’y avait aucune chance que nous perdions contre leur seule unité d’avant-garde, » murmurait Yuuto.
Il savait que la vraie force de l’armée du Clan de la Panthère n’était pas dans ce genre de raid avec seulement quelques centaines d’hommes, même s’ils étaient des combattants d’élite. Le corps principal de leur armée était ailleurs.
L’unité qu’ils combattaient n’avait pour but que de les affaiblir.
Il venait de recevoir un rapport de Kristina, qu’il avait envoyée en avant, selon lequel les forces ennemies s’amassaient à Myrkviðr.
Ils étaient environ trois milles.
Et à en juger par le talent incroyable de l’unité d’avant-garde, on pouvait imaginer que ces trois mille hommes seraient assez forts pour mettre facilement à terre sa propre cavalerie des forces spéciales, l’Unité Múspell.
Yuuto avait tant lutté, pendant des jours, contre une force d’attaque de quelques centaines seulement. Ils étaient beaucoup moins nombreux que les forces du Clan du Loup, mais assez forts pour exiger toute leur attention.
Cela étant, il avait eu la chance que ses troupes soient capables d’utiliser des tirs de volée de trois rangs en combat réel maintenant, avant que le conflit principal ne commence.
Avec cela, il avait enfin acquis une tactique utile à utiliser contre la cavalerie.
***
« … Voici le blé, l’orge, le sel et le vinaigre, et voici les munitions pour les arbalètes. » Ginnar désigna une par une la cargaison sur différents wagons tirés par des chevaux, en vérifiant chacun d’eux par rapport à une liste qu’il avait sur papier.
C’était un ravitaillement pour l’armée de Yuuto.
De toute évidence, les soldats ne pourraient pas survivre sans un approvisionnement suffisant en nourriture.
Ce qui était particulièrement frappant à la lumière de la dernière bataille, cependant, c’était qu’ils ne pouvaient pas se battre sans un nombre suffisant de flèches.
Et plus ils se battaient, plus ils épuisaient ces réserves.
Yuuto demandait à Ginnar et à d’autres commerçants de son réseau d’acheter des marchandises dans les villes voisines pour qu’ils puissent le ravitailler périodiquement.
La logistique militaire était le terme utilisé pour décrire la discipline et la compréhension des divers types de soutien du service de combat dont une armée avait besoin pour se maintenir en fonction.
L’importance accordée à la logistique militaire au XXIe siècle pourrait se résumer par une citation populaire de l’époque moderne. « Les amateurs en guerre parlent de stratégie. Les anciens combattants parlent de logistique. »
« Merci, Ginnar, » dit Yuuto. « Je commençais à m’inquiéter un peu, puisque nous avons abandonné beaucoup de nos rations à Sylgr, j’ai vraiment de la chance d’avoir un enfant aussi capable que toi. »
« Père ! Devez-vous vraiment continuer à faire ça, même dans un moment pareil ? » protesta Gunnar.
Yuuto avait ri. « Non, je suis aussi sérieux que possible cette fois-ci. »
Même si Yuuto avait suffisamment ri pour donner l’impression qu’il plaisantait, en vérité, il s’était vraiment senti profondément soulagé et reconnaissant.
Le Clan du Loup avait repris la ville de Sylgr en peu de temps, mais le Clan de la Panthère l’avait déjà privée de ravitaillement, y compris jusqu’au dernier morceau de nourriture, et les citoyens n’avaient même rien eu pour les amener au lendemain.
Il y avait bien sûr beaucoup de gens qui avaient été tués, ou kidnappés pour être utilisés ou vendus comme esclaves, mais il restait encore près de dix mille survivants dans la ville et ses environs.
Dans Yggdrasil, un membre de la population vivant dans un territoire ou un fief particulier était appelé « konr ». C’était un mot signifiant « descendant ».
Suivant la logique du système formé par le calice d’allégeance et les clans, les citoyens de son pays étaient en effet les descendants d’un patriarche, les enfants au bas de l’arbre généalogique.
Ce n’était pas tout à fait aussi idéaliste que le concept de « toute l’humanité comme des frères ». Mais Yuuto ne pouvait pas simplement fermer les yeux face à la souffrance des enfants d’un clan sous sa protection. De son point de vue de chef d’un clan fondé sur les liens familiaux, ils appartenaient à sa famille élargie.
« Pourtant, vous êtes vraiment un homme bon, Père, » dit Gunnar. « C’est un peu nai — euh, non, je veux dire, c’est juste un peu cra — ahhh, non… »
« Ha ha ha, ouais, ouais, ouais, je sais, je suis vraiment trop doux, » déclara Yuuto en riant d’un rire autodérisoire.
Dans son désir d’étudier, il avait lu des chroniques de guerre et des romans de ce genre, et c’était à peu près un point commun que l’importance de la logistique figurait dans chacun d’entre eux.
En ce qui concerne les événements du monde réel, l’importance d’une armée capable de produire et de se procurer ses propres approvisionnements de manière indépendante n’était apparue qu’à des époques ultérieures, après que les canons et les armes à feu se soient généralisés.
C’était parce que les armées individuelles ne pouvaient utiliser que des munitions qui correspondaient aux spécifications de leur propre équipement. La distribution correcte des munitions était désormais plus vitale que l’approvisionnement en vivres.
En ce qui concerne la nourriture en temps de guerre, la meilleure méthode était de se la procurer sur le théâtre de guerre plutôt que de stocker et de transporter des quantités incroyablement importantes de vivres. C’était une tactique qui était apparue dans les travaux écrits sur la stratégie militaire dès Sun Tzu, et c’était un élément fondamental de la logistique depuis les temps anciens jusqu’à juste avant l’ère moderne.
Se ravitailler sur le théâtre de guerre, c’est-à-dire soit par réquisition, soit par pillage. C’était également le cas à Yggdrasil.
Ce n’est qu’après le développement des chemins de fer motorisés et de l’automobile qu’il était devenu possible de transporter une quantité suffisante de vivre aux troupes en guerre.
Avec un petit rire à ses dépens, Yuuto haussa les épaules. « Même ainsi, si je ne peux pas jouer le rôle du héros ici, même si ce n’est qu’une imitation bon marché, alors à quoi bon utiliser toutes ces tricheries, non ? »
En vérité, le transport de grandes quantités de nourriture depuis Iárnviðr avait été un cauchemar.
Traditionnellement, la composition d’une armée à cette époque dépassait 90 % des troupes de combat, mais le corps de transport du Clan du Loup représentait plus de 20 % de son armée.
De plus, le corps de transport n’était pas armé pour le combat, de sorte que les pertes ou les vols qu’il subissait auraient un impact sur l’armée dans son ensemble. C’était potentiellement une faiblesse critique dans son armée.
C’était le territoire du Clan de la Corne, donc si le pillage était hors de question, il y avait encore des réquisitions. Avec une démonstration de leur menace en tant que puissance militaire, ils pourraient forcer la population locale à leur vendre des fournitures à un prix très bon marché, ce qui serait à la fois beaucoup moins risqué et beaucoup moins un fardeau pour son armée.
Dans une situation d’urgence comme celle-ci, il serait insensé d’accepter de plein gré de payer le prix normal des biens et services, et encore plus fou de payer plus que cela pour répondre à la demande.
Cependant, à notre époque, il n’y avait pas vraiment beaucoup de marge de manœuvre en ce qui concerne les magasins d’alimentation. Yuuto demandait aux gens de se séparer de la nourriture qu’ils avaient accumulée pendant la saison des récoltes en préparation de l’hiver, donc payer un prix juste pour cela semblait la chose naturelle et juste à faire.
Utiliser son pouvoir pour acheter leurs provisions au rabais aurait été la même chose que de leur dire de mourir de faim.
« Ginnar, la seule raison pour laquelle les choses fonctionnent pour nous comme ça, c’est en raison de gens comme mon second, comme Linéa, et comme toi, » déclara Yuuto. « Vous avez donc vraiment mes remerciements. »
Le mot « logistique » tenait ses racines dans le mot grec « logistikós », signifiant soit « actions avec une base en calcul rationnel », soit « doué en calcul ».
Acheter des fournitures au hasard et les transporter ne servirait à rien. Les taux de consommation étaient différents pour chaque article, de même que leurs prix. Il fallait être capable de calculer et d’estimer ce qui devait être transporté, en quelle quantité et jusqu’où.
Il était également important de choisir des itinéraires qui se heurteraient à moins de raids ennemis et de choisir de bons endroits pour effectuer les ravitaillements.
Et à cet égard, le Clan du Loup était doté d’un talent incroyable.
« Ha ha ha, » ria Ginnar. « Je pense que tante Linéa y est beaucoup plus impliquée que quelqu’un comme moi. J’ai fait un arrêt à Sylgr avant de venir ici, et c’était incroyable. De la distribution des fournitures à l’attribution du travail, en passant par d’innombrables autres choses, elle était incroyablement bien préparée à ce travail pendant la période de rétablissement. Cela ne fait que deux jours qu’elle a été libérée, et elle fonctionne déjà comme une ville normale. »
« Wôw… Comme toujours, cette fille est tellement plus douée que les autres quand il s’agit de ces trucs, » Yuuto se remémora le visage de sa chère petite sœur qui lui fit ses adieux à Sylgr il y a trois jours, et se trouva en train de pousser un profond soupir qui pouvait être pris pour de l’admiration ou de l’exaspération.
Si Sylgr avait recommencé à fonctionner comme une ville, cela signifiait aussi qu’elle avait été récupérée comme base et point de ravitaillement.
Tant que Linéa était là pour commander et contrôler le service et le support, le Clan du Loup n’avait pas à se soucier de sa logistique.
« Oh, mais même tante Linéa ne pouvait pas faire quelque chose à partir de rien, » dit Ginnar. « En fin de compte, c’est l’argent qui fait tourner le monde, après tout. Vous n’avez pas besoin d’être modeste, Père. Tout cela a été possible grâce à votre collecte d’une si grande quantité d’argent. »
« Et c’est quelque chose que je n’aurais pas non plus pu faire moi-même. Nous devons remercier Ingrid pour cela, » déclara Yuuto.
Il y avait maintenant les articles en verre, le papier, le pain sans grains et toutes sortes d’autres produits spéciaux sur le marché. Et grâce à cet afflux d’échanges commerciaux, le Clan du Loup disposait désormais de grandes quantités d’argent, utilisable comme moyen de paiement partout dans Yggdrasil.
C’était grâce à cette abondance de pouvoir économique que le Clan du Loup pouvait maintenant se permettre d’envoyer son armée en campagne militaire sans avoir à le réquisitionner ou à le voler aux habitants.
Yuuto avait exprimé ses sentiments à haute voix. « C’est grâce à tout le monde que je peux mettre de côté tous mes autres soucis et me concentrer sur la victoire. »
Il était conscient de sa propre ignorance. Il connaissait les limites de son pouvoir et de ses capacités. Ainsi, sans fausse bravade ni orgueil hautain, il pouvait respecter et compter sur ceux qui, autour de lui, pouvaient faire ce qu’il ne pouvait pas faire, et il comprenait combien il était important de le faire.
« Montrez-leur par l’exemple, instruisez-les, faites-les faire, puis félicitez-les, sinon les gens ne feront rien. Communiquez, prêtez l’oreille, reconnaissez-les et confiez-leur des responsabilités, sinon les gens ne progresseront pas. Veillez sur eux, avec de la gratitude dans votre cœur, et placez votre confiance en eux, sinon les gens ne s’épanouiront pas. »
C’était les célèbres paroles d’Isoroku Yamamamoto, amiral et commandant de la marine impériale japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. Yuuto ne connaissait pas cette citation, mais sans s’en rendre compte, il les avait mises en pratique.
Et c’est ainsi que les plans et les desseins abstraits de Yuuto, en vertu de la sagesse et de la force de ses nombreux alliés, avaient finalement pu prendre forme en tant que « sagesse vivante », et affecter le monde.
Et, ironiquement, celui qui lui avait fait réaliser et reconnaître ses propres défauts était maintenant l’homme qu’il devait combattre.
***
Partie 3
« Hmph, tu t’es tant vanté, mais à la fin ça n’a pas été grand-chose, n’est-ce pas, Váli ? » Hveðrungr fixa froidement son subordonné tremblant, qui était venu le rejoindre alors qu’il voyageait avec la force principale de l’armée du Clan de la Panthère.
Váli avait la réputation d’être le plus grand guerrier du Clan de la Panthère, mais maintenant il était dans un triste état, et son corps était couvert de blessures occasionnées par des flèches.
Et c’était sans parler du fait qu’il avait aussi perdu la moitié des combattants d’élite qu’il avait sous ses ordres.
En repensant à la façon dont il s’était vanté d’avoir pu écraser toutes les forces restantes du Clan du Sabot avec sa propre petite bande de guerres, ce résultat n’était rien de moins que pathétique.
« Les rapports à leur sujet étaient tous faux, Père ! » protesta Váli. « Ils… ils ont pu tirer rapidement avec des arbalètes ! N’était-on pas censés pouvoir tirer cinq tirs pour chacun des leurs !? »
« … Hm. Donne-moi plus de détails, » déclara Hveðrungr.
« Eh bien, je ne pouvais pas vraiment voir tout ça très bien, mais on aurait dit qu’ils l’avaient installé de façon à ce que le gars à l’avant tire, tandis que deux gars derrière lui préparaient une arbalète pour le tir suivant, pour qu’ils puissent charger et tirer plus rapidement… »
Váli était le plus grand archer à cheval du Clan de la Panthère, et ses yeux étaient aussi les plus aiguisés. Même au milieu de la bataille — non, surtout au milieu de la bataille — ses yeux étaient capables de repérer et de suivre les mouvements de son ennemi à distance.
« Oho, je vois, » déclara Hveðrungr. « C’est donc son jeu. Bon travail. Tu peux te retirer maintenant. »
« S’il vous plaît, attendez, Père ! Je peux encore me battre ! S’il vous plaît, donnez-moi une chance de me racheter pour cette humiliation et de me venger ! Je vous en supplie ! » déclara Váli.
« Hm ? Qu’est-ce que tu racontes ? Bien sûr que je vais te laisser faire ça. » Hveðrungr descendit agilement de son cheval et frappa une main sur l’épaule de Váli. « Tu as fait ton travail, comme je te l’ai ordonné. Je récompense correctement mes loyaux subordonnés pour leur travail, et même s’ils échouent, je leur donne une seconde chance. Alors, Váli, je peux m’attendre à ce que ton service fidèle continue, n’est-ce pas ? »
« Oui, Père ! Je vous remercie ! Merci infiniment ! » En entendant des paroles si généreuses de son patriarche, Váli leva la tête inclinée pour montrer un visage étouffé par les larmes.
Hveðrungr avait souri et hocha la tête fermement en réponse, et saisit l’épaule de Váli de plus près.
Et alors que l’aura de méchanceté nichée dans ses yeux semblait soudain émaner vers l’extérieur, cela avait écrasé Váli en raison d’une pression invisible.
« Et si tu désobéis à mes ordres… si tu me trahis… tu sais ce qui va se passer, non ? » demanda Hveðrungr.
« Oui, Père… Je l’ai déjà pris à cœur, » déclara Váli.
« Bien, alors. J’attends avec impatience tes performances lors de la prochaine mission. » Hveðrungr hocha de nouveau la tête, satisfait du tremblement terrifiant qu’il pouvait ressentir de l’épaule de Váli. Il se leva et monta sur son fidèle coursier.
Il avait eu tout le temps pour se reposer. L’ennemi devrait être assez proche maintenant, alors il devait se dépêcher.
« Heehee ! On dirait que tu as fini par domestiquer Váli, » fit remarquer Sigyn depuis sa position au sommet d’un cheval à côté de lui.
Hveðrungr s’était moqué. « Oui, et maintenant l’imbécile n’agira plus tout seul ou ne reviendra plus en arrière. C’était un bon remède pour lui. »
Sigyn avait souri à son mari et elle ajouta. « Et j’étais là, si inquiète que tu puisses le faire exécuter sur le champ, après tout ce qui s’est passé. »
« Qu’est-ce que tu veux dire ? Je suis un homme généreux envers les gens qui suivent mes ordres et montrent leur loyauté. Et l’homme a fait du bon travail pour moi. Il n’y a aucune raison de le punir, » alors que Hveðrungr disait ça, un sourire malicieux s’était répandu sur son visage.
Il savait depuis le début qu’un imbécile aussi simple d’esprit que Váli ne s’avérerait pas être un adversaire redoutable pour son ennemi juré. Ce gosse excellait dans les plans rusés et lâches, tout comme celui qui avait poussé Hveðrungr dans cet exil.
Hveðrungr avait prédit que Yuuto trouverait une sorte de contre-mesure contre sa cavalerie.
Si Hveðrungr avait simplement permis à son avant-garde de faire une retraite propre, presque indemne, l’ennemi serait sûrement resté sur ses gardes. Mais, en faisant perdre à Váli certains de ses hommes et en subissant un certain degré de défaite avant de s’enfuir, il pouvait maintenant renforcer la confiance de l’ennemi dans sa victoire contre le Clan de la Panthère. Cela les inciterait certainement, de bonnes humeurs, à venir reprendre Myrkviðr.
Oh oui, Váli avait bien fait son travail.
« Selon le rapport de Narfi, le Clan du Loup compterait environ huit mille soldats, non ? » demanda Hveðrungr.
« C’est exact, » confirma Sigyn avec désinvolture. « On dirait qu’ils ont passé l’année dernière à s’agrandir à un bon rythme. Il est peut-être encore jeune, mais il semble que ce garçon soit un leader compétent. »
Les clans nomades de Miðgarðr croyaient fermement à l’importance de la capacité par-dessus tout.
Comme c’était le cas avec l’actuel patriarche du Clan de la Panthère Hveðrungr, même quand il s’agissait de gens de l’extérieur, ils n’avaient aucun scrupule à voir quelqu’un digne d’une place à leur tête.
C’était une différence entre eux et le Clan du Loup : si ce dernier maintenait une méritocratie qui valorisait la force et la compétence, il permettait aussi l’existence de personnes comme Bruno et son groupe d’anciens, qui refusaient d’échanger le Serment du Calice avec le patriarche Yuuto, mais qui avaient toujours un certain statut.
C’était un point de fierté pour le Clan de la Panthère et pour Sigyn de reconnaître et de respecter même l’ennemi qu’ils combattaient.
« Hmph. En fin de compte, il ne s’agit que d’un pouvoir emprunté. Lui-même n’a rien de spécial, » la voix de Hveðrungr était faible et douce, mais il y avait une tension de haine qui semblait se trouver violemment dans le sous-entendu.
Sigyn n’avait jamais demandé à Hveðrungr ce qui lui était arrivé dans le passé. Une bonne femme sait qu’il ne faut pas fouiller dans le passé d’un homme, se dit-elle. Mais elle pouvait sentir la haine et la rage terrifiantes qui semblaient se répandre dans les yeux derrière ce masque. À en juger par cette réaction, il ne faisait aucun doute qu’il partageait un destin tordu avec le jeune patriarche du Clan du Loup.
« Kh-heheheheheh, viens me voir, Yuuto. Cette fois, c’est moi qui te tendrai un piège, » ses lèvres de Hveðrungr s’étaient tordues en un sourire sombre, ravies par ce qu’il anticipait.
D’après Váli, les forces du Clan du Loup devraient bientôt entrer dans la région, une région connue sous le nom de Náströnd.
Les mauvaises pulsions commencèrent à se répandre en lui.
Un peu plus, juste un peu plus.
Il connaissait très bien Yuuto. Les valeurs du garçon étaient un peu différentes de celles d’Yggdrasil, mais en y repensant maintenant, il avait aussi un état d’esprit propre à une personne résidant à l’étranger.
« Nous avons aussi plus de soldats. Mon armée ne peut pas perdre, » déclara Hveðrungr avec un ricanement confiant.
Si l’on excluait les anciens citoyens du Clan du Sabot qu’il avait réduits en esclavage, la population totale du Clan de la Panthère était inférieure à cinquante mille personnes. Il n’était pas si différent du Clan du Loup dans sa période la plus faible.
Cependant, lorsqu’un pays agricole était entré en guerre, au moins un dixième de sa population en âge de combattre ou plus devait rester à la maison pour entretenir ses fermes et son industrie. En revanche, pour les nations nomades comme le Clan de la Panthère, à l’exclusion des bébés, des personnes âgées et des esclaves, chaque homme du clan était un soldat participant.
De plus, la plupart des soldats enrôlés dans les armées d’une nation agricole n’avaient aucune formation militaire sérieuse, tandis que tous les hommes du Clan de la Panthère passaient leurs journées à chasser le gibier et à affûter leurs compétences à l’arc.
Et au cours de l’année écoulée, la pratique des étriers avait également permis à chaque membre du clan de se battre à cheval à l’aide d’armes.
La raison pour laquelle Hveðrungr n’avait stationné que trois mille soldats pour garder Myrkviðr était aussi pour mettre en scène une ruse — pour tenter son ennemi avec une force de nombre inférieur et leur faire baisser leur garde.
Et pour couronner le tout, la cavalerie du Clan de la Panthère possédait une autre arme toute-puissante en plus de son tir à l’arc à cheval mortel.
Hveðrungr ne voyait plus la moindre chance de défaite.
« Viens, Yuuto. Cette terre de Náströnd sera ta tombe. »
Náströnd.
***
Partie 4
Náströnd.
Il s’agissait d’une zone de vastes terres humides herbeuses qui s’étendait sur la partie nord-ouest du territoire du Clan de la Corne.
Si l’on se dirigeait plus à l’ouest vers la région de Myrkviðr, le paysage changeait et des forêts profondes commençaient à apparaître, mais dans cette région, le sol ne semblait pas pouvoir supporter de grands arbres, donc la végétation était dominée par les roseaux, le carex, les mousses et autres petites plantes aquatiques. Et au fil des longs mois et des longues années, dans ce climat perpétuellement doux et humide, cette végétation s’était lentement transformée en tourbe.
À Yggdrasil, il n’y avait pas encore de technique ou de technologie pour drainer les marécages ou les marais, donc dans toute la région, seule la route principale reliant Sylgr et Myrkviðr était à peine solide et bien entretenue pour permettre le passage des charrettes lourdes.
« OK, je suis très désavantagé par ici, » chuchota Yuuto en regardant les herbes vertes qui s’étendaient ici et là à travers la terre inondée.
Avec cette terre dégagée et large, la cavalerie armée pourrait utiliser au maximum son avantage supérieur en matière de mobilité.
Bien sûr, avec un sol aussi mou et détrempé, ils ne pourraient pas bouger ou manœuvrer à pleine vitesse, mais les jambes d’un cheval étaient beaucoup plus puissantes que celles d’un humain. Même les chevaux qui tiraient les charrettes derrière lui se déplaçaient sur le terrain avec peu de difficulté.
Par comparaison, la progression des soldats du Clan du Loup s’était ralentie au point de ramper à mesure que leurs pas devenaient moins réguliers et que leurs bottes glissent ou s’enlisent dans la boue.
« Cependant, si nous parvenons à traverser cette zone, nous serons à Myrkviðr, » déclara Félicia.
« Oui, tu as raison, » répondit Yuuto d’un signe de tête.
Linéa lui avait déjà donné beaucoup de détails à ce sujet tout à l’heure. Pourtant, cela le dérangeait que le seul moyen de se rendre directement à Myrkviðr fût de passer à travers cette fange.
S’il allait combattre la cavalerie avec l’infanterie, ce qu’il voulait, c’était des rivières ou des lacs, des falaises ou des ravins de montagne ou une forêt — le genre de terrain qui limiterait plus sévèrement les mouvements de leurs chevaux, et les obligerait à une confrontation frontale.
Ce genre d’endroit l’attendait beaucoup plus loin, là où le terrain devenait de plus en plus boisé.
S’il pouvait s’y rendre, et mettre en place sa formation…
Buooooooooh !
Soudain, le son aigu des cornes d’avertissement se répandit dans l’air.
« Merde ! L’ennemi !? » cria Yuuto. « J’aurais dû me dire qu’ils ne seraient pas assez gentils pour nous laisser passer ! »
Trouver un terrain avantageux pour vos propres forces et forcer la bataille, c’était une règle de guerre constante et à toute épreuve depuis des temps immémoriaux. Bien sûr, l’ennemi ne voudrait pas laisser passer l’occasion de les empêcher de prendre le contrôle de ce terrain avantageux.
Pour reprendre Myrkviðr, Yuuto savait qu’il devait continuer à aller de l’avant. Et c’est pourquoi il s’était déplacé lentement, prudemment et délibérément en route vers ce but, étudiant et notant les mouvements de l’ennemi.
Il n’avait pas encore eu de nouvelles de Kristina, qu’il avait envoyée à Myrkviðr. Mais il avait aussi envoyé Albertina, une Einherjar qui pouvait contrôler le flux du vent. Les deux filles étaient petites et très légères.
Peu importe à quel point les chevaux de Miðgarðr étaient étonnants, la cavalerie se déplaçant ensemble en tant qu’armée ne pouvait pas surpasser la vitesse de ses messagers personnels aux pieds rapides opérant indépendamment.
Par conséquent, il n’aurait pas dû y avoir trop d’ennemis dans cette attaque. Cependant…
« C’est quoi ce bordel !? C’est quoi ce nombre ? » demanda Yuuto.
Cette vue était si intimidante qu’elle avait failli couper le souffle à Yuuto.
Devant lui, un nuage de poussière géant soufflait au loin.
Il n’avait pas pu obtenir un chiffre précis par la simple vue, mais même en faisant une estimation approximative à partir de ce qu’il pouvait voir maintenant, il devait y en avoir au moins cinq mille.
Et ce n’était pas la fin.
« Grand Frère ! Ils viennent aussi de cette direction ! » s’écria Félicia en pointant du doigt, son visage tout aussi empli de choc que celui de Yuuto.
Dans la direction indiquée par ce doigt tremblant, les silhouettes d’innombrables cavaliers s’élevaient au-dessus de l’horizon de la plaine humide.
Les silhouettes avaient continué à se multiplier, apparemment sans fin. Le grondement de la terre causé par leurs chevaux au galop devint fort et autoritaire.
« Ils sont si rapides ! » La vitesse à elle seule avait laissé Yuuto avec les yeux écarquillés.
Les forces ennemies ne les avaient pas attaqués en ligne droite. Ils s’étaient séparés à mesure qu’ils s’approchaient, comme déviés par une force invisible, leur formation s’étendant autour du groupe de Yuuto jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sol visible dans la moindre direction.
Les forces du Clan du Loup, avec leur mobilité nettement inférieure, ne pouvaient que rester les bras croisés et regarder les choses se passer si vite.
Les troupes du Clan du Loup étaient lentes à réagir, et l’instant d’après, elles étaient complètement encerclées.
***
« Khhhahahahaha ! Hahahahaha ! HAAAA HA HA HA HA HA !! »
Le rire fou de Hveðrungr avait retenti. Une fois sa formation d’encerclement présente autour des forces de Yuuto, il était complètement assuré de sa victoire. Il était inondé de joie, car tout s’était passé exactement comme il l’avait voulu.
Appâter l’ennemi avec une force d’avant-garde plus petite, le laisser se rapprocher, puis l’encercler et l’anéantir — c’était la stratégie gagnante du Clan de la Panthère.
En tant que clan nomade, ils n’avaient jamais eu besoin de s’accrocher à des bases ou à des bastions.
Et tant qu’ils avaient des moutons et des kumis, ils pouvaient subvenir à leurs besoins, peu importe où ils voyageaient.
Bien sûr, cela signifiait qu’ils n’avaient pas besoin de rester dans les villes, de transiter par elles ou de s’y réapprovisionner. C’est pourquoi les habitants avaient eu tant de mal à prévoir leurs mouvements.
Ils étaient apparus dans des endroits inattendus, à des moments inattendus. C’était le vrai caractère du peuple du Clan de la Panthère.
« Il semble que tu aies trop cru en la puissance de ton smartphone, Yuuto, » avait souri Hveðrungr.
Le Clan de la Panthère était resté constamment en mouvement et avait complété son approvisionnement en élevant du bétail, de sorte que le commerce et l’interaction avec les marchands de diverses terres étaient encore une autre compétence vitale pour leur culture. Naturellement, cela signifiait que beaucoup d’informations sur le Clan du Loup étaient parvenues aux oreilles de Hveðrungr.
En un mot, le Clan du Loup était puissant. Ils s’étaient attaqués au Clan de la Griffe, au Clan de la Corne et au Clan du Sabot, qui étaient tous plus nombreux les uns que les autres, et avaient chaque fois gagné dans une confrontation directe.
Quant au Clan de la Foudre et à son Tigre Affamé, ils avaient mis au point un plan astucieux pour s’attaquer à cet imbécile téméraire, mais incroyablement fort, et ils avaient ensuite détruit leur ennemi apparemment sans aucun effort réel.
Cette fois encore, face à des archers à cheval et à des techniques de cavalerie armée qui devraient encore être inconnues à Yggdrasil, cet ennemi haïssable avait réussi à trouver plusieurs contre-mesures.
« Mais une fois que je saurai ce que tu as essayé d’utiliser contre moi, je pourrai livrer la bataille en ma faveur ! » déclara-t-il.
Le smartphone de ce petit morveux et les connaissances qu’il pouvait lui apporter étaient dangereux et exigeaient la plus grande vigilance et la plus grande prudence.
Il était beaucoup trop dangereux de jeter toutes les ressources de son armée sur Yuuto avant de savoir exactement ce qu’il pourrait essayer d’utiliser ensuite.
Et c’est pourquoi Váli avait été si utile.
Contre les hautes fortifications de la ville, ils n’avaient qu’à utiliser le trébuchet, comme Váli lui-même l’avait fait auparavant. Cela amènerait l’ennemi vers eux, qu’ils le veuillent ou non.
Les arbalètes pouvant tirer rapidement allaient être un peu difficiles, mais d’après ce que Hveðrungr avait entendu, ils ne pouvaient toujours pas tirer plus vite que ses propres archers à cheval.
La seule raison pour laquelle la bande de Váli avait perdu tant d’hommes était la différence de nombre entre la bande de guerres et l’armée du Clan du Loup.
La principale tactique d’infanterie du Clan du Loup, la phalange, était assez forte à l’avant pour repousser même une charge de cavalerie, mais Hveðrungr avait appris que sur les flancs ou à l’arrière elle était complètement fragile.
Dans ce cas, Hveðrungr n’avait besoin que d’entourer Yuuto d’un nombre largement supérieur, sur un terrain qui mettait ses propres forces à un avantage écrasant, puis d’utiliser la charge de cavalerie, leur deuxième atout, pour mettre fin à l’histoire.
« Keheheheh, comment l’appelait-on d’où tu viens ? “Échec et mat” ? Dis-moi, Yuuto… Hm ? » déclara-t-il.
Juste au moment où Hveðrungr se préparait à donner des ordres à toute sa troupe pour une pleine charge, il aperçut quelque chose d’étrange.
Les chariots qui avaient été au centre de la formation du Clan du Loup étaient poussés vers l’avant avec un cliquetis bruyant.
Hveðrungr fixa cela d’un regard vide pendant une seconde, puis frappa une paume à son masque de fer et rugit d’un rire fou, se penchant en arrière avec ses mains tendant vers le ciel.
« Kkhahahahaha ! Kahahahahaha ! Allez, Yuuto, tu te rends déjà !? “Je vais te donner ce que tu veux, alors épargne-moi, s’il te plaît”, c’est ce que tu penses ? Oh, bon spectacle, Yuuto, c’est vraiment le meilleur ! C’est une fin convenable pour un misérable et lâche bâtard comme toi ! » cria le patriarche du Clan de la Panthère.
Hveðrungr avait enfin appelé ses hommes.
« Ignorez-les ! Écrasez tous jusqu’aux derniers soldats sous vos sabots ! À toutes les troupes, chargez ! » cria-t-il.
« Raaaaaaaaaaaagh !! »
Hveðrungr tira en l’air sa flèche sifflante et, avec un cri de guerre rugissant, ses soldats commencèrent tout de suite à charger vers les forces du Clan du Loup au centre.
Les cavaliers d’élite du Clan de la Panthère avaient soulevé d’épais nuages de terre en s’approchant du Clan du Loup de toutes parts.
Les soldats du Clan du Loup avaient été pris comme un rat dans un piège. À ce rythme, ils ne pourraient pas s’échapper, ni même se défendre. Ils seraient juste écrasés.
Une série de bruits bruyants avaient soudain rempli l’air.
« Hein ? » Hveðrungr avait été légèrement surpris. Il était sûr que le Clan du Loup était sur le point de demander une reddition dans une telle situation d’impuissance, mais au lieu de cela une volée de flèches s’échappait de l’intérieur de la formation.
Plusieurs des combattants du Clan de la Panthère qui avaient baissé leur garde pendant la charge avaient reçu des tirs directs et étaient tombés de leurs chevaux.
« Alors tu as fait comme si tu allais te rendre, pour lancer une attaque surprise. Tu es aussi lâche que tu l’as toujours été ! » Hveðrungr n’avait pas tenté de cacher son mépris intense, car il avait pratiquement craché les mots à Yuuto. « Très bien, nous répondrons de la même façon. Mes hommes, répliquez ! »
Utilisant leur mobilité supérieure, les cavaliers du Clan de la Panthère avançaient, se faufilant à travers les carreaux d’arbalète du Clan du Loup, et en un clin d’œil, ils étaient assez près pour tirer.
***
Partie 5
Relâchant leurs mains des rênes, utilisant les selles pour stabiliser leurs corps, et guidant les chevaux avec seulement leurs jambes, ils avaient tendu les cordes de leur arc et tiré.
C’était une technique d’une dextérité sublime, une œuvre d’art et tous les soldats du Clan de la Panthère avaient réussi à le faire.
Il y avait encore une fois le sifflement unique d’innombrables flèches qui se faufilaient dans l’air. La pluie de projectiles tomba vers le Clan du Loup de toutes les directions.
Clang ! Cl-cl-cl-cl-cl-clang !
Avec des sons métalliques creux, les flèches rebondissaient toutes sur les chariots couverts qui avaient été poussés vers l’extérieur de la formation du Clan du Loup.
Ils avaient été recouverts de toiles de lin, et Hveðrungr avait supposé qu’elles devaient protéger le contenu de la poussière ou d’autre chose semblables, mais quand les flèches avaient frappé, les toiles s’étaient détachées. Ce qu’il y avait en dessous n’était clairement pas du bois, mais une carapace métallique de couleur terne.
Et derrière cette coquille protectrice, les soldats du Clan du Loup avaient monté des arbalètes dans les chariots. Ils avaient visé et avaient commencé à riposter.
« Gyargh ! »
« Gwa ! »
Les cris des cavaliers et des chevaux remplissaient l’air. Le Clan de la Panthère n’avait aucun outil utile pour bloquer la volée de tirs. Et ils étaient en train de charger à toute vitesse vers leurs ennemis.
L’un après l’autre, les cavaliers étaient frappés et tombés, et leurs chevaux aussi.
Malgré cela, le Clan de la Panthère refusa d’abandonner et lança une autre volée massive de flèches sur le Clan du Loup. Mais comme avant, elles étaient toutes déviées par le bouclier de protection des chariots placés en hauteur.
La troisième volée de carreaux d’arbalète du Clan du Loup s’était abattue sur les cavaliers du Clan de la Panthère, volant leur vie les uns après les autres.
« Qu’est-ce que c’est que ça ? » Une voix rauque qui était presque un croassement échappa des lèvres de Hveðrungr.
Il ne pouvait pas croire ce qu’il voyait.
C’était censé être un massacre unilatéral du Clan du Loup par le Clan de la Panthère, mais au lieu de cela, c’était exactement le contraire.
Depuis des temps immémoriaux, les plus grands généraux recherchaient toujours des terrains qui donnaient un avantage à leurs propres forces, en utilisant pleinement les caractéristiques de ces terrains pour assurer la victoire.
C’est ainsi que l’humanité avait mené ses guerres pendant des milliers d’années.
Mais l’histoire avait finalement vu l’apparition d’un nouveau concept.
Plutôt que d’utiliser simplement le terrain naturel existant, on pourrait changer les caractéristiques du champ de bataille, le restructurer d’une manière qui donnait l’avantage à ses forces.
C’était l’avènement des fortifications de campagne construites par l’homme.
L’histoire bien connue d’Oda Nobunaga utilisant un tir de volée de trois rangs lors de la bataille de Nagashino était soupçonnée de n’être qu’une invention, et c’était peut-être vrai. Cependant, il y avait un autre fait à propos de cette bataille en 1575, moins connu, mais incontesté : c’était la première bataille enregistrée dans l’histoire militaire japonaise où une armée utilisa des fortifications rapidement construites sur le terrain pour changer le terrain du champ de bataille.
C’était à peu près la même chose en Europe à cette époque. Au début du XVIe siècle, l’ancienne tactique offensive des charges menées par des chevaliers lourdement blindés commença à être remplacée, car de plus en plus de preuves démontraient la force supérieure des tactiques défensives comportant des fortifications de campagne. Des lignes improvisées de lanceurs et des palissades faites de piquets de bois pourraient gêner la charge de l’ennemi, tandis que des arbalètes, des fusils ou des canons pourraient tirer sur eux depuis derrière la ligne défensive.
Puis il y avait eu les guerres hussites qui avaient commencé en Bohême cent ans plus tôt, en 1419, et un général du nom de Jan Žižka, qui était devenu d’une grande importance durant cette période.
Sa faction hussite était principalement composée de citoyens ordinaires et de paysans, sans guère de formation militaire. D’autre part, ses ennemis étaient les croisés de l’Église catholique et du Saint Empire romain, dont beaucoup étaient des chevaliers avec un avantage incomparable en équipement et en formation. Et bien sûr, ils détenaient un avantage écrasant en nombre.
Ce qui avait permis à Jan de surmonter son terrible désavantage, c’était une tactique novatrice. Il renforça les chariots tirés par des chevaux des paysans avec une plaque de fer, de sorte que lorsqu’une bataille commençait, ils pouvaient être assemblés en une formation en anneau, créant ainsi un mur de forteresse simple et improvisé. C’était la tactique du « fort à chariots », plus tard connue sous le nom allemand de Wagenburg.
Ses tireurs étaient regroupés en équipes de trois, les rôles de tir, de chargement et de nettoyage des armes étant répartis entre eux afin qu’ils puissent tirer sans interruption sur l’ennemi.
La cavalerie armée avait été le fléau redouté de l’infanterie pendant des milliers d’années avec leurs volées de tir à l’arc en mouvement et leurs charges féroces. Mais ils ne pouvaient pas faire grand-chose contre une forteresse mobile aux murs de fer avec des tireurs utilisant des tirs de volée, alors ils avaient complètement perdu contre les forces hussites plus petites. On disait que les hussites réussirent même à s’emparer des étendards de combat et des documents de commandement des forces du Saint Empire romain, et que les routes menant à l’Allemagne et à la Hongrie étaient remplies de croisés fuyant les batailles avec les hussites.
La tactique du fort de chariots était toujours en usage au 21e siècle. Dans les drames de la police japonaise et dans les reportages d’outre-mer, on pouvait voir des policiers utiliser leurs voitures comme barricades mobiles ou boucliers pendant une fusillade.
« Dire que tu as réussi à rassembler autant de soldats sous ton commandement en seulement un an et demi…, » au centre de son propre fort, Yuuto essuyait la sueur de son front.
La fin de l’automne approchait, et le vent froid portait déjà les premières traces de l’hiver à venir. Et pourtant, les mains et le front de Yuuto transpiraient abondamment.
La taille massive de l’armée qui s’en prenait à lui était un peu plus importante qu’il ne l’avait estimé.
Même s’il était protégé par un mur de fer, même si Jan Žižka avait utilisé la même tactique pour gagner contre une armée ennemie beaucoup plus importante, l’impact intense des forces du Clan de la Panthère qui fonçaient vers lui de toutes parts avec des cris de guerre assourdissants suffisait à le terrifier.
« Tu es vraiment un homme incroyable, Grand Frère, » murmura Yuuto. « Mais je ne suis pas non plus resté inactif depuis un an et demi. »
Afin de porter un coup décisif contre le Clan de la Panthère, dont la cavalerie se vantait d’une mobilité supérieure, Yuuto avait d’abord besoin d’un moyen d’attirer la plus grande partie de son armée à sa position.
D’après l’histoire qu’il avait apprise jusque-là, les nations nomades dont les armées se battaient à cheval préféraient les tactiques d’escarmouche et avaient tendance à éviter les batailles décisives à grande échelle. Cela signifiait qu’il lui fallait quelque chose de comparable à la tactique de Li Mu, qui avait brillamment attiré une armée de cent mille xiongniens dans un piège.
Yuuto était une personne différente du garçon qui n’avait pas été capable d’imaginer et de considérer les sentiments de son frère aîné. « Je ne suis plus un gamin qui n’utilise plus que des tricheries technologiques… »
Il s’était rappelé les paroles de Sun Tzu : « Ce qui pousse les opposants à venir de leur propre chef, c’est la perspective d’un gain. »
S’il voulait qu’une force ennemie avance vers sa position, il devait leur montrer qu’il y aurait un gain évident pour eux. C’était dans cette même ligne de pensée qu’il avait formulé ses stratégies lors de ses combats avec le Clan de la Corne et celui de la Foudre.
Yuuto pouvait maintenant se mettre à la place de ses adversaires et penser à partir de leurs points de vue.
La stratégie conventionnelle du clan nomade consistait à utiliser un petit nombre de combattants à cheval pour appâter leurs ennemis et les attirer sur un terrain découvert, puis les encercler et les écraser rapidement.
Et Loptr lui-même avait subi une défaite humiliante aux mains des forces combinées des clans de la Griffe des Crocs et des Cendres lorsqu’ils l’avaient complètement entouré. Ce fut le début d’une série d’événements qui l’avaient conduit à tuer son patriarche et donc à s’exiler du Clan du Loup.
Loptr connaissait intimement la terreur et la supériorité de cette tactique.
Et c’est exactement la raison pour laquelle Yuuto avait choisi de diriger lentement ses forces à travers ce marais.
Il était certain qu’avec un terrain boueux aussi large qui donnait à la cavalerie un avantage écrasant contre son infanterie, son adversaire saisirait l’occasion d’amener l’essentiel de ses forces et d’encercler complètement Yuuto.
Et il s’était également assuré d’interdire l’utilisation de la tactique du fort à chariot jusqu’à ce moment précis, afin que son ennemi ne puisse pas se laisser tenter par une contre-mesure et qu’il finisse par mordre à l’hameçon.
Tout cela s’inscrivait dans une stratégie de faiblesse feinte suivie d’une attaque de force, résumée par le dicton « timide comme une jeune fille, puis rapide comme un lapin », qui avait ses racines dans un autre passage de l’Art de la guerre de Sun Tzu.
« Hehe… Je vais vraiment aller en enfer quand je mourrai, » déclara Yuuto avec un petit rire autodérision.
N’as-tu pas prêté serment de te battre pour protéger ta famille ? Lui chuchota une voix au fond de son cœur. Alors pourquoi attirer ton frère aîné assermenté, ta précieuse famille, dans un piège mortel ?
Il avait déjà la réponse. La partie calme et rationnelle de l’esprit de Yuuto savait qu’en tant que patriarche de clan, il devait être impartial, voire cruel, afin de protéger tout le monde. Mais ça n’avait pas fait disparaître l’oppression dans sa poitrine.
Même à cette heure tardive, Yuuto était incapable de se débarrasser de ses hésitations. Même ainsi, il était toujours le patriarche. Il devait aller jusqu’au bout.
Il ferma les yeux un moment, se disant qu’il aurait le temps de regretter quand tout cela serait terminé. Il se concentra tranquillement sur le renforcement de son cœur. Enfin, il ouvrit à nouveau les yeux et, fixant l’armée du Clan de la Panthère, il donna froidement un ordre à ses hommes :
« Tirez jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. »
***
Partie 6
« Qu’est-ce que vous foutez tous !? » Hveðrungr cria à ses hommes dans un accès de rage, comme un enfant perdu dans une crise de colère.
L’ennemi était tombé dans le piège de Hveðrungr et était allé dans ces vastes marais, et maintenant il les avait entièrement entourés d’une force beaucoup plus grande. Son équipe devrait avoir l’avantage en ce moment.
Ses combattants du Clan de la Panthère ressentaient exactement la même chose. Leur victoire devrait déjà être décidée à ce stade. L’ennemi venait d’utiliser ses chariots pour faire un mur de désespoir. Ce n’étaient que de simples chariots !
Depuis des générations, le clan nomade savait que les chariots étaient faiblement défendus et remplis de denrées alimentaires et d’autres objets de valeur, la cible idéale pour les raids. Le fait de ne pas être capable de repousser quelques chariots comme celui-ci avait fait honte au fier nom du Clan de la Panthère.
Si leurs flèches ne pouvaient pas percer les murs du chariot, ils n’avaient qu’à se précipiter pour les attaquer et les briser en morceaux.
Mais même leurs charges avaient été repoussées.
Il était donc clair qu’ils n’avaient qu’à sauter par-dessus les chariots. Mais les chevaux étaient trop effrayés pour le tenter, peut-être à cause de l’instabilité supplémentaire du sol mou et boueux.
Alors les soldats sautèrent de leurs chevaux et montèrent sur les calèches. Mais ils furent rapidement abattus par les longues lances de l’ennemi.
Et pendant que tout cela se passait, les carreaux d’arbalète pleuvaient continuellement sur eux, volés après volée.
« En avant ! » cria Hveðrungr. « En avant ! Détruisez leurs petits chariots et montrez-leur de quoi nous sommes vraiment faits ! »
Hveðrungr n’avait pas reconnu la réalité de la situation.
Il était censé être celui qui les avait attirés dans un piège. Il ne pouvait pas supporter d’admettre que c’était lui qui avait mordu à l’appât depuis le début.
Il était censé être le commandant militaire supérieur.
Il passerait de force ce petit tour de Yuuto d’un moment à l’autre.
Cette illusion, et l’attente qu’elle lui avait données avaient retardé sa capacité de prendre des décisions rationnelles.
Du côté du Clan du Loup, Yuuto ne pouvait pas non plus nier le sentiment que sa stratégie manquait d’un avantage décisif.
Jan Žižka avait remporté des victoires écrasantes contre la cavalerie grâce à sa stratégie de fort de chariots et à l’utilisation de volées continues et concentrées avec des armes à feu, mais le Clan du Loup n’avait pas vraiment de remplaçant pour ce dernier.
Après tout, il y avait une différence marquée de force entre les armes à feu et les arbalètes.
Par rapport aux carreaux d’arbalète, les balles étaient plus petites, plus difficiles à voir et beaucoup plus rapides. Les flèches et les carreaux étaient comparativement plus faciles à dévier ou à esquiver.
Les volées d’arbalètes n’avaient pas non plus le bruit explosif des armes à feu qui terrifieraient les chevaux.
Cette tactique n’avait donc pas suffi à désespérer l’ennemi. L’ennemi pouvait encore s’accrocher à la croyance qu’avec un peu plus d’efforts, il pouvait vaincre les défenses de Yuuto.
La bataille semblait devenir de plus en plus féroce.
***
Cinq heures s’étaient écoulées depuis le début de la bataille entre le Clan de la Panthère et le Clan du Loup.
À ce moment, la zone entourant le fort de chariots de l’armée du Clan du Loup était remplie de cadavres de combattants du Clan de la Panthère et de leurs chevaux.
Le Clan de la Panthère avait changé de tactique et avait commencé à tirer vers le haut pour envoyer ses flèches en arc de cercle, et avait finalement pu commencer à infliger des blessures et des pertes du côté du Clan du Loup, mais c’était vraiment faible.
Tirer de manière si courbée signifiait que leurs flèches frappaient avec moins de puissance et étaient moins précises à cause du vent. Le Clan du Loup, quant à lui, visait régulièrement à chaque tir de derrière les murs du chariot, et pouvaient viser facilement les soldats du Clan Panthère grâce à la plus grande portée de leurs tirs directs.
Il était clair qu’un seul camp verrait ses pertes augmenter dans ces circonstances.
« Rrrggghghhhh ! » Hveðrungr se mordait le pouce, incapable de réprimer sa colère. Il y avait déjà de profondes marques de morsures sur la peau et les ongles qui attestaient à quel point il était irrité.
« Hé, Rungr, » dit Sigyn. « Retirons-nous. C’est frustrant de l’admettre, mais on a perdu cette fois. On perdra plus d’hommes sans raison, à ce rythme-là. »
Sigyn avait offert son conseil avec une expression déchirante. L’un de ses devoirs en tant qu’épouse du souverain était de soutenir son mari en lui disant ce que les autres ne pouvaient pas lui dire.
Ils avaient déjà envoyé chercher les trois mille hommes qui avaient été laissés à Myrkviðr, mais même avec ces renforts, le Clan de la Panthère n’avait pas réussi à percer les défenses du Clan du Loup.
En tant que fière membre du Clan de la Panthère, elle était peinée de dire qu’ils avaient perdu contre un groupe de personnes dans les chariots, mais accepter les faits et prendre les meilleures décisions basées sur eux était la responsabilité de ceux qui régnaient au-dessus des autres.
Ils ne devaient pas se laisser berner par l’apparence des chariots. Quoi qu’il en soit, l’ennemi avait en fait un mur de forteresse. Et ce qui était encore plus ridicule, c’était qu’il était mobile.
On disait qu’il fallait au moins cinq à dix fois plus de troupes que l’ennemi pour percer une forteresse avec un assaut direct, et la cavalerie était mal adaptée pour attaquer des fortifications dans les deux cas. Poursuivre leurs attaques de cette façon ne ferait rien de plus qu’augmenter leurs propres pertes.
« Ne sois pas stupide, » cria Hveðrungr. « Comment pourrions-nous nous retirer maintenant, alors qu’il semble que nous allons pouvoir franchir leur mur ? »
« Rungr… calme-toi et écoute. On ne peut pas franchir ces chariots. Ça ne marchera pas, peu importe combien de fois on essaiera. »
Pour Sigyn, Hveðrungr avait clairement perdu son sang-froid.
C’était le genre d’homme qui semblait calme et recueilli, mais qui était en fait animé par des émotions très fortes. Elle pensait qu’il s’était perdu dans sa haine et sa rage intérieure.
Cependant, le fait est que Hveðrungr était maintenant parfaitement calme.
Certes, jusqu’à il y a un instant, il avait été agité par la colère, ce qui avait entraîné la mort inutile d’un nombre incalculable de ses hommes.
Mais comme il avait envoyé ses fils du clan à la mort, il les avait utilisés comme cobayes pour travailler sur une contre-mesure pour les défenses de Yuuto. Et enfin, sur le dos de tous ces sacrifices, il avait entrevu la voie à suivre.
Se retirer maintenant serait la chose la plus inutile qu’il puisse faire.
« Ça va marcher, » lui déclara Hveðrungr. « Au moins, cela fonctionnera maintenant. Et Sigyn, je vais avoir besoin de ton pouvoir pour le faire. »
Sur ce, Hveðrungr avait expliqué le plan qu’il avait élaboré.
Les habitants d’Yggdrasil avaient eu une vision beaucoup plus simple et plus dure de l’éthique par rapport au 21e siècle, pourtant le contenu du plan de Hveðrungr était dérangeant même selon ces normes. En effet, tous les autres officiers du Clan de la Panthère s’en étaient troublés.
Cependant, Sigyn seule était différente, riant bruyamment et de tout son cœur. « Ahahahahahaha ! Parfais, Rungr, exactement ce que j’attends de l’homme que j’ai choisi ! Je suis d’accord. C’est parti pour ça. »
« Je pensais bien que tu dirais cela, » répondit Hveðrungr, les coins de sa bouche se tordant en un sourire.
Les deux personnes souriantes et riantes l’une à l’autre s’étaient révélés dans leur vraie nature, comme des démons impitoyables qui ne voyaient les autres que comme des choses.
***
Partie 7
« Le soleil commence à se coucher, » murmura Yuuto en regardant le ciel rougissant de l’ouest.
Le mur de fer créé par sa tactique de fort de chariots avait tenu bon contre le tir à l’arc à cheval et les charges de cavalerie, deux des plus grandes menaces tactiques dans Yggdrasil.
Cela dit, il ne pouvait pas se permettre de se détendre le moindre instant.
Les guerriers du Clan de la Panthère avaient continué à porter des attaques suicidaires sans hésiter, et il n’y avait aucun moyen de savoir ce qui allait se passer ensuite.
Yuuto ne pouvait pas se débarrasser de la peur qu’une flèche perdue le prive soudainement de sa vie.
Il ne pouvait pas se débarrasser de l’inquiétude qu’un problème inattendu puisse se produire et puisse faire que son mur défensif soit brisé.
Il pouvait ressentir le stress lentement mais sûrement qui réduisait sa force mentale.
« Il semble que… nous pourrions enfin nous reposer un moment. » Le visage soulagé de Félicia avait aussi l’air très usé.
Il faudrait qu’il y ait une pause dans les combats une fois la nuit tombée. Les nuits d’Yggdrasil étaient interminablement sombres, avec seulement la faible lumière des étoiles et de la lune. Dans cet état, il devenait plus difficile de voir les obstacles et le terrain sous ses propres pieds, sans parler de la difficulté de déterminer les positions relatives et de repérer les alliés de l’ennemi dans l’obscurité.
Bien sûr, il y avait encore la possibilité d’une attaque furtive lancée sous le couvert de l’obscurité, donc il fallait rester vigilant, mais il semblait au moins qu’il y aurait une chance pour Yuuto de prendre une petite pause.
« Ouais, bien que j’aimerais bien qu’ils saisissent cette chance de partir, » déclara Yuuto.
Dans son pays natal, Yuuto commençait à être traité comme un dieu de la guerre, mais en vérité, il n’aimait pas du tout la bataille. En fait, il n’aurait préféré rien de plus qu’une alternative qui éviterait complètement les combats.
C’était particulièrement vrai aujourd’hui, en raison de ses propres sentiments dans ce cas.
« Après tout, notre objectif ici est simplement de leur faire comprendre qu’ils ne pourront plus nous attaquer sans pertes importantes, » déclara Yuuto.
Yuuto n’avait aucun désir d’exterminer ses ennemis, même s’ils essayaient de le tuer. Il s’était dit qu’il n’avait pas le choix quand il devait les tuer, mais bien sûr, il se sentait encore coupable.
C’est pourquoi, même si cela peut sembler contradictoire, il devait utiliser cette bataille pour blesser l’ennemi aussi fortement et complètement que possible.
En effet, il avait besoin de les faire souffrir suffisamment pour que chaque soldat restant ressente le désespoir du fond du cœur.
« Si une blessure doit être infligée à un homme, elle doit être si grave qu’il ne faut pas craindre sa vengeance. » C’était l’enseignement de Nicolas Machiavel.
Bien qu’un grand nombre d’entre eux puissent mourir dans un court laps de temps, à long terme, cela entraînerait moins de décès totaux et moins de souffrance en général… c’était la théorie, en tout cas.
Il n’y avait aucun moyen de garder une trace précise, mais le Clan du Loup avait déjà tué plus d’un millier de soldats du Clan de la Panthère.
En revanche, le Clan du Loup n’avait perdu qu’une vingtaine ou une trentaine de personnes.
Si l’on se contentait de ces chiffres, on pouvait dire que c’était une victoire totale pour le Clan du Loup.
Yuuto espérait qu’une fois la nuit tombée et que les deux camps cesseraient temporairement les combats, l’ennemi s’attaquerait aux faits et se retirerait, décidant qu’il ne devrait plus jamais tenter la guerre contre le Clan du Loup.
« Quoi… !? L’ennemi prépare quelque chose ! Les soldats se rassemblent dans le nord-ouest ! » cria Félicia.
« Tch ! Merde ! Bon sang ! Ils n’abandonnent toujours pas ? » Yuuto fit claquer sa langue et jura face aux nouvelles. Cela aurait dû être plus que suffisant !
À la fin, une partie de lui voulait encore éviter de combattre Loptr.
« D’accord, » cria Yuuto, « Alors nous les repousserons autant de fois qu’il le faudra ! Renforcez les défenses de notre côté nord-ouest ! »
L’une des forces terrifiantes de la tactique du fort de chariots était que ses défenses à toute épreuve étaient également mobiles. On pouvait rapidement repositionner les soldats le long du mur défensif de la formation en fonction des mouvements de l’ennemi.
« Raaaaaaaahhhhh !! »
Alors que leurs beuglements résonnaient dans les airs, l’immense masse de soldats de l’armée du Clan de la Panthère lança sa charge.
Les forces concentrées dégageaient un sentiment d’intimidation féroce comme Yuuto n’en avait jamais ressenti jusque-là. C’était suffisant pour effrayer certains soldats du Clan du Loup, même s’ils savaient qu’ils étaient derrière la protection du mur de chariots.
Cependant, bien que ce soit une autre histoire dans le combat en mêlée, un soldat effrayé pourrait quand même tirer facilement sur la détente d’une arbalète. On pourrait même dire que leur peur et le désir d’empêcher l’ennemi de s’approcher les encourageraient à charger et à tirer avec encore plus d’ardeur.
Si les murs étaient percés, ils seraient tous envahis en un clin d’œil. Yuuto regarda l’action, retenant son souffle.
« Uuuuooooogh ! »
À la tête de la charge se trouvait un homme aux cheveux courts que Yuuto reconnut comme le maître archer Váli du Clan de la Panthère, qui avait donné tant de mal aux troupes du Clan du Loup avec sa bande d’avant-gardes.
L’homme avait poussé vers l’avant tout en balançant son épée pour dévier les flèches qui approchaient, se rapprochant rapidement de la ligne défensive. C’était un guerrier sans peur, comme on l’attendait de l’homme qui s’était battu à égalité avec Skáviðr.
Et, dans le minuscule espace entre les volées d’arbalètes, il avait sorti rapidement son arc et y plaça une flèche. Alors qu’un soldat du Clan du Loup surgit de derrière le bord du mur du wagon pour lui tirer dessus, Váli le visa et lui tira dessus entre les deux yeux.
Son élan furieux et son talent avaient fait de lui le type de combattant qui était à la hauteur d’une centaine d’hommes normaux. Mais, même un guerrier aussi grand qu’il n’était, à la fin, qu’un seul soldat mortel.
« Guh… ! »
Váli grogna alors qu’une flèche du Clan du Loup toucha sa cible et le transperça près de son épaule. L’impact avait forcé son corps à reculer, et il était tombé de son cheval, envoyant une éclaboussure d’eau boueuse quand il avait touché le sol.
Yuuto ne pouvait pas dire si l’homme était mort ou non de là où il se tenait, mais il était sûr de dire que l’un de ses ennemis les plus puissants venait d’être retiré du combat.
Cependant, la défaite du héros du Clan de la Panthère n’avait rien fait pour atténuer la force ou l’élan de leur assaut.
Leurs vagues d’attaques continuelles semblaient devenir de plus en plus furieuses par la suite, comme un violent orage, comme si le Clan de la Panthère déversait toute sa force restante dans ses troupes.
Yuuto regarda et attendit, se demandant combien de temps cela allait durer. Un peu moins d’une heure s’était écoulée, mais cela semblait durer une éternité. Lorsque la couleur du ciel s’était installée dans le bleu foncé du crépuscule, les attaques de l’ennemi avaient enfin commencé à s’estomper en intensité.
« D’accord, on dirait que nous nous en sommes sortis, » dit Yuuto en serrant les poings alors qu’il s’assurait enfin de sa victoire.
Et c’est là que c’était arrivé.
« Le temps est venu pour l’obscurité de remplacer la lumière du soleil. »
« Gh… ! Qu’est-ce que c’est que ça !? » Yuuto entendit soudain une voix qui résonnait dans son esprit et sentit son cœur se mettre à battre plus fort.
C’était la voix d’une femme, et il ne la connaissait pas du tout.
« Que les chaînes de la Sainte-Alliance se délient maintenant, afin que le loup affamé emprisonné soit libéré. »
La voix continuait à chanter l’incantation.
Yuuto avait vu dans son esprit l’image d’une femme dansant.
Il ne l’avait toujours pas reconnue.
Elle semblait avoir à peu près la vingtaine, une belle femme aux longs cheveux argentés, attachée à une queue de cheval.
Sa tenue était provocante, pas plus qu’une fine couche de tissu drapé autour de sa poitrine et une autre autour de ses hanches, mais en même temps elle avait aussi un air de dignité sacrée et inviolable. Son apparence ressemblait beaucoup à celle de Félicia qui offrait ses danses sacrées en tant que prêtresse dans le sanctuaire d’Iárnviðr.
« Qui êtes-vous !? Qu’est-ce que vous faites !? » Yuuto cria et regarda autour de lui, mais il n’aperçut personne qui ressemblait à la femme dans sa vision.
Il ne comprenait pas ce qui causait ce phénomène.
Cependant, il avait l’impression d’avoir déjà vécu quelque chose.
Il ne pouvait s’empêcher de penser à l’époque où il avait été convoqué pour la première fois à Yggdrasil.
À l’époque, Yuuto avait vu une vision dans son esprit de Félicia dansant, tout comme ce qui se passait maintenant. Les deux situations étaient trop semblables pour être une coïncidence.
« L’ennemi attaque aussi par le sud-est ! » cria Félicia.
« Quoi !? » s’écria Yuuto.
Malheureusement, sans égard pour l’état d’esprit de Yuuto, la bataille en cours avait connu un développement surprenant.
Alors même que le gros de l’armée du Clan de la Panthère maintenait son assaut concentré depuis le nord-ouest, une petite bande de cavaliers habillés entièrement en noir était apparue de la direction complètement opposée, galopant droit vers le chariot. Ils étaient déjà inopinément proches.
Leurs vêtements noirs et leur petit nombre les avaient aidés à se fondre dans l’obscurité, tandis que l’assaut plus important avait servi de diversion. Ces facteurs combinés avaient suffi à retarder leur repérage par le Clan du Loup jusqu’à maintenant.
Yuuto avait ordonné que les défenses se concentrent sur le nord-ouest. Cependant, il y avait encore au moins un nombre minimum nécessaire de soldats en défense partout ailleurs. Un groupe de cette taille n’était pas assez puissant pour vaincre les murs du Wagenburg.
Yuuto s’était immédiatement préparé à donner l’ordre de contre-attaquer. Mais au moment où il levait la main…
« Ô crocs glacés, brise l’idole de la folie, et engendre le chaos de la calamité… Fimbulvetr !! »
La belle femme dans la vision dans l’esprit de Yuuto avait terminé sa danse d’offrande, et avait levé les deux mains vers le ciel. L’instant d’après, dans le monde réel que Yuuto vit de ses yeux, le groupe de cavaliers du Clan de la Panthère en embuscade était entouré d’une lumière pâle et faible, comme la lueur des lucioles.
Qu’est-ce que c’est !? pensa Yuuto. Mais juste au moment où il commençait à s’y intéresser…
« Grand Frère !? Ton corps est… ! » Félicia cria soudainement vers lui d’une voix tremblante.
Par pur réflexe, Yuuto baissa les yeux vers son propre corps, pour douter de ce qu’il voyait de ses propres yeux. « Qu’est-ce qu’il y a ? »
Son corps était très légèrement, mais de façon perceptible, transparente.
Il ressentit une sensation étrange, comme si quelque chose qui couvrait et pénétrait son corps s’était légèrement affaibli. Cependant, cela n’avait duré qu’une fraction de seconde, et le corps de Yuuto était revenu à son état solide normal.
« Qu’est-ce qui vient de m’arriver ? » demanda Yuuto.
C’était le milieu d’une bataille, et pas le temps de se concentrer sur des visions ou des hallucinations. Il le savait dans sa tête, mais il ne pouvait pas rester calme. Il ne pouvait pas se concentrer sur autre chose.
Rentrer chez soi au Japon du 21e siècle était le plus grand souhait de Yuuto. Pendant deux ans et demi, il avait essayé de trouver un moyen de rentrer chez lui sans succès, et ici et maintenant, il avait enfin trouvé un vrai indice pour trouver une solution. Il n’y avait aucune chance que ça n’attire pas son attention.
À ce moment-là, alors que son cœur était troublé par ce dilemme, Yuuto le vit.
Au sortir de l’obscurité parmi le groupe de cavaliers du Clan de la Panthère, un homme au visage supérieur dissimulé par un imposant casque en fer noir. Un homme aux cheveux longs et dorés comme l’adjudante de Yuuto, Félicia !
« Attendez, ne tirez pas, c’est… ! » Sans réfléchir, c’était les mots que Yuuto avait criés.
Si Yuuto ne l’avait pas vu, il aurait calmement donné l’ordre de tirer. Mais donner l’ordre de tuer son propre frère aîné tout en regardant l’homme de ses propres yeux était quelque chose qui exigeait une incroyable force de volonté et de conviction.
Yuuto avait supposément compris le fait qu’il devait infliger une défaite complète et décisive à son ennemi, mais dans ce moment fatidique, son manque de concentration et son manque de détermination vraiment solide pour combattre son frère avaient eu une conséquence terrible.
L’armée du Clan du Loup avait été guidée vers la victoire à maintes reprises par les ordres de Yuuto. La confiance de ses soldats en lui restait donc absolue.
Il y avait aussi le fait qu’après avoir repoussé tant d’attaques du Clan de la Panthère, ils avaient l’impression que la défense du fort était impénétrable.
Cette pause toujours aussi brève dans le feu de l’arbalète du Clan du Loup avait suffi pour que le groupe de cavaliers du Clan de la Panthère atteigne les chariots.
Et puis…
Plusieurs soldats à la tête du groupe avaient sauté de leurs chevaux. Ils s’étaient mis à quatre pattes dans la boue et avaient renforcé leur corps dans cette position.
Les cavaliers qui les suivaient, toujours au sommet de leurs chevaux, s’étaient placés sur leur dos sans hésitation ni remords, et avaient sauté par-dessus les murs de chariots.
« Quoi !? » Yuuto avait été stupéfait de cette incroyable tournure des événements.
Même si l’on se servait du corps humain comme d’un tremplin, les chevaux, de par leur nature même, n’aimaient pas sauter par-dessus de grands obstacles. Il était impossible de les amener à surmonter cette peur fondée sur l’instinct sans un entraînement spécial très long et ardu.
Alors, comment ont-ils fait ? L’esprit de Yuuto tournait en rond, et presque immédiatement il avait pensé à une possibilité.
Il y a un instant, les cavaliers du Clan de la Panthère étaient enveloppés d’une lumière pâle inquiétante, tout comme la lumière émise par le miroir divin de la tour sacrée du Clan du Loup lorsque Yuuto avait reçu ses appels téléphoniques avec Mitsuki.
Cette lumière était probablement d’ásmegin, la mystérieuse « énergie divine » présente dans ce monde.
Puis il y avait eu le mot « Fimbulvetr » qu’il avait entendu pendant cette incantation, qu’il avait déjà entendu auparavant. C’était pendant l’explication de Kristina de différentes magies seiðr.
Fimbulvetr était un seiðr qui pouvait transformer ses alliés en berserkers intrépides et frénétiques.
***
Partie 8
« HAHAHAHAHAHA ! Enfin, je l’ai fait, j’ai passé le mur ! » Hveðrungr se mit à rire bruyamment en triomphant alors qu’il se frayait enfin un chemin au milieu de la formation de son ennemi.
Il avait fait usage de la puissance de l’art secret de sa femme, le seiðr Fimbulvetr. Hveðrungr lui avait ordonné de le lancer non pas sur ses hommes, mais sur leurs chevaux.
Cela avait éliminé la peur instinctive qu’ils ressentaient en essayant de sauter la tête la première par-dessus les obstacles, mais aussi toute hésitation naturelle de leur esprit, leur permettant de libérer toute leur force et d’atteindre les limites de leur capacité à sauter.
« Hors de mon chemin ! » cria Hveðrungr.
Hveðrungr coupa une zone avec sa lance, fauchant les soldats du Clan du Loup qui étaient les plus proches de lui.
« Urgh... ! »
« Gyaahhhh ! »
Derrière lui, les autres cavaliers vêtus de noir du groupe de l’embuscade avaient suivi son avance et avaient sauté par-dessus les murs du fort.
Cependant, il n’y en avait pas eu beaucoup. Les chevaux poussés dans une furie sauvage par Fimbulvetr étaient trop violents pour être contrôlés par des moyens normaux. Les seuls capables d’un tel exploit étaient l’élite de l’élite, les membres triés sur le volet des forces spéciales de Hveðrungr, l’unité Skyndi.
De plus, les sorts seiðr épuisaient considérablement l’énergie mentale de l’utilisateur. Même pour une femme aussi puissante que Sigyn, l’une des rares utilisatrices habiles de la magie seiðr de tout Yggdrasil, elle ne pouvait toucher qu’une trentaine de chevaux, et elle ne pouvait pas l’utiliser plus d’une fois par jour.
C’était exactement le genre d’atout qu’il fallait garder pour des moments importants comme celui-ci.
« Aaahhhh ! »
« Non ! Noooooon ! »
La plupart des soldats du Clan du Loup qui occupaient les chariots étaient des arbalétriers et leurs assistants. Face à la cavalerie qui sautait soudainement au milieu d’eux, ils étaient tombés dans une panique.
Parce que les murs du fort en fer plaqué de chariot de fer avaient fourni une telle défense solide et fiable jusqu’à présent, avoir cette défense cassée avait été efficace pour briser leur sang-froid.
En temps normal, les soldats du Clan du Loup étaient des hommes courageux, capables de surmonter leur peur de la mort et d’affronter résolument l’ennemi, mais c’était parce qu’ils avaient normalement d’abord le temps de rassembler leur détermination à affronter le danger avant.
Et parce qu’ils s’en tenaient à utiliser des arbalètes à longue portée derrière un mur fortifié, ils n’avaient pas eu la chance de se préparer mentalement à affronter les ennemis qui se trouvaient soudainement juste devant eux, une cavalerie d’élite terrifiante qui se vantait de plusieurs fois leur taille et puissance.
Mais le Clan du Loup avait toujours un général qui restait intrépide et ferme.
« Je ne vous laisserai pas passer ! »
Cet homme sauta sur son cheval et se déplaça pour bloquer le chemin de Hveðrungr, seul. Son apparence était mince et malade, avec un air de mauvais augure.
Son instinct s’était développé en luttant pour survivre et trouver un chemin à travers de nombreuses batailles sans espoir, et ils lui avaient dit que l’homme au casque noir était, sans aucun doute, le chef des combattants du Clan de la Panthère.
« Hyaah ! » Skáviðr avait mis toute sa force derrière sa première attaque à la lance, mais Hveðrungr n’avait pas utilisé sa force pour la bloquer. Au lieu de cela, il avait en quelque sorte détourné l’attaque à la dernière seconde, modifiant habilement sa trajectoire.
« Quoi !? » s’exclama Skáviðr.
Un militaire expérimenté comme Skáviðr n’aurait guère été surpris si l’ennemi avait simplement bloqué ou paré son attaque. Il aurait rapidement fait la transition vers son prochain mouvement.
Cependant, Hveðrungr avait utilisé la « technique du saule », la technique personnelle de Skáviðr qu’il avait développée et affinée au cours de longues années de combat et d’entraînement, et qui utilisait la puissance surnaturelle de sa rune.
Pendant un instant, une fraction de seconde, Skáviðr s’était figé.
Dans une bataille entre deux combattants experts, une telle ouverture pourrait facilement s’avérer mortelle.
« Ghh… ! » Le visage de Skáviðr s’était tordu de douleur lorsque la lance de Hveðrungr avait frappé son épaule d’une frappe perforante.
Même l’homme connu sous le pseudonyme Níðhǫggr, le Boucher Ricanant, était vulnérable à la douleur et aux blessures.
Hveðrungr avait suivi avec une poussée de lance impitoyable visant directement la poitrine de Skáviðr.
Skáviðr avait rapidement tenté de se tortiller, mais il n’avait pas pu se soustraire complètement au coup. Du sang frais avait coulé de sa poitrine.
« Hmph, tu t’es affaibli, mon frère. Ou peut-être que je viens de devenir encore plus fort ? » Certain de sa victoire, Hveðrungr avait souri et se moqua de son adversaire vaincu. Mais à ce moment-là, les yeux de Skáviðr s’ouvrirent avant de saisir la poignée de la lance de Hveðrungr.
« Hein !? Tu ne sais pas quand abandonner, imbécile ! » D’une voix irritée, Hveðrungr tenta d’arracher sa lance des mains de son ennemi.
Mais Skáviðr ne voulait pas lâcher prise, son visage était mortellement sombre. C’était une force incroyable pour un homme souffrant d’une blessure profonde.
« Cette voix… toi… tu es Loptr ! Je ne te laisserai pas… atteindre le Maître… ! » cria Skáviðr.
« Tch, comme si j’avais du temps à perdre avec des gens comme toi. » Hveðrungr était rapidement passé de la traction sur la lance à la poussée.
Le changement soudain avait fait tomber le corps de Skáviðr en arrière. Tandis que Skáviðr essayait d’utiliser la lance comme levier pour redresser son corps, Hveðrungr avait soudainement lâché prise.
« Non… ! » Le corps de Skáviðr avait continué à tomber en arrière.
Il essaya une fois de plus de s’empêcher de tomber, mais comme il renforçait ses muscles du torse, plus de sang s’était répandu de sa blessure. Ses forces l’avaient laissé tomber, et il était tombé de son cheval.
« Grhhh ! »
Alors qu’il était sur le point de toucher le sol, il s’était encore une fois tordu le corps et s’était écrasé sur le sol en roulant plutôt qu’à plat sur le dos afin d’étaler l’impact.
Il s’était rapidement relevé.
Mais c’était tout ce qu’il pouvait faire. Ses jambes s’étaient pliées et il était retombé sur un genou.
Skáviðr avait fixé Hveðrungr avec un regard perçant. Il était toujours prêt à se battre en esprit, mais après les blessures qu’il avait subies à la lance et la chute, le corps de l’ancien Mánagarmr ne pouvait plus continuer à avancer.
« Tu as toujours été l’homme qui ne voulait pas mourir, » ricana Hveðrungr. « Mais je n’ai plus aucun intérêt pour le soi-disant “Loup d’argent le plus fort”. »
Appuyant une main sur la blessure à la poitrine, Skáviðr avait invoqué sa force restante et avait crié vers ses hommes. « Urgh... Longues Lances, qu’est-ce que vous attendez !? Il n’y en a qu’un petit nombre ! Abattez-les, maintenant ! »
Au son de la voix de leur général, les soldats du Clan du Loup revinrent à la raison et se souvinrent de leur devoir. Ils s’étaient précipités pour attaquer Hveðrungr et ses cavaliers.
Un moment plus tard, les deux camps se débattaient dans une mêlée chaotique.
« De la racaille sans valeur ! Ne vous mettez pas en travers de mon chemin ! » cria Hveðrungr d’irritation après l’un des soldats du Clan du Loup, parant la frappe de la lance de l’homme et poursuivant avec un puissant coup de tête qui lui fendit le crâne et le casque.
Il avait ensuite fait avancer son cheval vers un deuxième lancier du Clan du Loup au milieu de son attaque, l’envoyant voler.
La phalange était une puissante formation d’infanterie dans les combats en mêlée, mais c’était seulement parce que lorsque les lanciers pouvaient maintenir une formation serrée et propre, elle formait un « mur de lances » qui ne permettait pas d’attaquer ou de l’éviter.
Grâce à l’embuscade, les lanciers n’avaient pas eu le temps de créer leur formation, et dans des combats individuels, ils n’étaient plus une menace grave.
Entre les mains de jeunes recrues à peine entraînées et de paysans, ces longues lances étaient trop lourdes pour être contrôlés correctement. Dès qu’ils avaient commencé à se battre individuellement, les tout-puissants soldats du Clan du Loup n’étaient devenus rien de plus qu’une bande de soldats faibles.
« Je vous laisse le reste de ces petits merdeux, » rappela Hveðrungr à ses subordonnés, alors qu’il se frayait un chemin à travers les ennemis devant lui. Il était concentré sur un seul point droit devant.
Finalement, il avait fait poser les yeux avec sa cible.
« Heh heh heh heh. On se retrouve enfin, Yuuto… ! » cria Hveðrungr.
Avec son ennemi détesté enfin devant lui, les lèvres de Hveðrungr s’étaient lentement tordues en un sourire maléfique.
En revoyant le jeune homme pour la première fois en un an et demi, Hveðrungr pouvait dire qu’il avait un peu grandi. Il était visiblement plus grand, et son visage était plus dur et plus masculin, et il n’y avait rien de la puérilité d’avant.
Mais ils étaient toujours les traits de l’homme dont il se souvenait. Il n’y a pas eu d’erreur sur le fait que c’était lui.
Yuuto regardait Hveðrungr avec une expression de choc. « Grand Frère… est-ce vraiment toi !? »
Entendant cela, Hveðrungr avait automatiquement grimacé et avait fait claquer sa langue. Ces mots l’irritaient tellement qu’il n’en pouvait plus.
« Nous ne sommes plus frères, toi et moi ! » cria-t-il. « Nous ne le sommes plus depuis ce jour-là ! »
L’homme qui avait été Loptr du Clan du Loup, qui vivait maintenant comme Patriarche Hveðrungr du Clan de la Panthère, ponctua sa remarque criée d’un coup de pied à son cheval, et fonça droit sur Yuuto.
« Je te ferai payer pour m’avoir tout volé ! Espèce de sale traître !! » cria Hveðrungr.
Tandis qu’il déchaînait son profond ressentiment dans un cri, il avait dégainé l’épée à sa hanche et avait fait basculer la lame vers Yuuto.
C’était l’épée que Yuuto lui avait donnée, l’arme détestable qui avait tué son cher patriarche Fárbauti.
Hveðrungr l’avait gardée sur lui depuis cet incident, comme un rappel physique pour qu’il n’oublie pas sa haine et sa rancune sans fin. Il avait depuis longtemps décidé que c’était cette même lame qui devait prendre la vie de son ennemi par vengeance.
Mais son attaque avait été détournée par nul autre que Félicia, sa propre chair et son propre sang. « Je ne te laisserai pas faire ! »
« Gah ! »
Hveðrungr avait flanché. Une légère hésitation scintilla dans les yeux derrière son masque de fer. À son avis, sa sœur ne devrait pas être ici en ce moment. Il s’était convaincu que sa petite sœur bien-aimée avait été enfermée derrière les murs d’Iárnviðr, emprisonnée là par son ennemi si traître.
« Pourquoi !? » s’exclama-t-il. « Pourquoi es-tu ici, Félicia !? Et pourquoi te mettrais-tu en travers de mon chemin !? »
« Je devrais te demander la même chose ! Qu’est-ce que tu crois faire ici !? Non seulement tu as tué notre père juré, mais tu attaques le Clan du Loup que tu as toujours juré de protéger ! » cria Félicia.
« Non, ce n’est pas ça, Félicia ! Cet homme te trompe ! Maintenant, écarte-toi. Écoute ton grand frère ! » déclara Hveðrungr.
« Je ne t’écouterai pas ! » déclara Félicia. « En ce qui me concerne maintenant, il est mon seul et unique grand frère ! »
Félicia se tenait devant Yuuto, pointant le bout de son épée directement sur Hveðrungr, et ses paroles étaient fermes et définitives, rompant ainsi le lien avec son frère de naissance.
Tous les deux se regardèrent férocement l’un l’autre pendant un moment. Puis Hveðrungr avait éclaté de rire.
« Heh ! Heh heh heh heh heh… tes lâches tours ne cessent de m’étonner, Yuuto ! Espèce de serpent ! Tu as même préparé cette imitation pour essayer de me déstabiliser, n’est-ce pas !? »
Yuuto avait été choqué. « Qu’est-ce que tu racontes, Grand Frère !? C’est la vraie Félicia, c’est ta petite sœur ! »
« Silence ! » Hveðrungr cria sauvagement. « Ma petite sœur ne se retournerait jamais contre moi !! »
Sa lame avait rapidement coupé une fine ligne à travers l’obscurité, comme un petit éclair.
***
Partie 9
« Khh ! » Félicia avait à peine bloqué l’attaque avec sa propre arme, mais s’était effondrée en raison de la force.
Félicia était une Einherjar, mais c’était une « Adapte de tous les métiers, maître de rien ». Elle avait un talent avec une épée, mais c’était plusieurs niveaux inférieurs à ceux de combattants comme Sigrun ou Skáviðr.
« Va-t’en, espèce d’impostrice ! » Hveðrungr avait encore frappé. C’était une frappe sans aucune hésitation, chaque once de sa force étant dirigée avec l’intention de tuer.
Félicia n’avait pas été assez rapide pour y répondre.
Cependant, un bruit fort avait résonné lorsque son coup mortel avait été arrêté au dernier moment.
« Grrrrrrr, Yuuuuto... ! » cria Hveðrungr.
« Ghh ! » avait été la réponse.
Les anciens frères assermentés se poussaient les uns contre les autres, leurs lames verrouillées se grattant.
Yuuto tenait sa lame à deux mains, Hveðrungr tenait la sienne en une seule. Mais c’était quand même ce dernier qui avait pris le dessus, avec une force physique supérieure.
Hveðrungr ricana, sûr de sa victoire, mais comme il le fit, ses yeux rencontrèrent ceux de Yuuto. Les dents serrées, le jeune homme dans les yeux avec un regard de désespoir féroce, et Hveðrungr sentit une sensation de froid descendre dans son dos.
« Je comprends si tu me détestes, » grogna Yuuto. « Mais comment as-tu pu... Félicia… c’est la seule famille qu’il te reste !! » rugit Yuuto, sa rage semblait s’envoler hors de lui comme de la vapeur. Hveðrungr sentit son corps tressaillir par réflexe.
Cela aussi n’aurait pas dû être possible.
Comment un homme comme lui peut-il être intimidé par l’aura d’un si misérable petit morveux ? La lame de Hveðrungr était presque à sa gorge ! De quoi pouvait-il avoir peur ?
Il avait ressenti une douleur aiguë s’infiltrant depuis la cicatrice sur son visage.
C’est exact… En y repensant, c’était cette mystérieuse présence intimidante de Yuuto qui avait en premier lieu conduit à une dispute sur la succession.
L’ancien patriarche Fárbauti avait été un homme réfléchi, mais il avait aussi été indécis. Chaque fois qu’il proposait de nouvelles politiques ou de nouvelles réformes, l’ancien patriarche avait tellement donné la priorité à l’harmonie et à la modération qu’il n’avait jamais rien mis en œuvre, sauf des demi-mesures.
Hveðrungr avait souvent été secrètement furieux contre lui à ce sujet, se demandant comment l’homme pouvait être si négligemment irrésolu face à la pire crise du clan.
Mais cet étrange trait de caractère de Yuuto avait charmé l’homme, déclenchant en lui une passion qui ne convenait pas à son âge, et l’avait tellement affecté que cela l’avait poussé à aller à l’encontre des valeurs auxquelles il s’était attaché jusque-là. L’aura de Yuuto était un charisme à la hauteur de la magie.
Peut-être était-il vraiment doué de l’esprit et de la présence d’un seigneur… d’un souverain suprême.
Les flammes de la haine avaient brûlé les mots qui avaient commencé à obscurcir l’esprit de Hveðrungr, et il avait de nouveau placé sa force dans son bras armé. « Tu crois qu’un bluff comme ça marcherait sur moi ? Quelqu’un comme toi… quelqu’un comme toi ne pourrait jamais être… ! »
Rien que cela avait suffi à maîtriser Yuuto, le forçant à s’agenouiller avec un genou posé contre le plancher du chariot.
« Keh ha ha ha ha ha, tu es impuissant contre moi, » jubilait Hveðrungr.
Honnêtement, tu as toujours été un homme faible, pensa-t-il avec mépris. En fin de compte, quelqu’un comme lui ne pourrait jamais espérer s’opposer à lui.
Hveðrungr se moqua de Yuuto en riant, et écarta facilement la lame du jeune homme. Il avait élevé le sien en haut.
« Meurs, et disparais de ma vie pour toujours ! » Il avait fait descendre sa lame. Mais à cet instant, son cheval s’était soudain mis à se débattre.
« Quoi !? » Hveðrungr avait pris les rênes et avait réussi à ne pas se faire éjecter. Mais comme il essayait d’utiliser ses genoux pour guider son cheval, il avait refusé de se calmer de sa panique.
« Qu’est-ce qui se passe !? » cria-t-il.
« Moi, Sigrun, je ne te permettrai plus d’agresser Père ! »
Hveðrungr était haut sur son cheval, mais la lance qui le frappait venait d’encore plus haut. Il l’avait déviée au dernier moment avec son épée et avait levé les yeux vers son nouvel ennemi.
C’était la personne qui avait été sa sœur cadette assermentée au sein du Clan du Loup, la jeune femme aux cheveux d’argent dont il avait tenté d’aider à l’éclosion du talent au combat. Elle le regardait fixement, montée sur un chameau.
« Ha ! » cria-t-il. « Penses-tu qu’une petite fille comme toi va vraiment faire une différence à ce stade ? Tu n’as toujours aucune chance de… Gahh ! Wôw ! Calme ! Calme, j’ai dit ! »
Hveðrungr n’avait pas pu terminer, car son cheval avait continué à agir. Il ignorait complètement ses ordres. Il avait agité la tête dans tous les sens et s’était mis à reculer.
C’était comme s’il avait peur de Sigrun…
Non, il avait réalisé qu’il n’avait pas peur.
C’était plus comme si c’était simplement repoussé par quelque chose.
De derrière Sigrun, il avait repéré plus d’une douzaine d’autres chameliers se dirigeant dans cette direction.
Regardant rapidement derrière lui, il vit que les chevaux des subordonnés d’élite qu’il avait emmenés avaient aussi commencé à mal se comporter, s’arrêtant sur place et se débattant malgré les ordres de leurs cavaliers d’avancer. Certains d’entre eux avaient même jeté leurs cavaliers et s’étaient enfuis.
« Grrrrrr… ! » Hveðrungr grogna comme une bête. La cible de sa vengeance était si proche, mais son cheval ne voulait pas faire un pas en avant.
Les soldats du Clan du Loup, jetés dans un chaos paniqué, retrouvèrent également la raison après avoir vu leur patriarche en danger mortel. Reprenant leur rôle le plus important, ils s’étaient alignés devant lui en formation serrée et avaient préparé leurs longues lances.
« … Tch ! À tous, reculez ! » Hveðrungr cria l’ordre, puis détourna son cheval.
C’était la situation la plus vexante qu’il pouvait imaginer.
Ces soldats n’auraient présenté aucun défi à Hveðrungr et à son élite de soldats du Clan de la Panthère s’ils avaient été capables de se battre à leur meilleur. Mais ils ne pouvaient pas espérer se battre avec leurs chevaux dans cet état.
« Je m’en souviendrai, Yuuto ! Ne crois pas que ça veut dire que c’est fini ! La prochaine fois, je t’arracherai la tête ! » cria Hveðrungr.
Tandis qu’il encourageait son cheval, Hveðrungr laissa ces mots derrière lui, ses paroles d’adieu en colère.
Une fois son cheval éloigné des chameaux, il était revenu à la raison et avait recommencé à suivre fidèlement ses ordres.
Le bord intérieur de la paroi des chariots était bordé de petites plates-formes, susceptibles de faciliter la tâche des arbalétriers. Les cavaliers de Hveðrungr avaient guidé leurs chevaux sur ces escaliers de fortune et avaient sauté par-dessus le mur.
Le démon masqué et sa bande de cavaliers vêtus de noir disparurent dans l’obscurité.
***
« Père, es-tu blessé ? » Sigrun sauta du chameau et se précipita aux côtés de Yuuto.
Yuuto était au sol avec le dos contre la paroi de son chariot. Il lui fit un sourire fatigué et lui fit un signe de la main pour rejeter son inquiétude.
« Non, d’une façon ou d’une autre, je m’en suis sortie en un seul morceau. Tu m’as sauvé, Run, » répondit Yuuto.
« Non, Père, je dois m’excuser d’arriver si tard. Quand je t’ai vu bloquer ton épée avec celle de l’ennemi, ça m’a fait à moitié mourir de peur…, » Sigrun s’arrêta et elle prit une longue et profonde respiration, la tête basse et une main agrippée aux vêtements de Yuuto.
Elle tremblait.
Des larmes étaient tombées de son visage baissé, les gouttelettes faisant de minuscules taches sur le plancher du chariot en bois.
Yuuto posa doucement sa main sur la tête de Sigrun et caressa ses cheveux, un geste pour lui montrer qu’il était là, vivant.
Quand il l’avait fait, elle bondit en avant et enterra son visage contre sa poitrine. Ses larmes chaudes avaient trempé sa chemise, mais il avait laissé la fille aux cheveux argentés faire ce qu’elle voulait, lui tapotant doucement le dos alors qu’elle pleurait pour lui.
Après un moment, Sigrun s’était finalement calmée et s’était éloignée de lui.
« Pardonne-moi mon impolitesse ! Je suis si contente que tu n’aies pas été blessé, Père, » dit-elle, toujours en reniflant un peu.
« Ce n’est pas grave. Je suis désolé de t’avoir inquiété, » répondit Yuuto. Il tendit la main et essuya une larme sur la joue de Sigrun en un geste rassurant de plus.
À ce moment-là, Yuuto avait aussi vraiment voulu sentir le toucher d’une autre personne vivante. La chaleur du corps de Sigrun avait été un rappel direct et une preuve qu’il était toujours vivant.
« C’était beaucoup d’ennuis, mais je suis content que nous ayons amené les chameaux, » ajouta Yuuto, en jetant un coup d’œil sur le chameau depuis lequel Sigrun était descendue avec un soupir de soulagement.
Il avait appris que les chevaux avaient une aversion incroyablement intense pour l’odeur corporelle produite par les chameaux.
Au VIe siècle avant J.-C., ce fait avait été utilisé au combat par le général Harpagus de l’Empire achéménide, dans une bataille avec le royaume de Lydie. Harpagus avait utilisé des chameliers armés sur les lignes de front pour déranger et disperser la cavalerie lydienne, lui attribuant la victoire achéménide.
Ainsi, Yuuto avait également gardé un groupe de chameliers au sein de son armée, en attente au cas où, par hasard, la forteresse des chariots serait percée.
Cela dit, les chameaux n’étaient pas bien adaptés aux climats humides, et ils tombaient facilement malades. Leurs corps n’étaient pas faits pour voyager sur un terrain aussi humide.
Après avoir dû se précipiter à l’endroit où se trouvait Yuuto à l’improviste, leurs mouvements avaient été lents et ils avaient été lents à arriver. Cependant, ils l’avaient quand même fait juste à temps, lui sauvant la vie.
La terrible odeur de chameau qui s’accrochait à Sigrun avait fait frémir le nez de Yuuto, mais il avait même trouvé cela réconfortant après son épreuve.
Félicia semblait elle-même au bord des larmes en regardant Yuuto docilement, parlant formellement avec une expression douloureuse sur son visage, qui était terriblement pâle. « Grand Frère, je te demande de me pardonner. Te protéger est mon devoir, et j’ai échoué. »
Elle semblait vouloir se précipiter à ses côtés également, mais elle se retenait désespérément de le faire.
Ses yeux ressemblaient à ceux d’un chiot abandonné dans la rue, mais elle ressemblait aussi à un criminel condamné en attente de sa sentence.
Son frère de sang venait d’essayer de tuer Yuuto, et elle n’avait pas été capable de le protéger. Elle avait certainement ressenti un fort sentiment de responsabilité à l’égard de ces deux choses.
Yuuto pouvait facilement dire cela, même si elle était prête à être déchargée de ses responsabilités de garde du corps personnel, elle voulait rester son adjudante et son assistante.
« Ne t’inquiète pas, » lui dit Yuuto d’une voix douce et gentille. « Tu avais un mauvais adversaire cette fois. Tu seras toujours mon adjudante de confiance, Félicia. » Puis il l’avait tapotée doucement sur l’épaule.
Toute cette situation l’avait mise dans une position difficile sur le plan émotionnel, et Yuuto voulait s’assurer qu’il était prévenant envers elle.
« D-D’accord ! Merci, Grand Frère ! » L’expression de Félicia s’était adoucie, et elle répondit d’une voix vive et soulagée.
« Maintenant, Père, » Sigrun regarda dans la direction où l’homme masqué s’était enfui. « Poursuivons-nous l’ennemi ? »
La pratique courante en temps de guerre consistait à poursuivre activement et minutieusement un ennemi en retraite.
Cependant, Yuuto secoua lentement la tête. « Non, on attend jusqu’au matin. Pour commencer, tout le monde doit être épuisé par cette bataille acharnée. »
Alors même qu’il disait cela, Yuuto sentit ses mains se serrer dans ses poings. S’il était honnête, il voulait s’en prendre à eux tout de suite.
En ce moment même, Yuuto n’arrêtait pas de penser à cette étrange vision au milieu de la bataille, celle d’une femme et de sa danse envoûtante. Plus précisément, il n’arrêtait pas de penser à l’étrange phénomène qui s’était produit dans son corps lorsque cette danseuse avait terminé le façonnage de son seiðr.
Il ne se souvenait pas de toute l’incantation, mais une ligne lui avait laissé une forte impression : « Que les chaînes de la Sainte-Alliance se détachent maintenant, afin que le loup affamé emprisonné soit libéré. »
Yuuto avait été entraîné dans Yggdrasil par le seiðr de Félicia, Gleipnir. C’était une magie avec le pouvoir de capturer et de lier des choses d’une certaine nature venant d’un autre monde.
Très probablement, le seiðr appelé Fimbulvetr avait, pendant juste un instant, affaibli le pouvoir qui liait Yuuto à Yggdrasil.
Peut-être la raison pour laquelle cela n’avait fonctionné qu’un instant était parce que le pouvoir du seiðr n’avait pas été jeté sur Yuuto, mais sur les chevaux du Clan de la Panthère, et Yuuto n’avait été touché que par une partie de l’énergie résiduelle à la suite du sort.
Pris d’une autre façon, même l’énergie résiduelle du sort avait été suffisante pour affecter le corps de Yuuto.
Il n’y a pas eu d’erreur : Cette danseuse avait la clé du retour de Yuuto au Japon.
Il voulait la trouver et la capturer plus que tout en ce moment. Mais peu importe le désespoir qu’ils avaient à la poursuivre, le Clan du Loup n’allait pas rattraper la cavalerie.
Avec l’utilisation de la tactique de la forteresse de chariots et les tirs de volée rapides des arbalètes, les stratégies de Yuuto avaient fait pas mal de victimes chez le Clan de la Panthère, mais leur force restante était toujours égale en nombre à celle du Clan du Loup.
Déplacer son armée la nuit, alors que la visibilité était si mauvaise, serait beaucoup trop dangereux. Si l’ennemi parvenait à les faire tomber avant qu’ils ne puissent s’arrêter et reconnecter les chariots, ils seraient forcés au combat en mêlée, et pourraient subir des pertes qui effaceraient facilement leurs gains de leur victoire aujourd’hui.
En fait, logiquement, il l’avait bien compris. Il était pleinement conscient de ce qu’il devait faire.
C’était le moment de se reposer et d’attendre.
Mais Yuuto ne pouvait pas apaiser ses pensées ni calmer son impatience.
« Merde ! Bon sang ! Et juste au moment où j’ai enfin trouvé un indice ! »
Yuuto n’avait pas réussi à avoir un instant de sommeil ou un moment de repos en attendant la lumière du matin.
***
Épilogue 1
La nuit avait fait place au matin.
Les marais de Náströnd étaient remplis de cadavres de soldats et de chevaux du Clan de la Panthère, mais l’armée elle-même avait disparu.
On pouvait le voir en regardant à quel point leurs pertes avaient été lourdes. Il semblait qu’ils s’étaient complètement retirés pendant la nuit, après avoir jugé qu’il était trop dangereux de continuer à se battre ici.
Yuuto avança prudemment ses troupes à Myrkviðr et libéra la ville, que le Clan de la Panthère avait complètement abandonnée. Lui et sa suite s’étaient installés dans les bureaux du gouverneur au centre de la ville, se reposant et se rétablissant de leurs dures batailles.
« Hm, j’aimerais profiter de cet élan et continuer à pousser l’attaque jusqu’à Nóatún, mais…, » Yuuto fixa le plafond d’une pièce du bureau du gouverneur, délibérant sur ses options.
Tout comme Sylgr, la ville de Myrkviðr avait subi des dommages et des pertes considérables. Les soldats du Clan de la Panthère avaient été autorisés à courir partout et, outre le vol de la plus grande partie de la nourriture, un nombre important d’habitants avaient été enlevés comme esclaves, y compris des femmes et des enfants.
Et même avec leurs victoires sur le terrain, le Clan du Loup lui-même n’avait pas gagné de nouvelles richesses ou de nouveaux territoires dans ce processus. En fait, d’un point de vue purement financier, cette campagne n’avait entraîné jusqu’à présent que des pertes énormes.
Même si l’on mettait de côté les motivations et les sentiments de Yuuto à ce sujet, en tant que dirigeant de son pays, il préférerait continuer à le faire pour pouvoir récupérer ce coût. Cependant…
« Il y a des signes que le Clan de la Foudre lève à nouveau une armée…, » Yuuto se le murmura amèrement à lui-même, alors que la missive d’Iárnviðr était tenue fermement dans ses doigts.
Le Clan de la Foudre avait subi une défaite cuisante de sa part lors de la guerre précédente. Comme le Clan du Loup dépensait actuellement toutes ses ressources pour combattre le Clan de la Panthère, ils avaient dû y voir une bonne occasion de frapper et de venger cette perte.
« Urgh, il fallait que ça arrive maintenant, entre tous les temps ! » Yuuto cria et claqua le poing contre le mur, frustré.
La majorité de ses troupes mobilisées avait été déployée à l’étranger dans le cadre de cette campagne, laissant le territoire national du Clan du Loup relativement peu défendu.
« Si nous avancions immédiatement sur Nóatún, puis le capturions et revenions aussi vite que possible, nous pourrions le faire juste à temps… non, cette logique est déjà dangereuse en soi, » Yuuto secoua vigoureusement la tête et il essaya d’effacer cette ligne de pensée de son esprit. « Cette danseuse n’est peut-être même pas à Nóatún. »
En tant que commandant militaire, fonder ses décisions sur des vœux pieux était un signe certain qu’il ne pensait pas calmement et qu’il pouvait dire que ses propres motivations étaient trop fortement mêlées à son processus de pensée.
De plus, en tant que patriarche de clan, l’objectif de Yuuto était d’abord et avant tout de protéger le Clan du Loup. Quel que soit le nouveau territoire ou la nouvelle richesse qu’il pourrait conquérir à l’étranger, permettre l’invasion de sa patrie serait mettre la charrue avant les bœufs, c’est le moins qu’on puisse dire.
« Si j’essayais d’aller de l’avant à ce rythme, avec mon esprit dans un tel état d’agitation, je suis sûr que ça ne s’arrêtera que lorsque Grand Frère Loptr me tirera le tapis de dessous les pieds, » marmonna-t-il.
Yuuto se souvient de sa confrontation avec son ancien frère, leur première rencontre face à face depuis un an et demi, et se souvient de l’aura maléfique qui semblait émaner avec force de lui.
L’homme n’avait montré aucun scrupule à piétiner ses propres hommes avec ses chevaux pour les utiliser comme des escaliers, une tactique au cœur froid qu’il avait utilisée sans aucun remords.
De plus, même s’il avait un ressentiment profond envers Yuuto et tout ce qui l’entourait, il était parfaitement disposé à utiliser pleinement les « tricheries » de Yuuto, comme les étriers et le trébuchet.
Il avait même essayé de tuer sa propre petite sœur Félicia, avec toute sa force derrière le coup.
Pour parler franchement, il avait agi sans la moindre once de dignité ou d’honneur.
Son impudeur était honteuse, si éloignée de la figure du frère aîné que Yuuto avait un jour admiré.
C’est ce qui était si terrifiant chez lui.
Il était peut-être inconvenant. Il était peut-être inesthétique. Mais le type de personnes qui accomplissent de grandes choses difficiles avait tendance à être exactement ce genre de personne — quelqu’un avec une telle ténacité, voire une telle obsession, qu’elles pouvaient agir sans tenir compte de la façon dont les autres pourraient les voir.
Il y avait un bon exemple de l’histoire chinoise, pendant la guerre connue sous le nom de Contention Chu-Han à la fin du 3e siècle av. J.-C.. Le dirigeant du Chu occidental, Xiang Yu, en insistant pour maintenir l’honneur et la bienséance dans la guerre, avait rencontré sa défaite des mains du dirigeant Han Liu Bang. Liu Bang avait fait tout ce qu’il fallait pour gagner, y compris lancer des attaques-surprises après une reddition ou la signature d’un traité de paix.
Le prédécesseur de Yuuto, Fárbauti, avait déjà dit à peu près la même chose.
Ce qui séparait le succès de l’échec, ce qui déterminait la vie et la mort n’était pas l’intelligence ou la force brute, ou l’autorité ou la richesse. Ce qui avait fini par l’emporter sur tous ceux-là, c’était la détermination, la ferme résolution de tout faire avancer, quoi qu’il arrive.
« La résilience d’une mauvaise herbe » était une autre façon de le dire.
Avant les événements d’il y a un an et demi, Loptr n’avait pas eu cette force. Il avait été une élite qui vivait sa vie sur un cheminement de carrière couronné de succès, nommé au poste prestigieux de commandant en second malgré sa jeunesse.
Ce terrible incident avait certainement effectué un grand changement dans l’état d’esprit de Loptr, tout comme il l’avait fait dans celui de Yuuto.
« J’ordonne à toutes les troupes de rentrer chez elles. Nous devons nous préparer au Clan de la Foudre, » Yuuto avait transmis son ordre à Félicia, puis soupira, avec ses épaules tombantes.
Il avait enfin retrouvé son sang-froid. Et avec cela, il s’était aussi rendu compte qu’il devait faire face à une autre dure réalité.
C’était le péché qu’il avait commis, dans son rôle de patriarche.
En fait, il était un peu troublé qu’il ne s’en soit pas rendu compte jusqu’à maintenant. Il devait vraiment être agité, au point qu’il avait des œillères mentales. On aurait dit que sa décision d’ordonner une retraite avait été après tout la bonne décision.
Après avoir confié à Félicia le soin de transmettre les ordres plus détaillés à ses hommes, Yuuto murmura. « D’accord… » Il s’était légèrement giflé les deux côtés du visage avec ses paumes de mains pour reprendre ses esprits, et avait quitté le bureau à la recherche d’une pièce particulière.
Il n’avait pas encore tout à fait mémorisé l’agencement du bâtiment, mais après avoir regardé un peu autour de lui, il avait pu atteindre la pièce en question.
Il avait dégluti une fois, un peu nerveux, mais il avait quand même ouvert la porte sans aucune hésitation.
« Comment te sens-tu, Assistant du Second ? » Il parla au propriétaire de la chambre, qui était occupé, assis sur son lit, à boire seul.
L’assistant du commandant en second du Clan du Loup, Skáviðr, avait été grièvement blessé au cours de la bataille de la veille et était en convalescence ici.
Skáviðr avait protesté qu’« une simple coupure comme celle-ci n’est rien », mais le Clan du Loup ne pouvait se permettre le risque de perdre un si grand guerrier et général, alors Yuuto lui avait ordonné de se reposer.
Remarquant l’alcool, Yuuto était exaspéré. « Oh mon Dieu, ne bois pas quand tu es si blessé. Ça va foutre en l’air ta guérison, tu sais ? »
« Eh bien, on dit que l’alcool est le meilleur remède, » répondit Skáviðr sans perdre de temps, et prit une autre gorgée de sa coupe.
Il avait fait un petit bruit, un grognement d’inconfort. Sa blessure lui causait beaucoup de douleur, semble-t-il. Le fait qu’il ait bu toute la nuit comme ça, malgré cela, montre à quel point cet homme aimait son alcool.
La coupe qu’il tenait à la main était en verre. Skáviðr avait immédiatement pris goût à l’utilisation d’une coupe en verre pour le vin, remarquant que sa transparence lui permettait de jouir de la couleur et de la beauté de sa boisson. Malgré son apparence, c’était un homme aux goûts raffinés.
Yuuto se tenait devant Skáviðr et, avec une expression sérieuse, il fit enfin sa demande. « Hé, assistant du second. Tu veux bien me frapper ? Durement. Tu n’as pas besoin de dire quoi que ce soit. »
« Maître, que dites-vous tout d’un coup ? » Skáviðr fixa Yuuto, ses yeux s’élargirent légèrement. Cet homme avait toujours été l’image même de « cool et attentif », mais même lui ne pouvait cacher sa surprise devant ce qu’il venait d’entendre.
« Quand les cavaliers ont brisé notre défense à la fin, c’est à cause de mon mauvais jugement, » avait expliqué Yuuto. « Nous avons perdu plusieurs hommes à cause de ça. C’est pour ça que tu as cette blessure. Tout ça parce qu’à ce moment-là, j’étais trop faible de cœur pour être à la hauteur de la tâche. »
Yuuto avait fini de parler à travers les dents serrées, regardant Skáviðr dans les yeux tout le temps.
Après avoir réfléchi à ce qu’était Loptr aujourd’hui, il avait ressenti la plus grande différence entre eux.
Yuuto avait montré dans cette campagne qu’il pouvait surpasser Loptr en termes de stratégie et de tactique. Cependant, dans un domaine précis, il avait complètement perdu : La force de la volonté et l’intention de vaincre et de tuer son ennemi, par tous les moyens possibles.
Au moment le plus critique, Yuuto n’avait pas été capable de rester sans cœur et sans passion. Son esprit avait déjà été plongé dans la confusion par la perspective d’une piste sur la façon de rentrer chez lui. Et quelque part au fond de lui, il n’avait pas réussi à se débarrasser de l’hésitation de ne pas vouloir tuer son frère aîné assermenté.
Lorsque Loptr avait lancé son attaque-surprise, si Yuuto avait donné l’ordre de tirer, il aurait pu empêcher Loptr de percer dans la formation.
Bien sûr, il était toujours possible que le résultat ait pu être le même s’il avait donné l’ordre. Mais il ne pouvait pas s’empêcher de s’y attarder. Et si le fait qu’il n’ait pas été assez dur pour aller jusqu’au bout avait entraîné la perte de vies qui auraient pu être sauvées ?
La flamme d’une vie, une fois éteinte, ne brûlait plus jamais. Ces soldats avaient sûrement des maisons et des familles qui leur étaient chères. Le travail du commandant d’une armée consistait à veiller à ce que le plus grand nombre possible de soldats rentrent sains et saufs chez eux.
Ce n’était pas qu’il pensait que le fait de se faire frapper par quelqu’un l’absoudrait d’avoir permis que ces vies soient perdues. C’était la guerre. Il n’était pas assez idiot pour croire qu’il pouvait gagner sans que personne meure. Il avait également compris qu’il n’était pas réaliste d’attendre d’un être humain qu’il évite de faire des erreurs.
Mais dans ce cas, son échec était dû à sa faible attitude. Il ne s’était pas entièrement préparé à ce qui devait être fait. Pour qu’il ne répète pas la même erreur, Yuuto avait voulu se donner un peu de sens pour pouvoir recommencer à zéro. Et la seule personne sur qui il pouvait compter pour l’aider dans ce domaine était Skáviðr, un homme qui était toujours superficiellement poli, mais qui n’avait aucun scrupule à être franc avec qui que ce soit, quel que soit son grade ou son poste.
Skáviðr avait pris une autre gorgée de son verre de vin, puis haussa les épaules. « C’est vrai, je suis le bourreau des peines pour le clan. Pourtant, contre une force de dix mille cavaliers, un ennemi que nous n’avons jamais affronté, nous avons tué deux mille de leurs hommes tout en perdant moins d’une centaine des nôtres. Ce n’est que grâce à vos stratégies, Maître. Qu’y a-t-il exactement pour vous punir de ces résultats incroyables ? »
« Malgré tout, je… Je ne peux pas me le pardonner. Je ne peux pas me pardonner mon manque de détermination, » déclara Yuuto.
« Hm… Je suppose que cela a à voir avec le fait que l’homme au masque de fer était Loptr ? » demanda-t-il.
Yuuto avait été effrayé. « L’avais-tu compris ? »
« Je l’ai réalisé au moment où j’ai croisé des lances avec lui. Il m’a eu cette fois, mais je le tuerai la prochaine fois, » Skáviðr avait parlé de fait, apparemment sans émotion particulière sur la question.
Considérant que Loptr avait été le frère de sang de Skáviðr dans le clan, et son élève en arts martiaux, il agissait plutôt froidement. Mais ce détachement froid était quelque chose que Yuuto trouvait incroyable, et il se détestait encore plus en comparaison de ce qu’il est aujourd’hui.
« Je suis vraiment pitoyable, » se réprimanda Yuuto. « J’ordonne à mes hommes de tuer les ennemis devant eux, j’ai même fait des lois contre la lâcheté au combat, et pourtant je suis comme ça. Une fois qu’on en est venu à la guerre, j’ai dû me couper de toute compassion pour Grand Frère Loptr, mais… »
« C’est vrai, c’est ce qu’il faut faire, » affirma Skáviðr froidement, acquiesçant de la tête. « En temps de guerre, il n’y a pas de place pour la compassion envers l’ennemi. Si vous ne pouvez pas avoir le cœur froid, vous ne survivrez pas sur le champ de bataille. »
C’était les paroles d’un homme qui avait survécu à d’innombrables batailles, et elles avaient beaucoup de poids.
« Ouais…, » Yuuto hocha la tête, et pencha la sienne en soupirant profondément.
Il l’avait su, bien sûr qu’il l’avait déjà su. Mais seulement dans sa tête. Il ne l’avait pas vraiment ressenti, parce qu’il n’en avait pas personnellement ressenti les conséquences.
Il sentait son cœur s’enfoncer de plus en plus bas en réfléchissant à sa propre inutilité.
« Mais les gens ne suivront pas quelqu’un qui manque de compassion, » poursuivit Skáviðr. « Je suis un bon exemple. »
« Hein ? » Surpris, Yuuto leva la tête pour regarder Skáviðr, qui gloussa. Il portait un sourire inhabituellement doux.
« Il est vrai que vous avez un cœur tendre, Maître. Mais votre gentillesse a attiré beaucoup de gens vers vous, moi y compris. C’est un fait. Je dirais que la prospérité actuelle du Clan du Loup est due en grande partie à la force de votre caractère. On dit que les forces et les faiblesses d’un homme sont les deux faces d’une même médaille. Ne vous tourmentez pas ainsi. Maître, même si des vies ont été perdues à cause de votre cœur tendre, elles sont bien plus faibles que le nombre de personnes que votre bonté a sauvées. »
Yuuto pouvait dire que Skáviðr le louait gentiment, à sa façon. Mais, honnêtement, les mots n’avaient pas résonné en lui. Le Yuuto que Skáviðr décrivait ne correspondait pas du tout à la façon dont Yuuto se voyait.
Yuuto secoua lentement la tête. « Je ne suis pas quelqu’un de bien comme tu le dis, et je ne suis pas non plus gentil. En fait, jusqu’à il y a quelques minutes à peine, je n’avais pas du tout réalisé mon erreur parce que j’étais tellement pris par mes propres problèmes égoïstes. Je suis un imbécile insensible. »
« Et même ainsi, vous avez choisi d’affronter votre culpabilité pour votre erreur une fois que vous vous en êtes rendu compte, » déclara Skáviðr. « Vous n’avez pas détourné les yeux et vous n’avez pas trouvé d’excuses. Ce n’est pas quelque chose de facile à faire. Normalement, beaucoup d’entre nous le poussent hors de nos esprits, et font semblant de ne pas le voir… Huh. D’habitude, ce n’est pas dans mon caractère de dire ce genre de choses. »
Sur ce, Skáviðr s’appuya sur une canne pour se lever, prit un autre verre dans ses affaires et le tendit à Yuuto.
« Buvons ensemble, Maître, » déclara Skáviðr.
« Euh, non, je suis…, » Yuuto avait été décontenancé, et s’était trouvé incapable de répondre.
Il n’y avait pas d’âge légal pour boire dans les lois du Clan du Loup. Bien sûr, c’était parce que Yuuto n’avait pas utilisé sa position d’autorité pour en établir une. Malgré cela, l’alcool était considéré comme une boisson pour les adultes, et la plupart des gens ne commençaient à boire qu’à l’âge d’au moins quinze ans, après avoir été reconnus comme des adultes par leurs pairs, une sorte de règle culturelle tacite.
Yuuto n’avait pas l’intention d’introduire la règle de la société japonaise moderne de « ne pas boire avant d’avoir vingt ans » dans sa vie ici, mais il ne pouvait pas non plus aimer la façon dont l’alcool avait obscurci son esprit.
« Des jours comme ceux-là, c’est exactement quand on a besoin de vin, Maître, » déclara Skáviðr.
Skáviðr refusa de reculer, et avec cette déclaration, il força la coupe de verre dans les mains de Yuuto, et y versa du vin.
« Je doute fort que le fait de vous frapper vous soulage de vos fardeaux, » continua Skáviðr, versant un peu plus de vin dans son propre verre. « Il y a beaucoup de problèmes dans la vie qui ne sont pas résolus, pour lesquels les gens ne peuvent pas se détacher complètement de leurs regrets. » Il avait levé son verre. « Et, dans ces moments-là, les gens font tous disparaître avec un bon verre. »
Yuuto avait soudain eu une petite idée de l’une des raisons pour lesquelles cet homme aimait l’alcool.
Il se souvient d’une époque avant qu’ils ne partent en guerre contre le Clan de la Foudre, où Skáviðr avait abattu un homme du Clan du Loup qui avait commis un crime horrible et s’était vanté qu’il ne ressentait absolument rien. Mais bien sûr, ce n’était pas après tout vrai.
Il avait pour lui un regard sinistre, une apparence semblable à l’image de la faucheuse, mais il était humain, une personne. Au nom de la justice et de la loi, il avait dû éliminer ses propres compagnons de clan en tant que bourreau et était devenu un symbole de la peur parmi le peuple de sa patrie. Il n’y avait aucune chance qu’il n’ait rien senti.
Skáviðr faisait face à ses propres démons intérieurs. Et, incapable de vraiment se détacher complètement des émotions qu’il ressentait, il les faisait disparaître avec son vin, et ne montrait aux autres qu’un masque froid qu’il portait. Tout ça parce qu’il croyait que ce qu’il faisait, c’était pour un avenir meilleur pour le Clan du Loup.
« … » Yuuto fixa silencieusement le liquide cramoisi à l’intérieur du verre.
C’était la couleur du sang. Pas différent du sang des hommes qui avaient perdu la vie à cause de lui.
Il ressentait un sentiment de dégoût en lui-même. Pourtant, s’il hésitait maintenant, il avait l’impression que c’était comme s’il détournait les yeux de sa propre responsabilité.
Yuuto s’était raidi puis il avait bu le verre d’un seul coup.
« … Ah ! C’est aigre, et… amer aussi, » déclara Yuuto.
Yuuto avait toujours été perplexe devant les raisons pour lesquelles les adultes aimaient boire quelque chose comme ça, quelque chose qui avait un goût désagréable. Les jus de fruits fraîchement pressés avaient par exemple meilleur goût.
Mais pour une raison ou une autre, il ne trouvait pas que le goût était si mauvais. En fait, c’était même un peu réconfortant.
« C’est seulement quand il connaît les choses douces et amères de la vie qu’un garçon devient un homme, Maître, » déclara Skáviðr.
Sur ce, Skáviðr ferma les yeux et inclina son propre verre.
***
Épilogue 2
« Il semblerait que le Clan du Loup ait commencé à retirer ses forces de l’étranger. » Dans une salle du palais central du Clan de la Foudre, Bilskirnir, capitale du Clan de la Foudre, une belle femme avait poussé un profond soupir en lisant le message de la tablette d’argile dans ses mains.
La femme s’appelait Röskva. Comme son frère aîné Þjálfi, elle était l’un des conseillers les plus dignes de confiance du Patriarche Steinþórr, et son talent considérable était principalement orienté vers les affaires domestiques du Clan de la Foudre.
« J’aurais voulu pouvoir profiter de cette occasion pour récupérer un peu de ce que nous avions perdu, mais…, » Röskva soupira une fois de plus. « Eh bien, peu importe, on va faire marche arrière cette fois-ci. De toute façon, Père est encore loin d’être complètement rétabli. »
Son père assermenté Steinþórr était encore en convalescence et recevait des soins pour ses nombreuses blessures. Lors de la précédente bataille contre le Clan du Loup, il avait été emporté par une violente inondation et souffrait de fractures à plusieurs endroits.
Cependant, fidèle à son pseudonyme de Dólgþrasir, le Tigre Affamé de Vanaheimr, la guérison naturelle de son corps était bestiale en soi.
Bien qu’il ressentait encore des douleurs dans la plupart de ses articulations, il se promenait déjà librement sur le terrain du palais avec sa démarche confiante habituelle, et à ce rythme, il serait probablement à nouveau prêt à agir en moins d’un mois.
« Pourtant, je suis étonnée qu’ils aient été si facilement capables de repousser une armée de plus de dix mille cavaliers, » dit-elle. « Ils sont devenus beaucoup plus forts que je ne l’avais prévue. La croissance de leur économie nationale est également remarquable. À ce rythme, même si Père revenait au front, je dois dire qu’il serait difficile pour le Clan de la Foudre de les affronter seul… »
Il était indéniable que Steinþórr était invincible sur le champ de bataille, le héros le plus fort du pays. Mais ce patriarche du Clan du Loup s’était aussi révélé être un monstre de la nature contre lequel le bon sens ne semblait pas s’appliquer.
Steinþórr était le type de guerrier pur qui avait gagné la plus grande joie de sa vie en se battant contre des ennemis puissants, et plus son rival était fort, plus il l’appréciait. Mais pour une femme comme Röskva, le fait que les hommes prennent plaisir avec ce genre de choses était incompréhensible. Son seul objectif était de faire en sorte que son père assermenté devienne le chef suprême de tout Yggdrasil.
Elle avait pris sur elle le rôle de quelqu’un qui le soutenait dans les coulisses, faisant ce qu’elle pouvait pour trouver la meilleure méthode pour faire de cet objectif une réalité.
L’homme assis en face d’elle ria. « Hmm, je vois. Alors je pense que cela signifie que vous allez sérieusement considérer notre proposition ? »
Il portait une robe de soie et se comportait avec un certain air gracieux, tout à fait déplacé ici dans le Clan de la Foudre, qui était connu pour sa culture insolente et vulgaire.
Röskva lui sourit en retour. « Oui. Je trouverai un moyen de persuader Père. J’ai hâte de travailler avec vous, Lord Alexis. »
« Vous pouvez compter sur moi. Je servirai de médiateur pour le Patriarche Steinþórr du Clan de la Foudre et le Patriarche Hveðrungr du Clan de la Panthère pour échanger le Serment du Calice de frère. Moi, Alexis, je jure sur ma vie même que je vais le faire réussir ! »
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Illustrations
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