Le Maître de Ragnarok et la Bénédiction d’Einherjar – Tome 2
Table des matières
- Prologue
- Acte 1 : Partie 1
- Acte 1 : Partie 2
- Acte 1 : Partie 3
- Acte 1 : Partie 4
- Acte 1 : Partie 5
- Acte 1 : Partie 6
- Acte 1 : Partie 7
- Acte 1 : Partie 8
- Acte 2 : Partie 1
- Acte 2 : Partie 2
- Acte 2 : Partie 3
- Acte 2 : Partie 4
- Acte 2 : Partie 5
- Acte 2 : Partie 6
- Acte 3 : Partie 1
- Acte 3 : Partie 2
- Acte 3 : Partie 3
- Acte 3 : Partie 4
- Acte 3 : Partie 5
- Acte 3 : Partie 6
- Acte 3 : Partie 7
- Acte 3 : Partie 8
- Acte 4 : Partie 1
- Acte 4 : Partie 2
- Acte 4 : Partie 3
- Acte 4 : Partie 4
- Acte 4 : Partie 5
- Acte 5 : Partie 1
- Acte 5 : Partie 2
- Acte 5 : Partie 3
- Acte 5 : Partie 4
- Acte 5 : Partie 5
- Acte 5 : Partie 6
- Acte 5 : Partie 7
- Acte 5 : Partie 8
- Acte 5 : Partie 9
- Acte 5 : Partie 10
- Acte 5 : Partie 11
- Acte 5 : Partie 12
- Épilogue
- Illustrations
***
Prologue
Cette nuit-là, le vent soufflait avec force. Il semblait particulièrement fort pour Alexis qui se tenait debout sur la Hliðskjálf.
Il ne pouvait pas le voir en ce moment depuis le sommet de la tour sacrée, mais une grande ville s’étendait dans le noir au-dessous de lui.
Il était à Bilskirnir, la capitale du Clan de la Foudre, dans la région ouest d’Yggdrasil connue sous le nom de Vanaheimr. Le Clan de la Foudre contrôlait toute la partie nord de Vanaheimr.
Cette ville qui débordait d’énergie bouillonnante pendant la journée était maintenant sombre et silencieuse. La plupart des habitants s’étaient déjà retirés pour se préparer au travail du lendemain.
Alexis était un goði, un haut fonctionnaire et prêtre de l’Empire qui régnait sur tout Yggdrasil, le Saint Empire d’Ásgarðr.
Il y avait quelque temps que l’Empire eût perdu la capacité à contrôler et à gouverner ses territoires lointains, mais son autorité symbolique restait présente. En tant que représentant de cette autorité, ses fonctions principales comprenaient la présidence des affaires liées au Calice ainsi que de servir de médiateur neutre entre les parties belligérantes. Son statut social officiel était au-dessus même des patriarches de clan dirigeant chaque territoire.
Normalement, une telle personne ne devrait pas se faufiler au milieu de la nuit comme ça. Mais c’était le début de son véritable travail.
« C’est bon..., » Alexis fouilla dans la poche de sa robe et sortit un petit miroir.
Éclairée par le croissant de lune présent au-dessus de lui, la surface du miroir brillait d’une lumière étrange.
Il ferma les yeux et récita l’incantation.
Il ne fallut pas longtemps avant qu’il entende la voix rauque d’un autre homme. « Hm, juste à temps. »
Il n’y avait pas d’autres silhouettes en dehors d’Alexis se tenant au sommet de la Hliðskjálf.
« Et comment ça s’est passé ? »
Alexis avait entendu ces mots non pas avec ses oreilles, mais directement dans sa propre tête.
Il s’agissait de l’un des pouvoirs de sa rune Gnævar, « Le Voyageur des Cieux ». En utilisant une paire de miroirs assortis en cuivre elfique, également connu sous le nom d’Álfkipfer, il pouvait obtenir une communication instantanée avec une autre personne et cela même sur de grandes distances. Normalement, dans ce monde, la méthode la plus rapide de communication à longue distance était une tablette d’argile portée par un messager à cheval, donc sa capacité était à la fois rare et incroyablement précieuse.
Alexis était issu d’une humble famille de paysans, sans éducation ni maîtrise des arts martiaux. Son ascension à la position de goði était due, en grande partie, à ce pouvoir.
« Oui, Sire. Comme vous l’avez souhaité, j’ai parlé avec le patriarche du Clan de la Foudre, mais il reste vraiment un homme inconstant, » déclara Alexis.
« Allez-y et laissez passer quelques-unes de ses exigences égoïstes. Faites ce que vous devez pour le rendre disposé à coopérer. Mais il ne faut pas que le public sache que nous étions impliqués de quelques façons que ce soit. Avez-vous compris ? »
« Totalement, Sire, » répondit Alexis.
« Très bien. Avant que la Noirceur ait une chance de devenir puissante, faites tout ce qu’il faut pour l’envoyer dans sa tombe. »
***
Acte 1
Partie 1
Yuuto était complètement incapable de bouger, tel un cerf paralysé pris dans les phares d’une voiture.
La situation empirait chaque minute.
Comment les choses avaient-elles fini de cette façon ? Bien qu’en repensant à la séquence des événements qui avaient mené à ce point, il avait estimé que c’était probablement la seule façon dont cela aurait pu se conclure.
« W-Wow ! Hmm, c’est assez difficile, n’est-ce pas ? » La voix de Linéa à côté de son oreille était presque aussi faible qu’un murmure.
Peut-être en raison de la nervosité, sa voix était raide et faible. D’une certaine manière, cette timidité était incroyablement mignonne.
Une fille qui était encore à mi-chemin de ses années d’adolescence, Linéa était le Patriarche du Clan de la Corne, la souveraine des terres fertiles le long des rivières Örmt et Körmt. Elle était aussi la sœur cadette assermentée de Yuuto, un type de subordonné lié au clan grâce au Calice.
Habituellement vêtue de vêtements de haute qualité et d’accessoires décoratifs convenant à son rang élevé, elle était maintenant aussi nue que le jour de sa naissance. Son corps se développait encore alors qu’elle était actuellement quelque part à mi-chemin entre l’enfant et l’adulte, avec une instabilité qui était à sa manière inviolable et sacrée.
« Oh ! Et c’est vraiment bien..., » Linéa déclara ça avec un soupir d’admiration.
Son souffle chatouilla le lobe de l’oreille d’Yuuto, et un frisson parcourut son dos.
« Oh ! J-Je suis désolée, est-ce que je frottais avec trop de force ? » Linéa s’était excusée et avait arrêté de déplacer ses mains.
« N-Nullement, c’était tout simplement parfait ! » Troublé, Yuuto répondit d’un ton qui ne convenait pas vraiment à sa position.
Tout son esprit semblait se concentrer sur l’endroit que Linéa frottait, et il était incapable de penser à autre chose. L’air torride et humide s’accrochait à son corps. Sa tête commençait même à tourner.
Tout son corps était rouge de chaleur et il avait l’impression de pouvoir s’évanouir à tout moment.
C’était sûr que son allure était vraiment médiocre, mais Yuuto ne pouvait pas y faire grand-chose. Après tout, c’était également sa première fois.
« Je ne suis pas très bonne dans ce domaine, n’est-ce pas ? Euh ! S’il vous plaît, s’il y a la moindre chose que je pourrais faire afin de m’améliorer, alors n’hésitez pas à me dire. Grand Frère, je ferais tout pour vous..., » déclara Linéa.
« V-Vous le faites très bien. Je vous promets que je me sens très bien ! » lui assura Yuuto.
« Merci Déesse. Il s’agit de la première fois que je lave le dos d’un homme, alors..., » répliqua Linéa.
Et c’est la première fois que mon dos est lavé par une femme ! Yuuto bloqua les mots dans sa gorge avant qu’ils ne s’échappent et il resta ainsi silencieux.
Dans son esprit, il s’était excusé pour la énième fois à son amie d’enfance qui l’attendait dans un lointain pays.
La salle aux murs de pierre était remplie d’épais nuages de vapeur. Il s’agissait dans un bain privé du Palais de Sessrúmnir, au cœur de la capitale du Clan de la Corne, Fólkvangr.
En préparation d’une cérémonie officielle afin de célébrer la récente victoire sur le Clan du Sabot, Yuuto était venu ici pour se nettoyer et se purifier. Cependant...
« Je pense que je devrais maintenant me charger du rester, » une voix claire comme une cloche parla depuis derrière lui. « J’ai suivi le décorum et je vous ai laissé commencer parce que vous êtes au-dessus de moi, mais je veux également laver le dos de Père. »
« Oh mon Dieu, Run, qu’es-tu en train de dire là ? » une autre voix, douce comme de la soie, avait répondu à la première personne. « Dans ce cas, je vais y aller en deuxième. »
« Quoi !? » s’exclama Run.
« Tee hee ! Bien sûr, céder face à tes supérieurs est juste et approprié dans un tel cas. Donc, en tant que sœur cadette, je devrais avoir la priorité sur une enfant subordonnée telle que toi. »
« Grrr...! »
Les voix familières des deux filles qui se disputaient se répercutaient sur les murs depuis derrière lui. Il s’agissait de Sigrun et Félicia. Ces deux jeunes femmes appartenaient au Clan du Loup, dont Yuuto était le Patriarche, et elles faisaient partie des guerrières les plus puissantes du clan.
La maîtrise de soi d’Yuuto l’empêchait de se retourner afin de regarder, mais il n’avait pas besoin de le voir pour savoir ce qui se passait. Après tout, ils se trouvaient tous dans un bain. Naturellement, leurs corps minces et attrayants seraient généreusement et entièrement exposés.
L’enfant subordonnée Sigrun était grande et mince, sa beauté rafraîchissante et juvénile était accentuée par de longs cheveux argentés rappelant la lune dans une nuit sombre et sans nuages. En revanche, Félicia aurait ébloui quiconque l’aurait regardée avec ces cheveux dorés comme le soleil et une beauté mature et glamours.
Une simple rotation de tête lui donnerait indubitablement une vue à la hauteur de Shangri-la. Si c’était une question de savoir s’il voulait regarder ou non, il l’aurait certainement fait. Mais...
« Protégez-moi contre les pensées impures ! Protégez-moi contre les pensées impures ! La forme est le vide, le vide est la forme, la forme est le vide, le vide est la forme..., » fermant ses paupières avec force, Yuuto se répétait des mantras bouddhistes dans une tentative désespérée de se débarrasser de ses désirs charnels.
En partie parce que son père était un forgeron de katana traditionnel, il avait été énormément exposé à ces sortes de chants et de mantras destinés à focaliser l’esprit, et il en avait mémorisé plusieurs au cours des années. Cependant, même les mantras sacrés avec des centaines d’années d’histoire de répulsion du mal étaient à peine capables de refréner son envie qui jaillissait en lui.
Le jeune homme se comportait comme si son contrôle de soi était le seul facteur important dans cette situation, ce qui aurait pu sembler assez arrogant pour certains, mais il n’était pas vraiment responsable de cette situation. Après tout, il savait que s’il les regardait très attentivement, ces belles filles pourraient probablement... non, elles l’accepteraient dans tous les cas avec plaisir.
Dans le monde d’Yggdrasil, il y avait une pratique issue de leurs coutumes où deux personnes échangeaient des vœux et devenaient une famille assermentée, et cela à l’aide d’un rite sacré connu sous le nom de Serment du Calice. On ne pouvait pas choisir les parents qui nous faisaient naître, mais avec le Calice, une personne pouvait choisir un parent ou un frère selon sa propre volonté. Pour la personne choisie comme parent assermenté, le Serment du Calice exigeait un engagement de loyauté absolue et un service perpétuel, à la fois avec son corps et son âme. Telle était la loi de la terre d’Yggdrasil.
Ce qui signifiait que peu importe ce que Yuuto voulait, ces filles qui lui étaient liées par serment ne pouvaient pas refuser. Il se réprimait avec une volonté de fer, mais pour un garçon comme Yuuto dans les affres de la puberté, c’était tout simplement une torture. Et malgré le fait qu’il ait presque dépassé sa limite mentale...
« Hahaha ! C’est donc ça ! Père, je crois avoir réussi à gagner du mérite lors de la dernière bataille. Je voudrais recevoir ma récompense pour ça, ici et maintenant. S’il te plaît, permets-moi d’avoir l’honneur de te laver le dos avant Félicia ! » déclara Sigrun.
Agissant comme si elle était tombée sur une bonne idée, Sigrun lui avait soudainement fait cette demande avec une attitude presque triomphante, alors que ses paroles étaient passionnées.
Lors de la dernière bataille, Sigrun avait à elle seule abattu le commandant suprême de l’ennemi, une réalisation bien au-delà de ce que ses paroles pourraient suggérer. Cela devrait être un accomplissement digne de tous récompense matérielle ou titre honorifique si elle le souhaitait, faisant qu’Yuuto se demandait bien pourquoi elle souhaiterait quelque chose d’aussi insignifiant.
« Run, le mettre maintenant sur la table est lâche ! » Félicia avait crié sur Sigrun, comme si elle condamnait une lâche qui avait utilisé la corruption et la tromperie pour gagner sa récompense. « N’es-tu pas le Mánagarmr, une guerrière vertueuse et fière ? Quand es-tu devenue une femme aussi éhontée ? »
C’est bien loin d’être éhontée, n’est-elle pas plutôt trop modeste ? pensa Yuuto, mais il savait aussi qu’il y avait un certain fossé dans les valeurs morales entre une personne du 21e siècle comme lui et des personnes provenant du monde antique d’Yggdrasil.
C’était un peu injuste pour les deux filles après qu’elles aient exprimé un tel désir, mais Yuuto avait pris la parole. « Vous deux, c’est déjà suffisant. Grâce à Linéa, je suis plus que suffisamment propre, donc je n’ai plus besoin que mon dos soit lavé. »
« Grand Frère !? » demanda Félicia.
« Père !? » s’exclama Sigrun.
Félicia et Sigrun avaient toutes deux haussé la voix en panique, comme si elles ne pouvaient pas le croire. Même un chien qui verrait sa friandise s’en aller loin de ses yeux au dernier moment ne lâcherait pas un cri si désespéré.
C’était presque suffisant pour faire qu’Yuuto les laisse faire, mais il continua en restant ferme. « Désolé, mais à ce rythme, si mon dos était encore frotté pour être nettoyé, ça commencerait à être à vif. »
Linéa avait, conformément à sa nature honnête et travailleuse, frotté vigoureusement son dos avec toute sa force. Il se sentait vraiment bien là, et maintenant il se sentait plus propre que jamais, mais il avait l’impression que si quelqu’un continuait à le faire, son dos risquait d’être blessé.
De plus, il ne fallait pas oublier que la célébration pour la victoire allait bientôt se tenir. Cela pourrait être vu comme une occasion joyeuse pour faire la fête, mais sous cette façade, il s’agissait surtout d’une réunion pour une diplomatie internationale sérieuse, avec des motivations cachées et des intrigues à bout de bras. On pourrait parfaitement appeler ça un autre type de champ de bataille qui allait se dérouler sous peu.
Il ne serait vraiment pas drôle pour lui si un manque de concentration dû à une légère douleur entraînait une erreur politique de sa part.
« Je... Ohh... » Pleurnicharde, Sigrun laissa échapper un gémissement morose et rongé par la culpabilité.
Pour Sigrun qui avait vécu toute sa vie consacrée aux arts martiaux, des situations comme celle-ci étaient sa plus grande faiblesse. Elle était immensément loyale envers Yuuto, et avait sûrement été désireuse de lui montrer cette loyauté par les actes, même sous la forme de ce qui était censé être une récompense pour elle. Elle n’était pas très bonne quand il fallait masquer ses émotions, comme maintenant avec sa déception. Mais cette honnêteté était aussi l’une des choses les plus charmantes la concernant.
D’autre part, Félicia avait continué à exprimer son mécontentement d’une manière boudeuse. « Eh bien ! Même si c’est toi, Grand Frère, c’est bien trop insultant comme attitude. Suggères-tu que je serais égoïste en ignorant tes besoins ? En outre... ne penses-tu pas qu’il est injuste que tu chérisses une parente de l’extérieur comme Grande Sœur Linéa tout en ignorant une parente de ton propre clan ? »
Il est vrai que Linéa était la sœur d’Yuuto par le Serment du Calice, mais elle venait de l’extérieur du Clan du Loup. Le fait de donner à quelqu’un avec un lien plus étroit un traitement moindre dans le clan était quelque chose d’inapproprié. Yuuto savait qu’à un certain niveau, la logique de Félicia tenait l’eau, mais...
« Attends un peu, » Yuuto venait de réaliser la scène mise en place. « Félicia, c’est toi qui au départ as insisté pour que Linéa me lave le dos ! »
« G-Grand Frère... mais... ne vous... ne vous ai-je pas causé des douleurs ? » Linéa lui parlait comme si elle était sur le point de pleurer.
« Non, euh, c’est... ce n’est pas ça ! Regardez, et ne pleurez pas... Ah !! » Yuuto s’était tourné par réflexe vers la tête de Linéa pour la consoler, et aperçut la peau, et se retourna rapidement pour faire face à sa direction d’origine. Il avait décidé de prétendre qu’il n’avait pas vu de protubérances roses.
« D-Désolé ! Euh, après avoir passé tant de temps à m’occuper de cette gamine pleurnicheuse qui était comme une petite sœur pour moi, j’ai maintenant cette habitude, » expliqua Yuuto. « Chaque fois que je vois une fille se mettre à pleurer, je tapote par réflexe sur sa tête. OK, c’est juste une excuse stupide. Pardon. Je suis sérieux. »
« N-Non, ce n’est pas... G-Grand Frère, cela ne me dérange pas si vous me regardez. V-Vous savez, puisque vous allez être mon... M-M-Mari... Je ne suis peut-être pas aussi impressionnante que Lady Félicia, mais, s-s’il vous plaît, regardez-moi autant que vous le voulez ! » déclara Linéa.
« Qu-Quoi !? Quoi !? Attendez... Attendez un peu ! » Yuuto agita sa main dans un geste derrière lui alors qu’il parlait. « C-Calmez-vous, je vous en supplie ! Calmez-vous un petit peu ! »
« Si je peux être franche, c’est alors peut-être toi, Grand Frère, qui ferais mieux de te calmer, » répondu Félicia.
Bien sûr, Félicia avait totalement raison. Prenant de profondes respirations, Yuuto se reprocha d’avoir tant perdu son calme. Mais même ainsi, son rythme cardiaque n’avait affiché aucun signe de vouloir se stabiliser.
« Et Grande Sœur Linéa, je me demande si vous n’avez pas pris vos désirs pour la réalité un peu trop en avance, » Félicia ajouta froidement cela. « La proposition d’avant n’a pas encore été acceptée. »
« Arg. Euh. Mais euh..., cependant, un mariage entre mon Grand Frère et moi profiterions à nos deux clans, la Corne et le Loup, » Linéa avait réussi à argumenter à Félicia. Cependant, son balbutiement était la preuve qu’elle avait compris qu’elle dépassait ses limites.
Mais en même temps, cela signifiait également que Linéa elle-même était tout à fait en faveur à cet arrangement.
En ce moment, il s’agissait d’un problème qui contrariait Yuuto bien plus que toute maladresse puérile.
***
Partie 2
Avant ça, Yuuto Suoh avait été un étudiant normal, fréquentant un lycée au Japon moderne. Pour une raison inconnue, il avait été convoqué dans cet ancien monde d’Yggdrasil, où il avait passé les deux dernières années à survivre.
À en juger par des choses comme la position des constellations, il était presque sûr que ce monde était encore la Terre, mais certains points ne se superposaient pas correctement.
Par exemple, il y avait l’époque où il se trouvait. En se basant sur les outils utilisés par les habitants et les matériaux employés pour leurs armes, le niveau de civilisation était à peu près le même qu’à la fin de l’âge du bronze.
Alors, avait-il été jeté dans le passé ? Cela ne semblait pas aussi simple et direct que cela. La position de l’étoile du Nord signifiait que cette zone devait se situer entre le 50 et le 55 degrés de la latitude-nord. Mais aucune carte de cette latitude ne correspondait à la géographie locale qu’il avait vue ou dont il avait entendu parler.
Bien sûr, un exemple encore meilleur serait l’existence de personnes dotées de pouvoirs surhumains, connues sous le nom d’Einherjar.
« Te voilà, Grand Frère, » déclara Félicia en lui tendant une coupe remplie d’eau.
Il se trouvait au milieu de l’été, mais la tasse était glacée. Naturellement, il n’y avait pas de réfrigérateurs ou d’autres commodités présent dans le monde d’Yggdrasil. Elle l’avait refroidi par la magie, un sort musical appelé galldr.
On disait qu’il y avait des douzaines, peut-être des centaines, d’individus avec des pouvoirs comme celui-ci dans Yggdrasil. Ils ne pouvaient pas être expliqués par la science et le bon sens du monde d’où venait Yuuto. Alors...
Où suis-je, vraiment ? Un malaise qu’il n’arrivait pas à exprimer était toujours en train de ronger son cœur.
Yuuto avait mis ces pensées de côté. Le fait d’y habiter n’aiderait en rien et, à l’heure actuelle, il était plus important de se concentrer sur le problème se trouvant devant lui.
« Grand Frère ! S’il vous plaît, épousez-moi ! »
Moins de trente minutes s’étaient écoulées depuis la proposition soudaine et véhémente de Linéa. À ce moment-là, Félicia l’avait sauvée avec tact :
« Le fait d’effectuer une intrusion dans le bain d’un supérieur et faire immédiatement une telle demande est irrespectueux. Une jeune sœur devrait commencer par laver le dos de son frère pour lui rendre hommage avant d’exiger des faveurs. »
Son esprit rapide l’avait temporairement sorti de cette situation, mais... il avait été tellement distrait par les filles se trouvant dans son dos qu’il n’avait pas été capable de rassembler correctement ses pensées.
En fait, même si Félicia avait commencé à se demander qui serait la suivante, c’était peut-être pour lui donner un peu plus de temps pour réfléchir à la réponse à sa proposition. Ce niveau de considération et d’attention était si caractéristique d’elle.
Il avait un peu honte de ne pouvoir s’en rendre compte qu’après coup. D’autre part, comment s’attendait-il à être calme et observateur, entouré de trois belles filles nues ? Quel était l’intérêt d’avoir du temps supplémentaire dans une situation où il ne pouvait pas penser rationnellement ?
Mais il n’avait pas le luxe de se plaindre. Yuuto était le patriarche du Clan du Loup, chargé de la vie de dizaines de milliers d’hommes de son clan. C’était une position qui ne permettait pas de trouver des excuses, quelle qu’en soit la raison.
« Ahhhh, si bon ! L’eau glacée juste après un bain chaud est la meilleure des choses ! » déclara Yuuto en buvant le contenu d’un autre verre.
Maintenant qu’il était sorti du bain, Yuuto en avait profité pour rafraîchir sa gorge et ses pensées. La vapeur qui avait obscurci son esprit pour diverses raisons semblait disparaître avec l’eau froide, et il pouvait penser beaucoup plus clairement.
« Oh, et merci aussi, Run. » Yuuto se retourna pour remercier Sigrun, qui se tenait à sa gauche.
Elle avait répondu avec un ton sérieux, inclinant la tête. « Ah ! Non, c’est un honneur d’être à ton service, Père. »
Pourtant, en regardant de près, il pouvait voir les coins de sa bouche se plisser vers le haut, et l’éventail à plumes de paon qu’elle tenait se déplaçait plus vite, comme un chien qui remuait sa queue.
Avec son corps nettoyé avec ce bain chaud au milieu de l’été, la brise qu’elle lui envoyait était merveilleuse... mais Yuuto ne pouvait tout simplement pas se sentir à l’aise avec le fait d’avoir une fille qui travaillait comme ça pendant qu’il s’allongeait sur une chaise. Cependant, il pouvait pratiquement déjà voir le triste visage de chiot qu’elle ferait s’il refusait l’offre, alors il la laissait faire ce qu’elle voulait.
« C’est vrai. Maintenant, ayons toute l’histoire, » commença Yuuto.
Assise sur une chaise en face de lui, sa jeune sœur nommée Linéa l’avait regardé avec un regard tendu alors qu’il lui demandait d’avoir tous les détails. Tout le monde était maintenant habillé, donc il n’y avait plus besoin de s’inquiéter d’être agité ou distrait.
« Vous et moi, pour que nous nous marrions ? D’où est-ce que ça vient ? » poursuit-il.
« Hein ? Est-ce si étrange que ça ? » demanda Linéa, inclinant la tête d’un côté en raison d’une curiosité sincère.
C’était un geste mignon, assez doux pour faire battre le cœur d’un homme, mais il n’y avait pas de place pour rester là à l’admirer dans cette situation.
Linéa avait alors continué alors que son ton était devenu soudainement très sérieux. « Pendant de nombreuses années, nous, du Clan de la Corne et le Clan du Loup de Grand Frère, nous nous sommes battus entre nous comme des ennemis inconciliables. Cependant, maintenant que mon Grand Frère et moi avons prêté le Serment du Calice, les deux clans sont devenus parents. Si nous devenons mari et femme, le lien entre nos clans s’en trouverait renforcé. Ce serait extrêmement précieux pour nous deux. »
« Bon, d’accord. Je peux comprendre ça, mais..., » Yuuto avait tâtonné dans ses paroles et il avait détourné son regard, incapable de résister à la sincérité passionnée présente dans les yeux de Linéa.
C’était une coutume qui s’était répétée d’innombrables fois tout au long de l’histoire de l’humanité, partout dans le monde : Les dirigeants de deux puissances opposées s’unissaient à l’aide d’un mariage, ce qui facilitera les relations amicales et servirait de garantie de non-agression mutuelle.
Rationnellement, il l’avait compris. Cependant, Yuuto avait été élevé avec les valeurs du Japon d’aujourd’hui. Il s’opposait par principe à l’idée d’un mariage dit stratégique ou politique. Et il savait que Linéa ne comprendrait sûrement pas ce sentiment s’il le lui expliquait. Dans cette situation, dans ce monde, celui qui avait d’étranges façons de penser était Yuuto.
« Vous êtes le chef du Clan de la Corne, leur patriarche. Ça ne vous dérange pas de laisser passer une si lourde responsabilité ? » Yuuto avait décidé de contre-attaquer à la place avec une question différente.
Si Linéa devait épouser Yuuto, elle devrait venir vivre avec le Clan du Loup. Cela nuirait dans tous les cas sérieusement à sa capacité à s’acquitter de ses fonctions de patriarche.
Il ne connaissait pas Linéa depuis très longtemps, mais ses sentiments envers son peuple étaient sincères. Elle avait offert son propre corps à un moment donné pour garantir leur sécurité. Il n’y avait pas plus de compassion que ça. Alors, une fille comme elle négligeait-elle son devoir de diriger son peuple pour le bien d’un mariage politique ? Ça avait l’air bizarre.
« C’est pourquoi je voudrais que mon Grand Frère reste ici à Fólkvangr et gouverne le Clan de la Corne avec moi..., » répondit Linéa.
« Qu’est-ce que vous dites ? » Yuuto avait poussé un cri hystérique avant qu’il ne puisse s’arrêter, coupant la parole à Linéa.
Yuuto et Linéa pourraient être un frère et une sœur liés par l’intermédiaire du Calice, mais cette conversation était aussi un entretien diplomatique entre les chefs de deux nations, avec leurs intérêts nationaux en jeu. Avec cela à l’esprit, Yuuto avait bien sûr pris soin de garder ses émotions près de sa poitrine et de maintenir un visage impassible, mais la suggestion de Linéa était si inattendue qu’il avait perdu son sang-froid.
« Quelle absurdité ! » Sigrun avait également élevé sa voix dans l’indignation. « Père est notre patriarche ! Pourquoi le Clan du Loup devrait-il le donner à la Corne !? »
Cependant, Linéa avait égalé son regard empli de force et elle avait crié en retour. « Bien sûr qu’il pourrait continuer à diriger le Clan du Loup ! Mais dites-moi, Grand Frère n’est-il pas le calibre d’un leader qui ne devrait pas rester patriarche d’un clan aussi chétif que le Loup !? »
« Hmmm... » Sigrun avait grimacé, mais n’avait rien dit de plus. Il était clair qu’elle avait des sentiments mitigés. Cela allait certainement aggraver la situation que son clan soit déclaré « chétif », mais le maître qu’elle aimait et respectait était aussi loué par ces paroles. À cause de cela, il lui serait difficile de le réfuter.
En tant que fille qui n’avait consacré sa vie qu’aux arts martiaux, Sigrun n’était pas douée pour la conversation. Tandis qu’elle s’efforçait de trouver les mots pour répondre, Linéa la pressa davantage.
« Le territoire montagneux du Clan du Loup est principalement un sol rocheux impropre à l’agriculture, n’est-ce pas ? En revanche, nous, du Clan de la Corne, sommes bénis par les terres fertiles entre les rivières Örmt et Körmt ! De plus, Iárnviðr semblait être une ville prospère, sans doute grâce à l’influence de Grand Frère, mais notre capitale Fólkvangr est à une tout autre échelle ! Pour une personne destinée à conquérir et à régner sur les autres, il devrait être facile pour vous de voir laquelle d’entre elles serait un meilleur choix pour sa forteresse. ».
« Quoi !? Êtes-vous en train de plaisanter là ? » cria Yuuto. « Avez-vous une idée de ce que vous dites !? »
Yuuto était à moitié en colère, et à moitié inquiet. Offrir de céder la souveraineté de sa nation à un étranger n’était pas seulement téméraire ; il ne serait pas surprenant que les membres du clan la voient comme un traître. C’était complètement en dehors des limites du raisonnable.
« Je suis bien au courant, » poursuit Linéa. « Je fais cette offre après mûre réflexion ! Alors, je vous le redemande, s’il vous plaît ! Veuillez m’épouser et diriger mon peuple, diriger le Clan de la Corne... »
« Attendez une minute, Sœur aînée, » Félicia avait interrompu la discussion et elle s’était interposée entre eux.
Linéa s’était emportée dans la tension de la discussion, et avait quitté sa chaise et avait commencé à se rapprocher de Yuuto. Félicia, qui normalement maintenait un air calme quand c’était à propos d’elle, peu importe la situation, avait une expression exceptionnellement troublée.
« C-Certainement, je pense que c’est une demande en mariage favorable, mais, comment le dire... ? » Félicia s’était arrêtée un moment. « C’est trop pratique. Le Clan du Loup gagnerait beaucoup trop là dedans. »
Elle avait exactement dit ce que Yuuto venait de penser.
Pour le Clan du Loup, il n’y avait en effet rien de plus attrayant que la possibilité de doubler leur territoire, avec la plus grande partie de ces terres fertiles entre les deux rivières jumelles. D’un autre côté, il ne voyait pas beaucoup d’avantages pour le Clan de la Corne. Si un étranger comme lui se présentait et commençait à donner des ordres, ce serait désagréable pour tout le monde. Les roturiers seraient mécontents et les plus hauts gradés du clan le considéreraient comme une épine constante dans leurs pieds. Devenir un État vassal signifierait percevoir des impôts pour leur nouveau souverain, et il y avait toujours la possibilité qu’ils reçoivent une demande déraisonnable d’hommage.
Bien sûr, si l’on était prêt à payer ce prix, il y avait aussi beaucoup à gagner en entrant sous la protection d’une nation forte.
« Si vous vous battez avec nous, vous feriez mieux d’être prêt à affronter nos puissants alliés ! »
Si une telle dissuasion parvenait à réduire suffisamment le risque d’invasion, l’État vassal pourrait concentrer ses efforts sur les améliorations intérieures plutôt que sur la défense, et ses citoyens pourraient avoir plus de tranquillité d’esprit.
Mais il était juste de dire que le Clan de la Corne était déjà sous sa protection. Ils étaient devenus ainsi lorsque leur patriarche Linéa était devenue sa petite sœur par la Cérémonie du Calice. Cela avait été prouvé dans leur bataille contre le Clan du Sabot. Son clan était venu à leur secours avec des renforts importants et avait chassé les envahisseurs.
Même si le Clan de la Corne renforçait davantage ses liens avec le Clan du Loup, il était difficile de penser qu’il en tirerait un effet dissuasif supplémentaire à ce stade.
« Linéa, » dit Yuuto, la regardant directement dans les yeux, « Je ne veux plus de ce jeu de devinettes diplomatiques. Soyons francs l’un envers l’autre. Qu’est-ce que vous cherchez vraiment ? Qu’attendez-vous de nous ? »
Un tel accord serait une chose si le Clan du Loup exerçait encore une pression militaire sur eux et qu’ils l’acceptaient à contrecœur, mais c’était loin d’être le cas. Elle lui avait apporté l’offre ; il soupçonnait qu’il devait y avoir une arrière-pensée.
« Comme je l’ai dit plusieurs fois, ce que je veux, c’est que Grand Frère dirige et guide le Clan de la Corne. »
« Félicia l’a dit tout à l’heure, mais toutes les bonnes affaires ont un piège, » déclara Yuuto froidement. « Il n’y a rien de plus cher que “gratuit”. Il n’y a aucune chance que je prenne ce que vous dites pour argent comptant. »
Il était bien sûr très conscient du fait que Linéa était une personne ayant une personnalité sincère et honnête, mais il devait être prudent. Il ne pouvait pas se permettre de ne pas l’être. En tant que patriarche du Clan du Loup, la décision de Yuuto allait influencer le destin de dizaines de milliers de personnes.
« Mais c’est vraiment ce que je veux ! » Linéa avait insisté.
Yuuto s’arrêta et prit une grande respiration. « ... Linéa. »
Il avait baissé la voix, mais son ton était plus sévère. Si ce va-et-vient continuait, ce ne serait qu’une perte de temps.
Linéa semblait s’irriter et fit un petit signe de tête. « Je comprends. Je vais vous dire toute la vérité. »
« S’il vous plaît, » implora Yuuto.
L’amour de Linéa pour son clan et sa volonté de tout faire pour son peuple avaient fait une grande impression sur Yuuto. Le Calice en avait fait des frères et sœurs assermentés, mais il était venu à vouloir s’occuper d’elle comme s’il était une vraie petite sœur. C’était encore une discussion entre deux patriarches, de sorte qu’il ne pouvait pas faire de promesses hâtives, mais il avait l’intention de répondre à ses besoins du mieux qu’il le pouvait.
Linéa avait pris plusieurs respirations profondes pour se calmer, avait avalé une fois comme si elle se préparait émotionnellement, puis avait parlé d’une voix grave.
« Je n’ai pas mérité mon poste de patriarche. J’en ai hérité. »
***
Partie 3
Yuuto s’était résolu à faire semblant de ne pas être surpris par ce qu’elle pourrait dire. Malgré tout, ses yeux s’étaient écarquillé. Il s’était vite rattrapé et avait jeté un coup d’œil à Félicia pour avoir une confirmation.
Elle avait l’air aussi surprise que lui. Félicia ne le savait pas non plus.
« Hé, c’était d’accord pour que vous nous disiez ça ? » demanda Yuuto.
En tant que leur voisin et ancien ennemi, la situation interne du Clan de la Corne était quelque chose à laquelle Yuuto avait accordé beaucoup d’attentions. Le fait que cette information ne lui soit jamais parvenue, ainsi qu’au Clan du Loup par extension, signifiait que cela avait été délibérément dissimulé.
La raison en était claire. L’héritage de la lignée sanguine signifiait que la succession d’un dirigeant n’était pas due au mérite ou à la capacité. Dans ce monde, cela suffisait amplement pour mériter le mépris.
Yggdrasil était un monde brutal basé sur la survie du plus fort, où les forts prenaient ce qu’ils voulaient et les faibles étaient opprimés. Si quelqu’un sans puissance ou capacité devenait un patriarche de clan, il pourrait se retrouver avec son pays harcelé et envahi par ses voisins environnants en un rien de temps.
« J’essaye après tout de transmettre cet héritage, » dit Linéa. « Il n’y a plus de raison de le cacher. »
« Eh bien, je suppose que c’est vrai, je comprends. » Yuuto avait encore du mal à accepter la situation, parce qu’il avait vu l’esprit de Linéa comme étant celui d’un patriarche de première main. Mais il l’avait écoutée et l’avait laissée continuer son histoire.
« Mon père, le patriarche précédent Hrungnir, était un guerrier et général courageux, et ses ennemis le craignaient sous le nom de Gullfaxi, “l’Étalon d’Or”. Il aimait le peuple, enrichissait le pays et était juste et équitable avec tous ses subordonnés. Tous les membres du clan ont chanté ses louanges et l’ont appelé Gullveig, “le Héros d’Or”. Je sais que cela semble partial venant de sa fille, mais c’était vraiment un splendide patriarche. »
« Je vois. On dirait que votre père était un grand homme, » déclara Yuuto.
« Oui, il l’était... mais même un grand homme comme lui était aveugle lorsqu’il s’agissait de son seul enfant par le sang. Je suis née tard dans sa vie, après qu’il eut essayé d’avoir des enfants pendant longtemps, alors peut-être que cela m’a rendue trop précieuse à ses yeux et cela a obscurci son jugement. Même si Rasmus et plusieurs autres chefs de clan étaient des candidats plus forts pour le poste, c’est moi qu’il a choisi comme successeur, » déclara Linéa.
« Maintenant, je comprends », dit Yuuto, en y repensant. « Ça explique la remarque avec le terme “princesse”. »
Pendant la célébration après la cérémonie du Serment du Calice, le commandant en second de Linéa, Rasmus, l’avait appelée ainsi. Maintenant qu’il y avait réfléchi plus attentivement, dans une société de clan où les relations parents-enfants forgées par les Calices avaient beaucoup plus d’importance que la lignée, c’était une chose extrêmement étrange d’entendre un chef être appelé ainsi. Et puis il y avait eu son jeune âge.
Il y avait eu beaucoup d’indices. Cependant, dans Yggdrasil, l’idée même d’une succession héréditaire ressemblait à un tabou. Par inadvertance, Yuuto avait éliminé cette possibilité de son esprit.
« Naturellement, il y avait plus d’un petit nombre de personnes qui considéraient ma succession comme un problème et exprimaient leurs préoccupations. » Linéa baissa les yeux pendant qu’elle parlait. « Puis il y a mon âge et le fait que je ne suis pas une Einherjar. Ça les a aussi mis mal à l’aise. »
Ses mains, reposant sur ses genoux, se serraient en des poings.
Yuuto avait déjà déduit que Linéa n’était probablement pas une Einherjar. Avec sa personnalité honnête, si elle avait eu une sorte de pouvoir, elle en aurait parlé à Yuuto pour qu’ils puissent l’utiliser pour les aider dans leur combat contre le Clan du Sabot.
« Mais je voulais également être patriarche ! » La voix de Linéa vacilla. « Je voulais suivre les traces de mon père bien-aimé, pour protéger ce qu’il avait passé sa vie à protéger ! Je pensais... Je pensais pouvoir le faire. »
Il devait y avoir un optimisme têtu né de la jeunesse qui l’avait poussée. « Si je crois en moi, je me débrouillerai. » Mais Yuuto ne pensait pas que la confiance en soi était nécessairement déplacée. Il était, au mieux, naïf de penser qu’un non Einherjar ne pouvait pas être capable et talentueux. Même dans le Clan du Loup, il y avait des gens comme Jörgen qui était des non-Einherjars, mais qui avait pu acquérir un rang très élevé, et il n’était pas le seul de loin.
L’une des raisons en était que la plupart des pouvoirs d’Einherjar étaient fortement orientés vers les capacités martiales. Mais il fallait bien plus que de la bravoure au combat pour gouverner une nation.
Dans Yggdrasil, la capacité était tout. Peu importe la magnificence du patriarche précédent, Rasmus et les autres officiers du clan n’auraient pas choisi de suivre l’enfant de cet homme aussi longtemps, simplement parce qu’elle était son sang.
Du moins, d’après les souvenirs de Yuuto quant à l’affrontement en tant qu’adversaire dans la guerre, il ne pensait pas que Linéa avait commis d’importantes erreurs. Le Clan de la Corne avait attaqué le Clan du Loup seulement après avoir rassemblé presque le double de la force des troupes ennemies. Ils avaient gardé une chaîne de commandement stable, elle avait évité le péché cardinal d’éparpiller les troupes trop finement, et s’était assuré que tous leurs soldats se déplaçaient vers des positions où ils pouvaient être utiles. Elle avait aussi gardé leurs lignes d’approvisionnement intactes.
Lorsque l’on parle de stratégie et d’art de la guerre, c’étaient des choses que l’on pourrait qualifier d’évidentes ou logiques. Mais en temps de guerre, même l’évidence était plus facile à dire qu’à faire. Il n’était pas facile de comprendre les mouvements de milliers de soldats, de les nourrir, de contrôler leurs actions.
« Mais je n’ai pas pu le faire », poursuit Linéa. « J’ai commencé une guerre pour être repoussé, je me suis fait saisir les terres de mon clan, j’ai été faite prisonnière. Je me suis abaissée moi et mon clan sous un autre avec le Serment du Calice, j’ai invité l’invasion du Clan du Sabot, et j’ai menacé l’existence même de mon peuple. C’est ce que mon règne a apporté. » Linéa tremblait de frustration envers elle-même.
Au sommet de la Hliðskjálf dans la capitale du Clan du Loup, Linéa avait déjà confronté Yuuto pour exprimer son amour pour les membres de son clan. Elle devait avoir des espoirs et des rêves qu’elle voulait accomplir en tant que patriarche. Et malgré cela, elle admettait maintenant qu’elle était impuissante quant à leur accomplissement. Même Yuuto pouvait dire que la douleur qu’elle ressentait la déchirait de l’intérieur.
« Comparez cela au leadership de Grand Frère. Sur le champ de bataille, vous remportez victoire après victoire, battant même facilement le héros du Clan du Sabot Yngvi. En seulement une année de règne, vous avez reconstruit le Clan du Loup à partir d’un état de pauvreté et de faiblesse, et les citoyens d’Iárnviðr sont souriants et heureux. Vous m’avez fait réaliser à quel point la différence entre moi et vous est infranchissable. » Avec un faible sourire, Linéa se tourna pour regarder par la fenêtre.
C’était le regard de quelqu’un qui aspirait à quelque chose qui avait disparu depuis longtemps.
C’était le regard de quelqu’un de si épuisé qu’il avait simplement abandonné.
« Si un imposteur comme moi continue d’être patriarche, le Clan de la Corne continuera sur son déclin. Dans ce cas, je pense que le moins que je puisse faire pour tout le monde, c’est d’utiliser mon statut de femme et d’attirer un véritable patriarche fort et capable afin de diriger le clan. Ma dernière tâche, » déclara Linéa.
« Wôw, attendez un peu ! » cria Yuuto. « Vous savez que les gars de la Corne ne vont certainement pas la fermer et l’accepter si facilement ! Et quand est-il de votre commandant en second, Rasmus ? Il va certainement être contre... »
« C’est Rasmus lui-même qui m’a proposé ce plan de mariage, » annonça Linéa.
« ... Hein ? » Yuuto avait perdu le compte du nombre des fois où aujourd’hui, il émettait un son ridicule en réponse à des nouvelles surprenantes.
« Dès le début, il s’est inquiété du fait qu’il devait être difficile pour une femme comme moi de maintenir le clan uni. Il m’a souvent conseillé de trouver un homme fiable pour en faire mon mari, afin que nous puissions gouverner ensemble en tant que couple. Rasmus est devenu complètement épris de vous, Grand Frère. Il a dit des choses comme : “On peut confier la princesse à un homme comme lui !” et il essaye de convaincre tous les autres officiers du clan, » déclara Linéa.
« Quand est-ce que je suis devenu si populaire auprès de lui ? Ça n’a aucun sens... » Yuuto appuya ses mains sur son front, déconcerté.
La dernière fois, la seule fois qu’il se souvenait d’avoir échangé des mots avec Rasmus, c’était lors de la célébration après avoir échangé le Serment du Calice avec Linéa. À l’époque, Rasmus et les autres membres du Clan de la Corne avaient traité Yuuto comme un vulgaire ruffian qui avait volé leur précieuse princesse, et leurs regards avaient été pratiquement meurtriers. Comment cela pourrait-il être possible que l’opinion de cet homme envers lui ait augmenté si fortement dans un si court laps de temps ? Yuuto n’arrivait pas à s’y retrouver.
« Grand Frère, je suis inexpérimentée et vraiment bonne à rien, mais je promets de me consacrer à vous de tout mon cœur dans les jours à venir. J’espère que vous prendrez soin de moi. » Linéa avait récité les mots que l’on pourrait s’attendre à entendre lors de leur nuit de noces.
Yuuto ne pouvait faire que des sons absurdes et sans paroles alors que Linéa inclinait sa tête devant lui, rougissant doucement. « Urk ... ! Er, Hmm. Ahh, euhhh — »
S’il s’agissait simplement d’une question de oui ou de non, il ne pouvait absolument pas accepter la proposition de Linéa. Yuuto allait trouver un moyen de retourner dans son propre monde. L’idée de se marier dans un monde où il n’avait jamais prévu de passer le reste de sa vie était absurde. Après tout, s’il faisait cela, il ne serait pas en mesure de respecter jusqu’à la fin ses vœux. Ce serait malhonnête de sa part.
Plus que tout, il y avait Mitsuki, la fille qu’il avait déjà choisit dans son cœur.
Ce n’était pas la première demande en mariage dont il s’occupait, et il avait facilement réussi à refuser chacune d’entre elles jusqu’à maintenant. Cependant, cette fois, il s’agissait d’une proposition directe et personnelle du patriarche du Clan de la Corne. Et elle était accompagnée de concessions sans précédent au profit du Clan du Loup. S’il refusait avec insouciance une telle offre, Linéa perdrait la face et entacherait son honneur, et pourrait même mettre en danger l’alliance naissante entre les deux clans. En tant que patriarche du Clan du Loup, il devait éviter cela à tout prix.
Mais comment pouvait-il exactement refuser d’une manière qui ne perturbe pas leurs relations ? Il s’était retrouvé dans une panique mentale, complètement incapable de trouver la solution.
« Grande Sœur, comme je l’ai déjà dit dans le bain, vous êtes peut-être trop hâtive », répliqua doucement Félicia envers Linéa. « Le mariage d’un patriarche affecte l’avenir de tout le clan ; il s’agit d’une affaire gouvernementale sérieuse. Il serait injuste que nous soyons peu nombreux à prendre une telle décision ici, à l’improviste. »
La voix de Félicia était douce, mais résolue. C’était une suggestion sans possibilité de réfutation.
Je suis sauvé, pensa Yuuto en jetant un coup d’œil à Félicia, et elle lui avait fait un petit clin d’œil que lui seul pouvait voir. On aurait dit qu’elle n’avait pas été capable de le regarder plonger plus longtemps. C’était vraiment une aide fiable.
« C-C’est vrai, c’est tout comme Félicia le dit, » dit-il en hâte. « Pour l’instant, j’aimerais rentrer chez moi et discuter de votre proposition avec le clan. »
« Hmm... »
Yuuto avait fait de son mieux pour maintenir un air de dignité alors qu’il prenait la même voie que Félicia, mais Linéa fronçait les sourcils avec une expression douloureuse. En raison des avantages incroyables de l’offre pour les deux camps, elle avait probablement supposé que les choses seraient déjà réglées, ici et maintenant.
D’un autre côté, il semblait qu’elle était aussi d’accord avec la logique de Félicia.
« Vous avez raison. Je suis gênée de dire que j’étais peut-être trop impatiente », avait alors dit Linéa. « Alors, j’ai hâte d’entendre une réponse favorable. »
« Soyez patiente avec moi, d’accord ? » Yuuto avait à peine réussi à laisser sortir une réponse raide.
Il avait réussi à obtenir un peu de temps, mais cela ne durerait pas longtemps.
***
Partie 4
« Arghhhh, ce genre de choses est tellement oppressant ! » avait gémi Yuuto.
Dans la petite salle privée sur le côté de la grande salle des rituels, Yuuto avait demandé à Félicia de l’aider à s’habiller.
« Et maintenant, moi aussi, toute cette merde me pèse littéralement…, » protesta Yuuto.
Normalement, Yuuto renonçait aux vêtements et accessoires ornementaux, préférant une tenue légère entièrement noire qui mettait l’accent sur la facilité de mouvement, mais l’étiquette cérémonielle d’aujourd’hui n’allait pas le laisser s’en tirer ainsi.
Sa tenue lui avait fait penser à un pharaon égyptien, avec un tour de cou extravagant et doré, un bracelet doré incrusté de joyaux, et une autre chose cinglante attachée à sa tête.
« Tee hee », déclara Félicia en riant doucement. « C’est seulement pour la durée de la cérémonie, alors sois un peu patient. »
Elle s’était agenouillée sur le sol. Elle s’était penchée et enroulait soigneusement une sorte de ceinture autour de la taille de Yuuto, qui était recouverte d’ornements dorés encore plus brillants. À ses côtés se trouve un fourreau d’or avec des gravures complexes et une épée absolument luxueuse, incrustée par endroits de joyaux.
Quand il vivait encore au 21e siècle, s’il avait vu une épée comme ça, il aurait probablement pensé, Whoaaaa, si coooool ! et se serait excité comme un garçon normal. Mais là, quand il l’avait regardée, tout ce qui lui était venu à l’esprit, Arg, c’est que si vous équipiez quelque chose comme ça, ce serait difficile de marcher.
L’idée lui avait fait baisser un peu le moral, alors il avait tourné son regard pour regarder par la fenêtre. Les rues et les maisons de Fólkvangr s’étendaient en dessous de lui.
Tout comme pour le Clan du Loup, le hörgr, ou sanctuaire, où le Clan de la Corne effectuait divers rites sacrés avait été construit dans leur Hliðskjálf. Pour Yuuto, la tour sacrée du Clan du Loup avait un peu la forme d’une tour de kagami mochi empilé, mais la Hliðskjálf du Clan de la Corne ressemblait davantage à une pyramide. Sa hauteur réelle était plus importante que celle du Clan du Loup. Peut-être que les détails de ce genre variaient d’un pays à l’autre.
« Même s’ils font tous les deux partie d’Yggdrasil, nos villes et nos terres sont différentes, hein ? » déclara Yuuto, surtout pour lui-même. C’était une prise de conscience un peu tardive, mais il venait juste de commencer à s’en rendre compte.
Iárnviðr était située plus haut dans le bassin montagneux, et il y avait une source abondante de bois à proximité, de sorte que les gens du peuple avaient des maisons et des bâtiments faits principalement de bois. Pendant ce temps, le paysage urbain de Fólkvangr était taché d’un rouge brunâtre, et il n’y avait même pas encore de crépuscule.
Dans les environs de Fólkvangr, les sédiments qui descendaient le long de la rivière Körmt s’étaient lentement accumulés au fil du temps, formant ce qu’on appelle une plaine alluviale. C’était une terre fertile, bien adaptée à l’agriculture, mais dépourvue de bois ou de bonnes pierres. Par conséquent, la plupart des maisons des roturiers avaient été construites avec des briques de boue cuite séchée au soleil.
« Si tu prenais Grande Soeur Linéa en tant qu’épouse, cette ville deviendrait la tienne, n’est-ce pas, Grand Frère ? » demanda Félicia avec nonchalance.
« Félicia, tu sais qu’il n’y a aucune chance que je puisse faire ça », répondit Yuuto, exaspéré.
Pour Félicia, qui connaissait toute la vérité derrière sa situation, et qui venait à peine de venir en aide à Yuuto quand il s’était battu pour donner une réponse à Linéa, de dire quelque chose comme ça, était un peu plus que ce qu’il voulait entendre en ce moment.
Félicia avait de toute façon continué, ignorant apparemment son ton. « Que l’on regarde ces décorations extravagantes, ou les vastes champs de blé doré à l’extérieur de la capitale, il est facile de voir qu’il s’agit d’un pays riche. Si tu devenais le patriarche de cette terre, chaque jour on te servirait plus de nourriture délicieuse que tu ne pourrais jamais manger, et de belles jeunes filles de tout le pays se rassembleraient juste pour t’attendre. N’importe qui serait jaloux d’une telle vie ; tu en profiterais aussi sûrement. »
« Je ne suis pas comme ça, d’accord ? » déclara Yuuto.
Du point de vue d’un jeune homme normal, l’idée d’être populaire auprès des femmes et d’être écouté par les gens autour de lui était loin d’être inintéressante. Mais si tout cela ne venait que de l’argent ou du pouvoir politique, cela lui paraissait creux. En ce qui concerne la nourriture, le Japon du 21e siècle était au milieu d’un âge d’abondance, il l’avait déjà expérimenté.
« En ce moment, le Clan du Sabot a perdu son patriarche et son plus grand guerrier, tombant dans un état de désarroi total. Ce serait maintenant l’occasion parfaite de les envahir, » avait dit Félicia. « Avec cette terre comme base et forteresse, je pense que le chemin vers le souverain suprême de tout Álfheimr te serait ouvert... »
« Et j’ai dit que je ne veux rien avoir à faire avec le fait de devenir quelque chose comme ça ! Même avec le Clan du Loup, c’est trop pour moi. En fait, qu’est-ce qui t’arrive en ce moment ? Tu sais qu’il n’y a aucune chance que je sois d’accord avec ça ! C’est comme si tu étais juste... Non, je suis désolé, Félicia. Tu as raison, bien sûr. Quelque chose comme ça serait un rêve devenu réalité pour le Clan du Loup, n’est-ce pas ? » demanda Yuuto.
Félicia était la petite sœur assermentée de Yuuto et son adjudant, mais avant cela, elle était une membre du Clan du Loup et l’un de leurs officiers supérieurs, qui devait toujours penser à l’avenir du clan. Pour le dire franchement, il était naturel pour elle de penser aux besoins du clan avant les convenances personnelles de Yuuto.
En y réfléchissant, cela signifiait que Yuuto était clairement un échec en tant que patriarche pour ne penser qu’à ses propres désirs au lieu de la vaste richesse qu’il pourrait être en mesure d’obtenir pour le Clan du Loup.
« Eh, ah, oui, oui, certainement », bégayait Félicia. « Mais est-ce trop demander à la fin ? Je savais que c’était le cas, mais la perspective d’obtenir les terres du Clan de la Corne pour le Clan du Loup m’a fait devenir un peu avide ».
« Aïe !? Trop serré, trop serré ! » Yuuto avait gémi.
« Oh !! Je suis désolée ! » Bouleversée, Félicia desserra la ceinture qu’elle avait trop serrée. Elle était habituellement si calme et prudente dans tout ce qu’elle faisait. L’erreur n’était pas dans son genre.
« ... Alors, pourquoi as-tu vraiment dit tout ça ? » demanda Yuuto.
« Euh ? Hum ! Comme je l’ai dit, je suis devenue gourmande, et…, » répondit Félicia.
« Oui, c’est un mensonge. » Yuuto secoua la tête. « Tu ne peux pas me tromper. Après tout, ces deux dernières années, à part quand nous sommes au lit, nous avons passé presque tout notre temps ensemble. »
L’excuse de Félicia au sujet de la cupidité était clairement quelque chose qu’elle avait trouvé après coup. Et contrairement à son comportement insouciant habituel, il pouvait dire d’après le ton de sa voix qu’elle était bouleversée. Et puis il y avait eu l’erreur avec la ceinture. Il serait vraiment un échec en tant que commandant s’il n’avait pas remarqué tous ces indices.
Félicia n’avait rien dit, surprise dans son mensonge.
Les bras encore enroulés autour de la taille de Yuuto alors qu’elle nouait la ceinture, son visage était derrière lui et il ne pouvait pas voir son expression. Après un certain temps, il pensait qu’il pouvait sentir sa poignée se resserrer légèrement contre la ceinture.
« Avec ça, je peux rentrer chez moi sans soucis, » déclara Félicia.
« Qu’est-ce que tu as dit ? » Yuuto avait soudain eu l’impression qu’une griffe avait saisi son cœur. C’étaient exactement les mêmes mots à ce qu’il pensait beaucoup ces jours-ci.
« Alors, c’est ce que tu as pensé, » demanda Félicia.
« ... Alors, tu l’as réalisée, » répondit Yuuto.
« Bien sûr que je l’ai réalisé », dit Félicia avec un léger sourire. « Après tout, ces deux dernières années, à part quand nous sommes au lit, nous avons passé presque tout notre temps ensemble. J’ai commencé à devenir de plus en plus sûre de cette idée quand tu as réussi à capturer Grande Sœur Linéa... mais j’en suis devenue certaine au cours de ta conversation avec Alexis. »
Cette fois, c’était au tour de Yuuto de garder le silence. Il semble qu’il n’y avait absolument rien qu’il pouvait cacher à son adjudant.
Depuis deux ans, Yuuto voulait désespérément rentrer chez lui. Mais, dès son arrivée à Yggdrasil, le Clan du Loup qui l’avait adopté n’avait cessé d’être en guerre. Jusqu’à tout récemment, vivre pour voir un autre jour devait être sa priorité absolue, et la recherche d’un moyen de rentrer chez lui avait inévitablement été mise de côté.
Puis il y avait sa famille. Bien sûr, ce n’était qu’une construction sociale créée en jurant sur un calice sacré, mais, quelle qu’en soit la raison, il avait formé des liens familiaux. Laisser sa famille derrière lui jusqu’à une mort certaine alors qu’il s’était échappé seul et était maintenant en sécurité était quelque chose dont il savait qu’il se serait senti coupable.
Mais maintenant, le Clan du Loup était devenu beaucoup plus grand et puissant qu’il y a deux ans, et ses deux clans ennemis de longues dates, la Corne et la Griffe, étaient devenues des familles assermentées par le Serment du Calice.
Alors que la menace récente du danger commençait à s’estomper, Yuuto était conscient du fait qu’il pensait à chercher un moyen de rentrer chez lui. Ce dont il n’avait jamais rêvé, c’était que quelqu’un d’autre remarquerait ce secret caché dans son cœur.
« Maintenant qu’il n’y a plus rien pour te retenir ici, j’ai ressenti ce terrible malaise, Grand Frère, » déclara Félicia. « Comme si, si tu revenais à Iárnviðr, tu pourrais soudainement disparaître, et je... S’il te plaît, pardonne-moi. Même si tout est de ma faute, je t’ai dit des choses si impertinentes. Même si je n’en ai pas le droit. Vraiment, je ne sais pas pourquoi... »
Sa voix était remplie de regrets et elle semblait vraiment perplexe face à ses propres émotions. Il est vrai que Félicia avait toujours maintenu un niveau de sang-froid d’adulte, soutenant Yuuto dans ses moments de faiblesse. C’était très différent pour elle de perdre le contrôle d’elle-même à cause de ses émotions comme ça, et cela l’avait probablement beaucoup dérangée.
« Désolé », s’excusa Yuuto en tapotant sur la tête de Félicia.
« Tu n’as pas à t’excuser auprès de moi, Grand Frère ! J’étais simplement égoïste. J’ai perdu le contrôle de moi-même et j’ai agi honteusement envers toi. »
« Même ainsi, je suis désolé, » répondit Yuuto.
« Comme je l’ai dit, tu as — Arg ! Qu’est-ce que tu fais ? »
Yuuto avait réduit au silence l’argument de Félicia en caressant le haut de ses cheveux.
Il s’excusait parce que c’était lui qui l’avait forcée à se sentir ainsi. Elle l’avait dit elle-même : Elle en était devenue certaine au cours de sa conversation avec Alexis. Elle était probablement déjà au courant du changement dans son attitude, et cette conversation avait dû aggraver les choses pour elle.
Elle avait également montré à quel point elle avait secrètement voulu que Yuuto reste à Yggdrasil. C’était Félicia qui l’avait convoqué ici par accident. Elle avait réfréné son désir qu’il reste malgré la culpabilité qu’elle ressentait de l’avoir amené ici... ou peut-être à cause de cela.
« Je suis trop insensible, n’est-ce pas ? » déclara Yuuto doucement. « J’ai trop dépendu de toi, Félicia. »
Il sentait à nouveau à quel point il était immature.
Pendant ces deux années, la personne qui avait été la plus proche de lui, qui l’avait constamment soutenu, était Félicia. Bien sûr qu’ils agissaient pour prendre soin l’un de l’autre. Ce serait bizarre s’ils ne l’avaient pas fait. Yuuto pensait à elle comme si elle était sa vraie sœur.
Et pendant tout ce temps, il lui demandait de l’aider à chercher une méthode pour rentrer chez lui. Même lui, il pensait qu’il était un type assez terrible pour avoir ça.
« A-Arrrêtt ! Attends un instant, Grand Frère ! » Félicia avait soudainement crié d’une manière qui lui donnait l’air calme par rapport à son manque de sang-froid précédent.
« Euh !? » Yuuto n’avait pas eu le temps de réagir.
Félicia se leva brusquement et se pencha de près, amenant son joli visage jusqu’à son nez. « V-Vraiment, ça me rend très h-heureuse quand tu comptes sur moi ! Fais comme d’habitude et dis-moi tout ce dont tu pourrais avoir besoin ! »
« E-Eh bien, m-mais... »
« S’il te plaît, oublie tout ce qui vient de se passer. Moi, Félicia, j’ai fait la plus grande gaffe de ma vie. À partir de maintenant, je donnerai tout ce que je suis pour me consacrer aux besoins du cœur de Grand Frère sans être retenu par le mien, alors laisse-moi te servir ! S’il te plaît ! » déclara-t-elle.
« O-Okay. » Yuuto ne pouvait que hocher la tête en accord, déconcerté par l’air de servitude presque menaçant de Félicia.
Yuuto avait commencé à penser qu’à l’avenir, il devrait s’efforcer d’être plus attentif aux émotions de Félicia, tout en s’abstenant de trop compter sur son soutien. Mais il semblerait que ce n’était pas ce qu’elle voulait.
La dure réalité de la situation lui était aussi venue à l’esprit : le fait que, sans son soutien, il n’y avait aucune chance que quelqu’un d’aussi inexpérimenté et ignorant d’Yggdrasil que Yuuto puisse faire quelque chose.
Yuuto avait souri avec un sourire ironique. « Bon, d’accord, je vais te causer plus d’ennuis à partir de maintenant, mais merci, Félicia. Je compte sur toi. Tu es... tu sais. Tu es après tout ma confidente la plus digne de confiance. »
Immédiatement après l’avoir dit, il avait senti son visage se réchauffer. Quand il exprimait ses sentiments à une personne, il était toujours devenu comme ça. L’embarras s’était mis en travers du chemin. Mais il avait quand même réussi à dire ce qu’il ressentait vraiment.
Un confident était quelqu’un avec qui vous pouviez être honnête et ouvert sur n’importe quoi, demander des conseils sur n’importe quoi, et leur faire confiance pour faire la même chose. Sigrun était loyale à coup sûr, ni plus ni moins que Félicia, mais en tant que source de conseils privés, il n’y avait personne de plus grand que Félicia.
Après tout, c’était vrai. En dehors du moment où ils étaient au lit, ils avaient passé pratiquement l’intégralité de ces deux ans ensemble.
« Eh !?? Oh... »
Félicia avait cligné des yeux un instant, comme si elle n’avait pas compris ce qu’elle avait entendu, puis elle avait souri. Ce n’était pas son sourire habituel, mature et composé, mais légèrement ludique, auquel Yuuto était habitué. C’était le sourire joyeux et pur, plus adapté à une fille de son âge, comme une fleur brillante qui s’épanouissait soudainement.
« O.. Oui !! S’il te plaît, laisse-moi m’occuper de tout ! Moi, Félicia, j’arrêterai absolument et sans faute ce mariage avec Grande Soeur Linéa ! »
Félicia était encore plus différente d’elle-même, débordante d’enthousiasme et criant d’une voix vive, presque hystérique. Il semblerait que les paroles de Yuuto l’aient rendue très heureuse.
Maintenant qu’il y avait réfléchi, Yuuto s’était rendu compte qu’il avait déjà remercié Félicia plusieurs fois auparavant, mais il ne lui avait jamais vraiment dit à quel point il lui faisait confiance.
Rien que de penser à ces choses dans mon cœur ne suffira pas. Je dois m’assurer de les dire correctement, ou je le regretterai, s’était dit Yuuto avec une conviction renouvelée.
Il avait déjà vécu le pire exemple de cela. Il était devenu plus qu’un ami d’enfance et moins qu’un petit ami avec Mitsuki, et pendant qu’il traînait les pieds, il avait été envoyé dans ce pays lointain avant même d’avoir eu l’occasion de se confesser. Tant pis pour apprendre de ses erreurs.
« ... Ça me rappelle que je dois trouver un moyen d’expliquer ça à Mitsuki. » Yuuto se souvient d’un autre problème déprimant entre ses mains, et il était déjà déprimé.
Dans tous les cas, c’était un problème qu’il devait régler seul.
Était-il son destin d’avoir des problèmes avec les femmes ? Yuuto avait sérieusement commencé à envisager la possibilité.
***
Partie 5
Des prêtresses vêtues de minces vêtements mouvants dansaient dans toute la salle du rituel, leurs mouvements étant dans le rythme avec la musique quelque peu solennelle des flûtes.
Les torches brillaient au centre de la salle. Leur lumière vacillante jouait contre les murs de plâtre blanc, leur donnant une légère teinte rouge.
Sur l’autel de cérémonie se trouvait une jeune chèvre, entourée d’énormes quantités de blé et d’alcool. Cette offrande aux dieux était une expression de gratitude pour la victoire qu’ils avaient acquise.
Sécheresse et tempête, tremblement de terre et inondation... On pensait que tout cela était l’œuvre des dieux ici dans Yggdrasil. Il en fut de même pour la victoire et la défaite lors des guerres.
Beaucoup croyaient sincèrement que le fait de ne pas apaiser les dieux provoquerait leur colère et la destruction rapide de leur pays.
C’est pourquoi un patriarche de clan avait aussi un rôle de prêtre de cérémonie. Il ou elle représenterait l’ensemble du clan dans les rites d’offrande, agissant au nom de tout le clan pour montrer leur gratitude. Négliger ces devoirs mettrait les subordonnés de Yuuto, et son clan dans son ensemble, dans un état de malaise. L’absence de mérite scientifique n’était pas une excuse pour faire des économies.
« Pff, » soupira Yuuto avec soulagement. « Enfin, c’est fait ! »
Après avoir terminé le rite, il s’était écrasé dans le siège qui lui était réservé avec un bruit sourd et avait fait craquer son cou dans un mouvement de va-et-vient.
Normalement, il aurait pu se détendre et s’amuser à ce moment-là, mais son humeur était encore sombre. Les membres du Clan de la Corne présents regardaient tous dans la direction de Yuuto et se chuchotaient les uns aux autres... ce qui n’avait rien à voir avec cela. Il s’était déjà habitué aux regards moqueurs et aux ragots il y a deux ans. Chaque fois qu’il avait ressenti l’odeur de cette attitude, ça ne le dérangeait pas.
La source de sa mélancolie, Linéa, lui tendit joyeusement du thé. « Merci pour votre dur labeur, Grand Frère ! Voilà pour vous. »
Les cérémonies d’aujourd’hui avaient aussi pour but de montrer à l’ensemble du Clan de la Corne que leur ancien ennemi, le Clan du Loup, était maintenant leur allié. On pourrait donc dire qu’il était tout à fait raisonnable que Linéa, patriarche du Clan de la Corne, s’assoie à côté de Yuuto. Raisonnable, sauf pour la partie où il avait dû passer tout l’événement à côté de la fille dont il savait dans son cœur qu’il devait rejeter la demande en mariage.
Yuuto n’aurait aimé rien de plus que de fuir la salle de cérémonie à toute vitesse, s’il pensait pouvoir s’en tirer à bon compte.
« O-Oui. Merci. » Yuuto avait maladroitement accepté la tasse de thé d’elle et il étancha sa soif. Il pouvait à peine la goûter, et il sentit presque immédiatement sa gorge se dessécher de nouveau à cause de ses nerfs.
« Oh, c’est délicieux, » déclara Linéa, en plaçant du mouton sur la pointe d’une brochette. « J’aime vraiment ça. Vous devriez essayer aussi, Grand Frère. »
Avec son autre main tenue comme une assiette, elle avait doucement porté le morceau de viande de la taille d’une bouchée jusqu’à la bouche de Yuuto. Sa vivacité et son sourire d’adoration authentique suffisaient à donner à Yuuto des douleurs à l’estomac.
Il aurait préféré refuser poliment, mais ils étaient en public, et à sa manière, cette offre était une affaire diplomatique. En tant que frère aîné, il devait accepter le geste de sa jeune sœur assermentée et renforcer leur relation hiérarchique.
Yuuto s’était donc résigné et avait pris la bouchée de viande dans sa bouche.
Hmm. Mastiquer, mastiquer…
La viande était rôtie et croustillante, avec l’odeur forte caractéristique de la viande de mouton. C’était probablement délicieux, mais en ce moment, Yuuto était tellement préoccupé qu’il n’avait tout simplement pas la capacité mentale d’en apprécier le goût.
« Comment ça va ? » demanda Linéa.
« O-Oui. Je, euh, je pense que c’est bon. Probablement, » répondit Yuuto.
« O-oh, c’est merveilleux ! Je suis tellement soulagée que la cuisine du Clan de la Corne corresponde à vos goûts. » Linéa était tout sourire, apparemment enchantée du fond du cœur.
Si l’on s’arrêtait pour y penser, des phrases comme « je pense » et « probablement » étaient clairement étranges dans cette situation, mais Linéa ne montrait pas le moindre indice qu’elle l’avait remarqué.
En la regardant dans un tel état de bonheur, Yuuto avait l’impression que sa conscience était aussi en train d’être embrochée.
« E-Eh bien, alors, e-euh... » Linéa, soudain timide et balbutiante, commença à percer un autre morceau de viande avec la brochette.
Pourquoi ne pas me poignarder avec ce truc et en finir avec ça ? Ce serait presque plus facile à faire à ce stade ! pensa Yuuto. Le stress émotionnel de la situation commençait à faire des ravages sur lui.
Cependant, son cauchemar ne faisait que commencer.
« D-Dit “Ahhhh”... ♡ » Avec son visage rouge comme une betterave, Linéa tendait à nouveau un morceau de mouton. Son ton tout miel avait fait descendre un froid désagréable le long de sa colonne vertébrale.
Physiquement, c’était le même acte qu’il y a quelques instants, mais avec seulement ces mots, le ton de la situation avait complètement changé. Plutôt qu’une subordonnée s’occupant de son supérieur, c’était plutôt — .
« Ahh, mais vous avez tous les deux une relation si intime », un homme âgé était entré dans la scène, s’adressant à eux jovialement. « Vraiment, vous avez l’air d’un mari et d’une femme. »
C’était Rasmus, le commandant en second du Clan de la Corne. On aurait dit qu’il avait déjà vidé beaucoup de gobelets de vin. Il avait toujours ses jambes sous lui, mais il avait le visage rouge et les yeux embrumés.
Putain de merde ! Vous êtes tous à vous amuser à mes dépens ! Yuuto ne pouvait pas ne pas avoir de la rancune contre cet homme. S’il n’avait pas mis des idées bizarres dans la tête de Linéa, Yuuto aurait pu simplement profiter de la cérémonie en ce moment même.
« Ne te moque pas de ton p-patriarche ! » Linéa bégayait. Sa tentative de le gronder sévèrement s’était effilochée et cela s’était terminée en baissant les yeux vers le sol alors qu’elle était embarrassée. « D’ailleurs, c’est toi qui m’as dit de faire ça... »
La dernière partie avait presque l’air d’avoir été murmurer pour elle-même, mais Yuuto avait saisi chaque mot.
Alors la chose de « dites ahhhh », c’est vous aussi !? Yuuto avait fixé du regard Rasmus avec quelque chose de semblable à une intention meurtrière.
« Veuillez accepter mes excuses », déclara Rasmus avec un sourire plâtré. « Ahh ! Mais quand même, toute personne aussi chanceuse d’avoir notre princesse comme fiancée serait un homme heureux. Vous ne trouverez pas beaucoup de femmes aussi belles, saines et dévouées qu’elle. N’êtes-vous pas d’accord, mon oncle du Clan du Loup ? »
Yuuto se retrouva serrant le poing en silence sous la table à la question éhontée de Rasmus. Il aurait dû s’attendre à ça de l’homme chargé de gérer un clan aussi grand que la Corne. Rasmus avait formulé les choses de telle sorte qu’un déni serait problématique, tandis que l’accord pourrait être pris hors contexte.
Yuuto s’était trouvé incapable de trouver une bonne façon de changer les choses. Juste au moment où il commençait à être agité, il sentit quelque chose d’incroyablement doux se serrer contre son bras.
« Oh, mon Dieu, c’est un commentaire que je ne peux pas ignorer, » déclara Félicia avec un sourire envoûtant. « Vous savez qu’il y a beaucoup de femmes convenables dans le Clan du Loup ? » Félicia se blottit contre le bras de Yuuto et lança à Rasmus un regard significatif.
Rasmus fronça les sourcils, visiblement décontenancé.
Aussi partial que Rasmus puisse être face aux charmes de Linéa, il ne pouvait honnêtement admettre qu’elle était plus séduisante physiquement que Félicia. D’une part, il n’y avait aucun moyen qu’une Linéa encore en développement puisse l’égaler en volume et en proportion.
« Oh, et Run, tu devrais aussi remplir la tasse de Grand Frère, » avait appelé Félicia.
« Hm ? » Sigrun fronça les sourcils. « Ça m’ennuie quand tu me donnes des ordres comme ça. Mais en tant que fille assermentée, je veux quand même m’occuper de Père, alors j’irai pour lui. »
Sigrun se tenait juste en dehors du coin de la vision de Yuuto, prêtant tranquillement attention à leur environnement. Ses longs cheveux argentés s’étaient retournés comme une queue alors qu’elle se retournait pour lui faire face.
Elle était d’une beauté à égalité avec Félicia. En matière de pureté sexuelle, la victoire pourrait aller à Félicia, mais Sigrun avait une beauté presque artistique, comme si un sculpteur avait enlevé toutes les impuretés, et ses traits stoïques semblaient rayonner d’une aura divine.
« Grand Frère, s’il te plaît, place ta main autour de mon épaule », chuchota Félicia à l’oreille de Yuuto alors qu’elle caressait avec amour son cou et son menton. Ces gestes avaient chatouillé Yuuto ici et là, mais il avait réussi à se tenir assez solidement pour faire ce qu’elle avait dit.
« Hm ? Quel est le plan, Félicia — ? »
« Oooh ! ♡ » La seconde main de Yuuto toucha son épaule, Félicia poussa un cri sensuel et tomba dans les bras de Yuuto. C’était un jeu d’acteur de sa part ; Yuuto n’avait pas du tout tiré sur son épaule. Mais pour les gens qui nous regardaient, cela devait ressembler à ce que Yuuto avait tiré Félicia par la force dans une étreinte.
« Te voilà, Père. » Sigrun s’était penchée avec un minutage parfait, un pichet à la main, et avait commencé à verser du thé dans la tasse de Yuuto.
Tout cela s’était réuni pour produire ce qui était indubitablement l’image d’un homme débauché entouré par son harem.
C’est notre Loup Sage, Ráðsviðr ! Habituellement, Yuuto l’aurait repoussé à la hâte, mais en ce moment, il l’applaudissait intérieurement.
Linéa était vénérée comme « princesse » et patriarche de son clan. Sa fierté ne devrait pas pouvoir pardonner d’être traitée comme une femme parmi tant d’autres. Donc, donner l’impression qu’il avait des relations avec d’autres femmes pourrait l’encourager à retirer sa proposition. Yuuto, par exemple, pensait que l’idée n’était pas si mauvaise.
« Uuurgghhhh... ! » Linéa ne pouvait pas contenir son déplaisir, grognant et gonflant ses joues.
« Tee hee hee hee », ricana Félicia en souriant triomphalement. « Oh mon Dieu, mais quel est donc le problème, Grande Sœur Linéa ? Pourriez-vous être jalouse ? » Elle avait lentement tracé un cercle sur la poitrine de Yuuto avec son index.
Tu es vraiment dans ton élément en jouant le rôle de la méchante femme, Félicia, Yuuto avait pensé à lui-même, puis il avait rapidement chassé les mots de son esprit. C’était impoli de penser ainsi d’elle alors qu’elle faisait un tel effort pour lui.
« Je ne suis pas jalouse !! » Linéa éleva la voix avec indignation, mais son déni n’était pas du tout persuasif. Sa jalousie était évidente pour tout le monde.
***
Partie 6
Pendant quelques instants, Linéa avait baissé les yeux, se mordant la lèvre et gémissant dans la frustration, mais soudain, elle se releva.
« H-Hmm. Je comprends maintenant. Avec quelqu’un du c-calibre de Grand Frère, il est inévitable qu’une foule de femmes affluent vers lui. Très bien. Permettre un peu d’altruisme, c’est aussi le devoir d’une épouse ! »
Linéa avait serré le poing et l’avait annoncé d’une voix forte, comme si elle essayait aussi de se convaincre elle-même.
« Hein ? Hein ? » Yuuto avait commencé à avoir l’impression qu’il avait, d’une manière ou d’une autre, causé plus d’ennuis pour lui-même.
Et c’est là que c’était arrivé.
Sigrun avait été la première à le remarquer. Avec une soudaine agilité animale, elle s’était levée d’un coup et avait regardé avec méfiance vers l’entrée, abaissant son centre de gravité. Elle avait posé une main sur sa poignée d’épée, prête à dégainer à l’improviste.
Son expression était plus sérieuse que ce que Yuuto avait vu jusqu’à aujourd’hui, et une grosse perle de sueur se frayait déjà un chemin le long de sa joue.
« Que se passe-t-il, Run —, » Yuuto n’avait même pas fini sa question avant qu’il ne s’en aperçoive lui aussi.
La grande salle du rituel avait été remplie de bruit et de célébration, mais le son s’était complètement éteint comme si une vague de silence avait déferlé sur la salle en provenance de l’entrée. Tout le monde fixait le même point, avec des expressions rigides et choquées.
Debout à l’entrée, un homme d’âge moyen, bien construit, barbu, et revêtu d’une robe de soie. C’était quelqu’un que Yuuto connaissait : le goði Alexis. Il était un haut fonctionnaire du Saint Empire Ásgarðr, un représentant de l’Empereur Divin, et l’homme qui avait supervisé Yuuto et la Cérémonie du Calice de Linéa. Cependant, la personne que tout le monde regardait n’était pas Alexis, mais l’homme qui se tenait à côté de lui.
Il avait l’air jeune, peut-être une vingtaine d’années, avec des cheveux roux comme une flamme. Il était grand et mince, avec une silhouette tonique qui suggérait à la fois force et agilité.
Ses traits masculins étaient compensés par ses yeux qui débordaient d’une curiosité presque enfantine.
En effet, il n’y avait rien de particulièrement exotique ou d’anormal dans l’apparence du jeune homme. Et pourtant, Yuuto était complètement incapable de le quitter des yeux.
« Qu’est-ce que c’est que ce type !? » Yuuto haleta. Avant qu’il ne s’en rende compte, il s’était déjà levé à moitié, le corps tendu pour se préparer au combat ou à la fuite.
Il ressentait une mystérieuse terreur en lui en réaction à cet homme, comme si un instant de manque de prudence signifiait sa propre mort.
Comme si un tigre sauvage était soudainement apparu devant lui.
« Steinþórr ! Qu’est-ce qu’il fait là ? » s’écria Linéa avec une voix tremblante.
Même Yuuto avait déjà entendu ce nom auparavant.
Dans l’ouest de l’Yggdrasil, depuis la fondation du Saint Empire Ásgarðr, la région au nord de la rivière Körmt s’appelait Álfheimr, et au sud était la région de Vanaheimr.
Le Clan de la Foudre contrôlait un vaste tronçon nord de Vanaheimr tout le long de la rivière Körmt, et Steinþórr était leur patriarche.
Sa façon de se battre, moins courageuse et plus intrépide et sauvage, lui avait valu ce surnom.
« Le Dólgþrasir... C’est donc le “Tigre Affamé de Batailles de Vanaheimr”, n’est-ce pas ? » Yuuto crachait les mots avec un petit frisson, essuyant la sueur de sa joue avec le dos de sa main.
Il avait entendu les rumeurs, mais jusqu’à récemment, c’était un nom qui semblait très lointain, d’un territoire qui n’avait pas encore bordé le sien.
« Oui, » répondit Linéa. « Même le grand héros du Clan du Sabot, Yngvi, craignait son pouvoir. Après l’avoir affronté une fois au combat, Yngvi a offert en mariage la main de sa propre fille et a prêté serment de fraternité égale sur le Calice... tout cela pour éviter de combattre un homme de plus de dix ans plus jeune que lui. »
« Ça ressemble à un adversaire coriace. »
Yuuto avait déjà affronté Yngvi au combat une fois auparavant, et avait été étonné par les capacités de l’homme. Yngvi avait réussi à avoir des réponses à chacune des tactiques de combat futuristes de Yuuto, malgré le fait de les voir pour la première fois. Sa force présente dans son leadership avait ramené ses troupes du bord de la panique chaque fois que Yuuto les avait ébranlés, et son courage au combat avait même réussi à submerger le plus fort du Clan du Loup, le Mánagarmr Sigrun.
En une seule génération, Yngvi avait élevé le Clan du Sabot en une grande nation qui était prête à prendre le contrôle de tout Álfheimr. Ses capacités étaient celles d’un « souverain suprême », celui qui s’empare de la terre par la conquête militaire.
« Il est comme Takeda Shingen, » murmura Yuuto.
« Hein ? » Linéa le regarda d’un air interrogateur.
« Désolé, je me parlais à moi-même », répondit Yuuto avec un sourire ironique.
On disait souvent qu’Oda Nobunaga, le puissant conquérant militaire de l’époque des États belligérants du Japon, avait déjà cherché un traité de paix et une alliance avec Takeda Shingen. Malgré le fait d’avoir plusieurs fois la force militaire des armées de Takeda, Oda avait fait preuve de courtoisie envers lui. Cela montrait à quel point il craignait la puissance de Takeda Shingen.
Cependant, ce n’était pas seulement un problème de l’histoire récente ou ancienne. Lors de leur précédente guerre avec le Clan de la Corne, le Clan du Loup s’était emparé d’un territoire riverain, et maintenant ils partageait une frontière avec le Clan de la Foudre.
Malheureusement, il était apparu que leur nouveau voisin était un vrai problème.
« Seigneur Alexis ! Pourquoi avez-vous amené quelqu’un comme lui ici ? » Rasmus interrogea le goði barbu, n’enlevant jamais son regard de Steinþórr.
C’était le centre de la capitale du Clan de la Corne, et en plus, c’était leur site religieux le plus sacré. Il y avait plusieurs niveaux de sécurité à franchir avant d’entrer, donc ce n’était pas un endroit où un étranger devrait pouvoir se promener.
Il était clair qu’Alexis avait utilisé ses privilèges diplomatiques en tant que représentant de l’empereur pour amener le patriarche du Clan de la Foudre avec lui.
« Franchement, ne t’inquiète pas pour les détails, vieil homme. » Steinþórr était complètement infaillible. « On fait la fête ici, n’est-ce pas ? J’ai pensé venir vous souhaiter félicitations en tant que chef de votre pays voisin. »
« Comment osez-vous dire quelque chose de si honteux, alors que vous avez pris la vie de notre patriarche précédent de vos propres mains !? » cria Rasmus.
« Ahh, ce vieux Hrutin-quelque chose ou autre, n’est-ce pas ? Tout le monde disait qu’il était génial et qu’il ne s’est même pas battu. »
Le prédécesseur du patriarche du clan n’était pas seulement le père de Linéa par le sang ; il aurait été son parent assermenté par le Serment du Calice, en fait le grand-père de tout le clan. De plus, il avait été un grand-père bien-aimé, qui avait béni son clan avec de nombreuses grandes actions et laissé une marque indélébile sur leur histoire.
Steinþórr avait parlé d’un homme aussi indifféremment que comme s’il parlait de la météo d’hier, à peine mémorable. Des cris de ressentiment avaient commencé à se faire entendre dans la salle bondée.
Steinþórr avait répondu en riant et avait salué la foule. « Eh bien, voyons ! Qui de toute façon se soucie d’un vieux mort. »
« Comment osez-vous... comment osez-vous vous moquer de nous ! » Sa rage à son apogée, Rasmus avait dégainé l’épée à sa taille. Même si cela venait du patriarche du Clan de la Foudre, le fait de pardonner publiquement sans tenir compte de la dignité de Rasmus mettrait en danger non seulement la dignité de Rasmus, mais aussi la dignité du Clan de la Corne dans son ensemble. « Ne croyez pas que vous pouvez entrer effrontément seul dans cet endroit, faire des remarques comme ça et rentrer chez vous vivant ! Je prendrai votre tête pour l’offrir sur la tombe du patriarche précédent ! Hé, tout le monde ! »
Au signal de Rasmus, plusieurs hommes de la foule suivirent son exemple, dégainant leurs épées.
Il y avait quelques cris terrifiés de certaines des femmes présentes, et soudain, la salle était dans un tumulte.
Quant au jeune homme aux cheveux roux, il était sûrement conscient de toute la soif de sang qui visait sa voie, mais ne semblait pas s’en soucier. Il s’était gratté la tête avec une expression ennuyée et non impressionnée.
« Rasmus, venez maintenant, » déclara Alexis avec une expression douloureuse, en marchant entre les deux hommes. « Ce jeune homme est mon invité. Veuillez considérer ma position et pardonner son impolitesse comme une faveur. »
Clairement expérimenté comme médiateur dans les conflits, Alexis avait parlé avec confiance dans une atmosphère tendue et violente. Un seul faux mouvement et il pourrait facilement être celui qui se fait abattre, intentionnellement ou accidentellement. Pourtant, son expression calme n’avait pas changé.
Il n’était pas seulement un certain goði, mais clairement un homme d’une audace considérable.
« Khh... ! » Rasmus avait plissé son visage comme s’il écrasait un insecte dégoûtant.
Au moins officiellement, le patriarche d’un clan était un serviteur de l’Empereur Divin. Cette autorité officielle avait été utilisée pour justifier la domination d’un clan sur leur territoire. Un goði était le mandataire de l’Empereur Divin. Ses paroles étaient celles de l’empereur, et son invité était un invité impérial.
Blesser ou tuer Steinþórr ici serait une insulte à l’honneur de l’Empereur Divin. Si cela était fait en dépit de la tentative du goði de l’arrêter, le déshonneur serait impardonnable.
« Si vous le dites, Seigneur Alexis, » dit Rasmus, « Je n’ai pas d’autre choix que de reculer. » Il avait baissé son épée. Sa voix était encore amère et tremblante de colère.
La seule chose qui le retenait, c’était son sens des responsabilités en tant que commandant en second du Clan de la Corne.
Le Saint Empire Ásgarðr avait vraiment régné sur tout le territoire d’Yggdrasil il y a 200 ans. Or, sa sphère d’influence s’était réduite à quelque chose de plus comparable à un clan de taille moyenne comme le Clan de la Corne. Géographiquement et politiquement parlant, c’était loin de cet endroit. Cependant, son autorité persistante commandait toujours le respect. L’empire pourrait accorder aux voisins du Clan de la Corne le droit officiel de les attaquer.
Actuellement, le Clan de la Corne avait vu son territoire à l’est être saisi par le Clan du Loup, tandis que ses villes et villages de l’ouest avaient été dévastés par l’envahisseur du Clan du Sabot avant d’être chassés.
Avec une telle situation interne, Rasmus devait éviter d’accorder à ses clans voisins toute excuse pour attaquer.
« On dirait que tu vas vivre un autre jour, papy. » Steinþórr avait souri.
Rasmus avait recommencé à élever la voix vers lui, mais il ne pouvait pas en dire plus. En un instant, Steinþórr avait complètement réduit la distance entre eux et il arriva à bout portant.
Il était déjà si proche de Rasmus qu’une épée serait inutile, et Rasmus s’était trouvé incapable de bouger ou de réagir. Steinþórr se pencha près du visage de Rasmus, leurs nez se touchant presque, et se moqua de lui.
« Oui, je n’ai jamais été là pour toi, grand-père. À ton âge, tu n’as probablement plus beaucoup de temps, mais prends soin de toi. »
Avec ces mots, Steinþórr s’était soudainement baissé et avait frappé la lame de l’épée de Rasmus avec son doigt.
C’est tout ce qu’il avait fait.
« Vous vous moquez de moi ! » Yuuto s’étouffa devant ce qu’il vit, tandis que le sol en pierre du hall faisait écho au bruit du métal.
Certes, le bronze était plus fragile que le fer. C’était tout simplement un fait. Mais fragile ou non, il ne devrait y avoir aucun moyen pour une personne de briser une lame de bronze d’un simple coup de doigt !
Cette impossibilité venait de se produire dans la réalité, juste devant lui.
« C’est le pouvoir du Briseur, Mjǫlnir, » expliqua Linéa. « C’est une rune unique avec toute son énergie divine, son ásmegin, concentré uniquement sur le pouvoir de destruction... »
Habituellement, la rune d’un Einherjar leur donnait quatre ou cinq capacités différentes. Par exemple, la rune Hati de Sigrun lui avait donné une capacité physique globale plus forte que celle d’un guerrier masculin moyen, mais elle lui avait aussi donné un sens de l’odorat qui pouvait détecter les poisons et les présences ennemies, un sixième sens étrange au combat, et un rugissement sauvage qui pouvait inspirer ses alliés et intimider ses ennemis.
Il y avait aussi des exceptions. La rune Skírnir de Félicia était assez spéciale et lui avait conféré de nombreuses et diverses capacités et pouvoirs. Cependant, ceci avait été compensé par un coût, car aucune des capacités de Félicia n’était exceptionnellement puissante. En tant qu’homme à tout faire, un Einherjar spécialisé dans seulement quelques-unes des capacités qu’elle possédait surpasserait certainement son niveau.
Donc, le contraire devait aussi être vrai. Si toute la puissance d’une rune était comprimée et concentrée, on pourrait peut-être obtenir une force ridicule capable de briser une épée de bronze en deux d’un simple coup de doigt.
Après avoir tiré cette conclusion, Yuuto avait réalisé autre chose.
« Hm ? Mais qu’en est-il de ses mouvements à ce moment-là ? » demanda-t-il à Linéa. « Ils n’étaient pas naturels non plus, n’est-ce pas ? »
Rasmus était le chef de quatre puissants Clan de la Corne Einherjar connu sous le nom de Brísingamen, ou « Quatre Flammes », qui avait causé pas mal de défaites douloureuses pour le Clan du Loup avant l’arrivée de Yuuto. Même après sa jeunesse, Rasmus devrait être assez fort et compétent. Et pourtant, il n’avait pas été en mesure de réagir à la vitesse de l’autre. Même Yuuto, regardant de la ligne de touche, avait à peine pu le suivre. Il était difficile de croire que quelqu’un pouvait se déplacer avec une telle précision et aussi rapide comme l’éclair sans les bénédictions d’une rune.
Il y avait, bien sûr, ces guerriers comme le commandant en second du Clan du Loup, Jörgen, qui, grâce à des années d’entraînement intense, avait obtenu un niveau de compétence qui leur permettrait de combattre sur un pied d’égalité avec un Einherjar.
Ce n’était que l’intuition de Yuuto, mais il avait certainement eu le sentiment qu’un homme comme Steinþórr n’avait pas obtenu une telle compétence par de longues années d’entraînement rigoureux. Il était purement et simplement fort. Une force impeccable et non entraînée, née de l’intérieur, comme celle d’un ours ou d’un tigre, ou d’une autre bête féroce.
« Oui, » poursuit Linéa. « Il a une force phénoménale des bras et des jambes, grâce à sa rune Megingjörð, la ceinture de force. »
Pendant une seconde, Yuuto avait cru qu’il l’avait mal entendue. Si sa mémoire n’était pas erronée, il venait d’entendre parler de la rune de Steinþórr, et elle avait un nom différent. Il n’avait pas la meilleure mémoire, mais il était persuadé qu’il n’était pas le genre de personne qui oublie ce qu’on vient de lui dire, comme un vieil homme sénile.
« Linéa, dis-tu que... est-ce qu’il a deux runes ? »
« Oui, Grand Frère. Il est l’un des rares, peut-être trois au plus, dans tout Yggdrasil qui soit un double Einherjar ».
« ... Quel tricheur de merde, » déclara Yuuto avec un certain dégoût.
Il n’y avait aucune chance de mener une quelconque enquête ou mesure dans ce monde, mais la compréhension de Yuuto était que seulement une personne sur dix mille recevait la bénédiction d’une rune. Il n’avait jamais envisagé la possibilité que quelqu’un puisse s’en voir accorder deux.
« Oookay, alors. Voyons voir ici. » Steinþórr avait jeté un coup d’œil autour. « Ah, le voilà ! » Ses yeux avaient rencontré ceux de Yuuto.
Avant même que Yuuto puisse finir de penser Oh, merde... pour lui-même, le jeune homme aux cheveux roux se dirigeait vers lui avec un sourire ravi.
« Halte. » Sigrun se tenait sur le chemin de Steinþórr, sa position devant lui comme si elle protégeait Yuuto. « Je ne vous laisserai pas vous approcher de Père. »
Elle ponctua son avertissement d’un petit mouvement, sa main détachant légèrement son épée de son fourreau. Yuuto n’avait jamais vu un regard aussi sombre dans ses yeux auparavant, et son visage était couvert de perles de sueur.
Yuuto avait été choqué. Tout ce que j’ai fait aujourd’hui, c’est être témoin de l’impossible, se dit-il. Même dans ses rêves les plus fous, il n’avait jamais imaginé voir le Loup d’Argent le plus fort, le Mánagarmr, terrifié par quelqu’un !
« Hm ? » Steinþórr s’était arrêté, jetant un coup d’œil à Sigrun. Contrairement à son interaction avec Rasmus il y a quelques instants, il y avait une lueur d’intérêt dans ses yeux.
Yuuto pouvait entendre le grincement des dents de Sigrun ; le regard larmoyant de Steinþórr doit être très désagréable pour elle. Malgré cela, la petite femme au tempérament fort était restée silencieuse et avait enduré l’offense. Cela n’avait servi qu’à faire comprendre à Yuuto à quel point la menace Steinþórr était insondable.
« Ces cheveux argentés signifient que tu es le meilleur combattant du Loup, Sig-qqchose — ouu-qq chose comme ça, ouais ? » demanda Steinþórr.
« C’est Sigrun. »
« Peu importe, je m’en fous des détails. Je vois que tu as une forte aura combative. On dirait que tu as tué mon beau-père dans une bagarre en tête-à-tête, et que ce n’était pas un mensonge. Eh, toujours du menu fretin pour moi, » déclara Steinþórr.
Hochant la tête comme s’il était satisfait de sa propre évaluation, Steinþórr avait semblé perdre tout intérêt pour elle et avait tourné son regard vers Yuuto.
***
Partie 7
Il avait évoqué la mort du père de sa femme comme si ce n’était rien, sans même un soupçon de haine. Il s’agissait d’un mariage politique entre deux clans. Cependant, il n’y avait aucun signe de rancune concernant la question qui pourrait être utilisée pour justifier une guerre de vengeance, alors il n’était peut-être pas surprenant que Yuuto eût poussé un soupir de soulagement. En tant que partisan de la paix, il préférerait ne pas avoir à affronter un tel monstre.
« Vous savez certainement comment bouleverser une fête, Seigneur Steinþórr. » Linéa ne pouvait pas masquer son irritation. « Ou bien est-ce juste dans la nature d’une bête d’ignorer les ennuis qu’elle cause aux autres ? »
Cette cérémonie de la victoire était organisée par le Clan de la Corne. L’intrusion et les bouffonneries de Steinþórr avaient suffisamment gâché les choses pour que Linéa, en tant qu’organisatrice et hôte, ait subi un affront. C’était dans la nature humaine de vouloir répondre par une ou deux remarques sournoises.
« ... Hmm ? » Steinþórr avait jeté un coup d’œil vers elle. « Ohh ! Alors, tu dois être le nouveau patriarche du Clan de la Corne. Ton nom est, euh... attends, c’était quoi déjà ? »
« Quoi — ! » Linéa s’était trouvée sans voix par cette insulte supplémentaire.
Elle avait connu des temps difficiles au cours des derniers mois, mais le Clan de la Corne était toujours une nation importante et une force influente dans cette région. De plus, elle partageait une longue frontière nationale avec le Clan de la Foudre le long de la rivière Körmt. En tant que patriarche, ne pas se souvenir de son nom dans une telle situation n’était rien de moins qu’une humiliation.
« Mon nom est…, » commença Linéa.
« Ahh ! Attends, ne me le dis pas, je l’ai entendu de Röskva. Hmmm... » Steinþórr avait réfléchi à voix haute pendant un moment. Puis il avait déclaré, plein de confiance, « Ouais, c’est ça ! Je me souviens maintenant ! Borghildr ! »
C’était un nom sans aucun rapport, sans une seule syllabe correspondante. On pourrait penser que c’était une provocation évidente. Mais si c’était le cas, il y aurait au moins une certaine mesure de rancune ou de sarcasme dans son ton.
Les remarques du jeune homme étaient libres d’une telle inflexion ; il disait simplement ce qui lui venait à l’esprit. Le savoir rendait sa personnalité d’autant plus exaspérante.
Empli par sa colère, la jeune patriarche du Clan de la Corne avait annoncé son propre nom. « ... C’est Linéa. »
Elle savait ce qu’elle devait faire ici. La situation avait déjà été créée par Alexis, et son pays se trouvait dans une situation politiquement défavorable. Pour une fille fière comme elle, il s’agissait d’une impressionnante démonstration de maîtrise de soi.
« Hein ? Alors c’est donc ça. Qui se soucie des détails ? De toute façon, ce n’est pas comme si j’avais affaire à une petite fille aux oreilles mouillées. Je pourrais peut-être consacrer un peu de temps à la jolie dame là-bas, avec des courbes aux bons endroits. »
« Grr... !! Espèce de salaud ! » Linéa avait finalement perdu son sang-froid, peut-être parce qu’elle avait déjà été comparée à Félicia il y a peu de temps, et la honte était encore à vif. Alors qu’elle rugissait de colère, elle s’était contractée pour se lever de sa chaise, mais un bras autour de ses épaules l’avait retenue.
Ce n’était pas une prise particulièrement forte. Mais c’était aussi une étreinte qui semblait contenir de la détermination, qui ne prendrait pas un « non » pour une réponse. Linéa avait eu un petit frisson et la force avait quitté son corps.
Yuuto avait attendu jusqu’à ce qu’il soit sûr que Linéa s’était installée de nouveau dans son siège, puis il fixa du regard le jeune homme aux cheveux roux. « Arrêtez de les harceler. C’est pour moi que vous êtes là, n’est-ce pas ? »
À cet instant, l’atmosphère avait complètement changé. Tout le monde ressentait la même sensation, comme si la température avait soudainement chuté. Et tout cela grâce à quelques mots d’un jeune garçon qui, jusqu’à ce moment-là, semblait timide et médiocre.
Pour Yuuto, la famille était plus importante que tout le reste. Ce n’était peut-être pas intentionnel, mais cet homme s’était moqué de la fille assermentée de Yuuto, de sa petite sœur assermentée et du défunt père que cette sœur adorait. C’était plus que suffisant pour que Yuuto le déteste.
Il ne criait pas, mais Yuuto avait clairement perdu son sang-froid. Assez pour faire ressortir sa vraie nature, le lion féroce caché en lui.
« ... Oh ? » Pour la première fois, le sourire arrogant avait disparu du visage de Steinþórr’s.
Le « jeune homme joyeux, ignorant et innocent » semblait lui aussi disparaître, comme si un masque avait été arraché, révélant quelque chose de terrible en dessous. L’homme devant Yuuto avait maintenant l’air d’une bête affamée. Il avait fixé le corps de Yuuto avec une expression intense comme un prédateur qui avait finalement trouvé la proie qu’il cherchait.
Les vraies personnes se retrouvant dans cette situation pitoyable étaient les membres du Clan de la Corne. Ils avaient été emportés dans leur célébration, seulement pour être aveuglés par l’intrusion soudaine du patriarche du Clan de la Foudre et submergés par sa puissance monstrueuse. Si cela n’avait pas été suffisant, le jeune homme qu’ils avaient secrètement regardé avec dédain et qu’ils avaient projeté d’essayer d’en tirer profit avait lui aussi soudainement révélé un côté caché et redoutable de lui-même.
Incapables même de s’enfuir, les membres du Clan de la Corne se tenaient en place comme alourdie par la tension oppressante et étouffante dans l’air, leur visage était pâle et leur corps tremblant.
L’impasse silencieuse s’était poursuivie pendant quelques brefs instants. Finalement, un sourire était apparu sur le visage bestial de Steinþórr.
« C’est quoi ce bordel, mec ! Pour que tu puisses faire cette tête, après tout ! Pendant une minute, j’ai cru que tu étais une déception totale, tu sais ? » déclara Steinþórr.
« Quoi ? » Yuuto avait répondu dans un grognement irrité, incapable de comprendre ce que Steinþórr disait. L’aura de colère qui émanait de son corps gonflait encore plus en intensité.
La tension dans l’air devenait encore plus forte, et on pouvait entendre ici et là, dans la foule, quelques soupirs de peur.
Mais pour le jeune homme roux, la présence intimidante qui le recouvrait n’avait fait qu’augmenter la largeur de son sourire. « Hahaha ! Je n’ai même pas eu des frissons comme ça quand j’ai rencontré mon beau-père, » déclara Steinþórr. « Franchement, je t’aime bien, mec. »
« Ah bon ? Je ne suis pas du tout heureux d’être aimé par quelqu’un comme vous, » répliqua Yuuto.
« Aww, voyons, ne sois pas si froid. » L’attitude de Steinþórr était soudainement amicale et trop familière. « Nous sommes voisins. On devrait se voir plus souvent. On va s’amuser ensemble à partir de maintenant. »
Yuuto avait fait claquer sa langue, ébranlé par le changement d’humeur de Steinþórr. « Pff. Qu’est-ce qui vous arrive dans votre tête ? »
Il détestait toujours le gars ; cela n’avait pas changé. Mais aussi facile qu’il fût de rencontrer l’hostilité avec l’hostilité, il était plus difficile de rester hostile envers quelqu’un qui se comportait amicalement envers lui.
« Hé, patriarche du Clan du Loup. Quel est ton nom ? » demanda Steinþórr.
« C’est Yuuto. Yuuto Suoh, » répondit-il.
« Yuuto-Suoh, hein ? » Steinþórr avait répété pour lui-même. « Vrrrraiment bizarre pour un nom. Mais je l’ai mémorisé maintenant. Je n’oublierai jamais ton nom, Yuuto-Suoh. »
Il l’avait annoncé haut et fort, pour que tout le monde l’entende. Ce même homme ne s’était jamais donné la peine d’essayer de se rappeler du nom du patriarche du Clan de la Corne, Linéa, ou son père, le prédécesseur du Clan de la Corne reconnu comme un grand homme, ou Sigrun, le Mánagarmr du Clan du Loup.
Yuuto n’avait pas compris le sens de cette annonce.
« Mec, tu as vraiment froid, » déclara-t-il en se retournant. « Je suppose que je vais m’arrêter là et rentrer chez moi. Après tout, j’ai bien vu quelque chose d’intéressant. À bientôt, Yuuto-Suoh. »
Il avait fait un signe de la main, le dos tourné, alors qu’il s’éloignait.
La foule se séparait devant lui sans dire un mot, comme si c’était un signal. Cela semblait être comme dans l’histoire de Moïse qui avait séparé la mer Rouge, une légende encore lointaine dans le futur.
Pendant que Steinþórr se déplaçait hors de la salle le long du chemin qui s’était ouvert pour lui, tous les autres ne pouvaient que le regarder partir, stupéfaits.
« S’il vous plaît, attendez-moi, Seigneur Steinþórr ! » Alexis l’avait appelé, comme s’il revenait à la raison, puis s’était retourné et avait salué rapidement la foule. « Maintenant, si vous voulez bien nous excuser. Veuillez prendre votre temps et vous amuser pour le reste de la soirée. Au revoir ! »
Le goði était ensuite parti, en suivant le patriarche du Clan de la Foudre.
Même après leur départ, la salle du rituel n’était revenue qu’au silence, l’air lourd et oppressant persistant pendant un certain temps.
La première chose qui avait brisé le silence avait été un grand souffle.
C’était Sigrun. Elle était à genoux, avec une respiration sifflante. Elle avait dû retenir son souffle.
« Haaaaaaaaaaaah... » Quelques secondes plus tard, Félicia avait brisé elle aussi le silence avec un grand soupir. « Aah, ma bouche est complètement sèche. » Elle avait rapidement saisi une tasse d’eau devant elle et avait commencé à l’avaler sans user de sa grâce ou de ses manières habituelles.
« Penser que ce n’était même pas une bataille et qu’il a quand même réussi à vous épuiser autant », déclara Yuuto avec inquiétude. « C’est un homme étrange, mais aussi une sacrée menace, semble-t-il. »
« Ce ne serait pas si horrible si c’était juste ce type... » avait commencé Sigrun.
« Oui, comme le dit Run, s’il n’y avait eu que lui..., » déclara Félicia.
Sigrun puis Félicia avaient parlé en termes vagues, jetant un regard significatif sur Yuuto. Sigrun, en particulier, avait parlé d’une manière inhabituellement détournée, contrairement à sa franchise habituelle si brutale.
Yuuto inclina sa tête, se demandant ce que cela pouvait signifier. Puis il s’en était rendu compte.
« Oh, c’est vrai. Vous deviez aussi vous inquiéter quant à me protéger. »
Les subordonnés de Yuuto, Félicia et Sigrun, étaient aussi sa garde personnelle. Elles avaient le devoir et la responsabilité de protéger leur patriarche avec leur vie.
Cela avait dû être incroyablement éprouvant mentalement pour rester sur une garde constante contre un homme aussi ridiculement puissant. Yuuto se sentait à la fois reconnaissant et coupable envers elles, pour avoir toujours protégé une personne faible comme lui. Il savait que cela devait être très difficile pour elles.
« Euh, eh bien, ce n’est pas exactement ça... » Sigrun avait cherché les mots justes. « On pourrait dire que c’était comme être jeté sans arme dans une cage où un lion et un tigre se faisaient face... »
« En effet, » Félicia était d’accord avec un signe de tête. « C’était exactement ça. J’avais l’impression que je pouvais tout simplement mourir de peur. »
« Aussi terrifiante que non pas une bête, mais deux..., » le ton de Yuuto était sinistre. « C’est après toute logique, c’est un possesseur de deux runes Einherjar. Pour que Steinþórr soit un monstre à ce point. »
« ... » Félicia et Sigrun ne disaient rien, leurs expressions étaient raides, comme si elles ne savaient pas comment réagir de manière appropriée.
Yuuto pensait qu’il pouvait comprendre leurs réactions. Il avait précédemment eu le même problème avec le Clan du Sabot ; il avait pensé au Clan de la Foudre comme une grande et puissante, mais lointaine nation, séparée de son Clan du Loup par le territoire du Clan de la Corne.
Mais avec sa récente victoire sur le Clan de la Corne, le Clan du Loup avait revendiqué une partie du territoire de la Corne, et il partageait maintenant une frontière avec le Clan de la Foudre. Avec un homme aussi dangereux que son nouveau voisin, franchement, essayer de comprendre comment s’y prendre avec lui faisait déjà mal à la tête de Yuuto.
Il soupira. « Il est connu sous le nom de Tigre Affamé de Vanaheimr Dólgþrasir, alors j’ai d’abord pensé à lui comme quelqu’un comme Takeda Shingen, le “Tigre de Kai”. Mais après tout ça, je dirais qu’il est plus comme Lü Bu ou Xiang Yue. »
« Puis-je présumer que ce sont les noms des héros de ton monde, Grand Frère ? » demanda Félicia.
« Oui, tous les deux avaient un courage et un talent incroyable, » répondit-il.
Lü Bu avait été un commandant militaire légendaire pendant la fin de la dynastie Han de la Chine impériale, célèbre pour sa force inégalée.
Pendant ce temps, Xiang Yue avait été salué comme ayant été le plus grand commandant militaire de l’histoire de la Chine, surpassant même Lü Bu.
« Cela dit, j’étais totalement belliqueux avec lui, n’est-ce pas ? » Yuuto avait commencé à remettre en question son comportement antérieur. Steinþórr avait clairement été celui qui avait commencé les choses en essayant de se battre, mais Yuuto avait décidé de répondre de la même manière.
« Je pense que c’était peut-être le bon choix », l’avait rassuré Félicia. « Répondre timidement à un comportement impoli ne se terminera qu’en nous faisant prendre à la légère. »
« Oui, tu as raison. » Yuuto savait qu’il y avait des conséquences à être méprisé. Cela pourrait signifier devenir une cible d’invasion ou être harcelé par des demandes farfelues.
La façon de penser qui supposait que si l’un d’eux faisait des concessions, l’autre partie ferait aussi des concessions était désespérément naïve. Dans le monde réel, les Japonais étaient les seuls à pouvoir travailler avec cette logique. Si l’un s’éloignait de la crainte de conflit, l’autre saisirait l’occasion et avancerait pour combler l’écart. C’était la réalité de la diplomatie internationale. C’était particulièrement vrai dans un monde comme Yggdrasil où la loi de la jungle prévalait.
Dans cette rencontre la plus récente, être passif ou défensif aurait été la mauvaise réponse.
« Eh bien, il semble que le gars m’aimait bien, alors peut-être qu’après tout, les choses se sont bien passées, » Yuuto avait poussé un long soupir de soulagement.
L’ennemi de longue date de son clan, le Clan de la Corne, avait été amené en tant que clan frère, et la bataille inattendue avec le Clan du Sabot avait également pris fin. Après avoir été occupées par une guerre constante pendant si longtemps, les choses s’étaient finalement calmées, ce qui lui avait donné la chance de vraiment commencer à chercher une méthode de retour chez lui. Se lancer dans une autre guerre avec son nouveau voisin aurait été le comble de la stupidité.
« Euh, eh bien... » Félicia regarda en avant et en arrière, balayant toute la salle du rituel, avec une expression difficile. « Je pense que les choses se sont peut-être bien passées pour le Clan du Loup et le Clan de la Corne, mais tout cela peut devenir un peu un problème pour toi personnellement, Grand Frère. »
Alors que Yuuto suivait son regard et regardait de l’autre côté de la salle, pour une raison quelconque, tous les membres du Clan de la Corne réunis semblaient se rigidifier tous à la fois en réponse.
Yuuto avait froncé les sourcils, perplexe. « Hé, Féli... »
« Ohh, c’est exactement ce que j’attendais de mon oncle du Clan du Loup ! Je savais qu’il y avait quelque chose en vous ! » Rasmus interrompit Yuuto avant qu’il ne puisse terminer sa question. Le commandant en second du Clan de la Corne s’était précipité vers eux, le visage plein d’excitation.
« Grand Frère... Je suis tombée amoureuse de vous encore une fois ! » Linéa avait carillonné à haute voix à côté de Yuuto, son visage rougissant d’un rouge vif et ses yeux scintillants tandis qu’elle le fixait avec amour. « Je ne peux plus penser à passer ma vie mariée à quelqu’un d’autre que vous, Grand Frère ! »
Rasmus continua sans relâche. « J’avais passé tant de temps et d’efforts à essayer de les convaincre avec mes propres mots, mais à penser que vous pourriez mettre leur cœur à bout de nerfs avec ce court échange ! Bonté divine, si ce n’est pas la preuve de votre capacité d’être un souverain suprême, alors le titre lui-même n’a pas de sens. »
Rasmus était pratiquement en train de s’exciter, mais Yuuto avait du mal à suivre exactement ce dont il parlait. Que s’était-il passé pour que ces deux-là aient une telle augmentation soudaine de leur opinion envers lui ? Tout ce qu’il avait fait, c’était de fixer d’un regard empli de fureur un crétin arrogant. Rasmus et Linéa avaient eux-mêmes fait exactement la même chose.
Il avait jeté un coup d’œil à Félicia pour demander de l’aide, mais elle tenait sa tête dans ses mains, couvrant son visage comme dans la tristesse.
« ... Qu’est-ce que j’ai encore fait ? » demanda Yuuto, déconcerté.
***
Partie 8
« C’est certainement une ville vivante, n’est-ce pas ? » Alexis avait commenté.
Après avoir quitté le palais, Alexis avait jeté un coup d’œil à gauche et à droite de son entourage alors qu’il marchait dans les rues bondées de Fólkvangr. Les petits enfants couraient dans tous les sens le long de son chemin, riant, comme guidés par la musique des flûtes et les chants qui traînaient dans les airs. La ville était inondée par l’atmosphère de fête et il y avait des sourires sur les visages de tout le monde.
Alors qu’il passait devant une échoppe de rue qui servait apparemment de bar de fortune, il avait vu des gens s’enivrer en plein jour. Chacun d’entre eux s’amusait, se réjouissant des moments de paix dont ils avaient été bénis.
« Alors, comment était-ce ? » Alexis continua, parlant au jeune roux qui marchait juste devant lui. « J’ai pris un sacré risque en venant ici avec vous pour le rencontrer. Vous avez au moins sûrement une opinion ? »
Alors que le fait de venir un goði comme lui avait assuré leur entrée dans la salle de cérémonie, il n’y avait rien de sûr quant au fait de faire irruption dans la forteresse du Clan de la Corne sans hommes ni serviteurs, sans parler du fait que Steinþórr était le tueur de leur précédent patriarche. Quand le garçon l’avait suggéré, Alexis avait de sérieux doutes sur sa personnalité. Ce n’était pas l’acte d’un patriarche responsable de la vie d’un clan entier.
De plus, Steinþórr avait interrompu une célébration sacrée avec un comportement audacieux, provoquant tout le monde autour de lui. Pendant un moment, Alexis avait commencé à douter de la santé mentale du garçon. Alexis avait beaucoup d’expérience dans sa position de goði face à des situations chaotiques et souvent violentes, et pourtant il avait encore des frissons en repensant à ce qui venait de se passer.
Bien sûr, la logique du jeune homme était sans doute très simple. S’il en arrivait là, ce jeune homme avait la certitude absolue qu’il pouvait se battre seul en étant en plein dans un territoire ennemi et rentrer chez lui vivant et en bonne santé.
Cette confiance n’était pas non plus un simple orgueil. Ce monstre avait la force ridicule nécessaire pour faire d’une telle chose une réalité. Cependant, si par hasard une telle situation s’était produite, Alexis n’aurait eu aucun espoir de survie. Goði ou pas, il n’aurait pas été étrange qu’il soit exécuté comme punition pour avoir amené Steinþórr avec lui dans le pire des cas.
Une fois de plus, il avait ressenti un profond soulagement d’avoir réussi à s’en sortir en un seul morceau.
Steinþórr s’était retourné pour répondre à Alexis avec son expression insouciante et innocente. « Ouais, merci encore de m’avoir amené ici. Je voulais le voir au moins une fois, cette soi-disant “Noirceur.” »
« N’utilisez pas ce nom avec insouciance. Cela nous causera des problèmes. » Alexis avait plissé ses sourcils et avait réprimandé Steinþórr d’une voix basse. Ce nom était le tabou le plus élevé de l’Empire d’Ásgarðr. Ce n’était absolument pas correct de parler de ça au milieu de la ville.
« Eh ! Qui se soucie des détails comme ça. » Sans même un soupçon de préoccupation pour l’avertissement, le patriarche du Clan de la Foudre avait arraché une bonne bouchée de la viande qu’il portait.
Maudit barbare. Alexis n’avait pas pu s’empêcher de maudire ce garçon dans son cœur.
Officiellement, le patriarche d’un clan était un vassal local au service de l’Empereur Eivin. Comme un haut fonctionnaire du gouvernement central avait reçu l’honneur de représenter l’Empereur Divin, un goði était beaucoup plus haut en termes de rang. Mais ce n’était, bien sûr, rien de plus que son statut officiel, et Alexis n’avait pratiquement aucun pouvoir politique réel.
Malgré cela, les seigneurs de clan locaux s’étaient appuyés sur l’autorité de l’Empereur Divin pour soutenir leur droit de gouverner leurs régions. Dans tous les cas, ils étaient tenus de faire preuve de respect verbal envers l’empereur et ceux qui se trouvaient au-dessus d’eux-mêmes en poste. Malgré cela, un goði représentant l’Empereur Divin avait dû faire face à un garçon insolent qui lui parlait comme tout le monde. C’était vraiment vexant.
« L’homme qui détruira le monde, hein ? » Steinþórr marmonnait à haute voix. « Je n’y croyais qu’à moitié, mais il a fini par être plus que ce à quoi je m’attendais. »
« Hmm. Alors, accepterez-vous notre demande ? » Alexis avait demandé.
« Oui, je le ferai. Contre lui, je pense que je pourrais vraiment devenir enragé. »
L’homme connu sous le nom de Dólgþrasir avait dénudé ses dents avec un sourire sauvage.
***
Acte 2
Partie 1
« OK, j’ai juste besoin de me calmer. Calme-toi, » Yuuto avait posé sa main sur sa propre poitrine et s’était concentré sur sa respiration. Comme un bon reflet de son état d’esprit actuel, le cœur de Yuuto battait comme la cloche d’un réveil à l’ancienne.
Sa main tremblait en raison de peur.
Sa bouche était complètement asséchée par l’anxiété.
La peur nerveuse qu’il ressentait maintenant rendait ce qu’il avait ressenti lorsqu’il avait vu Steinþórr pour la première fois comme si c’était trivial en comparaison.
Dans l’obscurité, la lumière de la lune affluant de la fenêtre dansait d’une manière envoûtante sur la surface d’un miroir rond familier.
D’une manière ou d’une autre, peut-être en raison de sa fabrication avec le matériau connu sous le nom de « cuivre elfique » ou Álfkipfer, Yuuto pouvait entrer en contact avec son monde d’origine alors qu’il se trouvait à proximité de ce miroir. La seule raison pour laquelle il avait pu survivre ces deux années dans une terre de guerre et de conflit était les diverses sortes d’informations et de connaissances modernes auxquelles il avait eu accès, grâce à ce lien. Cependant, tout cela était dû à l’aide d’une personne très importante.
« Aghhhhhhhhhhhhhh, Mitsuki doit vraiment être en colère contre moi…, » en pleurnichant pathétiquement, Yuuto s’était accroupi, avec son smartphone à la main.
De retour à Iárnviðr, la capitale du Clan du Loup, il s’était précipité vers la Hliðskjálf sans un instant de retard et avait grimpé les escaliers, pour se retrouver en train de lutter pour que son doigt appuie sur le bouton appeler sur le contact de son amie.
« Je ne suis pas sûr. Nous venons de finir une bataille. Ce n’est probablement rien de dangereux. Repose-toi bien. Bonne nuit. »
C’était la dernière fois qu’il lui avait parlé, il y a plus de trois semaines. Mitsuki était bien consciente qu’Yggdrasil était un monde dangereux et mortel. Ce n’était pas difficile d’imaginer à quel point elle devait s’inquiéter pour lui.
C’était exactement pour cela qu’il devrait se dépêcher de l’appeler, pour la rassurer. Mais les circonstances derrière la fin de leur dernière conversation ayant été ce qu’ils étaient, il s’était trouvé incapable de penser à la bonne chose qu’il devrait lui dire en premier quand elle aura répondu.
Elle allait dans tous les cas se mettre à pleurer. Yuuto avait eu beaucoup de mal à s’occuper d’une fille en pleurs, et en particulier, il n’avait jamais voulu entendre Mitsuki pleurer. Coincé dans un monde séparé comme il l’était, il ne serait même pas capable de lui caresser la tête. Il ne savait pas quoi faire.
« Je suppose que le fait de s’inquiéter indéfiniment n’aidera en rien », se déclara-t-il pour lui-même. Il avait ensuite pris de profondes bouffés d’air. « C’est vrai. Je dois juste me psychoanalyser et le faire. Pour commencer, appuyons d’abord sur le bouton, puis inquiétons-nous pour le reste plus tard. »
Il avait assemblé tous les morceaux du courage qu’il avait, puis il avait appuyé sur l’icône pour effectuer un appel.
La tonalité mécanique avait fait écho, le signal qu’il n’y avait pas de retour en arrière. Yuuto engloutit anxieusement.
« Yuu-kun ! Yuu-kun, c’est toi !? Est-ce que ça va ? » Comme toujours, Mitsuki avait décroché après une seule sonnerie, avant même d’avoir eu l’occasion de se préparer mentalement.
C’était plus qu’une preuve suffisante pour Yuuto que Mitsuki avait passé plus de trois semaines à regarder son téléphone presque constamment, et avant qu’il ne s’en rende compte, il était incapable de faire des mots.
« Ah... Mi-Mitsu... ki... I... I..., » seul un bégaiement hésitant avait réussi à échapper aux lèvres de Yuuto.
Cependant, pour une amie d’enfance qu’il connaissait depuis 14 ans, c’était plus que suffisant.
« Y-Yuu-kun, c’est vraiment toi ! Je suis si contente... Tu es en vie. Tu es vraiment en vie... Waaaaaaaaaaaughhhhhh ! »
« Qu-Quoi, n-non ! Ne pleure pas, Mitsuki ! Je t’en supplie, je t’en supplie, d’accord ? » demanda Yuuto.
Comme Yuuto l’avait prédit, Mitsuki avait laissé sortir des gémissements et avait commencé à pleurer à chaudes larmes, et tout ce qu’il pouvait faire, c’était de la supplier.
Pendant ce temps, Yuuto avait également senti une chaleur qui s’agitait à l’intérieur de son cœur.
C’était le sentiment de soulagement d’avoir survécu pour entendre à nouveau la voix de son amie d’enfance bien-aimée. Plus que cela, c’était le bonheur de savoir que quelqu’un se souciait suffisamment de lui pour qu’elle pleure de joie en apprenant qu’il était vivant, même si c’était un plaisir coupable.
« Mitsuki, » dit-il d’un ton apaisant, « Je suis toujours là. Je suis toujours en vie. Je suis vraiment désolé de ne pas avoir pu te contacter jusqu’à maintenant. Je n’aurais pas dû t’inquiéter comme ça. »
C’était comme si tout ce qu’il s’inquiétait il y a une minute et tout ce qu’il avait à dire n’était qu’une mascarade, et que des excuses ouvertes et franches lui venaient tout naturellement.
Même s’il n’y avait personne pour le voir, il avait baissé la tête avec une telle force qu’il s’était cogné le tête contre son propre genou.
Après qui sait combien de temps, le son à l’autre bout de la ligne était passé des pleurs bruyants à de doux reniflements.
« C’est vraiment... C’est vraiment toi. Tu n’es blessé nulle part, n’est-ce pas, Yuu-kun ? » demanda Mitsuki.
« D’accord, je vais bien. En fait, je suis en parfaite santé, » répondit Yuuto.
« Tu ne m’as pas appelé pendant plus de trois semaines, alors que faisais-tu ? » demanda Mitsuki.
« Euh... hmm…, » Yuuto avait hésité un moment sur la façon de répondre, mais avait ensuite décidé d’avouer franchement la vérité. « J’étais... J’étais parti dans une guerre. »
Il s’était demandé s’il devait dire un mensonge blanc pour l’empêcher de s’inquiéter, mais il ne voulait pas mentir à Mitsuki.
« Je vois…, » répondit Mitsuki.
« ... ! » Avec seulement ces deux mots de Mitsuki, Yuuto s’était mis sur ses gardes, incapable de bouger. Sa voix avait été aussi froide qu’un vent soufflant en provenance d’un enfer glacé.
« Yuu-kun, » déclara-t-elle d’un ton glacial.
« O-Oui ! » répondit Yuuto.
« Assieds-toi, » ordonna Mitsuki.
« Eh ? » s’exclama Yuuto.
« Ne m’as-tu pas entendu ? Assieds-toi là où tu es. Tout de suite ! » déclara Mitsuki.
« O-Oui, madame ! » Yuuto se hâta de s’asseoir sur ses genoux dans la position formelle du seiza, comme on lui avait dit de faire. Tout comme lorsqu’il s’était excusé plus tôt, il n’y avait personne pour le voir, de sorte qu’il n’aurait tout simplement pas pu le faire et dire qu’il l’avait fait, mais l’idée de ce qui pourrait se produire par hasard s’il avait découvert était plus que suffisante pour l’effrayer et l’éloigner de cette idée. Un homme sage se tient à l’écart du danger, comme le dit le proverbe.
« Yuu-kun, je comprends que tu as des responsabilités en tant que patriarche, d’accord ? » déclara Mitsuki.
« T-Tout à fait, » répondit-il.
« Je suis presque sûre de te l’avoir déjà dit, mais je suis absolument contre. Je préférerais que tu restes en sécurité, loin de tout ça, » déclara Mitsuki.
« ... Je suis désolé. Mais il s’est passé beaucoup de choses, » déclara Yuuto.
Jusqu’à très récemment, le Clan du Loup avait été faible et il avait été constamment menacé par ses voisins. Son existence même était aussi fragile qu’une bougie dans le vent. Il n’existait pas d’endroit sûr. La seule façon de survivre était qu’il se bat pour l’obtenir.
« Oui, et je sais que je ne peux pas dire : je comprends ce qui s’est passé, mais je comprends au moins que tu as traversé beaucoup de choses et que tu as tes propres raisons, » continua Mitsuki.
« Merci. »
« Yuu-kun, je sais qu’il y a des fardeaux que tu dois porter que je suis sûre que je ne pourrais jamais imaginer, en vivant dans un Japon si paisible. Mais même ainsi…, » déclara Mitsuki.
« O-oui ? » demanda Yuuto.
« À quel point crois-tu que j’étais inquiète pour toi ! » ? Mitsuki avait crié d’une voix à percer les tympans, ce qui était suffisant pour que Yuuto s’éloigne du téléphone.
« J-Je suis vraiment désolé, » déclara Yuuto.
« Yuu-kun, tu as fait du bon travail en gouvernant ton clan en tant que chef, alors tu devrais tout savoir à ce sujet, n’est-ce pas ? C’est ce qu’on appelle “l’âme d’une organisation”. Ho-Ren-So, » déclara Mitsuki.
« Uhh, euh, c’est l’argot des affaires japonaises qui veut dire r-rapporter, contacter, c-consulter, n’est-ce pas ? » Alors même qu’il prononçait les mots, Yuuto avait senti le sang s’écouler de son visage.
Dans l’exercice de ses fonctions de patriarche, il prenait amèrement conscience de l’importance de ces trois choses. Et ces aspects vitaux de la communication étaient exactement ce qu’il avait négligé à l’égard de sa seule et unique amie d’enfance.
« Je n’ai absolument rien obtenu de toi, tu sais ? », gronda-t-elle. « Tu aurais au moins pu m’envoyer un texto, non ? »
« ... Oui. » Yuuto acquiesça, sa tête tombant plus bas à chaque phrase.
Il pourrait peut-être penser à quelques excuses. Par exemple, il avait été submergé par les préparatifs pour la bataille et il n’y avait pas de temps à perdre ; ou il avait été trop préoccupé à essayer de penser à la façon de gagner et de survivre. Mais, face à la jeune fille qui avait passé plus de trois semaines à l’attendre pendant qu’il n’arrivait pas à la contacter, le cœur douloureux, Yuuto avait l’impression que lui dire de telles excuses ne serait pas très viril.
« Yuu-kun, je déteste vraiment l’idée que tu partes au combat, je déteste vraiment, vraiment, vraiment, mais... c’est quelque chose que tu ne peux pas éviter, n’est-ce pas ? » Mitsuki avait dit. « Alors, au moins, parle-moi de ça. Si tu coupes le contact sans aucun avertissement... mon cœur ne pourra pas le prendre. Je m’inquiéterai pour toi si tu me le dis, bien sûr, mais si tu ne le fais pas, je m’inquiéterai encore plus. »
« ... Désolé, » déclara Yuuto doucement.
« D’accord. Alors j’arrêterai de te faire la morale. » Le ton de Mitsuki avait changé, et elle était retournée à sa personnalité brillante et joyeuse. « Peux-tu me parler de ce qui s’est passé ces trois dernières semaines ? »
« Oui, je peux, mais... puisque la conférence est terminée, est-ce que ça veut dire que je peux me lever à nouveau ? » demanda Yuuto.
Mitsuki avait éclaté en rires. « Hahahaha ! Quoi, tu as vraiment pris cette partie assise au sérieux ? Tu ne te serais pas fait prendre même si tu ne l’avais pas fait. Tu es si fidèle, Yuu-kun ! »
Cela vient de la personne qui a parlé comme si j'allais passer un sale quart d’heure si je ne le faisais pas, soupira Yuuto. Il avait eu la sagesse de ne pas prononcer ces mots à voix haute.
Cela dit, si je reviens au monde moderne, je pourrais bien finir par pouvoir enrouler mon doigt autour du doigt de Mitsuki. Yuuto avait souri avec un sourire ironique. L’image de cet avenir paisible lui paraissait si belle... et si lointaine.
Dans un cas comme dans l’autre, Yuuto avait surmonté ce qui était actuellement son plus grand obstacle.
***
Partie 2
L’été, plein de conflits et de bouleversements avaient pris fin, et un automne généreux approchait.
« Aaaugh ! Laissez-moi un peu de temps ! C’est beaucoup trop tout ça, » Yuuto s’était effondré face contre le bureau, qui était couvert par une montagne de documents.
Quand tout avait été dit et fait, Yuuto avait un fort sens des responsabilités, alors il était assez rare qu’il se plaigne à haute voix. Cependant, dans cette situation il n’y avait rien d’autre à faire.
Avant qu’il n’ait eu la chance de faire face aux conséquences de la bataille avec le Clan de la Corne, il avait été précipité dans une campagne contre le Clan du Sabot envahissant. Il y avait donc maintenant une montagne d’affaires en suspens qui nécessitaient son jugement en tant que patriarche et qui devaient être résolues.
De plus, il était à peu près l’heure de la fête annuelle de la moisson de son clan. Cette année, c’était aussi une célébration de leur victoire contre le Clan du Sabot, alors ils planifiaient quelque chose de particulièrement somptueux.
Avec toutes les préparations supplémentaires, la quantité de travail était suffisante pour lui faire tourner la tête.
« Je suis désolée de te demander cela alors que tu es déjà si fatigué, » lui déclara Félicia avec une expression douloureuse, « Mais dans tous les cas, tu dois finir de mémoriser cette prière rituelle... » Elle lui avait tendu une note de service en papier.
« Arrrrrghhhhhhhh…, » Yuuto avait répondu par un gémissement pathétique.
Au cours des deux dernières années, il avait appris à parler le plus gros de la langue d’Yggdrasil, mais ces prières rituelles qu’il devait apprendre étaient pleines de mots qui n’étaient pas utilisés dans un discours normal, et il avait du mal avec eux.
Ils ne seraient pas si difficiles à apprendre s’ils étaient des mots dont il connaissait la signification, mais pour lui, ils ressemblaient à une chaîne de sons inintelligibles, et ne restaient pas dans sa tête.
« Désolé de t’avoir fait faire ça autant de fois, Félicia », gémit-il. « Tu dois aussi être fatiguée. »
« Oh ! Non, tout va bien. Cela signifie après tout que j’ai plus de temps pour avoir mon Grand Frère pour moi toute seule. En fait, ça me conviendrait si tu continuais à faire beaucoup d’erreurs. » Elle l’avait dit tout en lui jetant un regard suggestif depuis le côté.
Depuis leur retour de Fólkvangr, Félicia avait agi un peu différemment. Elle s’était encore plus impliquée dans les besoins de Yuuto qu’elle ne l’avait été auparavant, tout en souriant et en semblant vraiment en profiter.
Quand Yuuto lui avait dit qu’elle était sa confidente de confiance, cela avait dû vraiment la rendre heureuse. Le fait de constater cela avait fait que Yuuto se sentait un peu mal à l’aise de l’avoir fait.
« Non merci, » déclara-t-il. « Si on échoue à ce point, ce ne sera pas cool. »
Il fronça les sourcils et commença à réciter la prière une fois de plus, puis se rendit compte que son humeur était devenue un peu plus détendue et que sa tête était un peu plus claire.
Parce qu’il s’était senti mal à l’aise de demander à Félicia de l’aider pour apprendre, il avait essayé trop fort d’apprendre les lignes rapidement et s’était précipité de lui-même. Avec un tel travail, s’impatienter n’avait fait qu’entrer dans un cercle vicieux.
Les paroles de Félicia avaient probablement été prononcées par égard pour lui. Comme toujours, Yuuto avait trouvé son incroyable dévouement à cet égard, mieux que ce qu’il méritait venant d’un adjudant.
« Eh bien, tu as raison, Félicia, » déclara-t-il. « Quelques lignes floutées ne tueront personne. »
Les jugements qu’un patriarche devait rendre avaient toujours des conséquences graves, de vie ou de mort pour quelqu’un, que ce soit directement ou indirectement. Cependant, le fait de gâcher quelques lignes d’un récital de prière n’allait en aucun cas causer une grosse affaire. En y pensant de cette façon, on pourrait dire qu’un travail ennuyeux comme celui-ci était le prix de la paix, et il l’accepterait avec reconnaissance.
Juste au moment où Yuuto s’approchait de ces pensées — .
« Père ! Je te demande pardon, mais je dois te voir ! » Une voix rauque l’appela et la porte du bureau du patriarche s’était ouvert avec une grande force.
« Mm ? C’est toi, Second ? » Yuuto leva les yeux pour voir le commandant en second du Clan du Loup, Jörgen, entrer dans la pièce, en soufflant violemment alors que sa respiration était désordonnée.
Venant du Japon, Yuuto avait eu beaucoup de mal à s’adresser à quelqu’un de plus âgé que lui par son nom, sans aucune forme d’honneur. Pendant un certain temps, il avait essayé d’ajouter « monsieur », mais cela ne s’était pas bien passé, alors récemment, il avait commencé à utiliser une abréviation du titre du poste de Jörgen à la place.
Jörgen était un homme d’apparence féroce au début de la quarantaine, mais malgré son apparence, il était bon pour s’occuper des autres et ses subordonnés étaient très attachés à lui. Lorsque Yuuto avait voyagé à l’étranger, Jörgen avait servi en tant que patriarche intérimaire et avait gouverné Iárnviðr à sa place. C’était un homme digne de confiance et honnête.
« Qu’est-ce que c’est ? Que s’est-il passé ? » demanda Yuuto, ressentant déjà un pressentiment.
Dans des circonstances normales, Jörgen l’aurait appelé de l’extérieur de la pièce et aurait attendu sa permission avant d’entrer. Il n’aurait pas violé le décorum en faisant irruption comme ça. Cela signifiait que tout ce qui se passait devait être quelque chose de terriblement important.
Jörgen n’avait pas fait de pause. L’élan qu’il avait produit par l’ouverture de force de la porte l’avait porté directement aux côtés de Yuuto.
« Père ! Aide-moi, s’il te plaît, » plaida-t-il d’une voix désespérée. « Mon enfant ! Mon enfant va être tué ! »
***
Partie 3
Alors qu’il était conduit par Jörgen, Yuuto avait couru vers la porte du château.
Alors qu’il s’approchait de là, il pouvait entendre une sorte de bruit rauque venant de l’extérieur de la porte. Il commençait déjà à faire nuit, mais il semblait y avoir beaucoup de monde rassemblé là.
Il y avait une excitation fervente dans l’air qui rappelait en quelque sorte à Yuuto le champ de bataille. C’était étrangement menaçant.
Alors qu’il était complètement essoufflé, il passa par la porte, et comme il le fit, ses yeux rencontrèrent ceux d’un homme de l’autre côté.
L’homme était peut-être âgé d’environ trente ans, et la lueur dans ses yeux était perçante et froide, comme celle d’un loup assoiffé de sang.
Il était habillé tout en noir, avec des cheveux bruns foncés qui descendaient en cascade jusqu’aux épaules. Il était grand et élancé, mais à y regarder de plus près, il était maigre et très pâle, presque maladif. Quelque chose chez lui semblait étrange.
À ses pieds, un homme plus jeune ligoté avec une corde et bâillonné avec un tissu se trouvait là. L’homme en noir tenait une épée pressée à l’arrière du cou du jeune homme ligoté, tout en restant silencieux. C’était comme s’il était la Faucheuse venue prendre l’âme de l’homme.
« Skáviðr, attends ! J’ai amené Père jusqu’ici ! » Jörgen l’avait appelé, interrompant la scène.
En entendant cela, l’homme appelé Skáviðr regarda son frère aîné assermenté avec un air d’ennui total. « C’est mon travail. Je vous serais reconnaissant si vous n’interveniez pas. Et je ne peux pas croire que vous soyez allé jusqu’à faire en sorte que notre seigneur se donne la peine de venir jusqu’ici en personne. »
« Vous aviez cru que je laisserais faire ça ! » ? Jörgen avait crié, brûlant de rage. « Quel parent resterait là pendant que son enfant est tué sans essayer de le protéger !? » Il se tenait debout devant l’adolescent ligoté.
De toute évidence, ce garçon avait prêté le Serment du Calice pour devenir l’enfant juré de Jörgen. En d’autres termes, il était un jeune membre de la propre faction ou « famille » de Jörgen au sein du grand Clan du Loup.
« Hé, assistant du second, » déclara Yuuto, s’adressant à Skáviðr. « Pour l’instant, expliquez-moi ce qui se passe. Cet individu a-t-il fait quelque chose ? »
Yuuto avait déjà une idée de ce que pourrait être la situation, et il avait un fort sentiment que ce ne serait pas agréable, mais il avait quand même demandé.
« ... Alors, vous l’avez amené ici sans même lui fournir une explication ? » Skáviðr demanda à Jörgen avec dédain.
« Et comment aurais-je pu avoir le temps pour ça ? » Jörgen avait répondu à son tour par un regard de haine pure et simple.
Yuuto avait poussé un soupir exaspéré. Regardant de son côté, il avait vu que Félicia affichait aussi une expression troublée.
Félicia se disputait souvent avec Sigrun, mais on pourrait dire que c’était le combat qui se déroulait entre deux personnes proches. Au fond d’elles-mêmes, elles se reconnaissent et s’acceptaient l’une et l’autre. Les deux hommes qui se regardaient l’un et l’autre devant Yuuto ne donnaient pas cette impression. L’air entre eux était épais et d’une intensité meurtrière.
Le titre officiel de Skáviðr était « l’assistant du commandant en second » et, par conséquent, son rôle était d’assister et de soutenir le commandant en second du clan dans l’exercice de ses fonctions. Et pourtant, sa façon de penser était complètement opposée à celle de Jörgen, de sorte que les deux étaient enclins à finir en désaccord l’un avec l’autre.
Comme les officiers des positions numéro deux et numéro trois du clan avaient de lourdes responsabilités, leur relation n’avait fait que tourner de plus en plus vers l’hostilité au fil du temps.
« J’ai dit, expliquez-vous. » Yuuto avait haussé la voix et avait reformulé sa demande en tant que commandement.
Skáviðr n’avait pas prêté l’oreille aux supplications de son frère assermenté et de son supérieur, mais il ne pouvait ignorer un ordre de son Patriarche. « On a découvert qu’au cours de son retour de la bataille, cet homme est entré dans un village de notre allié, le Clan de la Corne, où il a commis divers actes de violence. »
« Tch... ! » Yuuto avait fait claquer sa langue et son visage s’était déformé de dégoût.
Les actes de pillage et de violence perpétrés par une armée contre les habitants locaux faisaient partie intégrante de la guerre dans cette région.
Évidemment, la mort était définitive et absolue. Ceux qui étaient constamment exposés à la menace de mort avaient dû faire face à une quantité incroyable de stress. Sans un moyen de se défouler, ce stress s’accumulerait jusqu’à un point de rupture, et les troupes mécontentes seraient incapables de fonctionner efficacement.
C’est pourquoi, depuis l’Antiquité jusqu’à l’histoire récente, les actes de pillage et de viols avaient servi en quelque sorte de récompense pour les troupes qui avaient risqué leur vie au combat. En d’autres termes, les soldats de ce monde antique ne considéraient pas de tels actes comme moralement répréhensibles.
Une fois la victoire remportée, les soldats pouvaient entrer dans les villes et les villages capturés, voler et tuer les gens qui s’y trouvaient, se frayer un chemin dans n’importe quelle femme et satisfaire leurs désirs tant qu’ils le voulaient. C’était considéré comme leur droit du vainqueur en tant que soldats, et tout le monde considérait ça comme allant de soi.
Bien sûr, Yuuto ne pourrait pas accepter de telles valeurs. Cependant, essayer de les réfuter avec le bon sens du XXIe siècle n’avait pas de sens. La réalité de la vie ici était cruelle et sans cœur. Des arguments idéalistes et de jolis mots ne fonctionneraient pas du tout.
« Par conséquent, conformément aux lois du Clan du Loup, j’étais sur le point de procéder à son exécution, » avait dit Skáviðr, ses mots faisant allusion au changement de loi que Yuuto avait fait.
Le changement était le suivant : une loi absolue et sans compromis.
Plutôt que d’argumenter sur la base de ses propres sentiments naïfs, Yuuto avait utilisé sa position de patriarche pour surmonter la dure réalité ici.
Pendant la période des États belligérants de la Chine, l’une des écoles de pensée classique qui avait émergé était la philosophie qui, plus tard, avait été connue sous le nom de Fa-Jia, ou Légalisme.
Contrairement à un système où un administrateur ou un fonctionnaire attribuaient arbitrairement des récompenses et des punitions fondées sur la morale personnelle, le légalisme préconisait un ensemble de lois impersonnelles, strictes et rigides qui formaient la base d’une société gouvernante ; en d’autres termes, un gouvernement constitutionnel.
Après que Shang Yang, qui était pratiquement l’incarnation des idéaux du légalisme, soit devenu Premier ministre de l’État de Qin, ce qui avait été autrefois un pays faible et non civilisé, avait renaît en tant qu’un État puissant et prospère avec un système centralisé de droit et de gouvernement. Il avait été dit que ce système de droit était le fondement sur lequel le premier empereur de Qin avait plus tard unifié toute la Chine et avait commencé la dynastie Qin.
Au cours de cette même période, il y avait beaucoup d’autres exemples de Premiers ministres légalistes dont le leadership et les réformes avaient amené leurs états à leur apogée : par exemple, Zichan de l’état de Zheng, Guan Zhong de Qi, Shen Buhai de Han, et Wu Qi de Chu. Mais après leur mort, lorsque les lois qu’ils avaient promulguées avaient commencé à perdre leur autorité ou leur respect, leur pays était finalement retombé dans le déclin.
Dans le monde du XXIe siècle d’où venait Yuuto, les nations les plus développées suivaient aussi certains principes de constitutionnalisme et de primauté du droit. Les pays qui ignoraient leurs propres lois et étaient gouvernés par une junte autoritaire étaient devenus des cibles de ridicule et de mépris.
Le fait que la primauté du droit soit supérieure à la primauté de l’homme avait depuis longtemps été clairement confirmé par l’histoire. Pour qu’une nation plus petite et plus faible comme le Clan du Loup survive dans un monde de chaos et de guerre, afin de rendre leur nation prospère et forte, Yuuto avait conclu qu’un gouvernement fondé sur la primauté du droit était indispensable.
« Grand Frère, vous êtes le commandant en second du Clan du Loup, » déclara Skáviðr, se tournant vers Jörgen, « un homme assez admirable pour qu’on lui fasse confiance pour agir à la place du Patriarche. J’espère que vous ne me dites pas que vous ne connaissez pas nos lois ? »
« Ngh... ! » Jörgen avait fait un grognement bas et il s’était éloigné légèrement du regard aiguisé de Skáviðr. Il semblait que cette remarque avait coupé profondément en lui. « D’accord ! Je vais lui faire porter une épée en bois sur le dos, et m’assurer qu’il ne fera plus jamais quelque chose comme ça, alors s’il vous plaît, laissez-le partir avec ça ! »
Faire porter une épée de bois sur le dos de quelqu’un était une expression propre à Yggdrasil, faisant référence à une punition par laquelle on frappait le dos du criminel avec une épée de bois encore et encore. C’était l’une des punitions les plus sévères qu’un supérieur pouvait infliger à son subordonné.
« Hmph, comme c’est doux ! » Skáviðr avait rejeté l’idée avec un petit rire méprisant. « La loi du Clan du Loup exige la peine capitale pour ceux qui violent des femmes ou des enfants. Et ce serait une chose en territoire ennemi, mais c’était dans notre pays-frère. Il n’y a pas de circonstances atténuantes à considérer ici. »
Yuuto n’était pas un expert dans le domaine du droit. Il n’aurait pas été capable de créer un ensemble de lois détaillées, pas plus, qu’un ensemble complexe et nuancé de lois n’aurait pu pénétrer une population qui n’avait pas l’habitude de penser que la primauté du droit était absolue.
Yuuto s’était inspiré de choses comme le Code d’Ur-Nammu et le Code d’Hammurabi, ce qui serait plus approprié pour cette époque. Les lois et les punitions qu’il avait établies portaient principalement sur des choses comme le meurtre, le vol, les voies de fait, les crimes sexuels, la destruction des terres agricoles et le respect des ordres militaires. En particulier, les crimes de meurtre, de vol qualifié, de viol et de violation des ordres militaires étaient passibles de la peine capitale.
« À l’origine, cela aurait dû être votre devoir, Grand Frère, » déclara Skáviðr avec sang-froid. « Mais en tant que parent, vous auriez bien sûr des sentiments pour votre enfant. C’est pourquoi, en tant que responsable des exécutions, je propose de le faire pour vous. Maintenant, si vous comprenez, je voudrais que vous vous mettiez de côté. »
Skáviðr avait posé une main sur l’épaule de Jörgen et l’avait poussé avec force d’un côté.
Jörgen s’était précipitamment retourné et avait saisi l’épaule de Skáviðr, s’accrochant à lui dans une tentative de le retenir.
***
Partie 4
« Attendez ! » Jörgen avait crié. « Ce jeune homme, c’est l’un des meilleurs guerriers vétérans de la famille Jörgen, et j’ai jugé qu’à l’avenir, il pourrait être digne d’échanger directement le Serment du Calice avec notre Père. S’il mourait maintenant, nous perdrions quelqu’un de précieux pour l’avenir du Clan du Loup. »
« Il est vrai qu’il a obtenu beaucoup de réalisations militaires, » s’interrogea Skáviðr en regardant froidement le jeune homme à ses pieds.
Contrairement aux louanges des deux hommes, l’homme ligoté et bâillonné avait l’air impuissant et pathétique. Cela dit, Yuuto savait que c’était seulement parce que son adversaire avait été trop fort.
Contrairement à son apparence maladive, Skáviðr était un Einherjar avec une rune appelée Dáinsleif, « la Lame Ensanglantée », et il était aussi l’ancien Mánagarmr. L’année dernière, il avait perdu le titre de plus fort dans le Clan du Loup au profit de Sigrun, mais il était encore indubitablement un adversaire pour elle sur le champ de bataille. Même avec une certaine capacité, le jeune soldat n’aurait eu aucune chance contre Skáviðr. Il n’y avait pas d’autre issue possible pour lui que la capture rapide et sans effort par son adversaire.
« C’est vrai que cette fois son comportement a peut-être un peu dérapé, mais cela arrive souvent chez les plus talentueux, car leur vigueur les fait agir avec trop de hâte », avait plaidé Jörgen. « On pourrait dire que ce sont les deux faces d’une même pièce. Il s’agit de la preuve qu’il a un avenir prometteur devant lui. Et rien que dans le dernier combat, il nous a apporté des gains significatifs sur le champ de bataille. Avec cela à l’esprit, ne pourriez-vous pas alléger sa peine ? »
« Hm... récompenser suffisamment ceux qui apportent le succès est aussi la loi du Clan du Loup. » Skáviðr semblait se relâcher un peu.
Personne ne servirait longtemps sous la direction d’un chef qui n’avait fait que le « bâton » représentant les punitions sévères. Si c’était tout ce que le leader faisait, les sentiments de frustration et de mécontentement s’accumuleraient, et cela mènerait éventuellement à l’animosité envers le dirigeant. Ainsi, le Clan du Loup offrait des récompenses pour remplacer l’acte de pillages et de viols. Tous ceux qui avaient participé à une bataille avaient reçu de l’argent ou d’autres biens matériels ou fournitures. C’était une « carotte » rendue possible par le pouvoir économique qu’ils avaient acquis grâce au commerce de marchandises telles que la farine moulue et le papier.
Si le jeune guerrier avait eu autant de succès que les deux hommes plus âgés l’avaient reconnu, son salaire devrait être assez élevé. En effet, à Yggdrasil, où l’esclavage était une pratique courante, cela suffirait littéralement d’acheter plusieurs fois la vie d’une personne.
« Oui, c’est vrai, n’est-ce pas ? » Jörgen, en constatant Skáviðr était d’être d’accord avec lui, avait commencé à avoir de l’espoir. « Alors, vous allez... Qu’est-ce que... ? »
Frappe !
L’épée de Skáviðr frappa impitoyablement au niveau du cou du jeune homme, d’où avait jailli du sang frais.
« Mon Seigneur, » déclara-t-il en se tournant vers Yuuto, « Je demanderais que la famille restante de cet homme reçoive une récompense généreuse et appropriée. »
Skáviðr avait parlé sans passion, après avoir tué un homme et avoir été aspergé de son sang sans le moindre changement dans son expression faciale. Il avait retiré le sang de son épée d’un coup rapide et l’avait remis dans son fourreau — .
Jörgen, son visage teint en rouge d’indignation, avait dégainé son épée et pointait le bout droit sur Skáviðr.
« Qu’est-ce que vous croyiez faire ? » Skáviðr demanda froidement, ne trahissant aucune émotion.
« Je devrais vous demander la même chose ! On n’avait même pas fini de parler ! Pourquoi l’avez-vous tué ? » demanda Jörgen.
« Les récompenses et les punitions sont des affaires distinctes, et je ne suis que le fonctionnaire chargé des exécutions, » avait froidement déclaré Skáviðr. « J’ai simplement accompli l’étendue de mes fonctions officielles. Il y a un problème avec ça ? »
« Espèce de salaud ! » Jörgen avait jeté tous les derniers restes de sang-froid et s’était perdu dans la rage.
Aucun parent ne regarderait son enfant se faire tuer et ne serait pas en colère. Il avait même été dit que les enfants les plus stupides étaient les plus aimés. Et selon les coutumes d’Yggdrasil, le lien du Calice était plus fort que celui du sang.
Jörgen avait élevé ses subordonnés au sein du clan de la même façon que s’ils étaient ses propres enfants de chair et de sang, et ils avaient sans doute aussi franchi la ligne de démarcation entre la vie et la mort sur le champ de bataille, devenant souvent des camarades aussi bien que de la famille. La profondeur et la force de ce lien étaient quelque chose qu’un étranger ne pourrait jamais espérer savoir.
« H-Hey, tous les deux ! Attendez ! » Yuuto, face à une situation qui menaçait soudainement de déborder, avait paniqué et avait tenté d’interrompre les deux, mais — .
« Oui, c’est vrai, vous n’aviez pas besoin de le tuer ! » avait crié quelqu’un dans la foule.
« C’était un héros ! Il a montré la force du Clan du Loup à nos ennemis ! »
« Mais ne vouliez-vous pas juste faire du mal à notre commandant en second !? »
« Ahh, ça doit être ça. Vous ne pouvez pas attaquer directement le commandant en second, alors vous utilisez des excuses pour trouver des fautes avec son subordonné. Il n’y a rien de plus laid qu’un homme jaloux, vous savez ! »
« Seigneur Jörgen, donnez une leçon à ce bâtard, coupez-le en deux ! »
Les cris de raillerie des masses rassemblées autour d’eux avaient noyé la voix de Yuuto.
Chacun d’entre eux avait exprimé sa sympathie pour le jeune homme tué, et avait jeté des insultes sur Skáviðr qui avait procédé à son exécution. Pour les gens d’ici, il y avait probablement encore beaucoup de haine et de peur envers leur ancien ennemi de longue date, le Clan de la Corne.
« Hmph. Eh bien, mon travail ici est terminé. Je suppose que je devrais partir, puisqu’on ne veut pas de moi. » Avec un haussement d’épaules, Skáviðr s’était brusquement retourné sur son talon pour partir. Il avait délibérément laissé son dos exposé à Jörgen, qui avait encore une lame pointée sur lui.
Le commandant en second était le chef des subordonnés directs du patriarche, et aussi un candidat pour être le prochain patriarche. Si Jörgen l’attaquait dans un tel état, ce serait un acte de disgrâce ultime.
Skáviðr l’avait peut-être fait parce qu’il le savait, mais il était également vrai que s’il devait être attaqué maintenant par-derrière, il serait abattu avec facilité. Pour qu’il tourne de toute façon le dos à Jörgen dans cette situation, sans le moindre changement d’expression, il lui fallait certainement un certain niveau de cran.
« Oh, c’est vrai. » Juste au moment où il passait la porte, Skáviðr s’était arrêté et avait regardé par-dessus son épaule pendant un moment. « Je ferais mieux de le dire maintenant pour le bien de vous tous, imbéciles. Si l’un d’entre vous fait quelque chose pour attirer mon attention, ne pensez pas un seul instant que vous en sortirez vivant. Si vous ne voulez pas que votre sang devienne une tache sur ma lame, vous feriez mieux de suivre la loi. Faites ça, et vous n’aurez pas à vous occuper de moi. Hehe hehe hehe... »
Pendant qu’il parlait, son visage était incrusté d’un sourire cruel et impitoyable. Après un moment, Skáviðr passa calmement par la porte vers le parc du palais.
Une vague de peur avait réduit au silence le tumulte de la foule, et tout à coup, le calme était tel que l’on pouvait entendre une mouche volée. Une fois Skáviðr complètement disparu de la vue, leurs plaintes éclatèrent à nouveau.
« Vous avez vu ça ? Il a aussi ri comme ça lors d’une précédente exécution ! »
« Eh bien oui, c’est après tout le “Boucher Ricanant” Níðhǫggr. Ce salaud adore tuer les gens. »
« Non seulement ça — . D’après ce que je sais, il se promène en ville tous les jours à la recherche de quelqu’un qu’il peut tuer. Gaaah, ça me donne la chair de poule ! »
Des mots de ressentiment et de dépit étaient sortis des lèvres de tout le monde.
Pendant que Yuuto écoutait, il fit disparaître les mots qu’il sentait lui-même sur le point de dire en réponse. Il devait se souvenir de son premier devoir. Se laisser submerger par ses émotions ici serait un gaspillage insensé du sacrifice qui venait d’être fait. Il y avait autre chose qu’il devait faire maintenant.
« Je suis désolé, » Yuuto s’agenouilla à côté du jeune mort, plaçant une main sur la poitrine, avant d’offrir une prière silencieuse.
D’ordinaire, selon les valeurs de ce monde, ce qu’il avait fait était parfaitement normal et banal. Bien sûr, il y avait beaucoup de gens qui avaient exprimé leur désapprobation face à de tels actes, mais même ces individus auraient fini par le rationaliser comme étant quelque chose qu’ils ne pouvaient rien faire pour faire changer.
En tant que personne qui avait apporté des valeurs étrangères d’une autre époque et les avait imposées aux personnes d’ici, Yuuto sentait qu’il avait l’obligation d’offrir au moins ses condoléances à une victime de ce changement.
De plus, c’était l’enfant juré de Jörgen, comme Jörgen l’était pour Yuuto. Ils n’avaient peut-être pas échangé directement le Serment du Calice, mais il avait toujours été quelque chose comme le petit-fils de Yuuto.
« Protégez votre famille. » C’était censé être la croyance personnelle de Yuuto, mais loin de protéger le garçon, c’était la loi que Yuuto avait établie qui l’avait tué.
Mais tant que Yuuto était patriarche, il devait s’efforcer d’atteindre le bonheur du plus grand nombre. Il ne pouvait pas se permettre de donner la priorité à son désir de protéger sa famille si cela signifiait que des citoyens innocents seraient lésés dans le processus. Car les citoyens aussi étaient la famille de Yuuto.
Ce qui aide l’un pouvait nuire à l’autre, comme le disait le vieil adage. Lorsque deux devoirs égaux étaient en conflit, on n’avait pas d’autre choix que de choisir son camp. Il n’y avait rien d’autre qu’il aurait pu faire. Mais même s’il n’y avait rien d’autre qu’il n’aurait pas pu faire...
Les émotions de Yuuto l’individu et la raison d’être de Yuuto le patriarche s’affrontaient, laissant un sentiment de contradiction sans espoir. Qu’est-ce que je fais ? Le vide et le dégoût de soi avaient traversé son cœur.
Son angoisse visible donnait une impression très différente aux individus rassemblés devant la porte du château.
« Quelle gentillesse ! Regarde comme il pleure la mort d’un seul membre de son clan. »
« En effet, c’est exactement pour cela que les braves combattants du Clan du Loup l’admirent comme Père malgré sa jeunesse. Franchement, c’est un homme d’une dimension si différente de celui de Níðhǫggr ! »
« Nous devrions aussi offrir nos prières à ce jeune homme malchanceux. »
« Ohh, tu as raison ! »
En s’inspirant de Yuuto, les autres avaient posé une main sur leur propre poitrine et avaient commencé à prier en silence. Quelques-uns avaient été émus jusqu’aux larmes.
Je ne suis pas un grand homme de caractère comme vous le pensez ! Yuuto voulait le crier à haute voix. Mais même s’il le faisait, il n’aurait aucune possibilité de s’expliquer.
Yuuto avait serré durement les dents, incapable de résoudre ses sentiments désespérés.
***
Partie 5
« Eh bien, cet homme est plus terrifiant que jamais, » murmura Félicia une fois qu’elle et Yuuto étaient de retour dans le bureau du patriarche. Elle avait alors poussé un long soupir de soulagement.
Normalement, Félicia saluait n’importe quel officier du Clan du Loup et échangeait au moins quelques mots avec eux. Au lieu de cela, elle s’était contentée d’un simple signe de respect de sorte que cela indiquait qu’elle avait vraiment du mal à traiter avec Skáviðr.
« Excusez-moi, Père, j’arrive. » Dès que la voix froide et digne de Sigrun avait annoncé sa présence de l’extérieur, la porte du bureau s’était ouverte avec un ka-chack, et elle était entrée dans la pièce.
Sigrun portait presque toujours une expression sévère, avec une aura froide et tranchante comme une lame autour d’elle, mais ce n’était rien à voir avec l’aura sinistre de Skáviðr. C’était plutôt une sorte de beauté froide qui inspirait à la fois la peur et le respect.
« Père, les envoyés sont arrivés du Clan de la Griffe, et ils souhaitent une audience avec vous », avait-elle annoncé.
« Ils ont été envoyés par Botvid ? » Yuuto avait dit avec une grimace.
Botvid était le patriarche de leur nation voisine, le Clan de la Griffe. Yuuto avait réussi à forcer son allégeance, le prenant pour un jeune frère assermenté, mais derrière son sourire amical, on ne pouvait jamais dire ce que l’homme complotait vraiment. C’était un homme face à qui Yuuto ne pouvait pas se permettre de baisser la garde.
« C’est peut-être un bon changement de rythme, » déclara Yuuto, les bras derrière la tête et le dos tendu. Après l’épreuve de tout à l’heure, il se sentait encore un peu déprimé. « Sont-ils dans la salle d’audience ? »
« Oui, je vais chercher un chambellan et... ah ! » Alors que Sigrun se retournait vers l’entrée du bureau, elle avait sursauté en raison de la surprise.
Deux filles regardaient dans la pièce depuis le pas de la porte. Une fois que leurs yeux avaient rencontré ceux de Yuuto, elles s’étaient redressées puis elles étaient entrées dans le bureau sans hésiter. Elles semblaient être des enfants d’environ 12 à 13 ans, et elle avait une apparence tout à fait adorable. Yuuto avait remarqué qu’elles avaient des traits faciaux identiques.
« Des jumelles, hein ? » déclara-t-il. « Hé ! Vous deux, cette zone est interdite aux enfants ! »
Le palais central était la résidence du souverain du Clan du Loup. Naturellement, s’il ou elle avait des conjoints ou des enfants, ils vivraient aussi tous ici.
Cette zone était censée être hors limites pour que personne sans permission expresse ne puisse y entrer, alors Yuuto s’était dit qu’elles s’étaient perdues et qu’elles avaient erré accidentellement ici. Cependant...
« Lady Albertina ! Lady Kristina ! Je croyais vous avoir dit d’attendre dans la salle d’audience ! » Sigrun avait réprimandé poliment les filles, et Yuuto avait effectué un second regard vers elles.
En y regardant de plus près, leur tenue vestimentaire était quelque peu différente du style des vêtements portés par les membres du Clan du Loup. De plus, le tissu suspendu lâchement à leurs épaules semblait être fait de soie, ce qui indiquait qu’elles étaient les filles d’une personne de haut statut.
« Hehe hehe hehe, » l’une des filles avait gloussé. « Je voulais tout de suite voir le visage de mon mari. »
La fille qui avait dit cela avait ses cheveux avec une courte queue latérale à droite. Elle s’était ensuite frotté l’arrière de la tête et avait gloussé d’une innocence mignonne et authentique.
« Je suis désolée. J’ai essayé d’arrêter Al, mais elle a insisté. » L’autre fille avait délicatement levé une main sur sa joue pendant qu’elle parlait. Elle avait sa courte queue latérale sur le côté gauche, et avait aussi une expression plus maussade, contrairement à celle de sa sœur.
Choquée, Albertina se tourna vers sa sœur. « Quoi !? Mais Kris, c’est toi qui as dit qu’on devrait la suivre en secret ! »
« De quoi parles-tu ? Al, n’essaie pas de m’accuser de tes actes. » Kristina feignait l’ignorance, inclinant légèrement la tête comme si elle était perplexe. « N’étais-tu pas celle qui disait : “Je veux le voir, je veux le voir, je veux le voir, je veux voir houinnnnn”, et qui pleurniche comme une enfant gâtée ? »
« Ce n’est pas vrai !! D’accord, non, j’ai dit quelque chose comme ça, mais Kris, c’est toi qui l’as suggéré en première ! » répondit Albertina.
« Alors la vérité sort, » déclara Kris triomphalement. « En d’autres termes, tu l’as dit, n’est-ce pas ? »
« Eh bien, oui, je l’ai fait, mais, mais, mais…, » répliqua Albertina.
« Franchement, Al, tu dois t’excuser. Tu as offensé le patriarche du Clan du Loup. Regarde le chaos que tu as produit. Allez, vite, vite ! Excuse-toi. Ou bien est-ce que tu t’en fiches de ce qui arrivera aux membres du Clan de la Griffe !? » déclara Kristina.
« E-eehhhhhhhhhh !? Je suis vraiment désolée ! » Confuse, Albertina s’était excusée à profusion.
« Vraiment, je dois aussi m’excuser humblement pour la bavure négligente de ma bonne à rien de sœur, » avait poursuivi Kristina sans attendre qu’une seconde se soit écoulée.
« Hein ? Hein ? Attends ! Pourquoi tout est de ma faute maintenant ? » demanda Albertina.
« Al, tu es vraiment sans espoir, n’est-ce pas ? » Kristina ricana.
Albertina tourna la tête dans ce sens, complètement perdue quant à ce qui venait de se passer, tandis que Kristina semblait regarder sa sœur avec un sourire presque ravi.
C’est quoi, ces deux-là ? Yuuto se demandait, abasourdi. Félicia et Sigrun semblaient penser la même chose ; tous les deux s’étonnaient aussi dans le silence, leur bouche grande ouverte, ce qui était inhabituel pour eux deux.
À ce moment-là, la jeune fille nommée Kristina souleva doucement l’ourlet de ses vêtements, les laissant flotter autour d’elle alors qu’elle s’agenouillait gracieusement à genoux et avait incliné respectueusement la tête.
« Si je peux recommencer officiellement, je m’excuse de ne pas m’être présentée plus tôt. Je suis Kristina, fille de Botvid, patriarche du Clan de la Griffe. Voici ma sœur jumelle aînée, Albertina. Par ordre de Botvid, patriarche du Clan de la Griffe, nous sommes venues ici pour avoir l’honneur d’être vos épouses. J’espère que nous nous entendrons bien dans les nombreuses années à venir, » annonça Kristina.
« ... Quoi !? » Yuuto venait d’entendre quelque chose qu’il ne pouvait ignorer.
« Maudit soit ce vieux renard, » déclara Yuuto avec mépris. « C’est le genre de conneries qu’il préparait. »
Yuuto s’était penché sur le bureau, le menton dans ses mains. La première chose qui me vint à l’esprit fut sa conversation avec le patriarche du Clan de la Griffe après la Cérémonie du Calice de Yuuto et de Linéa. Botvid lui avait posé des questions sur ses perspectives de mariage, puis il a fait un suivi avec un « Eh bien, et ma fille ? » Il avait même dit : « Dites oui maintenant et je pourrais ajouter une seconde pour adoucir l’affaire. »
Bien sûr, Yuuto avait rejeté l’offre, ce qui aurait dû mettre fin au sujet. À l’époque, il soupçonnait le patriarche du Clan de la Griffe de préparer quelque chose pour avoir si facilement reculé, mais il ne s’attendait pas à une tactique agressive comme celle-ci... C’était comme un éclair bleu.
« Je ne suis pas sûr de ce qu’il attend de moi avec vous deux, étant donné que je n’ai jamais rien accepté vous concernant, » avait déclaré Yuuto. « Je vais devoir vous demander de rentrer chez vous. »
« Attendez ! Après avoir pris la peine de venir jusqu’ici, ce n’est pas équittttableeee ! » Albertina soufflait de l’air et faisait la moue.
Ce n’était pas le genre d’attitude qu’elle devrait adopter avec le patriarche d’un autre pays, et encore moins le frère aîné assermenté de son propre patriarche. Mais, son innocence débridée avait fait qu’il était facile de penser qu’après tout, elle est juste une enfant, alors que pouvons-nous y faire ? Et de l’ignorer.
Quant à l’autre, la sœur au visage calme, elle affichait une impression très différente.
« C’est vrai, » avait dit Kristina. « Pendant tout le voyage, Al a dit des choses comme : “Apparemment, c’est une personne incroyable. Mais j’ai aussi entendu dire qu’il est assez effrayant” et “Ohhh, j’espère vraiment qu’il est beau” et même “Albertina, je t’aime. Maintenant, deviens ma fiancée !” “Ohh, Seigneur Yuuto !” À la fin, elle affichait un spectacle pathétique d’une femme toute seule que c’était vraiment douloureux à regarder. J’aimerais vraiment que vous preniez ses sentiments en considération. »
« K-Kris, j’aimerais que tu réfléchisses à ce que je ressens à propos de ce que tu lui dis ! » cria Albertina.
« ... Snrk. Hehe hehe hehe, » ricana Kristina.
« Et j’aimerais que tu ne ricanes pas comme si tu te moquais de moi ! » cria Albertina.
« ... »
« Ne me regarde pas avec pitié dans les yeux sans rien dire ! » cria Albertina.
« Al, tu es ennuyeuse, et dégoûtante, » cria Kristina.
« Quand tu dis ça de vive voix, c’est aussi très blessant ! » cria Albertina.
Pour une raison inconnue, Kristina poussait émotionnellement sa sœur au pied du mur.
Alors qu’Albertina s’affaissait, pleurait à moitié et traçait un cercle sur le sol avec son index, Kristina la regardait avec un regard empli d’extase. Ses joues étaient rouges et elle tenait son propre corps tremblant avec les deux bras, comme si elle essayait de supprimer les frissons de plaisir.
« Oh Al ! Tu es vraiment sans espoir. Mais ne t’inquiète pas, je n’abandonnerais jamais ma douce et désespérée sœur. Je serai toujours là pour t’aider quand tu auras besoin de moi, maintenant et pour toujours. » Kristina commença à tapoter Albertina sur la tête, la consolant.
Yuuto se frotta les yeux ; pendant une seconde, il était sûr d’avoir vu une paire d’ailes en forme de chauve-souris sur son dos et une queue pointue sortir de sa jupe. En tant que témoin direct de leur échange, il ne pouvait que penser, vous avez beaucoup de culot de dire cela quand vous êtes celle qui l’avait tourmentée. Cependant...
« Kriiis — ! Merci, merci ! Désolée d’être une si mauvaise sœur. S’il te plaît, j’espère que tu continueras à t’occuper de moi ! » déclara Albertina.
Albertina avait alors enlacé sa sœur, étouffant des sanglots et pleurant des larmes de gratitude. Elle semblait complètement inconsciente du fait que sa sœur l’avait complètement piégée. Cette fille était si pure et douce qu’elle n’avait pas la capacité de douter des autres. Ou, pour dire les choses moins gentiment, elle était un peu simplette.
« Hee hee hee hee hee. Al, tu es si adorable, » déclara Kristina tout en retournant l’étreinte. Elle tapota tendrement le dos d’Albertina, tout en affichant un sourire impeccablement doux qui convenait bien à un petit diable.
Au début, son comportement avait fait que Yuuto se demandait si elle détestait sa jumelle, mais il semblerait que ce n’était pas le cas. Il semblait que Kristina avait une véritable affection pour Albertina ou peut-être même un peu trop d’affection. C’était juste un amour incroyablement tordu et étrange.
« On dirait que nous avons des personnes bizarres de première classe sous les mains, » déclara Yuuto avec un soupir fatigué, en gardant sa voix basse pour que les jumelles n’entendent pas.
Félicia avait fait un sourire ironique et s’était penchée pour lui chuchoter à l’oreille. « Il serait tentant de soupçonner qu’il a offert ses filles comme épouses pour qu’il puisse se débarrasser de leur nuisance. »
« Je suis d’accord », répondit Yuuto en hochant légèrement la tête.
« Nous traiter de nuisibles est une remarque que nous ne pouvons ignorer ! » s’exclama Kristina.
« Ouais, on ne peut pas l’ignorer ! » Albertina avait ajouté.
Kristina et Albertina avaient soudainement haussé la voix de façon synchronisée et avaient poussé leurs paumes droite et gauche, respectivement, vers Yuuto. Avec leurs mains opposées respectives au niveau des hanches, elles avaient pris une pose symétrique.
Dans une volte-face de son tempérament calme et recueilli, Kristina lui avait soudain crié dessus avec une colère débordante, « Ne me mettez pas dans la même catégorie que quelqu’un comme Al ! »
« C’est pour ça que tu es en colère !? » s’écria Albertina.
« Je n’ai jamais été aussi insultée de toute ma vie, » déclara Kristina.
« Est-ce si mauvais pour toi !? » Albertina avait pleurniché en demandant ça.
« Parce qu’Al est, elle est... oh…, » déclara Kristina.
« Pourquoi me dénigres-tu ainsi !? Maintenant, j’ai vraiment besoin de savoir ! » demanda Albertina.
« ... Je suis désolée. Je ne pouvais pas le dire parce que ce serait trop triste pour que tu l’entendes, » répondit Kristina.
« Qu’est-ce que c’est ? » demanda Albertina.
Alors que les larmes commençaient à monter aux yeux d’Albertina, Kristina se détourna d’elle avec un regard douloureux. Naturellement, une fois son visage avait été détourné de la vue de sa sœur, Yuuto pouvait voir un sourire maléfique se répandre sur elle.
« Okaaay... » Yuuto avait regardé avec une expression raide pendant que la conversation s’éloignait de nouveau de lui.
Parler avec ces deux filles semblait vraiment le déconcerter. Franchement, il commençait à avoir l’impression de les laisser faire, mais il n’était pas en mesure de le faire maintenant.
« Avez-vous entendu tout ce que nous nous disions l’un à l’autre ? » demanda-t-il. Ils étaient, après tout, des envoyés du Clan de la Griffe, donc Yuuto avait pris soin de parler doucement avec Félicia pour qu’elles n’entendent pas. Le mot « nuisance » que les jumelles avaient cité avait été discrètement murmuré directement à son oreille. C’était un peu difficile à croire que leur ouïe était assez bonne pour entendre ça.
« Hehe hehe hehe hehe, il se trouve que nous sommes toutes les deux Einherjar ! » Albertina avait déclaré ceci avec un regard de triomphe, gonflant sa poitrine plate avec fierté.
La phrase qui vint immédiatement à l’esprit de Yuuto était « donner de la confiture aux cochons », mais comme il venait de l’entendre, il avait fait preuve de retenue et l’avait gardé pour lui seul.
« Je porte la rune Veðrfölnir, le Silencieux des Vents, et ma sœur Al porte Hræsvelgr, le Provocateur des Vents. Seigneur Yuuto, s’il vous plaît, utilisez mon pouvoir sur votre chemin de conquêtes. »
« Bien, s’il vous plaît, utilisez-la..., attends, Kris, pourquoi on lui dit d’utiliser que le tien !? » s’exclama Albertina.
Quant à Kristina, les mots « une folle avec un couteau » semblait les plus appropriés selon Yuuto, mais bien sûr, il était assez sage de garder sa bouche bien fermée. Il préférait éviter de faire quoi que ce soit qui créerait même une mince chance d’être la cible de ses agressions verbales.
Yuuto avait pris une longue et profonde respiration et il rassembla ses pensées.
Les écouter faire leurs échanges verbaux était comme l’équivalent conversationnel d’un champ douillet de fleurs sauvages et d’un paysage d’enfer sinistre mélangés ensemble, et se laisser entraîner dans ce monde suffisait à lui faire tourner la tête.
Il s’était souvenu de ce qu’il avait le plus besoin de dire, et c’était à partir de là qu’il avait commencé. « Je l’ai dit au début, mais je n’ai jamais accepté de vous prendre pour épouse. »
« Hmm, est-ce parce que vous avez décidé d’aller de l’avant avec l’offre de fiançailles du Clan de la Corne ? Je suppose qu’avec le règne sur l’ensemble de leur clan sur la table comme prix, même nous deux ne sommes pas à la hauteur. »
Yuuto fronça les sourcils. « On dirait que votre ouïe est très bonne. »
Dans le monde non civilisé d’Yggdrasil, il n’y avait pas de téléphone, d’Internet ou d’autres outils pratiques pour transmettre l’information. La méthode actuellement la plus rapide et la plus répandue était une tablette d’argile portée par un messager à cheval, ce qui signifiait qu’il fallait un certain nombre de jours pour recueillir des renseignements d’un autre pays.
Moins de dix jours s’étaient écoulés depuis que Linéa avait demandé Yuuto en mariage.
Compte tenu de la distance géographique entre le Clan de la Griffe et le Clan de la Corne, et du fait que les deux filles étaient en route depuis un certain temps vers la capitale du Clan du Loup, il s’agissait d’informations qu’elles n’auraient normalement pas pu obtenir physiquement.
Au début, il pensait qu’il s’agissait peut-être d’une question tendancieuse, mais l’expression « règne sur l’ensemble de leur clan » était trop spécifique pour cela.
« Je suis après tout la fille de Botvid. Je ne suis rien si ce n’est qu’une ouïe. » Kristina gloussa tranquillement et fit un sourire significatif à Yuuto.
Pendant ce temps, il y avait une autre fille de Botvid présente, qui avait laissé échapper une surprise, « Ehh !? Mais je ne le savais pas ! et j’étais aussi choqué que Yuuto l’a été. »
Mais mis à part cela...
***
Partie 6
« Quoi qu’il en soit, c’est une question à part entière, » avait déclaré Yuuto. « Ce qui est important, c’est que pour ce genre de choses, il y a certaines étapes à suivre et des arrangements à prendre, sinon cela nous causera des problèmes. Je vais rédiger une lettre d’objection à l’engagement, donc pour l’instant, je vais vous faire partir et attendre... »
« Attendez un instant, Grand Frère ! » Félicia avait soudainement haussé la voix afin de l’interrompre. « Ces deux-là sont les filles de naissance de Grand Frère Botvid, ce qui fait d’elles des enfants de haut rang, comme des princesses. Les renvoyer directement chez elles alors qu’elles sont arrivées aujourd’hui, euh... Ce serait, euh... »
Félicia avait affiché une expression d’inquiétude, jetant un coup d’œil sur les jumelles. Elle se méfiait clairement du fait que son précédent murmure à l’oreille de Yuuto avait été entendu.
« Hehe hehe, ça ne me dérange pas si vous le dites à haute voix, » déclara Kristina avec un autre rire. « Oui, nous deux sommes aussi des otages, offerts au Clan du Loup comme preuve physique de la loyauté de notre clan envers le vôtre. »
« Tch. Qu’est-ce qu’il croit que sont ses filles !? » Yuuto crachait les mots, son visage tordu dans une grimace de ressentiment flagrant.
Il était vrai que dans la société clanique d’Yggdrasil, les liens formés par le Calice avaient plus de poids que ceux de la chair et du sang. Mais ce n’était qu’un aspect de la société ici, et les sentiments d’une personne n’étaient pas si faciles à répartir selon les règles ou les coutumes.
Yuuto et Botvid avaient échangé le serment du frère Calice et étaient devenus frères de sang, mais compte tenu de leur histoire présente entre eux jusque-là, il serait impossible d’appeler leur relation basée sur une vraie confiance.
Botvid avait sûrement aussi ressenti cela. Ainsi, voyant que le Clan du Loup continuait à se renforcer jour après jour, il avait décidé d’offrir ses propres filles en signe de loyauté.
Yuuto avait compris la logique derrière tout cela. C’était quelque chose qui avait été pratiqué dans le monde entier, et cela tout au long de l’histoire. Mais même ainsi, il était presque vaincu par la haine qui bouillonnait dans son cœur.
« Hehe hehe, comme c’est effrayant. Il s’agit donc du “Lion en Colère” dont j’ai entendu tant de rumeurs ? » Les mots de Kristina eux-mêmes invoquaient un air de confiance, mais pour la première fois, son sourire devenait tendu.
Albertina avait les larmes aux yeux et tremblait comme un chiot effrayé.
« C’est vrai, désolé », s’excusa Yuuto sèchement. « Je ne suis pas en colère contre vous deux, d’accord ? Je suis juste un peu énervé contre mon frère qui a décidé d’utiliser deux jeunes filles comme vous, ses propres filles, comme otages. »
L’image de l’homme que Yuuto détestait le plus, l’homme qui avait abandonné sa femme au nom de ses propres désirs égoïstes, était apparue dans son esprit pendant une seconde. Il savait que ça lui donnait des envies de meurtres.
« Ce sont des mots surprenants venant du Loup Infâme Hróðvitnir, l’homme qui a amené le Vánagandr, » déclara Kristina. « Oh, ça me rappelle que votre production de papier est très rentable, n’est-ce pas ? »
« ... Vous avez vraiment le don de rassembler des informations, n’est-ce pas ? » Yuuto avait parlé d’un ton bas et calme, en rétrécissant les yeux.
À l’intérieur, il était complètement étonné.
Cette fille Kristina avait utilisé ses bouffonneries comme masque pour dissimuler son vrai caractère, une fille intelligente et trop dangereuse pour qu’il baisse la garde face à elle. Yuuto avait dû admettre qu’il était tombé dans le piège des conversations ridicules de tout à l’heure, ce qui avait obscurci son jugement et l’avait poussé à la sous-estimer.
À l’époque où il négociait pour que Botvid effectue le Serment du Calice afin qu’il devienne son jeune frère assermenté, Yuuto avait diffusé certaines informations à utiliser comme levier : il avait ordonné qu’une ville du Clan de la Griffe appelé Van soit brûlé jusqu’au sol et rayé de la carte, et tous les résidents massacrés.
Bien sûr, en réalité, Yuuto n’aurait jamais pu se résoudre à recourir à de telles mesures extrêmes, et avait plutôt fait ramener les villageois à Iárnviðr, où ils étaient employés dans des emplois tels que la fabrication de papier. Cependant, la connaissance de ces faits avait été traitée comme une question du secret national le plus absolu, qui ne devait jamais être révélé.
Cela avait été conçu comme un moyen de dissuasion envers d’autres pays, une menace que quiconque attaquerait le Clan du Loup en souffrirait. Si l’on découvrait que Yuuto n’avait en vérité pas la volonté de passer à l’acte, ce serait plutôt considéré comme un signe de faiblesse et une source de manque de respect.
Et cette fille savait.
Pour protéger son clan, il ne pouvait pas se permettre de laisser tomber l’affaire. Cela dit, il ne voulait pas non plus être trop brutal envers un enfant.
Alors qu’il se demandait quoi faire exactement, Kristina haussa les épaules d’un soupir et prit la parole. « La vérité, c’est que je ne l’ai appris qu’il y a quelques instants. Je manie le Silencieux des Vents, Veðrfölnir. Ma spécialité est d’effacer ma présence et d’infiltrer des endroits, ou de me faufiler. Alors s’il vous plaît, soyez assuré que mon père Botvid ne sait encore rien. »
« Je ne peux pas maintenant vous renvoyer chez vous, » Yuuto haussa les épaules et effectua un rire amer.
Franchement, il était un peu moins inquiet. Si elle avait vraiment eu l’intention de répandre le secret ailleurs, elle n’aurait pas volontiers montré son jeu ici. En y repensant maintenant, dès le départ, il aurait dû trouver étrange par le fait qu’un artiste martial chevronné comme Sigrun avait été si facilement suivi jusqu’à son bureau.
« Bon sang, vous m’avez vraiment bien eu, » avait déclaré Yuuto. « Alors, c’est donc ça votre véritable personnalité, non ? Est-ce que tout ce que vous avez fait avant n’était qu’un jeu d’acteur ? »
« Oui, je trouve que jouer l’imbécile encourage les gens à baisser leur garde, et ils laissent échapper toutes sortes de choses. Je ne nierai pas que le fait de taquiner ma chère Al est mon hobby personnel. »
« Hehe, je vois, » Yuuto hocha la tête, impressionné.
Il se souvient d’une anecdote sur un seigneur de guerre de la période Sengoku, Takeda Shingen. Il y avait des comptes rendus variés sur la question, mais il avait été dit qu’il avait agi délibérément comme un imbécile en public, afin de tromper les États voisins pour qu’ils baissent leur garde.
Malgré son apparence enfantine, cette fille ne devait pas être prise à la légère.
« Pourtant, ne pensiez-vous pas qu’il était possible que tout cela me mette assez en colère pour faire quelque chose contre vous, ou contre le Clan de la Griffe, en guise de représailles ? » demanda Yuuto.
« En rassemblant toutes les informations que j’ai recueillies jusqu’à présent, j’ai conclu que les chances étaient extrêmement faibles, » répondit Kristina.
« Oh, vous êtes bien quelques choses, vous, d’accord ! » Yuuto avait giflé son genou et avait ri en trouvant tout cela amusant.
Yuuto avait complètement pris goût à Kristina. Bien sûr, même cela pourrait être quelque chose qu’elle avait calculé après avoir enquêté sur sa personnalité, mais même cette pensée était agréable.
« Pour être franc, j’aimerais vraiment vous avoir comme enfant subordonné. Je vais quand même devoir renoncer à vous prendre pour épouse ou concubine. »
« Hehe hehe hehe. Seigneur Yuuto, votre capacité à dire de telles choses est peut-être un autre exemple de votre grand talent en tant que dirigeant, » ricana Kristina.
« Hm ? » Yuuto jeta un coup d’œil à gauche et à droite sur Félicia et Sigrun, et remarqua que les deux affichaient des expressions qui indiquaient des sentiments mitigés.
Apparemment, elles ne comprenaient pas pourquoi Yuuto avait fait l’éloge de Kristina. De leur point de vue, c’était simplement une petite fille impudente avec une personnalité problématique et une personne troublante connaissant des affaires secrètes du Clan du Loup. En particulier, la première moitié de cette période de temps leur avait laissé une mauvaise impression.
Cependant, Yuuto avait acquis sa manière d’agir à travers la lecture d’une série de livres sur la stratégie et les tactiques militaires, et il n’y avait aucune chance qu’il puisse ignorer sa terriblement grande valeur en tant qu’atout.
Même son auteur bien-aimé Sun Tzu avait écrit : « Connais ton ennemi et connais-toi toi-même, et tu peux mener une centaine de batailles sans désastre ». Et dans le monde du 21e siècle d’où venait Yuuto, il y avait la maxime « Celui qui contrôle l’information contrôle le monde ».
Dans le monde sous-développé d’Yggdrasil, le talent exemplaire de Kristina pour la collecte de renseignements était quelque chose que Yuuto voulait désespérément. Plus important encore, il pourrait l’utiliser pour l’aider à trouver un moyen de rentrer chez lui.
« Pourtant, c’est une heureuse coïncidence, » avait ajouté Kristina. « En vérité, je n’avais aucun intérêt à devenir votre femme ou votre concubine. Et... Je n’avais pas du tout l’intention de vous laisser poser la main sur l’une de nous. »
Jetant un coup d’œil à sa sœur, Kristina avait doucement souri. Elle était sans aucun doute extraordinairement douée, mais il n’y avait pas de malentendu qu’elle était tout aussi extraordinairement tordue.
Albertina frissonna, comme si elle avait senti un froid momentané, ou une mauvaise prémonition.
« Dans ce cas, pourquoi êtes-vous venues ici ? » Yuuto était allé de l’avant et lui avait demandé d’emblée la suite, bien qu’il avait commencé à former une supposition basée sur les divers indices dispersés tout au long de leur discussion.
« Bien que je sache que c’est un acte d’insolence, je suis venue ici pour jauger et tester votre calibre en tant que leader, Seigneur Yuuto, » répondit Kristina.
« Enfant arrogant ! Je m’étais retenue à cause de votre statut élevé, mais parler de tester Père va au-delà des limites de l’insolence ! » Avec une voix vive et froide comme la glace, Sigrun avait commencé à se placer devant Kristina.
Sigrun était au fond une personne extrêmement sérieuse et sincère, qui dans le jargon du 21e siècle du Japon pourrait être appelée un « membre d’un club sportif ». C’était un stéréotype caractérisé par l’adhésion à des manières strictes et le respect des règles et de la hiérarchie dans les clubs sportifs typiquement japonais. Elle ne pouvait probablement pas simplement ignorer le mépris flagrant pour le décorum et d’être ballottée par les paroles et les actions de Kristina. Le jeu d’acteur ridicule des jumelles était aussi indubitablement tombé sur ses nerfs.
Surtout, sa loyauté envers Yuuto se situait au niveau de la foi aveugle. Entendre que tout cela avait été un test pour que son Père bien-aimé prouve qu’il était apte, avait été pour elle la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase.
« Hé, attends, Run, » déclara Yuuto. « Le fait qu’elle l’admette maintenant signifie qu’elle m’a reconnu comme étant digne, n’est-ce pas ? »
Faisant un geste doux d’une main pour retenir Sigrun, Yuuto avait jeté un coup d’œil à Kristina pendant qu’il parlait.
Yuuto était le genre de personne qui détestait quand les autres se dénigraient ou se rabaissaient par rapport à lui. Apprendre qu’il était « testé » ne lui faisait pas vraiment du bien, mais il aurait trouvé beaucoup plus déraisonnable pour quelqu’un de faire confiance à un gamin étrange comme lui sans condition. Après tout, il avait été dit que votre corps et votre âme dépendaient tous les deux de la personne à qui vous les avez confiés.
« Seigneur Yuuto, patriarche du Clan du Loup. »
Sans aucune trace de ses expressions fantaisistes antérieures, Kristina s’adressa à Yuuto avec le plus grand sérieux, tombant doucement à un genou. Tandis qu’elle regardait Albertina, sa sœur avait adopté à la hâte la même posture formelle.
« Nous, les sœurs, nous n’avons pas encore de parents par le Serment du Calice. Bien que je reconnaisse mon père Botvid comme un patriarche aux capacités considérables quant au règne de son clan, je préférerais promettre cette seule et unique vie qui est la mienne sous le serment envers le plus grand Calice de tout Yggdrasil ! »
« J’apprécie votre haute opinion de moi, mais c’est beaucoup trop d’éloges, » déclara Yuuto. « Nous n’avons plus besoin de flatterie, vous savez ? »
« Non, ce sont mes véritables sentiments, » répondit Kristina. « Je reconnais votre capacité à voir à travers des premières impressions trompeuses, à établir la vérité et à réagir avec un jugement flexible. J’ai également vu votre aura brièvement présente, mais inoubliable, l’aura rare d’un vrai conquérant. Et puis il y a toutes vos nombreuses réalisations que vous avez faites jusqu’à présent. Sous votre commandement, je suis convaincue que nous, les sœurs, nous pourrions utiliser nos capacités dans toute la mesure de leurs efficacités. S’il vous plaît, laissez nos noms s’ajouter à votre famille ! S’il vous plaît, laissez-nous nous asseoir au pied de votre table ! »
« S’il vous plaît ! » Albertina avait resonné, et avec leur chœur de supplications, les jumelles avaient baissé la tête à l’unisson.
Maintenant, que dois-je faire ici ? se demanda Yuuto.
D’après ce qu’il avait entendu jusqu’à présent, il n’avait pas l’impression qu’il s’agissait d’un mensonge, mais ce n’était rien de plus qu’un sentiment. En tant que patriarche, il ne pouvait pas prendre sa décision sur cette seule base. Il était également préoccupé par les véritables intentions de Botvid. Yuuto était sûr qu’il n’y avait aucune chance que le vieux renard ignorait la vraie nature de sa fille. Et toutes les deux étaient des Einherjars d’une valeur inestimable. Il y avait probablement une sorte de plan ou d’arrière-pensée derrière tout ça.
« Eh bien, comme on dit, quand le vin est tiré, il faut le boire, » déclara-t-il. « D’accord. Mais actuellement, je ne peux pas vous offrir le Serment du Calice aux enfants d’un autre clan ; les hommes de mon clan ne l’accepteraient jamais. Alors, vous deux, vous allez m’apporter un hommage de votre part. Une réalisation digne de votre haute opinion envers moi. Faites ça, et je vous laisserai jurer sur mon Calice. »
« Hommage, dites-vous ? » demanda Kristina, en levant la tête.
« Ouais. » Yuuto lui avait répondu en souriant.
Botvid était dans tous les cas le frère de calice de Yuuto. Même s’il complotait quelque chose, ce n’était probablement rien de trop nocif pour le Clan du Loup.
Et Kristina avait dit « nos capacités ». Sa sœur pouvait sembler être une tête en l’air, mais elle était aussi une Einherjar. Elles avaient vraiment quelque chose de bien à apporter.
Si elles se permettaient de le tester, il n’était que tout à fait normal pour lui de les tester de son côté.
« Faites de votre mieux et travaillez dur, d’accord ? » déclara-t-il. « Le Calice du Patriarche du Clan du Loup n’est pas si bon marché que ça. »
***
Acte 3
Partie 1
« Luu la laa laa ! ♪ » de derrière Yuuto venait une voix qui chantait faux, accompagnée d’un vent rugissant.
La voix appartenait à Albertina, alors qu’elle s’amusait joyeusement pendant qu’elle chevauchait son cheval.
Quant à la sœur de la jeune fille, Kristina, elle chevauchait aux côtés du char de Yuuto, jetant parfois des regards chaleureux dans la direction de sa sœur et laissant échapper un rire ou deux.
« Wôw, c’est pratique, » s’exclama Yuuto, impressionné par la vitesse beaucoup plus élevée que la normale de son char.
C’était une technique qui combinait les pouvoirs des deux jumelles. Kristina chevauchait le long du char et elle utilisait la puissance du Silencieux des Vents, Veðrfölnir, pour faire disparaître tout vent venant de face, tandis qu’Albertina chevauchait derrière eux et elle avait utilisé la puissance du Provocateur des Vents, Hræsvelgr, pour créer un vent fort venant de l’arrière.
Grâce à cela, ils étaient sur la bonne voie pour arriver tôt à destination.
« Je suis heureuse de voir que c’est à votre goût, » répondit Kristina. « En échange de votre Serment du Calice, je pourrais vous promettre d’agréables voyages à partir de maintenant. »
Yuuto secoua la tête. « L’offre est assez attrayante, mais pas assez. Je ne vous le donne pas encore. »
« C’est décevant, » avait-elle fait remarquer ça, bien qu’elle ne semblait pas vraiment déçue.
Les deux filles étaient actuellement traitées comme les invitées de Yuuto.
La fête annuelle de la moisson s’étant terminée avec succès et sans incident, Yuuto s’était préparé à inspecter le nouveau territoire qu’il avait gagné lors de la bataille avec le Clan de la Corne lorsqu’elles lui avaient demandé de l’accompagner.
« Si vous pouviez utiliser ce pouvoir pour affecter également le champ de bataille, ce serait vraiment pratique, » avait ajouté Yuuto.
« Nous aimerions pouvoir le faire, » répondit Kristina. « Cependant, nous ne pouvons contrôler les vents que dans notre environnement immédiat. »
« C’est décevant. » Yuuto soupira et haussa les épaules.
Pouvoir contrôler les vents du champ de bataille au niveau tactique aurait un avantage incommensurable. On pourrait utiliser les vents contraires pour réduire la portée des flèches ennemies et augmenter la portée de ses propres flèches avec des vents arrière. Avec un vent arrière constant, on pourrait aussi facilement installer des pièges et des stratégies pour tuer l’ennemi par le feu.
Mais le fait d’avoir quelques pouvoirs surnaturels n’avait pas changé le fait qu’un Einherjar était encore humain. Il était injuste d’attendre d’elles des capacités aussi inhumaines et puissantes.
« Décevant... Merde, je m’habitue trop à Yggdrasil. » Yuuto frissonnait en réalisant que ses pensées s’étaient immédiatement tournées vers la violence.
Dans les deux années qui suivirent son arrivée, le Clan du Loup avait été en état de guerre presque tout le temps, donc c’était inévitable, mais Yuuto s’inquiétait un peu de la façon dont les choses se dérouleraient une fois rentré chez lui.
« Nous ne devrions plus avoir à aller à la guerre... n’est-ce pas ? » murmura Yuuto.
Il avait reçu de multiples sources d’informations selon lesquelles plusieurs clans subordonnés au Clan du Sabot s’étaient séparés et avaient déclaré leur indépendance à la mort d’Yngvi.
On pourrait supposer que ces nouveaux clans fragiles n’envahiraient pas le Clan de la Corne pour l’instant.
« Oui, c’est grâce à toi, Grand Frère, » déclara Félicia. « Je n’aurais jamais imaginé que le jour viendrait où nous pourrions faire un voyage de loisir ensemble comme celui-ci. Bien que la présence d’une troisième roue, ou plutôt deux fait de toutes ces choses quelque chose d’un peu boueux, » avait-elle ajouté dans un murmure.
« C’est une inspection, pas des vacances, » lui répondit Yuuto avec un sourire ironique.
Malgré cela, il était vrai que Yuuto lui-même se sentait beaucoup plus insouciant et détendu par rapport aux nombreuses fois où il était parti au combat.
« Pourtant, cet idiot de Steinþórr m’inquiète toujours. Je ne sais pas trop comment le dire, mais j’ai un mauvais pressentiment vis-à-vis de lui, » Yuuto soupira lourdement après avoir dit ça.
Après la rencontre fatidique avec son nouveau voisin, Yuuto était retourné à Iárnviðr et s’était immédiatement mis à recueillir des informations sur Steinþórr et son Clan de la Foudre. Ce qu’il avait compris au sujet de l’homme connu sous le nom de Dólgþrasir, le Tigre Affamé de Batailles, c’était à quel point sa force était absurde.
Steinþórr avait assumé le rôle de patriarche du Clan de la Foudre il y a trois ans, à l’âge de seize ans seulement. Le héros du Clan du Sabot, Yngvi, avait mené une invasion, mais Steinþórr l’avait magistralement chassé de là.
Après la bataille, il avait prêté le Serment du Calice pour devenir frères avec Yngvi, et avec la menace de leur nord neutralisé, le Clan de la Foudre avait commencé leur expansion vers l’est. Les petits clans environnants avaient été écrasés l’un après l’autre, et en seulement trois ans, la force militaire du Clan de la Foudre avait plus que doublé. Pendant tout ce temps, ce jeune homme roux s’était constamment battu sur les lignes de front, mais on disait qu’il n’avait subi aucune blessure, pas même une égratignure.
Yuuto voulait croire que c’était juste une hyperbole volontairement propagée à d’autres nations comme une vantardise de force, mais dans tous les cas, Steinþórr n’avait pas de cicatrices visibles sur son corps.
Malgré le fait que les différents adversaires qu’il avait attaqués comprenaient sans doute aussi des guerriers Einherjars, ses victoires ne laissaient rien d’autre à dire, si ce n’est que ce jeune homme était un monstre.
« Je suis sûre que tout ira bien, Grand Frère. Après tout, il semble qu’il a vraiment pris goût à toi, » se moquait Félicia en riant malicieusement.
Il n’était pas nécessaire d’être aussi observatrice qu’elle pour remarquer que Yuuto avait des sentiments bien moins agréables envers Steinþórr ; quiconque avait été présent dans cette salle du rituel en aurait été bien conscient.
« Franchement, arrête avec ça, » Yuuto avait froncé les sourcils, vraiment bouleversés.
Dès leur première rencontre, il y avait quelque chose chez ce jeune homme intrépide que Yuuto ne supportait pas. Rien que d’y repenser avait provoqué une douleur nauséabonde dans sa poitrine.
Ce n’était pas vraiment parce que Steinþórr était grossier et arrogant. Si cela avait été la raison, Yuuto aurait été plus ennuyé par la façon dont Kristina et Albertina s’étaient d’abord comportées. Yuuto avait pensé que c’était peut-être à cause de la façon dont sa jeune sœur Linéa avait été ridiculisée, mais même cela n’était pas suffisant pour expliquer la haine viscérale qu’il ressentait à l’égard de l’homme.
Se trouvant incapable de comprendre la raison de son irritation, cela dérangeait encore plus Yuuto, ce qui augmentait la haine qu’il ressentait à l’égard de Steinþórr. C’était un cercle vicieux classique.
« Mais si tu effectuais le Serment du Calice avec lui, la paix du Clan du Loup serait assurée, n’est-ce pas ? » Félicia avait dit.
« Arg. » Yuuto gémit, grimaçant comme s’il venait d’avaler quelque chose de dégoûtant.
Il préférerait franchement mourir plutôt que de devenir frère avec cet homme, mais en tant que patriarche, Yuuto ne pouvait pas se laisser à prendre des décisions basées uniquement sur des sentiments personnels. S’il pensait à la prospérité future de son pays, c’était naturellement une option qui devait être sur la table et cela même si le simple fait d’imaginer ça était suffisant pour donner la chair de poule à Yuuto en raison de sa répugnance.
***
Partie 2
La ville de Gimlé avait été construite près de l’intersection de deux rivières : la rivière Körmt, la grande rivière centrale dont les eaux nourrissaient la grande région d’Álfheimr, et la rivière Élivágar, un affluent plus petit descendant des montagnes abruptes de Þrúðvangr qui formaient un coin du « Toit d’Yggdrasil ».
Une partie du mur entourant la ville s’était effondrée, et les ouvriers avec leur torse nu et brûlé par le soleil posaient de nouvelles briques. En regardant dans la ville proprement dite, on pouvait voir que dans plusieurs endroits le long de la rue principale, les charpentiers étaient occupés à réparer des maisons. Tous les membres de la population qui marchaient le long de la rue principale, des femmes et des enfants aux personnes âgées, travaillaient ensemble pour transporter plus de briques d’un bout à l’autre de la ville.
« C’est une réalité de la vie à la guerre. Ne t’inquiète pas à tort à ce sujet. » Les paroles de Félicia étaient prévenantes, mais un nuage restait au-dessus du cœur de Yuuto.
« Oui... Je le sais, » déclara Yuuto avec un peu d’autodérision. Il regardait la ville, gravant la scène dans ses yeux. Rien qu’à la regarder, sa poitrine se serrait en raison de la culpabilité, mais c’était une raison de plus pour qu’il s’en souvienne.
Il devait se souvenir de l’image des gens qui avaient souffert à cause de ce qu’il avait fait.
La citadelle forteresse au centre de la ville était encore endommagée ou détruite dans certaines zones, et avait été laissée exposée aux éléments d’une manière qui continuait à mettre en évidence les ravages de la guerre. C’était parce qu’on avait donné la priorité à la reconstruction de la ville proprement dite et qu’il n’y avait pas assez de main d’œuvres pour tout faire en même temps.
Cette forteresse était celle que Yuuto avait attaquée et capturée pendant la guerre avec le Clan de la Corne. Comme la forteresse elle-même était la cible, il s’était efforcé d’éviter des dommages excessifs à la ville, mais il avait été difficile de l’éviter complètement.
« C’est une grande ville, n’est-ce pas ? » murmura Yuuto, se retournant vers Félicia.
« Oui, j’ai entendu dire que sa population dépasse celle d’Iárnviðr, » répondit Félicia.
« Elle semble assez riche en ressources, » déclara Yuuto.
« En effet. À l’époque, c’était tellement incroyable que cela m’a laissé sans voix. » Félicia avait poussé un petit soupir d’admiration.
Il n’y avait plus aucune trace après la récolte d’automne, mais à l’époque où il avait pris la forteresse, tout le paysage à l’extérieur de la ville avait été couvert de blé doré, s’étendant à perte de vue. Les gens du pays avaient apparemment appelé cette vue Iðavöllr, « les Champs Lumineux ». Du point de vue d’un membre du Clan du Loup, dont le territoire se trouvait surtout dans les contreforts des montagnes avec un sol rocheux impropre à l’agriculture, la vue devait être plus captivante que n’importe quels lingots d’or ou bijoux.
« Pour ma part, je pousse un soupir de soulagement à l’idée que notre propre situation alimentaire est sur le point de s’améliorer de façon spectaculaire, » déclara Yuuto.
Actuellement, le Clan du Loup compensait ses pénuries alimentaires par le commerce. Ils avaient été incapables d’éviter d’acheter à un taux relativement élevé, et étaient parfois dans le rouge financièrement afin d’approvisionner leurs citoyens. Et au départ, les pays avec lesquels ils commerçaient n’avaient pas vraiment d’excédent de production alimentaire. Une mauvaise saison de récolte ferait monter en flèche la valeur marchande, et il y avait une chance qu’il n’y en ait pas assez pour le commerce. Yuuto voulait permettre au Clan du Loup de se pourvoir de sa propre production alimentaire.
« Hey hey hey, Seigneur Yuuto... » Albertina tirait sur son manteau, et Yuuto se retourna pour la trouver avec un regard absolument pitoyable.
« Qu’est-ce qui ne va pas ? » avait-il commencé à dire. Cependant, l’estomac d’Albertina avait poussé un grognement vif et tonitruant, et il se doutait du reste de sa demande.
Tenant une main sur son estomac, Albertina avait souri, embarrassée.
Le ciel commençait déjà à briller avec le soleil couchant. Cela devait faire un certain temps qu’ils avaient mangé le déjeuner, sans parler du fait qu’elle avait utilisé la puissance de sa rune pour créer des vents arrière pour pousser le char de Yuuto pendant tout ce temps. Alors cela n’était pas surprenant qu’elle ait eu de l’appétit.
« Oh, tu es tellement désespérante, Al, » déclara Kristina. « Je suppose qu’il n’y a rien pour faire face à ça. Alors, j’ai encore du pain que j’ai gardé du déjeuner, donc... »
« Vas-tu me le donner !? » demanda Albertina.
« Je vais bien sûr moi-même le manger, » Kristina avait fourré les restes de pain dans sa bouche en une seule fois et avait commencé à mâcher furieusement. C’était un gros morceau de pain, donc ses deux joues étaient gonflées comme celles d’un écureuil.
« Ah... ahhh... ahhhhhhhh... » Albertina était tombée dramatiquement à genoux, tendant un bras à sa sœur en vain, les larmes coulant le long de son visage. Elle pleurait comme si c’était la fin du monde.
En regardant cette réaction, Kristina avait l’air absolument extatique, comme si elle se mettait à flotter dans les airs. Comme toujours, elle était entièrement dévouée à s’en prendre à sa sœur.
« On va vous trouver de la nourriture très bientôt, alors ne pleurez plus. » Yuuto, se sentant un peu désolé pour Albertina, lui avait caressé le sommet de sa tête, touchant un peu ses cheveux. Ils étaient arrivés à Gimlé plus tôt que prévu grâce à elle, et il voulait absolument lui offrir un bon repas.
« Wahhhh ! Merci infiniment…, » Albertina lui avait pris la main et l’avait abondamment remercié.
Pendant ce temps, sa sœur avait répondu par une objection froide. « Oh, mon Dieu. Seigneur Yuuto, pourrais-je vous déranger en vous demandant de ne pas la nourrir sans ma permission ? »
La bouche de Kristina souriait, mais pas ses yeux. On dirait que ce n’était pas si facile à résoudre.
Yuuto n’avait pas pu s’empêcher de faire un sourire ironique.
Quoi qu’elle puisse dire face à ça, Kristina avait attendu pour faire une scène en mangeant devant sa sœur jusqu’à ce que la ville soit juste en face d’eux, quand ils seraient en mesure d’obtenir quelque chose à manger sans trop attendre. Yuuto avait le sentiment que s’il n’avait vraiment plus de nourriture sans pouvoir en obtenir plus, elle aurait donné la dernière bouchée de sa propre nourriture à Albertina.
« Franchement, vous êtes une fille tordue, » déclara Yuuto.
***
Partie 3
« Alors, on dirait que vous avez vraiment des problèmes avec ça, » avait déclaré Yuuto.
« Oui, Sire. » L’homme d’âge moyen assis en face du bureau de Yuuto avait incliné sa tête à plusieurs reprises, essuyant la sueur de son front avec un petit chiffon. « C’est juste qu’il y a quelques différences par rapport à ce à quoi nous sommes habitués, et, euh... »
Il était censé être dans la trentaine, mais il avait dû voir sa part de problèmes, car il avait l’air beaucoup plus âgé. Ses cheveux bruns avaient déjà des zones de blanc, et il y avait des lignes de rides épaisses gravées sur son visage.
L’homme s’appelait Olof. Il était le quatrième officier du Clan du Loup et le nouveau gouverneur chargé de la gestion de la ville de Gimlé.
Il n’avait pas de réalisations particulièrement remarquables associées à son nom, mais il avait obtenu son grade actuel en accomplissant toutes les missions ou les requêtes qui lui avaient été confiées sans fanfare ou plainte, et avec le temps, son dévouement long et inébranlable avait fait de lui un général apprécié et expérimenté.
On s’attendait à ce qu’une décision sur un territoire nouvellement annexé apporte sa part de problèmes, et Yuuto avait déterminé qu’un homme connu pour ses résultats simples, mais solides serait le mieux adapté à la tâche. Mais même pour Olof, cela semblait avoir été difficile à naviguer dans ses eaux troubles.
« Mais même ainsi, nous devons faire en sorte que ce système Norfolk soit mis en œuvre d’une manière ou d’une autre, » déclara Yuuto.
« J’ai tout donné pour y arriver, Sire, mais je crains de ne pas avoir été à la hauteur. » Olaf inclina de nouveau la tête. « Je suis vraiment désolé. »
« Non, c’est bon, je comprends que c’est difficile. » Yuuto agita les mains, essayant de rassurer Olof qui était en train de s’excuser. « Je sais que ça va être dur, mais continuez d’essayer. »
Le système de Norfolk était un système agricole à quatre rangs dans lequel quatre cultures différentes (orge, trèfle, blé et navets) étaient plantées dans quatre champs, puis leurs positions étaient alternées avec la nouvelle plantation chaque année.
Au XVIIIe siècle, l’augmentation extrêmement rapide de la productivité agricole, en grande partie grâce à l’utilisation généralisée de cette technique de rotation des cultures, était devenue la deuxième révolution agricole.
Jusqu’à l’avènement de ce système, il était difficile de préparer une quantité suffisante de fourrage pour tout le bétail domestique et, à l’approche de l’hiver, il était courant d’abattre la plupart d’entre eux, ce qui empêchait de conserver un grand nombre de bêtes.
Pour Yuuto, cela signifiait qu’en préparation de l’hiver prochain, il voulait au moins élaborer un plan de plantation de navets et de trèfle. Les navets serviraient de fourrage pour le bétail pendant l’hiver, tandis que le trèfle nourrirait le bétail et aiderait à renouveler le sol.
« Le plus grand problème pour nous, » expliqua Olof, « C’est que cette ville a été sous le contrôle du Clan de la Corne pendant de nombreuses années, et que les habitants d’ici en sont venus à les aimer et à les apprécier. Donc, ils ne regardent pas trop favorablement notre règne. »
« Je vois, » déclara Yuuto en hochant la tête. « C’est normal. Après tout, le Clan de la Corne a beaucoup amélioré leur vie ici. »
Le père de Linéa était connu familièrement sous le nom de Gullveig, « le Héros d’Or », et il semblait que ce nom n’était pas exagéré. Linéa elle-même était si dévouée au bien-être de son peuple qu’elle était prête à s’offrir en sacrifice pour eux. Il était probable qu’elle avait appris ce sens de la dévotion par les enseignements de son père et en observant son exemple.
« Oui, Sire, » avait déclaré Olof. « Et quand des étrangers comme nous arrivent à ce moment-là, exigeant qu’ils changent les pratiques transmises de génération en génération, il est très difficile d’obtenir qu’un seul d’entre eux nous prête l’oreille... »
« Oui, ce sera le cas lorsque vos coutumes agricoles auront été transmises depuis des centaines d’années... » Yuuto n’avait pas pu s’empêcher d’être d’accord avec le point de vue d’Olof, soupirant amèrement et croisant les bras.
Dans la « société de l’information » du XXIe siècle d’où venait Yuuto, les progrès technologiques étaient pratiquement mensuels, voire quotidiens. Mais dans les temps anciens, il y avait souvent eu des périodes de plusieurs centaines, voire des milliers d’années sans changement significatif ou révolutionnaire, où les gens continuaient simplement à utiliser la technologie et les pratiques qui leur avaient été transmises.
Par exemple, même si le concept de combat à cheval avait déjà vu le jour vers 1 000 ans avant Jésus-Christ, il avait fallu 700 ans avant que l’embout buccal soit inventé, et 1 400 ans avant l’avènement de l’étrier moderne.
« Il n’y a rien de plus difficile à prendre en main, de plus périlleuse à conduire, ou de plus incertain dans son succès, que de prendre l’initiative avec l’introduction d’un nouvel ordre des choses... C’est ainsi. » Avec un peu d’ironie, Yuuto avait cité de mémoire Le Prince de Machiavelli.
Dans ce livre, Machiavelli avait poursuivi en disant : « Parce que l’innovateur a pour ennemis tous ceux qui sont bien dans les anciennes conditions, et des défenseurs tièdes chez ceux qui pousse ces nouvelles conditions. »
Et c’était l’agriculture, le cœur et le fondement des moyens de subsistance des individus. Un échec signifierait qu’ils n’auront peut-être rien à manger l’année suivante. Yuuto pouvait comprendre pourquoi les habitants de Gimlé réfléchiraient à deux fois avant de faire confiance à quelque chose de nouveau.
Au moment où il avait essayé de mettre le système en pratique avec le Clan du Loup à Iárnviðr, Yuuto s’était déjà construit une réputation avec plusieurs réalisations pour le clan, et il avait gagné la confiance des autorités de haut rang dans le clan comme Félicia et Jörgen. Et ces autorités du Clan du Loup avaient déjà toute la confiance des citoyens. C’était la seule raison pour laquelle il avait été capable d’implémenter même une version partielle du système aussi facilement qu’il l’avait fait.
Gimlé était, à cet égard, un territoire ennemi, et de l’autre côté de la frontière de la rivière Élivágar se trouvait le territoire du Clan de la Foudre. S’il n’était pas prudent dans la gestion des émotions de la population locale, au pire, cela pourrait conduire à une révolte, créant une ouverture fatale dans les défenses du Clan du Loup et invitant à l’invasion.
« Il n’y a rien de plus difficile à gérer que les émotions humaines », grogna Yuuto, puis il soupira.
« Vous avez raison, Sire, » Olof avait laissé sortir un accord sévère et solennel.
Puis ils avaient échangé des regards et tous les deux avaient fait un rire ironique.
Quelle que soit la logique, quel que soit le résultat attendu ou l’amélioration, sans la capacité d’influencer le cœur humain, toute nouvelle idée n’était rien d’autre qu’une tarte dans le ciel.
Les connaissances du XXIe siècle n’étaient, à la fin de la journée, rien de plus que cela. Combien de temps lui avait-il fallu pour apprendre ce simple fait ?
« Bon sang. Alors, qu’est-ce qu’on peut faire ? » en pleine perte, Yuuto avait fixé le plafond.
Il ne savait pas qu’une solution à ce problème qu’il pensait extrêmement difficile à résoudre était déjà en train de se précipiter vers lui depuis une direction inattendue.
La question de savoir si cette solution serait souhaitable ou non pour lui était tout à fait différente.
***
Partie 4
« Grand Frère ! C’est bon de vous revoir après tant de temps ! » Linéa avait parlé d’une voix forte.
« Euh, ouais, c’est bon aussi de vous revoir, Linéa. » Pris au dépourvu par l’arrivée soudaine de sa petite sœur assermentée dans la citadelle, Yuuto lutta maladroitement pour lui retourner son salut.
Cela faisait environ cinq jours que Yuuto était arrivé à Gimlé. Il avait visité divers endroits de la ville, posant des questions indirectes aux résidents, et venait tout juste de commencer à se rendre compte de la difficulté des problèmes auxquels il était confronté.
« Pourquoi êtes-vous ici ? » demanda Yuuto avec son visage tendu.
Ce n’est pas qu’il ne l’aimait pas ; en fait, il aimait bien Linéa. Mais pour l’instant, elle était la personne qu’il voulait le moins voir.
Grâce à l’expertise de Félicia, Yuuto avait réussi à gagner du temps pour réfléchir, mais même avec tout ce temps, il n’avait pas réussi à trouver un moyen diplomatique et sans conséquence pour refuser son offre de mariage. Il s’agissait de quelque chose pour laquelle il se creusait toujours la cervelle.
« À l’origine, cette ville était sous la domination du Clan de la Corne, » expliqua Linéa. « Bien sûr, j’ai une foi absolue que vous pouvez apporter la paix et la prospérité au peuple d’ici, Grand Frère ! C’est juste que c’est quelque chose à laquelle j’ai beaucoup pensé, et... Quand j’ai appris que vous viendriez ici, j’ai pensé que c’était une grande opportunité. Euh, et... Grand Frère, je voulais aussi vous voir..., vous aussi. »
Quand elle avait dit la dernière partie de sa phrase, la voix de Linéa avait semblé hachée et cela s’était estompé jusqu’à un murmure. Son visage était devenu rouge vif, et elle avait regardé vers le bas, embarrassée.
Yuuto était presque incapable de distinguer les mots... presque. Il pensait à quel point il se sentirait mieux s’il ne les avait pas entendus et il avait maudit son ouïe.
Il n’avait absolument aucune idée de la façon de faire face à cette situation.
Au cours des deux dernières années, il s’était plongé avec fébrilité dans l’étude du gouvernement, de l’économie et de la science militaire, mais il n’avait pas eu le temps d’apprendre à connaître ce qu’il fallait faire dans les relations avec les femmes. Et ce n’était pas comme s’il avait une expérience de vie sur laquelle s’appuyer. Il n’était qu’un novice, comme beaucoup de jeunes hommes de son âge.
« Si c’est possible, j’aimerais bientôt entendre votre réponse…, » avec ses deux index pressés l’un contre l’autre, Linéa lui demanda ça d’une petite voix. Mais ses manières vraiment douces, même adorables, ne faisaient que pousser l’épée qui était la conscience de Yuuto d’autant plus profondément dans son propre cœur.
« Ahhhh ! Donc en ce qui concerne ce, euh…, » le visage de Yuuto était tellement dans un état de sueur froide qu’on pourrait le confondre avec un crapaud tout frais sorti de l’eau.
Je dois trouver une excuse... ! L’esprit de Yuuto s’était affolé, mais il n’y avait aucune chance qu’il trouve quelque chose d’utile alors qu’il n’avait pas été capable de le faire après tout ce temps.
« Grand Frère ? » demanda Linéa.
« Euh... Hmm Hmm Hmm... »
« Je suis terriblement désolée, Grande Sœur Linéa, » déclara Félicia en inclinant la tête. « En vérité, une autre proposition de mariage nous est venue du Clan de la Griffe, et comme il s’agit d’une question politique délicate, nous espérons que vous nous accorderez un peu plus de temps. »
Finalement, c’était encore une fois de plus la talentueuse adjudante de Yuuto qui était venu à son secours dans un moment de désespoir.
« Qu’avez-vous dit au Clan de la Griffe ? » Secoué, le visage de Linéa passa de celui d’une jeune fille amoureuse à celui d’un patriarche calme. Elle avait posé son regard sur Félicia, la pressant pour les détails, quand...
« Juste ici, c’est moiiiii ! » Albertina avait levé la main et avait crié énergiquement.
« C’est du moins ce qu’elle dit, mais elle n’est rien de plus qu’une concubine, et je suis la candidate au mariage, » avait ajouté Kristina.
« Ehh !? Mais techniquement, je suis la sœur aînée, Kris ! » cria Albertina.
« La capacité et le mérite font tout dans ce monde, Al. Hehe hehe hehe…, » Kristina s’était mise à ricaner comme une dirigeante maléfique dans une fiction.
Pour quelqu’un qui avait déclaré carrément qu’elle ne s’intéressait pas au mariage, il semblait qu’elle était prête à tout pour taquiner sa sœur.
« Grr, de penser que Grand Frère vous a laissé l’accompagner dans sa tournée d’inspection... Si vous avez déjà gagné sa faveur de cette façon, je ne peux pas vous prendre à la légère, » avec une expression effrayante, Linéa avait fait un pas instable en arrière.
Il semblerait qu’elle supposait que Yuuto avait amené les jumeaux comme ses « maîtresses préférées » ou quelque chose du genre. En réalité, elles s’étaient obstinément décidées à venir de leur propre gré.
« G-Grand Frère ! » Linéa avait crié. « Avec tout le respect que je vous dois, le Clan de la Corne est plus grand que le Clan de la Griffe en termes de force nationale. Je pense qu’il est évident que l’un d’entre nous mènerait à une meilleure prospérité pour le Clan du Loup. »
« Oh, mon Dieu ! Essayez-vous de piéger un homme avec des richesses matérielles ? » Kristina ricanait. « Vous ne devez vraiment pas avoir confiance en vous en tant que femme. Heehee. »
Kristina avait placé une main sur sa bouche et avait gloussé hautainement, dans le style de votre personnage de femme maléfique typique.
Elle s’amusait bien. Alors que sa cible principale était bien sûr sa sœur, il semblerait qu’elle aimait aussi interagir de manière sadique avec les personnes en général.
C’était vraiment une fille ayant un mauvais caractère.
« Rrrrgh ! » regardant Kristina, Linéa avait grogné, probablement incapable de trouver une réponse à ses railleries.
« Heehee. » Kristina avait encore gloussé. Elle semblait heureuse de voir à quel point Linéa avait été frustrée, mais aux yeux de Linéa, il fallait que Kristina ait l’air de jubiler sur ses perspectives de mariage.
« Grr... ! » Le visage de Linéa s’était tordu de déplaisir. Cette réaction de sa part était encore plus un régal pour Kristina, mais elle ne s’en rendait pas compte.
« Plus important, Linéa, vous vous inquiétiez de l’état de la ville, n’est-ce pas ? » Yuuto avait essayé en toute hâte de changer de sujet.
En partie, c’était parce qu’il se sentait désolé pour Linéa, mais surtout parce qu’il avait déterminé que ce sujet était trop dangereux. Ce serait un vrai problème pour lui s’il était révélé qu’il avait essayé de renvoyer les jumelles chez elles. Il voulait que Linéa continue de penser qu’il luttait pour décider entre les offres de mariage des deux clans.
Pour Yuuto, c’était comme s’il jouait le rôle d’un homme qui s’enchaînerait à plusieurs femmes et ne s’engagerait jamais.
De retour à la maison au 21e siècle, je pensais que les imbéciles dégoûtants comme ça étaient les pires, alors comment ai-je fini en tant que tel ? se lamentait-il à lui-même.
« Oh, euh, oui, » déclara Linéa, semblant revenir à la raison devant les mots de Yuuto. Elle avait cessé de menacer Kristina et sa sœur. Revenant à ses premières manières courtoises, elle se tourna vers Yuuto. « En venant ici, j’ai pris la liberté de voir l’état de la ville, et j’ai été soulagée de voir que la reconstruction semble bien se dérouler. »
« C’est honteux à admettre, mais la vérité, c’est que ça ne se passe pas si bien que ça, » avait admis Yuuto.
« Vraiment !? » s’écria Linéa.
« Oui, » dit Yuuto. « Il semble que les dirigeants précédents étaient assez étonnants dans leur travail. »
« Ah... ! ! C’est, euh, qu’est-ce que je peux dire…, » Linéa avait failli faire surgir un large sourire, puis s’était arrêtée, l’air désolé. Même ainsi, sa modestie ne pouvait pas cacher complètement le bonheur présent dans ses joues, créant ainsi une expression assez mélangée.
Yuuto avait trouvé la vue réconfortante alors qu’il continuait à lui expliquer la situation. « Donc, à cause de cela, il y a quelque chose que j’ai voulu mettre en pratique ici, mais nous n’arrivons pas à obtenir l’accord de quiconque, et nous sommes dans une impasse. Je suppose qu’il n’y a pas d’autre solution que de commencer par gagner leur confiance lentement et régulièrement, n’est-ce pas ? » Yuuto avait levé les deux mains dans un large haussement d’épaules.
La hâte produit du gaspillage, comme le disait la célèbre expression. Ce n’était pas parce qu’il avait des connaissances du 21e siècle que les choses iraient toujours comme il l’entendait. Même si cela ressemblait à une longue route frustrante, il allait devoir marcher à chaque pas.
« Au fait, c’est quoi comme plan ? » s’était enquise Linéa. « Si cela va, seriez-vous prêt à me le dire ? »
« Hmm, que dois-je faire... » Yuuto n’avait hésité qu’un instant. « Ahh, bien sûr, pourquoi pas ? Donc, le truc c’est que... »
Yuuto avait donné à Linéa une explication approximative du système de rotation des cultures de Norfolk.
À une époque où il n’était pas exagéré de dire que la force nationale d’un pays était équivalente à sa productivité agricole, la mise en pratique de ce système apporterait des avantages incommensurables.
Il avait hésité un peu sur la question de savoir s’il était juste de donner des connaissances aussi précieuses à quelqu’un d’un autre clan, mais il avait décidé de lui dire. Ce n’était pas parce qu’il en était venu à aimer Linéa ou qu’il voulait apporter le bonheur aux citoyens du Clan de la Corne, bien qu’il ne pouvait nier qu’il avait aussi ce genre de sentiments naïfs. Non, en tant que patriarche, il avait une raison plus pratique pour sa décision.
Le Clan de la Corne avait récemment subi un sérieux déclin de la force nationale. Dans leur défaite face au Clan du Loup, ils avaient perdu un grand nombre de soldats et une bonne partie des terres fertiles, dont Gimlé. Et lors de leur dernière guerre avec le Clan du Sabot, leurs terres occidentales avaient subi beaucoup de dégâts. D’un point de vue géopolitique, le Clan de la Corne était ce qu’on pourrait appeler un état tampon, protégeant le côté ouest du Clan du Loup des nombreux autres clans qu’il borde. C’était comme si Tokugawa Ieyasu avait été pour Oda Nobunaga.
Maintenant qu’ils avaient formé une alliance, il ne serait pas très bon pour la sécurité nationale du Clan du Loup de laisser le Clan de la Corne s’affaiblir trop.
« Oh... Ohhhh... » Linéa hocha la tête et laissa échapper des soupirs d’émerveillement les uns après les autres lorsque Yuuto expliquait le système de rotation des cultures. Au moment où il avait terminé, elle était si profondément émue qu’elle avait tremblé d’excitation et avait commencé à le louer sans relâche. « Woooooooooooooooon ! Incroyable ! Incroyable !! C’est trop incroyable ! Non seulement vous pouvez gagner au combat, mais vous pensez même à des idées splendides comme celle-ci ! Je vous admire du fond du cœur ! Grand Frère, je pense que votre sagesse surpasse celle des dieux dans les cieux ! »
« Non, je n’y ai pas vraiment pensé, » avait dit Yuuto, en reculant face aux féroces louanges de Linéa.
À l’intérieur, il avait aussi été gêné pour une autre raison. Yuuto n’avait jamais vu une personne émotionnellement émue à un niveau aussi profond par une simple explication scientifique. Les humains ne pouvaient pas comprendre quelque chose qui était trop éloigné des limites de leur propre bon sens. Dans Yggdrasil, planter les champs tous les deux ans était encore une pratique courante. Bien que le système Norfolk ait déjà produit des résultats définitifs dans le monde de Yuuto, il n’y avait toujours pas de précédent ici.
Avec une proposition qui semblait beaucoup trop belle pour être vraie, il était normal que les gens se méfient de la fraude, et il y en avait beaucoup qui pouvaient réagir avec colère, prétendant que les dieux ne permettraient pas un tel blasphème.
« Je comprends !! » Linéa s’était soudain levée, et avec un visage plein de détermination, elle s’était donné un coup de poing dans la poitrine. « Pour mon Grand Frère, et plus que tout, pour les habitants de Gimlé ! Même si je suis indigne, moi, Linéa, je ferai tout mon possible pour vous aider ! »
***
Partie 5
« Ohh, c’est Lady Linéa ! Lady Linéa est là ! » s’écria un homme.
« Merci beaucoup d’être venue ici pour nous voir, » avait ajouté une femme. « C’est merveilleux d’avoir la chance de revoir votre visage. »
« Voici quelques pommes que nous avons récoltées. S’il vous plaît, assurez-vous d’en profiter au maximum. »
Les habitants de Gimlé adoraient Linéa d’une manière que l’on pourrait appeler religieuse. C’était presque comme s’ils la voyaient comme une sorte de dieu vivant. Il y en avait même qui s’étaient exclamés « Louons notre Déesse » et s’étaient prosternés dès qu’ils l’avaient vue.
« Vous êtes vraiment incroyable... » déclara Yuuto, déconcerté.
« Non, c’est l’influence de mon père. Je n’ai rien à voir avec ça... » En secouant la tête, Linéa avait fait un refus désespéré de ce que disait Yuuto. Elle semblait avoir perdu confiance en elle-même avec tout ce qui s’était passé au cours des derniers mois, mais Yuuto ne pouvait pas du tout être d’accord avec elle.
Yuuto était vénéré à Iárnviðr, mais pas dans cette mesure. Et plus précisément, il s’agissait d’un autre type de révérence. Les émotions que Yuuto ressentait de la part de ses clans étaient celles de gratitude, de louange et de respect envers un dirigeant qui les avait gouvernés et qui leur avait donné le cadeau de son Serment du Calice. Il y avait un certain sens de la distance.
Pendant ce temps, le culte que les habitants de Gimlé avaient montré à Linéa contenait une chaleur affectueuse, comme si elle était leur propre famille de chair et de sang.
Le fait que Linéa était la fille du patriarche précédent était un secret, donc cela ne pouvait pas être la raison. En outre, aussi talentueux et vertueux que son père ait pu être, si elle n’avait pas eu son propre charisme et son propre attrait, elle n’aurait pas obtenu ce niveau d’affection profonde de la part de son peuple.
« Ils vous aiment vraiment, hein ? » murmura Yuuto. Il venait de la voir sous un tout nouveau jour.
Cependant, il se rendrait bientôt compte que même sa nouvelle évaluation d’elle avait été beaucoup, beaucoup trop basse.
***
Partie 6
« Vous êtes vraiment incroyable..., » Yuuto avait haleté.
« En effet... » murmura Félicia.
Yuuto et Félicia n’avaient pu laisser sortir que ces quelques mots, et des soupirs d’admiration, sur la façon dont les choses s’étaient déroulées.
C’était le troisième jour depuis l’arrivée de Linéa à Gimlé. Cela faisait moins de trois jours, mais elle avait parlé à toutes les personnalités influentes de la ville et obtenu de chacune d’entre elles qu’elles donnent leur accord sur un plan de mise en œuvre du système de Norfolk. Cela aurait été un motif de célébration, mais cela les avait laissés dans un tel état de choc.
Non, ce qui les avait submergés, c’était qu’en si peu de temps, Linéa avait déjà travaillé sur les détails comme sur qui allait planter quelles cultures et où, et même sur la façon de réguler l’équilibre des intérêts économiques qui apparaîtrait parmi les citoyens qui avaient planté différents types de cultures.
« Hé, cela ne serait-il pas intéressant si on faisait ça ? » Tout le monde avait eu le rêve de proposer une idée géniale et de dire cela. Cependant, de telles visions devenaient rarement réalité. Les idées en elles-mêmes n’avaient pas le pouvoir de faire bouger les choses.
Il fallait mettre en place un véritable travail : établir un calendrier concret, se procurer des fournitures, rassembler les individus, répartir les rôles. C’était avec cette capacité à faire avancer les choses qu’une idée commençait à prendre forme dans le monde.
Linéa possédait cette capacité.
Dans le Clan du Loup, des officiers comme Jörgen et Olof excellaient dans ce domaine, c’est pourquoi on leur donnait de précieuses nominations comme commandant en second ou gouverneur de Gimlé. Mais les compétences pratiques de Linéa dépassaient de loin les leurs.
Le talent naturel avait peut-être joué un rôle important à cet égard, mais c’était plus probable parce que Linéa avait, dès son plus jeune âge, été vigoureusement formée par son père aux compétences nécessaires pour remplir son futur rôle.
« Alors, Grand Frère. » Linéa n’avait pas semblé tenir compte de leur réaction. « La plus grande source d’inquiétude pour bon nombre des personnes concernées est ce qui se produirait en cas de mauvaise récolte. Si vous pouvez leur promettre une garantie financière de ces montants dans l’éventualité où cela se produirait, je pense que tout le monde se sentira suffisamment en sécurité pour travailler ensemble sur cette question. Donc, j’aimerais vraiment obtenir votre autorisation pour ceci. »
« O-Oui, euh... » Yuuto avait regardé vers le bas le papier placé sur le bureau devant lui, couvert de lignes de texte serrées, mais il ne pouvait pas le lire. Il jeta un coup d’œil à son adjudante, et avec une expression réservée, elle avait fait un seul signe de tête. Il semblait que ses conditions étaient raisonnables.
« Eh bien, allons de l’avant. Continuez ce bon travail, » déclara-t-il.
« Oui, je le ferai, » déclara Linéa avec joie. « Merci beaucoup ! »
« Non, c’est vous qui méritez des remerciements, » déclara Yuuto.
« Je fais ce que je peux pour tout le monde à Gimlé. » Le visage souriant de Linéa était coloré de fatigue ; elle n’avait probablement pas beaucoup dormi au cours des deux derniers jours. Mais même les signes de lassitude avaient été surpassés par sa joie.
Dans le domaine de l’apparence, Linéa n’était pas une comparaison pour Félicia ou Sigrun. Mais il y avait un charme qu’elle avait qu’elles n’avaient pas, une capacité à émouvoir le cœur des gens.
Je parie que les habitants de Gimlé sont tombés amoureux de votre sourire, pensa Yuuto avec certitude.
La logique ne suffisait pas à pousser les personnes à changer. Ce qui les avait changés, c’était indéniablement la sincérité de Linéa.
Malgré sa noble naissance et son rang, elle s’était toujours placée parmi les gens du peuple, avait écouté leurs voix avec sérieux et avait travaillé plus fort que quiconque. Cette approche résolument sérieuse les avait convaincus qu’elle pensait vraiment à leur bien-être et qu’ils pouvaient lui confier leurs destins.
« Si cet imbécile de Steinþórr est Xiang Yu, alors elle est comme Liu Bang et Xiao qu’il a mis ensemble », murmura Yuuto pour lui-même. « Ce n’est pas étonnant qu’elle ait été choisie pour être patriarche à son âge. »
Liu Bang n’avait pas été connu pour être particulièrement exceptionnel dans l’héroïsme sur le champ de bataille ni dans l’ingéniosité, mais il semblait avoir une qualité mystérieuse qui attirait les gens vers lui, et de nombreuses personnes compétentes et talentueuses s’étaient rassemblées sous sa direction.
Et parmi eux, il y avait un homme nommé Xiao He dont Liu Bang avait fait l’éloge en tant que plus grand serviteur de toute la Chine unifiée.
Xiao n’avait accompli aucun exploit miraculeux ou spectaculaire sur le champ de bataille, mais il avait été un habile administrateur de la forteresse de Liu Bang à Guanzhong. De là, il avait constamment envoyé des soldats et du ravitaillement sur les lignes de front, sans interruption et sans causer de pression indue sur la population.
« Je pense qu’avoir fait d’elle ma petite sœur dès que j’ai pu, c’était une bonne chose, » avait dit Yuuto avec un sourire ironique. Elle était comme les parties les plus fortes de deux grandes figures historiques combinées en une seule, ce qui la rendait si haut placée qu’elle pourrait aussi bien tricher.
Il était vrai que lorsqu’il avait affronté son armée sur le champ de bataille, il ne l’avait franchement pas considérée comme une menace, mais la connaissant maintenant, il était heureux du fond du cœur qu’il ne l’ait plus jamais comme ennemie.
***
Partie 7
Les environs de Yuuto étaient baignés dans l’obscurité. La seule lumière dans la pièce provenait de la flamme vacillante et faible d’une lampe voisine.
Normalement, Yuuto utilisait son temps libre avant de se coucher le soir pour lire des livres électroniques et étudier, mais ce soir, il avait sauté sa routine habituelle.
Demain matin, il quitterait Gimlé et, empruntant les pouvoirs des jumelles, il devrait revenir à Iárnviðr vers le soir, deux jours plus tard. Cela faisait déjà douze jours qu’il n’entendait pas la voix de Mitsuki, et elle commençait vraiment à lui manquer. Il voulait économiser autant de sa batterie que possible pour le jour de son retour.
« Avec tout ce qui s’est passé, ce voyage en valait la peine, hein ? » murmura-t-il.
Yuuto aurait aimé s’endormir tout de suite, mais à cause de sa routine, il était habituellement debout à cette heure, et il n’était pas le genre de personne qui pouvait facilement s’endormir quand cela lui convenait. Alors, pendant qu’il attendait que ses paupières deviennent lourdes, il ruminait sur les jours qu’il avait passés à Gimlé.
« Il semble que gouverner cet endroit va se dérouler plus en douceur que je ne le pensais au départ, ce qui est génial. »
C’était grâce à Linéa. Bien que l’antipathie de la population envers le Clan du Loup n’ait pas complètement disparu, Yuuto avait reçu des rapports d’Olof selon lesquels cela s’était beaucoup calmé.
Linéa s’était personnellement déplacée et avait posé les bases sociales nécessaires pour eux, en s’assurant que les gens obéiraient à Yuuto, et au Clan du Loup par extension.
Olof était aussi un homme honnête, diligent et fiable. Avec tout ce qu’il avait mis en place pour lui, il n’avait pas peur de laisser tomber cette chance et de la ruiner.
« Grand Frère, êtes-vous réveillé ? » demanda une voix.
« Hein ? Oh, c’est vous, Linéa. » Yuuto s’était assis. Il était un peu surpris d’entendre sa voix de l’extérieur de sa porte juste après avoir pensé à elle. « C’est le milieu de la nuit. Qu’est-ce qui se passe ? »
« Est-ce que je peux entrer ? » demanda Linéa.
« Bien sûr, c’est d’accord, mais de quoi aviez-vous besoin de me parler ? Est-ce à propos de Gimlé ? » demanda Yuuto.
« Non, il ne s’agit pas de ça…, » la porte s’ouvrit, et ses charnières produisaient un grincement légèrement désagréable.
Linéa semblait quelque peu nerveuse lorsqu’elle entrait dans la pièce, et Yuuto avait remarqué qu’elle ne portait pas sa tenue de soirée normale, mais une ample chemise de nuit.
Serrant un poing devant sa poitrine comme si elle rassemblait sa détermination, elle se tenait devant Yuuto. Alors qu’il plissait ses yeux dans l’obscurité, il pouvait voir que ses cheveux étaient mouillés. Était-ce une sorte d’huile parfumée ? Il y avait une sorte de douce odeur qui flottait vers lui.
« Grand Frère Yuuto... » Elle avait appelé son nom d’une voix délicate, et ses vêtements avaient glissé d’elle et étaient tombés par terre. Même dans l’obscurité, son corps nu se détachait nettement de son entourage.
« Attendez, L-Linéa !? » s’écria Yuuto.
Merde ! Trop tard, Yuuto avait maudit sa naïveté. Ces derniers jours, Linéa avait été tellement débordée par son travail que la seule fois qu’ils s’étaient parlé avait été de Gimlé et donc, il avait complètement baissé sa garde.
Alors qu’il était encore pris dans sa confusion, elle l’enlaça soudain, avec un regard amoureux dans les yeux. Une petite, mais indubitable sensation de douceur s’était appuyée contre la poitrine de Yuuto.
« S’il vous plaît, faites-le avec moi, » lui chuchota-t-elle à l’oreille, avec sa voix rougissant de passion.
« Gah... ! » Yuuto avait senti des frissons et des aiguilles qui remontaient le long de sa colonne vertébrale. Toutes ses pensées avaient été balayées, et son esprit était devenu blanc comme une feuille vierge. Comme guidés par une force invisible, les bras de Yuuto se soulevèrent lentement et commencèrent à s’enrouler autour du dos de Linéa.
Yuu-kun...
— mais avant qu’ils ne puissent le faire, l’image du visage de son amie d’enfance avait brièvement et intensément défilé dans son esprit, et il avait réussi à se retenir d’une manière ou d’une autre.
Il s’en était fallu de peu ; il s’était presque complètement laissé aller.
Yuuto avait fermé les deux yeux et avait pris une longue et profonde respiration, puis il avait saisi les épaules de Linéa et avait retiré son corps du sien.
« Pourquoi... ? Suis-je après tout vraiment moche ? » demanda Linéa.
« Non. Ce n’est pas ça, » répondit Yuuto.
« ... S’il vous plaît, ne vous inquiétez pas de mes sentiments, » déclara-t-elle. « La vérité, c’est que je l’avais déjà compris. Quand je parlais de mariage, vous aviez l’air si affligé, Grand Frère. »
« Ah... ! » Elle avait mis le doigt dans le mile, et il ne pouvait rien dire en retour.
Aussi jeune qu’elle fût, Linéa était encore une femme. Par rapport aux hommes, on disait que les femmes étaient nettement supérieures dans leur capacité à percevoir les mensonges ou les émotions cachées d’une personne à partir du ton de sa voix, des expressions faciales ou d’un langage corporel apparemment insignifiant. Selon une théorie, cet avantage naturel dans la perception et la perspicacité venaient du fait d’avoir à prendre soin des nourrissons, qui ne puisses parler aucune langue.
Yuuto avait été forcé de se rendre compte encore une fois qu’il ne devrait jamais sous-estimer l’intuition d’une femme.
« Cependant, je comprends, » déclara-t-elle avec tristesse. « Il y a Lady Félicia et Lady Sigrun, et ces jumelles du Clan de la Griffe. Toutes ces femmes autour de toi sont si jolies, si mignonnes, il n’y a aucune chance que vous vouliez coucher avec quelqu’un comme moi. »
« Non, vous êtes très séduisante, » tâtonna Yuuto. « C’est juste que je suis le patriarche du Clan du Loup. Je ne peux pas me permettre de me marier sans réfléchir et sans d’abord... Non, non, ce n’est pas vrai. »
Yuuto s’était pris au milieu de son mensonge et avait mordu sa lèvre en secouant la tête d’un côté à l’autre.
Il ne pouvait pas continuer à faire cette scène superficielle. Il essayait toujours de trouver des excuses, en essayant de dire ce qu’il fallait pour éviter de blesser ses sentiments. Comment avait-il pu continuer à être aussi malhonnête envers Linéa, qui avait toujours agi envers lui avec sincérité et humilité en faisant tout son possible ? Comment pourrait-il faire la même chose ici et maintenant ?
Il ne pouvait pas supporter de voir à quel point il se sentait pathétique.
« Hngh !! » Yuuto avait pris une grande respiration... puis avait grogné et s’était cogné le front contre le mur avec un boom !
Boom-boom-boom ! Insatisfait, il s’était cogné la tête plusieurs fois de plus.
« G-Grand Frère !!? Qu’est-ce que vous faites !? Du sang ! Vous saignez ! » cria Linéa.
« Je vais bien, » il leva une main pour arrêter Linéa, et pressa l’autre sur son front. Il y avait en effet quelque chose de chaud et d’humide.
De toute façon, cela faisait mal. C’était une quantité ridicule de douleur. Mais d’une certaine manière, cela avait fait sortir toutes les pensées ennuyeuses et prétentieuses, et sa tête était étrangement claire.
Il savait exactement ce qu’il devait maintenant faire.
« Linéa, je suis désolé ! Je ne peux pas vous épouser, » déclara-t-il en inclinant profondément la tête devant elle.
Yuuto n’était pas assez enfantin pour s’accrocher à l’idée que s’il expliquait honnêtement sa situation, tout le monde comprendrait. Il ne pouvait pas se permettre d’être un enfant.
En tant que patriarche, la stratégie était absolument nécessaire en toutes choses. Si la situation l’exigeait, il tromperait même quelqu’un sans hésitation.
Cependant, avec quelqu’un qui était complètement ouvert et honnête avec lui, il avait senti qu’il devait répondre avec honnêteté et intégrité en nature, non pas en tant que patriarche d’un clan, mais en tant qu’être humain civilisé.
« Je... vois », murmura Linéa, en maîtrisant ses émotions. « Pourrais-je au moins... vous demander pourquoi ? »
Yuuto leva la tête et regarda Linéa dans les yeux.
Honnêtement, il l’avait trouvée mignonne. C’était une fille gentille, attentionnée envers les autres et qui l’idolâtrait comme un chiot. Il ne pouvait pas nier que quelque part au fond de lui, il était devenu amoureux d’elle.
C’était exactement pour ça qu’il avait besoin de lui dire.
« Il y a une fille... J’en suis amoureux. Je ne veux pas la trahir. » Il lui avait fallu un peu de volonté pour faire sortir les mots de sa gorge.
Linéa le fixait, perplexe. Il fallait s’y attendre. Dans ce monde, il était courant pour les hommes en position de pouvoir d’avoir plusieurs maîtresses ou concubines. Et un mariage avec Linéa impliquait la politique de leurs deux nations.
Qu’est-ce que cette personne essaie-t-elle vraiment de dire ? Ce ne serait pas une réponse inhabituelle. Ce qu’il avait dit était si anormalement sentimental que cela pourrait lui sembler incompréhensible.
« Je vais vous raconter toute l’histoire », avait-il dit. « Sans rien vous cacher. Vous ne me croirez peut-être pas quand je vous dirai ça, mais je ne viens pas de ce monde. »
« Qu’est-ce que vous êtes... ? » demanda Linéa.
***
Partie 8
« Je suis venu de loin, de très loin, dans le futur — plusieurs milliers d’années. C’est pourquoi j’ai toutes ces connaissances que vous n’avez pas, » répondit Yuuto.
« ... C’est une histoire difficile à croire tout de suite. Mais... il y a aussi beaucoup de choses qui se mettent en place », marmonna Linéa avec une expression sérieuse.
Bien sûr, elle ne serait pas du genre à croire une histoire comme la sienne sans poser de questions. Mais elle avait aussi vu Yuuto apporter des idées et des inventions dans ce monde qui n’avait jamais existé auparavant, et cela encore et encore. D’une certaine façon, son explication était difficile à ne pas croire.
« Tout est vrai, » avait-il dit. « Et finalement, je souhaite retourner dans mon propre monde. Je ne sais pas comment revenir, mais je veux faire tout ce qu’il faut pour le faire. »
« ... Est-ce parce que la fille que vous aimez est là-bas ? » demanda Linéa.
« Ouais. C’est pourquoi... Je ne peux pas m’engager à épouser qui que ce soit dans ce monde. » Il avait réussi à le déclarer de façon claire et concise.
S’il ne l’avait pas déclaré avec certitude, c’était comme si son cœur pouvait vaciller. S’il n’avait pas eu Mitsuki, il aurait sûrement accepté les avances de Linéa. Non, il n’y avait pas qu’elle. Il aurait probablement déjà eu des relations sexuelles avec Félicia, ou Sigrun.
Après tout, elles n’auraient jamais refusé de le faire avec lui surtout en tenant compte qu’un tel comportement égoïste serait toléré de la part d’une personne dans la position du patriarche.
« C’est donc quelqu’un que vous aimez tant que ça, Grand Frère... Je suis jalouse. Elle doit être une personne vraiment merveilleuse. » Linéa avait lâché un petit sourire.
Même si l’histoire de Yuuto était à la hauteur d’un rêve ou d’un conte de fées, elle avait dû décider de par son ton à croire qu’il ne mentait pas.
« Je n’en sais rien, » avait admis Yuuto. « Elle est compliquée à propos de certaines choses, et c’est une pleurnicheuse, et dernièrement j’ai appris qu’elle devient vraiment effrayante quand elle est en colère. Elle est totalement désespérante sur bien des choses, vous comprenez ? »
Exactement ça. Elle était sans espoir. C’est pourquoi il devait rentrer chez lui, quoi qu’il arrive.
L’enfant encore au fond de son cœur avait juré, je suis celui qui la protégera.
Il n’allait pas abandonner ce rôle à qui que ce soit d’autre.
« Je ne sais pas encore quand cela va se produire, mais ça me rendrait heureux si vous et votre clan vous entendiez toujours bien avec le Clan du Loup, même après mon retour dans mon monde, » avait dit Yuuto. « J’ai l’intention de prendre des dispositions avec mon Calice pour éviter les luttes intestines. »
« Ce ne sera pas un problème pour moi, » avait répondu Linéa. « Cependant, il y a toujours un problème. Si vous retournez dans votre propre monde, Grand Frère, je ne suis pas sûre de ce que je devrais faire. »
Linéa avait soupiré. Elle n’était encore qu’à l’adolescence, mais à ce moment-là, c’était comme si elle était une vieille dame fatiguée de la vie.
« Avec moi comme patriarche, le Clan de la Corne ne fera que continuer son déclin. Rasmus est déjà un peu trop vieux pour le poste, et Haugspori est un général compétent, mais a peu d’intérêt pour gouverner. C’est un vrai problème. Vers qui dois-je me tourner ? » demanda Linéa.
« Euh, ça ira si vous restez patriarche, Linéa, » déclara Yuuto. « Franchement, les compétences que vous avez démontrées ici à Gimlé m’ont vraiment époustouflé. »
« Il n’y a pas besoin de flatterie, Grand Frère. On m’a fait prendre conscience de mes propres limites, » répondit Linéa.
« Attendez, ce n’est pas de la flatterie…, » déclara Yuuto.
« Je ne suis pas assez bien pour ça. J’avais pensé que je pourrais protéger le Clan de la Corne que mon père aimait tant. Que je pouvais faire grandir le clan pour qu’il soit encore plus grand que lui. Vraiment, je... J’étais si vaniteuse. Tout ce que j’ai accompli, je ne l’ai fait qu’en empruntant le pouvoir et l’héritage de mon père ; tout cela n’était qu’une imposture. Mais je suis quelqu’un qui ne pouvait même pas s’en rendre compte. Je suis une lâche qui était face à face avec l’assassin de mon père et qui ne pouvait rien faire d’autre que lui crier dessus... Je ne peux pas protéger le Clan de la Corne ! » déclara Linéa.
« H-hey, Linéa, » Yuuto avait tenté de lui coupé la parole, incapable de regarder Linéa se dénigrer comme ça, mais il ne pouvait pas penser à autre chose à dire.
« Être utilisée par quelqu’un avec une vraie force est plus approprié pour quelqu’un comme moi, » se confessa Linéa. « Si je n’ai pas quelqu’un pour prendre l’initiative, alors l’anxiété sera si grande que je ne sais plus quoi faire... »
Dépassée dans son désespoir, Linéa avait regardé Yuuto. Ses yeux étaient sans vie et désespérés, comme s’ils criaient au secours, d’une manière servile qui semblait si différente de la Linéa qu’il connaissait.
Yuuto avait fini par comprendre douloureusement la signification derrière le fait que Linéa avait proposé de lui remettre le Clan de la Corne. Son esprit avait été complètement brisé.
Dès qu’elle était devenue patriarche, un incident après l’autre avait affaibli le Clan de la Corne, et elle avait perdu toute confiance en elle-même.
Et celui qui l’avait conduite dans cet état, qui avait déclenché les événements qui avaient détruit tout ce qu’elle avait construit, c’était Yuuto lui-même.
Dans des circonstances normales, le Clan de la Corne aurait dû jouir d’une victoire éclatante dans leur guerre contre le Clan du Loup, car le Clan de la Corne n’avait pas de faiblesses. Et avec leur ennemi de longue date finalement détruit, le nom de Linéa aurait fait écho dans toute la région en tant que patriarche qui avait amené son clan à une puissance encore plus grande par la bataille.
Elle avait certainement eu la force d’accomplir cela. Elle possédait une compétence en stratégie à grande échelle qui allait au-delà de la simple tactique de combat. Mais la réalité lui avait réservé le résultat inverse.
Elle avait fait de Yuuto son ennemi, un étranger dont les connaissances dépassaient le domaine du bon sens, et c’était ce qui avait jeté les engrenages de son destin dans le désarroi.
Yuuto ne regrettait pas d’avoir fait ce qu’il avait dû faire pour protéger le Clan du Loup, mais il sentait encore la pression dans sa conscience. Il ne supportait plus de voir Linéa comme ça.
Avec un très long soupir, Yuuto leva les yeux vers le plafond et commença à marmonner doucement. « Pourquoi ne vous raconterais-je pas une vieille histoire ? C’est à propos d’un gamin sans valeur. »
« Hein ? » s’exclama Linéa.
« Alors ce gamin, il avait accès à toutes sortes de connaissances que personne d’autre dans ce monde n’avait, et tout le monde a commencé à le louer de haut en bas. Tous ceux qui l’avaient regardé de haut, l’appelant comme étant quelque chose de complètement inutile, étaient devenu à l’opposé de la manière dont ils agissaient avant, faisant la queue pour lui faire des révérences en tout temps et essayer d’obtenir ses faveurs. Et c’était si bien que cela lui était complètement monté à la tête. Eh bien, tout cela était simplement arrivé parce qu’il avait emprunté des connaissances, des idées qu’il n’aurait jamais pu trouver lui-même, et il n’y avait absolument rien d’étonnant chez le gamin lui-même. »
« Alors... cette personne est…, » comme prévu, Linéa avait deviné de qui il s’agissait.
En réponse à son regard interrogateur, Yuuto avait souri et avait un court rire, un rire autodérisoire, puis il continua.
« Alors il a continué à se remplir de suffisance au point où il croyait sans aucun doute que lui, le gars avec toutes ces connaissances, avait toujours raison, alors quand quelqu’un a essayé de l’avertir du danger, il a ri comme si l’autre ressentait de la jalousie... Tout le monde sait ce qui arrive aux idiots comme ça. Il pensait. “J’ai fait les choses exactement comme l’avait dit les connaissances que j’ai, de sorte que tout ira bien”, et cette insouciance lui a coûté cher. »
Alors qu’il le disait, Yuuto était stupéfait de voir à quel point il avait été stupide. Et alors même que cette impertinence avait été la raison même pour laquelle il était devenu coincé dans ce monde et incapable de rentrer chez lui, il n’avait même pas appris de ses erreurs.
Il était passé à la partie suivante de l’histoire qui avait été difficile pour lui sur le plan émotionnel.
« Normalement, celui qui paie le prix à la fin devrait être l’idiot lui-même. Mais ce n’est pas comme ça que ça s’est terminé. Au lieu de cela, celui qui est mort était quelqu’un qui l’avait aidé en s’occupant de lui depuis l’époque où il était encore ignorant et inutile, quelqu’un qui avait toujours essayé de le garder sur la bonne voie. Tout simplement sympa comme récompense. Et cette personne est morte en protégeant cet idiot de gamin. »
Yuuto avait eu des images de cette scène et il avait serré les dents de derrière, endurant la douleur qui accompagnait le souvenir. La douleur dans sa poitrine était plus forte que la douleur qu’il avait ressentie en se cognant la tête contre le mur il y a un instant.
Il attendit que cette douleur se calme, et laissa sortir la tension de ses épaules avant de parler.
« J’étais comme vous maintenant. J’ai appris trop clairement à quel point je manquais dans beaucoup de domaines. Je me suis blâmé et je me blâme encore maintenant. Mais ce qui est vraiment important, c’est ce qu’on fait après ça. »
En se souvenant de ce qui lui avait été confié, les mains de Yuuto se transformèrent en poings serrés.
À l’époque, les choses étaient si désespérées qu’il n’avait pas eu le temps de s’asseoir, découragé. Rétrospectivement, cela s’était avéré être une bonne chose pour lui.
Avec la douloureuse leçon qu’il avait apprise de cette expérience perçant le cœur, il avait été capable d’aller de l’avant, sans relâche.
« Hyaku-ren-sei-kou », a-t-il poursuivi. « C’est un dicton dans la langue de mon pays, et cela se traduit grossièrement : “L’acier est trempé cent fois.” Cela signifie que ce n’est qu’en passant par de nombreuses expériences qui mettent au défi et tempèrent le corps et l’âme que quelqu’un devient finalement une personne forte et exemplaire. »
C’était maintenant la devise personnelle de Yuuto.
Il savait qu’il était encore un enfant. Il manquait cruellement d’expérience de vie. Cependant, en tant que patriarche avec la vie de tant de personnes reposant sur ses épaules, il n’avait pas le luxe d’excuses enfantines.
Il devait donc continuer à se tempérer, sans devenir orgueilleux ou complaisant, en apprenant et en accumulant les expériences. Alors il devait les transformer en sa propre force.
Il se rappelait constamment que le savoir du XXIe siècle n’était rien de plus qu’un tricheur qu’il empruntait, de sorte qu’il ne s’emportait plus jamais en pensant qu’il était supérieur et ne répétait jamais le même genre d’erreur.
« Même dans l’histoire que je connais, parmi toutes les grandes figures qui ont marqué le monde, il n’y en a pas une seule qui n’a jamais eu d’échec ou de revers. En particulier, il y avait cet incroyable Liu Bang qui dirigeait la nation de Han. Il a perdu 72 fois contre le même adversaire, mais n’a jamais abandonné, et à la fin, il a uni la terre sous sa domination. »
Personne n’avait jamais voulu connaître l’échec. Pour une personne aussi aimable que Linéa, le fait que ses échecs entraîneraient la mort devait être d’autant plus insupportable pour elle. Même ainsi, Yuuto avait endurci son cœur face à ce fait et avait continué son discours d’encouragement.
« Hé, Linéa. C’est un moment crucial pour vous. Allez-vous vraiment abandonner ici, après un échec ? Vous n’avez même pas fini d’être tempéré une seule fois. À partir de maintenant, c’est maintenant que vous aurez la chance de devenir vraiment plus forte ! » déclara Yuuto.
« C’est... mais... » Les yeux de Linéa vacillaient, toujours dubitatifs.
Elle devait vouloir être celle qui protégeait son clan plus que tout. Si cela n’avait pas été le cas, elle ne se serait pas poussée si longtemps, depuis un si jeune âge, pour acquérir les capacités qu’elle possédait.
Mais sa confiance et son esprit, une fois brisé, n’allaient pas être restaurés si facilement. « Puis-je vraiment devenir plus forte ? Puis-je vraiment gagner la force de protéger le Clan de la Corne ? »
Linéa était déjà devenue incapable de juger ses propres capacités sous un jour optimiste. Cependant, c’était exactement la raison pour laquelle elle pouvait devenir plus forte.
« Je suis sûr que vous pouvez le faire. » Avec une confiance absolue en elle, Yuuto acquiesça de la tête. « Vous avez plus de talent pour ce genre de choses que moi. »
Le philosophe grec ancien Socrate avait déjà dit : « La seule vraie sagesse est de ne rien savoir, » et « Le vrai sage est celui qui est conscient de sa propre ignorance », ainsi que d’autres citations qui soulignaient l’importance d’être conscient de sa propre folie et de son ignorance.
Même l’entraîneur de basket-ball d’un manga sportif que Yuuto avait lu il y a longtemps avait dit : « Le premier pas pour qu’un mauvais joueur devienne un grand joueur est de réaliser à quel point vous êtes mauvais. »
Il y avait une montagne de citations comme celle-ci si on les cherchait.
Dans le passé, il ne l’avait pas vraiment compris. Il avait toujours pensé que c’était juste une question de talent brut. Après avoir surmonté ses échecs, Yuuto comprenait maintenant.
Ignorer la réalité au profit d’illusions naïves avait affaibli et miné le cœur. Et ce n’était pas facile de reconnaître sa propre immaturité et sa propre faiblesse. Cependant, la vraie force et l’esprit d’ambition étaient venus à ceux qui avaient accepté et fait face à la réalité, aussi difficile et douloureuse qu’elle soit.
Ce n’était pas quelque chose qu’il pouvait lui dire directement, mais la seule cause de l’échec de Linéa avait été d’avoir Yuuto comme adversaire. Même en regardant la ville de Gimlé, on pouvait voir qu’elle avait des capacités considérables en tant que patriarche. Si elle surmontait son état actuel, il n’y avait aucun doute qu’elle gagnerait encore plus d’expérience et de capacité, devenant un bon patriarche que quiconque jugerait digne de son titre.
Yuuto posa une main sur la tête de Linéa et lui fit un petit sourire. « Hé, ne vous inquiétez pas. Tant que je serai dans ce monde, je vous aiderai de toutes les façons possibles. Vous êtes ma mignonne petite sœur et tout, vous savez ? Allez-y doucement, pas à pas, et vous deviendrez plus forte. »
« ... C’est vrai ! » Les larmes coulant toujours des deux yeux, Linéa hocha la tête fermement.
Yuuto savait que cela ne signifiait pas qu’elle s’était complètement rétablie. En fin de compte, la seule qui pourrait sauver le cœur de quelqu’un était son propre moi. Tout ce que Yuuto pouvait faire, c’était de donner à Linéa l’occasion de le faire. Qu’elle ait effectivement utilisé cette chance ou qu’elle l’ait gaspillée, c’était à elle de décider. Mais il avait l’impression qu’elle avait surmonté le pire.
Soudain, elle le regardait avec un regard sérieux dans les yeux. « Grand Frère, c’est mal d’abandonner trop facilement, n’est-ce pas ? »
Yuuto avait déjà décidé qu’il n’allait pas lui mentir. Alors il avait répondu honnêtement.
« Oui, c’est vrai. Il y a des moments où il est important de savoir qu’il faut abandonner, mais je pense que c’est mal d’abandonner tout de suite, » répondit Yuuto.
« C’est vrai, n’est-ce pas !? Alors je ne vais pas vous laisser tomber, Grand Frère ! » déclara Linéa.
« Qu’est-ce qui se passe ? » s’exclama Yuuto.
Yuuto avait exprimé malgré lui sa réaction de surprise sur un ton presque sauvage. C’était une réponse naturelle, étant donné qu’il avait expliqué de façon si complète et si claire pourquoi il ne pouvait pas l’épouser, et c’était seulement pour qu’elle ramène le sujet maintenant.
« Attendez, attendez ! Comme je viens de le dire, je dois rentrer chez moi ! Je ne peux pas être le patriarche du Clan de la Corne…, » déclara Yuuto.
« Oui. Je comprends ça. Je n’ai plus l’intention de vous demander de reprendre le Clan de la Corne, Grand Frère. Je le protégerai moi-même. Mais ça et mes sentiments d’admiration pour vous sont des choses séparées. En fait, après avoir parlé avec vous ce soir, mes sentiments pour vous n’ont fait que s’approfondir encore plus ! Je vous aime encore plus ! »
« Mais non, je vous ai dit que j’ai déjà quelqu’un que j’aime, d’accord ? » avait-il protesté.
« Oui, je suis au courant. C’est pourquoi j’ai déclaré que je n’abandonnerai pas. Même si je perds 72 fois, c’est correct si je gagne à la fin, non !? Je ne peux pas nier que je suis encore loin d’être une candidate adéquate, mais je vais m’améliorer en tant que femme. Je vais capturer votre cœur et vous voler à cette autre femme ! » annonça Linéa.
« Euh. Hmm... » Yuuto n’arrivait même pas à enchaîner deux mots dans son esprit, et tout ce qu’il avait réussi à faire, c’était un gémissement en réponse.
Comment les choses en étaient-elles arrivées là ? Où avait-il commis l’erreur qui l’avait mené là ?
« Excusez-moi d’avoir perturbé votre agréable conversation, » déclara une troisième voix en douceur.
« Gah ! »
« Aah ! »
Face à la voix soudaine d’un tiers, Yuuto et Linéa avaient crié de surprise.
Le fait qu’aucun d’entre eux ne s’attendait à entendre une autre voix ici, si tard dans la nuit, en faisait partie, mais le ton enjoué de l’orateur était aussi en cause.
« K-Kristina, qu’est-ce que c’est ? » Yuuto avait reconnu la voix et avait parlé à travers la porte.
En y repensant, lorsque le Clan du Sabot avait commencé son invasion, une situation étrangement similaire s’était produite, avec un appel soudain dans la nuit.
Il n’avait pas un bon pressentiment à ce sujet.
« Il y a quelque chose d’urgent que je dois signaler, » déclara Kristina.
« Très bien, entrez », lui avait alors dit Yuuto.
Linéa éleva la voix en panique. « H-huh, a-attendez, Grand Frère !? »
C’est là que Yuuto avait réalisé un fait : Linéa était encore toute nue ! Avec la façon dont il avait été absorbé dans leur discussion sérieuse, et vu à quel point la pièce était sombre, il l’avait complètement oublié.
Avec un autre grincement, la porte s’était ouverte et Kristina avait gloussé.
« Oh, mon Dieu », dit-elle en souriant. « Étiez-vous au milieu de quelque chose d’amusant ? »
« Nous ne l’étions pas. Alors, quel est le rapport ? » demanda Yuuto.
Yuuto n’avait rien donné à Kristina de plus qu’une réponse sèche et fatiguée. Elle savait exactement ce qui se passait (ou ne se passait pas), mais elle avait quand même demandé.
Le sourire de Kristina avait disparu, et quand elle avait parlé, c’était avec le plus grand sérieux, sans une once de son ton ludique habituel. « Le Clan de la Foudre a commencé les préparatifs de guerre. »
Juste au moment où Yuuto pensait avoir résolu un problème majeur, il était jeté dans un nouveau problème et un qui était encore plus important.
C’était une journée malchanceuse pour lui.
***
Acte 4
Partie 1
« Maintenant, donnez-nous les détails. » Yuuto était assis en face de Kristina, les mains jointes et les coudes reposant sur le bureau.
Rassemblés autour d’eux dans la salle à manger, il y avait son adjudante, Félicia ; le maître actuel de la citadelle, Olof ; et le patriarche du Clan de la Corne, Linéa.
Albertina était également présente, mais elle avait déjà commencé à s’assoupir en étant assise sur une chaise. Elle était encore une enfant à la fois dans son corps et dans son esprit, donc rester éveillée à une heure aussi tardive avait dû être difficile pour elle.
Yuuto pouvait facilement imaginer que la conversation serait déviée s’il laissait Kristina y entraîner Albertina, de sorte qu’une fois que tout le monde s’était rassemblé dans la salle, il avait immédiatement dirigé la discussion et avait demandé son rapport.
Cela s’était avéré être une excellente décision.
« Au cours de ce voyage d’inspection, j’ai fait le tour de la ville et j’ai recueilli diverses informations, » déclara Kristina.
« Eh bien, n’était-ce pas trop astucieux de votre part, » demanda Yuuto avec un haussement d’épaules, comme pour dire bon sang.
Bien sûr, la moitié de sa réaction était une scène qu’il faisait. Il l’avait soupçonnée de recueillir des renseignements dans Gimlé.
Au niveau de distance, cet endroit était loin du territoire du Clan de la Griffe. Si, pour une raison quelconque — par exemple, si Yuuto rentrait chez lui et que ses Serments du Calice devenaient invalides — la relation entre le Clan du Loup et le Clan de la Griffe devait se détériorer à l’avenir, il y avait peu ou aucune chance que l’information recueillie ici puisse être exploitée pour être utilisée contre le Clan du Loup. Au pire, les habitants de Gimlé pourraient peut-être être incités à l’émeute, permettant une attaque par-derrière, mais il serait impossible à mettre en place pendant la courte durée d’un voyage d’inspection.
Par conséquent, son plan était de lui donner carte blanche pour l’instant et de vérifier l’étendue de ses capacités et de sa loyauté. En conséquence, elle lui avait apporté des nouvelles désagréables, mais c’était beaucoup mieux que si elles ne lui étaient pas parvenues du tout.
« En particulier, j’ai trouvé que les pubs et autres étaient un trésor pour les renseignements », poursuit Kristina. « Quand l’alcool éclaircit l’humeur d’une personne, cela a après tout aussi tendance à desserrer les lèvres. Donc, d’après ce que disait un commerçant, il semblerait que dans la capitale du Clan de la Foudre, Bilskirnir, il y a une forte augmentation de la demande d’étain. Si bien que même avec l’augmentation des prix, cela ne dissuade pas le clan de l’acheter. »
« Étain... » Yuuto avait levé la tête. « Pour le bronze. »
Une petite quantité d’étain pourrait être utilisée pour transformer le cuivre en bronze, ce qui augmenterait considérablement sa dureté. Dans Yggdrasil, où l’utilisation du fer n’était pas encore très répandu, le bronze était le métal typique utilisé dans les armes et les armures.
Cependant, l’étain était un métal assez rare et ne se trouvait que dans des zones limitées. S’il y avait une demande pour de grandes quantités dans la capitale du Clan de la Foudre, cela signifiait qu’il y avait une très forte probabilité qu’ils se préparaient à la guerre.
« Pourtant, » déclara Yuuto, « cela ne veut pas dire que nous allons être ceux qu’ils ciblent, n’est-ce pas ? »
Le territoire du Clan de la Foudre était vaste, à la frontière d’un certain nombre d’autres nations. Il y avait le Clan du Sabot et le Clan de la Corne au nord, et Yuuto avait entendu dire qu’il y avait aussi un certain nombre de clans au sud.
« Il a également mentionné que certains représentants de leur gouvernement ont pris l’habitude de faire beaucoup de petites conversations amicales avec tous les commerçants arrivant de l’Est, en guise de prétexte pour essayer d’obtenir de l’information de leur part. »
La seule nation sur la carte du côté est du Clan de la Foudre était le Clan du Loup.
« Je vois maintenant », déclara Yuuto, incapable de supprimer un rire amer. « Oui, c’est beaucoup trop d’indices dans ce sens. »
Ces fonctionnaires avaient certainement fait de leur mieux pour cacher correctement leurs véritables intentions, mais ils s’étaient heurtés à des marchands ambulants à l’esprit vif, qui étaient bien meilleurs à ce jeu. Ainsi, le stratagème aurait été tout à fait évident.
Yuuto s’était doucement juré que s’il cherchait des renseignements et qu’il ne voulait pas que ses ennemis le découvrent, il se contenterait d’un pot-de-vin honnête. Des exemples comme celui-ci avaient montré que l’information pouvait valoir plus que de l’or.
« Et ainsi, Seigneur Yuuto. Seriez-vous prêt à m’envoyer dans le Clan de la Foudre ? » demanda Kristina.
« Hrm... » Le front de Yuuto s’était plissé.
Il était vrai qu’il voulait des renseignements sur le Clan de la Foudre plus que toute autre chose en ce moment. Bien sûr, Yuuto avait déjà envoyé régulièrement des espions déguisés en commerçants sur le territoire du Clan de la Foudre afin de recueillir des informations. Mais cette Kristina était de loin supérieure à tous les espions qu’il connaissait. Elle pouvait utiliser son pouvoir pour contrôler les vents afin d’écouter et de dissimuler sa présence.
Plus que tout, elle avait l’esprit vif. La vraie valeur de l’information se trouvait dans ce que l’on pouvait déduire lorsqu’elle était combinée et analysée, tout comme Kristina avait utilisé l’information sur la demande d’étain et les représentants du gouvernement pour percevoir la menace de guerre. Dans ce monde où le taux d’alphabétisation était inférieur à 1 %, ses capacités n’étaient rien de moins qu’exceptionnel.
C’était la raison pour laquelle Yuuto l’avait d’abord voulue comme subordonnée, mais...
Yuuto avait fixé Kristina du regard, son petit corps.
« Ooh ! ♪ » Sans changer l’expression de son visage, Kristina gémissait et montrait son corps en se tortillant, mais Yuuto l’ignorait.
C’était une enfant. Aussi précoce et impertinente qu’elle puisse être, un coup d’œil à son apparence avait montré qu’elle était une jeune et tendre enfant.
« Vous envoyer en territoire ennemi est une autre affaire. » Yuuto s’était arrêté, en considérant le pire des scénarios. Si, par hasard, elle devait mourir, cela pèserait beaucoup trop lourd sur sa conscience.
Bien sûr, Yuuto savait qu’il serait également choqué et consterné si une subordonnée, comme Sigrun, devait mourir. Mais dans le cas de quelqu’un comme Sigrun, c’était une femme militaire qui avait prêté le Serment du Calice pour risquer sa vie sur le champ de bataille pour Yuuto et pour le Clan du Loup. C’était une guerrière puissante qui portait le titre de Mánagarmr. Dire à quelqu’un comme elle qu’il ne voulait pas qu’elle se mette en danger serait plus que simplement impoli, ce serait une insulte à sa fierté.
Cependant, les jumelles du Clan de la Griffe n’avaient aucun lien avec lui par l’intermédiaire du Calice. Elles étaient techniquement ses invitées. Il ne pouvait pas les forcer à faire quelque chose de trop imprudent.
« C’est trop dangereux, ou plutôt... » déclara Yuuto.
« Dangereux ? Hehe. » Avec un sourire coquet, Kristina avait brusquement donné un coup de pied sur la chaise dans laquelle sa sœur était assise.
« Bwah !? » Frappée par l’impact soudain et la chaise inclinée, Albertina ne pouvait que crier d’une voix idiote lorsqu’elle était tombée par terre. —
— c’est ce qu’on pourrait supposer. Au lieu de cela, elle avait retourné son corps en l’air, effectuant un atterrissage habile à quatre pattes. Yuuto avait eu les yeux écarquillés par la surprise. Sa réaction avait été aussi agile que celle d’un chat.
« Un tremblement de terre !? Que se passe-t-il ? » Kristina criait de panique en regardant autour d’elle.
« Al, s’il te plaît, attrape Olof là-bas, » ordonna Kristina. « Prends-le vivant. »
« Hein ? » s’exclama Albertina.
« Quoi ? » s’exclama Olaf.
Les yeux d’Albertina et d’Olof s’étaient élargis et ils avaient regardé Kristina.
« Lady Kristina, qu’est-ce que c’est que tout d’un coup ? » demanda Olof.
« Mais Kris, n’est-il pas du Clan du Loup ? » demanda Albertina.
« Peu importe, » déclara Kristina, en baissant le ton. « Fais-le, c’est tout. »
« D-D’accord ! » Le corps d’Albertina tremblait, comme si elle se souvenait d’une sorte d’expérience traumatisante. Et puis elle avait disparu.
« Qu’est-ce qu’il y a — !? » Au son de la voix surprise d’Olof, Yuuto s’était retourné pour regarder dans sa direction et avait été choqué par ce qu’il avait vu. D’une manière ou d’une autre, Albertina s’était mise derrière Olof et tenait une courte lame à sa gorge.
Olof était un homme qui s’était hissé jusqu’au quatrième rang du Clan du Loup. Il avait connu d’innombrables batailles et s’était distingué par ses réalisations militaires. Et il n’avait pas eu le temps d’opposer la moindre résistance.
Il était vrai qu’Olof n’avait pas été préparé à l’attaque-surprise. D’un autre côté, entendre quelqu’un proclamer « prends-le vivant » aurait dû lui donner le temps de se mettre en garde. L’élément de surprise avait donc été atténué.
Cela signifie que le niveau d’agilité d’Albertina pourrait même dépasser celui de Sigrun. Ses mouvements avaient été si rapides que Yuuto n’avait pas pu les suivre de ses yeux.
« Très bien, Al, ça suffit. » Les mots de Kristina résonnaient clairement dans la pièce silencieuse.
Albertina avait immédiatement retiré sa lame de la gorge d’Olof et avait commencé à incliner la tête pour s’excuser auprès de lui. Quant à Olof, son visage était plus rigide et blanchi qu’il ne l’avait jamais été.
« Il est donc vrai que nous n’avons pas la force physique pure et que nous ne ferions pas grand-chose en portant des lances sur un champ de bataille, » avait dit Kristina. « Mais s’il s’agissait d’un combat rapproché au milieu de la ville, il serait difficile de trouver quelqu’un de mieux que ma sœur. »
« Après avoir vu ça, je vais remercier le ciel que ma propre tête soit toujours attachée. » Yuuto venait de réaliser à quel point ces jumelles étaient dangereuses. Il avait été complètement trompé par leur apparence enfantine et leur comportement innocent. Si Kristina était l’espionne parfaite, Albertina était un assassin né.
« Hehe ! Il a été impossible de vous prendre la tête, Seigneur Yuuto. Lady Félicia était constamment à vos côtés, et le palais était après tout plein de gens effrayants et forts. »
« Au passé, alors ? Vous, les jumelles, vous êtes effrayantes comme l’enfer. » Yuuto n’avait pas pu s’empêcher de se mettre la main à la gorge en poussant un soupir.
Il était vrai que jusqu’à récemment, le Clan du Loup et le Clan de la Griffe étaient en guerre l’un contre l’autre. Il aurait été plus que contre nature si Yuuto n’avait pas été directement visé à un moment donné.
En regardant en arrière à travers les pages de l’histoire, mettant de côté les luttes de pouvoir internes, on trouvait généralement beaucoup d’exemples d’un agent étranger assassinant avec succès un roi.
En termes pratiques, les jumelles auraient dû passer devant de multiples couches de gardes très vigilants, pendant une période d’alerte accrue due à la guerre, afin d’atteindre les chambres de Yuuto et de le tuer. Cela avait dû être trop difficile, même pour elles.
Cela dit, il était beaucoup plus facile de se faufiler dans la ville surpeuplée et, au cas où elles auraient été repérées, elles auraient probablement pu s’éloigner des gardes de la ville sans problème.
« Hehe ! » Kristina riait. « Ne l’ai-je pas dit tout au début, lorsque vous avez traité les deux jumelles de simples nuisances ? Croyez-vous maintenant que je n’avais jamais été aussi insulté de toute ma vie ? »
***
Partie 2
Le lendemain matin, Yuuto s’était dépêché de préparer son départ de Gimlé.
Il devait retourner à Iárnviðr aussi vite que possible, mais avant cela, il y avait encore beaucoup à faire.
Il avait déjà demandé à Félicia de rédiger les documents nécessaires et de les envoyer dès le matin, par pigeon voyageur, à Jörgen à Iárnviðr.
Étonnamment, l’histoire des pigeons voyageurs remonte à très loin. Il y avait des descriptions sur des tablettes d’argile sumérienne datant d’environ 5000 ans avant notre ère, qui décrivaient leur utilisation. Et, jusqu’à ce que les premiers télécopieurs soient inventés au milieu du XIXe siècle, ils demeuraient la méthode la plus rapide de correspondance écrite ou dessinée.
Quant à leur utilisation actuelle dans Yggdrasil, cela n’allait pas au-delà de l’attachement de la vigne ou de la tige de certains types de plantes à la patte du pigeon, qui servait de code et ne pouvait transmettre que des informations très simples et limitées. Ce n’était après tout pas comme si on pouvait demander à un pigeon de porter une tablette d’argile avec un vrai message.
Ainsi, le message par pigeon n’était pas un moyen de communication très apprécié, et la plupart des pigeons domestiqués étaient élevés comme source de nourriture.
Mais avec l’avènement du papier, l’envoi de textes plus détaillés était devenu possible. La vitesse de croisière d’un pigeon voyageur était d’environ 50 à 70 kilomètres à l’heure. Il arriverait probablement dans la journée, beaucoup plus vite qu’un messager à cheval.
Pour l’instant, seul le Clan du Loup possédait ce moyen de communication rapide. Les jumelles, qui étaient parties pour le territoire du Clan de la Foudre, avaient aussi reçu plusieurs pigeons.
Le taux de retour d’un pigeon voyageur était d’environ 60 %. Donc s’ils avaient besoin d’envoyer un message et voulaient être absolument sûrs de son arrivée, ils auraient besoin d’utiliser tous leurs pigeons, et ne pourraient communiquer qu’une seule fois. Mais Yuuto avait confiance que la jeune jumelle, Kristina, serait capable de faire le bon jugement dans cette situation.
Linéa s’approcha de Yuuto et parla juste au moment où il avait fini de donner à Olof des instructions détaillées sur ce qu’il devait faire après son départ. « Grand Frère, je pense aussi retourner à Fólkvangr pour commencer à préparer mon armée. »
Il y avait de la bravoure dans sa voix, et une lumière était revenue dans ses yeux qui montraient qu’elle avait retrouvé un peu de maîtrise d’elle-même. Elle avait dû pouvoir mettre beaucoup de choses derrière elle après une nuit de repos.
« Ce n’est peut-être qu’un peu, mais je veux que vous me permettiez de vous remercier pour la bataille contre le Clan du Sabot ! » déclara Linéa.
Il semblait qu’elle s’était réveillée dans l’action, incapable de se permettre de rester faible pendant que son frère faisait face à une crise, et Yuuto lui en était reconnaissant.
« D’accord, je suis — . » Yuuto avait commencé à hocher la tête, puis s’était arrêté. Il avait mis la main à la bouche alors qu’il plongeait dans ses pensées.
Au bout d’un certain temps, Yuuto semblait ne parler à personne en particulier. « Alors la récolte du blé est déjà terminée, et si le terrain ici est comme ça, alors... oui, je devrais en être doublement sûr, juste pour être à cent pour cent sûr. »
« Grand Frère ? » demanda Linéa.
Yuuto se tenait complètement immobile, fixant un seul point dans l’air. Alors que Linéa l’appelait, il s’était soudain tourné vers elle.
« Linéa, partez rassembler les troupes avec Rasmus. J’ai une autre faveur à vous demander. Normalement, ce n’est pas quelque chose que je devrais demander au patriarche d’un clan différent... mais c’est quelque chose que vous seule pouvez faire, » déclara Yuuto.
« Seulement moi ? » demanda Linéa.
« Exact, » Yuuto avait attrapé Linéa par les deux épaules.
Son visage était devenu rouge vif et elle avait détourné son regard de celui de Yuuto, mais il était trop excité pour le remarquer.
Il avait rapproché son visage encore plus près du sien, et avec des yeux sérieux, il lui avait parlé avec un enthousiasme fébrile. « Vous êtes la seule sur qui je peux compter pour ça, personne d’autre que vous ne peut le faire ! »
***
Partie 3
Trois jours après l’arrivée de Yuuto à Iárnviðr, les renseignements que Kristina avait recueillis sur le Clan de la Foudre s’étaient avérés corrects.
L’homme devant lui dans la salle d’audience était d’âge moyen, peut-être 40 ans, et était vêtu de fourrures grises. On aurait dit des peaux de loup.
« Que faites-vous ici, envoyé du Clan de la Foudre ? » demanda Yuuto d’une manière hautaine, reposant son menton dans une main.
Le visage de l’envoyé était tendu et pâle, mais il n’y avait pas d’hésitation ou de peur dans ses yeux, seulement une sorte de résolution tragique.
Après avoir mouillé ses lèvres une fois avec sa langue, l’envoyé avait commencé à parler d’une voix tendue. « Je porte un message de mon patriarche. »
« De cet... de Steinþórr ? » Yuuto avait presque dérapé et il avait presque dit « cet idiot », sa façon habituelle de se référer à Steinþórr, mais il avait réussi à se rattraper. Il ne pouvait pas se laisser aller à traiter le patriarche du Clan de la Foudre d’idiot devant l’un des membres de ce clan.
« Félicia, » déclara Yuuto.
« Grand Frère, » répondit-elle.
Yuuto avait fait un geste avec sa tête, et Félicia s’était approchée de l’envoyé et avait accepté le message de sa part, en suivant gracieusement les actions que l’étiquette requérait. Elle était retournée au côté de Yuuto et avait regardé le contenu du message une fois, puis elle avait ouvert les yeux en raison d’une grande surprise.
« Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que ça dit ? » demanda Yuuto.
« Je le lirai à haute voix exactement tel qu’il est écrit. Informez le Seigneur Yuuto, patriarche du Clan du Loup, que je suis Steinþórr, patriarche du Clan de la Foudre. Le patriarche du Clan du Sabot que vous avez tué, Yngvi, était mon frère juré par le Calice, et aussi le père par le sang de ma femme bien-aimée. Nos cœurs, mari et femme, sont déchirés par le chagrin. Je voudrais envahir le territoire du Clan du Loup dès maintenant, afin de prendre votre tête et de l’offrir devant la tombe de mon cher frère, mais nous, du Clan de la Foudre, nous ne voulons pas d’une guerre dénuée de sens. Si vous du Clan du Loup avez le moindre regret pour vos actes et souhaitez faire amende honorable, alors remettez-nous immédiatement la ville de Gimlé. Si vous refusez, nous ne vous montrerons aucune pitié... Il n’y a plus rien dans le message. »
« Même les bêtises ont leurs limites ! Nous n’accepterions jamais de telles exigences absurdes ! » cria Sigrun.
« Avez-vous oublié que c’est le Clan du Sabot qui a envahi le Clan de la Corne en premier ? » Jörgen avait fait rage. « Notre patriarche n’a fait que respecter le lien sacré du Calice et envoyer des troupes pour les aider ! Et la mort est un compagnon de guerre constant. Nous n’avons rien à être blâmé ! »
Avant que Yuuto n’ait eu l’occasion d’ouvrir sa bouche pour répondre, Sigrun avait protesté contre son indignation, suivie de son second, Jörgen. Ils étaient assis en silence dans la salle d’audience, mais ils ne pouvaient pas rester ainsi.
Le message avait été une démonstration unilatérale de grossièreté volontaire envers le Clan du Loup, il était donc naturel qu’ils se fâchent tous les deux. Il s’agissait d’essayer de provoquer une bagarre, pour le dire clairement. Mais Yuuto restait étrangement calme, avec une expression douloureuse, comme s’il prenait le message à cœur.
« Hmm, la colère du Seigneur est certainement justifiée, » déclara-t-il. « Gimlé est une terre extrêmement importante pour le Clan du Loup, et pourtant j’aimerais faire tout ce que je peux pour éviter un conflit armé avec le Clan de la Foudre, qui est connu pour leur courage intrépide dans les combats. J’aimerais avoir un peu de temps pour y réfléchir. »
« Père !? »
« Père !? »
« Grand Frère !? »
Jörgen, Sigrun et Félicia s’étaient retournés pour faire face à Yuuto, leur incapacité à croire ce qu’il disait était écrite sur leur visage.
Yuuto les avait réduits au silence avec un regard significatif, puis s’était tourné pour sourire largement à l’envoyé. « Envoyé, vous devez être fatigué de votre long voyage. Je vais faire préparer une chambre pour vous, donc vous devriez vous détendre à Iárnviðr pendant un court moment en tant qu’invité. Le pain sans grains que nous faisons ici est exquis, vous savez ? Et nos montagnes regorgent de gibier sauvage. Nous vous offrirons toute notre hospitalité, alors amusez-vous bien. »
***
Partie 4
Au moment où l’envoyé avait quitté la pièce, Sigrun et Jörgen s’étaient précipités vers lui avec toute l’intensité d’un feu de forêt.
« Père ! Qu’est-ce que tu voulais dire par là ? » cria Sigrun.
« Oui, s’il vous plaît, expliquez-le ! L’idée d’abandonner Gimlé à cette misérable bête est au-delà du domaine de la raison ! » s’exclama Jörgen.
Yuuto avait regardé Félicia dans un appel à l’aide, mais même elle affichait une expression troublée, et s’attendait clairement à une explication complète. On aurait dit qu’il était encerclé de tous les côtés.
« Père, on nous manque de respect ! » Incapable de maîtriser sa colère, Jörgen avait claqué son poing dans le mur avec un boom.
Par rapport à l’époque moderne japonaise d’où venait Yuuto, les habitants d’Yggdrasil étaient nettement plus incivilités dans leur tempérament, mais Jörgen était parmi les plus modérés d’entre eux. Si Jörgen avait été poussé à ce point, on ne pourrait qu’imaginer les retombées si d’autres officiers du Clan du Loup avaient été présents pour cette audience.
Cependant, Yuuto lui-même acquiesça simplement d’un signe de tête froidement. « Oui, ils voulaient vraiment se battre avec nous. Mais ce n’est pas parce qu’ils demandent une raison que nous devons leur en donner une, n’est-ce pas ? »
Partout dans le monde, passé et présent, les prétextes et les justifications étaient indispensables pour les guerres. En déclarant publiquement que son propre camp était la justice et que l’ennemi était le mal, les soldats allaient gagner en moral, et cela avait servi d’appel à la légitimité parmi les nations voisines.
À l’inverse, si l’on ne permettait pas à l’adversaire d’avoir sa justification, cela servait de dissuasion et ils ne pouvaient pas envahir aussi facilement les terres avoisinantes.
« Comment pouvez-vous être si calme face à tout ça et accepter cette situation si facilement !? Que se passera-t-il si on leur donne Gimlé ? Ils deviendront encore plus arrogants, et bientôt ils nous demanderont de leur remettre Iárnviðr ! » demanda Jörgen.
« Oui, cela sonne à peu près ainsi, » avait convenu Yuuto.
Machiavelli avait déjà dit : « Si vous cédez par la peur et pour échapper à la guerre, il y a de fortes chances que vous n’y échappez pas ; puisque celui à qui vous faites cette concession par lâcheté manifeste, ne se reposeront pas, mais s’efforceront de vous arracher d’autres concessions, et en faisant moins de cas de vous, cela ne sera que le faire devenir plus enflammé contre vous ».
Le fait que Yuuto semblait prendre les mots de Jörgen comme s’il était normal avait seulement versé de l’huile sur le feu de sa colère, et il avait crié sur Yuuto, le visage rouge. « Père !! »
« Calmez-vous un peu, d’accord ? Personne ne dit que nous allons accepter quoi que ce soit. J’ai juste dit que j’en tiendrais compte, » déclara Yuuto.
« Qu’est-ce qu’il y a à considérer ici !? Couper la tête de ce messager et la renvoyer aurait été une bonne réponse ! » cria Jörgen.
Il y a un conte de la période Kamakura de l’histoire japonaise, dans lequel les demandes d’hommage de la dynastie Yuan de Kublai Khan en Chine étaient si insolentes que Hojo Tokimune, le dirigeant effectif du Japon à l’époque, avait réduit au silence un émissaire en réponse. En remontant les fils de l’histoire, des exemples comme celui-ci de tuer le messager était trop nombreux pour être comptés.
En pensant aux événements historiquement prouvés qui s’étaient produits par la suite, Yuuto avait appuyé son corps contre la chaise. « Si on faisait ça, le Clan de la Foudre nous envahirait tout de suite. »
Tout comme Yuuto avait envoyé des espions pour infiltrer le Clan de la Foudre, ils devaient sûrement envoyer leurs propres espions sur le territoire du Clan du Loup, déguisés en commerçants ou similaires. Une fois qu’ils auraient appris que l’envoyé du Clan de la Foudre avait été tué, cette nouvelle allait rapidement revenir sur Steinþórr.
« Je n’aimerais rien de mieux que de le voir essayer, » avait déclaré Jörgen, pris dans sa propre excitation. « Père, quand êtes-vous devenu si lâche ? Ne vous souciez-vous même pas que quelqu’un vous ridiculise ainsi ? C’est honteux en tant que membre du Clan du Loup ! »
Yuuto lui avait jeté un regard glacial.
Jörgen était le commandant en second du Clan du Loup. La plupart des gens avec qui il traitait étaient déférents envers lui, le traitant avec le plus grand respect. Inconsciemment, ce genre de traitement avait commencé à lui sembler naturel et juste.
C’était ainsi que l’autorité et le pouvoir empoisonnaient lentement le cœur et rendaient une personne plus arrogante. L’insolence des autres était devenue impardonnable. L’indignation rendait impossible le fait de voir ce qui se trouvait juste devant soi-même. La défense de la dignité était devenue le seul point de mire. C’était un fléau commun parmi les figures d’autorité puissantes.
Mais le Yuuto actuel n’était pas assez naïf pour se soucier d’une telle vanité vide.
« Pensez-y », lui avait dit Yuuto. « Ils sont allés jusqu’à nous envoyer ce message ridicule. Cela signifie qu’ils ont déjà fini de se préparer à la guerre. Mais nous venons juste de commencer. Comprenez-vous maintenant ? »
« Ah ! » Jörgen avait fait un dernier grognement, puis il avait cessé de parler. Il semblerait que tout le sang qui s’était précipité vers sa tête commençait enfin à se remettre en place.
Normalement, une guerre exigeait un temps de préparation considérable.
Pendant l’invasion du Clan du Sabot, ils avaient envoyé en urgence toutes les forces dont ils disposaient, et cela avait limité le nombre de soldats qu’ils pouvaient recruter et réunir. Et le rythme de marche déraisonnablement dur que les soldats avaient subi signifiait qu’au moment où ils atteignaient Fólkvangr, ils avaient été complètement épuisés et à peine capables de bien se battre.
À l’époque, c’était une nécessité née de la crise, mais c’était sans aucun doute un bien meilleur plan pour faire tout ce qu’il fallait pour éviter de retomber dans ce genre de situation.
« Mais, Père, en ce moment, cet envoyé est sûrement dans sa chambre en train de rire du lâche qu’il pense que vous êtes ! » Jörgen avait protesté. « En tant qu’enfant subordonné, je ne supporte pas qu’on se moque du père que je respecte. »
Jörgen grinçait pratiquement des dents dans la frustration, et Sigrun et Félicia étaient d’accord avec lui. Jörgen avait dû dire ce qu’elles ressentaient toutes les deux.
« Je vous suis reconnaissant de ressentir cela, mais pour l’instant, vous devez le supporter », avait dit Yuuto. « Cette guerre a déjà commencé. Et toute guerre est basée sur la tromperie. Qu’il se moque de nous autant qu’il le souhaite ; je suis content qu’il se laisse berner. Si ça nous donne plus de temps, alors c’est un petit prix à payer. »
Pour l’instant, ce dont ils avaient le plus besoin, c’était du temps. Si Yuuto pouvait gagner ce temps en perdant la face, il l’achèterait comme s’il s’agissait du dernier morceau de marchandise dans les dernières minutes d’une vente à prix cassé.
« Deuxièmement, vous êtes chargé de veiller à ce que l’envoyé soit diverti. En fait, beurrez-le avec de la flatterie. Je m’en fiche qu’il ait l’idée que je pourrais lui faire prêter le Serment du Calice. Assurez-vous qu’il passe le meilleur moment de sa vie. »
Alors qu’il donnait les ordres à Jörgen, Yuuto s’était souvenu du visage de l’envoyé du Clan de la Foudre. Cet homme avait les yeux de quelqu’un qui s’était préparé à la mort. Sa mission avait été de mourir si nécessaire, afin de créer le prétexte à l’invasion du Clan de la Foudre. Peut-être l’avait-il fait en échange d’une vie sûre pour sa famille et de l’honneur de servir sa nation. De telles personnes préparaient leur cœur à supporter la douleur et la peur, mais souvent elles n’étaient pas aussi bien préparées à faire face à la flatterie et à la tentation.
D’un côté, il y avait l’homme qui lui avait ordonné de mourir, et de l’autre, l’homme qui offrait une hospitalité chaleureuse et bienveillante. Il y avait peu de cœurs qui ne seraient pas influencés par ce déséquilibre.
« Jouons le rôle des lâches, et faisons en sorte qu’il oublie sa loyauté et sa mission. Si tout se passe bien, j’aimerais avoir plus d’informations sur le Clan de la Foudre. » Avec un sourire malicieux, Yuuto gloussa pour lui-même.
Il n’était plus le garçon téméraire qu’il avait été deux ans plus tôt. Il avait acquis la force astucieuse dont il avait besoin pour survivre dans le monde déchiré par la guerre d’Yggdrasil, un mélange de robustesse et de flexibilité.
« Oh, et il est possible qu’il essaie de se moquer de vous ou de vous provoquer, alors ne mordez pas à l’appât, » avait ajouté Yuuto. « Endurez-le avec un sourire. »
Habituellement, Jörgen était une personne douce dont Yuuto n’avait pas à s’inquiéter, mais après l’exemple avec le message plus tôt, il avait pensé qu’il valait mieux s’en assurer.
« Félicia, tu dois répandre une vague rumeur dans la ville qui implique que je pourrais vouloir échanger le Serment du Calice avec cet idiot. Cela pourrait faire baisser la garde des espions, donc on doit faire ce qu’on a à faire. »
« D-D’accord ! »
« Et aussi... Hmm, ouais, mettons en place un plan pour bloquer les routes de la ville le jour même où les troupes seront rassemblées. Nous voulons retarder le retour des espions au Clan de la Foudre, même si cela n’est que de quelques heures, » déclara Yuuto.
« Compris. »
« Cela devrait nous donner un peu plus de latitude pour travailler, mais le fait que nous devons nous dépêcher n’a pas changé. Ce ne sera probablement pas long jusqu’à ce que cet idiot se lasse d’attendre et fasse un geste. OK, quoi d’autre…, » Yuuto tapota paresseusement son doigt sur le bureau.
Avec un regard perplexe, Jörgen dit : « Père, si je peux me permettre, quel âge aviez-vous déjà ? Je crois me rappeler que vous étiez dans votre adolescence. »
Pourquoi demander ça maintenant ? pensa Yuuto, mais il répondit quand même. « J’ai eu 16 ans le mois dernier. Oh, dans les coutumes d’Yggdrasil, je pense que ça me ferait 17 ans ? »
« Même si vous avez vécu moins de la moitié de ma vie, quelles expériences avez-vous vécues pour devenir aussi rusé qu’un vétéran chevronné ? Pour éduquer les générations futures, pourriez-vous me le dire ? » Jörgen soupira et secoua la tête en avant et en arrière avec étonnement.
Yuuto avait affiché un sourire ironique. Il n’arrivait pas à croire à quel point les gens de ce monde étaient rapides à mettre un enfant comme lui sur un piédestal comme ça. Ce n’était pas bon pour son éducation. Il avait déjà failli perdre son chemin à cause de ça.
Et c’est ce qu’avait dit Yuuto, se réprimandant lui-même : « C’est juste parce que j’ai eu accès à beaucoup de façons de tricher. »
***
Partie 5
La lune dans le ciel et les torches à proximité illuminaient son chemin.
Petit à petit, il avait gravi les marches de l’escalier, préparant sa détermination. Quand il avait atteint le sommet, il s’était assis et avait regardé le ciel, et il avait appuyé sur le bouton Appeler.
« Allô, es-tu là, Mitsuki ? » demanda-t-il.
« Yuu-kun, ta voix est lugubre. S’est-il passé quelque chose ? » répondit Mitsuki.
C’était exactement ce qu’il aurait dû attendre de son amie d’enfance, qui passait du temps avec lui depuis leurs premiers souvenirs. Même au téléphone, elle pouvait percevoir la légère variation du ton de sa voix et en déduire que quelque chose n’allait pas.
Yuuto n’avait pas pu s’empêcher de rire de l’ironie. Même s’il était dans un monde complètement différent, il ne pouvait rien lui cacher.
« Je vais devoir retourner au combat, » annonça Yuuto.
Il y avait eu un long silence avant qu’elle ne parle. "... Je vois. Il n’y a rien que je puisse dire pour l’arrêter, n’est-ce pas ? »
Elle avait clairement beaucoup de choses à dire. Mais le fait qu’elle avait retenu ses paroles avait montré qu’elle pouvait lire dans la voix de Yuuto à quel point sa détermination était solide.
« Je suis désolé, pour t’avoir toujours fait t’inquiéter, » déclara Yuuto.
« Les hommes sont vraiment égoïstes. Ce sont toujours les filles qui se font du sang d’encre et finissent par pleurer. C’est tout simplement la vérité sur la façon dont le monde fonctionne, » déclara -t-elle.
« Je suis désolé... »
« Non, ne le sois pas. C’était juste moi qui ai été un peu méchante. Comme je t’ai aussi fait te sentir mal, on est quittes cette fois, Yuu-kun, » déclara-t-elle.
En entendant cela, Yuuto avait senti que la fin de sa dette était beaucoup trop lourde pour que les choses s’équilibrent.
Même si elle savait qu’il ne pouvait pas l’accepter, elle faisait ce qu’elle pouvait pour essayer d’effacer ses sentiments de culpabilité quand au fait de l’inquiéter. Le souhait derrière ses paroles semblait s’infiltrer dans sa poitrine.
Il avait senti la main qui tenait son smartphone se serrer avec plus de force. « Merci, Mitsuki. Désolé d’avoir toujours rendu les choses difficiles pour toi. »
« Tu as promis que tu ne dirais pas ça. Reviens vivant, d’accord ? C’est aussi une promesse, d’accord ? » déclara Mitsuki.
« Oui. Je te le promets, » répondit Yuuto.
Malgré le fait qu’il savait qu’elle ne pouvait pas le voir, Yuuto leva le petit doigt de sa main gauche et lui jura dans son cœur qu’il reviendrait victorieux.
Une semaine plus tard, Yuuto avait appris de Kristina qu’elle avait quitté la capitale du Clan de la Foudre, Bilskirnir.
Et ses préparatifs étant terminés, il avait envoyé ses troupes.
***
Acte 5
Partie 1
« Maître, qu’attendez-vous de moi si tard dans la nuit ? » Skáviðr avait demandé ça en entrant dans la salle.
« Hmm, eh bien, asseyez-vous, » dit Yuuto, en faisant un geste pour qu’il s’asseye.
« Sire ! » répondit-il avec une expression non sociable et inflexible qui correspondait à ses mots. Skáviðr avait posé un genou à terre puis il s’était placé en attente de la suite.
Yuuto avait essayé d’insinuer qu’il était acceptable de se détendre, mais... C’est comme ça que cet homme est toujours, pensa Yuuto avec un petit rire ironique.
Ils se trouvaient dans un petit village sur les rives de la rivière Élivágar, non loin de Gimlé. Les troupes du Clan du Loup dirigées par Yuuto avaient fait de cette colonie le centre de leur camp de base ce soir, et se remettaient de la fatigue de la marche de la journée.
Une maison au centre de la colonie, légèrement plus grande que les autres, était devenue pour l’instant le logement de Yuuto.
Elle aurait pu être plus grande que les autres, mais la maison était faite de briques séchées au soleil qui semblaient en mauvais état, et l’intérieur était aussi assez vieux. Du point de vue de quelqu’un de l’ère moderne, il aurait aussi bien pu s’agir d’un bâtiment abandonné ou d’une ruine.
C’était quand même beaucoup mieux que ce que les soldats moyens devaient supporter en campant à l’extérieur. Ce serait un mauvais karma pour lui de trop se plaindre.
« Au moins, il ne semble pas qu’il y aura du travail pour moi ici, » avait dit Skáviðr en se moquant de lui-même, comme s’il faisait une conversation anodine.
« Elle est après tout abandonnée, » dit Yuuto. « Linéa a bien tenu son rôle. »
« Hm, le patriarche du Clan de la Corne l’a fait ? »
« Oui, on est juste à côté de la frontière. Bien sûr, je n’ai aucune intention de laisser le Clan de la Foudre s’introduire sur notre territoire. Mais au cas où le pire arriverait, j’ai pensé que je devrais faire évacuer tout le monde. »
Lors de l’invasion d’un pays ennemi, le pillage des villes locales était la coutume établie de longue date à Yggdrasil. Yuuto avait donc le devoir de protéger le peuple de son territoire clanique en tant que patriarche.
Cela dit, cette région était à l’origine le territoire du Clan de la Corne, et les habitants n’avaient guère l’habitude d’être gouvernés par le Clan du Loup. Ses forces ne pouvaient pas se contenter de dire : « Nous allons avoir une guerre maintenant, alors dépêchez-vous d’évacuer vos maisons et de partir ailleurs. » On peut se demander si les gens obéiraient en premier lieu, et cela pourrait aussi susciter une réaction hostile.
Linéa, d’autre part, était très aimée et respectée par les gens d’ici, et elle connaissait bien tous les petits villages et les colonies de la région. Plus que tout, elle était incroyablement habile à mettre en place des plans organisés et à les exécuter.
Il pensait qu’elle serait certainement en mesure de trouver une destination pour les gens à évacuer et de prendre des mesures pour s’assurer qu’ils obtiennent la nourriture et l’eau dont ils ont besoin. C’était l’exemple parfait pour trouver la bonne personne pour le bon poste.
« Très bien, pour commencer, voilà. » Yuuto s’était assis avec les jambes croisées devant Skáviðr et lui tendit une coupe d’argent. Puis il l’avait remplie avec le vin qu’il avait demandé à Félicia de lui procurer.
L’homme sinistre et lugubre devant lui avait éclaté dans un sourire agréable. « Eh bien. Penser que j’ai le plaisir de voir mon maître lui-même me servir un verre. »
« Je vous suis vraiment reconnaissant, » avait dit Yuuto. « C’est le moins que vous puissiez me laisser faire. »
« Je n’ai rien fait de digne de votre gratitude, mais j’accepte... Hmm, c’est bon. » Skáviðr avait bu toute la tasse de vin d’une seule gorgée, puis avait tremblé légèrement lorsque la saveur l’avait saisi. Il semblait vraiment l’avoir apprécié.
Yuuto savait que cet homme était un grand amateur d’alcool, et de ce type de vin en particulier.
Yuuto s’était préparé, et avait abordé le sujet qu’il avait besoin de demander. « Alors, combien en avez-vous tué en venant ici ? »
« Trois. Avec toutes ces personnes réunies, quelques imbéciles vont se montrer, » répondit-il.
Les forces actuelles du Clan du Loup, y compris les renforts du Clan de la Griffe et du Clan de la Corne, étaient au nombre de 5 000 au total.
En plus de toutes les récentes avancées militaires du Clan du Loup, leur récente victoire contre le Clan du Sabot avait dû être une sorte de tournant, car il y avait eu un flot de combattants qualifiés qui étaient entrés sur le territoire du Clan du Loup au cours du mois dernier, avec l’espoir de devenir officiers commissionnés.
Il y avait plus d’un petit nombre d’entre eux qui ne pouvaient être décrits que comme des canailles. Et avec tous ceux qui se préparaient à partir au combat, il y avait ceux dont l’esprit combatif augmentait aussi leur agressivité. Il était inévitable qu’il y ait des incidents dans les villages où il y avait des escales.
« Je suis désolé de vous avoir fait être celui qui devez tuer ses camarades, » avait soupiré Yuuto.
C’était un problème inévitable. Il n’avait pas pu être entièrement éliminé. Mais il avait réussi à le réduire. C’était pour cette raison qu’il avait besoin de faire prendre conscience à tout le monde que le crime de désobéissance aux ordres de l’armée était passible d’une punition sévère.
Il y avait un vieux proverbe japonais : « Punissez-en un, et cela avertira cent. » Cela signifie que punir une personne pour son crime ou son erreur pouvait servir d’exemple aux autres, les dissuadant de commettre le même crime ou la même erreur.
Personne ne voudrait tuer quelqu’un qui avait été leur camarade jusqu’à hier. Cependant, il fallait bien que ce soit quelqu’un qui le fasse.
C’était d’autant plus vrai à ce moment si particulier, quand ils marchaient pour combattre le Clan de la Foudre. S’il n’était pas très clair qu’il ne fallait pas désobéir aux ordres de leurs supérieurs, alors même une bataille gagnable pourrait être perdue. Il n’y avait pas de place pour parler naïvement d’idéaux ou de principes.
Celui qui exécutait ces punitions était méprisé, fui et craint. Et celui qui avait assumé ce rôle sur lui-même était Skáviðr.
« Il n’y a pas une seule chose sur quoi vous devriez vous excuser, maître, » dit Skáviðr. « Je ne ressens pas la moindre douleur à l’idée d’abattre des imbéciles qui feraient du mal aux femmes et aux enfants. C’est ma façon de faire amende honorable envers ma femme et mon enfant. »
Il avait déjà plus de trente ans. Dans Yggdrasil, où le mariage pendant l’adolescence était tout à fait normal, il serait étrange qu’il n’ait pas de famille à lui. Mais Skáviðr était seul. Il avait perdu sa femme et son fils de huit ans lorsque des bandits étaient entrés par effraction dans sa maison.
« Ça devrait vraiment être mon travail de le faire, cependant…, » déclara Yuuto.
« Maître, pour notre peuple, vous êtes une lumière d’espoir. Un paria comme moi est un choix plus approprié pour un travail aussi sale, » répondit Skáviðr.
« Mais, quand même... »
Yuuto avait compris. Logiquement, il savait que Skáviðr avait raison. C’est pourquoi, lorsque l’enfant subordonné de Jörgen avait été exécuté, il s’était empêché de dire quoi que ce soit.
Quand les citoyens faisaient pleuvoir des railleries sur Skáviðr, Yuuto aurait voulu venir à sa défense, pour crier à haute voix que leur patriarche était vraiment celui vers qui ils devaient diriger leur colère. Il s’était senti malade parce qu’il avait reçu les éloges de tout le monde et il avait voulu remettre les pendules à l’heure.
Mais cela n’aurait servi que sa propre satisfaction. Skáviðr avait pris ce rôle détestable sur lui-même pour le bien de la nation, et Yuuto ne pouvait pas se permettre de souiller cette noble détermination pour ses propres raisons mesquines.
Même en sachant tout cela, il avait encore du mal à l’accepter émotionnellement. Il était insupportable pour lui de voir quelqu’un d’autre assumer les rôles sales et désagréables résultant de ses décisions, alors qu’il restait abstinent et irréprochable.
Le patriarche d’un clan devait rechercher le bonheur du plus grand nombre. C’était le résultat de cela, et un autre exemple de mettre la bonne personne au bon poste, mais Yuuto ne pouvait toujours pas se le pardonner.
« Hehe, ne vous sentez pas comme si vous avez besoin de prendre tout sur vous à un si jeune âge, » déclara Skáviðr avec gentillesse, avec un regard quelque peu nostalgique dans ses yeux. « C’est bien de laisser ce genre de choses aux adultes. »
Si son fils était encore en vie, il aurait l’âge de Yuuto. Peut-être qu’il avait vu un peu de son fils en Yuuto. Mais il aurait été grossier de la part de Yuuto de poser des questions à ce sujet.
« Maître, il y a des choses que vous seul pouvez faire. Seul le lion peut chasser le tigre. S’il vous plaît, protégez les sourires des membres du Clan du Loup. Rien ne rendrait mon vin plus sucré que ça, » déclara Skáviðr.
« Le Clan de la Foudre a 8000 hommes, » déclara Yuuto. « Il n’y a pas autant d’écart entre nous qu’avec le Clan du Sabot, mais ils ont encore beaucoup d’avance sur nous. »
Il avait obtenu l’information de Kristina, et les chiffres étaient probablement assez précis. Une fois de plus, la bataille qui l’attendait allait être rude.
***
Partie 2
Le lendemain, Yuuto avait déplacé ses troupes de l’autre côté de la rivière Élivágar dans le territoire du Clan de la Foudre. Il avait réussi à éviter de laisser son ennemi faire le premier pas et il avait ainsi empêché l’invasion de son propre territoire.
Au moins pour l’instant, cela signifiait qu’il avait gagné la bataille sur le front de l’information.
Il avait mis en place sa formation de troupes avec les collines à leur dos, et les avait fait se reposer pour retrouver leur force pendant qu’il attendait l’armée du Clan de la Foudre.
Cette armée s’était montrée deux jours plus tard. C’était ici que la première étincelle des flammes de la guerre avait été allumée entre deux clans, le Clan du Loup et le Clan de la Foudre.
☆☆☆
Une bataille sur terrain plat commençait généralement par des échanges de flèches.
La stratégie commune était d’utiliser le tir à l’arc comme couverture mobile, tout en utilisant des chars pour réduire la distance de face ou attaquer le flanc, jusqu’à ce que les deux camps soient finalement arrivés en combat au corps à corps.
« Pourquoi leurs flèches nous atteignent-elles de si loin ? » Steinþórr se tenait au sommet des fortifications en terre qu’il avait fait construire pour son quartier général sur le champ de bataille, inclinant son cou de manière bizarre alors qu’il regardait vers les lignes de front.
Le vent soufflait de son côté, donc il aurait dû être un vent de face pour l’ennemi. Et pourtant, comme si, malgré cela, les flèches du Clan du Loup atteignaient ses hommes depuis l’extérieur de la portée de ses propres archers. C’était véritablement mystérieux et bouleversant.
« J’ai entendu dire que le patriarche du Clan du Loup dispose d’un certain nombre d’outils étranges, » répond humblement un homme bien bâti du côté de Steinþórr. « C’est peut-être l’effet de l’un d’eux. »
Son visage sévère présentait l’air d’un vétéran militaire, tandis que le regard posé dans ses yeux indiquait une intelligence calme.
Il s’appelait Þjálfi. C’était un Einherjar portant la rune de Tanngrísnir, « le Grincheux », et il était le confident et conseiller militaire de Steinþórr.
« Ah, qui se soucie des détails, » murmura Steinþórr. Il éleva la voix et cria un ordre, poussant son bras vers lui dans un geste de commandement, la paume tournée vers l’avant. « Protégez-vous avec vos boucliers et avancez ! »
Une situation où seul l’ennemi pouvait attaquer signifiait que seules ses propres pertes augmenteraient. S’il devait gagner cette phase, il devrait d’abord atteindre une distance où ses propres attaques pourraient frapper.
Les archers avaient peut-être un peu de portée, mais alors quoi ? Ce n’étaient que des flèches. L’échange de tirs de flèches n’était rien de plus qu’un prélude, une escarmouche qui durait que jusqu’à ce que les chars et l’infanterie se rapprochent et que le combat en mêlée commence.
Tout ce que cela signifiait, c’était que cette fois-ci, la pluie de flèches frappant à mesure qu’ils avançaient durerait un peu plus longtemps, et si les soldats se protégeaient soigneusement avec leurs boucliers, il ne devrait pas y avoir beaucoup de victimes. En effet, il avait supposé que le danger serait insignifiant.
« Graah ! »
« Aaagh ! »
Des cris de douleur s’étaient levés les uns après les autres des lignes de front.
« Que s’est-il passé ? » Steinþórr avait crié.
« Les flèches de l’ennemi percent nos boucliers, Sire ! », avait signalé un guetteur.
« Quoi !? » Steinþórr cria en grimaçant en réponse à ce rapport.
Alors que de nombreux clans d’Yggdrasil s’appuyaient sur des boucliers en bois, le Clan de la Foudre avait été béni avec des réserves abondantes de cuivre et avait ainsi équipé ses soldats de boucliers en bronze. S’il s’agissait d’une attaque effectuée par une arme lourde comme une hache ou un marteau de guerre, il serait compréhensible qu’un bouclier de bronze se brise, mais comment cela pourrait-il être vrai face à de simples flèches ? Steinþórr n’avait aucune idée de ce qui se passait dans le monde.
« ... C’est du fer. » Þjálfi avait craché les mots d’un ton presque haineux, grimaçant. « Lord Alexis avait dit que pendant la guerre avec le Clan du Sabot, le Clan du Loup avait équipé ses soldats de lances de fer. Je n’aurais jamais imaginé qu’ils l’utiliseraient aussi dans les flèches... »
« Attends, du fer ! Franchement ? Tu dis qu’ils en ont assez pour nous tirer dessus !? » Steinþórr n’avait pas pu s’empêcher d’être choqué par cette idée.
D’une certaine façon, c’était une réaction naturelle et justifiée. Dans Yggdrasil, le fer était quelque chose de rare et de seulement obtenu à partir de météorites, considéré comme un cadeau du ciel. Les flèches ne devaient être rien de plus que des munitions jetables. Prendre quelque chose dont la valeur dépassait de loin celle de l’or ou de l’argent, et le jeter comme si ce n’était rien semblait sortir du domaine du bon sens.
« Peut-être que de leur point de vue, ce n’est plus une marchandise particulièrement rare ou précieuse, » murmura Þjálfi.
Ses paroles avaient atteint la cible avec précision. Le Clan du Loup avait accès sur son propre territoire à tout le sable de fer qu’il pouvait désirer. En raison de sa densité relative, le sable de fer s’était accumulé dans les sédiments des berges de la rivière dans ce qu’on appelait un gisement minéral dérivant du littoral.
Ces gisements n’avaient pas encore été touchés par les mains de l’homme, et les terres montagneuses du Clan du Loup regorgeaient également du bois nécessaire à la production de fer.
Si c’était pour quelque chose comme forger un nihontou convenable, du sable de fer de qualité supérieure provenant des montagnes serait mieux, mais le sable de fer de rivière était plus qu’assez bon pour fabriquer de l’équipement de fer pour leurs soldats communs.
Avec les guerres continues avec Clan de la Griffe et le Clan de la Corne qui avait mené à la bataille précipitée avec le Clan du Sabot, le Clan du Loup n’avait jamais eu l’occasion d’en préparer suffisamment, mais cette fois-ci, ils étaient venus complètement préparés.
« Bordel ! Tu crois que je vais arrêter maintenant !? Ils utilisent un petit truc ou quelque chose pour faire voler leurs flèches plus loin et plus vite, mais il semble que cela allonge aussi l’écart entre une volée et la suivante. Ne bronchez pas ! C’est le moment d’aller de l’avant ! Plus vite ! Allez plus vite ! » cria Steinþórr.
La nature humaine était telle que, face à quelque chose de complètement imprévu, une personne se figeait souvent momentanément, ou son esprit se vidait. Un commandant moyen aurait certainement été ébranlé par l’efficacité écrasante des attaques de l’ennemi et serait tombé dans la panique.
Cependant, Steinþórr s’était rapidement rendu compte de leur faiblesse, du fait qu’ils ne pouvaient pas tirer en succession rapide, et avait pris la décision rapide de charger implacablement en avant sans la moindre hésitation.
C’était en effet l’homme qui, malgré sa jeunesse, avait gagné bataille après bataille en tant que commandant et qui, en l’espace de trois ans à peine, avait régné sur tout le nord de Vanaheimr.
Cependant, même quelqu’un d’aussi grand que lui ne pouvait pas imaginer que les volées des flèches de fer étaient, pour le Clan du Loup, vraiment et exactement comme il l’avait dit : une petite astuce. Les soldats du Clan de la Foudre étaient sur le point de vivre la véritable terreur qu’était l’armée du Clan du Loup commandée par Yuuto.
***
Partie 3
« Les forces ennemies ne s’arrêtent pas ! Ils chargent par ici ! » avait rapporté le guetteur.
« Comme prévu du Clan de la Foudre, » Yuuto hocha la tête avec le menton tenu par une main. « Ils sont après tout connus pour leur courage infatigable au combat. Même les arbalètes n’ont pas pu les arrêter, hein ? »
L’arbalète était un type d’arc qui avait été largement utilisé en Chine dès le 5e siècle avant notre ère. Elle avait été conçue pour être tenue horizontalement au lieu d’être tenue verticalement. La flèche était placée sur une base en bois appelée crosse, et pouvait être tirée en pressant sur une gâchette.
Il fallait plus de temps et d’efforts pour ramener la corde de l’archet que pour un arc normal, de sorte qu’il n’avait pas la capacité d’enchaîner rapidement les tirs. Alors qu’un archer expert pouvait être capable de tirer dix flèches ou plus en une minute, un arbalétrier pouvait en tirer que deux.
En échange, elle s’enorgueillit d’un rayon d’action et d’une puissance de pénétration que les arcs de cette époque ne pouvaient espérer atteindre. Et les pointes de flèches étaient en fer, pas en bronze. Cette dureté qui complétait la vitesse de vol des carreaux en avait fait une arme puissante.
De plus, dans Yggdrasil, la grande majorité des soldats étaient des paysans. Apprendre à utiliser efficacement un arc demandait beaucoup de temps et d’entraînement, mais une arbalète n’en demandait qu’une fraction pour obtenir un niveau de précision de base, et elle fournissait la même force de puissance de tir, peu importe l’utilisateur. C’était l’arme idéale pour les paysans-soldats, fournie des siècles en avance sur son temps.
« Très bien, il devrait maintenant être temps, » déclara Yuuto. « Que les arbalétriers se replient. »
Yuuto pouvait voir que les soldats du Clan de la Foudre se frayaient un chemin à travers la pluie de flèches de fer, se rapprochant de la distance, et seraient bientôt à porter pour attaquer l’armée du Clan du Loup.
Après avoir désespérément résisté à l’agression et s’être rendu jusque-là, il s’était senti un peu mal pour eux, mais c’était une bataille de vie et de mort pour tout le monde. En tant que responsable de la vie de ses propres soldats, il n’avait pas les moyens de faire preuve de pitié.
Il avait profondément inhalé, puis avait placé son bras vers l’avant et avait crié d’une voix tonitruante.
« Lancier Phalange, chargez !! »
En réponse aux ordres de Yuuto, ses gardes personnelles avaient fait sonner les gongs de signal et avaient agité les bannières de son quartier général de haut en bas. Cela garantissait que les ordres atteindraient instantanément les alliés qui se battent à une certaine distance de lui.
Les signaux visuels et audio avaient été utilisés simultanément, de sorte que même si un soldat n’avait pas capté l’un des signaux, il y avait de bonnes chances qu’il puisse capter l’autre. Et, parce que le Clan du Loup était si cohérent dans l’application de leurs lois, leurs soldats avaient une culture de la discipline beaucoup plus approfondie que tout autre clan de ce monde. La réaction rapide de son armée aux ordres et aux mouvements bien contrôlés n’était pas quelque chose de spectaculaire, mais dans ce type d’époque, c’était un signe d’excellence.
« Ouaiiiiiiiisssssssssss !! » Avec un cri de guerre rugissant, les troupes de phalanges commencèrent à avancer, et quelques instants plus tard, elles rencontrèrent de front l’infanterie du Clan de la Foudre.
Les lances qu’ils portaient étaient deux fois plus longues que celles du Clan de la Foudre, et elles aussi étaient faites de fer. En poussant ces armes d’un seul coup, l’ennemi ne pouvait ni les éviter ni les bloquer, et de leur côté, les attaques de l’ennemi ne pouvaient pas atteindre la phalange. C’était un combat à sens unique.
Ce fut la force motrice derrière les victoires du Clan du Loup contre Clan de la Griffe, Clan de la Corne et le Clan du Sabot, leur tactique constamment imbattable. Et même maintenant, contre le Clan de la Foudre, elle donnait encore une fois des résultats. Même avec leur nombre supérieur, les guerriers du Clan de la Foudre n’étaient pas à la hauteur. Ils étaient tombés morts, l’un après l’autre, face à l’assaut du Clan du Loup.
« Ils opposent moins de résistance que je ne le pensais. » Yuuto avait plissé son front, suspicieux.
Il avait été assez certain que l’ennemi se battrait contre lui, mais tout s’était si bien passé qu’il était presque décevant. C’étaient les soldats du Clan de la Foudre, réputé pour leur audace et leur détermination, mais il était sûr que le Clan du Sabot avait été plus tenace.
« Serait-ce que nous, du Clan du Loup, sommes devenus encore plus forts ? » demanda Félicia.
« Non, je ne pense pas que ce soit ça. » Yuuto secoua lentement la tête face à sa suggestion.
Il y avait moins de différence en nombre que lorsqu’ils avaient combattu le Clan du Sabot. Et contrairement à la guerre précédente, les soldats du Clan du Loup n’avaient pas eu à faire une marche forcée soudaine, ils avaient reçu l’entraînement nécessaire, et ils avaient reçu beaucoup de nourriture et de repos avant la bataille. Ils avaient aussi été capables de tirer beaucoup plus de flèches cette fois-ci.
Avec les préparatifs complets qu’ils avaient été capables de faire avant de s’engager dans la bataille, on pouvait dire que ce résultat était assez naturel, mais pour Yuuto, il semblait toujours qu’il y avait trop peu de résistance de la part de l’ennemi.
Les troupes du Clan du Sabot répondaient aux ordres de leur maître rapidement et avec un niveau de cohésion qui ne s’effondrait pas même lorsqu’elles étaient acculées par les tactiques de Yuuto. En regardant les soldats du Clan de la Foudre en comparaison, ils étaient certainement assez audacieux et courageux pour avancer à travers le barrage de tir d’arbalète et dans le mur de longues lances, mais ils semblaient d’une manière ou d’une autre manquer de coordination.
Il s’agissait d’une bataille à grande échelle, de milliers contre des milliers, et il était évident de voir quel type de force serait le plus menaçant.
« Eh bien, peut-être que je devrais donner plus de crédit à Yngvi, » déclara Yuuto.
Yngvi était un chef que son armée avait vaincu, le regretté patriarche du Clan du Sabot qui avait fait de sa nation une grande puissance en l’espace d’une génération. En fin de compte, Yngvi n’était pas à la hauteur des connaissances et des tactiques de l’époque moderne de Yuuto, mais il était encore une race rare de guerriers et de généraux, et un héros pour son peuple.
Leurs forces individuelles en tant que combattants mis à part, en tant que généraux, le jeune Steinþórr n’était tout simplement pas aussi habile que le Yngvi beaucoup plus mature l’avait été.
C’est tout ce qu’il y avait à faire.
« … Non, il n’y a aucune chance que ce soit ça. » Yuuto n’arrivait pas à se débarrasser de son mauvais pressentiment.
Tout allait dans son sens. Yuuto avait déjà appris que les choses ne s’arrangeaient pas si facilement dans la vie. C’était dans des moments comme celui-ci que l’on pouvait tomber inopinément dans un piège.
Il y a trois ans, ce même Yngvi avait été repoussé par Steinþórr. Et c’était à une époque où le Clan de la Foudre était beaucoup plus petit en taille et en force qu’il ne l’était aujourd’hui. Yuuto ne pouvait pas oublier l’aura écrasante qu’il avait vue lors de la cérémonie de victoire du Clan de la Corne.
Il y avait quelque chose de plus à l’homme, c’était sûr. Yuuto avait l’impression que Steinþórr, fidèle à son pseudonyme, le regardait comme un tigre accroupi alors même qu’il résistait aux attaques du Clan du Loup, attendant l’occasion de frapper.
S’il ne faisait que trop réfléchir, c’était très bien. Yuuto avait fait un effort pour supprimer ses émotions excitées, et avait renouvelé son attention sur le champ de bataille.
« Un maniaque de la bataille comme lui ferait d’abord ressortir les principales forces de ses adversaires avant de les réduire en pièces, mais ce n’est pas un jeu pour moi. Je ne vais pas lui donner la chance de contre-attaquer, » déclara Yuuto.
***
Partie 4
« Ah ! Très bien, messieurs, c’est le signal du Père, » dit Sigrun. « Tout le monde, montrez-moi votre esprit combatif ! »
Alors qu’elle avait vu l’apparition de bannières utilisées comme signal depuis sa position sur le flanc gauche, où elle attendait avec impatience sa chance de charger, Sigrun avait attiré l’attention de ses subordonnés.
Cette fois, ils n’allaient pas utiliser le type d’attaque-surprise suivi par une fuite qu’ils avaient utilisé contre le Clan du Sabot. À l’époque, ils se battaient sur le territoire de leur nation alliée, le Clan de la Corne, et donc ils avaient acquis une grande quantité d’informations sur la géographie, ainsi que des fournitures et de l’aide des citoyens. Cette fois, ils se trouvaient en territoire ennemi et devaient éviter toute manœuvre à haut risque.
Mais grâce au repos qu’ils avaient eux, les combattants et les chevaux avaient de l’énergie à revendre, et ils étaient prêts et attendaient le signal pour se lancer dans le combat.
« Unité Múspell, en avant ! » Sigrun avait dégainé son nihontou pendant qu’elle criait l’ordre.
Sa voix claire et belle débordait d’esprit combatif et alimentait les flammes de l’excitation de ses hommes.
Sa silhouette élégante et magnifique ressemblait à la façon dont on pourrait imaginer l’une de ces jeunes filles guerrières mythologiques qui guidaient les âmes dans l’au-delà. C’était loin de l’image que l’on pourrait imaginer de son titre de guerrière.
Sous sa direction, il avait été dit que ses hommes ne craignaient même pas la mort, et l’unité de Múspell avait foncé avec férocité sur leurs ennemis.
« Ennemis lointains, écoutez ma voix ! Ceux qui sont à proximité, venez me voir ! Je suis le Mánagarmr, Sigrun du Clan du Loup ! Si vous n’avez plus besoin de votre vie, alors venez auprès de moi ! »
Alors qu’elle annonçait son nom, Sigrun s’était frayé un chemin à l’arrière de la formation de la troupe du Clan de la Foudre. Elle avait balancé sa lance, coupant rapidement la tête d’un combattant monté sur char et elle l’avait envoyé voler.
C’était la tactique du « Marteau et l’Enclume ». En utilisant des troupes à faible mobilité, mais à haute défense et endurance pour arrêter l’avancée de l’ennemi et les maintenir en place, on pouvait envoyer un groupe plus mobile à l’arrière ou sur les côtés de l’ennemi, et les écraser lors d’une attaque en tenaille.
Le célèbre Alexandre le Grand avait aimé utiliser cette tactique, et il avait été dit dans l’histoire qu’il avait vaincu l’armée persane beaucoup plus nombreuse à plusieurs reprises avec elle. C’était la carte maîtresse du Clan du Loup, et elle leur avait apporté la victoire dans la bataille contre le Clan de la Corne et le Clan du Sabot.
Fondamentalement, les formations de troupes étaient positionnées en supposant qu’elles combattaient une force ennemie devant elles, et étaient donc particulièrement vulnérables aux attaques de côtés et de l’arrière.
Et l’unité de Múspell était une unité de cavalerie, sans précédent dans le monde d’Yggdrasil, avec les capacités de charge les plus rapides et les plus puissantes jusque là connues.
Frappés par l’attaque furieuse des deux côtés, les soldats du Clan de la Foudre étaient soudainement tombés dans un état de panique. Ils avaient complètement perdu le contrôle, et au milieu du pandémonium qui avait suivi, ils avaient été dispersés sans aucune résistance.
« Haha ! » Tandis que Sigrun continuait à frapper ses ennemis de gauche à droite et de droite à gauche, ses oreilles avaient capté le grincement d’un cheval excité, accompagné par le bruit des roues qui faisait fortement gronder le sol.
Ce qui lui était apparu devant elle, repoussant les fantassins voisins, était ce qui était considéré comme l’arme militaire la plus puissante connue d’Yggdrasil, dont le nombre au combat était dit équivalent à la puissance de l’armée : un char !
« Hmph, alors vous vous êtes montré. » Sigrun avait ressaisi sa prise sur sa lance.
Yngvi du Clan du Sabot avait favorisé une construction logique et ordonnée à ses formations militaires, et avait créé une grande escouade de chars pour mettre l’accent sur leur puissance et leur mobilité. Le Clan de la Foudre était plus traditionnel, ayant construit des escadrons mixtes avec de l’infanterie et des chars.
Ceux d’un statut élevé montaient un char et se battaient d’en haut, commandant une unité qui les suivait composée de l’infanterie. Il était plus difficile d’être frappé par des attaques ennemies au sommet d’un char, et le fait d’être surélevé permettait de mieux observer le champ de bataille et de donner des ordres à ses subalternes. Et plus que tout, cela permettait aux officiers supérieurs de caresser leur ego. C’était la façon la plus standard d’utiliser les chars, non seulement dans Yggdrasil, mais tout au long de leur utilisation dans l’histoire de la Terre.
Ça correspond aussi aux informations qu’ils avaient reçues de Kristina.
« Je vais mettre un terme à vos bouffonneries, ici et maintenant, fille louve ! » Le grand homme au sommet de la plate-forme du char avait crié, et avait préparé sa lance et son bouclier.
Il avait l’air d’avoir une vingtaine d’années, et loin d’être secoué par l’attaque par-derrière, la soif de combat était écrite sur son visage.
C’était une belle expression. Sigrun avait senti à nouveau la flamme du guerrier surgir dans ses yeux. Le fait de combattre tant de faibles n’avait pas pu lui donner un défi et cela avait commencé à l’ennuyer.
« Ha ! Alors, arrêtez-moi si vous pensez pouvoir le faire ! » Sigrun avait répondu à ses paroles audacieuses avec les siennes, et elle avait poussé son cheval vers lui, avançant sa lance vers lui dès qu’il avait été à sa portée.
Clang !
« Arg ! »
L’arme de l’homme avait facilement stoppé le coup fatal de Sigrun, et la tension de l’impact s’était répercutée sur son visage pendant un moment.
Son arme avait la forme d’une lance combinée à une lame de faucille. La partie en forme de L et le fer de lance de Sigrun étaient verrouillés ensemble, et ils luttaient pour la domination.
Il s’agissait d’une arme en forme de hallebarde, connue sous le nom de hache-poignard. C’était une arme à deux mains qui pouvait être lancée à l’ennemi pour le poignarder, tandis que la partie en forme de faucille pouvait être utilisée pour attraper et trancher le cou d’un ennemi ou d’autres zones vitales.
Il y avait beaucoup de personnes dans Yggdrasil qui favorisait cette arme parce qu’il était plus facile de se battre sur un char qu’avec une lance normale.
« Un char et une arme en fer », cria Sigrun. « Vous devez être un homme digne de mention. Donnez-moi votre nom ! »
Sigrun avait remarqué que la lame de l’arme de l’homme brillait avec le même éclat sombre que sa propre lance de fer. Ce n’était plus une rareté pour le Clan du Loup, mais pour d’autres clans, une arme de fer ne pouvait être créée sans l’utilisation de fer météorique, et donc un objet aussi rare et précieux valait cinq fois son poids en or. Le fait que cet homme avait été autorisé à porter une arme aussi puissante et précieuse signifiait qu’il devait être un héros digne de mention au sein de son clan.
« Je suis Þjálfi, assistant du commandant en second du Clan de la Foudre. »
« Arg ! Vous êtes donc la main droite de fer, dont on parle dans les rumeurs comme le “Gantelet de Fer” Járnglófi ! Vous êtes un adversaire digne ! »
Avec un autre clang, Sigrun avait repoussé la hache-poignard de Þjálfi et avait déclenché une attaque horizontale.
C’était ainsi qu’une bataille féroce s’était déroulée entre eux.
Bien qu’ils aient échangé plus de dix attaques en un clin d’œil, il n’y avait pas eu de coup décisif.
« Bon sang, ça ne va nulle part, » grogna Sigrun.
Fidèle au fer dans son alias, la défense de Þjálfi était aussi solide qu’un mur. Peu importe le nombre d’attaques que Sigrun lui lança, elle ne sentait aucune indication qu’elle pouvait trouver un moyen de s’en sortir.
C’était peut-être ce à quoi on pouvait s’attendre d’un Einherjar exalté pour sa bravoure, même au sein de la nation qui régnait sur tout le nord de Vanaheimr. Il était naturel que même le Loup d’Argent le plus Fort ne soit pas capable de le vaincre facilement.
L’objectif principal de Sigrun était de prendre la tête de Steinþórr. En vérité, elle savait qu’elle ne pouvait pas se permettre de continuer à se battre ici trop longtemps.
« Dans ce cas —, » Sigrun avait libéré sa main droite du manche de la lance.
Bien qu’il s’agisse d’un fait si évident qu’il n’était peut-être pas nécessaire de le mentionner, le fait de tenir une arme dans les deux mains donnait à ses attaques beaucoup plus de force qu’en la tenant d’une seule main. Le fait que Sigrun ait délibérément choisit de tenir son arme d’une seule main, et sa main non dominante, avait créé un vide dans sa défense qu’on pourrait appeler comme étant quelque chose de fatal.
Þjálfi avait soupçonné un instant qu’il s’agissait d’un piège, mais les pulsions guerrières étaient plus fortes. Avant qu’il n’ait eu l’occasion de réfléchir, il avait poussé sa hache-poignard de façon réfléchie.
« Haaaah ! » Sigrun avait poussé un cri féroce, et il y avait eu un éclair de lumière argentée près de sa taille.
« Quoi !? »
La tête de l’arme que Þjálfi avait utilisée pour submerger et dominer ses adversaires avait été tranchée proprement. Le visage du vétéran Einherjar s’était tordu dû au choc et à la surprise, et pendant un moment, il n’avait pas pu bouger.
Tout comme lorsque l’arme de Yngvi avait été coupée en deux, c’était dû à une seule frappe du nihontou.
Normalement, le fer pouvait être rendu plus dur par un processus de chauffage et de refroidissement connu sous le nom de « trempe ». Cependant, le fer météorique avait des propriétés matérielles complètement différentes du fer naturel que l’on trouvait dans les minerais souterrains ou du fer artificiel créé par le processus de thermite. Il ne pouvait pas être rendu plus solide par la trempe.
Ainsi, une arme faite de fer météorique n’était pas adaptée à une lame qui serait pliée, trempée et durcie un nombre incalculable de fois. C’était ainsi que s’arrêtait la comparaison.
« Préparez-vous ! »
Sigrun avait rapidement placé la poignée de l’épée dans sa bouche et l’avait tenue dans ses dents pour libérer sa main, avait préparé sa lance de nouveau dans ses deux mains, et en levant les bras, elle l’avait déplacé vers le bas.
— et elle avait vu le fer de sa lance se briser.
« Hé, ce type est mon bras droit », Steinþórr avait dit. « Je ne peux pas laisser quelqu’un le tuer aussi facilement. »
« Kh ! »
Le jeune homme aux cheveux roux avait fait tournoyer son énorme marteau avant de le poser sur son épaule, riant avec audace, et Sigrun avait senti un frisson parcourir à travers tout son corps.
Est-ce par joie quand au fait que sa cible, le patriarche du Clan de la Foudre, s’était montrée devant elle ? Était-ce à cause de la colère que sa lance préférée avait été détruite ? Était-ce l’excitation d’un guerrier à la perspective d’affronter un ennemi aussi fort ?
Non, ce n’était rien de la sorte. Le frisson était dû à la pure terreur.
L’énergie qui semblait rayonner de lui ici, sur le champ de bataille avec son arme à la main, était totalement différente de celle qu’elle lui avait rencontrée dans le hörgr sacré du Clan de la Corne. Il était comme une personne complètement différente. La puissance semblait sortir de lui, comme si elle ne pouvait pas être contenue dans son corps physique, et juste devant lui, Sigrun était soumise à une pression écrasante qu’elle devait lutter pour endurer.
« Alors on se retrouve, jeune fille. Tu es plutôt bonne, poussez Þjálfi jusqu’à ce qu’il soit dos au mur comme ça. Je suppose que le fait de tuer le vieux n’était pas qu’un coup de chance. Alors, voyons ce que tu as dans le ventre ! » déclara Steinþórr.
« Kh ! »
Le marteau avait créé son propre vent avec la force de sa frappe vers Sigrun, et elle avait jeté la lance maintenant inutile et avait intercepté l’attaque avec le nihontou.
« Oh ? » Steinþórr avait dit.
« Rrrgh ! »
D’un côté se trouvait un marteau qui avait brisé d’innombrables autres armes en morceaux, maintenant rempli de l’énergie divine connue sous le nom d’« ásmegin » canalisée par son manieur.
D’autre part, il y avait une lame trempée à tel point qu’elle pouvait même couper le fer.
Le résultat de la collision entre ces deux armes, qui avaient été considérées comme invincibles jusqu’à présent — .
« Wôw, ce truc a résisté à mon attaque ? C’est une belle arme que tu as là, » déclara Steinþórr.
« Alors... je ne peux pas le couper, donc... ! » déclara Run.
C’était comme s’ils étaient parfaitement assortis.
Cependant, si les armes étaient d’une force égale, tout se résumait à la différence dans leur portée.
« Voyons, voyons ! Ha ! »
« Guh !... Hrgh ! » Sigrun haletait.
C’était un combattant à cheval contre un autre sur un char. L’épée, destinée au combat rapproché, n’avait pas pu atteindre sa cible.
Steinþórr lui avait lancé des attaques incessantes et unilatérales, et Sigrun s’était retrouvée dans une bataille purement défensive. Pour empirer les choses, Steinþórr avait pu frapper librement avec son marteau de fer sans aucune difficulté, malgré son poids et sa taille.
« Grrr... ! » Alors qu’elle avait surmonté la grêle des coups, Sigrun avait réussi à profiter d’un petit écart dans les attaques de Steinþórr pour mettre une certaine distance entre eux, et avait immédiatement tiré sur les rênes et avait fait tourner son cheval.
La force reconnaît la force. Pour deux combattants experts, quelques instants de combat mutuel leur avaient permis d’évaluer la force relative de l’autre dans une certaine mesure.
Sigrun avait compris que si elle continuait à se battre dans cette situation, tout ce qui l’attendait était une mort absolument certaine.
« Nous battons en retraite ! » Sigrun avait crié l’ordre en donnant un coup de pied à son cheval.
Ses mains n’arrêtaient pas de trembler, mais cette fois ce n’était pas par peur. Les attaques féroces de Steinþórr’s lui avaient laissé les mains engourdies, c’était tout ce qu’elle pouvait faire pour ne pas lâcher son épée.
« C’est donc ce que tu entendais par “ne casse pas et ne plie pas”, hein ? » murmura Sigrun. « On dirait que tu m’as encore sauvé, Père. Si je n’avais pas eu ça, je serais maintenant un tas de viande... »
Sigrun avait fait grincer les dents, alors que son cœur était alourdi par le sentiment de défaite. Depuis qu’elle avait reçu le titre de Mánagarmr, c’était la première fois qu’elle avait été aussi complètement battu.
Elle s’était retournée pour regarder derrière elle son unité.
L’unité de Múspell la suivait correctement, incitant leurs chevaux à suivre. Ils ne semblaient pas avoir subi beaucoup de pertes. L’avantage qu’ils avaient obtenu en attaquant l’arrière de l’ennemi avait porté ses fruits.
Pour elle, c’était sa plus grande consolation.
***
Partie 5
« L’unité Múspell a commencé à se retirer ! » avait déclaré le guetteur du Clan du Loup.
« Run, va-t-elle bien !? » cria Yuuto.
« Sire ! Elle est vivante et en bonne santé ! »
« Vraiment !? » s’exclama Yuuto.
« Même à cette distance, il n’y a pas d’erreur possible quant aux cheveux argentés de Lady Sigrun, Sire, » déclara le guetteur.
« Je vois. » Yuuto avait poussé un soupir de soulagement en entendant le rapport de son guetteur.
Il s’était lui-même dit qu’en tant que patriarche, il ne devrait pas faire preuve d’un tel favoritisme. Mais contrôler ses émotions pour se conformer à cette logique n’était pas si facile à faire.
Quoi qu’il en soit, il avait réussi à être sûr qu’elle était en vie, et c’était tout ce qui comptait. Son cœur avait retrouvé un sentiment de calme, mais maintenant un autre problème avait alourdi ses pensées.
« Alors, il a neutralisé le marteau et l’enclume ainsi que Run, n’est-ce pas ? » avec la main sur la bouche, Yuuto avait murmuré ça pour lui-même, s’interrogeant sur ce qu’il fallait faire.
Jusque-là, ces tactiques n’avaient jamais échoué à transformer la bataille en sa faveur. Le simple fait que sa formule gagnante s’était effondrée suffisait à lui donner l’impression que les choses allaient dans une direction désagréable.
« Les doubles runes d’Einherjar... » murmura-t-il. « J’ai dit à Sigrun de fuir si elle jugeait qu’elle ne pouvait pas gagner contre lui. On dirait qu’elle a bien écouté mes ordres. »
On disait que le pouvoir divin d’une rune faisait grâce à moins d’une personne sur dix mille, et le corps de Steinþórr détenait ce pouvoir en deux exemplaires. Steinþórr avait submergé Sigrun de sa présence même lors de leur brève rencontre dans la capitale du Clan de la Corne.
Sigrun était encore jeune, et elle était quelqu’un d’important pour l’avenir du Clan du Loup. Prenant cela en considération, Yuuto avait compris que cela pourrait nuire à son image, mais il ne pouvait pas lui permettre de faire quoi que ce soit de trop imprudent. Plus que tout, il ne voulait absolument pas la perdre, même s’il savait à quel point cette façon de penser était naïve pour un patriarche.
« Hmm, donc même pour le Mánagarmr, il semblerait que faire face à un tigre était un fardeau trop lourd pour les épaules d’un loup solitaire. » Skáviðr avait parlé sans passion alors qu’il examinait le champ de bataille depuis le sommet d’un cheval à proximité.
Son visage pâle et presque flétri avait rendu le personnage encore plus troublant que d’habitude sur le champ de bataille, mais pour Yuuto, son calme presque irritant était quelque chose de rassurant.
« Quand je lui ai donné ces instructions, elle avait l’air d’avoir été un peu blessée dans son orgueil, » avait admis Yuuto. « Je me sentais mal pour elle. »
« C’était la bonne décision. Si vous n’aviez pas fait cela, je pense que, selon toute probabilité, elle aurait d’abord mis sa fierté de guerrière, qu’elle aurait continué à se battre, et qu’il y aurait déjà un autre corps de plus sur le terrain. Après tout, ce chien sauvage n’écoute que vos ordres, Maître. Je peux imaginer à quel point elle doit être frustrée en ce moment, kehe hehe hehe... Ah, excusez-moi. » Skáviðr avait placé une main sur sa bouche, mais n’avait pas complètement caché son sourire.
Des paroles dures, comme toujours. Skáviðr avait toujours joué le rôle du paria, mais il avait une personnalité un peu sardonique au départ.
Yuuto lui avait jeté un regard de côté, avait secoué la tête et avait remis ses pensées sur la bonne voie. « C’est une bataille de masse. Peu importe la force de ce type, il faut simplement le battre avec le nombre. »
Il regardait les mouvements sur le champ de bataille. L’embuscade de Sigrun avait peut-être échoué, mais la situation sur le terrain était encore massivement en faveur du Clan du Loup.
Si ses forces maintenaient la poussée, les soldats ennemis devraient commencer à fuir dès qu’ils se rendraient compte de leur lourd désavantage, et la formation ennemie devrait s’effondrer. S’il frappait à ce moment vulnérable, aucune valeur ne pourrait y résister.
« Raaaaaaaaaaaaaahhh !! »
Soudain, un grand cri de guerre plus fort que tout ce qui s’était levé à l’unisson depuis les guerriers du Clan de la Foudre. Cela suffisait à secouer l’air, et Yuuto pouvait sentir les vibrations contre sa peau.
Yuuto n’avait pas besoin de se demander ce qui se passait. Il le savait. Son visage était devenu tendu et il avait grincé des dents.
« Le voilà ! » Les yeux de Yuuto avaient vu les cheveux roux, visibles même de loin.
Le jeune homme conduisait un char ornemental clairement différent des autres, et d’une main, il se balançait autour de lui un long marteau de guerre assez grand pour qu’un adulte puisse avoir du mal à le soulever. Il avait dépassé sa propre avant-garde et avait chargé dans les forces du Clan du Loup.
« C’est exactement ce qu’on appelle le courage du pauvre homme. » Le coin de la bouche de Yuuto s’était plissé dans un sourire ironique.
Face à des ennemis aussi forts qu’ils soient, ignorer la situation aussi mauvaise qu’elle soit, Steinþórr s’était simplement battu de front sans avoir recours à des tactiques ou à des tours de passe-passe. En fait, c’était vraiment cool. Tellement cool que c’était dégoûtant. Si l’ennemi devait s’en prendre à lui avec le courage brutal d’un idiot, c’était un motif de célébration. Mais au fond, Yuuto l’avait aussi trouvé désespérément irritant.
« “Le courage du pauvre homme : le courage d’un homme qui s’empresse d’agir sans réfléchir quand le sang lui monte à la tête”. » Félicia, debout à côté de lui, avait répondu en récitant simplement l’explication de mémoire. « “Un courage mesquin sans discrétion ni jugement, ne tournant qu’autour de la force physique”. »
Yuuto la dévisageait, les yeux écarquillés et étonnés. Une fois, au cours d’une discussion sur Steinþórr, il avait évoqué ce vieil idiome et lui en avait parlé.
« Je suis surpris que tu t’en souviennes », déclara Yuuto.
« C’est parce que j’ai toujours pris l’habitude de mémoriser tes paroles de sagesse, Grand Frère. » La réponse de Félicia avait été rapide et réaliste, et en regardant son visage souriant, Yuuto avait fait son propre sourire ironique. Il ne pouvait qu’admirer son impressionnante mémoire.
« Ça ne peut pas faire de mal de se souvenir de mots qui ont traversé des milliers d’années d’histoire, » déclara Yuuto.
« Tee hee. C’est certainement vrai, » avait convenu Félicia. Puis, plus doucement, elle avait ajouté : « Si tu rentres chez toi, je veux au moins pouvoir me souvenir de tes paroles ». Elle avait fermé les yeux en disant cela, serrant une main fermée devant sa poitrine.
Quelque chose à ce sujet semblait un peu étrange pour Yuuto, mais penser à la bataille était plus important en ce moment. Il retourna son regard sur le champ de bataille.
« C’est exactement comme tu l’as dit, Félicia. Si la force physique était tout ce qu’il fallait pour gagner une bataille, les tactiques militaires n’auraient jamais été inventées. » Il avait haussé la voix et avait crié : « Soldats Phalange, la victoire est en vue ! Faites de ce roux une brochette avec vos lances ! »
L’homme venait de charger la tête la première dans un char, alors que c’était exactement ce que Yuuto voulait.
La raison même pour laquelle Yuuto avait fait des unités à longues lances la force centrale de son armée était qu’à Yggdrasil, les chariots étaient les principaux acteurs sur les champs de bataille.
Tout comme la cavalerie, l’utilisation de l’infanterie lourdement blindée avec de longues lances était venue en réponse aux chars. Une lance ou une épée normale ne pourrait pas atteindre un adversaire sur un char. Ce qui était apparu comme une contre-mesure était la tactique consistant à utiliser de nombreuses longues lances, avec leur faible manœuvrabilité, mais leur longue portée, pour créer une poussée mortelle qui ne laissait aucune lacune.
L’inconvénient était la vulnérabilité aux attaques latérales, mais avec un ennemi à l’avant ; c’était aussi unilatéral qu’une victoire dans le jeu de la pierre-feuille-ciseau.
Comme Yuuto l’avait prédit, le cheval tirant le char de Steinþórr’s avait été abattu impitoyablement par le mur de lances, et le char s’était arrêté net.
L’instant d’après, ce jeune homme roux allait connaître le même sort que son cheval, ou c’était ainsi que cela aurait dû être.
Alors que les innombrables lances se précipitaient vers lui, Steinþórr avait balancé son grand marteau, et avec cette seule frappe, toute la ligne de lances avait été écrasée. Il avait fait suivre ça avec une autre frappe lorsqu’il avait sauté du char, et plusieurs soldats avaient été envoyés en vol plané. Il s’était encore une fois mis à frapper.
Les soldats du Clan du Loup avaient essayé de se mettre en défense avec leurs boucliers de fer levé, mais même ceux-là avaient été réduits en miettes et soufflés comme s’ils n’étaient rien.
Il était impossible d’estimer la force qui avait été présente dans chacun de ces coups. Ce n’était pas humain. On aurait pu penser que c’était l’œuvre d’un éléphant ou d’un gros ours.
La « ceinture de la force », Megingjörð, et l’« Écraseur », Mjǫlnir. Ces deux capacités avaient fait naître toute la fureur d’une tempête emplie d’éclairs.
Et dans le grand fossé qui avait été créé, les soldats du Clan de la Foudre derrière Steinþórr s’étaient précipités en avant, et la formation défensive durcie du Clan du Loup avait été ouverte par la force.
« Qu’est-ce... qu’est-ce que c’est... » Regardant la scène qui se déroulait devant ses yeux, Yuuto avait haleté.
Il avait contrôlé la guerre de l’information, avait agi rapidement pour prendre le meilleur terrain avec des collines protégeant ses arrières et avait mis en place des formations avantageuses.
La puissance et la portée des arbalètes avaient ralenti l’élan de son ennemi et cela lui avait permis de prendre l’initiative.
Avec l’aide de Skáviðr, il avait établi une discipline et un respect de la loi au sein de ses troupes, ce qui leur avait permis de réagir rapidement aux ordres de leur patriarche et d’agir de manière cohérente en tant que groupe. Elle aurait dû être l’une des armées les plus importantes d’Yggdrasil à cet égard.
Et pour ce qui était de les équiper de fer forgé, on pouvait être assuré en disant que Yuuto était en avance sur tout le monde d’Yggdrasil en matière d’armement.
Contre les chars et l’infanterie ennemis, il les avait affrontés avec des soldats ayant une supériorité écrasante dans des formations serrées, et après avoir arrêté leur mouvement, il avait placé son unité de cavalerie contre eux par-derrière, les attaquants avec le « Marteau et l’Enclume ».
Yuuto avait peut-être moins d’hommes au total, mais en matière de stratégie et de tactique, le Clan du Loup aurait dû dépasser de loin le Clan de la Foudre en puissance militaire. Il n’y avait aucune cause de défaite nulle part dans tout ça.
Et malgré tout cela, comme si tous leurs avantages jusqu’à présent n’avaient été qu’un mensonge, le Clan du Loup avait commencé à être lentement, graduellement, mais indubitablement repoussé.
« Franchement, peu importe comment tu vois les choses, c’est juste de la triche, » murmura Yuuto.
Les batailles n’avaient pas été remportées par des individus. Tout bien considéré, au combat, le nombre avait fait la différence. En commençant par les paroles de Sun Tzu, de nombreuses œuvres sur l’art de la guerre avaient commencé avec cela comme l’un de leurs principes fondateurs. Et pourtant, ce principe sous-jacent avait été renversé par la main d’un homme téméraire et sa force brute.
Les pouvoirs d’un Einherjar étaient étonnants, mais ils étaient encore humains. À cause de cela, Yuuto avait compris qu’il n’y avait pas d’Einherjar avec un niveau de pouvoir aussi monstrueux, mais il semblerait que le détenteur de doubles runes était l’exception.
Le génie de la guerre Napoléon Bonaparte, qui, à un moment donné, tenait la moitié de l’Europe continentale sous son contrôle, avait dit un jour : « Une armée de cent moutons conduite par un loup vaut mieux qu’une armée de cent loups conduite par un mouton. »
La chose la plus importante sur le champ de bataille était le moral. Si le commandant suprême se tenait à la tête de sa propre armée et les inspirait, il va de soi que l’armée aurait un regain de moral. Le moral des troupes du Clan de la Foudre s’était élevé d’un seul coup jusqu’à une fièvre fanatique.
Sur cette vague, ils avaient repoussé les forces supposées supérieures du Clan du Loup, et commençaient même maintenant à les dominer.
« “Ma force peut déplacer des montagnes, mon esprit peut couvrir la terre”, c’est ce que c’est ? » Yuuto avait craché. « Franchement, ce type n’est pas une incarnation antérieure de Xiang Yu, n’est-ce pas ? »
Il avait dépassé l’étonnement et était maintenant tout simplement consterné par ce qu’il voyait.
La citation était une partie d’un poème que Xiang Yu avait composé et lui-même récité. Xiang Yu avait remporté une grande victoire contre une armée de 500 000 hommes avec seulement 30 000 hommes. Il s’était dressé contre une autre armée de milliers de cavaliers avec seulement 28 cavaliers et avait pris la tête du général ennemi, frappant des centaines de cavaliers par ses propres moyens. Il semblerait que la force de Steinþórr était au même niveau d’absurdité.
« Maître. »
« Skáviðr, qu’est-ce qu’il y a ? » demanda Yuuto.
« Comme nos stratégies n’ont pas été efficaces jusqu’à présent, nous devrions peut-être battre en retraite avant qu’il ne soit trop tard, » déclara Skáviðr.
« Nngh. » Yuuto avait fixé ça et il avait grincé des dents.
Le flux de la bataille s’était déjà déplacé en faveur du Clan de la Foudre.
Yuuto avait conclu que s’ils continuaient à se battre comme ils étaient, il y avait de fortes chances que le général aux cheveux roux les vainc avec son élan actuel.
Le Yuuto actuel n’était pas si obstiné qu’il s’accrocherait obstinément à la théorie. Aussi illogique que cela ait été, la réalité qui se jouait devant ses yeux était tout ce qui comptait, et il avait la force dans son cœur pour le reconnaître.
« Tch. J’avais voulu décider des choses ici, mais... savoir quand battre en retraite est aussi une partie cruciale de la guerre, hein ? » déclara Yuuto.
Se battre en retraite entraînerait un nombre considérable de pertes, mais une erreur de jugement sur le moment du retrait entraînerait beaucoup plus de pertes. Il devait prendre une décision rapide.
Quand le temps était venu, il se devait de sacrifier le petit nombre pour le bien du plus grand nombre. La capacité de prendre ces décisions sans cœur était également nécessaire pour quelqu’un qui se tenait au sommet.
« Je crois que c’est une sage décision, Maître, » déclara Skáviðr. « S’il vous plaît, laissez-moi protéger l’arrière-garde. »
« Vous faites toujours les pires boulots », avait soupiré Yuuto. « Ne mourrez pas en faisant ça. »
« Heh. Je ne mourrai pas. Ne me l’avez-vous pas déjà dit une fois, Maître ? “Les mauvaises herbes poussent vite.” Ceux qui ne sont pas aimables sont ceux qui ont le plus de chances de réussir. » La bouche de Skáviðr s’était transformée en ricanement.
Attendant à l’arrière des forces qui battaient en retraite pour tenir l’ennemi à distance, l’arrière-garde avait la mission la plus dangereuse et la plus grande chance de mourir. Même en sachant cela, cet homme n’avait pas montré le moindre changement dans ses émotions à cette perspective, et avait même lâché une blague. Il avait beaucoup de cran.
Avec une expression serrée et sévère, Yuuto avait donné son ordre. « Nous battons en retraite. Nous nous retirerons méthodiquement, prudemment et rapidement ! »
***
Partie 6
Steinþórr frappait avec son marteau de guerre. « Raaaaaaaaaaaaaaah ! »
Le sang avait taché son corps de rouge, ce qui avait donné naissance à une soif de sang encore plus grande. Peu importe qui l’affrontait, peu importe le nombre d’ennemis, il ne pouvait pas être submergé. Il piétinait tout sur son passage avec sa force inégalée.
« Il n’y a vraiment pas de fin pour eux », murmura-t-il.
Un groupe de soldats s’était précipité vers l’avant, comblant le vide qu’il avait réussi à créer dans leur formation. Leur coordination était impressionnante.
Une fois en place, ils avaient fait pleuvoir un déluge de lances sur lui.
Même Steinþórr ne pouvait pas esquiver une attaque aussi parfaitement coordonnée. Il avait été forcé de s’arrêter sur son avancée et de se concentrer sur la neutralisation des armes qui s’approchaient de lui.
Bien que les lignes ennemies étaient écrasées chaque fois qu’il chargeait vers l’avant, ses attaques imprudentes signifiaient que ses alliés ne pouvaient pas non plus avancer. Le Clan de la Foudre, qui attendait en réserve, ne pouvait pas non plus utiliser toute sa puissance.
« Hmph, pas la peine de s’inquiéter des détails. C’est maintenant juste un test d’endurance ! » déclara Steinþórr.
Pour chaque ennemi qu’il avait frappé, un autre était venu prendre leur place. Pourtant, leur nombre ne pouvait pas être infini.
L’endurance de Steinþórr’s n’était pas non plus infinie. Il ne pouvait pas continuer à se battre éternellement. S’il battait en retraite, ou s’il était vaincu, le Clan du Loup écraserait le Clan de la Foudre en un rien de temps.
L’issue de cette bataille dépendait de lui. Le fait de savoir cela était suffisant pour lui.
« Hehe hehe ! Ça commence enfin à devenir amusant ! » Steinþórr avait essuyé le sang de son front et avait souri d’une manière sauvage. La tension qui accompagnait le fait de savoir que la victoire ou la défaite dépendait de ses actions avait été très vivifiante.
Steinþórr était vraiment à la hauteur de son titre de Tigre Affamé de Batailles. Il semblait être l’incarnation même de la guerre. Au cours de ses trois années de patriarche, il avait passé trois mois dans sa capitale, Bilskirnir. Le reste du temps avait été passé sur le champ de bataille. Mais il n’avait jamais été satisfait.
Il avait soif d’un vrai défi, quelque chose que ses ennemis n’avaient jamais été capables de lui donner. La seule fois où il avait ressenti un peu d’excitation, c’était lorsqu’il avait affronté Yngvi du Clan du Sabot.
Par égard pour cela, et pour le fait qu’on lui avait présenté une fille qui lui plaisait, il avait prêté le Serment du Calice avec eux. Mais en y repensant maintenant, c’était une erreur. Parce qu’à l’époque Steinþórr n’avait eu personne de digne de se battre contre lui.
Alors qu’il envisageait de rompre le serment, il avait entendu dire que Yngvi avait péri au combat. Il aurait péri aux mains de l’un des clans les plus faibles, le Clan du Loup. Il avait été contrecarré par leur patriarche, un jeune garçon adolescent. Le Clan du Loup était si faible que Steinþórr avait oublié qu’ils existaient.
Comment leur patriarche avait-il réussi à vaincre Yngvi, surtout avec une si petite armée ? Naturellement, cela avait piqué l’intérêt de Steinþórr. Heureusement pour lui, le goði lui avait secrètement demandé de détruire le Clan du Loup, car il soupçonnait le clan d’amener le Ragnarök dans Yggdrasil.
Cela devait être le destin. Steinþórr ne doutait pas que ce jeune homme lui avait été envoyé par les dieux comme un obstacle sur la route de ses conquêtes.
Voyant l’occasion, il avait forcé le goði — dont il avait déjà oublié le nom — à le laisser rencontrer l’homme qu’il voulait voir mort.
Il n’attendait pas grand-chose, c’est pourquoi il avait été surpris. Il avait eu la chair de poule pour la première fois de sa vie en rencontrant ce patriarche. Il était certain qu’il aimerait se battre contre lui.
Et maintenant, toutes ses attentes avaient été comblées.
Jamais de sa vie il n’avait connu un bain de sang aussi palpitant.
Mais toutes les bonnes choses devaient avoir une fin. Plus quelque chose était agréable, plus vite elle passait.
« Retraite ! Retraite ! » Une voix forte avait traversé le champ de bataille, et une série de gongs sonores a retenti en provenance du camp du Clan du Loup.
Steinþórr avait cessé de se battre pour reprendre son souffle, et avait regardé le Clan du Loup battre en retraite. « Hmph, on dirait que c’est ma victoire. Mais tu es un gamin impudent. »
C’était une retraite bien structurée et ordonnée.
Steinþórr pouvait dire que les troupes étaient bien entraînées. En fait, il y avait une ou deux choses que ses troupes pouvaient apprendre de cela. Il s’était rendu compte maintenant que c’était l’impressionnante coordination du Clan du Loup qui lui avait causé tant d’ennuis.
Steinþórr avait repéré le général ennemi qui criait des ordres à cheval, près de l’avant de ses forces. « Ne paniquez pas ! Maintenez la formation et battez en retraite aussi vite que possible ! »
Le général ennemi était un homme au visage pâle et mince qui avait déstabilisé Steinþórr. Il semblait être celui qui dirigeait cette splendide retraite. Malgré le danger de sa mission, il était resté calme.
Steinþórr n’avait pas pu s’empêcher d’être impressionné par le calme de son ennemi.
« Mais ça veut dire que si je le tue, leur formation s’effondrera. » Les lèvres de Steinþórr’s s’étaient recroquevillées en un sourire méchant.
C’était logique d’affaiblir sa proie avant d’aller la tuer. Et la difficulté de la chasse avait permis d’obtenir un assaisonnement parfait. Il n’y avait pas de plaisir dans une victoire facile. La victoire n’était gratifiante que si elle était le fruit d’une bataille âprement disputée. Ce n’était qu’à ce moment-là qu’elle serait aussi sucrée qu’elle devrait l’être.
Steinþórr savait que cette victoire serait plus douce que n’importe quel vin. C’est pourquoi il avait refusé de laisser sa proie s’échapper. Quiconque se mettait en travers de son chemin serait éliminé.
« Haaaaaaaaaaaaaaaah ! » Avec un énorme bruit de soufflet, Steinþórr avait sauté vers l’avant.
Il avait appris de l’incident avec le Loup d’Argent. Il savait qu’un soldat à pied était désavantagé par rapport à un ennemi à cheval. Mais quelque chose d’aussi insignifiant qu’un « désavantage » ne signifiait rien pour lui.
Il avait saisi son marteau de guerre à deux mains et l’avait balancé de toutes ses forces. Il s’attendait à ce que quelqu’un d’aussi faible que cet homme soit vaincu d’un seul coup. Cependant — .
« Quoi !? »
Jusqu’à ce moment, il avait toujours manié son marteau avec autant de talents que ses deux bras et ses jambes le lui permettaient. Mais une force étrange l’avait soudainement tirée vers l’avant, traînant Steinþórr avec elle.
« Hmph ! »
« Wôw !? »
L’adversaire de Steinþórr avait profité de sa surprise, et avait frappé vers le cou de Steinþórr avec sa lance. Steinþórr avait à peine réussi à esquiver.
Trois autres frappes avaient suivi juste après ça.
Incapable de résister à cet assaut, Steinþórr avait sauté en arrière.
« Tu es plutôt bon. Quel est ton nom ? » Steinþórr avait léché ses lèvres par anticipation. C’était la première fois que l’une de ses attaques était déviée. Non pas esquivé ou bloqué, mais dévié. Sa passion de la bataille s’était enflammée en lui. Qui que soit cet homme maigre, il était résistant.
« On m’appelle Skáviðr. Je suis honoré par vos louanges, mais je n’ai pas l’intention de vous combattre ici. »
« Quel homme froid ! Allons, amusons-nous bien. »
Bien que le tigre soit avide de sang, Skáviðr s’était simplement moqué de lui et avait fait retourner son cheval.
« Hé, attends ! »
« Ooh, regardez ça ! Du fer, du fer, à perte de vue ! Si vous en emportez chez vous, vous serez riche au-delà de vos rêves les plus fous !... Hehe, adieu, » Skáviðr avait fixé du regard vers Steinþórr avec un sourire triomphant et il avait galopé au loin.
« Graaah ! » Bien qu’ils l’aient appelé le Dólgþrasir, il n’y avait aucune chance que Steinþórr puisse réellement courir aussi vite que le tigre. Ce qui signifiait qu’il ne pouvait pas courir après Skáviðr. Il avait serré ses dents dans la frustration d’avoir laissé son ennemi s’échapper.
Ce qui avait rendu Steinþórr encore plus furieux, c’était que son adversaire s’était moqué de lui. Il avait osé regarder de haut le Tigre Affamé de Batailles. Il n’y avait rien de plus humiliant que d’être regardé de haut à cheval.
« Maudit sois-tu ! Ne crois pas que je te laisserai t’échapper de... » Steinþórr cria au loin pendant qu’il se retournait et voyait ce qui se passait.
Les soldats du Clan de la Foudre ignoraient complètement le Clan du Loup, qui avait terminé sa retraite. Ils se concentraient entièrement sur le butin devant eux. C’était une règle universelle que les vainqueurs d’une bataille pilleraient les objets de valeur de leurs ennemis vaincus. En fait, la plupart des soldats n’avaient participé à la guerre que pour pouvoir partager le butin.
Il existait d’innombrables traces de batailles qui avaient été perdues parce que les soldats avaient cessé de se battre et avaient commencé à piller. La plus célèbre d’entre elles était peut-être la bataille de Gaugamela qui avait été livrée entre Alexandre le Grand et Darius III de Perse.
Au début, l’armée persane semblait avoir l’avantage. Mais après avoir percé les lignes macédoniennes, les soldats avaient bien plus eu envie de piller le quartier général ennemi qu’à couper la retraite d’Alexandre. En conséquence, ils avaient laissé passer la victoire entre leurs doigts et avaient subi par la suite l’une des plus grandes défaites de l’histoire.
Même Jules César, d’où venait le terme « kaiser », avait subi de nombreuses défaites humiliantes parce que ses soldats avaient désobéi aux ordres et avaient été pillés à profusion.
Tout cela avait prouvé qu’il était presque impossible d’empêcher les soldats de laisser la cupidité prendre le dessus.
Skáviðr avait fait cette annonce à la demande de Yuuto précisément parce que Yuuto savait qu’il arrêterait l’ennemi.
En ce moment, le champ de bataille était jonché de flèches que le Clan du Loup avait tirées, et brisé ainsi que les lances et les boucliers que Steinþórr avait détruits. Tous ces objets étaient faits de fer, un métal vénéré à Yggdrasil comme un cadeau du ciel, beaucoup plus précieux que l’or ou l’argent. Yuuto n’avait clairement vu aucune raison de ne pas les utiliser pour gagner du temps pour sa retraite.
« Grrr, poursuivez-les, bande de bâtards ! Allez-y ! » L’ordre de Steinþórr s’était répandu sur le champ de bataille, mais en vain.
***
Partie 7
« Putain de merde ! Je ne suis pas encore satisfait ! » Steinþórr se plaignait à lui-même, ouvrant et fermant son poing à plusieurs reprises.
Il n’avait jamais affronté un adversaire aussi coriace. Pourtant, à la fin, il avait laissé sa proie glisser entre ses doigts.
La rage couvait en lui.
« Je pense que tu es la seule personne qui voudrait encore se battre après ça, Père. On les a peut-être chassés, mais c’est nous qui avons perdu plus d’hommes. » Þjálfi, le bras droit de Steinþórr, secoua la tête, alors que son expression était sinistre.
Steinþórr pourrait être celui qui avait mené son clan à la victoire, et celui qui avait décidé contre qui ils se battraient. Mais c’est Þjálfi qui avait formé les troupes, s’était assuré qu’elles étaient ravitaillées et avait maintenu l’ordre dans les rangs. Il était de facto le quartier-maître de l’armée. Ses paroles ne devaient pas être prises à la légère.
« Oh, c’est vrai ? Eh bien, je suppose que c’est vrai que nous sommes tombés dans son piège. »
« En effet. Même si j’ai horreur de l’admettre, ses troupes sont beaucoup mieux entraînées. Tu nous as sauvés d’une sacrée défaite, Père. » Þjálfi avait souri amèrement.
La différence dans les forces de leurs armées avait été mise en évidence dans cette bataille, et le Clan du Loup avait l’avantage. Même pour un commandant de génie, il aurait été impossible de surmonter cet avantage. Le Clan du Loup avait même réussi à vaincre Yngvi, l’un des commandants les plus habiles et les plus intelligents que Þjálfi connaissait, avec une armée ayant la moitié de la taille du Clan du Sabot. Et pourtant, le Clan de la Foudre avait surmonté la distance écrasante en force entre eux et le Clan du Loup, tout cela grâce à un seul guerrier.
« Mais il semble que même le Patriarche du Clan du Loup ait découvert qu’il ne peut pas nous prendre de front », avait dit Þjálfi.
Bien qu’il semblait calme, l’esprit de Þjálfi était un tourbillon d’émotions.
Qui d’autre au monde que Steinþórr aurait pu réaliser un tel exploit ? Cet homme avait été envoyé du ciel pour apaiser les conflits d’Yggdrasil, et il devait être le prochain dirigeant du monde. De cela Þjálfi était certain. Il était également certain qu’il était né pour l’aider dans cette quête.
« Hmph, mais cela ne veut pas dire qu’on peut les laisser s’enfuir comme ça, » Steinþórr avait grogné.
« En effet. Notre armée a un équipement beaucoup plus léger que le leur. Si nous les poursuivons maintenant, nous devrions pouvoir les rattraper facilement. Si nous les laissons s’échapper ici, ils reviendront avec un autre tour de passe-passe. Les écraser maintenant serait mieux, » déclara Þjálfi.
« Ça a l’air amusant à sa façon. » Steinþórr avait fait craquer ses articulations.
Alors qu’il aurait préféré les combattre à nouveau après qu’ils aient repris des forces, l’idée de les affronter de front à l’heure actuelle avait plus qu’assez d’attrait.
D’autant plus que son équipe avait été la perdante en termes de nombre de pertes subies, frapper maintenant serait l’occasion parfaite de se venger et de combler la différence.
Steinþórr avait mis sur son épaule son marteau de guerre puis il avait déclaré ça à ses hommes. « Très bien, allons à la poursuite ! Tout le monde, suivez... »
« Attends, s’il te plaît », déclara une voix prudente. « Tu peux envoyer tes hommes à la poursuite, mais tu devrais rester ici et te reposer. »
Le propriétaire de cette voix était, bien sûr, Þjálfi.
« Oh, ne soyez pas ridicule », Steinþórr avait répondu ça. « Je ne me suis pas encore assez amusé. »
« Je sais mieux que quiconque à quel point ton endurance est sans fond, mais... la guerre est gagnée en gardant les soldats reposés et nourris. Tu n’as rien mangé depuis que tu t’es battu, n’est-ce pas ? »
« Mrrghhh... »
Grooooooooooooowl ! Aux mots de Þjálfi, l’estomac de Steinþórr avait émis un grand rugissement.
Bien que Steinþórr possédait une force monstrueuse, il était toujours humain. Après avoir combattu si longtemps, il était naturel qu’il ait faim.
« Je vais te faire préparer un char neuf et des vêtements de rechange, » déclara Þjálfi. « Je doute que leur patriarche se soit retiré à pied, donc de toute façon, tu en auras besoin. »
Steinþórr n’avait pas pu réfuter cette logique, alors il avait froncé les sourcils en silence.
Son vieux char était trop endommagé pour rouler maintenant. Il aurait pu en prendre un à l’un de ses officiers, mais cela aurait été mal perçu en tant que patriarche.
Ses vêtements étaient si tachés de sang qu’ils étaient aussi roux que ses cheveux. Pire encore, le sang avait commencé à sécher et à raidir ses vêtements. Il ne l’avait même pas remarqué jusqu’à ce que Þjálfi l’ait signalé, mais maintenant cela le rendait mal à l’aise de les porter.
La plus grande arme du Clan de la Foudre était le moral de ses troupes. Et Steinþórr avait instinctivement compris que c’était lui qui les avait inspirés. Il savait que s’il avait l’air pitoyable, cela découragerait ses hommes.
« Tch, je suppose que tu as raison. »
« Je suis content que tu comprennes. N’aie crainte. Cette fois-ci, notre ennemi est très solide. Les combats ne font que commencer. Nous aurons besoin de ta force à nouveau bien assez tôt, » déclara Þjálfi.
Steinþórr était assis au sol avec ses jambes croisées. « Hmph, si tu le dis. Je vais laisser Ving s’occuper de la poursuite. Maintenant, donne-moi à manger ! »
« Oui Sire, je vais t’apporter quelque chose tout de suite. » Þjálfi s’était incliné avec une révérence et s’était dépêché pour trouver de la nourriture.
***
Partie 8
Avant l’arrivée de Yuuto, le Clan du Loup avait perdu la plupart de ses batailles et avait été contraint de battre en retraite un nombre incalculable de fois. Chaque fois, il s’agissait de Skáviðr qui avait agi comme arrière-garde. La façon dont il s’était moqué de ses ennemis tout en tuant dans les rangs de soldats ennemis lui avait valu le titre de Níðhǫggr, le Boucher Ricanant.
C’était au cours de leur retraite, avec le Clan de la Foudre à leurs trousses, que ce faucheur de morts avait montré sa vraie force.
« Continuez à vous battre ! Personne n’est autorisé à battre en retraite jusqu’à ce que j’ordonne le contraire ! Si vous ne voulez pas mourir, alors battez-vous pour votre vie ! » Skáviðr avait continué à donner des ordres pendant qu’il embrochait des rangées de soldats avec sa lance. Bien que sa voix soit douce, elle provoquait une peur dans le cœur de ses hommes.
Pour une armée, le meilleur soldat était celui qui suivait les ordres. Une force qui se déplaçait comme une masse coordonnée avait de meilleures chances de victoire et un taux de pertes plus faible. Par conséquent, la discipline était roi.
Et Skáviðr était un homme qui avait publiquement exécuté des douzaines de personnes pour avoir désobéi aux ordres.
S’il donnait un ordre, il allait être suivi à la lettre. Tout le monde dans le Clan du Loup connaissait les conséquences de la désobéissance.
« N’oubliez pas que le Clan du Loup récompense la bravoure, » avait-il crié. « Tout soldat qui tombe aux champs d’honneur verra sa famille soutenue par le clan pour le reste de sa vie ! Vous savez tous que notre maître n’est pas du genre à rompre ses promesses ! »
Les membres du Clan du Loup le savaient très bien.
Yuuto avait appris de l’histoire de Wei Yang, et s’était assuré que les gens aient confiance en la loi. La façon dont il l’avait fait était d’avoir placé un tronc d’arbre à la porte du sud. Puis, il avait promis assez d’argent pour durer toute une vie si quelqu’un portait le tronc jusqu’à la porte du nord.
Naturellement, la plupart des citoyens ne l’avaient pas cru. Cela semblait trop beau pour être vrai, et ils n’avaient même pas pris la peine d’essayer de déplacer le tronc. Mais un homme curieux l’avait essayé sur un coup de tête. Comme promis dans son édit, Yuuto lui avait accordé une pile d’argent.
Il avait répété des actions similaires jusqu’à ce que le peuple du Clan du Loup ait implicitement confiance que toute promesse qu’il ferait serait tenue.
Si l’on menaçait de punir ceux qui désobéissaient, les individus deviendraient rapidement insatisfaits. Un leader avait besoin à la fois de la carotte et du bâton s’il voulait inspirer la loyauté de ses citoyens.
« Ne pensez qu’à l’ennemi devant vous. Combattez pour vos compatriotes, pour votre pays, et surtout, pour votre famille ! »
« Uwoooooooooooh ! » Les hommes de l’arrière-garde libérèrent un cri de guerre désespéré.
Ils savaient que s’ils essayaient de fuir, Níðhǫggr mettrait fin à leur vie. Il avait réussi à tenir tête à Mánagarmr, le Loup d’Argent le plus Fort, de sorte que les soldats moyens savaient qu’ils n’avaient aucune chance. Ils mourraient d’une mort honteuse en tant que déserteurs. Pire encore, on ne s’occuperait même pas de leur famille.
Au moins, s’ils mouraient au combat, leurs familles n’auraient pas faim, et ils seraient honorés par leurs camarades. Si l’enfer les attendait quand même, ils pourraient aussi bien choisir celui qui avait de meilleurs avantages.
Ils se battaient donc le dos au mur. Le désespoir leur donnait des forces. Ils s’étaient battus avec une telle férocité que les soldats du Clan de la Foudre, connus pour être les troupes les plus courageuses au service d’un patriarche qui ne craignait rien, avaient même faibli.
Le moral était essentiel pour gagner n’importe quel combat.
Normalement, lorsqu’une armée poursuivait un ennemi en fuite, c’étaient eux qui auraient l’avantage et qui tueraient facilement les traînards. Le droit de voler les armes et l’équipement de l’ennemi vaincu était la récompense que les soldats recevaient pour avoir risqué leur vie.
Mais personne ne voulait continuer à risquer sa vie après avoir déjà gagné. Ils voulaient juste prendre ce qu’ils avaient pillé et rentrer chez eux. Il allait de soi que leur moral commencerait à fléchir lorsqu’ils se demandaient pourquoi ils se battaient.
Juste au moment où ils étaient sur le point de se briser, un homme avec un marteau de guerre avait plongé dans la mêlée avec un cri fougueux. « Hors de mon cheminnnnnnn ! »
Il avait écarté les lances qu’on lui avait placées devant et il s’avança sur son char. Contrairement aux autres soldats du Clan de la Foudre, il n’avait pas peur de la détermination du Clan du Loup à se battre jusqu’à la mort.
« Est-ce que Steinþórr est revenu ? Non, ce n’est pas lui, » murmura Skáviðr.
Ce nouveau venu avait les mêmes cheveux roux flamboyant que le patriarche du Clan de la Foudre. Même son visage et son physique étaient semblables. Mais leurs âges étaient complètement différents. Alors que Steinþórr semblait avoir dix-neuf ans, cet ennemi était dans la fin de la vingtaine. De plus, cet homme n’était pas aussi intimidant que Steinþórr.
« Mais il est quand même fort, » déclara Skáviðr dans l’irritation.
Les soldats d’élite du Clan du Loup s’étaient jetés sur ce nouveau combattant, mais ils n’avaient même pas été capables de l’égratigner.
Il y avait des chances qu’il soit un Einherjar. Les soldats normaux n’auraient aucune chance.
« Éloignez-vous de cet homme ! Je m’occupe de lui ! » Skáviðr avait appelé ses hommes. Il avait finalement réussi à les réveiller suffisamment pour qu’ils se battent jusqu’à la mort ; il ne voulait pas que le moral sur lequel il avait tant travaillé soit ruiné par un seul homme.
Il avait enfoncé ses éperons dans son cheval et avait poussé sa lance sur le nouveau venu.
L’homme aux cheveux roux avait dévié la lance de Skáviðr et avait crié : « Ngh ! Alors tu es le général de l’arrière-garde ! Tu es très doué. En effet, tu fais un ennemi digne de ce nom ! Je suis VingeÞórr, l’homme qui t’enverra au Valhalla. Sculpte mon nom dans ton âme ! »
« Ah, donc vous êtes le frère stupide. Ça doit être dur, d’être commandé par votre jeune frère, » déclara Skáviðr en ricanant.
VingeÞórr s’était mis en colère. « Espèce de salaud ! »
Il semblerait que Skáviðr ait touché un point sensible. On pouvait voir comment il avait mérité son titre.
« Uwooooooooooooooooooooooh ! »
« Hmph ! »
VingeÞórr avait fait pleuvoir une tempête de coups sur Skáviðr. Bien qu’il se soit toujours tenu dans l’ombre de son frère cadet, VingeÞórr était quand même un grand héros connu même par le Clan du Loup. Il était l’Einherjar de Grídarvöl, la Massue Géante. Et comme son nom l’indiquait, ses coups avaient été les plus puissants que Skáviðr ait jamais ressentis.
« Quand il s’agit de force pure, vous avez même battu notre Loup d’Argent, » déclara Skáviðr froidement.
« Loup d’Argent ? Tu veux dire Mánagarmr. C’est la plus forte parmi une bande de faibles. Si mon frère n’était pas là, je serais l’homme le plus fort... Quoi !? Arg ! » Une douleur brûlante avait brûlé la poitrine de VingeÞórr.
La lance de Skáviðr lui avait transpercé le cœur.
VingeÞórr n’avait même pas vu le coup venir.
« Vous n’êtes même pas digne d’être mon ennemi. »
Le corps de VingeÞórr avait glissé hors du char lorsque Skáviðr avait retiré sa lance. Il n’avait même pas souri en enlevant le sang de son arme.
Les troupes du Clan de la Foudre regardaient le cadavre de leur chef. L’un de leurs plus grands héros venait d’être tué, et par un homme qui ressemblait à la Grande Faucheuse elle-même.
Tandis que les soldats du Clan de la Foudre hésitaient, l’armée du Clan du Loup avançait.
« U-Uwaaaaaaaaaaaaaah ! » L’un des soldats du Clan de la Foudre avait lâché son arme et s’était enfui.
Sur ce, le barrage avait cédé. L’un après l’autre, les soldats avaient commencé à fuir et à déserter.
« On dirait qu’on les a repoussés », avait dit Skáviðr. « Dans ce cas, il n’y a aucune raison de rester. Retraite, messieurs ! »
« Uwooooooooooooooooooooooooh ! Níðhǫggr ! Níðhǫggr ! Níðhǫggr ! » Les soldats du Clan du Loup avaient levé les armes et avaient acclamé leur chef, heureux d’avoir survécu.
Skáviðr avait servi d’arrière-garde dans d’innombrables batailles dans lesquelles ils s’étaient retirés. Il n’était même plus capable d’en tenir le compte. Malgré cela, il avait toujours survécu.
Cet homme sombre, à l’air sinistre, semblait avoir été évité par la mort elle-même. Mais c’était précisément pour cela que ses soldats l’avaient trouvé si fiable.
Parce qu’ils savaient qu’il les sortirait de n’importe quel piège mortel imaginable.
***
Partie 9
« Ving est mort !? » Steinþórr ne pouvait pas croire ce qu’il entendait.
Son frère avait huit ans de plus que lui, mais il l’avait bien servi, et ensemble, ils avaient fait du Clan de la Foudre ce qu’il était aujourd’hui. Et même dans Yggdrasil, où les liens des vœux étaient plus importants que les liens du sang, perdre quelqu’un qu’il connaissait depuis qu’il était enfant était encore un coup terrible.
« Aaaaahh ! Waaaaaaaaah ! » Steinþórr n’avait jamais été un homme qui pouvait cacher ses émotions, et malgré le fait qu’il y avait des personnes autour de lui, il s’était mis à sangloter bruyamment.
Il avait commencé à utiliser son marteau de fer pour écraser les roches et les arbres autour de lui. Il était exactement comme un enfant qui faisait une crise de colère, et personne ne pouvait rien faire pour l’arrêter.
« Þjálfi ! C’est ta faute ! C’est toi qui lui as dit de le faire ! »
« Je n’ai jamais pensé un seul instant que mon plan coûterait la vie à VingeÞórr... Les mots ne peuvent pas exprimer mon chagrin. »
« C’est vrai ! C’était ta faute ! C’est ta faute ! »
« Je suis désolé. »
« Tes excuses ne le ramèneront pas ! » Steinþórr avait enfoncé son pied dans l’estomac de Þjálfi.
Þjálfi s’était écrasé sur le sol et avait rebondi plusieurs fois avant de s’arrêter. Mais même après qu’il se soit arrêté de bouger, il était resté écrasé sur le sol, crachant du sang. Cela avait dû endommager ses organes internes.
« Je suis désolé ! Est-ce que ça va ? » Steinþórr avait crié. La vue de cet homme subissant tant de douleur semblait avoir ramené Steinþórr à la raison. Il s’était précipité sur Þjálfi et l’avait aidé à se relever.
« Non, comparé à la douleur de perdre ton frère, Père, ce n’est pas... gwah ! » Þjálfi avait essayé de cacher sa douleur, mais son corps ne l’avait pas laissé faire. Il s’était effondré à genoux, incapable de se tenir debout.
Þjálfi était renommé pour son corps solide, mais même lui pouvait à peine bouger. Steinþórr avait utilisé un coup de pied, pas son marteau, mais ses frappes étaient encore incroyablement puissantes.
« Je suis vraiment désolé », Steinþórr avait gémi. « C’est moi qui ai accepté ton plan, et c’est moi qui ai envoyé Ving là-bas... »
« Hahh... Hahh... Ne t’inquiète pas pour moi. Concentre-toi plutôt... sur la bataille devant nous. La mort de mon oncle a fait naître la peur dans le cœur des soldats. Cette fois, tu devras toi-même y aller ! »
« Bien sûr... bien sûr ! Tu as raison ! » La confusion enfantine s’était estompée du visage de Steinþórr’s, et une nouvelle fois, la convoitise de la bataille avait brûlé dans ses yeux.
Il devrait venger son frère. Il s’était juré de se venger, mais il devait d’abord s’inquiéter de ses hommes qui vivaient encore.
« Mais Þjálfi, tu dois te reposer, » avait-il ajouté.
« Quoi !? Je serai toujours à tes côtés... arghhh ! »
« Regarde-toi, toi-même. Je ne peux pas t’emmener au front comme ça, » déclara Steinþórr.
« M-Mais... ! »
« Si tu meurs, que dirai-je à Röskva à Bilskirnir ? Les liens du clan sont importants, mais aussi les liens du sang, » déclara Steinþórr.
Quand il avait dit à Sigrun qu’il ne pouvait pas se permettre de perdre cette personne si facilement, Steinþórr le pensait vraiment. Röskva, la sœur de Þjálfi, était un maître en politique qui avait fait un excellent travail pour régner sur le capital clanique. Ce n’était que grâce à eux deux que Steinþórr avait pu vivre la vie qu’il avait choisie et qu’il avait pu se concentrer sur le combat.
Il était encore jeune, et il voulait continuer à se battre pendant longtemps. Il ne pouvait pas se permettre de perdre l’un ou l’autre.
Après que son seigneur venait de perdre son propre frère, Þjálfi n’avait pas d’autre choix que d’obéir à ses paroles. Et il n’était pas assez stupide pour penser qu’il pouvait se battre alors qu’il était si gravement blessé. « ... Bien sûr, Sire. Au revoir, et bonne chance ! »
« La chance ? Je n’ai pas besoin de chance. Le seul chemin vers la victoire passe par la puissance ! » rugit Steinþórr.
« Hehe... alors je me reposerai, et j’attendrai des nouvelles de ta victoire. »
« Laisse-moi m’en charger », Steinþórr avait dit cela en toute confiance. « Je suis Dólgþrasir, le Tigre Affamé des Batailles, et je dévorerai tout ennemi qui se dressera sur mon chemin ! »
Steinþórr avait fait avancer son armée.
Le simple fait de se tenir à l’avant-garde avait eu un effet énorme sur le moral de ses soldats.
Aucun d’entre eux ne pouvait l’imaginer perdre. Il y avait une aura de puissance autour de lui, une aura qui disait aux soldats que s’ils le suivaient, leur victoire était assurée.
Yngvi du Clan du Sabot avait utilisé la peur pour garder ses soldats en ligne, mais Steinþórr avait inspiré une loyauté frénétique en faisant penser à ses hommes uniquement à la victoire.
L’armée poursuivait sa proie comme un tigre, jusqu’à ce qu’ils aient enfin réussi à apercevoir la queue du Clan du Loup.
Les forces du Clan du Loup étaient au milieu de la traversée de la rivière Élivágar.
Sur les rives de la rivière, Steinþórr avait vu un jeune homme aux cheveux noirs, ce qui était extrêmement rare à Yggdrasil.
« C’est lui ! » cria-t-il.
Tout comme les peuples indigènes d’Afrique, grandir dans un endroit avec peu de bâtiments pour obstruer leur vue donnait au peuple d’Yggdrasil une vision qui dépassait de loin celle des Japonais modernes. Même de loin, il pouvait lire l’expression du garçon.
Dans une bataille, traverser à gué une rivière était l’une des choses les plus dangereuses que l’on pouvait faire. Cela vous aurait ralenti et aurait fait de vous une cible facile pour l’ennemi.
Le garçon avait lâché un grand soupir avant de bâiller. Il était peut-être soulagé d’avoir traversé la dangereuse rivière avec succès. Si c’était le cas, il aurait baissé sa garde bien trop tôt.
« Hehe ! Je ne te laisserai pas t’échapper ! » Steinþórr avait fouetté ses chevaux et avait poussé son char à aller plus vite.
Beaucoup de soldats n’avaient pas encore traversé la rivière. Ils seraient les premiers à devenir sa proie. Il ne pouvait pas attendre de voir si le garçon serait encore en train de bâiller après ça.
« Alors vous êtes venu, Dólgþrasir. » Alors qu’il s’approchait du bord de la rivière, l’homme lugubre et sombre avait de nouveau bloqué son chemin. L’homme défendait leur arrière-garde, il était donc inévitable qu’ils se retrouvent ici.
La rage avait commencé à bouillir de l’intérieur de Steinþórr. « Skáviðr ! Je suis ici pour venger mon frère ! »
Il avait pointé son marteau droit devant et avait fait avancer son char droit vers l’homme.
Toutes les traces du patriarche facile à vivre du Clan de la Foudre avaient disparu. Il avait maintenant le visage d’un démon en colère, et l’aura de puissance qui l’entourait était plus intense qu’elle ne l’avait jamais été auparavant.
Mais son frère avait été célèbre pour son courage, et cet ennemi l’avait tué. Ce n’était donc pas un adversaire ordinaire. L’homme avait fait face aux flammes de la rage de Steinþórr avec un sourire froid.
Les troupes en furie du Clan de la Foudre et les troupes désespérées du Clan du Loup entrèrent en collision.
« Haaaaaaah ! » Avec un cri, Steinþórr avait fait tomber son marteau de fer sur son ennemi devant lui. Ce coup était beaucoup plus puissant que ceux qu’il avait utilisés lors de la dernière bataille.
Mais cette force étrange était réapparue, et son marteau avait dévié de sa cible.
« Haha ! »
« Woah ! »
Steinþórr avait bloqué la contre-attaque de Skáviðr avec la tête de son marteau. Il avait déjà combattu cet ennemi une fois. Sa technique était facile à bloquer, une fois qu’on savait qu’elle arrivait.
« Très bien ! Alors, qu’en dis-tu de ça... !? » Avec un cri de « Orah-orah-orah-orah !! » Steinþórr était passé à l’utilisation d’attaques rapides au lieu de coups puissants.
Le sens inné de la bataille avec laquelle il était né lui disait que cet adversaire était plus faible s’il était combattu avec beaucoup d’attaques rapides, au lieu d’une seule attaque forte. Il n’avait même pas besoin d’utiliser sa pleine force pour réussir. Son ásmegin contenait le pouvoir divin du Mjǫlnir, et il pouvait écraser n’importe quoi en une seule frappe, même réduite en puissance.
Ou du moins, c’est ce qui aurait dû être. Mais le membre du Clan du Loup se tenait toujours sur son chemin, et la lance dans sa main était toujours intacte.
« Il est rapide ! » Steinþórr marmonnait.
Et ce qui était pire, la lance de son ennemi visait les petites failles de ses attaques. C’était difficile à voir et plus difficile à bloquer. La bataille durait depuis un certain temps, mais son marteau n’avait presque jamais trouvé sa cible. C’était presque assez pour lui faire croire qu’il combattait un fantôme.
Mais il avait compris le truc.
« J’ai compris. Ton talent est de faire glisser mon arme. »
« Tout à fait. Je supposais bien que vous comprendrez, » soupira Skáviðr en frappant le marteau de Steinþórr depuis en bas au plein milieu de son attaque, l’envoyant vers le haut en produisant des étincelles.
Avant, il aurait profité de cette ouverture pour frapper, mais Skáviðr avait à la place donné un coup de pied dans le côté de son cheval et l’avait éloigné de Steinþórr.
Skáviðr avait haleté pendant ce temps. « Hahh... Hahh... Hahh... »
Steinþórr pouvait voir que l’homme était épuisé. Le visage de l’homme avait d’abord semblé sardonique et facile à vivre, mais maintenant il dégoulinait de sueur et d’épuisement.
Il pouvait comprendre pourquoi.
Les attaques de Steinþórr n’étaient pas censées être bloquées. Si vous le faisiez, vous détruiriez simplement votre arme. Ainsi, au lieu d’essayer de bloquer les attaques de front, son adversaire les déviait dans une autre direction, en protégeant son arme.
Ce n’était pas aussi facile que ça en avait l’air. La déviation d’une attaque de cette manière était beaucoup plus difficile que de simplement la bloquer, en particulier contre un ennemi d’une force inégalée comme Steinþórr. Le simple fait d’y penser suffisait à lui donner le vertige.
« Attends, je pensais que la louve aux cheveux argentés était censée être la plus forte », Steinþórr commenta. « Tu es bien plus fort qu’elle. »
« Je ne suis pas du genre à aimer être sur le devant de la scène. Et son style est bien plus beau que le mien, n’est-ce pas ? Ne vous inquiétez pas, dans deux ans environ, elle sera vraiment plus forte que moi, » avait déclaré Skáviðr.
Il n’y avait pas de fausse gloire ou de vantardise dans ses paroles. Il semblait simplement dire la vérité. Si Sigrun était là, elle aurait pu faire une crise de colère.
« Wôw... Je suppose qu’il est temps. » Skáviðr avait tiré les rênes de son cheval et l’avait fait se tourner dans la direction de la rivière, puis l’avait fait s’avancer rapidement.
Les autres hommes de l’arrière-garde se servaient de leurs longues lances pour tenir à distance l’armée du Clan de la Foudre alors qu’ils commençaient à traverser eux-mêmes la rivière.
« Tu t’enfuis encore !? » Steinþórr avait crié.
« Notre armée a presque fini de traverser la rivière. Il n’y a aucune raison que je reste ici. »
« Je ne te laisserai pas me causer encore des ennuis... Quoi !? » Soudain, il avait vu une flèche dans le coin de son œil. Instantanément, il avait incliné la tête pour l’éviter.
« Haugspori est l’un des meilleurs archers du Clan de la Corne. Et il est très bon dans ça, » Skáviðr avait souri tout en conduisant son cheval dans l’eau.
Steinþórr s’était précipité pour le suivre, mais il avait vu un homme de l’autre côté de la rivière avec trois flèches placé sur son arc.
« Tch ! » Steinþórr avait utilisé son marteau pour les démolir.
Comme Skáviðr l’avait dit, seul un archer habile pouvait jouer un tour de ce genre et être précis sur une longue distance comme celle-ci.
Dans ce court laps de temps, Skáviðr avait déjà obtenu une bonne avance sur Steinþórr. Il allait très vite pour quelqu’un qui franchissait une rivière.
L’eau n’était peut-être pas aussi profonde qu’il l’imaginait. Il avait entendu dire que le patriarche du Clan du Loup avait consacré beaucoup d’efforts à l’irrigation pour étendre ses terres cultivées. Et en plus, il n’y avait pas eu beaucoup de pluie dernièrement.
« Suivez-moi, tout le monde ! » avait crié Steinþórr en tenant son marteau haut. « Ces lâches se croient en sécurité de l’autre côté de la rivière ! Montrez-leur la vraie terreur du Clan de la Foudre ! »
Traverser une rivière au combat était un acte dangereux, qui entraînerait de nombreuses pertes. Mais le Clan du Loup s’enfuyait et n’avait aucun moyen de les arrêter. S’ils se déplaçaient maintenant, le passage du guet serait facilement franchi. Il ne pouvait pas laisser passer cette opportunité.
***
Partie 10
« Ouf. On dirait qu’ils ont mordu à l’hameçon. » Alors qu’il regardait le jeune homme aux cheveux roux sauter dans la rivière, Yuuto avait poussé un soupir de soulagement.
Il avait entendu l’histoire de Tokugawa Ieyasu se salissant lui-même après que Takeda Shingen l’ait poursuivi dans la bataille de Mikatagahara, alors il pensait qu’il avait été préparé à ça. Mais il n’avait jamais imaginé qu’une retraite de combat était si angoissante. C’était bien pire que ce qu’il pensait.
« Beau travail, Yuuto ! » Albertina l’avait appelé en lui offrant une tasse d’eau obtenue à partir de l’estomac séché d’un mouton. Félicia étant partie, elle avait proposé d’être son garde du corps à sa place.
Yuuto avait pris la tasse et avait englouti avidement son contenu, puis s’était effondré dans un char.
« Je ne veux plus jamais aller à la pêche, » soupira-t-il en étirant ses membres.
Ils avaient utilisé « l’ermite pêcheur » — une stratégie où les forces d’une armée étaient divisées en trois parties. L’une d’elles devait battre en retrait devant les forces ennemies en servant comme appât, puis les attirait à l’endroit où les deux autres les attendaient. Puis le reste de l’armée les encerclera et les exterminera.
Cette stratégie aurait été inventée et mise en pratique par Shimazu Yoshihisa pendant la période des États belligérants du Japon.
Il y avait d’autres stratégies similaires dans le monde entier. Les Mongols auraient été maîtres dans l’utilisation de fausses retraites pour encercler et détruire l’ennemi.
La stratégie qu’il avait choisie pour cette bataille était une adaptation de cela.
De la façon dont Yuuto le voyait, la clé de la stratégie de l’ermite pêcheur se trouvait dans l’appât. S’ils couraient trop tôt, l’ennemi sentirait un piège. Ce n’était qu’après une vraie bataille que vous pouviez faire sentir à l’ennemi qu’il vous avait vraiment battu. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’ils n’auraient aucune idée qu’ils tombaient dans un piège soigneusement tendu.
À ce moment-là, toute incongruité ressemblerait à une coïncidence, quelque chose que l’on pourrait facilement ignorer quand on appuya sur la touche pour « tuer ».
Cela semblait facile, mais une retraite d’un combat pour attirer l’ennemi était extrêmement difficile. Toute retraite pourrait facilement se transformer en déroute totale.
Ce n’était que parce qu’ils étaient dirigés par Skáviðr, un homme qui avait vécu beaucoup de retraites de ce genre dans sa vie, et parce que l’accent mis sur les lois donnait au Clan du Loup un degré de cohésion qui était impossible à cette époque, qu’ils pouvaient même espérer y arriver.
« “Ne montrez jamais votre carte d’atout d’abord. Et si c’est le cas, assurez-vous d’avoir quelque chose d’autre dans votre manche,” » Yuuto s’était mis à cité pour lui-même. « C’est un bon conseil. »
C’était une réplique d’un manga populaire d’avant la naissance de Yuuto. C’était encore quelque chose que vous pouviez beaucoup trouver sur internet, et Yuuto l’avait vu plusieurs fois.
Il était vrai que la tactique « le Marteau et l’Enclume » était bien au-delà de toute autre tactique utilisée à l’heure actuelle. C’était Yuuto qui était en vérité l’atout du Clan du Loup.
Mais il n’y avait pas de garanties absolues dans ce monde. Vous ne pouviez jamais savoir comment une bataille allait se dérouler. S’il utilisait la même tactique encore et encore, l’ennemi finirait par trouver un moyen de s’y opposer.
Donc, au cas où, il avait pensé à une autre carte pour la mettre dans sa manche.
Une autre raison pour laquelle le plan avait été couronné de succès était la confiance absolue de ses soldats en lui, mais Yuuto ne s’en était pas encore rendu compte à cette époque.
« Très bien, je suppose qu’il est temps de mettre fin à tout ça », avait-il dit. « Tout le monde est-il prêt ? »
L’armée du Clan de la Foudre était aux trois quarts de l’autre côté de la rivière, et ils semblaient avoir presque atteint l’autre côté.
Cependant, le sourire sur le visage de Steinþórr avait soudain été remplacé par un regard empli de tension.
L’ennemi devait avoir creusé des tranchées, parce que l’infanterie légère était apparue de nulle part de l’autre côté, tenant d’étranges arcs dans leurs mains. Puis ils avaient commencé à faire pleuvoir des flèches sur les forces du Clan de la Foudre alors qu’ils traversaient la rivière.
« Tch ! » Steinþórr avait grogné alors qu’il fait tourner son marteau en cercle, empêchant la pluie de flèches de le frapper.
Mais les chevaux devant lui n’avaient pas eu autant de chance. On leur avait donné une armure pour cheval pour bloquer les flèches, mais celles-ci ne pouvaient pas arrêter les flèches en fer.
Avec un cri de mourant, ils étaient tombés dans la rivière sans jamais se relever.
« Gyah ! »
« Gfwah ! »
Les soldats du Clan de la Foudre derrière lui avaient crié en raison de l’agonie présente partout.
Steinþórr avait saisi fermement son marteau et il avait fait inconsciemment grincer ses dents.
« Il a tendu une embuscade pendant qu’on les poursuivait... C’était une erreur d’avoir baissé ma garde devant ce spectacle. Mais tes vieilles tactiques ne peuvent pas m’arrêter maintenant ! » Steinþórr avait crié en sautant en avant de son char, atterrissant sur le dos de l’un de ses chevaux tombés au sol et sautant de nouveau vers l’avant.
Il avait parcouru une distance aussi importante que la hauteur de trois ou quatre hommes en un seul bond, atterrissant fermement de l’autre côté.
« Maintenant, il est temps pour vous de payer pour avoir massacré mes hommes à distance comme des lâches ! Et vous allez payer de vos vies ! » cria le roux.
Les archers du Clan du Loup se figèrent de peur devant le hurlement du tigre, et ils ne firent pas le prochain tir. Ils étaient complètement dépassés par l’intensité de son aura.
« Hmph. Vous ne respectez pas exactement les règles, n’est-ce pas, Dólgþrasir ? » demanda l’homme aux cheveux longs, qui réapparaît devant lui.
« Hmm ? Tu ne vas plus t’enfuir, n’est-ce pas ? » Les lèvres de Steinþórr étaient devenues un sourire.
« Correct. Mon maître m’a donné l’ordre de vous arrêter ici. » Skáviðr avait baissé sa lance et avait chargé sur son cheval en plein sur Steinþórr.
Alors qu’il chargeait, son cheval commençait à se déplacer de plus en plus vite. C’était exactement ce que Steinþórr voulait.
« Penses-tu que tu peux faire ça ? » Le sourire de Steinþórr était celui d’une bête carnivore. Cet ennemi le fascinait, mais l’homme s’était déjà échappé deux fois, et il commençait à se sentir frustré. Il était très heureux de voir son ennemi venir à lui.
« Haha ! »
La lance était arrivée à la vitesse de l’éclair, mais Steinþórr avait attendu jusqu’au dernier moment pour esquiver, puis l’avait saisi par la poignée et avait fait tomber son marteau.
La lance de Skáviðr, qui avait survécu à tant d’attaques de Steinþórr, s’était facilement brisée.
Steinþórr avait jeté les restes de la lance qu’il tenait par-dessus son épaule et avait ri. « J’ai appris à contrer tes techniques. Il en faudra plus comme toi pour m’arrêter. »
« Ouais, je n’ai jamais pensé que je pourrais combattre un monstre comme vous seul, » répondit Skáviðr.
« Euh !? »
Alors que Skáviðr souriait, Steinþórr avait vu une femme qu’il reconnaissait derrière lui. Une valkyrie d’argent, tenant une épée bien au-dessus de sa tête. Elle le chargeait sur un cheval noir comme le charbon.
« Steinþórr ! Je suis venue vous faire rembourser pour la façon dont vous vous êtes moqué de moi ! » cria Sigrun.
« Haha ! Trop facile ! » Steinþórr avait facilement esquivé son attaque, mais quand il avait voulu la frapper après qu’elle soit passée derrière lui, ce qui ressemblait à un serpent noir l’avait fouetté et s’était enroulé autour de son marteau.
« Est-ce que ça irait si je participais aussi au jeu ? » Une fille avec de longs cheveux dorés et des vêtements amples qui semblaient n’avoir rien à faire sur un champ de bataille montait un cheval et tenait un fouet dans une main.
Il l’avait reconnue. C’était la fille qui se tenait à côté du patriarche du Clan du Loup. La force qui tirait sur son marteau était beaucoup plus grande que les bras minces d’une fille ne pouvaient produire. C’était clairement une Einherjar.
« Gaah ! Lâchez-moi ! » cria-t-il.
« Oh, mon Dieu, comme c’est dangereux, » déclara la nouvelle arrivante.
Pendant qu’il tirait fort sur le marteau, la fille avait laissé le fouet se détendre et se relâcher. Peut-être qu’elle savait qu’elle ne pouvait pas le battre dans une épreuve de force pure.
Mais Skáviðr avait profité de l’ouverture ainsi créée pour tirer et frapper avec la lame se trouvant avant ça à côté de lui. Et de l’autre côté, Sigrun avait frappé avec sa propre épée.
« Gwaaaah ! » Steinþórr avait gémi de douleur, car il avait été attaqué à la fois par le nouveau et l’ancien Mánagarmrs. Même lui avait été forcé de se placer sur la défensive contre ces attaques féroces.
Mais alors l’indomptable tigre qu’était le patriarche du Clan de la Foudre s’était mis à rire. « Ha ! Vous êtes trois, et c’est le mieux que vous pouvez faire !? »
« Qui a dit qu’on n’était que trois ? »
« Gwah !? » Steinþórr avait entendu le son de quelque chose sifflant dans l’air, et il avait rapidement fait bouger son corps. Il avait senti que quelque chose avait caressé ses joues.
« Ne nous oublie pas non plus, » le jeune homme à l’arc avait déclaré ça. « Nous avons une très vieille dette à vous faire rembourser. »
C’était le jeune homme qui lui avait déjà tiré des flèches de l’autre côté de la rivière. Haugspori, et il lui parlait.
Trois chariots étaient passés devant l’archer.
Ils avaient des lances attachées à leurs roues et ils avaient découpé tous les soldats du Clan de la Foudre qui avaient traversé la rivière.
Il avait reconnu la fille aux cheveux roses dans le char du milieu. Il s’agissait de la jeune patriarche du Clan de la Corne. Les deux hommes à ses côtés étaient musclés et très solides. Tous deux avaient des runes brillantes sur leur épaule gauche. Les quatre Einherjars du Clan de la Corne, les Brísingamen, étaient tous là.
« Vous êtes contre sept Einherjar », ricana Skáviðr. « Avez-vous toujours envie de rire ? »
Même s’il gloussait, Skáviðr n’arrêtait pas d’attaquer.
« Ngaaaaaaaah ! »
« Laissez-moi vous dire quelle est votre plus grande faiblesse. Vous voyez, vous êtes trop fort. Vos alliés derrière vous ne peuvent pas suivre, n’est-ce pas ? » Skáviðr avait raison.
L’eau n’était pas si profonde, mais elle montait jusqu’à la taille d’un homme. Et ils avaient également été exposés à une grêle de carreaux d’arbalète. La plupart des membres de l’armée du Clan de la Foudre avaient de la peine à avancer. Et tous ceux qui traversaient la rivière seraient confrontés aux chars des Einherjars.
Steinþórr avait été complètement coupé du reste de ses forces.
Avec un hurlement, l’homme mince du Clan du Loup avait lancé une attaque latérale.
Il était sur le point de le bloquer avec son marteau lorsqu’un frisson s’était abattu sur sa colonne vertébrale. C’était son instinct qui parlait. Steinþórr l’avait écouté en pliant son corps sur le côté, et la lame de la guerrière d’argent du Clan du Loup s’était élancée à travers l’espace qu’il avait fait.
Il avait bloqué la lame passant à côté de lui avec son bras et avait essayé de la faire tomber de cheval en faisant un virage serré, mais une flèche venant de son côté l’avait forcé à lâcher prise et cela l’avait repoussé.
***
Partie 11
Une fraction de seconde plus tard, Skáviðr l’avait attaqué avec une frappe vers le bas. Ils ne lui avaient même pas permis de se reposer un instant.
« Hyeah ! »
Le plus grand avantage d’un fantassin sur un cavalier était sa maniabilité, c’était pourquoi Steinþórr l’avait utilisé pour s’enfuir et échapper à leur portée d’attaques. Mais alors qu’il le faisait, le chef des forces du Clan de la Corne l’avait chargé du haut d’un char et l’avait attaqué avec une lance.
Les cheveux d’or se balançaient au bord de sa vision, et soudain, une chanson d’une beauté indigne d’un champ de bataille avait résonné tout autour d’elle.
La forme du chef des forces du Clan de la Corne avait été doublée.
« Tch ! Un galldr ! » Steinþórr avait fait claquer sa langue.
Des chansons enchantées comme celle-ci pouvaient donner divers effets magiques à leurs auditeurs. Bien qu’ils n’étaient pas significatifs, au combat, la légère différence qu’ils fournissaient pouvait signifier la vie ou la mort.
« Insolent ! » Se protégeant contre l’attaque de la silhouette émanant une grande intention meurtrière, Steinþórr avait rugi vigoureusement et avait neutralisé le sort.
Skáviðr s’était enfui. Steinþórr voulait s’en prendre à lui, mais l’homme savait qu’il n’aurait aucune chance en combat singulier, et augmentait déjà la distance entre eux. Si le galldr n’avait pas mis un délai sur son temps de réaction, Steinþórr aurait pu en venir à bout de ce combattant.
Alors qu’il serrait ses dents dans la frustration, un autre char portant le drapeau du Clan de la Corne le chargea de front.
« Hgaahh... Nh !? » Il avait levé son marteau en préparation, mais avait été gelé sous le choc lorsque le conducteur et l’Einherjar en étaient sortis.
Le chariot était maintenant vide, mais la perte de poids augmentait la vitesse de sa charge vers Steinþórr. Bien sûr, le cheval ne voulait pas s’écraser et être blessé, alors il avait vite fait demi-tour, sans se soucier de ce qu’était devenu le véhicule.
Avec des réflexes extraordinaires, il avait sauté puis il avait placé une jambe sur le bord du char et il avait bondi vers l’avant, annulant ainsi l’impact.
Après qu’il eut atterri sur le sol, mais avant qu’il puisse remettre sa posture en position, la louve argentée l’avait chargé avec un. « Steinþórr ! C’est votre fin ! »
La position diagonale du nihontou indiquait clairement qu’elle avait l’intention de le tuer par une frappe latérale. L’homme mince l’avait suivi, l’air assoiffé de sang.
Le Dólgþrasir avait été complètement acculé. Même les soldats du Clan de la Foudre, qui le connaissaient bien, en étaient pleinement conscients.
Cependant...
« Des personnes comme vous... » L’esprit combatif qui émanait du dos de Steinþórr avait grandi pour devenir encore plus fort et cela avait commencé à déformer l’air ambiant comme une brume de chaleur.
Le bras tenant le marteau avait commencé à gonfler.
« ... NE POURREZ JAMAIS ME FRAPPER ! »
Il avait fait tournoyer son corps, accumulant la puissance due à sa rotation, rassemblant toutes ses forces et canalisant les pouvoirs divins de Mjǫlnir. Puis il avait lancé cette puissante frappe sur le nihontou de Sigrun.
C’était peut-être l’attaque la plus puissante qu’il ait jamais déclenchée. Bien que la lame puisse le supporter d’une manière ou d’une autre, on ne pouvait pas en dire autant de la main de Sigrun. Elle avait été forcée de lâcher son nihontou, le laissant voler dans les airs.
Steinþórr avait ensuite frappé avec son marteau latéralement, cassant les deux pattes avant du cheval de Skáviðr. Un fouet s’était enroulé autour de sa main droite, mais il n’en avait pas tenu compte. Le commandant en second du Clan de la Corne s’était approché. Steinþórr avait à nouveau frappé avec son arme et avait pulvérisé l’épaule droite de l’homme.
Ne perdant pas un instant, il avait alors pris une pierre voisine dans la main et l’avait lancée vers un homme se préparant à lancer une flèche, brisant le dos de sa main.
Il avait terminé cela en sautant au sommet d’un chariot s’avançant et avait frappé le crâne du membre du Clan de la Corne Einherjar inconnu qui le chevauchait.
L’Einherjar, choqué et blessé, avait regardé le Tigre Affamé sauter, se tenait maintenant debout sur le sol alors qu’il s’était mis à rugir vers le ciel. « Je suis tombé dans le panneau, vous dites ? Ha ! Ne me faites pas rire ! Je suis le Dólgþrasir ! Tous les pièges s’effondrent devant ma puissance ! Kyah ha ha ha ha ! Ha ha ha ha ha ! HAAAAAAA HA HA HA HA HA HA HA HA HA HA HA HA ! »
Couvert du sang frais de ses ennemis, Steinþórr avait exprimé un rire retentissant. Ni l’« homme » ni la « bête » ne semblaient lui convenir. Il était plus comme un monstre, déchaîné sur le monde par un dieu capricieux.
« Ça ne peut pas être..., » la voix de Félicia était rauque, alors qu’elle était épaissie par la surprise.
Ils étaient l’élite combinée du Clan du Loup et du Clan de la Corne. Étant ceux choisis par les dieux, ils avaient des pouvoirs qui les faisaient s’élever au-dessus des autres. Et pourtant, ils n’avaient pas encore réussi un seul coup sur cet homme. Ils ne pouvaient même pas l’égratigner. Non seulement cela, mais leurs efforts les avaient épuisés, les privant de leur potentiel pour d’autres batailles.
« Même nous sept n’avons pas pu le battre..., » l’expression de Sigrun était une expression de désespoir pur.
Elle avait consacré sa vie aux arts de la guerre aussi longtemps qu’elle pouvait se souvenir, et bien qu’elle ne se considérait pas comme la meilleure à Yggdrasil, elle avait pensé qu’elle se classerait au moins parmi les cinq premières.
Malgré cela, l’homme qui riait devant elle était tellement au-dessus de son niveau qu’elle ne pouvait même pas espérer l’atteindre.
« Tch. Il est certainement difficile à affronter, » crachait Skáviðr alors qu’il brossait les cheveux en sueur qui recouvraient son visage. Le sang coulait de son front, grâce à la blessure qu’il avait subie en tombant de son cheval. La longue bataille faisait aussi des ravages. Son visage était si empli d’épuisement qu’il ressemblait à un cadavre ambulant.
« Quoi ? Vous abandonnez comme les faibles que vous êtes ? » Steinþórr avait formé un sourire indomptable en frappant légèrement son épaule avec la poignée de son marteau. Sa respiration régulière montrait clairement que la férocité de la bataille jusqu’à présent ne le dérangeait pas du tout. L’homme n’était pas seulement à un niveau différent — il était dans un tout autre domaine.
Skáviðr soupira et secoua la tête. « Il semble vraiment qu’aucun effort n’a pu nous aider à sortir victorieux. Vous êtes un homme de valeur, digne d’être appelé le seigneur du champ de bataille. »
« Kyah ha ha ha ha ! Vous êtes tous capables, vous aussi. C’est la première fois que je suis confronté à une telle adversité. Soyez fiers de vous. »
« Fffffffffffff ! Ha ha ha ha ha ha ha ha ! » Skáviðr avait couvert son visage de sa main et avait hurlé de rire tout en faisant face au ciel.
« Pourquoi ce rire ? La peur t’a fait perdre la tête ? » Steinþórr avait soulevé un sourcil dans la confusion.
« Comment ne pas rire de vous ? » Skáviðr avait rétorqué. « N’avez-vous pas trouvé étrange que vous ne combattiez que nous et les archers, idiot ? N’avez-vous pas trouvé étrange que nous n’ayons pas notre infanterie ici ? »
« Quoi... !? »
« Ne vous ai-je pas dit que mon Maître nous a ordonné de vous bloquer ici ? En effet, nous ne sommes là que pour vous retenir. Sept Einherjars se sont rassemblés pour vous tenir à distance. Soyez fier de vous, » déclara Skáviðr.
Comme Skáviðr avait formé un sourire indomptable semblable à celui qu’il avait, Steinþórr avait réalisé que Sigrun et les autres Einherjars se retiraient systématiquement de la bataille.
Skáviðr, ayant perdu son cheval bien-aimé, avait sauté sur un chariot du Clan de la Corne et avait haussé la voix.
« Quelle que soit votre force, ce n’est rien d’autre que la rusticité d’une brute. Vous êtes insignifiant comparé à la grandeur de notre Seigneur, le chef des trois royaumes et maître du ciel et de la terre ! Tendez les oreilles, barbare ! Vous étiez trop pris dans la bataille pour ne pas remarquer l’écoulement du Jörmungandr ! »
Le grondement sourd avait tout à coup été entendu par Steinþórr, il était clair que l’homme ne faisait pas que bluffer. Le son devint peu à peu plus fort et plus sinistre, et assez tôt, un énorme mur d’eau entra dans son champ de vision.
« Quoi !? Une VAGUE !? »
« Permettez-moi de terminer en posant la question à nouveau. Votre esprit bestial a-t-il finalement compris que vous êtes tombé dans un piège, Dólgþrasir ? » Avec ces mots comme dernières paroles, Skáviðr s’était éloigné rapidement de la zone.
Alors que le mur gigantesque d’eau emplie de violence s’approchait rapidement de lui, Steinþórr ne pouvait même pas pourchasser ses ennemis qui fuyaient. Bien que la force de ses jambes était bien supérieure à celle d’un humain moyen, elle n’était pas à la hauteur de celle d’un cheval, et il était impossible d’échapper aux mâchoires du grand serpent d’eau qui allait s’écraser sur lui. Son marteau pouvait briser n’importe quoi, mais c’était exactement pour cela qu’il ne signifiait pas grand-chose contre l’eau.
La vue était écrasante, et même Steinþórr n’avait pas pu s’empêcher de rester bouche bée. C’était quelque chose contre quoi seul un dieu pouvait avoir une chance.
La nature n’était pas quelque chose que de simples humains pouvaient apprivoiser. Ils ne pouvaient que présenter des offrandes et des prières à leurs dieux, en espérant qu’ils les écouteraient. Steinþórr avait été choqué, incapable de comprendre comment son ennemi avait pu provoquer une telle chose.
Il y avait des cris semblant provenir des enfers se faisant entendre depuis derrière lui. Il se retourna pour voir les soldats de son clan désespérés face à la mort inéluctable.
Et un moment plus tard, avec un impact sans précédent, sa conscience avait été écrasée.
***
Partie 12
« Hé ! Beau travail. » Yuuto avait sauté du cheval d’Albertina et avait parlé à Linéa, qui regardait la rivière, en étant complètement abasourdie.
Le terrain en amont était trop accidenté pour les chars, alors il avait dû arriver ici avec l’aide de l’aînée des jumelles.
« Je n’ai jamais entendu parler d’une telle stratégie ! » s’exclama Linéa.
« C’est juste une stratégie de sac de sable. Je suis content que ça ait bien marché, » répondit Yuuto.
En voyant Steinþórr pour la première fois, Yuuto avait eu en tête Xiang Yu et Lu Bu, et cette impression n’était devenue plus forte qu’au fur et à mesure qu’il recueillait plus d’informations.
Xiang Yu, probablement le général le plus fort de l’histoire de la Chine, avait été d’une vaillance étonnante, sans pareil. À une époque où la force des choses était au rendez-vous, il avait été inégalé dans tous ses efforts militaires, remportant une victoire pour chaque bataille à laquelle il avait pris part. Le seul grand échec lui avait été occasionné par le brillant Han Xin, l’un des Trois Héros de Han. Et la stratégie du sac de sable était parmi les plus célèbres des stratagèmes intelligents qu’il avait utilisés.
C’était un plan splendide qui consistait à endiguer l’amont d’une rivière avec un barrage simpliste, à attendre que la force opposée traverse l’eau, puis à briser la construction, créant une crue éclaire puis à utiliser efficacement l’eau comme une arme.
« Vous pourriez être l’incarnation d’un dieu de la guerre, » avait dit Linéa avec admiration. « Vous aider dans ce domaine a été le plus grand honneur de ma vie. »
« N’êtes-vous pas un peu trop jeune pour dire ce genre de choses ? » demanda Yuuto en haussant les épaules.
Bien qu’il ait été celui qui avait présenté cette idée et pris la décision finale de l’exécuter, Linéa était celle qui l’avait polie et qui avait commandé le peuple. Elle les avait fait évacuer des dangers de la bataille, leur avait fait construire une clôture en bois pour traverser la rivière et leur avait fait jeter des sacs de blé remplis de terre dans l’eau, créant ainsi le barrage simple dont ils avaient besoin.
Bien sûr, ils n’avaient pas négligé de considérer qu’un manque d’écoulement notable pouvait rendre les ennemis suspects, alors ils s’étaient assurés d’optimiser la quantité d’eau qu’ils laissaient passer.
Linéa était aimée des habitants, excellait à les commander et avait une connaissance de l’irrigation et du génie civil en général. Sans elle, ce projet ne se serait pas déroulé aussi bien.
« Tout ça mis à part, était-ce vraiment bien ? » demanda Yuuto.
Après un moment de stupeur, sa sœur avait donné une réponse à laquelle il ne s’attendait pas. « Eh ? Oh, on a fait en sorte que la déconstruction soit sûre, donc nous n’avons pas eu de blessés. »
« ... Je vois. » Plutôt que de souligner l’évidence, Yuuto avait fermé les yeux et avait hoché la tête.
Ce plan avait probablement mis fin à plusieurs milliers de vies. Bien qu’il n’avait personne d’autre sur qui il pouvait compter pour cela, le fait qu’il l’avait impliquée dans quelque chose d’aussi sale avait créé une ombre dans son cœur.
Au cas où cela l’aurait inquiétée, il avait l’intention d’indiquer clairement que c’était sa propre responsabilité, mais elle n’avait pas du tout l’air de s’en soucier. Il ne pouvait pas dire si elle l’avait oublié à cause de l’exaltation de la victoire, ou si elle ne pouvait tout simplement pas se sentir comme une tueuse à moins qu’elle n’ait porté directement le coup mortel.
« Oh, j’aimerais vous remercier sincèrement de m’avoir donné une chance de venger mon père ! » Linéa avait ajouté ça avec enthousiasme. « Cela m’a aussi rendue plus confiante en moi-même. »
« Je suppose que c’est ce qui est normal dans ce monde, » murmura Yuuto.
« Hein ? » demanda Linéa.
« Ce n’est rien. Je suis heureux pour vous, » déclara Yuuto.
Pour se protéger et protéger son cher peuple, et pour venger le père bien-aimé qu’elle avait perdu, Linéa n’avait pas hésité à se battre et à prendre la vie de ses ennemis. Il ne s’agissait pas de ce qui était bien ou mal.
Même Linéa — ou peut-être parce qu’elle était comme ça — s’était battue pour ce qu’elle trouvait si naturellement qu’elle n’avait même pas pris le temps d’y penser. Et pour Yuuto, c’était digne d’éloges.
En fait, c’est lui qui s’était vautré dans le doute et la culpabilité.
« Je dois dire... Je ne m’attendais pas à voir quelque chose contre lequel le Dólgþrasir serait si impuissant. » Le ton de Linéa était alourdi et stupéfait lorsqu’elle regardait les restes du barrage.
« Je sais ce que vous voulez dire..., » Yuuto se souvenait parfaitement du grand tremblement de terre et du tsunami qui s’était produit au Japon il y a plusieurs années. Il avait regardé les nouvelles à ce sujet, et les scènes épouvantables qu’il avait vues à la télévision avaient été brûlées dans ses paupières.
Les individus étaient totalement impuissants face à la menace de la nature. Même s’il le savait — ou peut-être parce qu’il le savait — il l’avait utilisé pour une action si emplie de péchés que cela lui faisait grincer des dents.
L’enfer avait probablement une place pour lui, mais il avait décidé de continuer à avancer de toute façon. Pour le bien de ceux qu’il voulait protéger, et pour rentrer chez lui vivant.
« Talent naturel, pouvoirs empruntés aux dieux ou à Álfkipfer..., » murmura-t-il. « Eh bien, ça n’a pas vraiment d’importance. »
Dès le moment où il avait posé les yeux sur Steinþórr, Yuuto ne l’aimait pas du tout. L’homme l’avait agacé à tel point qu’il avait du mal à s’exprimer, mais il n’avait même pas su pourquoi jusqu’à ce qu’il ait parlé avec Linéa à Gimlé.
Cet homme lui avait rappelé à quel point il était lui-même un imbécile. C’était pourquoi il s’était assuré de l’humilier et s’était assuré qu’il était prêt pour cela.
Yuuto avait même des plans supplémentaires au cas où les ennemis auraient compris le plan du barrage.
Il avait placé sa main sur la lame à côté de lui et avait formé un sourire d’autodérision. « Je ne vais pas perdre face à des idiots qui s’énervent juste parce qu’ils ont accès à une ou deux tricheries. »
☆☆☆
« Oh mec, j’ai totalement perdu ! Ce type est fou ! » Le jeune homme aux cheveux roux était étalé sur la rive de la rivière, regardant le ciel sans nuages.
Il n’avait aucune idée de l’endroit où il se trouvait — il s’était simplement réveillé.
Il avait essayé de se lever, mais la douleur qui brûlait tout son corps l’avait fait se coucher à nouveau. Il avait probablement subi de nombreuses blessures importantes pendant qu’il était sous l’eau, et il était clair qu’un certain nombre de ses os étaient brisés.
Bien qu’il ait survécu à de nombreuses batailles sans avoir la moindre égratignure, il était maintenant complètement battu et couvert de plaies. Cela prendrait certainement un certain temps avant qu’il soit capable de bouger librement son corps à nouveau.
Il avait quand même eu de la chance de finir comme il était actuellement. C’était vraiment une situation de vie et de mort, et même lui était surpris de pouvoir encore respirer.
Ce n’était peut-être rien d’autre que le caprice d’un dieu, mais maintenant qu’il avait survécu, il devait faire payer à ses ennemis pour l’humiliation qu’il venait de subir.
« À part ça, comment est-ce que je reviens... ? Oh, peu importe. Que des détails... »
***
Épilogue
Au moment où la crue soudaine s’était apaisée, Yuuto avait fait avancer ses armées plus loin dans le domaine du Clan de la Foudre.
Avec près de la moitié de leurs soldats morts, et le sort de leur patriarche incertain, ils étaient pour ainsi dire vaincus et pouvaient à peine être appelés une « armée ». En voyant les rangs organisés du Clan du Loup, la plupart d’entre eux s’étaient simplement dispersés et avaient fui.
Bien que Yuuto soit un pacifiste dans l’âme, il n’était pas assez naïf pour assumer une politique de défense non agressive.
La guerre n’était pas bon marché.
Il y avait le coût des armes et des armures pour chaque soldat, la préparation des consommables comme les flèches et, bien sûr, les immenses quantités de nourriture utilisées des déplacements ici et là. Tout cela avait un coût. De toute évidence, certains de ses soldats n’avaient pas survécu, ce qui exigeait des compensations pour leurs familles. La victoire avait aussi coûté en argent, puisqu’il fallait récompenser ceux qui avaient aidé à l’atteindre, d’autant plus qu’il avait interdit le pillage. C’était loin d’être une entreprise philanthropique.
Yuuto n’avait pas lui-même l’intention de faire la guerre, mais si la guerre était menée contre lui et qu’il devait dépenser de l’argent pour défendre ses terres, il devait choisir entre permettre à sa nation de devenir progressivement pauvre ou bien trouver des moyens d’atteindre le seuil de rentabilité, et son peuple n’approuverait certainement pas le premier cas.
En fait, avant que Yuuto ne devienne le patriarche du Clan du Loup, il était au bord de la destruction exactement parce qu’il était constamment sur la défensive. Il n’avait pas l’intention de répéter cette erreur.
Après que son armée eut dispersé et chassé les troupes restantes du Clan de la Foudre, Yuuto avait conquis trois forts sans effusion de sang, plaçant les villes et villages locaux sous son autorité.
Ce qui avait suivi avait été un retour triomphal à Iárnviðr. Après cela, il avait signalé à Mitsuki qu’il allait bien, et un peu plus tard, il avait décidé de se faufiler en ville et de s’amuser.
Cela faisait un an qu’il ne s’était pas promené dans les rues sur ses deux pieds. En tant que patriarche et héros du Clan du Loup, il devenait toujours le centre d’attention, rendant les personnes humbles ou carrément prosternées devant lui, et il ne se sentait pas à l’aise face à ça.
Cela n’avait pas aidé que son apparence se distinguait parmi les habitants d’Iárnviðr. Bien qu’il puisse cacher ses cheveux d’un pur noir avec une capuche, on ne pouvait pas en dire autant pour ses yeux, et même s’il était un peu bronzé, le teint ivoire unique à sa race était sûr d’attirer l’attention des personnes.
Yuuto avait tenu la main de Kristina pendant qu’il marchait. « Franchement, grâce à vous, je peux enfin marcher en ville comme d’habitude. Merci, » déclara-t-il avec plaisir.
En lui tenant la main, il pouvait emprunter ses pouvoirs de Veðrfölnir et cacher sa présence, l’empêchant ainsi d’attirer l’attention.
« Franchement, je préférerais ne pas avoir à tenir la main d’un homme, mais vous êtes une exception, Père, » répondit-elle.
« Hahaha. Quel honneur. » Yuuto avait haussé les épaules en riant.
Le travail à la lance n’était pas la seule chose qui pouvait gagner du mérite dans une guerre. Elle avait apporté l’information que le Clan de la Foudre se préparait pour la bataille, et cela valait plus que son poids en or. Puis elle avait infiltré Bilskirnir et acquis des informations telles que le nombre d’ennemis, la composition, l’armement et le jour du départ, ce qui avait grandement aidé Yuuto à prendre le dessus dans cette bataille. Ces réalisations avaient en effet été un hommage digne d’intérêt, et Yuuto n’avait aucun problème à lui accorder son Serment du Calice.
Bien sûr, l’échange direct du Serment du Calice avec un patriarche exigeait une cérémonie bien élaborée. Comme cela prendrait un certain temps pour se préparer, il n’avait pas encore échangé le Serment avec elle. Elle était actuellement sa fille assermentée à un niveau non officiel, un peu comme une entreprise au Japon moderne pourrait donner un statut d’employé provisoire à un employé potentiel.
Quant à Albertina, qui devenait aussi sa fille jurée...
« Hé, Kris, Kris, regarde. La nourriture sur les brochettes de ce magasin a l’air délicieuse. Puis-je en acheter ? » demanda Albertina.
« Oh, quelle bonne odeur ! C’est probablement très bon. » Répondit Kristina.
« Je sais, n’est-ce pas ? » demanda Albertina.
« D’accord, alors va en acheter, » accorda Kristina.
« Suppperrrr... !! Je suis de retouuuurr ! Et j’en ai un ! » cria Albertina.
« Et maintenant, je te le prends et je le mange rapidement, » déclara Kristina.
« Gyaah ! » Comme toujours, elle était intimidée par sa sœur. Cette fille n’avait jamais rien appris.
Yuuto silencieusement, mais avec intensité, n’avait souhaité que son bonheur dans l’avenir.
« Je dois dire que c’est curieux que personne ne te remarque, » Félicia avait fixé Yuuto du regard et avait dit cela avec de l’émerveillement dans son ton. Fait inhabituel pour elle, elle avait caché sa belle silhouette avec une robe à capuchon, en essayant de ne pas trop se démarquer.
Parce qu’il avait les jumelles avec lui pour lui servir de gardes du corps, il lui avait dit de se reposer, mais elle n’en avait rien fait. En fait, elle avait été légèrement contrariée par cette suggestion. Cela avait laissé Yuuto perplexe, puisqu’il voulait simplement qu’elle prenne un peu de répit de ses fonctions d’adjudant. Même avec ses connaissances modernes, il ne pouvait pas comprendre le cœur d’une jeune fille.
« Il m’a l’air normal, » ajouta Félicia.
« J’ai seulement nié sa présence et l’ai fait se fondre dans le paysage. Ça ne fait pas grand-chose si vous le remarquez et le regardez fixement, » expliqua Kristina.
« Je vois. » Félicia hocha la tête. Étant une manieuse de galldrs, elle s’intéressait beaucoup à ces questions.
« Êtes-vous sûre que ça ne vous dérange pas ? » Avec son pouce, Yuuto avait pointé derrière lui, vers Albertina. Elle s’était accroupie sur le sol, pleurait à chaudes larmes. Elle attirait beaucoup d’attention de la population environnante.
« Vous vous démarquez beaucoup trop, Père, » lui avait alors dit Kristina. « Si Al attire la plupart des regards, personne ne nous regardera. »
« Ohh, c’est logique. » Il hocha la tête et regarda la ville.
C’était vivant et plein d’énergie. Par rapport à l’année dernière, il y avait aussi beaucoup plus de personnes qui marchaient dans ses rues. La prospérité attirait à la fois les visiteurs et les migrants des terres voisines.
Yuuto allait souvent sur la route principale menant vers l’extérieur, mais il n’avait pas marché sur les autres routes depuis longtemps maintenant, alors il avait trouvé cette expérience quelque peu nostalgique et excitante.
« Hm ? »
Soudain, il avait remarqué une silhouette familière.
Elle avait des cheveux courts et indisciplinés et des traits du visage que l’on pourrait qualifier de « charmant » plutôt que de « beau ». Elle était clairement en train de faire des achats, fredonnant en regardant les marchandises dans le bazar.
« Ingrid, quelle coïncidence ! » s’exclama Yuuto.
« Uah ! Y-Yuumgh ! »
« Chuuuu, moins fort, d’accord ? » Yuuto avait tapoté légèrement son épaule, mais cela suffisait à lui faire crier son nom, alors il lui avait rapidement mis la main sur la bouche. Après tout, son petit voyage incognito ne faisait que commencer. Il ne voulait pas que ça finisse si abruptement.
Bien qu’elle ne ressemblait à rien de plus qu’une jolie fille de la ville, Ingrid était la huitième du Clan du Loup. Et en tant que propriétaire de la rune Ívaldi, elle était une forgeronne exceptionnelle.
Sa contribution au raffinement du fer et à la création d’arbalètes avait fait d’elle une figure de proue dans l’avancement du clan.
« T’es-tu calmée ? » Yuuto lui avait demandé.
« Hhw chn I chlm dhwn whhn yhhh'rh thhchhng mh lhps !? » (« Comment puis-je me calmer quand tu me touches les lèvres !? ») Le visage d’Ingrid était devenu d’un rouge de betterave quand elle avait répondu à la question par une plainte évidente.
Elle est aussi petite que d’habitude, pensa Yuuto avec un sourire ironique sur son visage. Bien qu’il se sente comme s’il comprenait mal quelque chose, il avait choisi de continuer la conversation au lieu de la libérer. « Je te laisserai partir si tu promets de te taire. »
Ingrid hocha rapidement la tête, et Yuuto fit ce qu’il avait dit qu’il ferait. La jeune fille avait pris un moment pour reprendre son souffle, puis l’avait directement regardé avec une expression sérieuse.
« Pourquoi es-tu ici ? As-tu une idée de ce qui se passerait si les personnes le remarquaient ? » demanda Ingrid.
« Oh, je peux me promener grâce à ses pouvoirs. » Tenant toujours la main de Kristina, il l’avait levée en l’air, et pour une raison inconnue, cela avait fait disparaître toute la couleur des yeux d’Ingrid et son visage était devenue sans expression.
« Ohh, je vois... Alors tu t’es trouvé une autre fille. Et regardez comme vous vous entendez bien, » déclara Ingrid.
« Idiote. Ce n’est pas comme ça, » déclara Yuuto.
« Mais ce n’est pas comme ça non plus, » commenta Kristina. « Nous sommes après tout des candidates pour être des reines. »
« Hmmm, elle semble certainement à l’aise à tes côtés. Et tu te promènes en touchant les lèvres des filles. Ah, merde, pourquoi suis-je si... ? » Son ton était froid et composé au début, mais Ingrid était progressivement redevenue rouge et avait commencé à marmonner à la place.
L’ondulation des émotions avait fait vaciller Yuuto. « Je te le dis, ce n’est pas ce que tu crois. »
« Oh, tu n’as pas à me le cacher. Tu es vraiment grand et important maintenant, n’est-ce pas ? Tu es assez important pour avoir toutes les filles que tu veux, hein ? »
« En parlant de cela, il y a des demandes en mariage qui affluent aussi de tous les clans voisins, » avait rajouté Kristina.
« OHHHHHH ? » Ingrid avait regardé Yuuto avec des yeux méprisants, comme s’il était l’ennemi de toute l’humanité féminine.
Il avait déplacé son regard vers la gauche et vers le bas, et avait vu un diablotin avec un sourire pleinement diabolique sur le visage de la fille à côté de lui. Kristina l’avait dit exprès et en était clairement fière. C’était une fille méchante. Quand il s’agissait de méfaits, elle avait décidé de n’épargner personne.
« Comment es-tu devenu comme ça ? Quand je me souviens de l’époque quand nous nous sommes rencontrés, cela rend tout cela encore moins crédible. Tu n’étais qu’un imbécile inutile et faible qui pouvait à peine parler, » déclara Ingrid.
« Oh ouais, désolé pour tous les ennuis que je t’ai causés à l’époque, » répondit Yuuto.
« Oh, tu devrais l’être. » Ingrid avait l’air vexée. « Hmph. »
Le garçon désespéré de l’époque était devenu un grand héros, battant les clans environnants les uns après les autres et agrandissant son territoire dans toutes les directions. En effet, le monde était un endroit mystérieux.
« Mais... penser que deux années se sont écoulées depuis…, » avec un chuchotement, Ingrid avait regardé le ciel. Elle semblait laisser vagabonder son esprit à travers ses souvenirs.
Fin du tome 2
***
Illustrations
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Un passage au début du tome ?, car là, tu as mis le commentaire sur le tome entier. i c’est le prologue, non, rien ne manque.