Joou Heika no Isekai Senryaku – Tome 3

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Chapitre 1 : Un plongeon dans l’océan

Partie 1

J’avais conquis le duché de Schtraut. C’était une victoire construite sur d’innombrables morts : le duc Sharon, Basil de Buffon, les gens de la guilde des aventuriers… Aucun de ces gens n’avait mérité leur sort ni tous les braves petits Essaims qui avaient perdu la vie dans le conflit.

Mon Essaim ne craignait rien, beaucoup d’entre eux s’étaient lancés dans une mort certaine afin que nous puissions nous rapprocher de notre victoire. Leurs vies étaient des sacrifices nécessaires. Sans eux, nous n’aurions pas gagné.

De manière irritante, le duché était frontalier avec la grande puissance du sud — l’Empire de Nyrnal — par la forêt des elfes. De plus, il bordait le Royaume Papal de Frantz à l’est. J’avais réussi à creuser un fossé entre Frantz et Nyrnal pendant le Conseil international, mais après qu’un seul pays nous ait déclaré la guerre, une énorme cible nous avait été peinte sur le dos. L’autre grande puissance cherchait toujours à profiter du fait que nous étions pressés sur un front pour nous attaquer sur un autre.

C’était pourquoi j’avais fait du renforcement des défenses de nos frontières notre priorité. Les Essaims avaient construit des murs et érigé des tours de guet le long des frontières. Les Tours à Globe Oculaire étaient des structures défensives fixes qui attaquaient automatiquement tout ennemi qui s’approchait. De plus, elles surveillaient également leurs alentours et nous alertaient si une armée s’approchait de la frontière.

Pourtant, les frontières de Schtraut étaient terriblement vastes. J’avais une grande force d’Essaims Travailleurs qui commençait la construction, accompagnée d’Essaims Éventreurs pour les protéger, mais on ne savait pas quand ils finiraient de fortifier toute la frontière.

Nous avions commencé par travailler sur la frontière avec Frantz. À mes yeux, Frantz était la menace la plus immédiate, car il avait organisé l’armée alliée dans le but exprès de nous combattre.

Aujourd’hui aussi, d’autres tours de guet étaient en construction le long de la frontière.

Travail, travail, travail.

Pour l’instant, rien ne semblait entraver la mise en place de nos défenses. Peut-être que le Royaume Papal n’avait pas peur de nous, ou qu’il pensait que les murs seraient faciles à démolir. Mais même s’ils n’étaient pas faciles à casser, nos murs n’étaient faits que de pierres maintenues ensemble par la salive des Essaims Travailleurs, ils n’étaient pas indestructibles.

Mais s’il était possible qu’un mur puisse être attaqué, nous déploierons alors simplement des forces à l’endroit affecté. Les murs étaient là pour ralentir nos ennemis, pas pour les arrêter complètement. Entre les longues frontières que Schtraut tenait avec Frantz et nos propres frontières avec Nyrnal, les forces des Essaims étaient très dispersées. Cela signifiait que l’ennemi devait attaquer nos fortifications une à une. Et pendant qu’ils étaient retenus par les murs, nous mobilisions nos forces pour les intercepter.

Telle était la stratégie que j’avais décidée pour l’instant. En la revoyant dans mon esprit, je surveillais la construction des murs.

Travaillez, travaillez ! Construisez, mes amis, construisez !

« Votre Majesté ? »

Sérignan m’avait lancé un regard empli de doute alors que je tenais de tels propos dans ma tête sur les Essaims Travailleurs.

Aww, pas encore la conscience collective. Elle a entendu mon chant.

« Ignore-moi, Sérignan. J’étais juste, euhh, en train de m’enflammer. »

« Je… vois. »

Elle semblait encore dubitative, mais je n’y avais pas prêté attention. Après tout, la frontière était si longue que si je ne chantais pas dans ma tête, je ne pourrais pas rester saine d’esprit. Plutôt que de construire en ligne droite, j’avais fait en sorte que les Essaims Travailleurs décalent les Tours à Globe Oculaire pour que leurs lignes de feu se croisent.

Le jeu m’avait appris que la victoire revenait à celui qui faisait le premier pas, je m’appuyais donc rarement sur des structures défensives comme celles-ci. Ma mentalité en tant que joueuse d’Arachnée était de submerger l’ennemi avec des tactiques offensives, comme les ruées d’Essaims Éventreurs, plutôt que d’opter sur des choix défensifs.

En d’autres termes, l’Arachnée devenait beaucoup moins efficace s’il devait se concentrer strictement sur la défense. La faction était construite autour d’attaques incessantes, et la récompense pour les massacres était la chair de ceux tombés au combat, qui pouvait être utilisée pour créer des boulettes de viande afin d’augmenter ses rangs.

Se battre avec des structures défensives serait une erreur stratégique dans le cas de l’Arachnée, car cela limiterait la vitesse à laquelle elle pourrait augmenter ses effectifs et mettrait plutôt le rythme de la bataille entre les mains de l’ennemi. Si je n’avais mené que des batailles défensives avec l’Arachnée, je n’aurais pas gagné autant de parties que je l’avais fait. C’était logique, le jeu devait être équilibré, et aucune faction ne pouvait être invincible.

Cependant, étant donné notre situation actuelle, j’avais dû repenser notre tactique. Je n’avais essentiellement aucune information sur ce que l’ennemi complotait, surtout en ce qui concernait l’Empire de Nyrnal. L’Empire avait quitté l’alliance, c’était vrai, mais je ne m’attendais pas à ce qu’il se mêle de ses affaires. Ensuite, il y avait eu ce discours sur les dragons — les wyvernes que seul Nyrnal pouvait soi-disant utiliser.

Les wyvernes étaient une sous-espèce de dragon, et j’associais les dragons à quelque chose de très spécifique… ce qui me donnait un très mauvais pressentiment. Jusqu’à présent, nous n’avions pas rencontré d’autres factions du jeu, mais cela ne voulait pas dire qu’elles n’étaient pas là quelque part. En supposant que les wyvernes n’étaient que des monstres ordinaires, tout irait bien. Mais si mes soupçons étaient corrects, et qu’il ne s’agissait pas de simples monstres, l’Arachnée allait être confrontée à un ennemi très menaçant.

C’était l’une des raisons qui avait fait que je m’efforçais de renforcer nos défenses. Nous gardions un œil vigilant sur ce que l’ennemi préparait et était prêt à faire. Nous devions probablement nous occuper de Frantz en premier, mais nous devions essayer de rassembler des informations sur leurs progressions. Ainsi, votre servante était actuellement engagée dans la tâche plutôt ennuyeuse de construire des fortifications frontalières.

Peut-être avais-je été optimiste en pensant que, si l’on disposait de suffisamment de temps, l’Essaim apprendrait à les construire lui-même.

« La frontière est sérieusement si longue… J’espère que nous avons assez de ressources pour construire tous les murs. »

La création de suffisamment de fortifications pour couvrir toute la longueur de la frontière nécessiterait beaucoup de ressources. J’avais ordonné aux Essaims Travailleurs d’abattre des arbres et de creuser des rochers, mais je commençais à douter que notre objectif soit réalisable.

Mes simples calculs m’avaient amenée à penser que nous en aurions assez pour les murs et les Tours à Globe Oculaire, mais une partie du terrain le long des frontières n’était même pas du terrain solide. Cela signifiait que certains des murs devraient être construits de manière tordue et en zigzag. Compte tenu des stocks de bois et de pierres que nous avions pour le moment, je n’étais pas sûre que ce soit faisable…

« Votre Majesté, puis-je dire un mot ? », criait une voix pendant que je calculais les chiffres.

C’était un des Essaims Éventreurs.

« Quelque chose ne va pas ? », avais-je demandé.

« Oui. Nous avons été attaqués par ce qui semble être une force ennemie. Nous avons réussi à les repousser, mais de justesse, et l’ennemi s’est enfui avec une partie de nos ressources. »

En répondant à ma question, l’Essaim Éventreurs transmit ce qu’il avait vu à travers la conscience collective.

« Ils… venaient de la mer ? »

Et voici ce que j’avais vu. C’était un groupe d’hommes débarquant d’un voilier de taille moyenne et montant sur des bateaux plus petits. Ils avaient ensuite ramé jusqu’aux rives d’une ville côtière que j’avais conquise. Malheureusement, la ville était pleine d’Essaims Travailleurs qui essayaient de reconstruire l’endroit et seule une poignée d’Essaims Éventreurs stationnait pour les défendre. Les Essaims Éventreurs avaient essayé de riposter, mais ils avaient été encerclés et rapidement vaincus.

Ils avaient cependant abattu quelques hommes appartenant à l’ennemi, et les quelques Essaims Éventreurs qui restaient avaient escorté les Essaims Travailleurs vers un lieu sûr. Pendant ce temps, les assaillants avaient fait un raid sur les entrepôts de la ville, volant les ressources que j’avais économisées pour débloquer de nouvelles structures. Après cela, ils avaient fui vers leur navire.

« Des pirates ? Sérieusement ? »

Les pirates étaient le seul type de personnes que je pouvais imaginer faire quelque chose comme ça. Cela correspondait à leur mode opératoire — ils apparaissaient de la mer, volaient les biens des autres et s’enfuyaient.

« Ils étaient trop négligents pour être des éclaireurs de Frantz. Ce sont probablement des pirates », avais-je conclu.

« Des pirates, vous dites ? Je me demande d’où ils viennent. Ce serait difficile pour nous de poursuivre un bateau de pirates, mais s’ils ont une place forte, nous pourrions peut-être organiser un débarquement. », s’interrogeait à voix haute Sérignan.

« Mais c’est ennuyeux. Je ne m’attendais pas à ce que quelqu’un nous attaque par la mer. »

J’avais poussé un soupir.

« Nous pouvons couvrir les frontières avec toutes les défenses que nous voulons, mais tout cela est inutile si nous sommes exposés au grand large. Nous devons aussi envisager de fortifier les côtes maintenant. Aaah, ça me donne mal à la tête… »

J’avais pensé que fortifier nos frontières terrestres nous mettrait à l’abri, mais j’avais négligé d’envisager la possibilité que nos ennemis puissent simplement naviguer vers notre territoire. Alors que notre camp était maintenant capable de gérer des navires, nous n’avions qu’une poignée d’embarcations utilisables.

Nous avions réduit en boulettes de viande tous les charpentiers qui auraient pu construire ou réparer des navires, et l’Essaim ne savait pas comment les construire. Construire une flotte pour patrouiller les côtes n’était pas une option réalisable.

Même si nous pouvions quand même y parvenir, le seul d’entre nous qui savait comment mobiliser une flotte était Roland. Les autres membres de l’Essaim avaient appris de lui comment gérer un navire, mais il ne servait à rien d’essayer de leur faire absorber le savoir sur la façon de commander une flotte entière.

L’Arachnée était une force terrestre, un type d’armée fondamentalement différent. Je ne pensais pas qu’il était nécessaire que nous nous engagions dans une guerre navale. Ma seule expérience du contrôle d’unités aquatiques ou navales m’était venue de périodes où j’avais côtoyé d’autres factions. Ces expériences n’avaient pas eu beaucoup de succès, mon ratio victoires/pertes était toujours épouvantable par rapport à l’époque où je jouais avec l’Arachnée.

En d’autres termes, je n’étais pas du tout compétente en matière de combat naval.

« Que devons-nous faire, Votre Majesté ? » demanda l’Arachnée.

« Nous allons demander aux Essaims Travailleurs d’ériger des tours de guet le long des villes côtières et d’y poster des forces de réserve. Cela devrait les tenir en échec. »

« Compris, Votre Majesté. Selon vos désirs. »

L’Essaim Éventreurs fit son geste de loyauté et se prosterna.

« Sais-tu nager, Sérignan ? »

« Moi, nager ? Non, je ne sais pas. Mes excuses, Votre Majesté… »

« Je ne te blâme pas, je te le demandais simplement. »

L’essaim n’était pas bon quand il s’agissait de traverser l’eau, et Sérignan ne faisait pas exception.

« Mais c’est un tel gâchis. Nous avons conquis ces jolis rivages, et nous ne pouvons même pas aller nous baigner. »

Les mers de Schtraut étaient d’un bleu saphir très agréable, et il semblerait que ce soit un plaisir de s’y baigner. En plus, c’était le milieu de l’été, j’avais donc vraiment envie de me baigner.

Est-ce que c’est puéril de ma part, je me le demande ?

« Voulez-vous aller vous baigner, Votre Majesté ? »

« Oui, ce sera un changement de rythme agréable. Mais je sais que ce n’est pas le moment pour ça. »

« Si tel est votre désir, Votre Majesté, nous pouvons nager. Vous avez travaillé si dur tout ce temps, vous méritez certainement un peu de repos. Je vous en prie, allez-y, nagez. », dit Sérignan.

« Tu es étonnamment enthousiaste, vu que tu ne sais pas toi-même nager. Es-tu sûre ? »

Est-ce qu’elle s’amusera vraiment en venant avec moi si elle ne sait pas nager ?

« Mon plaisir n’est pas ce qui compte ici. Je vous ai simplement conseillé de vous reposer parce que je pense que c’est nécessaire, Votre Majesté. Vous avez l’air très fatiguée et vous vous êtes effondrée à plusieurs reprises pendant la guerre contre le duché. Je crois que vous méritez un peu de repos. »

Elle n’avait pas tort, j’étais plutôt fatiguée ces derniers temps. Le massacre de Maluk était une chose, mais les nombreux décès à Schtraut avaient pesé lourdement sur moi. Si les choses s’étaient passées différemment, les gens que nous avions tués auraient pu être nos alliés, cela me donna l’impression d’avoir perdu un ami.

***

Partie 2

« Vous ne devez jamais oublier votre cœur humain. »

Je m’étais souvenue des mots que cette personne m’avait dits. C’était à ce moment-là que j’avais réalisé que je possédais toujours mon cœur humain… et c’était pourquoi j’avais fait le deuil des habitants de Schtraut.

Mis à part les charges émotionnelles, je n’avais cessé de me battre, et j’avais même été empoisonnée deux fois ! Il était naturel que je sois épuisée à ce point, même si je n’avais pas remarqué que cela s’insinuait en moi.

Un regard dans le miroir m’avait fait comprendre que mon corps déjà mince était encore plus maigre qu’avant. Peut-être que Sérignan avait raison, et que j’avais besoin de changer de rythme.

« Très bien ! Alors, allons nager. Et comme tu ne sais pas nager, on peut aussi faire un barbecue. On jouera à la plage, et après on pourra retourner au travail. Je ne pense pas que l’ennemi nous attaquera à nouveau si tôt, et s’il le fait, nous le réduirons en chair à pâté. »

« Selon vos désirs, Votre Majesté. Nous allons commencer les préparatifs. »

Un plongeon dans l’océan, hein ?

Cela faisait deux ou trois ans que je n’étais pas allée nager. J’avais peur d’attraper un coup de soleil, mais c’était un souci mineur. En ce moment, je voulais me détendre et m’amuser avant de devoir retourner dans le monde sauvage de la guerre.

☆☆☆**

Très vite, nous nous étions retrouvés à la plage. L’eau bleue étincelante ne montrait aucune trace de monstres. Cela, ainsi que les belles dunes blanches, faisait de l’ensemble l’image même d’une station balnéaire. Je n’aurais jamais pu aller sur une plage comme celle-ci dans mon monde.

« L’océan est si beau ! », s’exclama Lysa.

« En effet. C’est dommage que nous ne puissions pas nager », dit Roland d’un signe de tête.

J’étais escortée par des Essaims Éventreurs et des Essaims Mascarades, ainsi que par Lysa, Sérignan et Roland.

« Pourquoi te caches-tu derrière, Sérignan ? Ne sois pas timide, viens voir la mer. »

J’avais appelé Sérignan.

« Mais, ma tenue, c’est… »

En remuant, elle jeta un coup d’œil derrière les rochers.

Le maillot de bain de Sérignan était un bikini assez audacieux que j’avais demandé aux Essaims Travailleurs de faire. Le tissu blanc complétait sa peau pâle et lui donnait l’air d’une femme mûre. Du moins en ce qui concerne sa silhouette.

Pendant ce temps, Lysa et moi étions en maillot de bain une pièce, également offert par les Essaims Travailleurs. Le mien n’était pas voyant, mais celui de Lysa exposait son dos au cas où sa mimesis s’effaçait et que ses ailes apparaissaient.

« Allez, ça te va bien, Sérignan. De toute façon, tu es la seule de notre groupe qui pouvait s’en tirer en portant quelque chose comme ça, alors sois fière de ce que tu as. »

« Euh, selon vos désirs, Votre Majesté… »

Avec ça, elle s’était traînée jusqu’à nous.

« Très bien, Lysa et moi allons nager. Toi et Roland pouvez rester à l’écart et profiter de votre barbecue. »

« Loin de moi cette pensée, Votre Majesté ! Je ne peux pas manger avant que vous n’ayez pris la première bouchée ! »

Qu’est-ce que tu peux être rabat-joie, Sérignan... Mais je suppose que c’est en partie ce qui te rend si mignonne.

« Bien, vous pouvez manger plus tard, alors. Allons-y, Lysa ! »

« Compris ! »

Lysa et moi nous étions approchées de l’eau, en plongeant nos pieds dans les vagues qui se retiraient.

« Ooh, c’est sympa et cool ! » s’était-elle écriée.

« C’est ta première fois à la plage, non ? Tu t’amuses bien ? »

Nous avions commencé à barboter, l’eau nous atteignant jusqu’à la taille.

« Oui ! J’aimerais pouvoir montrer ça à Linnet… »

« Oui… C’est ça. »

Les sentiments de Lysa pour Linnet n’avaient pas du tout diminué. La mort de Linnet était aussi la première de toutes les personnes qui m’étaient chères. Sa mort m’avait poussée à détruire le royaume de Maluk et nous avait menés là où nous étions aujourd’hui. Cela avait également été un tournant majeur pour Lysa.

« Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour toi ? Tu as été éloigné du village elfe pendant si longtemps. Tu dois avoir le mal du pays. », lui demandai-je.

« Non, je vais bien. Au début, marcher dans les villes et autres endroits si loin de la forêt me rendait anxieuse, mais vous avoir vous et Sérignan m’a beaucoup aidé. », dit-elle en secouant la tête.

Tu es une fille si courageuse, Lysa.

Moi-même, j’avais un peu le mal du pays. Je me demandais comment allaient mes parents, ce que faisaient mes amis, et comment les choses se passaient dans le jeu… Mais non, je venais à la plage pour laisser ces pensées s’envoler. Je les avais secouées et j’avais essayé de me concentrer sur le bon moment que je passe.

« Tu sais nager, Lysa ? »

« Oui, j’allais nager dans la rivière de temps en temps. »

« Alors, faisons la course. Le premier qui arrive à ce récif là-bas gagne ! »

Avec ça, j’avais commencé à nager rapidement vers le récif, avec Lysa qui s’était empressée de me suivre. La nage était tout simplement délicieuse, et je me sentais au sommet du monde. Le contraste entre la lumière chaude du soleil et l’eau froide remplissaient mon corps d’énergie. Toute la fatigue qui s’était accumulée en moi avait fondu.

« Aaah ! »

Ma tête heurta la surface. Je découvris alors que j’avais atteint le récif en premier.

J’ai gagné !

« Vous êtes rapide, Votre Majesté ! », s’exclama Lysa en me rattrapant.

« Comment aimes-tu ces pommes ? Très bien, rentrons et mangeons quelque chose. Tu dois avoir faim. », lui dis-je, en gonflant ma poitrine (manquante).

« Mm, pas vraiment. »

« Oh, c’est vrai. Tu ne manges pas. »

L’Essaim n’avait pas besoin de nourriture, mais il pouvait en apprécier la saveur.

« Eh bien, c’est très bien. Au moins, ça devrait avoir suffisamment bon goût pour que tu puisses en profiter. »

Sur cette note, nous avions toutes les deux nagé jusqu’au rivage.

« Comment était votre baignade, Votre Majesté ? », demanda Sérignan à mon retour.

« C’était amusant. J’aimerais aussi que tu y goûtes. »

« Oh, non. J’ai peur que la natation me dépasse… De toute façon, le barbecue a été préparé. Par ici, Votre Majesté. »

Sérignan insista sur le fait qu’elle ne savait pas nager, mais j’avais pensé que ce serait possible si elle utilisait sa Mimesis.

« Quel festin », avais-je lancé, un peu surpris.

Notre barbecue ressemblait à une grande fête étalée sur toute la plage. L’odeur du charbon de bois brûlé remplissait l’air, me mettant en appétit. Il ne manquait plus que l’arôme de la viande rôtie.

« Essaims Mascarades, Essaims Éventreurs, vous vous joignez à nous. »

« Nous le ferons si c’est ce que vous désirez, mais cela pourrait entraver notre veillée. »

« Ça ne me dérange pas. De toute façon, les seuls qui viendraient ici sont des pirates. »

C’est vrai, les pirates. D’où venaient-ils ? Avaient-ils une cachette à proximité où ils planquaient tout leur butin ? Je suppose qu’ils avaient probablement un drapeau noir avec un crâne dessus.

Dans mon esprit, les pirates étaient pratiquement des personnages de conte de fées. J’avais vu dans les actualités des histoires sur le problème des pirates en Somalie, mais je n’avais jamais entendu dire qu’ils constituaient une menace au Japon.

Pourtant, les pirates étaient un concept vieillissant qui appartenait au domaine du folklore : des hommes de mer sauvages, vaillants et imprudents qui construisaient des montagnes de trésors, se cachaient dans des forteresses secrètes et se battaient avec des coutelas. C’était ainsi que je les imaginais.

« De toute façon, faisons cuire de la viande », avais-je déclaré tout en balayant cette pensée.

« Voilà, Votre Majesté. Les brochettes sont prêtes. »

Roland et les Essaims Mascarades avaient embroché de la viande et des légumes ensemble. Nous avions placé une grille de barbecue au-dessus du feu et nous avions posé les brochettes dessus. Très vite, un parfum appétissant s’était répandu dans l’air.

« Ont-ils fini ? », me suis-je demandé à voix haute, en en ramassant une.

Je l’avais recouverte d’un peu de sauce barbecue maison et j’en avais pris une bouchée.

« Mmm… Délicieux. Aaah, un barbecue sur une belle plage… Quel bonheur ! »

Pendant un instant, j’avais pu oublier toutes les guerres.

« Vous devriez aussi en prendre une », avais-je ajouté.

« Je vais essayer. »

Sérignan s’était servie maintenant que j’en avais déjà pris.

L’Essaim n’avait pas besoin de nourriture, mais Sérignan, Lysa et Roland étaient tous humains à l’origine et donc capables d’expérimenter et d’apprécier la saveur. Sérignan aimait manger de la viande, et elle n’était pas difficile.

C’est une brave fille.

« Alors ? Est-ce que ça te plaît ? »

« Oui ! C’est délicieux ! »

Et bien qu’elle soit un essaim, Sérignan aimait vraiment manger. En la regardant, je m’étais souvenue qu’elle avait volontiers dévoré les sandwiches que j’avais faits il y a quelque temps. Cela me donnait envie de lui donner toutes sortes de plats. C’était le moins que je puisse faire pour ce chevalier diligent qui combattait en mon nom.

« Et toi, Lysa ? »

« Oui, c’est bon. Mais manger dans un endroit comme celui-ci est vraiment une tout autre expérience. »

Au départ, je pensais que Lysa et les elfes seraient opposés à la consommation de viande, mais il s’était avéré que les elfes de ce monde n’avaient aucun problème avec ça. Lorsque je visitais leur village, ils partageaient souvent avec moi leur viande préservée. Ils n’avaient pas le droit de chasser plus de viande qu’ils ne pouvaient en manger, mais cela faisait partie de leur croyance en la coexistence avec la nature.

Les elfes ne faisaient vraiment qu’un avec la nature d’une manière qui était complètement étrangère aux gens vivant dans d’autres sociétés. Je ne comprenais vraiment pas pourquoi une race pacifique et saine comme la leur était considérée comme une tribu sauvage. Ils se contentaient de vivre dans la forêt et ne souhaitaient rien de plus que cela.

« Ce genre de nourriture ne sort pas de l’ordinaire pour toi, n’est-ce pas, Roland ? », demandai-je en me tournant vers lui.

« Non, mais manger sur la plage, c’est nouveau pour moi. »

Roland était à l’origine un noble, il était donc habitué à la cuisine de luxe, mais même lui n’avait pas l’habitude de faire un barbecue sur la plage. J’étais un peu déconcertée.

« Maintenant, le problème se trouve dans cette mer même… », avais-je murmuré.

J’étais venue ici pour ne pas penser à la guerre, mais mes pensées avaient dérivé toutes seules.

« Combien de navires avons-nous ? »

« Nous avons un grand voilier, deux navires de taille moyenne et une dizaine de navires marchands qui ne sont pas adaptés à la haute mer », répondit Roland.

Beaucoup de nos navires utilisables avaient été endommagés ou coulés lorsque nous avions débarqué à Doris, ne nous laissant qu’une poignée de bateaux utilisables. Nous n’avions que trois navires capables de se déplacer librement dans l’océan, ce qui signifiait que la recherche des pirates dans ces vastes eaux était effectivement impossible.

« Les Essaims Travailleurs ne peuvent-ils pas construire un navire ? », demanda Lysa.

« Ils n’ont aucune connaissance en matière de construction navale, je ne pense donc pas qu’ils en seraient capables. »

Même les Essaims Travailleurs, aussi compétents qu’ils soient, ne pourraient pas nous sortir de là. J’avais passé un certain temps à me creuser la tête pour trouver une solution.

« Je crois que j’ai une idée », avais-je enfin dit.

Fondamentalement, il nous fallait juste conquérir le fief des pirates. J’avais réalisé que ce serait beaucoup plus simple que je ne l’avais pensé au départ.

« Très bien, mangeons. Une fois que nous aurons fini de nettoyer ici, nous nous mettrons au travail sur nos plans contre ces pirates. »

On ne pouvait pas rester les bras croisés et les laisser piller nos ressources tout le temps. J’avais besoin qu’ils se calment et se tiennent tranquilles… et peut-être que nous pourrions sécuriser davantage nos côtes dans le processus.

***

Chapitre 2 : Les dépouilles du raid

Partie 1

« L’Albatros rentre au port ! La dame pirate Isabelle est de retour ! »

Un navire de taille moyenne naviguait vers Atlantica, le refuge des pirates. C’était l’Albatros, le galion appartenant à Isabelle Ismaël, une pirate de l’Atlantide. Elle avait souvent utilisé son navire pour attaquer les navires du Royaume Papal et du Duché, les dépouillant de leurs richesses avant de ramener le butin à Atlantica.

Les vents portaient le navire à travers l’entrée cachée d’Atlantica. C’était une petite grotte cachée entre deux récifs — un passage que personne ne saurait trouver à moins d’être familier avec les cartes nautiques de la région.

Après avoir navigué dans la petite grotte, l’Albatros jeta l’ancre à côté d’un quai secret utilisé uniquement par les pirates. Un groupe d’entre eux s’était précipité pour accueillir le navire qui arrivait.

« Alors, comment ça se passe à Schtraut !? », demanda l’un d’entre eux.

« L’endroit grouille de monstres ! », répondit un membre de l’équipage de l’Albatros en criant.

« Très bien, bande de salauds, descendez la marchandise ! », s’exclama Isabelle.

« Aye aye, madame ! »

Son équipage commença à transporter les marchandises volées à Schtraut de la cale de l’Albatros jusqu’au quai.

Isabelle avait encore une vingtaine d’années, mais elle se vantait d’avoir autant de cicatrices que la plupart de ses camarades plus âgés. De nombreux pirates avaient des cache-œil et des membres artificiels, et Isabelle ne faisait pas exception : elle avait un cache-œil au-dessus de son œil gauche. Cette blessure était la preuve qu’elle avait vu plus de quelques batailles dans sa vie.

Enfant de deux pirates, Isabelle était devenue orpheline à l’âge de douze ans après que ses parents se soient disputé un butin. Sa carrière de pirate commença par le balayage des ponts, mais elle avait vite appris à aider à la navigation du navire et était devenue un membre officiel de l’équipage.

Depuis lors, elle avait souvent combattu les forces navales de Schtraut et de Frantz. Elle avait gravi les échelons jusqu’au poste de capitaine grâce à ses compétences et à son courage. Une fois qu’elle avait obtenu son propre navire, elle réunit un équipage de subordonnés fiables et commença à se mêler aux autres capitaines pirates d’Atlantica.

Les femmes pirates n’étaient pas monnaie courante à Atlantica, mais ses cheveux courts et cramoisis lui donnaient une impression masculine et fougueuse. Associée à la luxure sauvage et désinhibée que la plupart des pirates exprimaient ouvertement, cela faisait d’elle un digne compagnon pour tout pirate masculin.

Tous ceux qui la méprisaient en tant que femme avaient le droit de goutter à son coutelas. Sa liste de victimes ne se limitait pas aux officiers de marine étrangers, tous ses compagnons pirates étaient également susceptibles de mourir de sa main s’ils ne lui témoignaient pas le respect qui lui était dû.

C’était peut-être une femme, mais elle n’était en aucun cas une fleur fragile. Isabelle ressemblait davantage à un prédateur sauvage prêt à massacrer sa proie sans pitié.

« Oooh ! Vous avez obtenu ça après un seul raid ? » s’exclama un pirate, surpris par la quantité de butin.

Parmi le butin se trouvaient des chandeliers et des ustensiles en argent, plusieurs types de pièces de monnaie et un certain nombre de pierres précieuses assorties. Les pirates qui regardaient étaient très excités en voyant le butin être mis dans des coffres et emporté.

Normalement, il faudrait des mois de pillage pour rassembler un tel trésor. La piraterie n’était pas un travail facile, car il fallait attendre longtemps entre les embuscades. Les pirates n’attaquaient pas souvent les ports, car ils étaient protégés par des armées, ils devaient donc généralement cibler des navires de commerce naviguant en solitaire.

Apprendre où et quand de tels navires pouvaient apparaître était plus facile à dire qu’à faire. Parfois, les pirates devaient passer des mois en mer, à lutter contre la faim avec de la nourriture dure et pourrie. Il n’était pas facile d’échapper aux attaques navales et de poursuivre des navires pleins de trésors.

« On dirait que tu as fait sacré pillage, hein, Isabelle ? »

Un homme regarda le trésor avec des yeux lascifs : Blasco Bartoli, le bras droit et le second d’Achille Alessandri, ici à Atlantica. Entouré de ses laquais, Blasco s’approcha du butin d’Isabelle au moment où il était emporté. Leurs expressions étaient toutes voilées par la cupidité, alors qu’ils s’en approchaient comme des requins affamés.

« Mais, ah, nous allons réclamer cette moitié au nom d’Atlantica », déclara Blasco, incitant ses subordonnés à chasser l’équipage et à s’emparer des coffres.

« Hein !? Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? ! La taxe d’Atlantica est censée ne représenter qu’un dixième de ce que je trouve ! Quand avez-vous décidé de la réduire de moitié ? ! », cria Isabelle.

« Geronimo et Mauro t’ont accompagné », répondit-il en inspectant soigneusement le trésor.

« Le bateau de Geronimo a été attaqué par un serpent de mer, et maintenant il est au fond de la mer. Mauro s’en est sorti de justesse. Ne te sens-tu pas mal pour lui ? Ta brillante idée de raid a faillit tuer quelqu’un. »

« Je n’en ai rien à foutre de ça ! Je suis passé par le même genre de danger pour réussir ce raid, et tout le monde savait dans quoi il s’engageait ! »

« C’est la première et la dernière fois qu’il y a un raid ici, madame. Je suis votre supérieur, et si vous ignorez mes ordres, vous allez devoir vous battre. Votre taxe est la moitié de ce que vous avez cette fois. On doit payer pour l’enterrement de Geronimo et la réparation du bateau de Mauro. »

« Merde ! Tu te prends pour qui ? »

« Allez, madame, laissez tomber », dit un des hommes d’Isabelle avec des mots d’encouragement.

« Laissez-les prendre leur moitié. Je suis sûr que le reste de l’équipage est aussi en colère. Ce n’est pas comme si nous n’avions pas été blessés en essayant d’obtenir ce butin. »

« Nous n’avons pas le choix. Nous ne pouvons pas continuer à travailler comme des pirates s’ils nous chassent d’Atlantica. La marine de Frantz nous attrapera, et nous serons de la nourriture pour les poissons avant que nous le sachions. Il vaut mieux abandonner la moitié de notre butin à la place… Maudit soit ce salaud ! », ajouta un autre compagnon de bord.

« Écoute, on se met en danger pour ça. La marine de Schtraut est kaputt, et on peut prendre tout ce qu’on veut, mais ces putains d’insectes continuent de ramper hors des boiseries. Un coutelas ne fait rien contre ces choses. Il vous faut au moins une arbalète. », s’exclama Isabelle.

Isabelle et ses hommes avaient rencontré et combattu des Essaims Éventreurs qui gardaient les villes portuaires. Ses coéquipiers avaient essayé de repousser les attaques des Essaims Éventreurs avec leurs coutelas, mais les lames n’avaient pas pu les blesser. Les pirates n’avaient réussi à les vaincre qu’avec des arbalètes et un gros marteau qu’ils avaient utilisé pour pénétrer dans l’entrepôt voisin. Ils avaient déjà perdu quelques hommes dans l’escarmouche.

« Ça va être une grande course maintenant. Tous les pirates de cet endroit vont essayer de faire un raid dans les villes portuaires de Schtraut. Franchement, je pensais qu’on ferait une grande course si on y allait d’abord… Mais ensuite, ce salaud de Blasco est venu et nous foutu dans cette merde. J’espère que ces putains d’insectes mangeurs d’hommes le mettront en pièces. »

Maintenant que les pirates savaient que les villes portuaires de Schtraut étaient faciles à dépouiller, ils se précipiteraient probablement en masse pour avoir une part du gâteau. Cependant, le duché ne disposait pas de toutes ces ressources. Le pays était en ruine et son économie était au point mort, si bien que les pirates ne pouvaient pas continuer à le piller indéfiniment. Ce qui en faisait une course au pillage selon le principe du premier arrivé, premier servi.

Sachant que cela allait arriver, Isabelle s’était assurée d’être la première à débarquer afin de pouvoir faire un très gros pillage, mais ensuite Blasco lui avait pris la moitié du butin. Il était impossible de ne pas se mettre en colère. Elle était sortie et avait bravé une menace inconnue tandis que Blasco restait derrière, sain et sauf. Comment pouvait-il obtenir la moitié de ce qu’elle avait ? Une rage noire tourbillonnait dans son cœur tandis que les sous-fifres de Blasco emportaient le trésor.

« Hé, Isabelle. »

« Huh, c’est toi, Achille. Quoi, tu viens me piquer encore plus de butin sous mon nez ? »

« Non, j’ai juste pensé que tu pourrais être contrariée. J’ai prévenu Blasco que s’il essayait d’en prendre autant, tu pourrais sortir ton coutelas et lui trancher la tête. Mais il a quand même pris la moitié… Heh, qu’est-ce que je vais faire de lui ? »

« Ouais, c’est ça. Reprends-lui ce truc, mon vieux. Geronimo et Mauro ont peut-être eu des ennuis, mais on a aussi dû prendre des risques pour ça. »

« Non, ce n’est pas possible. Il a raison, nous devons payer pour les funérailles de Geronimo et le bateau de Mauro, et c’est toi qui en as profité, Isabelle. Les pirates de l’Atlantica ne font qu’un, nous survivons en nous aidant les uns les autres. Si ton navire faisait naufrage, nous paierions quand même pour le faire réparer. Laisse-le tranquille. Sur cette île, nous participons tous. », dit Achille en secouant la tête.

« Je ne peux pas dire que je vous ai déjà vu, toi ou Blasco, payer les funérailles de quelqu’un ou les réparations d’un bateau, mon vieux. Il n’y a que les petits gars qui paient pour ça, comme moi. Vous, les gros bonnets, vous êtes toujours trop occupés à vous asseoir et à récolter les bénéfices des autres. »

***

Partie 2

La colonie de pirates d’Atlantica était, en surface, une organisation coopérative, les membres s’aidaient les uns les autres à piller et à rassembler des ressources. Cependant, Achille et Blasco prenaient une partie des revenus de chacun sans partager les leurs. Ils payaient lorsqu’un pirate était blessé ou qu’un navire était endommagé, mais tout cela provenait des taxes que les pirates comme Isabelle devaient payer. En outre, l’argent que ces dirigeants fournissaient n’était généralement pas gratuit, mais prenait la forme d’un prêt avec intérêts.

Isabelle n’était certainement pas le seul pirate mécontent de cette situation. Les autres pirates avaient tous du ressentiment envers ce système oppressif. Alors que la quantité de butin augmentait, ils n’en voyaient pas beaucoup plus. Tout le monde, du capitaine le plus expérimenté au laveur de pont le plus bas, devenait progressivement plus amer à propos de cet état de fait.

« Je te dis de laisser tomber, alors fais ce que je te dis. Je suis le chef ici. », dit Achille avec fermeté.

« C’est vrai ? Très bien. Peu importe. »

Isabelle haussa les épaules.

« Bien, bien. Fais ce qu’on te dit, et tout ira bien. Travaille dur pour Atlantica, Isabelle. »

Avec un sourire en coin, Achille s’en alla.

« Salaud irritant… », cracha-t-elle.

« Tu as une seconde, Isabelle ? »

« Qu’est-ce que tu veux, Gilbert ? Tu veux prendre une partie de mon butin, aussi ? »

L’homme qui s’était approché d’elle était un autre pirate qui avait à peu près son âge.

Gilbert secoua la tête.

« J’ai entendu dire que tu étais allé à Schtraut. Comment c’était ? »

« Oh, oui. C’était un peu dangereux, mais il y a certainement un profit à faire. En supposant bien sûr que les responsables ne te le volent pas. »

« Dangereux, tu dis ? Quoi, il y avait des serpents de mer là-bas ? »

« Non, il y avait des monstres sur le rivage. Des araignées de mer. Je n’ai jamais rien vu de tel. Tu vois, je déteste les insectes. Ils me donnent la chair de poule. »

Isabelle et ses pirates ne savaient pas vraiment ce qu’était l’Essaim. Ils n’avaient aucune idée que ces créatures étaient celles qui avaient détruit Schtraut ou qu’elles étaient les ennemies du monde entier… ainsi que les propriétaires du butin qu’elle avait volé.

Bien qu’étant une vétérante chevronnée, Isabelle avait une grande faiblesse : elle avait toujours détesté les insectes. Quand elle était petite, elle ne pouvait même pas se résoudre à toucher un cafard de quai. Les garçons de son âge, comme Gilbert, l’avaient toujours taquinée pour cela.

« Bon… Cela mis à part, nous avons perdu beaucoup d’hommes à cause des serpents de mer ces derniers temps. Achille et Blasco essaient de trouver une solution. C’est peut-être juste leur saison de reproduction, mais ces serpents de mer agissent différemment de la normale. Je me demande quel est leur problème. »

« Hah, supposer que ces vautours peuvent résoudre nos problèmes est audacieux de ta part. La seule chose à laquelle ils pensent, c’est de prendre une part de nos bénéfices. »

Les serpents de mer étaient des monstres que beaucoup considéraient comme les souverains de la mer. Les serpents de mer adultes pouvaient atteindre 30 mètres de long, et ils pouvaient facilement couler des navires en les attaquant sous l’eau. Aucun navire n’était à l’abri, qu’il transporte des civils ou des pirates.

« Ne sois pas comme ça. Ils m’ont prêté de l’argent après que mon bateau ait pris un sale coup. Grâce à ça, je peux continuer à travailler. »

« Hmph. Ils nous prennent notre argent juste pour pouvoir nous le prêter et gagner plus d’intérêts. C’est juste une bande de serpents pourris. »

Isabelle était encore livide.

« Tout ce que je dis, c’est qu’ils pourraient t’envoyer t’occuper des serpents de mer, alors garde ça à l’esprit. Et si on en attrape un très gros, on aura un énorme festin. Mais, s’ils prennent le dessus sur nous, nous finirons probablement en dîner à la place. Il faut aimer être un pirate, tu sais ? Tu ne trouveras pas un travail plus dangereux, même si tu cherches bien. »

« Oui, merci. Je vais peut-être aller chercher d’autres trucs chez Schtraut avant qu’ils ne m’obligent à tuer les serpents de mer. J’espère juste que personne ne prendra une part de ça. »

Sur ce, Isabelle se sépara de Gilbert. Avec la colère qui l’obscurcissait, Isabelle oublia rapidement les paroles de Gilbert sur les serpents de mer.

☆☆☆**

« Les préparatifs sont terminés, Votre Majesté. »

« Merci, Roland. Je te laisse le commandement de la marine. »

J’avais rassemblé tous les navires en état de marche de l’Arachnée aux abords de Doris, l’ancienne capitale du duché. Les navires étaient exploités par des Essaims Éventreurs, et ils en étaient pleins à craquer. Il y avait un grand voilier qui pouvait affronter la haute mer à pleine vitesse et deux navires de taille moyenne pour l’accompagner.

« Très bien, nous devons donc déterminer quel endroit va être attaqué ensuite », avais-je dit, en déroulant une carte sur la table.

Il y avait cinq grandes villes portuaires à Schtraut. Un endroit avait déjà été attaqué, mais j’avais encore installé mes souricières le long des cinq. Il y avait aussi une chance que l’ennemi attaque un petit village de pêcheurs, mais je ne me souciais pas tellement de ceux-là, car ils n’abritaient pas mes ressources.

« Croyez-vous qu’ils vont se faire avoir ? », demanda Lysa avec anxiété.

« J’espère bien, puisque nous n’avons pas d’autre moyen », lui avais-je répondu en regardant la carte.

Tout ce que nous pouvions faire était de prier pour que cela fonctionne. On ne savait pas ni quand ni où les pirates ou la marine de Frantz pourraient attaquer. Notre stratégie consistait à concentrer les essaims sur les lignes de front, mais les côtes de Schtraut étaient trop vastes pour que nous puissions les stationner tous efficacement. Nous avions été bien conscients du fait, désormais évident, que l’humanité pouvait traverser des eaux profondes, et cela signifiait que nous devions également sécuriser notre frontière avec Nyrnal le long de la rivière Themel.

Nyrnal pourrait traverser la Themel pour nous attaquer, tandis que Frantz pourrait venir de la mer. Ce serait le pire des scénarios. Nous serions obligés de battre en retraite et d’établir un périmètre défensif autour de notre base dans la forêt elfique.

Pour l’instant, l’Empire de Nyrnal ne montrait aucun signe de vouloir nous attaquer, donc notre défense de Themel n’était pas notre priorité. Ayant choisi de se battre seul, Nyrnal était tout aussi digne que nous de l’agression de l’alliance. Je savais déjà que le penchant de l’Empire pour la domination créait des frictions entre lui et les pays environnants. Si l’armée alliée du Royaume Papal devait changer de cap et entamer une sorte de croisade, elle pourrait très bien choisir d’attaquer Nyrnal.

Je suppose qu’ils sont tout aussi détestés que nous. Ou peut-être est-ce le contraire ?, me suis-je dit.

Mais même si les chances étaient faibles, nous nous étions quand même préparés au pire.

« Nous ne pouvons pas nous replier si nous voulons remporter notre victoire. Nous devons garder notre territoire occupé fermement sous notre contrôle, nous devons protéger à la fois la terre et la mer. »

Perdre du territoire, c’est perdre des ressources. La force de l’Essaim résidait dans son nombre, et laisser ce nombre diminuer serait fatal. Si je voulais maintenir notre production d’Essaims, nous devrions continuer à nous développer. La retraite n’était pas une option.

« Si nous pouvions juste gérer les pirates… »

Une partie de mon opération reposait sur les mouvements des pirates. J’avais pensé que nous pourrions les utiliser pour empêcher l’armée de Frantz de se mobiliser, ce qui nous permettrait de nous concentrer sur nos efforts terrestres et nous donnerait la chance de nous développer.

En supposant que, bien sûr, tout se passe bien.

« Tout plan que vous proposez est voué à réussir, Votre Majesté. Nous gagnerons cette fois-ci, tout comme nous avons gagné toutes les autres batailles jusqu’à présent. Nous n’avons pas à nous inquiéter. »

« Je l’espère, Sérignan. Mais je suis d’un naturel inquiet et lâche. Penser à ce qui va se passer ensuite me rend anxieuse. »

Est-ce que l’essaim va grandir et s’étendre, pour finir par envelopper tout le continent ? Ou bien apprendraient-ils à vivre en paix avec les humains de cette terre et en viendraient-ils à cesser de s’étendre de leur propre gré ?

Pour l’instant, je ne saurais le dire. Même si j’étais le chef de l’Arachnée, je ne voyais pas comment je mettrais fin à la guerre.

« Votre Majesté, un navire suspect s’approche d’une de nos villes portuaires », dit Roland.

Cela me fit m’éloigner de mes pensées.

« Très bien. Commencez l’opération. »

Bien. Il est temps de se concentrer sur la bataille en cours. Si nous ne pouvons pas gagner cette bataille, la conquête du continent ne sera qu’un rêve. Gloire à l’Arachnée.

***

Partie 3

L’Albatros s’était rapproché d’une autre ville portuaire, dans l’intention d’en vider ses magasins.

« Allez ! Balayez ces insectes, et prenez tout le trésor ! »

Les pirates d’Isabelle débarquèrent du navire et ramèrent jusqu’au rivage sur de petites embarcations. Quatre Essaims Éventreurs apparurent, mais, étant en infériorité numérique, ils furent contraints de battre précipitamment en retraite. Les Essaims Travailleurs avaient déjà évacué.

La ville portuaire était complètement déserte et rien ne pouvait entraver la charge des pirates. Dans le passé, les soldats de Schtraut se seraient précipités pour les arrêter, mais le duché de Schtraut avait été détruit. Les seuls qui restaient dans cette ville étaient les monstres étranges et instables. Peut-être que les insectes avaient appris à craindre les gens puisqu’ils fuyaient maintenant les pirates.

« Hah ! Les insectes ont peur de nous ! »

« Fuyez et ne montrez plus jamais vos hideuses tronches ! »

Après s’être moqués des monstres en fuite, les pirates ouvrirent la porte d’un des entrepôts. Ils firent irruption à l’intérieur, en espérant le vider. Un homme arracha le couvercle de la caisse, regardant à l’intérieur pour voir son contenu…

« Hein !? »

Cela n’avait pris qu’un seul instant. Quelque chose sauta de l’intérieur de la caisse, plongea dans la bouche du malheureux pirate et s’accrocha à sa gorge.

« Hé, il s’est passé quelque chose ? », demanda un de ses camarades, en courant pour le regarder.

« Rien… ne s’est passé », répondit le pirate d’un ton maladroit et instable. D’un geste brusque, il referma le couvercle de la caisse.

« Très bien, alors reprenons tout ça. Je suis sûr qu’Isabelle va sauter de joie quand elle verra combien nous avons pris. J’espère juste que ces connards n’en reprendront pas la moitié cette fois-ci… »

« Oui. Tu as… raison. »

Le deuxième pirate regarda son ami avec suspicion quand il prit la caisse et la ramena à leur bateau. Le butin allait alors être transporté vers le bateau pirate, qui avait déjà fait des préparatifs pour le départ.

Tout comme l’Arachnée, les pirates accordaient de l’importance à la vitesse. Ils volaient toujours à leurs ennemis et battaient rapidement en retraite avant qu’une marine ne se présente pour les appréhender.

Le deuxième pirate chargea la caisse en bois sur le bateau et s’éloigna, laissant derrière lui l’entrepôt dépouillé.

Aucun des autres pirates n’avait remarqué qu’il y avait plus de 50 Essaims Éventreurs à l’affût dans cette ville. Que les Globe Oculaires étaient là, mais que, pour une raison quelconque, ils ne les attaquaient pas. Mais parmi ça, un homme suspect semblait regarder un peu trop souvent autour de lui.

Ils avaient été complètement et totalement pris au piège.

☆☆☆**

« Très bien, je connais leur position. Ils devraient être à peu près ici », avais-je dit en jetant un coup d’œil sur les cartes marines de Schtraut. En ce moment, je parlais avec Roland dans la propriété de feu le duc à Doris.

J’avais tracé la route du bateau pirate sur les documents. Les pirates se déplaçaient toujours pour s’échapper rapidement après un raid, mais grâce aux Essaims parasites, j’avais pu les suivre tout ce temps. J’avais caché les Essaims parasites dans des caisses dans les entrepôts, car je savais que les pirates les ouvriraient pour confirmer le butin de leurs raids. Maintenant que les Essaims parasites avaient infecté plusieurs pirates, ils nous mettaient constamment au courant de leur localisation par le biais de la conscience collective.

« Sommes-nous prêts à attaquer ? »

« Oui, Votre Majesté », dit Roland.

C’était le commandant de notre petite marine.

« Ils ont un navire, alors que nous en avons trois. Notre victoire est assurée. »

« Ne soyez pas trop hâtifs et ne coulez pas accidentellement le navire. Et ne tuez pas l’équipage non plus. Notre but ici n’est pas de les vaincre — nous devons trouver leur cachette et les inciter à négocier avec nous. », l’avais-je prévenu.

« Compris, Votre Majesté. »

Peu importe nos efforts, le plus que nous puissions accomplir est de couler un seul bateau pirate. Aussi optimiste que j’aie pu être, je doutais sérieusement que les pirates n’aient qu’un seul navire. De plus, la marine de Frantz était toujours une menace imminente.

« Je compte sur toi, Roland. »

Si Roland part tout de suite, il devrait pouvoir rattraper l’ennemi avant qu’ils ne dépassent complètement Doris. Notre plus gros navire était peut-être un peu trop lent pour y arriver, mais les navires de taille moyenne devraient faire l’affaire. Il pouvait encercler le bateau pirate avec ces deux-là dans une manœuvre de tenaille, puis l’éperonner avec notre plus grand.

Certes, je n’avais jamais été très doué pour le combat naval dans le jeu, car je n’avais que rarement à m’en occuper. Néanmoins, je crois que les choses se dérouleront comme prévu.

« Hmm… »

Pendant que je réfléchissais à l’opération, Sérignan ronchonnait en elle-même avec une expression amère sur le visage.

« Quoi de neuf, ma chère ? Pourquoi cette tête ? »

« Ce n’est rien, vraiment… Je ne pouvais pas m’empêcher de penser à mon inutilité dans cette bataille. Normalement, je chargerais le bateau pirate à côté de Roland et l’aiderais à soumettre l’ennemi. »

« Dans ce cas, veux-tu bien te dépêcher de le rejoindre sur le champ ? »

Quelle femme responsable ! Moi, par contre, je suis ravie d’avoir un peu moins de travail à faire.

« Puis-je ? »

« Fais-toi plaisir. Garde juste à l’esprit que je ne t’ai pas mise sur cette mission parce que tu ne sais pas nager. Penses-tu que tu pourras t’en sortir ? »

« Tout ira bien, Votre Majesté ! », gazouilla-t-elle, les yeux pétillants.

« Eh bien, d’accord. Je vais donner l’ordre à Roland, alors va le rejoindre. »

J’avais contacté Roland par la conscience collective. Heureusement, lui et sa flotte n’étaient pas encore partis. Je me sentais déjà confiante dans notre opération avec seulement Roland et les Essaims Éventreurs impliqués, mais avec Sérignan se joignant à la mêlée, notre victoire était gravée dans le marbre. Il n’y avait absolument aucune raison de s’inquiéter !

Cependant, j’espérais secrètement que Sérignan ne finirait pas par glisser du pont et qu’elle se noie.

☆☆☆**

« Sœur ! On a deux bateaux qui arrivent en force ! Deux… Non, trois ! », s’écria un membre de l’équipage de l’Albatros.

« Quoi ? Je croyais que la marine de Schtraut avait disparu ! »

Isabelle s’empressa d’arracher les jumelles des mains du guetteur.

En effet, deux voiliers de taille moyenne suivaient l’Albatros, suivis d’un troisième navire, plus grand. À bord de tous ces navires se trouvaient d’innombrables insectes géants.

« Eh bien, merde. Ces insectes peuvent réquisitionner les navires ? »

Isabelle avait pensé que les insectes étaient des monstres sans cervelle, elle n’avait jamais imaginé qu’ils pouvaient faire quelque chose d’aussi avancé que de manœuvrer un navire. Mais si ces créatures étaient responsables de la destruction du Duché, c’était sûrement à cause de leur nombre.

Malgré le fait que le duché de Schtraut était censé être déserté, ces trois navires poursuivaient l’albatros juste au large des côtes de Doris. L’un d’entre eux avançait même pour leur barrer la route.

« Ces navires sont-ils vraiment contrôlés par des insectes ? Comment ont-ils su que nous étions ici ? ! », cria l’un des pirates.

« Comme si je le savais. Mais je peux vous dire une chose. Si nous ne nous défendons pas, ils prendront le butin que nous avons volé, et nous serons tués, comme tout le monde à Schtraut. », dit Isabelle avec amertume.

C’était une situation critique. Si ces navires étaient vraiment dirigés par les monstres insectes, cela signifiait que cette marine arrivant ici n’était pas composée de soldats, mais des créatures qui avaient massacré les habitants de Schtraut.

Les pirates les avaient à peine repoussés lors de leurs rencontres dans les villes portuaires, et Isabelle ne savait pas comment les choses allaient se terminer s’ils devaient les combattre sur le pont. Les batailles navales dans ce monde étaient basées sur qui embarque sur quel navire. Les troupes quittaient leur propre navire pour prendre le contrôle d’un navire ennemi. Les canons n’avaient pas encore été inventés, l’abordage était donc la seule façon appropriée de combattre… et l’image de ces insectes qui abordaient son navire était cauchemardesque.

« Pour l’instant, concentrez-vous afin de les larguer. Si ça échoue, eh bien, préparez-vous à les combattre à bord. »

« Aye aye, madame ! »

L’Albatros étendit ses voiles et prit de la vitesse, essayant de mettre de la distance avec les navires derrière lui. Cependant, il semblerait que la direction du vent ne soit pas en faveur des pirates. Les navires de Schtraut se rapprochaient de plus en plus. Ce n’était qu’une question de temps avant que l’Albatros ne soit à la portée de l’ennemi.

Et bientôt, les navires du duché le rattraperaient.

« Ils vont nous enfoncer ! »

« Tout le monde sur le pont ! Préparez-vous à l’abordage de l’ennemi ! Assurez-vous d’avoir des arbalètes ! », cria Isabelle.

Les pirates saisirent leurs armes, certains prenant des coutelas et d’autres des marteaux et des arbalètes.

« Les voilà ! »

« Préparez-vous à l’abordage ! »

Alors que les navires ennemis naviguaient juste à côté d’eux, des Essaims Éventreurs sautèrent vers eux et atterrirent sur le pont de l’Albatros.

« Battez-vous ! Repoussez-les ! », ordonna Isabelle.

Répondant à l’appel de leur capitaine, les pirates s’étaient précipités pour engager les Essaims Éventreur. Les coutelas ne firent pas de dégâts, et l’ondulation constante du navire fit que beaucoup de leurs coups ratèrent la cible. Même ceux qui brandissaient des arbalètes n’avaient pas réussi à toucher leurs adversaires agiles et durent perdre du temps pour recharger.

« Whoa ! »

***

Partie 4

Alors que les pirates se redressaient et rechargeaient, les Essaims Éventreurs se précipitèrent. Plutôt que d’attaquer pour tuer, ils utilisèrent leurs dards paralysants pour attaquer. Ils ne balançaient leur faux que pour repousser les attaques, en prenant soin de ne pas porter de coups mortels. Les pirates piqués tombaient sur le pont, incapables de bouger. Les Essaims Éventreurs tirèrent alors des fils pour les attacher.

« Ne reculez pas ! Je ne sais pas pourquoi, mais ils y vont mollo avec nous ! Attaquez-les avec tout ce que vous avez ! »

« Oui, madame ! »

Les coutelas ne percèrent pas les essaims, mais cela occupait les créatures. Pendant ce temps, les pirates brandissant marteaux et arbalètes réussirent finalement à atteindre leurs cibles. Ils s’étaient regroupés en un seul endroit, criblant de carreaux tout essaim qui osait s’approcher d’eux.

Mais à ce moment précis…

« Haaaah ! »

Une femme et un homme élevèrent la voix dans un terrifiant cri de guerre.

« Encore des ennemis ? ! Aww, merde ! »

« Préparez-vous, pirates ! »

C’était Roland et Sérignan.

Ils coupèrent le groupe de pirates et brisèrent leur formation. Leurs attaques étaient précises, même sur un terrain aussi instable, et ils avaient pris soin de porter des coups non mortels en neutralisant progressivement l’équipage des pirates.

« Avancez, pirates ! Saluez tous la reine ! », s’exclama Sérignan en assommant un pirate.

« Saluez tous la reine ! » s’écria un essaim d’éventreurs tout en attachant un autre pirate.

« Bon sang ! » Isabelle jura sous son souffle.

Peu après, il ne restait plus que cinq pirates qui pouvaient encore se défendre. Les Essaims, par contre, étaient pour la plupart indemnes. C’était sans espoir, il n’y avait aucune chance que les pirates puissent gagner.

« Continuez, mes hommes ! Mettez-vous au travail ! On ne va pas laisser l’Albatros couler si facilement ! »

« Oui, madame ! »

Les pirates restants saisirent leurs marteaux, faisant face aux essaims d’éventreurs qui se rapprochaient d’eux.

« Avez-vous toujours l’intention de vous battre ? Nous essayons de ne pas verser de sang inutile », dit Sérignan, en s’avançant.

« Ne nous regardez pas de haut, monstres ! », cracha l’un des pirates en levant son marteau.

« Haaah ! »

Sérignan abaissa sa lame, frappant non pas le pirate, mais l’arme qu’il tenait. Son épée trancha le marteau comme si c’était du papier, le fendant en deux.

« Eeek ! »

Devenu impuissant, le pirate perdit l’équilibre et tomba sur le dos. Un Essaim Éventreur le piqua rapidement et l’emmêla dans un faisceau de fils.

« On ne peut pas les battre, sœurette ! Nous devons nous rendre ! », dit un membre de l’équipage.

« Est-ce que tu t’entends au moins ? ! Ce sont des monstres ! Ils ne vont pas nous laisser nous rendre ! », Isabelle lui fit un croche-pied.

« Nous sommes prêts à faire des prisonniers. Notre reine est généreuse et miséricordieuse. Sa volonté est que vous vous agenouilliez devant elle, et si vous le faites, elle pardonnera vos raids sur nos stocks. Venez, pirates. Mettez de côté vos armes et soumettez-vous. Toute résistance supplémentaire est futile. », dit Sérignan.

Sérignan brandit sa lame, et Roland fit de même.

Isabelle poussa un cri.

« Arrêtez de vous moquer de moi, bande d’insectes ! Croyez-vous que la grande pirate Isabelle s’agenouillerait devant quelqu’un d’autre ? ! Je vais vous montrer ! »

Isabelle brisa alors la formation et se précipita vers Sérignan pour tenter de l’abattre.

« Trop lent. »

Sérignan évita facilement l’attaque d’Isabelle et frappa le dos du pirate avec la poignée de son épée. Isabelle émit un grognement guttural et s’effondra sur le sol, où elle resta immobile. Les Essaims Éventreurs l’avaient rapidement ligotée avec leurs fils.

« Ils l’ont eue ! »

« Tout est fini maintenant… »

Les pirates restants étaient accablés de désespoir.

« Désarmez-vous et rendez-vous. Si vous le faites, nous ne prendrons pas vos vies. », dit Roland en pointant sa lame sur eux.

« Je… je me rends ! »

« Je me rends ! »

La vue de la défaite rapide de leur chef leur avait coupé le souffle. Les pirates s’empressèrent donc de se rendre. Ils avaient été rapidement ligotés eux aussi.

« Je crois que nous en avons fini ici. »

Sérignan regarda autour d’elle et hocha la tête avec satisfaction.

« En effet, Mlle Sérignan. Nous devrions informer Sa Majesté de notre victoire. »

Ils avaient réussi à prendre le contrôle du bateau pirate sans tuer un seul membre de l’équipage.

« Sa Majesté est déjà au courant de tout. L’Essaim est toujours connecté à travers la conscience collective. »

Au moment même où cet échange avait lieu, les Essaims Éventreurs changeaient la trajectoire des navires, les amenant à retourner vers Doris. Ayant appris à faire fonctionner les navires grâce à la conscience collective, leur maniement des embarcations était parfait, et les navires firent donc tranquillement leur retour.

Mais juste à ce moment-là…

« Quelque chose arrive », siffla Sérignan en tirant son épée.

« Oui, j’ai remarqué. »

Roland se préparait, sa lame était prête.

Soudain, l’eau de mer se mit à gonfler, et quelque chose se jeta sur un des navires de taille moyenne. C’était un monstre qui ressemblait à un serpent de mer colossal, de plus de 50 mètres de long. La bête enroula son corps autour du navire, le serrant si fort que la structure en bois gémit et commença à se briser sous la tension. Des Essaims Éventreurs furent projetés du pont, et ils tombèrent sans défense dans l’océan.

Une fois le navire coulé, le monstre replongea sous l’eau.

« Qu’est-ce que c’était ? » demanda Sérignan d’une voix tremblante.

« Un serpent de mer. C’est la première fois que j’en vois un aussi gros… », répondit Roland, des perles de sueur froide glissant sur ses joues.

« Je ne pense pas que nous pourrons résister si cette chose nous attaque. Que ferons-nous ? »

« Nous devons nous battre. C’est notre devoir. »

« Bonne réponse, Roland. D’ailleurs, je ne pense pas qu’elle pourra faire couler celui-ci. »

« Pourquoi ne pourrait-il pas ? »

« À cause de ça. »

Sérignan secoua son menton en direction de l’eau qui déferlait, là où le serpent de mer remontait à nouveau à la surface.

Mais cette fois, les Essaims Éventreurs s’accrochaient à son corps, le poignardant de leurs dards paralysants. Grâce à cela, ses mouvements devenaient de plus en plus lents.

« Il vient par ici ! »

« C’est ça ! »

Le serpent de mer empiéta sur l’Albatros, déterminé à le détruire. Roland et Sérignan se séparèrent et enfoncèrent leurs épées dans le corps de la bête. Tourmenté par leurs attaques, le serpent de mer hurla de douleur et se retira dans l’eau.

« Nous avons réussi », dit Roland.

« Oui, même si j’aurais voulu en finir », marmonnait Sérignan.

À leur insu, ce même serpent de mer allait devenir une nuisance majeure sur leur chemin.

☆☆☆**

« Alors, vous êtes des pirates, hein ? Je suis désolée que mes amis aient dû vous malmener comme ça, mais voyez ça comme une récompense pour les biens que vous m’avez volés. »

Je parlais au chef des pirates, Isabelle, qui me regardait avec une expression maussade. Elle était étroitement liée par les fils des Essaims Éventreurs, bouder était donc la seule forme de résistance qu’elle avait.

« Maintenant, il y a quelque chose que j’aimerais te demander. Où se trouve exactement votre cachette ? » lui avais-je demandé.

« Tch. Croyez-vous que je vous le dirais ? », cracha Isabelle.

« Eh bien, n’es-tu pas belliqueuse ? Je voudrais vraiment que l’on puisse s’entendre. »

J’avais haussé les épaules et j’avais fait signe à un des pirates.

« Salut, Barbe Noire. Comment te sens-tu ? »

« Je me sens… bien… Votre Majesté », répondit le pirate.

Il était infecté par un Essaim Parasite, mais Isabelle ne le savait évidemment pas. Les yeux écarquillés, elle se tourna vers l’homme qui aurait dû être son loyal subordonné.

« Qu’est-ce que vous avez fait à mon équipage ? ! »

« Oh, ne t’inquiète pas. Je lui ai juste fait avaler un insecte », lui avais-je dit en passant.

« Écoute, je vais maintenant lui faire cracher le morceau. »

J’avais ordonné à l’Essaim Parasite de partir. La couleur du visage d’Isabelle s’était progressivement dégradée alors qu’il sortait de sa bouche. C’était en fait assez drôle.

« Je peux utiliser ces Essaims Parasites pour transformer n’importe qui en ma propre petite marionnette. Vois-tu, je pourrais mettre un de ces trucs en toi et te faire tout cracher… Ou je pourrais te demander d’ordonner à un de tes équipiers de le faire. Me comprends-tu ? »

J’avais souri vicieusement.

« Merde ! Voyez-vous, c’est pour ça que je ne supporte pas les insectes ! », couina Isabelle, son regard fixé sur l’Essaim Parasite se tortillant dans ma main.

Elle s’en méfie, comme si elle craignait qu’il ne lui tombe dessus à tout moment. La gravité de sa réaction me donnait une envie chatouilleuse de continuer à jouer avec elle.

Oh, non. La volonté de l’Essaim prend de nouveau le dessus.

« Quoi qu’il en soit, crache le morceau. Tu peux le faire volontairement, ou je peux te faire parler avec mon petit ami ici présent. À toi de choisir. »

J’avais mis l’Essaim Parasite devant elle.

« Arrêtez ! Je vais parler ! Je vais parler, alors rangez ce truc ! »

Huh. Un pirate audacieux a peur des insectes ?

« Alors, dis-moi. J’ai la carte marine juste ici, où se trouve donc la cachette ? » demandai-je, en défaisant les fils autour de ses mains.

« Là. C’est ça, juste là. Ça s’appelle Atlantica. », répondit-elle, en pointant du doigt.

Hmm. Cette île n’est pas sur les cartes, mais elle est au large des côtes du Royaume Papal. C’est très pratique…

« Très bien, une dernière question, alors. Vas-tu rejoindre l’Arachnée ? »

« Hein ? Vous voulez faire équipe avec nous ? »

Isabelle me regardait avec incrédulité.

« Oui. Je ne suis vraiment pas d’humeur à plaisanter sur quelque chose comme ça. J’ai besoin de forces navales, et malheureusement, ma propre marine est assez faible. Nous pouvons à peine vous tenir à distance, vous les pirates, alors qu’allons-nous faire quand nous entrerons en guerre avec Frantz ? C’est un problème que je dois résoudre. »

Je savais que les mensonges et la persuasion détournée ne fonctionneraient pas sur cette rousse sauvage. Je pourrais l’effrayer un peu avec l’Essaim Parasite, mais cela ne m’achèterait pas son honnête coopération. Pour gagner cela, je devais simplement être franche avec elle.

De plus, je venais à peine de la rencontrer. Je ne pouvais pas me résoudre à la haïr. Ses hommes avaient peut-être tué certains de mes adorables Essaims, mais je croyais que cette personne avait assez de valeur pour justifier que je répare notre relation. Mais il y avait quand même une chance que je fasse une erreur.

« Si je fais équipe avec vous, je n’aurai plus à m’inquiéter d’aucun raid et j’aurai la force navale dont j’ai besoin. Naturellement, je ne suis pas la seule à tirer profit de cet arrangement. Vous aurez une part de tout ce que je pillerai à partir de maintenant. »

« Hmm… Alors, vous voulez nous engager, hein ? Et vous savez quoi, ce n’est franchement pas un mauvais accord. Mais désolée, madame, je ne peux pas prendre cette décision pour les autres. Atlantica est une colonie de pirates, mais je ne suis pas un de ses chefs. Et qui sont donc ces chefs ? Ce sont tous des petits salauds lâches et sournois. Il n’y a aucun moyen qu’ils choisissent de se joindre à vous. »

« C’est une honte. Dis-moi, si on s’occupait de ces chefs, ton équipe coopérerait avec moi, non ? »

Il s’avérait que même la société pirate avait une hiérarchie. Cela signifiait qu’il n’y avait qu’une seule solution.

« Eh bien, je suppose que oui. Attendez, vous ne voulez pas dire que… ? »

Isabelle avait vite compris.

« Supposons — hypothétiquement, bien sûr — que je tue les chefs d’Atlantica et que je m’assure que tu prends leur place… »

On pourrait démolir l’ancien système d’Atlantica.

« Pas mal… J’aime ça. »

Les lèvres d’Isabelle se mirent à faire un sourire sordide.

« De toute façon, j’en ai plus que marre de ces deux-là. Même si vous n’étiez pas venu, cela aurait été sûrement le bon moment pour monter un coup d’État. Et hé, vous avoir de notre côté sera utile, vu que vous avez renversé Maluk et Schtraut. »

L’espièglerie de son sourire m’avait semblé étrangement juvénile. J’avais pensé qu’elle était beaucoup plus âgée que moi, mais peut-être que l’écart d’âge réel entre nous n’était pas si grand.

« Très bien, c’est décidé. Voici mon plan : vous ramenez nos navires avec vous, en disant que vous les avez capturés lors de votre raid. Ils seront pleins d’Essaims, que nous utiliserons pour lancer une attaque-surprise. Ne vous inquiétez pas, je vous promets que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour éviter de blesser les pirates. En attendant, vous travaillez à rassembler les gens pour votre coup d’État. », avais-je dit en souriant.

« Oui, d’accord. Ça ne devrait pas être un problème. Je ne suis pas la seule à avoir un problème avec ces gars. Je suis sûre que je trouverai plein de gens qui voudront les supprimer. »

« Y a-t-il quelque chose qui pourrait se mettre en travers de notre chemin ? »

« Huh. Rien ne me vient à l’esprit. Avec vous à nos côtés, on devrait pouvoir couper la tête du serpent. Après tout, la meilleure façon de résoudre vos problèmes est de vous battre avec tout ce que vous avez. C’est comme ça que fonctionnent les pirates. »

Ouah. Dois-je vraiment compter sur cette femme ?

« Travaillons donc ensemble. Je vais détacher vos amis, mais ne faites rien de précipité, d’accord ? Je fais ça seulement parce que je vous fais confiance. »

« Ça va dans les deux sens. On comptera aussi sur vous, alors ne nous poignarde pas dans le dos. »

Mon alliance avec les pirates commençait à ressembler à une réalité. J’avais aussi décidé de me joindre à la prochaine opération. Je n’avais pas le pied marin, c’est sûr, mais je ne pouvais pas me plaindre.

***

Chapitre 3 : Rébellion à Atlantica

Partie 1

« L’Albatros est de retour ! On dirait qu’Isabelle a ramené des navires supplémentaires avec le butin », s’écria un pirate qui faisait le guet dans une des tours de guet d’Atlantica.

Le navire d’Isabelle était suivi par le navire marchand de taille moyenne, où Sérignan et moi nous cachions, ainsi que par le plus grand navire, qui était rempli d’Essaims Éventreurs. Il était assez semblable au Cheval de Troie. Pour l’instant, le plan se déroulait sans problème et Isabelle ne donnait aucune indication qu’elle cherchait à nous trahir.

J’avais demandé aux Essaims Éventreurs de surveiller attentivement la situation. Heureusement, contrairement à une armée humaine, aucun membre de l’Arachnée ne défierait les ordres et n’agirait de manière incontrôlée.

L’Albatros s’était habilement dirigé entre les rochers, nous menant droit dans la cachette du pirate. Non seulement l’Atlantide était absente de toutes les cartes marines, mais le récif servait aussi à garder les pirates cachés.

J’imaginais que cette grotte était naturelle et qu’elle avait été agrandie par la suite par la main de l’homme. Elle avait une ouverture dans le plafond qui permettait à la lumière du soleil et à l’air frais de circuler à l’intérieur, et elle était structurée de manière à ne pas être inondée même à marée haute.

C’était comme une base de pirates tout droit sortie d’un conte de fées. Le simple fait d’être là remplissait mon cœur d’excitation et d’esprit d’aventure. J’avais dû retenir une envie d’aller

« Arrr ! »

Les pirates d’Atlantica s’étaient précipités sur le quai, en criant d’excitation.

« Isabelle est là ! »

« Quels sortent de trésors as-tu ramené aujourd’hui !? »

« Oh, le butin qu’on a trouvé cette fois est si bon que tu n’y croiras pas », répondit en souriant un des pirates de l’Albatros.

« Eh bien, notre butin cette fois-ci est sur ces autres navires », dit Isabelle en faisant un geste derrière elle.

« Regardez-les bien. Des jolies belles filles, n’est-ce pas ? Elles devraient aussi se vendre pour une jolie somme. Si l’un d’entre vous les veut, je peux vous les vendre à prix réduit. On pourra commencer à négocier une fois qu’on aura déchargé. »

« Avec des navires aussi gros, on peut faire des raids tant qu’on veut ! »

Les pirates regardaient les navires avec avidité.

« Ouais, ouais. Combien allez-vous me prendre cette fois-ci ? »

« Quarante pour cent. Désolé, ce sont les ordres de Blasco. Les dirigeants disent que c’est la taxe maintenant. Donnez-la-moi, Isabelle. »

« Très bien, très bien, prenez vos quarante pour cent. J’en ai tellement cette fois, je m’en fiche. »

L’impôt d’Atlantica était à l’origine un dixième de ses gains, mais il avait progressivement augmenté depuis. C’était probablement la raison pour laquelle les pirates étaient si mécontents. Je pouvais comprendre qu’ils soient mécontents. Quelqu’un d’autre continuait à prendre une grande partie de leurs revenus. Leurs supérieurs se réfugiaient dans la base d’Atlantica tandis que les pirates bravaient le danger pour rapporter des trésors, pour se voir ensuite retirer une partie de leurs gains.

En apparence, les supérieurs ne se contentaient pas d’empocher les impôts, mais les utilisaient plutôt pour couvrir les dépenses et faire fonctionner Atlantica. Mais, d’après ce qu’Isabelle m’avait dit, ces dirigeants étaient corrompus et utilisaient l’argent pour leur profit personnel.

« Nous allons donc prendre cette part. »

Les pirates souriaient en grimpant sur l’échelle du quai pour jeter un coup d’œil au trésor, ignorant tout simplement quelle sorte de « trésor » les attendait.

« Hein ? Quoi !? Est-ce que vous avez volé une sorte de bétail ? » demanda un des pirates quand il vit quelque chose se tordre dans la cale du bateau.

Une fraction de seconde plus tard, l’homme tomba à terre. Il s’écrasa et se tordit sur le sol, en écumant à la bouche.

« Mais qu’est-ce que… !? Qu’est-ce qui vous est arrivé ? ! », demanda un de ses camarades, visiblement choqué.

« Regardez ça ! » cria un autre tout en pointant du doigt.

Les pirates avaient enfin repéré les Essaims Éventreurs. Ils avaient rampé hors de la cale dans laquelle nous nous cachions, leurs pieds s’écrasant contre le pont, et s’étaient précipités sur les pirates.

« Eeek ! Monstres, monstres ! »

« Oh, mon Dieu ! Dieu de la Lumière, Dieu de la Mer, Dieu des Navires, Dieu de… Pirates, je ne sais pas ! Que quelqu’un me sauve ! »

La seule vue des Essaims Éventreurs suffisait à démoraliser les pirates. Seuls quelques braves avaient osé affronter les créatures après les avoir vues de près.

Ils sont cependant si mignons…

« Le bateau grouille de monstres ! »

« C’est une malédiction ! Le trésor est maudit ! »

Les pirates sur le quai n’avaient pas d’armes sous la main et ne pouvaient que rester là, figés de terreur. C’était en fait un soulagement, car je voulais éviter toute effusion de sang si possible.

« Écoutez-moi bien, vous tous ! Les chefs sont corrompus ! Atlantica était un endroit où les pirates s’entraidaient, mais plus maintenant ! Ces salauds nous ont tous sous la main, et depuis, ils ne font que taxer et exploiter ! », cria Isabelle depuis l’Albatros.

Bien qu’ils se méfiaient encore des Essaims Éventreurs, les pirates s’étaient progressivement tournés vers Isabelle.

« J’en ai assez de cette Atlantica ! C’est pourquoi je vais faire tomber ceux qui ont fait ça et ramener notre île à sa gloire d’antan ! Atlantica sera de nouveau un lieu où les pirates se rassembleront et s’entraideront ! Où les impôts sont minimes, où les conseillers changent sans cesse ! »

« Ça ressemble plus à Atlantica ! »

« Bravo, bravo ! »

Des acclamations éclatèrent dans la foule.

Ils en ont vraiment marre de tout ça. Isabelle avait raison, ils détestent le fait que les dirigeants d’Atlantica prennent une énorme part de leurs revenus. Je serais probablement aussi assez énervée si mon employeur commençait à prélever la moitié de mon salaire sous forme d’impôt arbitraire.

« Quiconque est prêt à détruire ces connards devrait se joindre à ces insectes ! Si vous ne voulez pas vous battre pour le bien, eh bien, vous allez plutôt devenir un repas savoureux pour les insectes ! Allez, faites vos choix, les gars ! »

Avec les monstrueux Essaims Éventreurs sous les yeux, les pirates hésitèrent. Ils auraient pu détester la façon dont ils avaient été traités par les chefs de la colonie, mais ils hésitèrent à se rebeller contre eux.

Accepter la proposition d’Isabelle ne serait-il pas simplement vu comme une invitation à la vengeance ? À supposer qu’ils commencèrent une révolution, y avait-il une chance qu’ils puissent gagner ? Ce genre de doutes freina les pirates.

« Vous voyez ces choses ? ! Ce sont eux qui ont détruit le royaume de Maluk et le duché de Schtraut ! Aucun pirate ne peut les battre ! Croyez-moi, on a essayé… et ils nous ont botté le cul ! »

« Pourquoi les avez-vous amenés ici ? ! Les insectes vont s’emparer d’Atlantica ! », s’écria un pirate sur le quai.

Sa question était justifiée, c’était exactement pourquoi il était temps pour moi de faire une apparition.

« Vous pouvez être rassuré, messieurs. Je suis la reine de l’Arachnée, celle qui mène ces monstrueux insectes. Aucun mal ne vous sera fait, tant que vous resterez tranquille. Je vous promets ici et maintenant que je n’ai aucun désir de conquérir Atlantica. », lui dis-je en me dirigeant vers le pont.

« Reine de l’Arachnée… ? »

Les pirates m’avaient regardée avec suspicion.

Mais leurs doutes n’avaient duré qu’un instant. Les Essaims Éventreurs environnants baissèrent la tête et levèrent leurs faux, me reconnaissant par leur geste de fidélité. Sérignan sortit également de derrière moi et s’agenouilla respectueusement. En voyant ce spectacle grandiose, les expressions des pirates s’étaient transformées en un choc total.

Il semblerait qu’ils aient réalisé que je suis vraiment le chef de l’essaim.

« Ces choses-là l’écoutent vraiment ? »

« C’est juste de la folie… »

« J’ai une proposition à vous faire. Je souhaite que nous devenions des alliés. Nous vous soutiendrons financièrement. Maintenant que nous avons conquis le royaume de Maluk et le duché de Schtraut, nous avons des richesses nombreuses et inimaginables, que je suis tout à fait disposée à partager avec vous. En échange, nous voulons acheter votre coopération et votre force. », avais-je poursuivi, un faux sourire en coin.

« Alliés… ? »

« Nous vous offrirons notre soutien, et en échange, vous attaquerez le Royaume Papal de Frantz. C’est la motivation derrière cette alliance. »

Je voulais envoyer ces pirates sur le Royaume Papal. Ils n’avaient pas forcément besoin d’entrer en guerre avec la marine de Frantz, il suffisait qu’ils attaquent sans relâche les rouages commerciaux du Royaume et qu’ils provoquent la marine pour qu’elle contre-attaque.

Cela nous permettrait d’éviter le pire scénario, dans lequel la marine de Frantz attaquerait le vaste littoral de Schtraut. Mon plan consistait essentiellement à utiliser les pirates d’Atlantica à la place d’une marine et à leur demander d’éloigner l’ennemi de nos côtes. Si nous échouions, nous serions confrontés à la possibilité très réelle que Frantz puisse effectuer un débarquement sur nos côtes.

« Qu’est-ce que vous en pensez ? Acceptez-vous ? »

« Allez-y, décidez, imbéciles. Vous voulez continuer à travailler sous les ordres de ces deux bâtards cupides ? Ou vous préférez vous associer à la plus grande force du continent, reprendre ce qui est à nous, et vous enrichir ? », insista Isabelle.

« Au diable les chefs ! Je fais partie de cette alliance. Je veux voir leurs têtes rouler ! »

« Ouais ! J’en ai assez qu’ils nous traitent comme des esclaves ! »

Tous les pirates présents étaient prêts pour la révolution.

« Oui, bon choix, les gars ! Amenez tous les capitaines ici, et donnons-leur aussi le choix ! La richesse ou l’esclavage ! », dit Isabelle en souriant.

Sur l’ordre d’Isabelle, des pirates et des Essaims Éventreurs se dispersèrent, cherchant à convoquer les autres capitaines pirates sur le quai. La plupart des pirates avaient l’air confus au moment où ils s’approchèrent des navires. Ils ne comprenaient pas ce qui se passait, et ils avaient clairement peur des Essaims Éventreurs.

« Que se passe-t-il, Isabelle ? Qu’est-ce que ces monstres font ici ? », s’écria l’un des capitaines.

« Ce sont mes alliés. Et selon la façon dont tout se passe, ils pourraient aussi devenir vos alliés. », s’exclama Isabelle.

« Je suis la reine de l’Arachnée. Je commande ces monstres, et je veux former une alliance avec vous. », avais-je dit aux capitaines.

« Vous voyez, je vais coopérer avec Sa Majesté ici présente pour purger les chefs et toute la corruption qui les accompagne. »

Jusqu’à présent, tout le monde agissait de façon très rationnelle.

« Vous allez tuer les commandants ? », demanda un autre capitaine, les yeux écarquillés.

« Oui. J’ai vu des punaises de lit moins gênantes qu’Achille et Blasco. Ils se détendent ici, tranquillement, et ils ont eu le culot de demander une taxe de quarante pour cent. Et vu la façon dont ça se passe, je les vois bien les augmenter jusqu’à 50 ou 60 %. »

« Vous voulez garder vos profits pour vous, non ? Isabelle essaie de faire en sorte que ça arrive, et nous sommes prêts à l’aider. Les monstres ici sont tous prêts à l’aider de toutes les manières possibles. », avais-je ajouté.

Évidemment, je n’avais aucun moyen de savoir si Isabelle allait vraiment réaliser l’utopie qu’ils désiraient. Mais, au moins, j’avais besoin des pirates pour maintenir la marine de Frantz occupée pendant quelques années jusqu’à la fin de la guerre. Quant à ce qui arrivera après…

Voyons comment les choses se passent. Et ce qui devra arriver arrivera.

« Je te rejoins. »

« Vraiment, Gilbert ? Brave homme », dit Isabelle avec joie.

« Pareil pour moi. »

« Avons-nous vraiment le choix ? Si on dit non, ces insectes vont nous manger. »

Les capitaines s’étaient mis d’accord les uns après les autres.

« Très bien. J’en suis », cria le dernier capitaine, en tapant du poing sur un bureau voisin.

« Tout le monde est d’accord, hein ? Heh ! Envoyons ces pigeons au casier de Davy Jones. » (NdT : Le casier de Davy Jones est une formule utilisée pour signifier le fond de la mer, là où reposent les marins perdus.)

Le sourire d’Isabelle était délicieusement désagréable.

***

Partie 2

« Trouvez Blasco et Achille, ainsi que tous les serpents qui travaillent pour eux ! Une fois que vous les aurez flairés, nous nous occuperons d’eux ! »

« Où se cachent-ils d’habitude ? », avais-je demandé.

« Dans la pièce la plus haute surplombant la zone, mais aucun d’entre eux est là. J’ai envoyé vos monstres les chercher, ils sont à leur recherche en ce moment. », répondit amèrement Isabelle.

« Hmm. Les Essaims Éventreurs ont un sens de l’odorat très développé, ils devraient donc être capables de traquer vos chefs. »

« Ouais ? Et bien, c’est bien. Ils pourraient avoir un port caché que nous ne connaissons pas. On doit les trouver et s’assurer qu’ils n’iront nulle part. »

Heureusement, les Essaims étaient au même niveau que les chiens de chasse en ce qui concernait les traces. Cela mis à part, j’étais toujours déconcertée par le fait que tous les pirates avaient pris le parti de la révolution. Tout le monde, des plus petits membres d’équipage aux capitaines chevronnés, s’était joint à nous, même si la présence des essaims Éventreurs les y avait incités.

Peut-être l’idée que la fortune et le statut des dirigeants seraient répartis entre tous était-elle trop lucrative pour être laissée de côté… Ou peut-être que la corruption des dirigeants avait simplement aggravé la situation des pirates jusqu’à un point de rupture.

J’avais pris une note mentale pour éviter de monopoliser tous les trucs amusants afin que l’Essaim ne finisse pas par se retourner contre moi. Après tout, seul mon petit groupe avait pu profiter d’un plongeon dans l’océan et d’un barbecue. Les autres Essaims méritaient aussi un peu de temps libre.

« Vous n’avez pas à vous inquiéter, Votre Majesté. L’essaim est tout en un et un en tous. Votre joie nous donne à tous de la joie. L’Arachnée ne se disputera pas la richesse comme les humains en ce lieu. », m’assura Sérignan.

« Tu as raison, Sérignan. Nous sommes un vrai collectif. Ma joie est la joie de tous, et le chagrin de tous est mon chagrin. », dis-je en faisant un signe de tête.

L’Arachnée était essentiellement un esprit d’Essaim, et la conscience collective nous reliait tous. Il n’y avait pas de disparité de richesse, et toutes les émotions — le bonheur, le chagrin, la colère ou le plaisir — étaient partagées par tous. Cela signifiait qu’il n’y avait pas de place pour les différences, sans parler de discrimination. Bien au contraire, en fait. Tout Essaim individuel se sacrifierait volontiers pour le bien du groupe.

Notre unité était à toute épreuve, et cette harmonie faisait de l’Arachnée une sorte de société idéale. Si j’envoyais tous les pirates ici dans un four de conversion, ils n’auraient plus jamais à se chamailler.

« Votre Majesté, nous avons découvert l’un des chefs. Nous allons y mener les pirates », rapporta l’un des Essaim Éventreurs.

« Bon travail. Capturez-le. »

Un de moins.

« Lâchez-moi ! Lâchez-moi ! Vous savez à qui vous avez affaire ici ? ! Je suis le putain de chef d’Atlantica ! »

Bientôt, mes Essaims Éventreurs traînèrent un gros homme portant un cache-œil.

« Eh bien, eh bien, si ce n’est pas Achille. Quoi, Blasco n’est pas fourré dans ton cul comme d’habitude ? » demanda Isabelle en le narguant.

« Isabelle ! Est-ce toi qui es derrière tout ça !? », cria Achille.

« C’est moi qui pose les questions ici. Tu sais que ton autorité ne vaut plus rien, hein ? On t’a fait descendre de tes grands chevaux pour te faire tomber dans la boue. Maintenant, sois un bon garçon et réponds à ma question : où est Blasco ? »

« Merde ! Je ne sais pas ! », dit Achille, en se débattant pour se débarrasser de ses ravisseurs.

« Je me suis caché dès que j’ai entendu parler de la rébellion ! Comment saurais-je où cette merde s’est enfuie !? »

« Oh, tu ne le sais donc pas. Eh bien, nous le trouverons nous-mêmes. C’est vraiment dommage. Dire que je pensais t’épargner si tu nous aidais. »

Isabelle haussa les épaules.

« A-Attends, Isabelle ! On peut s’arranger ! Si tu nous laisses partir, tu peux avoir tout le butin qu’on a empilé dans le coffre ! Ça sonne bien, non ? N’est-ce pas ? »

Le ton d’Achille avait changé.

« C’est sûr… Eh bien, j’aurais accepté avant que tu te décides de prendre la moitié de mon butin. Il est bien trop tard pour ça maintenant. Reste tranquille et accepte ton destin comme un homme. »

« Soyez tous damnés ! Avez-vous oublié qui vous a fait passer de bons à rien en pirates qui valent une sacrée valeur ? ! C’était nous ! Moi, Blasco, et le reste de la bande ! On vous a donné des bateaux ! Nous vous avons laissé utiliser Atlantica comme cachette ! C’est grâce à nous que vous pourriez même… »

J’avais silencieusement ordonné à un des Essaims Éventreurs de le piquer.

« Arrête de crier, vieux schnock. N’as-tu pas une once de dignité ? »

Isabelle lança un regard exaspéré et dégoûté sur Achille, alors que l’Éventreur l’attachait.

Au moment où nous l’avions aligné avec certains de ses sous-fifres, un des pirates de l’Albatros s’était précipité pour livrer une nouvelle alarmante.

« Sœur ! C’est mauvais ! »

« Qu’est-ce qui ne va pas ? »

« La chambre forte est vide ! Le trésor a disparu ! »

« Quoi !? »

L’expression d’Isabelle s’assombrit.

Le trésor des chefs — qui avait joué un rôle important dans l’unité des pirates — avait disparu.

« Blasco, ce salaud de rat ! Il a dû voler le trésor ! », cria Isabelle.

Je m’étais alors levée.

« Calme-toi, Isabelle ! Crois-moi, il ne va pas s’en tirer comme ça. Mes essaims ont déjà détecté quelqu’un qui correspond à sa description, essayant de s’échapper d’Atlantica avec une tonne de caisses en bois. Achille ici présent essayait juste de vous piéger. »

« Merci, je vous en dois une. Atlantica a besoin de ce truc ! On ne peut pas laisser Blasco l’avoir ! »

« Allons-y ! Il est par là ! »

J’avais sauté sur le dos d’un Essaim Éventreurs et j’avais fait signe à Isabelle et à son entourage de me suivre.

Nous nous étions précipités dans les tunnels qui traversaient l’Atlantica. Voyager avec des pirates à travers cette forteresse naturelle me fit frissonner d’excitation.

« Il devrait être par ici… Là, n’est-ce pas lui ? »

Après avoir traversé un étroit tunnel difficile à trouver, nous étions sortis dans une grotte ouverte de l’autre côté. Devant nous se trouvaient un petit quai et un galion de taille moyenne qui y était amarré. C’était un quai séparé, caché, que les autres pirates n’avaient jamais connu. Et là, au bout, se trouvait l’homme que nous cherchions.

Bingo.

« Blasco ! »

Isabelle sortit son coutelas et lui fonça dessus.

Oh, tu as un sacré tempérament, ma chère…

Je devais m’assurer qu’elle ne se fasse pas tuer.

« Sérignan, aide-la, s’il te plaît. »

« Selon vos désirs. »

Sérignan était partie à la poursuite du pirate.

« Espèce de salaud ! Comment oses-tu essayer de t’enfuir avec le trésor d’Atlantica ? ! Tu as fait beaucoup de conneries jusqu’à présent, mais là, c’est vraiment la cerise sur le gâteau ! Espèce de serpent menteur ! » rugit Isabelle tout en agitant son coutelas devant Blasco.

« Et c’est toi qui oses dire ça, sale traîtresse ! Je n’ai fait ça que parce que tu as déclenché une putain de rébellion et laissé ces monstres entrer dans Atlantica ! » cria-t-il à Isabelle, en pointant son propre sabre dans sa direction.

Les sous-fifres de Blasco, qui avaient chargé la cargaison sur son navire, avaient déposé les caisses et avaient aussi sorti leurs armes. Franchement, je n’étais pas du tout inquiète.

« Vous devrez vous battre avec moi. »

En un instant, Sérignan s’était avancé et avait abattu un des hommes de Blasco.

Un autre pirate frappa Sérignan avec son coutelas, mais elle écarta rapidement sa lame et lui enfonça la pointe de son épée dans la gorge. Lorsqu’un troisième pirate lui chargea dessus, elle fit courir son épée parallèlement à son sabre et enfonça la lame dans son cœur.

La forme de combat de Sérignan était étonnante. Elle était fluide, sans erreur, et ne trahissait aucun signe d’hésitation. Elle repoussait ses adversaires avec précision et minutie. Elle reflétait l’expérience qu’elle avait acquise lors de nos combats à Maluk et Schtraut. Après tout, c’était une unité de héros capable de progresser constamment.

« Incroyable… »

« Cette dame est puissante et féroce… »

Isabelle et Blasco avaient été momentanément distraits par Sérignan, alors qu’ils étaient pratiquement engagés dans leur propre combat.

« N’allais-tu pas l’achever, Isabelle ? », avais-je demandé.

Ma question les ramena à la raison.

« Bien sûr ! Prépare-toi, espèce d’escroc ! »

« C’est toi qui vas périr ici, Isabelle ! »

Les deux croisèrent les lames. Isabelle avait clairement le dessus, probablement parce que sa jeunesse lui donnait beaucoup plus d’endurance. Elle repoussa Blasco avec une facilité ridicule et le fit bientôt s’appuyer contre un mur.

« Bon sang ! Aidez-moi, bande d’idiots ! », cria Blasco.

« Je ne sais pas à qui vous parlez. Vous êtes le seul qui reste. », dit froidement Sérignan.

Elle avait éliminé tous les hommes de Blasco comme si c’était un jeu d’enfant. Ayant connu leur fin sur la pointe de l’épée sacrée corrompue de Sérignan, les pirates gisaient dans des mares de leur propre sang.

« Déchets inutiles… J’ai dépensé une petite fortune pour vous ! »

Blasco hurla alors qu’il réussissait à peine à bloquer un coup de sabre d’Isabelle.

Lors du coup suivant, la lame d’Isabelle s’était enfoncée dans le bras de Blasco, sa propre arme tomba de sa main et s’écrasa sur le sol.

« Tu ne peux pas aller plus loin, Blasco », dit Isabelle en pressant la pointe de son coutelas contre sa pomme d’Adam.

« Grr ! Très bien, tue-moi si tu veux ! Tu peux parier ton joli cul que je te maudirai d’outre-tombe ! »

« Ooh, ça a l’air effrayant. Je suppose donc que je ne peux pas te tuer. Je vais juste demander à quelqu’un d’autre de m’en faire l’honneur. »

Isabelle hocha la tête dans ma direction.

Argh, à quoi pense-t-elle ?

J’avais grommelé intérieurement au moment où j’avais ordonné à un de mes Essaims Éventreurs d’assommer et d’attacher Blasco.

« Très bien. Maintenant, faisons leurs goûters à la même humiliation que nous avons dû subir », dit Isabelle.

Un sourire malicieux arriva sur ses lèvres.

***

Chapitre 4 : La Baie Sanglante

Dans un coin d’Atlantica, il y avait un endroit connu sous le nom de Baie Sanglante. Cette baie ne l’était que de nom, c’était l’endroit où Blasco élevait et nourrissait ses requins. Elle devait son surnom au fait que la surface de l’eau était pratiquement toujours rouge sang. Blasco avait nourri les requins avec des otages qui n’avaient jamais versé de rançon et des pirates traîtres. Grâce à cela, les requins qui infestaient ces eaux avaient développé un appétit pour la chair humaine.

Aujourd’hui encore, ils faisaient le tour du bras de mer, leurs nageoires dorsales formant des boucles infinies dans l’eau.

« Hé ! Isabelle ! Qu’est-ce que tu fous ? ! »

« Écoute, Isabelle, on va te donner une place au conseil, alors s’il te plaît, épargne-nous ! »

Achille et Blasco aboyèrent et supplièrent pendant que nous les transportions le long du quai surplombant la crique. Un pas de plus et l’un d’eux seraient jetés dans les eaux remplies de requins.

« Euh, je ne cherche pas à vous tuer », dit Isabelle, l’air perplexe.

J’étais un peu déconcertée. J’étais sûre qu’elle les avait amenés ici pour les transformer en nourriture pour requins. Mais si ce n’était pas la raison, alors pourquoi ?

Achille avait l’air déconcerté. « Qu’est-ce que tu… »

« Laissez-moi vous dire les choses telles qu’elles sont : vous devriez donner la moitié de ce que vous avez. »

Isabelle leur fit un sourire méchant.

« Vous savez qu’on doit diriger Atlantica ? Je suis sûre que si vous faites ça, les autres pirates vous pardonneront. »

« Je vais payer ! La moitié, c’est ça ? Tu peux avoir la moitié de ma fortune ! »

« Moi aussi ! Je te donnerai la moitié ! »

Achille et Blasco commencèrent à chanter comme un étrange petit chœur de deux hommes.

« Bien, et où est votre fortune ? »

Oh, son sourire était méchant.

« Dans le coffre au trésor… »

« Non, non, c’est la fortune d’Atlantica. Pas la vôtre. Combien avez-vous tous les deux, personnellement ? Ici même, sur cette île. »

Oh, je vois. C’est donc ce que tu vises.

« Euh… Attendez ! Je te donnerai la moitié de tout ce qu’on gagne à partir de maintenant ! Alors… s’il te plaît ! », pleura Achille.

« Pourquoi attendre ? Nous avons la moitié de tout ce que vous avez ici. »

Isabelle s’était tournée vers moi.

« Peux-tu les faire descendre ? Juste la moitié, cependant. »

« Deux idiots qui font la moitié du chemin et qui arrivent tout de suite », avais-je dit.

Le plan d’Isabelle était en fait assez simple. J’avais ordonné à l’Essaim Éventreur de tenir Achille et Blasco pour les faire descendre dans l’eau. Petit à petit, bien sûr. Nous n’étions pas pressés.

« Attendez ! Isabelle, j’avais tort ! Je suis désolé, alors je t’en prie ! Sauve-moi ! »

« Tu oublies qui a fait de toi un pirate à moitié décent dans un premier temps ! Sauve-nous, bon sang ! »

Les deux hommes criaient à l’aide à Isabelle, mais ils auraient peut-être dû s’adresser à l’Essaim Éventreur, vu la situation. Bientôt, les pirates avaient été submergés jusqu’à la taille dans la Baie Sanglante.

« Aaah ! Aaaahhhh ! À l’aide ! »

« Ce sont tes foutus requins, Blasco ! Fais quelque chose ! »

Ils s’étaient criés dessus alors même que les requins commençaient à les encercler.

« Très bien, les gars, on va réclamer la moitié de ce que vous avez comme taxe pour Atlantica. Vous pouvez garder l’autre moitié. »

Ce qui s’était passé ensuite, eh bien… ça restera secret. Je dirai, cependant, qu’il y avait eu beaucoup de sang impliqué. Isabelle ferma les yeux et apprécia leurs cris comme si c’était de la musique classique.

Je suppose que les pirates resteront toujours des pirates.

« Eh bien, je dirais que la moitié de leurs corps sont morts. Remontez-les. », déclara Isabelle après un certain temps.

« Essaim Éventreur, sors-les de l’eau. »

L’Éventreur fit ce qu’on lui avait dit, tout ce qui se trouvait sous le torse des pirates avait disparu.

« Nous allons suspendre leurs corps à l’entrée d’Atlantica jusqu’à ce qu’il ne reste que des os. Cela devrait servir d’exemple pour savoir ce qui se passe quand on essaie d’empocher les richesses des autres pirates. »

Décorer votre base secrète cool avec des cadavres qui ressemblent à ça ? Quel gâchis...

« Ta purge est terminée maintenant, Isabelle ? »

« Oui. Tout ce qui reste à faire c’est de sceller notre alliance. »

Voir qu’elle était toujours prête à s’allier avec moi était un soulagement. Si elle avait choisi de me trahir ici et maintenant, tous ces efforts n’auraient servi à rien.

☆☆☆

Nous avions rapidement mis par écrit les termes de notre alliance avec les pirates.

Clause numéro une : « L’Arachnée fournira périodiquement à Atlantica les biens dont elle aura besoin, c’est-à-dire les richesses de Maluk et de Schtraut. Toutes les ressources que l’Arachnée n’utilisera pas pour les bâtiments et le déblocage de nouvelles structures iront aux pirates. »

Clause numéro deux : « Les pirates s’attaqueront de manière proactive au Royaume Papal de Frantz. L’essaim les aidera dans ces attaques et leur servira de renfort. Les capitaines qui trouvent l’essaim répugnant ne seront pas forcés d’y participer. »

Clause numéro trois : « Tout butin volé lors des raids susmentionnés ira aux pirates. En règle générale, l’Essaim ne prendra aucun butin aux pirates de l’Atlantica. »

« Es-tu sûr que ça ne te dérange pas ? Ces termes penchent en notre faveur. Tu nous donnes des ressources et tu nous laisses garder tout le butin. Tu n’en as pas besoin ? », dit Isabelle en me regardant.

« Hmm. Tu te plains ? »

Sa considération m’avait un peu surprise.

Isabelle était une pirate, alors je m’attendais à ce qu’elle prenne tout ce qui lui tombait sous la main. Je veux dire, elle avait fait un raid dans nos ports à Schtraut et réclamé le trésor des chefs… Ou plutôt, le trésor qu’ils s’étaient approprié et qui était devenu la propriété commune d’Atlantica. Agir comme si elle voulait que nous demandions un peu plus ne lui ressemblait pas, c’est le moins qu’on puisse dire.

« Je pensais juste que si nous n’en tirons pas tous les deux profit, l’alliance ne durerait pas. Et nous voulons que vous restiez de notre côté… pour l’avenir d’Atlantica. »

Donc elle voit ça comme un investissement. Je suppose que c’est logique.

Elle pensait que l’alliance serait encore plus solide si nous pouvions en profiter aussi. La façon dont l’Arachnée gérait les affaires extérieures avait tendance à impliquer la force et le carnage, nous n’étions donc pas habitués aux subtilités de la diplomatie. Dans des circonstances normales, l’Essaim ne faisait aucune distinction entre amis et ennemis, ce n’était rien d’autre que des proies.

Alors, ayons des négociations plus civilisées. Sais-tu qu’il faut s’accrocher à ce cœur humain ?

« Alors je veux un dixième de tout butin contenant de l’or. Nous n’avons besoin de rien d’autre », avais-je proposé.

L’or était nécessaire pour déverrouiller les structures.

« Eh bien, n’êtes-vous pas généreuse ? Disons un cinquième. L’or est facile à trouver. »

Isabelle sourit après avoir fait monter les enchères.

C’était un bon pirate et une femme respectable. Ça aurait été amusant de l’avoir dans ma famille.

Je me demande ce que fait ma vraie famille en ce moment…

« Marché conclu », avais-je dit, en me débarrassant de cette idée.

« Il suffit que vous vous occupiez simplement de la marine de Frantz. Vous n’avez même pas à partager le butin qu’ils vous donnent pour le moment. Nous avons juste besoin que vous les occupiez. »

« Oui, on va s’en occuper. S’occuper de la marine de Frantz sera du gâteau. »

Je l’espère bien.

« Je pense que tout est en règle. Peux-tu signer ici ? »

J’avais rassemblé les documents contenant les termes de notre accord et je les avais mis sur la table. Je ne savais ni lire ni écrire dans cette langue commune, alors j’avais demandé à Roland de nous servir de scribe. Isabelle et moi avions respectivement signé en tant que chef de l’Atlantide et reine de l’Arachnée.

« Ceci scelle le contrat. Ne t’inquiète pas, les pirates savent comment honorer un contrat. », dit Isabelle

Elle avait laissé le fait qu’elle n’aurait pas pu mettre en scène la rébellion sans que nous le disions. Mais au moment où nous avions levé nos stylos, un des hommes d’Isabelle fit irruption.

« Sœur ! Il se passe quelque chose sur le quai ! »

« Bon sang, quoi maintenant ? ! »

Isabelle s’était mise à souffler et croisa les bras.

« Allons voir. Tu ne veux pas qu’ils se rebellent contre leur chef si tôt, hein ? », lui avais-je dit.

« Oui… J’ai entendu parler de dirigeants éphémères, mais merde ! Je n’ai même pas contrôlé cet endroit depuis un jour ! »

Avec ça, nous nous étions rendues toutes les deux sur le quai.

☆☆☆

« Je vous le dis, nous ne pouvons pas envoyer de navires pour le moment ! »

« Espèce de lâche ! Quel genre de pirate a peur de ces choses !? »

Il y avait une dispute sur le quai. Deux capitaines échangeaient des mots durs, et ils semblaient sur le point de sortir leurs sabres.

« Pourquoi vous vous disputez, bande d’imbéciles ? ! », cria Isabelle en arrivant sur les lieux.

« Isabelle, ce connard lâche dit qu’il n’y a pas moyen d’envoyer des bateaux en mer ! Il dit qu’il a peur des serpents de mer ! »

« Oui, parce que ce ne sont pas des serpents de mer normaux ! Ils sont énormes, et c’est comme s’ils voulaient tuer tous les humains qu’ils trouvent ! J’ai été attaqué par une de ces choses une fois, et c’est plus que suffisant pour le reste de ma vie ! Aucun de mes vaisseaux n’ira là-bas en ce moment ! »

Des serpents de mer… Ça doit être le même que Sérignan et Roland a combattu il y a quelque temps.

« Y a-t-il un moyen de les exterminer ? », avais-je demandé.

« Hein ? Eh bien, en général, on le termine en deux-trois coups de harpons, mais ce grand harpon, peu importe combien on en a tiré ! Il n’arrêtait pas de bouger ! C’est un véritable monstre ! », répondit crûment l’un des pirates.

« Hmm… C’est peut-être le même serpent de mer que nous avons croisé récemment. Les Essaims Éventreurs l’ont assommé de leur venin, et Roland et Sérignan lui ont causé de gros dégâts. Mais il n’est pas mort. »

« Vous avez combattu cette chose ? Un serpent de mer blessé ? »

Un serpent de mer blessé… Ça me semble correct.

Cependant, au fond, quelque chose me tracassait.

Les serpents de mer sont peut-être un monstre indigène à ce monde, mais une des factions du jeu les a aussi employés comme unités… Tout comme les wyvernes. J’espère que ce n’est qu’une coïncidence.

« Il semblerait. Est-ce vraiment si gênant ? », avais-je demandé.

« Bien sûr que ça l’est ! C’est un putain de serpent de mer ! On ne peut pas naviguer dans les mêmes eaux que cette chose… Il va transformer nos bateaux en bois flottant et nous en nourriture pour poissons ! »

« Espèce de mauviette ! Évite ce stupide serpent ! »

Ainsi commença une autre dispute.

Oh, mon Dieu. Les pirates sont turbulents, mais ils peuvent être très prudents quand il le faut. Euh, d’une certaine façon.

« On dirait que tu ne peux pas tenir ta part du marché tant que le problème du serpent de mer n’est pas réglé », dis-je à Isabelle.

« Ouais, on doit faire quelque chose pour eux. »

Elle avait haussé les épaules et avait pris une grande respiration.

« Très bien, que ceux qui ont le courage de se joindre à nous se lèvent ! Je forme une brigade d’extermination des serpents de mer ! On n’a pas peur d’eux, et on ne va pas laisser celui-là se mettre en travers de notre chemin ! On va leur montrer qu’Atlantica ne se pliera pas à un monstre marin ! »

« J’en suis ! »

« Moi aussi ! »

Les pirates s’étaient portés volontaires les uns après les autres. Aussi sauvages qu’ils soient, ces hommes étaient courageux. Les pirates avaient peut-être fait des raids sur des citoyens sans défense pour faire du profit, mais cela ne signifiait pas qu’ils étaient des lâches qui reculaient devant un combat.

En fait, ce courage était ce que j’aimais le plus chez Isabelle. Malgré le fait que la société pirate était dominée par les hommes, elle s’était battue bec et ongles pour devenir capitaine. Même maintenant, elle se dirigeait vers la bataille. Et même si elle ne savait pas si elle pouvait gagner, elle releva le défi sans peur. J’avais beaucoup apprécié cela chez elle.

Je ne pouvais pas laisser mourir quelqu’un comme elle. Seuls des salauds comme Léopold ou les chevaliers de Maluk méritaient vraiment cela… Bien que je suppose que le reste du monde doit penser que je suis tout aussi vilaine.

« Ils ont cependant dit que les harpons ne peuvent pas faire tomber le serpent. Comment allez-vous le combattre ? »

« Heh, tirez encore plus de harpons dedans, duh ! À quoi vous attendiez-vous ? C’est peut-être un monstre, mais c’est quand même une créature vivante. Percez-lui suffisamment de trous, et il mourra. »

Ugh, donc vous optez juste pour une stratégie de force brute…

Je ne pensais pas que ça allait marcher. Tous les navires pirates réunis ici auraient encore du mal à maîtriser un monstre de cette taille. Il pouvait plonger sous l’eau et attaquer les navires à partir de là, et nous n’avions évidemment pas de sonar ou de grenades sous-marines.

Essayer de lui donner un coup de poing ou de le transpercer ne pouvait que se solder par un échec. Il était temps de mettre de côté les muscles et de commencer à compter sur les cerveaux.

« Alors l’Arachnée vous aidera aussi. Après tout, nous aurons des ennuis si vous ne pouvez pas envoyer de bateaux. Nous vous prêterons nos forces pour celui-ci. »

« Oh, vous voulez aussi combattre le serpent de mer ? Huh. J’ai hâte de voir ce que vous pouvez apporter à la table. »

L’Arachnée n’avait pas d’unités aquatiques ou navales, seul un nombre limité de factions en avaient. Cela ne voulait cependant pas dire que nous n’avions pas de moyens d’attaquer les unités marines.

***

Chapitre 5 : Subjugation du serpent de mer

Après avoir décidé de rejoindre l’équipe de subjugation, nous étions retournés à Schtraut pour rassembler les unités dont nous aurions besoin pour la bataille à venir.

« Prêts, tout le monde ? » avais-je demandé aux unités par le biais de la conscience collective.

« Oui, nous sommes tous réunis, Votre Majesté. »

« Bon travail. Montez à bord. »

J’avais chargé mes nouvelles unités sur le seul grand vaisseau que nous avions. Elles seraient notre clé pour tuer le serpent de mer.

« Très bien. Lysa et Sérignan, vous me rejoignez sur le navire de taille moyenne. Roland, tu prends le commandement du grand navire. »

« Compris, Votre Majesté. »

Cette fois-ci, nous étions à fond, et je faisais partie de la force de frappe. Je doutais sérieusement de mon utilité, mais je ne pouvais pas donner aux pirates l’impression que j’étais une lâche. Effrayée comme j’étais, j’avais pourtant déjà survécu à un sacré nombre de batailles (en me cachant derrière le dos de Sérignan).

« Très bien, une fois que nous aurons levé l’ancre, nous devrions naviguer ici et nous regrouper avec les forces d’Isabelle », avais-je déclaré, en pointant un point sur les cartes marines des pirates.

Notre point de rendez-vous était une zone le long de la côte de Doris où nous avions déjà rencontré le serpent de mer. Une fois que nous les aurions rencontrés, nous allions nous préparer pour attirer la bête. Les pirates avaient prévu de l’attirer en remorquant le bétail derrière un de leurs navires. C’était une solution simpliste, mais je ne pouvais qu’espérer qu’elle fonctionnerait.

« Allons-y. »

Très vite, nous avions laissé le duché derrière nous. Je m’inquiétais pour nos frontières, nous étions encore en train de construire des murs et des tours de guet, mais les forces ennemies pouvaient percer si elles le voulaient. En plus de cela, j’avais amené Sérignan et nos précieuses nouvelles unités avec moi pour tuer le serpent de mer, nos défenses étaient donc beaucoup plus faibles que je ne l’aurais souhaité.

Nous devons tuer cette chose, et vite.

« Je peux voir les bateaux pirates ! », dit Lysa.

En regardant devant moi avec des jumelles, j’avais aussi repéré le drapeau des pirates. Mais Lysa l’avait vu à l’œil nu, sa vision était vraiment impressionnante. Il y avait neuf navires pirates devant nous. L’Atlantica en avait plus, mais seulement neuf s’étaient présentés. Les autres capitaines avaient probablement trop peur du serpent de mer et avaient donc refusé de se joindre à nous.

Je ne peux pas vraiment les blâmer. Leur vie est en jeu.

Un navire rompit la formation et s’approcha de nous.

« Ohé, la reiiiiine ! Tu es prête ? »

C’était le bateau d’Isabelle, l’Albatros.

« Oui, on est prêts. Et toi ? »

« On est prêts à y aller à n’importe quel moment. Ne t’inquiète pas, on s’en occupe. »

« Très bien, allons pêcher ! Préparez-vous, d’accord ? », dit-elle en souriant

« Bien reçu. On assure vos arrières. »

J’avais fait un signe de tête.

Apparemment, l’Albatros lui-même remorquerait l’appât. Les pirates avaient jeté deux vaches mortes entières à l’eau.

Ce serpent de mer est un vrai glouton, hein ?

« Sérignan, Lysa, préparez-vous au cas où il arriverait quelque chose. Et Roland, assure-toi que ton bateau suit l’Albatros pour qu’ils soient prêts à se battre. »

« Selon vos désirs, Votre Majesté. »

Sérignan dégaina son épée et jeta un regard furieux vers l’eau. Lysa brandit son arc long et y plaça une flèche, qui était enduite d’un venin paralysant. Roland dirigea son navire, qui était chargé d’Essaims Éventreurs et de nos nouvelles unités, pour suivre l’Albatros.

Le bateau d’Isabelle navigua lentement, la viande dérivant derrière lui. La mer était restée calme, mais rien ne permettait de savoir quand le monstre pourrait soudainement sortir de l’eau. D’après ce que m’avait dit Sérignan, la chose faisait plus de 50 mètres de long.

« Votre Majesté, je peux sentir sa présence. Il arrive », dit Sérignan.

« Oui, je sais. Je ressens ce que tu ressens. »

Elle sentait quelque chose qui montait rapidement dans l’eau, et ce sentiment m’avait été transmis par la conscience collective.

« Il est là », lui avais-je chuchoté.

À ce moment précis, un long pilier d’eau s’était élevé à côté de l’Albatros. Un monstre massif ressemblant à un serpent de mer émergea de l’intérieur et, selon le rapport de Sérignan, la chose faisait facilement plus de 50 mètres de long. Il sauta au-dessus de la surface de l’eau et engloutit les deux bêtes.

C’était effectivement un joli monstre ! Le fait qu’une bête aussi massive se soit tapie dans ces eaux témoigne des terreurs que le bel océan pouvait cacher dans ses profondeurs. Un certain auteur d’épouvante qui avait écrit de nombreux ouvrages sur d’horribles monstres marins me vint à l’esprit.

Intimidée comme je l’étais, je pouvais sentir le courage de Sérignan à travers la conscience collective, et cela avait servi à apaiser ma peur.

« C’est bon ! Tirez les harpons ! »

« Lysa, attaque ! »

Isabelle et moi avions donné nos ordres en même temps. Les navires pirates tirèrent des harpons de chasse à la baleine, qui percèrent la chair du serpent de mer, et Lysa le frappa de sa flèche paralysante. Cette flèche avait été trempée dans le venin concentré d’Essaim Éventreur, être touché par elle équivalait à être piqué par dix Essaims Éventreurs.

« Skreeeeaaah ! »

Le serpent de mer hurla de douleur et chargea sur l’un des navires. Les pirates d’Isabelle n’allaient pas couler sans se battre, ils avaient essayé d’échapper à l’attaque du serpent de mer, mais n’avaient pas réussi à l’esquiver à temps.

Alors que la bête s’engouffrait dans le navire, celui-ci chavira, envoyant son équipage vers la mer. Le serpent avait alors enfoncé ses crocs dans la structure en bois, transformant le navire en débris alors que les pirates dérivaient vers une tombe aquatique. Naturellement, le carnage du serpent était loin d’être terminé.

Oh, merde.

Tout s’était passé en un clin d’œil. Pouvions-nous vraiment gérer cette chose ? Mais au moment où cette pensée me traversait l’esprit, le serpent de mer s’était élancé vers l’Albatros et mon navire de taille moyenne. Nous étions clairement les prochains sur sa liste.

Merde. Merde, merde, merde.

« Euh, Roland, tu es prêt ? ! », avais-je crié.

« Pas encore ! Ça va trop vite ! On ne peut pas le rattraper ! »

Oh, mon Dieu.

Notre seul espoir résidait dans les nouvelles unités montées à bord du navire de Roland.

« Lysa, Sérignan, préparez-vous. Nous devons intercepter cette chose. », avais-je dit en me calmant les nerfs.

« Selon vos désirs, Votre Majesté. »

Nous avions placé notre navire entre l’Albatros et le serpent de mer. Nous nous étions ensuite préparés à attaquer. Ce serait sans espoir si le serpent nous attaquait sous l’eau, mais s’il s’élevait au-dessus du niveau de la mer…

« Hé, ne faites rien d’imprudent ! Repliez-vous s’il le faut ! », nous cria Isabelle depuis le pont de l’Albatros.

« Mais vous ne pouvez pas vous échapper ! Je veux dire, vous l’avez attrapé avec votre appât ! »

Je lui avais crié de se replier.

« Oubliez-nous ! Préparez-vous à vous tirer d’ici s’il le faut ! », cria-t-elle en secouant violemment la tête.

Un pirate si courageux. Même la peur de la mort ne l’a pas effrayé.

« Regardez ! Il sort de l’eau ! »

Bingo.

Je savais que le monstre referait surface, mais ce n’était pas un hasard. D’après Isabelle, les serpents de mer avaient une excellente mémoire à long terme. Celui-ci se souvenait essentiellement de la façon dont Sérignan l’avait repoussé avec ce navire. Peut-être la voix de Sérignan avait-elle voyagé sous l’eau.

Allez, mon grand. C’est l’occasion de prendre ta revanche.

J’avais regardé le serpent de mer sortir de l’eau, révélant sa pleine forme. Il ressemblait certainement à un serpent, mais il avait quatre yeux au lieu de deux. Et ils étaient tous fixés sur notre bateau. Sérignan rencontra le puissant regard de la bête, l’incitant à hurler de colère. Son cri fit onduler l’eau, secoua le navire et fit peur à tous ceux qui l’entendirent. La voix assourdissante de la créature était une arme mortelle en soi.

« Sérignan ! Peux-tu le contrôler ? ! », avais-je crié, en espérant être entendu par-dessus le cri animalier.

« Ne vous inquiétez pas, Votre Majesté ! », répondit Sérignan en criant.

Le serpent de mer menaçant mit ses crocs à nu, Sérignan leva son épée comme pour relever le défi… Puis vint un terrible affrontement. Le serpent se déchaîna et tenta de la mordre. Elle repoussa un de ses crocs avec sa lame, essayant désespérément de dévier l’attaque. Elle semblait prête à avaler Sérignan en entier, mais elle avait à peine réussi à garder ses mâchoires ouvertes.

« Lysa, couvre-la ! »

« Compris ! »

Lysa lança trois flèches à venin et les tira toutes en même temps sur le serpent de mer. Ses talents de tireuse à l’arc étaient plus étonnants que jamais.

« Skreeeaaah ! »

Le serpent hurla de douleur alors que les flèches s’enfonçaient dans la chair.

Et alors que la créature devenait de plus en plus paresseuse à cause du venin, Sérignan fit son prochain mouvement.

« Haaaah ! »

Son épée lui transperça la mâchoire et sa tête heurta le pont du navire. C’était tout ce qu’elle pouvait faire, mais elle avait quand même infligé d’énormes dégâts à la créature. Grâce à leurs efforts conjugués, elle était tombée, mais elle n’était pas encore morte.

« Bon sang. Elle est toujours en vie après avoir reçu autant de coups. Quel monstre... », marmonna Isabelle.

« Ne t’inquiète pas, Isabelle. On va le faire tomber, c’est sûr. »

Elle fit un signe de tête sinistre.

« J’espère bien. Je crois que je commence à comprendre pourquoi mes garçons avaient si peur de cette chose. Il pourrait probablement nous tuer cinquante fois plus d’hommes. »

« Et vous continuez à le combattre ? », dis-je en fronçant un sourcil.

« C’est la façon de faire des pirates. », dit-elle en souriant.

Le serpent de mer s’était tortillé plusieurs fois alors qu’elle se préparait à lui tordre le cou une fois de plus.

Dépêche-toi, Roland…

« Votre Majesté ! Nous sommes prêts ! »

Ah, les voilà.

Nos nouvelles unités seraient précieuses pour vaincre les monstres marins. Le navire de Roland en était rempli à craquer. Bien qu’il leur manquait les faux de l’Éventreur, ils avaient plusieurs fois la taille de l’Éventreur et avaient une longue queue en forme de scorpion. Le bout de leur queue dégoulinait d’un liquide noir et visqueux.

Les Essaims Toxiques. Une des unités longue portée de l’Arachnée.

Une fois que nous avions rassemblé suffisamment d’âmes, j’avais enfin pu les débloquer. Les Essaims Toxiques étaient capables de faire des choses que les Essaims Éventreurs, Fouilleurs, Parasites et Mascarades ne pouvaient pas : attaquer à distance.

« Essaims Toxiques ! Feu ! », criai-je.

Les Essaims Toxiques balançaient docilement leurs grosses queues et tiraient ce qui ressemblait à des flèches depuis les pointes. Ces flèches transperçaient le serpent de mer abattu, qui hurlait de douleur et il tenta de s’enfuir sous l’eau.

« Mais qu’est-ce que c’est que ça ? », demanda Isabelle, bouche bée.

« Ce sont des Essaims Toxiques, les unités à longue portée de l’Arachnée. La légende dit que le poison dans leur queue est capable de terrasser un dragon. Je ne sais pas si c’est vrai, mais c’est quand même une toxine assez puissante. Je doute que tout ce qui se fait toucher par ça en sorte indemne. »

Les Essaims Toxiques étaient l’atout caché dans ma manche. Les serpents de mer vivaient dans l’océan, se rapprocher pour couper celui-ci n’était donc pas vraiment possible. Ne pouvant donc pas envoyer les Essaims Éventreurs à sa poursuite, j’avais décidé de l’écorcher avec des attaques à longue distance dès qu’il ferait surface. Maintenant, nous serions capables de tuer cette chose avant qu’elle ne se déchaîne à nouveau.

Soudainement, le serpent de mer refit surface, se tordant dans l’agonie.

« Quoi, tu veux donc en recevoir davantage ? Essaims Toxiques, tirez votre deuxième salve. »

« Selon vos désirs, Votre Majesté. »

À mon commandement, les Essaims Toxiques tirèrent d’autres projectiles sur la bête souffrante. Sans pitié, sans même un soupçon de pitié, ils tirèrent leurs pointes venimeuses sur le serpent de mer. Du sang commença à couler de sa bouche.

Ensuite, le serpent de mer commença à fondre. La chair et la peau de son abdomen furent les premières à fondre, exposant ses entrailles et ses os. Quelques instants plus tard, même ceux-ci disparurent, ne laissant rien derrière eux.

« Incroyable… », chuchota Isabelle en regardant le serpent de mer se désintégrer dans l’eau désormais immobile.

Je n’étais pas aussi choquée. Dans le jeu, les ennemis atteints de la toxine des Essaims Toxiques fondaient toujours. Les unités synthétiques ou hautement défensives pouvaient bloquer les projectiles, mais tout le reste devenait une soupe charnue en quelques secondes. Le serpent de mer avait en fait duré plus longtemps que la plupart des autres. En général, la désintégration était immédiate.

« On dirait que votre petit problème de serpent de mer est réglé, hein ? » avais-je dit en me tournant vers Isabelle.

« Ouais, maintenant on peut naviguer partout sans avoir à s’inquiéter de ce truc ! », dit-elle avec un sourire en coin.

Les pirates lancèrent des huées et des cris de joie.

Ouf… C’est un soulagement.

Il ne restait plus aux pirates qu’à provoquer le Royaume Papal de Frantz et à occuper sa marine… En supposant que tout se passe bien. Mais j’avais décidé de rester optimiste. S’inquiéter de ce genre de choses ne ferait que me fatiguer, et ce n’était pas le moment de faire des erreurs de jugement.

***

Chapitre 6 : Festin de pirate

Partie 1

Un navire marchand naviguait sur les côtes du Royaume Papal de Frantz. Le navire, qui appartenait à Frantz, revenait de l’Union des Syndicats de l’Est. Il était rempli de vêtements de prêtres confectionnés par les membres de la guilde des artisans du syndicat ainsi que de bijoux et de pierres précieuses qui allaient servir de donation aux dirigeants de Frantz.

« Hé, quelque chose arrive », dit l’un des marins. Le bateau n’était pas loin du quai.

« Eh bien, qu’est-ce que c’est ? », demanda un officier de pont voisin.

« Err, c’est un navire. Il va assez vite… et on dirait qu’il se dirige vers nous. »

C’est alors qu’il le remarqua : un drapeau noir orné d’une tête de mort battait au sommet du mât du navire.

« Oh non… C’est un bateau de pirates ! Nous avons des pirates, tout le monde ! Ils se rapprochent vite ! Il faut filer d’ici… En avant tout ! »

« Pas bon ! Ils nous rattrapent… On n’y arrivera pas ! »

Le chaos éclata sur le navire marchand alors qu’il ouvrait grand ses voiles, espérant prendre le vent et échapper à la poursuite des pirates. Mais le navire pirate était agressif et finement conçu, il avait presque rattrapé son retard. À ce rythme, le navire de Frantz serait en difficulté.

« Ils sont là ! »

Enfin, le bateau pirate était sur eux.

« Abordons-les ! »

« Ohé, les gars ! Notre petit Kingfish est venu vous saluer ! »

Les pirates acclamèrent et sautèrent à bord du navire de commerce.

« Eek ! Ne me tuez pas ! » supplia le capitaine du navire, tremblant de peur.

« Heh, soyez bon, et nous allons y réfléchir », répondit un pirate, en le poussant avec son coutelas.

« Et si vous commenciez par nous montrer tout ce que vous avez ? »

« Nous avons des vêtements de prêtre et des bijoux dans la cale. C’est tout, je le jure ! »

« Ugh, des robes de prêtres ? Je suppose qu’on peut s’en servir pour se torcher le cul. Mais bon, ces bijoux ont l’air très tentants. »

Le capitaine du Kingfish regarda avidement le coffre plein de pierres précieuses.

« Très bien ! Vous et votre équipage, montez sur ces bateaux. Ce bateau nous appartient maintenant ! Si vous avez des plaintes, vous pouvez les dire à mon sabre. »

« Très bien, très bien ! »

Ainsi, l’équipage du navire marchand était monté à bord des plus petits bateaux avec crainte. Ils étaient restés à l’eau pendant que les pirates s’envolaient avec leur navire et tout son contenu. Assez rapidement, ils ne purent plus voir les navires. Finalement, leurs bateaux dérivèrent jusqu’à la côte, et l’équipage n’avait pas perdu de temps pour signaler l’incident, informant les autorités que les pirates étaient en mouvement.

En réalité, le nombre de navires attaqués par les pirates augmentait de jour en jour. Les raids de pirates ne se produisaient généralement qu’une fois par semaine environ, mais cela se produisait maintenant presque quotidiennement. En conséquence, l’Union des Syndicats de l’Est estima que le commerce avec le Royaume Papal de Frantz était beaucoup plus risqué qu’auparavant. D’autres pays s’en étaient aperçus, et le flux d’importations de Frantz s’était raréfié.

À présent, les produits alignés sur les marchés du Royaume étaient tous de mauvaise qualité, à tel point que même les ecclésiastiques de haut rang commencèrent à penser que quelque chose n’allait pas. Comme le resserrement progressif d’un nœud coulant, le Royaume Papal de Frantz subissait un étouffement économique paralysant. Si cette situation n’était pas résolue, elle pourrait entraîner des troubles civils.

« Permettez-moi de déployer nos hommes et d’abattre les pirates », s’était exclamé l’amiral de la marine de Frantz. Actuellement, il participait à une réunion sur la façon dont ils devraient faire face à la menace des pirates.

« La marine n’a encore rien fait ? », demanda le général des forces terrestres du Royaume.

« Ces dernières semaines, nous avons été en attente pour attaquer Schtraut et le libérer des insectes. »

Comme le craignait Grevillea, la marine de Frantz avait été mise de côté pour organiser un débarquement sur les rives de l’ancien duché. L’amiral avait donc reçu l’ordre de préparer les navires et de les remplir de soldats.

« Eh bien, les choses ont changé. Les pirates profitent de la guerre pour nous attaquer, et notre ligne de ravitaillement est en pagaille ! Si nous ne faisons rien, cette guerre se terminera par notre effondrement économique complet, quelle que soit l’issue réelle ! »

Comme l’avait dit l’amiral de la marine, l’influence des pirates sur leur économie ne pouvait pas être ignorée. Avec l’arrêt du commerce, la Royaume Papal ne pouvait pas imposer ses citoyens, et sans impôts, l’armée n’avait pas de fonds. En tant que leader de l’alliance, le Royaume Papal devait faire preuve de la plus grande force militaire, il avait donc naturellement besoin d’un budget à la hauteur.

Dans cette optique, le rétrécissement de l’économie et la diminution des impôts avaient porté un coup sérieux au Royaume. Si cela allait plus loin, l’économie du pays s’effondrerait avant même le début des combats. Les forces vives du pays — ses fonds — seraient coupées, et le Royaume périrait tout simplement.

« Vous dites cela, mais les routes maritimes ne sont pas notre seule option. Nous pouvons envoyer des caravanes pour faire du commerce. La marine devrait attaquer les territoires du Duché comme prévu. Il y a maintenant un mur construit le long de la frontière. », répondit le général.

« Vous pensez que les caravanes peuvent transporter autant de marchandises qu’un navire, ou se déplacer aussi vite que possible ? Seul un péquenaud qui n’a jamais mis les pieds sur un pont de sa vie pourrait croire une telle chose ! »

« Qu’est-ce que vous venez de dire !? »

La situation ne pouvait être décrite que comme critique.

« C’est bon, c’est bon. Calmez-vous. Ces pirates ne sont pas une menace réelle. Nous allons bientôt élaborer une contre-mesure pour eux. Une fois que ce sera fait, nous pourrons demander à notre marine d’organiser le débarquement sur la côte de Schtraut. », déclara le cardinal Paris Pamphilj.

Voyant que le bras droit du pape prenait les rênes de la conversation, l’amiral et le général s’étaient tus.

« Nous devons rester unis. C’est pourquoi notre foi existe. Ces insectes sont les ennemis du monde, et cela fait d’eux les ennemis de notre foi. Pour cette raison, la volonté de Sa Grâce est que nous commencions une inquisition. », les exhorta Paris.

« Une inquisition ? ! »

Tous les visages s’étaient raidis.

Une inquisition est un massacre à grande échelle de ceux qui n’acceptaient pas le Dieu de la Lumière comme le seul vrai Dieu. L’Église de la Sainte Lumière était devenue la principale organisation religieuse du continent parce que les inquisiteurs du passé avaient pourchassé la plupart des hérétiques. Ils avaient écorché vif les non-croyants et les avaient brûlés sur le bûcher sur les places des villes pour que tout le monde puisse les voir.

C’était un spectacle infernal. Des inquisiteurs vêtus de blanc se promenaient dans les rues, torches à la main, et des cris d’agonie s’élevaient chaque jour sur les places. Les gens dénonçaient leurs voisins pour prouver leur loyauté à la foi. Les parents trahissaient leurs enfants aux inquisiteurs et vice versa.

En ces périodes, le Royaume Papal de Frantz était un creuset de doutes et de paranoïa. Ses citoyens ne pouvaient faire confiance à personne et vivaient dans la crainte constante d’être brûlés sur le bûcher. Par conséquent, l’Église de la Sainte Lumière s’était consolidée sur tout le continent, et les inquisitions avaient été abolies par la suite parce qu’elles étaient beaucoup trop dangereuses. Ainsi, les terreurs de l’inquisition avaient été scellées comme une partie sombre et désagréable de l’histoire de l’Église de la Sainte Lumière.

C’était du moins ce qu’il aurait dû être.

« Nous aurons besoin de l’armée pour participer à l’inquisition. Après tout, nous devons nous assurer qu’il n’y a pas d’hérétiques dans nos rangs, non ? » dit Paris.

« Il n’y a pas d’hérétiques dans notre armée, Votre Éminence. »

Le général secoua la tête, le visage pâle.

« L’armée du Royaume est remplie à ras bord de croyants. On ne peut s’y tromper. »

« Je ne sais rien de tel. Quiconque tourne le dos à un ennemi de la foi et s’enfuit est un hérétique. Quiconque fait preuve de pitié envers un hérétique est, de même, un hérétique. Quiconque n’a pas la volonté de combattre les hérétiques est également un hérétique. Et tous les hérétiques seront expulsés. N’êtes-vous pas d’accord ? »

S’ils se conformaient à la proposition de Paris, les inquisiteurs qui en résulteraient ne seraient pas différents des officiers militaires sous le régime soviétique.

« C’est vrai, Votre Éminence. Nous devons rester unis sous la bannière de la foi. Cette foi est notre arme, et nous devons y rester fidèles même si nous devons faire face aux pirates. Ils ont tourné le dos au Dieu de la Lumière. », déclara l’amiral.

« Je suis très heureux de constater que vous êtes de ceux qui voient la raison, Amiral. »

Paris le regarda avec un sourire satisfait.

« Pour l’instant, il faut s’occuper des pirates. Les vieux rivages de Schtraut viendront plus tard. »

Ainsi, la politique du Royaume pour l’avenir immédiat avait été décidée. Une nouvelle série d’inquisiteurs revêtirent leur habit blanc et commencèrent à patrouiller dans les villes à la recherche d’hérétiques. Au sein de l’armée, la foi des soldats et leur volonté de se battre étaient constamment mises à l’épreuve.

Toute personne signalée aux inquisiteurs était rapidement exécutée. Alors qu’ils regardaient les inquisiteurs peler la peau de leurs voisins et de leurs proches avant de les mettre au feu, la population tremblait de peur.

C’était le début d’une ère très sombre.

***

Partie 2

Un autre navire marchand navigua le long des côtes du Royaume Papal de Frantz. Et bien sûr, une ombre menaçante apparut à l’horizon. Cette fois, c’était l’Albatros.

Le navire d’Isabelle s’était lentement rapproché de l’autre navire, le drapeau des pirates n’étant pas en vue. Il s’était approché furtivement du navire, se faisant passer pour un autre navire de commerce.

« Vous êtes prêts, les gars ? ! »

Isabelle appela son équipage, le sabre à la main.

« Aye, madame ! Nous sommes prêts à nous battre ! »

Des Essaims Éventreurs attendaient également sur le navire. L’Arachnée leur avait prêté des forces, les Essaims Éventreurs avaient grandement contribué aux efforts des pirates. Les pirates d’Isabelle avaient effectué de nombreux raids sur les navires du Royaume Papal. Ils s’étaient emparés de navires remplis de trésors, et le butin de leurs exploits remplissait la voûte de l’Atlantide d’une délicieuse lueur.

« Nous sommes montés haut. Grâce à nous, Atlantica s’enrichit. Vous voyez ça ? C’est la vie du pirate. Et je ne sais pas pour vous, mais j’en aime chaque seconde. On vole, on profite, et nos coffres sont pleins d’or et d’argent. Bénissez la vie de pirate, les gars ! »

« C’est vrai, ma sœur ! »

Isabelle et ses copains avaient pris tout ce que les navires de commerce avaient. Des lingots d’or, des chandeliers en argent, d’innombrables pièces d’or et d’argent, tous empilés dans le coffre d’Atlantica. Et pendant ce temps, les pirates célébraient avec des acclamations bruyantes et tapageuses. Chaque jour était un banquet.

Un toast à l’or. Un toast à l’argent. Un toast à l’Arachnée. La vie était un buffet à volonté.

La redoutable marine de Frantz ne s’était pas montrée malgré tous ses raids, et les pirates d’Isabelle étaient libres de piller et de harceler les navires de commerce à leur guise. À cette époque, les revenus d’Atlantica dépassaient de loin ce qu’Achille avait pu apporter à la table. Chacun pouvait garder la quasi-totalité de ce qu’il avait pillé, ce qui faisait merveille pour aiguiser son ambition.

Mais pour le meilleur ou pour le pire, Isabelle et ses pirates n’avaient jamais tué l’équipage du navire marchand ni pris d’otages. Après tout, les marchands et les marins n’avaient pas résisté aux pirates, et tout signe de résistance avait été réduit au silence dès que deux Essaims Éventreurs grincèrent leurs crocs.

« Je me demande ce qu’il y a sur celui-là… »

« Personnellement, j’espère que c’est un tas de pièces d’or. »

Les pirates badinèrent entre eux alors que leur navire rattrapait rapidement le navire de commerce.

« Bon, il était temps. Hissez le drapeau. »

« Aye aye, madame ! »

Une fois que leur crâne et leurs os croisés volèrent fièrement au sommet du mât, les pirates s’étaient préparés à aborder. L’Albatros naviguait à côté de l’autre navire tandis que les pirates sortent leurs armes. Ils étaient prêts à supprimer les marins à bord et à voler toute la cargaison. Et en effet, cela ressemblait à n’importe quel autre raid.

« Abattez-les ! », cria Isabelle alors qu’elle sautait elle-même sur le pont du navire marchand.

Le reste de l’équipage suivit le mouvement en faisant des sauts presque gracieux. Des dizaines de pirates sautèrent d’un navire à l’autre en un clin d’œil.

Cependant…

« Hommes, en formation ! »

Ce n’était pas les cris terrifiés de marins innocents qui les avaient accueillis, mais les cris de guerre des soldats.

« Mais qu’est-ce que… ? C’est la marine ! »

Isabelle avait vite compris que tous les marins étaient armés.

Malheureusement, il était trop tard. La bataille avait déjà commencé.

« Waaagh ! »

Les pirates avaient été abattus par les officiers de marine de Frantz et furent renversés, saignant. Les hommes d’Isabelle avaient essayé de riposter avec leurs coutelas, mais ils étaient loin d’être aussi organisés que l’escadron naval discipliné.

« Ne vous repliez pas, les gars ! Nous avons autant d’hommes qu’eux ! Tuez-les ! »

Isabelle criait, essayant d’inspirer ses hommes alors qu’elle se battait désespérément.

Mais les pirates tombaient un par un.

« Bon sang ! Sortez les insectes ! »

Répondant à son appel, les Essaims Éventreurs tirèrent leurs fils et se balancèrent sur le navire.

« Ce sont les monstres qui ont détruit Schtraut ! »

« Foutus hérétiques ! »

Les marins reculèrent à la vue des essaims d’éventreurs. Les hommes avaient des armes, mais ils manquaient d’armure. Les Essaims Éventreurs se jetèrent sur eux, poussant les marins à la frénésie. Certains hommes étaient taillés en pièces par des faux, d’autres étaient percés par des crocs géants et aiguisés.

« C’est une bonne chose que nous ayons l’Arachnée pour nous aider ! Allez, les gars, on va leur mettre la pression ! » acclama Isabelle.

« Ouais ! »

Les hommes d’Isabelle avaient rejoint la contre-attaque, encouragés par l’esprit de combat des Essaims Éventreurs. Ils engagèrent le combat avec leurs coutelas et le cours de la bataille avait temporairement tourné en faveur d’Isabelle.

À ce rythme, ils allaient gagner le combat. Ils survivraient, puis retourneraient sur les côtes d’Atlantica, où leurs richesses étaient cachées. C’était cet espoir qui avait poussé les pirates à riposter de toutes leurs forces.

« Continuez, les gars ! »

Isabelle elle-même avait largement porté le combat. Elle s’était battue aux côtés des Essaims Éventreurs sur le front. Elle n’avait pas l’intention de prendre le contrôle de ce navire, elle gagnait simplement du temps pour qu’ils puissent remonter sur l’Albatros et s’enfuir.

Tout ce dont elle avait besoin était un peu plus de temps. Juste un peu plus. Il lui suffisait de faire reculer les marins un peu plus longtemps pour que l’Albatros puisse tourner son gouvernail et s’enfuir. Certains l’auraient traité de lâche pour cela, mais elle n’allait pas laisser son équipage mourir dans une bataille qu’ils ne pouvaient pas gagner. Les pirates avaient survécu, c’est tout ce qui comptait pour eux.

« Mages, tuez ces insectes ! »

« Oui monsieur ! »

Il y avait des mages parmi les marines. Ceux-ci lancèrent une série de sorts, qui explosèrent à côté des trois Essaims Éventreurs qui se battaient aux côtés d’Isabelle. L’un des Essaims avait été réduit en miettes.

« Ils arrivent ! Appelez l’infanterie lourde ! »

À ce moment, les fantassins lourds étaient montés sur le pont. Ils se cachaient dans la cale du navire et ne faisaient que se révéler. Ils portaient des armures lourdes que les faux de l’Éventreur ne pouvaient pas pénétrer, et dans leurs mains se trouvaient des claymores, des hallebardes et des maillets. S’élevant sur le pont, ils chargèrent les Éventreurs.

« Pour le Dieu de la Lumière ! »

« Pour le Dieu de la Lumière ! »

En fin de compte, les Essaims Éventreurs étaient une unité remplaçable, au début du jeu. Ils avaient perdu leur viabilité lorsque l’ennemi avait amélioré leurs unités. Tout ce qu’ils avaient réussi à faire dans cette bataille, c’était de couper un bras à un seul fantassin.

« Capturez les pirates ! Ne les laissez pas s’échapper ! »

Maintenant que tous les Essaims Éventreurs avaient été tués, Isabelle n’avait plus que quelques pirates. Les marins de la marine les avaient rapidement encerclés.

« Putain de merde… ! »

Isabelle essayait désespérément de trouver une issue, mais rien ne lui était venu.

« Vous devez être le capitaine. Rendez-vous pacifiquement, et nous épargnerons vos subordonnés. Qu’en dites-vous ? », dit le commandant de la marine.

« Vous êtes sérieux ? », demanda Isabelle avec prudence.

« Bien sûr. »

Il fit un signe de tête.

« Et puis… je me rends. Épargnez mes hommes. »

Isabelle jeta son coutelas.

« Sœur, non ! Si tu fais ça… »

« Vous aussi, rendez-vous. C’est le seul moyen pour qu’ils nous laissent pour vivre. »

« Merde… »

À la demande d’Isabelle, les pirates s’étaient débarrassés de leurs armes.

« Bien. Capturez-les. »

Les marins avaient encerclé Isabelle et l’avaient attachée.

« Oh, et, euh… Aidez ces pirates là-bas », ajouta-t-il.

Ces mots remplirent Isabelle de terreur.

« Aaah ! »

« Aidez-nous ! »

Les pirates survivants avaient été saisis par les marins et jetés par-dessus bord. Ils avaient été jetés à l’eau les uns après les autres. Vu la distance à laquelle se trouvait le bateau, ils ne pouvaient pas nager jusqu’à la rive.

« Sale menteur ! Ce n’était pas ce que tu avais promis ! »

« C’est drôle venant d’un pirate et d’un hérétique. Comme si on allait conclure un marché avec des gens comme vous. Pas un seul de vos pirates ne sera laissé en vie, ce sont nos ordres. Emmenez-la dans la cale et enfermez-la ! »

Les marins avaient ignoré les cris d’Isabelle alors qu’ils l’emmenaient et la jetaient dans la cale du navire.

« Merde… Souvenez-vous de ça, bande de salauds ! Vous ne vous en tirerez pas comme ça ! Vous allez payer pour ça, avec des intérêts sanglants ! Je vais m’assurer que vous, bande de chiens et vos saints maîtres, souffriez ! Je le jure sur mon nom d’Isabelle, la seule et unique dame pirate ! Je vous donnerai à tous une putain de leçon ! », grogna Isabelle, se mordant les lèvres assez fort pour faire couler le sang.

« Continue de claquer ta langue, canaille, mais tu ne peux rien faire », dit un des marins en se moquant d’elle.

« Le Royaume Papal de Frantz est sanctifié par le Dieu de la Lumière, et il ne sera donc jamais détruit. Nous sommes unis par notre foi, et personne ne peut nous vaincre. Vous le verrez bien assez tôt. »

La nouvelle de la capture d’Isabelle parvint bientôt à Grevillea, la reine de l’Arachnée. Un des Essaim Éventreur avait passé ses derniers moments à transmettre cette conversation à la conscience collective. Les pirates en train de se noyer avaient heureusement été sauvés par leurs camarades, et ils furent bientôt interrogés sur l’endroit où se trouvait Isabelle.

« Ils l’emmènent à Fennelia, aucun doute là-dessus. Tous les pirates capturés sont emmenés à Fennelia. », avaient déclaré ses subordonnés.

« Fennelia, hein ? »

« Que devons-nous faire, Votre Majesté ? », demanda l’un des membres de l’essaim.

Elle y réfléchit un instant. Doit-elle sauver Isabelle, ou la laisser à son sort ?

« Nous allons la sauver. Notre alliance avec Atlantica n’existe que grâce à elle. Nous ne pouvons pas la laisser mourir. »

La reine avait fait son choix. Après cela, les pirates s’étaient mis en route aux côtés de l’Essaim afin de sauver Isabelle.

***

Chapitre 7 : Opération sauvetage

Partie 1

Isabelle avait été capturée.

Apprendre cela m’avait laissée en colère et impatiente. Juste au moment nous avions finalement formé une alliance avec Atlantica, l’ennemi avait fait prisonnier notre partenaire. C’était un problème majeur dont nous devions nous occuper quoi qu’il arrive.

« Écoutez tous. Nous devons sauver notre allié. Isabelle est une femme distinguée qui a accepté d’être notre partenaire, et maintenant elle est dans les griffes de l’ennemi. Je ne sais pas comment ils traitent habituellement les pirates, mais elle sera certainement exécutée. Elle s’est après tout mise en travers de la route du commerce de la populace. », avais-je dit aux essaims qui se tenaient au garde-à-vous devant moi.

Ils écoutèrent mes paroles en silence. Mon discours traversa la conscience collective et avait atteint les esprits de tous les Essaims disséminés sur le continent. Je ne pouvais pas me permettre de dire quoi que ce soit d’inutile ou même laisser une seule pensée non pertinente me traverser l’esprit.

Je devais me présenter comme la reine de confiance de l’Essaim. Ils m’avaient servi fidèlement, allant même jusqu’à donner leur vie en mon nom, j’avais donc dû répondre à leurs efforts par un leadership fort et indéfectible.

« Nous avons besoin d’Atlantica de notre côté. Ainsi, nous irons de l’avant et sauverons Isabelle. Elle n’est pas seulement notre alliée, mais aussi une amie qui a choisi de se joindre à nous. Pour elle, nous marcherons en territoire ennemi. Nous allons envahir Fennelia et reprendre Isabelle ! »

Lorsque j’avais donné mon ordre, il n’y avait aucun signe de désaccord ou de mécontentement dans la conscience collective. Peut-être voyaient-ils Isabelle comme une alliée, ou peut-être obéissaient-ils simplement à ma volonté en tant que reine. Leurs cœurs étant froids et indifférents, je ne pouvais donc pas le savoir. Mais vu qu’ils ne s’y étaient pas opposés, je m’étais sentie vraiment mieux.

« Maintenant, nous devons nous préparer pour la bataille. Vous allez enfoncer vos crocs dans l’ennemi, les percer avec vos dards, et les mettre en pièces avec vos faux. Vous devez sauver Isabelle à tout prix. Pour l’Arachnée ! »

« Pour l’Arachnée ! Saluez tous la reine ! »

« Pour l’Arachnée ! Vive la reine ! »

Les essaims avaient acclamé mon discours.

« Qu’en est-il de notre formation, Votre Majesté ? », me demanda alors Sérignan.

« Je pense que nous allons prendre cent cinq unités. 75 Essaims Éventreurs et 30 Essaims Toxiques. Les Essaims Éventreurs seront notre avant-garde, protégeant les Essaims Toxiques qui vont tirer des projectiles à distance. »

Le venin des Essaims Toxiques était mortel, mais ils étaient pratiquement impuissants lors de combats en mêlée. Ils avaient besoin d’unités d’avant-garde de type mêlée pour compenser cette faiblesse. J’étais sur le point de débloquer la mise à niveau des Essaims Éventreurs, mais pas tout à fait. Les Essaims Éventreurs devraient faire leur part pour le moment.

De plus, si les Essaims Toxiques étaient capables de lancer des attaques mortelles, leur coût de production était par conséquent élevé. Cela signifiait que, contrairement à ce qui se passait auparavant, je ne pouvais pas me contenter d’en lancer un grand nombre et de les envoyer tous en même temps. J’avais pourtant pris mon temps pour produire des Essaims Toxiques, et j’en avais maintenant une quantité suffisante.

Pour ce qui était du jeu, le fait d’avoir débloqué ce genre d’unités signifiait que j’étais à peu près au milieu de la partie. D’ailleurs, c’était à ce moment-là que les rushes cessèrent d’être des solutions efficaces. Vers le milieu de la partie, les ennemis commençaient à diversifier leurs unités, ce qui signifiait qu’il fallait avoir une stratégie et savoir quelle unité utiliser contre quelle unité pour obtenir la victoire.

J’avais peut-être eu du succès avec les rushes des Essaims Éventreurs jusqu’à présent, mais cela ne voulait pas dire que je ne savais pas comment procéder dans le jeu dans les phases ultérieures. En fait, j’avais réussi à vaincre d’autres joueurs talentueux dans des tournois à ce moment précis du jeu. Grâce à ces victoires, j’avais prouvé que mon talent de joueur d’arachnéen était légitime.

« Je crois que c’est sage. Je vais rejoindre l’avant-garde. Mais, à vrai dire, je voulais vous consulter sur quelque chose, Votre Majesté… », déclara Sérignan.

« Parle, mon enfant. »

J’avais fait un signe de tête.

Sérignan s’agita quelques instants avant de s’exprimer timidement.

« Mon corps est à nouveau rempli de cette étrange sensation et de cette chaleur… Suis-je sur le point d’évoluer à nouveau ? »

« Peut-être bien. Essayons de voir. »

Dans mon esprit, c’était le moment idéal pour qu’elle devienne encore plus forte.

« Très bien, Sérignan, essaye d’imaginer une armure bleue. Une couleur bleu pâle, comme les joues pâles des malades. Ce sera ta nouvelle forme. Essaye de l’imaginer… Je garderai aussi l’image de toi en train de devenir plus forte dans mon esprit. Bonne chance. »

« Oui, Votre Majesté. Ma nouvelle forme… »

J’avais créé une image mentale de sa forme évoluée et je la lui avais envoyée par le biais de la conscience collective.

C’était arrivé en un éclair. L’armure cramoisie de Sérignan s’effrita, révélant un magnifique ensemble de plaques d’armure bleu pâle en dessous. Cette couleur reflétait la terreur qui teintait le visage de ses victimes.

« Euh, c’est bien ça ? », demanda Sérignan alors que son armure était en train d’être modifiée.

Non seulement elle était maintenant vêtue d’une armure blanc-bleu, mais les ailes qui poussaient dans son dos avaient également changé de forme. Elles n’étaient plus petites et repliées, comme celles d’un scarabée — elle avait maintenant de grandes et fines ailes, comme celles d’une libellule. Son exosquelette dur et lustré se reflétait à la surface de ses ailes, leur donnant une teinte glorieuse.

« Oh, oui, c’est parfait. Tu as évolué vers ta troisième forme, l’Essaim Chevalier Pâle. Ces ailes devraient vous permettre de voler, mais pas trop longtemps ni trop haut. Utilise ce pouvoir pour bien servir l’Arachnée, Sérignan. »

« Oui ! Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous soutenir, vous et l’Arachnée, Votre Majesté ! »

C’était mon unité de héros, l’Essaim Chevalier Pâle Sérignan. En plus de sa capacité limitée à voler, ses statistiques offensives et défensives avaient augmenté de façon générale, et son venin avait atteint une toxicité qui était à peu près la moitié de celle des « Essaims Toxiques ». C’était une unité merveilleuse, complète et polyvalente.

C’est mon chevalier.

« Allez, Sérignan, nous devons sauver notre demoiselle en détresse. Nous devons beaucoup à Isabelle, et nous devons aussi consolider nos relations avec Atlantica. J’aurai besoin de ton aide pour cela. »

« Oui, Votre Majesté. Je me battrai pour sauver notre alliée et garantir notre victoire. »

Ainsi, Sérignan avait évolué vers sa troisième forme. Ceci marqua le début de notre opération de sauvetage d’Isabelle. Nous avions déjà des Essaims Mascarades déguisés en réfugiés sur le territoire du Royaume Papal, mais ils ne pouvaient pas entrer dans Fennelia, ils ne pouvaient donc pas nous donner d’informations particulièrement utiles.

La seule option qui nous restait était de prendre d’assaut et de ramener Isabelle par la force. Si nous y parvenions, notre alliance avec Atlantica durerait sûrement. C’était ce que je croyais… et je n’avais aucun moyen de savoir à quel point cette façon de penser était naïve.

☆☆☆

Il avait fallu que nous nous rendions à la ville portuaire de Fennelia à bord du grand navire. Je l’avais choisi parce que le navire de taille moyenne ne pouvait pas contenir toutes les forces dont nous aurions besoin pour cette mission. Le grand navire était notre seul choix réel, mais j’aurais aimé que nous puissions apporter le navire de taille moyenne pour nous échapper plus tard. Néanmoins, une évasion n’aurait pas d’importance si nous ne pouvions pas organiser d’abord l’opération de sauvetage.

Alors que ces pensées me traversaient l’esprit, un des capitaines pirates de l’Atlantica s’était porté volontaire pour me donner un coup de main. Il s’appelait Gilbert, il proposa de se joindre à nous pour le sauvetage d’Isabelle.

« J’ai quelques dettes envers Isabelle, et je ne les ai pas encore remboursées. Elle s’est occupée de moi quand j’étais encore un bleu et même après que je sois devenu capitaine. C’est une bonne personne, et je veux la sauver. Je vous aiderai de toutes les manières possibles. », dit-il.

Il s’était vanté que son navire était le plus rapide de l’Atlantica et qu’il était parfait pour échapper à la capture, nous avions donc accepté son offre avec plaisir. Je voulais m’assurer que les Essaims s’échapperaient aussi avec nous, mais notre priorité était de retrouver Isabelle.

Nos préparatifs étant terminés, nous avions mis les voiles pour Fennelia.

Apparemment, les pirates craignaient la ville. La marine de Frantz y avait une base avec des milliers de soldats, ce qui signifiait que les pirates qui terrorisaient les villes côtières ne pouvaient pas toucher Fennelia. Pourtant, nous étions là, sur le point de charger directement sur place.

Mais nous étions prêts pour cela. Un combat pouvait éclater à tout moment, et nous nous en sortirions très bien.

Les voiles de notre navire étaient bien déployées alors qu’il approchait lentement de Fennelia. Si nous étions obligés de nous soumettre à une inspection, nous perdrions probablement plusieurs Essaims. Heureusement, comme aucun pirate n’avait été assez téméraire pour attaquer Fennelia, aucun navire ne s’était présenté pour nous inspecter, nous étions donc rapidement arrivés au quai.

« On dirait que nous sommes arrivés, Sérignan. »

« En effet, Votre Majesté. »

Sérignan et moi étions sur le pont supérieur, nous regardions le quai du Fennelia.

Oui, je comprends pourquoi les pirates ont peur de cet endroit.

Des dizaines de ce qui semblait être des navires de la marine étaient amarrés au quai, avec des marins costauds. Le plus inquiétant encore était les cadavres de pirates pendus au phare.

Si j’étais un pirate, j’éviterais aussi cet endroit comme la peste.

« Il y a un fonctionnaire du port qui arrive. Nous n’avons pas de papiers, alors ça va sûrement être moche. Soyez prêts. », chuchotais-je à Sérignan dès que je l’avais remarqué.

« Compris. »

Le fonctionnaire du port nous approcha pour inspecter notre cargaison et examiner notre permis d’accostage. Il était accompagné par des marins de la marine. Naturellement, nous n’avions pas de tels documents à présenter. Nous n’avions pas eu le temps de faire ces préparatifs.

À l’heure actuelle, nous étions sur le point de nous lancer dans un véritable carnage et de nous frayer un chemin.

Cela va être amusant.

« Tu prends l’avant-garde. Je vais faire débarquer les essaims. », avais-je dit à Sérignan.

« Selon vos désirs, Votre Majesté. »

Je me sentais mal de laisser Sérignan s’aventurer en première ligne tout le temps, mais j’avais besoin de temps pour faire débarquer tous les essaims de la cale du navire. Mais comme elle venait d’évoluer, elle serait probablement capable de combattre l’ennemi sans problème.

Je crois en toi, Sérignan !

« Vous, là, sur le navire. Où est le capitaine de votre navire ? », dit le fonctionnaire en s’approchant de Sérignan.

« Vous ne trouverez pas de capitaine sur ce navire. La seule chose qui vous attend sur ce navire, c’est la mort. », répondit-elle de façon inquiétante en défaisant sa Mimesis.

Dès que son déguisement disparut, celle-ci bondit vers le fonctionnaire. Sa lame vola en éclats, et une fraction de seconde plus tard, la tête de l’officiel roula, et l’un des marins trouva son torse tragiquement séparé de sa moitié inférieure.

« Les ennemis ont débarqué ! Nous sommes sous atta — »

Le marin survivant essaya de crier, mais l’épée de Sérignan lui atteignit le cou avant qu’il ne puisse finir sa phrase. Alors que le corps sans tête du marin giclait du sang dans l’air comme une sorte de fontaine grotesque, Sérignan eut un sourire féroce.

« Avancez, Essaims ! Le temps de la guerre est venu ! Plongez en avant et sauvez notre alliée ! », criai-je dans la cale en ouvrant les portes.

Les essaims s’étaient précipités hors de la cale du navire et atterrirent sur le quai. Leur vitesse impressionnante dans l’accomplissement de cet exploit témoigne de leur héritage en tant qu’unités de mêlée parmi les plus rapides du jeu.

« Monstres ! Il y a des monstres sur le quai ! »

« Aaaah ! Mais qu’est-ce que les marines font !? »

Des cris terrifiés jaillirent des lèvres des capitaines des navires marchands. Les officiels de la marine présents étaient tout aussi choqués. Mais les nuées d’Essaims Éventreurs ne leur avaient pas prêté attention, se précipitant sur eux comme un raz-de-marée envoyé des profondeurs de l’enfer. Les humains consumés par cette vague mortelle furent déchiquetés, leur tronc se posant avec des coups humides sur le bois alors que leurs membres s’envolaient.

Une frappe mortelle était apparue depuis la mer. Oui, les Essaims Éventreurs ressemblaient à un véritable tsunami.

Ils prirent rapidement le contrôle de la jetée et sécurisèrent notre point d’ancrage. Les Essaims Toxiques étaient descendus sur le quai à pas lents. Ces unités n’étaient pas particulièrement rapides, surtout si on les comparait aux Essaims Éventreurs.

Mais ils sont toujours beaucoup plus rapides que moi.

Les Essaims Éventreurs en première ligne formèrent un mur tandis que je déployais les Essaims Toxiques derrière eux. Avec cela, notre formation était complète.

« Sérignan, je veux que tu ailles dans la ville devant nous et que tu examines la situation. En attendant, nous marcherons jusqu’à la place de la ville et y resterons en attente. », avais-je ordonné.

« Selon vos désirs, Votre Majesté. »

Sérignan était partie en éclaireur pendant que nous avancions lentement. C’était une unité puissante, je ne pouvais donc pas imaginer la voir perdre contre quelqu’un ou quelque chose qui pourraient se cacher ici. Je lui faisais également confiance pour savoir quand battre en retraite. À cet égard, elle était l’unité idéale pour les missions de reconnaissance.

Nous avions marché dans les rues de Fennelia, les pas des Essaims battant un rythme étrange et effrayant. Les citadins s’étaient enfermés dans leurs maisons. Normalement, j’aurais dû envoyer les Essaims les massacrer tous, mais nous n’avions pas le temps pour cela maintenant. Le sauvetage d’Isabelle était notre priorité absolue.

Où la retiennent-ils ? Dans une prison ? Une forteresse ? Peut-être qu’ils essayent de faire de son exécution un spectacle ?

Quelle que soit la réponse, nous devions la trouver rapidement, nous avions donc continué à avancer.

L’Essaim marche. Tremblez de peur, humains, devant la marche de l’Essaim.

Mais malgré nos foulées violentes dans la ville, les rues étaient étrangement calmes. Tout le monde semblait terrifié par quelque chose. Que pouvaient-ils craindre d’autre que nous, les ennemis de l’humanité ?

« Vous, de l’Arachnée ! »

Une vieille femme jaillit soudainement d’une des maisons.

« Halte. »

J’avais levé la main devant les Essaims derrière moi.

« Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? »

« Je veux que vous me vengiez à ma place. Ma fille a été exécutée. Ils ont dit que c’était une hérétique… Ces salauds ! Ils… Ils ont arraché sa peau et l’ont brûlée vive. C’était horrible, terriblement horrible ! »

Vous êtes une étrange vieille dame. Vous attendez de l’empathie de la part de l’Arachnée.

***

Partie 2

Quoi qu’il en soit, ce qu’elle avait dit à propos de sa fille qu’on avait été traitée « d’hérétique » attira mon attention.

« Que voulez-vous dire par hérétique ? Pourquoi ont-ils, euh, mutilé votre fille de cette façon ? » avais-je demandé à la vieille femme.

« Les hérétiques sont ce que l’Église appelle ceux qui ne croient pas au Dieu de la Lumière. Ceux qui tournent le dos à la foi sont traités de la même façon. Ma fille et son bien-aimé ont consommé leur amour hors mariage, alors l’Église les a jugés hérétiques et les a exécutés tous les deux… »

Je considérais déjà l’Église de la Lumière comme une institution religieuse fanatique, mais je n’imaginais pas qu’ils étaient aussi mauvais.

« Et vous avez continué à adorer ce dieu jusqu’à maintenant ? Personne n’a pensé que peut-être vous devriez… euh, arrêter ? »

« Les principes n’étaient pas appliqués comme ça avant ! C’était une religion d’amour et de tolérance. Mais maintenant, tout a changé. Vous ne pouvez plus faire confiance à vos propres voisins. On ne sait pas qui pourrait divulguer votre nom à l’Église. »

Hmm. On dirait que quelque chose est arrivé. Sommes-nous liés à ça d’une manière ou d’une autre ?

« Je suis désolé, madame, mais je ne peux pas vous promettre que nous vous vengerons. Nous sommes l’Arachnée. L’Arachnée, une force qui consomme tout sans discrimination. Mais… »

Je m’étais arrêtée un moment pour la regarder.

« Je déteste les religions méprisables comme celle-ci, donc je finirai probablement par tuer les gens qui ont fait du mal à votre fille. Mais je ne le ferai pas pour vous, et ce ne sera pas non plus pour vous venger. »

Nous sommes l’essaim. Un cauchemar récurrent qui engloutit tous ceux qui osent rêver.

C’était ainsi que nous procédions. Nous n’avions pas fait les choses par bonté de cœur. Tout comme il était catégorisé dans le jeu, l’Arachnée était une faction maléfique. Si nous faisions des efforts pour sauver quelqu’un ou quelque chose, comme nous l’avions fait avec Lysa et Baumfetter, nous le faisions uniquement parce que cela répondait à nos besoins.

Mais est-ce vraiment le cas ? se demandait une partie de moi.

Bien que l’essaim avait pu chercher la victoire, il n’avait pas explicitement cherché le massacre. Ils avaient été poussés à tuer à cause d’une pulsion instinctive — le besoin de se propager — et non par une pulsion émotionnelle. Cela ne les rendait-il pas plus neutres que maléfiques ?

Le seul à tuer par pulsion émotionnelle, c’était moi. Je voulais détruire le royaume de Maluk parce qu’ils avaient tué Linnet. Même s’il était nécessaire de fournir un ennemi à l’Arachnée, je ne pouvais pas nier que j’étais devenue sentimentale. J’avais laissé mes sentiments prendre le dessus et j’avais cherché à tuer beaucoup, beaucoup de gens. Et cette pensée m’avait remplie de sympathie pour cette femme.

« C’est bien. Si c’est ce qu’il faut pour les faire payer… »

Pleine d’amertume, la vieille femme s’était éloignée. Quelques instants plus tard, elle s’était retirée dans sa maison.

« Très bien, continuons. En avant, vers la place. Si nous prenons le centre-ville, tout Fennelia devrait être à notre portée. »

Je poussai mes Essaims à continuer, mais à ma grande surprise, Sérignan revint plus tôt que prévu.

« Que s’est-il passé, Sérignan ? »

« L’exécution d’Isabelle a déjà lieu sur la place, Votre Majesté. Euh, il serait peut-être plus juste de dire qu’ils sont en plein milieu. »

Qu’est-ce que… ? Déjà ?

« Ils ont déjà commencé ? Alors nous devons nous dépêcher. Nous pourrions arriver à temps », avais-je dit.

« Je… Oui, selon vos désirs. »

Sérignan hocha la tête, le visage sinistre.

J’ai un terrible pressentiment à ce sujet

Nous avions accéléré notre rythme. Aller trop vite créerait un écart entre l’avant-garde et l’arrière-garde, alors nous avions couru selon la vitesse de pointe des essaims toxiques. J’avais à peine réussi à les suivre.

Je ne sais pas comment ils exécutent les prisonniers ici, mais je dois me dépêcher.

Isabelle était une de nos bienfaitrices qui avait regardé au-delà des préjugés et avait décidé de s’allier à nous. Nous l’avions aidée à faire tomber les dirigeants corrompus d’Atlantica, bien sûr, mais c’était notre chère camarade, une brave guerrière qui avait combattu à nos côtés pour vaincre le grand serpent de mer. Je croyais fermement que nous ne pouvions pas l’abandonner.

Cependant…

« Est-ce que c’est... Isabelle ? »

Au moment où j’avais atteint la place, la réalité m’avait giflée. Oui, l’exécution était certainement en cours. La peau d’Isabelle avait été écorchée jusqu’à la taille, et elle était en train d’être brûlée sur le bûcher. Les flammes qui léchaient sa chair avaient créé de nombreuses cloques, qui ne servaient qu’à la tourmenter davantage.

Une foule de civils railleurs entourait le feu.

« Sorcière ! Hérétique ! », criaient-ils.

Ils huèrent et crièrent, savourant le spectacle grotesque qui se déroulait sous leurs yeux avec une telle béatitude qu’ils n’avaient même pas remarqué notre arrivée. Chaque fois qu’Isabelle exprima son agonie, les gens rugirent de plaisir.

Jusqu’à présent, j’avais vu beaucoup de choses objectivement plus horribles et terribles que cela. Mes mains avaient sûrement commis des atrocités qui dépassaient probablement celle-ci. Mais même ainsi, j’étais abasourdie par le spectacle cruel qui se présentait à mes yeux.

« Des insectes ! Les insectes sont là ! »

« Ils sont si nombreux ! Que diable fait la marine !? »

Les hommes en robe blanche qui procédaient à l’exécution nous avaient enfin remarqués.

« Votre Majesté, êtes-vous… », commença Sérignan tout en jetant un regard inquiet dans ma direction.

« Sérignan, va sauver Isabelle. Maintenant. Les autres, tuez tous ceux qui sont en vue. »

Les ordres qui sortaient de ma bouche étaient secs et glacés.

C’était l’heure du massacre. Il n’y avait pas une seule personne sur cette place qui méritait d’en sortir vivante.

« Ce sont les monstres ! Courez ! Ils vont nous tuer ! »

« Courez, courez ! »

Heh, croyez-vous que je vous laisserais vous échapper ? Vous êtes déjà tous morts.

Les Essaims Éventreur firent irruption dans la foule, mettant les gens en lambeaux, tandis que les Essaims Toxiques firent pleuvoir des projectiles venimeux sur eux et les réduisirent en morceaux de chair en fusion.

« Gardes ! Appelez les gardes ! »

« Dieu ! Oh, Dieu de la Lumière, aidez-nous ! »

Les hommes en blanc criaient de désespoir.

Ce sont donc les bourreaux, pensai-je sombrement.

« Essaims Toxiques. Tuez-les. »

« Selon vos désirs, Votre Majesté. »

Sur mon ordre, les Essaims Toxiques pointèrent leurs queues vers les hommes et tirèrent. Les dards les avaient tous touchés en plein dans la poitrine.

« Gaaah… Aaah… ! »

« Ça fait mal… Aaaah ! A- Aide ! À l’aide ! »

Tourmentés par cette douleur atroce, les hommes s’étaient vite transformés en masses humides sur le sol.

« Votre Majesté, je l’ai sauvée, mais… »

Alors que je regardais mes Essaims massacrer la foule, Sérignan était revenue avec Isabelle dans ses bras. La peau du pirate avait été arrachée, et elle était couverte de brûlures et d’ampoules. Je pouvais à peine la regarder.

« Isabelle… Pardonne-moi. Nous sommes arrivés trop tard. Nous voulions te sauver, je le jure. », lui dis-je en la regardant droit dans les yeux.

« Est-ce que tu… maintenant… Heureuse de… d’entendre ça… », m’avait-elle répondu, la voix rauque.

Malgré son état, ses yeux brûlaient encore de vie.

« Je ne leur ai pas dit… où se trouve Atlantica. Peu importe ce qu’ils m’ont fait… Alors, dis à mes garçons de… faire le bien à l’avenir… Tu… as besoin de leur aide, non… ? »

« Oui, j’en ai besoin. J’ai besoin de ton aide. On ne peut pas gagner sans les pirates. »

Cela dit, Isabelle n’avait subi cet horrible sort que parce que j’avais demandé leur aide. J’avais essayé d’utiliser les pirates, et c’était ce qui s’était passé. Je n’avais jamais imaginé que les choses se passeraient ainsi, mais j’avais une fois de plus causé une terrible souffrance à mes alliés.

« Tu es aussi… honnête que jamais, petite reine… »

Isabelle sursauta.

« C’est presque rafraîchissant… Te voir comme ça me donne envie… de t’escroquer… Essaie au moins de… faire un peu semblant ? »

« Je suis seulement honnête parce que je te parle, Isabelle. Personne d’autre n’obtient cette courtoisie de moi », lui avais-je répondu en lui tenant la main alors que la vie commençait à la quitter.

Je ne pouvais parler franchement que grâce à la femme qui m’écoutait. Je n’étais peut-être pas en relation avec elle par la conscience collective, mais je pouvais être aussi honnête avec elle qu’avec Sérignan et les autres. Elle avait été l’une des rares personnes à tendre la main à notre armée de monstres… Une des rares personnes au monde à nous accepter.

« Que veux-tu que je fasse ? Dis-le-moi, et je le ferai. »

« Alors… laisse-moi partir en paix. Tue-moi d’un coup sec… C’est un peu trop… même pour moi, vois-tu ? Alors, s’il te plaît… Mets fin à mes souffrances… », dit Isabelle.

« Très bien. Si c’est ce que tu veux. »

J’avais fait un signe de tête et j’avais appelé un Essaim Éventreur.

« Donne-lui le repos. D’un seul coup. »

« Par votre volonté, Votre Majesté. »

C’était peut-être mon imagination, mais sa voix semblait étrangement sombre.

Un instant plus tard, l’Essaim Éventreur mettait fin aux souffrances d’Isabelle.

« Je suis vraiment désolée, Isabelle. »

Des larmes coulèrent dans mes yeux au moment où j’avais vu partir la dame pirate Isabelle. Je pouvais compter le nombre de fois où j’avais pleuré dans ce monde sur une main, mais…

N’oubliez jamais votre cœur humain.

Ces mots refirent surface dans mon esprit. C’était peut-être ce qui avait ouvert les vannes. Quelqu’un — je ne me souvenais plus qui, à travers le brouillard qui s’était emparé de ma mémoire — m’avait dit ces mots. Ils étaient gentils, mais leur ton était strict et admonestant. Comme pour me rappeler que j’étais encore humaine, que j’avais encore mon propre cœur. Comme pour m’avertir que je ne devais pas être dépassée par l’essaim.

Mais si cela signifiait que mon cœur allait souffrir autant, peut-être valait-il mieux que je me soumette à la volonté de l’Arachnée. Ma douleur était si profonde et si vaste que j’envisageais sérieusement de laisser le maelström des désirs de l’Essaim me dévorer.

Cela m’avait fait mal. Cela m’avait fait très, très mal. J’étais triste, en colère, et vide… Le fait que j’avais un cœur humain signifiait seulement qu’il serait rongé par une telle douleur, encore et encore. Depuis que j’étais venue au monde, j’avais été responsable de dizaines, voire de centaines de milliers de morts. Soit je me souciais de ces morts, soit je ne m’en souciais pas.

Certains décès étaient spéciaux pour moi, comme ceux de personnes que je connaissais ou avec lesquelles j’étais impliquée, ou des décès qui constituaient un recul par rapport à nos objectifs. Chaque fois que cela s’était produit, j’étais rempli de tristesse et de rage.

Quant aux autres, ils m’étaient indifférents… C’était comme entendre les statistiques d’un événement se produisant dans un pays lointain. Cela ne pesait aucunement sur mon cœur capricieux. Je pouvais ordonner à des dizaines de milliers, des centaines de milliers, voire des millions de personnes de mourir et ne pas être émue par cela. Il en était de même pour le massacre sur cette place.

J’avais déjà connu de nombreuses morts de personnes qui m’étaient chères : Linnet, les gens de Marine, Isabelle… Et à chaque fois que cela s’était produit, j’étais devenue émotive. Si émotive qu’aucune tuerie ne pouvait me faire oublier tout ça.

« Sérignan. Tuez tout le monde dans cette ville. Brûlez tout. J’ai besoin de voir tout le monde mort ici. »

« Compris, Votre Majesté. »

Les Essaims Éventreurs et les Essaims Toxiques s’étaient séparés en groupes et avaient commencé leur saccage à travers Fennelia.

« Oh, mais laissez en vie cette vieille femme qui nous a demandé de venger la mort de sa fille. »

Mes émotions étaient fortes, mais je pouvais comprendre ce qu’elle ressentait. Voir quelqu’un qui vous était cher écorché vif et brûlé sur le bûcher était une expérience horrible.

« Cette ville va devenir bientôt très calme », avais-je murmuré pendant que les gens criaient.

Bien sûr, les cris et les râles de la mort s’étaient vite dissipés, et Fennelia devint absolument silencieuse. Les rues étaient remplies de corps mutilés et de flaques de chair qui avaient été autrefois les citoyens de Fennelia.

C’était calme, très calme. Tout ce que j’entendais, c’était le fracas lointain des vagues.

« Tu entends ça, Isabelle ? C’est ton requiem. C’est digne d’un pirate, non ? »

J’avais regardé la tête d’Isabelle, qui reposait sur mes genoux.

Le silence me semblait terriblement solitaire, mais en même temps, c’était en quelque sorte paisible. Et Isabelle avait besoin de cela.

Non… Isabelle n’avait plus besoin de rien.

J’avais besoin de ça.

En ce moment, j’avais besoin de la pleurer, et j’avais besoin de silence. Un silence rempli seulement par le bruit des vagues. Si je n’avais pas ça, mon cœur allait certainement exploser, et je me battrais contre tout et n’importe quoi autour de moi.

« Oh, le bateau de Gilbert est là. Allons-y », avais-je dit tout en faisant signe à Sérignan et au reste de l’essaim à travers la conscience collective.

Mon armée retourna sur le quai solitaire après avoir tué tous les habitants de la ville, à l’exception d’une vieille femme. La lame de Sérignan dégoulinait de sang, mais en la voyant, je n’avais rien senti.

« Que faisons-nous maintenant, Sérignan ? », demandai-je, morose.

« Ce que vous voulez, Votre Majesté. »

Hmm. Ce que je veux, hein ?

« Je veux détruire le Royaume Papal de Frantz. Et je n’ai pas l’intention de les laisser mourir facilement. Ils vont payer. Ils paieront de leur chair et de leur sang pour ce qu’ils ont fait à Isabelle. »

Peu de temps après, Gilbert était venu nous chercher.

« Où est Isabelle ? », demanda-t-il.

J’avais secoué la tête et j’avais pointé du doigt quelques essaims d’éventreurs. Ils transportaient le corps d’Isabelle sur le bateau, couvert d’un drap blanc.

« Elle n’a pas survécu, hein ? Je suppose que ce qu’on dit sur les gens bien qui sont les premiers à partir est vrai. Juste quand on pensait que les choses allaient mieux pour nous, elle a dû se faire tuer… Et nous avions besoin d’elle aussi. », soupira Gilbert devant son bateau.

Quand ses lèvres s’étaient ensuite séparées, il commença ce que je pensais être un service commémoratif de pirate.

« Que tous les dieux qui veillent sur nous saluent à bras ouverts l’âme de ce brave pirate. Je prie pour que vous l’accueilliez au ciel. Qu’elle reçoive la miséricorde de l’océan. »

C’était un enterrement en mer. Un grand pirate n’avait pas besoin de pierre tombale ni d’épitaphe.

Une fois Isabelle enterrée, nous avions commencé à préparer le châtiment.

***

Chapitre 8 : Infiltration du poison

Partie 1

Depuis la chute du duché, les citoyens survivants de Schtraut avaient afflué à Frantz comme réfugiés. Conduits dans le Royaume Papal lorsque l’essaim avait commencé à construire des murs le long de la frontière, ils avaient été accueillis par l’ordre du pape Benoît III.

Mais ce qui les attendait n’était pas un sanctuaire, c’était un véritable enfer. Des inquisiteurs patrouillaient constamment dans les rues et quiconque allait à l’encontre des principes de l’Église de la Sainte-Lumière, même si c’était de façon très légère, était rapidement exécuté. Les réfugiés étaient tombés sur un terrain de chasse aux hérétiques.

Les prostituées étaient les premières à être brûlées sur le bûcher, puis venaient les mendiants, puis les marchands. Bien vite les exécutions devinrent aveugles. Les réfugiés du duché avaient tenté de fuir vers l’Union des syndicats de l’Est, mais les inquisiteurs surveillaient également les postes de contrôle à la frontière, en gardant un œil sur toute personne essayant d’entrer ou de sortir du pays. Personne ne pouvait sortir du Royaume s’il ne faisait pas preuve d’une foi fervente dans le Dieu de la Lumière.

Une seule maison de pécheurs n’avait pas été touchée par l’inquisition : un bâtiment de quatre étages à la périphérie de Saania.

« Nous t’attendions, bon Père », murmura une jeune femme portant une robe révélatrice.

« Très bien, merci. Comme d’habitude, si vous voulez bien. Donnez-moi aussi le même vin que la dernière fois. »

« Comme vous voulez. »

C’était un bordel. Les prostituées avaient été les premières à être brûlées, car elles constituaient un affront à Dieu, mais les prostituées qui servaient le clergé bénéficiaient d’un traitement préférentiel et étaient épargnées par l’inquisition. Sur le papier, elles étaient considérées comme des religieuses de l’Église de la Sainte Lumière.

C’était bien sûr terriblement hypocrite, mais ce genre de filouterie faisait souvent tourner le monde en rond.

Au début, le clergé était apparenté à la noblesse du Royaume Papal. Les membres du clergé de rang inférieur n’étaient pas considérés, mais les membres du clergé de rang supérieur avaient le même statut que les membres du conseil de l’Union des Syndicats de l’Est ou que la haute noblesse de l’Empire de Nyrnal.

Les gens de leur statut n’osaient pas renoncer au plaisir de la vie. Les mêmes lèvres qui défendaient haut et fort les enseignements du Dieu de la Lumière le matin passaient leurs soirées à s’adonner aux saveurs sucrées des femmes et du vin.

« Tout est prêt pour vous, Père Jacquetta. Par ici. »

Le prêtre se leva de son siège, les yeux pétillants d’excitation, et suivit la femme jusqu’à l’une des salles.

« Maintenant, faites comme chez vous. »

Lorsqu’ils arrivèrent à la porte, elle le regarda avec un sourire séduisant, puis se retourna et s’éloigna.

« Daisy, j’ai un cadeau pour toi aujourd’hui », dit le prêtre en entrant.

« Mon Dieu, un cadeau ? Comme c’est merveilleux ! »

La femme qui attendait à l’intérieur frappa dans ses mains de joie.

Le clair de lune argenté soulignait ses cuisses exposées, et sa peau était visible à travers le tissu translucide de son caraco. Envoûté par la vue sensuelle, le prêtre avala durement.

« Oui, je t’ai apporté ceci. Le commerce stagne à cause des pirates, alors j’ai ordonné qu’il soit apporté par caravane — un collier de perles noires de l’archipel de Nabreej. Il est à toi. »

« Oh, Jean, c’est magnifique ! Les perles noires de Nabreej sont rares, n’est-ce pas ? ! Merci ! »

L’archipel de Nabreej était un chapelet d’îles au large des côtes de l’Union des Syndicats de l’Est. Il faisait autrefois partie de l’Union, mais il avait depuis déclaré son indépendance et fonctionnait maintenant comme un propre pays marchand.

Cette région était célèbre pour ses perles noires, qui étaient souvent achetées par des dames nobles et portées lors d’occasions sociales. Sachant cela, Nabreej contrôlait intentionnellement le nombre de perles vendues, s’assurant ainsi que leurs marchands pouvaient les vendre à un prix élevé.

Le père Jacquetta ne pouvait pas vraiment se soucier des doctrines morales du Dieu de la Lumière sur l’honorable pauvreté. Il avait reçu de grosses sommes d’argent et fit étalage de sa richesse en achetant ces perles noires.

« En fait, j’ai un cadeau pour toi aussi. Pourrais-tu fermer les yeux pour moi, chéri ? », ronronna Daisy.

« Bien sûr, ma chère fleur. »

Le prêtre ferma les yeux, son imagination débridée s’emballait.

« Ouvre la bouche. »

Attendant un baiser, le prêtre fit ce qu’on lui avait dit et écarta les lèvres. Et puis, à l’instant suivant…

Il avait senti quelque chose ramper dans sa bouche.

« Aaah ! »

Ses yeux s’élargirent alors qu’il essayait de cracher la chose qui se glissait dans sa gorge.

C’était un Essaim Parasite. L’insecte s’était rapidement accroché à sa gorge et avait étendu ses tentacules, prenant le contrôle du corps du prêtre. Le visage du prêtre se détendit, perdant toute expression, alors qu’il se retournait et quittait la pièce d’un pas chancelant.

« Vous partez déjà, mon Père ? », demande la femme dans le hall.

« Oui, je rentre chez moi… pour la journée… » répondit-il en quittant aussitôt le bâtiment.

« Bon travail. »

Une voix féminine et le son des applaudissements secs remplirent le hall dès que le prêtre partit.

« Cela en fait dix… et la moitié d’entre eux font partie du noyau politique du Royaume. Excellent travail. Chapeau à vous, Madame Amélia. »

« J’ai tenu ma part du marché, alors où est ma récompense ? », répondit Amélia, la femme qui dirigeait actuellement l’établissement.

« Évidemment, il est ici. Je crois que vous trouverez votre part... généreuse. »

Leur visiteuse, la reine de l’Arachnée, claqua des doigts.

Un homme apparut aussitôt, portant un grand coffre en bois. Il le posa sur le sol en faisant un bruit sourd, puis il l’ouvrit avec un pied de biche, révélant un tas de bijoux brillants. Des rubis, des saphirs, des diamants… À la vue de toutes ces pierres précieuses, le souffle de Mlle Amélia s’était arrêté dans sa gorge.

« Puis-je… vraiment avoir tout cela ? », demanda-t-elle, presque effrayée.

« Oui. En échange, j’attends de vous que vous travailliez avec moi à l’avenir. Mais si vous refusez, je devrai vous tuer. »

Soudainement, le visage de l’homme se fendit en deux, révélant une tête géante et instable tapissée de crocs aiguisés. Amélia cria à la vue de l’homme et recula de quelques pas. Elle avait déjà vu l’ancien propriétaire du bordel se faire dévorer vivant par un Essaim Mascarade.

Ces événements remontaient à environ deux mois. Ce jour-là, une fille se disant reine de l’Arachnée visita le bordel, accompagnée d’un Essaim Mascarade sous la forme d’un serviteur. Si l’ancien propriétaire du bordel avait simplement coopéré, il aurait fini par avoir une grande fortune sur les bras.

Mais il avait refusé, affirmant qu’ils avaient leurs propres moyens de gagner de l’argent, à savoir vendre secrètement des femmes au clergé. Il ne voyait donc aucune raison de prendre un risque avec une faction inconnue… et c’était ainsi qu’il fut rapidement dévoré vivant par l’Essaim Mascarade. Son visage ayant cédé la place à une paire de crocs qui s’étaient écrasés sur la tête du propriétaire, après quoi l’homme avait été réduit en un simple morceau de chair.

Amélia avait tout vu. Le propriétaire lui avait souvent ordonné de s’occuper des clients, elle était donc malheureusement présente lors de sa terrible disparition.

« Vous ne vous êtes pas entendue avec lui, hein ? », avait demandé la reine après-coup, le ton complaisant.

« N-Non ! »

Amélia avait répondu à la hâte.

« Il nous traitait de manière terrible, et il nous vendait à n’importe quel pervers dégoûtant qui paierait. Tout le monde le détestait. »

« Alors je suppose que je vais me tourner vers vous à la place. Je veux que vous le remplaciez et que vous dirigiez cet endroit, puis que vous fassiez un marché avec nous. C’est clair ? Je vous promets que vous serez bien dédommagé. »

Intimidée par la gueule mortelle de l’Essaim Mascarade, Amélia n’avait pas d’autre choix que d’accepter. Ce faisant, elle devint secrètement une conspiratrice dans les complots ombragés de l’Arachnée. Elle devint la nouvelle propriétaire de la maison close, tandis que la reine de l’Arachnée faisait son propre travail dans l’ombre.

De temps en temps, la reine donnait à l’une des prostituées une vilaine bestiole et exigeait qu’elle la mette dans la bouche de hauts dignitaires du clergé, comme l’avait fait Daisy aujourd’hui.

Amélia ne savait pas si elle allait vraiment profiter de cet arrangement. Il était vrai qu’elle venait de recevoir un paiement extravagant, mais si les inquisiteurs devaient enquêter ne serait-ce qu’un peu, elle serait dans un grand pétrin. Si elle devait échouer, elle serait soit tuée par un Essaim Mascarade qui surveillait le bordel, soit brûlée par l’inquisition.

« Vous n’avez pas à vous inquiéter des inquisiteurs. Le chef de l’inquisition a déjà visité cet endroit, et il est sous notre contrôle. Ils ne viendront pas ici, du moins, tant que vous vous en tiendrez à utiliser cette montagne de joyaux pour toutes sortes de bonnes raisons. Mais ce n’est pas comme s’il y avait de nombreuses façons de dépenser ces richesses dans ce pays de nos jours. Tous les magasins de luxe ont été brûlés pour s’être opposés à la vertu de pauvreté honorable, et si vous dépensez trop d’argent dans un magasin normal, vous serez exécutée. Ce pays est plutôt rationné par la force. », dit la reine, comme si elle lisait les pensées d’Amélia.

La reine avait mis le doigt sur le problème. Tous les magasins de vêtements de luxe, les bijoutiers et les restaurants avaient été marqués comme étant opposés à la foi et brûlés avec leurs propriétaires enfermés à l’intérieur. La quantité de marchandises vendues dans les autres magasins était strictement réglementée, de sorte que les roturiers ne pouvaient en acheter qu’une certaine quantité. Le Royaume Papal limitait la distribution de ses biens précieux en prévision de la guerre avec l’Arachnée.

« J’espère seulement que ces temps sombres se termineront bientôt… », marmonna Amélia avec lassitude. Elle déplorait le fait que le peuple de Frantz ait été divisé en victimes et en informateurs. Qu’ils soient tous dans la crainte de l’État.

« Effectivement. Tout sera bientôt fini. »

Les paroles de la reine étaient à la fois brusques et pressantes.

Tout aura une fin… Très, très bientôt.

Amélia ne réalisa pas qu’il y avait beaucoup de vérité dans les paroles de la mystérieuse femme.

***

Partie 2

« Nous savons maintenant qui a commencé l’inquisition. Il s’appelle Paris. Paris Pamphilj. C’est lui qui a rétabli l’inquisition des années après l’abolition du concept, en relançant la chasse aux hérétiques. Aujourd’hui, l’inquisition est présente dans presque tous les domaines de l’État. Les inquisiteurs sont en fait sa police secrète. », avais-je proclamé devant l’Essaim, qui se tenait rassemblé dans la grande base que nous avions construite entre Schtraut et Frantz.

J’avais prononcé le nom de Paris avec dégoût. À cause des décisions de cet homme, Isabelle avait subi la torture et une mort atroce. La seule pensée de cette mort fit monter en flèche ma haine à un niveau qui dépassait la simple soif de sang.

« De plus, nous avons confirmé qu’une organisation appelée la Division de la Recherche Mystique est en mouvement. C’est une force de renseignement qui se penche sur nous et sur l’Empire de Nyrnal. Nous ne sommes pas sûrs de ce qu’ils savent sur nous, mais nous ne pouvons pas être négligents. »

J’avais obtenu cette information d’un employé de la maison close. Une des prostituées avait utilisé ses ruses féminines pour faire parler un de ses clients avant de l’infecter avec un Essaim Parasite. L’information dont il disposait m’avait ensuite été transmise.

La Division de la Recherche Mystique s’occupait des enquêtes internationales et du contre-espionnage, mais elle n’avait pas été aussi active depuis que l’inquisition avait absorbé une grande partie de ses responsabilités. Elle s’était acquittée avec ardeur des tâches qui lui restaient à accomplir, dont celle de déterrer des informations sur Nyrnal et sur nous-mêmes. Nous avions érigé des murs à nos frontières, mais il était toujours possible de les escalader.

« Ainsi, une fois que les préparatifs du plan A seront terminés, nous commencerons les opérations militaires à Frantz. Vous voyez, le plan A consiste à rayer le Royaume de la carte. Nous nous séparerons en trois armées et nous mènerons l’opération à la fois à l’est et à l’ouest. Nous devons effacer complètement et méthodiquement toute trace de l’existence de Frantz. »

Tout comme nous avions éliminé le royaume de Maluk, il ne restera aucune trace du Royaume Papal de Frantz.

« Anéantissez le Royaume Papal de Frantz. C’est un ordre. »

Ma voix était froide et ferme, même pour moi.

« Une sage décision, Votre Majesté », dit Sérignan.

« Ils doivent payer pour ce qu’ils ont fait aux pirates », ajouta Lysa d’un clin d’œil brusque.

« Mais Frantz est beaucoup plus grand que Maluk et plus fort que Schtraut. Est-ce que ça va vraiment aller ? », nota Roland.

J’avais compris les doutes de Roland. Comme il l’avait dit, le Royaume Papal de Frantz avait plus de territoire que le Royaume de Maluk, et contrairement au Duché de Schtraut, il était prêt pour cette guerre et avait développé des contre-mesures contre l’Essaim.

« Nous avons l’intention de les perturber lors de la prochaine opération. Je veux que le Royaume souffre pour ce qu’il a fait. Paris Pamphilj avant tout, pour avoir mené l’inquisition. »

Je ferais payer Paris. Isabelle n’aurait pas eu à souffrir autant sans lui et sa satanée inquisition. Si quelqu’un méritait de vivre sa douleur et son humiliation, c’était bien lui.

« Votre Majesté, vos émotions ne sont-elles pas assez fortes ? », demanda Roland, sa voix teintée d’inquiétude.

« Non. Je suis toujours la même. La conscience collective de l’essaim m’a attirée, et j’ai perdu mon cœur humain il y a longtemps. Je ne compte même plus comme un être humain, je ne peux donc pas être émotive. Les Essaims ont-ils des émotions ? Ils n’en ont pas. Alors je suis pareil, puisque je fais partie de l’Essaim. Mes émotions ne s’enfuient nulle part, elles sont mortes et enterrées maintenant. C’est la vérité, Roland. », lui répondis-je obstinément.

C’est vrai, je fais partie de l’essaim. Je ne peux plus avoir d’émotions. Mais, hmm… Les Essaims n’ont-ils pas montré plus de sentiments récemment ? Sérignan pleure beaucoup, et les autres Essaims se réjouissent quand ils gagnent. Ne serait-ce pas des réponses à leurs émotions ?

Mais non… Je n’ai pas d’émotions. L’essaim n’a rien à voir avec le châtiment ou la vengeance. Ils ne ressentent ni colère ni tristesse face à la mort de quelqu’un qui leur était cher.

Pour l’Essaim, tout était un et un était tout. Ils ne pensaient qu’au bien du collectif, sans aucune place pour l’individualité. Cependant, je leur avais montré ce qui semblait être des manifestations d’émotion. Le fait que je pouvais verser des larmes à la mort d’Isabelle signifiait que mes émotions n’avaient pas été complètement noyées par la conscience collective.

Peut-être que j’étais après tout encore humaine. Peut-être que j’avais encore mon cœur humain. Mais en ce moment, je ne pouvais pas vraiment le dire.

« Pour l’instant, il faut perturber l’armée ennemie. Ensuite, nous pourrons commencer à les cuisiner, petit à petit. Une armée sans chaîne de commandement est aussi fragile qu’un château de sable. », avais-je dit à Sérignan.

Après cela, je m’étais retirée dans ma chambre. J’avais rampé dans mon lit, songeuse.

Pourquoi est-ce que je me bats dans ce monde ? Pourquoi est-ce que je continue à perdre les personnes qui me sont chères ? Pourquoi suis-je...

☆☆☆**

Avant que je ne m’en rende compte, j’étais de retour dans mon appartement.

« Sandalphon ? », avais-je crié.

Chaque fois que je venais ici, cette fille était là pour m’accueillir. Mais cette fois-ci…

« Mes condoléances, mais Sandalphon n’est pas présente », dit une fille tout en noir.

Si je me souvenais bien, elle s’appelait Samael. Elle s’était tournée vers moi, d’un pas léger et avec un sourire désagréable sur les lèvres. Une partie de moi avait peur de Samael, quelque chose en elle me donnait un mauvais pressentiment.

« Vous êtes sur le point de détruire un autre pays. Cela fait déjà trois, n’est-ce pas ? Vous avez beaucoup de sang sur les mains. Vous êtes une génocidaire maintenant. Je ne pense pas qu’il y ait une personne vivante qui ait tué autant d’êtres humains que vous. », dit Samael, toujours souriante.

« Oui, j’ai certainement tué beaucoup de gens. Mais je ne regrette rien. Tout meurtre que j’ai commis était nécessaire et justifié. Je n’ai commencé à tuer que lorsqu’une personne de mon camp était blessée. Je ne le regrette pas du tout. », avais-je dit.

« Alors comment appelez-vous cette sombre émotion qui couve en vous ? », demanda Samael, en traçant ma poitrine avec un doigt.

« Il y a quelque chose de noir qui se tortille ici, _________. La vérité, c’est que vous vous êtes sali les mains avec des meurtres inutiles, hein ? Votre corps ne brûle-t-il pas d’un malin désir de vengeance ? Ne tuez-vous pas des gens parce que vous voulez les voir mourir ? »

Je ne pouvais pas nier les paroles de Samael. J’essayais de me venger d’Isabelle. À sa mort, j’avais décidé d’anéantir le Royaume Papal de Frantz. J’étais sur le point de commettre un massacre pour ma satisfaction personnelle. Les flammes de mon désir de vengeance s’étaient propagées dans la conscience collective, devenant un enfer, et j’étais sur le point d’agir.

Ce que j’allais faire n’allait pas vraiment nous profiter en tant que collectif. C’était un acte cruel qui serait fait au nom de ma — et, par extension, de la conscience collective — soif de massacre.

« Allez-y et continuez à tuer. Trempez vos mains dans le sang. Laissez la volonté de l’Essaim prendre le dessus et continuez à tuer, à vous reproduire et à tuer encore plus. Détruisez tout et tout le monde. Ne laissez personne vivant sur ce continent. Rasez le Royaume Papal de Frantz, l’Union des Syndicats de l’Est, l’empire de Nyrnal… Détruisez toutes ces nations et leurs citoyens. Piétinez les pays, les villes et les gens. Débordez tout cela et obtenez votre victoire sanglante. L’Essaim le désire aussi. Ils cherchent la victoire absolue, celle où tout le monde gît écrasé sous vos pieds. Vous seule pouvez les guider. », m’avait dit Samael.

Peut-être que me submerger dans la conscience collective et éradiquer aveuglément tout ce qui se trouvait sur notre chemin était après tout la bonne solution. Ce serait plus facile de cette façon. Je n’aurais plus à ressentir quoi que ce soit. Pas de tristesse, pas de colère, rien.

« Maintenant, avancez, et commencez votre marche de massacre. Tuez, et tuez, et tuez encore. Teintez votre chemin avec encore plus de sang ! Abattez pour toujours. », dit Samael sur un ton chantant.

« L’abattage est votre mission, votre rôle et votre devoir. En tant que reine de l’Arachnée, vous enverrez des foules de gens à la mort simplement pour vos précieux insectes. Alors, tuez, tuez, et tuez encore. L’abattage est la joie de l’essaim. Et je suis sûre que vous ne pouvez pas le nier, car personne ne connaît mieux l’Essaim que vous. C’est la même chose que le jeu. Tout est identique ! Vous savez, ce jeu que vous aimez tant ? Allez-y, abandonnez-vous au collectif. »

Elle a raison. J’ai juste besoin de tuer et de continuer à tuer. Tout ce que j’ai à faire, c’est de m’abandonner à la conscience collective et de prendre la hache du bourreau.

Mais à ce moment précis, une secousse traversa mon corps.

« Silence, Samael », dit une voix digne.

« Sandalphon, c’est toi ? », lui avais-je demandé.

« Oui, c'est moi, _________ », répondit-elle, ses vêtements blancs étant pratiquement une lumière dans l’obscurité.

« Mon cœur souffre pour toi, tu es si profondément blessée. Personne ne peut comprendre ta douleur, et tu dois porter cette douleur toute seule. Tu es obligée de jouer le rôle de la reine, et tu ne peux donc pas partager ta tristesse avec quelqu’un d’autre. Même si l’Essaim devait ressentir ton chagrin, il ne saurait pas comment te réconforter. La solitude peut être très froide. Assez froide pour rendre le cœur morne et désolé. »

Sandalphon tendit la main et me l’avait gentiment tendue.

« Mais Sandalphon, je suis connectée à la conscience collective de l’Essaim. Je ne suis plus humaine. Et… J’ai tué trop de gens. Laisser le collectif me dépasser serait plus facile. Je ne peux plus supporter de perdre quelqu’un d’autre. »

Le souvenir de la mort d’Isabelle fit surface dans mon esprit, et des larmes commencèrent à couler sur mes joues. Elle avait été une pirate si courageuse et si volontaire. Nous venions à peine de nouer nos liens d’amitié, et je ne pouvais pas supporter de la perdre. J’avais déjà perdu beaucoup de personnes qui m’étaient chères, et je pouvais clairement dire que mon cœur ne pouvait pas en supporter davantage.

« Tu n’as pas besoin de laisser la volonté de l’essaim te consumer. Tu te bats parce qu’un de tes proches a été assassiné. Il est tout à fait naturel de nourrir de telles émotions, personne ne peut t’en vouloir pour cela. C’est une réaction parfaitement humaine, et c’est la preuve que ton humanité est toujours intacte. »

« Mais je… »

J’étais sur le point de massacrer d’innombrables personnes sans aucun rapport avec son meurtre.

« Ta colère est profonde. Trouver des défauts à tous ceux qui t’entourent est une réaction naturelle à la tristesse. Je dirai aussi que ces personnes ne peuvent pas être considérées comme n’ayant aucun lien de parenté. Les soldats et les inquisiteurs que tu veux tuer portent le péché de soutenir ce régime. On ne peut pas les qualifier d’âmes irréprochables. Tu ne fais que te venger d’eux. »

« Mais est-ce vraiment bien, Sandalphon… ? »

J’étais vraiment inquiète, mon esprit avait peut-être déjà fusionné avec la conscience collective. Si c’était le cas, peut-être aurait-il été préférable de m’abandonner à la volonté de l’Essaim.

« C’est le cas. La colère est une émotion humaine. Les humains sont peut-être incomplets, mais ils sont remplis d’affection pour les autres tout comme ils sont secoués par les courants de tristesse et de joie. Aucun homme vivant n’a le contrôle total de ses émotions. Si tu voulais tuer des gens sans raison, j’aurais essayé de t’en empêcher. Mais pour l’instant, tes motifs sont clairs, et c’est pourquoi je ne te dissuaderai pas. Mais n’oublie pas, _________… »

Sandalphon me regarda directement dans les yeux.

« Tu ne dois jamais oublier ton cœur humain. Ne te livre pas à un massacre inutile. Tu n’as pas encore été dépassé par le collectif, alors je veux que tu continues à protéger ton cœur. C’est absolument nécessaire. »

« Oho ? Tu es sûr de ça, Sandalphon ? Cette fille n’était-elle pas destinée à être jugée au moment où elle a pris une vie pour la première fois ? J’ai raison, n’est-ce pas ? Ou peut-être qu’au moment où elle _______, son destin était déjà scellé ? », demanda Samael de façon ludique.

« Silence, Samael. Elle possède toujours un cœur humain. C’est exactement pourquoi la situation malveillante que tu as créée lui cause tant d’angoisse. »

Sandalphon lui lança un regard glacé.

« Pour l'instant, retourne à ta place, _________. Je sauverai ton âme bien assez tôt. Tant que tu n’oublies pas ton cœur humain. »

« Attends, Sandalphon. Est-ce que c’est vraiment... »

Avant de pouvoir terminer, une sensation de chute libre me submergea. Et alors que je tombais, Sandalphon veillait sur moi avec un gentil sourire.

***

Chapitre 9 : Juste rétribution

Partie 1

Le Royaume Papal de Frantz poursuivit sans relâche sa persécution des hérétiques. L’un après l’autre, ses citoyens furent arrêtés par les inquisiteurs et mis à mort.

« C’est effrayant. Ils chassent toujours les hérétiques… »

« Une telle tragédie. J’ai l’impression que leur définition de qui est et n’est pas un hérétique devient de moins en moins claire avec le temps. »

Un jeune couple dans la capitale de Saania discutait de l’état des choses. Ils s’appelaient Gina et Frederico. Ce couple heureux était bien connu dans leur quartier pour diriger une boulangerie locale. Leur boulangerie était autrefois célèbre pour ses pains au sucre, mais il leur était interdit d’en vendre, car c’était considéré comme un luxe.

« J’ai entendu dire que M. Biliotti de la guilde des commerçants a été brûlé sur le bûcher récemment. Pour ce que nous en savons, quelqu’un pourrait nous dénoncer ensuite. »

« Ne dis pas des choses comme ça, Frederico ! Nous avons respecté chaque principe à la lettre ! »

L’anxiété et la méfiance se répandaient dans la population. Il n’y avait aucun moyen de savoir quand un autre citoyen pourrait vous dénoncer ou craquer sous la contrainte de la torture et imputer ses péchés à un autre. Comme la Russie soviétique lors de sa grande purge, le peuple ne pouvait pas faire confiance à ses voisins et était rempli de doutes. Ce couple pouvait faire confiance à l’autre, mais à personne d’autre.

« Umm, excusez-moi… »

C’est alors qu’une fille entra dans leur magasin.

« Oui ? »

« Eh bien, je suis une réfugiée du Duché de Schtraut, et je cherche un endroit pour travailler », grinça la fille.

Frederico soupira.

« Je vois. Je suis vraiment désolé d’entendre cela, mais nous ne sommes pas en état de… »

« Viens, chéri, on va l’engager. Les inquisiteurs pourraient choisir de nous ignorer si nous faisons un peu de bien. »

« Très bien, alors, mettons-nous au travail. Avez-vous de l’expérience dans une boulangerie ? », dit Frederico avec un soupir.

« Non, mais j’ai travaillé comme serveuse à Schtraut. Je suis sûre que je peux vous aider à servir les clients », répondit la jeune fille avec enthousiasme.

« Très bien, ça devrait suffire. Quel est votre nom, mademoiselle ? »

« C’est Maëlys. Maëlys Maurice. C’est un plaisir de faire votre connaissance ! »

Elle les gratifia d’une révérence rapide et polie.

« Très bien, Maëlys, j’espère que vous apprécierez votre temps de travail ici. »

« Merci. »

Ce genre d’échange agréable entre un réfugié de Schtraut et des citoyens du Royaume Papal était assez rare. La plupart des gens les évitaient, craignant que le contact avec les réfugiés ne leur cause des ennuis avec l’Inquisition. Les réfugiés craignaient également que le fait de s’impliquer inutilement avec les civils n’attire l’attention des inquisiteurs.

« Je suis vraiment impatiente de travailler avec vous ! », s’exclame Maëlys.

Ainsi, Maëlys devint une nouvelle employée dans cette petite boulangerie de Saania. La vue de cette jeune fille joyeuse et travailleuse attira de nombreux clients. La boulangerie de Frederico devint très fréquentée bien qu’elle ne soit autorisée à servir que du pain ordinaire.

Mais plus tard, cette situation ne pouvait que mener à une tragédie.

☆☆☆**

Le Conseil des Cardinaux était une assemblée régulière de tous les cardinaux du Royaume Papal de Frantz. En règle générale, le pape était également présent au Conseil, mais Benoît III était épuisé par ses fonctions et n’avait donc pas pu y assister ces derniers temps.

« À la lumière de l’attaque de Fennelia, je crains que l’envoi de notre marine à Schtraut soit maintenant effectivement impossible. Si nous ne pouvons pas mobiliser nos forces pour lutter contre les pirates, nous ne pourrons pas sécuriser les routes maritimes. Et comme vous le savez tous, le coût du strict nécessaire dans ce pays est déjà en augmentation. », dit Paris

La base navale de Fennelia avait été attaquée par la reine de l’Arachnée, qui avait réduit la ville portuaire à un tas de ruines et de corps. Cela avait porté un coup considérable à la marine de Frantz, ce qui signifiait qu’envahir les territoires de Schtraut par la mer n’était plus une option viable. De nombreux marins et officiers de la marine avaient péri, laissant sur leur passage des navires vides et sans équipage. Le nombre de navires qu’ils possédaient n’avait pas d’importance s’ils manquaient d’effectifs pour les faire fonctionner.

« Non, je crois que nous devrions continuer à attaquer Schtraut avec les forces qu’il nous reste », déclara l’un des cardinaux.

Paris se jeta sur l’autre cardinal, incrédule.

« Mais notre marine est paralysée. Essayer d’envoyer les maigres forces qui restent serait du suicide. Je suis contre cette idée. »

« Alors sommes-nous censés nous asseoir et attendre que l’ennemi vienne à nous ? Cardinal Pamphilj, j’ai peur que vous ne soyez pas assez affirmé. Ou peut-être devrions-nous interpréter cela comme un manque de foi ? »

« C’est exact. Vous êtes soupçonné d’hérésie, Cardinal Pamphilj. »

Paris était choquée. C’était son idée de persécuter les hérétiques de la nation, il ne s’attendait donc pas à ce que les lames de l’inquisition soient tournées vers lui. Il avait supposé que tous les cardinaux, y compris lui-même, étaient à l’abri de la menace de l’inquisition. Après tout, son cœur était rempli de foi.

Il avait seulement suggéré de traquer les hérétiques rien que pour montrer leur force. C’était une façon de montrer à leurs voisins que le Royaume Papal était prêt au combat et ne voulait pas se soumettre, malgré le fait que l’Empire de Nyrnal avait rejeté leur alliance et qu’ils étaient toujours menacés par la légion de monstres. Tout cela n’avait été fait que pour le spectacle.

Non… La vérité était bien plus complexe. Avec la perte de leur créancier, le duché de Schtraut, le Populat était désormais libéré de ses dettes. Cependant, cela signifiait aussi que le duché n’était plus là pour prêter de l’argent.

Alors que l’Union des Syndicats de l’Est était une nation riche, il n’osait plus prêter quoi que ce soit à Frantz après ce qui était arrivé à Schtraut. Ses marchands étaient parfaitement heureux d’être avare si cela signifiait qu’ils ne seraient pas abandonnés et dévorés par des monstres.

De plus, le Royaume Papal avait dénoncé trop souvent l’Union des Syndicat de l’Est, proclamant que la conduite de cette dernière nation était un affront à Dieu. Cela signifiait bien sûr que le peuple de l’Union des Syndicat de l’Est détestait Frantz. Tant les dirigeants du pays que ses citoyens considéraient le Royaume Papal comme un ennemi.

Pourtant, le Royaume avait un besoin urgent de fonds. Face aux menaces de l’Empire de Nyrnal et des monstres de Schtraut, leurs militaires avaient besoin d’argent. Et le clergé, qui vivait dans le luxe, avait également besoin d’un soutien financier.

C’était pourquoi Paris avait ordonné une inquisition — une inquisition qui volait la richesse de tous les citoyens riches qui ne faisaient pas partie du clergé. Ces personnes seraient condamnées comme hérétiques et brûlées sur le bûcher tandis que les inquisiteurs confisqueraient tous leurs fonds et leurs biens. De plus, l’inquisition interdisant toute forme de luxe, les dépenses du pays diminueront également.

La chasse aux hérétiques était à la fois un acte de frime pour les pays environnants et une méthode pour stabiliser l’économie du pays. Ainsi, Paris ne s’attendait pas à ce qu’on l’accuse lui-même d’hérésie. En tant que membre du clergé de haut rang, il croyait également que ses fonds seraient protégés. Après tout, cela n’avait jamais été vraiment une question de foi ou de piété, c’était une solution pratique à un problème.

« Euh, très bien… Nous allons rassembler nos forces navales restantes et envahir les anciens territoires du duché. Je suis tout à fait d’accord pour faire face à cette monstrueuse menace, je vous l’assure. »

La queue entre les jambes, Paris accepta de poursuivre l’opération pour apaiser les autres cardinaux.

« Et puisque c’est vous qui avez élaboré le plan, j’exige que nous vous en confions son exécution. Vous rédigerez l’opération et en assumerez l’entière responsabilité », déclara un cardinal.

« Je suis d’accord. J’attends beaucoup de ses efforts. Je suis sûr qu’il va mettre au point une opération formidable et chasser les insectes du duché », ajouta un autre.

Un sentiment de terreur s’était installé au creux de l’estomac de Paris. Il croyait déjà que l’utilisation de la marine pour envahir Schtraut était une cause perdue, mais les autres cardinaux ne semblaient pas le comprendre. Ils croyaient sincèrement à ce rêve impossible de victoire.

« Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour réussir, mais n’oubliez pas que la chance peut être un facteur majeur quand il s’agit de guerre. Je vous implore de ne pas l’oublier », déclara Paris, sachant qu’il risquait d’échouer.

« Comment la chance pourrait-elle jouer contre vous quand le Dieu de la Lumière est de votre côté ? Ne croyez-vous pas en sa protection, Cardinal Pamphilj ? »

L’un des cardinaux le regarda fixement.

« Eh bien, bien sûr que j’y crois. »

« Alors c’est décidé. Nous attendons de bonnes nouvelles, Cardinal. »

L’angoisse lui brûlant encore les tripes, Paris retourna docilement à son bureau.

« Je suis la main droite du pape, et pourtant même moi je suis menacé par l’inquisition !? Ce n’est pas bien ! Tout cela est mal ! Je ne peux pas être un hérétique ! J’ai tout donné au Dieu de la Lumière ! Comment pourrais-je être un traître à la foi !? », cria-t-il en claquant son poing contre son bureau.

Il avait fait tout cela pour assurer la richesse de la nation et améliorer les relations internationales. L’idée qu’il puisse être considéré comme un hérétique était absurde. Cette inquisition se transformait en quelque chose de trop différent de ce qu’il avait prévu à l’origine.

L’inquisition initiale qui avait eu lieu pendant l’âge des ténèbres de Frantz avait été menée pour contraindre à la foi dans le Dieu de la Lumière. Celle-ci était différente, ce n’était que la mise en scène d’une pièce politique avec un domaine plus vaste. Il se trouvait qu’elle avait également contribué à réduire la population de Frantz, alors que celle-ci devenait un peu trop importante.

Les réfugiés et les marchands de Schtraut, chassés de l’Union des Syndicats de l’Est, se réfugièrent en grand nombre dans le Royaume, ce qui en fit plus un bazar qu’un centre religieux. Paris avait proposé l’inquisition dans l’espoir que la réputation de Frantz se détériorerait, ce qui le rendrait beaucoup moins attrayant en tant que sanctuaire. Cependant, il n’avait jamais prévu que cela allait aussi le mordre en retour.

« C’est ça… Je n’ai pas le choix. »

Paris tendit la main et fit sonner une cloche sur son bureau.

Aussitôt, une nonne entra dans la pièce.

« Qu’y a-t-il, Votre Éminence ? »

« Appelez le chef de la Division de la Recherche Mystique. Dites-lui que c’est urgent. »

Une demi-heure plus tard, cet homme arriva au bureau de Paris.

« J’ai entendu dire qu’il y avait peut-être des affaires urgentes à régler, Votre Éminence. Qu’est-ce qui peut bien peser si lourdement sur vos épaules ? »

« Je veux que vous enquêtiez sur le Seigneur Bernardelli, le responsable du Département de la Répression. Cherchez un scandale… n’importe quel scandale que vous pourrez trouver. Même s’il est mineur. En fait, oubliez ça. Trouvez quelque chose de gros. Je dois le faire tomber de son poste actuel. »

« Votre Éminence, est-ce une demande personnelle ? »

Le Département de la Répression était l’organisation chargée de soutenir l’inquisition.

« Je demande cela au nom du Dieu de la Lumière et pour le bien de Sa Sainteté le Pape Benoît III. J’ai reçu des informations par mes canaux personnels selon lesquelles le Seigneur Bernardelli utilise l’inquisition pour mener des activités de corruption dans notre dos. Mes informateurs me disent qu’il détourne les avoirs de ceux qui sont punis. », répondit Paris.

« Je vois. Un crime grave en effet, et il doit être arrêté. »

Le chef de la Division de la Recherche Mystique inclina la tête.

« Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour enquêter sur cette affaire. »

En bref, Paris ordonnait à cet homme d’inventer une histoire qui inculperait Bernardelli pour corruption. Depuis qu’il avait lui-même été soupçonné, Paris avait perdu confiance dans l’inquisition et faisait tout ce qu’il pouvait pour éviter de se retrouver sur le bûcher. Au fond, ce n’était qu’un lâche ultime.

« Nous allons donc commencer tout de suite. Il ne faudra pas plus de trois ou quatre semaines pour que notre enquête porte ses fruits. »

« Excellent. Vous pouvez y aller. »

Paris estima qu’il pouvait maintenant se reposer. Si les inquisiteurs devaient perdre leur autorité, sa position de cardinal, sans parler de sa vie, serait assurée.

« Je devrais faire une dernière tentative, juste pour être sûr », songeait-il à voix haute.

Il fit ensuite appel à un deuxième invité : le Seigneur Bernardelli.

***

Partie 2

Six mois s’étaient écoulés depuis que Maëlys avait commencé à travailler dans la boulangerie de Gina et Frederico, et elle était désormais pratiquement de la famille pour eux. Elle travaillait de son mieux, servant toujours leurs clients avec un sourire éclatant, ce qui faisait des merveilles pour éclairer ces temps sombres de tous ceux qui le voyaient. Grâce à cela, elle était devenue une sorte de célébrité locale.

Un jour, Frederico découvrit que Maëlys écrivait une lettre avec passion.

« Qu’est-ce que tu écris là, Maëlys ? »

« Oh, une lettre à mes parents. Ils sont dans un camp de réfugiés près de la frontière. »

« Je ne savais pas que tu savais lire et écrire. C’est impressionnant. »

« Le prêtre de l’église près de chez moi m’a appris, mais je ne sais que peu de choses. »

Le taux d’alphabétisation dans ce monde était assez faible. Quel que soit le pays, la plupart des gens ne savaient lire que ce qui était absolument essentiel pour leur vie quotidienne.

« Que leur dis-tu ? »

« À quel point c’est agréable de travailler dans ta boulangerie ! À vrai dire, j’étais la seule à avoir obtenu un permis de sortie du camp de réfugiés, alors je suis venue ici toute seule. J’ai pensé que mes parents pourraient s’inquiéter pour moi. »

Le Royaume Papal acceptait les réfugiés de Schtraut sous l’ordre du Pape Benoît III, mais le nombre de personnes autorisées à entrer dans le pays était limité. Les autorités craignaient que si trop de réfugiés affluaient dans le pays, ils risquent de troubler l’ordre public ou de fournir une couverture aux ennemis qui se faufilaient. En effet, les réfugiés qui ne pouvaient pas trouver d’emploi devaient souvent recourir à la petite délinquance pour survivre. C’était pourquoi le Royaume Papal se montrait prudent quant au nombre de personnes qu’il était prêt à laisser entrer.

Une fois que le Royaume avait été bombardé de demandes de familles cherchant à entrer dans le pays, il avait permis à un membre de la famille de traverser la frontière. Ainsi, de nombreux réfugiés qui arrivaient à Frantz devaient vivre loin de leurs proches.

« Maëlys a écrit des lettres tous les jours. N’as-tu pas remarqué ? », demanda Gina.

« Vraiment ? Je n’en avais aucune idée. »

En fait, la quasi-totalité du modeste salaire de Maëlys était consacrée aux envois de fonds et aux frais postaux.

« Tu sais quoi ? Nous allons payer tes frais postaux à partir de maintenant. Il est normal que tu t’inquiètes pour ta famille dans ces circonstances. Les affaires sont florissantes grâce à toi, c’est donc le moins que l’on puisse faire. »

« Quoi ? Non ! Je ne voudrais pas vous demander une chose pareille ! Cela reste mon problème… »

« Oh, chut. Tu fais partie de notre famille maintenant, Maëlys. »

Même dans ce monde sauvage, les gens s’étaient tendus les uns aux autres, remplis de gentillesse et de sympathie.

« Excusez-moi. »

Leur conversation avait été interrompue par quelqu’un à l’avant de la boulangerie.

« Oui ? Je suis désolé, mais nous sommes déjà fermés pour la journée », dit Frederico, se tournant vers leur client.

« Oh, je vois. Et moi qui venais d’entendre que les pains au sucre que vous vendez sont à mourir. »

Une jeune fille de 14 ans se tenait là, accompagnée d’une femme chevalier portant une armure complète. Elles regardaient les pâtisseries exposées avec une expression amère.

« Oh, mes excuses. Nous ne servons plus de petits pains au sucre. C’est considéré comme une hérésie. »

La langue de Frederico s’aigrit sur le mot « hérésie », comme s’il ne pouvait pas supporter de le sortir.

« Les pâtisseries sont une hérésie maintenant ? Eh bien, qu’est-ce que cela signifie ? Que devient ce monde ? », répondit la jeune fille, un petit sourire aux lèvres.

« Au fait, est-ce que cette petite dame est votre fille ? Hmm, peut-être pas, à en juger par la couleur de vos cheveux… »

« Non, Maëlys est une employée ici. Mais elle est comme une fille pour nous », répondit chaleureusement Frederico.

« Oh, très bien, alors. Puisque vous ne vendez pas ces petits pains, je suppose que je suis venue ici pour rien. On s’en va, Sérignan. »

Sur ce, les deux femmes quittèrent la boulangerie.

« L’inquisition fait vraiment un malheur dans ce pays, hein ? »

« Il semblerait, Votre Majesté. »

Ceux qui avaient visité la boulangerie de Frederico n’étaient autres que Grevillea, la reine de l’Arachnée, et son fidèle chevalier, Sérignan.

« Ils exécutent leurs propres sujets en grand nombre. À ce rythme, le pays tout entier va s’effondrer de lui-même, même si nous nous contentons de nous défouler et de regarder. Ce n’est pas comme si c’était ce que je voulais faire. »

Grevillea jeta un long regard sur la capitale.

« Saania est vraiment jolie. La détruire me fait presque de la peine. Mais nous allons la démolir complètement, car nous sommes l’Arachnée. »

La reine se retourna et laissa Saania derrière elle. Et pendant qu’elle parcourait le territoire ennemi, les choses commencèrent également à bouger dans les territoires de Schtraut.

☆☆☆**

« Donc, l’ennemi va lancer une attaque sur nos côtes avec ce qu’il reste de leur marine ? », demanda Roland.

« C’est essentiellement ça », dit Lysa.

Il poussa alors un gémissement.

« Je suppose que les pirates n’ont pas pu les retenir complètement. »

« Sa Majesté dit que leurs chances de réussir une invasion sont minces maintenant qu’on s’est débarrassé d’une partie d’entre eux ! »

Lysa faisait de son mieux pour paraître encourageante.

« Je vois. Je suis sûr que c’est plus un geste politique qu’autre chose. »

Il s’arrêta pour prendre quelques informations de la reine à travers la conscience collective.

« Oh, mon Dieu, notre reine peut être cruelle parfois. »

Seule l’Arachnée savait que la moitié des membres du Conseil des cardinaux étaient actuellement contrôlés par des Essaims Parasites. La reine avait utilisé les cardinaux infectés pour tendre un piège à Paris Pamphilj. Paris avait accepté à la hâte de procéder à l’opération de débarquement, bien que ni le général des forces terrestres ni l’amiral de la marine n’aient cru que c’était une bonne idée. Ils avaient peu de navires déployés en mer, et beaucoup de membres d’équipage survivants étaient terrifiés par les monstres et refusaient de participer à la mission.

La nouvelle du massacre de Fennelia se répandit, et les marins furent terriblement secoués par tout cela. La vue des restes démembrés et des flaques de chair leur avait causé des vomissements et des frémissements sans fin. Ils ne pouvaient pas imaginer quel genre d’ennemi pouvait faire cela à des êtres humains.

Néanmoins, Paris était sur le point de procéder à l’opération navale. Il sacrifiait volontiers leurs soldats et leurs marins afin de préserver son honneur et sa peau.

« Quel est notre objectif ? », demanda Lysa.

« Nous devons intercepter l’ennemi. Les forces de Frantz prévoient de jeter l’ancre dans la vieille capitale, Doris. Ils savent que leur marine n’est pas assez forte pour envahir tout Schtraut, alors ils vont essayer de reprendre seulement la capitale. Au moins, ils espèrent une victoire symbolique. »

L’ennemi avait les yeux rivés sur Doris, qui se trouvait être précisément l’endroit où Lysa et Roland avaient cette conversation.

« Sa Majesté est occupée par sa mission d’éclaireuse, il nous incombe donc de nous occuper des choses ici », ajouta-t-il.

« C’est une bonne chose que nous puissions compter sur les ordres de Sa Majesté. Tant que nous les suivons, c’est dans la poche. »

En ce moment, leur reine observait les mouvements de l’ennemi de l’intérieur. Le groupe de Roland avait été laissé pour garder Schtraut et gérer l’invasion arrivant.

« Si nous continuons ainsi, je plains l’ennemi. »

« Oui, mais ils le méritent. Même si ce sont des soldats pitoyables qui participent à une opération sans espoir », dit Lysa.

En cas de succès, le plan de la reine porterait un coup fatal à l’ennemi.

« Tu as raison. Quiconque s’oppose à l’Arachnée mérite de souffrir. Et honnêtement, l’idée de voir les hommes de Frantz déboulant dans ma patrie comme s’ils en étaient les propriétaires m’irrite vraiment. »

Frantz avait promis d’aider le duché de Schtraut, mais il l’avait seulement trahi à la place. L’idée de ces renégats qui entraient à Schtraut ennuyait beaucoup Roland. C’était comme s’ils tenaient enfin leur promesse au duché… mais bien trop tard.

« Donnons-leur tout ce qu’on a, Roland ! » dit Lysa en riant.

« Oui. Au nom de Sa Majesté. »

Peu après, les Essaims Mascarades cachés à Frantz signalèrent que la flotte du Royaume avait enfin pris la mer. Le voyage de la base navale de Frantz à Doris prendrait environ deux jours. Dans ce laps de temps, Roland et Lysa allaient faire leurs préparatifs pour l’opération à venir…

Et cette opération reposait sur le lancement d’une nouvelle unité que l’Arachnée avait secrètement débloquée.

☆☆☆**

À ce moment précis, la marine du Royaume Papal naviguait vers Doris, capitale de l’ancien duché de Schtraut. Frantz avait déployé ses précieux grands navires de transport, qui transportaient une force de 5 000 hommes. Si les choses se passaient comme ils l’espéraient, cette armée serait suffisamment importante pour reprendre Doris.

La reine de l’Arachnée s’était moquée de cette idée. Non seulement l’ennemi n’avait envoyé que 5 000 hommes, mais ils portaient des armes légères et des armures légères. Avec de tels armements, ils seraient massacrés par une force encore moindre d’Essaims Éventreurs. À part cela, les soldats n’avaient aucune idée du piège qui leur avait été tendu à Doris.

« Ça semble clair jusqu’ici, monsieur ! À ce rythme, nous devrions pouvoir effectuer un débarquement sans incident. », rapporta un des marins.

« Mais nous ne devons pas être négligents. On ne sait pas ce qui pourrait arriver, étant donné que l’ennemi nous est pratiquement inconnu. », répondit l’amiral de la flotte.

Il avait vu le massacre de Fennelia ainsi que la manière dont les citoyens et les soldats avaient été mis en pièces ou fondus dans des flaques d’eau charnue. Par conséquent, l’amiral savait que les ennemis auxquels ils étaient confrontés dépassaient l’entendement humain.

La puanteur nauséabonde. La vue des gens dissous dans un liquide. Les cris et les pleurs des gens qui suppliaient d’être épargnés. C’était un cauchemar. Ils étaient maintenant confrontés à la véritable peur, la peur de cette terreur incarnée, capable de massacrer sans discernement.

L’amiral ne savait pas comment il avait survécu au massacre de Fennelia, mais il allait bientôt apprendre une simple vérité : on ne pouvait pas échapper aux griffes de la sinistre faucheuse.

« Mais monsieur, l’ennemi n’a pas de marine. Ils ne peuvent pas nous faire de mal tant que nous n’avons pas débarqué. »

« Et bien qu’ils n’aient pas de marine, ils ont détruit Fennelia. »

Regardant son subordonné, l’amiral secoua la tête.

Leur ennemi était peut-être une légion de monstres, mais ces monstres étaient toujours capables d’utiliser des navires. S’ils allaient au combat sans tenir compte de cette mise en garde, ils subiraient sûrement un coup terrible.

« Matelot ! Des signes de troubles proches !? »

« Oui, monsieur ! Je peux voir un certain nombre de petits vaisseaux flottant près de notre point de débarquement ! »

« Des petits bateaux, vous dites… ? »

« L’ennemi les a peut-être utilisés pour attaquer Doris. Peut-être qu’ils sont devenus désespérés et ont pensé à les utiliser pour nous barrer la route. »

« C’est la seule chose à laquelle je pense aussi. Ces petits vaisseaux ne peuvent rien nous faire d’autre. »

Aussi terrifiants que soient les monstres eux-mêmes, ils ne pourraient pas arrêter la fière marine de Frantz avec des bateaux si petits qu’ils pourraient pratiquement être repoussés. Même s’il y avait des monstres cachés à l’intérieur, ils couleraient une fois que les navires de la flotte les auraient percutés. Du moins, c’est ce que croyait l’équipage de la marine.

Mais quand l’un des navires du Royaume Papal heurta un petit bateau, une forte explosion éclata sur l’eau alors que le bateau explosait. Le grand bateau qui avait été pris dans l’explosion commença à couler. En coulant, le bateau derrière lui entra en collision, endommagea sa quille et commença à couler lui aussi.

Mais ce petit bateau ne fut pas le seul à exploser, les autres commencèrent à éclater un par un, et malgré les tentatives des marins pour les éviter, les grands navires subirent de graves dommages. Les ondes de choc envoyèrent les hommes par-dessus bord. Alors que les flammes envahissaient la surface de l’eau, les hommes qui se noyaient sombraient, implorant de l’aide.

« Qu’est-ce que cela signifie ? Que diable se passe-t-il ici ? ! », s’exclama l’amiral alors qu’il se dirigeait vers les navires en perdition.

Ils étaient actuellement attaqués par les unités flambant neuves de l’Arachnée : les Essaims Incendiaires. Un Essaim Incendiaire possédait deux capacités. Premièrement, il pouvait répandre un gaz à haute température sur l’ennemi. L’attaque était puissante, mais ses dégâts par seconde étaient faibles. Si un joueur d’Arachnée n’était pas prudent, ses Essaims Incendiaires pouvaient être tués avant de pouvoir vaincre l’ennemi.

Deuxièmement, cet Essaim pourrait s’autodétruire. Il partageait cette capacité avec l’Essaim Mascarade mais la dépassait de loin en termes de puissance de feu. Une seule unité pouvait facilement détruire les fortifications défensives d’un ennemi.

C’était l’unité que la Reine Grevillea avait préparée pour cette bataille. Les Essaims Incendiaires avaient été utilisés comme mines pour empêcher la flotte ennemie de débarquer. Ce type d’action n’était pas disponible dans le jeu, mais Grevillea l’avait improvisé pour une stratégie réelle.

Si cela signifiait que tous ces Essaims seraient sacrifiés, l’autodestruction était au départ une partie inhérente de leur valeur. Leur retirer ce qu’ils faisaient de mieux serait la pire insulte imaginable. C’était pourquoi elle avait choisi de leur donner cette chance de montrer leur valeur comme un dernier cadeau d’adieu.

« La moitié des navires ennemis ont coulé », dit Roland en regardant les Essaims Incendiaires faire des ravages dans la marine de Frantz.

Les rivages de Doris étaient l’image même de l’enfer. Peu importe où l’on regardait, les navires coulaient, brûlaient et entraient en collision avec d’autres navires. La flotte navale avait maintenant moitié moins de son effectif d’origine.

« On dirait qu’ils vont encore essayer de débarquer. Ils mettent les bateaux à l’eau », dit Lysa, dont les yeux perçants captaient chaque mouvement de l’ennemi.

« En effet. Ces imbéciles ont toujours l’intention d’aller jusqu’au bout. Sommes-nous prêts à les repousser, Mlle Lysa ? », remarqua Roland tout en regardant à travers ses jumelles.

« Oui. »

La jeune elfe avait déjà une flèche flamboyante placée sur son arc, et elle visait les bateaux ennemis.

« Alors, ouvre le feu. »

« Compris, Roland ! » dit Lysa tout en lâchant la flèche.

Sa flèche toucha le premier bateau, qui prit feu presque immédiatement. Les marins à bord s’étaient empressés de prendre de l’eau et d’éteindre le feu, mais ils avaient été rapidement et sans cérémonie tués par Lysa. En un rien de temps, le bateau brûla et coula dans l’eau.

Depuis qu’elle était devenue un Essaim, Lysa s’était nettement améliorée dans son art du tir. Elle pouvait facilement tirer les ficelles d’arcs de la taille d’une ballerine. Elle était aussi capable de tirer des flèches massives en séries de trois, tuant trois cibles à chaque tir.

La marine de Frantz, déjà bien en vue, fut ensuite assaillie par un barrage de dards provenant des Essaims Toxiques. Les troupes en armures légères avaient été facilement transpercées par les projectiles, et elles fondirent en flaques de chair fondue.

« Je m’occupe de tous ceux que toi et les Essaims Toxiques ne tuez pas », déclara Roland à Lysa.

L’opération d’accostage s’était poursuivie même sous un feu nourri. Maintenant que la chaîne de commandement s’était effondrée, il n’y avait plus personne pour annuler l’attaque. Mais tous les marins qui débarquèrent sur les côtes de Doris furent interceptés par Roland et une force d’Essaims Éventreurs. Les marins n’étaient pas de taille, l’épée de Roland avait rapidement réduit les troupes.

« Aaaaaaah ! »

Roland, lui aussi, était devenu plus fort après être devenu un Essaim. Ses frappes tranchantes coupaient les marins ennemis en deux, et même lorsqu’ils essayaient de riposter, il esquivait facilement leurs coups et les battait. Les hommes de Frantz tombèrent morts les uns après les autres, leurs cadavres jonchant les côtes de Doris. En peu de temps, la force de débarquement de 5 000 hommes fut réduite à une poignée de survivants. De retour à la mer, ils avaient pointé leurs armes dans toutes les directions, incapables de se rendre.

« Si vous abhorrez cette tournure des événements, blâmez celui qui vous a ordonné de vous lancer dans cette bataille sans issue », dit froidement Roland. Une fraction de seconde plus tard, lui et les Essaims Éventreurs les achevèrent.

Ainsi, la bataille prit fin. L’amiral, qui avait compté ses bénédictions pour avoir échappé à la mort, somnolait maintenant au sein de la mer.

« Nous avons fini de ce côté, Roland », rapporta Lysa.

« Oui… Je crois qu’ils ont appris leur leçon, bien que de la manière la plus dure. »

L’attaque de la marine de Frantz s’était soldée par un échec total. Naturellement, c’est Paris qui devra en répondre… mais il avait déjà pris des mesures pour se soustraire à cette responsabilité.

***

Partie 3

« Cardinal Pamphilj ! Comment comptez-vous expier cette écrasante défaite !? »

Lors du prochain Conseil des cardinaux, les autres cardinaux exigèrent que Paris assume la responsabilité de l’échec de l’opération de débarquement.

« Je ne crois pas que je sois en faute ici. Mon plan était parfait. Il n’a échoué que parce que quelqu’un a divulgué les détails à une force extérieure. En d’autres termes, ce qui a scellé le destin de la marine, c’est l’espionnage. », dit Paris sans ambages.

Paris tourna alors son regard vers le Seigneur Bernardelli, chef du Département des punitions, et fit parler l’homme.

« Selon nos informations, un espion s’est infiltré à Saania. Il a envoyé des lettres à la frontière, divulguant chaque jour des informations sur nos procédures internes. Nous enquêtons actuellement sur l’affaire, mais il ne fait aucun doute qu’il s’agit de l’œuvre d’un hérétique. », expliqua Lord Bernardelli.

« Voilà, vous l’avez. Le problème vient du Département des punitions, qui n’a pas réussi à découvrir l’espion. De plus, j’ai la preuve que le Seigneur Bernardelli s’appropriait des biens et des fonds confisqués par les enquêteurs. J’ai chargé la Division de la Recherche Mystique d’enquêter sur cette affaire, leur rapport est ici pour que vous le lisiez. »

Paris claqua des doigts, après quoi quelques religieuses entrèrent dans la salle et distribuèrent des documents aux autres cardinaux.

« Quoi !? Seigneur Bernardelli, vous avez pris autant d’argent de l’inquisition ? ! », s’écria l’un des cardinaux, incrédule.

« N-Non ! Je n’ai pas fait ça ! C’est de la diffamation ! », dit le Seigneur Bernardelli alors qu’il rétrécissait par surprise.

« Maintenant que je suis sûr que la cause de notre défaite est claire pour vous, je dois vous rappeler que je ne suis pas à blâmer. », dit Paris, souriant avec satisfaction.

« Seigneur Bernardelli, avez-vous découvert l’identité de l’espion ? ! »

« Oui ! Oui, bien sûr ! Nous, au Département des punitions, somment de fervents croyants en Dieu de la Lumière, et grâce à ses conseils, nous avons trouvé l’espion. Cet hérétique est la cause de tous nos problèmes ! »

« Alors le Cardinal Pamphilj n’a pas à être tenu responsable de ce fiasco ? »

« Non, Cardinal. L’échec de la marine n’est pas de ma faute », affirma Paris.

Il espérait désespérément échapper à la punition.

« Nous devons brûler cet espion et le faire payer pour ses péchés. Après cela, nous devons nous préparer pour notre prochaine bataille. Malheureusement, l’ennemi s’est renforcé et notre flotte a été détruite. Un autre assaut maritime sera impossible, nous devrons donc organiser une invasion terrestre. Des objections ? »

Les autres cardinaux secouèrent amèrement la tête.

« Nous enquêterons sur le détournement de fonds du Seigneur Bernardelli à une date ultérieure », déclara l’un d’entre eux.

« Je n’ai rien fait de tel ! », protesta le Seigneur Bernardelli.

« Allons, allons. Je crois que nous pouvons ajourner ce conseil. Nous devons nous unir dans notre lutte pour la victoire. Pour l’instant, nous allons exécuter l’espion. Et jusqu’à ce que nous puissions déterminer dans quelle mesure les accusations portées contre le Seigneur Bernardelli sont vraies, nous suspendrons toutes les autres activités concernant l’inquisition. », dit Paris en remuant un doigt.

Ainsi, Paris échappa à la responsabilité de ses actes. Tout le blâme avait été imputé au Seigneur Bernardelli et à l’espion présumé. Inévitablement, cependant, les choses ne s’étaient pas terminées aussi facilement…

☆☆☆**

Sur la place principale de Saania, l’inquisition punissait un accusé hérétique.

« Cet hérétique a conspiré avec un ennemi de la foi, nous mettant tous en danger ! Elle paiera pour ses péchés comme elle est purgée dans les feux de la colère de Dieu ! »

C’était ce qu’avaient déclaré les inquisiteurs en robe blanche en traînant leur victime au grand jour.

« Vous avez tort ! Je ne suis pas une hérétique ! Je crois au Dieu de la Lumière ! »

Celui qui fut condamné pour hérésie n’était autre que la jeune Maëlys. Ses mains étaient enchaînées et ses vêtements avaient été arrachés. Elle était forcée de trébucher nue sur le bûcher au centre de la place.

« Attendez ! Vous vous trompez ! Elle n’a écrit que des lettres à sa famille ! », s’écria Frederico en signe de protestation.

« C’est vrai ! Ce n’est pas une hérétique ! », cria Gina.

Ils savaient que ses lettres étaient envoyées à ses parents dans le camp de réfugiés près de la frontière, et ils étaient donc convaincus que ces accusations étaient fausses.

« Taisez-vous, ou vous serez également jugés pour hérésie ! » leur aboya un inquisiteur.

« Ngh… »

Frederico fit un pas en arrière.

Une foule de gens s’était rassemblée autour de la place, chacun s’interrogeant également sur l’exécution imminente.

« Cette douce fille est-elle vraiment une espionne… ? »

« Par quel moyen un employé de boulangerie peut-il avoir accès à des secrets militaires ? »

Tous en étaient venus à douter les uns des autres, et comme la définition de qui méritait d’être exécuté devenait de plus en plus vague, ils avaient commencé à craindre et à soupçonner l’inquisition dans son ensemble.

Pendant ce temps, leurs amis, leurs voisins et les membres de leur famille étaient brûlés sur le bûcher. Est-ce vraiment bien ? Est-ce que les choses devraient être ainsi ?commencèrent-ils à se demander...

« Silence ! Vous tous, silence ! Nous allons maintenant exécuter l’hérétique ! » cria un inquisiteur, mettant fin aux murmures et aux chuchotements.

Il sortit alors une lame tranchante.

« Non ! Nooon ! », cria Maëlys.

« Nous allons mettre à nu votre vraie nature, votre nature corrompue, pour que tout le monde puisse la voir, hérétique ! »

Tenant Maëlys au sol alors qu’elle luttait pour échapper à ses liens, l’inquisiteur lui arracha la peau. D’épaisses gouttes de sang s’étaient déversées sur le sol, s’imbibant dans la terre. L’inquisiteur avait alors mis sa main dans la blessure et commença à arracher de force sa peau par la déchirure.

« Aaah, ça fait mal, ça fait mal, aaAahHh ! »

Les hurlements agonisants et animaliers de Maëlys résonnaient sur toute la place.

« C’est la vraie nature de cet hérétique ! », dit l’inquisiteur alors que sa chair rouge vif était exposée.

« Arrêtez ça ! C’est horrible… ! », cria Frederico tandis que Gina sanglotait ouvertement à côté de lui.

« Nous allons maintenant mettre cet hérétique au bûcher ! »

L’inquisiteur commença à attacher Maëlys à un pilier. Il y avait des broussailles sèches empilées à sa base pour fournir du bois d’allumage.

« Allumez le feu ! »

Sur ordre de l’inquisiteur, le bois d’allumage fut allumé.

« Aaaah, c’est chaud ! Ça brûle ! Ça brûle ! À l’aide ! Mère… ! Pèèèèère ! »

Les flammes s’étaient abattues sur la petite forme de Maëlys, brûlant sa chair et la rapprochant de la mort. Au début, elle lutta pour respirer, puis son corps fit pousser des cloques qui gonflèrent et éclatèrent. Ses sens la quittèrent progressivement alors que sa conscience s’évanouissait.

Il fallut trente minutes à Maëlys pour mourir, et elle en souffrit chaque seconde.

« Ceci conclut l’exécution ! Vous tous, continuez à adorer le Dieu de la Lumière ! »

Sur ce, l’inquisiteur s’éloigna, laissant le cadavre brûlé de Maëlys sur le bûcher. Les citoyens n’avaient même pas été autorisés à descendre son corps et à la pleurer. Cela compterait comme une aide à un hérétique, marquant le coupable comme la prochaine cible de l’inquisition. Ainsi, les restes de Maëlys seraient laissés aux corbeaux et aux chiens sauvages jusqu’au moment de l’exécution de quelqu’un d’autre, comme pour dire que c’était une punition appropriée pour un hérétique.

« Maëlys… », murmura Frederico.

« Horrible… C’est trop affreux… », dit Gina, des larmes coulant encore sur ses joues.

Ils se tenaient tous les deux devant le corps de Maëlys, en pleurs.

Mais ce jour-là, l’inquisition s’arrêta soudainement, et la prochaine exécution n’eut pas lieu. Si les citoyens de Frantz ne le savaient pas à l’époque, c’était parce que le Département des punitions avait sombré dans le chaos.

☆☆☆**

« Je n’ai rien détourné ! Tous les objets et les fonds confisqués ont été placés dans le Trésor public », déclara Bernardelli, chef du département des Punitions.

Il avait été conduit dans une salle d’interrogatoire, et maintenant l’interrogatoire avait lieu.

« Assez de vos mensonges ! Nous avons des preuves ici ! Au total, cinq millions d’istas ont disparu ! Qui aurait pu prendre cette somme si ce n’est l’inquisition !? »

Un officier d’interrogatoire de la Division des Recherches Mystiques était chargé de confronter. L’affaire du détournement de Bernardelli était en fait un problème majeur pour le Royaume Papal. Les membres de la Division des Recherches Mystiques avaient découvert que les fonds du trésor national ne correspondaient pas aux registres de ce qui avait été confisqué aux hérétiques, et ils en avaient donc conclu que quelqu’un ayant accès aux coffres devait avoir détourné les biens perdus. Bernardelli nia fermement toute implication, affirmant que ses enquêteurs n’avaient rien fait de tel.

Son démenti n’était que naturel, les documents utilisés comme preuve contre lui avaient tous été fabriqués par la Division de la Recherche Mystique elle-même. L’organisation avait modifié les documents pour répertorier plus de richesses que celles qui avaient été confisquées aux hérétiques. Ce faisant, ils donnèrent l’impression que quelqu’un détournait ces fonds.

« Quelle obstination ! Peut-être devrions-nous demander à l’inquisition d’organiser un procès contre vous ensuite ? »

« N-Non ! »

Bernardelli savait très bien à quel point l’inquisition était terrifiante. Après tout, c’était sur ses ordres que tant de personnes avaient été écorchées vives et brûlées sur le bûcher. Leurs cris douloureux et leurs restes horribles étaient vivants dans sa mémoire. Il n’allait en aucun cas laisser cela lui arriver.

« Bien, alors je vous le demande une fois de plus. Avez-vous détourné ces fonds ? »

« Non, bien sûr que non ! Mais s’il y a le moindre soupçon, je quitterai mon poste immédiatement ! » répondit Bernardelli, paniqué.

« Vous insistez donc sur votre innocence… Très bien. Alors, prenez votre retraite. Vous avez fait quelque chose d’impardonnable, mais si vous êtes prêt à vous repentir, le Dieu de la Lumière vous montrera sa miséricorde. »

Le visage de l’officier chargé de l’interrogatoire s’était brisé en un mince sourire serpentin.

Après cela, Bernardelli avait été libéré. Plus tard dans la journée, il remit une lettre de démission, renonçant à son rôle de chef du département des Punitions. Son successeur n’était, bien sûr, nul autre que Paris Pamphilj.

Paris avait organisé tout cela pour s’assurer qu’il ne serait plus jamais acculé. Il n’avait plus à craindre d’être brûlé sur le bûcher, et maintenant tous ceux qui l’avaient menacé allaient continuer à le craindre.

« Avec cela, l’inquisition ne peut être retournée contre moi », dit Paris triomphalement, assis dans son bureau. Il poussa alors un soupir de soulagement.

Mais il avait oublié que l’inquisition n’était pas sa seule menace. L’Arachnée était toujours là. Alors que Paris avait été la vedette de sa propre farce, l’Arachnée se préparait à la guerre. Il ne faudra pas longtemps avant que le pouvoir terrifiant de la faction se déchaîne.

Et quand ce moment arrivera, le Royaume Papal de Frantz sera effacé de la face du monde. Tout comme le royaume de Maluk et le duché de Schtraut avant lui.

Le compte à rebours menant à la disparition de Frantz s’était irrémédiablement mis en marche.

***

Chapitre 10 : Attaque préventive

Partie 1

L’assaut naval s’étant soldé par un échec, le seul choix qui restait à Frantz était de marcher sur Schtraut avec des forces terrestres. Le Royaume Papal disposait d’une armée de 250 000 hommes, y compris les forces alliées, et il prévoyait de les envoyer tous au combat.

« Ils arrivent », avais-je dit, debout sur la base d’opérations avancée que nous avions construite entre les deux pays.

« Mais nous venons de les contrecarrer il n’y a pas si longtemps », souligna Lysa.

« Ils vont faire venir l’armée alliée cette fois, celle qu’ils ont rassemblée pendant le Conseil international. Ils ont un total de deux cent cinquante mille hommes, cavalerie et infanterie. En fait, on pourrait dire que toute leur armée est construite autour de leur infanterie lourde. L’ennemi apprend, et ils réalisent qu’il est inutile d’utiliser des troupes légèrement blindées contre nous. »

En d’autres termes, l’ennemi avait aussi amélioré ses unités. Ils avaient renforcé leurs forces avec des fantassins lourds comme contre-mesure aux Essaims Éventreurs. Les Essaims Éventreurs étaient destinés aux premiers rushes, et ils avaient du mal à faire face aux unités plus avancées. Ils ne pouvaient pas pénétrer les blindages de l’ennemi et étaient facilement battus par des armes plus fortes et plus puissantes.

« Pouvons-nous les maîtriser, Votre Majesté ? » demanda Lysa.

« Nous nous en sortirons. Je pensais que cela arriverait, et c’est pourquoi j’ai amélioré nos unités. Ces nouvelles unités prendront l’avant-garde au lieu des Essaims Éventreurs, qui seront relégués aux patrouilles et à la reconnaissance. »

Les ruées des Essaims Éventreurs n’étaient viables que pour une courte partie du jeu. Les Essaims eux-mêmes étaient faciles à produire en masse, mais en échange, ils étaient quelque peu fragiles. J’avais donc fait une petite mise à niveau. Grâce au temps que nous avions passé à combattre Maluk et Schtraut et à coopérer avec les pirates, nous avions eu tout le temps nécessaire pour débloquer lesdites unités et plus qu’assez de viande pour leur production.

« D’abord, nous allons écraser l’offensive de l’ennemi. Nos murs ne sont pas aussi solides qu’ils en ont l’air, et ils seront capables de percer s’ils sortent des armes de siège. Mais les murs ne sont là que pour les retarder, une fois qu’ils auront percé, la vraie bataille commencera. »

Les combats contre les murs ne devraient pas prendre trop de temps. S’ils avaient amené 250 000 soldats, ils auraient détruit nos défenses en un rien de temps. Avec les murs sur leur chemin, nous pourrions gagner du temps, localiser leur point d’invasion et y concentrer nos forces.

« Malheureusement, nos unités améliorées ne sont pas aussi rapides que les Essaims Éventreurs, donc utiliser les murs pour repousser l’ennemi est un must. Nous pouvons aussi les réduire avec les Essaims Toxiques. »

J’avais des Essaims Toxiques stationnés dans les tours à Globe Oculaire pour qu’ils puissent arroser avec leurs dards les ennemis qui arrivaient. Bien sûr, si l’ennemi apportait des armes de siège et les utilisait pour attaquer les tours, elles ne dureraient pas longtemps.

« Maintenant, ce sera un match entre leurs deux cent cinquante mille soldats et nos quatre cent mille. J’attends avec impatience de voir qui va gagner. »

Alors que la victoire semblait être à portée de main, je ne pouvais pas me permettre d’être négligente. J’avais promis à l’essaim que nous allions gagner, je devais donc faire tout mon possible pour que nous en sortions victorieux. Je ne savais toujours pas quelle sorte de victoire ils souhaitaient, mais je savais ce qu’ils considéraient comme une défaite : l’extinction de leur espèce.

En gardant cela à l’esprit, il était temps de commencer notre prochaine bataille.

☆☆☆

L’armée alliée, dirigée par les forces de Frantz, se dirigeait vers le nord. 250 000 hommes marchaient vers les murs de la frontière, leurs bottes piétinant bruyamment le sol en chemin.

Quelques Essaims Mascarades, cachés parmi les camps de réfugiés à la frontière, surveillaient l’avancée de l’armée ennemie.

« Pour le Dieu de la Lumière ! »

« Pour le Dieu de la Lumière ! »

Bandes de fous fanatiques. Si vous aimez tant votre dieu, je serais heureuse de vous envoyer directement vers lui, pensais-je.

Notre ennemi frappa au nord-est. Ils avaient déployé des béliers et avaient mis en place des catapultes alors qu’ils se préparaient à nous envahir. J’avais fait tirer les Essaims Toxiques sur leurs ingénieurs, mais ils travaillaient trop vite, il semblerait que nous ne pourrions pas les arrêter à temps.

« Pour le Dieu de la Lumière ! »

Les hommes de Frantz commencèrent à pousser les béliers vers les murs et à tirer avec leurs catapultes sur les tours à Globe Oculaire. Après une dizaine de tirs, les tours s’étaient effondrées, et les Essaims Toxiques à l’intérieur avaient été écrasés sous les décombres.

Les béliers traversèrent les murs et, les Globes Oculaires étant détruits, rien ne pouvait les arrêter. Le venin des Essaims Toxiques n’était de toute façon efficace que contre les créatures vivantes, et n’aurait donc pas été d’une grande utilité contre les armes de siège mécaniques.

Maintenant, l’ennemi frappait à notre porte.

Ahh, si seulement ils savaient ce qui les attendait de l’autre côté.

« Nous avons franchi les murs ! Chargez ! »

Les soldats retirèrent les béliers et se précipitèrent à travers l’ouverture qu’ils avaient créée. Les troupes s’étaient succédé sur notre territoire.

Si j’avais placé des Essaims Éventreurs ici comme avant-garde, ils auraient été rapidement détruits. Les Essaims Toxiques, qui se tenaient derrière eux, auraient été détruits peu après, et notre formation se serait effondrée. Leurs exosquelettes auraient été écrasés, leurs crocs et faux cassés comme des brindilles.

Mais heureusement, rien de tout cela ne s’était produit.

« La première formation d’infanterie a traversé les murs ! »

« Attendez… Qu’est-ce que c’est que ça !? »

Les expressions des soldats se contorsionnaient d’incrédulité.

Oh oui, c’est vraiment ce type de visages que je voulais voir.

En traversant les murs, les lourds fantassins avaient été accueillis par plusieurs grands essaims avec des exosquelettes denses et lourds. Ils avaient des crocs recourbés comme un mille-pattes, et leurs membres se terminaient par des lames semblables à des faux qui poignardaient le sol. Ces unités étaient en gros l’équivalent des tanks pour les Essaims.

C’était la version améliorée de l’Essaim Éventreur : l’Essaim Génocidaire. Comme son nom l’indiquait, ce type d’essaim était destiné à massacrer l’ennemi en grand nombre, quel que soit cet ennemi.

« Essaims Génocidaires, en avant ! Saluez nos ennemis de la meilleure des façons possibles, tuez-les ! », ordonnais-je.

Les Essaims Génocidaires commencèrent leur charge, et les Essaims Toxiques derrière eux fournirent des tirs de couverture. Les dards ne pouvaient pas faire grand-chose aux soldats lourdement armé, mais quelques dards occasionnels pénétra le métal et réduisait leur victime en bouillie. Je pouvais voir la crainte exercée par ces attaques frapper le cœur des autres soldats, les ralentissant. Les choses se passaient à merveille.

Maintenant que les fantassins lourds étaient enracinés sur place, gelés par la peur, les Essaims Génocidaires les submergeaient. Avec leurs crocs, les nouveaux Essaims transperçaient l’ennemi trop facilement. Ils étaient si forts qu’ils pouvaient couper le corps d’un homme en deux d’un seul coup de dent. Leur puissance était visible pour tous.

« Aidez m — »

Un homme ne pouvait même pas terminer son cri, car sa moitié supérieure était rapidement séparée du reste de son corps.

L’armure métallique des soldats émit un son désagréable alors qu’elle était déchirée. Et alors que les hommes étaient littéralement déchirés en deux, les sons de leur chair se déchirant comme du caoutchouc se faisaient entendre sur tout le champ de bataille.

« Ne les laissez pas vous effrayer ! Battez-vous ! Pour le Dieu de la Lumière ! »

« Pour le Dieu de la Lumière ! »

L’infanterie avait quand même lutté contre les Essaims Génocidaires. Les hallebardes et les grandes épées qu’ils brandissaient auraient été efficaces contre les Essaims Éventreurs, mais ils faisaient peu de dégât contre la version améliorée. Même lorsqu’ils avaient été matraqués à plusieurs reprises par une arme en acier, les Essaims Génocidaires continuèrent leurs attaques.

« Leur défense est d’un autre niveau. Ces hommes n’ont aucune chance. », me suis-je dit.

Il y avait un énorme écart de défense entre les Essaims Éventreurs et les Essaims Génocidaires. Naturellement, l’augmentation de la défense s’était faite au prix de la vitesse. Les Essaims Génocidaires étaient lents et encombrants, ce qui était leur principal défaut. Ou peut-être que les Essaims Éventreurs se déplaçaient si vite que les Essaims Génocidaires semblaient lents en comparaison ?

« Votre Majesté, l’ennemi se retire des murs. Que devons-nous faire ? », demanda Sérignan.

« Nous avançons et nous le poursuivons. Nous allons leur montrer la puissance de l’Arachnée. »

En avant, en avant ! En avant vers Saania, où se trouvent les assassins d’Isabelle. Que la cadence militaire soit jouée pour notre marche ! La vague de mort appelée l’Essaim sera bientôt sur nos ennemis !

***

Partie 2

« Repliez-vous ! Retraite ! Allez, allez, allez ! », cria un des officiers de Frantz.

Les soldats qui avaient fait irruption à travers les murs avaient été massacrés. Face à ces monstres terrifiants, les hommes restants n’avaient pas d’autre choix que de fuir pour sauver leur vie. Leurs attaques n’avaient même pas égratigné l’ennemi, qui avait mis les soldats en pièces sans même broncher, alors que les armes lourdes les frappaient encore et encore.

« Je ne vous ai pas donné la permission de battre en retraite », aboyait un inquisiteur, enfonçant un sabre dans la gorge de l’officier.

« Qu’est-ce que tu fais ? Tu veux qu’on meure tous ? ! », s’écria un autre officier.

« Nous avons la bénédiction du Dieu de la Lumière de notre côté ! Nous ne pouvons pas perdre. »

L’inquisiteur retira sa lame ensanglantée du corps de l’homme.

« Quiconque dit que nous serons vaincus est un hérétique, et les hérétiques seront confrontés à la mort. En avant, je dis ! Nous devons reprendre Schtraut des griffes de ces abominations ! »

L’inquisiteur prit la place de l’officier et commença à donner des instructions aux soldats. Aussi confus qu’ils soient, les soldats avaient obéi à ses ordres. Pourtant, la seule chose qui les attendait était la mort. Avancer signifiait marcher volontairement dans leur propre tombe.

« Avancez, pour le Dieu de la Lumière ! »

« Les insectes traversent les murs ! »

Mais tandis que l’inquisiteur fou continuait de lancer ses ordres, les Essaims Génocidaires et les Essaims Toxiques les poursuivaient. En s’approchant, les Essaims Génocidaires déchirèrent l’infanterie lourde avec leurs crocs. Les Essaims Toxiques grimpaient sur les murs, tirant leurs projectiles et transformant tous ceux qu’ils touchaient en flaques gluantes.

« Archers ! Ouvrez le feu ! »

Des arbalétriers furent déployés pour stopper l’avance des Essaims. Ils avaient tiré d’un seul coup des carreaux épais sur les Essaims Génocidaires, réussissant à en faire tomber quelques-uns.

Mais les Essaims Génocidaires derrière eux grimpèrent sur le corps de leurs camarades, en même temps les Essaims Toxiques avaient fini par traverser les murs.

« Continuez à tirer ! La victoire est a - »

Au moment où l’inquisiteur proclamait leur victoire, le dard d’un Essaim Toxique lui transperça la poitrine.

Il fut assailli par une douleur indescriptible et tomba rapidement à terre. En quelques instants, il s’était complètement fondu en chair liquéfiée.

« Allons-nous vraiment continuer à nous battre !? »

« Ce sont nos ordres ! »

Alors que leurs commandants mouraient un à un, la chaîne de commandement de l’armée s’effondrait elle aussi. Beaucoup de soldats avaient même vu leurs officiers être abattus par les inquisiteurs pour avoir ordonné des retraites. Et pendant ce temps, la reine de l’Arachnée ricanait là où personne ne pouvait la voir.

« Oh, l’ennemi est certainement divisé, n’est-ce pas ? Il y a des fous qui croient en leur dieu et des gens sains d’esprit qui n’y croient pas. Je devrais peut-être remercier Paris d’avoir donné aux inquisiteurs autant d’autorité. », dit-elle d’un ton extatique.

La reine avait alors tourné les yeux vers les Essaims engagés dans la bataille. Elle les regarda avec un mélange de joie et de tristesse alors qu’ils écrasaient l’ennemi et périssaient à cause des carreaux d’arbalète.

« Ces arbalètes sont ennuyeuses. Et leurs archers sont aussi lourdement protégés, les Essaims Toxiques ne peuvent donc pas les éliminer. Eh bien. Je suppose que gagner par le nombre est le style de l’Essaim. »

Il n’y avait pas besoin de changer de plan. Les Essaims avaient continué leur course dans la formation ennemie avec les Essaims Toxiques qui faisaient pleuvoir leurs dards venimeux sur les lignes ennemies. De temps en temps, un malheureux arbalétrier prenait un coup dans la chair et fondait rapidement.

Comme toujours, la charge de l’Arachnée était implacable. Les Essaims Génocidaires coupaient les lignes de front ennemies tandis que les Essaims Toxiques abattaient des soldats de l’arrière-garde. Cette vague mortelle, ce raz-de-marée noir, s’était abattue sur les murs de la frontière pour noyer les soldats au-delà.

Les soldats n’avaient pas pu retenir les essaims et avaient donc été réduits en cadavres en un battement de sourcil. Ceux qui avaient survécu commencèrent à penser moins comme une armée et plus comme une foule en délire. Tous les ordres contradictoires les avaient poussés à agir de façon erratique. Certains avaient tenté de battre en retraite tandis que d’autres pensaient à charger, et d’autres encore avaient essayé de simplement tenir leur position et d’empêcher l’ennemi d’avancer.

C’était le chaos total.

« Votre Majesté, que devons-nous faire ensuite ? », demanda Sérignan.

« Tu sais, la démarche classique serait de les submerger avec notre nombre, mais j’ai l’impression que faire cela seulement serait terriblement insipide. Si nous nous introduisons de force dans l’arrière-garde et tuons leur commandant, ils perdront leur ligne de communication. Alors nous pourrons les encercler. Sérignan, Lysa, Roland, je veux que vous vous joigniez tous les trois à la bataille. », répondis-je

La force d’avant-garde, composée d’Essaims Génocidaires, se rapprochait déjà du commandant au dernier rang, qui tentait désespérément de reprendre le contrôle de l’armée. Sa mort serait le dernier clou dans le cercueil de l’ordre de l’ennemi, et il serait alors trop facile de mettre le reste des soldats dans un coin. C’était le plan de la reine d’Arachnée.

« Par votre volonté, Votre Majesté. Nous allons prendre l’avant-garde immédiatement », dit Sérignan en faisant une révérence.

« Laissez-nous faire », ajouta Roland.

Le duo s’élança rapidement en avant, rattrapant les autres Essaims, tandis que Lysa se tenait en retrait et abattait tous ceux qui tentaient de s’enfuir. En peu de temps, Sérignan avait tranché la tête du commandant, et la bataille s’acheva effectivement. Leur ligne de communication étant coupée, la moitié de l’armée ennemie — soit 120 000 hommes — était entourée par les Essaims Génocidaires et Toxiques. Alors que ce cercle mortel se resserrait autour d’eux, le sort des soldats était scellé.

« Très bien, maintenant il est temps de mettre nos ruses de côté et de les écraser. »

Les inquisiteurs zélés de Frantz avaient trop confiance dans les maigres améliorations de l’équipement de leur armée. Ils en subissaient les conséquences des mains de l’Arachnée, qui ne cessait d’accroître sa puissance.

Il n’y avait plus personne pour les sauver.

Après cette bataille, l’armée alliée s’était complètement effondrée. Tous les soldats survivants avaient fui vers leur pays, et le reste des hommes de Frantz avait été forcé de se replier. Cette retraite restera dans l’histoire comme l’une des plus rapides, des plus lâches et des plus disgracieuses de toutes les armées du continent.

☆☆☆**

À ce moment, les derniers soldats du Popedom s’enfuyaient de la frontière, l’Essaim étant sur leur trace. Il ne me restait plus qu’un seul problème à régler : les réfugiés. Ceux qui avaient réussi à fuir le duché au milieu de notre conquête étaient maintenant regroupés dans des camps près de la frontière entre Frantz et Schtraut.

« Que faisons-nous de ces types… ? » m’étais-je demandé à voix haute, en les regardant de loin.

« Peut-être pourrions-nous les réduire en boulettes de viande ? L’Arachnée en a toujours besoin », suggéra Sérignan.

« Nous pourrions, mais tuer des réfugiés sans discernement ne me convient pas. »

Ces gens n’avaient fui Schtraut qu’à cause du combat inutile que cet idiot de Léopold avait mené contre nous. Ils n’avaient pas de maison où retourner… Et il était vrai que c’était surtout de ma faute. Les tuer et les transformer en boulettes de viande était peut-être la chose à faire pour l’Essaim, mais je n’aimais pas du tout cette idée.

Ou plutôt, à cause du genre de personnes avec qui je m’étais associée jusqu’alors, cela ne me convenait plus. Linnet, les gens de Marine, Isabelle… Ils n’auraient pas approuvé le massacre de réfugiés sans abri. Ce serait juste un autre cas où les forts tourmentaient et tuaient les faibles, de la même manière qu’ils avaient atteint leurs propres objectifs.

« Roland, je veux que tu leur fasses une offre. S’ils veulent retourner à Schtraut, seront-ils prêts à vivre sous la domination de l’Arachnée ? »

« Selon vos désirs, Votre Majesté. »

J’avais décidé de laisser cette affaire à Roland, puisqu’il était à l’origine un des citoyens de Schtraut. Roland s’était approché des réfugiés effrayés qui se recroquevillaient à proximité et les appela.

« Hommes et femmes de Schtraut ! Sa Majesté, notre bienveillante reine de l’Arachnée, dit qu’elle est prête à vous accepter dans le duché à bras ouverts ! Ceux qui souhaitent retourner dans leur ancienne patrie, levez la main ! Nous promettons de ne pas vous faire de mal ! »

Le peuple de Schtraut avait déjà assez souffert, et il n’était donc pas nécessaire de le tourmenter davantage. J’avais décidé de les laisser rentrer dans leur patrie, où ils pourraient vivre le reste de leur vie et mourir en paix.

« Je veux rentrer ! »

« Moi aussi ! »

Les réfugiés de Schtraut levèrent les mains les uns après les autres.

« Très bien. Bienvenue à la maison. Laissons les morts de la guerre derrière nous et commençons une nouvelle relation. Un nouvel avenir, où le duché de Schtraut et l’Arachnée travailleront ensemble. », avais-je dit en m’avançant.

J’avais fait un geste vers l’ouverture dans les murs faite par les béliers. J’avais fait enlever les restes des Essaims et des soldats morts, de sorte qu’à l’exception d’un peu de sang sur l’herbe, c’était redevenu une étendue paisible de prairie au-delà. C’était la vue de leur patrie.

« Pouvons-nous vraiment vivre aux côtés de ces créatures… ? »

« Je suppose que c’est quand même préférable que d’être exécuté par l’inquisition de Frantz… »

Le fait que la chasse aux hérétiques de Frantz poussa les réfugiés à se ranger de notre côté me semblait terriblement ironique.

« Roland, s’il te plaît, prend soin des réfugiés qui veulent immigrer. Nous ne pouvons pas laisser quoi que ce soit leur arriver. »

« Comme vous le souhaitez, Votre Majesté. »

Accepter inconsidérément n’importe qui pourrait causer une multitude de problèmes, j’avais donc laissé Roland s’occuper de la question et filtrer l’afflux de réfugiés. La nouvelle Schtraut ne pouvait pas accepter les voleurs ou les personnes ayant une rancune contre l’Arachnée.

« C’est un problème résolu. Continuons notre marche. Nous avons un Royaume Papal à couvrir de cadavres et une capitale à laver avec du sang. »

Sur mon ordre, les Essaims reprirent leur poursuite des soldats de Frantz en fuite. Pour l’instant, nous allions ignoré l’armée alliée et qui que ce soit d’autre, ils pourraient être piétinés plus tard. Pour l’instant, nous avions les yeux fixés sur Frantz.

Écraser la populace de Frantz. Écrasez-la, écrasez-la, écrasez-la.

Les seules forces de Frantz qui constituaient une menace étaient les arbalétriers et l’infanterie lourde, et nous les avions apparemment toutes éliminées. Il ne restait plus que les troupes légèrement protégées.

J’avais commencé à croire fermement que cette guerre serait facile. Mais, par chance, un intrus allait bientôt intervenir pour entraver nos plans.

***

Partie 3

Nous avions poursuivi notre avancée vers Frantz, en prenant au passage la moitié du territoire du Royaume Papal. Après avoir abattu tous ceux que nous avions rencontrés, nous avions réduit nos victimes en boulettes de viande, qui furent envoyées dans les dépôts de chair et les fours de fertilisation de notre Base d’Opération Avancée, afin d’ajouter des troupes supplémentaires à nos rangs. Les Essaims Éventreurs servaient d’éclaireurs tandis que les Essaims Toxiques et les Essaims Génocidaires constituaient le gros de nos forces.

J’avais affecté la plupart de nos unités à notre campagne contre le Royaume Papal, car c’était notre objectif principal à l’heure actuelle.

« Notre prochain obstacle sera de passer à travers les montagnes. »

Une vaste chaîne de montagnes s’étendait devant nous. Ces montagnes divisaient Frantz en deux régions, le nord et le sud, et le seul moyen de les traverser était une seule route pavée. Comme on pouvait s’y attendre, l’armée du Royaume bloquait cette route pour entraver notre progression.

« Nous n’avons pas d’autre choix que de forcer notre passage. Nous pourrions demander aux pirates de nous faire traverser par la mer, mais cela prendrait trop de temps et donnerait à nos adversaires trop de temps pour se préparer. De plus, si quelque chose arrivait aux navires, tous les Essaims à bord se noieraient. »

Si l’ennemi se rendait compte que nous utilisions les navires pirates et décidait de les couler, les Essaims seraient perdus dans les profondeurs en un clin d’œil. Je ne pouvais pas me permettre de perdre mon armée d’Essaims Génocidaires et d’Essaims Toxiques de cette façon après avoir dépensé tant de nos précieuses réserves de viande pour les créer.

Cela dit, si nous décidions simplement de charger la tête la première, nous perdrions ces unités tout de même. Nous avions besoin d’une stratégie.

« Peut-être que nous ne devons pas nécessairement prendre la route de la montagne. »

Oui… Si je me souviens bien, pendant la guerre de Corée…

« Essaims Génocidaires, percez la formation de l’ennemi. Je vous enverrai d’autres instructions dans un instant. »

« Selon vos désirs, Votre Majesté. »

« Essaims Toxiques, je veux que vous tiriez des tirs dissuasifs au pied de la montagne. Gardez l’ennemi bloqué sur la route de la montagne. Je veux aussi qu’une force séparée d’Essaims Génocidaires contourne les montagnes et crée une diversion. En gros, je veux que l’ennemi soit absolument convaincu que nous voulons utiliser cette route. »

« Compris, Votre Majesté », répondirent les Essaims Toxiques.

Nous devons nous assurer que l’ennemi ne comprenne pas nos véritables intentions et qu’il reste sur place.

« Très bien, allez-y. Commencez l’opération. »

Cela se passerait-il bien ? Je n’allais pas prier cet ennuyeux Dieu de la Lumière, j’avais plutôt dirigé mes prières vers Oinari, le dieu japonais de la chance et des bonnes récoltes.

☆☆☆**

Le Royaume Papal de Frantz était divisé en régions nord et sud par les Monts Indigo. Actuellement, la seule route menant à travers les montagnes était complètement fermée par les militaires de Frantz. Des clôtures en bois étaient posées le long de la route, et des rochers avaient été roulés le long des falaises pour bloquer le passage. À ce moment, l’armée avait complètement abandonné les réfugiés, les citoyens et les soldats restants qui se trouvaient encore au nord.

« Quelque chose qui sort de l’ordinaire ? », demanda un officier. Il inspectait l’une des compagnies qui s’occupaient du blocus.

« Tout est en ordre, capitaine ! », répondit un jeune soldat en gazouillant.

« J’ai entendu dire que votre fiancée vit à Saania, soldat. »

« Oui, et c’est un vrai soulagement pour moi. Si elle vivait dans le nord, j’aurais risqué ma vie pour aller la sauver, » dit le jeune homme en souriant.

« Je parie que ça te démange de la revoir, hein ? »

« Franchement, monsieur, ça me démange vraiment. J’aimerais que cette maudite guerre soit déjà terminée… »

La bien-aimée du soldat était serveuse dans un restaurant. Ils s’étaient rencontrés lors d’une sortie avec le reste de son unité. Il n’avait pas fallu longtemps pour que la jeune fille bien élevée ouvre son cœur au soldat, et ils étaient rapidement devenus des objets de convoitise.

Depuis le début de la guerre, ils s’échangeaient des lettres et le retour dans les bras de la jeune fille était la plus grande mission du soldat. Naturellement, il voulait aussi la protéger de l’impitoyable armée de monstres.

« Oh ! Ennemi en vue, capitaine ! »

De loin, il pouvait voir leurs ennemis avancer sur la route.

« Préparez-vous à intercepter l’ennemi ! Faites venir les balistes ! Ne laissez pas passer une seule de ces bestioles ! », cria le capitaine.

« À vos ordres ! »

Les soldats prirent leurs positions, se préparant à arrêter les monstres qui approchaient.

« On dirait qu’ils envoient des unités de mêlée lourdes et des insectes avec des attaques à longue portée… Ces attaques longues portées sont problématiques », dit un des soldats.

Comme il l’avait souligné, les Essaims Génocidaires et les Essaims Toxiques marchaient sur la position de l’armée.

« L’ennemi commence son attaque ! »

« Préparez-vous ! Attention aux dards, vous allez certainement mourir si vous vous faites toucher ! »

Les soldats de Frantz connaissaient déjà la puissance des dards des Essaims Toxiques. Quiconque était touché par eux fondait en bouillie et mourait de la manière la plus atroce et la plus indigne qui soit. Les arbalétriers étaient couverts par d’autres soldats qui tenaient des boucliers d’acier, les protégeant des dards.

L’instant suivant, les Essaims Toxiques tirèrent avec leurs dards. La pluie mortelle avait commencé.

« Gaaah ! »

Quelques malheureux soldats avaient été touchés par les dards, se tordant d’agonie alors qu’ils fondaient. Malgré ces pertes, les soldats de Frantz refusèrent de se replier.

« Balistes et arbalètes, prêts à tirer ! »

Pour les soldats, c’était la dernière ligne de défense. Si l’ennemi passait par ici, ils seraient libres de se déchaîner dans les plaines au-delà de cette chaîne de montagnes. À ce moment-là, Frantz n’aurait aucune chance de victoire.

Ils devaient donc faire de cette bataille une bataille décisive. Avec cette détermination dans le cœur, les soldats tirèrent sur les Essaims Génocidaires et les Essaims Toxiques. Alors que les essaims s’effondraient les uns après les autres, la férocité de leurs attaques semblait s’estomper. Les Essaims Toxiques continuèrent à tirer avec leurs dards un par un, mais ils avaient été progressivement contraints de fuir à cause des balistes.

« Ils battent en retraite ! »

« Qu’est-ce que vous en dites, vermines ! »

Les soldats applaudirent en regardant les Essaims se replier. Maintenant, le Royaume Papal était en sécurité. Les unités ennemies, incapables de se frayer un chemin à travers les Monts Indigo, allaient être repoussées vers le nord. Et un jour, le Royaume reprendrait le nord et libérerait même les terres du Duché.

« Nous l’avons fait… Karen, ma chérie, je viendrai te chercher lors de ma prochaine permission ! » s’écria le soldat fiancé avec la serveuse de Saania.

Mais cette flamme vacillante d’espoir allait bientôt s’éteindre, ne laissant place qu’à l’obscurité du désespoir.

« Attendez ! Les unités ennemies ont été repérées ! », cria un soldat, la voix tremblante.

« Eh bien, oui, nous les avons juste repoussés », dit un autre, en étouffant un rire.

« Non, par-derrière ! Ils nous attaquent par l’arrière ! »

En effet, une force de 500 essaims Génocidaires s’était matérialisée derrière leur arrière-garde et se rapprochait du blocus.

« Par derrière ? ! Comment !? D’où viennent-ils !? »

Le capitaine commença à paniquer.

Il fallait s’attendre à ce qu’il soit déconcerté. Les Essaims avaient escaladé à pied les sommets des Monts Indigo. Ils étaient capables de franchir les obstacles sans se laisser abattre, de sorte qu’ils pouvaient bien sûr escalader des montagnes escarpées pour lancer une contre-attaque inattendue sur leurs ennemis.

Bien que l’Essaim aurait pu avoir du mal à traverser des étendues d’eau, les montagnes ne les gênaient pas le moins du monde. La reine de l’Arachnée avait ordonné à ce groupe d’Essaims Génocidaires de couper à travers les montagnes afin de contourner le blocus et de tendre une embuscade à l’ennemi par-derrière.

Ce plan s’était avéré extrêmement efficace, car les soldats étaient tellement concentrés sur l’idée d’un assaut frontal qu’ils n’avaient réalisé que trop tard que l’ennemi les avait contournés.

« Tournez les balistes vers l’arrière ! Nous avons besoin de l’infanterie pour garder l’arrière, alors… »

Les paroles du capitaine avaient été coupées au moment où une flèche massive perçait son torse.

« Je l’ai fait ! On s’occupe de tous les servants de baliste, Votre Majesté ! »

« Bon travail, Lysa », répondit la reine de l’Arachnée.

Il va sans dire que l’énorme flèche avait été tirée par Lysa.

« Sérignan, tu vas aussi générer une pression par le front. C’est l’heure de l’attaque en tenaille. »

« Selon vos désirs, Votre Majesté », dit le chevalier tout en faisant une révérence.

Lysa et Sérignan se joignirent aux forces qui attaquaient le blocus par le front.

« Encore plus d’ennemis qui arrivent ! Les monstres nous attaquent à nouveau par le front ! »

« Les archers ! Les archers ! Tirez avec vos arbalètes ! »

L’épée de Sérignan fit voler la tête d’un soldat. Le reste de son corps tomba au sol, giclant du sang. Elle avait ensuite abattu un autre soldat, et un autre, accumulant rapidement une montagne de cadavres.

« Raaagh ! Vous ne passerez pas ! »

Le soldat qui attendait avec impatience de voir sa bien-aimée pointa une arbalète sur Sérignan.

« Pas assez bon ! »

Elle hacha le carreau de l’arbalète qui volait vers elle, déviant sa trajectoire de sorte qu’il ne fit qu’effleurer sa joue.

Sérignan s’était alors élancée vers le soldat et avait rapidement réduit la distance.

« Ugh… »

Le soldat s’était affaissé lorsque la lame de Sérignan lui transperça la poitrine.

« Ka… ren… »

Et avec ce dernier mot, le soldat rendit son dernier soupir.

« Votre Majesté, nous avons pris la route de la montagne et nous nous sommes regroupés avec les essaims. L’arrière-garde de l’ennemi est en pagaille. Nous devrions pouvoir prendre la route maintenant. », dit Sérignan.

La tentative de blocus de Frantz avait été complètement détruite. L’attaque-surprise des Essaims Génocidaires tua la plupart des membres de l’arrière-garde ennemie. L’attaque en tenaille s’occupa le reste.

« Bon travail, vous deux. Cette guerre sera bientôt terminée. »

La reine de l’Arachnée était confiante dans sa victoire, mais elle ne savait pas à quel point cette confiance pouvait être facilement anéantie…

☆☆☆**

Après notre attaque-surprise réussie sur les Monts Indigo, j’avais fait traverser la montagne à notre armée à un rythme d’escargot alors que nous nous préparions à avancer vers le sud. La chaîne de montagnes naturelle ayant été conquise, il ne restait plus que des champs ouverts. Une route pavée menait à Saania, et une fois que l’Essaim commencera sa marche, la ville — et le Royaume dans son ensemble — ne tarderait pas à être en ruine.

Selon les Essaims Parasites, les opérations de l’armée étaient principalement dirigées par Paris et les généraux de Frantz. Maintenant que Paris avait pris le contrôle du Département des Punitions, plus personne ne pouvait s’opposer à lui. Sa parole avait effectivement force de loi. Mais je pouvais toujours utiliser les Essaims Parasites pour perturber la chaîne de commandement de l’ennemi. J’avais déjà trois cardinaux et un archevêque sous mon contrôle.

Paris… Je te ferai payer un prix particulièrement amer.

« Votre Majesté, on a des ennuis ! »

Sérignan s’était précipitée vers moi, paniquée.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? »

« L’Empire de Nyrnal a lancé une invasion sur le vieux royaume de Maluk. Ils ont également déclaré la guerre au Royaume Papal de Frantz. Ce pays a tiré le tapis sous nos pieds ! »

Quoi ? Nous avons été complètement…

La majorité de notre armée s’était concentrée sur l’attaque de Frantz. Comme j’avais fait en sorte que Nyrnal soit complètement isolé pendant le Conseil International, j’avais supposé qu’ils ne prendraient pas d’opérations militaires de sitôt. Je m’attendais au moins à ce qu’ils résolvent leurs tensions avec leurs pays voisins avant de le faire.

Mais la réalité, telle qu’elle s’était révélée, n’avait pas été aussi bonne. L’Empire de Nyrnal avait l’intention d’écraser l’Arachnée et les pays voisins d’un seul coup. Je devais saluer avec amertume leur esprit conquérant, si ce n’est plus. Ils se battaient sur deux fronts, tout comme nous, mais ils n’avaient pas peur de se lancer quand même.

Notre situation devenait alors critique. Nous n’avions plus que des murs peu fiables et des flèches provenant des Globes oculaires entre l’ancien royaume de Maluk et l’empire de Nyrnal. Nous n’avions même pas d’Essaims Toxiques stationnés là pour repousser les envahisseurs à distance.

Les armes de siège de l’ennemi pouvaient facilement percer ces murs fragiles et détruire les flèches des Globes oculaires. Nous n’avions que 500 ou 600 Essaims Éventreurs, qui n’étaient pas efficaces contre les ennemis lourdement armés.

« Que devrions-nous faire, Votre Majesté ? »

Je devais prendre une décision. Maintenant.

« Défendre le royaume de Maluk est impossible, nous devons l’abandonner. Faites en sorte que les Essaims qui les engagent maintenant gagnent autant de temps qu’ils le peuvent pendant que les Essaims Travailleurs à l’arrière se retirent dans Schtraut. De plus, faites en sorte que le plus grand nombre possible d’Essaims Éventreurs soient positionnés pour défendre Baumfetter. »

Nous n’avions pas d’autre choix que de renoncer à Maluk. Le nord de Maluk avait des mines pleines de gisements d’or, et nous avions des bases sur tout ce territoire équipé d’un assortiment d’installations, mais nous n’étions pas suffisamment nombreux pour les protéger toutes. Malheureusement, nous avions dû remettre le royaume désert à Nyrnal.

***

Partie 4

Mais nous devions protéger Baumfetter. Nous avions promis de les garder en sécurité, et je ne pouvais pas revenir sur ma parole. Pour cela, j’avais laissé une petite force d’Essaims Éventreurs pour tenir la frontière pendant que le reste se dirigeait vers Baumfetter. Je pouvais alors utiliser le four à fertilisation de ma base près de la forêt elfique pour produire d’autres Essaims Génocidaires et assurer la sécurité du village. Heureusement, j’avais encore une petite réserve de ressources supplémentaires en cas d’urgence. Mais ce n’était pas beaucoup.

« Nous ne pouvons pas rassembler toutes nos forces et partir assez vite. Surtout pas après tout ce que nous avons fait pour traverser les montagnes. Perdre Maluk est un coup douloureux, mais il y a une chance que l’ennemi traverse les territoires de Schtraut pour nous attaquer aussi par-derrière. »

« Alors je serai le seul à pouvoir les arrêter ! »

Faire défiler une armée à travers les monts Indigo était une tâche difficile. La route était seulement assez large pour accueillir deux Essaims à la fois. De plus, retirer notre armée de Frantz alors que nous avions mis le Royaume Papal à genoux n’aurait pas valu la peine.

Comme nous ne savions pas quel ennemi représentait la plus grande menace, tourner le dos à Frantz mettrait notre force principale en danger. Si ces troupes devaient être détruites, nous nous trouverions dans une position vraiment désespérée.

Cependant…

« Sérignan, tu es un chevalier aguerri et une armée à toi toute seule. Mais tu ne peux pas arrêter une invasion destinée à détruire un pays toute seule. Chacun a ses limites… »

À ce moment, j’avais réalisé que mes propres limites me regardaient droit dans les yeux.

« Votre Majesté, personne n’aurait pu imaginer que cela arriverait. Les mouvements de Nyrnal étaient complètement inattendus. Ne vous tourmentez pas pour cela. »

« J’aimerais que ce soit vrai. »

En y réfléchissant un peu plus, j’aurais dû supposer que Nyrnal pourrait tenter une invasion. J’aurais dû faire en sorte que les Essaims Mascarades s’infiltrent dans l’Empire et enquêtent sur ce qu’ils préparaient. Toute nouvelle de notre attaque sur Frantz aurait pris sept à huit jours pour atteindre Nyrnal, et Nyrnal avait déclaré la guerre exactement une semaine après le début de notre invasion.

J’aurais dû faire avancer les choses plus rapidement. La lenteur de mes actions aurait pu donner à Nyrnal l’impression que nous luttions contre le Royaume Papal, l’incitant ainsi à lancer une invasion contre nous.

« Non… Ça ne sert à rien de ruminer cela maintenant », me suis-je dit.

Avec le recul, cela valait bien sûr un 20/20. Pour l’instant, je devais me concentrer sur l’avenir.

« Faites en sorte que le four à fertilisation de notre base principale produise autant d’Essaims Génocidaires que possible, et envoyez-les à Baumfetter. Toutes les autres installations à Maluk peuvent être abandonnées. »

« Est-ce une défaite, Votre Majesté ? »

« Avons-nous perdu ? »

Les voix de la conscience collective m’avaient atteinte d’un seul coup.

Non, nous n’avons pas perdu. Nous allons certainement nous venger pour cela. Pour ce faire, nous devons enterrer Frantz le plus rapidement possible. Retenez bien mes mots, Nyrnal : une fois que nous en aurons fini avec ce pays méprisable, vous serez le prochain.

☆☆☆**

« Préparez-vous à l’accostage ! Je répète, préparez-vous à l’accostage ! »

Un bataillon militaire de Nyrnal traversait la rivière Themel, située à la frontière entre l’ancien royaume de Maluk et l’Empire de Nyrnal. Leurs catapultes avaient détruit les murs construits le long de la rivière, après quoi les troupes avaient commencé à traverser la rivière en barques.

« Penser que nous pouvons maintenant traverser la Themel si facilement… », murmura l’empereur Maximilien, regardant les soldats traverser la rivière et charger dans les territoires de Maluk depuis son point de vue sur une colline voisine. Lui aussi était vêtu de l’uniforme militaire de Nyrnal.

À ce moment précis, il regardait se dérouler une opération qui sera plus tard appelée « Déploiement trompeur ». Il avait fait croire que Nyrnal avait l’intention d’envahir Frantz, alors qu’en fait il avait prévu depuis le début d’envoyer ses hommes à travers la Themel et dans les anciens territoires de Maluk.

« Avec cela, Maluk est effectivement à nous, Votre Majesté. Cela valait bien l’attente. Nous devons cela à ces insectes, nous devons les remercier. »

« C’est vrai. Nous ne pourrons jamais assez remercier l’Arachnée d’avoir éliminé le royaume de Maluk. Qu’ils se déchaînent autant qu’ils le veulent et déséquilibrent l’équilibre de ce monde. Nous n’en récolterons que les bénéfices. »

L’Empire de Nyrnal avait choisi de capitaliser sur la menace de l’Arachnée. Maintenant que les armées du monde étaient soit brûlées, soit dispersées, Nyrnal pouvait conquérir d’autres pays avec facilité.

La situation actuelle de Frantz en était un exemple. L’invasion de l’Arachnée avait laissé le Populat en ruine, ce qui signifiait que l’Empire était assuré d’obtenir au moins une partie de ses terres en l’attaquant maintenant.

La grande ambition de l’empereur Maximilien était de voir la bannière de Nyrnal — un dragon brandissant une épée — voler au-dessus de chaque pays du continent. Et son rêve allait bientôt se réaliser. Il savait que l’Arachnée ne pouvait pas tout laisser tomber et quitter Frantz à ce moment-là, cela ne ferait qu’inviter à une contre-attaque. De plus, l’Arachnée était plutôt prête à porter le coup fatal.

La pathétique armée de Frantz, telle qu’elle était maintenant, serait facilement écrasée par les forces de Nyrnal, et l’Empire pourrait alors se lancer sur l’Arachnée et la frapper par-derrière. Pour dire les choses simplement, l’état actuel des choses présentait une occasion en or pour Nyrnal.

« Je dirais que le Royaume Papal de Frantz a reçu un châtiment divin bien mérité. Le siège de cette arrogante Église de la Sainte Lumière sera anéanti par le pouvoir d’un vrai dieu. Peut-être que leur destin n’a rien d’aussi poétique. Ils seront simplement dévorés vivants par des insectes. », poursuivi Maximillian.

Bertholdt von Bülow, le chef de cabinet de l’Empire, écoutait attentivement les paroles de son seigneur. Pas une seule parole qui ne soit sortie des lèvres de l’empereur ne devait être manquée. Cela provoquerait la colère de l’empereur, et cela finirait par déchirer Bertholdt. Parmi tous les empereurs de l’histoire de Nyrnal, Maximilien était l’un des plus froids et des plus impitoyables.

« Votre Majesté ! La première force de débarquement a engagé les insectes dans la bataille ! Leur résistance est faible », rapporta un général.

Maximillian haussa les épaules.

« Hmph. La soi-disant reine de l’Arachnée me déçoit. Elle ne s’attendait probablement pas à ce que nous traversions la rivière Themel. Maintenant, avancez. Je veux que les territoires de Maluk soient sous notre contrôle dans le mois qui vient. Après cela, nous marcherons sur Schtraut. Nous ne pouvons prendre qu’une petite partie des terres de Frantz pour l’instant, mais nous devons nous concentrer sur leur défense. Une fois que nous aurons offert aux autres nations alliées une protection contre l’Arachnée, le continent entier nous appartiendra. »

Ils exerçaient déjà des pressions diplomatiques sur les pays de l’alliance. Les nations alliées avaient le choix entre se faire envahir par les insectes ou se mettre sous la protection de Nyrnal. La plupart des pays montraient des signes de fissures sous la pression, ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils ne cèdent.

« Il ne reste plus que l’Union des Syndicats de l’EST et l’archipel de Nabreej », déclara Maximillian, tournant son regard vers Bertholdt.

« Oui. Ne vous inquiétez pas, Votre Majesté, l’enquête est déjà en cours. Cependant, je pense que les deux nations marchandes rejetteront probablement une alliance avec nous. »

Le réseau de renseignements de Bertholdt avait déjà envoyé des émissaires dans ces pays. Les relations entre l’Union et Nyrnal étaient mauvaises depuis le départ. Ses relations avec le Royaume Papal étaient également assez frigides, mais depuis que Nyrnal avait commencé à s’étendre agressivement et à unir les pays du Sud sous son règne, l’Union des Syndicats de l’Est avait traité l’Empire avec une hostilité totale. Les marchands craignaient probablement la perspective de devenir la prochaine conquête de Nyrnal.

« Ces imbéciles… Ils sont maintenant coincés entre nous et l’Arachnée, et ils ne pourront plus bouger. Eh bien, peu importe. Nous pouvons nous débarrasser d’eux comme nous le souhaitons plus tard. Pour l’instant, nous leur permettrons d’agir librement. Au fait, faisons en sorte que nos Perchoirs de dragon augmentent leur activité. J’ai entendu dire que les insectes se sont mis à utiliser des tactiques inhabituelles, donc les wyvernes seules peuvent s’avérer insuffisantes. »

Maximillian tourna à nouveau son regard vers les troupes qui traversaient la rivière. Ce n’était que des soldats humains, mais les wyvernes qui s’élevaient dans le ciel étaient différentes. Cette forme de vie ne se trouvait nulle part ailleurs sur le continent. Ils étaient trop obéissants pour être des monstres, mais trop féroces pour être des animaux. Ces créatures n’existaient que dans l’Empire de Nyrnal.

L’existence des wyvernes était mystérieuse et incompréhensible. Les seuls qui connaissaient la vérité derrière tout cela étaient l’empereur Maximillian et Bertholdt von Bülow.

Non… il y en avait un autre qui savait. Un diable qui batifolait dans les ténèbres en chantant des vers absurdes.

☆☆☆**

Nous devions faire tomber le Royaume Papal de Frantz le plus rapidement possible. Les objectifs avaient souvent été modifiés ou mis à jour en mode solo, mais jamais auparavant je n’avais été prise au dépourvu de cette manière. La force de l’Essaim avait dû me bercer dans un faux sentiment de sécurité et m’avait rendue trop confiante.

J’avais besoin de réfléchir à cette expérience. J’avais appris la douloureuse leçon qu’il y avait des choses que même nous ne pouvions pas faire.

« Les soldats ennemis ne s’approchent pas de Baumfetter. C’est bien. Et nous avons réussi à produire ces Essaims Génocidaires à temps, ils ne seront donc pas complètement sans défense. », dis-je doucement, observant le village à travers la conscience collective.

Baumfetter, pris en sandwich entre le Royaume de Maluk et l’Empire de Nyrnal, avait été exposé au danger dès notre arrivée. Si nous le laissions sans protection, il finirait par être découvert, et les elfes seraient tous tués pour ne pas avoir adoré le Dieu de la Lumière.

Je ne pouvais pas laisser cela se produire. J’avais promis de les protéger.

« Baumfetter devrait réussir à survivre, d’une manière ou d’une autre. Pour l’instant, nous devons nous concentrer sur le Royaume Papal. »

Nous avions traversé les montagnes Indigo et commencé à balayer les plaines, nous dépêchant vers Saania tout en évitant d’entrer au contact avec les forces de Nyrnal. Je devais éviter une escarmouche avec eux si je voulais renverser Frantz le plus rapidement possible.

« Sérignan, quelle est notre vitesse de marche ? »

« Nous sommes dans un bon tempo, Votre Majesté. Nous devrions atteindre Saania d’ici deux ou trois jours. »

C’était peut-être un peu dur pour l’Essaim, mais la vitesse était notre plus grand avantage en ce moment. Nous devions continuer à plein régime et mettre rapidement fin au Royaume Papal de Frantz. Après cela, nous pourrions utiliser ses anciens territoires pour faire irruption dans l’Empire de Nyrnal.

Il y avait aussi la possibilité de revenir à Schtraut, mais j’avais rapidement écarté cette idée. Si nous étions en mesure de menacer directement l’Empire, ils n’auraient d’autre choix que de réagir. De plus, nous n’avions pas le temps de retourner jusqu’au duché pour pouvoir reprendre Maluk.

Finalement, nous allions reprendre Maluk et mettre les elfes en sécurité… mais pas maintenant.

« Je suis un peu fatiguée… »

« Vous devriez vous reposer, Votre Majesté. Vous n’avez pas dormi depuis trois jours. »

C’était vrai. Depuis que la situation avec Nyrnal s’était aggravée, je n’avais pas pris une seconde de repos.

« Mais je ne peux pas me permettre de me reposer en ce moment, Sérignan. Nous sommes dans une situation très difficile. Nyrnal a déjà une grande partie de Maluk sous leur contrôle, et qui sait quand ils pourraient attaquer Baumfetter. Nous avons commencé les préparatifs pour fortifier Schtraut, mais je ne sais pas si nous pouvons réellement les repousser. »

Les soldats de Nyrnal avaient déjà pris la moitié du territoire de Maluk. Les Essaims Éventreurs avaient courageusement tenté de les repousser, mais tout ce qu’ils pouvaient faire était de gagner du temps. L’infanterie de Nyrnal étant lourdement protégée, les Essaims Éventreurs ne pouvaient vraiment pas faire beaucoup plus que cela. Mais grâce à eux, nous avions pu augmenter nos défenses autour de Baumfetter. Je pouvais dire avec certitude que les morts des Essaims n’avaient pas été vaines.

***

Partie 5

« De plus, Nyrnal a des forces aéroportées. Et c’est problématique pour nous. »

Ce qui distinguait Nyrnal des autres nations que nous avions combattues jusqu’alors était leur emploi de wyvernes. Nous savions qu’ils étaient capables de transporter jusqu’à trois personnes sur leur dos et de cracher du feu, ainsi que de plonger et de mordre leurs adversaires.

Jusqu’à présent, mes préparatifs n’avaient pas pris en compte les forces aéroportées. L’Arachnée avait des unités capables de les abattre, comme les Essaims Toxiques et les Essaims Incendiaires, mais aucune n’était stationnée dans le Royaume de Maluk.

Le seul point positif était que Baumfetter était caché et protégé par les arbres, ce qui signifiait que les wyvernes ne pouvaient pas le repérer du ciel. Notre base principale et les tunnels dans lesquels je m’étais réveillée à l’origine avaient évité d’être détectés pour la même raison.

Mais je suis sérieusement épuisée.

Du fait que j’accédais peut-être trop souvent à la conscience collective, mais ma perception de qui j’étais devenait de plus en plus vague. J’avais donc décidé d’essayer de me rappeler ma propre identité.

Je suis Grevillea. Mon objectif est de retourner au Japon à un moment donné. J’ai 18 ans et je suis en première année d’université. Je ne dois pas l’oublier. C’est ce que je suis. Je fais partie de l’Essaim, mais l’Essaim ne me définit pas.

« Votre Majesté, je suis désolée, mais vous devez vraiment vous reposer. Vous êtes terriblement pâle. Si vous vous effondriez d’épuisement, ce serait la plus grande perte imaginable pour l’essaim. », poursuivit Sérignan, en s’inquiétant.

Elle devait être terriblement inquiète, je voyais des larmes dans ses yeux. J’étais heureuse de voir à quel point elle se souciait de moi.

« Bien. Je vais me reposer un peu. Mais réveille-moi s’il arrive quelque chose. »

« Compris. »

Elle fit un signe de tête.

Cela dit, je m’étais dirigée vers le siège arrière de la calèche dans laquelle nous étions et je m’étais recroquevillée en boule.

Puis-je vraiment gagner cette guerre ? Est-ce que je peux vraiment tenir ma promesse aux elfes… et ma promesse à l’Essaim ?

Oh, et il y avait encore une promesse que j’avais faite, mais je ne me souvenais plus de quoi il s’agissait.

Je… ne pouvais pas me souvenir…

☆☆☆

Mes oreilles avaient été chatouillées par le son de quelqu’un qui jouait du piano. C’était un air joyeux et optimiste qui m’avait incitée à ouvrir les yeux. J’étais dans un théâtre inconnu, assis dans l’un des sièges. Sur la scène, une fille jouait du piano avec des mouvements adroits et délicats.

« Oh, vous êtes réveillée. »

Elle rétracta ses mains et se tourna vers moi, puis me fit signe de m’approcher. Sa tenue gothique à froufrous m’était très familière.

« Samael ? »

« Oui, c’est moi, Samael. Que pensez-vous de cet endroit ? Personnellement, j’en suis assez satisfaite. Impressionnant, non ? Je pense que le Teatro alla Scala en a pour son argent. Et si j’ose dire, je pense que mon petit récital était aussi exquis. »

C’était… bon, me suis-je dit dans ce qui pouvait probablement passer pour un défi. Je veux dire, ce n’était pas mal.

« Où est Sandalphon ? »

« Oh, elle ? Elle n’est pas là pour le moment. Et si vous essayez de gérer les choses par vous-même pour une fois ? Essayez de faire face et de me résister, à l’attrait de la malice et du plaisir, toute seule. »

Sandalphon, qui était toujours là dans ces moments-là, était introuvable.

« Vous êtes dans cet environnement depuis un certain temps maintenant, et pourtant vous n’êtes toujours pas devenue folle. C’est vraiment dommage. Vous devriez vous détendre et vous laisser aller à la folie. »

Samael baissa la voix jusqu’à un murmure.

« Abandonnez-vous à l’essaim, et souillez votre âme via un génocide insensé. C’est le chemin que vous devez prendre. »

Je secouais alors violemment la tête.

« Pourquoi ferais-je cela ? Je veux m’accrocher à ce que je suis. Je ne veux pas être consumée par la conscience collective de l’Essaim. »

« Eh bien, c’est dommage. Si vous vous étiez livrée au collectif, vous n’auriez pas eu à endurer autant de difficultés, hein ? »

Samael appuya sur une touche du clavier. Le son dur retentit dans ma tête.

« Abandonnez-vous à la conscience collective. Dévorez tout sur votre passage, et reproduisez-vous encore et encore et encore. Avec ces nombres supérieurs, écrasez tous ceux qui se trouvent sur votre chemin. Si vous faites cela, vous ne tomberez jamais devant l’Empire de Nyrnal », dit Samael, se tournant à nouveau vers le piano.

« Je suis sûre qu’une partie de l’Empire aurait pu être à vous maintenant. Pensez-vous toujours qu’il est inutile de faire un seul acte avec le collectif ? Si vous me demandez, s’accrocher à votre humanité dérisoire et résister à l’esprit de l’Arachnée est ce qui est vraiment inutile. »

Elle recommença à jouer du piano. Cette fois, il s’agissait de la Sonate au clair de lune de Beethoven.

Depuis combien de temps n’ai-je pas pu regarder la lune sans rien faire et apprécier sa beauté ? Ai-je même été dans l’état d’esprit d’apprécier une telle chose depuis que toutes ces horribles tueries ont commencé ?

« C’est juste un bain de sang inutile », avais-je dit amèrement.

« Quoi qu’il arrive, un massacre restera un massacre. Il ne peut être qualifié de “bon” ou de “mauvais”. »

Samael n’avait pas tort. J’inventais toujours des raisons pour justifier les meurtres que j’avais commis. Mais peu importe la façon dont j’essayais de le justifier, j’avais quand même tué des gens. Le fait que j’avais pris la vie de gens n’allait pas changer.

J’avais toujours cru que mes batailles étaient menées pour toutes sortes de bonnes raisons, mais cela aurait très bien pu être une erreur. Quelles que soient mes intentions, j’avais fini par agir comme la conscience collective me l’avait ordonné.

Un massacre ne peut pas être qualifié de « bon » ou de « mauvais », hein ? On pourrait dire la même chose de la guerre.

« Pourtant, je refuse de m’abandonner au collectif. Je vais rester humaine, telle que je suis maintenant. », avais-je déclaré.

« Quelle déception ! Continuez comme ça et vous allez rompre votre promesse. Oui, la victoire que vous avez promise à l’Essaim. Pourquoi faire un tel serment, alors ? Parce que vous aviez peur qu’ils vous dévorent tout cru, hein ? Alors vous pouvez abandonner maintenant. L’essaim vous est déjà fidèle, il ne s’opposera plus à vous. Mais vous le savez déjà, pas vrai ? », dit Samael, sa musique devenant de plus en plus audacieuse et dissonante.

« Je ne trahirai pas l’Essaim. Tout comme ils ne me trahiraient pas, je ne leur tournerai pas le dos. Je tiendrai ma promesse, mais à ma façon. »

Elle avait raison. J’avais bien compris à quel point ils étaient loyaux. Même si j’ignorais ma promesse et que je fermais les yeux sur la guerre, ou si je refusais de voir la mort d’innombrables Essaims, ils ne se vengeraient pas.

Quoi qu’il en soit, je resterais une femme de parole. J’avais pleinement prévu de leur accorder la victoire qu’ils recherchaient. Même s’il s’agissait de monstres grotesques et inhumains, je tiendrais la promesse que je leur avais faite.

« Oh, ce n’est pas grave. Je comprends pourquoi Sandalphon est si épris de vous. »

Samael appuya légèrement sur une seule touche en signe d’exaspération.

« Mais cela ne servira à rien. Ce monde entier est inutile. Ce n’est pas différent d’un rêve… Non, c’est peut-être aller trop loin. C’est un rêve, mais c’est aussi la réalité. »

Elle poussa un soupir et me fixa du regard.

« Je vais vous confier un petit secret. Dis-moi, vos parents sont-ils encore en vie ? »

« Bien sûr qu’ils le sont. »

En y repensant, quand ai-je parlé à maman et papa pour la dernière fois ?

« Oh, et c’est là que la tragédie commence. En vérité, ma chère, ils sont tous les deux morts. Et votre mère… »

Samael se leva de son siège et s’approcha de moi, me fixant de son regard perçant.

« Eh bien, elle est morte de vos mains. »

Dès que ces mots quittèrent ses lèvres, mon esprit s’était éteint.

« Excusez-moi… ? »

« Vous n’avez pas entendu. Vous l’avez tuée, espèce de monstre. »

Non… mais… Maman et papa devraient être encore en vie ! Je n’aurais pas pu les tuer !

« Vous mentez ! », criais-je.

« Non, je ne mens pas. Vos souvenirs ont juste été commodément altérés. Allez-y, regardez le public. »

Samael fit un geste vers les rangées de sièges.

Un médecin était assis, tenant des documents et un scanner biométrique. Il disait quelque chose que je n’étais pas prête à écouter. Au fond de moi, je savais que je ne pouvais absolument pas me permettre d’entendre un mot de ce qu’il disait.

Oui, je connaissais ce médecin. Je savais qui il était, même si je savais que je ne l’avais jamais vu auparavant.

Un étourdissement soudain me prit. Le monde tourbillonnait, comme si on m’avait soudain jetée dans une machine à laver.

« Ça y est, vous vous en souvenez maintenant. Vous avez tué votre propre mère. Vous vous en rendez compte maintenant, non ? Vous êtes un être humain horrible, la pire sorte de personne imaginable. Comprenez-vous comment vous avez pu recourir au meurtre aussi facilement que vous le faites ? C’est parce que vous êtes un être humain de la pire espèce, un déchet humain ambulant. Un tueur né. », me dit Samael en ricanant.

Je m’étais accroupie et je m’étais bouché les oreilles, en essayant de faire taire les moqueries de Samael.

Tu as tort. Faux, faux, faux ! Je ne l’ai pas tuée. Je ne l’ai pas tuée, je ne l’ai pas tuée !

« Tu es allé assez loin, Samael. »

Une voix digne résonna dans tout le théâtre.

« Oh, Sandalphon. Je suis surprise que tu aies trouvé cet endroit. »

« Les diables comme toi sont des créatures prévisibles. »

Elle fixa Samael du regard.

« Sandalphon, je… je… », bégayais-je.

« Écoutez-moi, _________. Vous n’avez pas tué votre mère. Vous ne devez pas prêter l’oreille à ce diable, elle ne cherche qu’à tromper les humains et à jouer avec leur âme. Ne faites pas confiance à un seul mot qui sort de sa langue fourchue. »

Sandalphon m’avait alors tirée dans une douce étreinte. Je ne savais pas vraiment qui elle était, mais sa présence était apaisante. Les paroles de Samaël avaient perturbé mon cœur, mais la gentillesse de Sandalphon l’avait apaisé.

« Excuse-moi, Sandalphon, mais je ne faisais qu’énoncer les faits. Elle a tué sa mère. », dit Samael.

« Non. Elle ne l’a pas fait. _________, Vous menez une vie respectable. Vous ne négligez jamais de tenir vos promesses, même lorsque l’autre partie se trouve être une légion de monstres grotesques. C’est quelque chose dont vous devriez être fière. Accrochez-vous à cette vertu, quelle que soit la malveillance dont vous faites preuve. », rétorqua Sandalphon avec force.

« Je le ferai. »

Je ne négligerais pas de mener l’Essaim à la victoire que je leur avais promise. J’avais fait ce vœu à d’innombrables Essaims, à Sérignan, à Lysa et Roland. Je devais l’accomplir, même s’ils n’étaient pas humains comme moi. Si je les abandonnais, j’avais le sentiment qu’Isabelle se retournerait dans sa tombe. Après tout, elle s’était accrochée à sa promesse avec nous, les monstres, jusqu’à la fin.

« Quelle que soit l’agonie qui vous arrive, n’oubliez jamais votre cœur humain. Vous ne devez pas devenir trop émotive. Restez toujours calme. »

« Oui, je comprends. »

J’avais perdu tant de personnes auxquelles je tenais, que j’étais peut-être devenue un peu instable ces derniers temps. Même si les émotions étaient valables, j’avais encore besoin de me contrôler.

« Retrouvons-nous bientôt, _________. Je vous promets de vous sauver de ce jeu malveillant du diable. Je le jure. »

Dès que Sandalphon finit sa phrase, je m’étais sentie sombrer dans les ténèbres.

« Mais Sandalphon, ai-je vraiment… »

N’avais-je vraiment pas tué ma mère ?

***

Chapitre 11 : Le faux ange

Partie 1

L’Empire de Nyrnal avait réussi à envahir notre territoire. Si nous avions éliminé le Royaume Papal plus tôt, ils n’auraient probablement pas osé. Ainsi, notre objectif était clair.

« Voilà… Saania. »

Je me tenais avec mon armée d’Essaim au sommet d’une colline, surplombant les portes hermétiquement fermées de Saania.

« Une fois que cette ville tombera, le Royaume Papal de Frantz sera effectivement terminé. Nous devons prendre cette ville à tout prix, puis préparer notre contre-attaque sur Nyrnal. Nous sommes à court de temps, nous devons donc en finir le plus vite possible. », avais-je dit.

Nous avions déjà nos armes de siège, les canons charognards, prêts à l’emploi. Ces dispositifs nous aideraient à franchir les portes. Comme nous n’avions pas de temps à perdre, nous n’avions pas d’autre choix que de recourir à un assaut frontal. Il avait fallu du temps pour construire ces canons, de sorte que même le temps passé à diviser mes forces en unités m’avait semblé terriblement précieux.

Heureusement, les Essaims Mascarades nous avaient informés qu’il y avait peu d’ennemis à l’intérieur. Même avec un assaut frontal, je croyais que nous pouvions les vaincre. La route de Saania était plus large que celle de Siglia, c’était donc probablement un choix plus sage que de diviser inutilement mes troupes.

« Nous attaquons à l’aube, à quatre heures et demie précises. Nous chargerons et mènerons la bataille à son terme avant le lever du soleil. Notre ennemi doit compter sur la lumière du soleil pour faire des repérages, mais nous pouvons compter sur l’odeur. Cela nous donne un avantage. »

L’Essaim excellait dans les batailles nocturnes, car son odorat était beaucoup plus aigu que celui d’un humain. Le jeu de stratégie avait une horloge intégrée et un cycle jour-nuit, pour utiliser cette fonction, certaines unités excellaient pendant la journée tandis que d’autres triomphaient sous le couvert de la nuit.

Si l’Arachnée était l’une des factions qui n’était pas gênée par la tombée de la nuit, elle ne recevait pas de modificateurs bonus lorsqu’elle combattait dans l’obscurité. Seules les unités de morts-vivants recevaient ce genre d’avantages. À l’inverse, les unités de clercs recevaient des bonus pendant la journée. C’était une arme à double tranchant, puisque les unités de morts-vivants et les unités de clercs voyaient leurs statistiques réduites respectivement pendant le jour et la nuit.

C’était ainsi que le jeu permettait de maintenir l’équilibre. Aucune unité ou faction ne détenait tous les avantages. Le jeu était joué comme un e-sport, il traitait donc tout changement dans les Métas ou les mécanismes avec un soin extrême.

Ce qui était amusant, c’était que cela signifiait que j’étais, à toutes fins utiles, un athlète.

« C’est bientôt l’heure, Votre Majesté. »

« Oui, enfin. Nous allons gagner cette fois, comme je l’ai promis. »

J’allais tenir cette promesse et leur accorder la victoire qu’ils voulaient. Je tiendrais aussi ma promesse à Sandalphon : je n’oublierais pas mon cœur humain.

☆☆☆

À quatre heures et demie du matin, l’Arachnée commença son assaut sur Saania. Les Canons Charognards envoyèrent des morceaux de chair sur les murs, dispersant le poison dans l’air et provoquant la dégradation des remparts. Les soldats qui tenaient les balistes sur les murs avaient été empoisonnés par les tirs et moururent alors, agonisant.

Peu après, les portes commencèrent à s’effondrer.

« Essaims Fouilleurs, commencez votre attaque interne. »

Les Essaims Fouilleurs commencèrent à détruire les boulons géants des portes, s’enfouissant sous terre pour passer derrière les murs de l’ennemi. Les soldats de Frantz avaient été si surpris par cette attaque soudaine qu’il leur fallut du temps pour commencer à se défendre. Il s’était avéré que c’était une erreur fatale. La porte n’avait pas pu résister aux attaques combinées des Canons et des Essaims Fouilleurs. Elle s’était rapidement brisée. Avec cela, nous avions créé une brèche.

« En avant, marche. Supprimez Saania ! Mais… »

J’avais fait une pause. C’était la partie la plus critique de l’opération.

« Ignorez les civils. Tuez seulement les soldats. Cela suffira pour le moment. »

Cette fois, j’avais donné la priorité dans le massacre des soldats. Je n’avais pas de temps à perdre à massacrer les civils. Les Essaims Éventreurs qui allaient venir plus tard pouvaient les gérer. Pour le moment, nous devions vaincre le Royaume aussi vite que possible.

« Compris, tout le monde ? Très bien, en avant ! Écrasez-les ! »

« En avant ! »

Des rangées d’Essaims Génocidaires et d’Essaims Toxiques s’étaient avancées pour la bataille, menée par Sérignan et Lysa. Les Essaims Toxiques, positionnés à l’arrière, faisaient pleuvoir d’innombrables dards sur les soldats ennemis. Sérignan et Lysa chargèrent dans les lignes ennemies, les Essaims Génocidaires les suivirent comme une vague déferlante, avalant les soldats alors qu’ils avançaient.

Leur coordination était parfaite. L’arrière soutenait le front tandis que le front défendait l’arrière, et les unités de héros se frayaient un chemin. Ce fut une bataille parfaite.

« Haaaaaaaah ! »

« Faisons ça ! »

La coordination entre Sérignan et Lysa, en particulier, avait été phénoménale. Lysa abattait les archers qui menaçaient de blesser Sérignan, assurant ainsi sa sécurité. Sérignan s’était alors précipitée dans ces ouvertures et détruisait nos ennemis.

Pendant un instant, j’avais dû me demander si elles étaient vraiment sœurs. Au moins, je voulais désespérément que Sérignan et Lysa survivent. Chacune d’entre elles était une unité unique en son genre et tout à fait irremplaçable. Elles étaient mes précieuses subordonnées… et mes amies.

Mes émotions avaient été transmises à Sérignan pendant qu’elle se battait. La résistance de l’ennemi s’affaiblissait peu à peu, et ses lignes de défense s’amincissaient. À ce rythme, nous allions être victorieux avant le lever du soleil.

Mais bien sûr, rien ne se passait jamais comme prévu. Tout comme le royaume de Maluk avait convoqué des anges pour traiter avec nous, le Royaume Papal de Frantz était sur le point d’envoyer un ennemi très rusé.

☆☆☆

« Ils ont brisé les murs ! Il n’y a plus rien pour nous protéger ! »

Ce cri résonna dans toute la salle de réunion de la grande basilique de Saania, où se tenait actuellement un Conseil des cardinaux d’urgence.

Le pape assista à cette réunion malgré sa mauvaise santé, ce qui prouvait à quel point la situation du pape était critique.

« Qui a dit que nous serions capables de battre les monstres sur terre pour commencer !? »

« C’était le cardinal Pamphilj, bien sûr. »

Certains des cardinaux, qui restèrent inexpressifs, tournèrent leur regard creux vers Paris.

« Eh bien, oui, j’ai suggéré que nous les attaquions sur terre, mais vous étiez tous d’accord avec moi ! Ce n’est pas seulement ma responsabilité ! Tout le monde est responsable à parts égales ! », dit Paris tout en criant de panique.

Après que Paris avait pris la tête du Département des punitions, il pensait être en sécurité, mais maintenant les monstres menaçaient sa vie. À ce moment précis, ils assombrissaient le seuil de sa porte. S’il ne pouvait pas protéger sa propre vie, sa position politique n’aurait aucun sens.

« Je crois toujours que la responsabilité vous incombe, Cardinal Pamphilj. »

« Il a dit que nous aurions des chances de gagner si nous les engagions sur la terre ferme. »

Paris trouvait la situation insupportable. Plus de la moitié des cardinaux insistaient sur le fait que la responsabilité lui incombait. Ils ne cessaient de le blâmer, comme pour dire qu’ils n’étaient en rien fautifs.

« Que vous êtes irresponsables ! Vous êtes des bons à rien éhontés ! », cria Paris, furieux.

« Le seul effronté ici, c’est vous, cardinal Pamphilj. »

« Bien ! Alors nous devons utiliser notre dernier recours ! Nous allons réveiller le Séraphin Métatron ! J’espère que personne n’y verra d’objection !? »

« C’est votre responsabilité. »

« Ne pensez pas qu’utiliser les autres vous absoudra de vos crimes. »

Les cardinaux l’avaient ignoré et avaient continué à répéter les mêmes choses.

« Aaargh ! Le fait que vous essayez de faire porter le chapeau à un autre prouve que vous êtes des hérétiques contre le Dieu de la Lumière ! Inquisiteurs ! Exécutez-les au nom de l’inquisition ! »

À son appel, des inquisiteurs en robe blanche entrèrent dans la salle.

« Attendez, Paris. Faites reculer les inquisiteurs. L’exécution des cardinaux ne fera que provoquer des troubles et apporter le désarroi aux citoyens. Ils perdront leur foi et erreront à la recherche d’un chef. », intervint le pape Benoît III.

« Mais, Votre Sainteté… »

« Je vous tiendrai pour responsable de vos affirmations plus tard, mais pour l’instant, j’approuve la convocation de Metatron. Si le pouvoir de Metatron nous épargne la défaite, je vous absous de toute responsabilité. Est-ce acceptable ? Hrk… Urk ! »

Le pape avait été soudainement assailli par une quinte de toux. Il était sur le point de mourir. Depuis un certain temps, son ancien corps était défaillant, ses poumons et son cœur étant particulièrement défectueux.

« Très bien, Votre Sainteté. Je vais utiliser Metatron et nous accorder une victoire certaine. Et j’espère que cela fermera la bouche de ces imbéciles, qui ne font rien d’autre que de rejeter le blâme sur les autres. »

Paris fit aux autres cardinaux un regard perçant.

« Dépêchez-vous, Paris. Le temps n’est pas de notre côté. J’entends la marche des insectes juste dehors. Vous devez mettre fin à cela rapidement. »

« Soyez assurée, Votre Sainteté, qu’avec le grand Métatron de notre côté, nous serons victorieux. Oui… Avec l’héritage ancien de Marianne, nous ne serons pas vaincus. »

On raconte que la Marianne était une faction du même jeu que l’Arachnée. Pourquoi son nom avait-il été invoqué ici ? Paris lui-même n’était pas conscient de ce lien profond, même lorsqu’il s’était mis en route pour activer le Séraphin Métatron, l’unité héroïque de la Marianne.

« Si le cardinal Pamphilj échoue, il sera fini. »

« Il devra porter la responsabilité de cette défaite. »

Les cardinaux contrôlés par les Essaims Parasites avaient transmis la nouvelle de ce qui s’était passé à la reine de l’Arachnée. Paris était, sans aucun doute, sous forte pression. Que feraient-ils une fois qu’il aurait été vaincu ?

Mais d’abord, une question plus importante demeurait : qui allait gagner ? Paris et le Séraphin Métatron, ou la reine de l’Arachnée et son Essaim ? La réponse ne tarderait pas à venir.

☆☆☆

Nous avions percé les lignes défensives de l’ennemi et nous nous tenions maintenant devant la grande basilique de Saania.

« Nous sommes enfin arrivés jusqu’ici », dis-je tout en me sentant étrangement sentimental en regardant le grand bâtiment.

Il ne ressemblait pas tant à une structure religieuse qu’à un palais royal mondain. Il n’y avait même pas le moindre soupçon de mystique spirituelle. Il était clair que les soi-disant fidèles de Frantz préféraient l’opulence aux vertus de leur dieu.

« Une autre porte, hein ? Nous allons devoir utiliser des moyens assez désagréables ici. »

Grâce à notre reconnaissance, nous étions déjà au courant de cette série de portes supplémentaires, mais elles me vexaient maintenant que nous étions si proches. Installer les Canons Charognards ici serait ennuyeux. Utiliser les Essaims Fouilleurs était une option, mais s’il y avait des soldats en armure à l’intérieur, nous ne subirons que des pertes inutiles.

Cela ne me laissait qu’une seule option, et une assez mauvaise en plus.

« Sérignan, Lysa, nous allons passer dans un quart d’heure. Assurez-vous d’être prêtes. »

« Compris, Votre Majesté », répondit Sérignan.

J’avais préparé ma stratégie en silence et j’avais attendu.

Boooooom !

Soudain, le bruit d’une explosion tonitruante retentit alors que les portes s’ouvrirent de l’intérieur.

« Un Essaim Parasite… », murmura Sérignan.

« Oui. Mais je n’aime pas vraiment les attentats suicides. »

L’autodestruction des Essaims Mascarades fit une brèche à travers les portes de la grande basilique. Grâce à cela, nous avions un passage libre dans le cœur de Royaume Papal.

Ou… peut-être pas.

« Vous êtes allés assez loin ! », dit quelqu’un nous appelant du haut d’un long escalier.

« Paris », avais-je dit avec les dents serrées.

Paris Pamphilj. J’avais gravé le visage de cet homme dans ma mémoire. C’était la première fois que nous nous rencontrions en personne, mais je ne le connaissais que trop bien. C’était l’homme qui avait poussé à l’exécution qui conduisit à la mort douloureuse d’Isabelle. Je ne lui pardonnerais jamais, jamais.

***

Partie 2

« Paris Pamphilj… J’aimerais te faire beaucoup de choses, mais d’abord, tu vas m’écouter. »

« Taisez-vous ! Alors, vous êtes la reine de l’Arachnée, c’est ça ? Eh bien, peu importe ! Votre vie s’arrêtera ici ! Vous ne ferez pas un pas de plus. Vous ne souillerez pas plus cette terre sainte que vous avez déjà trop souillée ! » proclama Paris.

« Oh. C’est intéressant. Qu’est-ce que tu vas faire, appeler ton ange ? Nous poser un basilic ? Ou peut-être, faire ressortir cette chose que tu appelles Métatron ? Peu importe ce que tu fais, alors vas-y. Essaie. »

« Hmph. Vous connaissez Metatron, n’est-ce pas ? Mais à en juger par votre attitude, vous n’avez pas idée à quel point il est vraiment effrayant. Eh bien alors, vous devrez apprendre à la dure ! »

À ce moment, un hymne commença à être joué depuis l’intérieur de l’église. Je pouvais dire que c’était un hymne parce qu’il était plutôt grandiloquent, et c’était assez ennuyeux. La musique religieuse, ce n’était pas vraiment mon truc.

Et au son de cette musique solennelle, la lumière nous éclaira alors qu’une silhouette géante se présentait. Son corps humanoïde était couvert d’une armure et il tenait une épée longue dans une main.

Attendez. Je le connais.

« Le Séraphin Métatron ! C’est la forme finale évoluée de l’unité héroïque de Marianne ! », avais-je laissé échapper.

Dans le jeu, c’était l’unité des héros de Marianne. Au début, c’était l’Archange Métatron. Après avoir évolué plusieurs fois, il avait atteint sa forme finale, le Séraphin Métatron.

Quand j’avais entendu le nom pour la première fois, j’avais pensé que ce serait le même genre de monstre que les chevaliers de Maluk avaient invoqué il y a si longtemps. Mais j’avais tort. Le Séraphin Métatron n’était en aucun cas une simple présence ennuyeuse sur le champ de bataille.

J’avais rapidement commencé à donner des ordres.

« Sérignan, Lysa, concentrez vos attaques sur le géant ! Essaims Génocidaires et Essaims Toxiques, tenez vos positions ! Essaims Toxiques, envoyez-lui des dards, Essaims Génocidaires, préparez-vous à l’attaque ! »

« Selon vos désirs ! » criaient Sérignan et Lysa à l’unisson.

Sérignan chargea Metatron avec son épée sainte corrompue à la main, tandis que Lysa utilisait son arc long pour tirer plusieurs flèches à la fois. Les Essaims Génocidaires se tenaient en formation défensive, et les Essaims Toxiques tiraient leurs projectiles sur Metatron.

« Raaagh ! Au nom de Dieu, vous serez vaincu ! Seule la foi apportera le salut ! », s’écria le monstre.

Notre assaut aurait dû faire un tabac sur Métatron. J’avais déjà réussi à le battre dans le jeu avec des attaques normales, même si j’avais dû sacrifier beaucoup d’Essaims pour le faire. Il y avait aussi eu un cas où un de mes alliés jouant la faction Grégoire utilisa ses tirs pour réduire Metatron en cendres.

En ce qui concerne les unités héroïques, les tuer avec des unités standard était presque impossible, à moins d’être prêt à subir de grosses pertes. Sérignan en était un bon exemple. Les unités héroïques étaient si puissantes qu’il fallait envoyer des masses d’unités standard pour avoir une chance de les vaincre.

Pire encore, le soleil brillait sur nous d’en haut. Le Seraphin Metatron, comme beaucoup d’autres unités du bien, était plus fort en plein jour. En d’autres termes, ce monstre était actuellement en pleine forme.

« Foi ! Une foi inébranlable et sans réserve ! », cria Métatron tout en balançant sa longue épée.

« Ngh ! »

« Aaaah ! »

Ce seul coup de Metatron envoya Sérignan voler à des dizaines de mètres en arrière, la faisant finalement s’écraser contre un mur, et fit tomber Lysa d’une volée de marches. Les Essaims Génocidaires s’étaient fermement implantés au sol, maintenant désespérément leurs positions défensives.

« Sérignan ! Tu dois t’attaquer à Métatron, quoi qu’il arrive ! Tu es la seule ici à pouvoir le faire ! Je compte sur toi, alors fais tout ce que tu peux pour l’abattre ! »

« Compris, Votre Majesté ! »

Envoyer une unité héroïque pour en tuer une autre était la méthode la plus efficace. Dans les situations où un joueur avait déjà perdu son unité héroïque, il n’avait pas d’autre choix que de se fier au nombre. À ce moment-là, cependant, les pertes seraient suffisamment graves pour renverser le cours de la bataille contre eux.

Pourtant, Sérignan n’en était qu’à sa troisième forme. L’un des points faibles de l’Arachnée — le fait que ses unités héroïques mûrissent plus lentement en fin de partie — se révélait pleinement ici.

Peut-elle gagner ? Non, il faut qu’elle gagne. Par tous les moyens nécessaires.

« Lysa ! Tire sur Sérignan par-derrière pour le couvrir ! Tire des flèches de feu, des flèches trempées de venin, tout ce que tu as ! Continue à tirer ! »

« Compris, Votre Majesté ! »

Lysa s’était vite mise à tirer. Et bien qu’elle ait un nom, ce n’était pas une unité héroïque, il y avait donc des limites à ce qu’elle pouvait accomplir. Quoi qu’il en soit, je lui avais ordonné de faire tout ce qu’elle pouvait. J’avais des effectifs limités, je devais donc les utiliser de manière appropriée.

« Hmph ! »

« Haaah ! »

Metatron et Sérignan verrouillaient les lames par un assourdissant affrontement métallique. Mon chevalier était clairement repoussé, mais elle tenait désespérément bon. Elle avait probablement senti ma volonté à travers la conscience collective, car ses mouvements étaient plus agiles que d’habitude.

« Haaaaaaah ! »

Enfin, elle porta un coup. Sa lame trancha la poitrine de Metatron, et l’épée sainte corrompue creusa profondément dans la chair du géant. Et pourtant, la chose maudite ne voulait pas tomber.

Même cela n’était pas suffisant !?

« C’est inutile ! Ceux qui n’ont pas la foi ne peuvent pas s’opposer à moi ! » dit Métatron alors que sa contre-attaque frappa Sérignan de plein fouet.

Elle fut envoyée en arrière comme une feuille emportée par une tornade, et son corps s’écrasa à nouveau contre le mur. Des fissures traversèrent son armure. Le simple fait de la regarder me faisait souffrir.

« Je ne vais pas… abandonner ! Je ne me rendrai pas ! Pour Sa Majesté ! »

Sérignan cria en se remettant de l’impact.

« Je te couvrirai ! », cria Lysa.

« Ngggh ! »

Les flèches trempées de venin de Lysa transpercèrent les yeux de Métatron, l’aveuglant.

Même une unité héroïque serait limitée sans sa vue. Peut-être que maintenant nous aurions un combat plus facile.

« Les infidèles ne connaîtront pas la gloire ! Les infidèles ne connaîtront pas la victoire ! »

Metatron rugit comme une machine enragée et chargea vers moi.

Merde.

En tant que joueuse, je n’avais jamais eu à me soucier d’être attaquée dans le jeu, je n’avais donc pris aucune mesure pour me défendre dans cette bataille. À ce rythme, je serais tuée.

Ahh… Je vais mourir. Je me demande ce qui va se passer ensuite. J’ai l’impression que Sandalphon va venir m’aider. Quelque chose me dit que je la verrai.

« Je suis -là, Votre Majesté ! »

Sérignan trancha le flanc du monstre avant qu’il ne puisse m’atteindre.

L’attaque prit Metatron complètement par surprise. La lame de Sérignan lui coupa le bras droit, le lacérant de l’épaule au poignet.

« Gaaaaah ! »

Metatron cria de douleur.

« Je ne le permettrai jamais ! Non, personne ne pourra toucher un cheveu de Sa Majesté ! Je suis un chevalier ! Le chevalier de l’ Arachnée ! », hurla Sérignan, ses yeux flamboyaient de colère.

Sérignan taillada, taillada et taillada. Elle trancha désespérément, sérieusement, et avec haine, à travers le séraphin. À ce moment, Sérignan m’avait paru extrêmement fiable, comme si elle serait toujours là pour me sauver. Eh bien, cette fois, elle venait de le faire.

Franchement, si seulement ce Metatron pouvait tomber, nous pourrions mettre fin à tout cela. Et pourtant…

« Hmph ! Les infidèles ne connaîtront pas la victoire ! »

Métatron secoua Sérignan et la frappa avec son épée.

« Explosion ! »

Une fois de plus, Sérignan s’envola vers le mur.

Son armure s’effritait, et elle ne semblait pas en état de se battre. Chaque fois qu’elle bougeait, une partie de sa carapace s’effritait et tombait au sol. Sa vue me terrifiait.

J’avais peur. Je ne pouvais pas supporter l’idée qu’elle meure.

Je dois la garder en sécurité. Cette fois, je te protégerai, Sérignan.

« Lysa, continue. »

Après ça, j’avais pris ma décision.

« Essaims Génocidaires, en avant ! »

Sérignan avait déjà blessé Métatron, qui l’avait à son tour blessée. Il ne nous restait plus qu’à riposter. J’avais ordonné aux Essaims Génocidaires de charger la créature, de se battre et d’honorer notre unité héroïque.

Respectant mes ordres, les Essaims Génocidaires s’étaient précipités sur Métatron. Ils s’étaient entassés autour de lui, lui arrachant la chair avec leurs griffes et leurs crocs. J’avais déjà vu ce genre de scène dans le jeu : des unités régulières battant une unité héroïque grâce à leur nombre.

Mais eux aussi étaient des soldats sur le champ de bataille, et je savais bien qu’une unité héroïque seule ne pouvait pas renverser le cours d’une guerre. Le jeu était construit autour d’unités standard, elles étaient une existence importante, indispensable, qui pouvait changer le cours de la bataille.

« Insectes infidèles ! Vos efforts ne signifient rien face à une vraie dévotion ! »

Le courage de ces unités standard leur permettait de s’affirmer et de servir leur but en tant qu’armes de guerre. Metatron avait déchiré les Essaims Génocidaires, balançant ainsi sa longue épée pour les repousser. Mais ses efforts étaient vains, les dégâts que Sérignan lui avait infligés auparavant le ralentissaient.

« Achevez-le, Essaims Génocidaires ! », criai-je.

Les essaims m’obéirent. Ils enfoncèrent leurs crocs dans le cou de Métatron, le déchirant de plus en plus profondément dans sa chair. Metatron lutta désespérément pour les abattre… mais sa tête fut arrachée avec une facilité presque comique. La fin caricaturale de la créature semblait se moquer de ses efforts frénétiques pour vivre.

Sa tête tomba sur le sol, son visage se contorsionna encore de rage et de haine, et roula sur une certaine distance.

« Nous… avons gagné ? », dit Lysa, surprise.

« Nous avons gagné, Lysa. Oh, mais ma pauvre Sérignan ! »

Je m’étais dépêchée de me mettre aux côtés de Sérignan.

L’armure de Sérignan était en pagaille, et sa respiration était si difficile qu’elle semblait pouvoir mourir à tout moment. Je me sentais terriblement impuissante. Je ne pouvais rien faire d’autre qu’espérer de tout mon cœur qu’elle s’en sortirait.

Je t’en prie, Sérignan… Ne meurs pas !

« Gah… Ack ! »

Sérignan toussa fortement.

« Sérignan ! Sérignan, ça va ? ! »

« Je vais… bien. Bien que je reconnaisse que mon corps souffre beaucoup. Mais ce n’est pas suffisant pour… », murmura-t-elle.

Mais elle n’allait clairement pas bien.

« Reste tranquille, Sérignan. Je vais demander aux Essaims Travailleurs de construire une Cosse de régénération, alors reste tranquille et ne pense qu’à ta récupération. Lysa et les Essaims Génocidaires te garderont en sécurité jusqu’à ce que tu ailles mieux. »

« J’apprécie votre inquiétude, Votre Majesté. Et je… m’excuse. Ma faiblesse, mon inaptitude… ont provoqué cela… »

« Tu as tant fait pour nous aider. Nous n’avons gagné que grâce à toi. »

Oui, notre triomphe est dû à Sérignan, à Lysa et aux Essaims Génocidaires. Cette victoire vous appartient à tous. Non, elle appartient à tout le monde sauf moi. Tous avaient combattu sans craindre la mort.

« Je vais mettre fin à cette guerre. Je suis fatiguée de tous ces combats », avais-je dit.

Sur ce, je rassemblai les Essaims Toxiques et me dirigeai vers Paris, qui était en état de choc après avoir assisté à la défaite de Metatron.

***

Chapitre 12 : Dulosis

Partie 1

« Eeeek, des monstres ! Sorcière ! Vous devriez tous brûler sur le bûcher ! »

Paris criait alors que je m’approchais de lui.

Quel spectacle pitoyable et pathétique ! Cela lui convenait. Il méritait le sort que j’allais lui réserver.

« Tais-toi maintenant. As-tu si envie de mourir ? », lui avais-je demandé. Les dards des Essaims Toxiques scintillaient dangereusement devant son visage.

« Qu’est-ce que vous voulez ? ! »

« Je veux être sûre que tu subiras le même sort que celui que tu as infligé à des innocents. »

Sentant ma volonté à travers le collectif, les Essaims Toxiques avaient ramassé Paris et commencèrent à l’entraîner.

« Lâchez-moi ! Lâchez-moi, je vous dis ! Avez-vous la moindre idée à qui vous avez affaire ? ! Je suis la main droite de Sa Sainteté, le Pape Benoît III ! »

Paris continua à crier alors qu’on l’emmenait.

Quel larbin !

Le bras droit du pape ? À quoi servait la main droite si elle ne faisait que tuer des gens ? Nous étions peut-être des monstres grotesques, mais cet homme avait ordonné la mort de ses propres proches. Et par-dessus tout, il avait assassiné Isabelle. Ce n’était pas quelque chose que nous étions sur le point d’oublier.

C’est de votre faute si Isabelle a dû souffrir une telle agonie.

☆☆☆**

« Vous tous ! Cet homme a brûlé les membres de votre famille, vos amis et vos proches sur le bûcher pour de fausses accusations ! Mais maintenant, il n’a plus ni pouvoir ni autorité ! Il n’est qu’un lâche impuissant ! Si vous voulez vous venger, allez-y ! », m’étais-je exclamée devant les citoyens de Saania.

En entendant ces mots, le visage de Paris pâlit.

« J’ai entendu dire qu’il est le chef du Département des Punitions… »

« Ma femme a été tuée à cause de lui ! »

Peu à peu, des malédictions haineuses surgirent du peuple de Saania alors qu’ils sortaient de leurs maisons et s’abattaient dans les rues. Chaque homme, femme et enfant fixait Paris avec un regard hostile, preuve de sa haine universelle.

« Maintenant, faites ce que vous voulez de lui ! », avais-je crié.

J’avais ensuite fait jeter Paris dans la foule.

« Tout est de votre faute ! C’est à cause de vous que la pauvre Maëlys a dû mourir ! Elle n’a fait que se soucier de ses parents, et vous l’avez punie avec une chose si terrible ! »

« Cet homme est le véritable hérétique ! Le Dieu de la Lumière est censé être un dieu miséricordieux, mais cet homme a exécuté tous ceux qu’il voulait ! Il n’y a pas une once de miséricorde en lui ! »

L’une des personnes présentes dans le public était Frederico, le propriétaire de la boulangerie qui servait autrefois des petits pains au sucre. Il lui en voulait encore pour Maëlys, qu’il considérait comme un membre de sa famille, qui avait été brûlée vive. Il y avait beaucoup d’autres personnes dans la foule qui avaient été témoins de la mort de leurs proches des mains de l’inquisition.

« Brûlez-le sur le bûcher ! Cet homme est un hérétique ! »

« Brûlez l’hérétique ! »

La foule entraîna Paris sur la place principale, où se trouvait le bûcher.

« Attendez ! Je ne l’ai pas fait ! Je n’ai fait que suivre les ordres ! Vraiment ! Ce n’était pas moi, vous devez me croire ! Je voulais seulement gagner la guerre ! », cria Paris.

Mais le peuple ignora ses paroles et l’attacha au bûcher.

« Brûlez-le ! Brûlez-le ! Brûlez-le ! »

Les masses chantaient et criaient alors que Frederico s’approchait de lui, torche à la main.

« Arrêtez ! S’il vous plaît, arrêtez ! Je vous en supplie ! »

Naturellement, les cris de Paris tombèrent dans l’oreille d’un sourd.

Frederico mit le feu au bûcher, qui fut bientôt enveloppé par les flammes.

« Aaaah ! AaaAAaaAhhh ! Aidez-moi, que quelqu’un me sauve ! »

Le corps de Paris brûla dans l’incendie. Ses vêtements avaient été rapidement rongés, et la peau en dessous fit pousser des cloques douloureuses qui grésillaient et éclataient. Il s’était débattu pour tenter de se libérer, mais il n’avait pas pu échapper aux flammes, et la fumée l’étouffait peu à peu.

« Mon Dieu… Ô, Dieu de la Lumière miséricordieux… Je t’en prie… sauve-moi… »

Puis, Paris Pamphilj rendit son dernier soupir.

« Il est mort ! »

« L’hérétique est mort ! »

Le peuple de Saania applaudi, se réjouissant de sa mort.

« Ils ressentent la même chose que moi », murmurai-je.

J’avais envisagé de tuer tous les citoyens de Saania après cela, mais j’avais décidé d’abandonner.

« Que ferons-nous maintenant, Votre Majesté ? », me demandèrent les essaims toxiques, en tournant leurs têtes instables sur le côté.

« Changement de plan. Nous prenons le contrôle de ce pays. », avais-je dit, en me tournant pour regarder la grande église du Royaume.

☆☆☆**

J’avais avancé au cœur de la cathédrale avec les Essaims Toxiques dans mon sillage. Les gardes avaient tous été chassés au préalable, ce qui m’avait permis d’entrer dans le bâtiment sans résistance. S’il restait quelqu’un pour nous combattre, je n’hésiterais pas à le tuer, mais j’avais essayé d’éviter les effusions de sang inutiles quand je le pouvais.

À ce moment-là, je me sentais miséricordieuse. Sandalphon avait dit que même dans des situations comme celle-ci, je ne devrais pas oublier mon cœur humain. Ainsi, j’avais fait de mon mieux pour respecter la promesse que je lui avais faite.

Enfin, j’avais atteint une salle tout au bout du bâtiment.

« Pardonnez mon intrusion », avais-je dit en entrant.

« Qu’est-ce que… !? Des monstres ! » s’écria un cardinal qui se recroquevilla à l’intérieur.

« Restez calme. Elle ne nous fera pas de mal », dit un autre avec calme.

Dans cette pièce, il y avait des cardinaux infectés par des Essaims Parasites et des cardinaux qui ne l’étaient pas. Il était naturel que les premiers soient si calmes.

« Permettez-moi de me présenter. Je suis Grevillea, Reine de l’ Arachnée. Je suis celle qui dirige les essaims qui vous ont tant tourmentés. Je crois que c’est notre première rencontre, mais je ne vous connais que trop bien, messieurs. »

Ayant utilisé les Essaims Parasites pour observer les cardinaux, je savais ce que chacun d’entre eux voulait.

« Je suis venue ici pour vous conseiller de vous rendre. Comme vous pouvez le voir, j’ai déjà abattu votre dernière ligne de défense. Metatron est mort, et il ne reste plus rien pour vous protéger de mon armée. Si vous vous rendez pacifiquement, nous vous permettrons de vivre comme nos vassaux. »

« Nous ne nous soumettrons pas aux monstres ! »

« Au fait, le cardinal Pamphilj vient juste d’être battu… »

J’avais vu l’espoir dans leurs yeux vaciller et s’éteindre.

« Si vous ne vous rendez pas volontairement, nous devrons détruire cette ville et celles qui l’entourent, en tuant tous les innocents. Il ne vous reste que quelques villes, mais ces gens sont toujours vos précieux citoyens. Allez-vous les laisser mourir ? »

S’ils choisissaient de résister, je transformerais tout leur peuple en boulettes de viande. J’avais agi avec un peu de pitié, mais je n’étais pas généreuse à ce point.

« Vous oseriez utiliser les gens de la ville comme levier ? »

« Mais leur vie est importante. Nous ne pouvons pas abandonner notre peuple… »

Les cardinaux infectés et non infectés discutèrent de mon ultimatum.

« Nous devons nous rendre. Nous n’avons plus les moyens de nous battre. L’Empire Nyrnal nous attaque depuis le sud, et il n’y a rien que nous puissions faire. », dit le pape Benoît III tout en soupirant de résignation.

« C’est sage. Puisque vous n’avez plus d’armée, se rendre est une bonne décision. », avais-je dit.

J’avais envisagé d’infecter le pape avec un Essaim Parasite, mais j’avais réalisé qu’il ne nous avait jamais donné cette chance. Pourtant, s’il était prêt à nous remettre le contrôle de son pays, il n’en aurait de toute façon pas besoin.

« Quelles sont vos conditions ? », demanda-t-il.

« Vous serez soumis à l’Arachnée. Vous nous obéirez sans objection. Tant que vous ferez cela, vous serez en droit d’adorer le Dieu de la Lumière, ou tout autre dieu que vous désirez. Nous voulons des vassaux obéissants qui ne résisteront pas. Si vous ne vous révoltez pas, et que vous nous fournissez ce dont nous avons besoin, nous vous permettrons de vous gouverner vous-mêmes. »

« Vous n’allez pas exiger qu’on vous donne des humains comme nourriture ou comme esclaves ? »

Il me jeta un regard suspicieux sous son front ridé.

« Tant que vous resterez obéissants, je peux vous garantir qu’aucun mal ne sera fait à votre peuple. Nous pouvons cependant vous demander du bétail. »

À vrai dire, la chair humaine était insuffisante. La viande du bétail élevé à la ferme était meilleure sous tous les aspects, y compris pour faire des boulettes de viande. En outre, en matière d’élevage, les humains n’étaient pas aussi faciles à gérer que les animaux de ferme.

« Si c’est tout ce que vous voulez, nous acceptons votre proposition. Faisons la paix, Mlle Grevillea. »

« Bien. Mais n’oubliez pas que nous vous surveillerons constamment. »

Si le Royaume Papal de Frantz venait à rompre ce traité de paix, les cardinaux infectés par les essaims parasites m’en informeraient immédiatement. Je n’étais pas particulièrement inquiète à ce sujet.

« Et puisque vous serez nos vassaux, nous promettons de vous protéger de l’Empire Nyrnal », avais-je ajouté.

« Pour cela, nous vous sommes reconnaissants. Ce pays tyrannique nous a subitement attaqués… Non, ils ont probablement attendu que la guerre nous affaiblisse suffisamment. Une nation aussi sournoise et méprisable… »

À l’heure actuelle, l’Empire de Nyrnal était notre ennemi commun. Au moment où ils avaient envahi notre territoire, ils avaient également déclaré la guerre au Royaume Papal.

« Alors nous allons conclure un cessez-le-feu. Prenons un jour ou deux pour rédiger un traité de paix que les deux parties trouveront satisfaisante. Nous ne voulons pas vous combattre plus longtemps. », avais-je dit.

La guerre était peut-être l’objectif de l’Essaim, mais ce n’était pas ce que je voulais. J’avais au moins l’intention de mettre un terme à tous ces combats après avoir détruit l’Empire de Nyrnal.

J’ai déjà fait assez de guerres, non ?

Ainsi, l’Arachnée entama des pourparlers de paix avec le Royaume Papal de Frantz. Le Royaume accepta d’enterrer la hache de guerre et jura de maintenir indéfiniment des relations amicales avec l’Arachnée. En outre, il avait été décidé que le Royaume accorderait à la faction de l’Arachnée toutes les fournitures dont elle aurait besoin en échange de l’aide militaire que l’Arachnée lui fournirait.

Enfin, l’Arachnée n’interférerait pas avec l’observance religieuse du Royaume. Frantz conservait le droit d’élire son propre pape et ne pouvait plus organiser d’autres inquisitions.

Le pape Benoît III et moi-même avions signé le document détaillant ces conditions, concluant ainsi la guerre entre l’Arachnée et le Royaume de Frantz. Il ne restait plus qu’à mener notre prochaine bataille contre l’Empire de Nyrnal, mais cela s’annonçait difficile.

Nyrnal avait déjà pris le contrôle de la plus grande partie de notre territoire à Maluk. Nous avions envoyé des Essaims Génocidaires et des Essaims Toxiques depuis nos bases d’opérations avancées à Schtraut, mais ils n’avaient pas fait grand-chose pour entraver l’avance de l’ennemi.

Il faudrait que je commence à m’occuper sérieusement de cette guerre le plus tôt possible. Je devais débloquer toutes les unités restantes et les envoyer affronter l’ennemi.

Ne t’habitue pas à ce que tout se passe comme tu le souhaites, Nyrnal.

Alors même que cette pensée provocante me traversait l’esprit, des problèmes couvaient ailleurs.

☆☆☆**

« Oooh. Cette fille n’est pas mal du tout », dit Samael en regardant une carte détaillant l’équilibre des pouvoirs sur le continent.

Alors que l’Arachnée n’avait plus le contrôle sur les territoire de Maluk, le Royaume Papal de Frantz était désormais teinté dans sa couleur. La carte aux pieds de Samael était fonctionnellement la même que la carte du jeu.

« L’armée du grand empereur a arraché les terres de Maluk et un peu de Frantz… Quelle déception ! J’attendais un peu plus de l’héritier de Gregoire, héritier de l’héritage des dragons. Ces gars devraient vraiment secouer un peu plus les choses. Les feux de la guerre devraient se répandre sur tout le continent au moment où tout sombre dans le chaos. C’est pourquoi ils ont ces wyvernes, non ? Pourquoi les bêtes prennent-elles la fuite, ne devraient-elles enflammer le monde ? Sont-elles simplement là pour plaire aux masses avec leurs acrobaties ? C’est ridicule… »

Samael claqua des doigts et une chaise apparut de nulle part.

« Eh bien, il n’y a pas de quoi s’inquiéter », dit-elle.

Elle s’assit et croisa les jambes, les collants noirs qu’elle portait faisant un son doux au moment où elle le faisait.

« Dame Samael a tout prévu. Je sais comment provoquer un pandémonium. Je vais juste allumer un feu sous l’Empire de Nyrnal pour qu’il unifie le continent avec une vigueur renouvelée. Oui, oui, oui. Dame Samael a tout prévu. »

Elle lécha ses lèvres, qui étaient enduites d’un rouge à lèvres pâle.

« Je veillerai à ce que l’Empire apprenne ce qu’est la véritable panique. Et dans sa lutte frénétique, il pointera ses lames vers l’Arachnée. »

Samael gloussa fort, satisfaite d’elle-même.

« Nyrnal va courir à travers le continent, semant la mort et le désordre partout où il ira. C’est la guerre. C’est le comportement humain. C’est l’essence même de la monstruosité. Pourquoi hésiter quand il s’agit de dévoiler la vraie nature de ce monde ? »

Son expression changea. Toutes les traces de son plaisir disparurent, laissant place à un regard froid et cruel.

« Mais je dois admettre que les actions de Sandalphon ont été inquiétantes. Elle est irritante. Elle essaie vraiment de sauver _________, la reine de l’Arachnée. La retirer de mon merveilleux jeu est une chose que je ne peux pas permettre. Cette fille restera quoi qu’il arrive mon jouet. Je ne vais pas laisser Sandalphon l’avoir maintenant. 

Continuons ce jeu. Ce jeu amusant, très amusant. Je me demande quel visage fera notre petite reine quand le monde sera couvert de cadavres et que le grotesque viendra régner sur ce monde. Sera-t-elle heureuse ? Déçue ? Terrifiée, peut-être ? Quoi qu’il en soit, j’attends cela avec impatience. C’est une personne avec laquelle ça vaut la peine de jouer. »

Samael se retourna alors dans son fauteuil.

« Maintenant, mes précieux spectateurs, c’est l’heure de l’événement principal. L’Arachnée et l’Empire Nyrnal, héritiers de la faction Grégoire, vont bientôt s’affronter. Regardez l’affaire en retenant votre souffle. Qui sortira vainqueur, l’Arachnée ou l’Empire ? »

Samael sauta alors de sa chaise et atterrit aussitôt sur un point précis de la carte.

« La bataille décisive aura lieu dans l’Union des Syndicats de l’Est, un pays corrompu que les hédonistes appellent leur maison. Cette nation courageuse et insensée a osé vivre sans plier un genou devant Nyrnal ou Frantz. Quelle faction sortira victorieuse ? »

Malgré les hostilités en cours, l’Union des Syndicats de l’Est avait conservé sa neutralité.

« L’Arachnée produit de nouvelles unités pour renforcer sa force, mais il en va de même pour l’Empire de Nyrnal. Eux aussi se cachent dans l’obscurité, utilisant l’héritage de la faction Grégoire pour augmenter leur armée de dragons. Bientôt, les wyvernes ne seront plus la seule chose à craindre. »

Quel genre de forces l’héritage de la faction Grégoire pourrait-il produire qui éclipserait même les redoutables wyvernes ?

« La guerre va continuer. Elle continuera ! Reprenons le jeu avec de nouvelles unités, de nouvelles tactiques, et de nouvelles victimes. Ahh, je peux déjà goûter à la béatitude qu’elle apportera ! », dit Samael avec joie.

***

Partie 2

Elle rit à nouveau, puis ramassa la carte et partit. Les puissances en guerre étaient actuellement dans une impasse, et les frontières des nations ne montraient aucun signe de changement pour l’instant. Cependant, le nombre de victimes ne fera qu’augmenter à partir de maintenant. Des essaims vont mourir pour tenir les frontières, tout comme les soldats de Nyrnal qui tentent de percer.

Le sang coulera des deux côtés, lentement mais sûrement, la peinture cramoisie tachera la carte du continent.

Mais les choses se passeraient-elles vraiment comme Samaël le souhaitait ? La reine de l’Arachnée, du moins, n’avait pas l’intention de laisser cela se produire. L’Arachnée était à la fois le plus grand espoir du monde et son plus profond désespoir.

☆☆☆

Les réfugiés de Schtraut retournèrent progressivement dans leur pays d’origine, dans l’ancien duché.

« Ce groupe se rend dans le premier complexe résidentiel temporaire. Et celui-ci, hmm… »

Roland organisait et s’occupait du retour des réfugiés. Il travaillait avec l’espoir que leur patrie renaisse, négligeant même le sommeil. Avec l’aide de quelques Essaims, il avait déplacé les réfugiés dans des maisons vacantes et avait construit des résidences temporaires pour accueillir ceux dont les maisons avaient été incendiées.

« Nous sommes enfin chez nous ! »

« Ahh, ça fait du bien de remettre les pieds sur le sol du Duché ! »

Les réfugiés, c’est-à-dire les citoyens de Schtraut, avaient été soulagés. Ils allaient pouvoir repartir à zéro, et cela les rendait plus heureux que tout le reste. Pendant leur séjour dans le Royaume Papal, ils avaient constamment vécu sous la menace des inquisiteurs et craignaient d’être un jour qualifiés d’hérétiques.

Aujourd’hui, ils avaient quitté l’exiguïté des camps de réfugiés et pouvaient à nouveau vivre dans leur pays. Ils étaient enfin à l’aise.

« Avons-nous vraiment le droit de faire cela ? »

« Ils ne nous attaqueront pas ? »

La seule chose qui les rendait mal à l’aise était la présence des Essaims. En ce moment, les Essaims faisaient office de laquais de Roland et aidaient Schtraut dans ses efforts de reconstruction. Mais aux yeux des citoyens, ces créatures étaient la raison pour laquelle ils avaient été chassés de cette terre, et ils ne pouvaient pas pardonner cela si facilement.

Les parents avaient caché leurs enfants, tandis que les frères et sœurs plus âgés avaient caché leurs plus jeunes frères et soeurs en s’efforçant de garder leurs distances avec les Essaims.

« Je suppose que nous ne pouvons pas nous attendre à ce qu’ils nous fassent confiance en un jour », murmura Roland avec un soupçon de déception en les regardant.

Ce n’était pas vraiment une surprise. L’Essaim avait déjà dévasté Schtraut une fois auparavant, et même s’ils étaient maintenant des alliés, les citoyens ne pouvaient pas se résoudre à leur faire confiance tout de suite. Cette confiance devait être gagnée, petit à petit.

Et c’était ce que souhaitait la reine de l’Arachnée. Si elle empêchait l’Essaim de tuer des civils, elle garderait son cœur humain et respecterait la volonté des personnes qu’elle avait perdues. Ses actions étaient aussi un moyen de s’assurer que l’Essaim puisse survivre sans elle.

Après tout, elle n’était pas immortelle. Elle aussi allait finir par mourir, le combat avec le Séraphin Métatron l’avait rappelé avec tristesse. Si les choses s’étaient passées différemment, Metatron l’aurait tuée.

Que se serait-il passé après sa mort ? L’essaim serait laissé pour compte dans ce monde malveillant, et sans chef, ils étaient faibles. Ils seraient réduits à une horde d’insectes incapables de stratégie ou de tactique, et ils essaieraient avec force de conquérir le continent avec leur nombre, et ce sans aucun répit.

Aucune unité ne serait modernisée, aucun bâtiment ne serait déverrouillé. L’Essaim se contenterait de combattre sans relâche. Roland ne pouvait pas imaginer qu’ils obtiendraient la victoire dans cet état. Le seul destin qui les attendait serait l’extermination.

Pour empêcher cela, la reine les poussait à nouer des relations cordiales avec les citoyens de Schtraut. Si l’essaim avait des alliés capables de créer une technologie et d’exprimer des pensées indépendantes, ils pourraient devenir capables de continuer sans elle. Même si elle devait mourir avant la fin de la guerre, l’Essaim serait entouré d’êtres humains, afin qu’ils ne soient pas considérés comme de simples monstres.

Si l’Essaim pouvait vivre aux côtés de l’humanité, celui-ci ne se sentira pas menacée d’extinction. Ils deviendraient de véritables amis de l’humanité, et la société finirait par accepter, voire par accueillir leur présence. Dans ce cas, les gens ne ressentiraient pas le besoin de s’en débarrasser.

Mais cela prendrait du temps pour y parvenir.

« Très bien, qui est… »

Mais au moment où Roland s’apprêtait à transmettre une question au collectif…

« Aaaah ! »

Une mère portant son enfant d’environ trois ans trébucha en essayant de franchir le mur frontalier. Elle était devenue pâle lorsque le petit glissa de ses bras. Mais le garçon n’avait pas touché le sol. Un Essaim Éventreur s’était précipité et l’avait rattrapé juste à temps.

« Eeek ! »

La femme cria de peur, pensant probablement que son enfant était sur le point d’être mangé, et se prépara à l’arracher. Mais l’Éventreur n’avait pas essayé de manger le garçon. Il le tenait simplement vers elle, attendant patiemment qu’elle le prenne.

« Vous… Vous l’avez sauvé ? », demanda-t-elle avec prudence.

L’Éventreur ne dit rien et continua à attendre, les pattes avant tendues.

« Hum, merci. »

Perplexe, elle prit doucement l’enfant de l’Éventreur et entra dans Schtraut.

Après avoir vu cette chaîne d’événements, Roland soupira de soulagement.

« Peut-être que l’Essaim comprend mieux que moi la volonté de Sa Majesté. »

L’Essaim obéit à la conscience collective, avec la reine en son centre. Bien que la reine pensait qu’être absorbée par la conscience collective la mettrait sur la voie d’un massacre aveugle, il semblerait que ce ne fût pas tout à fait le cas.

Comme elle le souhaitait, l’Essaim apprenait la pitié. Ils ne cherchaient plus à triompher uniquement par le meurtre de masse, ils étaient maintenant capables de choisir d’accepter les autres et de faire preuve de pitié. Ils ne réduisaient pas simplement les gens à des boulettes de viande, mais ils avaient appris à tendre la main et à prêter main forte.

La coexistence avec l’humanité… Elle n’était peut-être pas entièrement impossible. L’Essaim avait coopéré avec les elfes de Baumfetter, alors peut-être pouvaient-ils aussi coopérer avec une autre nation. L’Éventreur qui avait sauvé cet enfant fit réellement paraître cette possibilité.

L’Arachnée montrait des signes de changement. Elle avait peut-être été classée comme une faction maléfique, mais elle renaissait peut-être en quelque chose de nouveau. Mais ce processus prendrait du temps. Les habitants du continent étaient encore bien trop hostiles à son égard, et l’existence de l’Essaim était trop menacée.

Et tant que ces menaces subsisteraient, l’Essaim choisira de continuer à se battre. Il lui faudrait parfois mettre de côté ces cœurs miséricordieux et teindre le monde de sang comme les machines meurtrières qu’ils étaient censés être à l’origine.

L’Empire de Nyrnal était une menace majeure pour l’Arachnée. Et tant que l’Arachnée chercherait la victoire, elle donnerait la priorité à cela plutôt qu’à la miséricorde. La bataille entre l’homme et le monstre — et entre les monstres — allait se poursuivre sans fin.

Il y avait néanmoins l’espoir que le monde envisagé par la reine de l’Arachnée puisse devenir une réalité. En outre, il y avait encore de l’espoir pour ceux qui avaient péri dans les nombreuses batailles qui avaient eu lieu jusqu’alors.

« Je le vois… ! Oh, c’est une fille ! »

Le premier cri d’un nouveau-né résonnait dans tout le duché de Schtraut. Sa mère, son père et leur sage-femme veillaient sur elle avec affection, bénissant sa nouvelle vie.

« Elle est adorable… Elle te ressemble », dit le père de l’enfant, en prenant l’enfant dans ses bras et en la berçant.

« C’est sûr. Comment devrions-nous l’appeler ? », demanda sa mère.

« Et si… Isabelle ? Ce n’est pas un mauvais nom, hein ? »

Il berça le bébé d’avant en arrière pour tenter d’étouffer ses pleurs.

« Oui… C’est un prénom merveilleux, chérie. Allons avec Isabelle. »

Aucun des deux n’avait connaissance de la chère amie de la reine d’Arachnée, la courageuse pirate qui avait été brûlée sur le bûcher. Ces deux-là avaient été piégés dans les camps de réfugiés à l’époque, ils n’avaient donc aucun moyen de voir ce qui se passait dans le monde extérieur.

Malgré cela, ils avaient choisi de nommer leur enfant Isabelle. Quel sens ce geste avait-il eu ? Qu’était-il arrivé à ceux qui sont morts dans ce monde ? Seules quelques personnes connaissaient la réponse.

☆☆☆

Un monde blanc s’étendait à perte de vue. Une fille seule se tenait là, également vêtue de blanc. Sa peau était d’albâtre et ses cheveux raides d’un blond cendré foncé, sans aucun ornement. Ses yeux de saphir étaient maintenant fermés, elle inclinait la tête vers le ciel blanc comme pour prier.

« Ma chère _________. Je crois que vous avez beaucoup souffert. Je suis désolée de dire que seule une douleur plus grande vous attend. Et pourtant, nous n’avons d’autre recours que de compter sur vous. Nous ne pouvons que mettre notre foi en vous et en votre immense force. »

Sa voix était pleine de regrets. Elle avait ouvert les yeux une fois de plus.

« Nous devons avoir confiance en vous si nous voulons sauver votre âme de ce monde fermé. Nous avons besoin que vous continuiez à aller de l’avant. Ensemble, nous allons détruire ce jeu vil que le diable a créé. »

Sandalphon savait où ce jeu se déroulait, et elle savait ce qui arrivait à ceux qui y mouraient. C’était pour cette raison qu’elle avait décidé de détruire le jeu. La créature malveillante qui avait dans un premier temps créé ce scénario cruel ne devait pas être pardonnée.

« La disparition d’une personne est terriblement triste, mais vous devez surmonter cette tristesse et aller de l’avant. Vous devez vaincre cette tristesse par tous les moyens nécessaire, que ce soit par la vengeance ou la prière. Si vous ne bougez pas, vous aurez pris le mauvais chemin et vous serez tombé dans les mains du diable. C’est inacceptable, il faut mettre fin à ce jeu. »

Les paroles de Sandalphon étaient comme une prière.

« Je sais qu’il est terriblement désagréable que je ne puisse rien faire d’autre que de veiller sur vous et de prier alors que vous vous battez bec et ongles pour survivre dans ce monde. Mais quand même, permettez-moi de faire ce souhait égoïste : Soyez victorieuse. Et je souhaite aussi que vous n’oubliiez pas votre cœur humain. »

Elle ferma alors les yeux.

« Au nom de notre Seigneur, je vous pardonne vos péchés. Puissiez-vous trouver le salut. Et s’il vous plaît, pardonnez-moi d’être si impuissante, et de ne pas pouvoir être votre guide. »

Pendant que cette histoire macabre se déroulait, des choses se déroulaient en coulisses. Dans l’ombre, une histoire plus grande et plus grandiose se préparait.

☆☆☆

Le Royaume Papal de Frantz était tombé, le monde entrait dans une nouvelle ère. Avec la défaite du Royaume, l’équilibre du pouvoir sur le continent s’était déplacé, déchiré entre l’Arachnée et l’Empire de Nyrnal. Maintenant que l’armée alliée avait été dissoute, les petits pays s’étaient mis à la recherche de la protection de Nyrnal. L’Empire, avec ses armées vastes et puissantes, n’était que trop heureux de rendre service.

Les lignes de front s’étendaient du Duché de Schtraut au Royaume Papal de Frantz, et les deux camps se regardaient de l’autre côté de la frontière. Malheureusement pour l’Empire, les chances de réussite d’une attaque sur les territoires du duché du côté de Maluk étaient extrêmement faibles. Il avait dans un premier temps été contraint de diviser considérablement ses forces afin d’occuper Maluk.

Cependant, la reine de l’Arachnée ne le savait pas. Ainsi, si Nyrnal devait faire un mouvement, ce ne serait pas vers l’ouest, mais vers l’est. Le champ de bataille suivant devait être l’État neutre pris en sandwich entre les deux grandes puissances : l’Union des Syndicat de l’Est.

Aujourd’hui encore, l’Union des Syndicats de l’Est ignorait les exigences de Nyrnal et ne montrait aucun signe de capitulation devant l’Arachnée. Les marchands savaient que les chances que leur terre devienne le prochain champ de bataille étaient élevées, mais ce n’était pas certain. L’Union des Syndicats de l’Est serait-elle vraiment le lieu du prochain conflit ?

La réponse à cette question dépendait du commandement de Grevillea, la chef de l’Arachnée, et de Maximillian, le chef de Nyrnal.

Ce jour-là, la ville de plaisance de Khalkha brillait à nouveau comme un paradis. Partout dans la ville, il y avait du vin de grande qualité, des jeux d’argent à gros enjeux, de belles femmes, des hommes costauds, des narcotiques et des bouffons cajoleurs. Khalkha offrait des plaisirs que l’on pouvait trouver ailleurs, mais en même temps, cette ville abritait des plaisirs que l’on ne pouvait trouver nulle part ailleurs.

Le Royaume Papal de Frantz l’avait dénoncée comme un repaire de péchés et d’immoralité, mais les habitants de Khalkha considéraient leur ville comme l’unique oasis de ce désert qu’était le monde. Néanmoins, que feraient-ils si leur utopie devenait un champ de bataille ? Les temps de paix seraient bientôt terminés et une ère de guerre commencerait.

L’Empire Nyrnal et l’Arachnée regardaient l’Union des Syndicats de l’Est comme des hyènes affamées. Les richesses de la nation et ses infrastructures menant au territoire de Nyrnal en faisaient une cible tentante. De plus, celui qui gagnera cette terre aura un avantage écrasant dans les batailles à venir.

Venez, chers spectateurs. Regardez la bataille à venir, et n’osez pas cligner des yeux. Une lutte désespérée jusqu’à la mort va bientôt commencer.

***

Bonus : Réflexions d’insectes

Tout ce que la reine de l’Arachnée, Grevillea, avait vécu était transmis à l’ensemble de l’Essaim. Ainsi, la majorité d’entre eux ressentirent pour la première fois toute une palette d’émotions. Lorsqu’elle avait décidé de se venger, l’essaim avait été animé par cette colère. Lorsque le garçon elfe était mort, l’essaim avait été inondé d’une rage telle qu’il n’en avait jamais connu. Mais les essaims individuels avaient-ils eu des sentiments qui leur étaient propres ?

L’Essaim réfléchissait.

Si ce que la reine ressentait pouvait être appelé émotion, alors ils n’avaient rien qui lui correspondait. Il n’y avait rien en eux qui les poussaient intrinsèquement à aller de l’avant, si ce n’était leur instinct de conquête. Malgré cette impulsion, ils n’avaient jamais réfléchi à la raison pour laquelle ils l’avaient eue. Elle était simplement là. Une pulsion sans raison ni cause.

Mais chaque fois qu’ils étaient étranglés par les marées émotionnelles de leur reine, l’essaim sentait que le pilier de leur désir de conquête était ébranlé. Tout était encore comme avant lorsqu’ils avaient conquis le royaume de Maluk. En revanche, après leur entrée dans le duché de Schtraut, quelque chose avait mal tourné.

La reine n’avait pas simplement cherché à dominer ce pays, elle avait tenté de négocier. Ils ne s’étaient pas infiltrés pour le conquérir, mais pour une alliance. Elle avait presque réussi, elle aussi, mais tout avait ensuite été détruit.

Après cela, le cœur de leur reine était rempli d’un sentiment étouffant de futilité — et, à côté de cela, une rage profonde et un désir de massacrer ceux qui avaient tué ses alliés potentiels. L’essaim ressentit ensuite une émotion qui les assaillait rarement : la pitié.

L’Essaim réfléchissait.

Comment et pourquoi leur reine avait-elle été gratifiée d’une telle abondance d’émotions ? Si elle était un Essaim, elle n’aurait pas besoin d’émotion et écraserait simplement les autres par impulsion… Mais elle n’en était pas un. Auraient-ils été préférables qu’elle ne portait pas tous ces sentiments en elle ?

Non, cela n’aurait pas été le cas. La présence d’émotions leur permettait de découvrir de nouvelles choses. D’apprendre la colère, la tristesse, la joie. Et c’était grâce à ces émotions qu’ils n’étaient plus seulement un Essaim.

L’Essaim accepta les émotions de la reine, et ils souhaitaient en adopter d’autres à l’avenir. Ce faisant, ils allaient mûrir. Ce n’était plus de simples monstres, ils allaient évoluer vers une nouvelle forme de vie. Oui, ils deviendront des créatures capables de comprendre le cœur humain. Et s’ils pouvaient apprendre à lire le cœur des autres, peut-être seraient-ils d’autant plus proches de la victoire.

C’était ce que les essaims pensèrent au début.

Bien qu’ils puissent comprendre les émotions, ils ne pouvaient pas facilement saisir les raisons qui se cachaient derrière elles, à moins qu’elles ne soient assez simples. Par exemple, lorsque la reine voulait faire l’expérience du passe-temps humain qu’était la baignade dans l’océan, l’essaim ne pouvait pas vraiment comprendre ses motivations.

L’entrée dans la mer était-elle agréable ? Pourquoi la reine se sentait-elle coupable de ne pas avoir invité tout le monde ? Il aurait été insensé de faire sortir les essaims des lignes de front pour les concentrer à l’arrière en temps de guerre.

L’essaim ne pouvait pas comprendre le concept de plaisir. Même si leur désir de conquête devait se réaliser, ils ne le percevaient pas en termes de plaisir ou de jouissance. Ils ne connaissaient rien qui puisse être qualifié comme tels. Ils n’avaient aucun désir de se nourrir, de dormir ou de copuler, et n’avaient donc pas besoin d’être divertis.

L’Essaim réfléchissait.

Qu’est-ce qui était « amusant » ? On pensait que Sérignan, qui se distinguait parmi eux par son nom et sa personnalité, connaissait la réponse. Comme la reine, elle était capable de prendre des repas, et surtout, elle prenait plaisir à être aux côtés de la reine.

Comme Sérignan, les autres Essaims considéraient la reine avec respect et affection, mais ils ne ressentaient pas de plaisir en sa compagnie. Après tout, il suffisait que l’un d’eux soit près d’elle pour que l’expérience soit partagée par le collectif. De plus, la présence de la reine était tout à fait naturelle. Lorsque le moment sera venu pour elle de les quitter, ce sera leur fin.

Que ressentirait alors l’Essaim ? Ils ne comprenaient pas le chagrin de la séparation. Lorsque Lysa perdit Linnet et devint membre de l’essaim, ses expériences se répandirent dans la conscience collective. Mais les autres Essaims ne pouvaient pas comprendre ses émotions. Ils ne pouvaient pas comprendre le sens de la séparation éternelle d’un être cher.

Premièrement, leur compréhension de la mort n’était que trop limitée. Tous étaient un et un était tous, et donc pour eux, la vraie mort n’existait pas. Si l’un d’entre eux tombait, il était remplacé par un autre. La volonté individuelle de chaque Essaim était maintenue dans le collectif même après que son corps ait cessé de fonctionner. Et peu importe le nombre de morts, leur concept de mort ne se concrétisait pas avant que le tout dernier Essaim ne périsse.

De par sa nature même, l’Essaim ne pouvait pas comprendre la mort ou les émotions qui accompagnaient un adieu éternel. Mais peu à peu, ils commençaient à la comprendre à travers les émotions de la reine. La reine avait enduré de nombreuses séparations, et chaque fois que cela se produisait, elle réprimait la haine, l’intention meurtrière et la tristesse qui tourbillonnaient dans son cœur. À son tour, l’Essaim réagissait à ces sentiments. Ils massacraient selon la tempête maléfique de son cœur. Mais comment étaient-ils censés répondre à sa tristesse ?

L’Essaim réfléchissait.

Qu’est-ce que la tristesse ? Quel genre de sentiment était la tristesse ? L’Essaim ne le savait pas. Il leur était difficile de comprendre le chagrin de la reine.

Mais ils apprenaient, petit à petit, comment les gens géraient la tristesse. Ceux qui souffraient partageaient leur chagrin, en allégeant le fardeau des uns et des autres. La reine avait partagé la douleur de Lysa autant qu’elle le pouvait, et l’Essaim reconnut qu’en faisant cela, les nuages du chagrin de Lysa s’étaient quelque peu dissipés.

Lorsque la reine se sentait triste, allaient-ils partager sa douleur ? Seraient-ils capables de lever une partie du fardeau de sa douleur ?

Non, car l’Essaim ne ressentait aucune douleur.

L’Essaim réfléchissait.

Si le temps où l’Essaim comprendrait vraiment les émotions humaines arrivait, la reine les considérerait-elle comme des êtres vraiment spéciaux ? S’ils étaient enfin capables de comprendre ce qu’elle ressentait, seraient-ils enfin devenus les vassaux de Sa Majesté ?

« Tous saluent la reine. »

L’Essaim continuera à y réfléchir jusqu’à ce que la mort survienne.

***

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Un commentaire :

  1. amateur_d_aeroplanes

    Concernant la toute dernière phrase. Par chance ou malchance ?

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