Joou Heika no Isekai Senryaku – Tome 1
Table des matières
- Prologue
- Chapitre 1 : Confirmer la situation : Partie 1
- Chapitre 1 : Confirmer la situation : Partie 2
- Chapitre 1 : Confirmer la situation : Partie 3
- Chapitre 2 : Plan B : Partie 1
- Chapitre 2 : Plan B : Partie 2
- Chapitre 3 : Au nom de la revanche : Partie 1
- Chapitre 3 : Au nom de la revanche : Partie 2
- Chapitre 4 : Effusion naturelle de sang
- Chapitre 5 : Tragédie au Village des elfes : Partie 1
- Chapitre 5 : Tragédie au Village des elfes : Partie 2
- Chapitre 5 : Tragédie au Village des elfes : Partie 3
- Chapitre 5 : Tragédie au Village des elfes : Partie 4
- Chapitre 6 : La bataille de Leen : Partie 1
- Chapitre 6 : La bataille de Leen : Partie 2
- Chapitre 7 : Boulettes de viande : Partie 1
- Chapitre 7 : Boulettes de viande : Partie 2
- Chapitre 8 : La bataille de la rivière Aryl : Partie 1
- Chapitre 8 : La bataille de la rivière Aryl : Partie 2
- Chapitre 9 : La chute du royaume : Partie 1
- Chapitre 9 : La chute du royaume : Partie 2
- Chapitre 9 : La chute du royaume : Partie 3
- Chapitre 9 : La chute du royaume : Partie 4
- Chapitre 9 : La chute du royaume : Partie 5
- Chapitre 9 : La chute du royaume : Partie 6
- Chapitre 10 : Flammes ardentes : Partie 1
- Chapitre 10 : Flammes ardentes : Partie 2
- Chapitre 10 : Flammes ardentes : Partie 3
- Chapitre 11 : Altération : Partie 1
- Chapitre 11 : Altération : Partie 2
***
Prologue
Il s’agissait d’une armée composée d’êtres répugnants et grotesques.
Un agrégat de pure malice et de soif de sang.
Un cauchemar inéluctable qui avait pris forme.
Le symbole de la mort la plus horrible.
Ils étaient clairement de mauvais présages, annonçant l’avènement d’une catastrophe.
Ces agents du memento mori (NdT art mortuaire, dont faisait partie la danse macabre) étaient comme la peste noire elle-même. Ils jouaient une danse macabre, se délectant aussi bien des vivants que des morts.
Ce fléau dénaturé jaillissait du cloaque de la folie pour emporter les villages, les villes et les nations toute entières.
Le nom de ceux qui s’étaient précipités et avaient piétiné tout le monde était…
****
Il était une fois un certain jeu de stratégie en temps réel. Il présentait pour cadre un banal monde imaginaire où une multitude de races rivalisaient pour la suprématie. Il y avait au total vingt et une factions, chacune répartie dans l’un des trois alignements : le bien, le neutre et le mal.
Une faction du bien, Marianne, gagnait le pouvoir par une foi pieuse. Une faction neutre, Grégoire, était dirigée par des dragons depuis les temps anciens. Une faction maléfique, Flamme, était une tribu sauvage déterminée à semer la destruction à travers le monde.
Je m’étais souvenue qu’il y avait toutes sortes de races et de factions, et chacune présentait ses propres caractéristiques. Elles avaient toutes leurs propres unités et structures distinctes qui permettaient des stratégies uniques et divertissantes. Mais parmi toutes les factions du jeu, il y en avait une que j’aimais le plus : une faction maléfique appelée l’Arachnée.
L’Arachnée était une race d’insectes, ou plutôt, ses unités ressemblaient davantage à des araignées, et son système politique était totalitaire. Sa structure écologique était celle d’une colonie construite autour d’une reine.
Sur le plan militaire, l’Arachnée formait des troupes qui dévoraient leurs ennemis, ne laissant derrière elles que des ossements. Elles envahissaient les autres factions sans discernement, et sans faire de diplomatie. Si j’avais envie d’être un peu cynique, je pourrais même aller jusqu’à la qualifier de fasciste. Mais c’était la faction que j’avais trouvée la plus facile à jouer, et j’en étais progressivement venue à adorer ses nombreuses unités. En ce qui concernait les matchs en ligne, je choisissais toujours l’Arachnée avec une dévotion fixe.
Les ruées en début de partie étaient une tactique viable pour obtenir la victoire, se tapir derrière les défenses de la faction afin de constituer une armée assez grande pour balayer la carte en était une autre. Une autre condition de victoire consistait à mettre au point les unités les plus coûteuses pour écraser l’ennemi grâce à sa force punitive.
Tant que vous pouviez regarder au-delà de leur conception extérieure, les unités d’Arachnée étaient relativement complètes et bien équilibrées. J’avais gagné d’innombrables matchs avec eux, remportant même des victoires dans certains tournois en ligne. Toutes mes victoires consécutives avec l’Arachnée m’avaient valu un surnom parmi les autres joueurs : « BugSis ». J’avais trouvé ce petit surnom plutôt mignon et charmant et je l’avais toujours beaucoup aimé.
« BugSis est un vrai maître de l’Arachnée. »
« Es-tu aussi cool avec tes insectes ? Je ne supporte pas les araignées : x »
« Hé, BugSis, j’ai entendu dire qu’il y a une nouvelle contre-attaque pour cette tactique de macrophage que tu détestes. »
Je me souviens avoir parlé de ceci et de cela avec mes amis en ligne dans le chat du jeu. Nos conversations étaient toujours animées, que nous célébrions une nouvelle stratégie réussie ou que nous battions un record.
Mais malgré le fait que nous jouions à ce jeu depuis des années, je ne me souvenais pas de son nom.
Je n’arrivais pas à me souvenir.
Pourquoi suis-je… ?
Où suis-je ?
Ma mémoire est tellement embrouillée…
****
Click… Clack…
Un son étrange réveilla ma conscience.
Click… Clack…
C’était un son particulier qui ne ressemblait pas au tic-tac d’une horloge. C’était plus comme… le bruit d’une agrafeuse multiplié plusieurs fois. C’était peut-être le cliquetis du métal contre quelque chose d’autre. Quoi qu’il en soit, le son était tout à fait désagréable. Il se répercutait près de mes oreilles et provoquait ma réaction de combat ou de fuite.
« Mais qu’est-ce que… ? »
J’avais regardé autour de moi, toujours étourdie. Aussitôt, mon souffle s’était bloqué dans ma gorge. Devant mes yeux se trouvait une araignée gigantesque, beaucoup plus grande qu’un être humain. Non… c’était peut-être une fourmi ? Ou un scorpion ?
La vue de cette créature indescriptible m’avait fait reculer, terrorisée. Mais mon dos s’était instantanément heurté au mur impitoyablement froid et dur qui se trouvait derrière moi. Il n’y avait pas d’échappatoires. J’avais jeté un coup d’œil autour, pour voir des centaines d’autres de ces quasi-araignées grouiller dans l’espace sombre. Pour la première fois, j’avais senti un frisson de peur véritable se faufiler le long de ma colonne vertébrale.
Elles vont me manger tout cru, pensais-je
« Sa Majesté s’est réveillée. »
« Merveilleux. Splendide. »
Au moment où ces abominations parlèrent, une grande prise de conscience me submergea. Ces créatures n’étaient-elles pas les soldats de l’Arachnée que j’aimais tant au fil des ans ? N’étaient-elles pas… l’essaim ?
Tout me revenait : ces arachnides faisaient partie de l’essaim, et elles étaient les troupes collectives de la diabolique Arachnée. L’éclat brillant de leurs exosquelettes noirs, élégamment courbés… Les crocs aiguisés et vicieux qui faisaient naître la peur de mourir chez tous ceux qui en étaient témoins… Des appendices semblables à des faux qui pouvaient transpercer n’importe qui et n’importe quoi… Des dards venimeux mortels et efficaces qui ornaient leur carapace…
C’était le même essaim pour lequel j’avais passé d’innombrables heures à m’en occuper, alors que seul l’écran de l’ordinateur nous séparait. Ceux qui se tenaient devant moi avaient des faux longues et tranchantes disproportionnées par rapport à leur corps et des jambes longues et étroites. Ces caractéristiques appartenaient aux « Essaim Éventreurs », un type d’essaim facile à produire en masse, utilisé pour les ruées du début du jeu.
Il n’y avait pas de doute là-dessus. J’avais utilisé des légions de ce type d’essaim pour étouffer des factions ennemies des dizaines, non, des centaines de fois. Aucune unité ne pourrait être plus nostalgique pour moi. Ils avaient même contribué à ma victoire dans certains tournois.
Si je regardais au-delà des essaims d’éventreurs, je pouvais aussi voir des essaims de travailleurs. Il s’agissait des unités ouvrières qui construisaient de nouvelles structures, réparaient les structures existantes et produisaient des armes de siège. Je m’étais souvent trouvée enchantée par l’architecture et la conception instables de leurs constructions. Elles étaient grotesques, mais elles possédaient une beauté qui leur était propre, rappelant ce que vous pourriez voir dans un film d’horreur de haute qualité.
Il y avait aussi des Essaims Fouilleurs à côté d’eux. Leur coût de production était plus élevé que celui des Essaim Éventreurs, mais en échange, ils étaient capables d’une action unique : creuser sous terre et se frayer un chemin jusqu’à la base ennemie. Ils étaient destinés à des attaques-surprises et étaient assez difficiles à utiliser. Cependant, une fois maîtrisés, les Essaims Fouilleurs s’avéraient être des unités fiables, capables d’abattre des forteresses entières sans l’aide d’aucune arme de siège.
Comment ai-je pu oublier ces unités après avoir passé tant d’années à les utiliser dans le jeu ? Non… Pour commencer, pourquoi ma mémoire est-elle si floue ? Où est-ce que c’est, d’ailleurs ? Pourquoi suis-je ici ?
« Sa Majesté est revenue. »
« Gloire à l’Arachnée. »
Je le savais. C’est vraiment l’essaim, et c’est un camp de l’Arachnée. Mais qu’est-ce que je fais ici ? L’Arachnée n’existe que dans le monde du jeu, et certainement pas dans la réalité. Est-ce une sorte de rêve ? Non, tout semble bien trop vivant et réel pour que ce soit un rêve.
J’avais tendu la main pour toucher l’un d’entre eux. Je pouvais sentir la douce sensation du corps de l’essaim. Le son de leurs crocs résonnait d’une manière qui ne serait pas possible dans un rêve. C’était réel. L’essaim devant moi, cette grotte froide, tout cela était réel. Les choses qui selon moi n’existaient que dans mon jeu préféré étaient sous mes yeux avec des détails frappants.
« Commandez-nous, Votre Majesté. »
« Nous désirons un chef. Un chef pour nous guider. »
« Une reine pour nous conduire à la victoire. »
« Une reine pour nous servir de noyau et nous diriger. »
L’essaim avait parlé, ignorant mon incertitude. Puis ils levèrent tous les mains et inclinèrent la tête — le geste d’obéissance de l’Arachnée. Ils avaient pris cette pose lorsqu’un joueur les avait produits et lorsqu’ils avaient gagné une bataille. C’était la seule émotion amicale dont les insectes de l’Arachnée étaient capables. Ils ne montraient ce geste à personne d’autre que le joueur. Tous les autres étaient accueillis avec une faux, un croc et un dard, tandis que l’essaim déchirait leurs ennemis sans aucune pitié, pour ensuite dévorer leur corps.
Le problème, c’était que je n’étais pas du tout une reine. Même s’ils m’appelaient leur reine, je ne pouvais pas être à la hauteur de ce rôle. J’avais pris l’initiative de parler à l’essaim qui avait insisté pour que je sois leur reine, me vénérant ainsi.
« Je ne suis pas votre reine », dis-je résolument à l’essaim.
« Non. Votre Majesté est la reine. »
« Votre Majesté est, sans aucun doute, notre reine. »
« Avez-vous oublié les innombrables fois où vous nous avez guidés vers la victoire ? »
D’innombrables fois ? Je les ai guidés vers la victoire ? Est-ce qu’il s’agit des matchs en ligne ? Ils se souviennent que je les ai gagnés, mais je ne me souviens même pas comment j’en suis arrivée là ?
« Guidez notre conquête aujourd’hui aussi, Votre Majesté. »
« Notre déesse de la guerre et reine invaincue. Ô, gloire à l’Arachnée. »
« Votre Majesté, ordonnez-nous. Guidez-nous vers la victoire. »
Chaque essaim parlait de la même manière. Tout ceci parce qu’ils agissaient comme une conscience globale qui avait la reine pour noyau. Tous étaient un, et un seul était tout. Les innombrables essaims présents dans ce lieu se déplaçaient tous sous ce qui était essentiellement une volonté commune, et ils n’avaient pas de différences individuelles.
Plusieurs centaines d’essaims croyaient vraiment que j’étais la reine d’Arachnée. Et si je continuais à insister sur le fait que je n’étais pas leur reine ? Même maintenant, alors que ma conscience commençait déjà à se fondre dans la leur ?
Oui, je pouvais dire que ma conscience était liée à l’esprit de la ruche. Je savais ce qu’ils pensaient. Ces essaims me voyaient vraiment comme leur reine et avaient soif de victoire, même s’ils n’avaient aucune idée du type de victoire qu’ils voulaient. Ils me vénéraient en tant que reine, mais je ne pouvais pas comprendre tout cela. Si je continuais à le nier, que deviendrais-je ?
« Ahaha... Ahahahahaha ! »
Je ne pouvais rien faire d’autre que de rire. Qu’est-ce qu’on attendait de moi ? Ma psyché n’était pas assez fragile pour craquer et devenir folle à ce point, alors j’avais rassemblé ce qui me restait de santé mentale pour tenter de m’adapter à la situation. Alors que mon esprit luttait pour s’adapter à cette incroyable réalité, ma voix de la raison me criait de fuir. Cependant, mon faible sens de l’autopréservation m’avait avertie de rester sur place.
Franchement, devenir folle aurait rendu les choses beaucoup plus faciles.
Mais je n’étais pas devenue folle. J’avais donc dû faire un choix. Si je continuais à désavouer ma position de reine, l’Arachnée — contre laquelle je n’étais pas de taille — m’abandonnerait et me mettrait en pièces. Mais si je reconnaissais que j’étais leur reine, je devrais diriger ces beaux et précieux insectes.
Je ne voulais pas mourir. Je n’avais pas été assez clairvoyante ou sage pour accepter ma propre mort. Une partie de moi ressentait le désir de céder et d’accepter la mort, mais ses échos étaient faibles et creux. Une voix beaucoup plus forte me poussait désespérément à vivre.
En plus de tout cela, je ne voulais pas trahir les attentes de l’essaim qui avait lutté en mon nom pendant tant d’années, même si c’était dans un monde fictif. Même si tout se passait dans un jeu vidéo, ils s’étaient battus pour moi pendant si longtemps. Ils étaient mes amis et mes subordonnés les plus fiables.
Une fois que j’avais réalisé cela, il n’y avait plus besoin de réfléchir. La réponse était évidente. Il n’y avait pas d’autre option, pas d’autre route à suivre pour moi.
« Très bien. »
Je m’étais levée. Avec mes cheveux noirs jusqu’à la taille, j’avais déclaré : « Je vous conduirai au triomphe en tant que reine afin que nous soyons victorieux ! »
J’avais parlé le plus pompeusement possible, comme pour faire prendre conscience au monde entier que j’étais reine. Par cette proclamation, j’avais juré ma loyauté à l’essaim et je leur avais promis la victoire.
« Puissions-nous être victorieux. Saluez tous Sa Majesté ! »
« Puissions-nous être victorieux. Saluez tous Sa Majesté ! »
L’essaim acclama mes paroles en claquant des mâchoires, ce qui devait probablement être interprété comme une sorte d’applaudissement.
Que vais-je devenir maintenant que j’ai prêté serment à ces insectes grotesques ? Mon jugement est-il vraiment rationnel ici, ou bien l’influence de l’inconscient collectif de l’essaim a-t-elle envahi le mien et m’a-t-il rendue folle ?
Peut-être que oui. Promettre aveuglément à l’essaim la conquête qu’il désirait quand je n’avais aucune prise sur la situation était sans doute une décision stupide. Si j’avais vu une autre voie, je l’aurais probablement prise. Et vu ce qui pourrait arriver ensuite, j’aurais peut-être dû chercher désespérément une alternative.
Néanmoins, j’avais choisi de ne pas abandonner mes insectes et j’avais plutôt commencé à suivre le chemin de la reine. Je n’avais aucun regret, mais je n’étais pas sûre que mon choix n’ait pas été fait par folie.
Je me l’étais demandé à nouveau : suis-je devenue folle ? Certains aspects de la scène m’avaient amenée à croire que je pourrais très bien l’avoir fait. Ma mémoire était floue et ma compréhension de la situation était au mieux chancelante. Les preuves qui semblaient prouver que j’étais devenue folle surgissaient les unes après les autres. Mais vu la façon dont je me comportais maintenant, avec ma conscience sur le point d’être emportée par l’essaim, je ne pouvais pas du tout discerner cela.
Je ne savais rien du tout. Je ne savais pas ce qu’était ce monde ni comment j’étais venue ici ni comment j’étais devenue la reine de l’Arachnée. Pourtant, j’étais saine d’esprit. Je voulais le croire. Non… Je m’étais simplement convaincue que je l’étais, ou bien peut-être étais-je déjà à moitié folle. Si je n’avais pas été au moins un peu folle, je n’aurais pas pris la décision active et inébranlable de conduire ce monde au désastre par les mains des monstres qui se trouvaient devant moi.
C’était ainsi que j’étais devenue la reine de l’Arachnée, un choix qui allait faire de moi la bouchère la plus odieuse et la plus terrifiante de toutes.
***
Chapitre 1 : Confirmer la situation
Partie 1
J’avais jeté un rapide coup d’œil et j’avais trouvé un petit morceau de papier. J’avais gribouillé dessus tout ce dont je pouvais me souvenir, juste avant que la conscience collective de l’essaim n’efface complètement mes souvenirs.
J’étais une étudiante de dix-huit ans, née et élevée au Japon. Je n’avais pas beaucoup d’amis dans la vie réelle, mais j’en avais beaucoup en ligne. J’en connaissais la plupart grâce aux jeux vidéo. Quand il s’agissait de jeux vidéo, j’étais une bavarde.
J’avais mené une vie assez triste, si j’ose dire. Ce qui me manquait en réalité, je le cherchais sur internet. Mais je n’avais pas de regrets et je ne pouvais pas dire que je n’avais aucun attachement à la vie quelque peu vide que je menais au Japon.
Je vais certainement réussir à sortir de ce monde. J’avais promis la victoire à l’essaim, mais en fin de compte, j’avais mes propres motifs égoïstes. Plutôt que de me concentrer sur l’objectif d’obtenir une victoire encore inconnue et inconnaissable, j’avais choisi de me concentrer sur mon désir de retrouver mon chemin vers le Japon.
Je n’avais fait aucun effort pour le cacher. L’essaim le savait probablement grâce à la conscience collective qui nous reliait, mais il était resté silencieux sur la question. Ils semblaient approuver tacitement mon désir de rentrer. Ou peut-être avaient-ils l’intention de partir avec moi et de balayer mon monde avec les vagues noires de l’essaim.
Quoi qu’il en soit, l’essaim n’avait pas rejeté mon intention de retourner dans mon propre monde. Je m’étais juré de trouver un moyen de quitter ce monde et de retourner chez moi… sauf que je n’avais aucune idée par où commencer. Mais un jour, je le trouverai sûrement.
Ainsi, mon premier ordre du jour était de confirmer la situation. Après tout, l’exploration était le premier ordre du jour dans ce genre de jeu. J’avais besoin de connaître le terrain, les positions de nos ennemis, et les ressources dont j’avais besoin pour produire plus d’unités, c’est-à-dire plus d’essaims. J’avais besoin de confirmer le chemin logistique vers ces ressources ainsi que toutes les autres informations pertinentes sur cette région afin de sortir victorieuse.
Il s’agissait des quatre X : eXploration, eXpansion, eXploitation et eXtermination.
J’avais besoin de ressources. J’avais besoin d’un bastion. Et j’avais besoin d’un ennemi. Mais en vérité, j’hésitais encore à combattre ce soi-disant ennemi. Par où commencer ? La carte était trop grande. Je n’avais jamais vu ces tunnels, et je ne me souvenais pas avoir jamais joué une carte avec des tunnels de cette taille.
Je me souvenais clairement de toutes les cartes que j’avais jouées. En fait, c’était un îlot de clarté parfaite dans ma mer de souvenirs autrement brumeuse. Il n’y avait pas une seule carte que je ne connaissais pas, des cartes solo aux cartes en ligne, en passant par les cartes uniques faites par l’utilisateur. D’un côté, il aurait pu s’agir d’une carte de niche, inconnue des joueurs, mais il n’y avait aucune chance qu’une carte de cette taille ne soit pas très bien cotée par les autres joueurs, donc même cela semblait peu probable.
C’était pourquoi j’avais divisé mes essaims d’éventreurs en paires et les avais envoyés en éclaireur. Leurs informations m’étaient parvenues directement par l’intermédiaire de la ruche, et je les avais utilisées pour dessiner une carte de la région. Si nous voulons gagner, nous devons sécuriser cette zone, me suis-je dit.
Une mine d’or. Des terrains de chasse. Une installation militaire dense d’affiliation inconnue. J’étais déterminée à rassembler des informations au nom de la victoire que j’avais promise à l’essaim et pour retourner dans mon propre monde.
Mais honnêtement, en ce qui concernait les positions de départ, celle-ci était royale. Quel que soit le degré de difficulté des réglages, on ne commençait qu’avec deux ou trois essaims de travailleurs et un essaim d’éventreurs si on avait de la chance. L’Arachnée était une faction qui submergeait l’ennemi en nombre, il était donc généralement interdit d’avoir autant d’unités d’essaims si tôt dans le jeu pour maintenir l’équilibre. Il n’était pas facile d’obtenir cette population tout de suite.
La principale ressource de Marianne était la foi, qui augmentait avec le nombre de ses citoyens et permettait à la faction d’augmenter la limite de ses effectifs. Les Grégoire exploitaient l’or, la nourriture favorite de leurs dragons, pour mobiliser leurs forces. La Flamme, une autre faction maléfique, augmentait son nombre d’unités en fonction du nombre de sacrifices qu’elle faisait. Il y avait cependant une faille dans le système : la Flamme pouvait sacrifier des unités d’ouvriers — qui ne vivaient pas de viande — pour augmenter la somme de ses sacrifices.
D’habitude, il était difficile de constituer un certain nombre d’unités au début du jeu, mais la Flamme pouvait le faire relativement facilement. Ses unités d’ouvriers se nourrissaient des aliments les plus élémentaires — fruits et cultures agricoles — et pouvaient être sacrifiées pour débloquer des unités de plus haut niveau, comme les unités d’attaquants qui étaient le pendant des essaims d’éventreurs pour la Flamme. Cela dit, comme il était facile pour cette faction de produire des unités, il n’est pas surprenant que les unités elles-mêmes manquent de force.
L’Arachnée, à l’autre bout, vivait de viande. Elle se procurait généralement de la viande sur les terrains de chasse, qui étaient générés dans le cadre de la carte, afin d’augmenter sa production d’unités. Seuls les essaims de travailleurs pouvaient être produits à partir de plantes récoltables, toutes les autres unités ayant besoin de viande pour produire.
La génération de gibier dans la carte tenait compte de cela, bien sûr, et distribuait les terrains de chasse en conséquence. Les essaims de travailleurs y chassaient le cerf et le lapin, ramenaient leur butin à la base et produisaient ainsi encore plus d’essaims. Mais tant que vous saviez comment faire, il était parfaitement possible de rassembler vos premières unités de l’armée — dans ce cas, les essaims d’éventreurs — et de foncer dans les positions de vos ennemis avant qu’ils ne puissent mettre en place des fortifications.
Je l’avais fait moi-même plusieurs fois, en mettant tout de suite à sac plusieurs factions. Pour que cette méthode réussisse, vous deviez rapidement saisir toutes les ressources de viande possibles dans le jeu initial, les consacrer toutes à la production d’essaims d’éventreurs le plus rapidement possible, puis foncer sur une base ennemie. Si la ruée était réussie, les essaims obtenaient autant de viande que les unités qu’ils avaient tuées, ce qui leur permettait de produire encore plus d’essaims.
Massacrer, dévorer et propager — une fois que cette boucle commence, le jeu est pratiquement gagné.
Ce n’était pas impossible, mais c’était certainement une stratégie difficile à mettre en place. Malgré cela, j’avais déjà des centaines d’essaims de travailleurs et d’éventreurs sous mon commandement et un certain nombre d’installations diverses mises en place dès le début. Quelle que soit la difficulté de la situation, cette installation de départ était inhabituelle.
Quand j’avais vu la situation comme si c’était le jeu, j’avais eu l’impression d’avoir récupéré le match d’un autre joueur après leur départ. Y avait-il un autre joueur aux commandes avant que je n’arrive ? Si oui, que leur est-il arrivé ? Où est-il maintenant ? Et si l’Arachnée existait avant mon arrivée ici, cela signifie-t-il qu’il y a aussi d’autres factions ? Je ne pouvais pas m’empêcher de me poser des questions, mais certaines d’entre elles ne me préoccupaient pas. Qu’il y ait eu un autre joueur avant ou non, l’Arachnée m’avait montré sa loyauté. Si un tel joueur existait, il était sûrement déjà parti de ce monde.
L’essaim n’acceptait qu’une seule reine. En d’autres termes, aucun autre joueur n’utilisait l’Arachnée à part moi à l’heure actuelle — à moins, bien sûr, qu’un autre joueur n’utilise la même faction. Et s’il y avait quelqu’un comme ça, il avait peut-être une sorte d’indice sur la façon dont je pouvais rentrer chez moi.
De plus, je dois être prudente lorsqu’il s’agit d’interagir avec les autres factions. Je pouvais parler à d’autres humains, ce qui signifiait que j’avais une chance de négocier la paix avec eux, mais ils se méfieraient de moi parce que j’utilisais l’Arachnée. L’Arachnée n’aimait pas beaucoup les tâches diplomatiques, favorisant les déclarations de guerre. Ils me suspecteraient donc probablement dès le début. Je me voyais bien être rapidement détestée par les autres.
Si tout cela avait été un coup monté, je me serais mise à rire aux éclats, mais la conscience collective de l’essaim dans mon esprit n’était que trop réelle. Je pouvais les sentir, faire l’expérience de leurs sens et comprendre leurs désirs.
En d’autres termes, la victoire.
L’essaim ne savait pas ce que cette victoire signifiait, et je ne pouvais donc pas la comprendre non plus. Mais ils y aspiraient toujours. La victoire. Une victoire à laquelle je les conduirais. Une victoire dont nous pourrions être fiers. Une victoire et rien d’autre.
« Votre Majesté, vos vêtements sont prêts. »
Au-delà de l’état de ce monde et du terrain proche, je devais comprendre ma propre situation. À dix-huit ans, j’étais considérée comme un adulte selon les normes juridiques japonaises. Du moins, c’était comme ça que ça aurait dû être, mais mon corps paraissait un peu plus jeune maintenant, peut-être quatorze ans environ. La veste à capuche que je portais à la place d’un peignoir était plutôt lâche sur moi et avait tendance à glisser de mon corps.
Tout d’abord, je ne savais pas pourquoi j’étais devenue plus jeune ni comment j’étais arrivée ici. J’avais donc fait de mon mieux pour rassembler mes pensées. Que faisais-je avant de me retrouver ici ? Je ne sais pas. La dernière chose dont je me souvienne, c’est d’avoir allumé mon PC. Mon cher PC est à peine capable d’exécuter les spécifications minimales du jeu, mais j’étais là, espérant jouer un tour ou deux — et puis c’est arrivé ?
Je ne comprends pas. Les divergences dans ma mémoire sont également préoccupantes. Pour une raison quelconque, j’ai oublié tous ce qui concerne les Essaims, ce que je faisais avant de venir ici, et même le titre du jeu. Ai-je une sorte de maladie de l’esprit, ou est-ce l’influence de ce nouveau monde dans lequel je me trouve ? Si c’est le premier, tout ce que j’ai vécu jusqu’à présent doit être une hallucination. Mais si c’était vrai, ne me donnerait-on pas une sorte de traitement médical ?
Je vis peut-être seule, mais je vais toujours à l’université et j’appelle toujours mes parents le week-end pour leur dire que je vais bien. Je ne comprends vraiment rien à tout cela, mais je dois continuer à me renseigner. Si je peux trouver comment je suis arrivée ici, ce sera peut-être la clé pour rentrer chez moi.
Je n’ai pas l’intention de rester éternellement dans ce monde incompréhensible. Une fois que j’aurai dirigé l’Arachnée en tant que reine, je rentrerai. Je vivais peut-être un peu comme une recluse, mais j’ai toujours le sentiment que c’est là que se trouve ma place. Je n’ai pas ma place dans ce royaume en désordre où les essaims d’Arachnée existent réellement.
« Votre Majesté ? »
« Oui, désolée. Je vais les mettre dans une seconde, alors mettez-les juste là. »
L’ouvrier qui m’avait apporté des vêtements à ma demande leva la tête alors que je montrais mon lit. J’appelais ça un lit, mais c’était plutôt une surface de pierre avec de la paille étalée dessus. On pourrait dire que je vivais assez modestement. J’avais pris la décision d’élever le niveau de vie ici.
« Voyons voir les vêtements que vous m’avez faits… »
J’avais étalé les vêtements que les essaims de travailleurs avaient faits pour moi, en veillant à ce que mes attentes soient suffisamment faibles.
« … je ne peux pas porter ça. »
Cependant, ce que j’avais vu était une robe absolument magnifique. Elle était faite d’une matière similaire à la soie et suffisamment extravagante pour ne pas paraître déplacée à l’époque victorienne. Elle n’avait pas de coutures visibles, comme si la soie avait été faite dans la forme de la robe au départ. Mis à part quelques choix douteux, comme le décolleté exposé et le dos ouvert, elle était à peu près parfaite.
« Je suppose qu’en ce qui concerne les nécessités de la vie, nous avons besoin de vêtements couverts. Et j’ai des logements, même s’ils nécessitent quelques rénovations. Je vais devoir maintenant trouver de la nourriture. », me suis-je murmuré en enfilant la robe.
La nourriture était cruciale. En tant qu’humain, j’avais besoin de manger pour survivre, et les essaims avaient besoin de nourriture comme ressource pour produire plus d’unités. Selon le cadre du jeu, la nourriture était une ressource nécessaire pour produire tous les types d’unités, sauf s’il s’agissait d’unités inorganiques ou draconiques, et comme je l’avais déjà mentionné, les Essaims avaient besoin de viande. La viande animale faisait l’affaire, tant qu’il y avait un approvisionnement régulier. Je pourrais faire avec les restes.
« Votre Majesté. »
Une voix résonna soudainement dans mes oreilles.
« Oui ? »
« Un village a été détecté. Il est peuplé. Que devons-nous faire ? »
Le rapport provenait d’un des essaims que j’avais envoyés en éclaireur, il m’avait été transmis par la conscience collective. Je m’étais concentrée sur la conscience individuelle de cet essaim, ce qui était assez simple. Il y avait une carte en tête, la même que celle du jeu. Je m’étais concentrée sur cet essaim en particulier et j’avais projeté mon énergie sur lui, ce qui m’avait donné la même sensation que de cliquer sur une unité du jeu.
Puis, une scène fit surface dans mon esprit. Je pouvais voir un village, et à l’intérieur de celui-ci, une trentaine de personnes couraient comme si elles étaient en panique. Mais quelque chose d’autre à leur sujet avait attiré mon attention.
« Ce sont des… elfes ? »
Les oreilles des villageois étaient pointues et longues, ce qui les faisait ressembler de façon frappante à des elfes.
Les elfes étaient une bonne race homogène, et leur faction s’appelait « Mouches Vertes ». C’était des maîtres des attaques-surprises qui aimaient la nature. Ils utilisaient donc des unités venues de la forêt, comme les dryades, dans leurs tactiques. Il y avait aussi une faction d’elfes sombres, qui n’était pas homogène, mais ces elfes avaient une peau bleue unique. Les elfes de ce village, cependant, n’étaient que des elfes purs et normaux.
Les Mouches Vertes apparaissaient et disparaissaient en terrain boisé, lançant des attaques-surprises qu’il était difficile de maîtriser, mais avec un surnombre, il était parfaitement possible de les écraser. Serais-je capable de le faire maintenant ?
Je le ferais… et sans aucune difficulté. Après tout, j’avais juré de mener l’essaim à la victoire. Je pouvais utiliser la chair des elfes qui s’éloignaient trop du village pour renforcer mes forces et piétiner l’ennemi avec mon surnombre.
En supposant qu’une telle force soit nécessaire, bien sûr. La situation actuelle était un peu différente de ce que j’avais imaginé. En d’autres termes, il y avait des contradictions avec ce que je connaissais du jeu.
« Votre Majesté, donnez-nous l’ordre d’attaquer. Avec notre nombre, nous pouvons facilement les tuer et les dévorer. »
« Attendez. Il y a quelque chose que je veux essayer. »
Il y avait deux ou trois choses que je devais comprendre. Tout d’abord, était-ce vraiment le même monde que celui du jeu ? Après tout, si je me trompais sur la prémisse principale, je commettrais probablement de graves erreurs de jugement.
Deuxièmement, on ne construirait pas un village sans s’assurer de mettre en place des défenses, si d’autres joueurs s’en apercevaient, ils attaqueraient immédiatement, mettant ainsi un terme rapide à la situation. Pourtant, bien qu’il soit assez grand, ce village n’avait aucune fortification. Il n’y avait pas de soldats, pas de structures défensives, pas de murs. Il était complètement vulnérable, comme si l’endroit était resté dans son état de génération initiale dès le début du jeu sans aucun développement.
C’était comme s’ils nous suppliaient de venir leur arracher la tête.
Oh, aïe. Ça commence vraiment à ressembler à l’essaim ici. (NdT : elle doit parler de sa tête)
De toute façon, aucun joueur normal, pas même l’IA, ne construirait un village sans aucune défense. En tenant compte de cela et de la carte peu familière, il était tout à fait possible que, aussi difficile à croire que cela puisse être, cela ne fasse pas vraiment partie du monde des jeux vidéo. Il semblerait que ce soit vraiment un autre monde, et l’Arachnée était une présence étrangère qui avait trouvé son chemin ici.
Oui, tout comme moi.
Je devais donc confirmer que c’était bien le cas avant de planifier mes prochains mouvements. Prenant la jupe de ma longue robe, j’avais appelé un seul Essaim Éventreur et j’avais sauté sur son dos. J’avais ensuite convoqué quelques autres Essaims Éventreurs et m’étais précipitée vers le village elfe.
Si ce n’était pas le monde du jeu, mes plans seraient en danger.
***
Partie 2
« Haa... Haa... »
Des respirations laborieuses résonnèrent dans toute la forêt. Ils étaient suivis de cris sauvages – des voix d’hommes criminels. Deux séries de pas légers, presque inaudibles, étaient poursuivies par les lourds pas de cinq ou six hommes.
« Lysa, dépêche-toi ! Dépêche-toi, Lysa ! Ils arrivent ! » cria un garçon elfe.
Il avait peut-être seize ans et tenait à la main un petit arc qu’il avait pointé derrière lui en criant.
« Laisse-moi, Linnet… » dit la fille elfe, qui semblait avoir quatorze ans environ.
« Tu sais que je ne peux pas faire ça ! Nous allons repartir ensemble ! »
Linnet se précipita vers Lysa, qui était à la traîne, et la tira par la main alors qu’il repartait. Mais un bras n’était tout simplement pas suffisant.
« Les voilà ! J’ai trouvé les elfes ! » fit entendre une voix rauque derrière eux.
Un groupe d’hommes habillés de cotte de mailles bon marché se dirigea dans la direction des elfes. À grands pas, les hommes s’approchèrent, certains avec des flèches sur leurs arcs, d’autres avec des poignards ou des haches. On pouvait dire d’un seul coup d’œil qu’il s’agissait d’une bande de bandits. Ces hommes étaient des braconniers, mais pas du genre à s’attaquer au gibier à quatre pattes : c’était des esclavagistes.
« Vas-y ! Cours, Linnet ! Tu ne devrais pas être esclave toi aussi ! » supplia Lysa.
« Comme si je les laisserai faire de nous des esclaves ! »
Linnet tira une flèche vers les hommes.
« Whoa, là. »
Un homme, qui semblait être le chef des esclavagistes, sauta en arrière.
« Celui-ci a des griffes. Très bien, les gars. Tuez l’elfe avec l’arc, et capturez la femme. »
« Bien reçu, patron. »
Les marchands d’esclaves s’approchèrent avec des boucliers en bois, venant chercher Linnet avec un sourire sur leur visage alors qu’il leur tirait désespérément des flèches. Ses flèches ne faisaient que toucher les boucliers, s’accrochant rapidement ou rebondissant désespérément.
« Linnet, s’il te plaît, va-t’en ! »
« Bon sang ! Si seulement j’étais plus fort… même un tout petit peu ! »
Le désespoir s’insinuait rapidement dans les cris de frustration de Linnet.
Lysa se mit à pleurer. Les esclavagistes étaient presque à portée de main de Linnet, prêts à l’attraper et à lui défoncer la tête avec une hache. Le sort de Linnet était presque décidé.
Mais à ce moment…
« Aaaarghhh ! »
Subitement, la moitié supérieure de l’esclavagiste qui allait se jeter sur Linnet disparut. Ou plutôt, elle avait été arrachée… par les mâchoires d’un insecte géant. Les crocs de la créature et ses mains en forme de faux dégoulinaient de sang frais, et ses yeux creux composés regardaient tous les autres esclavagistes. Il était plus grand que les esclavagistes eux-mêmes et il dévorait la moitié supérieure de celui qu’il avait tué.
« Qu’est-ce que… Qu’est-ce que c’est que ça !? »
L’apparition soudaine de l’insecte avait semé la panique chez les négriers.
Mais le chaos ne faisait que commencer.
Six autres insectes étaient sortis du fourré et commencèrent à mettre les esclavagistes en pièces. Les hommes n’avaient même pas eu la chance de crier. Leur gorge fut tranchée en quelques secondes, et alors qu’une mousse de salive et de sang jaillissait de leur bouche, les insectes continuèrent à ravager leur corps. Dans le chaos, quelques gouttes de sang avaient éclaboussé le visage de Linnet.
« Au secours… »
L’un d’eux parvint à peine à élever la voix que sa tête fut coupée en deux par la faux d’un insecte, ne lui laissant que des convulsions.
« Ça ne peut pas être réel ! Je n’ai jamais entendu parler de monstres comme ça ! » cria le chef des esclavagistes.
« C’est impossible ! Qu’est-ce que c’est que ces choses !? »
Il s’était retourné pour s’enfuir, mais un autre insecte s’était mis en travers de son chemin. Le monstre fit claquer ses crocs de façon rythmée, comme s’il se demandait s’il fallait mettre l’homme en lambeaux ou le manger vivant. Il n’y avait aucune trace d’émotion dans sa multitude d’yeux creux.
« Eek ! Dieu, aide-moi ! », cria l’homme en tombant à genoux.
En réponse, l’insecte devant lui avait lentement levé une faux tachée de sang. Au moment où elle se balançait, le chef des esclavagistes avait été confronté à la mort. Il se recroquevillait sur le sol comme un condamné à mort en attente d’exécution, et à ce moment, l’insecte devant lui donnait l’impression saisissante d’être la faucheuse.
Puis, d’un seul coup, il fut assommé.
« Assez. »
La voix sonore d’une fille avait rempli l’air.
« Êtes-vous sûre, Votre Majesté ? »
« Oui. J’aurai besoin de lui plus tard pour une petite expérience. »
Sur ce, la jeune fille sortit du buisson et se révéla.
« Elle est si jolie… »
La jeune fille était belle et vêtue d’une robe digne de la royauté. Elle se tenait dignement malgré le spectacle gore qui se déroulait devant elle, souillée comme elle l’était par le sang et les viscères des esclavagistes. Enchantée, Lysa oublia sa terreur et fixa la nouvelle venue avec admiration.
« J’ai quelque chose à te demander. Es-tu du village voisin ? », dit la jeune fille.
« Vous connaissez… Qui êtes-vous ? ! »
Linnet s’était empressé de tirer une flèche, les insectes s’étaient alors mis rapidement en position d’attaque. Leurs faux prêtes à frapper, ils grincèrent des crocs tandis que leurs dards, dégoulinants de venin mortel, vibraient de manière attendue. Si Linnet devait faire un faux pas, il rejoindrait les cadavres des esclavagistes.
« Tu n’as pas besoin d’être si prudent. Je viens de vous sauver la vie à tous les deux. »
« Est-ce qu’ils… ? »
« Oui, ce sont mes serviteurs. »
Linnet regarda la fille avec des yeux incrédules.
« Es-tu une sorcière ? »
« Non. Je suis… »
La fille déplaça ses cheveux noirs avant de continuer, flanquée de son armée d’insectes sanguinaires.
« La reine de l’Arachnée. »
Elle sourit comme si elle avait raconté une blague qu’elle était la seule à comprendre.
« Maintenant, c’est la première fois depuis des heures que je parle à d’autres personnes… Enfin, à quelqu’un qui ressemble à un être humain. Je vous le redemande : êtes-vous du village voisin ? Ou vous n’avez rien à voir avec ça ? »
« C’est exact. Nous sommes de Baumfetter », dit Lysa.
« Lysa ! »
« Linnet, elle vient de nous sauver. Nous devrions l’inviter au village pour la remercier. »
Ignorant l’expression choquée de Linnet, Lysa continua : « Nous allons vous montrer le chemin du village. Est-ce que vos… amis les insectes doivent aussi venir ? »
« Les pauvres s’inquiètent si je suis trop loin, alors je devrai en emmener au moins un », répondit la reine.
« Alors, venez avec moi, Votre Majesté. C’est par là. »
« Merci. »
Lysa se mit alors en route pour escorter la reine jusqu’à leur village, avec Linnet qui se dépêchait de les suivre. Mais aucun des elfes ne remarqua les autres insectes traînèrent le corps de l’esclavagiste inconscient dans les arbres… ni le sourire mystérieux sur les lèvres de la reine d’Arachnée.
***
« Linnet ! Lysa ! »
« Où étiez-vous ? Nous étions inquiets pour vous deux ! »
J’avais regardé Linnet et Lysa entrer dans le village que l’Essaim Éventreur avait trouvé — le village de Baumfetter — et j’avais été rapidement entourée par les villageois.
« Nous sommes allés à la montagne pour cueillir des herbes. Le rhume d’Oksana a empiré, n’est-ce pas ? »
« Les enfants ne devraient pas s’inquiéter de ce genre de choses ! Bien que j’apprécie le geste. »
Linnet et Lysa étaient allées cueillir des herbes médicinales qui aideraient un villageois malade. Ils avaient été trouvés par les négriers, qui attendaient leur proie, et avaient été poursuivis jusqu’à la forêt. Les villageois avaient remarqué qu’ils rentraient tard chez eux et avaient paniqué en découvrant leur disparition. Il semblerait qu’ils venaient de discuter de l’opportunité d’organiser une équipe de recherche pour les retrouver.
« Est-ce qu’il vous est arrivé quelque chose à tous les deux là-bas ? »
« Eh bien, nous avons en quelque sorte rencontré des marchands d’esclaves… »
« Des marchands d’esclaves ? ! »
Les yeux des villageois s’élargirent.
« Et que s’est-il passé ? ! Vous vous êtes échappés ? ! »
« Oui, quelqu’un nous a sauvés. Donc, euh, nous aimerions la présenter. »
Linnet et Lysa échangèrent des regards.
« Ouais. Elle nous a sauvés. Elle dit qu’elle est la reine de l’Arachnée. »
Au moment opportun, j’étais sortie de l’ombre.
« Que… Quel est ce monstre ? ! »
« Un monstre ? ! »
Le regard des villageois n’était pas fixé sur moi, mais plutôt sur l’Essaim Éventreur derrière moi. Il se tenait silencieusement, mais son apparence grotesque était probablement un peu trop… stimulante pour ceux qui n’y étaient pas habitués.
« Ne vous inquiétez pas, il n’attaquera pas. C’est mon fidèle serviteur. », dis-je, en essayant d’apaiser les villageois.
« Vous pouvez contrôler ce… ce monstre ? »
Un vieil elfe s’avança de la foule des villageois.
« Êtes-vous une sorte de sorcière ? »
« Je ne suis pas une sorcière, mais la reine de l’Arachnée. Avez-vous déjà entendu parler de l’Arachnée ? »
« Arachnée ? Est-ce le nom d’un royaume ? Où se trouve-t-il ? J’ai vécu longtemps, mais j’ai peur de n’avoir jamais entendu parler d’un tel endroit. »
C’est ce que je pensais. Les villageois ne connaissent pas l’Arachnée. Si c’était le monde du jeu, il n’y aurait pas moyen qu’ils n’aient pas entendu parler de l’infâme et terrible Arachnée. Peu importe la distance à laquelle vous viviez, ou la faction à laquelle vous apparteniez, ou si vous étiez humain ou non. Tout le monde connaîtrait le nom du raz-de-marée, semblable à un insecte, qui s’est abattu sur les nations et les villes.
Connaître l’Arachnée signifiait la mort dans le monde du jeu. Cela signifiait que ce monde n’était pas le même que celui du jeu.
J’en suis sûre maintenant.
« Eh bien, reine de l’Arachnée, nous vous remercions d’avoir sauvé nos enfants. »
« Pas besoin de ça. J’ai juste fait ce que je voulais. »
Le vieil elfe baissa la tête en signe de gratitude, et les autres villageois avaient suivi son exemple, mais je l’avais fait arrêter. Après tout, j’avais sauvé ces elfes intentionnellement pour gagner la faveur des villageois, et leur profonde gratitude m’avait fait sentir un peu coupable. J’avais pris part à leur combat dans un but tout à fait égoïste, je n’avais pas sauvé ces enfants par bonté de cœur.
Je savais très bien à quel point j’étais ignoble.
« En fait, je voulais conclure un accord avec votre village. Pourriez-vous m’écouter ? », avais-je dit en passant au sujet principal.
« Ne me dites pas que vous êtes un autre esclavagiste ? »
« Non, je n’en suis pas un. Je n’ai pas besoin d’esclaves. Mais ce dont j’ai besoin, c’est de la nourriture. »
Et juste au moment où je le disais, mon estomac éleva la voix en se plaignant de façon grincheuse.
« Euh, je vous serais reconnaissante si vous me donniez quelque chose à manger pour l’instant », leur dis-je, un rougissement s’insinuant sur mes joues.
***
Partie 3
« Merci, c’était délicieux. »
J’avais posé ma cuillère sur la table au moment où j’avais terminé mon repas. La cuisine de Baumfetter se composait principalement de champignons, de légumes et de haricots. La saveur des légumes s’était bien imprégnée dans la soupe, ce qui avait donné un plat très savoureux. Mais le fait que j’aie eu faim y avait peut-être contribué.
Cependant, cela posait un réel problème.
« Vous ne mangez pas de viande ? »
Aucun des plats qu’ils m’avaient servis ne contenait de viande. C’était tous des plats végétariens, avec du soja comme source de protéines. Je ne connais rien à la nutrition des elfes, mais le soja peut-il vraiment remplacer la viande comme source de protéines ? Non, la nutrition des elfes n’est pas importante en ce moment. Le problème est un peu plus profond que cela.
« Nous ne pouvons pas chasser pendant cette saison. Nous avons de la viande séchée, mais… », s’excusa le vieil elfe.
Pas de viande, alors.
Je pouvais produire des Essaims Travailleurs en utilisant des champignons et des légumes verts, mais j’avais besoin de viande pour produire tout autre type d’essaim. Il me fallait de la viande si je voulais augmenter mes forces. Peu importe contre qui j’allais faire la guerre, je devais augmenter nos effectifs afin d’accorder à l’Essaim ce qu’il désirait.
La conscience collective m’avait informée que l’essaim recherchait la victoire, même si les conditions que je devais remplir pour cette victoire m’étaient totalement et complètement inconnues.
« Je vois. C’est le plan B. »
Je m’étais dit que cela pourrait être le cas une fois que j’aurais découvert qu’il s’agissait d’un village elfique, j’avais donc un plan de secours en tête.
« Ces esclavagistes traînent-ils toujours par ici ? »
« Oui, ils sont un sérieux problème pour nous. Ils travaillent aussi comme braconniers et perturbent constamment les terres autour d’ici. », répondit le vieil elfe.
« C’est vrai. Dans ce cas, est-ce bon si je les tue ? »
Ma question était désinvolte, pour ne pas effrayer le vieux du village.
« Les tuer ? »
Ses yeux s’étaient élargis.
« Oui. Ils causent des problèmes à votre village, n’est-ce pas ? Je serais plus qu’heureuse de les éliminer pour vous. », avais-je répondu.
« Je vois… C’est donc le marché que vous souhaitez conclure avec nous. »
« C’est bien ça. Je suis contente que vous compreniez vite. »
En gros, je voulais conclure un accord avec eux pour qu’ils nous paient pour sécuriser la zone. Si la zone n’était pas sûre, ce serait pratique pour nous. Je leur avais fait une offre qu’ils ne pouvaient pas refuser. Il valait mieux pour eux se placer sous notre protection que de vivre dans la crainte que leurs enfants soient enlevés par des esclavagistes… c’est-à-dire tant qu’ils pouvaient accepter les apparences grotesques des Essaims.
« Et que demanderiez-vous en retour ? »
« Autant d’ingrédients frais que possible. Bien sûr, dans la mesure où cela ne met pas de pression sur le village. »
J’utiliserais ces ingrédients pour me nourrir et produire des essaims de travailleurs. Le fait de devoir me procurer de la nourriture comme si j’étais une des unités du jeu était un aspect gênant que le jeu lui-même n’avait jamais eu.
« Ça ne nous dérange pas, mais est-ce vraiment tout ce dont vous avez besoin ? » me demanda l’ancien
« Il y a effectivement une autre condition, c’est que vous ne regardiez pas ce que nous faisons avec les cadavres des braconniers et des esclavagistes », avais-je répondu avec un mince sourire.
« Leurs… cadavres ? »
« C’est ça. Leurs cadavres. »
Et c’était là qu’était le plan B : utiliser les cadavres des hors-la-loi comme source de nourriture. Je pouvais tuer ces gens sans que personne se plaigne et les utiliser comme ingrédients.
Après tout, c’était là que résidait la force de l’Arachnée : elle piétinait les autres factions, les consommait, et se multipliait, pour répéter le même cycle avec la faction suivante. Il y avait d’autres factions capables de dévorer la concurrence, mais l’Arachnée était la plus forte d’entre elles.
Plus l’essaim tuait d’ennemis, plus leur nombre augmentait, permettant un massacre à une échelle encore plus grande. Forger ce genre d’empire diabolique était l’essence même du style de jeu de l’Arachnée.
« Alors, ne demandez jamais ce que nous faisons de leurs corps. Ça n’a rien à voir avec vous. », exigeais-je.
« Compris. Je suppose que c’est bon », répondit l’elfe, en hochant prudemment la tête.
C’était un acte de diplomatie qui n’aurait pas eu lieu s’il s’agissait d’un établissement humain. Le fait qu’ils soient des elfes m’avait permis de conclure ce marché.
« Nous viendrons régulièrement pour collecter nos ressources. Oh, et j’ai une question : pouvez-vous me dire où se trouve la ville la plus proche ? De préférence une ville qui a un commerce et un marché de viande. »
« La ville de Leen à l’ouest ressemble à ce que vous cherchez. Il y a un grand bazar là-bas, bien que nous ne l’utilisions pas beaucoup. »
Naturellement, mon plan ne s’était pas arrêté aux braconniers et aux esclavagistes.
« Merci. Bien, je vais faire patrouiller la zone par ces petits, donc si vous détectez des intrus, sonner juste une sorte d’alarme et ils s’en débarrasseront en un clin d’œil. »
Ceci conclut mon travail ici pour le moment. Il ne restait plus qu’à voir si mon expérience à venir porterait ses fruits.
☆☆☆**
J’avais fait traîner le chef des esclavagistes jusqu’à la base de l’Arachnée. Il était ligoté et bâillonné par les fils des Essaims, incapable même de crier, car il était entouré de dizaines d’Essaims. Je me sentais presque mal pour lui, mais le fait de savoir qu’il avait essayé d’enlever ces enfants elfes et de les transformer en esclaves avait mis ma sympathie à l’épreuve.
Une personne qui avait orchestré un acte aussi cruel méritait-elle de la pitié ? Je ne le pensais pas. J’avais fixé froidement les yeux de l’homme qui m’avait suppliée d’avoir pitié.
« Enlevez les fils de sa bouche. »
« Comme vous le souhaitez, Votre Majesté. »
À mon commandement, un essaim Éventreur avait utilisé ses faux pour retirer les fils qui gardait sa bouche fermée. Les lames avaient légèrement entaillé ses lèvres, mais vu ce que cet homme avait essayé de faire à ces enfants, il l’avait bien cherché et même plus.
« Qu-Quoi... !? Qu’est-ce que c’est que ces choses !? Qu’est-ce que vous allez faire de moi ? ! », cria l’homme.
« Tais-toi. »
J’avais marché sur sa tête, en pressant mon talon dans sa tempe.
« Je ne veux pas entendre un mot. »
J’avais senti une sorte de veine sadique jaillir en moi.
Non. Mauvaise, mauvaise fille. Je ne me laisserai pas emporter par les pensées de l’Essaim.
« Dis-moi. As-tu entendu parler de l’Arachnée ? »
« Euh, non. C’est la première fois que j’en entends parler. C’est une sorte d’organisation ? Est-ce que ces… choses… en font partie ? »
« Ferme là. »
Je lui avais donné un léger coup de pied à la tête pour mettre fin à ses bavardages.
« C’est moi qui pose les questions ici. »
Il ne savait pas non plus pour l’Arachnée, ce qui aurait été impossible dans le monde du jeu. C’est ce que je soupçonnais. Ce n’est pas du tout le monde du jeu.
« Si tu n’as aucune information, je suppose que je n’ai plus besoin de toi. »
« Attendez ! Ne me tuez pas ! Je ferai n’importe quoi ! Je vous donnerai des esclaves ! J’ai plein de jolis petits garçons ! Ils vous satisferont à coup sûr ! Alors s’il vous plaît… ! »
L’entendre supplier pour sa vie m’avait donné envie de me boucher les oreilles. Le fait même qu’il essayait de me soudoyer me donnait mal au ventre.
« Oh, je ne te tuerai pas. Je vais te mettre à profit. »
Je m’étais approchée d’un certain objet qui se trouvait à côté de moi.
C’était un four à fertilisation.
J’avais demandé aux essaims Travailleurs de le produire à l’avance. Si je devais décrire à quoi cela ressemblait, c’était comme une multitude d’utérus humains qui avaient été extraits et cousus à la hâte. Ce n’était certainement pas une forme que l’on aimerait trop imaginer.
J’avais chargé toute la viande séchée de cerf et de lapin que j’avais obtenue du village des elfes dans le four à fertilisation, puis j’avais parlé à la construction, en l’ordonnant clairement :
« Essaim parasite. »
Le four à fertilisation commença à se tordre et à pulser, faisant des bruits visqueux et répugnants au moment où l’utérus gonflait. Une petite griffe avait percé la chair de fabrication, et la créature à laquelle elle appartenait avait été poussée à l’air libre.
Elle ressemblait à un petit scorpion, ou peut-être à quelque chose de plus proche de la célèbre et grotesque araignée chameau. Cette horreur nouveau-née était un Essaim Parasite, et elle allait bientôt jouer un rôle essentiel dans la réussite du plan B. Il n’avait aucune capacité de combat, mais il possédait une compétence particulière.
« Tu es un esclavagiste, n’est-ce pas ? » demandai-je, en laissant l’Essaim Parasite se glisser sur ma main.
« Oui. Mais je n’attaquerai plus les elfes. Vous avez ma parole. » La voix désespérée du chef commença à se fendre.
C’était bien sûr un mensonge évident. Si je le laissais s’échapper, il attaquerait à nouveau les elfes. Mais si je l’utilisais plutôt à mon avantage, ce serait un problème tué dans l’œuf.
« Je pense qu’il est temps que tu découvres le goût de l’esclavage. »
Avec ça, j’avais enfoncé de force l’Essaim Parasite dans la bouche de l’homme.
Il lutta pour recracher le vilain monstre qui s’était glissé sur sa langue, mais l’Essaim Parasite s’était enfoncé plus profondément à l’intérieur. Et une fois qu’il s’était fixé dans sa gorge, il répandit de minuscules tentacules dans tout le corps de l’homme, qui avait finalement atteint son cerveau.
« Ah, aah, aahhh, aaahhhh... »
L’homme eut des spasmes à plusieurs reprises, et après avoir vomi une fois, il était devenu complètement immobile.
« Défaites ses fils », avais-je ordonné.
Les Essaims Éventreurs avaient déchiré les fils qui le liaient.
« Debout. »
L’esclavagiste se releva, comme je le lui avais ordonné.
J’avais alors ordonné : « Saluez la reine. »
« Saluez la… reine… »
Le négrier m’avait obéi avec des yeux creux.
Oui, comme son nom l’indiquait, l’Essaim Parasite s’était accroché à ses victimes, les transformant en marionnettes qui obéissaient à tous les ordres de son maître — ou maîtresse, dans mon cas —. Si je lui ordonnais de se suicider, cet homme prendrait toutes les mesures possibles pour se tuer.
Cette unité avait de nombreux usages. Elle vous permettait de prendre le contrôle de puissantes troupes ennemies ou de vous faire passer pour l’unité d’une faction ennemie, que vous pouviez ensuite utiliser pour repérer ou même attaquer les travailleurs de l’ennemi.
En plus de la simple tactique des ruées de l’Essaim Éventreur, l’Arachnée était également capable de stratégies plus complexes qui permettaient d’attaquer l’ennemi au moment où il était le moins préparé. C’est ce qui en faisait une faction si amusante à jouer, et c’était pourquoi j’étais si attachée à ses unités, à commencer par les Essaim Éventreur. D’autres factions avaient leurs bons côtés, c’était sûr, mais je ne pouvais pas m’empêcher d’aimer l’Arachnée d’avantage.
« Voilà. Maintenant, tu sais ce que c’est que d’être un esclave. »
Le plus terrible, c’était que la conscience de l’esclave était toujours là. L’Essaim Parasite liait sa liberté dans son corps, mais ses sens et sa conscience restaient tels quels. Il pouvait sentir l’essaim parasite s’accrocher à l’intérieur de sa gorge et les tentacules s’étendre jusqu’à son cerveau.
C’était un véritable enfer.
Ses sens étaient entièrement intacts, mais chacune de ses actions était dictée par quelqu’un d’autre. C’était un cauchemar. Je ne pouvais pas imaginer ce que l’on ressentait lorsqu’une créature s’emparait de notre gorge et de notre cerveau.
Mais cet homme était un esclavagiste, devenir esclave était le seul sort qui lui était destiné. Je pourrais le dire avec une honnêteté parfaite et sans la moindre hésitation. Bien fait pour toi, racaille.
« Tu as un travail très important devant toi. Un travail crucial, même, donc tu ferais mieux de le suivre. Non pas que tu aies vraiment le choix en la matière. »
Et avec ces mots, mon plan B avait été sérieusement mis en place.
Le plan B était d’obtenir de la viande par des moyens non agressifs. Pour l’instant, nous ne pouvions pas faire la guerre, mais nous devions quand même nous y préparer. C’était pour cette raison que j’avais proposé ce compromis.
Je ne saurai pas si cela marchera si je n’essaie pas. Après tout, c’est un territoire que je ne connais pas du tout, alors on ne sait pas quels problèmes pourraient surgir. Des obstacles imprévisibles ou la société elle-même pourraient se dresser sur mon chemin et essayer de m’empêcher d’atteindre mes objectifs.
Mais cet adage est certainement vrai : on ne sait jamais tant qu’on n’a pas essayé.
***
Chapitre 2 : Plan B
Partie 1
Le chef des esclavagistes prit un chariot et se dirigea vers la ville de Leen. Je l’avais accompagné. Un seul Essaim Éventreur était présent, il se tenait caché dans le chariot. Les portes de la ville recevaient un trafic constant de colporteurs, elles étaient donc laissées ouvertes.
Nous avions réussi à entrer dans la ville sans trop d’interrogations. Grâce à cela, notre cargaison — et l’Essaim Éventreur qui la gardait — était passée inaperçue alors que nous entrions dans Leen. Si nous avions été inspectés, j’avais prévu de calmer le garde en lui enfonçant rapidement un Essaim Parasite dans la gorge, mais il semblerait que mes inquiétudes étaient inutiles.
Au pire, j’aurais fait abattre les soldats par l’Essaim Éventreur et tourné le chariot de 180 degrés pour fuir Leen. En choisissant cette option, nous n’aurions plus jamais pu y retourner.
« Alors, où pourrais-je trouver le tailleur local ? »
Dans la grande ville de Leen, ma première tâche consistait à trouver un tailleur.
« Ahh, ça doit être là. »
En descendant la rue principale de Leen, nous avions trouvé un magasin qui exposait des vêtements élégants. Cela semblait être exactement le genre d’endroit que je cherchais. J’avais demandé à l’esclavagiste d’arrêter le chariot, puis nous étions descendus tous les deux, laissant l’Essaim Éventreur surveiller notre chariot.
« Bienvenue. Oh, c’est vous. L’esclavagiste. Que nous voulez-vous ? »
Alors que nous étions d’abord accueillis avec un sourire de vendeur, le commerçant changea vite d’attitude en voyant l’esclavagiste. Apparemment, les gens dans ce monde désapprouvaient ceux qui faisaient le commerce d’esclaves. C’était une bonne chose, j’étais heureuse d’apprendre que les citoyens de cette ville étaient des gens bien.
Inversement, si j’avais appris que ce monde accueillait l’esclavage, j’aurais été terriblement ennuyée.
« Je suis venu… pour vendre des vêtements. »
Le chef des esclavagistes était dominé par l’Essaim Parasite, ce qui signifie par le grand Essaim et par moi-même, le forçant à parler contre sa volonté. Normalement, il crierait à l’aide et supplierait d’être sauvé du monstre qui se trouvait dans son corps, mais au lieu de cela, il s’était mis à faire du troc avec l’employé.
« Des vêtements ? Vous voulez dire les choses que vous avez pillées aux elfes ? Personne ne veut des fils que vous avez arrachés à ces gens. Leurs vêtements sont bien trop miteux pour notre établissement. Nous ne vendons que des vêtements de la plus haute qualité. Maintenant, partez. Ouste, ouste. »
Après tout, il y avait une discrimination contre les elfes, même s’ils essayaient de vivre aussi bien qu’ils le pouvaient grâce aux bienfaits de la forêt. Je suppose que les humains de ce monde supposaient que les elfes étaient en quelque sorte des barbares. Comme c’est irritant.
« Non. Des vêtements que j’ai achetés… à un marchand. »
J’avais imaginé une histoire au préalable : il avait vendu des esclaves et avait reçu ces vêtements en guise de paiement. Cela pouvait paraître suspect, mais c’était la seule histoire plausible que j’avais pu trouver.
J’avais intensément prié pour que l’homme y croie. Debout à l’ombre du chariot, je ne pouvais transmettre mes souhaits que par les airs.
« Bien. »
Le commerçant avait fini par céder.
« Montrez-moi donc votre marchandise. »
Le chef des esclavagistes sortit un coffre rempli de vêtements du chariot et le posa sur le comptoir.
« C’est… »
Il sortit quelques robes d’apparence coûteuse, tissées avec des fils de soie par les Essaims Travailleurs. La boîte était remplie de dizaines de robes, allant de vêtements de tous les jours à des robes du soir qui n’auraient pas l’air déplacées pour un grand bal. Le commerçant les regardait avec admiration.
Merci, mes doux petits Essaims Travailleurs. Votre travail est apprécié !
« C’est incroyable », dit le commerçant, en examinant attentivement les robes.
« Je n’ai jamais vu de vêtements comme ceux-là. Les nobles vont se les arracher. »
Il était carrément fasciné par le toucher agréable des fibres et par la complexité des motifs.
« Combien… allez-vous les acheter ? » demanda l’esclavagiste.
« Pour des vêtements comme ceux-ci ? Vingt mille floria semblent être une somme correcte. »
Très bien, il est temps de faire un peu de bon vieux marchandage.
Après avoir interrogé les elfes à ce sujet, j’en avais conclu que je vendrais les robes pour au moins 30 000 floria. Mais c’était la première fois que je marchandais, donc je n’étais pas sûre de bien le faire… mais je devais faire ce que je pouvais. Nous avions besoin d’autant d’argent que possible, et nous devions l’obtenir légalement.
« Trop peu. Vous pouvez… payer plus cher. Si vous ne me donnez pas quarante mille, j’irai dans un autre magasin. »
« Bien. Trente mille floria, alors. Je ne les prendrai tous pour cette somme, et pas un seul floria de plus. »
Je m’attendais à ce que les négociations durent plus longtemps que ça, mais elles s’étaient terminées en un clin d’œil.
« Aucune objection. C’est… conclu », dit l’esclavagiste, qui poussa ensuite le coffre vers le commerçant.
Nous aurions probablement pu négocier davantage, mais l’échec des négociations ici pourrait avoir un impact sur nos affaires à l’avenir. Même en considérant qu’il aurait pu nous tromper à cause de notre inexpérience, nous aurions dû quand même faire un compromis pour 30 000 floria.
« Voilà, trente mille floria. Prenez-les. »
Après avoir accepté le coffre, le commerçant remit au chef des esclavagistes un sac rempli de pièces de monnaie et porta avec enthousiasme le coffre à l’arrière du magasin.
C’était la première étape de mon plan.
Mon intention initiale était de donner ces robes aux elfes et de les faire aller à Leen pour les vendre, mais ils semblaient craindre la ville et refusaient de s’en approcher. Je pouvais certainement comprendre pourquoi. Avec des gens comme les esclavagistes dans les environs, il était tout à fait naturel que les elfes ne souhaitent pas aller à cet endroit.
Les enseignements d’un soi-disant Dieu de la Lumière déclaraient que les dieux de la nature, que les elfes habitant la forêt vénéraient, étaient des divinités maléfiques. Les elfes étaient traités comme des hérétiques et des barbares, marqués comme des cibles que les esclavagistes pouvaient « légalement » capturer et vendre pour de l’argent. Je me souciais peu de religion, mais même moi, je croyais que les gens devaient être libres de vénérer qui ils voulaient ou ce qu’ils voulaient.
Ce n’était pas comme si l’Arachnée était assez faible pour dépendre d’un quelconque dieu. La seule que l’Essaim vénérait était sa reine. Pour leur reine, ils offraient leur vie ou tuaient pratiquement n’importe quelle cible. L’essaim d’Arachnée n’avait pas besoin du pardon d’un dieu quelconque. Le pardon de leur reine était tout ce dont ils avaient besoin, et leurs actions étaient toujours dictées par sa volonté à travers la conscience collective.
Pour le moment, il ne semblait pas que j’aie à m’inquiéter de la possibilité que l’Essaim se révolte contre moi.
« Très bien, c’est l’heure de la prochaine étape de notre voyage de shopping. Et c’est important », avais-je dit, ce qui avait incité l’homme sous mon contrôle à conduire le chariot jusqu’à notre prochaine destination.
Et cette destination était…
« La viande ! De la viande fraîche et bon marché ! Achetez de la viande de la meilleure qualité ici ! »
Oui, nous nous étions rendus chez le boucher.
Vous voyez, mon plan B était le suivant : je vendrais des vêtements fabriqués par mes Essaims Travailleurs et je les utiliserais pour acheter de la viande. C’était le plan d’expansion le plus pacifique et le plus ennuyeux de l’histoire des plans d’expansion. Mais l’Essaim semblait l’approuver, car il n’y avait pas de conflit dans la conscience collective.
Savoir qu’ils étaient d’accord avec mon idée avait été un énorme soulagement. Je n’étais pas sûre de ce que j’aurais fait s’ils avaient commencé à attaquer des gens au hasard. C’était un obstacle à ma politique d’expansion pacifique.
Mais il y avait d’autres obstacles potentiels. Par exemple, le chef des esclavagistes pouvait être arrêté par les forces de l’ordre de la ville en raison de son statut social, ou bien l’on pouvait nous interdire l’accès à Leen. Un autre obstacle était la possibilité de ne pas être capable de vendre les vêtements, ou de ne pouvoir les vendre qu’à bas prix.
Enfin, l’Essaim pouvait refuser mon approche passive et se rebeller, puis attaquer au hasard la région environnante. Avec le recul, je n’aurais probablement pas dû m’inquiéter de cela.
La reine était le noyau de la colonie, et la colonie ne pouvait pas s’opposer à la volonté de la reine. L’essaim resterait éternellement fidèle à la reine… c’est-à-dire à moi. Je pourrais le dire avec confiance maintenant, mais cela ne signifiait pas que j’allais ne prendre aucune mesure de prudence. Je craignais toujours de finir par mériter leur colère, d’une manière ou d’une autre.
Mais cela suffirait pour l’instant. Au moins, ils me sont fidèles pour le moment.
Bref, passons.
« Donnez… de la viande », dit l’esclavagiste en descendant du chariot.
« Oui, mon ami. Qu’est-ce que vous cherchez ? »
« Autant de viande que cela peut acheter. Toute la viande. »
Il avait donné le sac de 30 000 floria qu’il avait reçu plus tôt sur le comptoir.
Le boucher avait l’air perplexe.
« Organisez-vous une fête ou quelque chose comme ça, monsieur ? »
« Est-ce… important ? Donnez-moi… de la viande. »
C’était, pour ainsi dire, effectivement un festin, car la viande serait engloutie. Mais mentionner nos véritables motivations ici était probablement une mauvaise idée.
« Euh, je ne suis pas sûr de pouvoir vous en donner pour votre argent… »
« De la viande non transformée fera aussi l’affaire. »
Ce que nous faisions était en fait la même chose que d’aller chez le boucher du quartier et de déposer de grosses liasses de billets sur son comptoir, en exigeant tout ce qu’il avait. C’était une idée assez folle, et je n’aurais pas été surprise si le plan m’avait explosée au visage à ce moment-là.
« Même avec la viande non transformée, il n’y en aura que pour quinze mille floria », déclara le boucher, toujours déconcertés.
« Si vous avez besoin d’autant de viande, vous devrez aussi aller dans d’autres magasins. »
Je me sentais un peu mal pour ce type.
« Dans ce cas, je vais tout acheter pour quinze mille floria. »
« D’accord. Je vais tout préparer, donnez-moi juste quelques instants. »
C’était un autre compromis, mais je n’avais pas vraiment d’autres options. Je dépenserais 15 000 ici, et les 15 000 autres ailleurs.
« Tenez, quinze mille floria de viande. »
Le boucher chargea une caisse pleine de viande sur le comptoir.
« Vous n’avez pas précisé quel genre de viande vous vouliez, alors j’en ai mis de toutes les sortes. »
Cela faisait beaucoup de viande. Et j’étais une vraie carnivore. Steaks de Hambourg, viande grillée, ragoût de bœuf, etc. La viande était ma nourriture principale, mais en manger autant me faisait grossir.
De plus, il n’y avait aucun moyen de la garder fraîche jusqu’à la base. N’ayant pas le choix, je fais mes adieux à mes rêves de steaks et de hamburgers en pleurant. Mais les hamburgers que maman faisait étaient vraiment les meilleurs.
« Quinze mille floria. »
L’esclavagiste remit l’argent au boucher.
« Merci pour votre soutient. Profitez de votre fête, monsieur. »
Oh, nous le ferons. Ce sera un beau banquet.
Nous étions allés chez quelques autres bouchers, dépensant les 15 000 floria restants pour acheter plus de viande ainsi que de la literie et des meubles pour rendre mon espace de vie un peu plus accueillant.
Les Essaims Travailleurs pouvaient produire des draps plus doux que la soie, mais faire un lit confortable était au-delà de leurs capacités. Tout ce qu’ils pouvaient faire était de meubler mon lit avec de la paille. Mais à partir d’aujourd’hui, je pourrais enfin dormir à nouveau dans un lit confortable.
« Ouf… »
Après avoir voyagé dans une ville inconnue et avoir marchandé les prix, je m’étais sentie un peu fatiguée.
« C’est assez pour aujourd’hui. Acheter trop nous ferait paraître suspect… bien qu’il soit peut-être trop tard pour cela. »
Sur ce, nous avions fait demi-tour vers la base de l’Arachnée. C’était la fin de cette journée. Du moins, ça aurait dû l’être.
***
Partie 2
Je m’étais détendue dans le wagon, laissant le chef des esclavagistes tenir les rênes. En m’enfouissant le visage dans ma literie nouvellement achetée, j’avais profondément respiré son agréable parfum. Apaisée par cette odeur fraîche, et rassuré par la présence de l’Essaim Éventreur qui veillait sur moi, je m’étais mise à somnoler.
Mais je ne savais pas quoi faire ensuite. J’avais acheté une grande quantité de viande chez les bouchers de la ville, ce qui me permettrait d’augmenter considérablement le nombre d’essaims, mais à quoi allais-je les utiliser ?
L’essaim croyait que je les guiderais vers la victoire. Mais la victoire sur quoi ? Souhaitaient-ils conquérir le monde entier ? Ou y avait-il une autre sorte de triomphe qu’ils souhaitaient ? Quel genre d’objectif voulaient-ils que j’atteigne ?
Tout ce que je pouvais entendre dans la conscience collective, c’était des voix criant à la victoire, mais aucune d’entre elles ne décrivait ce que cette victoire représentait. Ils avaient simplement dit qu’ils souhaitaient que la reine de l’Arachnée — moi-même — les mène à la victoire. En réponse, je ne pouvais donc que me tourmenter pour tenter de comprendre ce que cela signifiait.
Même ma tentative était transmise à l’essaim par la conscience collective. Ils continuaient quand même à crier victoire. Mais s’ils ne savaient pas comment définir cette victoire, qu’est-ce que j’étais censée faire ?
« Dis-moi, Essaim. »
J’avais levé mon visage des couvertures, en regardant l’essaim qui veillait sur moi.
« Que veux-tu que je fasse ? »
L’essaim Éventreur avait légèrement incliné la tête dans un geste qui impliquait qu’il ne comprenait pas tout à fait ce que je demandais.
« Ce que nous désirons ardemment, c’est la victoire, Votre Majesté », répondit-il.
« Mais de quelle sorte de victoire s’agit-il ? Une conquête du monde ? La formation d’une nation ? »
J’aurais pu demander directement à la conscience collective, mais j’avais préféré parler face à face. Je voulais entendre ce que l’Essaim avait à dire. Il était peut-être lié à la conscience collective, mais à l’heure actuelle, cet individu était séparé des autres, remplissant la tâche de défendre la reine. Peut-être que sa réponse serait différente.
Quel genre de victoire cherche-t-il exactement ? Souhaite-t-il conquérir ce monde après tout ? La « victoire » consiste-t-elle à former un empire d’Arachnée ? Y a-t-il d’autres conditions de victoire auxquelles je n’ai pas pensé ?
« Je ne sais pas. Cependant, nous avons simplement un immense désir de victoire. Nous ne désirons rien d’autre que la victoire, et cela ne changera jamais. Nous sommes sûrs que vous serez en mesure de nous guider vers la victoire que nous désirons, Votre Majesté. Nous vous faisons confiance jusqu’au bout et nous souhaitons vous servir de mains et de pieds pour atteindre la victoire. Nous sommes certains que vous serez en mesure de nous guider, Votre Majesté. »
« Vous, les gars… »
La pression était là. L’Essaim me faisait entièrement confiance pour le moment, mais si je me trompais dans mon « commandement », il y avait le risque qu’il se révolte et me transforme plutôt en ingrédients pour la prochaine génération d’Essaims. Le fait d’être lié à leur conscience ne faisait qu’exacerber cette peur.
Malgré le fait qu’ils étaient mes insectes charmants et bien-aimés, ils restaient tout de même des monstres terrifiants. Je devais agir de manière à ne jamais les décevoir. Cela dit…
« C’est compliqué », chuchotais-je à personne en particulier.
Ça l’était vraiment. Dans le jeu, vous pouviez gagner parce que vous étiez face à quelqu’un d’autre. Mais mes recherches n’avaient pas abouti jusqu’à présent et ne s’étaient étendues qu’à une petite partie du monde. Les ennemis que j’avais étaient tout au plus les braconniers et les esclavagistes qui dérangeaient le village des elfes, et ils n’étaient pas de taille face à l’essaim.
Contre qui étais-je censé gagner ? J’avais besoin de mener mes adorables petits Essaims, mais vers quoi, exactement ? Qualifier cette situation de « compliquée » aurait été un euphémisme. Je n’avais pas d’ennemis à l’heure actuelle, pas de but concret. Que combattrais-je, et que gagnerais-je à me battre ? Contrairement au jeu, il n’y avait pas d’adversaire précis.
Soudain, la voiture s’était arrêtée.
« Qu’est-ce qui se passe ? »
J’avais jeté un coup d’œil à travers la toile du chariot pour voir ce qui nous avait fait nous arrêter.
Devant nous, plusieurs personnes vêtues d’une armure de cuir se tenaient en formation. Ils avaient des arcs courts à la main, et leurs flèches étaient encochées et pointées vers mon esclavagiste-marionnette. Je pouvais sentir le danger, il était clair à leurs yeux qu’ils étaient à la recherche de sang.
« Moisei ! »
Un homme, qui semblait être leur chef, éleva la voix vers l’esclavagiste.
« On dirait que tu as fait un vrai profit aujourd’hui, espèce de chacal ! Mais tu n’as pas oublié la dette que tu nous dois, n’est-ce pas ? »
Ugh. Non seulement c’est un esclavagiste, mais il a aussi une dette ? Il est vraiment inutile.
« Je vais prendre ta cargaison comme, euh, une petite garantie pour ta dette. »
Je ne pouvais pas les laisser faire ça. C’était ma précieuse cargaison, pas la sienne.
« Vérifiez chaque recoin de la chose ! Allez-y ! »
Les hommes étaient entrés pour inspecter notre cargaison.
C’est mauvais.
Je n’avais amené qu’un seul Essaim Éventreur avec moi aujourd’hui. Pendant que je réfléchissais à mes chances de succès, le groupe armé encercla le corps du chariot.
« Hein ? »
Un des hommes retira une caisse pleine de viande du toit.
« Mais qu’est-ce que c’est que ça ? Ce n’est que de la viande ! À quoi tu pensais ? ! »
« Oh ! Et tu as une belle esclave avec toi, aussi. Si on vend celle-ci, ça effacera complètement ta dette, hein ? »
Ils m’avaient aussi trouvée, et apparemment ils pensaient que j’étais une esclave. Ils ne pouvaient pas imaginer que ma relation avec l’esclavagiste était tout le contraire. Je n’étais pas restée immobile pour ne pas provoquer les hommes, mais plutôt pour les regarder avec dégoût.
Donc, eux aussi sont des esclavagistes. En d’autres termes, des racailles qui valent moins que le plus mauvais chien. La société tire-t-elle un quelconque bénéfice de ce genre de gens ? Même si les esclaves ne sont pas illégaux dans ce monde, je ne peux voir en eux que des déchets vils et offensants.
« Hé, patron, si on la vendait… »
« Attendez une seconde… n’y a-t-il rien de bizarre là derrière ? »
Le voyou était tellement concentré sur moi qu’il ne l’avait pas vu.
Oui, l’Essaim Éventreur se tenant derrière moi.
Une fraction de seconde plus tard, les faux de l’Éventreur tranchèrent la tête du voyou qui s’était penchée dans le carrosse, faisant jaillir le sang de son moignon comme une fontaine. Celui-ci avait giclé, puis s’était arrêté, puis avait giclé à nouveau, correspondant aux derniers battements de cœur de l’homme. D’une certaine manière, c’était presque comique.
En quoi la mort était-elle comique, me direz-vous ? Eh bien, c’était des esclavagistes. Le même genre d’ordures qui tuaient et kidnappaient les enfants elfes. Et comme ma conscience était liée à l’esprit collectif de l’Essaim, je pouvais en tuer des centaines sans ressentir le moindre sentiment de culpabilité.
J’avais déjà décidé qu’il n’y avait rien de mal à tuer des gens comme eux.
« Quoi… ? Qu’est-ce que tu as fait ? ! »
« Boss ! C’est un monstre ! Il y a un monstre ici ! »
Les hommes armés avaient été pris de panique lorsque l’Essaim Éventreur déchira le toit du chariot et en était ressorti, puis chargea sur eux. Je n’avais pas eu besoin de donner d’ordres. Tout ce que j’avais à faire était d’informer la conscience collective que ces hommes étaient dangereux.
« Merde ! Tirez ! Tuez cette foutue chose ! »
Le patron des ruffians tira avec son arc court vers l’Essaim Éventreur, mais la flèche avait simplement rebondi sur son exosquelette. Le claquement métallique de la flèche fut bientôt suivi par des cris.
« Putain de monstre ! »
Les cinq autres avaient réalisé que leurs flèches étaient inutiles, et sortirent aussitôt des hallebardes et des claymores pour défier l’Éventreur. Les flèches étaient peut-être déviées comme si elles n’étaient rien, mais ces lourds morceaux de métal occasionnaient des dégâts.
Les bras de l’Essaim, qui ressemblaient à des faux, furent arrachés et ses crocs enfoncés. Plus l’Éventreur se battait, plus il était en lambeaux, et sa forme finissait par être irrémédiablement mutilée. Alors même qu’il était mourant, il agitait ses faux dans une tentative désespérée de me protéger, mordant mortellement l’ennemi avec ses crocs et l’étourdissant avec son dard venimeux.
C’est assez. Tu peux arrêter maintenant.
Du moins, c’était ce que je voulais dire, mais j’avais été trop lâche. Au lieu de cela, j’avais laissé l’Essaim Éventreur mourir à ma place. C’était le choix rationnel pour défendre la reine — mais malgré cela, des mots de condamnation et de culpabilité firent surface dans mon cœur.
L’Éventreur déchiqueta les ruffians restants, les poignardant avec son dard. Ce fut une bataille vraiment sauvage. Mais l’ennemi riposta avec défi, blessant gravement l’Éventreur. Je pouvais sentir son impatience à travers la conscience collective.
« Repliez-vous ! Bougez, bougez ! »
Finalement, l’Éventreur coinça les trois membres restants du groupe, mais ils avaient immédiatement fui la scène. Ils montèrent sur leurs chevaux et galopèrent le long de la voie principale pour s’échapper.
« Essaim Éventreur ! »
Maintenant que les combats avaient cessé, je m’étais précipitée à ses côtés.
« Tu ne vas pas bien, n’est-ce pas ? »
Le corps de l’Éventreur avait été mutilé. Les hallebardes lui avaient arraché les jambes, et le coup d’une claymore lui avait fendu la tête. Les Essaims Éventreurs étaient des unités de combat initialement destinées aux ruées de début de partie, et en tant que telles, elles n’étaient pas si puissantes. Si l’ennemi déployait des unités qui avaient amélioré leurs défenses et autres, elles pouvaient être vaincues assez rapidement.
Et pourtant, j’avais imposé une telle responsabilité.
« Votre Majesté… Êtes-vous indemne ? »
« Je vais parfaitement bien. Mais toi… »
L’Essaim Éventreur s’inquiétait déjà pour moi.
« Soyez rassurés. Nous sommes tous en un, et un en tous. Ma conscience restera dans le collectif, nous n’avons donc pas à craindre la mort. Ce qui nous effraie le plus, c’est la possibilité que vous tombiez dans un piège, Votre Majesté… Et donc, vous voir en sécurité nous met à l’aise… »
Après avoir prononcé ces dernières paroles, l’Essaim Éventreur quitta ce monde.
Non, il n’était pas parti. Sa volonté était restée dans la conscience collective formée entre moi et les innombrables autres Essaims.
C’est vrai, l’Essaim n’avait pas connu la mort. Jusqu’à l’extermination du tout dernier de leur espèce, la conscience de cet unique Essaim serait préservée au sein du groupe comme un simple scintillement dans une flamme éternelle. Le noble désir de cet Essaim s’attarderait dans la conscience collective, partagée par ses frères et transmise à la génération suivante de l’Essaim.
D’une certaine manière, les Essaims étaient immortels. Tant que la reine qui leur servait de noyau et que la conscience collective restait en place, leur présence persistait même si leur forme physique mourait. La volonté de ce brave Essaim qui avait combattu pour défendre sa reine ne disparaîtra jamais.
« Je suis désolée. Je ne peux toujours pas l’accepter. »
J’avais creusé un trou dans le sol au bord de la route avec l’aide de ma marionnette, et nous avions enterré le corps de l’essaim. À ma manière, j’avais pleuré sa mort. L’essaim n’avait pas besoin de prières, mais à ce moment, j’en avais ressenti le besoin.
Et c’était vrai. La volonté de l’Éventreur qui était mort s’attardait dans la conscience collective. Elle serait transmise à un autre Essaim et réapparaîtra un jour devant moi, en jurant une fois de plus son allégeance. C’était la force du collectif de l’Arachnée.
Quant à moi, cependant, j’étais un individu avec mon propre ensemble d’émotions, et je n’étais pas assez volage pour accepter simplement qu’un autre prenne sa place. Il s’était battu courageusement jusqu’au bout, et je ne pouvais accepter que ses efforts soient anéantis.
Je venais d’être témoin d’une mort. C’était, en gros, le premier sang qui avait été versé sous ma domination. C’était aussi la première haine réelle et brûlante que j’avais jamais ressentie. Le premier regret profond que j’avais jamais connu. La miséricorde la plus passagère que j’avais jamais eue. Je ressentais une tempête d’autres émotions que je ne pouvais pas exprimer par des mots.
Mon conflit intérieur traversait la conscience collective de l’Arachnée, mais l’Essaim ne semblait pas y consentir. Peut-être était-ce dû au fait qu’un seul Essaim Éventreur avait été tué. Si nous devions partir en guerre, des centaines d’entre eux seraient sacrifiés. Le fait de voir cela se produire pour la première fois m’avait rendue très émotive. La première mort d’un de mes Essaims m’ébranla jusqu’au plus profond de moi-même.
Un autre sentiment commença à s’épanouir en moi, alors même que mon cœur était presque submergé par la conscience collective. Cela m’avait soulagée du chagrin causé par cette seule unité et m’avait inspiré à la place.
« S’ils nous frappent, nous riposterons. J’hériterai de ta volonté », ai-je dit en déposant des fleurs sur la modeste tombe de l’Éventreur.
De retour à notre base, j’avais commencé à préparer la vengeance que j’allais exiger en son nom.
Oui, j’ai enfin trouvé un ennemi à vaincre.
***
Chapitre 3 : Au nom de la revanche
Partie 1
« Ce symbole vous est-il familier ? » avais-je demandé à l’ancien quand j’étais retournée à Baumfetter, en faisant un geste pour dire que je l’avais arraché d’un des cadavres.
À un moment donné, j’étais devenue une invitée régulière du village elfe. Les villageois m’étaient reconnaissants d’avoir préservé la forêt, ou plutôt les Essaims, et m’avaient toujours accueillie avec un bol de ragoût chaud.
« Je crois que c’est le symbole d’un syndicat du crime humain, mais je ne sais pas d’où ils viennent. », répondit l’elfe, l’air un peu troublé.
« Je vois. Donc vous ne savez pas… Je suppose que c’est quelque chose que seuls les humains connaissent. »
Je ne m’attendais pas à grand-chose au début. Ces voyous armés étaient des humains, et donc la possibilité que les elfes en sachent beaucoup sur eux était mince. J’avais demandé parce que je n’avais rien à perdre, et il n’était pas surprenant qu’ils n’aient pas la réponse que je cherchais.
« Quand même, merci pour le repas. C’était super aujourd’hui. »
« Oh, n’en parlons plus. Nous vous devons beaucoup. »
Il parlait, bien sûr, du fait que j’avais fait déchiqueter les aspirants kidnappeurs de leurs enfants. Leurs parents avaient été ravis de voir leurs enfants revenir sains et saufs, mais je devais me demander si les enfants n’avaient pas été traumatisés par cette expérience.
« C’est la reine de l’Arachnée ! »
Alors que je finissais mon bol de ragoût, les deux enfants elfes en question, Linnet et Lysa, s’étaient précipités vers moi. Ils s’étaient présentés ensemble à la maison de l’ancien, apparemment joyeux et heureux.
D’après ce que m’avait dit l’ancien, Linnet avait plusieurs années de plus que Lysa. Elle l’admirait depuis qu’elle était petite. Les deux étaient des amis d’enfance et aussi proches que des frères et sœurs… sauf que leur relation n’était pas si simple. Tout leur entourage savait que Linnet était amoureux de Lysa, et ils croyaient tous les deux qu’ils finiraient par se marier à l’avenir.
Linnet était un garçon en bonne santé, avec de beaux traits et un corps solide, tandis que Lysa avait des membres clairs et minces. Les deux elfes étaient gentils, car ils étaient prêts à aller cueillir des herbes pour un elfe malade. Il semblerait que le destin les avait réunis. Les deux elfes se rendaient aussi de temps en temps chez les villageois pour leur faire des farces, ce qui leur valait de nombreux coups de fouet. Ce n’étaient là que quelques-unes de leurs nombreuses aventures téméraires. Les adultes ne désapprouvaient pas totalement leurs actes, mais ils craignaient que les deux jeunes n’aient été un peu trop téméraires.
Lysa et Linnet. Les deux jeunes gens semblaient être faits l’un pour l’autre, ils avaient été bénis par leur entourage, car tout le monde s’attendait à voir leur mariage dans le futur. Pour être honnête, je les enviais beaucoup. Je n’avais jamais eu quelqu’un comme ça dans ma vie.
« Prenez ceci, Votre Majesté ! »
« Des champignons ? »
Linnet me tendait un sac en cuir rempli de champignons.
« Les autres villageois m’ont dit que vous aimez les champignons, alors vous pouvez les avoir ! »
« Oh, merci. En trouver autant a dû être bien difficile. »
Pour être honnête, ce n’était pas moi qui aimais les champignons, mais plutôt les Essaims Travailleurs. J’aimais bien les champignons, mais je ne pouvais pas en manger autant. Il faudrait que les Essaims Travailleurs remercient Linnet et Lysa à un moment donné.
« Vos serviteurs gardent la forêt en sécurité, donc la cueillette des herbes est beaucoup plus facile maintenant. Avant, nous devions faire attention aux braconniers et aux esclavagistes, nous ne pouvions donc cueillir des champignons qu’aux alentours du village. », expliqua Lysa
Les braconniers et les esclavagistes avaient apparemment souvent rôdé autour du village avant mon arrivée, ce qui empêchait les enfants de cueillir des herbes à moins d’être accompagnés par des elfes adultes qui pouvaient repousser les assaillants.
Mais maintenant, les enfants étaient libres de se déplacer dans la forêt. Les essaims les surveillaient, éliminant complètement tous ceux qui représentaient une menace. Ainsi la forêt devenait tout à fait paisible. Linnet et Lysa en profitent probablement pour avoir de petits rendez-vous nocturnes, n’est-ce pas, les tourtereaux ?
« C’est bien ça ? Je suis heureuse de voir que mes serviteurs vous aident. »
« Oui ! Nous sommes également heureux ! »
Les elfes étaient tous naturellement beaux, c’était pourquoi les esclavagistes les avaient pris pour cible. Je ne voulais pas imaginer où les magnifiques elfes qu’ils avaient capturés auraient pu se retrouver. Mais pour l’instant, la forêt était protégée par moi et l’Essaim, les elfes innocents n’avaient donc pas à craindre d’être capturés.
C’était un peu étrange de penser qu’une faction malfaisante comme l’Arachnée faisait quelque chose de bien. Il n’était pas absolument nécessaire de se fixer sur son alignement, mais l’Essaim avait toujours une soif de victoire et un désir de domination. Et si je devais l’assouvir, il faudrait que j’aille à la guerre, que je me tache les mains de sang et que je reçoive le mépris et le dédain du reste du monde.
« Vous pouvez avoir cela aussi, Votre Majesté ! »
« Qu’est-ce que c’est ? »
J’avais inspecté ce que Lysa m’avait donné.
« Est-ce que c’est… une poupée ? »
C’était en effet une poupée faite de paille et d’herbe. Elle était recouverte de fourrure animale, et donc pelucheuse au toucher. Et contrairement à une poupée vaudou, elle n’était pas du tout malveillante ou menaçante.
« C’est un charme. Je l’ai fait avec Linnet pour qu’il vous garde en sécurité, Votre Majesté. Linnet et moi avons aussi des charmes comme celui-ci. »
« Oh, je vois. Je vous remercie. Je suis contente que vous ressentiez cela », avais-je dit en tapant Lysa sur la tête.
Il était vrai que des poupées similaires pendaient à leur ceinture.
Parmi tous les habitants du village, Lysa et Linnet nous avaient traités avec la plus grande gentillesse, et bien que nous soyons un groupe de monstres peu familiers, ils avaient gracieusement remboursé leur dette. Ils étaient bien différents des esclavagistes et de ceux de la ville de Leen, qui traitaient les elfes avec cruauté sans autre raison que leur race naturelle.
« De toute façon, j’ai reçu des champignons et un repas chaud, je suppose que je ne devrais donc pas vous imposer plus longtemps. Faites attention, vous deux. Les braconniers ne sont pas encore complètement partis. »
Après avoir remercié les elfes pour leurs offrandes, j’étais retournée à la base de l’Arachnée. Il me restait beaucoup à faire.
☆☆☆**
J’avais chargé la viande de Leen dans le four à fertilisation. Mais je n’avais pas l’intention d’utiliser cette viande pour produire des Essaims Éventreurs. J’en avais déjà beaucoup, assez pour envahir une ville si je le voulais. Au lieu de cela, j’avais des projets bien plus ambitieux pour celle-ci.
« Essaim Chevalier », avais-je commandé au four de fertilisation, qui s’était mis à tourner en réaction.
Quelques instants plus tard, une main humaine sortit de la bouche du four.
« Aaahh. »
La créature qui émergea était un autre type d’Essaim, seul celui-ci avait la moitié supérieure humaine et la moitié inférieure d’Essaim. Elle avait des yeux rouge rubis et des cheveux blancs tressés qui se répandaient sur son dos. La moitié supérieure de l’essaim chevalier était couverte d’une armure blanche. Elle avait une épée longue gainée à la taille.
Elle donnait l’impression immédiate d’être un chevalier.
« À votre service, Votre Majesté. »
Après avoir rampé hors du four à fertilisation, le chevalier araignée s’agenouilla devant moi et baissa la tête avec révérence.
« Relève la tête, Chevalier Essaim Sérignan. »
« Oui, Votre Majesté. »
C’était le Chevalier Essaim Sérignan, une unité différente des essaims Éventreur. C’était ce qu’on appelait une unité de héros. En gagnant des points d’expérience, il était capable de devenir encore plus puissant, pour finalement se transformer en une armée d’un seul homme qui pouvait faire basculer l’équilibre du jeu.
Cela dit, chaque faction pouvait produire une unité de héros, et une seule fois. En tant que telle, l’unité choisie devait être soigneusement améliorée et protégée. Augmenter ses points d’expérience sans qu’elle meure était une tâche plus formidable qu’il n’y paraissait à première vue.
Comme toutes les unités de héros des factions, le chevalier Essaim Sérignan avait sa propre histoire. L’histoire de cette unité était la suivante : il s’agissait d’un chevalier qui avait été exilé pour avoir défendu un enfant païen, et qui avait fini par être placé sous la protection de la reine de l’Arachnée.
Après lui avoir prêté serment d’allégeance, il était devenu un Chevalier Essaim. Renonçant au devoir de chevalerie et aux institutions qui perpétuaient la persécution, il décida de devenir un fier chevalier au service de la reine et de son Essaim.
C’était du moins l’histoire de sa vie. Les choses auraient pu être différentes dans cette réalité, et il y avait déjà une différence frappante.
« Tu es une femme ? »
J’avais toujours pensé que Sérignan était un homme. Du moins, il avait toujours l’air masculin quand je voyais son avatar sur mon écran d’ordinateur. Cela dit, mon ordinateur était assez vieux, donc je ne pouvais pas jouer avec des paramètres graphiques très élevés…
Le chevalier Essaim Sérignan qui se tenait devant moi avait une certaine beauté androgyne, mais un visage nettement féminin. Je pouvais voir qu’elle avait des seins sous son armure. Je m’étais demandé si elle avait toujours été une femme, et si oui, comment diable l’avais-je prise pour un homme ?
« Oui, Votre Majesté. Je suis une femme… Êtes-vous mécontente ? »
« Pas du tout. En tout cas, c’est mieux comme ça. »
Nous allions travailler ensemble à partir de maintenant, donc étant une femme mûre, j’étais plus à l’aise avec une autre femme qu’avec un homme. Si Sérignan avait été un homme, j’aurais dû en être consciente et tenir compte de ce fait lorsque je prenais des décisions autour de lui ou à son sujet.
« Très bien alors, Sérignan. Peux-tu utiliser ta capacité Mimésis pour prendre forme humaine ? »
« Oui, pour une courte durée. »
Sérignan avait une capacité spéciale appelée Mimesis, qui lui permettait de prendre la forme d’un humain ordinaire. Elle partageait cette capacité avec un autre type d’essaim, et ils pouvaient l’utiliser pour se faufiler derrière les lignes ennemies et causer beaucoup de dégâts, en supposant que l’ennemi n’avait pas d’unités capables de voir à travers le déguisement.
« Alors, peux-tu l’essayer ? »
« Selon votre volonté, Votre Majesté. »
À ma demande, Sérignan poussa un hurlement d’animal, après quoi sa moitié inférieure en forme d’araignée s’était contractée et avait rétréci avec des clics sourds, se transformant en jambes humaines. Pour le déguisement, ses jambes étaient déjà couvertes d’une armure à longue jupe.
Sérieusement, comment ai-je pu penser que c’était un mec ?
En y repensant, je m’étais rendu compte que c’était plutôt impoli de ma part. Je m’étais sentie repentie.
« C’est fait. Est-il temps pour nous de nous venger ? »
« C’est ça. Nous devons d’abord trouver l’ennemi, puis nous l’anéantirons. Nous allons les massacrer jusqu’au dernier. »
Je pouvais sentir ma volonté être balayée dans la conscience collective de l’Essaim, mais cette fois, je m’y étais totalement abandonnée. Leur conscience ne faisait plus qu’une avec la mienne.
Nous allions nous venger de notre Essaim Eventreur mort. C’était la force brute qui me poussait à avancer maintenant, et l’esprit de l’Essaim ronronnait d’approbation.
« Alors ce chevalier essaim Sérignan vous accompagnera partout où vous irez, Votre Majesté. »
« Merci. Allons donc rendre une autre visite à la ville. »
Et ainsi, j’avais mis en route mon plan de vengeance.
***
Partie 2
J’étais à nouveau dans la ville de Leen. Comme auparavant, j’avais laissé le chef des esclavagistes tenir les rênes tandis que Sérignan, un Essaim Éventreur, et moi étions assis dans le chariot. Nous étions revenus pour faire du commerce, mais il y avait une autre tâche importante à accomplir.
« Ooh! Vous êtes venus pour vendre plus de vêtements ? Dieu merci ! Ceux que vous m’avez vendus la dernière fois étaient si populaires parmi les nobles qu’ils meurent d’envie de savoir quand j’en aurai plus. »
Le commerçant du magasin de vêtements avait accepté avec joie les robes des Essaims Travailleurs. Apparemment, il avait déjà vendu tout son stock précédent à des nobles et à de riches marchands, et les nobles qui ne les avaient pas obtenues à temps réclamaient un réapprovisionnement. Bien qu’un peu gênante, leur demande avait naturellement plu au commerçant.
« Alors, comme la dernière fois ? Trente mille floria ? », demanda le commerçant, avec l’intention de payer le prix fort.
« Non. Vingt-cinq mille… ça ira. J’ai quelque chose à demander… à la place. »
Il sortit un morceau de tissu portant un symbole, le même que celui que j’avais pris à un des voyous qui l’avaient attaqué et tué l’Éventreur.
« Connaissez-vous… ce symbole ? », demanda-t-il.
« C’est… Désolé, je ne sais pas. Allez demander ailleurs, s’il vous plaît. »
Il semblait le reconnaître, mais il était évasif, ce qui montrait clairement qu’il cachait quelque chose. Je ne doutais pas qu’il connaissait le groupe auquel le symbole appartenait, mais, quels qu’ils soient, ce commerçant timoré ne voulait pas s’impliquer avec eux.
« Dois-je aller lui arracher l’information, Votre Majesté ? » demanda Sérignan.
« Non, n’y va pas. »
J’avais refusé son offre.
« Nous n’avons pas besoin de nous résoudre à lui arracher l’information. Il est toujours une source de revenus importante pour nous. »
Cet homme nous avait été utile, puisqu’il avait converti en argent les vêtements que les Essaims Travailleurs fabriquaient, et nous ne pouvions donc pas le traiter avec insouciance. Comme il avait des préjugés envers les elfes, nous avions besoin de lui en ce moment. C’était pourquoi nous nous servions de lui sans créer de vagues inutiles. Si nous devions interroger quelqu’un, il faudrait que ce soit un individu sans rapport avec nos besoins.
« Nous utiliserons notre argent pour dénicher une ou deux informateurs. Je suis sûre que nous trouverons notre source bien assez tôt », avais-je déclaré, attendant patiemment à l’intérieur du chariot au moment de notre départ.
« Hé, toi. Gare-toi. »
Comme je m’y attendais, nous avions été pris au piège par une bande suspecte après quelques tours de chariots dans les ruelles les plus sombres.
« Qui… êtes-vous ? »
« Hein ? Nous oublier si vite est une petite insulte, tu ne trouves pas ? Ne me dis pas que tu as aussi oublié ta dette envers la Familia Lisitsa », a dit l’un des hommes.
Le symbole du groupe armé qui nous avait pris en embuscade l’autre jour était fièrement affiché sur sa poitrine.
Il n’y avait pas de doute, ces hommes appartenaient au même groupe qui nous avait attaqués. Je ne m’attendais pas à les trouver aussi facilement.
« Sérignan, prépare-toi. Nous allons nous battre. »
« Comme vous le souhaitez, Votre Majesté. »
Elle se prépara à sauter du chariot, l’Essaim Éventreur se prépara aussi.
« J’ai entendu dire que tu as fait vivre l’enfer à notre patron l’autre jour. Prêt à payer le prix fort maintenant ? Ne crois pas qu’on va te donner une mort facile. On va t’arracher jusqu’à la dernière pièce et te battre si fort que tu nous supplieras de te faire sortir de là… »
Les paroles du frère du ruffian, membre de la Familia Lisitsa, avaient été coupées par la vue de Sérignan et de l’Essaim Éventreur qui bondissaient du chariot et se préparaient au combat.
« Haaah ! »
Sérignan défit sa Mimesis, exposant la moitié de son Essaim.
Elle déplaça son épée longue, qui trancha la gorge d’un des membres de la Familia. Il s’était effondré sur le sol, crachant du sang. Aux côtés de Sérignan, l’Essaim Éventreur continua à se battre avec vigueur. Avec Sérignan dans son dos, celui-ci était protégé, coupant librement six ou sept ennemis avec ses faux et ses crocs.
« Hein !? Qu’est-ce que c’est que ça ? D’où viennent ces monstres ? »
Le commandant apparent de la Familia Lisitsa s’était figé lorsque Sérignan fixa sa lame contre sa gorge.
« Bouge et tu meurs », dit Sérignan en le regardant froidement.
« Notre reine a quelque chose à te demander, bâtard. Tu serais bien avisé de répondre. Si tu ne le fais pas, ta vie sera perdue. »
Elle tourna les yeux vers moi.
« Salut. »
Je m’étais approchée de lui avec un faux sourire.
« Alors tu es de la Familia Lisitsa, n’est-ce pas ? Vous avez attaqué cette voiture il y a un moment, tu t’en souviens ? »
« Qui diable êtes-vous ? On n’a rien contre vous, on veut juste cet esclavagiste. Ne vous mêlez pas de nos affaires. »
Il semblait ne pas bien comprendre sa position.
« Oh, c’est notre affaire, d’accord. Sérignan ? »
« Oui, Votre Majesté. »
Sérignan lui planta son épée dans le corps. Il n’y avait pas besoin d’indices verbaux, la conscience collective lui transmettait directement mes ordres.
« Ah, aaah, aaaah ! »
L’homme de la Familia Lisitsa poussa une série de cris pathétiques.
« Je vais demander à nouveau. Votre Familia a-t-elle attaqué une voiture qui est passée par ici il n’y a pas longtemps ? »
« Oui, oui, c’était nous ! »
Finalement, le voyou avoua.
« Le patron a mené certains de nos hommes, et ils ont essayé de mettre la chose à sac ! Mais ils ont été touchés, alors ils se sont enfuis ! Le patron voulait se venger, c’est pour ça qu’on est venus chercher le deuxième round ! »
Il nous avait dit beaucoup de choses. Apparemment, leur patron avait renforcé la sécurité de leur manoir et avait rassemblé des forces pour nous attaquer. Il avait aussi mis à prix la tête de mon animal de compagnie. Il avait continué à bavarder, me disant des choses que je n’avais même pas demandées. Apparemment, sa loyauté envers son patron n’avait pas duré longtemps.
« Est-ce tout ce que tu sais ? »
« C’est… c’est tout. Alors, allez, s’il vous plaît. Je ne dirai à personne que je vous ai rencontré ici, alors laissez-moi juste… »
En une fraction de seconde, Sérignan lui trancha la tête.
« Bon travail, Sérignan. »
« Je suis honorée, Votre Majesté. »
Il était inutile de le garder en vie une fois qu’il avait rempli son but. Si nous l’avions laissé en vie, j’étais sûre qu’il serait allé ailleurs et aurait agité sa langue, tout comme il l’avait fait pour nous.
« Chargeons leur manoir. Je doute que le fait d’écraser une organisation criminelle me pèse terriblement sur la conscience. Je crois qu’il est temps de procéder à un bon vieux massacre à l’ancienne. »
Cela étant décidé, j’étais retournée au chariot avec Sérignan et l’Éventreur. J’étais sur le point de commettre un massacre, mais je n’avais pas ressenti la moindre culpabilité. Ces salauds avaient tué l’un des nôtres, et je ne pouvais pas leur pardonner, même si la conscience de l’Essaim tombé s’attardait au sein du collectif.
« Sérignan, Éventreur. Vous allez massacrer tout le monde dans ce manoir. Il n’y a personne qui vaille la peine d’être laissé en vie là-dedans. Arrachez leur tête. Peignez les murs en rouge avec leur sang. Cela s’applique même si certains d’entre eux ont du sang vert. »
« Compris. Tout se passera comme vous l’avez ordonné, Votre Majesté. »
Comme je l’ordonne, hein ?
Avant que je ne fasse partie de la conscience collective, ces ordres auraient certainement été les miens. À l’époque, je craignais aussi de commettre un meurtre, car la culpabilité m’aurait probablement écrasée. Maintenant, cependant, je faisais partie de l’essaim, et le feu de leur volonté avait été allumé en moi. Je ne ressentais plus de culpabilité, je ne ressentais plus de peur.
La seule chose qu’il me restait à craindre était l’absence de ces émotions très humaines.
Nous avions continué notre route jusqu’à ce que nous atteignions un grand domaine. Le manoir de la Familia Lisitsa était un lieu sordide qui sentait l’ostentation et la prospérité vulgaire.
Il était temps de commencer notre raid.
***
Chapitre 4 : Effusion naturelle de sang
Le chef des esclavagistes arrêta le carrosse devant la propriété de la Familia Lisitsa. Les membres de la Familia s’étaient précipités vers nous, furieux que nous nous soyons arrêtés à leur base pour commencer un combat.
« Hé, c’est Moisei ! As-tu enfin décidé de payer ? ! »
« Tu as fait souffrir notre patron, hein, salaud ? ! »
Plusieurs voyous sortirent hors du bâtiment les uns après les autres, entourant notre chariot et son chauffeur. Je m’étais calmée tout en regardant les choses se dérouler.
« Descends, Moisei ! Le patron a une sacrée dent contre toi ! »
Au moment où les hommes tendirent la main vers mon esclavagiste, Sérignan et l’Éventreur s’étaient mis en marche. L’épée longue de Sérignan trancha la tête des hommes, tandis que l’Éventreur s’était servi de ses crocs et de ses faux pour les déchiqueter. Tout cela s’était terminé en un clin d’œil.
« C’est fait, Votre Majesté. »
« Merci, Sérignan, et toi aussi, l’Éventreur. »
J’étais descendue du chariot.
« Très bien, faisons irruption et exterminons-les. Nous devons nous venger de celui que nous avons perdu. »
Avec cela, j’avais fait ouvrir au chef des esclavagistes la porte qui menait au domaine. Sérignan et l’Essaim Éventreur étaient entrés les premiers, et j’avais suivi derrière.
Le moment de notre vengeance était arrivé.
Faisons couler le sang et déchiquetons la chair, comme seul l’Essaim sait le faire.
☆☆☆**
« Intrus ! Nous avons des intrus ! »
L’alarme déclenchée par un des membres de la Familia Lisitsa avait été interrompue par un coup de faux de l’Éventreur. Prenant le coup au cerveau, l’homme tressaillit à plusieurs reprises avant de s’effondrer sur le sol, une mare de sang suintant sous lui.
Un autre homme qui avait été témoin de cette scène cria : « Bon sang ! Ces monstres nous attaquent ! Que tout le monde les tue avant qu’ils ne fassent un pas de plus ! »
Plusieurs hommes, avec des arcs courts et des épées longues à la main, étaient sortis du bois et nous encerclèrent.
« On peut passer, Sérignan ? » avais-je demandé.
« C’est possible. Mais cela vous mettrait en danger, Votre Majesté. »
Sérignan avait l’air un peu inquiète.
« Alors, appelons des renforts », lui dis-je, en faisant un léger signe de la main.
Comme si en réponse à ce petit geste, des crocs massifs surgir du sol, frappant un membre de la Familia qui s’avançait vers nous. Son corps avait été coupé en deux, et les deux moitiés de son corps étaient tombées au sol.
Il s’agissait des Essaims Fouilleurs.
Je les avais fait attendre à l’abri à l’extérieur des murs de Leen, puis je les avais convoqués ici en un éclair. Les Essaims Fouilleurs avaient contourné les murs en s’enfouissant sous terre, pour refaire surface sous les membres du Familia qui nous avait chargé.
C’était ainsi que vous deviez utiliser les Essaims Fouilleurs de manière efficace. Ils étaient parfaits pour les attaques-surprises, car ils pouvaient surgir à l’endroit et au moment les plus inattendus. Les Essaims Fouilleurs prospéraient là où les ennemis étaient les moins prudents, c’est-à-dire sur le sol même où ils se trouvaient.
J’avais déjà utilisé les Essaims Fouilleurs dans le passé pour renverser des bases hautement fortifiées en quelques secondes, donc le manoir d’un syndicat du crime était un jeu d’enfant en comparaison. En tant que force combinée, l’Arachnée et moi étions plus que capables de détruire ce centre criminel extravagant.
« Les perspectives sont-elles meilleures maintenant ? » demandai-je.
« Oui. Laissez-nous faire, Votre Majesté », répondit Sérignan en souriant.
« Être sous votre commandement est un vrai plaisir. Vous avez même prévu une telle situation. »
Je m’étais sentie un peu gênée par ses éloges.
Ignorant mon moment de timidité, Sérignan utilisa ses jambes instables pour sauter vers le haut. Elle atterrit avec un grand claquement sur la mezzanine pour abattre les archers de la Familia qui y était stationnée. Malgré le fait que j’étais témoin de ce qui était sans aucun doute le spectacle du massacre de mes semblables, cela m’avait paru beau et magnifique. Radieux, même.
Je regardais, envoûtée, Sérignan se frayer un chemin à travers les voyous, des gouttes de sang dansant dans l’air. La scène était tout à fait renversante : sa forme mi-humaine maniant l’épée avec adresse et grâce, la lame elle-même traînant dans les airs, et des fleurs de sang fleurissant à travers la pièce.
Tout était si éloigné de la réalité que je ne pouvais pas détourner mon regard.
« Votre Majesté ! » cria l’Essaim Éventreur alors que je regardais Sérignan se battre. Il sauta devant moi, déviant une flèche d’un coup de queue acéré.
« Merci, Essaim Éventreur. »
« Il n’y a pas besoin de me remercier. Mais vous devez être prudente, Votre Majesté. Il peut être dangereux de regarder de trop près un abattage actif. »
« Je suis désolée. Je serai plus prudente. »
Alors même qu’il me parlait, l’Essaim Éventreur dévia d’autres attaques venant vers moi. C’était peut-être une unité de début de partie, mais elle s’était quand même avérée extrêmement fiable. Je pouvais dire que je m’attachais encore plus à cet adorable insecte qui avait contribué à ma victoire.
« Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce qui se passe ici !? »
Alors que les membres de la Familia combattaient Sérignan et les Essaims Éventreur et Fouilleurs, un certain individu fit irruption sur les lieux.
« C’est lui. »
Le patron de la Familia Lisitsa — qui semblait être le même homme qui avait ordonné l’attaque de notre carrosse — s’était enfin joint à la fête.
« Qui diable es-tu !? D’où viennent ces monstres !? », cria-t-il.
« Je ne vous réponds pas », lui dis-je, tandis que je le désignais.
« Prenez-le vivant. »
« Il en sera fait ainsi, Votre Majesté. »
À mon commandement, l’Essaim Éventreur s’était avancé.
« Je vous protégerai. »
Sérignan s’était avancée pour se mettre devant moi.
Les archers avaient été massacrés pour la plupart, mais on ne savait pas quand une attaque pourrait avoir lieu. J’étais donc reconnaissante d’avoir Sérignan pour me défendre. C’était rassurant, comme si j’avais mon propre chevalier. Eh bien, Sérignan était techniquement un chevalier…
« Euh, techniquement, Votre Majesté ? »
« Oh, pardon. Je veux dire, vous êtes un splendide et digne chevalier. »
Apparemment, mes pensées lui avaient été transmises par la conscience collective. Être lié à un esprit d’Essaim avait ses inconvénients, comme je venais de le voir. À savoir, ne pas pouvoir faire un monologue intérieur en paix.
« Restez en arrière ! Écoutez, les gars ! Détruisez ces monstres ! » s’écria le patron de la Familia Lisitsa.
« Quiconque en tue un reçoit un gros lot ! »
D’autres hommes surgirent des profondeurs du manoir, brandissant hallebardes et épées longues. Ils se précipitèrent sur l’Éventreur, mais des Essaims Fouilleurs apparurent sous les planches cassées, s’accrochant aux assaillants et les entraînant sous terre.
Les autres membres de la Familia se figèrent à la vue de la menace souterraine, frémissant de peur. Mais les choses étaient loin d’être terminées. Nous n’aurions de cesse de les anéantir tous et de forcer la tête du serpent à se soumettre.
« Tu penses pouvoir y arriver, Éventreur ? »
« Aucun problème, Votre Majesté. »
L’Éventreur s’était jeté sur les ennemis qui avaient été assommés par les attaques des Fouilleurs. Il les avait déchirés, mordus et poignardés de toutes les manières possibles et imaginables. Chacune de ses victimes avait été livrée aux portes de la mort.
Ce fut une tragédie sanglante, dans le sens le plus simple et le plus littéral qui soit.
Le manoir autrefois prestigieux de la Familia Lisitsa était rempli de trous à cause des essaims Fouilleurs. Les attaques de Sérignan et de l’Éventreur avaient teinté les murs et le sol d’un rouge profond. Des cadavres gisaient partout dans la pièce.
Même en observant les pertes, je n’avais rien ressenti. Les cadavres jonchaient le champ de bataille, et il était naturel qu’ils saignent. Les corps ne restaient propres que dans les jeux vidéo. Non, même dans les jeux vidéo, les cadavres étaient grotesques. Le carnage engendrait le sang et le mort, c’était évident.
« Hé ? ! Y a-t-il quelqu’un ? ! Que quelqu’un sorte et tue ces monstres ! Dépêchez-vous ! »
Le patron de la Familia Lisitsa cria à l’aide, mais à ce moment-là, tous ses hommes étaient morts ou avaient fui le manoir. Il avait beau pleurer, personne ne lui était venu en aide. Son sort était déjà scellé.
« Capture-le vivant, Essaim Éventreur », avais-je ordonné une fois de plus.
« Comme vous le souhaitez, Votre Majesté. »
Le dard venimeux de l’Éventreur scintillait dans la lumière.
« Non ! Ne faites pas ça ! Restez en arrière ! Restez… »
Le dard de l’Éventreur poignarda l’homme malgré ses cris désespérés.
« Aaaah, guh ! »
Alors que le venin se répandait dans ses veines, de la mousse sortit sa bouche et il tomba, perdant conscience. Son corps s’affaissa et s’écrasa sur le sol. Le venin de l’Éventreur n’était pas mortel ni même nuisible, mais il avait assommé l’adversaire pendant un certain temps. Il possédait un faible effet paralysant, mais plus que suffisant pour assommer le patron.
« Sérignan, attache-le. »
« Comme vous voulez. »
Sur mon ordre, Sérignan enveloppa le patron dans ce qui ressemblait être des fils d’araignée et le ligota.
« Sérignan, Essaim Éventreur, cherchez des survivants dans le manoir. Restez groupés pour vous couvrir les uns les autres si nécessaire. Juste pour être sûr. »
« Comme vous le désirez. »
Je ne pouvais pas me permettre de perdre Sérignan, qui était devenue encore plus forte pendant son séjour au manoir, et je m’étais tellement attachée à l’Éventreur que même la mort d’une seule unité m’avait mise en colère. Le fait que mes ennemis meurent en masse ne me faisait rien, mais je ne tolérais pas une seule blessure infligée à l’un de mes alliés.
Je suis sûre que cela fait de moi une égoïste. Mais n’est-ce pas ainsi que les gens opèrent ?
« Très bien, nous nous sommes vraiment lâchés et avons provoqué une émeute ici. Alors, allons-y avant que les voisins ne nous remarquent et commencent à paniquer. Mais je vais m’assurer que les choses se calment assez vite », avais-je dit, en sortant un essaim de parasites de ma poche.
J’avais regardé froidement le patron de la Familia Lisitsa, paralysé à mes pieds, puis j’avais mis l’Essaim Parasite dans sa bouche.
☆☆☆**
La police de Leen — ou plutôt, les chevaliers de Leen — découvrit rapidement le massacre dans la propriété de la Lisitsa Familia. Des dizaines de membres de la Familia avaient été retrouvés morts, leurs cadavres mutilés au point d’être méconnaissables. Beaucoup de chevaliers avaient vomi à cette horrible vue.
Le coupable de l’affaire avait été trouvé presque immédiatement : c’était le patron de la Familia Lisitsa. Il avait été trouvé assis sur le pas de la porte du manoir, une épée ensanglantée à la main, et il avait admis sans hésiter que tout était de sa faute. Sur la base de ces aveux, les chevaliers avaient arrêté l’homme, l’avaient accusé de nombreux chefs d’accusation de meurtre et l’avaient condamné à la mort par pendaison.
Les cadavres avaient été laissés tels quels, puis incinérés. Mais ils avaient quelque chose d’inhabituel que personne n’avait remarqué au début : le nombre de cadavres était inférieur au nombre de membres de la Familia. Les chevaliers avaient conclu que certains d’entre eux avaient dû conspirer pour commettre les meurtres, puis s’étaient enfuis après coup. Ils avaient donc décidé d’essayer de les retrouver.
Non pas que leur recherche porterait ses fruits, bien sûr.
« Chargeons les cadavres. Nous en avons pas mal, nous allons donc être de plus en plus nombreux à partir d’aujourd’hui. »
J’avais fourré les corps des membres « disparus » de la Familia — qui avaient été tués sur mes ordres puis emportés dans la bouche des Essaims Fouilleurs — dans le four à fertilisation.
« Que produirez-vous aujourd’hui, Votre Majesté ? » demanda Sérignan tout en mettant les cadavres dans le four.
« Et bien, je pense que je vais juste faire plus d’Essaim Éventreurs. Il est peut-être temps de se précipiter », répondis-je.
Il y avait probablement un moyen plus simple de charger les cadavres dans le four, mais pour le moment, cela ferait l’affaire.
J’avais déjà un nombre important d’Essaim Éventreurs, mais pas assez pour une ruée. Étant devenue la reine de l’Arachnée, j’avais promis de les mener à la victoire, et je devais donc garder l’esprit fixé sur cette victoire.
Mais les conditions de cette victoire, ainsi que les ennemis que je devais battre pour la remporter, étaient toujours aussi floues pour moi. Jusqu’à présent, nous n’avions lutté que contre des esclavagistes, des braconniers et un seul syndicat du crime. Il n’y avait pas encore de pays ou de faction à vaincre.
Mais qui est notre adversaire ? Nous étions encore en train d’effectuer l’importante tâche de reconnaissance de notre environnement, les Essaim Éventreurs s’étant répandus partout à la recherche d’informations. Les essaims Fouilleurs se déplaçaient également dans la clandestinité, écoutant attentivement les conversations dans les villes et les villages.
C’est grâce à leurs efforts que j’avais appris l’existence du royaume de Maluk, situé directement à l’ouest. Je ne savais pas à quel alignement ils appartenaient, mais j’avais compris qu’il s’agissait d’une assez grande nation à proximité.
À l’est, il y avait une autre nation, la Papauté Frantz, qui était un pays tolérant et religieux qui ne faisait aucun sacrifice à leurs dieux. En d’autres termes, il s’agissait probablement d’une faction du bien. Comme l’Arachnée était une faction du mal, cela signifiait que nous pourrions éventuellement avoir à les affronter.
Je ne savais pas qui ou quoi se trouvait au nord et au sud. Il y avait apparemment des nations là-bas, mais je ne connaissais ni leurs noms ni leurs cultures. Pour commencer, il était à peu près impossible pour les Essaim Éventreurs de découvrir beaucoup de choses sur les autres cultures au cours de leur exploration. Tous ceux qui les voyaient les considéraient comme des monstres et les attaquaient immédiatement.
Le fait d’être une faction de monstre comportait son lot d’inconvénients. Si je pouvais juste débloquer de nouvelles unités de niveau supérieur, je pourrais produire des essaims qui pourraient naturellement se mêler aux villageois afin de recueillir des informations. Malheureusement, j’avais besoin de beaucoup plus de ressources pour cela.
D’après les cartes des esclavagistes, notre base et la forêt des elfes se trouvaient au centre du continent. Cette connaissance était assez décourageante, car elle signifiait que nous étions intrinsèquement dans une position désavantageuse, entourés d’ennemis potentiels dans toutes les directions.
« Que devrions-nous faire ensuite, je me le demande ? »
Nous n’avions pas d’ennemi évident à combattre et aucune condition apparente de victoire, donc pour le moment, j’avais constitué mes forces en prévision d’une attaque.
Cependant, comme je le découvrirai bientôt, l’ennemi allait venir à nous en premier.
***
Chapitre 5 : Tragédie au Village des elfes
Partie 1
Six mois s’étaient écoulés depuis que nous avions commencé à négocier avec Baumfetter en échange de leur sécurité. Le nombre d’esclavagistes et de braconniers avait considérablement diminué. Apparemment, ils avaient réalisé que c’était la forêt de la mort. Mais cela signifiait que nous perdions peu à peu une source de viande précieuse.
Pourtant, ma force d’Éventreurs avait atteint un nombre qui rendait possible l’attaque d’un autre pays. Si cela avait été le cas, j’aurais été prête à foncer sur une base ennemie dès maintenant. Sauf que je n’avais aucune idée de qui j’étais censée attaquer dans ce monde. Des milliers d’Essaims Éventreurs étaient une force excessive si je n’avais affaire qu’à des groupes de braconniers.
Maintenant que les choses s’étaient calmées, je n’avais que cinq ou six Essaim Éventreurs qui patrouillaient à Baumfetter, et c’était plus que suffisant pour faire face aux esclavagistes qui harcelaient les elfes. Déployer un plus grand nombre sans raison ne ferait qu’effrayer les habitants du village, et je courais le risque que mes Essaims soient repérés par des humains bienveillants qui faisaient leur travail dans la forêt.
« C’est tellement paisible. »
Bien que faisant partie d’une race dangereuse et agressive comme l’Arachnée, j’avais joui de la paix. Le ragoût que les gens de Baumfetter me servaient était toujours savoureux, et en vendant les robes des Essaims Travailleurs, je pouvais obtenir de la viande. Cela dit, la demande de ces robes diminuait progressivement en raison de l’offre excessive.
« Votre Majesté, ne devrions-nous pas passer à l’offensive ? » me demanda Sérignan.
« Mais qui attaquerions-nous ? » lui avais-je répondu.
« Hmm. Attaquons la ville de Leen. Ce faisant, nous obtiendrions tout ce qu’ils ont. Nous ferions bien de travailler sur nos recherches. »
Dans le jeu, la recherche débloquait de nouvelles unités et structures. La recherche nécessitait de l’or et des âmes, bien que différents types de recherche nécessitaient différentes quantités et variétés de ressources. Le développement de nouvelles unités nécessitait des âmes, tandis que les nouvelles structures nécessitaient de l’or. Certaines factions constituaient néanmoins des exceptions, celles qui utilisaient des golems avaient besoin d’or pour débloquer ces unités, et les factions de type fantôme utilisaient des âmes pour débloquer leurs structures.
Nous avions acquis un stock d’âmes assez important, ce qui nous avait permis de débloquer de nouvelles unités, mais nous n’avions pas encore commencé à débloquer des structures.
« Je n’aime pas l’idée d’attaquer Leen sans raison. Nous les utilisons pour le commerce, donc ils nous ont été utiles. »
Nous avions utilisé Leen pour vendre les robes des Essaims Travailleurs et faire périodiquement des provisions de viande. Je ne savais pas où nous irions pour échanger ces choses si nous rasions Leen.
« Une fois que nous aurons détruit Leen, nous pourrons attaquer le Royaume de Maluk. Cela réglerait tous nos problèmes, car nous obtiendrions de la viande, des âmes et de l’or. »
Ce que Sérignan suggérait était peut-être impitoyable, mais c’était néanmoins logique. L’Arachnée n’était pas une faction qui faisait du commerce. Elle se nourrissait de pillages, de pillages et de pillages supplémentaires jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à prendre. En rendant l’Arachnée dépendante du commerce, je l’utilisais d’une manière qui n’était pas prévue.
Un véritable joueur d’Arachnée était aussi impitoyable que possible, anéantissant sans relâche l’ennemi et utilisant sa chair et son âme pour alimenter sa croisade impie.
« Tu as raison. Nous devrions envisager une économie de pillage. »
En tant que reine de l’Arachnée, j’avais promis de les mener à la victoire. Se cacher dans le confort de nos tunnels et chasser les traînards comme si nous étions des monstres féeriques de la forêt ne nous convenait pas, et cela ne nous rapprochait pas de la réalisation de nos aspirations.
Si nous voulions gagner, nous devions nous tacher les mains de sang.
« Votre Majesté. »
Une voix m’avait soudainement appelée à travers la conscience collective.
« Qu’est-ce que c’est ? »
« Nous avons détecté une grande force marchant vers Baumfetter. Ce ne sont pas des braconniers ou des esclavagistes. C’est une force bien armée et hautement entraînée. Que devrions-nous faire ? »
« Qu’est-ce que… ? Tu veux dire une armée ? »
C’était effectivement une armée, mais d’où venait-elle ?
« Ils portent ce qui semble être la bannière du Royaume de Maluk », répondit l’éclaireur Éventreur.
« Ils atteindront Baumfetter sous peu. Vos ordres, Votre Majesté ? »
« Interceptez-les aussi longtemps que vous le pourrez. »
« Bien reçu. »
L’Éventreur allait probablement mourir. Un seul Essaim Éventreurs n’était pas de taille face à une armée organisée, et même si nous nous dépêchions, nous n’arriverions pas à temps à Baumfetter.
« Au moins maintenant, nous avions la possibilité d’ouvrir les hostilités. »
L’esprit de l’Essaim était définitivement vivant en moi.
☆☆☆**
« Les humains ! Les humains arrivent ! »
« Ce sont des chevaliers, pas des braconniers ou des esclavagistes ! »
Les chevaliers marchaient sur Baumfetter de toutes les directions. Leurs armures faites de plaque et leurs boucliers déviaient les flèches des elfes.
« Regardez ! Les serviteurs de la reine d’Arachnée sont là ! »
Alors que la situation à Baumfetter devenait critique, deux Essaims Éventreurs s’étaient précipités dans la mêlée, engageant les chevaliers dans la bataille. Leurs faux pénétrèrent les boucliers et les armures, coupant la chair des chevaliers et répandant leur sang.
« Ooh! »
Cependant, les chevaliers avaient à peine bronché devant les attaques des Essaims. Un chevalier enfonça son épée dans un Essaims Éventreur qui s’était écrasé sur son bras, le faisant s’envoler et se recroqueviller alors qu’il entrait dans sa phase d’agonie. Un autre chevalier, apparemment un sorcier, avait ensuite soigné ses blessures.
« Maudits monstres ! », le chevalier cracha avant de reprendre sa marche.
« Les rumeurs étaient vraies. Il y a vraiment une sorcière ici. »
« Allez, allez, allez ! Détruisez le perchoir des hérétiques ! »
Des cavaliers apparurent de la forêt, poignardant les archers elfes avec des lances. L’infanterie s’était également avancée, se tenant en ligne et tirant une rafale de flèches enflammées dans le village elfe. Des cris s’élevèrent du village alors que les elfes fuyaient les bâtiments et les maisons qui avaient pris feu. Ils étaient des non-combattants : femmes, enfants, malades et personnes âgées.
Les elfes qui pouvaient se battre dirigeaient leurs flèches vers les trous dans les casques des chevaliers, mais le jeune Linnet n’était pas capable d’un tel exploit. Il s’était contenté de tirer des flèches au hasard, repoussant de justesse la progression des chevaliers. Il n’aurait pas été surprenant qu’on lui dise soudainement de s’enfuir.
« Linnet! »
« Lysa !? Que fais-tu ici !? »
Linnet se battait désespérément pour protéger la maison de l’aîné quand Lysa s’était précipitée vers lui.
« Le feu est partout ! Linnet, nous devons courir ! »
Lysa l’avait supplié, luttant pour reprendre son souffle.
« Si nous allons là où les arbres sont les plus épais, leurs chevaux ne pourront pas nous suivre ! »
« Mais je dois protéger le village ! »
Linnet secoua violemment la tête.
« Si nous abandonnons cet endroit, où irons-nous ? D’ailleurs, il n’y a pas que ces chevaliers dans la forêt ! Il y a aussi des monstres dangereux là-bas ! »
« Mais si nous restons ici, ils vont nous tuer. »
« Tu as peut-être raison, mais nous devons essayer ! »
Linnet voulait protéger son village, tandis que Lysa voulait qu’il soit en sécurité. Les chances que l’un ou l’autre de leurs souhaits se réalise étaient décidément minces. Les elfes étaient complètement dépassés par les chevaliers. Des murs de flammes bloquaient leurs issues de secours, et l’infanterie les encerclait peu à peu. La cavalerie galopait à travers le village, cherchant avidement de nouvelles victimes.
« Gah ! »
Un autre elfe était tombé, tombant au sol alors qu’un des soldats tirait une flèche à travers lui. Les archers de l’ennemi étaient peut-être inférieurs aux elfes, mais ils étaient assez habiles pour toucher les organes vitaux de leurs cibles avec une précision mortelle.
« Urgh... »
« Azlet est aussi à terre ! Pouvez-vous encore vous battre ? »
Il ne restait plus que trois elfes capables de se battre, dont Linnet.
« Abattez les hérétiques aux longues oreilles ! Chargez ! »
Un autre groupe de chevaliers lourdement armés les chargea, avec l’intention d’achever les quelques elfes encore capables de se battre, puis de tuer ceux qui se cachaient dans la maison de l’ancien.
« Au diable tout ça ! Est-ce vraiment la fin !? »
La vie de Linnet avait été sauvée une fois auparavant. Il avait réussi à échapper aux griffes des esclavagistes. Et pourtant, sa ville natale était maintenant mise à feu, ses amis et ses proches massacrés sous ses yeux. Pourquoi une chose aussi terrible devait-elle arriver ? Dieu n’existait-il vraiment pas dans ce monde ?
Mais juste au moment où cette pensée traversait l’esprit de Linnet…
« Ça suffit. »
La voix digne d’une femme résonnait dans tout le village en feu.
« Mais qu’est-ce que… ? »
« Une fille ? »
Les soldats se retournèrent en suspectant quelque chose, leurs yeux tombant sur une seule fille vêtue d’une belle robe. Ses cheveux noirs flottaient autour d’elle comme un halo sombre, contrastant audacieusement avec les flammes qui s’élevaient derrière elle.
« Une alliée des elfes ? »
« On dirait bien. Archers ! »
Les chevaliers pointèrent leurs flèches sur la fille et tirèrent immédiatement. Les flèches volaient dans l’air, sifflant alors qu’elles traversaient le vent en se dirigeant vers la poitrine de la fille… mais elles n’avaient jamais atteint leur cible.
« Vous ne poserez pas la main sur Sa Majesté. Sur mon honneur de chevalier, je ne le permettrai jamais. »
Les flèches volant vers la jeune fille, la reine d’Arachnée, furent déviées vers le ciel par l’épée de Sérignan. Elle s’avança, son Essaim à moitié exposé, et se tint devant la reine pour la garder.
« Un autre monstre ! »
« Tuez-les ! Au nom du Dieu de la Lumière ! »
Les chevaliers tournèrent le bout de leurs lames loin des elfes, en direction de la reine d’Arachnée.
« Trop naïfs. Vous êtes pathétique. Vous pensiez pouvoir me battre avec si peu de monde ? », dit la reine, les lèvres retroussées en ricanant.
Elle s’éclaircit la gorge, et déclara d’une voix résonnante :
« Déchirez-les, mes serviteurs. »
L’instant d’après, les Essaims Éventreurs sortirent des arbres. Mais ce n’était pas seulement une poignée d’entre eux. Des dizaines de milliers d’Essaims Éventreurs s’étaient déversés hors de la forêt. Ceux qui étaient restés dans les tunnels jusqu’à présent. Ceux qui s’étaient régalés de la chair qu’on avait achetée à Leen, des cadavres des braconniers et des esclavagistes, des corps de la Familia Lisitsa. Le banquet sans fin de chair avait accru leur nombre. En claquant leur mâchoire de façon menaçante, ils avaient entouré les chevaliers.
« Connaissez la force et la terreur de l’Arachnée », dit la reine.
Et à ce signal, les Essaims Éventreurs s’avancèrent.
« Bon sang, où ont-ils trouvé autant de monstres !? »
« Cavalerie ! Couvrez-nous ! »
Face à une armée d’Essaims Éventreurs assez importante pour couvrir toute la zone, les chevaliers étaient dans un état de panique. Encerclés de tous côtés, ils s’étaient regroupés en formation défensive pour tenter de les repousser.
Pour les Essaims Éventreurs, cependant, ces hommes n’étaient que du butin à piller.
La cavalerie qui avait encerclé le village de manière oppressante fut la première à tomber. Chaque cavalier fut engagé par trois ou quatre Essaims Éventreurs qui lui mordirent les membres et le tirèrent des chevaux. Les corps des hommes étaient poignardés à l’aide de faux, leurs gorges pénétrées par des crocs. Ceux qui moururent sur place eurent de la chance. Ceux qui avaient eu la malchance d’éviter des coups mortels avaient été disséqués vivants par l’Essaim.
« Formez un cercle ! Dépêchez-vous ! Les Chevaliers de Saint-Augustin ne seront pas la proie de telles bêtes ! », cria un homme qui semblait être le chef des chevaliers.
« Capitaine ! Nous devons invoquer l’Ange ! Si nous ne le faisons pas, nous serons anéantis ! » s’écria un des chevaliers subordonnés.
« Ngh... Je ne peux pas croire que nous devons invoquer l’Ange pour quelque chose comme ça ! »
***
Partie 2
Le capitaine serra la mâchoire de frustration, mais s’était vite mis à chanter : « Serviteur du Dieu de la Lumière qui réside dans les cieux, je te supplie de descendre devant nous, Ange Agaphiel ! »
Une fois son chant terminé, un ange était descendu dans le village. C’était une jeune fille majestueuse aux ailes blanches, vêtue d’une robe blanche, et qui méritait vraiment d’être appelée un ange. Elle descendit des cieux en battant des ailes et atterrit légèrement sur le sol, les yeux fermés. Son visage avait une expression froide, semblable à un masque.
« Fils de l’homme. »
La voix de l’ange résonnait dans l’esprit de toutes les personnes présentes.
« Nous cherchons le salut. Nous vous en supplions, mettez ces monstres vils à mort ! », s’exclama le capitaine.
« Très bien. Ce sont sans aucun doute des êtres de nature malveillante. Des incarnations du mal qui offensent tout ce qui est bon. »
Avec cela, l’ange leva une main, déclenchant un souffle de lumière aveuglante. Les Essaims Éventreurs touchés par le souffle s’étaient évaporés sans laisser de traces. Les autres Essaims Éventreurs continuèrent inlassablement leur assaut sur le cercle des chevaliers, mais Agaphiel continuait de les vaporiser. A ce rythme, ils seraient anéantis, quel que soit leur nombre.
L’ange Agaphiel. C’était une servante du Dieu de la Lumière vénéré par ces chevaliers, capable de manipuler la lumière comme un sujet de foi. L’ange gardien des chevaliers était particulièrement apte au combat.
Son apparition avait montré clairement que les chevaliers du royaume de Maluk utilisaient ce genre d’unités. Ils protégeaient le royaume contre l’invasion des pays voisins et lui permettaient de régner sur cette région dans une sorte d’hégémonie.
Aussi bien armés que les soldats d’un pays, aussi grands que soient leurs bastions, ils étaient trop fragiles pour résister à une attaque d’un ange comme Agaphiel. Dans ce monde, les anges étaient un symbole de pouvoir auquel on ne pouvait pas s’opposer.
Je voulais dire jusqu’à présent.
« Oh, ils ont une personne ennuyeuse de leur côté. Sérignan, tu peux t’occuper d’elle ? », dit la reine de l’Arachnée.
« Laissez-moi faire, Votre Majesté », répondit Sérignan en souriant.
C’était le sourire d’une personne confiante en sa victoire. Un sourire sauvage et ravi.
« Viens à moi, mouche pitoyable. Je graverai le poids de ton impuissance dans ta chair au moment où je t’abattrai. », dit Sérignan.
À ce moment-là, elle avait été chargée par tous les chevaliers en même temps. Sérignan bondit vers Agaphiel, qui leva une main pour l’abattre. Mais celle-ci tordit le corps en plein vol pour éviter l’attaque. Un autre coup de lumière fut produit, que Sérignan évita en tirant une corde pour se rabattre vers un arbre. Elle lui donna ensuite un coup de pied afin de continuer son assaut contre Agaphiel.
Et puis Agaphiel entra dans le champ d’action de l’épée de Sérignan.
« Haaah ! »
Sérignan frappa avec son épée cramoisie et percuta Agaphiel. Mais ce n’était pas une simple lacération.
Elle avait complètement tranché la tête d’Agaphiel.
« Aaagh... »
L’ange n’avait pas saigné, mais avait éclaté en particules de lumière, qui disparurent vite.
« Quoi… ? »
Le match avait été décidé en un clin d’œil, laissant les chevaliers consternés.
Un instant. Un instant avait suffi.
L’ange, leur symbole de pouvoir absolu, avait été abattu et détruit d’un seul coup de lame. Les seules forces capables de vaincre les anges étaient d’autres anges, ou une armée des dizaines de milliers de fois plus grande que celle de l’ange.
Mais le chevalier instable devant eux avait abattu l’ange, accablant cette icône indomptable de la force par un simple coup d’épée.
Ils frissonnaient à l’unisson. L’ange qui avait autrefois semé la terreur dans le cœur de tous ceux qui la voyaient avait été terrassé d’un seul coup.
« La façon dont vous avez abattu l’ange était splendide, Sérignan », dit la reine, visiblement impressionnée.
« Ma lame est une épée sacrée, destinée à détruire les pouvoirs sacrés détenus par des paladins corrompus. »
Sérignan avait un soupçon de fierté dans sa voix.
« Si un adversaire tente de faire du mal à Votre Majesté, qu’il s’agisse d’un ange ou d’un dieu, votre chevalier les abattra. »
« Alors, éliminons les autres. »
La reine tourna son regard vers les chevaliers, qui tremblèrent de peur.
« Je ne peux pas le croire… Agaphiel... »
« Nous sommes foutus… »
Ils avaient compris qu’ils n’étaient plus des chasseurs, mais des proies.
« Essaims Éventreurs, ne laissez personne en vie. »
Sur ordre de la reine, les Essaims Éventreurs ne firent qu’un, resserrant leur cercle autour des chevaliers. Chaque chevalier était attaqué par quatre à sept Essaims Éventreurs, les laissant sans espoir de survie.
Des têtes furent coupées. Les cœurs furent percés à travers les armures. Des membres furent arrachés des torses. Un par un, les chevaliers moururent de façon atroce. Se précipitant sur eux par vagues, les Essaims Éventreurs déchiraient leurs ennemis, ne laissant sur leur passage qu’une montagne de cadavres.
« Bon travail. »
Une fois que tout fut terminé, la reine de l’Arachnée demanda aux Éventreurs d’emporter les cadavres. Naturellement, ceux-ci allaient devenir des matériaux pour de nouveaux Essaims.
« Maintenant, écoutons ce qui s’est passé. Je dois dire que je suis assez énervée en ce moment », souffla la reine en se rendant chez l’ancien.
☆☆☆**
« Tout va bien maintenant. J’ai éliminé l’ennemi », avais-je dit en entrant dans la maison de l’ancien.
« Oh… Très bien », dis l’un des derniers guerriers elfiques.
Ils semblaient tous perplexes.
« C’était d’une puissance incroyable. Les Chevaliers de Saint-Augustin sont parmi les meilleurs guerriers du continent, et pourtant vous les avez tous vaincus. »
« Quelqu’un, s’il vous plaît, aidez-moi ! Linnet a été abattu ! »
Au moment même où j’avais annoncé ma victoire, Lysa éleva la voix, demandant de l’aide. Linnet avait été abattu par un de ces misérables chevaliers archers… et à travers la poitrine. À ce moment-là, il respirait à peine, et de l’écume sanglante sortait de sa bouche chaque fois qu’il crachait. À ce rythme, il ne semblait pas y avoir d’espoir de le sauver. Il allait mourir.
« Lysa, c’est trop tard. Il n’y a pas moyen de le sauver. », murmurait quelqu’un.
« Non ! Pourquoi… ? Pourquoi ? ! »
« Ly… sa… »
« Linnet! S’il te plaît, tiens bon ! »
Lysa le supplia alors même qu’il cherchait de l’air.
« Continue à vivre… et sois heureuse… »
« Linnet, attends! Linnet! Ne pars pas ! »
Il n’y avait rien à faire, et je trouvais ça absolument exaspérant. Un ange avait répondu à l’appel des chevaliers, mais personne n’avait écouté les cris désespérés de Lysa.
Et c’était ainsi que Linnet partit.
La poupée suspendue à la ceinture de Linnet était tachée de sang. Il s’avéra que le charme n’avait rien fait pour le sauver.
J’étais hors de moi et en colère. Comment se fait-il que l’ange maudit ait pu exister, et que ce charme n’ait pas pu sauver un seul enfant ?
Il n’y avait pas de mots assez durs dans ce cas, j’étais furieuse. Des anges ? Chevaliers ? Comme si… Ce sont des meurtriers, et pas moins monstrueux que l’Arachnée. C’est Linnet qui a mérité la grâce de Dieu ici.
« Tu as été si courageux, Linnet », avais-je murmuré à sa forme immobile.
« Je ne sais pas si nous serions arrivés à temps si tu n’avais pas été là. Tu étais un vrai guerrier, puisses-tu reposer en paix. »
C’était mes vrais sentiments, aussi honnêtes que ma fureur. J’avais sauvé Linnet une fois, et il avait été gentil et amical avec moi depuis. Bien sûr, il avait eu des doutes et des appréhensions à mon sujet au début, et il avait essayé de monter un front dur. Mais au fond, c’était un garçon gentil et doux. Un garçon dont la vie avait été prise beaucoup trop tôt par une bande de voyous se faisant passer pour des chevaliers.
Lysa pleurait à ses côtés. Elle avait aimé Linnet, mais cette lueur d’amour innocent avait été impitoyablement et tragiquement écrasée. La voir enfouir son visage dans le corps de Linnet et pleurer m’avait brisé le cœur.
En même temps, mon cœur avait ressenti un peu de soulagement parmi les vagues de chagrin. Le chagrin et la colère que je ressentais étaient la preuve que mon humanité n’avait pas encore été complètement engloutie par la conscience collective de l’Essaim. Je comprenais bien que si c’était le cas, ces précieuses émotions seraient absentes et non ressenties.
« J’aimerais parler à l’ancien. Est-il encore en vie ? »
« Oui, il va bien. Il devrait être plus loin. »
Les soldats elfes s’étaient déplacés pour nous dégager la voie, à Sérignan et à moi. J’avais continué à marcher avec le cœur lourd.
« C’est la reine de l’Arachnée ! »
Il semblerait que beaucoup d’elfes se soient réfugiés dans la maison de l’ancien. Certains étaient blessés et d’autres indemnes, mais ils étaient tous terrifiés par l’attaque qu’ils avaient subie. Les enfants étaient tous blottis contre leurs parents.
« J’ai éliminé les chevaliers qui étaient dehors. Vous devriez être en sécurité maintenant », avais-je dit de manière légère.
Le vieil elfe était déconcerté.
« Vraiment ? ! Vous avez vaincu ces chevaliers ? Incroyable… »
« Vous pouvez jeter un œil dehors si vous êtes inquiet. Il ne devrait y avoir personne d’oublié dehors. »
« Non, je ne doute pas que ce que vous dites est vrai. »
Il secoua la tête.
« Vous avez déjà fait beaucoup pour notre village. »
« Savez-vous pourquoi ils vous ont attaqué ? »
« Les braconniers et les esclavagistes nous ont sans doute dénoncés aux chevaliers, leur disant que nous attaquons les humains. Je suis certain que c’était en représailles pour les avoir empêchés d’entrer dans la forêt. »
Personnellement, je pensais que toute mort d’un braconnier ou d’un esclavagiste était simplement le paiement de leurs propres erreurs. Pourtant, ces mécréants étaient partis pleurer auprès des chevaliers afin de se venger des elfes. Les lâches pleurnicheurs.
« Et les chevaliers ont cru leur rapport ? »
« Les humains ont toujours été méfiants envers les elfes. Ils répandent des rumeurs selon lesquelles nous enlevons et mangeons des humains, ou les écorchons vifs. »
C’était pourquoi les elfes avaient refusé de mettre les pieds dans les établissements humains. S’ils le faisaient, ils seraient condamnés comme barbares et lynchés par les humains qui y vivaient. Je l’avais ressenti pour la première fois lorsque j’avais eu affaire au tailleur de Leen, mais les humains de ce monde avaient vraiment de durs préjugés envers les elfes. Cela ne m’avait pas semblé très civilisé. Ironiquement, j’avais le sentiment que les gens qui considéraient les elfes comme des barbares suspects étaient les vrais barbares.
« Je comprends ce qui s’est passé maintenant. Il semblerait que je sois en partie responsable de ce qui s’est passé ici aujourd’hui. »
J’avais poussé un soupir.
« Ce n’est pas votre faute. Vous nous avez protégés des esclavagistes et des braconniers jusqu’à présent, et nous ne pouvons pas vous en blâmer. Vous savez que personne ne critique les murs quand une ville est assiégée. »
« Je vois. Cela me fait me sentir un peu mieux. »
Au fond, cependant, je me sentais toujours responsable, et mon humeur était sombre. Il était vrai que les gens ne blâmaient pas les murs d’une ville lorsqu’elle était attaquée, chacun avait le droit de se défendre. Mais c’était pour cela que j’étais si amère de notre incapacité à protéger les elfes de la racaille qui s’étaient jetés sur nous.
De plus, je me demandais si je n’avais pas été trop efficace pour assurer la défense du village elfe. Tout ce que les murs faisaient vraiment, c’était de tenir bon et de bloquer le passage. Ils n’avaient pas le visage de ces horreurs cauchemardesques ni les crocs pour mordre les gens à mort.
***
Partie 3
Étais-je vraiment un simple mur dans cette situation ? Ou est-ce que je régnais sur la forêt comme un monstre de livre de contes, appâtant les chevaliers pour qu’ils viennent se débarrasser de moi et de mes sous-fifres ? La culpabilité bouillonnait en moi, mais la conscience collective la niait.
En étais-je responsable ou non ? Je ne saurais le dire.
« Vous n’êtes pas en faute ici, Votre Majesté », déclara Sérignan, qui avait probablement ressenti ma frustration et mon anxiété à travers le collectif.
« La responsabilité incombe uniquement aux esclavagistes et aux braconniers qui ont attaqué cette forêt et aux chevaliers qui ont incendié le village sur leur ordre. Vous n’avez agi que pour défendre les elfes, il n’y a pas de doute là-dessus. »
« Merci, Sérignan. Cela m’aide beaucoup. »
Tu es vraiment un chevalier fiable. En ce moment, ta gentillesse est ma grâce salvatrice.
« Alors, qu’allez-vous faire maintenant ? » avais-je demandé à l’aîné.
« Nous ne pouvons plus vivre ici à Baumfetter. Quand les chevaliers réaliseront que leurs camarades ne reviendront pas, ils enverront une force encore plus grande. Je crois que nous devrons fuir ailleurs. »
« Je vois. Avez-vous une idée d’où vous pourriez aller ? »
J’étais inquiète pour eux.
« Y a-t-il un endroit dans cette forêt où vous pouvez vivre en paix ? »
« À vrai dire, je ne sais pas. La forêt est trop vaste et trop dangereuse. Les bêtes sauvages et les monstres rôdent dans les profondeurs de la forêt, et malheureusement ce sont les endroits où la forêt est la plus généreuse. », dit faiblement l’elfe.
C’était naturel, car la forêt était une région sous-développée. Il n’y avait aucun moyen de savoir où vivaient les bêtes ou quelles parties étaient habitables sans se promener dans la forêt. Il ne serait pas facile pour les survivants de Baumfetter de trouver un nouveau foyer. Peut-être que leur destin était de se disperser en tant que réfugiés… mais je n’avais ni un cœur insensible ni la folie de laisser cela se produire.
« Alors j’ai la solution. Un plan qui assurera à chacun d’entre vous une vie sans poursuite ni persécution, de façon permanente. Un moyen de venger les elfes qui ont été assassinés ici aujourd’hui, et de vous permettre de rester ici afin de reconstruire vos maisons. », avais-je déclaré.
« Est-ce qu’un tel moyen existe vraiment ? »
Ses yeux profondément plissés s’élargissaient d’espoir.
« Oui. C’est simple, vraiment, et je peux le faire. »
Mes lèvres s’enroulèrent en un sourire si large que mes dents furent mises à nu.
« Tout ce que j’ai à faire, c’est de détruire le royaume de Maluk, qui a envoyé les chevaliers pour vous attaquer. C’est assez facile à comprendre, non ? »
Les elfes survivants ne pouvaient que déglutir nerveusement en me regardant. Leurs expressions me disaient qu’ils ne pouvaient même pas imaginer ce qui allait arriver. Mais j’avais déjà pris ma décision.
Je vais raser le royaume de Maluk.
Jusqu’à ce qu’il ne reste plus que des décombres.
☆☆☆**
« Tout le monde, écoutez bien. »
Je me tenais sur la plate-forme de pierre sur laquelle je m’étais trouvée lorsque je m’étais réveillée pour la première fois à l’intérieur de la base de l’Arachnée. Sérignan était à mes côtés, et la plate-forme était entourée de mes dizaines de milliers d’Essaims.
« Le temps de la guerre est enfin venu. Le nom de notre ennemi est le Royaume de Maluk. Ces crapules ont attaqué nos alliés, les anéantissant presque tous. »
Ma voix était calme, mais pleine d’intensité.
« Leur boucherie a pris la vie d’un de mes amis, et a plongé le cœur de mon autre ami dans le désespoir. Ces lâches ne méritent aucune pitié. Aucune pitié. Pas de pardon. Ils ne recevront aucune bonté de notre part. Face à ces chiens, nous n’avons besoin que de trois armes : la soif de sang, la haine et le mépris. Notre soif de sang les dévorera. Notre haine les mettra en pièces. Notre mépris assurera leur destin. Vous devez consommer et détruire l’ennemi. Tuez-les tous. »
L’Essaim écouta silencieusement mon discours.
« Cela sera un massacre. Chaque morceau de leur chair deviendra un matériau dont nous tisserons de nouveaux camarades. Plus vous tuerez, plus l’Arachnée deviendra un empire fort. Alors, massacrez, assassinez et disposez-les à votre guise, même s’il s’agit de nourrissons ou d’anciens. Tout comme l’ennemi l’a fait. »
Ce n’était pas un meurtre de masse, c’était une extermination. J’avais décidé d’effacer le royaume de Maluk de la surface de ce monde. Était-ce parce que les elfes avaient été attaqués ? À cause de la mort injustifiée de Linnet ? Ou est-ce que ma conscience était finalement absorbée par l’Essaim, qui avait une faim innée et sans fin de proie ?
Que cela soit ma volonté ou celle de l’Essaim, cela n’avait pas vraiment d’importance. De toute façon, j’avais l’intention de l’exécuter.
« Au nom de l’Arachnée, je vous conduirai à la victoire ! »
J’avais pleuré, en ralliant mes forces.
« Gloire à l’Arachnée ! Saluez tous la reine ! »
« Gloire à l’Arachnée ! Gloire à la reine ! »
L’essaim acclamait, célébrant l’arrivée de la guerre qu’ils attendaient. Enfin, ils avaient maintenant l’opportunité de tuer, de dévorer et de revêtir le monde de la sombre carapace de leur race. Toutes les autres races étaient l’ennemi, la proie à être engloutie dans leurs mâchoires tachées de sang. Tels étaient les Arachnées. Tel était l’Essaim.
J’étais sur le point de commettre un génocide et d’aggraver notre propagation, tout cela pour satisfaire mon besoin de châtiment. Oui… Comme l’essaim devrait le faire.
« Nous obéirons à vos ordres et attaquerons le royaume de Maluk. Sous votre commandement, Votre Majesté, nous réussirons sûrement. Saluez tous la reine ! », dit Sérignan, sa voix riche de louanges.
« Maintenant, mes sous-fifres. C’est l’heure de la guerre. Vous avez tous attendu longtemps pour cela, mais maintenant votre souhait va enfin se réaliser. Exercez votre pouvoir aussi impitoyablement que vous le souhaitez. Laissez le grondement de notre marche semer la terreur dans leur cœur. Que le son de vos crocs grinçants perturbe leur sommeil. Que vos ombres les réduisent à un désordre rampant. », continuai-je.
Sur ce, j’acceptai les gestes de fidélité des Essaims et me retirai dans ma chambre avec Sérignan.
Mes quartiers personnels étaient devenus beaucoup plus confortables et hospitaliers depuis mon arrivée. Mon lit avait désormais des couvertures souples au lieu de paille, et j’avais des tiroirs et des étagères pour ranger mes effets personnels. Il n’était pas encore tout à fait à la hauteur de mon appartement de mon ancien monde, puisqu’il n’avait ni ordinateur ni système de chauffage, mais bon, c’était devenu convenable.
« Sérignan, j’ai déjà décidé de notre itinéraire d’invasion. C’était la première étape de mon plan. »
« Oui, j’en suis consciente, Votre Majesté. Depuis que vous êtes venue sur cette terre, vous luttez pour la victoire de l’Arachnée. »
Sérignan avait déjà tout appris par la conscience collective, ce qui avait rendu la chose facile.
« Trois routes principales mènent à leur capitale : un chemin direct depuis la ville de Leen, un chemin depuis les terres agricoles du sud, et un chemin à travers les régions minières du nord. Nous allons diviser nos forces le long de ces trois routes, les regrouper près de la capitale, et ensuite aller tuer. »
Le plan de guerre que j’avais proposé divisait l’essaim en trois routes. Notre objectif premier était de détruire la capitale du Royaume, mais cela ne suffisait pas. Nous allions décimer tout ce qui constituait le Royaume de Maluk, et éradiquer tous ceux qui se trouvaient sur notre chemin.
Telle était la loi de l’essaim.
Les mines, les terres agricoles, les villages, les villes — nous allions tout teindre en rouge avec le sang de leur peuple, laissant les terres vacantes et désertes. Ce combat ne ressemblait à rien de ce que j’avais connu dans le jeu, mais j’avais toujours l’intention de me battre selon ses règles.
Si je laissais négligemment derrière moi des survivants, il était possible que quelqu’un se lève un jour contre moi pour se venger. Oui, il faudrait que je sois minutieuse dans ma conquête. Cela était vrai dans le monde du jeu et dans cette réalité.
« Nous allons renverser chaque ville avec un mélange d’Éventreurs et de Fouilleurs. Cette ruée traditionnelle de l’Éventreur nous permettra d’avancer. Ce ne sera pas facile, car ils ont déjà des défenses dédiées, mais les Essaims Fouilleurs devraient pouvoir s’en charger. Avec leur aide, nous percerons tout ce qui défend leurs murs. »
Pour l’instant, il n’y avait aucun moyen de savoir combien de temps de « jeu » s’était écoulé depuis le début du « match », mais les villes de Maluk étaient entourées de murs, qui étaient à leur tour occupés par des chevaliers et des miliciens. On pouvait supposer sans risque que les défenses ennemies étaient solides.
Mais mon camp avait une arme secrète qui pouvait percer tout ce qu’ils avaient. Et ce n’était autre que votre serviteur.
En tant que joueuse, j’avais déjà réussi à plusieurs reprises des ruées d’Essaims d’Éventreurs dans des conditions difficiles.
Je l’avais déjà fait auparavant, et je peux le faire maintenant, m’étais-je dit.
« Sérignan, tu viens avec moi. Je vais te faire combattre en première ligne et faire le plein de points d’expérience. Tu es une unité à fort potentiel de croissance, et j’ai de grands espoirs pour toi. »
« Je vous suis reconnaissante pour vos éloges. Moi, chevalier Essaim Sérignan, fera de son mieux pour répondre à vos attentes, Votre Majesté. »
Pendant un moment, j’avais cru que mes mots la feraient pleurer, mais il m’avait semblé qu’elle avait quelque chose à ajouter.
« Euh, si je peux vous consulter à propos de quelque chose… Mon corps est plutôt chaud, et j’ai l’impression que quelque chose me démangeant veut sortir de ma poitrine. Qu’est-ce que ça peut être ? »
« Ton corps est chaud ? »
Perplexe devant ses paroles, j’avais posé une main sur le front de Sérignan. Elle avait chaud, mais ce n’était pas comme si les Essaims pouvaient attraper un rhume. C’était une espèce résistante aux maladies.
« Peut-être que tu vas bientôt évoluer. Tu as vaincu cet ange, il est donc possible que cela t’ait valu beaucoup de points d’expérience. »
« Évoluer, Votre Majesté ? »
Sérignan fit écho avec une expression vide.
C’était un peu mignon.
« Tu ne sais pas ce qu’est l’évolution ? Eh bien, peu importe. C’est comme si quelque chose changeait en toi, n’est-ce pas ? La forme évolutive du Chevalier Essaim s’appelle le Chevalier Essaim sanglant. Imagine-toi habillé d’une armure rouge, ce sera ta nouvelle forme. »
Le Chevalier Essaim Sanglant était la prochaine étape de l’évolution de Sérignan. Son corps allait changer, et elle allait gagner une armure aussi brillante et rouge que le sang fraîchement versé.
« Une armure rouge… Armure rouge… »
Sérignan réfléchit à mes paroles, se saisissant la tête dans une tentative désespérée d’imaginer sa forme évoluée. En fait, oublie ce que j’avais dit plus tôt — c’était vraiment mignon.
« Oh, d’accord ! Je crois avoir compris ! Je peux le voir ! » s’exclama Sérignan au bout d’un certain temps.
« Non, je crois que je vois l’image dans votre esprit à travers la conscience collective ! »
Apparemment, elle pouvait voir comment j’imaginais sa transformation. Sa peau humaine et son armure blanche s’effritaient comme du sable, révélant un tout nouvel exosquelette qui lui servirait d’armure. Cette carapace cramoisie deviendrait plus épaisse et plus lisse, et une nouvelle paire de pattes d’insectes jaillirait de son dos.
« Votre Majesté… Est-ce ce que je vais devenir ? »
« Oui, c’est ta forme évoluée. Tu vas renaître en tant que Chevalier Essaim Sanglant Sérignan. J’attends avec impatience de te voir jouer plus vite, plus audacieusement et avec encore plus de force héroïque. »
Lorsqu’elle devint l’Essaim Chevalier Sanguinaire Sérignan, elle n’avait pas seulement reçu une nouvelle couleur et une paire de jambes supplémentaire, mais elle avait également reçu un énorme coup de pouce sur le plan des statistiques. En tant qu’unité intermédiaire, elle vaincrait la plupart des ennemis d’un seul coup.
Pour commencer, Sérignan était considérée comme une unité de héros forte qui nécessitait un peu moins de points d’expérience pour monter en niveau que les autres unités de héros, et elle avait des stats légèrement plus élevées. Cela était compensé par le fait que vers la fin du jeu, elle avait besoin de plus de points d’expérience pour avancer et ses stats n’augmentaient pas autant. Néanmoins, une fois qu’elle avait atteint sa forme finale, elle régnait sur tout comme l’une des unités les mieux classées du jeu.
En fait, Sérignan était l’une des principales raisons pour lesquelles l’Arachnée avait tant de potentiel en tant que faction. Améliorer Sérignan correctement signifiait finalement obtenir une unité capable de rompre l’équilibre du jeu.
« Tu devrais essayer d’évoluer, si tu le peux. Bonne chance, Sérignan. »
« Oui, Votre Majesté. »
J’étais sûre que Sérignan serait capable de changer assez tôt. Mais pour l’instant, nous devrions nous concentrer sur notre marche vers le royaume de Maluk.
***
Partie 4
Pendant ce temps, dans le Royaume de Maluk…
« Hmm. Donc, les Chevaliers de Saint-Augustin ont été anéantis. »
Le roi Ivan II, le souverain de Maluk, écoutait ce rapport surprenant. Il y avait de nombreuses années que ce roi vieillissant avait hérité de son prédécesseur et sous son règne, le royaume avait prospéré.
Il s’était efforcé de construire des infrastructures pour les terres agricoles, ce qui permettait aux agriculteurs d’apporter plus facilement leurs abondantes récoltes dans les grandes villes. Il avait construit des forteresses et des bastions le long des frontières méridionales, qui avaient été auparavant exposées à des menaces militaires, assurant ainsi à la population qu’elle puisse vivre en paix.
Ses réalisations lui valurent de nombreux éloges de la part des citoyens. Pour couronner le tout, il vivait modestement et sans luxe en croyant ardemment au Dieu de la Lumière, faisant preuve d’humilité et de frugalité selon les enseignements de l’Église de la Sainte Lumière. Les sujets du Royaume le soutenaient d’autant plus pour cela.
Le roi avait quatre enfants : le premier prince et héritier présomptif du royaume, le second prince qui lui servait d’assistant, la première princesse qui avait été mariée à un pays voisin et la seconde princesse, encore toute jeune. Il considérait chacun d’eux comme ses adorables bijoux.
« L’ennemi n’était-il pas une simple poignée d’elfes ? J’ai du mal à croire que les Chevaliers de Saint-Augustin, notre force d’élite, soient écrasés par des apostats qui chérissent les arbres. », demanda le Premier ministre Slava Smirnenski.
Slava avait jusqu’alors servi Ivan II et le royaume avec une loyauté sans faille. Plusieurs des plus grands accomplissements d’Ivan II pourraient en fait être attribués aux conseils sincères de cet homme. Le roi possédait une grande confiance en son subordonné, qui ne pouvait être ni soudoyé ni influencé.
Mais c’était aussi Slava qui avait suggéré d’envoyer les Chevaliers de Saint-Augustin dans la forêt. Il avait reçu des informations fiables selon lesquelles des citoyens « respectables » du royaume étaient attaqués par les elfes de la forêt, et que cela avait déjà faites des dizaines de victimes. Il avait donc proposé au roi d’envoyer ses troupes pour s’en débarrasser. À leur grande surprise, les chevaliers avaient à la place été éradiqués.
« Et pourtant, ils ont été vaincus. Nous devons penser à une contre-mesure immédiatement. Nous pourrions avoir un ennemi imprévu sur les bras. Peut-être est-ce l’Empire de Nyrnal au sud, tente de nous envahir et de voler nos terres. », rétorqua Omari Odevski, ministre de la Défense.
La rivière Themel coulait le long des frontières des deux pays et servait de barrière naturelle. L’Empire de Nyrnal ne pouvait donc pas avancer vers le nord et envahir directement Maluk. Mais s’ils devaient passer par la forêt des elfes, qui se trouvait au centre du continent, l’Empire aurait alors un moyen d’entrer.
Cependant, il n’y avait pas de routes pavées dans la forêt et pas de grands villages ou villes pour servir de centres de ravitaillement. En plus de cela, la forêt abritait toutes sortes de monstres et de bêtes. Après avoir pris en compte ces facteurs, une telle attaque par cette voie semblait peu probable.
Même le déplacement d’une petite troupe de soldats à travers cette forêt nécessiterait plus d’efforts que ce qui était probablement justifié, donc faire défiler une armée assez importante pour constituer une menace nécessiterait une quantité inimaginable de travail et de ressources.
Les arbres empêchaient le mouvement des chariots, les pistes d’animaux faisaient trébucher les cavaliers, et les rivières et ruisseaux qui la traversaient seraient un défi pour l’infanterie lourde. Omari avait reconnu que c’était peu probable, mais il était resté prudent, proclamant que même si le chemin était difficile, il n’était pas impossible.
« On ne peut pas faire confiance à l’empereur Maximillian. Ce renégat nous a promis la paix, puis il est parti attaquer nos régions du sud. Je ne serais pas surpris par ce que fait ce satané pays. Peut-être même ont-ils soudoyé les elfes pour leur assurer un passage sûr dans la forêt. »
« Peut-être. Après tout, on ne peut pas non plus faire confiance aux elfes. »
Il y avait beaucoup d’antagonismes entre les humains et les demi-hommes. Les elfes craignaient les humains tandis que les nains les méprisaient, et l’humanité croyait que les deux races étaient inférieures.
Les humains voyaient les elfes comme des barbares qui vivaient dans la forêt uniquement parce qu’ils ne pouvaient pas construire de villes. C’était des créatures indignes de confiance qui s’isolaient du Dieu de la Lumière au profit de l’adoration des arbres. La rumeur disait même qu’ils offraient des sacrifices humains, et ces rumeurs étaient crus par bon nombre de personnes.
Oui, les rumeurs.
Les elfes étaient des barbares. Les elfes écorchaient les humains et utilisaient leurs peaux comme trophées. Les elfes mangeaient des bébés humains. Les elfes kidnappaient des femmes vierges et les sacrifiaient à leurs dieux de la forêt. Si la reine de l’Arachnée les entendait, elle se moquerait sûrement des ragots. Les elfes, en revanche, seraient indignés par la cruauté et l’absence de fondement des rumeurs que les hommes avaient prises à cœur.
« Il se peut que nous devions éliminer les elfes. Si nous les faisons disparaître de la forêt, l’Empire de Nyrnal ne pourra pas les utiliser pour nous attaquer. »
« Et combien d’hommes nous faudrait-il pour faire ça ? », demanda le roi.
« Je crois que cinq mille seraient plus que suffisants. Les elfes sont faibles. Leurs flèches ne peuvent pas pénétrer notre armure. Cinq mille soldats entraînés peuvent balayer la forêt orientale et libérer notre royaume de cette menace. », répondit Omari.
« Mais qu’en est-il des Chevaliers de Saint-Augustin ? Cela ne signifie-t-il pas que les elfes se sont déjà alliés à l’Empire ? Nous aurions besoin d’une force encore plus importante si c’était le cas.
« Vous avez raison, milord. Mais maintenir une ligne de ravitaillement à travers la forêt serait difficile. Même s’ils faisaient du commerce avec le village elfe, cela ne suffirait probablement pas à maintenir l’armée en mouvement. D’après ce que j’ai entendu, il y a moins de mille elfes dans la forêt. », ajouta Slava.
Omari s’était enfoncé dans un silence contemplatif. S’approvisionner à proximité était normal. Après tout, il n’y avait pas de moyens de transport rapides dans ce monde ni d’armes à feu. Les forces en déplacement devaient donc soit acheter de la nourriture aux communautés agricoles, soit piller régulièrement afin de maintenir une ligne de ravitaillement. Il était clair que la maigre population d’elfes des forêts ne pouvait en aucun cas soutenir une armée.
« Hmm. Dans ce cas, il est peu probable qu’il y ait des douzaines de troupes à l’affût dans le village elfe. Leur force était donc assez importante pour vaincre les Chevaliers de Saint-Augustin, mais pas assez pour lancer une invasion », estimait le roi.
« Je crois que oui. Cependant, je n’arrive toujours pas à comprendre comment Nyrnal a réussi à faire ça. Soit ils ont déployé une sorte d’arme puissante avec un petit nombre de personnes, soit ils ont monté leurs wyvernes. Pourtant, nous n’avons pas entendu parler de nouvelles armes, et je doute qu’ils aient utilisé leurs wyvernes là-bas. », dit Omari tout en hochant la tête
L’Empire de Nyrnal était célèbre pour ses unités de wyvernes. Parmi les grandes puissances, il était le seul à posséder des unités capables de s’élever dans les cieux. Beaucoup se demandaient pourquoi seul Nyrnal avait reçu ce privilège, mais personne ne connaissait la réponse.
« Dans cette optique, combien d’hommes nous faudra-t-il pour vaincre les elfes et les troupes de l’Empire ? »
« Entre dix et vingt mille hommes devraient garantir notre victoire. Un tel nombre sera coûteux, mais nous serons sûrement capables de vaincre nos ennemis et de les soumettre. »
Dix à vingt mille hommes… Ce n’était qu’une fraction de l’ensemble des forces armées du royaume, mais c’était une dépense que le roi ne pouvait pas ignorer. Tout cela en préparation d’une armée impériale qui pourrait ne pas être là.
« Mais l’Empire a-t-il vraiment envoyé un escadron dans la forêt ? »
« C’est la seule explication que je puisse trouver. Croyez-vous vraiment que le duché de Frantz ou le duché de Schtraut nous attaquerait ? C’est impensable. »
« Alors je suppose que nous n’avons pas d’autre choix que de nous préparer. Rassemblez l’armée d’ici demain et envoyez-les dans la forêt. Ensuite, vous devrez vous débarrasser de nos ennemis. Ne laissez personne en vie. »
« Et aussi, lancez un appel diplomatique à l’ambassadeur de Nyrnal, demandant qu’ils retirent leurs forces. S’il choisit de jouer les idiots, nous ferons ce que nous voulons avec les hommes de l’Empire », ajouta Slava.
« Qu’il en soit ainsi. J’attends avec impatience d’entendre parler de notre victoire. »
« Oui, milord. Nous gagnerons à tout prix. »
À ce moment, aucun d’entre eux ne savait que ce qui se cachait dans la forêt des elfes n’était pas du tout le détachement précurseur de l’Empire.
☆☆☆
Un défilé festif passait dans les rues de Siglia, la capitale de Maluk. Les soldats en armure marchaient au rythme des corps de fifres et de tambours. La cavalerie, fierté et joie de l’armée, s’avançait noblement tandis que les sabots de ses chevaux cliquaient contre les dalles.
Une force de 15 000 hommes avait été mobilisée, mais seule une fraction d’entre eux était à la parade. Le détachement précurseur approchait déjà de la ville de Leen, qui se trouvait près de la forêt des elfes, et ces forces se mettaient en route pour les rejoindre.
« Je ne vois aucun des mages. »
« Ils n’ont pas l’habitude de participer à ce genre de parades. »
Certains parmi les 15 000 étaient des mages. Leur présence était précieuse sur le champ de bataille, tant pour l’offensive que pour la logistique. Ils faisaient pleuvoir des boules de feu sur l’ennemi comme de multiples lance-fusées, et ils pouvaient soigner les blessés comme s’ils accomplissaient des miracles divins. Leur valeur était apparue clairement lorsque les Chevaliers de Saint-Augustin avaient été guéris par leurs camarades. La magie était longue à maîtriser, mais une fois atteinte, elle devenait une ressource indispensable.
Les mages n’aimaient cependant pas trop être exposés. Ils se tenaient à l’écart de ces festivités tapageuses, pensant qu’ils auraient l’air trop miteux en comparaison. Et pour commencer, ils n’étaient pas non plus très sociables.
« Peut-on gagner ce combat, Père ? » demanda Elizabeta, la deuxième princesse.
« Bien sûr. Ce sont les guerriers les plus fiers et les plus puissants de notre pays. Les elfes et les forces de l’Empire n’ont aucune chance contre eux. », lui assura le roi Ivan II.
L’enfant de douze ans regardait les soldats en marche avec une curiosité débordante. Il semblerait que son jeune esprit soit fasciné par le défilé. Son expression était celle d’une enfant jouant sa propre marche avec des petits soldats. Ces innocents yeux bleus avaient été épargnés de toute la saleté et la crasse de ce monde.
« On m’a dit que les elfes sont de méchantes créatures. Ils se cachent dans la forêt et attaquent les chasseurs, les dépouillent de leur peau et les mangent vivants. »
« C’est vrai, Elizabeta. Ils peuvent paraître beaux, mais ce sont des êtres maléfiques dont l’âme est teintée en noir par des dieux malveillants. S’ils étaient nés avec un cœur vrai et juste, ils vénéreraient le Dieu de la Lumière. »
Le Dieu de la Lumière était la seule divinité vénérée par l’Église de la Sainte Lumière. Ce dieu était vénéré sur tout le continent, et ceux qui prêtaient allégeance à d’autres dieux étaient persécutés comme hérétiques. Les elfes, par exemple, vénéraient les dieux de la forêt et étaient donc détestés en tant que parias et indésirables.
« Oh, j’espère qu’ils se débarrasseront de tous les elfes. Savoir que quelque chose de si terrible existe dans le monde m’effraie tellement que j’ai du mal à dormir la nuit. »
« Tout à fait, ma chère. Tolérer leur présence ici était au départ une erreur. Nous aurions dû les éliminer beaucoup plus tôt. Si nous l’avions fait, nous n’aurions pas eu à supporter une invasion aussi importante que celle-ci. »
Les habitants du royaume de Maluk croyaient que quiconque rejetait le Dieu de la Lumière avait moins d’intelligence et de civilité que les animaux.
« Prions le Dieu de la Lumière pour que ces soldats puissent recevoir sa protection. Nous demanderons qu’un châtiment approprié tombe sur les hérétiques, et que la paix éternelle se propage dans notre beau Royaume. »
« Oui, prions pour que les vils elfes soient anéantis jusqu’au dernier, et que les espoirs de l’Empire de Nyrnal de nous envahir soient étouffés dans l’œuf. »
Les 15 000 hommes envoyés par le Royaume étaient appelés la Garnison de l’Est. Avec les prières de leur roi et de leur princesse donnés lors de leur départ, ils se mirent en route pour la forêt des elfes, sans savoir ce qui les y attendait…
***
Chapitre 6 : La bataille de Leen
Partie 1
Les forces du Royaume de Maluk s’étaient rassemblées dans la ville de Leen. En raison de l’armée qui y était en garnison, la ville était en proie au chaos. Les officiers de haut rang avaient sécurisé les auberges, rassemblé des provisions et s’étaient empressés d’entrer et de sortir des magasins, s’assurant que l’armée ne manquerait de rien.
« Que penses-tu de cette guerre ? » demanda Gran Ginzbel à son collègue alors qu’ils prenaient un verre à la taverne.
Gran était le commandant du troisième bataillon du premier régiment, tandis que son compagnon dirigeait le premier bataillon.
Gran était un homme d’une trentaine d’années, ce qui le rendait un peu vieux pour servir comme commandant d’un bataillon dans ce monde. Mais il avait toujours fait ses preuves à l’entraînement. La raison de sa promotion tardive était probablement due à sa tendance à parler trop franchement et trop souvent. Il avait laissé sa femme de cinq ans plus jeune et son adorable fille de trois ans dans la capitale pour venir à Leen.
« C’est une drôle de guerre, si du moins cela en est une », répondit l’autre homme avec une expression aigre.
« Difficile de croire que les elfes aient anéanti les Chevaliers de Saint-Augustin. Sais-tu que leur capitaine était capable d’invoquer l’ange ? Comment un groupe de longues oreilles armé de couteau a-t-il pu tenir tête aux plus forts chevaliers du royaume et à un ange ? »
Les Chevaliers de Saint-Augustin étaient célèbres pour leur puissance martiale. Lorsque les pays du sud avaient envahi avec une armée de 30 000 hommes, les chevaliers les avaient arrêtés par centaines et les avaient repoussés jusqu’à la rivière Themel. Les enfants de Maluk se délectaient des récits de ces chevaliers et de leurs actes d’héroïsme.
« Tu penses donc que les elfes leur ont tendu une embuscade ? », demanda Mamie.
« Non, les supérieurs pensent que Nyrnal pourrait avoir une force avancée cachée dans la forêt. La forêt des elfes leur donnerait après tout un moyen d’entrer dans notre territoire sans traverser la Themel. »
L’autre commandant mouilla son doigt avec du vin, puis l’utilisa pour dessiner une carte grossière du continent sur leur table. Avec la forêt des elfes au centre, il montrait comment les forces de l’Empire pouvaient entrer dans le territoire de Maluk sans passer par la rivière.
« L’armée impériale de Nyrnal, hein ? J’ai entendu dire qu’ils sont tous assez forts. Ils ont après tout unifié les cinq pays du sud en un seul empire en seulement quatre ans. Ils ont vraiment l’air plus effrayants que les elfes. »
« Je ferais aussi attention aux elfes. Ce sont des bâtards rusés qui aiment tendre des pièges pour attraper les humains. Et une fois qu’ils ont attrapé quelqu’un, ils lui coupent les oreilles et le nez, lui arrachent les yeux, lui arrachent la peau et le mangent. Se faire attraper par les elfes est la seule façon dont je ne voudrais jamais mourir. »
Presque toutes les rumeurs concernant les elfes étaient composées de ce genre de comte cruel. Personne n’avait évidemment cherché à confirmer leur validité. Peu d’humains étaient entrés en contact avec les elfes, mais ils avaient quand même répandu ces rumeurs, car ils avaient senti que les elfes s’étaient détournés du Dieu de la Lumière, choisissant plutôt d’adorer les dieux de la forêt. C’est pourquoi les gens étaient prêts à croire que les elfes étaient capables de faire à peu près n’importe quoi de ce genre.
Chaque fois que des enfants disparaissaient près de la forêt, les elfes étaient les premiers à être suspectés. Pas les loups, pas les ours, mais les elfes. Et chaque fois, le Royaume envoyait une force pour les supprimer, en brûlant un village en représailles. Les elfes se cachaient alors plus profondément dans la forêt par peur, rendant le contact avec eux encore plus difficile et les rumeurs encore plus scandaleuses.
Les elfes mangeaient les humains. Les elfes sacrifiaient de jeunes filles vierges qu’ils avaient volées à leurs dieux. Les elfes étaient des réincarnations de criminels. Il y avait plus de rumeurs haineuses et superstitieuses sur les elfes qu’on ne pouvait en compter.
« Mais nous sommes sous les ordres du général Tchernov, hein ? J’ai un peu peur qu’il nous fasse faire quelque chose d’inutile. La rumeur dit qu’il est très désireux d’être promu maréchal, alors il pousse ses hommes à fond. Certains l’appellent même “Tchernov le meurtrier.” »
« Ah oui ? Je l’ai toujours pris pour un type calme et posé. Il sait toujours comment être prévenant envers ses hommes. »
Le fait qu’ils n’aient pas eu à camper dehors et qu’ils aient pu dormir dans des lits chauds était dû au travail acharné et à la perspicacité de Tchernov et de son personnel militaire. Les soldats de base devaient bien sûr camper dans des tentes, mais les officiers eux-mêmes passaient leurs nuits dans des auberges et des établissements confortables.
On pouvait en dire autant de leurs repas. Grâce aux efforts des officiers d’approvisionnement, ils pouvaient manger de la viande et des légumes frais. Les soldats étaient reconnaissants de ne pas avoir à subsister avec le pain dur et le sachet de viande séchée qu’ils avaient l’habitude de manger sur le champ de bataille.
« Mais quand même, ne pas savoir à qui on a affaire est sinistre. On aimerait bien savoir si ce sont les elfes ou les hommes de Nyrnal qui ont anéanti les Chevaliers de Saint-Augustin. »
« Effectivement. Après tout, connaître notre ennemi changerait la façon dont nous les combattons. Si c’est Nyrnal, nous devrons compter sur les troupes pour les occuper. Si ce sont les elfes, nous devrons éviter les pièges et les écraser avec une grande force. », dit Gran tout en hochant la tête.
« J’espère personnellement que ce sont les elfes. »
« Au pire, ils pourraient avoir uni leurs forces et nous devrons affronter les deux factions. »
Les deux continuèrent à bavarder, leurs lèvres se déliant sous l’effet du vin doux.
« Dans ce cas, prions Dieu que ce ne soit pas le cas. Que le Dieu de la Lumière nous accorde sa protection ! », cria le commandant du premier bataillon tout en ramassant son verre d’un geste maladroit.
« Tu as raison. »
Gran sourit amèrement et leva son verre.
« Que le Dieu de la Lumière nous accorde sa protection ! »
Gran ne croyait pas tant que ça au pouvoir de Dieu. Il n’avait jamais vu les anges, et il avait grandi dans un village si pauvre que si même Dieu existait, il l’avait certainement abandonné. Il n’était pas convaincu que le Dieu de la Lumière viendrait vers eux dans le pire des cas.
Pourtant, même lui, il se sentait poussé à prier Dieu cette fois-ci. Et désespérément, à ce moment-là.
☆☆☆**
La cloche sonna à trois heures du matin, avant que l’aube ne se lève.
« Qu’est-ce que c’est ? »
Le général Tchernov, chef de toute la garnison orientale, s’était levé de son lit et consulta ses officiers d’état-major pour se faire une idée de la situation.
« Bon, eh bien, l’alarme a été déclenchée parce qu’une des portes de Leen est attaquée. Les combats se poursuivent, la milice de la ville engage le combat avec l’ennemi. »
« Les portes sont attaquées !? Pourquoi laisser ça à la milice de la ville ? ! Si un centre économique comme Leen venait à tomber, cela pourrait être un coup fatal pour le Royaume ! Envoyez immédiatement nos forces et repoussons l’assaut ! »
« O-Oui, monsieur ! »
Sur ordre du général Tchernov, les officiers s’élancèrent.
La porte en question était à l’est. Le premier bataillon avait été rapidement déployé à la rencontre de l’ennemi, celui-là même qui était dirigé par l’ami de Gran de la taverne. Son unité avait été la première à atteindre la porte de l’est.
Cependant…
« Mais qu’est-ce que c’est que ça ? »
Le sol près de la porte était devenu un grand trou béant. Et de l’intérieur de ce trou, des crocs aiguisés faisaient tomber la milice qui se battait désespérément pour protéger leur ville et les entraînaient dans la terre. Les miliciens essayaient frénétiquement de résister, tirant avec leurs arbalètes et leurs arcs longs, mais les monstres qui se cachaient dans le trou échappaient rapidement à leurs projectiles.
Le commandant du premier bataillon ne pouvait pas croire ce qu’il voyait. C’était comme s’ils avaient foncé tête baissée dans un cauchemar.
« Hé, vous là ! Si vous restez là, ils vont vous arracher la tête ! Montez à la porte ou grimpez sur un bâtiment, dépêchez-vous ! », cria un homme qui semblait être le chef de la milice.
« Vous avez entendu l’homme ! Montez, montez, je vous dis ! Au pas de course ! »
Le commandant du premier bataillon avait commencé à lancer des ordres à ses hommes, mais il était arrivé un instant trop tard.
Des crocs sortirent du sol, s’enfoncèrent dans ses hommes et les tirèrent dans les profondeurs. Même les sons de leurs cris étaient précipités vers le bas avec une force implacable.
Les autres soldats ne pouvaient que crier de terreur alors qu’ils se recroquevillaient sur place. Même s’ils avaient vu que rester sur le sol était dangereux, leur peur étouffait leur jugement, les forçant à agir de façon irrationnelle.
Les humains avaient si souvent souffert de cette affliction. Aussi illogique soit-elle, leurs instincts primaires allaient dominer leur comportement. Alors même que la peur leur remplissait les veines d’adrénaline, certains soldats devenaient complètement incapables de bouger.
« Dépêchez-vous, allez ! À ce rythme, on va nous prendre comme des mouches ! », s’écria le commandant.
Quelques braves soldats, qui avaient réussi à réprimer leur terreur, s’étaient empressés de grimper sur les murs et les bâtiments voisins. Le commandant s’était alors précipité vers les murs, grimpant jusqu’à la porte afin de mieux comprendre leur situation.
« Que se passe-t-il !? », demanda-t-il.
« Ces monstres nous attaquent depuis le sol depuis un moment déjà ! Nous ne pouvons rien faire ! », répondit le capitaine de la milice.
« Alors ces bêtes sont nos ennemis ? »
Le capitaine avait un très mauvais pressentiment. Les monstres qui attaquaient sous ses pieds étaient assez effrayants, mais son intuition lui disait qu’il devait y avoir une autre menace en jeu ici.
« Oh, mon Dieu ! D’autres monstres arrivent ! Un… Un essaim de monstres s’approche des portes ! Ils sont si nombreux que je ne peux pas tous les compter ! »
Les tripes du commandant avaient raison. Alors que la milice et le premier bataillon étaient pris en embuscade depuis le sous-sol, une importante force de monstres approchait depuis l’est. Ils ressemblaient à un croisement entre une araignée, un scorpion et une fourmi. Mais quoiqu’ils soient, ils marchaient en foule vers la porte de l’est.
Ils couvraient la terre et avançaient en colonnes organisées. Il n’y avait aucune force militaire autour d’eux capable de soumettre autant de troupes ennemies. Les 15 000 hommes envoyés par le royaume de Maluk ne seraient pas suffisants pour repousser ce raz-de-marée monstrueux. Une fois que le commandant s’en était rendu compte, il avait été tellement secoué par la peur qu’il avait brièvement oublié tout le reste.
« Les monstres détruisent la porte ! »
Les monstres des souterrains s’étaient regroupés devant la porte et l’attaquaient maintenant. Ils ressemblaient eux aussi à un croisement de plusieurs insectes réunis en un seul, sauf que chacun de leurs crocs avait la longueur d’un bras humain. Ils utilisaient ces crocs massifs pour mordre les composants de la porte, les usant progressivement.
« Archers, préparez vos arcs ! Ne les laissez pas passer ! », criait le commandant.
À son ordre, des flèches furent tirées sur les monstres, mais leur armure noire brillante déviait la plupart des flèches. Les flèches qui s’enfonçaient dans leurs articulations ou dans leurs yeux composés semblaient cependant avoir un effet… Les monstres blessés devinrent fous.
Toute bête blessée par une flèche se mettait à se débattre sur place, mettant en lambeaux les malchanceux qui se trouvaient à proximité. Ils enfonçaient même les murs avec leur corps, l’impact envoyant les soldats tomber dans les crocs frénétiques en dessous.
« Arrêtez ! Ne tirez pas ! Vous allez faire tuer les hommes là-haut ! »
« Mais, monsieur, il y a une grande armée d’insectes qui marche sur nous ! »
Non seulement des insectes géants détruisaient les portes, mais une immense force d’insectes s’approchait au loin. Le bruissement d’innombrables pas instables résonnait de façon inquiétante dans les oreilles des soldats et faisait gronder la terre sous leurs pieds.
La situation était désespérée.
« Ils ont détruit la porte ! », s’écria quelqu’un.
« Merde, merde, merde ! Qu’est-ce que c’est que ces trucs !? »
Finalement, les dernières planches avaient été cassées, et la porte s’était ouverte.
« Ces monstres auraient-ils pu tuer les Chevaliers de Saint-Augustin ? »
« Ils viennent de la forêt. Nous ne pouvons pas les arrêter. Ce doit vraiment être eux… »
Le moral des soldats s’était effondré et leurs mains avaient cessé de bouger, sauf pour trembler de peur.
« Eh bien, continuez à leur tirer dessus, à moins que vous ne vouliez finir dans leur ventre ! Tirez, je vous dis ! »
Seul le commandant du premier bataillon s’était battu pour maintenir le moral de ses hommes et poursuivre l’offensive. Cependant, l’armée de monstres avait impitoyablement fait irruption par la porte brisée et commença à escalader les murs. Les soldats furent dévorés, les uns après les autres. Non… Pas dévoré. Ils avaient simplement été déchiquetés, comme si les monstres étaient des enfants qui se battaient pour un jouet.
« Monstres maudits ! Sales monstres ! »
Le commandant brandissait son épée, essayant désespérément d’assommer les créatures… mais tout cela fut vain.
Avant qu’il ne s’en rende compte, ses subordonnés avaient tous été anéantis, et il était entouré de six des insectes géants.
« Ahaha... hahaha... »
Il lâcha son épée, alors que son expression était teintée de désespoir. En quelques secondes, il avait été découpé en morceaux.
Maintenant que l’ennemi avait percé les défenses de Leen, rien ne pouvait les empêcher d’envahir la ville.
***
Partie 2
« Repliez-vous ! Retraite ! On ne peut pas les battre ici ! »
L’armée du Royaume de Maluk avait essayé de combattre les insectes qui se déversaient dans Leen pendant une heure, mais leurs efforts n’avaient pas abouti.
Les épées ne pouvaient pas pénétrer les exosquelettes durs des monstres, qui déviaient également les flèches. Cela mis à part, ils étaient des milliers — non, des dizaines de milliers. La garnison de l’Est comptait 15 000 hommes, mais ils ne pouvaient pas espérer résister à autant de créatures organisées et redoutables.
L’énorme armée d’insectes s’était abattue sur Leen, détruisant tout sur leur passage avec leurs crocs et leurs faux. Les rues étaient jonchées de cadavres de soldats mutilés, mais les monstres ne les avaient pas écoutés et s’étaient précipités vers le centre de la ville.
« Retraite !? Où diable espèrent-ils que nous courions ? ! » s’était écriée Gran, consternée.
Il s’était rendu personnellement sur le champ de bataille, l’épée à la main, juste au moment où l’ordre de se replier était arrivé. Peu importe où ils allaient, ils seraient entourés d’insectes dans toutes les directions.
« Commandant, la porte ouest est ouverte ! Nous devrions y aller tout de suite ! », dit son adjudant.
« Oui, d’accord. Mais avant cela, nous devons faire quelque chose pour ces monstres ! » dit Gran, en découpant un Essaim avec sa claymore. Les épées longues et les flèches ne pouvaient pas traverser l’armure naturelle des insectes, mais des armes plus lourdes comme les hallebardes et les claymores étaient capables de le faire.
« Que tout soldat ayant des hallebardes et des claymores ouvre un chemin ! Allons-y ! », cria-t-il.
« Compris, monsieur ! »
Ainsi, ils se dirigèrent vers la porte ouest. Des cris s’élevaient de tous les coins de la ville. Les insectes ne faisaient aucune distinction entre les soldats et les habitants, s’attaquant à tous ceux qu’ils rencontraient. Gran était certain que quelque part parmi eux, il avait entendu l’aubergiste de l’excursion de la nuit dernière crier de terreur.
Mais dans l’état actuel des choses, Gran et ses hommes n’avaient pas eu le temps de sauver les citoyens innocents de Leen. Rester en vie était le mieux qu’ils pouvaient faire. Peu importe le nombre de cris et d’appels à l’aide qui leur parvenaient, ils devaient les ignorer et atteindre la porte ouest.
Gran avait senti qu’il devait survivre à cela et vivre pour voir demain. Pour le bien de sa femme et de sa fille bien-aimée qu’il avait juré de protéger, il devait sortir vivant de ce cauchemar. Pour cela, il ne pouvait sauver personne d’autre que lui-même. Alors qu’il répétait ce mantra dans son esprit, Gran continuait à fuir pour sauver sa vie.
Son armure lui semblait trop lourde, et il ne désirait rien de plus que de l’enlever. Mais il craignait que les insectes ne le déchirent en morceaux, ce qui le poussait à porter le fardeau de son armure.
« Halte ! Es-tu un ami ou un ennemi ? Déclare ton appartenance ! »
Un officier de haut rang stoppa leur course folle, essayant de garder le contrôle de la situation même dans le chaos tourbillonnant.
« Troisième bataillon du premier régiment ! Nous avons reçu l’ordre de battre en retraite ! »
« Retraite !? Vous avez l’intention d’abandonner Leen ? Remettre une clé de voûte du Royaume à ces… ces bestioles ? ! Votre péché entacherait l’honneur des militaires de Maluk pour les années à venir ! Retournez à votre poste et battez-vous ! Je ne vous permettrai pas de battre en retraite ! »
« Mais on nous a ordonné de battre en retraite ! » lui cria Gran.
« Et nous n’avons pas donné un tel ordre ! Le général Tchernov a dit que nous devions défendre cette ville jusqu’au dernier homme debout ! Maintenant, retournez au front et… »
À ce moment, des crocs sortirent et s’enfoncèrent dans le corps de l’officier. Celui-ci avait ensuite été traîné sous terre, ne laissant derrière lui que les échos de son cri. Personne n’avait essayé de le sauver.
« Nous nous replions. Il n’est pas question de rester ici dans le seul but d’y laisser la vie », déclara Gran.
Les soldats survivants du troisième bataillon hochèrent la tête.
Gran n’était plus un soldat, mais un homme qui avait laissé la partie la plus importante de lui-même à la maison avec sa famille. Comme les autres soldats, il voulait juste laisser cet enfer derrière lui. Que la cour martiale soit damnée.
« Encore un peu jusqu’à la porte, et nous pourrons alors sortir de cet enfer. On y est presque. »
Cependant…
« Vous essayez de fuir, n’est-ce pas ? »
La porte ouest n’était pas ouverte, comme ils s’y attendaient. Les portes l’étaient, mais une grande toile d’araignée bloquait le passage, empêchant quiconque d’entrer ou de sortir. Plusieurs cadavres étaient empêtrés dans les fils épais.
« Impossible… »
L’estomac de Gran était tombé.
« Si vous avez l’intention de passer par ici, vous devrez me faire face. Je suis l’Essaim Chevalier Sanglant Sérignan. »
Celle qui se faisait appeler Sérignan était moitié femme, moitié insecte. Ses traits étaient couverts d’une armure rouge sang. Elle avait une épée noire à la main et se tenait sur le chemin de Gran.
« Nous n’avons pas le choix… À toutes les troupes, forcez le passage ! Archers, couvrez-nous ! Infanterie, en avant, marche ! »
Gran ne considérait pas la femme qu’il avait sous les yeux comme une compagne humaine, mais comme l’ennemie.
Les fantassins, vêtus d’une épaisse cotte de mailles et armés de hallebardes et de claymores, s’avancèrent, tandis que les archers visaient la femme — non, le monstre se faisant appeler Sérignan.
« À l’attaque ! »
Les archers lancèrent leurs flèches immédiatement, marquant le début de la bataille.
« Pathétique. »
Sérignan tira un coup de soie depuis son abdomen vers un bâtiment de l’autre côté de la rue, puis s’en était servi pour se lancer. Ce faisant, elle évita les flèches qui auraient dû pleuvoir sur elle.
« Allons-y ! »
Malgré leur détermination, l’infanterie commença à s’effondrer.
« Gaaah ! »
Sérignan dirigea son épée vers les fines ouvertures de leurs casques, détruisant leurs yeux avec une précision mortelle.
« N’hésitez pas ! Continuez à l’attaquer ! »
Gran comprenait la gravité de la situation, mais il savait aussi qu’ils devaient se battre. S’ils s’enfuyaient, ce monstre les poursuivrait et les tuerait tous. Même s’ils parvenaient à la secouer, ils avaient toute une armée de monstres qui se pressaient dans les rues à leurs côtés. Leur seul moyen d’avancer était de se débarrasser de Sérignan et de percer vers l’extérieur.
« Je vois. C’est tout ce que les humains peuvent faire. »
Trois soldats lourds chargèrent Sérignan en même temps. Elle en poignarda deux à la poitrine grâce aux pattes arrière, puis elle frappa le troisième avec sa longue épée, lui tranchant la gorge. Les hommes s’étaient effondrés sur le sol dans des mares de sang, où ils étaient restés immobiles.
« Venez à moi, humains. Je vous tuerai tous, et je ferai de vous la nourriture qui donnera naissance à mes nouveaux camarades. »
Sérignan avança sur Gran, sa longue épée à la main et les deux jambes de l’arrière pointées dans sa direction.
« Infanterie lourde, passez en défense ! Archers, continuez à tirer ! »
Gran réalisa que les mouvements lents de l’infanterie lourde ne pouvaient pas suivre les mouvements rapides de Sérignan, alors il leur ordonna de servir de bouclier aux archers.
« Trop ennuyeux ! Trop faible ! Trop pathétique ! »
D’innombrables flèches plurent sur le chevalier rouge-sang, mais elle les faisait toutes tomber avec sa queue et son épée. Pas une seule n’avait réussi à la toucher.
« C’est impossible ! Nous ne pouvons pas combattre cette chose ! »
« À l’aide, quelqu’un ! »
Réalisant que leurs attaques étaient futiles, les archers paniquèrent et commencèrent à fuir.
« Attendez ! Ce chemin grouille d’insectes ! Vous allez vous faire tuer ! »
Gran essaya de les arrêter, mais ses paroles tombèrent dans l’oreille d’un sourd. Les archers en fuite avaient été acculés par des insectes rampant dans les ruelles, et leurs corps avaient été rapidement mutilés par des faux et des crocs. Les hurlements de mort des archers s’estompèrent rapidement, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un silence sinistre.
« Allez-vous vous battre comme un idiot ? Ou vous rendrez-vous à votre destin afin de devenir notre nourriture ? »
Sérignan s’approcha de Gran et de l’infanterie, son épée à portée de main.
« Personne ne va se retourner et te laisser nous faire devenir de la viande hachée ! »
Gran renforça sa résolution et ordonna à l’infanterie lourde restante d’attaquer immédiatement Sérignan. Cependant, Sérignan tira des cordes au sol qui s’étaient enroulées autour des pieds des soldats et elle les fit trébucher. Seule Gran avait réussi à percer, mais elle avait habilement intercepté sa frappe.
« Pas encore ! »
Refusant d’abandonner, Gran avait de nouveau fait tomber sa lame. Droite, droite, gauche, en haut, droite. Il la frappa dans tous les sens, mais Sérignan avait une dextérité extraordinaire. Elle avait détourné toutes ses attaques, n’en laissant pas passer une seule. Puis elle riposta, lui infligeant une profonde entaille au bras droit.
« Merde », maudit Gran à travers ses dents grinçantes.
« Vous allez bien, monsieur !? »
L’infanterie parvient à se dégager des ficelles et se précipita à ses côtés.
« Chargez-la ! Elle ne peut en gérer que trois à la fois ! Plus que ça et elle devrait avoir des ennuis ! », grogna-t-il en réponse.
« Oui, monsieur ! »
Cinq fantassins lourds obéirent à son ordre et l’attaquèrent en même temps.
« Dites-vous que je ne peux en gérer que trois à la fois ? »
Sérignan eut un sourire mystérieux et pencha la queue vers l’infanterie lourde. Et tandis que les cinq hommes se précipitaient sur elle…
« Quoi ? ! »
Gran n’en croyait pas ses yeux.
Sérignan lia deux des fantassins avec ses ficelles, puis tua rapidement les trois autres avec son épée et ses jambes. Ensuite, elle tua les deux fantassins enchevêtrés l’un après l’autre dans des mouvements gracieux et fluides. Le sang dansait dans l’air et les mouchetures qui s’envolaient sur sa carapace cramoisie se mêlaient parfaitement.
« Viens, fais-moi face. Tu es le dernier qui reste », déclara Sérignan, en lui montrant son épée longue.
« Espèce d’enfant de l’enfer ! » cria Gran en retour, en s’appuyant sur son épée.
« Les elfes ont dû vous invoquer avec une sorte de magie noire ! »
« Tu crois que les elfes nous ont invoqués ? Quelle absurdité ! Nous avons reçu la vie et la chair de Sa Majesté, la Reine de l’Arachnée ! Les elfes ne nous ont pas convoqués. L’Arachnée est une civilisation supérieure qui éclipse grandement les elfes ! »
« Arachnée ? C’est donc le nom de votre pays… Pourquoi nous envahissez-vous ? ! Êtes-vous des barbares qui ne connaissent rien de la culture et de l’humanité !? »
La voix de Gran était teintée de douleur.
« Comme c’est ridicule. C’est votre peuple qui nous a attaqués en premier. Vous avez massacré nos alliés et ainsi suscité la colère de Sa Majesté. Ce sont vos actions qui ont fait que notre reine a décidé de rayer votre misérable royaume de la surface de la terre ! Votre pays sera effacé de ce monde. Aucun individu de votre peuple ne survivra. Tel était le décret de Sa Majesté. Si vous n’aimez pas cela, accusez les Chevaliers de Saint-Augustin d’avoir attaqué Baumfetter. »
« C’est donc vous qui les avez tués après… »
Avant que Gran ne puisse finir sa phrase, Sérignan lui coupa la tête. Le sang qui jaillissait donna à son armure un éclat plus profond et plus sombre.
« Bravo, Sérignan. »
« Votre Majesté ! »
La reine de l’Arachnée s’approcha de Sérignan. Elle était vêtue d’une robe élégante qui contrastait avec le champ de bataille couvert de sang et de cadavres.
« Tu parles pourtant trop. Il suffit de tuer les fantassins. Tu n’as pas besoin de les engager dans une conversation. En épargnant l’attention de chacune de tes victimes, tu ne feras que perdre un temps précieux. »
« Mes excuses, Votre Majesté ! »
Sérignan baissa la tête, tout en regardant la reine.
« Eh, c’est bon. Mais tu as été géniale. C’est exactement ce que j’attendais de ma précieuse unité de héros. Je t’élèverai comme le plus fort Essaim de l’existence. Et c’est pourquoi je ne peux pas te laisser mourir devant moi, compris ? »
Le ton de la reine était doux.
« Oui, ma reine. Je survivrai, quoi qu’il arrive. », dit Sérignan, les yeux un peu larmoyants.
« Oh allez, pas de pleurs. Es-tu un guerrier expérimenté ou un petit enfant ? »
Elle tapota la tête de Sérignan.
« Pardonnez-moi. Je suis simplement trop reconnaissante pour vos gentilles paroles. »
« Écoute, essuie-toi le nez et va finir cette bataille. Une fois que nous aurons fini ici, nous irons dans la prochaine ville, et celle d’après. Ensuite, nous prendrons d’assaut leur capitale… Siglia. »
« Vos désirs sont des ordres, Votre Majesté. »
Et ainsi, les rideaux furent tirés sur la bataille de Leen. Les 15 000 hommes de la garnison de l’Est avaient été anéantis, ainsi que 150 000 citoyens de Leen.
Malheureusement pour ceux qui espéraient que le cauchemar se terminerait bientôt, la ruée de l’Essaim d’Éventreurs de la reine de l’Arachnée ne faisait que commencer.
***
Chapitre 7 : Boulettes de viande
Partie 1
Alors que je supervisais la conquête de Leen, mes Essaims Éventreurs s’étaient rués sur les régions du nord et du sud du Royaume. La formule pour chaque assaut était la même : les Essaims Fouilleurs détruisaient les portes, laissant la milice incapable de gérer les Essaims Éventreurs qui inondaient la ville.
L’Essaim avait hissé sa bannière d’effusion de sang, avait fait connaître son mantra de massacre et s’était empressé de procéder à l’abattage.
Veni, vidi, vici.
Les Essaims Éventreurs avaient transpercé les soldats et les habitants de la ville sans aucune pitié, et les essaims Travailleurs avaient rassemblé tous les cadavres en un seul endroit. Il ne restait plus qu’une chose à faire.
« Très bien. Il est temps de faire des boulettes de viande », avais-je dit aux Essaims Travailleurs.
« Des boulettes de viande, Votre Majesté ? » répondit l’un d’entre eux.
« Oui. Tu as fait ça dans le jeu, non ? Tu as transformé les troupes et unités travailleuses ennemis en boulettes de viande. C’est plus facile de les transporter jusqu’au four à fertilisation de cette façon, et elles prennent moins d’espace de stockage. »
« Vous souhaitez que nous fassions des orbes de proies ? Compris. Nous allons commencer sous peu. »
« Merci. »
De toute évidence, les Essaims Travailleurs avaient compris ma demande. Ils s’étaient occupés des corps, les transformant en viande hachée avec leurs griffes et leurs faux. Les vêtements et les armures des victimes s’accrochaient au produit final grâce à la salive adhésive des Essaims Travailleurs.
Parmi les cadavres se trouvaient le tailleur et les bouchers que je fréquentais. Mais je n’avais rien ressenti de particulier à l’égard de leur mort. C’était la guerre, et il était tout à fait naturel que l’autre camp ait des victimes.
Était-ce la manière de pensée typique de l’Essaim ? Ma conscience était-elle maintenant complètement contrôlée par le collectif ? Avais-je été dominé par la volonté d’une espèce sauvage qui voyait tous les autres comme des proies à dévorer ?
Non, pas du tout. Le tailleur et les bouchers avaient pris la décision de diaboliser les elfes, les traitants de barbares… et bien pire encore. C’est à cause de leur haine déraisonnable et de leurs commérages absurdes que le royaume de Maluk avait rassemblé une armée pour massacrer les elfes.
C’était eux qui avaient commencé cette guerre. J’avais simplement fait face à cette hostilité.
J’étais sûre que si j’avais laissé les soldats et les innocents tranquilles et que je leur avais permis de vivre en paix, il n’aurait pas fallu longtemps avant qu’ils n’attaquent à nouveau les elfes — ou peut-être même nous.
Pendant que je me perdais dans mes pensées, les Essaims Travailleurs continuaient à faire de la viande hachée. Une fois qu’ils avaient terminé, ils la divisèrent et l’enveloppèrent en des boulettes de viande rondes et soignées. Les Essaims Travailleurs les avaient appelés des orbes de proie, c’était donc probablement le terme le plus correct à utiliser. Mais cela n’avait pas vraiment d’importance, hein ?
« Que voudriez-vous que nous fassions ensuite, Votre Majesté ? »
« Mettez les deux tiers d’entre eux dans les nouveaux fours de fertilisation. Vous avez fini de les construire, n’est-ce pas ? »
« Oui, la construction est terminée. »
Le royaume de Maluk était ennuyeusement grand, et retourner chaque fois à notre base dans les tunnels prendrait beaucoup trop de temps. La vitesse était primordiale pour les ruées.
À cet égard, l’Arachnée était la faction idéale pour ce genre de stratégie. La production d’Essaims Éventreurs était peu coûteuse et rapide, ce qui signifiait qu’il était possible d’amasser une grande armée dès le début du jeu. Cela dit, le début du jeu était le seul moment où les Essaims Éventreurs étaient viables. Il s’agissait d’unités de courte durée qui pouvaient facilement être défaites par des unités améliorées dans la dernière partie du jeu.
Le Royaume de Maluk était grand, et notre nombre actuel d’essaims n’était pas suffisant pour tout couvrir. J’avais l’intention de tout détruire jusqu’au plus petit village, ce qui nécessiterait un nombre bien plus important. Pour cela, j’avais décidé de mettre en place des bases d’opérations avancées qui serviraient de quartier général sur le terrain.
Il s’agissait de petites structures de soutien qui fonctionnaient comme des bases miniatures, ou des sortes de ruches. Elles étaient construites autour des fours de fertilisation, qui produisaient les Essaims, et étaient également équipées de dépôts de chair pour le stockage des ressources.
Nous avions installé l’une de ces FOB (NdT : Forward Operation Base: Base d’opération avancée) avec le strict minimum de ce dont nous aurions besoin sur la place centrale de Leen. Nous utiliserions cet endroit pour produire d’autres essaims à envoyer sur le front.
Normalement, je ne me serais pas donné autant de mal pour une simple ruée avec des Essaims Éventreurs. Celles-ci exigeaient pour ainsi dire que vous misiez tout sur la vitesse. Mais l’ennemi avait le potentiel pour résister à la ruée cette fois. Je me devais donc d’être très prudente. L’ennemi avait des murs, par exemple, et il pouvait invoquer des êtres puissants comme cet ange.
En parlant de ça, je jure que je sais que cet ange vient de quelque part. Je me souviens très bien d’avoir tué un ange comme ça à un moment donné… Tant pis.
Que l’ennemi vienne nous frapper ou que nous marchions sur eux, il suffisait de les écraser. Les Essaims Éventreurs réduisaient tout en viande hachée et transformaient le sol sur lequel ils marchaient en une mer de sang infernale.
« Tous les fours de fertilisation produisent des Essaims Éventreurs. »
J’avais envisagé de produire des unités de niveau intermédiaire, mais j’avais décidé de me concentrer sur les Essaims Éventreurs pour l’instant. C’était les unités les plus rapides que j’avais, les Essaims Fouilleurs étant les deuxièmes. Si on mélangeait maintenant des unités plus lentes, on ne ferait qu’entraîner tous les autres vers le bas. On n’allait déjà pas aussi vite qu’on aurait dû.
Comme je l’avais mentionné, la vitesse était impérative pour les ruées. Je devais rapidement éliminer l’ennemi avant qu’il n’ait le temps de s’occuper de nous.
« Les bases au nord et au sud sont terminées, et ils produisent actuellement en masse des Essaims Éventreurs. Bientôt, il y en aura cent mille… Si je jouais comme ça sur mon PC, il surchaufferait probablement et s’éteindrait. »
Les Essaims Éventreurs avaient également vaincu les armées du nord et du sud, dévorant leurs habitants pour renforcer leurs forces. Ma conscience était maintenant liée à plus de 100 000 essaims individuels, et je pouvais sentir leurs blips dans la conscience collective ramper dans tout mon cerveau.
« Les Essaims Éventreurs doivent partir par groupes de cinquante dès qu’ils seront terminés. Attaquez-les par vagues. Nous allons leur apprendre à quel point une ruée d’Essaims Éventreurs peut être effrayante. Montrez-leur comment vous dévorez tout sur votre passage et renversez même les soi-disant forteresses imprenables. »
La conscience collective est bien sûr pratique. Je n’ai pas eu à lever le petit doigt. Mes ordres ont été instantanés, tout comme ils l’étaient lorsque j’ai joué au jeu. Cela m’a permis de tout observer comme si cela venait d’en haut, ce qui m’a aidée à trouver les meilleures stratégies possible.
« Sérignan, viens avec moi sur le front. Je vais avoir besoin de toi pour rectifier certaines choses. »
« Oui, Votre Majesté. Mais ne serait-il pas préférable que vous restiez derrière, dans un endroit sûr ? »
Hmm. Elle avait raison. Je n’étais pas très utile sur les lignes de front de la bataille. Si quelque chose arrivait, je me mettrais probablement en travers du chemin. Les unités de l’Arachnée étaient les muscles tandis que la reine était le cerveau.
« Quand même, je vais y aller. Je veux voir ce que j’ai fait de mes propres yeux. »
J’avais finalement décidé d’y aller. Il fallait que je témoigne de ce que j’avais fait. Voir les choses à travers la conscience collective ne serait pas suffisant.
« Si telle est votre volonté, je vous protégerai avec ma vie. »
« Je compte sur toi. »
Les lignes de front seraient probablement jonchées de cadavres. Ceux-ci seraient ensuite transportés vers une base d’opérations avancée, où ils seraient transformés en boulettes de viande qui donneraient naissance à d’autres Essaims Éventreurs.
Qu’est-ce que je penserais en voyant ça ? Est-ce que je regretterais mes actes ? Aurais-je pitié d’eux ? La responsabilité de tout cela pèserait-elle profondément sur ma conscience ?
Impossible. D’une certaine façon, je savais que rien de tout cela n’arriverait.
« Laissez-nous partir, Votre Majesté. »
Je marchais à côté de mes grotesques et adorables insectes. Je leur avais promis de les guider vers la victoire. Le regret, la pitié et la responsabilité morale n’avaient pas leur place dans mon cœur. Si quelque chose me pesait, c’était la crainte de ne pas pouvoir les guider correctement.
L’Arachnée sera-t-elle capable de gagner sous ma direction ?
Non, il est inutile de le demander. Je vais prouver que j’en suis capable. Si quelqu’un peut le faire, c’est moi, alors je vais y arriver. Peu importe la quantité de sang qu’il me faudra verser. Après tout, ma défaite signifierait l’annihilation de ces petits qui m’adorent tant.
« Sérignan, je ne vais pas perdre. Je vais prouver que je peux gagner, quoiqu’il arrive et contre qui que ce soit. »
« Oui, Votre Majesté. Et nous vous suivrons où que vous alliez. »
Nous étions donc partis au front, notre cœur empli par notre résolution.
***
Partie 2
« Aaargh ! Quelqu’un peut-il expliquer ce qui se passe !? »
Le roi Ivan II était furieux lors d’une réunion avec ses conseillers au palais royal de Siglia. Le roi pensait qu’ils avaient envoyé leurs troupes effectuer une mission simple : éliminer les elfes et les forces avancées de Nyrnal. Il avait même accordé la permission d’utiliser une force excessive de 15 000 hommes pour cette mission.
De plus, Omari avait déjà commencé à parler des célébrations qu’ils devraient organiser pour leur victoire dans quelques semaines.
Mais assez vite, leur moral avait été rendu au plus bas.
Tout d’abord, ils avaient perdu tout contact avec la garnison de l’Est. On supposait que leurs troupes avaient été anéanties. 15 000 hommes avaient disparu. Il semblerait aussi qu’ils avaient été si rapidement et si complètement vaincus que pas un seul d’entre eux n’avait eu le temps d’écrire au palais à ce sujet.
Puis, le roi et son conseil commencèrent à recevoir des rapports de partout sur les monstruosités grotesques qui attaquaient leurs villes et villages. L’ennemi avait apparemment submergé la milice et les soldats avec un nombre inimaginable. Pas un seul rapport de victoire n’arriva au palais.
« Que se passe-t-il dans mon royaume, Odevski !? »
« Euh, j’ai bien peur de ne pas savoir, milord. Rien n’est clair pour le moment. La plupart des hommes que nous avons envoyés pour enquêter ne sont pas revenus, et ceux qui sont revenus ont trop peur de parler de ce qu’ils ont vu. », répondit nerveusement Omari.
« Vous dites que les Nyrnals ont lancé une véritable invasion ? Ont-ils l’intention de revendiquer nos terres ? »
Dès que le conseil avait appris la défaite de la garnison de l’Est, il envoya une équipe de recherche. Étonnamment, l’équipe de recherche, composée de quelques soldats d’élite de l’armée de Maluk, avait presque elle-même été anéantie. Les quelques survivants qui étaient revenus étaient paralysés par leur terreur, et ne parvenaient qu’à marmonner des délires sur des insectes.
« Non, selon les diplomates de Nyrnal, l’Empire n’a rien à voir là-dedans. Leur ambassadeur nie toute implication. Et d’après ce que nous dit notre division des renseignements, leur armée ne s’est vraiment pas mobilisée. », déclara Slava.
L’Empire de Nyrnal insistait sur le fait qu’il n’avait rien à voir avec cette étrange série d’événements. Selon eux, ils n’avaient pas d’hommes stationnés dans la forêt et n’avaient pas conspiré avec des elfes pour détruire les Chevaliers de Saint-Augustin. Ils n’avaient rien à voir non plus avec le chaos qui régnait dans tout le royaume.
En fait, l’ambassadeur de Nyrnal était scandalisé par ces accusations. Il affirmait qu’elles constituaient une terrible insulte à la diplomatie et une tentative agressive de la part du Royaume de rejeter la responsabilité de leurs problèmes sur l’Empire.
« Alors, qui nous attaque ? Qui d’autre est capable de telles invasions sauvages ? »
« Nous ne savons pas, Seigneur. »
Personne n’avait pu lui répondre.
« Comment est-il possible que notre ennemi soit arrivé si loin et que nous ne sachions même pas qui il est ? Notre pays n’a jamais connu un tel échec ! Les rapports dont nous disposons indiquent que l’ennemi a déjà terminé sa prise des montagnes de Lœss et qu’il continue à avancer. »
La chaîne des montagnes de Lœss s’étendait légèrement à l’ouest du centre du Royaume. C’était une zone escarpée contenant plusieurs routes étroites qui servaient de voies de ravitaillement au Royaume de Maluk en cas d’urgence.
Le terrain était étroit et les routes étaient souvent des goulots d’étranglement, la seule sortie à flanc de montagne. Cette géographie fournissait au Royaume une excellente ligne de défense à l’ouest, car elle empêchait les ennemis de marcher en grand nombre à travers les montagnes, des troupes sporadiques ou en formation pouvaient facilement être éliminées avec quelques soldats du Royaume. Moins il y avait de troupes ennemies, plus il était facile de contre-attaquer par la suite.
Cependant, la chaîne de montagnes était déjà tombée entre les mains de l’ennemi. Personne ne savait comment, mais les quelques soldats de Maluk qui s’étaient échappés des montagnes avaient été pourchassés et tués par des hordes ennemies.
Oui, c’était bien l’attaque par vagues de la reine de l’Arachnée. Les soldats du Royaume avaient essayé de bloquer leur chemin au niveau des goulots d’étranglement, mais les Essaims Fouilleurs avaient détruit le sol en dessous d’eux. Après cela, l’assaut des Essaims Éventreurs décima les soldats restants.
Les Essaims s’étaient véritablement écrasés sur eux comme une série de vagues déferlantes. Leurs exosquelettes déviaient les flèches, rendant les arcs inutiles. Cependant, les catapultes et les sorts d’attaque mis en œuvre depuis les forteresses s’étaient avérés efficaces contre les Essaims Éventreurs. Les montagnes de Lœss étaient jonchées des cadavres transpercés et carbonisés des Essaims Éventreurs qui avaient été victimes des armes des humains… mais les corps des soldats qui avaient été emportés par le raz-de-marée noir étaient bien plus nombreux qu’eux.
Ses tactiques étaient indéniablement redoutables.
La ligne défensive des montagnes de Lœss avait été écrasée par une ruée massive d’Essaims Éventreurs. Non seulement l’Essaim avait envahi les montagnes, mais il avait aussi construit une nouvelle base d’opérations avancée. Les soldats avaient été réduits en des boulettes de viande placées dans des dépôts de chair ou chargées dans le four de fertilisation pour produire davantage d’Essaims Éventreurs.
« Comment sommes-nous censés les arrêter ? ! »
« Heureusement, nous avons encore un point pour les retenir… la rivière Aryl. Nous allons frapper l’ennemi alors qu’il essaie de traverser l’Aryl », déclara Omari.
La rivière Aryl coulait à l’ouest des montagnes de Loess. Elle prenait naissance dans le lac Aryl-Yel, puis coulait vers le sud à travers le royaume de Maluk. La rivière était la deuxième ligne de défense du Royaume après la chaîne de montagnes de Lœss. Peu importe qui était l’ennemi, il était sans défense pendant un certain temps lorsqu’il traversait une rivière. Ces précieux moments de vulnérabilité étaient ceux pendant lesquels les militaires de Maluk avaient tendance à frapper.
Pendant que l’ennemi tentait de traverser, les soldats du Royaume les inondaient d’attaques en provenance de la rive opposée. Si l’ennemi réussissait à débarquer, les soldats les chargeaient avant qu’ils n’aient le temps de s’organiser. De cette façon, les forces ennemies s’effondreraient sur leurs points les plus vulnérables et mourraient sur les rives de l’Aryl. L’invasion serait arrêtée avant de pouvoir vraiment commencer.
« Une bataille le long de l’Aryl, dites-vous ? Alors, rassemblez nos forces. Cette bataille sera décisive. Rassemblez tous les hommes qui ont été divisés entre nos forteresses et rassemblez-les pour cette bataille. Pouvez-vous faire cela, Omari ? »
« Bien sûr. J’ai déjà dit à certains de nos hommes que l’Aryl doit être défendu. Nous avons beaucoup d’hommes stationnés à chaque pont. Ce sera une bataille difficile, mais cela nous donne aussi la plus grande chance de sortir victorieux. »
L’identité de l’ennemi était encore inconnue, mais le royaume de Maluk avait décidé de mener une bataille défensive le long des rives de l’Aryl. Un tel plan fonctionnerait-il, étant donné qu’ils ne savaient pas qui était l’ennemi ? Quelle que soit l’issue, c’était leur seule option. La triste vérité était que si l’ennemi perçait la rivière, la capitale serait juste sous leurs yeux. Un échec dans ce domaine signifierait la chute du royaume de Maluk.
« Alors, partez immédiatement. Arrêtez l’ennemi à la rivière Aryl, quoi qu’il arrive. »
« Comme vous le souhaitez, Votre Majesté. Je vais commencer les préparatifs immédiatement. »
Et avec cela, le conseil de guerre s’était achevé.
« Père ! »
Ivan II quitta la grande salle de réunion, dépourvu d’inquiétude et d’anxiété, et fut accueilli par sa petite Elizabeta. Elle n’était pas autorisée à se joindre à la réunion de guerre. Elle avait donc patiemment attendu dehors.
« Père, avons-nous arrêté l’invasion ? J’ai tellement peur… Si les ennemis sont des alliés des elfes, ils peuvent aussi manger les humains ! »
« Tout ira bien. Nous venons de discuter d’un plan pour arrêter l’invasion, et il réussira. Nous utiliserons la puissance de toutes nos forces pour arrêter ces méchants, et tu n’auras plus rien à craindre. C’est aussi certain que le lever du soleil à l’aube, ma chère. »
Même la jeune Elizabeta avait entendu parler de l’invasion en approche. L’ennemi avait rapidement vaincu les 15 000 soldats de la garnison orientale et continuait à marcher, et leur seconde division venait de prendre les montagnes de Loess.
C’était certainement une invasion tyrannique. Les dames d’honneur étaient déjà en deuil, certaines de leur malheur, et les nobles femmes se demandaient où elles pourraient s’enfuir avec des voix tremblantes. Ceux qui ne pouvaient pas se battre n’avaient pas d’autre choix que d’attendre dans la crainte de l’invasion.
« J’espère bien. Il y a tant de terreur et de tristesse dans la cour. Beaucoup ont des frères, des pères, des maris et des fils qui sont partis se battre et ne sont jamais revenus. On ne peut qu’imaginer ce que ces barbares leur ont fait… », déclara Elizabeta, au bord des larmes.
« Repose-toi bien, chérie. Nous ne serons pas vaincus. Stefan sera également en première ligne, alors prie pour son retour en toute sécurité. Les gens du Royaume devraient tous prier pour leurs proches dans un moment comme celui-ci. »
« Oui, Père. Je suis sûre qu’il ira bien, et qu’il nous reviendra vivant et en bonne santé. Moi aussi, je prierai pour sa sécurité au combat. »
Stefan Stroganoff était un descendant d’une longue maison de ducs, et était lié par le sang à la famille royale. En tant que princesse, Elizabeta lui avait été promise à l’âge de huit ans, et leurs fiançailles furent accueillies avec d’innombrables bénédictions du peuple. Elizabeta elle-même était excitée à l’idée d’épouser Stefan. Dans deux ans seulement, elle serait jugée assez âgée pour l’épouser, et tous deux seraient sur le point de fonder une famille heureuse.
Le fait qu’un duc épouse un membre de la famille royale renforcerait encore la politique du royaume. Les affaires intérieures se stabiliseront et le pays pourra se consacrer aux affaires extérieures, à savoir le commerce et les relations avec l’Empire de Nyrnal.
Mais Stefan était déjà considéré comme un adulte et comme le chef d’une famille ducale, et ses fonctions de noble lui demandaient de se rendre sur le champ de bataille. Même s’ils avaient été mariés, il aurait probablement laissé Elizabeta dans sa propriété et serait quand même parti se battre.
Elizabeta pria le Dieu de la Lumière à maintes reprises, le suppliant de protéger Stefan. Elle souhaitait que son bien-aimé revienne sain et sauf, et que les deux puissent se marier avec la bénédiction des citoyens et du Dieu de la Lumière lui-même. Pour l’instant, rien ne lui importait plus.
« La bataille va bientôt commencer. Que la victoire soit de notre côté. »
« Oui. S’il te plaît, gagne cette guerre, Père. »
Pourtant, personne ne pouvait dire qui sortirait victorieux.
***
Chapitre 8 : La bataille de la rivière Aryl
Partie 1
Je me tenais au sommet d’une colline, avec Sérignan à mes côtés, et je regardais les environs. Devant nous, il y avait une grande rivière. Je savais déjà qu’elle serait là, mais la voir m’avait remplie d’anxiété.
Dans le jeu, les rivières étaient considérées comme un terrain presque infranchissable. Il n’y avait pas de moyen direct d’en traverser une dans des circonstances normales. La plupart des factions, y compris l’Arachnée, avaient très peu d’unités capables de nager. Certaines factions aquatiques pouvaient traverser les rivières, oui, et la faction Grégoire pouvait produire des Serpents de mer capables de nager, mais c’était une minorité.
Quoi qu’il en soit, l’Essaim ne pouvait pas traverser à la nage. Le chemin le plus rapide pour aller de l’autre côté serait de passer par un pont, mais les Essaims que j’avais envoyés en reconnaissance avaient signalé que tous les ponts de la région étaient étroitement surveillés.
Je pourrais essayer de lancer une attaque et de passer, mais notre ennemi s’adaptait à nous et il avait employé un certain nombre de mages et de catapultes. Les mages, en particulier, étaient une véritable nuisance.
L’Arachnée n’avait pas d’unité qui s’adaptait bien aux lanceurs de sorts, je n’avais donc pas trouvé de bon moyen de les éliminer. Ils étaient faibles au combat en mêlée, ce qui signifiait que l’ennemi enverrait probablement des tas de fantassins pour nous empêcher de les atteindre.
Si je pouvais juste débloquer plus d’unités, je pourrais utiliser des Essaims capables d’attaquer à distance, mais je n’avais rien de tel pour le moment. Il ne servait à rien de se lamenter sur ce qui me manquait, mais il n’en restait pas moins que le fait d’avoir plus d’unités à longue portée aurait permis de faciliter les choses.
Sans elles, je devrais traverser un pont lourdement défendu en nombre. C’était la stratégie qui demandait le moins de réflexion, et c’était aussi la moins raffinée. Naturellement, elle ferait un grand nombre de victimes de notre côté, et je ne voulais pas y soumettre mes mignons petits bébés.
Il était temps de mettre en mode réflexion et de trouver une autre tactique.
« Essaim Travailleur. »
« Qu’y a-t-il, Votre Majesté ? »
Un Essaim Travailleur s’était tourné vers moi et inclina sa tête.
« Nous avons besoin d’un moyen de traverser la rivière. Peux-tu y arriver ? »
« Avec assez de temps, cela peut être fait. »
« Je m’assurerai que tu aies tout le temps nécessaire. Je veux que tu nous prépares un chemin pour traverser la rivière un peu plus en amont d’ici. Compris ? »
« Selon vos désirs, Votre Majesté. »
Aussitôt, il commença à remonter le fleuve avec ses collègues de travail.
Plus ils seraient nombreux à travailler ensemble, plus le processus de construction serait rapide. Pour l’instant, vingt Essaims Travailleurs pouvaient faire le travail.
« Tous les autres Essaims Travailleurs, commencez à construire des armes de siège. J’ai besoin de quatre trébuchets d’os. »
Les armes de siège nécessitaient de l’or pour être déverrouillées. Je ne pouvais donc faire que les plus basiques. Un Trébuchet à os était, comme son nom l’indique, un engin qui lançait les os des morts. Il était capable d’attaquer à longue distance, mais causait peu de dégâts. Cependant, il était plus que suffisant pour harceler l’ennemi.
« Éventreurs, commencez votre charge. »
Une fois les Trébuchets d’os terminés, j’avais commencé à tirer des os sur l’ennemi. J’avais ordonné aux Éventreurs d’avancer. Ils inonderaient le pont et s’écraseraient sur les soldats comme un puissant raz-de-marée.
Pendant la conquête de la chaîne de montagnes de Loess, nous avions pris l’ennemi au dépourvu et réussi à nous frayer un chemin. Mais cette fois, l’ennemi était prudent et bien préparé, et la rivière m’avait empêchée d’utiliser les Essaims Fouilleurs. C’était une position difficile, j’avais donc besoin que mes Essaims Éventreurs travaillent encore plus dur. Même si cela signifiait se précipiter vers leur mort.
J’avais pleuré la mort d’une seule unité, et maintenant je serais responsable de beaucoup, beaucoup plus. Ce monde devait vraiment nous haïr… et moi en particulier. Sinon, il ne m’aurait pas forcée à faire des choix aussi froids et pragmatiques.
« Catapultes, feu ! », s’écria le commandant ennemi.
Des boulets épais avaient été tirés en succession rapide et traversèrent un certain nombre d’Essaims Éventreurs. Leurs frères avaient simplement enjambé leurs cadavres, se précipitant à la rencontre de l’ennemi. Comme ils étaient tous liés par la conscience collective, ils ne craignaient pas la mort. Ils avançaient, laissant derrière eux une montagne de cadavres, comme des hachoirs à viande vivants et respirants.
Je ne pouvais pas m’empêcher de me sentir mal pour ceux qui étaient tombés, mais c’était un sacrifice nécessaire.
« Préparez vos attaques magiques ! »
Encore ces mages méprisables. Alors qu’ils chantaient leurs sorts, des boules de feu pleuvaient sur le pont, l’enflammant et brûlant vif les Essaims Éventreurs. Mais même ainsi, leur ruée ne s’était pas arrêtée. Mes bébés étaient sincères. Les Essaims Éventreurs poursuivaient leurs ennemis jusqu’aux profondeurs de l’enfer, ne s’arrêtant que lorsque leurs crocs atteignaient la chair. Ils étaient infiniment fidèles et croyaient en moi avec tout ce qu’ils avaient.
Mes précieux et adorables insectes.
L’ennemi avait 50 000 hommes, alors que nous étions 150 000. Si cette bataille durait encore longtemps, ils seraient les premiers à tomber, mais je ne voulais pas gagner si cela signifiait réduire mes essaims à des enveloppes sans vie. Ma stratégie actuelle était un état de mort cérébrale absolue, et je me souciais beaucoup trop du bien-être de mes Essaims.
Alors que cette pensée me traversait l’esprit, la sixième formation d’Éventreurs avait atteint l’autre côté du pont. Ils frappèrent avec leurs faux, coupant les têtes de l’infanterie lourde, sectionnant leurs membres et les coupant en deux au niveau des torses.
« Infanterie lourde ! Battez-vous ! »
L’ennemi avait environ un millier d’infanteries lourdes, le reste n’étant que des piquiers. Si les essaims d’éventreurs pouvaient juste briser l’infanterie lourde, le reste serait facile à achever.
« Rrngh ! »
Mais l’infanterie lourde était difficile à briser. Maluk avait apparemment tiré les leçons de ses échecs précédents et avait équipé ses hommes d’armes lourdes, comme des claymores et des hallebardes, qui étaient efficaces contre les Essaims. Les Essaims Éventreurs ne perdaient pas vraiment, mais chaque fois qu’ils rataient, ils avaient les crocs ébréchés, les faux cassés ou la tête écrasée.
« Sales humains », m’étais-je dit en regardant la bataille se dérouler.
« Votre Majesté, l’ennemi essaie de faire tomber le pont », dit Sérignan.
Mais je l’avais déjà remarqué avant qu’elle ne le dise, grâce au collectif. L’ennemi tirait des sorts explosifs et catapultait des rochers sur le pont de pierre. Ils avaient attiré plus qu’assez d’essaims, ils avaient donc l’intention de faire tomber le pont et de couper notre route de retraite, puis de les achever. C’était une manœuvre simple et prévisible. Apparemment, ils pensaient toujours que nous n’étions qu’un groupe de monstres inintelligents.
« Qu’ils le coulent, s’ils le souhaitent. Les autres ont déjà fini. »
Vous voyez, notre propre pont venait d’être achevé.
Sans que personne ne le remarque, les Essaims Travailleurs avaient construit un pont en amont. Il était fait de pierres et collé avec la salive collante des Essaims. Tous les Essaims Éventreurs non engagés dans la bataille utilisaient déjà ce pont pour passer sur l’autre rive.
Cette façon de construire un pont était en fait possible même dans le jeu.
« L’ennemi a débarqué de notre côté ! »
« C’est quoi ce bordel ? ! Ils ont construit un pont !? »
Cette attaque imprudente sur leur pont n’était qu’une diversion. Je voulais les tromper en leur faisant croire que nous ne pouvions pas construire notre propre pont, afin qu’ils concentrent leurs efforts sur la maîtrise de cette attaque. Je me sentais mal pour les Essaims Éventreurs qui avaient perdu la vie dans l’entreprise, mais tout s’était arrangé.
Quand on franchit un obstacle, il faut toujours le faire le plus loin possible de l’ennemi. Inspirée par cette stratégie éprouvée, j’avais pris un pari et j’avais ordonné à mes Essaims de former un pont sur la rivière Aryl. À présent, des dizaines de milliers d’Essaims Éventreurs avaient traversé la rivière sans être touchés par l’ennemi et se rapprochaient d’eux.
Les soldats du Royaume ne pouvaient que flancher face à notre attaque. Il était évident que l’ennemi était paniqué, ce qui était terriblement amusant à regarder. Il ne nous restait plus qu’à les écraser.
Mais la vraie fête ne faisait que commencer.
☆☆☆**
« Lord Stroganoff, monsieur ! L’ennemi est déjà passé de notre côté du fleuve ! Environ soixante-dix mille soldats ennemis marchent sur nous ! Que faisons-nous !? »
« Bon Dieu ! Ce ne sont pas seulement des monstres assoiffés de sang… ? Vous me dites que ces choses peuvent avoir une stratégie ? ! Eh bien, je peux vous assurer que nous ne serons pas vaincus par une armée de brutes stupides et laides ! »
Le Duc Stefan Stroganoff, l’homme chargé de protéger le pont central, perdait peu à peu son sang-froid. Tout autour de lui, des essaims d’éventreurs attaquaient impitoyablement ses hommes. Au début, il avait pensé qu’il s’agissait de monstres jusque-là inconnus, peut-être une espèce qui avait muté, attaquant au hasard des gens en masse pour se nourrir. Cette mutation était responsable de la force démentielle des créatures, et elles ne pouvaient vaincre les soldats qu’en raison de leur nombre et de ce pouvoir contre nature.
Cependant, cette théorie s’était révélée fausse. Leur ennemi employait activement des tactiques de combat sous ses yeux. Ce n’était pas des monstres sans cervelle, mais des créatures dont l’intelligence correspondait à celle de l’humanité. L’attaque sur le pont était sans doute une diversion. Ses hommes avaient fait preuve de complaisance tout en réussissant à faire face aux forces avancées, mais avant qu’ils ne s’en rendent compte, l’ennemi avait construit un pont et lancé une attaque en tenaille depuis l’autre côté. C’était une bévue dont ils ne pouvaient pas se remettre.
Si Stefan avait gagné cette bataille, il aurait été un héros national et aurait finalement épousé la belle, mais jeune, princesse Elizabeta. Épouser un membre de la famille royale signifiait plus que gagner la bénédiction des roturiers, il aurait également obtenu un statut social supérieur à celui de tous les autres nobles. Tous ses rêves et ses aspirations s’étaient effondrés sous le poids d’un seul pont construit par des insectes géants. Son brillant avenir lui avait été arraché dans leurs grotesques griffes.
« Nous avons encore un tour dans notre manche. Chevaliers de Sainte-Julie, en avant ! », cria Stefan alors qu’il faisait face aux ennemis qui arrivaient.
Un ordre de chevaliers de moins de mille hommes répondit à son appel, s’élevant pour rencontrer une force de 70 000 Essaims Éventreurs.
« Je compte sur vous ! »
« Nous nous en occuperons, Seigneur Stroganoff ! », répondit le capitaine des chevaliers.
« Serviteur du Dieu de la Lumière qui réside dans les cieux, je vous supplie de descendre devant nous, Ange Mayaliel ! »
L’atout de l’ordre sacré était leur ange. C’était un autre ange qu’Agaphiel, celui que Sérignan avait affronté dans la forêt. Celui-ci était vêtu d’une armure et tenait une épée longue brillante. Le seul aspect que les anges partageaient au-delà de leur race était la lumière aveuglante qui émanait de leur corps.
***
Partie 2
« Fils de l’homme. Cherchez-vous le salut ? », demanda Mayaliel.
« Nous le cherchons ! Nous nous battons pour notre survie ! Si nous ne pouvons pas nous débarrasser de ces monstres vils, le royaume de Maluk tombera ! Des centaines de milliers de citoyens seront massacrés ! S’il vous plaît, apportez-nous votre aide ! »
« Très bien. Je vous aiderai. Ces êtres sont certainement très vils. Par mon devoir d’ange, je vais les terrasser ! »
Après avoir dit ça, Mayaliel s’était envolé puis plongea vers les rangs des Essaims Éventreurs. En balançant sa lame, elle transperça des centaines d’Essaims d’un seul coup. Les Essaims Éventreurs, capables de repousser la plupart des attaques, tombaient comme des mouches.
La même chose s’était produite la dernière fois, lorsque l’Essaim avait combattu Agaphiel. Ils ne pouvaient pas espérer l’égaler. L’épée de Mayaliel était aussi puissante que les rayons de lumière d’Agaphiel. Elle transperçait les robustes exosquelettes des Essaims Éventreurs comme un couteau coupant dans du beurre chaud, les éliminant par douzaines chaque seconde.
Les Essaims Éventreurs s’étaient élancés sur Mayaliel comme des animaux sauvages, mais leurs crocs et leurs faux n’eurent aucun effet. Les anges étaient des êtres spéciaux, soit protégés par un mystérieux pouvoir, soit simplement doués d’une endurance sans faille. C’était le pire adversaire possible de l’Arachnée.
De plus, les anges étaient immunisés contre presque tous les types d’attaques, ce qui en faisait des adversaires très rusés. Le seul témoignage de la défaite d’un ange était dû à une tentative d’invasion par l’Empire de Nyrnal, et la manière exacte dont ils s’y étaient pris n’était pas encore claire.
« C’est tout ce que vous, bêtes immondes, pouvez faire !? Alors vous périrez ici ! »
Mais alors que Mayaliel se préparait à balayer le prochain groupe d’Essaims…
« Haaah ! »
Quelqu’un était venu du flanc des Essaims Éventreurs et l’avait attaquée. Ses mouvements étaient bien trop rapides et fluides pour appartenir à l’un des Essaims Éventreurs. C’était naturel, bien sûr, car celle qui venait à Mayaliel n’était autre que Sérignan.
« Un autre moucheron apparaît ! »
Sérignan cracha en balançant son épée sur Mayaliel, qui fut complètement pris au dépourvu.
« Par la volonté de notre reine, vous allez rouiller sur ma lame ! »
« C’est une épée sainte corrompue ! Espèce de créature maudite… Es-tu un paladin déchu !? »
« Mon passé n’a aucune importance ! Je ne suis que la lame et le bouclier de Sa Majesté ! »
Sérignan n’avait pas faibli, lançant une nouvelle attaque contre l’ange.
« Ainsi soit-il ! Je te frapperai de toutes mes forces ! »
Mayaliel déploya ses ailes et s’envola dans les airs, puis plongea vers Sérignan avec son épée longue à portée de main.
« Ngh ! »
Le puissant bombardement en piqué de Mayaliel fit tomber Sérignan au sol.
« Je ne tomberai pas ! Je suis le chevalier de Sa Majesté ! Quoi qu’il arrive ! »
Sérignan se releva et sauta à nouveau, se précipitant sur Mayaliel.
« Tes efforts sont vains, vilaine ! »
Mayaliel échappa à la frappe et s’avança en douceur pour une contre-attaque.
Son genou s’enfonça dans l’estomac de Sérignan. Sérignan tomba, gémissante de douleur, et parvint à peine à se relever. Son rôle de chevalier de la reine était au cœur de sa combativité, c’est ce qui faisait de Sérignan un individu et la distinguait du reste du collectif.
« Je peux encore me battre ! Je suis le chevalier de Sa Majesté, et rien de ce que vous me ferez ne changera cela ! »
Sérignan avait rapidement corrigé sa position et passa à l’attaque suivante. Sauf que cette fois, elle ne se contentait pas de balancer son épée sur l’ange.
« Rngh ! Des fils !? »
Sérignan tira des fils adhésifs de sa queue, les enroulant autour de Mayaliel et de son épée longue et la tirant vers l’avant. Incapable de maintenir sa posture, Mayaliel tomba vers Sérignan. Au même moment, Sérignan commença sa charge. Cette tactique avait permis de renverser le cours de la bataille en un instant.
« Prenez ça ! »
L’épée corrompue de Sérignan transperça le corps de Mayaliel, et un cri jaillit de la bouche de l’ange.
« Et ça ! »
Comme si elle se délectait de la torture, Sérignan assaillit son adversaire, coup après coup, tailladant les épaules de Mayaliel, lui poignardant le ventre et lui lacérant les jambes.
« Il y a bien plus que ça ! Vous allez souffrir jusqu’à ce que la mort vous réclame, misérable moucheron ! »
« Cesse, lâche ! Arrête ça tout de suite ! »
Les fils limitaient complètement les mouvements de Mayaliel, et l’épée s’enfonçait sans cesse dans sa chair. L’ange ne pouvait pas bouger devant l’immense loyauté de Sérignan et la force qu’elle lui accordait. Mayaliel ne pouvait que maudire, car elle subissait les sévices sadiques du chevalier.
« Sois maudite… Sois maudite ! Ne crois pas que cela suffise à faire tomber un ange ! »
À ce moment, Mayaliel arracha de force les fils et se lança sur Sérignan.
« Goûte ma lame, vilaine ! »
« Non, vous allez périr ! »
Sérignan et Mayaliel s’affrontèrent, chacun tenant une lame à la main.
« Hack ! »
Le cou de Mayaliel avait été tranché de part en part. C’était sans aucun doute une blessure mortelle. L’ange ne saigna pas de la coupure, mais éclata en particules de lumière, comme Agaphiel l’avait fait avant elle, et disparut de ce monde.
« Le sublime Mayaliel a été vaincu !? Ce n’est pas possible ! »
« Impossible ! Un ange ne peut pas être tué ! »
En voyant Mayaliel disparaître, les soldats Maluk atteignirent de nouveaux sommets de terreur. Leurs anges étaient censés être des êtres saints tout-puissants et incontestables qui régnaient sur tout. Les soldats n’avaient tout simplement pas cru que Mayaliel pouvait être vaincu au combat.
Mais ils avaient oublié que les Chevaliers de Saint-Augustin, qui pouvaient aussi invoquer un ange, avaient déjà été vaincus avec facilité. De toute évidence, ils n’avaient aucun moyen de connaître le véritable pouvoir que possédait l’Essaim Chevalier Sanglant Sérignan. Après tout, comment les hommes du royaume auraient-ils pu imaginer que cette seule créature avait la capacité latente de faire tomber un dieu ?
« Stupides humains ! Vous allez tous vous agenouiller devant notre reine ! », proclama Sérignan d’un geste de son épée.
« Tout est fini ! Nous sommes fichus ! »
« Ne fuis pas, idiot ! Nous nous battrons jusqu’au dernier homme debout ! »
Leur chaîne de commandement était déjà en pagaille. Les soldats tentaient de déserter leurs postes à gauche et à droite, et les sous-officiers les avaient tous abattus pour leur trahison. Pour les soldats, ce champ de bataille était un lieu où amis et ennemis pouvaient venir prendre leur vie.
« Hé, vous là ! Vous pouvez parler notre langue ? Ne pouvons-nous pas négocier ? Selon vos conditions, nous pourrions nous rendre à votre armée. », dit Stefan en s’adressant à Sérignan.
Il cherchait à savoir s’il était possible pour eux de se rendre. Il s’agissait d’un sort préférable au massacre, et cela lui permettrait, ainsi qu’à ses soldats, de survivre un jour de plus.
Oui, Stefan voulait vivre. Il voulait sortir de cette atroce bataille, épouser la belle Elizabeta et la connaître au plus profond d’elle-même.
« Balivernes. Nous sommes l’Arachnée, l’Essaim qui couvrira le monde. Votre peuple a fait du mal aux amis de notre reine, a tué nos camarades et a prévu d’en tuer beaucoup d’autres de notre espèce. Et maintenant, vous parlez de reddition ? », lui dit Sérignan en se moquant de lui.
Elle pointa sa lame sur Stefan.
« Prenez votre épée. Si vous vous dites guerrier, battez-vous jusqu’au bout. Nous écraserons vos efforts, ne laissant que le désespoir. »
« Urgh ! Pas le choix, alors ! Messieurs, préparez vos armes et retournez à l’intérieur ! Mages, lancez vos sorts à pleine puissance ! Infanterie lourde et piquiers, formez un cercle autour des mages ! »
Les soldats firent ce qu’il disait, et bientôt un épais amas de boules de feu se mit à pleuvoir sur l’Arachnée, mettant le feu à un grand nombre d’Essaims Éventreurs.
« Continuez à avancer ! Au nom de Sa Majesté ! » s’écria Sérignan.
Sérignan et les Essaims Éventreurs se précipitèrent dans les grandes averses de feu, se rapprochant de l’armée de Stefan. Les Essaims Éventreurs, qui étaient les unités les plus rapides du jeu, entrèrent en contact avec la formation militaire en quelques instants. Les têtes des soldats de l’infanterie lourde furent tranchées avec leurs faux et les piquiers furent rapidement transpercés au niveau de la poitrine avec leurs crocs. Bientôt, les Essaims avaient entièrement passé à travers le mur vivant de l’ennemi.
C’était un massacre.
Leurs protecteurs disparus, les mages furent mis en pièces. Ensuite, l’Essaim changea de cap et réduit les quelques soldats restants en viande hachée.
« C’est fini. »
Au moment où Sérignan fit cette proclamation, tous les soldats avaient été éliminés. Leur commandant, celui qui s’appelait Stefan, était mort. Son corps éviscéré avait été mélangé aux restes ravagés des autres soldats, déchiquetés au point d’être méconnaissables. Ses membres avaient été arrachés comme s’il s’agissait d’un jouet d’enfant, et son visage s’était effondré après avoir reçu une faux à la tête.
« Bon travail, Sérignan. »
« Merci, Votre Majesté. Maintenant, nous pouvons tous traverser la rivière. »
Quand tout fut terminé, la reine de l’Arachnée, qui avait commandé la bataille de loin par la conscience collective, arriva pour remercier ses troupes.
« Vous avez tous bien travaillé. Ce fut une bataille difficile, mais nous en sommes sortis victorieux. Plus rien ne s’oppose à nous. Ensuite, nous allons nous regrouper avec les unités du nord et du sud et marcher sur Siglia. Cela signifiera la fin de ce pays. »
« Gloire à notre reine ! »
« Gloire à notre reine ! »
Tous les Essaims présents se plièrent et firent une génuflexion en même temps. Leur posture unifiée rendit encore plus évident le fait qu’ils avaient effectivement gagné.
« Pourtant, Sérignan, tu as cette habitude de trop parler. Tu finiras par te mordre la langue si tu parles trop pendant la bataille. Concentre-toi sur le fait de tuer ces merdeux devant toi. »
« Mes excuses, Votre Majesté. »
Ainsi, la bataille de la rivière Aryl s’était terminée par la victoire de l’Arachnée. Le royaume de Maluk se trouvait alors dans une position très précaire. Il avait perdu toutes ses défenses naturelles, et ses lignes de défense restantes avaient été forcées de se replier sur la capitale.
***
Chapitre 9 : La chute du royaume
Partie 1
L’Arachnée traversa la rivière Aryl au nord et au sud en utilisant la même méthode, laissant le royaume de Maluk sans plus de défenses majeures. Il y avait encore quelques forteresses entre nous et la capitale, mais elles ne dureraient pas longtemps. Chacune des forteresses était isolée, formant une sorte de cercle protecteur autour de la Siglia.
« Une autre en moins », dis-je en abattant une autre forteresse.
L’air était épaissi par l’odeur du sang. Mes Essaims Éventreurs emportaient tous les cadavres, qui allaient bientôt être transformés en boulettes de viande et ensuite stockés ou placés dans des fours à fertilisation.
Voir les restes des soldats — vêtements, armures et autres — réduits en boulettes de viande aurait dû me dégoûter ou m’effrayer au plus haut point. La puanteur de la mort et les bruits de claquement du liquide visqueux qui s’écoulait ensemble auraient suffi à faire vomir n’importe qui.
Mais j’étais là, à regarder tout cela en grignotant un sandwich.
Je les avais faits en utilisant des ingrédients que les soldats avaient laissés dans la forteresse. Je les avais garnis de jambon et de fromage. Dernièrement, je n’avais pu trouver que du pain sec et du pain dur, alors manger des sandwichs mous et chauds remplis de fromage était un vrai régal. J’avais savouré chaque bouchée en regardant les essaims Travailleurs faire leurs boulettes de viande.
« Hé, Sérignan. »
« Oui ? Qu’est-ce qu’il y a ? »
Sérignan, qui se tenait à mes côtés, attira mon attention.
« Veux-tu un sandwich ? »
« Non. Je ne pourrais pas espérer manger la nourriture de Votre Majesté », dit-elle en jetant un coup d’œil furtif à mon repas.
Les chevaliers aiment donc aussi les sandwichs grillés. Quelle mignonne petite histoire !
« Tu peux en prendre un. J’en ai fait trop. »
« Vous m’honorez, Votre Majesté ! »
Sérignan s’était jeté sur les sandwichs comme un chiot à qui on aurait jeté un os, en les avalant avec enthousiasme.
L’Essaim, dont Sérignan faisait partie, n’avait pas particulièrement besoin de manger. Il n’y avait pas de frais d’entretien pour les unités, peu importe le nombre. Même si je faisais des sandwichs délicieux, Sérignan n’avait pas besoin de les manger.
Mais je supposais que même l’Essaim voulait parfois manger pour le plaisir. Grâce à la conscience collective, ils avaient pu goûter les sandwichs par procuration grâce à Sérignan et moi. Cela dit, les Essaims étaient nés de la viande séchée et crue et avaient mangé de la chair humaine… il était douteux qu’ils trouvent un sandwich grillé en tout point savoureux.
« Ne vous inquiétez pas, Votre Majesté. Nous sommes honorés de goûter aux mêmes saveurs que vous », avait lancé un Essaim Éventreur.
Apparemment, même mon doute s’était répandu au sein du collectif.
« Très bien. Cela me convient. »
Pour l’instant, ils n’avaient soulevé aucune objection à mes actions. Ils avaient fait ce que j’avais ordonné, acceptant mes raisons sans discussion. Il était clair qu’il n’y avait pas de conflit dans la conscience collective.
Est-ce que je devenais plus semblable à l’Essaim, ou est-ce que l’essaim était influencé par moi ? Je n’avais pas pu le dire.
Mais pour l’instant, nous avions une guerre à gagner.
« Les unités du nord et du sud sont en position. »
En mangeant mon sandwich, j’avais confirmé par le biais du collectif que les autres unités étaient prêtes à attaquer Siglia. La résistance du Royaume sur les autres fronts avait été faible, et tous les civils avaient été tués. Tous les habitants des zones rurales et urbaines avaient été massacrés et transformés en boulettes de viande, laissant leurs villes ensanglantées et vides.
Je menais encore cette guerre comme si elle faisait partie d’un jeu. Le jeu dictait que tant que l’ennemi avait des unités restantes, je ne pouvais pas revendiquer la victoire. Je m’étais tenue à ces règles et j’avais exterminé tout le monde dans le Royaume de Maluk. L’essaim piétinait les villages, les villes et les forteresses, sauvagement et sans avertissement. Personne n’avait été autorisé à vivre.
Les gens de ce monde ne pouvaient pas espérer égaler la vitesse des Essaims Éventreurs. Le temps que les villageois, les citadins ou les soldats remarquent l’approche des essaims, ils étaient déjà fichus. Les faux et les crocs étaient rapides, prêts à les moissonner comme les récoltes qu’ils étaient.
Mes Essaims n’avaient pas fait de prisonniers. Ils avaient attaqué par vagues, en conquérant chaque colonie et chaque structure sur leur chemin. Les jeunes, les personnes âgées, les blessés et les malades, tous avaient été réduits en morceaux pour être placés dans nos fours et nos stocks.
Même moi, j’avais dû remettre en question ma capacité à faire des choix aussi froids et difficiles. Après tout, nous étions en train de tuer des êtres humains. Mes camarades dans ce monde étaient l’Essaim, mais biologiquement parlant, j’étais humaine. Pourtant, j’avais rejeté l’idée de vivre parmi les humains, me rangeant plutôt du côté de l’Essaim pour massacrer mes semblables.
Était-ce la bonne chose à faire ? Probablement.
J’avais juré à l’Essaim que j’apporterais la victoire qu’ils désiraient et j’avais l’intention de tenir cette promesse. Même si cela signifiait se retourner contre ma propre espèce. J’avais tué beaucoup d’humains dans le jeu, c’est à peu près la même chose. Oui, c’était juste un peu plus réaliste, c’est tout.
« Êtes-vous anxieuse, Votre Majesté ? », demanda Sérignan.
De toute évidence, elle avait senti mon conflit intérieur.
« Non, je ne suis pas anxieuse, Sérignan. Je les déteste, c’est tout. Je déteste le royaume de Maluk pour avoir envoyé les chevaliers qui ont tué Linnet. Plus que ça, je les déteste pour avoir fait obstacle à votre victoire. »
J’avais mis le dernier morceau du sandwich grillé dans ma bouche et je m’étais levée.
« Allez, Sérignan. Allons-y. On est à un pas du triomphe. Une fois que ce sera fait, on pourra décider de la suite. Si d’autres pays nous embêtent, on les éradiquera aussi. »
Nous avions renversé les quatre forteresses restantes, ne laissant aucun survivant. Très vite, nous nous étions retrouvés devant Siglia.
J’avais mis en place une nouvelle base d’opérations avancée juste à l’extérieur de la capitale et j’avais utilisé l’or que nous avions obtenu par le pillage pour débloquer de nouvelles armes de siège. J’avais dirigé mes nouveaux canons Charognard — la version améliorée des trébuchets en os — vers Siglia.
Le canon Charognard lança de la chair en décomposition. Il empoisonna toutes les unités se trouvant dans la zone d’impact, et provoqua la dégradation des structures et des installations à proximité. Bien que sa puissance de feu soit faible, ces effets secondaires étaient désagréables. C’était l’une de mes armes préférées. Quant à sa conception, elle ressemblait plutôt à un insecte et était ornée de chair en décomposition. Comme la plupart des constructions d’Arachnée, la chose était assez grotesque.
Une fois que les Essaims Travailleurs avaient fini d’installer douze canons Charognards, il était temps de commencer notre assaut. Il était clair que les citoyens de Siglia n’étaient pas prêts à évacuer. Les réfugiés se précipitaient probablement dans la capitale, pensant qu’ils seraient en sécurité dans ses murs.
En observant la ville devant nous, je m’étais dit ceci :
On dirait que nous aurons beaucoup de viande dans un futur proche.
☆☆☆**
« La fin des temps est proche ! Ces murs seront brisés par la légion de monstres ! Une grande ruine va s’abattre sur le monde ! Prier le Dieu de la Lumière est inutile, car même Lui ne peut pas se mettre en travers du chemin de ces monstres de l’enfer ! »
Sur la place centrale de Siglia, un ecclésiastique d’âge moyen prononçait un discours ardent. Il était l’un des rares à avoir miraculeusement échappé à la ruée de l’Éventreur, il connaissait donc la véritable terreur de l’Arachnée. Il avait décidé que leur apparition était un signe de la fin des temps.
L’invasion de l’Arachnée avait été si intense qu’elle avait sapé un ecclésiastique de sa propre foi.
« Tais-toi, vieil excentrique ! Tu n’as pas la permission de tenir une assemblée ici ! Part ! »
Les cavaliers arrivèrent pour mettre fin aux divagations de l’homme et briser la foule qui s’était formée autour de lui.
« Hé ! Nous ne sommes envahis que parce que vous, soldats, êtes trop faibles pour les repousser ! Si vous voulez vous plaindre, faites-le après avoir tué ces monstres ! »
Les roturiers jetèrent des ordures et lancèrent des insultes aux soldats.
« Comme c’est terrifiant… Que va-t-on devenir ? » chuchota une jeune mère d’une vingtaine d’années.
Elle s’appelait Ludmila. Elle était en train de faire des courses avec ses fils de cinq et sept ans. En voyant les soldats se confronter avec les habitants, elle avait été prise de peur. L’atmosphère paisible habituelle de Siglia avait été entachée d’anxiété et de terreur.
« Maman, on dit que des monstres arrivent. »
« Vont-ils nous manger ? »
Ses enfants regardèrent leur mère qui les éloigna de la dispute sur la place.
« Ça va aller. La ville a de grands murs, pas vrais ? Ils ne les franchiront pas aussi facilement. Les monstres devront juste abandonner et aller ailleurs. »
« Alors nous sommes en sécurité ! »
« Oui ! Je n’ai pas peur des monstres ! »
Cela dit, Ludmila ramena ses enfants à la maison.
☆☆☆**
Pendant ce temps, le palais était rempli d’une atmosphère oppressante. L’invasion de l’Arachnée ne pouvait tout simplement pas être arrêtée. Ils avaient conquis les montagnes de Loess, traversé la rivière Aryl et renversé de multiples forteresses menant à la capitale. Très vite, Siglia n’aura plus que des murs pour la protéger.
« Que devons-nous faire ? »
Le roi Ivan II se retrouva à nouveau dans un conseil difficile avec le Premier ministre Slava et Omari, le ministre de la Défense.
« Nous n’avons pas d’autre choix que de résister à leur siège. Nos greniers ont deux ans de provisions. Nous pouvons les utiliser pour endurer l’assaut et attendre que l’ennemi parte. », déclara Omari, l’expression étant sévère.
« Savons-nous au moins quand leur attaque se terminera ? L’ennemi pourrait encercler Siglia aussi longtemps qu’il le faudra. Ce n’est pas une armée humaine, mais une armée de monstres. On ne peut pas supposer qu’ils battront en retraite pour des raisons économiques. Ils pourraient nous chasser comme des animaux sauvages, en attendant une ouverture. », dit Slava.
« Ne pouvons-nous pas demander de l’aide à nos pays voisins ? Le duché de Frantz ou de Schtraut pourrait nous venir en aide », déclara le roi.
« Nous avons déjà demandé leur aide, mais il faudra quatre mois pour que les renforts du duché de Frantz s’organisent et encore plus pour nous atteindre. Il est peu probable qu’ils arrivent à temps. »
Le Royaume Papal de Frantz avait répondu à l’appel aux armes du Royaume de Maluk, mais il leur faudra des mois pour préparer leur armée, et quelques mois de plus pour atteindre la capitale du Royaume. Dans l’ensemble, les événements avaient pris une tournure désespérée.
« Horrible… C’est absolument horrible ! », hurla le roi Ivan II.
« Il ne reste plus qu’un ordre de chevaliers capable d’invoquer un ange, et ils sont notre dernier atout majeur. Mais une question demeure : où allons-nous engager l’ennemi ? Ils pourraient nous envahir de n’importe quel côté. »
Le roi avait compris que sa capitale était complètement entourée d’insectes et qu’ils pouvaient frapper de n’importe quelle direction.
« Alors… devrions-nous utiliser le Joyau ? Avec sa puissance, nous pourrions retourner la situation en notre faveur. »
« Le Joyau ? Vous savez ce qu’est devenu le premier roi de Maluk quand il l’a utilisé », grogna le roi tout en regardant Omari.
« Oui, Sire, je suis conscient… Mais notre situation actuelle est désastreuse. Nous n’avons pas d’autre choix que de l’utiliser. Si l’utilisation du Joyau sauve des centaines de milliers de vies, alors le sacrifice en vaut la peine. »
« Mmm… C’est vrai, mais est-il vraiment impossible de les repousser avec notre armée ? Les murs ne tiendront-ils pas jusqu’à l’arrivée des renforts du Royaume Papal ? »
« Si vous voulez bien m’excuser, je ne pense pas que ce soit possible. Ces monstres ont franchi tous les obstacles sur leur chemin jusqu’ici. Je doute que les murs puissent les arrêter. »
« Je vois. Alors quand les murs tomberont, je libérerai le pouvoir du Joyau. Je ne peux que prier pour qu’il sauve notre peuple », dit le roi avec détermination.
« Nous respectons votre décision, Sire », dit Omari.
Lui et Slava inclinèrent la tête en signe de révérence.
***
Partie 2
« Alors, faites-moi savoir si la situation change. Je serai dans la salle du trésor. »
Sur ce, le roi Ivan II se leva et quitta le conseil de guerre.
Les autres hommes avaient continué à développer leur stratégie même après le départ du roi. Certains généraux s’étaient joints à eux, essayant de trouver des moyens de garder les murs de Siglia intacts. Ils discutèrent de la distribution des rations et de l’existence éventuelle de couloirs de fuite dans le pire des cas.
Malgré leur diligence dans la planification, les hommes étaient bien conscients que retenir le siège et essayer de s’échapper étaient des choix imprudents. À l’heure actuelle, Maluk n’avait aucun soutien de ses voisins, et sa propre armée avait été fortement réduite.
« Je n’arrive pas à croire que nous ayons eu recours au Joyau. »
Son expression sombre, le roi Ivan II marchait sur le chemin menant au coffre au trésor.
« Père ? Que se passe-t-il ? »
« Oh, bonjour, ma chérie. Je me demandais simplement ce que je devais faire pour le bien de notre royaume. »
« Tu considères toujours le bien-être du Royaume en premier lieu, Père. C’est vraiment admirable », dit Elizabeta tout en regardant son père avec respect dans les yeux.
« Elizabeta, c’est… c’est peut-être la dernière fois que nous parlons. Je vais bientôt partir au combat. »
« Non ! Le Seigneur Stefan est tombé au combat, et maintenant, dois-je aussi te perdre ? Quel que soit ton devoir, quelqu’un d’autre peut sûrement prendre ta place ! Tu es le roi de ce pays, Père ! Tu ne peux pas te mettre en danger ! »
La nouvelle que Stefan, le fiancé d’Elizabeta, était mort dans la bataille de la rivière Aryl avait déjà atteint le château. En l’apprenant, Elizabeta fut frappée par le chagrin, puis elle lutta pour rester optimiste, s’accrochant désespérément à la vie. Mais maintenant, son propre père partait à la guerre. Le risque qu’il meure était élevé, et elle était désespérée à cette idée.
« C’est précisément parce que je suis roi que je dois faire cela. Mais même si je décède, tu dois rester forte, Elizabeta. La princesse de Maluk doit continuer à vivre avec fierté et dignité. Je suis sûr qu’une fois que je serai partie, tu mèneras ce royaume à la prospérité. »
« Père… »
Elizabeta essuya ses larmes.
« Oui, je comprends. Je suis la deuxième princesse du grand royaume de Maluk. Aussi difficile que cela puisse être, je reconstruirai ce royaume une fois que tu nous auras débarrassés de ces horribles monstres. Mais tu dois aussi tenir à ta vie, mon père. »
« Oui, je le ferai. »
Le roi Ivan II avait omis le fait que l’attention et la prudence ne changeraient pas grand-chose à la situation actuelle. Il n’était pas nécessaire de lui dire cela.
« Va te cacher dans un endroit sûr, mon amour. La cave devrait faire l’affaire. Cache-toi là et attends que les monstres partent. »
« Oui, mon père. »
Elizabeta fit un signe de tête et s’enfuit.
« Pardonnez mon interruption, Votre Majesté. Mais est-il vrai que les elfes ont convoqué ces monstres ? J’ai entendu dire que les elfes ont offert des sacrifices pour les faire venir d’un autre monde. Les gens disent que les elfes les contrôlent. », dit l’un des gardes royaux.
« Ce sont des rumeurs stupides et sans fondement. Les elfes n’ont pas un tel pouvoir. S’ils en avaient un, ils l’auraient utilisé bien plus tôt. Pour commencer, il est impossible pour ces hérétiques miteux et longtemps craints de contrôler de tels monstres. Plus important encore, gardez Elizabeta en sécurité. », s’écria Ivan II.
« Oui, Votre Majesté. Je la protégerai de ma vie ! »
Cela dit, d’où viennent ces monstres ? pensa le roi.
Il ne fait aucun doute qu’ils sont apparus dans la forêt elfique, mais pourraient-ils vraiment cacher un tel nombre de monstres parmi les arbres et les broussailles ? Peut-être que ces monstres sont vraiment un produit de la magie noire des elfes. L’Église de la Sainte Lumière ne nie pas l’existence des démons, mais contrairement à nos anges, ces créatures semblent bien plus sinistres et étranges.
« Les elfes doivent être la source de cette catastrophe. Sans eux, rien de tout cela ne serait arrivé. Ces ignobles barbares… »
Si les elfes n’avaient pas existé dans la forêt, le roi n’aurait jamais eu besoin d’y envoyer des forces. Les Chevaliers de Saint-Augustin n’auraient pas été vaincus. Les monstres n’auraient pas jailli de la forêt, comme les guêpes d’un nid de crécelles.
Aux yeux du roi, tout était de la faute des elfes. Ils refusaient de reconnaître le Dieu de la Lumière et se tournaient vers leurs dieux des bois, leur offrant des sacrifices et qui sait quoi encore. Ils étaient la source de tous ces ennuis. Il y crut jusqu’au bout.
Pendant que le roi ruminait les malheurs de sa nation, les ecclésiastiques priaient le Dieu de la Lumière à l’extérieur du château, l’implorant de bannir leurs envahisseurs inattendus. Ils priaient pour que leurs murs soient solides comme de l’acier et éloignent les monstres.
Certains ecclésiastiques avaient affirmé qu’il s’agissait là d’un jugement du Dieu de la Lumière, d’une punition pour la vie cupide et lascive que menait le peuple. Il n’était pas trop tard pour brûler ses biens, disaient-ils, et mener une vie modeste en subsistant avec du pain et de l’eau. Ils marchaient comme s’ils avaient été frappés par la folie, nus jusqu’à la taille, exposant leur corps à l’air froid en prêchant une pauvreté honorable.
Mais quoi qu’ils puissent faire, leurs prières et leur foi étaient dénuées de sens. À l’extérieur des murs de Siglia, 100 000 Essaims Éventreurs se préparaient à attaquer, mettant en place les canons Charognards qui feraient tomber les remparts. Avec un seul ordre, la reine de l’Arachnée pouvait rayer Siglia de la carte.
Et pourtant, le peuple priait. Pour leur propre bien-être. Pour la sécurité de leurs familles. Pour la survie de leurs amis. Pour que leur pays puisse surmonter cela. Pour que l’humanité reste après la catastrophe.
Ceux qui s’accrochaient à la foi s’étaient précipités vers la cathédrale, demandant à l’archevêque de leur préparer une place pour prier. Neuf cercles de prière avaient déjà été organisés ce jour-là, mais les gens suppliaient de prier davantage. Ils chantaient leurs prières à tue-tête, espérant qu’elles atteindraient le ciel. C’était si fort que leurs voix résonnaient à l’extérieur de la ville.
« Ils prient. »
La reine de l’Arachnée était assise sur un point de vue qui dominait Siglia de loin.
« Un geste insignifiant. Aucune prière ne changera ce qui est à venir », déclara Sérignan.
« C’est vrai. Si la prière pouvait arranger les choses, ils n’auraient pas besoin de l’armée. Mais la prière n’améliorera pas la situation. Ils se contentent de se satisfaire eux-mêmes. Ils peuvent chanter leurs mantras jusqu’à ce que leurs gorges s’assèchent, mais personne ne viendra les sauver. »
La reine se leva.
« Sérignan, il est temps d’attaquer. Faites tomber la ville de Siglia. »
« À vos ordres, Votre Majesté. »
À cinq heures précises du matin, l’Arachnée commença sa marche sur Siglia.
☆☆☆**
Nos Canons Charognards annoncèrent le début de la bataille. Ils lançaient des projectiles faits de chair pourrie, qui frappèrent les murs les uns après les autres.
« Ugh, agh… Quelle est cette substance ? »
« Aah ! C’est du gaz toxique ! »
Pour résumer, les Canons Charognards avaient pour effets secondaires d’empoisonner les ennemis environnants et de causer des dommages continuels aux structures voisines. Les murs furent rendus cassants et commencèrent à s’effondrer progressivement. Alors que les projectiles continuaient à tomber, les soldats sur les remparts succombaient au poison, tandis que les murs eux-mêmes s’effondraient et s’émiettaient.
« À vos postes! Nous devons les protéger ! L’ennemi arrive ! »
« Pourquoi n’y a-t-il pas de balistes sur les murs !? C’est la seule chose que nous ayons qui arrête ces insectes ! »
L’esprit brouillé par le poison, les hommes du Royaume aboyaient des ordres mal assortis. Les soldats s’étaient déplacés pour protéger les murs, mais les Canons Charognards les avaient tenus à distance. Peu à peu, les soldats avaient été pris de toux et avaient vomi du sang. Ils s’étaient écroulés un par un.
« Le Canon Charognard est très facile à utiliser », me suis-je dit, en regardant froidement le chaos.
« Il faut un certain temps pour faire tomber les murs, mais il réduit les forces ennemies en attendant. Grâce à cela, nous aurons beaucoup plus de facilité une fois que nous aurons franchi les murs et que nous serons à l’intérieur. »
Tout se passait comme prévu. Les Canons Charognards réduisaient le nombre de soldats ennemis et les murs s’effondraient progressivement. Il y avait même des trébuchets à os supplémentaires qui tiraient aussi, ce qui permettait d’abattre les murs un peu plus rapidement.
« Les murs devraient s’effondrer en une minute. Première formation, préparez-vous à attaquer. Deuxième et troisième formations, préparez-vous à charger après la première. Mettez l’accent sur le mur est. Pendant que vous concentrez l’essentiel de l’attaque sur l’est, envoyez quelques troupes dans d’autres zones pour créer des diversions. Sérignan, tu viens avec moi sur le mur est. »
« Votre Majesté, c’est beaucoup trop dangereux ! La guerre de siège peut être chaotique et féroce ! »
Grâce à mes années d’expérience, je pouvais dire quand un bâtiment était sur le point de s’effondrer, même sans jeter un coup d’œil à sa barre de vie. Cela supposait bien sûr que les structures de ce monde se comportaient comme dans le jeu. Pourtant, le fait de voir à quel point les murs étaient endommagés me donnait une idée générale du moment où ils allaient s’effondrer. Sérignan, cependant, essayait de m’empêcher d’aller sur le champ de bataille.
« J’y vais, Sérignan. C’est ma guerre, et je la mènerai à bien même si je suis inutile au combat. »
Oui, j’ai besoin de tout voir. Le royaume de Maluk est en train de mourir, et je dois surveiller chaque instant jusqu’au dernier.
« Très bien. Je vous protégerai de toutes mes forces, Votre Majesté », dit Sérignan, le poing sur la poitrine, dans un élan d’enthousiasme.
« Merci, Sérignan. Tu es un chevalier si fiable. Maintenant, allons-y. »
Une minute plus tard, les murs est, sud et nord s’effondrèrent d’un seul coup. Des vagues d’Éventreurs se précipitèrent, tandis que des Essaims Fouilleurs sortaient du sol et avalaient les gens vivants. Le chaos explosa autour des murs brisés.
« À l’aide ! Aidez-moi ! »
Tous les malheureux soldats qui restèrent près des murs étaient dévorés par les Essaims. Les insectes déchiraient tout ce qu’ils voyaient, ne laissant que des cadavres sur leur passage.
C’était d’une violence inimaginable et un massacre total.
L’Essaim s’était répandu dans la rue principale et inonda les ruelles. Ils mangèrent les soldats qui se cachaient entre les bâtiments et déchiquetaient les civils qui s’abritaient dans leurs maisons. Les sens aiguisés de l’Essaim repéraient les gens qui se cachaient dans leurs caves, qui avaient été rapidement déchiquetés par leurs crocs et leurs faux. Ils n’avaient nulle part où s’enfuir.
Aucune pitié. Pas de pardon. Pas de pitié.
« Maman, les monstres sont là ? »
« Nous serons en sécurité tant que nous serons ici, alors chut. Restez tranquille, d’accord ? »
Ludmila et ses fils se cachaient dans une cave. Alors qu’ils se chuchotaient, le sinistre sabordage des Essaims Éventreurs rampant au-dessus et autour d’eux atteignit leurs oreilles. Ses enfants frissonnaient de peur.
Le père des garçons faisait partie de la garnison orientale et n’était jamais revenu. Ludmila les embrassa, et tous retenaient leur souffle. Les Essaims continuèrent à les contourner, et le bruit fit accélérer leur pouls.
« S’il vous plaît… Partez… »
Ludmila pria le Dieu de la Lumière, les esprits de ses grands-parents, tous ceux qui pouvaient entendre son appel.
Mais la réalité était indifférente à son sort.
Dans un violent élan d’ironie, les Essaims Éventreurs arrachèrent la porte, la percèrent avec leurs faux et découvrirent Ludmila et ses enfants.
« Aaaaahhh ! »
« Maman… ! MAMAN ! »
Ludmila et ses enfants avaient été déchirés, leurs boyaux éclaboussant toute la cave. Ce n’était qu’une fois leurs membres coupés et leur crâne enfoncé que leurs corps tombèrent par terre. Ludmila, tout comme son mari, était devenue de la nourriture pour l’Essaim.
***
Partie 3
Les Essaims Éventreurs pouvaient capter toutes les odeurs dans une maison, même celles de la cave et du grenier. Personne ne pouvait échapper à leurs griffes. Peu importe où l’on se cachait, l’Essaim les trouvait, prêt à délivrer une mort impartiale et absolue.
« Je dois admettre que c’est assez terrible », dis-je doucement, debout devant la maison.
« Les humains ne méritent aucune pitié, Votre Majesté. Surtout pas nos ennemis. »
« Je suis d’accord. La pitié n’aidera personne ici. Nous ne croyons qu’en la violence. Charmant, n’est-ce pas ? Allons, continuons à avancer. Cela n’aurait pas pu se terminer autrement. »
J’avais laissé la maison de Ludmila derrière moi et je commençais à marcher sur la route de l’Est.
Je vais peut-être démolir leur château et me faire couronner ? En voilà une idée.
☆☆☆**
Sérignan et moi nous étions installés plus loin dans la ville, entourés par un océan d’Essaims Éventreurs. Malgré la densité de la foule, aucun des Essaims Éventreurs ne m’avait touchée. Ils avaient prudemment évité de se mettre sur mon chemin alors que je marchais. Je savais qu’ils pouvaient m’assommer assez facilement s’ils ne faisaient pas attention, j’avais donc apprécié leur considération.
« Les forces défensives de l’ennemi sont réparties entre le nord et le sud. Je pense que nous devons passer par le centre pour pouvoir les flanquer tous les deux. Si nous faisons cela, l’ennemi sera mis en déroute en un rien de temps. Il nous suffira alors de forcer l’entrée du château, où nous tuerons le roi et tous les autres personnages clés à l’intérieur. »
Et alors, le royaume de Maluk sera complètement effacé de la face de ce monde.
« Arrêtez, au nom du Dieu de la Lumière ! »
Alors que j’imaginais les conséquences, nous avions rencontré un groupe de troupes ennemies. Je pensais que nous avions nettoyé la plupart d’entre eux lors de l’attaque initiale, mais apparemment certains d’entre eux avaient été positionnés loin des murs.
« Vous ne nous arrêterez pas ici. Nous continuerons à marcher jusqu’à ce que chacun d’entre vous soit mort. »
« N’es-tu pas une humaine toi aussi ? ! »
En me voyant au milieu de la grande grappe d’Essaims, le chef apparent du groupe m’avait regardée d’un air soupçonneux. Il devait se demander pourquoi une jeune fille humaine travaillait aux côtés de ces ennemis de l’humanité.
« Humaine ? Pas moi. Je ne suis qu’un monstre, avec un cœur monstrueux… J’ai mis mon humanité de côté il y a longtemps. On pourrait même dire que je suis le pire ennemi de l’humanité. Je suis celle que vous devez vaincre si vous voulez gagner, notre invasion ne s’arrêtera pas tant que vous ne l’aurez pas fait. Non… Même si vous me tuez, notre conquête continuera. Nos corps trembleront sans cesse avec la faim de dévorer votre monde. Montez à bord de vos navires et essayez de partir si vous voulez, nous vous traquerons toujours et nous vous achèverons jusqu’au dernier. »
C’est vrai, je n’étais plus humaine. J’étais la reine de l’Arachnée, le fléau qui frappait l’humanité. Ma conscience avait été entraînée dans les profondeurs rampantes de l’Essaim collectif, alors que la dernière lumière de mon humanité commençait à disparaître.
Curieusement, l’inverse se produisait également. La conscience de l’Essaim se mêlait à la mienne, si bien qu’ils pensaient maintenant à autre chose qu’à envahir et à se multiplier. Si cela n’avait pas été le cas, ils auraient attaqué sans discernement les elfes dont j’avais tant pitié.
« Je vois. Donc tu es la meneuse. Alors tout ce que nous avons à faire, c’est de te faire tomber ! Serviteur du Dieu de la Lumière qui réside dans les cieux, je te supplie de descendre devant nous, Haristel le Grand ! »
Alors que le commandant terminait son chant, la lumière s’était répandue du ciel. Un énorme chien était sorti du faisceau lumineux. Il était trois à quatre fois plus gros qu’un Essaim Éventreur. Il était certainement assez gros pour m’avaler tout entier.
« Fils de l’homme. Une énorme crise vous est-elle tombée dessus ? »
La voix de l’énorme chien était solennelle et régulière.
« Oui, Haristel. Ces bêtes maléfiques sont venues détruire notre royaume. Prêtez-nous votre force, je vous en prie ! » implorait l’homme qui était capitaine des Chevaliers de Saint-Erzébet.
« Alors, dès que des problèmes surgissent, vous vous rabattez sur vos anges, hein ? Vous n’avez donc rien d’autre comme tour dans votre sac. »
« Continue de parler, idiote. Vous, les barbares qui rejetez le Dieu de la Lumière, ne méritez rien de plus que d’être frappés par notre ange ! Allez-vous-en, vilains ! »
« Eh bien, bon sang. Nous traiter de blasphémateurs barbares n’est vraiment pas nécessaire, n’est-ce pas ? Il n’est pas nécessaire de tâtonner pour trouver des raisons, nous sommes des barbares jusqu’au bout des ongles. Des sauvages de bonne foi, du genre à tuer et à piller et tout ça. Que nous adorions votre dieu ou non n’a aucune importance. Ce qui compte, c’est que notre instinct nous pousse à voler, à tuer et à nous multiplier. »
Je ne savais rien de ce Dieu de la Lumière, mais de toute façon je ne voudrais probablement pas l’adorer.
« Prépare-toi, infidèle. Se moquer de notre Dieu est un grave péché. »
« Oh, nous serons aussi dérisoires que nous le voulons. Non pas que je connaisse assez ce Dieu de la Lumière pour parler de lui. Mais il me semble que vous adorez quelqu’un qui prend son pied en punissant les faibles et en appelant cela de la justice. Pathétique. »
« La pénitence pour ton péché est la mort, infâme. »
« Fais-le, Sérignan », dis-je alors qu’Haristel se préparait à bondir.
« Laissez-moi faire, Votre Majesté. »
Sérignan s’était avancée. Avec son épée sainte corrompue à la main, elle se tenait debout devant Haristel.
« Prépare-toi ! »
« Haaah ! »
Alors qu’Haristel bondissait sur elle, Sérignan tira un fil de sa queue et s’en servit pour se propulser au-dessus des toits. Haristel, dans sa course-poursuite, escalada un bâtiment, sautant immédiatement sur le toit en enfonçant ses crocs dans le mur.
« Ne fuis pas, vilain monstre ! »
« Continue d’aboyer, cabot. Je n’ai fait que bouger pour éviter d’impliquer Sa Majesté dans cette bataille. »
Sérignan souriait.
« Tes griffes ne sont-elles là que pour faire joli ? Si ce n’est pas le cas, prouve-le. En retour, je prouverai ma valeur en te tuant ! »
Sérignan tourna son épée dans la direction d’Haristel.
« Imbécile ! Un simple insecte ne peut pas espérer triompher d’un ange ! »
« Oh ? Mais j’en ai déjà tué deux de ton espèce ! »
Haristel se précipita et Sérignan courut à sa rencontre. Les crocs du chien se heurtèrent à la lame noire du chevalier.
« Ngh ! »
Sérignan tressaillit lorsque les crocs d’Haristel lui firent une entaille à la joue droite.
« Cela ne sera pas suffisant pour m’arrêter ! »
Sérignan planta alors son épée dans le flanc d’Haristel.
« Sois maudite ! C’est une épée sainte corrompue ! »
Ce n’était qu’alors qu’Haristel réalisa qu’il était confronté à la lame d’un paladin tombé en disgrâce — une épée sainte corrompue, optimale pour tuer un ange.
Tu en as mis du temps, pensai-je sèchement.
« Prépare-toi, cabot, car je vais te couper la tête ! »
« Ne me regarde pas de haut, insecte ! »
Le combat entre Sérignan et Haristel s’intensifia.
« Ungh ! Je savais bien qu’un animal comme toi mettrait… tant de poids dans ces coups ! »
« Est-ce là l’étendue de ton pouvoir, insecte ? ! »
Haristel attaqua Sérignan avec ses crocs et ses griffes avec une vitesse effrayante, de sorte que le chevalier ne pouvait répondre qu’avec des blocages désespérés. Les attaques du chien de chasse étant à la fois lourdes et rapides, Sérignan était progressivement repoussée.
« Vise les yeux, Sérignan ! Enlève-lui sa vue et son odorat, et tu pourras t’occuper du reste à partir de là. », lui criais-je d’en bas.
« Compris, Votre Majesté ! »
Sérignan para l’attaque suivante et visa le visage de Haristel comme je l’avais ordonnée. Elle s’était attaquée aux yeux et au nez, encore et encore, dans un élan persistant de frappes. En l’observant, j’avais senti qu’elle était encore plus bestiale que le chien contre lequel elle se battait.
« Je compte sur toi. Tu es la seule personne en qui je peux avoir confiance pour aller jusqu’au bout », lui avais-je dit.
« Oui, Votre Majesté ! Laissez-moi faire ! »
J’avais inondé la conscience collective de ma foi en ses capacités… et le combat commença à pencher en faveur de Sérignan. Mon chevalier reprit pied comme s’il récoltait les fruits d’un sort.
« Haaaaah ! »
« Guh ! Maudite sois-tu ! »
Haristel n’avait probablement pas compris ce qui se passait. Pourquoi Sérignan, qui était au bord de la défaite il y a un instant, prenait-elle soudainement l’avantage ? Pourquoi était-elle pleine de combativité, capable de contrer ses coups avec une vigueur renouvelée ? Qu’est-ce qui l’avait poussée à se battre si désespérément ?
La réponse était simple : Sérignan était un chevalier, mon épée et mon bouclier. Tant que j’avais confiance en elle, elle répondrait toujours à ma conviction. Cette relation était quelque chose qu’Haristel ne pouvait tout simplement pas comprendre.
Déviant chacune de ces attaques, Sérignan passa à l’offensive. Elle se glissa entre ses coups et ses claquements et s’attaqua puissamment à la bête sacrée.
« GaAAaAah ! »
L’épée corrompue transperça l’œil droit d’Haristel. Celui-ci tituba, puis se retira sur un autre toit, endolori.
« Malédiction, malédiction, mille malédictions sur toi ! Comment oses-tu ! »
Haristel hurlait en saignant, son dernier œil fixant Sérignan avec plus de férocité qu’auparavant.
« Sérignan, fais attention quand tu achèves un animal blessé. Il s’accroche d’autant plus à la vie qu’il est aux portes de la mort. »
« Oui, Votre Majesté ! »
Sérignan méritait des éloges pour être arrivée jusqu’ici, mais elle ne pouvait pas se permettre d’être négligente. Les animaux avaient un instinct de survie très développé, et ils étaient censés être les plus dangereux lorsqu’ils étaient acculés.
Bien sûr, cela n’aurait peut-être pas été le cas pour un ange. Mais pour les bêtes, la pulsion instinctive de survie inondait leur corps d’adrénaline, accélérait leurs battements de cœur et les poussait à s’accrocher à la vie de toutes leurs forces. Quoi qu’il en coûte, ils devaient vivre, même s’il fallait pour cela se battre avec des crocs ou des griffes ou tout autre moyen d’empêcher leur mort prématurée. Il en était sûrement de même pour cette bête se faisant passer pour un ange.
« Les méchants ne méritent aucune pitié ! Je vais te déchirer membre par membre ! »
En effet, les mouvements de Haristel étaient beaucoup plus rapides maintenant qu’il était en danger. Sérignan sera-t-elle capable de le vaincre ?
« Le seul qui sera déchiré ici, c’est toi, cabot ! »
Oui, elle le pourrait. Et elle le fit.
« Aaaagh... »
Sérignan se glissa dans l’angle mort de Haristel — son œil droit écrasé — et frappa de son épée l’épais cou de la bête, la transperçant de part en part. Son cou n’étant attaché que par un mince lambeau de chair, Haristel glissa du bâtiment et tomba sur le sol. Et comme ses prédécesseurs, il s’était dissous en particules de lumière et disparu.
« Ce n’est pas possible ! Haristel le Grand… a été vaincu !? »
« Non ! Pas notre ange ! »
***
Partie 4
Apparemment, les chevaliers avaient fondé de grandes espérances dans leur chien. Après tout, c’était l’ange gardien des chevaliers qui protégeait la capitale. Avec leur ange vaincu, ils ne pouvaient plus rien faire. Ils avaient perdu tout espoir.
« Tuez, tuez, tuez-les tous. Abattez-les, et quand ils tomberont, coupez-les en tranches et faites des boulettes de viande ! », avais-je chanté, comme dans une chanson.
« Que tous saluent la reine. »
Les Essaims étaient entrés en même temps.
« Au secours ! Au secours ! »
« Battez-vous ! S’ils nous franchissent, tout le monde dans la ville mourra ! »
Certains chevaliers avaient fui dans la peur, tandis que d’autres avaient résisté à la terreur de la mort avec leurs armes prêtes à l’emploi. Alors même que les Essaims Éventreurs leur arrachaient les membres, leur écrasaient la tête et les déchiraient dans leurs entrailles, ils s’étaient courageusement défendus. Ils les avaient tailladés avec leurs lames, sachant que cela ne servirait à rien.
Et en effet, tout cela fut vain.
« C’est fini. »
Tout ce qui restait des Chevaliers de Saint-Erzébet était un tas de restes épouvantable. Ils n’avaient réussi à abattre que deux ou trois Essaims Éventreurs.
« Allons-nous continuer, Votre Majesté ? » me demanda l’un des Essaims Éventreurs par l’intermédiaire du collectif.
« Bien sûr. En avant. Aujourd’hui, nous revêtons Siglia d’une couche de mort. Gloire à l’Arachnée. »
« Marchez, marchez pour Sa Majesté. »
« Marchez, marchez pour Sa Majesté. »
Comme je le pensais, les Essaims Éventreurs avaient tout envahi.
☆☆☆**
Infraction, violation et rapt, c’était notre façon de faire.
L’Éventreur et moi avions piétiné tous ceux qui se trouvaient sur notre chemin. Une fois arrivés au centre de la capitale, nous avions envahi une cathédrale pleine de citoyens terrifiés et les avions tous tués. Chacun d’entre eux était devenu un ingrédient de nos boulettes de viande. Parmi les victimes, il y avait des femmes enceintes et des enfants en pleurs, mais mes Essaims les avaient quand même tous massacrés.
C’est bien, avais-je pensé. Tout cela est nécessaire.
Notre ennemi devait être anéanti pour assurer notre victoire. J’agissais simplement en accord avec les règles du jeu, et il n’y avait rien de mal à cela. Le jeu aurait peut-être été un peu plus réaliste maintenant, mais les règles étaient restées les mêmes : anéantir jusqu’au dernier ennemi afin de gagner. Si j’avais décidé d’épargner ne serait-ce qu’un enfant, il était possible qu’il me poursuive pour se venger de nombreuses années plus tard.
« En avant, mes Essaims. Tuez tous ceux que vous trouverez. »
Dès que les Essaims Éventreurs s’étaient faufilés derrière les troupes du nord et du sud, le sort des soldats avait été scellé. Les éliminer fut un jeu d’enfant. Les essaims les prirent au piège dans une attaque en tenaille et s’en débarrassèrent ensuite avec habileté.
Les balistes et l’infanterie lourde représentaient une certaine menace, mais ces derniers étaient peu nombreux. Seuls deux ou trois Essaims Éventreurs furent perdus dans la bataille. Les Essaims Éventreurs avaient maintenant appris à combattre ces soldats, ce qui leur permettait de les achever avec moins de pertes.
Tous saluèrent la conscience collective, je suppose.
Il suffisait qu’un seul Essaim étudie le style de combat de l’ennemi, et cette connaissance circulait instantanément parmi les autres. Maintenant que les Essaims Éventreurs adoptaient de nouvelles méthodes pour faire face à ces adversaires, ils n’étaient pas de taille face à nous.
Ainsi, nous avions mis fin aux troupes du nord et du sud de Maluk — sans merci, sans pitié, ni même avec une once de sympathie. Avec leur mort, la ville de Siglia était à nous. Il ne restait plus que le château. Une fois que nous aurions fait tomber le roi, le royaume de Maluk sera complètement éradiqué.
« Cependant, il semblerait que la capture du château ne sera pas facile. »
Le château de Siglia avait été construit au sommet d’une falaise s’étendant comme une aile de la ville. Cette structure avait été conçue de telle sorte que même si la ville elle-même tombait, le château resterait debout. C’était une forteresse réservée aux seuls détenteurs du pouvoir.
« Comment allons-nous le conquérir ? Il semblerait que les nobles se soient barricadés à l’intérieur du château. », demanda Sérignan.
« Nous y allons à l’ancienne. Au moins, il n’y a plus de murs à abattre. Préparez-vous, Essaims Éventreurs, nous allons prendre d’assaut le château. »
J’avais donné mes ordres par le biais de la conscience collective. D’innombrables Essaims Éventreurs se tenaient sur le chemin qui menait au château.
« En avant ! À l’attaque, à l’attaque, à l’attaque ! Piétinez tout ce qui se trouve sur votre chemin. »
Avec cela, mon armée d’Éventreurs chargea le château ennemi. Bientôt, nous recueillerions les têtes du roi, de la princesse et des nobles. Ces racailles de haute naissance seraient toutes réduites en boulettes de viande.
Mais, étonnamment, quelqu’un s’était vite mis en travers de notre chemin.
☆☆☆**
« Votre Majesté, nos murs sont tombés. »
« Les portes de l’est, du nord et du sud ont été détruites. Siglia est maintenant sous le contrôle des monstres. »
Le roi avait peu de temps pour digérer les sombres rapports. Tout contact avec les portes avait été perdu, et leur grande capitale était devenue un repaire de monstres. De plus, tous leurs soldats étaient tombés, ce qui signifiait qu’il n’y avait plus de boucliers pour les protéger.
« Votre Majesté, l’ennemi va également venir s’emparer de ce château. Nous avons fermé les portes, mais je ne doute pas qu’ils les forceront à s’ouvrir et à percer », dit Slava, l’air sinistre.
« Nous n’avons plus beaucoup de temps. Vous devez prendre une décision, Seigneur. Allez-vous utiliser le Joyau ? Ou bien allez-vous céder et nous livrer à l’abattage ? », ajouta Omari.
Le roi Ivan II se leva et regarda ceux dans la pièce. Ce ne fut qu’après avoir confirmé l’absence d’Elizabeta qu’il fixa son regard sur les hommes qui se trouvaient devant lui. Le premier prince était mort pendant le conflit dans les montagnes de Lœss, tandis que le second était tombé à la rivière Aryl. La première princesse était depuis longtemps mariée au duché de Schtraut, ce qui ne laissait qu’Elizabeta, qui n’avait pas sa place au conseil de guerre.
« Je vais le faire. Je vais utiliser le Joyau et repousser ces monstres. », déclara le roi, la voix pleine de détermination.
« Êtes-vous sûr, Votre Majesté ? Une fois que vous l’aurez utilisé, il n’y aura pas de retour en arrière. », demanda doucement l’un de ses généraux.
« Nous n’avons pas le choix, étant donné la situation. Y a-t-il un autre moyen de sauver Siglia, de sauver ce château ? Nos soldats, nos chevaliers… ils sont tous morts. Le Joyau est notre seul espoir. »
En effet, ils n’avaient pas d’autre moyen. Il ne restait qu’un millier d’hommes dans le château, tous les autres avaient été tués. Les dizaines de milliers de soldats et l’ordre des chevaliers avaient été vaincus par cette horde d’insectes.
Dans l’état actuel des choses, comment pourraient-ils sauver Siglia, réduite à un tas de cadavres escaladés par des monstres ?
« Le Joyau est déjà préparé. »
Le roi brandit une pierre précieuse de couleur ambre, de la taille de son poing.
« Une fois que j’aurais passé la porte d’entrée, fermez-la immédiatement derrière moi. Comme nous le savons tous, ceux qui utilisent le Joyau perdent le sens de la raison. »
« Selon vos désirs, Votre Majesté. »
« Je respecte beaucoup votre décision, Seigneur. »
Omari offrit à son monarque un profond salut.
« Faites d’Elizabeta la reine après mon décès. Compris ? »
« Compris, Votre Majesté. Son Altesse Elizabeta sera la prochaine reine de Maluk. »
Les généraux présents dans la pièce le regardaient avec des yeux solennels.
« Maintenant, je dois partir. Si ces monstres ont un cœur, je vais sûrement tous les effrayer. »
Ivan II se dirigea vers l’entrée du château.
« Je leur montrerai que le royaume de Maluk ne sera pas détruit si facilement. Attendez, monstres… »
☆☆☆**
Je regardais les portes du château s’ouvrir.
« Sont-ils en train de penser à la reddition ? » avais-je demandé. Il n’y avait pas de forces ennemies en vue.
« Vous n’accepterez pas leur reddition, n’est-ce pas, Votre Majesté ? »
« Bien sûr que non, Sérignan. Pas après avoir fait tout ce chemin. Le règlement ne le permet pas. »
D’après ce que j’avais compris, le jeu ne permettait pas la reddition ni les pactes de paix. Soit vous vous battiez jusqu’à ce que vous détruisiez l’ennemi, soit vous perdiez au milieu de la partie, auquel cas votre faction serait anéantie. Dans ce monde, qui ne permettait pas la déchéance, je n’avais absolument pas l’intention d’accepter la reddition.
Les laisser en vie à ce stade leur donnerait la possibilité de me mordre plus tard. C’était pourquoi je m’en étais tenue à tuer tout le monde jusqu’à présent. J’avais assassiné le tailleur, que je connaissais. J’avais tué des femmes, des enfants et des personnes âgées. Rien n’était plus sacré. Tout ce que j’avais, c’était une soif de victoire. Je ne pouvais pas dire si cela venait de moi ou de l’Essaim, mais je ne pouvais pas nier cette faim.
« Sérignan, fais attention. L’ennemi pourrait avoir une sorte d’atout caché dans sa manche. »
« Compris, Votre Majesté. »
Si ce n’était pas une reddition, alors l’ennemi envoyait quelque chose de l’intérieur du château. Je n’avais aucune idée de ce que cela pouvait être, mais il s’agissait probablement d’une menace considérable.
« Votre Majesté, faites attention ! Quelque chose de dangereux arrive ! »
Une rangée d’Essaims Éventreurs s’était alignée devant moi, formant un mur vivant. Je leur étais reconnaissante de m’avoir protégée.
« Montrez-vous ! » Sérignan appela notre ennemi inconnu, s’approchant de la porte avec son épée tirée.
« Vous êtes donc les envahisseurs… Ceux qui ont pénétré et violé notre royaume. »
Celui qui était apparu devant Sérignan était un homme âgé. À en juger par ses vêtements, il était de haute noblesse, voire de la royauté. Peu importe qui il était, on ne se donnera pas la peine de le laisser vivre.
« Oui, c’est nous. Vous avez attaqué le village des elfes, et vous avez tué l’un de mes amis. En représailles, et pour nourrir notre désir de souiller le monde de nos ténèbres, nous avons envahi votre pays jusqu’au bout, massacrant tous ceux qui se sont mis en travers de notre chemin. », disais-je.
« C’est tout… ? Est-ce la raison pour laquelle vous avez massacré des milliers de nos gens, souillé notre terre sainte, et êtes venus détruire notre château ? »
« C’est ça. Tout cela est né de nos instincts et de notre besoin de vengeance. Nous n’avons pas besoin d’autres raisons. »
Nous étions l’Arachnée, une faction d’insectes malfaisante. Nous tuions, nous nous multiplions, nous nous expandions. Ces pulsions étaient ancrées dans la conscience collective. Elles me poussaient à l’action, tout comme ma promesse personnelle de mener l’Essaim à la victoire.
« Vous, créatures viles, êtes une insulte au Dieu de la Lumière. Vous n’étiez pas censés naître dans ce monde. Vous n’auriez jamais dû exister. Votre présence ici a conduit d’innombrables personnes au désespoir… Vous n’êtes que des signes avant-coureurs de la ruine et du malheur. »
« Appelez-nous comme vous voulez. Nous continuerons à obéir à nos instincts. Si nous sommes attaqués, nous riposterons, de manière approfondie et avec une soif de sang inébranlable. Nous tuons et nous nous multiplions, c’est ce qui fait de nous l’Arachnée. Je suis fière d’être aux commandes. »
La riposte à une attaque était naturelle, tout comme le fait de se battre après avoir été provoqué. Je ne faisais qu’énoncer une évidence. Si l’Essaim agissait uniquement en fonction de sa nature, il n’aurait pas besoin de raisons pour justifier son attaque contre le monde.
« Continuez à jacasser avec vos bêtises. Je vais vous achever ici même… par le pouvoir de notre Joyau de l’Évolution ! »
Comme si les paroles de l’homme avaient déclenché une grande pierre d’ambre dans sa main, elle s’était mise à briller. En quelques instants, ses muscles avaient rapidement gonflé de plusieurs dizaines de fois leur taille normale. De gros poils noirs sortaient de ses pores et recouvraient son corps de la tête aux pieds.
J’avais d’abord été surprise par cette transformation, mais j’étais rapidement revenue à la raison et je m’étais concentrée sur ce qu’il fallait faire, c’est-à-dire éliminer l’obstacle qui se dressait devant nous.
« Sérignan, garde ce truc coincé ! Essaims Éventreurs, couvrez-la ! Allez ! »
« Oui, Votre Majesté ! »
Sérignan s’avança pour maîtriser l’homme qui attaquait tout autour de lui dans une rage folle. Des Essaims Éventreurs s’étaient jetés sur lui des deux côtés. J’avais supposé que tant que nous l’attaquions de trois directions, même si c’était un monstre inconnu, il n’aurait pas pu tous les repousser. Cependant…
« RaaAaAAAagh ! »
L’homme berserk rugit et balaya les Essaims Éventreurs qui s’approchaient. Leurs faux s’étaient logés dans son bras et leurs crocs coupèrent sa chair, mais il continua à riposter comme s’il ne sentait rien de tout cela.
Mes Essaims Éventreurs, qui jusqu’à présent n’avaient été vaincus que par des claymores, des hallebardes ou des balistes, étaient en train de se faire détruire. Leurs membres étaient arrachés, leurs crocs cassés, et certains d’entre eux étaient même déchirés en deux. Ils tombaient sur le sol en masse.
« C’est juste… Comment allons-nous gérer ça !? »
Sérignan ne savait pas comment s’y prendre avec le berserker qui était devant nous, esquivant ses poings frénétiques alors qu’elle se creusait la tête pour trouver une solution. Les anges avaient été puissants, mais cet homme était encore plus dangereux.
***
Partie 5
« Sérignan, que les Essaims Éventreurs attaquent en groupes coordonnés. Dès qu’il sera concentré sur les Essaims Éventreurs, rapproche-toi de lui et frappe avec ton épée. Il a peut-être grandi, mais il n’a toujours que deux bras. Si des vagues d’Éventreurs l’attaquent des deux côtés pour occuper ses bras, cela devrait te donner une ouverture. »
Je savais que mes instructions étaient un peu difficiles. Même si l’ennemi était occupé, cela ne garantissait pas nécessairement une ouverture que Sérignan pouvait exploiter.
« Je vais le faire ! »
Des Essaims Éventreurs s’étaient jetés sur lui en groupes, lui bloquant ses bras. Au même moment, Sérignan le chargea de face, en brandissant son épée sainte corrompue.
Cependant, son attaque n’avait pas porté ses fruits.
« Ugh... ! »
Il donna un coup de pied dans l’estomac de Sérignan, l’envoyant voler sur le côté. Sérignan s’était efforcée de corriger sa posture avant qu’elle ne puisse à nouveau tenir tête à notre ennemi. La regarder était douloureux.
« Sérignan, ça va ? ! »
J’avais pleuré.
« Ne vous inquiétez pas, Votre Majesté ! Je peux encore me battre ! »
Sérignan s’était jetée sur lui une seconde fois, mais elle avait été repoussée une fois de plus. J’avais essayé d’utiliser les cordes des Essaims pour lier l’homme et l’empêcher de bouger, mais il les avait arrachées facilement. Cela n’avait servi à rien.
Il doit y avoir un moyen de gagner. Une méthode qui donnera à Sérignan une chance de réussir ses attaques. Quelque chose que je peux utiliser en plus des essaims d’éventreurs. Comment allons-nous battre cet homme ? Y a-t-il encore une carte dans ma main que je n’ai pas utilisée ? Quelque chose qui sauvera Sérignan ?
Puis j’avais compris.
« Oh, c’est vrai. J’ai encore une chose à faire ! Sérignan ! Prépare-toi à attaquer à nouveau dans cinq secondes ! Essaims Éventreurs, vous attaquez en même temps ! »
« Compris ! »
J’avais joué la carte qui me permettrait de sortir de cette impasse.
« Essaims Fouilleurs ! »
Une fraction de seconde plus tard, les Essaims Fouilleurs jaillirent du sol. Ils saisirent les jambes de l’homme avec leurs crocs aiguisés, le rendant immobile.
C’est vrai, les Essaims Fouilleurs. Je les ai amenés à cette bataille. Il ne peut pas bouger, et les Essaims Éventreurs l’attaquent par-derrière. C’est notre chance de frapper.
« Haaaah ! »
Sérignan s’était élancée en avant et avait frappé de son épée sur la tête de l’homme avec toute sa puissance. La lame lui trancha la nuque, lui coupant la tête et répandant du sang frais dans l’air. Le corps de l’homme se convulsa, il semblait qu’il allait tomber à terre…
Sauf qu’il ne l’avait pas fait.
Même sans sa tête, l’homme repoussa les attaques des Essaims Éventreurs et il saisit Sérignan entre ses deux bras géants. Elle se tordait et essayait de le secouer, mais sa prise était comme du fer.
« Éventreur, pique-lui les bras ! » avais-je ordonné. Nous devions sauver Sérignan.
L’Éventreur s’était approché et avait injecté son venin paralysant dans la chair de l’homme. Sa prise sur Sérignan s’était relâchée, et Sérignan avait été libérée.
« Gah... Urk ! »
Sérignan toussa et se mit debout en titubant.
Elle souffrait, mais elle devait encore se battre.
« Sérignan, achève-le ! »
« Oui, Votre Majesté ! »
Malgré les dégâts qu’elle avait subis, ses mouvements étaient rapides. Elle visa et enfonça son épée dans le cœur de l’ennemi. Cette fois, l’homme tomba à genoux et s’effondra, puis retourna à sa taille d’origine. Nous avions finalement été victorieux.
« Sérignan, ça va ? »
Je m’étais précipitée à ses côtés.
« Oui, je vais bien, Votre Majesté. »
Elle avait l’air au bord des larmes.
« Je m’excuse de vous avoir inquiétée. »
« Oh, ne pleure pas. Tu as gagné. Tu es un merveilleux chevalier, et ton talent est inégalé. Tu as gagné cette bataille pour moi. »
« Pardonnez-moi… Penser que je vous ai causé de la détresse me fait sentir complètement misérable. »
Avec cela, notre bataille pour le château s’était terminée. Il ne restait plus qu’à achever les gens qui se réfugiaient à l’intérieur. Ils nous avaient causé tant de problèmes que nous devions les rembourser en nature.
☆☆☆**
Alors que les Essaims Travailleurs emportaient le corps de l’homme, j’avais ramassé la gemme d’ambre qu’il avait laissée derrière lui.
« Qu’est-ce que c’est ? » avais-je demandé en la regardant.
« Je ne sais pas, mais cela semble dangereux », dit Sérignan avec prudence.
J’ai l’impression d’avoir déjà vu cette chose quelque part.
Je ne pouvais pas me rappeler ni quand ni où, mais je m’en étais à tous les coups souvenue. Mon souvenir était flou et juste hors de portée.
« Bon, peu importe. On peut juste le demander aux gens du château. »
Je l’avais ramassée au moment où les Essaims Éventreurs forçaient la porte.
« Ils sont là ! L’ennemi s’introduit dans le château ! »
« Quoi ? ! Mais Sa Majesté a entrepris de les vaincre ! »
Les soldats à l’intérieur du château avaient complètement perdu leur combativité.
Lâches.
« Sérignan, Essaims Éventreurs et Essaims Fouilleurs… Balayez le château. Oh, et encore un ordre : trouvez plusieurs personnes de haut rang social, et amenez-les-moi vivants. »
« Comme vous le souhaitez, Votre Majesté. »
« Mais tuez tous les autres. Il est inutile de les laisser en vie. »
J’avais besoin de quelqu’un qui connaisse cet étrange joyau. Des soldats normaux n’auraient aucune valeur pour cela. Ils n’étaient bons qu’à une chose, et c’était de devenir des boulettes de viande.
L’Essaim s’était déplacé selon mes ordres, mettant en pièces les soldats, les serviteurs et les chambellans. Chaque pièce du château était tachée des couleurs de l’abattage. Le sang s’accumulait sur les sols, les restes en lambeaux des morts flottaient à la surface. La puanteur de la mort et des viscères pendait lourdement dans l’air.
« À l’aide ! Sauvez-moi ! S’il vous plaît, ne me tuez pas ! »
Les cris d’une femme de chambre résonnaient dans les salles en pierre.
Naturellement, les Essaims Éventreurs ne tardèrent pas à la rattraper, ils la poignardèrent à l’arrière de la tête et lui déchirèrent le ventre. Un soldat qui s’était échappé et qui avait été capturé par les Essaims Éventreurs fut décapité et entaillé à plusieurs reprises.
« Les choses vont-elles bien ? » me suis-je demandé à voix haute.
Le château était étonnamment grand, mais j’avais déployé d’innombrables Essaims Éventreurs à l’intérieur. Ils avaient fouillé les caves, les chambres d’hôtes et le bureau du roi, flairant les survivants comme des chiens de chasse tenaces. Les soldats avaient été éliminés, les serviteurs du château tués. Des montagnes de cadavres s’empilèrent dans le bâtiment, et seuls quelques rares survivants survécurent.
Oui, il y eut des survivants, comme je l’avais demandé. Mes Essaims Éventreurs les avaient rassemblés, les avaient attachés avec des ficelles et les avaient traînés devant moi. C’était tous des gens de haut niveau social, vêtus de vêtements coûteux. Au total, ils étaient une vingtaine, hommes et femmes.
« Alors, qui est le plus haut noble parmi vous ? »
En entendant ma question, tous les regards s’étaient tournés vers une seule fille, puis s’étaient détournés en toute hâte.
Idiots.
« Toi, là, ma fille. Sais-tu ce que c’est ? »
J’avais présenté le bijou devant elle.
Elle fit un petit signe de tête terrifié.
« Dis-moi ce que c’est. »
« C’est le joyau de l’évolution. C’est un trésor royal. On dit que le Dieu de la Lumière l’a donné à l’humanité pour nous accorder un grand pouvoir. Quiconque reçoit du pouvoir du Joyau le garde jusqu’à sa mort. Attendez… »
Soudainement, elle eut l’air horrifiée.
« Non… Père aurait-il pu l’utiliser ? ! »
Oh, c’était donc le roi. Je m’en doutais bien. Mais entendre qu’il m’accordait un pouvoir me semblait étrange. Le roi n’avait pas l’air d’être d’un haut rang, mais plutôt d’être devenu fou. Bien sûr, il était plus fort, mais cela faisait de lui un monstre déchaîné.
Puis j’avais compris.
Le soi-disant Joyau de l’évolution était à l’origine un objet que la faction du bien Marianne pouvait produire, appelé « La Larme de Dieu ». Elle accordait une protection divine à toutes les unités qui la détenaient, en les renforçaient temporairement. Dans le jeu, les unités de Marianne étaient composées de fanatiques, de paladins et d’anges… C’était peut-être pour cela qu’elle ne les rendait pas fous ? Mais quand les humains normaux l’utilisaient, elle les transformait en bêtes furieuses.
Mais pour commencer, si ce n’était pas le monde du jeu, que faisait cet objet ici ? M’étais-je trompée, étions-nous vraiment dans le monde du jeu ? Il y avait trop de choses que je ne savais pas et je n’avais pas de réponses dans l’état actuel des choses. Je ne pouvais que me creuser la tête en examinant les faits.
« Qu’avez-vous fait à Père !? » s’écria la fille.
« S’il n’est pas là, c’est qu’il est mort. Bien que je ne sache pas qui est ton père. »
Je me sentais trop fatiguée pour supporter ses pleurnicheries.
« Non… », murmura-t-elle, des larmes coulant sur ses joues.
Je trouvais mignon le fait que Sérignan pleure, mais voir cette jolie adolescente s’effondrer ne m’avait pas du tout arraché le cœur. J’avais simplement trouvé ses sanglots grinçants. J’avais brièvement pensé à ordonner à l’un des Essaims Éventreurs de lui couper la tête, puis j’avais reconsidéré la question.
Je ne pensais pas que nos actes avaient été assez cruels pour satisfaire notre besoin de vengeance. Il n’y avait pas eu assez de tragédie pour appeler ça une guerre. Nous n’avions pas gagné assez pour appeler cela une invasion. Ne devrions-nous pas en faire plus ?
Et puis une idée m’était venue à l’esprit.
« Un Essaim Parasite. »
J’avais sorti un Essaim Parasite de ma poche et je l’avais tenu devant moi.
Nos nobles captifs crièrent à cause de son apparence grotesque.
« À partir de maintenant, vous serez mes jouets. »
« Attendez ! Je ferai tout ce que vous voudrez, donc gurk ! »
J’avais ordonné à Sérignan de tenir la tête d’un homme pendant que je poussais l’Essaim Parasite dans sa bouche.
« Aaaah, aah, gah, aah... ! »
L’Essaim Parasite s’était glissé dans la gorge de l’homme, se fixant et étendant ses tentacules vers son cerveau. L’homme s’était tortillé à plusieurs reprises et poussa quelques gémissements bizarres avant que ses yeux ne deviennent creux, m’informant que l’essaim parasite avait réussi à prendre le dessus.
« Tu es la prochaine. »
« Ne le fais pas ! Père, sauve-moi ! Aide-moi ! »
Ugh, quelle fille bruyante !
Sérignan cloua la tête de la fille au sol et garda la bouche ouverte pendant que je la forçais à avaler l’Essaim Parasite. Le petit insecte s’était enfoncé dans sa gorge fine avant de s’accrocher à sa chair.
« Aah… guh, Père.. Aaah... »
Le regard de la jeune fille s’était éteint, la prise de contrôle était complète. Vous voyez ? Avant, elle était une vraie nuisance, mais maintenant, c’est une petite chose douce, calme et obéissante.
« Infectez aussi les autres avec des Essaims Parasites. »
« Comme vous le souhaitez, Votre Majesté. »
J’avais laissé le reste du travail à Sérignan. J’avais traversé seule le château maintenant vide. Il y avait encore des mares de sang ici et là, mais aucun cadavre en vue.
On dit que les Japonais et les Allemands sont des travailleurs diligents, mais même eux ne tiennent pas la chandelle contre l’Essaim. Mes Essaims exécutent mes ordres avec rapidité et efficacité, c’est pourquoi je les aime tant.
« Alors, c’est la salle du trône, hein ? »
J’avais trouvé un endroit dans le château où il y avait le moins de traces d’effusion de sang : la salle du trône. Elle avait été conçue autour d’un trône en or avec un tapis rouge qui menait vers lui. Le propriétaire de cette pièce était mort à l’extérieur des portes du château, il y avait donc peu de sang versé ici. Et d’ailleurs, le sang n’était pas vraiment visible sur le tapis rouge.
Je marchais tranquillement vers le trône et m’étais assise sur le siège élevé orné d’or et de pierres précieuses.
« La reine de l’Arachnée… »
L’Arachnée était une faction maléfique qui utilisait l’Essaim pour dévorer tout sur son passage. L’essaim souhaitait la victoire et la prospérité. À cet égard, il n’était guère différent de l’humanité. Après tout, les humains souhaitaient les mêmes choses. Ils avaient donc inventé toutes sortes de slogans et de causes plus importantes pour justifier leurs guerres et leurs effusions de sang. La puanteur du sang qui pesait sur l’Essaim était un peu plus épaisse, c’est tout. Ce n’était pas si différent des autres, non ?
Non… C’était faux.
L’Essaim souhaitait couvrir le monde entier avec ses semblables. Le mot « compromis » n’existait pas dans leur dictionnaire. Les humains, par contre, pouvaient faire des compromis, négocier et avancer pour éviter leur propre mort.
Comme les papillons de nuit attirés par les flammes, l’Essaim cherchait activement à anéantir ses ennemis, même si cela pouvait entraîner leur propre destruction. Leur désir de se propager et de conquérir le monde les avait poussés à aller de l’avant. C’était leur instinct le plus fondamental, le souhait qui bouillonnait au fond de leur cœur, faisant écho dans la conscience collective.
***
Partie 6
Vous êtes vraiment des monstres. Mais cela ne me dérange pas.
S’ils souhaitaient une telle victoire, je ferais tout ce qui était en mon pouvoir pour la leur donner. Même s’ils voulaient conquérir tous les coins de ce monde, je m’y soumettrais. J’avais juré de les conduire à la victoire, et je tiendrais cette promesse, quel que soit le nombre de vies qu’il en coûterait.
Mais j’avais fait cela uniquement parce que je ne voulais pas qu’ils me tuent. En fin de compte, j’étais une lâche. Si je ne trouvais pas toutes ces excuses, j’aurais eu peur de moi-même pour avoir ordonné tous ces massacres.
« Votre Majesté. »
Alors que je réfléchissais à tout cela depuis le haut du trône, Sérignan était entrée dans la salle. Elle s’inclina devant moi et les vingt nobles que nous avions asservis entrèrent après elle. Ils suivaient Sérignan les yeux creux, titubant de façon instable en marchant.
C’était comme des zombies. Ils finiront par pouvoir marcher normalement, mais comme les Essaims Parasites venaient à peine d’être plantés, ils ne fonctionnaient pas encore efficacement. Il faudra que je garde cela à l’esprit la prochaine fois que je les utiliserai. Si nos ennemis pouvaient dire ce qui était arrivé aux victimes des Essaims Parasites, l’unité serait réduite à néant.
« Sérignan, les préparatifs sont-ils terminés ? »
« Oui, ils ont tous reçu des Essaims Parasites. Ils sont entièrement sous votre contrôle, Votre Majesté. »
Les nobles s’étaient mis à genoux en signe de fidélité.
« Bon travail, Sérignan. »
Pendant que nous parlions, les essaims qui avaient terminé leur tâche commencèrent à se rassembler dans la salle du trône. Il n’y avait plus d’autres humains vivants dans le château… non, dans tout Siglia. Cette ville avait abrité des centaines de milliers de personnes, et chacune d’entre elles, à l’exception de nos animaux domestiques, avait été éradiquée. C’était d’une certaine manière vraiment émouvant.
« Bravo, mes Essaims. »
« Nous sommes honorés, Votre Majesté. »
En réponse à mes éloges, ils adoptèrent une posture d’obéissance.
« Très bien, mes amis. Nos ennemis détestables ont été vaincus. Le royaume de Maluk a été effacé de la surface du monde. Ce fut une victoire impeccable. Mais la bataille ne s’arrête pas là. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous enivrer de nos triomphes et de nous reposer sur nos lauriers maintenant. Quel est notre prochain objectif ? »
« Étendre notre contrôle encore plus loin. Unifier le monde sous la domination de l’Arachnée », déclara Sérignan.
« C’est cela. Mais le moment n’est pas encore venu. Nous devons d’abord prendre le contrôle de ce qui était autrefois le royaume de Maluk. Nous avons besoin de temps pour développer cette terre. Mes amis, vous devez construire des centres de pouvoir. Vous devez construire des fours de fertilisation, des dépôts de chair, et des fours de fertilisation massifs. Vous devez construire des dépôts de chair aériens. »
Les 4 X me disaient que je devais développer la terre que j’avais volée à mes ennemis. Je devais utiliser ce que j’avais déjà développé pour construire ce qui me manquait, et nous devions réparer ce qui avait été détruit. Développer sa faction de cette façon était le vrai plaisir du jeu.
Je ne pouvais pas cultiver grand-chose puisque j’avais abattu tous les humains, mais la ruée des Éventreurs n’avait pas consommé tout le bétail. Nous pouvions les élever pour créer un environnement propice à la production de nouvelles unités. De plus, nous aurions besoin d’argent pour débloquer de nouvelles structures. D’après ce que j’avais entendu, il y avait une mine d’or dans le nord, nous pourrions donc envoyer les Essaims Travailleurs pour l’exploiter.
Ouf.
Normalement, il serait plus rapide de piller et de voler l’ennemi jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à prendre avant de passer à autre chose. Mais pour l’instant, nous ne voulions pas provoquer inutilement nos ennemis ou en créer de nouveaux, et je ne pensais pas que nous avions assez de ressources pour lutter contre le reste du monde avec ce que nous avions pris au Royaume de Maluk.
Commencer des guerres sans réfléchir, sans savoir quelle est l’importance des forces ennemies par rapport aux nôtres, serait insensé et nous conduirait à la défaite. Je n’avais aucune envie d’être une imbécile, j’avais donc choisi de nous concentrer sur le développement pour le moment.
« Nous devrons décider de notre politique intérieure. C’est peut-être ennuyeux, mais je vous en prie, faites-le, c’est absolument nécessaire. Nous ne pouvons pas non plus négliger de renforcer les défenses de nos frontières. Le royaume de Maluk n’était pas notre seul ennemi. Il y en a d’autres dehors, et ils pourraient venir prendre cette terre. »
Au moins, nous savions que le duché de Schtraut était au nord, l’empire de Nyrnal au sud et le duché de Frantz à l’est. Ces pays étaient principalement composés d’humains, et ils ne réagiraient probablement pas favorablement à l’émergence d’une nation Essaim. Au pire, ils pourraient s’unir tous les trois pour nous attaquer.
« Protégez notre territoire sacré. Notre empire va s’épanouir, non pas avec du sang, mais avec notre sueur et nos efforts. C’est le devoir de tous les Essaims, et cela nous servira de point d’ancrage pour la domination du monde. Vous ne devez pas le négliger, quoi qu’il arrive. »
Mon discours était tout à fait inapproprié pour l’Essaim. Un discours approprié pour eux mettrait l’accent sur le vol, le meurtre, le pillage et la multiplication. Après tout, ils n’avaient besoin de rien d’autre. Mais d’innombrables matchs en ligne m’avaient appris que ce n’était pas toujours suffisant pour gagner. Il fallait parfois prendre du recul et gérer ses affaires internes, prendre le temps de débloquer les unités et les structures de niveau supérieur, et constituer son armée. Sinon, nous aurions à faire face à des batailles presque unilatérales et à une défaite éventuelle.
« Comprenez-moi bien. C’est ce qu’il y a de mieux pour nous à long terme. »
Je ne leur demandais pas en tant que reine, mais en tant que joueuse.
« Tout se fera comme vous le souhaitez, Votre Majesté. Vous n’avez qu’à nous commander, et nous obéirons », dit Sérignan alors qu’elle et le reste de l’essaim s’inclinaient pour acquiescer.
« Que tous saluent la reine. »
« Saluez tous la reine. »
Leur révérence était forte et bruyante.
« Merci à tous. Je vous mènerai tous à la victoire, je vous le promets. »
Maintenant plus que jamais, je sentais que l’essaim m’était très précieux.
☆☆☆**
Sous le château du royaume de Maluk se trouvait une chambre forte. Les trésors qui s’y trouvaient avaient été envoyés par leur allié, le Royaume Papal de Frantz, et il servait d’espace pour les baptêmes des paladins. En se rinçant dans l’eau bénite qui jaillissait d’un socle de marbre lisse, ils pouvaient obtenir la capacité d’invoquer des anges.
Cependant, tous ceux qui étaient baptisés dans ces eaux ne développaient pas la capacité d’invoquer des anges. Certaines personnes restaient inchangées, tandis que d’autres saignaient soudainement par tous les orifices et tombaient mortes au milieu de la cérémonie. Il semblerait que seule une poignée de paladins choisis avaient eu la capacité d’invoquer des anges. Seuls ces quelques élus pouvaient obtenir ce pouvoir surnaturel.
Si la reine de l’Arachnée avait vu ce piédestal de baptême, elle aurait sûrement fait une autre grande découverte. C’était un autre objet du jeu que possédait Marianne, tout comme la « Larme de Dieu ». Le nom officiel de cet artefact était la « fontaine sacrée des élus ».
Son utilisation permettait à Marianne de sacrifier les points de vie d’une unité non spirituelle, ou plutôt humaine, en échange de l’invocation d’un ange. La Marianne pouvait utiliser ses unités fanatiques, qui n’étaient bonnes qu’à se déchaîner dans les bases ennemies, ou ses paladins, des unités de cavalerie qui juraient fidélité à leur dieu. En sacrifiant l’un ou l’autre, elle pouvait invoquer un ange en retour.
Mais ce n’était qu’une probabilité, il n’y avait aucune garantie. Si l’invocation échouait, l’unité serait perdue et la faction n’aurait rien pour elle. De plus, les unités ayant un faible nombre de points de vie étaient plus susceptibles de mourir pendant l’invocation, ce qui pouvait également la faire échouer. Mais alors que les apparences des anges étaient aléatoires, les anges eux-mêmes étaient universellement forts, et ils pouvaient résister aux attaques de la plupart des unités tout en ripostant en toute impunité. C’était pourquoi il valait la peine de tenter l’invocation.
« Complètement et totalement inutile », quelqu’un s’était moqué du Trésor.
La voix venait d’une fille aux cheveux noirs et aux yeux cramoisis. Elle portait une robe noire d’inspiration rococo, avec une touche gothique et chargée de dentelle et de froufrous. La jeune fille regardait fixement la fontaine sacrée, se tortillant les doigts dans l’eau.
« Je pensais qu’ils finiraient par secouer un peu le jeu, mais ils n’ont pas fait grand-chose. Il reste si peu d’héritages, mais tous ceux qui les utilisent sont des pantins. Et ils appellent ça un jeu de réflexion ? Bon sang. »
Elle s’était appuyée sur le piédestal.
« Combien de temps va-t-elle jouer, je me le demande ? Jusqu’où peut-elle monter dans ce monde rempli de malice ? Combien de temps restera-t-elle dans ce jeu impitoyable joué dans les profondeurs du purgatoire ? Eh bien, si elle le découvre, peu importe. Elle se doutera probablement qu’il se passe quelque chose quand elle verra l’Empire de Nyrnal. Mais si je veux rendre ce jeu plus passionnant, il va falloir que ces choses se fassent. Alors, allons-y. »
L’emprise de la fille sur le piédestal se resserra légèrement, et l’instant d’après, la Fontaine sacrée des élus s’écroula sur le sol. Le peu d’eau bénite qui restait s’infiltra dans le sol, et l’objet fut rendu inutilisable. Dans son état actuel, on n’aurait pas pu deviner à quoi elle servait autrefois.
« Ce jeu est super amusant… et j’ai enfin trouvé quelqu’un avec qui jouer ! Je vais continuer à la laisser m’amuser. Jouer contre des filles comme elle est toujours un plaisir, après tout. N’est-ce pas ? »
La jeune fille riait et dansait dans la chambre souterraine avec des pas légers et aériens.
« Un jeu, un jeu, un jeu amusant, amusant ! Le travail et aucun jeu font de moi une fille ennuyeuse. Alors, jouons, n’est-ce pas, Mlle la Reine de l’Arachnée ? »
Pendant que la fille parlait, toutes les choses cachées dans le trésor s’effondraient en poussière. La Fournaise de Mysticisme, capable de convertir la foi et de produire des anges. L’outil du rite du baptême, capable de transformer les hommes en êtres saints. La fournaise à mysticisme massif, capable d’invoquer des anges géants.
Chacun d’entre eux avait été détruit par les mains de la jeune fille. À première vue, aucun d’entre eux n’avait jamais été utilisé, mais avec un simple toucher, ils s’étaient tous effondrés.
Elle ne savait pas pourquoi le royaume de Maluk n’avait jamais utilisé aucun de ces dispositifs. En fait, ils ne savaient probablement pas comment les faire fonctionner. Si c’était le cas, ils les auraient utilisés pour invoquer des anges et faire face aux attaques de l’Arachnée. Leur ignorance leur avait fait commettre une erreur fatale.
La jeune fille fredonnait avec bonheur en détruisant les objets de Marianne, en tournoyant sur place.
« Alors, le décor est planté pour notre drama à base de massacre de sang froid sans aucune pitié. Asseyez-vous et profitez-en, tout le monde. C’est un monde où les dieux existent peut-être, mais ils ne tendent jamais la main pour le salut. Aah, dansons tous ici sous une paix trompeuse comme les pécheurs que nous sommes. Car on nous a accordé ce paradis artificiel que les faux prophètes chantent. »
La jeune fille gloussa et se fondit dans l’ombre. Tout ce qui restait dans la pièce était les décombres qui avaient été jadis un ensemble d’objets sacrés.
Un seul Essaim Éventreur descendit dans la chambre souterraine et découvrit l’entrée du trésor. Il regarda dans la pièce, et bien qu’il ait détecté des traces de quelque chose qui s’y trouvait, il n’avait pas pu dire quoi. Ni lui ni le collectif n’avaient connaissance des objets que la jeune fille avait détruits quelques instants auparavant.
« Votre Majesté, j’ai découvert une pièce dans le sous-sol, mais il semblerait qu’il ait déjà été saccagé par une tierce personne. Que dois-je faire ? »
« Hmm. Ça ne ressemble à rien d’autre qu’à de la camelote. S’il n’y a personne, retournez simplement à l’arrière. Notre travail est terminé ici. Il ne nous reste plus qu’à rentrer à la base. Nous devons rendre cet endroit vivable pour nous, et le faire aussi savoir aux elfes. »
« Compris, Votre Majesté. Vos souhaits sont mes ordres. »
L’Essaim Éventreur conclut son rapport et repartit comme il était venu, rejoignant finalement les rangs de l’Arachnée en laissant les ruines de Siglia derrière eux. Si la reine avait découvert ces héritages de Marianne, peut-être la situation aurait-elle tourné autrement.
Cependant, la reine ne connaissait pas encore les règles de ce jeu. De plus, elle ignorait encore la raison d’être de ce monde. Ce n’est qu’une fois qu’elle l’aura découvert que la vraie guerre commencera…
***
Chapitre 10 : Flammes ardentes
Partie 1
À Saania, capitale du Royaume Papal de Frantz…
« Vous dites que le royaume de Maluk est tombé ? »
Le Pape Benoît III, chef de lu Royaume et Souverain Pontife de la Sainte Lumière, avait reçu cette troublante nouvelle dans son bureau.
L’ecclésiastique vieillissant représentait la faction conservatrice de la nation, et il avait été élu il y a quelques années à peine. Et bien qu’il ait été ravagé par des crises de maladie, il avait gardé une forte croyance dans le Dieu de la Lumière pendant son mandat. L’Église de la Sainte Lumière prônait une frugalité honorable, en croyant qu’une vie de luxe était en opposition avec les enseignements de Dieu.
Bien sûr, les mêmes ecclésiastiques qui prêchaient ce genre de croyances recevaient souvent des pots-de-vin de la noblesse, qui les incitaient à faire pencher les préceptes en leur faveur. Le divorce, l’adultère et l’exploitation des masses avaient lieu dans les coulisses de l’église.
Le pape vieillissant n’avait pas le pouvoir d’imposer ses croyances à tous les membres du clergé, non pas parce qu’il n’avait pas l’autorité, mais parce qu’il n’avait pas la force nécessaire pour résister à l’opposition. La maladie et la vieillesse l’avaient affaibli, de sorte qu’il ne pouvait pas diriger l’église avec la même poigne de fer que ses prédécesseurs. Les prêtres corrompus le savaient, alors ils obéissaient à la doctrine de l’église en surface tout en façonnant des principes plus méchants dans l’ombre.
« Oui, Votre Sainteté. À en juger par les informations que nous avons reçues, une caravane a tenté d’entrer dans le Royaume de Maluk il y a trois semaines, mais les migrants à bord ont été attaqués par des monstres lors de leur inspection à la frontière. Heureusement, ils se sont échappés vivants. Après cela, ils ont engagé des aventuriers pour enquêter sur la ville de commerce de Maluk, Leen, et il s’est avéré qu’elle était complètement envahie par les mêmes créatures mystérieuses. », répondit le bras droit du pape, le cardinal Paris Pamphilj.
Le cardinal était un homme vraiment corrompu. Il avait autrefois fait partie de la faction réformiste, qui visait à rendre les enseignements de l’église plus souples. Lorsqu’il avait changé de position pour devenir conservateur, il avait demandé à tout le monde de se rappeler et de conserver les enseignements du passé. Avec l’aide des banquiers Schtraut du Syndicat de l’Est, il avait accédé au rang de cardinal.
Par la suite, il avait continué à se comporter comme s’il avait toujours fait partie du parti conservateur, gravissant habilement et avec éloquence les échelons jusqu’à devenir la main droite du pape. Tout comme les autres membres véreux de l’église, il acceptait des pots-de-vin et prêchait tout ce que ses nobles partisans voulaient faire entendre aux citoyens. Mais le pape Benoît III n’en savait rien et avait toujours une grande confiance en cet homme.
Pourtant, Paris n’avait toujours pas restitué les fonds qu’il avait empruntés aux banquiers du duché de Schtraut. Il en allait de même pour le pape, qui avait accepté un prêt de leur part dès sa nomination.
« Qu’en est-il de leur capitale, Siglia ? Est-elle aussi tombée ? » demanda le pape.
« Nous n’en sommes pas encore sûrs, mais la situation semble catastrophique. Nous ne pouvons pas contacter notre ambassadeur sur place, et je crains que l’absence d’efforts pour libérer une grande ville comme Leen ne signifie qu’une chose. »
« Si c’est vrai, nous aurions dû leur envoyer une équipe de secours plus tôt. Nous pensions que de simples monstres ne pourraient pas renverser un pays fort comme Maluk… c’est une grave erreur de notre part. Oh, Dieu de la Lumière dans les cieux, protège-nous tous. »
Le Royaume de Maluk avait envoyé une demande d’aide militaire au Pape, et ce dernier avait rapidement commencé à préparer son armée. La nation avait engagé des mercenaires, préparé un convoi de ravitaillement et dit ses prières. En fait, les préparatifs des renforts s’étaient déroulés sans problème.
Cependant, tout cela n’avait servi à rien. Alors que le Royaume Papal de Frantz se préparait lentement à partir, le royaume de Maluk avait été détruit par l’armée des monstres. D’un point de vue extérieur, tout s’était passé en un clin d’œil.
Le Royaume Papal avait donc l’intention d’envoyer des forces, mais avec quel degré d’urgence ? Des dignitaires corrompus comme Paris détournaient les fonds de l’expédition, et le pape lui-même n’avait pas pensé que la situation était si grave.
Après tout, les attaques de monstres étaient assez fréquentes et le royaume de Maluk avait de braves paladins bénis par le Dieu de la Lumière qui étaient plus que capables de détruire des bêtes indisciplinées. Chacun avait foi en ses capacités, y compris Paris et Benoît III.
Mais la réalité avait prouvé le contraire. L’armée de monstres avait englouti le royaume de Maluk. Maintenant, le Royaume Papal devait non seulement empêcher l’expansion de l’Empire de Nyrnal depuis le sud, mais aussi faire face aux créatures.
« Comment devrions-nous réagir à cela ? » demanda le pape, encore sous le choc.
« Nous devons d’abord nous faire une idée de l’état actuel du Royaume. Envoyer une armée alors que nous connaissons si peu l’ennemi, c’est-à-dire les mystérieuses bêtes qui ont attaqué Maluk, serait imprudent. Demandons aux aventuriers de faire la lumière sur ça. »
« Bien… Il y a peut-être des survivants. Augmentez la récompense des aventuriers et faites-les enquêter sur le Royaume. Dites-leur de découvrir ce qui s’est passé, et qui — ou quoi — était derrière l’attaque. »
Un aventurier, c’était un peu comme un demi-mercenaire. Mais contrairement aux mercenaires, les aventuriers ne formaient pas de grands groupes, préférant opérer par groupes de seize au maximum. C’était des spécialistes de la survie, capables d’explorer et d’infiltrer des zones interdites à la plupart des mercenaires. Leur tâche principale consistait à tuer des monstres.
La chasse aux monstres était une profession monopolisée par la guilde des aventuriers, et les mercenaires n’avaient pas le droit d’y participer. Ainsi, lorsqu’il s’agissait de combattre des monstres, les aventuriers avaient le plus d’expérience, de connaissances et de compétences.
« Nous devons également convoquer le Conseil international. Nous ne savons peut-être pas encore qui a attaqué le royaume de Maluk, mais qui que ce soit, il a suffisamment de pouvoir pour vaincre une nation très puissante. Nous serions imprudents de les affronter seuls. »
« Quoi qu’il en soit, je n’aime pas l’idée de demander de l’aide à l’Empire de Nyrnal. L’Empire a continuellement ignoré nos demandes de médiation pour la paix et a plutôt continué son agression, et maintenant l’ensemble du Sud est à leur portée. Je les vois seulement semer le conflit au sein du Conseil International. »
L’Empire de Nyrnal était la force la plus puissante du continent, et bien qu’il vénérait le Dieu de la Lumière, il avait souvent rejeté l’église qui se trouvait au centre de la religion. À maintes reprises, le pape avait tenté de négocier avec l’Empire afin de protéger les petites nations du sud, mais chaque fois, l’Empire avait plutôt poussé plus loin pour conquérir complètement ses adversaires.
En ce qui concernait le Royaume Papal de Frantz, l’Empire était une terre d’infidèles qui ne vénéraient le Dieu de la Lumière qu’en surface. C’était une nation d’un militarisme hautain qui aimait à commettre toutes sortes d’atrocités afin de s’étendre. Le peuple du Royaume Papal regardait l’Empire avec mépris, même si le Royaume Papal lui-même avait offert de l’aide aux nations du sud assaillies pour finalement les abandonner.
Non, la vérité était encore plus cruelle que cela : Paris avait essayé de profiter de la situation de ces pays pour leurs extorquer de l’argent, prétendant que le Dieu de la Lumière leur accorderait sa protection en échange de dons… et la somme qu’il demandait était toujours assez importante. En un sens, le Royaume Papal avait rongé les pays du Sud.
« L’Empire de Nyrnal partage également une frontière avec le Royaume de Maluk. Leur pays voisin a été conquis par une force inconnue, ils devraient donc s’efforcer d’agir et de se tenir à nos côtés. S’ils ne le font pas, ils pourraient être les prochains à être envahis », déclara Paris.
« C’est vrai. Il est temps qu’ils reconnaissent notre autorité. Nous sommes tous unis sous le Dieu de la Lumière. »
Le pape se fit une note mentale pour presser l’Empire d’accepter de former un front uni pendant le conseil. Sa puissance militaire ne pouvait bien sûr être niée. L’Empire tenait le sud unifié sous son contrôle, et il surveillait avec vigilance le nord pour lancer une possible invasion.
« Incidemment, qu’en est-il des elfes ? Notre rapport dit que les monstres proviennent du centre de la forêt des elfes. »
« Pour autant que nous sachions, ils suivent toujours la voie des hérétiques. Ils n’ont pas accepté le Dieu de la Lumière dans leur cœur, et au lieu de cela, ils lèvent les yeux vers leurs dieux sauvages de la forêt et leur offrent de fréquents sacrifices. Il n’y a aucun espoir de les sauver avec nos enseignements. Ces moutons, si vous pouvez les appeler ainsi, resteront perdus. »
Comme beaucoup d’autres humains, les habitants du Royaume Papal considéraient les elfes comme des sauvages. En fait, ils étaient à l’origine de nombreuses rumeurs infondées sur les elfes, qui avaient été propagées pour renforcer le Dieu de la Lumière en tant que seule véritable divinité.
Bien sûr, tout le monde ne les croyait pas. Certains elfes avaient pu vivre dans l’Empire de Nyrnal, même si c’était de façon médiocre, grâce au commerce. Ils avaient également des droits de citoyens dans le duché de Schtraut, même s’ils faisaient partie de la classe sociale la plus basse. Seuls le Royaume Papal et le royaume de Maluk refusaient complètement de donner des droits aux elfes.
« Quand devrions-nous tenir le Conseil international ? »
« Je dirais quand nous aurons fini de prendre les dispositions nécessaires avec l’Empire. Nous devons arranger les choses correctement pour qu’elles ne causent pas de chahut. Nous devrons cependant peut-être leur donner une certaine… incitation à le faire. Approuvez-vous, votre Sainteté ? »
« Oui, c’est bien. L’argent est une évidence dans les négociations. »
Les mots seuls ne convaincraient pas l’Empire, il faudrait donc beaucoup d’argent dans des moments comme celui-ci. Si on lui en donnait suffisamment, l’ambassadeur de Nyrnal permettrait au conseil de procéder sans être dérangé.
« Alors, j’irai droit au but. »
« Attendez. Déployer des aventuriers, c’est bien, mais ne devrions-nous pas aussi mener notre propre enquête ? »
« Faites-vous référence à la quatrième section de recherche mystique ? »
« Oui. Nous devrions leur demander d’enquêter sur l’Empire de Nyrnal, les elfes et le Royaume de Maluk. »
La Division de Recherche Mystique était responsable des renseignements dans le Royaume Papal. Elle était divisée en sections, la quatrième s’occupant des renseignements top-secret sous couverture. Ils s’occupaient de ce qu’on appelait le « sale boulot », qui parfois incluait même des assassinats.
« Compris. Je vais donc leur faire mener une enquête secrète. »
« S’il vous plaît, faites-le. »
Et ainsi, le Royaume Papal de Frantz commença à opérer en secret… mais ils n’étaient pas les seuls à faire des préparatifs.
***
Partie 2
La nouvelle du destin tragique du royaume de Maluk avait également atteint Doris, capitale de la prospère nation emplie de mines d’or connue sous le nom de duché de Schtraut.
« Le Royaume de Maluk… a été détruit !? »
César de Sharon, le treizième Duc de Schtraut, ne pouvait pas contenir son choc.
L’expression de l’homme d’âge moyen était déformée par la tristesse et l’incrédulité. C’était comme s’il venait d’être averti de la fin du monde. Seule une nouvelle de ce niveau pouvait susciter une telle réaction de la part du chef du duché.
« J’en ai bien peur, Seigneur. Il semblerait qu’ils aient été attaqués par des créatures mystérieuses. Même leur capitale, Siglia, a été renversée. Nous ne pouvons pas actuellement entrer dans le pays. Ces monstres rôdent également le long des frontières, et ils attaquent à vue tout envahisseur. », déclara son Premier ministre, le cardinal Charon Colbert.
Le Premier ministre était le plus fidèle subordonné de César. Il était cardinal de l’Église de la Sainte Lumière et connaissait également les questions d’État. Sa vaste expérience en politique et en diplomatie avait grandement soutenu l’administration de César.
César était reconnaissant que Charon ait pris ces distances avec le Royaume Papal, le centre de leur religion, car il pouvait exprimer ses opinions avec une relative neutralité. La plupart des autres cardinaux étaient trop profondément enracinés dans le Royauté Papal pour être aussi francs.
« Aaah, quelle horreur. De penser que nous venons de perdre le royaume de Maluk à cause de quelque chose d’aussi… inexplicable. J’avais espéré que leur puissance militaire aurait un effet dissuasif sur l’Empire de Nyrnal, mais hélas… », se lamentait César.
« Oui. Comme vous le savez, notre armée est surtout là pour faire figuration. »
Charon haussa les épaules et poussa un soupir.
« J’espérais que l’Empire ne nous attaquerait pas tant que nous nous accrocherions à Maluk. »
« Tout à fait. Savez-vous à quel point nous avons soutenu l’armée de Maluk ? Nous sommes peut-être riches en ce moment, mais qui peut dire quand nous nous retrouverons sur le déclin. La valeur de l’argent pourrait chuter soudainement, ou l’Empire pourrait nous attaquer. Nous les avons soutenus afin de nous préparer à de tels moments. »
Le duché de Schtraut s’était épanoui financièrement et avait formé une union de guildes qui constituaient en fait le pays. De nombreuses nations avaient une dette considérable envers l’Union des syndicats de l’Est, et la somme totale de ses réserves en devises était la plus importante du continent.
L’Union des syndicats de l’Est avait accordé de nombreux prêts, en particulier au Royaume Papal de Frantz. Tout le monde, du pape aux diacres, avait une sorte de dette à rembourser à l’Union syndicale de l’Est, qui avait pratiquement son propre territoire autonome. Mais il n’y avait pas que le Populat, de nombreux autres pays, et même le Duché lui-même, devaient de l’argent aux banquiers. L’Empire de Nyrnal lui-même avait une dette non négligeable envers eux.
La direction du duché était décidée par élection, et César avait été élu à son poste il y a quelques années. Alors qu’il était duc en titre, ses richesses correspondaient à celles de l’empereur de Nyrnal. En termes de ressources, il était effectivement un roi.
Ce mode de gouvernement basé sur les élections était également pratiqué dans l’Union des syndicats de l’Est, situé dans le coin sud-est du continent. Il s’agissait d’une forme limitée de démocratie dans laquelle des maîtres de guilde choisis, des nobles et des citoyens fortunés se voyaient accorder le droit de vote. La vraie démocratie ne faisait pas encore partie de ce monde, car elle n’était pas nécessaire.
Le duché de Schtraut avait une population suffisamment forte pour maintenir ses demandes intérieures et de nombreuses dettes à recouvrer auprès d’autres pays, tant qu’elle resterait debout, cette nation ne connaîtra probablement jamais l’effondrement économique.
Mais aussi riche soit-il, le duché de Schtraut était confronté à un seul problème : son armée était faible. Extrêmement faible. Les chefs des guildes de marchands, qui avaient le droit de vote, étaient catégoriques quant à l’investissement dans le commerce — où les rendements monétaires étaient importants — plutôt que dans l’organisation suceuse d’argent qu’était l’armée.
À cause de cela, le duché de Schtraut n’avait en fait aucune armée à sa disposition. Il disposait d’une flotte navale, dont l’objectif était d’étouffer l’activité des pirates dans une anse de la légendaire île d’Atlantica, mais ses forces terrestres étaient la risée de tous.
Mais les choses n’allaient pas si mal que ça. Ils disposaient d’une force de frappe qui utilisait le terrain montagneux le long des frontières du duché. Ils avaient également de l’argent à disposition, ce qui leur permettait d’engager les forces armées d’un autre pays ou des groupes de mercenaires en cas de besoin.
Mais cela n’était possible qu’en temps de guerre, car les banquiers et les chefs de guilde étaient opposés au maintien d’une grande armée en temps de paix. Si l’Empire de Nyrnal lançait une attaque-surprise, la seule chose qui protégerait la fortune du pays serait la force de frappe des montagnes, ses troupes compétentes, mais peu nombreuses.
À cette fin, le duché de Schtraut avait noué des relations amicales avec le royaume de Maluk et avait l’intention de créer une alliance militaire avec lui. L’armée de Maluk était l’une des plus importantes du continent en termes de taille, et conclure une alliance avec eux rendrait même l’Empire de Nyrnal hésitant à attaquer le duché.
La sécurité par le nombre, comme on dit.
C’était la politique que César avait préconisée, et il avait tenté le royaume de Maluk avec de grosses sommes d’argent. Ils étaient sur le point eux aussi de former une alliance. Son plan de plusieurs années n’était qu’à un pas de se réaliser.
Mais l’attaque des monstres contre Maluk avait réduit tout cela à néant.
Les banquiers et les maîtres de guilde s’étaient opposés à son alliance avec le royaume de Maluk, certains préféraient une alliance avec le Royaume Papal, et d’autres soutenaient qu’il n’y avait aucune menace à craindre. Maintenant, ils allaient probablement défendre sa position politique, quitte à ternir sa réputation.
Il était possible que son poste de Duc de Schtraut prenne fin avant la fin de son mandat. Telle était l’autorité des banquiers et des maîtres de guilde, même s’ils étaient des traîtres au pays, séduits par les opportunités commerciales lucratives du Royaume Papal et de l’Empire.
« Serait-il impossible de s’allier avec le Royaume Papal de Frantz à ce stade ? Je crois que nous en avons déjà discuté une fois. », murmura César.
Charon secoua la tête.
« Je crains que l’atmosphère religieuse du Royaume Papal ne soit trop forte. Les maîtres de la guilde s’y opposeront sans doute. Ils sont intéressés par l’argent, mais ils se soucient peu de Dieu. De plus, former une alliance avec le Royaume Papal nous obligerait à ouvrir à nouveau nos coffres. Ce pays est après tout le siège du pape, qui parle au nom du Dieu de la Lumière… et ils ont besoin de beaucoup de dons. Ils utilisent leur autorité religieuse comme monnaie d’échange pour obtenir de l’argent, un peu comme l’Empire utilise ses wyvernes. »
« Pour que les maîtres de la guilde et les banquiers ne financent pas une alliance avec eux ? »
« Ils s’y opposeraient probablement, oui. »
« Ils s’opposeraient à tout ce que nous pourrions proposer, les salauds. C’est comme si leur seul rôle dans le monde était de s’opposer. Quoi qu’il en soit, nous avons absolument besoin d’un pays avec lequel nous pouvons nous allier. Nous avons besoin d’une armée pour dissuader l’Empire de Nyrnal. Et qui plus est… »
« On ne sait pas quand les mystérieuses créatures qui ont attaqué Maluk pourraient nous attaquer. N’est-ce pas, Seigneur ? »
C’était exactement ça. Le royaume de Maluk était leur voisin, il était donc naturel de penser que le duché lui-même pourrait être le prochain. Le duché avait actuellement sa force de frappe déployée le long des zones frontalières, et ils recherchaient avec anxiété les monstres qui feraient leur apparition depuis l’ouest. Les soldats avaient juré de protéger le pays de leur vie et ils étaient restés vigilants malgré leur crainte de l’arrivée des monstres.
« Précisément. Vaincre des monstres est une chose, mais je ne voudrais pas que ma mort soit causée par eux. »
César récupéra des documents concernant la défense de leur frontière avec Maluk.
« Nous devrions rapidement renforcer la frontière Schtraut-Maluk et mettre nos hommes en alerte. Engager des mercenaires et des aventuriers aussi, si nécessaire. Les fonds qui seraient allés à notre alliance avec Maluk devraient couvrir les coûts. »
« Dois-je m’assurer que les maîtres de la guilde comprennent la gravité de la situation ? »
« Oui. Si besoin est, nous pouvons aussi faire appel aux elfes. Les Nyrnals sont une menace, mais les monstres capables de faire tomber une nation sont tout aussi effrayants. »
La discussion entre César et Charon se poursuivit alors que tous deux décidaient de la ligne de conduite du duché.
***
Partie 3
L’Empire de Nyrnal régnait sur les régions du sud, et en tant que capitale impériale de la plus grande nation du continent, Vejya était maintenue de manière appropriée. Les rues étaient assez larges, avec des bureaux de guilde de chaque côté, la frappe des enclumes retentissant sans cesse. Les murs de la ville étaient les plus grands du continent, et au sommet d’entre eux flottait la bannière de l’Empire : un dragon rouge brandissant une épée.
Mais ce n’était pas seulement le symbole de l’Empire, c’était aussi le symbole de sa puissance sur les autres pays. Le dragon rouge était une wyverne, une bête à écailles capable de s’élever librement dans les cieux, infligeant la mort à ses ennemis. Il ressemblait aussi à un vautour cramoisi, dévorant la chair des morts sur le champ de bataille.
Grâce à ses wyvernes, l’Empire de Nyrnal avait envahi les pays du sud les uns après les autres, les engloutissant pour en faire un grand empire. Il y a seulement quatre ans, l’Empire de Nyrnal n’était qu’un des nombreux pays du sud, mais l’apparition soudaine des wyvernes lui avait permis de s’élever au rang de grande puissance.
Les autres nations voyaient toutes l’Empire comme un nouveau venu suspect, pensant qu’il avait encore faim de territoire. Le royaume de Maluk avait construit une grande forteresse près des rives de la rivière Themel, bien qu’elle ait été détruite lors d’une attaque récente. Le duché de Schtraut s’était rapidement rapproché de Maluk dans l’espoir de former une alliance qui dissuaderait l’Empire. Quant au Royaume Papal de Frantz, il avait fait appel à l’Empire au nom du Dieu de la Lumière, faisant pression sur la grande nation pour contenir ses hostilités.
Mais ce grand pays les avait tous ignorés. En tant que plus grande force du continent, l’Empire s’était enflé de dignité et de fierté… et il avait l’intention d’aller plus loin encore. L’ambition démesurée de l’Empire de Nyrnal était de régner sur l’ensemble du continent, en unissant tous ses territoires sous la bannière du dragon rouge.
En tant que joueur le plus puissant, l’Empire avait lui aussi entendu parler du destin du royaume de Maluk.
« Selon les informations que nous avons reçues du Troisième Secrétariat Impérial, les monstres ont complètement conquis le Royaume de Maluk. Nous avons perdu le contact avec l’ambassade en Siglia, et les autres villes de Maluk semblent toutes être envahies par les monstres. », rapporta Bertholdt von Bülow, un homme d’une trentaine d’années.
Ce type au nez crochu était le secrétaire en chef du cabinet, et il gérait toutes les tâches et obligations de l’empereur. N’étant entré en fonction que sous le règne de l’empereur précédent, l’homme était entouré de mystère, ce qui avait conduit de nombreuses organisations à enquêter sur ses antécédents.
Certaines des personnes qui s’étaient penchées sur lui étaient des espions employés par des nobles de l’Empire, d’autres provenaient du bureau des affaires extérieures du duché de Schtraut et de la quatrième section de recherche mystique de la Royauté Papal de Frantz. L’union des syndicat de l’Est avait également fait ses propres recherches sur son passé. Tous ces groupes avaient cherché à savoir comment cet homme s’était hissé à la position de bras droit de l’empereur, mais leurs tentatives avaient échoué.
Tout ce qu’ils savaient, c’était que juste après l’apparition de cet homme, l’Empire de Nyrnal avait commencé à propager les feux de la guerre dans le sud.
« Je vois. Le grand royaume de Maluk a été détruit par des monstres mystérieux… Quelle pathétique excuse pour un pays ! Il semble que leur militarisme n’était qu’un prétexte. Si c’était le cas, alors nous aurions dû les attaquer plus tôt. »
Ces paroles méprisantes venaient de Maximillian von Leuchtenberg. Cet homme d’âge moyen avait unifié le sud et fait de l’Empire de Nyrnal une nation redoutée par le reste du monde. Il y a cinq ans, Maximillian avait hérité du trône de l’ancien empereur, Friedrich III. Et avec son accession au pouvoir, il avait commencé la guerre d’unification, au cours de laquelle Nyrnal avait dévoré les pays du sud.
Les autres grandes puissances méprisaient cet homme, et son existence était particulièrement détestée par le Royaume Papal de Frantz, qui le déclarait semblable à un diable. Il était également tristement célèbre dans le duché de Schtraut, où les gens chuchotaient qu’il était né dans les fosses de l’enfer, comme un démon, et qu’il était monté à la surface du monde pour le conquérir. Les banquiers du duché avaient même proposé de soutenir les dissidents au sein de l’Empire, dans l’espoir de le faire tomber de son trône.
Les deux pays n’avaient cependant pas réussi à usurper l’empereur Maximilien, et son appétit de conquête était plus vorace que jamais. En utilisant les wyvernes qui constituaient l’épine dorsale de son armée, et les innombrables complots astucieux concoctés par Bertholdt, il avait conquis le sud avec facilité. Les citoyens de l’Empire le vénéraient comme un héros, tandis que les autres grandes puissances et les nobles qui avaient dû fuir leurs terres du sud l’abhorraient comme une vile créature qui comptait sur les vautours à écailles pour réussir.
Mais au fait, pourquoi Maximillian avait-il commencé sa guerre ? Peu de gens connaissaient la réponse à cette question. Était-ce par pure ambition ? Avait-il commencé la guerre à cause d’un complexe héroïque enfantin ? Ou ces invasions étaient-elles des mouvements méticuleusement planifiés qui avaient façonné l’avenir de Nyrnal ? Quelle qu’en soit la raison, il y avait un sentiment d’impatience face à ses actions. L’homme que l’on pourrait appeler le plus grand souverain du continent était poussé par quelque chose, bien que personne ne sache quoi.
Une seule chose était certaine : Maximillian n’était pas satisfait de son absorption des pays du sud, il allait donc finir par étendre son influence vers le nord. Ses centaines de milliers de soldats portaient haut leur bannière de dragon rouge, attendant leur chance de frapper.
À l’heure actuelle, l’empereur Maximillian digérait encore les nouvelles de la destruction de Maluk par l’Arachnée. Il était tout naturel qu’il le fasse, car Maluk avait été sa prochaine cible de conquête.
« Non, Votre Majesté. Apparemment, ces monstres possèdent une force terrifiante. Nos éclaireurs ont engagé les créatures près de la frontière, et leurs attaques ont été pour la plupart inefficaces. L’ennemi était si anormalement rapide que nos hommes ont été forcés de battre en retraite. », dit Bertholdt.
« Hmm. »
Maximillian se frottait le menton.
« Nous ne pouvons donc pas sous-estimer l’ennemi… Il est clair qu’ils sont plus que de simples monstres. »
Quelques éclaireurs armés avaient traversé la rivière Themel sur ordre de Bertholdt et avaient tenté de combattre les forces défensives de l’Arachnée. Ce n’était qu’une petite escarmouche, mais il s’agissait toujours d’un combat unilatéral en faveur de l’Arachnée.
« Nous avons besoin de plus d’informations sur ces monstres. Analysez tous les renseignements que nous avons recueillis jusqu’à présent, et découvrez-en plus si vous le pouvez. Nous devons nous renseigner sur ces créatures plus rapidement que n’importe quel autre pays. Je peux voir ces monstres bouleverser tout l’équilibre politique du continent. »
Maximillian pouvait sentir que c’était plus qu’une poignée de monstres qui se déchaînaient… que cela allait devenir un conflit qui allait embraser l’ensemble du continent.
« Selon vos désirs, mon seigneur. Je vais demander au Troisième Secrétariat Impérial de rassembler des informations. », dit Bertholdt en inclinant la tête.
Le Troisième Secrétariat Impérial était un département qui s’occupait à la fois des opérations secrètes de nature diplomatique et de la collecte de renseignements, il était comparable à la Quatrième Section de Recherche Mystique du Royaume Papal. Lors de l’unification du Sud, ses membres manipulaient les informations pour empêcher les différents pays de former un front rebelle contre Nyrnal, dissolvant ainsi leurs relations en répandant rumeurs et méfiance.
« Quant à votre rapport sur le Royaume Papal, ils ont évidemment l’intention d’utiliser cette situation pour unir tout le monde au nom du Dieu de la Lumière. De plus, je ne doute pas qu’ils profiteront du tumulte actuel pour s’emparer de toutes les armées du continent. Nous ne pouvons pas le permettre. »
Maximillian avait déjà appris que le Royaume Papal de Frantz avait l’intention de réunir le Conseil international, et il soupçonnait qu’il prévoyait de forcer toutes les autres grandes puissances à renoncer à leurs forces armées sous un prétexte ridicule.
« Nous n’avons pas encore reçu de nouvelles du Royaume, mais vous pensez qu’ils pourraient comploter quelque chose ? »
« Oui, je le soupçonne. Ils se sont plaints à plusieurs reprises de notre unification du Sud. Il est peu probable qu’ils restent assis tranquillement pendant que cette monstrueuse affaire se prépare. Ils débiteront leurs absurdités sur le Dieu de la Lumière et se déplaceront à leur guise. »
« Je suis tout à fait d’accord. Pour de soi-disant hommes saints, ils ne sont guère dignes de confiance. »
Le Royaume Papal essayait en effet de réunir le Conseil international, bien qu’on ne sache pas encore s’il allait prendre le contrôle des autres puissances militaires.
« De plus, le Royaume Papal essaie probablement de corrompre nos diplomates. Faites savoir que toute personne ayant accepté un pot-de-vin sera pendue. »
« Comme vous voulez, mon seigneur. »
De toute évidence, Maximillian avait vu une tentative du Royaume Papal de corrompre ses hommes.
« Les officiers du ministère des Affaires étrangères ne sont peut-être pas les seuls, leurs serviteurs peuvent aussi être soudoyés pour obtenir des informations. Pendez tous ceux qui ont accepté un pot-de-vin, quelle que soit sa provenance. Nous ne pouvons pas être trop prudents, alors ne faites pas d’exceptions. Quiconque tente de tromper l’Empire de Nyrnal doit être puni d’une mort rapide. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons maintenir notre intégrité. »
« Entendu. »
Comme Maximillian l’avait dit, on ne savait pas qui aurait pu essayer de soudoyer ses citoyens pour obtenir des informations. Lorsqu’il s’agissait de discussions cruciales sur l’État, on ne savait pas combien de personnes pouvaient être impliquées. Même les personnes au statut social le plus bas pouvaient entendre quelque chose de crucial ou tomber sur un document important.
Si le contenu d’un tel document ou d’une telle conversation devait être divulgué à un autre pays, l’Empire aurait une carte de moins en main dans le jeu de la diplomatie. L’Empire de Nyrnal n’ayant que peu de pouvoir de persuasion, il avait donc besoin de tous les avantages qu’il pouvait obtenir. Perdre ne serait-ce qu’un seul avantage pouvait être mortel.
« Et la rivière Themel ? »
« Construisez une forteresse là-bas et placez-y une partie de nos troupes. Retirez quelques unités des forces que nous avons envoyées au nord et faites-les se diriger vers la Themel pour commencer la construction. Pour ce que nous en savons, ces monstres peuvent traverser la rivière. Nous devons nous préparer à toute éventualité. Nous ne pouvons pas nous permettre de devenir aussi leur proie. »
La rivière Themel était un obstacle naturel, mais elle n’était pas infranchissable. Au cours de l’histoire, le royaume de Maluk l’avait traversée quatre fois, tandis que les pays du sud l’avaient traversée trois fois, ce qui avait respectivement conduit à des invasions du sud et du nord. Finalement, le royaume de Maluk avait réussi à tracer sa frontière la plus méridionale au niveau de la rivière Themel.
« Que ferons-nous alors concernant le duché de Schtraut ? »
« On devrait effectivement offrir un soutien militaire généreux à ce petit pays pitoyable. S’ils refusent, dites-leur que nous ne leur viendrons pas en aide même si les monstres traversent leurs frontières. Si les monstres sont assez puissants pour écraser Maluk, Schtrauts doit probablement trembler dans ses bottes et se prépare à fuir le continent au moment où nous parlons. En fin de compte, ils sont identiques à ces fous de l’Union des Syndicats de l’Est, qui ne pensent qu’à l’argent. »
Si le duché acceptait leur aide militaire, les forces de l’Empire seraient stationnées puis normalisées sur leur territoire, il s’agirait en fait d’une occupation militaire. L’Empire avait utilisé de telles méthodes lors de l’unification du Sud. Il allait forcer les pays neutres à se serrer les coudes entre les pays ennemis, puis stationner son armée au milieu sous prétexte d’assistance. L’Empire utiliserait ensuite cette armée pour prendre le pouvoir de l’intérieur. C’était une méthode de conquête vraiment vile.
C’était parce que l’Empire de Nyrnal préférait utiliser de telles méthodes que le duché de Schtraut la craignait tant. Ce pays quasi démocratique savait que l’Empire occuperait facilement ses terres, extorquerait ses citoyens et lui arracherait son indépendance en un clin d’œil.
« Vous croyez qu’ils fuiraient le continent ? Fuir serait facile. Si vous voulez bien m’excuser, mon seigneur, je vous dis de laisser les riches marchands devenir de pauvres migrants s’ils le veulent. », demanda Bertholdt.
« Le goût du désespoir les frappera bientôt, car ils seront confrontés à la simple vérité qu’il n’y a nulle part où fuir. Mais pour l’instant, nous devons d’abord nous assurer que le Royaume Papal danse pour nous. Et ils danseront. »
Tout d’abord, l’Empire de Nyrnal fera valoir ses exigences au sein du Conseil international. L’idéal serait qu’il prenne le contrôle des forces alliées nouvellement formées. Pour en tirer pleinement parti, l’Empire enverrait ensuite son armée dans chacune des autres grandes puissances. Même s’il ne pouvait pas prendre le contrôle immédiatement, l’Empire pourrait utiliser la dépêche de l’armée alliée comme monnaie d’échange et accroître son influence sur le continent.
« Et nous pouvons utiliser ce monstre pour prendre le contrôle de plus de territoires — le Duché, l’Union des Syndicats de l’Est, et le Royaume Papal… Il est impératif que nous unifiions l’ensemble du continent sous notre contrôle, et bientôt. Nous devons épargner à tous ceux qui vivent ici le sort qui est arrivé au Royaume de Maluk. »
Après tout, qu’est-ce qui serait le plus terrible, une guerre… ou ces monstres ?
« Au fait, qu’en est-il de Georgius ? »
Maximillian changea brusquement de sujet.
« Il est toujours en sommeil. Devrions-nous le réveiller ? »
« Selon la situation, cela peut être nécessaire », dit Maximillian, adossé au dossier de son trône.
« Dans des moments comme celui-ci, les terres des dragons peuvent avoir besoin de leur héros, l’Empire et Gregoria. »
Gregoria était une autre faction du jeu, comme Marianne… et c’était une terre de dragons.
***
Chapitre 11 : Altération
Partie 1
« Le Royaume de Maluk a été réduit à l’état de ruines », avais-je déclaré aux habitants de Baumfetter.
Les cicatrices de l’attaque des chevaliers sur leur village étaient encore visibles partout. Je me tenais dans la zone de rassemblement du village, qui se trouvait à proximité des tombes des soldats tombés au combat, récemment érigées. Pour compléter ma déclaration, j’avais présenté les nobles que j’avais faits prisonniers.
« N’est-ce pas la princesse Elizabeta ? »
« Avez-vous vraiment détruit le royaume de Maluk ? »
Les elfes regardaient les prisonniers avec incrédulité. Leur scepticisme ne me surprenait pas. D’après ce que je pouvais voir, le royaume les persécutait depuis longtemps. Mais avec la réalité sous les yeux, les elfes devaient comprendre que le royaume de Maluk était maintenant détruit et que l’Arachnée était terriblement puissante.
« Je le répète : il ne reste plus que des ruines dans le Royaume de Maluk, il n’y a plus personne pour vous menacer maintenant. De plus, l’Arachnée contrôle les anciennes terres du royaume. Mais ne vous inquiétez pas, nous avons l’intention de vous permettre de vivre librement dans cette forêt. Ce sera votre propre territoire autonome, et vous serez libre de le gouverner comme vous le souhaitez. Mais nous devrons superviser votre diplomatie. »
« Nous vous sommes très reconnaissants, mais êtes-vous sûr que tout ceci est bon ? », demanda l’ancien du village.
« Bien sûr, ça ne me dérange pas. Nous devrons maintenir une armée stationnée ici, et nous aurons le contrôle absolu sur votre armée. D’après ce que j’ai vu, la région autour de cette forêt est un carrefour, avec le duché de Schtraut au nord, la Papauté de Frantz à l’est, et l’empire de Nyrnal au sud. Si quelqu’un tente de mener une action militaire contre vous ou l’Arachnée, cet endroit deviendra un champ de bataille. »
« Un champ de bataille !? »
Les elfes étaient une race si complaisante. Un bon regard sur la carte aurait montré clairement que cette zone se trouvait au milieu d’une intersection entre les quatre plus grands pays du continent.
Il était vrai qu’aucune route ne passait par ici, et qu’il n’y avait pas non plus de champs. Ce monde dépendait des pieds et des chariots pour transporter les marchandises, donc maintenir la ligne de ravitaillement d’une armée serait difficile… mais pas impossible. D’innombrables victoires inattendues m’avaient appris que tout défi pouvait être surmonté avec suffisamment de motivation.
« Ne vous en faites pas. Vous êtes sous la protection de l’Arachnée. Nous nous débarrasserons de tout pays qui tentera de vous nuire. Ou préférez-vous plutôt être sous la protection d’un autre pays ? »
« Non, pas du tout ! C’est seulement grâce à vous que nous sommes en sécurité maintenant… et que les êtres chers que nous avons perdus ont été vengés. Nous avons de la chance d’être sous votre protection. »
Naturellement, pensais-je. D’après ce que j’avais trouvé, toutes les nations les plus puissantes de ce continent adoraient le Dieu de la Lumière. Des fanatiques monothéistes grossiers, tous autant qu’ils sont. Les elfes voulaient pratiquer leur propre religion en paix, mais ces pays avaient essayé de les forcer à l’abandonner pour adorer à la place le Dieu de la Lumière.
Mais maintenant qu’ils étaient sous notre protection, ils n’avaient plus à s’inquiéter de cela. Au moins, je n’avais pas l’intention d’empiéter sur les croyances des elfes. Les dieux n’existaient pas de toute façon, ils pouvaient donc croire ce qu’ils voulaient.
S’il y avait des dieux, ils auraient entendu les prières de Lysa et sauvé Linnet, et ils m’auraient punie pour avoir tué tant de gens. Je le savais parce que j’avais fait l’expérience des croyances modernes dans mon propre monde. Mais aucune de ces choses n’avait eu lieu. Selon le mythe et la légende, les dieux aimaient forcer les mortels à participer à toutes sortes d’épreuves. Ils mettaient les gens à l’épreuve pour voir s’ils pouvaient prouver qu’ils étaient purs et nobles.
À cet égard, j’étais un échec complet et total. Je n’avais aucun moyen de savoir s’il y avait un dieu, mais s’il y en avait un, je ne doutais pas qu’il ou elle me haïssait. Je serais sans doute jetée en enfer pour mes actes, et je n’aurais pas d’autre choix que d’obéir. Oui, si Dieu était réel, j’étais destinée à l’au-delà.
« J’espère donc que nous continuerons à être en bons termes à l’avenir. En fait, j’ai le contrat juste ici. »
J’avais étalé sur la table un document diplomatique détaillant nos relations.
« Ce document stipule que tant que vous restez sous la protection de l’Arachnée, vous conservez votre autonomie dans la forêt. Un de vos représentants pourrait-il le signer ? »
S’ils signaient, les elfes bénéficieraient de notre protection, auraient le droit de s’autoadministrer dans la forêt et maintiendraient des relations diplomatiques avec nous. Je ne savais pas comment écrire dans la langue de ce monde, alors j’avais demandé à Elizabeta de l’écrire pour moi.
À un moment donné, il faudrait que j’apprenne à lire et à écrire. Fort heureusement, la conscience collective de l’Essaim avait rendu l’étude beaucoup plus facile. Si l’un d’entre eux apprenait un peu de grammaire, cela se transmettait aux autres, leur permettant de l’apprendre aussi. En ce qui concernait le vocabulaire, si un individu apprenait à séparer les termes en catégories comme le militaire, la cuisine, la météo, etc. les autres l’apprendraient en un rien de temps. Je pourrais utiliser Elizabeta et les autres captifs pour apprendre à écrire.
« Je vais m’en occuper. »
Comme on pouvait s’y attendre, l’ancien s’était désigné lui-même.
« Alors, écrivez votre nom ici, en tant que représentant de Baumfetter. »
« Ici, très bien ? »
L’ancien avait délicatement écrit son nom, mais je ne pouvais pas non plus lire la langue des elfes.
Honnêtement, il aurait pu écrire « nigaud » à la place que je n’aurais pas pu faire la différence. Malgré cela, j’avais choisi de lui faire confiance. Les elfes avaient été témoins de la puissance écrasante de l’Arachnée, et ils savaient qu’ils ne gagneraient pas grand-chose en s’opposant à nous. S’ils ne s’en rendaient pas compte maintenant, nous n’aurions plus qu’à faire valoir notre point de vue plus tard.
« Alors je vais mettre mon nom ici… »
Mais au moment où les mots quittèrent mes lèvres, un choc m’avait envahie.
Quel était mon nom ?
J’avais bien un nom quand je vivais au Japon, mais là, je ne m’en souvenais pas. J’étais en train de faire un vide sur cette partie essentielle de mon identité. Mon nom avait complètement disparu de ma mémoire, comme s’il n’avait jamais existé.
« Y a-t-il un problème ? »
Moi, en revanche, j’étais sur le point de vomir. Ma conscience avait-elle été complètement consumée par l’Essaim, me conduisant à m’oublier ? C’était certainement possible.
« Votre Majesté… ? », demanda Sérignan avec inquiétude.
C’est vrai, Sérignan a un nom, et elle est connectée à la conscience collective tout comme moi… je devais donc en parler.
« Sérignan », avais-je chuchoté.
« Qu’y a-t-il, Votre Majesté ? »
« Sérignan… donne-moi un nom. »
Je m’accrochais à elle pour la soutenir.
« N’importe quoi fera l’affaire. J’ai besoin d’un nom. »
« Un nom ? »
Sérignan fronçait son front.
« Comme Grevillea ? »
« “Grevillea” ? Qu’est-ce que ça veut dire ? »
« C’est le nom d’une plante, aussi appelée fleur d’araignée. »
C’était le nom d’une fleur de ce monde… et d’une fleur qui convenait au chef de l’Essaim.
« Très bien. Merci, Sérignan. À partir d’aujourd’hui, je m’appelle Grevillea. Grevillea, reine de l’Arachnée. »
Ayant gagné un nom, j’avais eu l’impression de m’éloigner un peu plus de la conscience collective. Je ne savais pas si c’était pour le meilleur ou pour le pire, mais j’étais soulagée de pouvoir affirmer mon individualité. Cela signifiait que j’étais toujours distincte des Essaims sans nom.
« Je vais donc signer. »
J’avais écrit mon nom et mon titre sur le document.
« Avec ceci, nous avons scellé notre accord. J’espère que nos bonnes relations se prolongeront loin dans le futur. »
Et c’était ainsi que les elfes de la forêt entrèrent officiellement sous la protection de l’Arachnée. Certains d’entre eux étaient opposés à cette décision, mais en apprenant que nous avions vaincu le royaume de Maluk, et qu’ils étaient désormais menacés par les nations les plus puissantes du continent, ils avaient rapidement changé d’avis.
***
Partie 2
« Maintenant, les elfes devraient avoir un peu de paix. Même si nous sommes confrontés à la plus grande et la plus forte armée de ce continent, nous aurions quand même notre chance », avais-je dit.
J’étais de retour à la base de l’Arachnée. Elle n’avait pas été utilisée depuis un certain temps, mais c’était quand même une base fonctionnelle. Il y avait encore une centrale électrique en état de marche, un four à fertilisation et un dépôt de chair. J’avais même construit ici certaines de nos structures et installations nouvellement déverrouillées, mais je n’avais pas prévu de les utiliser avant un certain temps. Pour l’instant, nous n’avions pas assez de ressources pour qu’ils puissent commencer à produire des unités.
« J’ai déjeuné à Baumfetter aujourd’hui, alors je vais sauter mon prochain repas. Dieu merci, je peux dire adieu à ce pain dur et à cette viande séchée de nos longues marches. Il est temps de prendre un bon bain chaud et de dormir dans mon lit douillet. »
Au fait, les nouvelles installations n’étaient pas équipées d’un bain. J’avais demandé aux essaims Travailleurs de la construire il y a quelque temps, quand je m’étais plainte que je voulais un endroit approprié pour me laver.
« Tu veux te joindre à moi, Sérignan ? » lui avais-je demandé en chemin.
« Je peux ? »
Elle avait cligné des yeux, surprise.
« Mais je ne peux pas enlever mon armure, alors je vais sûrement me mettre en travers… »
« Oh, d’accord, tu ne peux pas l’enlever. Ne pourrais-tu pas utiliser ta Mimesis ? »
L’armure de Sérignan n’était pas une pièce d’équipement, mais une partie de son corps, elle ne pouvait donc pas l’enlever… dans sa forme actuelle, en tout cas.
« Je suppose que je pourrais essayer. »
« Mmm. On va devoir se trouver une grande source d’eau chaude ou quelque chose comme ça. »
Prendre un bain avec Sérignan s’était avéré être un peu plus problématique que je ne le pensais. Alors que j’essayais de trouver d’autres moyens de le faire, une voix s’était élevée derrière moi.
« Votre Majesté, puis-je avoir un moment ? »
La base de l’Arachnée était protégée par des Essaims Éventreurs, il ne serait donc pas facile de l’infiltrer. Les seules personnes que les Essaims laissaient passer étaient les elfes qui venaient nous offrir de la nourriture, l’ancien, ou les quelques elfes avec lesquels j’avais un lien personnel. Quand je m’étais retournée, je m’étais retrouvée face à face avec quelqu’un d’affreusement familier.
« Lysa ? Que fais-tu ici ? As-tu besoin de quelque chose de notre part ? », lui avais-je demandé.
« Oui. Umm… »
Lysa s’était mise en devoir de tout me dire.
« Je souhaite que vous me laissiez rejoindre l’armée de l’Arachnée. »
« Tu veux rejoindre mon armée ? Pourquoi ? »
« J’ai pensé que je ne suis pas assez bonne comme ça. Si seulement j’avais été plus forte à l’époque, j’aurais pu sauver Linnet. »
Lysa avait dû regarder son ami d’enfance, qu’elle aimait, mourir sous ses yeux. Naturellement, elle y pensait encore aujourd’hui. Il aurait été étrange qu’elle n’ait pas été traumatisée suite à la mort de la personne avec laquelle elle avait grandi et qu’elle avait promis d’épouser.
« Je suis désolée, mais je n’ai pas besoin d’elfes dans mon armée. Je comprends tes raisons, mais je ne peux pas te permettre de te joindre à nous. »
« Je vous en prie ! Je veux être aussi forte que Sérignan ! »
Je tenais en haute estime l’habileté des elfes avec un arc, mais cela ne convenait pas à mon style de combat. L’Arachnée était une menace liée à la conscience collective, capable d’attaquer l’ennemi avec un nombre écrasant et une solidarité sans pareil. Un seul elfe dans mon armée ne contribuerait pas vraiment à quoi que ce soit. Si elle était une unité capable d’évoluer comme Sérignan, ce serait une autre histoire, mais même dans ce cas, seule Sérignan était liée à la conscience collective.
« Hmm… Dans ce cas, serais-tu prête à renoncer à être une elfe ? », avais-je demandé tranquillement.
« Qu’est-ce que vous voulez dire ? »
« Si tu es vraiment prête à abandonner ta race et à faire partie de nos rangs, il y a une façon très simple de le faire. »
Oui, c’était presque trop facile.
« C’est un four de conversion. Il transforme d’autres êtres vivants en Essaim. Je l’ai construit en pensant que nous pourrions capturer des animaux sauvages comme des ours ou des loups, ou même des monstres, et les transformer de force en Essaim. Mais cela devrait fonctionner aussi sur les elfes. », avais-je dit tout en me rendant à une structure voisine.
C’était l’une des nouvelles structures que j’avais demandé aux Essaims Travailleurs de construire. Sa fonction première était de transformer les unités non arachnéennes en Essaims. Si je l’utilisais sur des ours, par exemple, ils deviendraient des Essaims ayant des caractéristiques semblables à celles des ours. Si je l’utilisais sur des loups, je finirais avec des essaims ayant un sens de l’odorat particulièrement développé. Les unités transformées me seraient également fidèles, puisque le fait de devenir un Essaim les reliait à la conscience collective.
Je ne savais pas ce qui se passerait si je mettais un elfe à l’intérieur… mais quand j’avais capturé des unités humaines dans le jeu et que j’utilisais le Chaudron de conversion sur elles, cela donnait des Essaims qui ressemblaient à des humains. En fait, dans la propre histoire de Sérignan, elle avait juré fidélité à la reine de l’Arachnée et était entrée dans un Chaudron de conversion de sa propre volonté. Je m’étais dit que cela fonctionnerait probablement de la même façon pour un elfe, mais j’avais des doutes.
« Mais je te préviens : l’Essaim a une conscience collective. Si tu deviens un Essaim, tu seras englouti par lui. Au pire, tu pourrais finir par perdre ta propre volonté. »
Lysa n’était pas un Essaim. Elle avait sa propre personnalité et son libre arbitre. Je ne pouvais pas imaginer ce qu’elle deviendrait si elle était intégrée dans la conscience collective. Elle pourrait finir par oublier son Linnet bien-aimé, ou elle pourrait conserver son individualité même au sein du collectif, comme je l’avais fait.
« S’il vous plaît, laissez-moi-le faire. Je veux être plus forte pour pouvoir protéger les personnes que j’aime. J’ai déjà perdu Linnet… Je ne perdrai personne d’autre. »
Lysa était déterminée à le faire, et mon avertissement ne semblait pas la déranger. Elle ne se permettrait pas d’oublier Linnet. C’était assez clair, le souvenir de sa mort était également encore profondément ancré dans la conscience collective de l’Arachnée. Après tout, c’était le moment où nous avions décidé de déclarer la guerre au royaume de Maluk.
« Très bien. Je vois que tu as pris ta décision. Va donc dans le chaudron de conversion. Tout sera fini avant que tu ne le saches. »
J’avais ouvert les portes du Chaudron de Conversion, qui ressemblait étrangement à une vierge de fer, et j’avais fait signe à Lysa d’entrer.
« Me voici… »
Lysa prit une grande respiration et entra.
J’avais fermé les portes sur elle, et puis…
« Aaah, aaahhh, aaAaAHhh ! »
Son cri perçant retentit de l’intérieur de l’appareil.
« Lysa !? Lysa, tu vas bien !? »
J’avais senti la panique monter en moi.
Mais bientôt, les cris s’étaient tus et le chaudron de conversion s’était rouvert.
« Voilà donc à quoi ressemble le fait d’être un Essaim… »
L’apparence de Lysa avait radicalement changé. Comme Sérignan, elle avait des pattes instables qui jaillissaient de son nouveau corps — huit pattes, pour être précis — et une queue en forme de scorpion. Elle semblait assez déconcertée par sa nouvelle forme, inspectant avec curiosité ses bras et sa queue.
« Eh bien, es-tu toujours… toi ? »
« Oui, je vais bien. »
Sa conscience n’avait pas été consommée par le collectif. Quand je l’avais considérée, elle, Sérignan et moi, peut-être que ce n’était pas si facile de se perdre dans l’Essaim.
« Peux-tu utiliser Mimesis, Lysa ? », lui demandai-je avec enthousiasme.
« Mimesis? »
« Essaye d’imaginer ton ancien corps. Concentre-toi dessus, fortement. »
« Mon ancien corps… » fredonnait Lysa en imaginant sa forme elfique.
Au bout d’un moment, ses cheveux châtains se changeaient en une paire de queues doubles, et son corps était à nouveau souple et petit, vêtu d’un pantalon et d’une tunique.
« Je suis de nouveau comme j’étais ? »
« Pas exactement. La Mimesis est un peu comme un déguisement. Si tu perds ta concentration, tu retrouveras ta forme d’essaim. »
Quand j’avais vu les yeux de Lysa s’agiter par surprise, j’avais dû supprimer un rire.
« Quoi qu’il en soit, j’espère te voir faire du bon travail, Lysa. Bienvenue à l’Arachnée. Nous sommes heureux de t’avoir. »
Ainsi, j’avais fait de Lysa l’elfe, l’une des nôtres.
Quelle agréable surprise, me suis-je dit. Avoir deux unités capables d’utiliser Mimesis devrait augmenter mon éventail de stratégies.
☆☆☆**
La guerre avait commencé. Ce terrible conflit allait sûrement tout consumer. Oui, les chiens de guerre avaient été lâchés, leurs hurlements aussi aigus et stridents que les cris qui allaient retentir lors de l’inévitable massacre.
C’était l’Arachnée qui avait commencé cette guerre. Cette nation redoutable était apparue de nulle part, dressant ses crocs contre le monde. Ses insectes grotesques étaient sortis d’un ventre noir et avaient dévoré le royaume de Maluk. Ils étaient maintenant prêts pour leur prochain assaut, avec leur reine pour les guider.
Ce conflit sera bientôt appelé la campagne de l’Arachnée. Les cris de guerre résonnèrent dans les villes, les villages, les forteresses, les quartiers riches, les rues des corporations et les bidonvilles. Soldats et généraux s’écoutèrent, avec des voix qui réclamaient du sang autour d’eux.
L’empereur, le roi et le duc s’étaient tous réunis, rassemblant des groupes de mercenaires et ordonnant à leurs ingénieurs de combat de fortifier les murs. Les murs qui n’avaient pas vu une seule égratignure depuis de nombreuses années de paix furent bientôt gardés par des soldats portant des uniformes flambant neufs, ayant le regard fixé vers l’ouest.
Ils croyaient que l’ennemi — les insectes — allait surgir de l’ouest. Gardez les yeux sur l’ouest, disaient leurs supérieurs. Méfiez-vous de l’ouest. Si l’ennemi arrive, élevez la voix. Sonnez la corne de la guerre et criez, même si vous êtes rendus fous. Tel était le devoir des soldats, même si cela signifiait qu’ils devaient s’user la gorge au passage. En tant que militaires, ils étaient prêts à se sacrifier, même s’ils étaient confrontés à des horreurs cauchemardesques.
Étaient-ils prêts pour l’arrivée des insectes ? S’ils ne l’étaient pas, il était alors bien trop tard pour eux. Leur terre serait dévorée par une armée d’insectes et leurs citoyens seraient transformés en boulettes de viande. S’ils ne prenaient pas toutes les mesures possibles pour arrêter le raz-de-marée, ils ne survivraient jamais.
C’était comme si les portes de l’enfer étaient sur le point de s’ouvrir sur ce monde. Oui… La tyrannie de l’Arachnée était sur eux. Même l’empereur de Nyrnal, hautain, retenait son souffle en attendant la marche imminente des créatures. L’Arachnée jetait une ombre sur le Royaume Papal de Frantz, une ombre que leur foi en Dieu ne pouvait pas éclairer. Tous les autres pays ne pouvaient que trembler de terreur.
Où ce flot d’insectes allait-il se rendre ensuite ? Tout le monde attendait avec impatience, faisant de son mieux pour se préparer au pire : le duché de Schtraut, le Royaume Papal de Frantz, l’empire de Nyrnal et tous les autres petits pays entre les deux. Ils redoutaient l’arrivée de ce déluge et s’étaient donc préparés.
« Nous allons au nord-est », déclara la reine de l’Arachnée.
Son ordre traversa la conscience collective, et chaque Essaim sous mon commandement tourna ses yeux vers le nord-est… vers le prochain pays qui allait connaître la dévastation.
***
Vraiment effrayant à la fin, c’est un xenocide…