Genjitsushugisha no Oukokukaizouki – Tome 16

Table des matières

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Prologue : Deux ans après

Partie 1

Cela faisait deux ans que les membres de la Déclaration de l’humanité, de l’Alliance maritime et de la Faction Fuuga s’étaient unis pour stopper la propagation de la Malédiction du Roi des esprits, une maladie connue sous le nom de Maladie des insectes magiques hématophages, ou Maladie des insectes magiques en abrégé.

Bien que les trois grandes puissances se soient affrontées sur le continent de Landia, leurs efforts combinés avaient permis de rétablir la paix sur l’ensemble du continent. Le Domaine du Seigneur-Démon subsistait encore au nord, mais pendant cette période, il n’y eut pas de déferlement de monstres. Aucun pays n’avait été ravagé, ni annexé. C’était une époque harmonieuse, aussi éphémère soit-elle.

Malgré le silence qui régnait dans le domaine du Seigneur-Démon, la menace qu’il faisait peser sur l’humanité était toujours présente. Et Fuuga, avec ses grandes ambitions, n’en démordait pas. Bien qu’il y ait eu une prémonition de grandes vagues à venir, chaque pays avait passé ce temps de paix à se développer pour l’avenir.

Tout d’abord, il y avait le Royaume du Grand Tigre de Fuuga, qui était forcément dans l’œil du cyclone. Depuis deux ans, Fuuga étendait activement son territoire dans le domaine du Seigneur-Démon. Il avait gagné des terres, augmenté sa population en appelant ceux qui avaient initialement fui vers le sud, et avait constamment accru son pouvoir. Il en résulta un État qui rivalisait avec l’Empire en termes de superficie.

Leur libération du Domaine du Seigneur-Démon avait également renforcé sa renommée. Elle avait consolidé la position de Fuuga en tant que « grand homme » de cette époque.

Dans le domaine des affaires étrangères, Fuuga avait renforcé ses relations avec l’État pontifical orthodoxe et le Royaume des esprits et, avec eux, avait dépassé l’Empire en puissance. Dans le domaine des affaires intérieures, il avait appris les techniques médicales du Royaume et de l’Empire et avait recruté une grande variété de personnel pour remédier à sa pénurie de bureaucrates. Grâce à la renommée de Fuuga, le Royaume du Grand Tigre avait pu recruter des personnes mécontentes du statu quo, des personnes désireuses de se faire un nom dans le nord et des personnes inspirées par son histoire héroïque. Les aventuriers disséminés sur le continent étaient particulièrement susceptibles de répondre à l’appel et de rejoindre le pays de Fuuga.

« Comme il a libéré beaucoup de territoires, il y a beaucoup de travail. Les aventuriers passent d’un pays à l’autre, sans vraiment s’attacher à l’un d’entre eux. Mais l’expansion vers le nord fait appel à notre sens du romantisme. J’ai entendu dire que les aventuriers des autres pays s’y rendaient tous », expliqua Juno l’aventurière lors d’un thé nocturne en présence des reines.

Lorsque les aventuriers n’exploraient pas les donjons, ils étaient en fait des touche-à-tout dans les villes où ils séjournaient. Le fait que le Nord soit une frontière pleine d’opportunités les avait donc séduits.

« Ne vas-tu pas toi-même au nord ? » demandai-je.

Juno sourit et secoua la tête. « Non, les aventuriers peuvent gagner correctement leur vie dans ce pays. Et si jamais nous voulons arrêter, nous pouvons aller à l’école et nous former à un autre métier. Toutes les politiques visant à améliorer la vie des esclaves ont également permis de soutenir des gens comme nous, qui ont tendance à être au bas de l’échelle sociale. Tout aventurier travaillant dans le Royaume qui veut subir les inconvénients de la route vers le nord, est soit ambitieux, soit idiot. »

Cela dit, Juno avait vidé le reste de son thé, puis avait repris une expression un peu plus sérieuse.

« Mais d’un autre côté… Ceux qui ne supportent pas ce genre de traitement — qui ne veulent pas être méprisés — seront attirés par le Nord, n’est-ce pas ? Ils sont à la recherche d’un bouleversement pour changer le cours de leur existence misérable. N’ayant rien à perdre, il leur est facile de tout miser. »

Ces mots m’avaient fait frémir. Cela signifiait que des personnes plus ambitieuses se rassemblaient autour d’un homme qui avait déjà de grandes ambitions. Il serait peut-être difficile pour Fuuga de remédier à sa pénurie de bureaucrates avec le genre de personnes qu’il attirait, mais il était en train de créer un groupe avec lequel il serait encore plus difficile de composer.

Ensuite, il y avait l’Empire du Gran Chaos de Maria. L’influence de la Déclaration de l’Humanité avait diminué et Fuuga avait volé l’attention du monde, mais Maria était toujours capable de rester la Sainte de l’Empire. Contrairement à Fuuga qui étendait son territoire, Maria se concentrait sur les affaires internes.

Elle avait engagé du personnel compétent et avait progressivement réformé les anciens systèmes. Et si son pays manquait de nouvelles sciences et technologies, elle n’hésitait pas à se tourner vers d’autres nations pour les lui enseigner. Nous lui avions enseigné la médecine, et la République et l’Union de l’Archipel lui avaient enseigné d’autres technologies. Elle nous avait également emboîté le pas en abolissant l’esclavage sous toutes ses formes, avant même que la République et l’Union de l’Archipel ne fassent de même. Elle disposait désormais d’un filet de sécurité sociale du même niveau que celui du Royaume. Le peuple la soutenait encore plus, et rien n’indiquait qu’elle cesserait de sitôt d’être la sainte de l’Empire.

Pendant ce temps, certains membres de la noblesse et de la classe des chevaliers ne pouvaient accepter que Fuuga leur ait volé l’attention du monde. Ils faisaient régulièrement pression sur Maria pour qu’elle envoie une force dans le Domaine du Seigneur-Démon. Maria, cependant, refusait d’arrêter de se concentrer sur les affaires domestiques, et ils étaient donc de plus en plus mécontents.

À ce propos, Maria m’avait dit lors d’une conférence radiodiffusée…

« Je l’ai déjà dit, mais si notre pays s’agrandit encore, il y aura de plus en plus d’endroits dont nous ne pourrons pas nous occuper de manière adéquate. Si nous sommes obsédés par les apparences, nous perdrons de vue ce qui est vraiment important. »

Son épuisement était presque palpable.

Parlons maintenant de nos alliés au sein de l’Alliance maritime. Tout d’abord, Kuu et sa République de Turgis.

Peu de temps après son retour, Kuu prit la place de son père à la tête de la République et se mit au travail pour réformer leur technologie avec l’aide de sa fiancée, Taru la forgeronne. Grâce au mécanisme rotatif qu’elle avait mis au point avec le Royaume et l’Empire, la République s’employait à creuser des tunnels à travers les montagnes à l’aide de foreuses. Cela permettait de soutenir leur réseau de transport lorsqu’il était bloqué par la neige. Ainsi, les déplacements entre les villes en hiver, qui nécessitaient un numoth — une bête ressemblant à un mammouth laineux — seraient possibles sans lui. Ces tunnels leur permettraient également de commercer avec d’autres nations, ce qui résoudrait leur perpétuelle pénurie d’approvisionnement.

Il avait également suivi mon conseil — ou plutôt mon lapsus — et créé un ascenseur près des sources d’eau chaude de Noblebeppu pour une station de ski. On aurait dit qu’il essayait sérieusement de s’en servir pour faire rentrer des devises étrangères. Nous avions même reçu des invitations. Kuu étant un homme aux goûts excentriques, il avait demandé à son technicien de génie Taru d’apporter diverses « améliorations », transformant ainsi son pays en quelque chose de plus étrange qu’il ne l’était déjà.

En parlant de Kuu, il était censé épouser Taru et son ancienne servante Leporina bientôt. Le connaissant, je pensais qu’ils se marieraient dès leur retour à la maison, mais il avait été tellement occupé par les réformes que le projet avait apparemment été relégué au second plan. L’invitation à la station de ski était accompagnée d’une invitation au mariage. Cela signifie-t-il qu’il veut que nous essayions de skier pendant que nous sommes là-bas ?

J’allais m’arranger pour que nous puissions y aller en famille.

Et nous avions notre autre allié, l’Union de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes.

Au cours des deux dernières années, Shabon avait centralisé le pouvoir dans les îles et renommé le pays en Royaume de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes. (Abrégé en « Royaume de l’Archipel » par souci de simplicité).

Avec l’aide de son père Shana, le précédent roi, et de Kishun, le conseiller royal, elle consolidait sa position de reine dragon à neuf têtes, souveraine de l’archipel.

Shabon avait conclu un traité d’échange de compétences et de technologies avec le Royaume et la République, et renforçait son pays grâce aux connaissances acquises sur le continent. Elle avait notamment unifié les forces maritimes des différentes îles en une seule force connue sous le nom de Flotte de la Reine. Même si une autre créature massive comme Ooyamizuchi apparaissait, ils ne seraient pas confrontés au problème de l’incapacité à coordonner une réponse. La flotte avait également rendu les voyages entre les îles plus faciles que jamais, et elle avait coopéré avec nous et la République pour faire entrer des devises étrangères.

Pendant cette période, Shabon avait également épousé Kishun et donné naissance à un garçon et une fille. Peut-être parce que les noms insulaires avaient tendance à être prononcés en un seul mot, aucun des deux n’avait changé son nom de famille lorsqu’ils s’étaient mariés.

Conformément à notre promesse, son premier enfant, la princesse Sharan, serait la fiancée de mon fils aîné Cian. Shabon et Kishun leur avaient rendu visite une fois pour qu’ils se rencontrent, mais le sympathique Cian s’était contenté de la regarder vaguement. En fait, c’est Kazuha qui semblait plus intéressée par la princesse Sharan. Peut-être s’entendra-t-elle avec sa belle-sœur.

Ensuite, parlons du Royaume des Chevaliers dragons de Nothung, qui n’appartenait pas à l’Alliance maritime mais qui entretenait des relations avec nous.

Après être devenue la reine des Chevaliers dragons et avoir hérité du trône de son père, la reine Sill Munto dirigea les Chevaliers dragons en tant que service de messagerie, et ce depuis deux ans. Ses terres étant encerclées par la faction Fuuga, le royaume des Chevaliers dragons s’était engagé dans le commerce avec eux pour le moment. Le Fuuga n’avait pas encore décidé de leur imposer un blocus. Mais la Chaîne de Montagnes de l’Étoile du Dragon les avait autorisés à traverser leur espace aérien pour effectuer leurs livraisons, et ils survolaient les nations du sud.

Leur pacte avec les dragons avait permis à d’autres pays de leur confier le transport de fournitures et de personnalités. C’est ainsi que les nations de l’Alliance Maritime et de la Déclaration de l’Humanité avaient fait appel à leurs services. Dans notre cas, notre ambassadeur auprès de l’Empire, Piltory, les utilisait pour de courts voyages de retour. Et l’ambassadeur de l’Empire auprès de nous, Trill, les avait utilisés lorsque Jeanne avait exigé de rentrer chez elle (pour se faire sermonner)…

Leur trésorerie était apparemment plus importante que lorsqu’ils n’étaient que des chevaliers.

Enfin, parlons de mon pays, le Royaume de Friedonia.

Au cours de ces deux années, nous avions fait des progrès constants en matière de commerce, de développement technologique et de préparation militaire. L’équipe de Surscientifiques, composée de Genia, Merula et Trill, concentrait ses efforts sur la théorie selon laquelle le magicium était des nanomachines, découverte lors de l’étude de la maladie de l’insecte magique.

Cela avait conduit à la théorie selon laquelle le minerai maudit, qui était la source d’énergie de la foreuse, était constitué de nanomachines qui avaient perdu toutes leurs fonctions, à l’exception de leur capacité à se recharger. En partant de cette idée, nous avions approfondi notre compréhension du minerai maudit en tant que réservoir d’énergie magique, et nous avions pu l’utiliser dans une variété d’applications différentes.

D’ailleurs, l’une des premières réalisations fut un briquet qui n’avait besoin ni de gaz ni d’huile. Les mages du feu pouvaient facilement créer des étincelles, mais ce briquet pouvait stocker la puissance magique de n’importe quel type de mage dans son minerai maudit. En utilisant la formule gravée à l’intérieur, il pouvait alors transformer la puissance stockée en puissance magique de feu et créer une étincelle.

Franchement, ce briquet n’avait aucune application pratique. Sa construction aurait coûté autant qu’un petit destroyer, et il n’était pas plus utile qu’un briquet à pétrole standard. Et quiconque pouvait utiliser la magie du feu n’en avait même pas besoin. Bien que peu pratique, la capacité de stocker de l’énergie magique et de la convertir avait un large éventail d’applications, et nous étions impatients de voir ce qu’il en résulterait.

En ce qui concerne les préparatifs militaires, notre porte-avions insulaire, le Hiryuu, avait été rejoint par deux autres, le Souryuu et l’Unryuu, ce qui nous permet de disposer d’une flotte de trois porte-avions.

Grâce à la capacité de Tomoe, nous avions mis en place un environnement dans lequel les wyvernes peuvent être entraînées, et nous avions développé notre force aérienne en même temps. Cela signifiait que nous pouvions désormais déployer des forces aériennes à l’étranger sur plusieurs théâtres en même temps. En d’autres termes, nous pouvions lancer des bombardements simultanément à partir de trois endroits en mer. Il s’agissait là d’une menace majeure pour les autres nations. Ceux qui l’avaient compris étaient pratiquement tous nos alliés. La faction de Fuuga se concentrait sur la terre, il lui était donc difficile de saisir l’importance de la puissance maritime et de reconnaître la menace qu’elle représentait.

Passons maintenant aux questions personnelles : au cours de ces deux années, un autre membre était venu s’ajouter à notre famille.

Juna avait donné naissance à son deuxième enfant, un garçon que nous avions appelé Kaito. Nous l’avions choisi parce que « kai » signifie « mer », avec laquelle Juna possède un lien profond. Peu d’autres choses avaient changé. Mes femmes et moi-même avions tous plus de vingt ans — bien que certains de leurs âges n’aient pas encore été révélés — et quelques années n’avaient donc pas changé notre apparence.

Mais il y avait des personnes dont l’apparence avait beaucoup changé en deux ans.

— Au 4e mois, 1552e année, calendrier continental —

Tomoe, Ichiha et Yuriga étaient diplômés de l’Académie royale.

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Partie 2

Un jour de printemps, alors que le soleil entrait par les fenêtres et me réchauffait le dos…

Tomoe, Ichiha et Yuriga, récemment diplômés, se tenaient devant moi, à mon bureau des affaires gouvernementales. Ils étaient tous en pleine puberté et avaient grandi au point que je ne pouvais plus les traiter comme des enfants, même s’ils avaient encore l’air jeunes.

De chaque côté de moi, Liscia et Hakuya souriaient également au trio.

« Toux… Tomoe, Ichiha, Yuriga. Félicitations pour votre diplôme. »

« Merci, Grand Frère, » répondit Tomoe avec un sourire.

Tomoe avait quinze ans et allait avoir seize ans cette année. Elle avait maintenant l’âge qu’avait Roroa lorsque je l’avais rencontrée pour la première fois, mais Tomoe avait grandi et sa silhouette était de plus en plus féminine. Elle avait aussi les cheveux un peu plus longs.

En plus de ses études, Tomoe avait également suivi des cours d’étiquette et de mise en beauté auprès de Juna. Grâce à cela, même en se tenant debout, elle avait une beauté qui pouvait impressionner les gens.

Je ne devrais probablement pas le dire, mais elle ressemble beaucoup plus à une princesse que sa grande sœur Liscia.

« Je suppose qu’on ne peut plus t’appeler “petite” Tomoe… »

« Hee hee. Appelle-moi comme tu veux, Grand Frère. »

« Ce rire… Il est comme celui de Juna. Séduisant… Oui, on peut dire que c’est séduisant », dit Liscia en soupirant.

 

 

À un moment donné, Tomoe était passée d’une petite fille mignonne à une jolie fille.

Elle pourrait faire danser les hommes dans le creux de sa main, si elle le voulait… Si nous ne lui trouvons pas un partenaire et n’annonçons pas rapidement leurs fiançailles, elle finira par rendre les hommes fous. En tant que grand frère, j’avais des sentiments compliqués à ce sujet.

« Tu vas continuer à travailler au château, n’est-ce pas ? »

« Oui. J’aimerais continuer à utiliser mes capacités pour aider à créer des environnements où nous pouvons élever toutes sortes d’animaux différents », dit Tomoe en hochant la tête. En tapant dans ses mains, elle ajouta : « Ah, j’ai aussi appris les cérémonies royales auprès du chambellan royal, Marx. J’adore vivre au château avec toi et toutes mes grandes sœurs, alors j’aimerais bien prendre la place de Marx et m’occuper de tout ce qui se passe à l’intérieur du château. »

« Un successeur pour Marx… C’est une bonne idée. »

« O-Oh, je vois. »

Je m’en réjouissais, mais Liscia semblait un peu en conflit.

« Hm ? Y a-t-il un problème ? » avais-je demandé.

« Non, mais dans la position de Marx, il devait se préoccuper de produire des héritiers, non ? Je ne sais pas trop ce que je pense du fait que ce soit Tomoe qui nous harcèle à ce sujet à partir de maintenant… »

« Je vois où tu veux en venir… »

C’est pourquoi je m’étais senti mal à l’aise. Marx était un homme, et pendant qu’il s’affairait à trouver un héritier, c’étaient les dames de la cour qui s’occupaient de la santé des reines et qui programmaient nos nuits ensemble. Mais avec Tomoe dans son rôle, c’est elle qui prendrait les décisions.

Alors que Liscia et moi échangions des regards gênés, Tomoe avait souri.

« Grand frère, grande sœur, n’est-il pas temps que vous ayez votre troisième ? »

« B-Bien sûr… »

« Eh bien, donne-nous du temps… D’accord ? »

Le roi et la reine étaient impuissants devant cette petite diablesse.

Je me raclai la gorge bruyamment, essayant de surmonter cette gêne, et regardai Ichiha. Il avait quatorze ans et il en aurait quinze cette année. De tous les trois, c’était lui qui avait le plus grandi. Il était plus grand que les deux filles maintenant, et rattrapait rapidement ma propre taille de 174 centimètres. Son visage était encore jeune, mais il était devenu un beau jeune homme lettré.

Si on le met à l’antenne, les ménagères vont l’adorer. Lorsqu’il se tenait à côté de Hakuya auparavant, on aurait dit quelque chose tiré de la couverture d’un magazine manga fétichiste destiné aux femmes.

« Je suppose que tu vas continuer à servir avec nous, alors veux-tu être affecté à la place de Hakuya ? »

« Oui. S’il vous plaît, laissez-moi travailler pour Hakuya pendant que je continue à apprendre. »

« J’aimerais aussi, sire », dit Hakuya en inclinant la tête.

Alors qu’Ichiha était devenu un expert reconnu dans le domaine de la monstrologie pendant son séjour à l’école, il avait également appris la politique et la stratégie auprès de Hakuya. Lorsqu’il avait vu sa sœur aînée Sami — qui s’était réfugiée ici après avoir été prise dans les luttes politiques de son pays — il avait été motivé pour étudier ce genre de choses afin de protéger les personnes qui lui étaient chères.

Hakuya s’était pris d’affection pour lui et l’élevait pour qu’il devienne son successeur. Je le considérais également comme un candidat au poste de Premier ministre.

« Hee hee. Fais de ton mieux, Ichiha », encouragea Tomoe.

« D’accord ! Je le ferai. »

Tomoe et Ichiha s’étaient souri l’un à l’autre.

Pour qu’un étranger comme Ichiha atteigne une position importante, il a besoin de soutiens puissants… Comme un mariage avec une fille adoptive de la famille royale d’Elfrieden… Est-il temps que je leur parle à tous les deux ?

Alors que je pensais cela, j’avais regardé Yuriga.

« Et Yuriga… »

« Oui… »

Yuriga était plus âgée que les deux autres et allait avoir dix-huit ans cette année. Elle était à peu près aussi grande que Liscia et avait une silhouette plus féminine. Ses cheveux étaient de la même longueur qu’avant, mais elle les portait à moitié relevés et à moitié rabattus. D’après elle, « porter une queue de cheval à mon âge, ce serait plutôt gênant ! »

Elle avait une apparence courageuse et digne qui me rappelait Liscia lorsque je l’avais rencontrée pour la première fois. Bien qu’elle n’ait pas de compétence unique comme Tomoe ou Ichiha, elle était devenue une personne polyvalente capable de gérer les affaires militaires, les études et les tâches administratives mieux que la moyenne. Mais… comparée aux autres, elle était dans une position bien plus délicate.

« Fuuga t’a-t-il donné des instructions ? Sur ce qu’il faut faire après l’obtention du diplôme, par exemple ? »

« Non. »

« Il ne t’a pas rappelée au Royaume du Grand Tigre ou quoi que ce soit d’autre ? »

« Non. »

« Vraiment, rien ? »

« Je vous l’ai dit, il n’y a rien ! Augh ! » Yuriga croisa les bras et regarda avec dépit sur le côté. « Je lui ai demandé pendant longtemps ce que je devais faire après avoir obtenu mon diplôme, mais tout ce qu’il m’a dit, c’est de rester dans le Royaume. Sérieusement, qu’est-ce qu’il veut que je fasse ? Ainsi, je suis coincée ici dans l’obscurité ! »

« Wôw, Yuriga, » dit Tomoe. « Calme-toi, s’il te plaît. »

« Arrête ça ! »

Yuriga avait pincé les joues de Tomoe. Leur relation n’avait pas beaucoup changé, même si elles étaient plus âgées.

Mais… qu’est-ce que Fuuga prépare ? À l’époque où Malmkhitan, le précurseur du royaume du Grand Tigre de Haan, faisait partie de l’Union des nations de l’Est, Fuuga avait envoyé Yuriga étudier dans notre pays. Il l’avait fait pour la protéger du chaos de la guerre d’unification, mais aussi pour qu’elle apprenne. Je n’aurais jamais pensé qu’elle n’aurait pas d’instructions sur ce qu’elle devrait faire après avoir obtenu son diplôme.

Les choses s’étaient calmées dans le Royaume du Grand Tigre, et il n’y avait donc aucun problème à ce qu’elle rentre chez elle.

« A-t-il l’intention de laisser Madame Yuriga en otage dans notre pays ? » suggéra Hakuya.

Yuriga lâcha les joues de Tomoe et ricana. « Hmph ! Si c’est ce qu’il veut, j’aimerais qu’il le dise. Cela ne me dérangerait pas d’être un otage pour lui. Tant que Tomoe et Souma sont là, je ne serai pas maltraité et je pourrai me détendre. Le pire, c’est d’être laissé en plan sans instructions. »

C’est une façon incroyable de voir les choses. Yuriga a du cran.

Elle s’était retournée et m’avait regardé. « Hey, Sir Souma. Y a-t-il un travail que je puisse faire en attendant des nouvelles de mon frère ? »

Un travail pour Yuriga, hein ? Nous pourrions toujours avoir besoin d’une autre paire de mains, mais… En y réfléchissant, j’avais dit : « Eh bien… tes capacités font de toi un candidat intéressant, mais tant que nous ne connaissons pas ton poste, je ne sais pas comment nous pouvons t’utiliser. Dans l’état actuel des choses, tu es toujours une invitée, ce qui rend difficile de te donner un emploi dans l’armée, l’administration ou l’université. »

En entendant ma réponse, elle avait affaissé ses épaules.

« Je ne veux pas rester assis… Velza et Lucy travaillent aussi. »

Leurs amies Velza et Lucy avaient également obtenu leur diplôme. Velza avait rejoint les forces terrestres grâce à ses liens avec la Maison Magna. Apparemment, elle faisait office de secrétaire pour Halbert. Lucy avait repris le salon de sa famille, et je l’apercevais parfois au château, planifiant des événements avec Roroa. Yuriga s’impatientait de voir ses quatre amis s’occuper de leurs propres affaires alors qu’elle n’avait rien à faire.

Ah ! Maintenant que j’y pense… C’est alors que je m’étais souvenu de quelque chose et que j’avais sorti un document de mon bureau.

« Je viens de penser qu’il y avait une demande de quelqu’un qui voulait t’aider. »

« Il y a cela ? »

« Oui. Une équipe de football mage, les Dragons Noirs de Parnam », dis-je en lui tendant le document.

Le football mage était né d’un club de l’Académie royale. Il s’agissait de football, mais avec la possibilité d’utiliser la magie. Les gens faisaient donc des choses comme donner des coups de pied dans des boules de feu. Nous avions essayé de retransmettre un match, et les gens avaient vraiment aimé, alors nous avions fini par former plusieurs équipes professionnelles pour que cela fonctionne en tant que programme de retransmission. Les Dragons noirs de Parnam, basés dans la capitale royale, étaient l’une de ces équipes. Leur mascotte était en fait inspirée de Naden sous sa forme ryuu.

« Tu as beaucoup joué au football mage quand tu étais à l’école, n’est-ce pas ? Ils disaient — si c’est possible — qu’ils voulaient que tu fasses partie de l’équipe. J’ai juste supposé que tu rentrerais chez toi après ton diplôme, alors je n’en ai jamais parlé avant. »

« Cela pourrait être bon… » dit Yuriga en parcourant le document. « Il semblerait que certains de mes aînés fassent partie de l’équipe, et ce serait bien de continuer à jouer. Ce n’est pas comme si j’avais autre chose à faire. »

Il semblerait que Yuriga soit d’accord. Elle ne risquait pas de tomber sur des informations confidentielles en tant que mage footballeuse, et elle rendrait les retransmissions plus amusantes, ce qui lui convenait parfaitement.

« C’est bien, Yuriga, » dit Tomoe. « Tu n’es pas obligée d’être une clocharde au chômage. »

« Ne me traite pas de clocharde ! »

J’avais souri en les regardant se batailler.

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Chapitre 1 : Un mariage et des vacances en famille

Partie 1

– Fin du 4e mois, 1552e année, calendrier continental —

Ce jour-là, dans la capitale de la République, Sapeur, une grande fête était organisée.

La ville de Sapeur comptait de nombreux bâtiments aux murs blancs. En cette saison, la neige dans les rues n’avait pas encore complètement fondu, si bien que la lumière du soleil se reflétait de façon aveuglante par temps clair. Il n’y avait pas un seul nuage dans le ciel. Sous l’étendue bleue, une grande foule de personnes s’était rassemblée dans un bâtiment ressemblant à un temple qui avait été construit en position légèrement surélevée. Nous n’étions que quelques-uns parmi cette foule.

« En y réfléchissant, je ne suis jamais allé dans la capitale de la République, hein ? » me dis-je à voix basse, alors que l’idée venait de me traverser l’esprit.

Liscia pencha la tête sur le côté. Elle se tenait à côté de moi, vêtue d’une robe et d’un châle épais qui protégeait du froid ses épaules autrement exposées.

« Tu ne l’as jamais fait ? » demande-t-elle. « Tu es venu en République quand j’étais enceinte, n’est-ce pas ? »

« Oui, mais nous ne sommes allés qu’à Noblebeppu, près de la frontière. La rencontre avec leur ancien chef, Sire Gouran, s’est aussi faite en secret là-bas », expliqua Roroa, habillée de la même façon que Liscia.

J’avais acquiescé. « C’est la première fois que je viens. L’architecture d’un endroit comme celui-ci est intéressante. »

Ce bâtiment était le centre du Conseil des chefs qui dirigeait le gouvernement de la République et où se déroulaient les cérémonies. Il comportait de grands piliers épais qui me rappelaient l’architecture historique romaine ou grecque. On l’appelait apparemment le temple de Sapeur. Et aujourd’hui, c’était le mariage de Kuu, Taru et Leporina.

Invité d’honneur étranger, j’étais venu avec mes femmes et mes enfants — Tomoe, Yuriga et Ichiha. Carla était également venue, faisant office à la fois de servante et de garde du corps. Nous étions assis dans la section réservée aux invités d’honneur. Liscia, de la maison royale d’Elfrieden, Roroa, de la maison princière d’Amidonia, et notre garde du corps Aisha étaient présents. Yuriga était présente en tant que représentante du Royaume du Grand Tigre. Yuriga n’était pas ici en tant que représentante de Fuuga, mais à la demande de Kuu, qui voulait se donner une image plus impressionnante en accueillant plus d’étrangers.

Juna, Naden, Carla, et Ichiha étaient avec les enfants dans une pièce un peu plus loin. Là, ils pouvaient regarder la cérémonie de façon anonyme. Étant une ryuuu et un dragonewt, le climat de ce pays était trop froid pour Naden et Carla, même en avril. Elles étaient toutes emmitouflées pour se réchauffer, elles étaient donc probablement plus heureuses d’assister à la cérémonie à l’intérieur.

D’ailleurs, la reine du dragon à neuf têtes Shabon avait également été invitée à cette cérémonie, mais elle n’avait malheureusement pas pu l’intégrer à son emploi du temps. À sa place, j’avais reçu un message de félicitations à transmettre.

« Vous n’avez pas froid ? » demandai-je à Liscia et Roroa.

« Un peu… Sans ce châle, je ne pourrais pas rester assise longtemps. »

« La chaudière à bois qui se trouve derrière nous contribue à la rendre supportable. »

Dans ce pays froid, les femmes humaines devaient faire preuve d’esprit et de courage si elles voulaient s’habiller à la mode.

Nike Chima, le subordonné de Kuu, était sorti pour annoncer : « Son Excellence Kuu Taisei, chef de la République, et ses épouses Lady Taru et Lady Leporina sont arrivés ! »

Kuu et ses femmes étaient sortis, après avoir terminé une cérémonie de mariage traditionnelle à l’intérieur du temple de Sapeur. Immédiatement, les applaudissements avaient fusé. Nous nous étions levés à notre tour pour les applaudir tous les trois.

Aujourd’hui, au lieu de s’habiller comme un acteur de kabuki, Kuu portait un élégant smoking blanc. Quant à Taru et Leporina, elles portaient toutes deux des robes de mariée d’un blanc pur. La robe de Taru avait des manches longues, tandis que celle de Leporina avait des manches courtes. Leurs épaules étaient entièrement découvertes, mais en tant que membres des Cinq Races des Plaines enneigées, elles étaient habituées au froid.

La foule était si nombreuse qu’on avait l’impression que tous les habitants de la République étaient présents. Se tournant pour leur faire face, Kuu leva les mains.

« Cela me rappelle un peu notre propre cérémonie de mariage », dit Aisha, et Roroa et Liscia acquiescèrent en continuant d’applaudir.

« Moi aussi. Les gens nous encourageaient de la même façon à l’époque, n’est-ce pas, grande sœur Cia ? »

« Hee hee, tu as raison. C’était le plus grand jour de ma vie. Pas seulement en tant que personnalité publique, mais aussi en tant que femme. »

« Hé, Yuriga. Est-ce que c’est le genre de chose que tu veux pour toi ? » demanda Tomoe en chuchotant à l’oreille de Yuriga.

« J’imagine que oui. » Yuriga haussa les épaules. « Ça a l’air d’être le genre de chose que tu aimerais. »

« Mm-hm. J’aimerais avoir une belle cérémonie comme celle-ci un jour… »

« Eh bien, essaie de le lui demander. Je veux dire, tu as déjà quelqu’un de prévu pour être ton mari. »

« Heh heh, si je le pousse trop tôt, il va probablement s’enfuir loin de moi, alors je vais devoir prendre mon temps. »

« Oui, oui… »

T-Tomoe !? Je ne savais pas quoi penser. Toutes deux avaient commencé à avoir des conversations plutôt matures ces derniers temps.

Soudain, le sourire de Yuriga s’effaça et elle regarda au loin. « Je me demande… ce qui va m’arriver. En fin de compte, je suppose que tout dépend de mon frère. »

« Yuriga ? »

« Ce n’est rien… »

J’avais vu Kuu chuchoter quelque chose à ses épouses. Taru avait acquiescé, et Leporina avait commencé à s’approcher de nous. Elle avait ensuite offert le bouquet à Tomoe et Yuriga.

« Maître Kuu dit que c’est pour les futures épouses », expliqua Leporina.

« Nous espérons que vous trouverez toutes deux un mariage heureux. Nous avons nous-mêmes reçu un bouquet dans le royaume de Friedonia, alors considérez que nous vous rendons la pareille. »

« Wôw ! Merci beaucoup ! »

« O-Oui ? Euh… Je vous remercie. »

Tomoe semblait ravie, tandis que Yuriga n’était pas tout à fait mécontente du cadeau.

◇ ◇ ◇

Quelques jours plus tard…

« Yahoooo ! »

« Attends, Maître Kuu ! »

Kuu dévalait sans effort la pente poudreuse sur un snowboard, tandis que Leporina le poursuivait à ski. Athlétique comme il l’était, Kuu avait maîtrisé le snowboard peu de temps après avoir appris qu’il existait.

Nous étions sur une piste de ski près de Noblebeppu, la ville où Taru avait son atelier. S’étant intéressé à l’idée du ski de loisir, Kuu s’était attelé à l’aménagement de cet endroit peu de temps après son retour en République. L’emplacement était idéal puisque Noblebeppu se trouvait à proximité de montagnes enneigées, de sources d’eau chaude et de fruits de mer frais provenant du port de Moran.

Le téléski utilisait le mécanisme rotatif de la foreuse et Noblebeppu était devenu une véritable station de ski depuis ma dernière visite. Nous avions été invités à venir ici après le mariage. Kuu avait dit que cela nous ferait du bien de prendre un peu de temps libre, de profiter des sources d’eau chaude et de skier en famille. Évidemment, cette offre n’était pas purement motivée par la bonté de son cœur, il avait ses propres raisons, mais bon… Pour l’instant, nous avions décidé de profiter des pistes.

« Wôw, Ichiha. Doucement. Vas-y doucement. »

« D-D’accord. Je peux le faire. »

« Comme vous êtes si instable, ce n’est qu’une question de temps avant que — »

« » Ahhh ! » »

« Je vous l’avais bien dit… »

En jetant un coup d’œil, j’avais vu Yuriga, qui avait été le premier du trio à maîtriser le ski, enseigner à Ichiha et Tomoe. Ces deux-là étaient de nature studieuse et semblaient avoir du mal à apprendre. Yuriga les regardait avec exaspération faire une chute ensemble.

Tomoe baissait la tête et s’excusait abondamment d’avoir atterri sur Ichiha. Eh bien, je suppose que c’est une façon d’expérimenter les joies de la jeunesse sur une piste de ski…

« Cela ne semble-t-il pas… erroné, d’une certaine manière ? »

« Hee hee ! C’est sympa, c’est moi qui te monte de temps en temps… Il fait quand même froid. »

En ce moment, je skiais avec Naden sur mon dos. Elle s’était mise en boule à cause du froid, mais je voulais qu’elle fasse l’expérience du ski au moins une fois, et c’était la seule façon pour elle de le faire. Il est vrai que le fait que Naden soit sur mon dos, emmitouflée dans des vêtements chauds, rendait les manœuvres difficiles. Je devais y aller doucement en faisant des virages en chasse-neige, mais elle s’amusait quand même.

« Es-tu sûre de ne pas vouloir le faire toi-même ? »

« Pas question ! Je mourrais de froid si tu ne me servais pas de pare-vent et de chauffage. »

« Allez, tu exagères. »

Pour l’instant, nous ressemblons à Onbu-Obake, ou Konaki-jiji, ou Obariyon… Attends, maintenant que j’y pense, il y a beaucoup de youkai qui portent quelqu’un sur leur dos, hein ?

Naden resserra ses bras autour de mon cou, pressant son front froid contre ma nuque. Je frissonnai à ce contact soudain et froid.

« Wôw ! Arrête ! »

« Hmph ! Voilà ce qui arrive quand on dit que j’exagère. J’ai l’impression que les sources d’eau chaude sont plus mon style. »

« Ah ha ha… Tu t’en rends compte ? »

Nous avions atteint le bas de la pente. Cian et Kazuha, Enju, la fille de Juna, et Léon, le fils de Roroa, étaient tous emmitouflés dans des vêtements chauds au pied de la colline. Ils jouaient dans la neige avec Liscia et Carla. Kaito ne pouvait pas encore se tenir debout, c’est pourquoi Juna le portait.

On dirait qu’ils ont aussi fait des boules de neige. En regardant Liscia, j’avais demandé : « Qu’est-ce que vous faites ? Faites-vous des bonshommes de neige ? »

Liscia gémit de confusion. « Qu’est-ce qu’on fait ? »

« Hein ? »

« Ah ha ha… Les enfants se sont mis à faire des boules de neige », expliqua Carla avec un sourire en coin.

Faire rouler des boules de neige était apparemment la seule chose qui les intéressait. Une fois que les boules de neige avaient atteint la même taille qu’eux, ils commençaient à en faire rouler d’autres… Oh, ils ne faisaient donc pas de bonhomme de neige ou d’igloo. Maintenant qu’elle m’avait expliqué, j’avais compté une dizaine de boules de neige à hauteur de genou éparpillées un peu partout.

« Et est-ce censé être amusant ? »

« Je suppose que oui ? Ils le font, après tout. »

Cela semblait être vrai. Cian, Kazuha, Enju et Léon s’amusaient à faire rouler des boules de neige. Kazuha et Léon rivalisaient en termes de taille, tandis que Cian se débrouillait tout seul, suivi par Enju.

En tant qu’adulte, il est difficile de comprendre ce que pensent les enfants, hein ? On dirait qu’ils s’amusent tous. Pendant que je pensais cela, Roroa et Aisha avaient glissé vers nous à toute vitesse.

« Ah, oui ! J’ai gagné ! »

« Tu es vraiment rapide, Roroa. »

Elles semblaient avoir fait la course.

En souriant, Roroa dit : « Ouf, je n’ai jamais pensé que je serais capable de battre la Grande Soeur Aisha à quelque chose d’athlétique comme ça. »

« Peut-être parce que je marche normalement si souvent qu’il est difficile de s’y habituer… »

« Grande sœur Cia, grande sœur Juna, nous allons surveiller les petits, alors pourquoi ne pas aller skier maintenant ? »

En entendant cela de la bouche de Roroa, Liscia et Juna s’étaient regardées et avaient souri.

« Voilà une idée. D’accord. Nous allons te prendre au mot. N’est-ce pas, Juna ? »

« Oui, allons-y. Aisha, veux-tu bien tenir Kaito ? »

« Oui ! Laisse-le-moi ! »

Juna donna Kaito à Aisha. Pendant ce temps, Roroa s’était précipitée pour rejoindre Cian et les autres enfants, faisant des piles de trois avec toutes les boules de neige qu’ils avaient roulées. Les enfants la regardent avec enthousiasme.

« Il fait si froid ! Je vais aller aux sources d’eau chaude, » dit Naden en descendant de mon dos, et en partant précipitamment.

Chacun s’amuse vraiment à sa façon. J’avais murmuré : « Je n’aurais jamais pensé que nous pourrions prendre des vacances en famille comme ça… »

« Souma ? »

« Chéri ? »

Liscia et Juna m’avaient regardé d’un air dubitatif, mais j’avais souri.

« Non, je me disais juste à quel point je suis reconnaissant à Kuu de nous avoir donné cette opportunité. »

« Hee hee, yeah. »

« Oui. Nous passons le plus beau des moments ici. »

Elles m’avaient pris chacune une main.

« C’est pourquoi il serait dommage de ne pas en profiter davantage. »

« Rejoins-nous aussi, mon cher. »

« Oh, oui… Bien sûr que oui », répondis-je. Honnêtement, je pensais aussi aller me réchauffer…

Les deux m’avaient tiré de là et nous avions repris le téléski jusqu’au sommet.

☆☆☆

Partie 2

« Cian, le dos de papa est froid en ce moment. »

« Non ! Je veux le faire ! »

Nous nous étions installés dans le bain de l’auberge des sources thermales que nous avions réservé pour notre usage exclusif. La moitié de la zone de baignade était en plein air, tandis que l’autre moitié était une zone de baignade intérieure avec un espace pour se laver.

En ce moment, je me trouvais aux bains avec Cian, Kazuha et Léon, ainsi qu’avec Aisha et Roroa. Enju et Kaito étaient déjà venus ici avec Juna et Carla. Tous les enfants, à l’exception de Kaito, qui était encore en train d’allaiter, pouvaient maintenant faire beaucoup plus de choses. Et ils avaient commencé à montrer leur personnalité individuelle dans les choses qu’ils choisissent de faire.

La chose que Cian préférait faire en ce moment, c’est frotter le dos des gens dans le bain.

« Ngh… Ngh… »

Ah ha ha… il fait froid ! Il faisait de son mieux, mais il n’avait pas la puissance nécessaire pour frotter la saleté. C’était adorable de voir à quel point il essayait sérieusement, mais… les hivers de la République étaient plutôt froids. J’avais déjà très envie de me plonger dans la baignoire.

« Whee ! »

« Ah ! Dame Kazuha ! Je te l’ai dit, tu ne dois pas courir comme ça ! »

Pendant que Cian frottait, Kazuha courait toute nue et Aisha, tout aussi nue, lui courait après.

Kazuha semblait ravie d’être pour la première fois dans un bain en plein air. Elle avait fait la marche du crocodile — en plaçant ses mains au fond de la baignoire, en étirant ses jambes et en les laissant flotter derrière elle — dans une partie peu profonde de la baignoire. Maintenant qu’elle était sortie, elle courait partout et inquiétait Aisha.

« Hah ! Je t’ai attrapée ! » déclara Aisha en attrapant Kazuha et en la soulevant.

« Oh non, tu m’as attrapée ! »

« Bon sang… Tu dois t’échauffer correctement ou tu vas attraper un rhume. »

« D’accord, Momma Ai…, » dit Kazuha en posant sa tête sur la poitrine généreuse d’Aisha.

Kazuha avait toujours été un petit garçon manqué énergique, mais lorsqu’elle était tenue contre la poitrine de quelqu’un comme ça, elle se calmait toujours et s’endormait. C’était apparemment Carla qui l’avait découvert.

Aisha vint se tremper dans la baignoire, tenant Kazuha dans ses bras. Pendant ce temps, Roroa, qui tenait Léon de la même façon, haussait les épaules.

« Nous sommes tous là, aux sources d’eau chaude, et elle a du mal à se détendre. »

« Momma… »

« Qu’est-ce qu’il y a, Léon ? »

« Pot. »

« Quoi ? Retiens-toi juste un peu plus longtemps ! »

Roroa s’était levée d’un bond et s’était précipitée vers les vestiaires. Il était difficile de profiter d’un bain tranquille dans les sources d’eau chaude avec de jeunes enfants autour de soi. Allez savoir pourquoi.

« Merci, Cian. Bon, on va prendre un bain maintenant. »

« Hmm. »

Je l’avais pris dans mes bras et j’avais rejoint Aisha et Kazuha dans le bain en plein air. Ouf… Je sens que la chaleur ramène mon corps à la vie. Aisha, Kazuha et Cian avaient eux aussi l’air décontractés.

Une fois auparavant, lorsque j’étais entré dans les sources d’eau chaude avec Juna, je m’étais mis dans tous mes états. Mais avec les enfants, je n’allais pas perdre mon sang-froid juste parce que je voyais le corps sexy et nu d’Aisha. L’instinct paternel, je suppose… Je n’arrivais pas à détacher mes yeux des enfants.

« C’est comme si nous étions devenus une vraie famille », déclara Aisha, et bien que je me sente un peu gêné, j’avais acquiescé.

◇ ◇ ◇

Peu après notre sortie du bain, un banquet avait eu lieu dans la salle de réception.

Kuu et moi avions porté un toast.

« D’accord, portons un toast au mariage de Kuu, Taru et Leporina. »

« Et à une longue amitié entre le Royaume et la République ! »

« « « « Santé ! » » » »

Et tous les représentants du Royaume et de la République avaient frappé leurs verres l’un contre l’autre.

Au milieu du tapis luxueux de la pièce se trouvaient de nombreuses grandes assiettes chargées de plats du Royaume et de la République. Chacun s’asseyait sur des coussins, prenait et mangeait ce qu’il voulait. Nous bavardions, nous nous occupions des enfants et, d’une manière générale, nous faisions ce que nous voulions.

J’étais assis en bout de table avec Kuu. Nous nous servions mutuellement nos boissons.

Après avoir avalé d’un trait son lait de yak fermenté, Kuu demanda : « Ouf ! Comment était-ce, mon frère ? As-tu pu profiter du ski ? »

« Oui, j’ai passé un bon moment », avais-je répondu en buvant une gorgée de mon propre lait fermenté. « Des montagnes enneigées propices au ski, des bains en plein air, des fruits de mer frais de Moran… Même le Royaume n’a pas d’endroit comme celui-ci. Je suis sûr qu’il sera populaire. »

« Ookyakya ! Heureux de l’entendre ! » déclara Kuu joyeusement.

« Mais es-tu sûr que c’est bon, Kuu ? »

« Hm ? Qu’est-ce que tu veux dire ? »

« Je veux dire, laisser tes femmes seules alors que vous venez de vous marier. »

Je voyais Taru et Leporina boire et discuter avec Liscia et les autres.

Kuu fit un geste dédaigneux de la main. « Ce n’est pas un problème. Je leur ai dit à l’avance que j’avais des choses à leur dire. »

« Vraiment ? »

« Oui. C’est à propos de Noblebeppu. » L’expression de Kuu était maintenant sérieuse. « Je veux faire de Noblebeppu une destination touristique pour faire rentrer des devises étrangères. Nous exportons du matériel médical vers le Royaume et l’Empire, mais nous importons des médicaments de l’Empire. Et nous payons aussi pour envoyer nos gens étudier dans le Royaume. En gros, nous rentrons dans nos frais. Cela ne me pose pas de problème, mais… »

Kuu tenait sa tasse d’une main tout en se grattant la tête.

« Nous faisons partie de l’alliance maritime avec le royaume de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes, et ils ont aussi un haut niveau de technologie, n’est-ce pas ? Ils veulent des connaissances médicales, et je parie qu’ils ont aussi l’expertise technique pour fabriquer l’équipement. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une seule chose. Nous devons être capables de rivaliser avec eux sur toutes sortes de produits industriels. »

« Oui… je suppose que c’est vrai, hein ? »

S’ils pouvaient fabriquer des scalpels avec les techniques utilisées pour fabriquer les katanas tranchants du Dragon à Neuf Têtes, les chirurgiens comme Brad seraient ravis. J’espérais aussi que la compétition entre deux nations ayant un haut niveau de développement technique les inciterait toutes deux à s’améliorer.

« Je n’ai pas l’intention de les laisser nous battre sur le plan technique, mais ce serait un problème s’ils réduisaient nos profits. C’est pourquoi je pensais utiliser Noblebeppu comme un moyen de faire entrer des devises étrangères. Des aventuriers, des marchands et d’autres personnes viendront ici et, avec un peu de chance, lâcheront beaucoup d’argent. Et si nous cherchons des gens à qui pourraient profiter d’ici… ce sont les riches. Et il y a forcément des riches dans d’autres pays. »

« J’ai compris… C’est donc ça. » Je pouvais imaginer le plan de Kuu pour cela. « Tu veux que nous trouvions des touristes pour toi, n’est-ce pas ? Que nos nobles, nos chevaliers et nos riches marchands visitent cette ville et déposent de l’argent pour toi. »

« C’est pour ça que je t’aime bien, mon frère. Tu comprends vite les choses. Vas-y, Roi-Héros ! »

« Quel beau parleur… ! »

Pourtant, il avait les yeux au bon endroit. Le seul espoir de la République pour l’avenir avait été sa politique irréaliste et infructueuse d’expansion vers le nord. Mais la proposition de Kuu d’en faire une destination touristique leur offrait de nouvelles valeurs. Une ville amusante comme celle-ci pourrait devenir leur espoir. Tu es vraiment quelqu’un. Un peu comme Fuuga, Kuu était le genre de dirigeant qui attirait les gens à lui.

Après avoir réfléchi à tout cela, j’avais hoché la tête et déclaré : « D’accord. Si je devais subtilement vanter les mérites de cet endroit aux marchands et récompenser mes serviteurs qui réussissent en leur offrant des voyages en famille aux sources d’eau chaude et du ski ici… cela pourrait leur plaire. Et peut-être que les gens qui s’amusent passeront le mot aux nobles et aux chevaliers. »

« Oh ! Joli ! »

« Mais je doute que cela se produise en hiver. Il fait déjà assez froid au quatrième mois de l’année. Je doute que beaucoup de races puissent supporter le froid hivernal dans ce pays. »

« Oui… c’est logique, » approuva Kuu en hochant la tête. « Ookeekee ! Il n’est pas nécessaire que ce soit l’hiver pour qu’ils fassent du ski, alors ça devrait aller. Je peux ouvrir les pistes de ski à mon peuple gratuitement en hiver, et ça devrait les rendre heureux. »

« C’est une bonne idée. »

Kuu avait l’air de se plaindre, mais j’avais pensé que c’était une façon intelligente de faire savoir à quel point le ski était amusant. J’avais entendu dire que les gens d’ici avaient tendance à rester enfermés dans leurs maisons à cause de la neige et de la glace, alors peut-être que cela les aiderait à construire une nouvelle relation avec la neige.

S’il trouvait des idées aussi facilement, cela prouvait qu’il serait un bon dirigeant.

◇ ◇ ◇

Quelques jours plus tard, dans l’État mercenaire de Zem…

Dans le Colisée de Zem City, une foule de plus de dix mille personnes était devenue complètement silencieuse. Leurs yeux étaient rivés sur deux grands hommes. Le plus grand et le plus musclé des deux se pencha sur le côté. Puis, dans un bruit sourd, il tomba sur le sol en pierre du Colisée.

L’homme tombé était Gimbal, leur roi. Le Grand Roi Tigre, Fuuga Haan, le regardait de haut. Les juges restèrent un moment sans voix, mais reprenant leurs esprits, ils crièrent au dernier homme debout.

« Nous avons un vainqueur ! Le vainqueur du tournoi d’arts martiaux est le challenger, Fuuga Haan ! »

C’est à ce moment-là que l’état mercenaire de Zem était passé entre les mains de Fuuga.

☆☆☆

Chapitre 2 : Reprise des ambitions

Partie 1

— Milieu du 5e mois, 1552e année, calendrier continental —

Ce jour-là, j’étais en réunion avec la reine du dragon à neuf têtes, Shabon. Kishun se tenait derrière elle, tenant un nouveau-né dans ses bras. Leur deuxième enfant et fils aîné, Sharon.

Pour moi, c’était un nom de fille. Mais dans leur pays, il était d’usage de lier un nom court à leur nom de famille court et d’utiliser les deux en même temps, de sorte que son nom était en fait Ron — ou Sha Ron — ce qui n’était pas si inhabituel que cela.

Shabon avait hérité de la lourde responsabilité de gouverner de son prédécesseur, Sire Shana. Elle avait eu du mal au début, mais avec Kishun comme mari et Premier ministre, elle avait définitivement pris pied au moment où elle avait donné naissance à ses deux enfants. Avec l’amour et le respect des habitants de l’île, elle était désormais une souveraine tout aussi compétente que Maria.

De l’autre côté de l’écran, Shabon parlait : « En ce qui concerne les articles que vous avez commandés l’autre jour, nous avons déjà obtenu la moitié de la somme demandée. Cependant, comme nous devons attendre que la moitié restante soit produite, nous devons vous demander de tolérer un léger retard. »

« Je sais. C’était une demande déraisonnable de ma part », avais-je répondu.

« Non, pas du tout, » Shabon secoua la tête. « Il s’agit d’une commande importante. Elle sera rentable pour nous, alors nous avons l’intention de traiter l’affaire avec toute la sincérité voulue. »

« C’est une bonne chose. J’aimerais vous demander d’envoyer la moitié que vous avez déjà par le biais des bases que nous avons échangées. »

« Compris. Hum… Sire Souma. » Adoptant un ton plus détendu, Shabon demanda : « Pourquoi recevons-nous une commande aussi importante ? »

« Eh bien, j’ai une petite idée en tête…, » avais-je répondu, passant du mode négociation, au mode conversation amicale.

« Avez-vous entendu dire que Fuuga a pris le contrôle de l’État mercenaire de Zem ? »

« Oui. J’ai reçu des rapports. »

Shabon hocha la tête d’un air sérieux. J’avais regardé la carte sur mon bureau.

« Au total, cela signifie que le Royaume du Grand Tigre est désormais plus grand que l’Empire de Gran Chaos. Ils ne sont pas aussi puissants, mais en termes de forces terrestres, c’est du pareil au même. Et il ne pourra probablement pas s’étendre plus loin dans le Domaine du Seigneur-Démon. »

« Pourquoi cela ? La reconnaissance de Sire Fuuga ne vient-elle pas de sa libération du domaine du Seigneur-Démon ? »

« La théorie de Fuuga est que ce que nous appelons le Seigneur-Démon et les démons n’existent que dans les profondeurs. Maria et moi sommes d’accord sur ce point. Et l’expansion de Fuuga a pris soin d’éviter tout contact avec ces démons. Après tout, ce sont eux qui ont vaincu les forces unies de l’humanité dirigées par l’Empire. Alors s’il essaie d’aller plus au nord… »

« Je vois ce que vous voulez dire. Il souhaite donc éviter le risque d’entrer en contact ? »

« Précisément. C’est pourquoi il est peu probable que le Royaume du Grand Tigre s’étende davantage vers le nord. Fuuga s’attire un soutien fanatique en rendant son pays plus grand et plus fort. Je ne pense pas qu’il puisse arrêter cela. Ce qui nous amène à la question de savoir ce qu’il fera ensuite… Selon Hakuya, il devra s’attaquer soit à nous, soit à l’Empire. »

« Huh !? Si soudainement ? » Les yeux de Shabon s’écarquillèrent de surprise. « Vous êtes les chefs de la Déclaration de l’humanité et de l’Alliance maritime. Cela mènerait à une grande guerre. »

« Oui… Et il y a quelque chose que Fuuga veut de nous et de l’Empire qui fait qu’il est prêt à l’accepter. »

« Et qu’est-ce que c’est ? »

« Des bureaucrates et des seigneurs pour les territoires qu’il contrôle. »

En me raclant la gorge, j’avais expliqué la situation exactement comme Hakuya me l’avait racontée.

« Les fidèles de Fuuga sont des commandants qui l’ont bien servi lors de l’unification de l’Union des nations de l’Est et des personnes qui ont afflué vers lui dans l’espoir de changer la situation actuelle. Ce dernier groupe est composé de réfugiés et d’autres personnes maltraitées par le statu quo. En fait, la grande majorité de son peuple ne sait pas comment gérer un État. C’est pourquoi le Royaume du Grand Tigre n’a pas le personnel adéquat pour gérer ses affaires intérieures et se voir confier des terres à gouverner comme leurs domaines personnels. »

Shabon fronça les sourcils. « Normalement, j’aurais pensé qu’il devrait arrêter de s’étendre et se concentrer sur le développement des membres de son administration. »

« C’est vrai, mais l’expansion du Royaume du Grand Tigre a été trop rapide pour qu’il puisse le faire. Il y a aussi le problème que dès que Fuuga arrêtera de marcher sur la voie de la conquête totale, il se peut que certains perdent confiance en lui et tentent de se séparer de lui. Il n’a pas la possibilité de se concentrer sur la politique interne. »

« C’est pourquoi il forcerait le royaume ou l’empire à se soumettre ? Afin d’obtenir un nouveau groupe de fidèles ? »

« Oui, c’est ce que pense Hakuya. Nous avons recruté à tour de bras, et l’Empire est très peuplé. S’il arrive à mettre la main sur l’un ou l’autre, sa pénurie d’administrateurs sera résolue. S’il ne peut pas s’arrêter d’avancer, autant qu’il aille dans le sens de ce qu’il veut… Je suis sûr qu’Hashim le conseillera en ce sens. »

La République était enfermée dans la neige et la glace pendant l’hiver, ce qui l’empêchait d’agir, et le Royaume de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes était entouré par la mer, ce qui le rendait difficile à gouverner et peu gratifiant à conquérir. Il en allait de même pour le Royaume des Esprits, qui n’était plus qu’une petite puissance. Il ne restait plus que nous ou l’Empire.

« Si Fuuga décide que nous sommes plus faciles à conquérir que l’Empire… nous devrons nous préparer à une guerre avec le Royaume du Grand Tigre. Nous devons faire ce que nous pouvons maintenant pour nous préparer au pire. »

« Je vois. Et c’est pour cela que vous nous avez passé une si grosse commande. »

« Vous l’avez compris. »

L’air de la pièce s’alourdit.

Au bout d’un certain temps, Shabon parla : « J’espère que vos craintes ne sont pas fondées. »

« Je l’espère aussi… » J’étais d’accord avec elle du fond du cœur.

◇ ◇ ◇

— Le jour du tournoi d’arts martiaux de Zem —

Fuuga regardait Gimbal, le roi déchu de Zem.

La main droite et le bras supérieur de Gimbal gisaient à ses côtés, serrant toujours son épée. Les mages blancs qui étaient en attente se précipitèrent. Ils retirèrent l’épée de sa main, puis firent rouler Gimbal sur le dos et pressèrent le membre contre son moignon pour commencer à le soigner. La magie blanche fonctionnait sur les blessures externes, il ne faisait donc aucun doute qu’ils pourraient rattacher le bras coupé.

Cependant, s’il pouvait conserver sa main, il était peu probable qu’elle soit aussi utilisable qu’avant.

Pendant qu’ils le soignaient, Gimbal avait senti qu’il n’était plus un combattant.

« Jamais je n’aurais cru que quelqu’un voudrait être roi de ce pays… Les challengers ont toujours désiré la richesse, des armes et d’autres prix superficiels. Cependant, il y avait donc un individu étrange qui voulait connaître la vérité sur leur père, qui avait été qualifié de rebelle…, » dit Gimbal à Fuuga. « Personne ne souhaitait devenir roi d’un pays avec autant de restrictions. »

« Il me semble qu’ils étaient satisfaits de votre règle, n’est-ce pas ? »

Gimbal gloussa. « Le roi Souma a aussi dit quelque chose comme ça. »

Fuuga plissa légèrement les yeux comme pour répondre, mais il resta silencieux.

« Alors, Sire Fuuga… Maintenant que vous m’avez battu, que ferez-vous du pays que vous avez gagné ? »

« Je construirais un nouveau monde. C’est pour cela que j’ai besoin des mercenaires de ce pays », dit Fuuga en remettant Zanganto, sa lame qui brise les rochers, dans son fourreau. « Mais que ferez-vous ? Votre règne en tant que roi des mercenaires est terminé. »

« Rien… Je suis parti de rien, et j’ai gagné jusqu’à ce que je me hisse au niveau où j’étais. Maintenant que j’ai perdu, je suis revenu à mon point de départ. »

« N’est-ce pas un peu… vide ? »

« Non' pas vraiment. Je suis libéré du poids d’être roi, de la responsabilité de rester le plus fort. Ce n’est pas un mauvais sentiment. »

Gimbal avait dû se sentir comme un champion qui n’avait pas pu défendre le titre qu’il avait détenu pendant de longues années. Plus l’honneur est grand, plus la responsabilité de le défendre est lourde. Et pour un titre aux conséquences nationales, le poids devait être énorme. Cette défaite lui permettait enfin de déposer ce fardeau.

La frustration de la défaite, l’humiliation de la chute au sol, la tristesse de savoir qu’il était fini en tant que guerrier, et l’exaltation d’être libéré de sa lourde responsabilité… Toutes ces émotions envahirent Gimbal l’une après l’autre.

« Si vous avez un jour la chance de vivre sans le fardeau de l’ambition… vous comprendrez ce que je ressens aussi. »

« Heh. Peut-être », dit Fuuga en riant, voyant la satisfaction de Gimbal.

Gimbal avait vécu grâce à la puissance de son bras armé, et gisait maintenant vaincu. Il avait vécu l’idéal auquel aspirait Fuuga. La seule différence entre les deux était de savoir s’ils se contentaient de régner sur un seul pays ou s’ils visaient quelque chose de bien plus haut et de plus lointain. Il faudrait encore longtemps avant que les ambitions de Fuuga ne deviennent un fardeau pour lui.

Fuuga se retourna et quitta l’arène.

Hashim l’attendait dans le couloir, sur le chemin des vestiaires.

☆☆☆

Partie 2

« C’était superbe, Seigneur Fuuga. »

« C’est vrai. Et maintenant, Zem m’appartient », dit Fuuga en posant une main sur l’épaule de Hashim tandis que son conseiller s’inclinait devant lui. « Maintenant, comment allons-nous utiliser ce pays ? »

« Gardons la nation telle qu’elle est tout en nous arrangeant pour utiliser leurs puissants mercenaires. Je pense qu’il serait judicieux de nommer Moumei, le second du tournoi, comme vice-roi et de lui confier la direction du pays. »

« Ah… C’est donc pour cela que tu as fait participer Moumei. »

Moumei Ryoku était une montagne d’hommes qui maniaient un marteau géant et chevauchaient un yak des steppes pour se battre. Il dirigeait également l’infanterie de Fuuga. Lors d’une simple épreuve de force, sans technique ni magie, il rivalisa avec Nata Chima pour le titre de plus fort.

Hashim acquiesça.

« Certains considèrent que Sire Moumei n’a rien de spécial en dehors de sa force. Mais c’est un homme sérieux qui suivra n’importe quelle mission qu’on lui confiera avec une simple honnêteté, et qui possède également une grande souplesse d’esprit. Je suis sûr qu’il pourra continuer à gouverner dans le même style que Gimbal. »

« Et maintenant, je comprends pourquoi tu n’as pas fait participer Nata… »

« En effet. Nous ne pouvions pas lui faire confiance avec Zem. »

Nata avait toujours eu envie de se battre contre des adversaires coriaces, alors bien sûr, il avait voulu participer au tournoi, mais Hashim avait catégoriquement refusé. Il est vrai qu’à Zem, la force fait le droit, mais laisser le pays à un homme qui n’avait que la force et rien d’autre n’allait pas marcher.

Hashim leva la tête et regarda Fuuga droit dans les yeux. « Maintenant que les préparatifs sont terminés, j’aimerais que vous me montriez où se trouve votre prochaine route. »

« Alors, au Royaume ou à l’Empire, hein ? »

Après avoir pris le contrôle de l’État pontifical orthodoxe lunaire et de Zem, on lui avait conseillé d’attaquer soit le royaume de Friedonia, soit l’Empire du Gran Chaos. Afin de préserver ses acquis et de ne pas perdre son élan, il avait besoin d’administrateurs ayant l’expérience de la gestion d’une grande nation. Pour cela, il devait contraindre l’une ou l’autre des deux grandes puissances à se soumettre. L’Empire avait une population massive, tandis que le Royaume de Friedonia était allié à la République de Turgis et au Royaume de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes. Aucun des deux ne serait un adversaire facile. Cependant, Fuuga n’avait pas d’autre choix que de s’arrêter.

« Appelle les commandants dès notre retour au Royaume du Grand Tigre. Nous discuterons de ce qu’il faut faire lors d’un conseil de guerre. »

« Compris. »

◇ ◇ ◇

De retour dans son pays, Fuuga réunit ses serviteurs dans la salle de réunion du château de Haan.

Sa femme Mutsumi, la Sagesse du Tigre, Shuukin Tan, l’Épée du Tigre — maintenant vice-roi de l’Île du Père du Royaume des Esprits —, Nata Chima, la Hache de Bataille du Tigre, Gaifuku Kiin, le Bouclier du Tigre, Kasen Shuri, l’Arbalète du Tigre, et Gaten Bahr, le Drapeau du Tigre, étaient également présents. Les personnes présentes étaient des commandants qui s’étaient distingués dans l’unification de l’Union des nations de l’Est, ainsi que dans la libération en cours du domaine du Seigneur-Démon.

Il y avait également Sainte Anne de l’État pontifical orthodoxe lunaire et Lombard Remus — autrefois roi à part entière — aujourd’hui administrateur d’un territoire repris au domaine du Seigneur-Démon, ainsi que son épouse Yomi Chima.

À part Moumei Ryoku, le Marteau du Tigre, qui servait de vice-roi dans l’État mercenaire de Zem, tous les célèbres serviteurs étaient réunis.

Regardant chacun d’entre eux, Fuuga dit : « L’État mercenaire Zem est maintenant entre nos mains. »

« Félicitations, Seigneur Fuuga », dit Mutsumi. Les serviteurs assemblés le félicitèrent tous et inclinèrent également la tête.

Fuuga leva la main, faisant signe de se taire.

« Grâce à cela, notre faction a acquis suffisamment de forces terrestres pour combattre n’importe qui, même l’Empire. Ces dernières années, nous avons régulièrement repris des terres au Domaine du Seigneur-Démon tout en stabilisant la situation à l’intérieur du pays et en accumulant du pouvoir. On peut dire que c’est le résultat de tout cela… Dans ces conditions… »

Fuuga regarda à nouveau autour de lui.

« Nous suspendons temporairement la reprise du domaine du Seigneur-Démon à partir d’aujourd’hui. »

« Qu’est-ce que vous dites ? » s’écria Kasen, le plus jeune commandant de la salle. « N’avons-nous pas combattu tout ce temps dans le but de libérer le domaine du Seigneur-Démon ? Beaucoup de gens croient que vous serez celui qui tuera le Seigneur-Démon et reprendra toutes les terres volées ! Comment pouvons-nous nous arrêter ici… ? »

« Allons, allons. Calme-toi, Kasen », dit le commandant Gaten, assis à côté de Kasen.

Fuuga continua, sans se laisser décourager par l’interruption. « Ce n’est pas que nous nous arrêtons. Nous faisons juste une pause temporaire. Hashim. »

« Oui, sire. »

Hashim se leva et alla se placer devant la carte du monde qui se trouvait derrière lui. Prenant une baguette en main, il traça la ligne de l’actuelle frontière nord du Royaume du Grand Tigre.

« Nous avons travaillé tout ce temps pour libérer le domaine du Seigneur-Démon. Nos efforts ont permis le retour des réfugiés qui ont fui vers le sud. C’est un fait que l’accueil positif de la possibilité de rentrer chez soi fait partie des soutiens exprimés au Seigneur Fuuga. »

« Alors pourquoi ? »

« Les terres plus au nord sont désertiques, et peu de gens y vivaient à l’origine. Peut-être quelques tribus nomades, au mieux. Cela signifie que toute avancée vers le nord nous apportera plus de terres, mais pas plus d’habitants. En fin de compte, cela mettrait notre nation à rude épreuve. »

Hashim avait tapoté la paume de sa main avec la baguette.

« De plus, si nous continuons vers le nord, nous risquons d’entrer en contact avec les démons dont on dit qu’ils ont anéanti les forces combinées de l’humanité menées par l’Empire. Je ne veux pas dire que le seigneur Fuuga perdrait, mais comme il s’agit d’un adversaire inconnu, nos voisins ne pourraient que se réjouir de nous voir amarrés à un conflit avec eux. C’est la raison de cette pause. »

« Est-ce que c’est vraiment bien ? » demanda Shuukin. « Nous nous sommes appuyés sur l’inertie pour étendre notre pays aussi loin que nous l’avons fait. C’est parce que nous libérions activement le Domaine du Seigneur-Démon, que les gens se ralliaient à notre cause et que les hommes étaient motivés. Se mettre soudain sur la défensive va à l’encontre de tout cela. J’ai l’impression que ce serait un peu dommage. »

En tant qu’homme le plus sage de la salle après Hashim, les autres commandants écoutaient ce que Shuukin avait à dire. L’un d’entre eux, Lombard, leva la main.

« Sire Lombard », l’interpella Hashim.

« Je suis d’accord avec l’opinion de Sire Shuukin, mais… Je pense qu’il n’y a pas de problème. Il faudra du temps pour stabiliser les territoires que nous avons pris, et si nous continuons à foncer comme nous l’avons fait, un incident pourrait tout faire s’écrouler. »

« Oui, je suis aussi responsable de l’île du Père. Je comprends ce que dit le seigneur Lombard », dit Shuukin, momentanément d’accord. « Mais… »

Shuukin s’était interrompu. Après avoir repris ses esprits, il poursuivit.

« Il est facile de pousser une roue qui tourne. Mais une fois que la roue s’arrête, il faut une force considérable pour relancer le mouvement. Si nous tuons notre inertie, il ne sera pas facile de reprendre le domaine du Seigneur-Démon. »

« Je suis sûr que vous avez raison », acquiesça Hashim. « C’est gênant de dire ça, mais… la raison pour laquelle les gens idolâtrent le seigneur Fuuga est, bien sûr, en partie à cause de son charisme. Mais c’est aussi parce qu’ils en ont assez du statu quo. Les réfugiés souhaitent être libérés de leur situation actuelle, et ceux qui sont défavorisés à l’intérieur du pays veulent devenir plus prospères… Leurs désirs vont dans le sens de la grande ambition du seigneur Fuuga, et ils le poussent donc par-derrière. Si nous leur donnons de la stabilité maintenant, cela affaiblira la capacité de Fuuga à rassembler les gens à sa cause. »

C’était comme si Hashim disait qu’ils ne devaient pas laisser les gens avoir la paix.

« Je n’ai jamais voulu en dire autant… »

« Cela te semblait difficile à dire, alors je l’ai dit pour toi. »

Shuukin avait l’air mécontent, mais Hashim n’en démordait pas. Hashim tourna ensuite son regard froid vers chacun des autres commandants.

« Le seigneur Fuuga est invaincu depuis qu’il a hissé pour la première fois son drapeau à Malmkhitan. Nous avons connu une impasse amère contre le Royaume des Chevaliers dragons, mais le fait d’avoir obtenu un match nul contre eux a en fait servi à renforcer sa réputation. Le peuple est en ébullition. Ils pensent que sous la direction du seigneur Fuuga, leur pays peut s’étendre à l’infini. Que nous pourrions même unifier le continent. »

« N’est-ce pas… trop confiant ? » demanda Mutsumi d’un ton prudent.

Les commandants n’étaient pas les seuls à se montrer trop sûrs d’eux et arrogants. Les habitants du pays commençaient eux aussi à penser que la victoire était assurée. Les soldats et la population en général pouvaient devenir trop confiants en raison des succès de Fuuga.

« Le Seigneur Fuuga a la bénédiction de Dame Lunaria. Ce n’est qu’une supposition naturelle », dit Sainte Anne comme si c’était évident.

Sa croyance était tout pour elle, et la foi des gens dans la victoire de Fuuga était de même nature. Mutsumi regarda la Sainte Anne comme si elle comprenait l’état d’esprit dans lequel les gens devaient se trouver.

« Est-ce que tu crains ce qui pourrait arriver une fois que nous aurons perdu notre inertie, frère ? » demanda Mutsumi.

« Précisément. Nous devons continuer à gagner, à avancer et à guider le peuple. Mais comme je viens de le dire, prendre davantage de terres au Domaine du Seigneur-Démon n’apporterait que peu d’avantages et ne ferait qu’alourdir notre fardeau. Je crois qu’il est temps de changer de direction. »

« Alors, prenons les terres vides entre nous et la frontière de l’Empire ! » dit Nata, qui ne s’intéressait pas aux sujets difficiles, avec enthousiasme.

Hashim le regarda froidement.

« Les terres vacantes entre notre frontière et celle de l’Empire sont une zone tampon pour prévenir les conflits. Si nous les déclarons territoire, nous aurons une frontière directe avec l’Empire. Cela risque d’entraîner toutes sortes d’escarmouches jusqu’à l’éclatement d’une guerre totale. C’est avec ce sentiment en tête que tu as suggéré cela ? »

« Bien sûr que je l’ai fait ! Nous avons la force d’affronter l’Empire maintenant ! Et je ne suis pas le seul à le penser ! Tout le monde dans ce pays, du simple soldat à l’homme de la rue, le dit ! L’Empire a cessé de bouger. Ce n’est pas lui qui doit diriger l’humanité maintenant — c’est nous, le Royaume du Grand Tigre ! »

Les paroles de Nata venaient manifestement d’un homme qui avait les muscles à la place du cerveau, mais il était également vrai que les soldats et le peuple voulaient supplanter l’Empire.

Shuukin leva la main. « Attends, Nata. Si nous nous battons contre l’Empire, ce n’est peut-être pas seulement contre l’Empire que nous nous battrons. J’ai entendu dire que le roi Souma de Friedonia et l’impératrice Maria de l’Empire étaient en bons termes depuis la réponse à la malédiction du Roi des esprits. Il est possible qu’ils aient des liens secrets que nous ignorons. Quelle que soit notre force, nous ne pourrons pas affronter le Royaume et l’Empire en même temps. »

« Non, il n’y a pas de souci à se faire à ce sujet », contredit Hashim à Shuukin. « Il est vrai que Souma et Maria semblaient proches lors du sommet de Balm. Mais leur estime personnelle ne s’étend pas à leur peuple. Je ne sais pas s’ils ont des liens secrets, mais l’Empire et le Royaume ne sont pas des alliés. »

« Oui, mais… »

☆☆☆

Partie 3

« J’ai demandé aux espions de la Maison de Chima d’enquêter sur le sentiment public à l’égard du Royaume et de l’Empire dans chaque nation. Lorsque Souma est monté sur le trône, l’Empire forçait le Royaume à payer des subventions de guerre. La question n’est pas de savoir si cet argent a été utilisé efficacement. C’est quelque chose qui ne plaisait pas au peuple du Royaume. Quant au peuple de l’Empire, il est fier d’être la plus grande des nations de l’humanité. S’ils devaient former une alliance pour contrer une puissance montante comme nous, leur fierté en prendrait un coup. Leurs soldats vénèrent Maria. Ils ne le prendraient pas à la légère. »

« Dis-tu qu’ils ne peuvent pas s’entraider en raison de l’opinion publique ? »

« Exactement. Pas dans le moment présent, en tout cas. »

D’après ce que comprenait Hashim, si la faction de Fuuga se développait et que l’Empire et le Royaume se sentaient en danger, la situation pourrait changer. Cependant, dans les conditions actuelles, même s’ils attaquaient l’un des deux pays, l’autre ne pourrait pas les aider.

En entendant tout cela, Shuukin se sentit mal à l’aise. « Sir Hashim, avez-vous l’intention de vous battre avec le Royaume ou l’Empire ? »

« Oui… C’est ce que j’ai conseillé au seigneur Fuuga de faire. »

Les mots d’Hashim firent sursauter toutes les personnes présentes, qui se tournèrent vers Fuuga.

Fuuga acquiesça en silence. Shuukin lança un regard à Hashim.

« Êtes-vous devenu trop sûr de vous ? »

« Pas du tout. Mes conseils sont basés sur la réalité. »

Hashim raconta ce qu’il avait dit à Fuuga sur la situation intérieure lorsqu’ils étaient dans l’État mercenaire de Zem. Le manque d’administrateurs capables de gérer une grande nation les empêchait d’avancer, et ils ne pourraient les obtenir qu’en forçant le Royaume ou l’Empire à se soumettre.

« Il va sans dire que nous ne sommes pas obligés d’agir maintenant. Les deux pays seront des adversaires gênants si leurs peuples sont unis. L’Empire est puissant en soi, et le Royaume peut s’appuyer sur ses alliés de l’Alliance maritime. Il faut d’abord choisir sa cible, trouver une ouverture ou en créer une, et se préparer à frapper fort et vite au moment opportun. »

Nata se tapa joyeusement le genou. « Alors, combattons l’Empire ! »

Les yeux d’Hashim se rétrécirent. « Oserais-je vous demander votre raisonnement ? »

« Si nous devons nous battre, je veux combattre le plus fort ! J’ai vu Souma dans le Duché de Chima, et il avait l’air faible. »

« Rejeté. Cela ne valait même pas la peine de l’écouter. »

D’un air peiné, Shuukin dit : « Ces deux pays nous ont aidés avec la Malédiction du Roi des esprits. Nous avons une dette de gratitude envers eux, alors je ne peux pas accepter l’idée de préparer une attaque contre l’un d’eux… »

« Je comprends ce que vous ressentez, mais nous devons faire passer l’ambition du seigneur Fuuga avant tout », dit Hashim au Shuukin hésitant. « Souma l’a dit lui-même à l’époque. La maladie n’est pas le problème d’une seule nation. C’est un problème sur lequel le monde entier doit coopérer. Ce n’est pas comme si nous avions bénéficié d’une faveur dont il n’aurait pas lui aussi profité. Notre coopération a empêché la maladie de se propager sur tout le continent. Je suis sûr que notre peuple voit les choses de la même façon. »

« Je mets en doute cet argument… »

« Shuukin, » intervint Fuuga. « Je comprends ton point de vue. Il est vrai que nous n’aurions pas pu contenir la maladie aussi rapidement par nous-mêmes. Tu n’aurais peut-être pas survécu sans leur aide. »

Shuukin resta silencieux, se souvenant de son propre combat contre la malédiction du roi des esprits.

« Mais si nous suivons notre sens de la gratitude, nous n’aurons nulle part où aller. C’est ce genre d’obligations qui a bloqué l’Union des nations de l’Est, l’empêchant de s’épanouir. Si nous avons pu aller aussi loin, c’est parce que nous n’avions pas ce genre de choses sur notre chemin. Ne l’oublie pas. »

En entendant la réponse de Fuuga, Shuukin n’avait pas eu d’autre choix que de reculer.

« D’accord… »

Dans un effort pour changer l’atmosphère pesante de la pièce, Kasen demanda à Fuuga : « Alors, Seigneur Fuuga, lequel des deux vous semble le plus facile à renverser ? »

« Oui. J’aimerais aussi connaître votre avis, » ajouta Mutsumi. « De Sir Souma et de Madame Maria. »

« Hmm… » Fuuga se caresse le menton. « Maria est un oiseau de feu. Elle charme les gens par son éclat presque aveuglant et tient ses ennemis à distance par sa chaleur brûlante. Mais… la lumière qu’elle émet se fait au détriment d’elle-même. Maria doit être épuisée. Si elle continue à se surpasser pour briller, elle finira par s’épuiser et il ne restera que des cendres. »

« Je vois. Et Sire Souma ? »

« Oui, c’est vrai. Je suppose que c’est… une tortue ? »

« Hein ? Une tortue ? » Mutsumi n’en revenait pas. Fuuga acquiesça.

« Ce type manque d’ambition. Il n’a aucune envie d’attaquer qui que ce soit. Il veut juste se protéger des étincelles qui tombent sur lui. Souma n’a pas la beauté de Maria qui lui permet de charmer les gens. Il est banal et grandit lentement. »

« Il a l’air… terriblement facile à battre, n’est-ce pas ? » déclara Kasen, mais Fuuga rit.

« Tu crois ça, Kasen ? Si c’est une tortue, est-il facile à battre ? »

« Euh, oui. Si c’est une tortue, alors — ! »

« Et si je te disais que c’est une tortue plus grosse qu’une montagne ? »

« Qu’est-ce que tu dis ? »

Pendant un instant, Kasen pensa qu’il s’agissait d’une plaisanterie, mais le visage de Fuuga était totalement sérieux.

« Souma est une tortue de taille gigantesque, plus grande qu’une montagne. Il est lent et manque de style, mais une fois qu’il commence à bouger, il peut écraser des montagnes et changer le terrain lui-même. Sa queue est constituée de serpents. Ces serpents s’élancent et attaquent tous ceux qui veulent du mal à la tortue, qu’elle le veuille ou non. »

« Il a l’air d’un monstre… »

« C’est clair qu’il l’est. Si nous nous attaquons à Souma, c’est le genre de monstre que nous affronterons », dit Fuuga d’un ton détaché. « S’il s’y met, il peut mobiliser la République et le Royaume de l’Archipel. Ses subordonnés sont tous compliqués et intelligents. Ils agissent pour leur pays sans que Souma le veuille. Même Yuriga, qui vit là-bas depuis des années, dit qu’elle n’arrive pas à s’y retrouver. Pour ma part… Je préférerais qu’il ne commence pas à bouger. »

Les commandants réunis écoutèrent l’évaluation de Fuuga en silence. Souma était un homme que Fuuga lui-même hésitait à combattre. Rien que pour cela, il méritait d’être mis en garde.

Au bout d’un certain temps, Mutsumi demanda : « Tu dis donc que c’est l’Empire qu’il faut soumettre ? »

« C’est à peu près ça. Si nous parvenons à les faire céder, Souma fera probablement ce que nous disons. Si nous lui montrons une différence de puissance écrasante, il pliera le genou sans résistance inutile. Il est du genre à faire passer la sécurité des gens qui l’entourent avant sa fierté de roi. »

Les mots de Fuuga décidèrent de la politique du Royaume du Grand Tigre. Traitant l’Empire comme un ennemi hypothétique, le Royaume du Grand Tigre s’efforcerait de stabiliser le pays, de préparer son armée et de guetter comme un faucon toute possibilité d’attaque.

◇ ◇ ◇

– Au 6e mois de la 1552e année, calendrier continental —

Fuuga envoya des forces dans le territoire inoccupé qui les séparait de l’Empire du Gran Chaos. Il était clair pour tous qu’il essayait de revendiquer la région comme sienne et qu’il était prêt à accepter d’avoir une frontière directe avec l’Empire.

Ce rapport avait troublé les plus hauts responsables de l’Empire. La politique de l’impératrice Maria consistait à s’assurer que les défenses contre les incursions de monstres en provenance du Domaine du Seigneur-Démon soient prêtes, mais elle n’avait jamais dérogé à sa position prudente lorsqu’il s’agissait de reprendre des terres. La Déclaration de l’humanité s’inscrivait dans cette lignée et visait principalement à soutenir les États limitrophes du Domaine du Seigneur-Démon afin d’empêcher l’expansion de ce dernier. Cependant, dans le même temps, le Royaume du Grand Tigre de Fuuga s’était développé massivement en libérant des terres du Domaine du Seigneur-Démon, prenant le rôle de protecteur des nations de l’humanité contre le Seigneur-Démon.

La Déclaration de l’humanité de Maria était maintenant considérée comme ayant déjà fait son temps.

Si les forces de Fuuga occupaient maintenant la zone tampon, l’Empire ne pourrait plus s’étendre vers le nord. De nombreux citoyens de l’Empire se sentaient menacés par ce fait. Ils étaient fermement convaincus que c’était grâce aux efforts de leur pays que les nations de l’humanité avaient été défendues jusqu’à présent — que leur pays était le plus grand de toute l’humanité. C’était une source de fierté… et d’arrogance. Ces personnes ne pouvaient pas accepter la situation actuelle, où la présence de Maria la sainte s’estompait alors que Fuuga remportait tous les honneurs. C’est pourquoi des membres de l’armée et de la bureaucratie commencèrent à exprimer le sentiment qu’il fallait envoyer des troupes dans la zone tampon. Ces voix s’amplifiaient de jour en jour.

Dans la salle d’audience du château de Valois, capitale impériale du Valois, une conversation s’engage…

« Votre Majesté impériale ! S’il vous plaît, donnez-nous l’ordre ! Reprendre les terres du nord du domaine du Seigneur-Démon avant Fuuga Haan ! Je parle au nom de tous nos cavaliers griffons ! »

« Krahe… »

En bas de l’escalier menant au trône, plaidant auprès de son impératrice se trouvait le général Krahe, commandant des forces aériennes de l’Empire, les escadrons de griffons. En tant que fidèle de Maria, il ne supportait pas que Fuuga reçoive toute la gloire.

« Retiens-toi, Général Krahe ! » s’écria Jeanne, la Petite Sœur Générale, qui se tenait aux côtés de Maria. « Sa Majesté Impériale a déjà fait connaître sa volonté ! Nous ne nous étendrons pas vers le nord, dit-elle ! Ne la dérangez pas en lui demandant toujours la même chose ! »

« Non, je ne peux pas rester silencieux ! De plus en plus, les chevaliers et la noblesse sont mécontents de la façon dont Fuuga se déchaîne sur les terres du Nord ! Vous êtes en train de perdre votre autorité de sainte ! Je — non, nous voulons nous battre pour la gloire de Sa Majesté Impériale ! Je serais volontiers enterré dans le Domaine du Seigneur-Démon si je pouvais tomber dans une bataille pour reprendre ces terres en tant qu’épée de la Sainte de l’Empire ! »

« Il serait impensable de déplacer nos forces pour satisfaire votre ivresse envers ma sœur ! Pourquoi ne comprenez-vous pas son désir de ne pas impliquer les soldats et le peuple dans une telle bataille ? »

La dispute entre Krahe et Jeanne se poursuit. Maria les observa, impassible.

Ce n’est pas qu’elle soit indifférente, mais elle s’efforce, en tant qu’impératrice, de ne manifester aucune émotion.

« Krahe, » Maria s’adressa à lui d’une voix calme. Krahe s’inclina très bas devant elle.

« Oui, madame ! »

« Je… ne souhaite pas étendre davantage l’Empire. »

« Mais vous ne pouvez pas dire ça ! »

« Il n’y a rien à tirer des terres abandonnées au nord. Le coût de leur revitalisation ne ferait que grever le trésor public. Pour ceux qui font partie des forces de Fuuga Haan et qui n’ont rien d’autre à perdre que leur vie, je suis sûre qu’un mode de vie modeste dans les terres libérées sera plus que satisfaisant. Mais ce n’est pas le cas pour notre pays. Quiconque serait nommé seigneur de ces terres demanderait un soutien financier, et je suis sûre qu’il nous en voudrait si on ne lui en donnait pas assez. »

« Alors, s’il vous plaît, confiez-nous les terres libérées ! Ceux qui ont la même volonté que moi les gouverneraient pour vous sans un mot de plainte ! »

« Je ne veux pas dire qu’ils demandent de l’aide par cupidité. S’ils prennent vraiment en compte les besoins des gens qui vont se réinstaller sur ces terres, il est tout à fait naturel qu’ils demandent notre aide. Même si le seigneur choisit de se montrer stoïque alors qu’il ne devrait pas l’être, cela ne sert à rien si le peuple est toujours confronté à des difficultés. »

« Oui… Mais… »

Avec cette explication bien raisonnée de Maria, même le loquace Krahe n’avait pas de contre-argument. Maria étant la sainte qu’il vénérait, le peuple étant toujours dans ses pensées, il n’avait pas de mots pour la contredire.

La femme qui se tenait aux côtés de Krahe prit la parole. « Un mot, si vous le permettez… »

Elle avait un visage un peu poupon, mais c’était le genre de beauté intellectuelle qui aurait fait l’affaire avec des lunettes. Bien qu’elle ait peut-être un peu plus de vingt ans, elle se tenait droite avec dignité et assurance.

« Lumi…, » murmure Jeanne en elle-même.

Cette femme s’appelait Lumière Marcoux. Malgré son jeune âge, elle était l’une des plus grandes bureaucrates de ce pays.

Maria tourna la tête pour faire face à la femme. « Qu’est-ce qu’il y a, Lumière ? »

« Avec tout le respect que je vous dois, étant donné la puissance de notre pays, nous pourrions prendre possession de toutes les terres qui nous séparent du Royaume du Grand Tigre, et le soutenir facilement. Si les habitants des territoires libérés ont une vie difficile, nous pouvons simplement les aider. Cela ne ferait qu’accroître votre réputation de sainte. Je suis d’accord avec le général Krahe sur ce point. »

« Lumi, pas toi aussi…, » Jeanne allait dire quelque chose, mais Lumière leva la main pour l’en empêcher.

« Jeanne. Le général Krahe et moi-même donnons notre avis pour le bien de ce pays. Je sais que tu es mon amie, mais ne m’interrompe pas. »

« Ngh…, » cette fois, c’était au tour de Jeanne d’être réduite au silence.

Maria regarda Lumière avec une expression douloureuse sur le visage.

« C’est vrai… Mon pays a encore de la force à revendre, mais cela ne veut pas dire qu’il en aura toujours. Si nous nous étendons pour prendre autant de terres et de gens que possible, nous pourrions ne pas être en mesure de réagir en cas de crise. Cela pourrait très bien déclencher la réaction en chaîne qui ferait tout s’écrouler. »

« Il est de notre devoir, en tant que mandataires, de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher que cela ne se produise. »

« C’est aussi mon travail d’impératrice. Et c’est aussi mon devoir de ne pas faire de choix qui peuvent entraîner de tels risques, à moins que je n’y sois absolument obligée. »

« Mais madame — ! »

« Je suis désolé, Lumière. Nous devons en rester là pour aujourd’hui. » Maria mit fin à la conversation et les congédia tous les deux.

Une fois qu’ils eurent quitté la salle d’audience, les épaules de Jeanne s’affaissèrent.

« Bon sang, Lumi… Elle fait carrément partie de la faction des prédateurs à l’intérieur de la bureaucratie. »

Maria avait mis de côté son personnage d’impératrice et s’adressa à Jeanne comme à sa sœur aînée.

« Vous étiez amies, n’est-ce pas ? »

« Oui, nous nous connaissons depuis l’académie militaire. Mais l’épaule de Lumi a été brisée lors d’un accident d’entraînement, et les séquelles persistantes l’ont empêché de devenir officier. Les chirurgiens d’aujourd’hui auraient pu faire quelque chose pour elle, mais la médecine n’était pas aussi développée à l’époque. Avant que Sir Souma ne vienne dans ce monde… »

« Je vois… Et c’est pour cela qu’elle a rejoint la bureaucratie ? »

« C’est une travailleuse acharnée par nature. Une fois que son chemin pour devenir officier militaire a été coupé, elle ne pouvait pas rester impuissante et démotivée. Elle a fait tout ce qui était en son pouvoir pour passer à la bureaucratie et s’est frayé un chemin jusqu’au sommet. »

« Elle a l’air merveilleuse. »

« Je la respecte. Aujourd’hui encore, je suis fière de l’appeler, mon amie. Mais… c’est peut-être parce qu’elle était militaire à l’origine qu’elle est devenue une bureaucrate. Elle est devenue en quelque sorte la chef des bureaucrates mécontents de ta stratégie passive. »

Jeanne avait l’air d’avoir croqué quelque chose de désagréable.

« Elle est sérieuse et honnête à l’extrême. C’est difficile à voir… Je lui ai demandé plusieurs fois, en tant qu’amie, d’essayer de comprendre tes sentiments… mais ça n’a jamais marché… »

« Je vois…, » Maria murmura tristement avant de se lever du trône.

En se retournant, elle regarda le drapeau impérial accroché derrière elle.

« Pendant tout ce temps, j’ai travaillé pour unir les gens de ce pays. Et à un moment donné, on a commencé à me présenter comme la “Sainte de l’Empire”. Je n’ai jamais aimé ce nom, mais s’il rassemble nos cœurs… je me suis dit que je pouvais m’en accommoder. »

« Ma sœur…, » Jeanne s’étouffa, l’air peiné.

Avec un sourire triste, Maria répondit : « Mais maintenant, nos cœurs semblent s’éloigner l’un de l’autre. »

Jeanne ne put rien dire en réponse.

☆☆☆

Chapitre 3 : L’empire en ébullition

Partie 1

« Pourquoi, Madame Maria ? » m’exclamai-je.

« Sire ! » m’avertit Hakuya à côté de moi. Mais je n’étais pas en état de l’écouter.

« Je suis désolée… C’est déjà décidé », s’excusa Maria.

Malgré l’air mélancolique qu’elle arborait, cela n’allait pas changer le caractère inacceptable de la situation.

« Vous allez trop vite en besogne, je croyais qu’on s’était mis d’accord. S’il est possible que notre pays puisse y faire face en l’état, il n’en va pas de même pour l’Empire. C’est quelque chose que nous n’avons pu faire que parce que Friedonia, la République et le Royaume de l’Archipel se sont mis au diapason. »

« Oui… C’est aussi ce que je pensais. Mais il y a une immense pression sur moi de la part de la base pour que je fasse quelque chose à cause des accomplissements de Sire Fuuga. »

« Quand bien même, pourquoi faut-il que ce soit maintenant ? » demandai-je en me serrant la tête.

Cela me donnait un sérieux mal de tête.

« Pourquoi abolir l’esclavage si soudainement ? »

Lors de notre rencontre radiodiffusée ici, Maria m’avait dit qu’elle allait abolir l’esclavage dans l’Empire.

Pour qu’il n’y ait pas de malentendu, j’étais d’accord avec elle pour dire que l’achat et la vente d’êtres humains est une coutume épouvantable. Il fallait l’abolir pour que l’histoire de l’humanité puisse avancer. J’étais en train de prendre des mesures pour l’abolir dans mon propre pays. Mais si nous le faisions tout d’un coup, cela provoquerait des bouleversements dans la société.

« Les esclaves sont les laissés-pour-compte de la société. Même si vous abolissez l’esclavage et que tous les esclaves sont libérés demain, ils n’auront rien qui leur appartienne. Ils auront du mal à maintenir un certain niveau de vie. S’ils n’ont pas de connaissances et de compétences, ils ne pourront pas trouver de nouveaux emplois. Les hommes devront se vendre comme main-d’œuvre bon marché, et les femmes… dans certains cas, elles devront aussi vendre leur corps. »

« Je suppose que oui…, » Maria hocha la tête en signe de compréhension.

« C’est pourquoi, avant d’abolir officiellement le système, notre pays s’est efforcé d’en faire quelque chose qui n’existe que de nom. Nous avons fait des esclavagistes des fonctionnaires gérés par l’État, protégeant ainsi les esclaves contre le non-respect de leurs droits ou leur utilisation jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus travailler. Dans le même temps, nous avons promu l’académie par le biais de l’école professionnelle de Ginger et mis en place des centres d’apprentissage où tout le monde peut étudier gratuitement. Cela permettra aux esclaves d’être embauchés dans des conditions plus favorables. »

Maria m’avait regardé en écoutant attentivement mes paroles.

« Nous manquons de personnel depuis que nous avons changé notre façon d’évaluer les performances. Beaucoup de maisons voulaient acquérir des esclaves compétents, quitte à leur verser un salaire, et c’est en train de devenir la norme. Grâce à l’enseignement et au travail de Ginger et des autres, même si des personnes se retrouvent réduites à l’état d’esclaves pendant un certain temps, nous construisons un système qui les aidera à remonter la pente avec suffisamment d’efforts. Mais cela ne s’applique pas aux esclaves pénaux. »

« C’est merveilleux. Nous nous sommes aussi inspirés de votre politique dans l’Empire », dit Maria en souriant. Je n’avais pas compris.

« L’abolition dans tout sauf dans le nom… Même si on les appelle encore des esclaves, il faut travailler à une société où les esclaves ne sont pas utilisés de manière cruelle. Si vous déclarez soudainement que le système est aboli, il y aura ceux qui s’y opposeront. C’est pourquoi il faut plutôt changer la société sans qu’ils s’en aperçoivent. Assurez les droits des esclaves, faites en sorte qu’ils puissent posséder des biens. Et quand ils ne sont plus maltraités, vous changez leur nom, et soudain il n’y a plus d’esclaves qui ne soient pas aussi des criminels. »

Pour le dire plus simplement : il fallait laisser le mot « esclave » tel quel, mais élever leur statut afin qu’il soit au même niveau que celui d’un employé à temps partiel ou d’un contractuel. La priorité est de protéger la vie et la sécurité des esclaves.

Si seul le nom est changé et non la réalité, ce n’est pas différent que si le système était toujours en place. Le fait est que, même après la fin de la guerre civile américaine, des inégalités telles que le fait que les Noirs n’avaient pas le droit de vote signifiaient que les conditions à l’origine de la discrimination perduraient pendant une longue période. Même à mon époque, je ne dirais pas que les choses avaient complètement changé…

C’est comme essayer d’éradiquer le langage discriminatoire. Même si l’on déclare un mot offensant et que l’on en interdit l’utilisation, puis que l’on interdit le mot suivant qui le remplace… tout ce que l’on fait, c’est accumuler des mots que les gens ne peuvent pas utiliser.

Je me souvenais avoir entendu dire que certains des propos tenus par Yoshitsune lors de la bataille d’Ichi-no-Tani dans le conte de Heike étaient considérés comme discriminatoires et que, dans certaines éditions, ils étaient censurés. Cela m’avait fait penser que ce n’était pas les mots qu’il fallait réprimer, mais les personnes et la société qui les utilisaient de manière abusive.

J’avais regardé le reflet de Maria à travers le simple récepteur de diffusion.

« N’est-ce pas aussi ce que l’Empire a compris de la situation ? »

« Bien sûr. C’était notre intention », dit Maria, l’expression quelque peu épuisée. « Cependant, il y a des gens qui ont été ébranlés par l’avancée rapide de Sire Fuuga, et leurs exigences à mon égard n’ont fait qu’augmenter. »

« À cause de Fuuga ? » demandai-je.

« Le savez-vous ? Aujourd’hui, on l’appelle le Libérateur. »

« Le Libérateur ? Parce qu’il libère le domaine du Seigneur-Démon ? »

« Cela va plus loin. Il semble qu’il ait également libéré des personnes de l’esclavage. Cela risque d’augmenter le nombre de résidents dans les territoires qu’il libère. Il a libéré les esclaves qui appartenaient aux nations qui s’opposaient à lui à l’intérieur de l’Union des Nations de l’Est, ou ceux qui ont fui d’autres pays à cause de la dureté des conditions de vie. »

« Il fait encore quelque chose de déraisonnable… »

J’avais compris ce qu’il voulait dire, au moins. Ils sont comme les colons tondenhei… non, plutôt comme l’Armée des turbans jaunes de Qingzhou de Cao Cao, non ? Il accueillait des gens qui n’avaient pas leur place dans la société et les utilisait pour renforcer la puissance de sa nation. Le Royaume du Grand Tigre voulait des gens pour reconstruire les terres qu’il avait libérées, et il était prêt à accueillir à peu près n’importe qui. Si Fuuga les libérait de l’esclavage et leur donnait un endroit où vivre, ils lui seraient loyaux. C’était une stratégie efficace.

« La force du Royaume du Grand Tigre commence ici », pouvait-il dire. Il y avait aussi des inconvénients, bien sûr. Le plus évident étant la dégradation de l’ordre public. Il y aurait également des frictions entre les anciens et les nouveaux arrivants. Accepter tout le monde, c’était prendre le risque que certains soient des voyous ou des criminels. Cela ne poserait aucun problème tant que Fuuga, avec sa puissance militaire écrasante et son charisme, serait encore en vie. Ces bandits seraient vaincus par sa cavalerie d’élite, ce qui les forcerait à faire profil bas.

Mais lorsque le temps de Fuuga serait écoulé, ils pourraient s’avérer une source de troubles pour le Royaume du Grand Tigre. Mais Fuuga n’était pas du genre à s’en soucier.

« Les gens qui viendront après moi pourront s’inquiéter de ce qui arrivera ensuite. » Je l’imaginais dire cela avec un sourire imperturbable.

« Récemment, » commença Maria alors que j’étais perdu dans mes pensées, « les gens ont parlé dans les terres du nord de l’Empire. Ils disent : “Sir Fuuga libère les esclaves, mais que fait Maria, celle qu’ils appellent une sainte ?” et “C’est une sainte, elle devrait donc montrer la voie en libérant les esclaves”. »

« Ce n’est pas juste… » Les gens étaient déraisonnables. « Même si le Royaume du Grand Tigre libère les esclaves et leur donne des maisons et des champs abandonnés, il n’a pas les moyens de le faire. Les esclaves nouvellement libérés seront simplement appauvris. »

Il est vrai que, comparés à l’oppression qu’ils avaient subie, les esclaves en seraient probablement reconnaissants. Mais si l’on compare la situation de leurs esclaves libérés à celle de nos esclaves qui n’avaient été libérés que de nom, il n’y avait aucune chance qu’ils soient plus riches. Mais attendez… N’y a-t-il pas quelque chose qui cloche dans toute cette conversation ?

« Je n’ai jamais entendu dire que Fuuga était un libérateur d’esclaves dans notre pays », avais-je confié.

Si ce genre de propos circulait, les Chats Noirs l’auraient dénoncé. Le fait qu’ils ne l’aient pas fait signifie…

« Quelqu’un fait-il circuler cette rumeur au sein de l’Empire ? »

Après une brève pause, Maria acquiesça. « Oui… Je crois que oui. Les hommes de la faction de Sire Fuuga le font probablement intentionnellement. »

« Hein !? », j’avais sursauté. Propagande ! Cela ne peut que signifier…

« Ce doit être son conseiller, Sire Hashim », fit remarquer Maria. « Il veut que je m’empresse d’abolir l’esclavage pour semer le chaos dans l’Empire. »

« Si vous le savez, alors — »

« Mais je vois cela comme une opportunité », déclara Maria, me coupant la parole.

« Une opportunité ? Vous ne voulez pas dire…, » Alors que mes yeux s’écarquillèrent de surprise, Maria posa un doigt sur ses lèvres.

Je savais ce que cela signifiait et je me tus. À côté de moi, Hakuya avait un air dubitatif, mais j’allais l’ignorer pour l’instant.

J’avais scruté l’expression de Maria et j’avais demandé : « Vous… avez vraiment l’intention de faire ça ? »

« Hee hee, votre voix a perdu son calme, vous savez ? »

« Répondez-moi, Maria Euphoria ! » J’avais poussé la question, le ton grave.

Maria acquiesça silencieusement et répondit : « Oui. »

« Alors c’est comme ça, hein… »

J’avais appuyé une main sur mon front. Sa détermination semblait ferme.

« Vous avez pris votre décision… D’accord, alors. »

« Je vous remercie. Et je compte sur vous, Monsieur Souma. »

Sur ce, Maria avait mis fin à l’émission. Hakuya s’était immédiatement approché de moi.

« De quoi s’agit-il à la fin ? »

« Quelque chose de personnel… Pour l’instant, il semble que Fuuga ait jeté son dévolu sur l’Empire. »

« C’est vrai. Les deux pays finiront par se heurter », dit Hakuya, et je me grattai la tête.

« Nous allons devoir parler de l’avenir. Appelle-moi Excel à la capitale. »

« Comme vous le souhaitez. »

☆☆☆

Partie 2

Quelques jours plus tard, une annonce avait été faite à l’intérieur de l’Empire pour abolir l’institution de l’esclavage et libérer tous les esclaves.

Étant donné que des progrès — même s’ils étaient moindres que dans le Royaume — avaient déjà été accomplis en vue d’abolir le système dans tout ce qu’il avait de plus normal, les personnes qui n’étaient pas propriétaires d’esclaves ou les esclaves eux-mêmes n’avaient pas été très affectés par cette évolution. En fait, ils étaient heureux de ne plus être appelés esclaves. Cependant, les personnes qui utilisaient ces esclaves craignaient que leur propre mode de vie ne soit menacé.

Les bases de la protection des droits des esclaves avaient déjà été jetées, afin de s’assurer qu’ils ne soient pas utilisés jusqu’à l’infirmité ou la mort. Normalement, il ne s’agirait que d’un changement de terminologie, rien de plus, mais c’est là que les agents d’Hashim avaient commencé à diffuser leur propagande. La rumeur se répandit que Maria privilégiait le mode de vie des esclaves, négligeant celui de la classe aisée. Cela signifiait que plus on montait dans la société, plus on rencontrait de résistance contre Maria.

C’est alors qu’un incident s’était produit.

Un mouvement d’indépendance avait vu le jour dans deux des États vassaux de l’Empire, au nord de la Chaîne de Montagnes de l’Étoile du Dragon, sur le continent de Landia. À l’est, le petit royaume de Meltonia était limitrophe du royaume des chevaliers dragons de Nothung. L’autre, à l’ouest, était la République fédérale de Frakt, désormais appelée Fédération de Frakt. Ces deux États avaient assuré leur pérennité en se soumettant très tôt à l’Empire.

Dans le cas de la Fédération de Frakt, il s’agissait d’une région qui abritait autrefois de nombreux petits et moyens États, comme l’ancienne Union des nations de l’Est. Mais ils avaient choisi de s’unir en un seul pays pour faire face à l’expansion impériale avant l’apparition du Domaine du Seigneur-Démon. Leurs liens étaient plus forts que ceux de l’Union, et les nations constitutives avaient été démantelées pour être gouvernées comme des États, chacun d’entre eux envoyant un représentant au sénat de la république. Cependant, lorsque le sénat avait déterminé qu’ils ne pouvaient plus résister à l’Empire, ils avaient choisi de se soumettre afin de préserver nominalement leur nation.

Quant au Royaume de Meltonia, il était vassalisé par l’Empire avant la Fédération de Frakt. Il était plus petit et moins puissant que le Royaume des Chevaliers dragons ou la Fédération de Frakt. Lorsqu’ils s’étaient opposés à l’imposant Empire, il était clair qu’ils allaient être réduits en cendres. De son côté, l’Empire venait de mener une guerre acharnée contre le Royaume des Chevaliers dragons, qui s’était soldée par une impasse, et il voulait un État tampon. C’est pourquoi ils avaient permis au royaume de Meltonia de continuer à exister. Aujourd’hui encore, la famille royale meltonienne régnait sur le pays.

Lorsque ces deux pays étaient devenus des vassaux impériaux, ils avaient connu des frictions. Cependant, grâce à la grande autonomie qui leur avait été accordée à l’époque de l’ancien empereur — le père faible et inactif de Maria — et sous le règne paisible de Maria elle-même, ils n’avaient que rarement fait pression sur leur situation de nos jours. En fait, parce qu’ils avaient été protégés par l’Empire après l’apparition du Domaine du Seigneur-Démon, les relations entre les trois États étaient bonnes.

Cependant, les dernières années avaient changé la donne.

L’expansion des forces de Fuuga Haan avait fait en sorte que la Fédération de Frakt et le Royaume de Meltonia ne soient plus limitrophes du Domaine du Seigneur-Démon. Ils n’avaient donc plus à se soucier des vagues de démons et se trouvaient désormais aux côtés du Royaume du Grand Tigre, nouvellement établi.

Si les monstres étaient à leurs portes à cause des vagues de démons, ils pouvaient compter sur l’Empire pour envoyer des forces les protéger. Mais en serait-il de même si l’ennemi était le Royaume du Grand Tigre ? L’Empire les sauverait-il comme avant ? Les deux pays commencèrent à douter.

Certes, l’Empire ne reconnaît pas l’acquisition de territoires par la force. Mais leurs décisions étaient forcément plus lentes lorsqu’il s’agit des autres nations de l’humanité. En témoigne leur incapacité à empêcher la Principauté d’Amidonia d’attaquer le Royaume d’Elfrieden. De plus, si l’Empire et le Royaume du Grand Tigre venaient à entrer en collision, ces pays pris entre eux risquaient de se transformer en champ de bataille. C’est ce qui avait conduit à un débat au sein de leur peuple pour savoir quel camp soutenir.

Récemment, un mouvement d’indépendance actif avait également vu le jour. Ce mouvement avait été provoqué par deux catastrophes qui s’étaient produites à peu près au même moment.

– Une nuit à la fin du 6e mois, 1552e année, Calendrier Continental — un bar au nord de l’Empire —

Hochet, hochet, hochet.

« Hm… ? »

Un ivrogne arqua un sourcil et le type assis en face de lui pencha la tête sur le côté.

« Hein ? Qu’est-ce qui ne va pas ? »

« Euh, j’ai cru sentir quelque chose qui tremblait… »

« Des tremblements ? Oh, hey, tu as raison. »

Hochet, hochet… hochet !!

« « Wôw ! » »

Les secousses s’amplifièrent et le tremblement de la terre devint audible. La taverne trembla d’avant en arrière. Les tables se déplaçaient et la vaisselle tombait et se brisait en morceaux. Le tremblement de terre dura longtemps et ne montra aucun signe de fin.

Les secousses du bâtiment s’accentuèrent et des fissures se formèrent dans les murs de terre.

« La taverne ne va pas s’en sortir ! Sortez ! »

« O-Oui ! »

Les clients ivres s’étaient précipités dehors juste à temps pour voir une partie des murs de la ville s’effondrer. En regardant autour d’eux, ils aperçurent des maisons aux toits effondrés et de la fumée rougeâtre qui s’élevait au loin.

Dans toutes les directions, ils entendaient des gens crier.

« C’est horrible… »

« Oui… »

Les jambes des deux ivrognes tremblèrent alors qu’ils se sentaient dégrisés.

– Au même moment — Une ville près de la frontière entre Frakt et Meltonia —

« Hé, regardez ! La montagne ! »

« Elle crache du feu… »

« La coulée de lave pourrait arriver ici ! Nous devons nous dépêcher et fuir ! »

Les habitants avaient assisté à l’éruption de leur montagne. Cette formation rocheuse servait de frontière entre la Fédération de Frakt et le Royaume de Meltonia. Par conséquent, les débris et les cendres volcaniques de cette éruption s’étaient abattus de manière égale sur les deux nations. Les dégâts causés à l’agriculture avaient été particulièrement importants, obligeant les gouvernements des deux pays à demander de l’aide à leurs maîtres de l’Empire.

On ne sait pas s’il y a un lien entre le tremblement de terre au nord de l’Empire et l’éruption volcanique qui avait frappé la Fédération de Frakt et le Royaume de Meltonia. Une chose est sûre : Maria ne pouvait pas apporter son soutien à la fois à son peuple et à ses vassaux.

Dans les jours qui suivirent, Maria convoqua son plus haut fonctionnaire, Lumière.

« Envoyons d’abord une aide généreuse à la République de Frakt et au Royaume de Meltonia. »

Lumière fronça les sourcils. « Vous savez que notre pays a également subi d’importants dégâts à la suite d’un tremblement de terre, n’est-ce pas ? »

« Notre peuple a la force d’endurer pour l’instant. Le leur, en revanche, n’en a pas. La situation ne fera qu’empirer. »

« Mais il y a des limites à la somme que nous avons mise de côté pour cela. Si nous soutenons trop les vassaux, la reconstruction du Nord sera retardée, ce qui entraînera des mécontentements. Cela pourrait mettre le pays en péril. »

« Je le sais, Lumière, » dit Maria en hochant la tête. « C’est pourquoi j’ai l’intention d’aller demander de l’aide au Royaume de Friedonia. »

« Qu’est-ce que vous dites ? Au chef de l’Alliance maritime !? »

Les yeux de Lumière s’écarquillèrent. La plupart des serviteurs impériaux ignoraient les liens étroits qui unissaient Maria et Souma. En fait, maintenant que le continent était divisé en trois factions, certains le considéraient comme une menace pour la position de Maria, au même titre que Fuuga. Lumière était l’une d’entre elles.

« Le Royaume de Friedonia… nous soutient… ? »

« Sire Souma, le roi de Friedonia, est un homme compréhensif. Il s’agissait d’une catastrophe naturelle, il sera donc probablement prêt à offrir son soutien sans se soucier de choses telles que les frontières nationales. Bien sûr, si la même chose leur arrive à l’avenir, nous devrons leur rendre la pareille. »

« Mais si vous allez demander de l’aide au chef de l’Alliance maritime maintenant — alors que Fuuga Haan fait vibrer le cœur des gens en libérant le Domaine du Seigneur-Démon — cela nuira à votre image ! Pourriez-vous reconsidérer votre position ? »

« Lumière… » Maria la regarda avec des yeux tristes. « Mon image n’a pas d’importance. Nous devrions penser au nombre de victimes que nous pouvons secourir. Est-ce que je me trompe ? »

« Oui… c’est vrai… Mais quand même ! Nous sommes fiers de vous servir ! » s’écria Lumière, les yeux remplis d’angoisse. « Je ne suis peut-être pas aussi dévouée que le général Krahe, mais je vous sers quand même ! La Sainte de l’Empire ! Pourtant, depuis peu, vous traitez cela comme si ce n’était rien. Qu’en est-il de… Qu’en est-il de notre fierté, Votre Majesté ? »

Maria baissa les yeux. D’une voix douce, elle déclara : « Je suis désolée, Lumière. »

« Votre Majesté ! »

« C’est un ordre. Est-ce que je me fais bien comprendre ? »

Lumière ne répondit pas immédiatement. Après quelques secondes, elle marmonna : « … Oui, madame. »

Maria regarda Lumière partir en soupirant.

Maria avait donc apporté son soutien à ses deux vassaux tout en demandant l’aide de Souma à l’intérieur de son propre pays. Souma accepta volontiers et envoya immédiatement le Roi Souma, chargé de matériel de secours, dans un port impérial. La nouvelle se répandit largement, améliorant l’opinion du Royaume de Friedonia auprès des peuples de l’Empire. En même temps, cependant, elle suscita le mécontentement des serviteurs qui ne supportaient pas de voir Maria dans l’ombre de Souma.

◇ ◇ ◇

Le conseiller de Fuuga Haan, Hashim Chima, sourit froidement en entendant ce rapport.

« Je vois… C’est ainsi que Maria a agi, n’est-ce pas ? »

Dès qu’il eut fini d’écouter, il donna des ordres aux agents qu’il avait amenés avec lui de la Maison Chima.

« Répandez immédiatement les rumeurs dans la Fédération de Frakt et le Royaume de Meltonia. L’impératrice a accepté des secours du royaume de Friedonia, puis les a gardés pour l’Empire au lieu de les distribuer à ses vassaux. »

Bien que cela soit techniquement vrai, c’était aussi une déformation des faits. L’Empire avait été si généreux dans l’aide apportée à ses deux vassaux qu’ils avaient dû se tourner vers le Royaume de Friedonia pour obtenir de l’aide. C’était une chose pour laquelle ils auraient dû être remerciés et non vilipendés, mais la demi-vérité répandue dans les rumeurs avait courroucé les deux pays. De plus, cela se passait à un moment où ils hésitaient entre l’Empire et le Royaume du Grand Tigre. De ce fait, les voix qui disaient qu’ils devraient abandonner le cruel Empire et se tourner vers le Royaume du Grand Tigre pour obtenir une protection augmentaient de jour en jour.

Bien sûr, les dirigeants des deux nations étaient au courant du soutien que l’Empire leur avait apporté. Hélas, les sénateurs de la Fédération de Frakt avaient suivi l’opinion publique pour ne pas paraître eux-mêmes faibles. La famille royale du royaume de Meltonia avait tenté d’apaiser son peuple, mais les agents d’Hashim avaient provoqué une frénésie incontrôlable au sein de la population, et la famille royale avait été contrainte de fuir vers l’Empire.

On dit que Dieu envoie des catastrophes naturelles comme signe de la fin d’un pays. Cependant, ce n’est pas parce que les catastrophes naturelles détruisent le pays, mais parce qu’il s’est détérioré au point d’être incapable de les surmonter.

Le soleil se couchait sur l’Empire du Gran Chaos… C’est ce qui apparaissait clairement.

☆☆☆

Chapitre 4 : Les fleurs qui travaillent en coulisses

Partie 1

Cela ne faisait que quelques jours que les Chats Noirs m’avaient rapporté que les vassaux de l’Empire, la Fédération de Frakt et le Royaume de Meltonia, avaient changé de camp pour rejoindre la Faction Fuuga. Le Royaume de Meltonia, qui avait expulsé sa famille royale, avait été démantelé et annexé, et la Fédération de Frakt avait été autorisée à maintenir une indépendance nominale, mais avait été effectivement contrôlée par le Royaume du Grand Tigre.

La Déclaration de l’humanité n’autorisait pas la modification des frontières par la force militaire, mais reconnaissait également le droit des peuples à l’autodétermination. Dans le cas où le peuple d’un pays décidait qu’il voulait être gouverné par Fuuga, l’Empire n’avait pas d’autre choix que de l’accepter. Ils avaient été victimes de la même faille dans la Déclaration de l’humanité que celle dont nous avions profité lors de la guerre d’Amidonia.

Il est possible que Hashim, l’instigateur de tout cela, ait étudié nos méthodes. Avec le départ de ses vassaux, l’Empire était toujours une grande puissance, mais la Déclaration de l’Humanité n’existait plus. Si l’on inclut ses alliés dans l’équation, Fuuga s’était développé au point de disposer d’un nombre de personnes et d’un pouvoir largement supérieur à ceux de l’Empire. Sa sphère d’influence formait un croissant sinistre et déformé, et les gens disaient qu’il ressemblait à la gueule d’un loup, prêt à dévorer l’Empire.

Même le commun des mortels avait pu constater que l’heure de l’affrontement avait sonné.

Liscia, Hakuya et Julius m’accompagnaient au bureau des affaires gouvernementales.

« Les choses sont allées plus vite que prévu…, » avais-je dit en me passant une main sur le front.

« Oui…, » déclara Liscia en hochant la tête et en se caressant le menton. « Je ne m’attendais pas à un tel élan de la part du Royaume du Grand Tigre, ni à la rapidité avec laquelle Maria se retrouverait acculée. »

« C’est en partie dû à un mauvais timing… Ils ont été secoués par l’abolition soudaine de l’esclavage, puis par les catastrophes naturelles. Tout s’est accumulé. »

« Notre pays va-t-il s’en sortir ? Ne vont-ils pas tenter le même coup de l’esclavage ici ? » demanda Julius.

« Nous devrions nous en sortir, » répondit Hakuya. « Les droits de nos esclaves sont bien protégés. Et si aucun d’entre eux n’est mécontent, il ne devrait pas y avoir de remous. Ils vivent mieux que les esclaves affranchis du Royaume du Grand Tigre, et nous l’avons fait savoir à la population par le biais de programmes de diffusion. Il ne nous reste plus qu’à collaborer avec la République et le Royaume de l’Archipel pour changer leur nom. À ce moment-là, le système n’existera plus. »

« Oui, c’est une bonne idée. Travaillons avec Kuu et Shabon pour aller de l’avant », avais-je dit.

Julius croisa les bras et grogna. « La possibilité de diffuser des informations par le biais de programmes de radiodiffusion… C’est un outil puissant. Je le sentais déjà quand j’étais en Amidonia. Je détestais ça quand j’étais face à toi, mais maintenant, c’est rassurant. »

« Ah ha ha… Je prends ça comme un compliment », dis-je en souriant à Julius qui fronçait les sourcils. « De toute façon, s’ils voulaient semer le trouble ici, ce serait avec les gens de la région d’Amidonia, pas avec les esclaves. Mais Roroa est toujours aimée par les gens là-bas, et Julius peut garder ceux qui ne l’aiment pas dans le droit fil de la mémoire de Gaius. Avec vous deux de notre côté, je ne vois pas la région d’Amidonia devenir incontrôlable. »

Julius n’était plus aussi renfrogné.

« Héhé ! Ce n’est pas mal de t’entendre dire ça », dit-il.

« Malgré toutes vos disputes, vous vous entendez plutôt bien tous les deux », dit Liscia, l’air exaspéré.

Julius et moi avions souri d’un air ironique.

« Cela dit… Souma ? Je sais que Fuuga Haan semble avoir les yeux rivés sur l’Empire, mais que se serait-il passé s’il s’en était pris à nous à la place ? »

« J’ai des plans sur lesquels je travaille si on en arrive là, mais… La lecture de la situation par Hakuya était, eh bien… Tu lui dis. »

Liscia regarda Hakuya. Il acquiesça.

« Nous ne perdrions pas, mais ce serait un bourbier. »

« Oh ! Est-ce comme ça que ça se passera, hein ? »

« Dans une guerre défensive, le terrain est de notre côté. Les forces de Fuuga sont puissantes, mais nous avons un avantage technologique. Nous disposons d’un certain nombre d’armes, comme notre cavalerie-wyverne équipée de dispositifs de propulsion simplifiés, qu’ils ne connaissent pas. Ce n’est pas quelque chose qu’ils pourront gérer du jour au lendemain. Leur stratégie actuelle d’avancées fulgurantes ne fonctionnerait pas ici. »

Cela dit, Hakuya montra la carte du monde qui se trouve derrière le bureau.

« Si le temps le permet, nos alliés de l’Alliance maritime de la République et du Royaume de l’Archipel attaqueront le Royaume du Grand Tigre et ses alliés. Si notre flotte se déplace en même temps que celle du Royaume de l’Archipel, nous pourrons mener un combat défensif sur terre tout en attaquant le Royaume du Grand Tigre depuis les côtes est et ouest. Les forces de Fuuga seraient obligées de réagir, ce qui retarderait encore leur invasion. Et si cela traînait pendant plusieurs années… quelque chose de décisif se produirait. »

« Quelque chose de décisif ? » répéta Liscia, et Hakuya désigna la partie supérieure de la carte.

« La libération périodique d’un grand nombre de monstres du domaine du Seigneur-Démon est un phénomène que l’on appelle une vague de démons. Dans l’état actuel des choses, le Royaume du Grand Tigre est la seule nation à contrôler le domaine. Cela prendra encore du temps, mais si les choses traînent en longueur et qu’une vague de démons se déclenche, le Royaume du Grand Tigre sera contraint de l’affronter seul. Ils ont rendu la Déclaration de l’Humanité inefficace, et nous ne serions pas obligés d’aider les gens qui nous ont envahis. »

« J’ai compris. Tu dis qu’ils n’ont pas le temps de nous attaquer, n’est-ce pas ? »

« Oui, mais nous aurions aussi du mal à les attaquer. Ainsi, aucun des deux camps n’étant en mesure de remporter une victoire décisive, la guerre s’enliserait. C’est pourquoi il s’agirait d’un bourbier. »

« Je suis sûr que Fuuga et Hashim le savent aussi. C’est pour cela qu’ils se sont attaqués à l’Empire », ajouta Julius.

« Si Fuuga a l’intention de se battre avec le Royaume, il devra le faire après avoir accumulé suffisamment de forces pour submerger l’Alliance maritime. Il devra être en mesure de placer des unités partout pour répondre à nos attaques avant de pouvoir régler les choses avec nous. »

« Inversement, il ne veut pas que nous fassions un geste avant. »

Hakuya se caressa le menton et grogna en signe d’accord. « Hmm. Il fera quelque chose pour nous garder sous contrôle, j’en suis sûr. Pour nous empêcher d’agir pendant qu’il attaque l’Empire. »

« Je suis d’accord, Monsieur le Premier Ministre. Je ferais de même. »

« Vous le feriez, n’est-ce pas ? »

Si Hakuya et Julius, mes deux grands conseillers, étaient d’accord sur ce point, je n’avais pas d’autre choix que de le croire.

Quelques jours plus tard, Yuriga m’avait fait savoir que Fuuga souhaitait me rencontrer lors d’une réunion radiodiffusée.

Il semblerait que Fuuga ait mis la main sur un certain nombre de noyaux de donjons dans le cadre de l’expansion de son territoire. Yuriga, qui avait de l’expérience en la matière dans le royaume, leur avait appris à les utiliser pour communiquer et diffuser. Maintenant, il était prêt à organiser des réunions de diffusion avec nous, comme le faisait l’Empire.

Tomoe et Yuriga étaient dans la pièce avec moi et nous regardaient nous préparer pour la diffusion.

« Je pourrais peut-être faire mes rapports à mon frère par le biais de la radio plutôt que par lettre à partir de maintenant ? C’est tellement ennuyeux », dit Yuriga avec désinvolture, ce qui lui valut un sourire ironique de Tomoe.

« Je ne pense pas que ce soit le cas. Ce pays n’est pas allié au Royaume du Grand Tigre, et on ne sait pas ce que tu pourrais dire. »

« Mais ils n’ont pas censuré mes lettres de toute façon, n’est-ce pas ? »

« Oh, eh bien… Alors j’imagine que ça peut aller, non ? »

Alors que Tomoe pencha la tête sur le côté, Yuriga poussa soudainement un soupir.

Tomoe cligna des yeux à plusieurs reprises. « Te sens-tu tendue… ? »

« Bien sûr que oui… Je n’ai aucune idée de ce que mon frère a l’intention de dire. »

Fuuga n’avait pas dit à Yuriga quel serait le sujet de cette émission, se contentant de lui donner rendez-vous avec Souma. Ce manque d’information lui fit penser à toutes sortes de choses, et elle se sentit mal à l’aise.

Tomoe avait un air pensif sur le visage, et elle a dit, « Ils disent qu’il va faire la guerre à l’Empire… »

« Ouais… Augh, je veux vraiment que quelque chose m’empêche de partir d’ici… »

« Hee hee, tu veux donc rester dans ce pays maintenant, » déclara Tomoe.

Yuriga détourna la tête d’un air malicieux. « Oui, c’est vrai. J’ai parlé avec mes coéquipiers de la façon dont nous allons gagner à coup sûr. »

« Oh, c’est à propos du football de mages, hein ? Je sais que tu te débrouilles très bien. »

« Moi et cette fille dragonewt senior de l’équipe sommes les deux meilleures joueuses… C’est pour ça que ce serait dur d’être rappelées à la maison si soudainement. L’équipe a le vent en poupe en ce moment. »

L’expression de Yuriga s’était assombrie en disant cela. Tomoe s’était subtilement rapprochée d’elle.

« … Quoi ? demanda Yuriga. »

« Hm ? Oh, je me disais que si tu partais, tu me manquerais aussi. »

« Agh ! Ne sois pas insolent avec moi, petite gamine ! »

« Nous sommes à peu près de la même taille maintenant. »

Yuriga détourna la tête, l’air piquant. Pendant ce temps, Tomoe souriait, sa queue remuant d’avant en arrière.

Pendant qu’ils discutaient, les préparatifs de la réunion de diffusion avançaient, et Souma et Fuuga avaient finalement pu se rencontrer directement.

« Cela fait longtemps, Fuuga. »

« Oui, c’est vrai. Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus, Souma. »

Après quelques plaisanteries insignifiantes lors de la diffusion…

Fuuga regarda soudain autour de lui et l’appela par son nom. « Yuriga. Tu es là ? »

« Ah ! Oui, Grand Frère. »

Malgré sa surprise, Yuriga s’avança à côté de Souma.

Fuuga lui parla alors : « Yuriga. Je m’adresse à toi en tant que roi du royaume du Grand Tigre. »

« D-D’accord ! »

Yuriga se mit au garde-à-vous tandis que Fuuga ouvrait lentement la bouche.

« Je vais faire en sorte que ma sœur, Yuriga Haan, se marie avec la famille de Souma A. Elfrieden. »

« Fuuga ! » m’exclamai-je.

Après avoir entendu ses paroles, je n’avais pas pu m’empêcher d’élever la voix. Il voulait que Yuriga m’épouse. C’était une demande claire pour un mariage stratégique.

Utiliser sa sœur comme un pion politique… Pour un roi de ce monde et de cette époque, c’était une question de bon sens. Ma relation avec Liscia avait commencé de la même façon. Même si je comprenais cela, cela m’énervait qu’il le fasse si naturellement. De plus, Yuriga vivait ici depuis suffisamment longtemps pour que je développe une affection familiale à son égard.

Je l’avais regardé fixement, et Fuuga m’avait regardé droit dans les yeux.

« Souma. J’envisage d’envahir l’Empire du Gran Chaos. »

J’avais écouté dans un silence inquiétant.

☆☆☆

Partie 2

« Je vaincrai l’Empire en déclin et montrerai au monde que le Royaume du Grand Tigre est celui qui dirigera les nations de l’humanité. Si vous êtes mariée à Yuriga, vous ferez partie de la famille. Si le chef de l’Alliance maritime est avec moi, l’humanité sera unifiée. Le Royaume des Chevaliers dragons de Nothung et ce qu’il reste du Royaume spirituel de Garlan n’auront d’autre choix que d’obéir. Nous pouvons ignorer la Chaîne de Montagnes de l’Étoile du Dragon. Une fois l’humanité unifiée, nous libérerons le Domaine du Seigneur-Démon. Je vais unifier le monde, ce que personne n’a jamais réussi à faire. »

Il dit n’importe quoi… m’étais-je dit, mais il y avait une certaine logique à cela.

Si le Royaume du Grand Tigre était capable de prendre toutes les terres de l’Empire, même l’Alliance maritime ne pourrait pas s’opposer à lui. S’il envoyait des troupes impériales pour contenir la République, Kuu ne pourrait pas agir. Pendant ce temps, il nous envahirait avec ses principales forces au nord, et Zem et l’État pontifical orthodoxe lunaire à l’ouest. Même si nous contrôlions les mers, nous serions lentement écrasés sur terre. Nous n’aurions d’autre choix que de chercher l’asile dans l’Union de l’Archipel. Et si nous devions en arriver là… Je me rendrais probablement très vite. En gardant tout cela à l’esprit, la vision de Fuuga sur la situation n’était pas nécessairement erronée.

« C’est ça votre plan, Fuuga ? »

« Oui. Alors, pendant que nous réglons les choses avec l’Empire, je veux que vous restiez statique. En échange, je vous donnerai Yuriga. »

« Vous me la donnez ? Elle est votre famille… Feriez-vous ça si facilement ? »

J’avais jeté un coup d’œil à Yuriga. Elle se tenait droite et regardait Fuuga.

Je n’avais pu lire aucune émotion dans son expression. Ses yeux n’étaient pas morts, du moins, mais il n’y avait pas de grande émotion. Elle regardait Fuuga calmement, intentionnellement. Que pense-t-elle de tout cela ?

« Je ne fais pas cela à la légère », déclara Fuuga. »C’est ma sœur chérie, aussi effrontée qu’elle puisse l’être parfois. »

Il n’avait pas montré le moindre signe de culpabilité.

« J’ai couru avec mes copains pour réaliser cette grande ambition d’unifier le continent, et le pays est devenu si grand. Les soldats et le peuple me prêtent leur force pour poursuivre ce rêve. Mais… une fois qu’il se sera réalisé, je serai probablement satisfait. Je pense que j’ai la force de conquérir le monde. Mais je sais aussi que je n’ai pas le talent pour m’y accrocher une fois que j’y serai parvenu. »

« Qu’essayez-vous de dire ? »

« Je pense que vous êtes plus apte à diriger le monde une fois que je l’aurai unifié. Une fois que le monde sera à moi, je pense que je vous le confierai. »

« « «  … !? » » » Tout le monde dans la salle avait hoché la tête.

Il va me donner le monde… Est-il sérieux ? Dans un vieux jeu, le Dragonnier disait « Je te donnerai la moitié du monde », mais Fuuga m’offrait le monde entier une fois qu’il l’aurait unifié.

« Ne dites pas cela si facilement. Vos subordonnés et le peuple ne l’accepteront pas. »

« C’est pour cela que vous allez épouser Yuriga. L’enfant qu’elle aura avec vous pourra hériter du Royaume du Grand Tigre. Vous pourrez vous occuper du reste du personnel. Vous êtes doué pour ça, non ? »

« J’ai une montagne de choses à dire à ce sujet, mais… Et si vous avez un enfant avec Mutsumi ? »

« Hmm… Je suppose que nous allons retourner dans les steppes, ou peut-être devenir des aventuriers. Ni Mutsumi ni moi ne voulons gérer un empire tentaculaire. Et même si nous avons des enfants, je ne voudrais pas qu’ils en héritent. »

Je n’avais pas eu de réponse à cela. Et il ne mentait probablement pas. Cet homme est vraiment intéressé par la conquête du monde… Bon sang !

Me ressaisissant, j’avais alors dit : « Est-ce pour cela que vous n’avez pas montré le moindre signe de vouloir rappeler Yuriga chez vous ? »

« Je vous la laissais jusqu’à ce qu’elle soit majeure. Mes subordonnés savaient que c’était en vue d’un futur mariage. »

« Mais Yuriga est venue étudier dans ce pays parce qu’elle voulait vous être utile. »

« C’est la lecture de ses lettres qui m’a convaincu que je ne devais pas me battre avec vous ou le Royaume. Si elle peut empêcher nos pays de s’engager dans une guerre qui ne manquera pas de tourner au bourbier, elle aura déjà fait plus qu’assez. »

Lorsque Fuuga avait dit cela, Yuriga s’était avancée.

« Frère. As-tu donc pris mes lettres au sérieux ? »

« Bien sûr. C’est pourquoi j’ai décidé de m’associer au Royaume et de soumettre l’Empire. »

« Je vois… » Yuriga se retourna pour me faire face. « Je suis désolée de vous interrompre pendant une discussion importante entre rois, mais pourrais-je parler à mon frère un instant ? »

« B-Bien sûr… »

« Merci. Maintenant, mon frère… »

Yuriga avait regardé Fuuga droit dans les yeux.

« Depuis que je vis dans ce pays, j’y ai réfléchi. Si tu les affrontais, que se passerait-il ? Pourrais-tu vaincre Souma ? Souma pourrait-il te vaincre ? »

« Ah oui ? Et comment le vois-tu ? »

Fuuga l’encouragea à continuer, apparemment intéressé. Yuriga secoua silencieusement la tête.

« Je n’imaginais pas Sire Souma capable de remporter la victoire. »

« Hmm. »

« Mais en même temps, je n’ai jamais pu me convaincre que tu serais capable de conquérir ce pays. »

Les yeux de Fuuga s’écarquillèrent. Yuriga poursuivit en choisissant soigneusement ses mots.

« Comme je l’ai écrit dans mes lettres… les valeurs de ce pays sont trop diverses. Même si tu as des prouesses martiales inégalées, cela ne suffira pas pour régner ici. Ton pouvoir vient du respect de tout ton peuple, mais dans un pays aux valeurs aussi diverses que le Royaume, un seul homme ne pourrait pas gagner le respect de tout le pays. »

Fuuga regarda Yuriga, ne montrant aucun signe d’interruption.

« Il y a ceux qui respectent Souma pour avoir reconstruit ce pays avec sa politique, et ceux qui aiment et respectent la Reine Liscia. Il y a ceux qui sont charmés par les chants de la Prima Lorelei, la reine Juna Doma — des guerriers qui aspirent à avoir la force de la reine Aisha. Il y a ceux d’Amidonia, qui aiment la reine Roroa, et les gens du peuple de Parnam, qui sont amis avec la reine Naden. Même avec le roi actuel et ses épouses, il y a toutes ces raisons différentes… ces points de vue différents… »

Yuriga prit une longue inspiration avant de poursuivre.

« Et malgré tous ces groupes, ils ne forment pas de factions. Parce que cette maison est unie dans son désir de garder le pays uni. C’est pourquoi un système de gouvernement comme le tien ou celui de l’impératrice Maria, où tout ce respect est concentré sur une seule personne, ne fonctionnerait pas dans ce pays. Même avec ta grande majesté, il ne serait pas facile de conquérir le cœur de tous les habitants de ce pays. C’est pourquoi… »

Enfin, Yuriga s’était exprimée sans détour.

« J’accepte ton ordre d’épouser Souma. »

« Accepte ? », avais-je lâché malgré moi. Hein ? Est-ce que c’est vraiment normal qu’elle accepte si facilement ?

Même Fuuga avait l’air un peu décontenancé.

« Je m’attendais à ce que tu fasses une crise… », déclara-t-il.

« Je ne le ferai pas. Je l’ai plus ou moins vu venir. Cependant, je voudrais me plaindre un peu du fait que tu as soulevé cette question si soudainement. »

« C’est vrai… Désolé. »

« Il y a de quoi. Mais si je me marie avec Souma, tu dois comprendre que je travaillerai désormais pour le compte du Royaume de Friedonia. Car cela te sera bénéfique à toi aussi. »

« Hmm… Qu’est-ce que tu veux dire ? » demanda Fuuga d’un air dubitatif.

Yuriga mit ses mains sur ses hanches et tendit sa poitrine vers lui.

« Je ne suis pas convaincue que tu vas gagner. Je ne peux donc pas affirmer avec certitude que tu ne finiras pas un jour par être traîné devant Sire Souma ligoté. Quand cela arrivera, c’est moi qui devrai le supplier d’épargner ta vie. »

Fuuga était resté sans voix.

« Que Sire Souma écoute ou non mes supplications dépendra entièrement de son amour pour moi. Je dois devenir une reine que Souma aimera et pour laquelle les habitants de ce pays éprouveront de la sympathie. Pour cela, je servirai ce pays de tout mon cœur. »

« Heh, heh… Ha ! Ha ! Ha ! Ha ! » Fuuga éclata de rire. « Tu as donc décidé de l’épouser de ton propre chef, et non pas parce que je te l’ai demandé ? »

« Oui, frère. »

« J’aime bien ça ! Tu as vraiment grandi depuis que je ne t’ai pas vue ! Tu ne te laisses pas porter par les événements, tu traces ton propre chemin ! Je regrette d’avoir laissé Souma t’avoir maintenant ! »

Euh… Je ne savais même pas ce qui se passait à ce moment-là.

Après un rire franc, Fuuga m’avait regardé.

« Voilà, c’est fait. Occupez-vous de Yuriga pour moi, d’accord ? »

« Vous ne pouvez pas me mettre ça sur le dos… »

« Il n’y a pas un seul mensonge dans ce que je viens de dire. Cela ne devrait pas être une mauvaise affaire pour vous. Vous devriez en parler avec le Premier ministre à la robe noire et Julius Lastania. Alors… je veux que vous restiez en dehors de cette affaire. »

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Partie 3

La guerre entre l’Empire et le Royaume du Grand Tigre semblait inévitable. Je n’avais qu’une chose à dire à ce sujet.

« Êtes-vous sûr de ne pas prendre Maria Euphoria trop à la légère ? »

« Je ne la prends pas du tout à la légère. J’ai l’intention de lui donner tout ce que j’ai. »

L’image de Fuuga disparut alors.

Nous n’avions pas encore formellement accepté le mariage, mais ils allaient probablement l’annoncer comme un fait établi. Si j’essayais de faire fuir Yuriga et de me défiler, je ne ferais que leur donner une excuse inutile.

Alors que je me demandais quoi faire, j’avais remarqué que Yuriga tremblait à côté de moi.

« Hum… Ça va, Yuriga ? »

« … gagné. »

« Hein ? »

Yuriga marmonnait, alors j’avais tendu l’oreille…

« J’ai gagné ! », avait-elle crié à haute voix juste à côté de moi.

« Wôw !? » J’avais trébuché en arrière sous le choc.

Les autres nous regardaient, se demandant ce qui se passait. Mais Yuriga ne faisait pas attention à eux, au lieu de cela, elle déplaça son poing droit en l’air.

Elle était comme une nouvelle championne qui venait de monter sur le trône. Et comme si cela ne lui suffisait pas, elle brandissait également son poing gauche, les deux bras en l’air, en signe de jubilation.

« J’ai gagné mon pari ! »

Hein ? Parier ? Est-elle devenue folle ? Alors que je pensais cela, Tomoe s’était précipitée sur elle et l’avait prise dans ses bras.

« Félicitations, Yuriga ! »

« Tomoe ! Merci ! »

Yuriga et Tomoe avaient sauté de haut en bas, se tenant l’une et l’autre.

 

 

Sérieusement… Quoi ?

« Elle a vraiment réussi », déclara Liscia en s’approchant de nous.

« Sais-tu quelque chose à propos de tout ça ? » avais-je demandé.

« Elle m’en parle depuis un moment. Viens, Yuriga. Nous devons expliquer à Souma. »

« Bien sûr, Lady Liscia. »

Yuriga sembla revenir à la réalité lorsque Liscia l’appela. Elle lâcha Tomoe et se racla la gorge avant de s’approcher lentement.

« Erm… Euh… Par où commencer ? »

« Qu’en est-il de ce que tu as dit sur le fait de gagner un pari ? »

« De tous les avenirs possibles pour moi, j’ai pu obtenir presque le meilleur. »

« Presque le meilleur ? Parles-tu du fait de te marier avec moi ? »

« Je veux dire, dans ma position. Il a toujours été évident que j’allais être poussée vers quelqu’un pour un mariage stratégique. »

Yuriga haussa les épaules et soupira.

« Le royaume du Grand Tigre est en pleine expansion, et je suis la jeune sœur de son roi, non ? Les gens allaient vouloir m’épouser pour se rapprocher de mon frère, et il allait vouloir me marier à quelqu’un d’influent qui pourrait l’aider dans sa quête de domination. »

« Oui, j’ai compris. »

« À ce moment-là, la seule différence est de savoir avec qui je vais me marier. Comme je vis dans ce pays depuis quelques années, j’ai l’habitude d’y vivre. Je ne veux même pas penser à être envoyé ailleurs. Je veux continuer à jouer avec mon équipe de foot mage. Et pour ce qui est de devoir laisser derrière moi mes amis comme Tomoe, Ichiha, Lucy et Velza, eh bien, euh… Je ne voulais pas ça non plus. »

« Ahh, Yuriga, » dit Tomoe en roucoulant, un grand sourire sur le visage.

Yuriga avait détourné la tête, refusant de regarder Tomoe.

« C’est pourquoi je voulais épouser quelqu’un qui me permettrait de rester dans ce pays et, je l’espère, de continuer à jouer au football mage un peu plus longtemps. Mais quand il s’est agi de savoir qui mon frère accepterait, vous avez été la seule personne qui m’est venue à l’esprit. Ichiha répond aux deux premiers critères, mais mon frère n’allait pas se contenter de me voir épouser l’un de vos vassaux. Et puis… »

« Yuriga ? » l’appela Tomoe, toujours souriante.

« … Votre petite sœur me fait un peu peur. »

« Ah ha ha… »

Compte tenu de ces événements, j’allais aussi devoir fiancer officiellement Tomoe et Ichiha. Ils semblaient s’intéresser l’un à l’autre, et beaucoup d’autres personnes les visaient tous les deux, alors l’officialiser tuerait tout cela dans l’œuf.

Yuriga regarda Liscia. « C’est pourquoi je suis allée parler à Lady Liscia et aux autres. J’avais besoin de savoir si elle pouvait m’accepter comme l’une de vos épouses, et je voulais de l’aide pour convaincre mon frère de me donner l’ordre. »

« Attends… Les autres reines étaient aussi dans le coup ? » demandai-je en regardant Liscia.

« Eh bien, on peut dire que nos intérêts étaient alignés. N’est-ce pas, Yuriga ? »

« Yep ! »

Liscia et Yuriga se congratulèrent, l’air satisfait.

« Tu as dit que tu voulais éviter une guerre avec le Royaume du Grand Tigre, n’est-ce pas ? Et que nous devions convaincre le seigneur Fuuga de ne pas se battre avec nous. C’est pourquoi, lorsque Yuriga est venue me demander conseil, je lui ai dit que je l’accepterais comme l’une de tes reines si elle utilisait ses lettres pour que Fuuga soit moins enclin à nous attaquer. Nous voulions le convaincre de travailler avec nous plutôt que de s’opposer à nous. D’ailleurs, Juna était chargée de superviser les lettres. »

« Oh… Eh bien, bon sang… »

Si elle recevait des conseils de Juna, qui avait appris de l’expérimentée Excel — alors oui, bien sûr qu’elle serait capable de rendre Fuuga prudent à l’égard de ce pays. Et comme Yuriga écrivait les lettres de son propre chef, il était peu probable qu’il s’en aperçoive. Bon, cela ne garantissait pas que Fuuga prendrait la décision qu’ils voulaient, mais… Oh ! C’est donc pour cela qu’il s’agissait d’un pari.

J’avais fixé Yuriga.

« Tu l’as fait danser dans le creux de ta main, non ? »

« Ah… Ce que j’ai dit dans mes lettres et ce qu’il vient de vous dire étaient tous vrais, vous savez ? Si un puissant guerrier comme mon frère devait tomber, je pense que ce serait face à ce pays. Et honnêtement, j’ai l’intention de le supplier pour qu’il ait la vie sauve si on en arrive là. »

« C’est de la détermination… Mais es-tu vraiment satisfaite de cela ? Devoir m’épouser. »

« Eh bien, vous me plaisez. Jusqu’à présent, j’aurais plutôt aimé quelqu’un comme Sire Shuukin, qui est comme un autre grand frère pour moi. Mais je vous respecte, et je me verrais bien vous aimer. »

« Tu pourrais… ? Tu es terriblement pragmatique à ce sujet. »

« Elle est comme une version passée de moi, n’est-ce pas ? Je ne pouvais pas la laisser seule », dit Liscia avec un sourire en coin, tandis que je les regarde avec stupéfaction.

« Oh, et une autre chose… » Yuriga regarda Tomoe. « Si je vous épouse, Tomoe deviendra ma petite sœur, n’est-ce pas ? J’aime bien cette idée. »

« Ah ! Mais je suis la fille adoptive de l’ancien couple royal, ce qui ne fait pas de moi ta petite sœur, Yuriga. »

« Hein ? Cela ne sera pas le cas ? »

« Il n’y a que Grande Sœur Liscia que j’appelle comme ma grande sœur. Et pour grand frère Souma, je l’appelle comme ça que parce qu’il est marié avec elle. Je n’appelle pas Aisha, Juna, Roroa et Naden “Grande sœur”. »

« Eh bien, quand je serai reine, tu feras mieux de me montrer du respect ! Tu n’es qu’une princesse ! »

« D’accord, » dit Tomoe avec un petit rire. « J’ai posé ma candidature au poste de chambellan. Je ferai du bon travail en programmant tes nuits avec le Grand Frère. »

« Bwuh !? Oh, je ne peux pas te supporter ! »

« Ah ha ha ha ha ha. »

Tomoe et Yuriga discutèrent entre elles.

Yuriga a probablement imaginé ce complot et trouvé la détermination de le mener à bien parce qu’elle ne voulait pas perdre ce genre d’interaction.

Hakuya et Julius étaient sans doute en train d’écouter quelque part à proximité, alors j’avais dit : « Une question pour les brillants esprits qui aident à diriger ce pays… »

« Pouvons-nous vous aider ? » demanda Hakuya.

« Qu’est-ce qu’il y a ? » poursuit Julius.

« L’avez-vous vu venir ? »

Lorsque j’avais posé cette question, ils s’étaient regardés et avaient haussé les épaules.

« Non, je n’ai jamais pensé que les reines la soutiendraient… »

« Je doute aussi que Fuuga ou Hashim aient imaginé cela. Ils s’attendaient peut-être à ce que vous, moi ou le Premier ministre préparions quelque chose, mais… ils n’auraient pas pensé devoir également prendre en compte les intentions des reines. Quel pays terrifiant ! »

« Racontez-moi, » dis-je en hochant la tête.

Ces femmes fiables et effrayantes travaillaient en équipe. Nous n’étions pas de taille à les affronter. Si l’on s’en tient au résultat, elles nous avaient tous les deux battus, Fuuga et moi.

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Chapitre 5 : Intentions croisées et conflictuelles

Partie 1

Grâce à l’ambition de Fuuga envers l’Empire et à la décision de Yuriga de m’épouser à l’avenir, notre pays avait réussi à éviter le conflit avec le Royaume du Grand Tigre pour l’instant. Cela nous donnait beaucoup de temps pour travailler. Tout cela n’aurait pas été possible si Yuriga n’avait pas travaillé pour réaliser ses propres désirs, et si Liscia et mes autres épouses ne l’avaient pas aidée en raison de leurs intérêts communs.

Le lendemain de la rencontre avec Fuuga, j’étais avec Liscia et Yuriga pour expliquer à mes autres épouses — qui n’étaient pas à la réunion — ce qui s’était passé. Cela dit, Yuriga les avait toutes mises au courant dès le début, et je n’avais donc pas eu besoin de leur expliquer ses sentiments, puisqu’elles en savaient déjà plus que moi. Quand je leur avais annoncé que Yuriga allait se marier avec la famille, elles avaient toutes applaudi pour une raison ou une autre, et Roroa et Aisha avaient même applaudi.

« Tu as vraiment réussi ton coup. Bien joué. »

« Tu as plié Fuuga à ta volonté. Même les guerriers auraient du mal à faire ça. »

Naden, quant à elle, se tenait devant Yuriga, les mains sur les hanches et la poitrine bombée.

« Maintenant, j’ai une reine qui est ma cadette. Les gens m’ont traitée comme si j’étais plus jeune que je ne le suis, mais maintenant tout le monde va voir qu’ils ne peuvent plus me traiter comme une enfant. »

« Hmm… Mais ne vois-tu pas que Yuriga est déjà plus grande que toi ? » fit remarquer Juna.

« Qu’est-ce que tu dis ? » sursauta Naden, et ses yeux s’écarquillèrent. Son corps n’avait pas beaucoup changé depuis notre rencontre, alors que la silhouette de Yuriga s’était étoffée, lui donnant une forme plus féminine.

Si vous m’aviez demandé lequel d’entre eux était le plus jeune… J’aurais aussi dû choisir Naden.

« C’est bon, Lady Naden ! Je vous montrerai le respect qui vous est dû en tant qu’aînée ! » Yuriga s’empressa de la rassurer avant qu’elle ne soit trop déprimée.

« Es-tu sincère ? » demanda Naden, les yeux révulsés, et Yuriga hocha vigoureusement la tête.

« Oh, mon Dieu ! Mais quand Yuriga se mariera avec la famille, elle sera une reine principale, n’est-ce pas ? En tant que reines secondaires, n’est-ce pas à nous de lui montrer le respect qui lui est dû ? »

Les épaules de Naden s’étaient affaissées lorsque Juna avait également souligné ce point.

« Juna…, » dis-je en la regardant d’un air de reproche.

« Hee hee ! » Juna s’amusa à tirer la langue.

J’avais serré Naden dans mes bras et lui avais tapoté la tête pour lui remonter le moral.

« Yuriga veut continuer à jouer au football mage, et il faudra probablement encore un peu de temps avant le mariage. Si Fuuga annonce les fiançailles, je prévois juste pour l’instant de les confirmer. Elle n’est donc que ma fiancée pour l’instant. »

Si nous maintenions un statut de relation libre, il serait possible de rompre les choses si la situation l’exigeait. Si Yuriga décidait plus tard qu’elle ne voulait pas m’épouser, je n’allais pas la forcer. Mais dire cela maintenant reviendrait à piétiner sa détermination, alors je l’avais gardé pour moi.

Je m’étais incliné devant toutes mes femmes.

« Si Yuriga rejoint notre famille, je veux que vous soyez toutes bonnes avec elle. »

« Bien sûr », déclara Liscia en serrant Yuriga contre elle. « S’il lui arrivait quelque chose, Tomoe pleurerait… Et puis, Yuriga est comme une petite sœur pour moi aussi. Je ne pourrais faire pleurer aucune de mes sœurs. »

« Dame Liscia…, » dit Yuriga en rougissant.

Oui, elles vont s’en sortir. Alors que je pensais cela, Roroa croisa soudainement les bras et gémit. Qu’est-ce qu’elle va dire ?

Roroa jeta un coup d’œil à Yuriga. « Est-ce qu’on peut supposer que Yuriga est de notre côté ? Va-t-elle continuer à faire des rapports au Royaume du Grand Tigre ? »

« Ah ! Non ! »

Yuriga se dégagea des bras de Liscia et plaça sa main droite sur sa poitrine.

« Si je dois épouser Sire Souma, je dois faire passer les intérêts de ce pays en premier. Mon obligation de rendre compte à mon frère a pris fin avec la réunion d’hier. Si vous me dites de lui envoyer de fausses informations, j’hésiterai à le faire, mais je ne lui révélerai aucun des secrets de ce pays que je pourrais apprendre ! Car si je fais quoi que ce soit qui nuise à ce pays, je ne pourrai pas le supplier de me laisser la vie sauve ! »

En entendant tout cela, Roroa m’avait jeté un coup d’œil. Elle vérifiait sans doute si je pouvais lui faire confiance.

J’avais acquiescé et Roroa avait semblé satisfaite.

« Dans ce cas, je n’hésiterai pas à parler. On est peut-être d’accord avec tout ça, mais le problème, c’est l’Empire, non ? Fuuga Haan s’en prend à l’Empire, alors le fait que tu te fiances à sa sœur ne va pas les choquer ? »

« Oui, tu as raison… »

Contrairement à nous, qui avions bénéficié d’un peu de temps supplémentaire grâce à Yuriga, l’Empire de Maria et Jeanne était sur le point d’affronter l’heure de vérité.

« Hakuya est en train de contacter Madame Jeanne à ce sujet. Il lui parlera de tout, y compris de Yuriga. »

« Madame Jeanne… s’entend bien avec Hakuya, non ? » marmonna Liscia. « Cela doit être difficile pour lui… »

Oui… Je sais que c’était son travail, mais j’avais peut-être imposé une tâche désagréable.

◇ ◇ ◇

Au même moment, dans la pièce où se trouve la gemme de diffusion...

« Je vois… Sire Souma, avec la petite sœur de Sire Fuuga… »

« Oui… »

Le Premier Ministre en robe noire Hakuya et la Petite Sœur Générale Jeanne discutaient sur le Joyau de Diffusion de la Voix. Il venait de raconter ce qui s’était passé lors de la rencontre radiodiffusée entre Souma et Fuuga hier.

« Cette fille Yuriga a l’air plutôt compétente, à commencer un combat avec son propre frère pour obtenir ce qu’elle veut… Comparé à la façon dont nous avons été en retrait face à lui ces derniers temps, c’est satisfaisant de voir cela se produire. »

Jeanne laissa échapper un rire plein d’autodérision. L’expression d’Hakuya s’assombrit.

« Vous êtes en retrait ? »

« Oui. Avec la montée en puissance du Royaume du Grand Tigre, le soutien à notre pays et à nos états vassaux après les catastrophes naturelles, l’abolition soudaine de l’esclavage… notre pays est en plein désarroi. Et si, en plus, Sire Souma se fiance avec Madame Yuriga, créant ainsi un lien de parenté entre le Royaume de Friedonia et le Royaume du Grand Tigre, cela ne fera qu’accroître la confusion. Cet homme… Hashim, n’est-ce pas ? Le conseiller de Fuuga ne manquera pas d’en faire courir le bruit. »

« Je suis désolé de vous causer des ennuis supplémentaires…, » Hakuya s’excusa, mais Jeanne secoua la tête.

« Non. Vous avez fait ce que vous deviez faire. Il est naturel de faire passer son pays en premier… Même si nous sommes en retrait, dans le passé, ma sœur aurait pu faire quelque chose. Le fait qu’elle ne puisse pas le faire maintenant est une défaillance de notre pays. »

« Madame Maria est-elle… la même que d’habitude ? » demanda Hakuya avec hésitation. Jeanne acquiesça.

« Comme toujours, elle est lente à agir. Elle ne réagit qu’au fur et à mesure que les problèmes se posent… »

« Je vois… »

« Honnêtement… Je ne sais pas à quoi elle pense…, » murmura Jeanne, l’air peiné. Elle secoua la tête. « Je parle à titre personnel… Ne tenez pas compte de ce que je vais dire… À mes yeux… il semble que ma sœur ait perdu la volonté d’être impératrice. Je sais qu’elle a enduré le poids des responsabilités pendant tout ce temps. Mais si c’est vrai… alors ce pays est… »

Hakuya la regarda, sans voix, et Jeanne laissa échapper un faible rire.

« Ah ha ha… Je ne devrais pas être comme ça. Le commandant des armées de l’Empire ne doit pas penser ainsi. Quelle que soit la décision prise par ma sœur, je la protégerai. »

« Madame Jeanne… Je… »

« Ne vous inquiétez pas. Vous êtes le Premier ministre du Royaume de Friedonia. Vous devez agir au nom de votre pays. Ne vous fatiguez pas pour nous. »

Jeanne le rejeta avec un sourire aux lèvres.

« Si le pire devait arriver… Monsieur Hakuya. S’il vous plaît, restez en bonne santé. »

Hakuya ne pouvait rien dire de plus.

Un pas, un pas, un pas. Le Premier ministre Hakuya marchait dans les couloirs du château de Parnam, perdu dans ses pensées. Son visage était toujours aussi calme, mais dans son esprit, il jouait simulation après simulation, sans prêter attention à ce qui l’entourait. Les bureaucrates le saluaient, les gardes le saluaient, mais Hakuya continuait à marcher, sans rien remarquer.

Son esprit était occupé par deux choses : Le visage douloureux de Jeanne à l’autre bout du fil qui refusait son aide, et les simulations sur la meilleure façon d’agir pour le Royaume de Friedonia à partir de maintenant. En esprit brillant qu’il était, Hakuya comprenait parfaitement la situation. Si le Royaume de Friedonia devait se préparer à faire face à la croissance du Royaume du Grand Tigre, il était dans son intérêt que l’Empire soit détruit.

Si le Royaume du Grand Tigre et l’Empire se livrent une guerre totale, l’Empire perdra presque à coup sûr, pensa-t-il. Les chevaliers et la noblesse de l’Empire sont déchirés sur le fait de savoir s’ils soutiennent ou non Madame Maria en ce moment. S’ils ne s’unissent pas, même l’Empire ne pourra pas repousser les attaques féroces du Royaume du Grand Tigre. Mais elle a toujours le soutien écrasant du reste de son peuple.

Pas, pas, pas.

Si les gens qui vénèrent Madame Maria comme la Sainte de l’Empire ont une croyance quasi religieuse en elle… Si Fuuga devait tuer Madame Maria… l’Empire tout entier serait en colère. Son immense territoire deviendrait une région instable, en proie à de fréquentes rébellions. Une fois la rébellion éradiquée, le ressentiment subsisterait et s’envenimerait à nouveau. Il ne pourra pas dire : « Aujourd’hui l’Empire, demain le Royaume de Friedonia » et nous envahir ensuite. Il lui faudra beaucoup de temps et d’efforts pour consolider sa position dans l’Empire.

Pas, pas, pas.

Fuuga et Hashim doivent le savoir. Une fois leur victoire assurée, ils demanderont à Madame Maria de se rendre. S’ils peuvent la faire se soumettre sans la tuer, ils pourront garder ses croyants sous leur contrôle. Mais Madame Maria ne se soumettra pas. Elle ne laisserait pas son peuple suivre un homme aussi belliqueux que Fuuga, et le défendrait tant qu’elle serait encore en vie pour le faire.

Pas, pas, pas.

Si Fuuga entre en guerre avec l’Empire, il ne peut mettre fin à la guerre qu’en l’annexant totalement. Cela signifie qu’il doit régner sur un territoire vaste et rétif. Lors de la réunion, Fuuga a dit qu’une fois le continent unifié, il le donnerait à Sa Majesté… D’une certaine manière, c’est vrai. Une fois qu’il aura unifié le continent et accumulé toutes les inimitiés qu’il méritera, Fuuga ne pourra plus maintenir la nation unifiée.

Pas, pas, pas.

Donc… si vous y réfléchissez du point de vue de ce pays… La meilleure chose à faire est de ne pas s’impliquer dans un conflit entre le Royaume du Grand Tigre et l’Empire. Il n’est pas impossible que Sa Majesté prenne le contrôle de tout sans verser une goutte de notre sang. Mais… cela signifie abandonner Madame Maria et Madame Jeanne…

Pas, pas, pas.

En tant que Premier ministre, je dois conseiller à Sa Majesté de le faire. Sa Majesté est un homme rationnel, qui tient beaucoup à sa famille et à ses proches. Il voudra sûrement sauver Madame Maria et Madame Jeanne, qui étaient nos alliées. Je… dois l’arrêter… Car, le jour où il m’a engagé, je me suis juré de le soutenir.

« Oh, hey… »

Argh… Je ne dois pas faiblir. Je suis le Premier ministre de ce pays. Je dois travailler pour le bien de cette nation sans me laisser piéger par mes sentiments. Madame Jeanne le comprend. C’est pour cela qu’elle a refusé ma candidature. Je ne dois pas laisser mes émotions me détourner de mon devoir. Si je devais abandonner mon rôle et agir au nom de Madame Jeanne, cela l’attristerait…

☆☆☆

Partie 2

« Hé, tu m’écoutes ? »

Mais… même si ! Même si… dans mon cœur, je veux…

« Hé ! Hakuya ! »

Il y eut une traction soudaine sur son épaule, et Hakuya se retourna pour trouver Souma debout. Aisha était également derrière lui.

« Votre… Majesté ? Et aussi Lady Aisha aussi. »

« Qu’est-ce qui t’a mis dans tous tes états ? Je t’ai appelé, mais tu n’as même pas répondu. »

« Ah ! Toutes mes excuses. Je réfléchissais… »

« Oui, j’en suis sûr. Ton visage avait l’air effrayant avec toutes ces rides sur ton front », dit Souma en haussant les épaules, et Hakuya détourna son visage de lui.

Souma soupira et lui tapota l’épaule avec la main qu’il utilisait pour le tenir.

« Allons parler d’autre chose. Suis-moi. »

« Comme vous voulez… »

Ils se rendent tous les trois au bureau des affaires gouvernementales.

« Aisha, éloigne les gens. »

« Oui, Monsieur ! C’est compris ! »

Souma déposa Aisha à la porte du bureau et entra avec Hakuya. Au lieu d’utiliser le bureau, ils s’assirent cette fois-ci face à face sur les canapés de la réception.

Une fois qu’ils s’étaient détendus un moment, Souma dit : « Je sais pourquoi tu as ce regard. C’est Madame Jeanne, n’est-ce pas ? »

Hakuya était silencieux, mais son expression parlait d’elle-même.

« Ha ha ha, tu es exceptionnellement facile à lire pour une fois. »

Voyant que Hakuya était ébranlé par cette remarque, Souma sourit ironiquement.

« Tu avais rendez-vous avec Madame Jeanne, n’est-ce pas ? La guerre entre l’Empire et le Royaume du Grand Tigre est inévitable à ce stade. Tu as ce qu’il adviendra de Madame Maria et de Madame Jeanne… Tu as donc proposé ton aide, et Madame Jeanne a refusé… C’est bien cela ? Ou bien ne peux-tu même pas exprimer ton désir de la sauver ? »

C’était le dernier cas de figure. Mais Hakuya n’avait pas dit un mot. Il se disait qu’un Premier ministre ne devait pas mêler ses sentiments à son travail — Souma le savait déjà.

« Même si tu veux aider Madame Jeanne, le mieux pour ce pays est d’abandonner l’Empire… C’est ce que tu penses, n’est-ce pas ? Si nous devons affronter le Royaume du Grand Tigre, il est tout simplement préférable pour nous de le faire alors qu’il a affaire à un Empire instable qui a perdu Madame Maria. »

« Vous me comprenez bien… »

« Nous travaillons ensemble depuis longtemps », répondit Souma avec désinvolture.

Hakuya céda et prit la parole. « Ce que je devrais vous conseiller, c’est que… plutôt que de laisser nos émotions passagères prendre le dessus, nous devrions rester en dehors du combat entre l’Empire et le Royaume du Grand Tigre. »

« Même si cela implique d’abandonner Madame Maria et Madame Jeanne ? »

« En effet. »

« Penses-tu que nous devrions rester neutres ? »

« Oui. Que Sire Fuuga ait l’intention de tenir sa parole envers vous ou non, il ne sera pas en mesure de capturer complètement les cœurs et les esprits du peuple de l’Empire. Une fois qu’ils auront annexé l’Empire, le Royaume du Grand Tigre perdra sûrement de sa vigueur. Si nous choisissons de nous joindre à eux ou de les combattre, ce sera plus facile à ce moment-là. »

« Tu es naïf…, » marmonne Souma.

Hakuya reprit ses esprits et leva les yeux vers lui. C’est alors qu’il se rendit compte que Souma le regardait d’un œil critique.

Souma déclara à Hakuya : « Ta compréhension est naïve. Cela ne te ressemble pas, Hakuya. »

« Qu’est-ce que vous voulez dire… ? »

« Se déclarer en faveur d’un parti contre l’autre sera toujours plus avantageux que de rester neutre. Tels sont les mots de Machiavel, le penseur politique auquel je me réfère toujours lorsque je prends des décisions en tant que roi. »

Souma paraphrasait le douzième chapitre du Prince, « Comment un prince doit se conduire pour acquérir de la renommée ».

« Pour expliquer ce qu’il veut dire, imaginons que deux pays, A et B, soient en conflit. Si C reste neutre, le vainqueur considérera C comme faible et il sera la prochaine cible. Le perdant en voudra à C d’être sans cœur et de ne pas lui venir en aide, de sorte que si le vainqueur attaque C, il ne sera pas disposé à le défendre. C’est le mal qui résulte du choix de la neutralité. »

Hakuya écouta attentivement les paroles de Souma.

« Maintenant, s’ils se déclarent en faveur d’un parti… Disons que C se range du côté de A. Si A gagne, ils partageront leurs joies, et cela créera un lien entre les pays. Inversement, si A perd, A sera toujours reconnaissant de l’aide apportée et, s’il se rétablit à l’avenir, il sera un allié fiable. Le vainqueur, B, respectera C pour avoir défendu ses convictions, se méfiera et, si possible, essaiera de s’allier avec lui… Ou quelque chose comme ça. »

Machiavel avait été diplomate dans la péninsule italienne à l’époque où celle-ci était divisée entre de nombreuses principautés intrigantes, ce qui expliquait son dégoût pour les positions ambiguës. En fait, la République florentine, que Machiavel avait servie, était restée neutre dans le conflit qui opposait son allié de longue date, la France, à la Sainte Ligue du pape Jules II. En conséquence, le gouvernement de la république avait été renversé par la maison des Médicis avec le soutien de l’Espagne, membre de la Sainte Ligue, une fois que les Français s’étaient retirés de la péninsule italienne.

Souma déclara à Hakuya, « Si je devais aller dans la direction que tu as suggérée, je devrais m’aligner avec Fuuga dès le début. Je pourrais même envoyer nos troupes avec l’avant-garde de Fuuga et les aider à détruire l’Empire. Si nous n’allons pas jusque-là, nous n’aurons pas notre mot à dire sur la façon dont les choses seront réglées après la guerre. »

« Mais nous ne pouvions pas — ! »

« Oui, je ne veux pas non plus le faire. Mais si nous ne sommes pas prêts à aller aussi loin, nous ne pourrons pas survivre sous le règne de Fuuga. »

Souma pensait à Tokugawa Ieyasu.

Ieyasu était réputé pour sa patience, après avoir servi sous les ordres d’autres puissants. Lorsque son allié Oda Nobunaga appela des renforts, il se battit avec autant d’ardeur que les Oda. Même lorsqu’ils perdirent face aux Takeda, il resta fermement attaché à l’alliance avec les Oda et s’inclina également devant le souverain suivant, Hideyoshi.

Si l’incident de Hidetsugu n’avait pas mis le gouvernement Toyotomi dans un tel état, Ieyasu serait probablement resté un allié loyal. Cependant, après la mort de Hideyoshi, il avait dû prendre la relève pour stabiliser sa maison et le pays. C’est cet Ieyasu qui était détesté par ceux qui sont fans des commandants des forces occidentales à la bataille de Sekigahara — comme Ishida Mitsunari, qui est mort pour sa loyauté envers le gouvernement Toyotomi, ou des commandants du côté d’Osaka lors du siège d’Osaka, comme Sanada Yukimura.

Ce n’était pas un commandant que Souma appréciait auparavant, mais maintenant qu’il était devenu roi, il pouvait enfin voir à quel point Ieyasu était grand. Si on lui demandait s’il pensait pouvoir faire la même chose, il ne le pensait pas.

Hakuya regardait vers le bas, une main pressée sur son front.

« Pourtant… Je ne peux pas le voir. Je ne trouve pas d’autre moyen. »

« Hakuya… »

« Il est impossible de protéger ce pays et de maintenir l’Empire. Si nous essayons inconsidérément de défendre les deux, cela se transformera en bourbier. J’ai beau y réfléchir… je n’arrive pas à trouver la réponse que je souhaite. »

Hakuya baissa la tête. Souma resta silencieux pendant un certain temps avant d’ouvrir la bouche.

« – »

La tête de Hakuya se releva en entendant ce que Souma venait de dire. Il regarda Souma, comme s’il essayait de vérifier si ce qu’il disait était vrai.

Souma acquiesça. Puis, se levant, Souma fit signe à Hakuya de le suivre.

Ils se rendirent dans la deuxième salle de guerre, un endroit qui n’était pratiquement jamais utilisé.

Au centre de la pièce lugubre, éclairée à la bougie, car dépourvue de fenêtres, plusieurs tables avaient été rassemblées, sur lesquelles était posée une immense carte du continent. Un groupe distingué était présent, composé de Liscia, Aisha, Juna, Roroa, Naden, le commandant en chef de la force de défense nationale Excel, le vice-commandant Ludwin, et Julius le stratège blanc. Il y avait aussi Tomoe, Ichiha, et même la petite soeur de Fuuga, Yuriga.

« Je ne crois pas qu’on m’ait dit que cette salle de guerre était utilisée…, » dit Hakuya, l’air confus.

« Oui, parce que tu n’étais pas concerné », répondit Souma en haussant les épaules. « Tu étais notre représentant dans les pourparlers avec l’Empire, et tu as aussi des sentiments pour Madame Jeanne, n’est-ce pas ? Excel a dit qu’il valait mieux ne pas te le dire. »

« On dit que l’amour rend les hommes aveugles », dit Excel avec un petit rire, cachant sa bouche derrière son éventail.

Hakuya ressentait un mélange de confusion et de consternation, mais il mit ces sentiments de côté pour le moment et se tint devant la grande carte. Souma se tenait à côté de lui et lui posa une main sur l’épaule.

« Maintenant, Hakuya. J’ai beaucoup d’estime pour ton intelligence… Le plateau est prêt. Les pièces aussi. Il ne reste plus que toi. À la lumière de tout ce dont nous venons de parler, voici tes ordres. »

Souma fit un geste large vers la carte avec son bras droit.

« Je veux que tu utilises ta tête pour concevoir un avenir optimal pour nous. »

 

 

◇ ◇ ◇

Pendant ce temps, un conseil militaire se tenait également dans le camp de Fuuga…

Le Grand Roi Tigre, Fuuga Haan, était assis avec la Partenaire du Tigre, Mutsumi Haan, assise d’un côté de lui, tandis que la Sagesse du Tigre, Hashim Chima, était assise de l’autre.

Sur le tapis luxueux qui s’étendait devant Fuuga se trouvaient ses sages et courageux commandants : l’épée du tigre, Shuukin Tan, la hache de guerre du tigre, Nata Chima, le bouclier du tigre, Gaifuku Kiin, le commandant des archers, l’arbalète du tigre, Kasen Shuri, et le drapeau du tigre, Gaten Bahr.

Plus loin se trouvaient de nouveaux venus comme la Sainte du Tigre, Anne, envoyée par l’État pontifical orthodoxe lunaire, ainsi que le Lombard Remus et sa femme Yomi. Il s’agissait d’une véritable liste de subordonnés de Fuuga.

Le seul absent était Moumei Ryoku, le Marteau du Tigre, qui servait actuellement de vice-roi dans l’État mercenaire de Zem. Fuuga avait déterminé que leur prochaine cible était l’Empire, et maintenant Hashim expliquait la stratégie qu’ils allaient utiliser contre eux.

« Nous devons frapper rapidement et de manière décisive », déclara Hashim, en pointant du doigt la carte du continent au centre. « En comptant nos alliés, nous avons deux fois plus de soldats que l’Empire. Cependant, l’Empire reste une nation plus puissante. Si la guerre s’éternise, nous aurons du mal à nous en sortir. »

« Ne pouvons-nous pas maintenir nos lignes de ravitaillement ? » demanda Shuukin, mais Hashim secoua la tête.

« Ce n’est pas une préoccupation majeure. Heureusement, nos forces sont plus mobiles que celles des autres armées. Lorsque le Royaume de Friedonia a connu une crise alimentaire, j’ai entendu dire qu’ils avaient mis en place un réseau de transport pour acheminer la nourriture des endroits qui en avaient vers ceux qui n’en avaient pas. Nous pouvons faire de même. Nous avons beaucoup de montures dans nos forces, nous ne manquerons donc pas d’options de transport terrestre. Avec la puissance actuelle de notre pays, nous pouvons faire la guerre pendant plusieurs années. L’Empire dispose également d’un réseau de transport, peut-être calqué sur celui du Royaume. Cela nous aidera également à avancer plus rapidement. »

« Introduire de bonnes idées même si elles ont été développées ailleurs… Cela témoigne de la largeur d’esprit de Madame Maria », dit Mutsumi, l’air impressionné.

« Oui, bien sûr », répondit Fuuga en riant. « Il semble que le Royaume et l’Empire soient plus liés que nous ne le pensions… En y repensant, Souma disait que nous ne devrions pas sous-estimer Maria. »

« En effet. C’est pourquoi nous devons y aller avec tout ce que nous avons », dit Hashim en s’inclinant poliment.

☆☆☆

Partie 3

Le plus jeune membre du groupe, Kasen, leva la main. « Sire Hashim. Si nous n’avons pas à nous soucier de nos lignes de ravitaillement, pourquoi devons-nous frapper si rapidement et si résolument ? »

« C’est simple. Nous risquons de perdre notre “élan” si important », dit Hashim en tapotant sa main gauche avec le bâton. « Le seigneur Fuuga a étendu le pays jusqu’ici en remportant toutes les batailles qu’il a livrées. Les gens qui le soutiennent croient que le seigneur Fuuga ne peut pas perdre. C’est la même chose pour nous, les soldats, n’est-ce pas ? »

« Bien sûr », dit Kasen en hochant la tête. Hashim acquiesça en retour.

« En ce moment, si Fuuga dit que nous allons nous battre, les gens n’auront aucun doute sur le fait que la victoire est assurée. Lorsque le seigneur Fuuga entre en scène, nos ennemis tremblent. Cependant, si nous luttons contre l’Empire, nous perdrons cet avantage. Une fois nos capacités remises en question, l’expansion en douceur que nous avons connue jusqu’à présent ne sera plus possible. »

« Donc, en gros, si nous disons que nous allons nous battre, nous devons gagner ou nous sommes finis », ajouta Fuuga.

Hashim acquiesça en réponse. « En effet. Il n’est pas nécessaire d’occuper l’ensemble de l’Empire, il suffit d’avancer rapidement jusqu’à ce qu’ils cèdent. Nous pouvons frapper l’impératrice Maria et sa sœur Jeanne pour détruire la maison d’Euphoria, ou prendre la capitale impériale Valois… Peut-être faire capituler Maria pour que les gens voient qu’elle a perdu son autorité, et leur faire comprendre que le Seigneur Fuuga a gagné. »

« Hmm… Vous parlez de détruire la Maison d’Euphoria, mais il y a cette autre soeur, comment s’appelle-t-elle, dans le royaume, n’est-ce pas ? Pouvons-nous la laisser tranquille ? »

« Vous voulez parler de la troisième sœur, la princesse Trill. L’Empire n’a pas une très bonne opinion d’elle. On raconte qu’elle a été envoyée au Royaume parce que même Maria n’arrivait pas à la garder dans le droit chemin. Même si le roi Souma la sortait plus tard, personne ne la suivrait. »

Hashim déclara cela comme si ce n’était pas grave. Shuukin arqua un sourcil.

« Nous sommes redevables au Royaume et à l’Empire de leur aide dans la lutte contre la maladie de l’insecte magique. Je ne sais donc pas s’il est question de les détruire… »

« Hmm. N’est-ce pas à votre goût, Sire Shuukin ? »

« Ils m’ont sauvé, après tout. »

Voyant l’air peiné sur le visage de Shuukin, Hashim déclara avec des yeux froids : « Nous devons donner la priorité à la grande œuvre du Seigneur Fuuga. Ou ai-je tort ? »

« Je le sais… Le moment venu, je tuerai mes émotions et me battrai comme un démon. »

« Si vous n’y tenez pas, laissez-moi faire. J’enverrai ces perdants impériaux se faire voir ! » dit Nata, le fou furieux de la bataille, en riant de bon cœur.

Les hommes aussi simples que lui font des pions faciles, pensa Hashim, sans toutefois le dire à voix haute. Il désigna la carte.

« Ce dont nous avons besoin, c’est de vitesse. Il y a deux routes possibles à partir de notre territoire pour une attaque rapide sur Valois. L’une passe par leurs anciens États vassaux, le Royaume de Meltonia et la Fédération de Frakt, au nord-est. L’autre se dirige directement vers l’ouest à partir de notre nation alliée, l’État pontifical orthodoxe lunaire et l’État mercenaire de Zem, maintenant dirigé par Sire Moumei. »

« Que tout se passe comme le Saint Roi Fuuga le veut. » En entendant le nom de son pays, Sainte Anne s’inclina.

Anne appartenait à l’État pontifical orthodoxe lunaire, mais on lui avait appris à se soumettre au souverain qu’elle servait, de sorte qu’elle ne s’opposerait jamais à quoi que ce soit que Fuuga fasse.

En regardant ces itinéraires, Lombard pencha la tête sur le côté.

« La route vers le sud à partir de l’ancienne zone tampon ne serait-elle pas plus courte ? »

Hashim secoua la tête. « Je préférerais éviter les routes près de la côte. Nous ne pouvons pas être sûrs que l’Alliance maritime n’interviendra pas. »

« Je vois… »

En l’état actuel des choses, aucune nation ne pouvait égaler l’Alliance Maritime en termes de puissance navale. Même avec leur incroyable élan, les forces de Fuuga ne pouvaient pas faire face au Royaume seul en mer. C’est pourquoi il était primordial de trouver une voie d’accès à l’intérieur des terres.

« Je lui ai donné Yuriga et je lui ai dit de ne pas bouger…, » déclara Fuuga avec un haussement d’épaules exaspéré.

Mutsumi fronça les sourcils. « Es-tu en train de dire que le Royaume va s’aligner sur l’Empire ? »

« Vu la force de leur lien, il pourrait envisager de protéger Maria et de l’aider à s’échapper… Yuriga va devenir la reine de Souma à partir de maintenant, on ne peut pas compter sur elle pour le tenir à l’écart. Mais c’est pour cela que nous lançons une forte offensive, n’est-ce pas ? »

Fuuga se tourna vers Hashim, qui acquiesça.

« En effet. Si nous la laissons s’échapper, tout ce que nous avons à faire est de répandre bruyamment la nouvelle que Maria a abandonné son peuple. Selon la façon dont nous nous y prendrons, nous pourrons même faire croire que Souma l’a enlevée dans la confusion. Si nous parvenons à blesser leur opinion sur le Royaume, ils rejetteront Maria si elle tente de revenir avec le soutien du Royaume. »

« Dur, » dit Fuuga, à moitié consterné, puis il regarda la carte. « Si nous voulons les frapper durement et rapidement, diviser nos forces est une mauvaise idée. Choisissons-nous une route et suivons-nous-la ? »

« Non, nous attaquons par les deux voies. Nous faisons également savoir à l’Empire que nous attaquerons par ces deux voies. Cela les obligera à répartir leurs forces pour les défendre. »

« Oh-hoh… »

« Cependant, sur une route, nous ne ferons qu’un effort symbolique tandis que nous nous concentrerons sur l’autre. Cela signifie que nous ferons une attaque primaire et une attaque secondaire. Nous allons percer leurs défenses divisées d’un seul coup avec notre force principale. Cependant, même si l’attaque secondaire n’est pas sérieuse, nous devons agir de manière à leur faire croire qu’il s’agit de l’attaque principale. »

« Hmm. Alors, nord ou est ? Quel est le côté principal ? »

« Celle-ci », répondit Hashim en désignant la route qui traverse l’État papal orthodoxe et Zem. « S’ils apprennent que nous avons l’intention d’attaquer par deux routes, l’Empire supposera que l’une d’entre elles doit être la principale force d’invasion. La chose naturelle à considérer, alors, est de savoir si nous pouvons nous coordonner avec nos alliés, Zem et l’État pontifical orthodoxe. Il est normal de se méfier d’un pays avec lequel on n’a pas été allié depuis longtemps. Par conséquent, l’Empire supposera qu’ils envahiront par le nord, plus proche de la force principale du Royaume du Grand Tigre, et que l’est ne représentera qu’un effort symbolique de la part de Zem et de l’État papal orthodoxe. »

« J’ai compris. C’est comme ça qu’on les piège, hein ? »

Fuuga croisa les bras en grognant. Hashim fit une révérence exagérée.

« En effet. Même si l’Empire prévoit qu’il s’agit de l’attaque principale, il doit encore positionner des forces sur la route du nord. Le fait d’avoir une frontière avec le Grand Royaume du Tigre au nord devrait leur causer une pression mentale considérable. Je pense que nos forces, ainsi que celles de l’État papal orthodoxe et de Zem, seront en mesure de percer. »

« J’ai compris. »

Fuuga se leva et dégaina l’épée qu’il portait à la taille, la tenant du revers de la main et la balançant vers la capitale impériale sur la carte. L’épée traversa Valois et la table.

« Nous suivons le plan d’Hashim. Tout le monde se prépare à la guerre ! »

« « « Oui, monsieur ! » » »

Ses vassaux se lèvèrent tous de leur siège et le saluèrent.

◇ ◇ ◇

Alors que Fuuga se préparait à envahir l’Empire…

L’Empire remarqua ses manœuvres. Jeanne, la commandante des forces impériales, s’adressa à sa sœur Maria pour lui demander comment réagir. Elle avait revêtu son visage de soldat alors qu’elles se tenaient debout, une carte du continent entre elles.

« Le Royaume du Grand Tigre se prépare à nous envahir. L’une des routes vient du nord et passe par la République fédérale de Frakt, tandis que l’autre passe par ses alliés de Zem et l’État orthodoxe papal à l’est. Ses forces sont importantes et beaucoup de soldats ont été recrutés récemment. Je m’attends donc à ce qu’ils cherchent à frapper vite et fort. Quelle que soit la voie qu’ils empruntent, nous pouvons nous attendre à ce qu’ils s’attaquent directement à Valois. »

« Quelle est l’ampleur de leurs forces ? »

« Avec la perte de la Fédération Frakt et de Meltonia, nos forces s’élèvent maintenant à moins de 250 000 hommes. En comptant ses alliés, Fuuga en a 400 000. C’est moins de deux fois plus que nous. »

« Je vois…, » dit Maria en hochant la tête. « Alors il n’y a aucune chance qu’ils divisent parfaitement leur force en deux. »

« D’accord. S’ils avaient le double de nos forces, ce serait une chose, mais sans cela, ils risquent d’être vaincus par le nombre. Les montagnes escarpées de la Chaîne de Montagnes de l’Étoile du Dragon se trouvent entre les deux routes, il leur sera donc difficile de communiquer. Je ne peux pas imaginer que Fuuga ou son conseiller Hashim aient recours à un plan aussi amateur. »

« Oui, je suis d’accord… C’est pourquoi je pense que l’un des deux doit être une ruse pendant qu’ils concentrent leurs forces sur l’autre. Et ce sera leur véritable cible. »

Maria pointe du doigt Zem et l’État orthodoxe papal sur la carte.

« Ils vont attaquer à travers leurs alliés, pas plus près de leur patrie… c’est ça que tu veux dire ? » demanda Jeanne.

« Sire Fuuga a confiance en sa force, alors qu’un intrigant comme Sire Hashim ne fait pas vraiment confiance aux autres. Il ne pense pas que ses alliés puissent se battre sans lui pour les commander. Cela dit, les mercenaires zemishs ont l’habitude de faire diversion, et l’État pontifical orthodoxe possède lui aussi une armée conséquente. Sans ces deux pays, ils n’auraient pas beaucoup plus de forces que nous, n’est-ce pas ? »

« Eh bien… même sans eux, ils en auraient encore un peu plus. »

« Ensuite, il voudra les contrôler pour les utiliser à son avantage. Pour cela, il a besoin qu’ils rejoignent la force principale. C’est pourquoi il choisira cette voie. »

Maria parla avec assurance, mais Jeanne n’était pas encore sûre d’elle.

« C’est vrai que s’il prend cette route, il peut s’assurer les hommes dont il a besoin. Cependant, s’il amène des hommes qui ne marchent pas au même rythme que lui, sa progression sera ralentie. N’est-il pas tout à fait possible qu’il utilise ses alliés comme des leurres tout en attaquant par le nord avec une force composée uniquement de ses propres hommes ? »

Jeanne fit part de ses doutes, mais Maria secoua lentement la tête.

« Je suis sûre que c’est ce que Sire Fuuga attend de nous. Il est certain que si son but est de nous détruire et de devenir la plus grande puissance de ce continent, ce plan fonctionnerait. Mais Sire Fuuga a de plus grandes ambitions. Il a l’intention de frapper au cœur du Domaine du Seigneur-Démon, et peut-être même d’affronter l’Alliance maritime pour unifier le continent. Ce qui signifie… »

« Il ne veut pas user ses soldats à nous combattre », dit Jeanne avec amertume. « On nous prend à la légère… »

Maria n’avait pas répondu. Au lieu de cela, elle avait placé un pion à la frontière avec Zem.

« C’est pourquoi je vous demanderai, à toi et à Sire Gunther, de diriger la majorité de nos forces vers l’est. S’il vous plaît, faites tout ce que vous pouvez pour retenir les forces de Fuuga qui arrivent de Zem et de l’État papal orthodoxe. »

« Oui, madame ! J’ai bien compris. »

Jeanne fit claquer ses talons, se tint droite et salua.

« Mais qu’allons-nous faire de la route du nord ? » demanda-t-elle.

« J’ai demandé à Sire Krahe de nous défendre avec ses forces personnelles. Il rejoindra les chevaliers et les nobles qui ont des terres dans le nord. Cela devrait suffire pour faire face à une armée de leurres. »

« Au nord… ? »

Les commentaires de Maria firent hésiter Jeanne.

« Jeanne ? »

« Oh, non… Sire Krahe est un drôle de personnage, mais sa loyauté envers vous — ou plutôt sa foi — est anormalement forte. C’est juste que… Lumière et tous les autres ont leurs terres dans le nord. »

Lumière était la jeune et talentueuse haute fonctionnaire de l’Empire. Elle s’était également opposée à plusieurs reprises à la politique de Maria sur les questions intérieures.

Depuis que Maria avait rejeté son conseil selon lequel « l’Empire devrait aussi prendre une partie de la zone tampon » alors que le Royaume du Grand Tigre s’emparait du territoire, elle s’était retirée dans son propre domaine.

« Il n’y a pas que Lumière. Les régions du nord ont été troublées par votre abolition soudaine de l’esclavage, et de nombreux chevaliers et nobles s’y opposent. »

Le commentaire de Jeanne fit hocher la tête de Maria avec tristesse.

« Oui… C’est pourquoi il est préférable qu’ils se concentrent sur la défense de leurs propres terres. Nous aurions des ennuis s’ils collaboraient avec les forces de Fuuga sur le front. C’est de ma faute si je n’ai pas mieux réussi à les attacher à nous. »

« Ma sœur… » Jeanne ne put s’empêcher de s’adresser à elle non pas comme à un soldat, mais comme à un membre de sa famille.

Maria sourit à Jeanne qui se leva et se dirigea vers la fenêtre.

« Hé, Jeanne ? Que pensent les soldats du combat contre le Royaume du Grand Tigre ? »

« Tout le monde est très motivé ! Ils veulent se battre pour le pays et pour vous ! Beaucoup de chevaliers et de nobles critiquent votre politique qu’ils jugent trop passive, mais ceux qui sont moins bien nés comprennent ! Ils savent que c’est votre politique qui a protégé leurs familles ! »

Jeanne parla avec son cœur, mais l’expression de Maria resta inchangée.

« Et puis… qu’en est-il des gens ordinaires ? »

« Ils t’aiment, ma sœur ! Je… ne t’ai jamais vraiment respectée pour cela, mais la façon dont tu as chanté et dansé à l’émission a fait une belle lorelei que tout le monde a aimée ! Ils sont prêts à endurer n’importe quelle épreuve pour toi ! »

« J’imagine que c’est le cas », murmura Maria en faisant courir ses doigts le long de la vitre. « Celui que les gens aiment, les entraînant dans une guerre… C’est presque comme si… J’ai amené la guerre sur nous. »

« Non ! C’est absurde ! »

« Jeanne. » Maria s’était approchée de Jeanne, lui prit la main et l’entoura de ses deux mains. « Quoi qu’il arrive, je veux que tu survives. Tu n’as pas le droit de gâcher ta vie. »

« Ma sœur… ! » Jeanne serra les dents et retira sa main. « Je te protégerai, ma sœur ! Je te protégerai et je protégerai notre pays jusqu’au bout ! »

Puis, saluant, Jeanne dit : « Excuse-moi » et quitta la pièce.

Laissée seule, Maria se traîna jusqu’au lit et s’y effondra. Elle se tourna sur le côté, serra les draps et marmonna. « Sire Souma… Je suis vraiment… »

☆☆☆

Chapitre 6 : Collision

Partie 1

Dans une pièce sombre du château de Haan, Hashim enfonçait des épingles dans une carte étalée sur un bureau. Une à une, les épingles s’étaient répandues dans l’Empire. Au premier coup d’œil, on ne savait pas ce qu’elles représentaient. Puis…

« Allez-y. »

Sur ce mot sec de Hashim, une personne se tenant dans l’ombre disparut silencieusement. Il s’agissait d’un espion au service de la maison Chima, qui soutenait Hashim dans ses complots.

Une fois la silhouette disparue, Hashim poussa un long soupir.

« … Frère », l’interpella, une voix hésitante depuis l’arrière.

« Mutsumi ? » Hashim se retourna pour voir sa jeune sœur, Mutsumi, l’épouse de son maître. « Non, dois-je t’appeler Votre Majesté ? »

« Appelle-moi… comme tu veux. » Mutsumi haussa les épaules, prenant une chaise et s’asseyant à côté d’Hashim. « Ton plan d’invasion de l’Empire de Gran Chaos se déroule-t-il bien ? »

« Oui. Sans le moindre problème. » Hashim sourit froidement en caressant la carte. « Héhé… Je suis reconnaissant au seigneur Fuuga. Il m’a permis de concevoir des plans que je n’aurais jamais eu la chance de voir en vivant dans le Duché de Chima. Les hommes, le matériel et les alliés auxquels j’ai accès sont d’une tout autre ampleur. En tant que stratège, rien ne pourrait m’enthousiasmer davantage. »

« Je suis heureuse de voir que tu es satisfait… Et c’est pour cela que tu t’es débarrassé de Père ? »

« Heh, bien sûr. » Hashim rit à la question de Mutsumi. « J’ai pris la décision que Père aurait prise dans ses jeunes années. C’est ainsi que la Maison Chima a toujours survécu et construit son nom. Je suis sûr… que lorsque Père est mort, il m’a confié ce rêve. »

« Connaissant notre père, je suis sûre qu’il s’en contentait… »

Étant donné que le dernier acte de leur père Mathew Chima avait été de transmettre à Hashim une liste de personnes compétentes au sein de l’Union des Nations de l’Est, il avait probablement reconnu les capacités de son fils et avait été satisfait de mourir de la façon dont il l’avait fait. Pourtant, Mutsumi pensait qu’il était injuste que Sami et d’autres aient dû être sacrifiés, mais elle ne le dirait pas. Son bien-aimé Fuuga avait bénéficié de ces sacrifices, alors elle ne pensait pas avoir le droit de s’y opposer.

Mutsumi secoua la tête et revint à son sujet.

« Tu utilises beaucoup d’espions, n’est-ce pas ? Leurs activités se déroulent-elles bien ? »

« Tout s’enchaîne. Je prendrai l’initiative dès mon premier coup. »

Voyant le sourire audacieux sur son visage, Mutsumi dit : « Je compte sur toi, mon frère. »

◇ ◇ ◇

En gros, Souma avait mené trois actions militaires depuis qu’il a reçu le trône.

Tout d’abord, il y avait eu la série de guerres impliquant les traîtres Georg Carmine et Castor Vargas, ainsi que la Principauté d’Amidonia. Il avait combattu les premiers différemment des seconds, mais comme tout s’était passé dans une série d’événements liés, on avait compris qu’il s’agissait d’une seule et même action militaire.

Deuxièmement, il avait envoyé des troupes à l’Union des nations de l’Est pendant la vague démoniaque.

Troisièmement, il avait envoyé la flotte dans l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes Union (à l’époque) afin d’abattre Ooyamizuchi.

Une chose qui s’était avérée utile à ces trois occasions était un type de diffusion qui utilisait des joyaux. Lors de la guerre contre l’Amidonia, il avait diffusé sa défaite contre Georg et les rebelles afin de réduire la confusion dans son propre pays et de déclarer la guerre à Gaius VIII, en l’attirant sur un champ de bataille bien préparé. Cela avait permis aux forces du Royaume d’utiliser leur plus grand nombre pour submerger celles de la Principauté.

Lors de la troisième action de Souma, l’envoi de la flotte dans l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes Union, il avait profité de la diffusion pour s’entretenir avec le Roi Dragon à Neuf Têtes Shana devant tous les soldats des deux camps. Puis, avec l’apparition « opportune » d’Ooyamizuchi, les deux pays avaient formé un front commun pour abattre l’énorme créature non identifiée. Sans ces discussions radiodiffusées, il aurait fallu du temps pour parvenir à un accord commun, et les soldats des deux pays n’auraient pas pu coordonner leurs efforts.

En réalité, les émissions avaient joué un rôle majeur dans les batailles de Souma. Lorsque la nouvelle s’était répandue dans d’autres pays, certains y avaient étudié l’impact qu’elles pouvaient avoir. On pouvait même dire que les activités de Maria en tant que Lorelei en faisaient partie. Et cela ne se limitait pas aux dirigeants de pays comme l’Empire, la République et le Royaume de l’Archipel qui étaient amis du Royaume de Friedonia. Hashim Chima, conseiller de Fuuga Haan du Royaume du Grand Tigre, avait également étudié l’utilisation des émissions par Souma.

*

– 1552e année, calendrier continental —

« Peuple de l’Empire de Gran Chaos — ! »

Sur les places des fontaines des villes petites et grandes de l’Empire, l’image projetée de Fuuga commença à parler. La journée était claire. Sa voix se fit entendre dans les villes, les villages de pêcheurs, les montagnes, les bases militaires et le château de Valois.

« Je suis Fuuga Haan, roi du Royaume du Grand Tigre de Haan. »

Le premier coup d’Hashim avait été une prise de diffusion. Les émissions des joyaux fonctionnaient sur une sorte de fréquence magique, et n’importe quel joyau pouvait projeter des images sur les récepteurs du continent. Cela signifiait qu’avec un initié connaissant les fréquences de l’Empire, le Royaume du Grand Tigre pouvait diffuser dans tout l’Empire à l’aide de son propre joyau.

Cette nuit-là, Hashim avait planté des épingles sur la carte pour indiquer l’emplacement des récepteurs de diffusion, et il avait utilisé une bonne partie de ses ressources pour rendre cette diffusion possible.

« Peuple de l’Empire. Nous nous sommes levés pour débarrasser l’humanité de la menace du Domaine du Seigneur-Démon. »

L’image de Fuuga s’adressa à la population de l’Empire.

« Cela fait des années que j’ai unifié l’Union des nations de l’Est et que je me suis lancé dans la lutte pour libérer le domaine du Seigneur-Démon. Je suis sûr que vous savez tous que la tâche est plus qu’à moitié accomplie. Le Royaume du Grand Tigre s’est étendu jusqu’au nord, et nous sommes désormais la seule nation à protéger l’humanité des monstres du Domaine du Seigneur-Démon. Mais qu’en est-il ? Que fait Maria, qui a publié la Déclaration de l’humanité — affirmant que les nations de l’humanité doivent s’unir contre le Domaine du Seigneur-Démon — pendant tout ce temps ? »

Fuuga avait levé le poing en l’air en prononçant ce discours passionné.

« Si j’étais généreux, je pourrais dire qu’elle renforçait ses défenses. Mais le fait est qu’elle n’a rien fait pour la libération du Domaine du Seigneur-Démon ! Sans équipement adéquat, nous avons recueilli les faibles et les dépossédés, et récupéré une grande partie du territoire grâce à notre seule passion ! L’Empire, la plus grande et la plus puissante des nations de l’humanité, n’aurait jamais pu en faire autant ! Et pourtant Maria n’a rien fait ! »

Si Souma l’avait écouté, il aurait dit : « Le cadrage, c’est tout ». Oui, Maria aurait pu libérer ces territoires, mais leur maintien aurait coûté cher. Faire payer la facture aux autres régions aurait suscité le mécontentement. Si l’Empire était un groupe de gens sans rien, comme l’étaient les forces de Fuuga, les gens seraient habitués à l’austérité et n’y verraient pas d’inconvénient. Cependant, sous le règne de Maria, le peuple de l’Empire avait bénéficié d’une vie stable, et il y avait donc un grand risque de les mécontenter, ce qu’il fallait éviter. C’est pourquoi Maria avait collaboré avec d’autres nations pour renforcer leurs défenses et veiller à ce que la situation n’empire pas. Mais pour ceux qui ne comprenaient pas cela, les mots de Fuuga ne faisaient qu’attiser leurs émotions.

« Elle a accueilli des réfugiés, mais n’a jamais essayé de leur rendre leur patrie ! Elle a piétiné les sentiments de ceux qui désiraient retourner au nord ! C’est de la complaisance ! Nous essayons de libérer entièrement le Domaine du Seigneur-Démon et de sauver l’humanité, mais tant que quelqu’un d’aussi complaisant dirigera cette grande nation, l’humanité ne pourra jamais être unie ! Le peuple du nord a enduré et souffert ! Mais ils ont des limites ! Ils ne peuvent plus attendre que Maria agisse ! »

Fuuga brandit son poing en avant.

« C’est pourquoi nous allons lever une armée pour faire tomber l’impératrice complaisante ! Il s’agit d’une bataille pour éliminer Maria et placer l’Empire sous notre commandement. Si l’Empire nous suit, l’Alliance maritime le fera aussi. J’ai marié ma propre sœur, Yuriga, à Souma, le chef de l’Alliance maritime. Si la volonté du peuple est de conquérir le Domaine du Seigneur-Démon — en tant qu’homme qui voit le cours des choses — Souma nous suivra également. Toute l’humanité peut se lancer à la conquête du domaine du Seigneur-Démon ! Nos alliés de l’État pontifical orthodoxe lunaire et de l’État mercenaire Zem ont déjà levé leurs troupes pour se battre à nos côtés ! »

En disant cela, Fuuga s’était écarté et Anne, habillée en sainte orthodoxe lunaire, était apparue à sa place. Anne joignit les mains devant elle et parla doucement.

« L’impératrice Maria de l’Empire s’est faussement arrogé le titre de Sainte. Malgré cela, elle n’a rien fait contre le Domaine du Seigneur-Démon. Dame Lunaria ne pardonnera jamais à une telle personne. Fidèles croyants de Dame Lunaria, revenez sur le droit chemin. Je vous en supplie, donnez votre force au saint roi, le seigneur Fuuga. »

Ces paroles prononcées sans ambages avaient porté un coup puissant à l’Empire.

Contrairement à ce qu’avait fait le Royaume de Friedonia, l’Empire n’avait pas encore séparé les croyants de leur pays de l’État pontifical orthodoxe lunaire. De ce fait, les fidèles de l’Empire ne savaient pas s’ils devaient ou non répondre à l’appel d’Anne. Quant aux non-croyants, ils se demandaient si ces croyants ne collaboraient pas avec leurs ennemis. Hashim avait utilisé Anne pour enfoncer une énorme épine dans le pied dans l’Empire.

L’image changea à nouveau et Fuuga reprit la place d’Anne.

« Nous marcherons sur Valois, où se trouve l’impératrice Maria, avec nos alliés. Peuple de l’Empire ! Si vous voulez vous joindre à nous dans cette grande entreprise, nous vous accueillerons ! Si vous nous rejetez et nous résistez, nous vous répondrons par l’épée ! À vous de choisir ! » Puis, élevant la voix, Fuuga déclara : « Le Royaume du Grand Tigre de Haan, l’État pontifical orthodoxe lunaire et l’État mercenaire de Zem déclarent la guerre à l’Empire de Gran Chaos ! »

☆☆☆

Partie 2

Les forces combinées du Royaume du Grand Tigre de Haan, de l’État pontifical orthodoxe lunaire et de l’État mercenaire de Zem (ci-après dénommées les forces de Fuuga) avaient franchi la frontière et envahi l’Empire de Gran Chaos. Leurs forces totalisent environ 350 000 hommes.

Parmi eux, 200 000 venaient du Royaume du Grand Tigre, 80 000 étaient des mercenaires zemish et 70 000 venaient de l’État papal orthodoxe. Grâce à leur taille, ces troupes avaient pu emprunter des routes suffisamment larges pour accueillir des trains de rhinosaurus, mais elles s’étaient arrêtées à la forteresse de Jamona de l’Empire.

« Hmm, devant nous, la forteresse est comme un mur de fer. Et loin derrière nous, il y a une rivière, hein ? » La Sagesse du Tigre, Hashim, était à l’avant des forces de Fuuga et leur donnait des ordres. Il y avait une zone dégagée devant la forteresse où il pouvait déployer une grande armée.

Cependant, la rivière n’était pas loin, et ils devaient la traverser pour l’envahir. La forteresse de Jamona, qui avait été construite pour repousser les envahisseurs, était bâtie entre des montagnes escarpées, et ils avaient modifié le cours de la rivière pour rendre la retraite difficile à leurs ennemis. C’était une forteresse imprenable, avec la nature elle-même de son côté.

Cette forteresse avait été construite parce qu’à l’époque, l’Empire donnait la priorité à l’expansion vers le nord — pas vers les terres infertiles de la République de Turgis et de Zem, ni vers l’État pontifical orthodoxe, dont l’autorité religieuse le rendait difficile à manipuler. La forteresse de Jamona était là pour empêcher les nations de l’est d’interférer dans leur expansion vers le nord, et c’était donc le point le plus dur des défenses de l’Empire.

Cela signifiait également qu’ils dépendaient entièrement de cette forteresse pour faire face aux invasions venant de l’est, et qu’ils ne disposaient donc d’aucune position défensive derrière elle. Si l’ennemi parvenait à percer cette forteresse, il pourrait traverser des plaines essentiellement vides jusqu’à Valois.

Les 200 000 soldats de Jeanne étaient venus à la forteresse pour combattre les forces de Fuuga. Ils étaient un peu moins nombreux que Fuuga, mais beaucoup d’entre eux étaient des partisans loyaux des sœurs Euphoria, comme Gunther, et le moral était au beau fixe. Bien que l’annonce de Hashim ait secoué les gens à l’intérieur de l’Empire, elle n’avait pas eu cet effet sur ces forces.

Un messager se précipita dans le camp avancé où Gaten, le drapeau du Tigre, Moumei, le marteau du Tigre, et Nata, la hache de guerre du Tigre, servaient aux côtés de Hashim.

« J’ai un message ! Les forces impériales sont sorties de la forteresse de Jamona ! »

« Qu’est-ce que tu dis ? Ils viennent nous rencontrer !? Génial ! »

Nata brandit courageusement sa hache, mais le messager secoua précipitamment la tête.

« Non ! Les forces impériales sont sorties et se mettent en rangs ! On dirait qu’ils ont l’intention de nous affronter sur le terrain plutôt qu’à se battre lors d’un siège ! »

« Hein ? Ils ne se préparent pas à un siège même si nous sommes plus nombreux qu’eux ? »

Nata était perplexe face à ce rapport. Il s’attendait à ce que l’Empire s’enferme dans la forteresse en raison de son désavantage numérique. Cependant, contre toute attente, Jeanne avait mené ses soldats hors de la forteresse pour livrer une bataille sur le terrain.

« Ha ha ha ! Les Impériaux sont vraiment audacieux ! » dit Gaten, l’homme le plus voyant des forces de Fuuga, en riant joyeusement. « A quoi pensez-vous qu’ils jouent, Commandant ? » demanda-t-il à Hashim, qui était à côté de lui et regardait à travers un télescope.

Hashim s’était vu confier le commandement des lignes de front par Fuuga, il était donc responsable des braves et féroces guerriers rassemblés ici. Il posa son télescope et renifla.

« Maintenant, j’en suis sûr. Cette zone devant la forteresse est trop ouverte. Normalement, la route se rétrécit à l’approche d’une telle forteresse, mais ici, il y a assez d’espace pour que deux grandes armées s’affrontent. Et la rivière est trop loin pour servir de douve naturelle. »

« Cela signifie donc ? »

« Le terrain leur permet de mener une bataille de terrain avant que la forteresse ne soit attaquée. Et si les attaquants sont vaincus et tentent de se replier, la rivière leur barrera la route. C’est une disposition bien conçue. »

« Pensent-ils que nous ne sommes pas des adversaires assez valeureux pour qu’ils aient besoin d’utiliser la forteresse ? » demanda Gaten, et Hashim tapota le télescope à côté de lui.

« Il n’y a rien d’étrange à cela. Comme nous, l’Empire s’est développé en envahissant d’autres pays. Ses derniers dirigeants ont adopté une attitude défensive, mais ils ont compris qu’une armée est plus précieuse sur le champ de bataille. »

« Je vois. Alors ils ne sont pas bons en défense ? »

« Non, je ne saurais dire dans un sens ou dans l’autre. Mais ils doivent avoir confiance en leur capacité à se battre sur le terrain. Ils pensent peut-être qu’au lieu de se terrer, ils pourront mieux se défendre s’ils nous battent une fois sur le champ de bataille en premier. »

« C’est comme ça, hein… On ne peut vraiment pas se permettre de les sous-estimer. » Gaten croisa les bras et grogna. « Alors, commandant, comment attaquer ? »

Hashim sourit. « Commençons par le plus simple. Nous les affronterons dans une escarmouche directe. »

« Oh-hoh. J’espère que vous me laisserez mener l’avant-garde. »

Malgré la demande du frimeur, Hashim secoua la tête. « Je crains que je ne puisse pas faire ça. Il serait stupide de vous envoyer, vous qui ne sous-estimez pas l’Empire. Il faut que nos hommes qui les sous-estiment apprennent à quoi nous sommes confrontés. »

« Alors, délibérément, on les laisse ressentir la douleur ? »

« Exactement. Après avoir gagné toutes nos batailles, nous devenons arrogants. Ils pensent que les forces de Fuuga sont invincibles, nous avons doublé le nombre d’ennemis, et l’Empire est un Empire en déclin, indigne de leur crainte. »

« Et vous voyez les choses différemment, Commandant ? »

« Cette escarmouche doit leur apprendre le contraire. Mais il serait préférable de les transpercer… Messire Moumei. »

Hashim appela Moumei, qui dirigeait les soldats zemishs au nom de Fuuga.

Cette montagne de muscles, chevauchant un yak des steppes géant et brandissant un marteau gigantesque, donnait l’impression d’avoir investi tous ses points de statues dans la puissance, mais il était aussi suffisamment érudit pour qu’on lui fasse confiance pour gouverner à Zem. C’était un commandant talentueux, et le meilleur exemple de la nécessité de ne pas juger un homme sur son apparence dans toutes les forces de Fuuga.

Une fois que Moumei eut fini de s’approcher lentement de lui, Hashim lui parla : « Je veux des mercenaires zemishs en avant-garde. Mais toi, tu ne dois pas trop t’avancer. »

« Vous voulez donc leur apprendre à craindre les soldats impériaux… »

« Précisément. De toutes nos forces, les mercenaires zemishs sont les plus susceptibles de sous-estimer l’Empire. Ils se considèrent probablement encore comme des épées à louer. Pour eux, les vains soldats impériaux ne sont rien de plus qu’une source d’argent. »

« Vous devez avoir raison. Je comprends ce qu’il faut faire. » Moumei s’inclina et s’éloigna à pas lourds.

C’est alors que Nata se leva, incapable de rester assis plus longtemps.

« Hé, Hashim, mon frère. Ça ne te dérange pas que j’y aille aussi, hein ? J’ai envie de me frotter à des soldats impériaux ! »

« Nous avions un autre idiot ici… » Hashim soupira et fit un signe dédaigneux à son frère. « Oh, très bien. Va et fais ce que tu veux. »

« Ah, oui ! Je vais disperser ces perdants impériaux ! » Nata souriait maintenant qu’il avait le feu vert. Il brandit sa hache et partit d’humeur joviale.

« Est-ce bien ? » demanda Gaten en regardant partir Nata.

« Même les meilleurs médecins n’ont pas de remède contre l’idiotie », dit Hashim sans ambages. « Cela lui fera du bien de frôler la mort au moins une fois. »

« Ha ha ha… »

Même Gaten, qui était connu pour ses éclats de rire, ne put que sourire ironiquement en entendant cela.

Reprenant le cours de ses pensées, Hashim donna des ordres au messager qui l’attendait.

« Ceci est un message pour toutes les unités non-Zemish ! Nous allons mener une bataille avec les soldats impériaux en face de nous. Lorsque les mercenaires entreront en contact avec l’ennemi, nous les soutiendrons ! Cependant, il s’agit d’une escarmouche pour déterminer la force de l’ennemi, alors ne vous avancez pas trop ! Préparez-vous au combat ! »

C’est ainsi que commença la première bataille entre les forces de Fuuga et l’Empire.

« Faisons une incursion dans les forces impériales ! Montrons à ces soldats de l’Empire, du Royaume du Grand Tigre et de l’État pontifical orthodoxe la puissance des mercenaires zemish ! »

« « «  Ouiiiiiiiiiiiiiiii ! » » »

Moumei, le Marteau du Tigre, donna l’ordre, et les mercenaires zemishs chargèrent avec ardeur vers les forces impériales. Pour soutenir leur charge, les archers et les mages du Royaume du Grand Tigre et de l’État pontifical orthodoxe se déchaînèrent également sur les impériaux. Les forces impériales ripostèrent au Royaume du Grand Tigre et à l’État pontifical orthodoxe, entamant une bataille à distance.

« Allez-y, les gars ! »

Pendant ce temps, les mercenaires zemishs laissaient les tirs à leurs alliés et fonçaient tête baissée sur les impériaux, armes à la main. Ils bloquaient la grêle de flèches avec les boucliers attachés à leurs bras et priaient pour que la magie ne les atteigne pas pendant qu’ils avançaient.

Une charge d’infanterie. Elle semblait imprudente, et une charge de cavalerie les aurait dispersés en un instant, les faisant fuir dans la défaite. Cependant, les mercenaires zemishs s’attendaient à cette charge de cavalerie. Car, en tant que mercenaires, la cavalerie était leur poule aux œufs d’or.

Ils avaient une lueur d’espoir dans le regard qu’ils portaient sur les forces impériales.

« Je veux que quelqu’un de vraiment voyant vienne nous voir ! »

« Parce que plus leur rang est élevé, plus la rançon est importante ! »

« L’Empire est riche, nous allons faire un malheur ! »

« Ils paieront probablement cher pour récupérer les têtes ! »

« Leurs armes et armures se vendront aussi à bon prix ! »

« Si nous n’obtenons pas de rançon, nous les vendrons comme esclaves. Et si nous attrapons des femmes chevaliers… Ga ha ha ! »

« La petite sœur de Maria, Jeanne, c’est ça ? C’est une femme bien ! Je veux la capturer ! »

Les mercenaires gagnaient leur vie sur le champ de bataille. La moitié de leur salaire allait au pays, mais tout ce qu’ils pouvaient piller en termes d’armes, d’armures et de prisonniers leur revenait. Les soldats de carrière gagnaient de l’argent même en temps de paix, mais les mercenaires n’étaient payés que lorsqu’ils partaient pour le prochain champ de bataille. Leur besoin de gagner suffisamment d’argent pour subvenir à leurs besoins en temps de paix les poussait à se battre plus durement et à agir de manière plus diabolique.

Dans L’art de la guerre, Machiavel avait dit des mercenaires : « La guerre fait des voleurs, et la paix les pend. » Lorsque les gens ne peuvent pas gagner leur vie autrement et ne trouvent personne pour les engager comme soldats, ils deviennent des bandits de grand chemin en temps de paix. C’est pourquoi la République de Florence, à laquelle appartenait Machiavel, s’était efforcée d’établir une armée du peuple lorsqu’elle avait attaqué la cité-État de Pise.

Lorsqu’elle vit arriver ces mercenaires rapaces, le visage de Jeanne resta calme.

« Nous savons comment les mercenaires zemishs se battent. Et leurs faiblesses… Sire Gunther. »

« Oui, madame ! »

Tandis que Gunther se tenait debout à ses côtés, Jeanne lui donna ses ordres.

« Prenez le commandement du Corps des armures magiques et écrasez les mercenaires zemishs. Cependant, s’ils commencent à s’enfuir, ne vous lancez pas à leur poursuite. Pour l’instant, il suffit de les chasser. »

« Oui, madame. »

Après cette brève reconnaissance, Gunther enfila son casque et son grand bouclier avant de s’éloigner rapidement. Jeanne le regarda partir avant de se tourner vers le champ de bataille.

« Les forces de Fuuga sacrifient les mercenaires, alors nous les sacrifierons aussi. »

Les mercenaires zemishs avaient pour spécialité de se regrouper, munis de longues lances, et d’encercler leurs ennemis pour les vaincre. Ils formaient en quelque sorte une phalange très mobile. Les soldats en armure magique du Corps des armures magiques de l’Empire portaient une cotte de mailles lourde tachée de noir. Ils s’agglutinaient les uns contre les autres avec des boucliers et des piques noirs également tachés, marchant vers l’ennemi dans une formation nette qui était soit une véritable phalange, soit une poussée de piques.

☆☆☆

Partie 3

Étrangement, ce combat s’était transformé en une bataille d’attaques à distance contre des attaques à distance.

« S’ils sont regroupés à ce point, nous ne pouvons pas les encercler ! Séparons-les ! » crièrent les mercenaires lorsqu’ils virent des soldats en armure magique sur la ligne de front. Ceux qui avaient des arcs ou pouvaient utiliser la magie avancèrent et commencèrent à se déchaîner sur les soldats en armure magique.

D’innombrables attaques à distance pleuvaient sur les soldats en armure magique. Mais…

Plink, plink !

« Qu’est-ce que c’est ? »

Ils entendaient leurs attaques faire mouche, mais les soldats en armure magique continuaient sans se laisser impressionner, leurs pas battant un rythme régulier. En voyant cela, les mercenaires comprirent enfin ce à quoi ils étaient confrontés.

« La magie et les flèches ne fonctionnent pas sur ces gars-là ! »

« Il n’y a pas d’erreur sur cette armure noire ! C’est une unité d’infanterie lourde destinée au combat anti-magique ! »

« Les boucliers de l’Empire… le Corps des Armures Magiques ? »

Le corps des armures magiques portait des armures enchantées pour annuler la magie et avançait avec des défenses de fer, piétinant les ennemis de l’Empire. Bien que leur marche soit lente, on dit qu’il est impossible de les arrêter avec des attaques à distance.

Gunther, qui se trouvait au centre de leur formation, leva sa lance et ordonna : « Écrasez-les. »

« “‘Ouaissssssssss !’” »

Sur son ordre, leurs piques levées s’abaissèrent brusquement sur les mercenaires qui regardaient en l’air, choqués.

« Gyargh ! »

« Gwugh ! »

Les piques ne les poignardaient pas, elles les matraquaient à mort avec une lourde masse de fer. Les coups étaient suffisamment puissants pour faire céder leurs casques de fer, et de nombreux mercenaires tombèrent, la tête en sang. Les soldats en armure magique marchèrent ensuite sur les corps ou les écartèrent d’un coup de pied au fur et à mesure qu’ils avançaient.

« S’ils nous divisent, nous sommes foutus ! Reformez-vous et repoussez-les ! » cria un mercenaire.

Les autres mercenaires zemishs se massèrent en une ligne de lances à la hauteur de leurs adversaires. Beaucoup d’entre eux avaient des muscles à la place du cerveau, il était donc facile pour eux de sauter sur la première suggestion que quelqu’un faisait dans une situation qui évoluait rapidement. Cela signifiait qu’ils ne pensaient pas par eux-mêmes, mais on pouvait dire que cela leur permettait de travailler ensemble efficacement. En fait, en formant une ligne de lances, ils parvinrent de justesse à stopper l’avancée des soldats en armure magique.

Cependant, une fois qu’ils furent rassemblés… Boum ! Ka-blam ! Soudain, une masse noire s’abattit sur eux.

Elle explosa les mercenaires au point d’impact avant de s’enfoncer dans le sol. Les mercenaires qui s’étaient échappés avaient jeté un coup d’œil dans le trou nouvellement formé et y avaient vu un boulet de canon. Au moment où ils comprirent ce qui s’était passé, ils sentirent le sol vibrer sous leurs pieds.

En levant les yeux, ils aperçurent un certain nombre de créatures munies d’armements montés sur leur dos qui se dirigeaient vers eux. Il s’agissait des rhinosaurus à canon de l’Empire, une artillerie apparemment autopropulsée. Les rhinosaurus à canon accompagnaient l’infanterie et fournissaient des tirs de soutien.

Les mercenaires ne pouvaient pas le savoir, mais lorsque Souma occupait Van, la capitale de la Principauté d’Amidonia, Hakuya et lui ne savaient pas quoi faire lorsqu’ils avaient vu les soldats en armure magique et les rhinosaurus à canons encercler la ville. Il s’agissait des mêmes rhinosaurus à canons que Jeanne avait envoyés pour soutenir les soldats en armure magique.

Après avoir été bombardés de boulets de canon alors qu’ils étaient déjà sous la pression des soldats en armure magique, les mercenaires n’en pouvaient plus. Ils étaient prêts à fuir à tout moment.

« Hors de mon chemin ! »

Soudain, un homme de grande taille traversa les mercenaires jusqu’à l’avant. Puis, à l’aide de sa grande hache, il s’élança sur les soldats en armure magique.

« Prenez ça ! »

En d’autres termes, il donna un coup de hache de toutes ses forces. Cependant, avec ce seul coup, il frappa au premier sang les soldats en armure magique encore indemnes, en faisant tomber certains en arrière et les envoyant se heurter à ceux qui étaient positionnés à l’arrière.

« Oh. Vous êtes juste dur, c’est tout. »

Nata, la hache de combat du Tigre, brandissait sa hache et les regardait fixement. Les soldats en armure magique lancèrent leurs piques vers Nata, mais il les dévia d’un puissant coup de hache, et son coup suivant en fit voler d’autres.

« Vous vous fiez à la dureté de votre armure ? Ce n’est pas ça qui va m’arrêter ! »

Lorsque Nata abattait sa hache, ses coups étaient suffisamment puissants pour déformer leur armure, même s’il ne pouvait pas la couper en deux. C’était assez horrible pour que ceux qui se trouvaient à l’intérieur ne puissent pas survivre. Comme les soldats en armure magique avançaient en formation, il leur était difficile d’affronter un seul adversaire. Les rhinosaurus à canons qui les soutenaient ne pouvaient pas non plus viser un seul individu.

Si vous regardez bien, les soldats en armure magique repoussaient les mercenaires, mais il y avait une étrange indentation dans leur formation, à l’endroit où se trouvait Nata.

Ravi d’avoir enfin l’occasion de se lâcher, Nata rugit : « Qui est le suivant ? »

« Je ne vous laisserai pas faire. »

Clang ! Gunther repoussa la grande hache de Nata à l’aide de son bouclier. Le coup dévié s’abattit sur un mercenaire qui se trouvait sur son chemin.

« Gwargh ! »

« Bon sang ! Qui es-tu ? »

« Gunther… Le bouclier des sœurs Euphoria. »

Après avoir répondu à la question de Nata, Gunther jeta la pique qu’il tenait et dégaina son épée.

Nata l’observa avec les yeux d’un prédateur. « Tu es donc un général de renom. Ça va être amusant ! Je vais me mesurer à toi ! »

« Soyez maudit ! »

Le son de l’impact résonna lorsque la hache de Nata et le bouclier de Gunther entrèrent en collision. Gunther utilisa son bouclier pour rediriger la hache de Nata, cherchant une ouverture pour riposter avec son épée — ce que Nata évita en continuant à frapper. À chaque coup de hache de Nata, le bouclier de Gunther était de plus en plus écrasé. La puissance de ces deux hommes était incroyable.

« Messire Gunther ! »

« Ngh !? »

Une personne était apparue derrière Gunther et avait utilisé ses épaules comme tremplin pour sauter par-dessus la tête de Nata et arriver derrière lui.

« Qu’est-ce que c’est ? »

Avant que Nata ne puisse se retourner et frapper, la personne en question s’était rapprochée, plaçant sa paume sur son torse musclé.

« Hahhhh ! »

Avec un cri d’effort, il déchaîna un éclair. Les douleurs lancinantes qui traversaient tout le corps de Nata le firent grogner et trébucher alors qu’il tentait d’abattre son assaillant.

Pendant ce temps, Gunther avait brandi son bouclier abîmé et il chargea, repoussant le plus grand des Nata.

Debout, avec derrière lui la personne qui était arrivée au bon moment, il déclara : « Madame Jeanne… Pourquoi êtes-vous venue ici ? »

« Parce que je serais dans une situation difficile si quelque chose devait t’arriver si tôt dans la bataille ! »

La personne qui était intervenue n’était autre que la Petite Sœur Générale de l’Empire, Jeanne Euphoria.

Jeanne ne voyait dans ce premier échange qu’une simple escarmouche leur permettant de jauger leurs capacités respectives, mais Nata avait foncé malgré ce stade précoce. Lorsqu’elle avait vu Gunther se débattre contre lui, elle s’était précipitée pour éviter le pire. Bien que Gunther ait été en colère face à sa témérité, il s’était retenu.

« À notre retour, je demanderai à Lady Maria de vous faire la leçon », déclara Gunther.

« Normalement, c’est l’inverse. Je ne serais pas contre quelque chose de différent pour changer. »

Jeanne sourit, mais ne quitte pas Nata des yeux. Son éclair lancé à bout portant et le puissant plaquage de Gunther avaient frappé Nata suffisamment fort pour qu’il ne puisse pas encore bouger très bien.

« Au diable tout ça ! »

Il s’était peut-être cassé une côte. Cependant, il était toujours prêt à se battre.

« Je dirais qu’il est temps… »

Pendant ce temps, Moumei, qui observait depuis l’arrière, décida que les mercenaires en avaient vu assez pour leur inspirer une véritable peur des Impériaux.

Il avait alors levé son marteau avant de crier : « Nous en avons fini ici ! Tout le monde se retire ! Et n’oubliez pas de récupérer Sire Nata ! »

Après avoir reçu l’ordre de se retirer, les mercenaires s’écrasèrent les uns sur les autres pour fuir. Certains mercenaires furent lents à battre en retraite et finirent par se prendre une pique d’un soldat en armure magique dans le dos, mais ce repli dispersé rendit la tâche plus difficile aux soldats en armure magique, plus lents, qui se lancèrent à leur poursuite. Alors que Moumei, Nata et les mercenaires s’enfuyaient, les forces du Royaume du Grand Tigre et de l’État papal orthodoxe se replièrent également.

Après avoir vu cela, Jeanne et Gunther ramènent leurs propres forces dans la forteresse.

On peut dire que ce premier échange était une victoire pour l’Empire.

La bataille entre les forces de Fuuga et celles de l’Empire faisait rage. Les mercenaires zemishs, autrefois enthousiastes, devinrent prudents après leur première défaite, et suivirent les ordres de Moumei (et par extension d’Hashim). Dans une bataille gagnée, les mercenaires étaient courageux afin de maximiser leur profit et leurs accomplissements. Mais face à un adversaire coriace, la sauvegarde de leur propre vie est prioritaire. Ils voulaient de l’argent, mais sans risquer leur vie. Ils n’avaient fait qu’obéir à cet instinct humain naturel.

Nata, le maniaque de la bataille, avait été envoyé à l’arrière en raison des lourdes blessures qu’il avait reçues le premier jour, de sorte qu’il n’y avait plus personne sur la ligne de front pour foncer comme un barbare. Les attaquants n’en faisaient pas trop et les défenseurs étaient prudents. Dans une bataille aussi simple, ce sont les forces de l’État pontifical orthodoxe qui se sont avérées les plus efficaces.

« C’est une croisade pour le Saint Roi Fuuga », dit Anne, la sainte de l’orthodoxie lunarienne, à ses compatriotes. « Vainquez les pions de la fausse sainte Maria afin d’offrir la victoire à notre Dame Lunaria. »

Anne n’était pas grande, mais sa voix portait correctement. Son expression était immuable, son ton dépourvu d’émotion, comme si une poupée parlait, mais d’une manière qui lui donnait un air étrange.

Pour les croyants, ses paroles étaient un message littéral venant du ciel.

« Ohh ! Victoire à notre Saint Roi ! Et à notre sainte ! »

« La bénédiction de Lady Lunaria est sur nous ! Qu’avons-nous à craindre ? »

« Même si nous mourons, nous serons emmenés aux côtés de Lady Lunaria ! »

Les forces de l’État pontifical orthodoxe comprenaient de nombreux volontaires en plus de l’armée régulière. Il s’agissait de soldats paysans sans équipement approprié, mais ils vivaient pour la foi et mourraient volontiers pour elle aussi. Ils attaquèrent les forces impériales préparées à le faire.

« Les voilà qui arrivent ! Défendez-vous ! » ordonna Gunther aux soldats en armure magique.

Les soldats en armure magique de l’Empire étaient d’une force terrifiante, et les forces de Fuuga n’oublieraient jamais la terreur de ce premier jour. Mais les forces de l’État papal orthodoxe chargèrent sans hésiter.

« Apportez le jugement de Dieu sur l’Empire du mal ! »

« Pour Lady Lunaria ! Pour la sainte ! »

Les gens qui criaient ces choses — portant des équipements qui n’avaient rien à voir avec ceux des mercenaires — se précipitaient sans réfléchir jusqu’à ce qu’ils soient empalés sur un mur de piques. Ils pensaient que mourir ici leur permettrait d’accéder au paradis de Lady Lunaria.

Les deux principaux piliers de l’enseignement de l’orthodoxie lunaire sont le soutien mutuel et l’aide aux plus faibles. C’était simple et facile à comprendre. Pourtant, les chefs religieux avaient interprété les enseignements à leur avantage, créant un système de guerre sainte et des croyants prêts à se battre pour la foi. Leur zèle religieux leur permettait de ne pas craindre la mort. C’est pourquoi ils se lançaient à l’assaut, quel que soit l’adversaire. Comme les Ikko-ikki de la période Sengoku au Japon.

☆☆☆

Partie 4

Naturellement, les forces de l’État pontifical orthodoxe subirent de lourdes pertes. Cela ressemblait à un massacre, voire à un suicide collectif. Mais face à ces hommes qui, sans craindre la mort, enjambaient les cadavres de leurs frères d’armes pour les attaquer, les soldats d’élite en armure magique étaient épuisés et repoussés.

La bataille était au point mort. Les attaquants ne pouvaient pas passer, mais les défenseurs ne pouvaient pas reculer. Il s’agissait d’une guerre d’usure.

La Sainte Anne assistait à la scène depuis le camp principal de l’État pontifical orthodoxe. Les hommes qu’elle avait attisés s’étaient battus, avaient versé du sang et étaient tombés morts. Elle avait simplement joué son rôle de sainte et d’outil. Mais alors qu’elle se tenait là, incapable d’en faire plus, elle entendit une voix qui résonnait encore à ses oreilles.

« Comprenez-vous le destin qui vous attend ? »

Il s’agissait des paroles de Marie, qui avait fui l’État pontifical orthodoxe.

Anne se souvint de leur brève rencontre dans leur pays d’origine. Elle se souvint du mélange de tristesse, d’hésitation et de pitié dans les yeux de Marie lorsqu’elle la regardait. Anne ne comprenait pas pourquoi Marie la regardait ainsi. Elle avait été choisie comme sainte, elle devait donc remplir ses devoirs en tant que tels.

Aujourd’hui encore, Anne faisait ce que l’on attendait d’elle, adoptant l’attitude d’une sainte. Sa voix réjouissait les croyants, leur permettant de se débarrasser de leur peur de la mort et d’aller sur le champ de bataille. Elle était utile. Cela lui donnait une raison d’être. Pour Anne, une orpheline qui n’avait pas eu sa place dans la société, c’était une raison de se réjouir. Pourtant, pourquoi Marie l’avait-elle regardée de cette façon ?

« Une fois que vous aurez vu le vaste monde… Dans le Royaume, vous pourriez trouver une autre vie que celle de sainte. »

C’est ce qu’elle avait dit en tendant la main à Anne.

Mais Anne ne voyait pas l’intérêt de ce qu’elle proposait. Après cela, Marie avait quitté l’État pontifical orthodoxe avec un grand nombre d’autres candidates à la sainteté. Elles furent excommuniées, mais l’église de l’orthodoxie lunaire du royaume de Friedonia les accueillit.

Si j’avais pris la main de Marie à ce moment-là, cela aurait-il changé quelque chose ?

C’est ce à quoi Anne réfléchissait pendant le temps libre dont elle disposait après avoir envoyé les soldats sur le champ de bataille. Mais elle avait beau réfléchir, elle n’obtenait pas de réponse, alors elle s’arrêta.

À ce moment-là, un soldat au visage pâle et saignant de la poitrine fut porté à l’intérieur. Il avait dû être grièvement blessé sur le champ de bataille.

« Ah ! Votre Grâce ! »

« S’il vous plaît, partez ! »

Ignorant ses gardes du corps, Anne s’approcha du soldat blessé. Il gémissait de douleur, mais sa joie fut évidente lorsqu’il vit le visage d’Anne.

« Ohh… Votre Grâce… Je suis désolé de me montrer devant vous dans cet état pitoyable… »

« Il n’y a rien de piteux à cela. Vous vous êtes bien battu en tant que croyant de Lady Lunaria. »

« Je vous remercie pour vos paroles aimables… Maintenant, vais-je pouvoir aller à ses côtés… ? »

Il tendit vers Anne sa main droite, apparemment ensanglantée par ses blessures. Les gardes tentèrent de s’interposer, mais Anne tint bon, prenant la main de l’homme sans hésiter et sans se soucier de la manche de son vêtement blanc tachée de cramoisi.

« Oui. Lady Lunaria voit tout ce que vous avez fait », répondit Anne d’une voix calme.

L’homme sembla satisfait. Il souriait et ne déclara rien de plus. Anne posa doucement la main qu’elle avait prise sur la poitrine de l’homme, puis il fut emporté.

Anne serra sa manche tachée de sang. L’homme avait l’air si paisible. En tant que sainte, elle l’avait envoyé à la mort. En tant que sainte, elle pouvait lui accorder le salut. C’était son travail de sainte. Cependant… Anne ne regrettait ni ne savourait rien de tout cela. Elle avait simplement joué le rôle qui lui avait été confié.

« Lady Anne… Avez-vous besoin de changer de vêtements ? » demanda l’un de ses gardes, incapable de la regarder rester là.

« C’est le sang d’un esprit noble qui est tombé pour notre foi. En quoi est-ce impur ? » répondit Anne en regardant à nouveau le champ de bataille.

Souma s’était battu avec le titre de roi, et Maria avec celui de sainte. Mais malgré cela, ils n’avaient jamais cessé de penser comme des gens normaux. Même si le poids de leurs fonctions avait failli les écraser, leur amour pour leur pays les avait fait se retenir au bord du gouffre, sans jamais se contenter de jouer un rôle.

Anne, en revanche, avait fermé son cœur, s’engageant entièrement dans le rôle de sainte, afin de se protéger. Ainsi, même si elle avait du sang sur les mains, elle pouvait continuer à être une sainte.

Une nuit, après plusieurs jours de combat…

« Eh bien, l’Empire sait comment se battre », dit Gaten en riant de bon cœur.

À l’intérieur d’une grande tente avec un feu de camp, Hashim, Gaten, Moumei et Kasen tenaient un conseil autour d’une maquette du champ de bataille et du terrain environnant.

« Leurs défenses sont solides et leur moral élevé. Aucun d’entre eux n’est intimidé par la gloire du seigneur Fuuga. Ce sont certainement les adversaires les plus coriaces que nous ayons affrontés jusqu’à présent. »

« Il n’y a pas de quoi rire, Messire Gaten », lui rétorqua la sérieuse Arbalète du Tigre, Kasen Shuri.

« Leur tactique est également précise. Nous avons tenté d’envoyer un détachement à l’arrière de la forteresse, mais nous avons été interceptés par des troupes qui avaient anticipé le mouvement. Ils limitent leurs pertes tout en nous écrasant progressivement. Je pensais que la petite sœur de l’impératrice avait obtenu son poste par népotisme, mais ce n’est pas un général ordinaire », dit Kasen, frustré, car c’est lui qui devait diriger ce détachement.

La forteresse de Jamona était construite sur un terrain naturellement défendable, ce qui la rendait remarquablement résistante à une attaque frontale, mais il y avait d’étroites brèches dans les montagnes qui semblaient passer de l’autre côté. Le détachement de Kasen avait emprunté ces passages étroits pour tenter d’attaquer la forteresse de l’intérieur, mais des ennemis étaient à l’affût, ce qui les avait obligés à battre en retraite.

L’expérience avait donné à Kasen une idée des objectifs de Jeanne.

« Elle a laissé des brèches volontairement, car elle connaît bien les chemins étroits. Il est plus facile pour elle de faire des dégâts face à une petite force détachée que face à un assaut frontal de l’armée principale. »

« En plus, elle a le courage de foncer en solo comme Nata. C’est une grande générale qui a de l’intelligence et des muscles », déclara Moumei.

Gaten haussa les épaules, exaspéré. « Je suppose que cela fait d’elle notre Shuukin ? Pourrions-nous demander à Messire Shuukin de venir ici depuis l’arrière ? »

Shuukin était à l’arrière, défendant les lignes de ravitaillement. Il avait été placé là parce que la dette de gratitude qu’il ressentait envers le Royaume et l’Empire pour l’avoir sauvé de la maladie de l’insecte magique avait fait craindre qu’elle n’émousse sa volonté de se battre. Hashim ne voulait pas faire confiance à quelqu’un d’hésitant pour gérer les lignes de front, et Fuuga ne voulait pas perdre Shuukin à cause d’une bavure causée par cette hésitation.

Cette décision conservatrice s’était toutefois avérée efficace.

Hashim secoua la tête et déclara : « L’Empire ne manque jamais une occasion. Si nous négligeons de défendre nos arrières, ils nous prendront pour cible en un rien de temps. Si nos lignes d’approvisionnement sont coupées, nous aurons du mal à maintenir une armée aussi nombreuse sans nourriture. Nous avons besoin d’un grand général comme Sire Shuukin pour les défendre. »

« En d’autres termes, nous devons faire quelque chose pour la ligne de front nous-mêmes », déclara Gaten en haussant les épaules.

« Oh, ce ne sera plus très long maintenant », rétorqua Hashim, un sourire en coin se dessinant sur son visage.

« J’ai un rapport ! »

Comme s’il s’était prévu, un messager s’était présenté. Il salua, puis s’approcha de Hashim pour lui chuchoter à l’oreille. Pendant qu’il écoutait, les coins de la bouche d’Hashim se redressèrent pour former un croissant de lune. Ce sourire dérangé donna des frissons aux trois autres commandants.

Hashim se leva et leur annonça : « Les préparatifs sont terminés. Allons mettre la touche finale. »

Faire du soleil de demain le soleil couchant de l’Empire.

Le lendemain…

Jeanne et Gunther se tenaient sur les murs de la forteresse de Jamona, surveillant les camps des forces impériales.

« Nous les repoussons… pour l’instant », déclara Jeanne à Gunther, qui était à ses côtés. « Leur assaut est féroce, mais si nous continuons à les repousser, ce sont eux qui s’essouffleront les premiers. Il faut tenir le plus longtemps possible et attendre que leur moral baisse. »

« C’est la seule façon de gagner, après tout », dit Gunther d’un ton grave. Maria avait appelé à un front commun de toute l’humanité, elle n’avait donc pas l’intention de faire une contre invasion avec l’Empire. Cela les obligeait à se mettre sur la défensive.

En même temps, en tant que nation la plus puissante, ils n’avaient pas d’alliés à qui demander de les soutenir. Même le Royaume de Friedonia, avec lequel ils avaient conclu un pacte secret contre le Domaine du Seigneur-Démon, aurait eu du mal à s’opposer au Royaume du Grand Tigre. Si l’Empire voulait gagner cette bataille et obtenir quelque chose dans cette guerre, il devait gagner la bataille d’usure, puis poursuivre l’ennemi dans sa fuite et lui infliger d’importants dégâts.

Jeanne croisa les bras et se toucha le menton. « Ce qui m’inquiète, c’est que personne n’a encore vu Fuuga. J’ai entendu dire que c’était un homme sauvage qui aimait se battre en première ligne… »

« Ne serait-ce pas une mauvaise idée pour le commandant en chef d’une force composite comme la leur d’aller trop loin au front ? »

Il était vrai que si Fuuga avait l’habitude de se battre aux côtés des soldats du Royaume du Grand Tigre, son armée actuelle comptait également des mercenaires zemishs et des soldats de l’État papal orthodoxe. S’il allait au front et tombait comme Nata le premier jour, le moral de ses troupes en prendrait un coup. Si Jeanne était sa conseillère, elle lui aurait dit sans ambages qu’il ne devait absolument pas aller au front. Néanmoins, cela la préoccupait toujours.

« Les forces de Fuuga ont également envoyé une force de diversion au nord, n’est-ce pas ? Je soupçonne que Fuuga pourrait être avec eux… »

« Vu l’intensité de leurs attaques, je dirais que le gros de leurs forces doit être ici. »

« Je suis d’accord. Je ne doute pas qu’il s’agisse de leur principale force. »

Même si Fuuga faisait partie de la force de diversion, il ne serait pas en mesure de mener une armée largement inférieure à une grande victoire militaire. Krahe devrait suffire à lui seul.

Pourtant, Jeanne ne pouvait effacer ses inquiétudes. Et elles s’avérèrent fondées.

Ce jour-là, même une fois le soleil levé, la forteresse ne fut pas attaqué. Jeanne se méfia et se demanda ce qui se passait. Dans l’après-midi, elle vit une énorme boule d’eau se former au-dessus du camp de Fuuga.

Jeanne ordonna à ses troupes de rester sur le qui-vive, tout en jetant un coup d’œil à la boule.

Ils doivent avoir l’intention d’utiliser à nouveau l’émission, pensa-t-elle.

Avant cette bataille, Hashim l’avait utilisé pour semer la confusion au sein de l’Empire, Jeanne s’attendait donc à plus de propagande.

Mais qu’est-ce qu’ils vont diffuser maintenant… ?

Maintenant que les émissions avaient été utilisées une première fois pour semer la confusion, si l’on montrait à l’Empire des informations qu’il connaissait déjà, les téléspectateurs se diront simplement : « Encore ça ? » L’effet ne serait pas aussi fort la deuxième fois et ne provoquerait pas le même chaos qu’auparavant.

A-t-il un autre tour dans son sac ?

Soudain —

« Ah !? »

Lorsqu’ils virent la scène projetée sur cette boule d’eau, Jeanne et tous les autres habitants de la forteresse de Jamona eurent un haut-le-cœur. L’image était choquante, mais il n’y avait pas de pandémonium. C’est parce que la scène qu’on leur montrait était incroyable.

« C’est absurde ! L’armée principale de Fuuga est ici ! » hurla Jeanne en donnant un coup de poing sur le bord du mur de la forteresse.

Les yeux de Gunther étaient également écarquillés. Car l’image projetée dans la boule d’eau était celle de la cité de Valois, entourée d’une force massive…

☆☆☆

Chapitre 7 : Les fleurs qui tombent, l’eau qui coule

Partie 1

Quelques semaines avant que la capitale ne soit encerclée…

« Oh, pourquoi, Votre Majesté ! » se lamenta Krahe Laval, le commandant de la principale force aérienne de l’Empire, les escadrons de griffons.

Les forces de Fuuga étant sur le point d’attaquer, Krahe, qui vénérait Maria comme une sainte, avait le moral au beau fixe. Il pensait que le moment était enfin venu pour lui de combattre les envahisseurs pour son seigneur. Cependant, Maria lui ordonna de rejoindre les chevaliers et les nobles du nord pour intercepter les forces de Fuuga. Les anciens vassaux du Royaume de Meltonia et de la Fédération de Frakt étaient utilisés pour envahir l’Empire lui-même.

Selon les prévisions de l’Empire, la force principale devait attaquer depuis l’État pontifical orthodoxe lunaire et l’État mercenaire de Zem, et les forces du nord n’étaient donc qu’une diversion. Krahe avait donc été exclu de la bataille décisive. Il se sentait trahi.

« Oh, Votre Majesté ! Pourquoi ne me laissez-vous pas me battre pour vous ? Le général Gunther et la moitié de nos escadrons de griffons se battent dans la bataille décisive, et pourtant je n’ai pas droit au même honneur !? Moi qui suis prêt à sacrifier ma vie pour vous sans hésiter ! »

Krahe versa des larmes en donnant plusieurs coups de poing sur la table. Il avait peut-être frappé trop fort, car ses articulations saignaient.

Quelqu’un s’approcha silencieusement de Krahe par-derrière.

« Ah — qui est là ? »

Krahe dégaina sa rapière plus vite que l’on ne put le voir et la dirigea vers la personne qui se trouvait derrière lui. La pointe de sa lame au niveau de la gorge de l’individu, il leva calmement les deux mains.

« C’est moi, Messire Krahe. »

« Madame Lumière… ? Je vous prie de m’excuser. »

Après avoir réalisé de qui il s’agissait, Krahe rengaina sa rapière. Devant lui se trouvait Lumière, la plus haute fonctionnaire de l’Empire. Elle possédait un domaine dans le nord et était une ancienne officière militaire. Elle avait donc rejoint les forces de Krahe avec ses troupes personnelles.

Lumière secoua la tête. « Non, je n’aurais pas dû vous surprendre. Vous aviez l’air tourmenté par quelque chose, alors j’ai pensé qu’une petite surprise pourrait vous aider à vous détendre… »

« Je vous remercie de votre attention… » Krahe la remercia et détourna le regard.

« Je comprends ce que vous devez ressentir… » lui chuchota Lumière. « Vous avez peur, n’est-ce pas ? »

« Ah ! De quoi parlez-vous, Madame Lumière ? » Krahe semblait blessé par l’accusation. « Je suis l’épée de la Sainte Maria ! Quels que soient les adversaires que j’affronte, quel que soit leur nombre, je n’aurai pas peur ! Je les tuerai et j’offrirai ma victoire à Dame Maria ! »

« Justement, » dit Lumière d’une voix calme, « Je suis sûre que vous ne craignez aucun ennemi. Ce dont vous avez peur, c’est de quelque chose de différent. Quelque chose de proche de la racine de votre orgueil. En d’autres termes… » Lumiere pointa son index vers Krahe. « Maria devenant une personne ordinaire. »

« Qu’est-ce que vous dites ? »

Krahe resta sans voix. Il réfléchit à ce que voulait dire Lumière, essayant de trouver une réponse. Mais il n’avait rien trouvé et n’avait rien dit.

Lumiere regarda Krahe pendant qu’elle continua.

« Il est vrai que vous êtes le fidèle chevalier de Sa Majesté. Vous vous dresseriez contre n’importe quel ennemi pour elle, jusqu’à mettre votre propre vie de côté. Mais c’est parce qu’elle est une sainte, respectée par le peuple, et que vous êtes fier de la protéger. En bref, vous avez besoin qu’elle brille pour pouvoir briller à votre tour. Si quelque chose lui faisait perdre son éclat, vous n’auriez plus rien à défendre. Vous avez peur de cela. Peur de ne plus être le chevalier de la sainte. Ai-je tort ? »

« Madame Lumière. Vous… » Confus, Krahe se demanda : « Pourquoi dites-vous cela ? »

Il avait l’impression que son affirmation touchait au cœur de ses récentes difficultés. Si elle avait raison, cela expliquerait tous les sentiments tourmentés qu’il avait éprouvés jusqu’à présent.

Mais pourquoi choisir de me le dire maintenant ?

Tandis qu’il s’interrogeait, Lumière semblait regarder au loin.

« J’ai ressenti la même chose, Messire Krahe. »

« Madame Lumière ? »

« À l’origine, je voulais devenir commandant militaire. Dans mon enfance, je parlais avec mon amie Jeanne de mon désir de la rejoindre et d’utiliser nos capacités martiales pour soutenir sa sœur aînée. Cependant, une erreur d’entraînement a coupé cette voie pour moi, et j’ai été forcée de me recycler pour devenir une bureaucrate à la place. Ce n’est pas grave. Si Sa Majesté me souriait et me disait “Je compte sur vous”, j’étais prête à faire de mon mieux pour elle, même si je suivais une voie différente de celle de Jeanne. C’est ainsi que j’ai gravi les échelons de la bureaucratie. »

Après avoir dit tout cela, Lumière secoua la tête, sentant qu’elle s’était trop enflammée.

« Cependant, Sa Majesté a été trop passive ces derniers temps. Nos actions contre le Domaine du Seigneur-Démon sont purement défensives, et même lorsque Fuuga a commencé à se faire un nom en libérant ces terres, nous n’avons rien fait. L’Alliance maritime ne cesse de se renforcer, mais elle ne se sent pas menacée et se tourne même vers elle pour obtenir son soutien en temps de crise. N’était-elle pas une sainte capable de guider les gens ? Je voulais avoir l’impression de servir le bon souverain, même si c’était en tant que bureaucrate. »

Cela dit, Lumière regarda Krahe droit dans les yeux.

« Et vous, Messire Krahe ? »

« Qu’est-ce que vous voulez dire ? »

« Pouvez-vous supporter de voir Sa Majesté tomber sous les coups d’un simple humain comme celui-ci ? Même si nous parvenons à repousser les forces de Fuuga maintenant, je doute qu’elle fasse quoi que ce soit comme lancer une offensive dans le Royaume du Grand Tigre. Plutôt que de régler les choses, elle prendra la voie de la conciliation, en essayant de ne pas aggraver la situation. Ce n’est pas différent de ce qu’elle a fait jusqu’à présent. »

Krahe la regarda, incapable de répondre.

« Pouvez-vous l’accepter ? Même si cela signifie perdre son éclat ? »

« Je… »

« Monsieur Krahe, j’ai une idée pour vous. Si Sa Majesté doit devenir une personne ordinaire… il est peut-être du devoir de son chevalier d’en finir avec elle alors qu’elle est encore une sainte. »

Les mots de Lumière firent frémir Krahe.

Pas de peur, cependant. Non, d’excitation.

Il pouvait mettre fin à Maria alors qu’elle était encore une sainte. Laisser la souveraine qu’il voulait voir briller s’éteindre alors qu’elle l’était encore. Ce sont des mots doux pour Krahe, dont le sens de la loyauté était faussé. Il était prêt à donner sa vie pour Sainte Maria. Quelle que soit la honte que cela lui vaudra, il était prêt. Il pourrait devenir n’importe quel méchant pour le rayonnement de la Sainte Maria. Peu lui importait que les gens qui aimaient la Sainte Maria le détestent et l’abhorrent. Si Sainte Maria pouvait rester une belle légende, il accepterait d’être tué, sa tombe souillée et ses os dispersés dans les champs pour les bêtes sauvages.

C’est ça ! Mon devoir !

Krahe avait eu l’impression de recevoir un signe du ciel.

Voyant la lueur inquiétante dans les yeux de Krahe, Lumière poursuivit.

« Nombreux sont ceux qui, dans le nord, en veulent à la Maison d’Euphoria. Si vous et moi allons les persuader, il sera facile de les faire changer de camp. Si nous joignons cette armée à celle de Fuuga, nous pourrons encercler la capitale. Si cela ne suffit pas à éveiller Sa Majesté à son rôle de Sainte, eh bien… »

« Vous voulez que nous baissions nous-mêmes le rideau sur elle, n’est-ce pas ? » dit Krahe avec une expression digne. Tout le monde pouvait voir qu’il avait perdu la tête.

Il peut sembler étrange de dire que sa loyauté n’avait pas faibli le moins du monde, mais Krahe fait vraiment cela pour Maria. Il tuerait Maria pour Maria. Dans son esprit, ce n’était pas une contradiction.

Cela s’est bien passé…

Lumière fut soulagée de sa réaction. Elle était encore lucide par rapport à Krahe. Ce qu’elle lui avait dit n’était pas un mensonge, mais ce que Lumière souhaitait servir n’était pas un empire passif, mais une grande puissance qui agissait. La voie de l’officier militaire lui étant fermée, elle avait craint que si elle ne parvenait pas à briller maintenant, toute sa vie se résumerait à un malheur.

C’est pourquoi, lorsque Hashim lui avait envoyé le plan, elle avait immédiatement accepté. Pour donner un sens à sa vie.

Je me sens mal pour Jeanne… Mais je vais suivre mon propre chemin.

Même si cela signifiait se séparer de son amie pour toujours.

◇ ◇ ◇

Krahe et Lumière passèrent donc à l’action. Ils n’emmenèrent que ceux qui étaient prêts à suivre leurs plans pour rencontrer les forces de Fuuga dans le nord-est.

Le nord de l’Empire était mécontent de la façon dont Maria avait géré les catastrophes naturelles, et de nombreux chevaliers et nobles n’étaient pas satisfaits de la Maison d’Euphoria, si bien que la plupart d’entre eux se joignirent à la paire. Certaines maisons n’avaient pas voulu les rejoindre dans leur projet, mais elles les avaient ignorés et ne les avaient pas inclus dans leurs forces.

Ainsi, une force impériale composée uniquement de ceux qui étaient d’accord avec eux rejoignit les forces de Fuuga au nord-est au lieu de leur barrer la route, et ensemble, ils prirent le chemin de la capitale impériale.

C’est ainsi que Valois fut encerclé.

☆☆☆

Partie 2

Fleurs qui tombent, eau qui coule (Représente la fin du printemps. Les fleurs tombent et dérivent dans l’eau. Par extension, fais référence à la pourriture et au déclin.) (Ver composé à quatre caractères, Gakken Educational Publishing)

Dans les flux violents de cette époque, une fleur était sur le point de tomber…

La capitale impériale de Valois était encerclée par une force combinée de 25 000 soldats composée d’un détachement de l’armée de Fuuga et des forces de la faction anti-Euphoria des seigneurs du nord dirigés par Lumière. Les défenseurs impériaux n’étaient que 3 000, il était donc évident qu’ils ne pourraient pas tenir. La bataille avait été décidée au moment où Krahe, qui était allé intercepter le détachement de Fuuga, avait changé de camp.

Fuuga et Mutsumi faisaient partie des forces du Royaume du Grand Tigre, tout comme le vénérable commandant Gaifuku, qu’ils avaient amené comme garde du corps. Leurs principaux alliés et guerriers d’élite étaient partis attaquer la forteresse de Jamona, mais les trois hommes étaient venus avec ce groupe, car ils savaient depuis le début que c’était ici que la guerre se déciderait.

« Je n’aurais jamais cru que nous attaquerions la capitale aussi rapidement…, » dit Fuuga, l’air à moitié impressionné et à moitié déçu.

« Ga ha ha ! J’en suis sûr ! » répondit Gaifuku avec un grand hochement de tête. « Nous n’étions qu’un petit pays dans les steppes de l’Union des Nations de l’Est, et maintenant nous avons une épée sous la gorge de la plus grande nation du continent. Les choses que l’on voit quand on vit à mon âge… J’aurais aimé pouvoir montrer cela à votre père, Seigneur Raiga. »

« Moi aussi… C’est cependant un peu une déception pour moi. »

Fuuga s’imaginait déchirer les soldats impériaux qui lui barraient la route vers la capitale, alors que sa lame tranchante s’approchait de la gorge de l’Empire. Mais la réalité était qu’il était passé sans encombre, parvenant jusqu’ici sans même augmenter le rythme de marche de ses troupes.

Mutsumi sourit ironiquement à sa réaction. « Ce doit être grâce à mon frère qui a trouvé Madame Lumière. Il a concentré ses efforts sur elle, et elle est devenue essentielle au plan. »

« Tu n’as pas tort…, » grogna Fuuga en croisant les bras. « Elle a non seulement réuni les seigneurs qui s’opposaient à la Maison d’Euphoria, mais elle est également à la tête de la bureaucratie impériale. Cela signifie qu’elle a l’expérience de la gestion d’une grande nation, et que beaucoup des gens qu’elle a formés seront eux aussi très compétents. Elle est exactement la personne qu’il nous fallait pour remédier à notre pénurie d’administrateurs. »

Après avoir dit cela, Fuuga haussa les épaules d’un air exaspéré.

« Cette expédition était déjà plus que réussie pour nous lorsque nous avons mis la main sur elle. Même si nous prenons le capital maintenant, ce n’est qu’un bonus supplémentaire. »

« Si tu dis quelque chose comme “J’ai pris la capitale impériale, mais prendre Lumière a été bien plus gratifiant”, ils pourraient le noter dans une liste de tes citations célèbres. »

« Ha ha ha ! J’aime bien ! Que le chroniqueur l’écrive ! » déclara Fuuga en riant joyeusement.

« Vous êtes trop aimable », dit Lumière, qui était arrivée avec Krahe à ce moment-là.

Ils s’agenouillèrent devant Fuuga, la tête baissée, puis Lumière prit la parole.

« Je vous remercie de nous avoir permis de servir sous votre bannière et de nous avoir fait confiance pour persuader les seigneurs du Nord. À partir de maintenant, je risquerai ma vie au service de votre grande œuvre, seigneur Fuuga. »

« Hmm. C’est une belle démonstration de détermination, mais tu ne te soucies pas de Maria ? » demanda Fuuga.

Lumière releva son visage et le regarda dans les yeux. « Je crois qu’elle était une bonne souveraine, mais… nos points de vue ne concordaient pas. Elle avait tout ce qu’il fallait pour s’emparer de l’ensemble du continent, et pourtant elle est restée passive. Je lui ai conseillé à plusieurs reprises d’être plus proactive envers le Domaine du Seigneur-Démon, mais elle a rejeté mes conseils et a continué à perdre du temps. Je ne pouvais pas supporter de voir mourir la passion des gens pour un monde sans le Domaine du Seigneur-Démon, et de voir les flammes de ma propre passion s’éteindre avec elle. C’est pourquoi j’ai choisi de parier sur vous. »

« C’est logique… »

Il pouvait voir le feu dans les yeux de Lumière.

Si Maria avait pu faire quelque chose pour le Domaine du Seigneur-Démon, elle l’aurait sans doute voulu. Mais elle et Lumière n’étaient pas d’accord sur le temps nécessaire pour résoudre le problème. Maria voulait s’y attaquer lentement, car la question du domaine du Seigneur-Démon était susceptible de détruire son pays. Elle voulait limiter les pertes au minimum et résoudre le problème en temps voulu. Elle avait préparé le terrain pour que, même si le problème n’était pas résolu pendant son règne, il puisse l’être pendant le suivant ou celui d’après.

Lumière, quant à elle, pensait qu’il fallait agir pour résoudre le problème immédiatement.

Si les réfugiés souffraient sous leurs yeux et si une menace inconnue pesait sur le nord, il fallait agir immédiatement. Même si cela signifiait une action drastique, du genre à mettre la nation à rude épreuve, elle voulait faire quelque chose de ses propres mains. Il y avait un léger désir de gloire personnelle dans ce souhait, mais c’était quelque chose que tout le monde avait à un degré ou à un autre, et ce n’était pas quelque chose qu’il fallait blâmer.

Cette divergence d’opinions avait créé un fossé irréconciliable entre eux deux. Il n’y avait aucun moyen, à l’heure actuelle, de savoir qui avait raison. En fait, même les générations suivantes ne seraient pas en mesure de le dire. Tout est dans le monde du « et si », et il se peut que les deux aient raison ou que les deux aient tort. En dehors de cela, ce n’était qu’une question de préférence personnelle. Et les forces de Fuuga préféraient la seconde option.

Fuuga ricana et retroussa les coins de ses lèvres. « Il semblerait que je n’aurai pas besoin de te prévenir de ne pas me trahir. Tant que tu auras cette passion et que tu garderas ton esprit enflammé, tu ne voudras jamais nous quitter. »

« En effet. »

« Ha ha ha ! Je t’aime bien. Tu es un bon élément pour mes forces, » dit Fuuga en riant, puis il se tourna vers Krahe. « Et puis-je supposer que tu vas aussi me servir ? »

« Je ne veux pas voir Lady Maria tomber et devenir une simple humaine. C’est pourquoi je veux lui ôter la vie maintenant, tant qu’elle peut encore rester un beau souvenir. »

« Il y a de l’obscurité dans tes yeux… »

En regardant Krahe dans les yeux, Fuuga sentit que l’homme était un amas d’émotions sombres, mais qu’il parlait avec une forte volonté. C’est pourquoi il pouvait être sûr que Krahe ne le trahirait pas. Cependant, une fois Maria morte, cette passion serait perdue, et il ne resterait peut-être plus qu’une enveloppe vide…

Fuuga les salua d’un signe de tête.

« J’ai compris. Vous allez tous les deux travailler dur pour moi à partir de maintenant. »

« » Oui, monsieur ! » »

« Très bien, Lumière. Hashim m’a dit de te demander la suite. »

« C’est exact. Après m’être entretenue avec Messire Hashim, voici ce que je me suis préparée à faire », avait-elle répondu, puis elle avait levé la main.

Voyant cela, ses hommes leur apportèrent une gemme de diffusion.

« Une gemme, hein ? »

« En effet. D’abord, nous allons diffuser dans tout l’Empire ces images de nous encerclant la capitale, ce qui revient à dire que nous avons remporté une victoire stratégique. Cela inclut l’armée principale qui se bat dans la forteresse de Jamona, bien sûr. Messire Hashim va réunir les mages de l’eau et se préparer à le leur montrer. Je suis sûre que cela portera un coup dur à Jeanne et aux autres défenseurs. »

Lumière se leva et tendit la main vers Valois.

« Et nous demanderons à Maria de se rendre. Si elle accepte, nous gagnons. Sinon, nous la détruirons. Après cela, si Jeanne tente de retourner à la capitale, Messire Hashim et vos forces principales la frapperont par-derrière. »

« Des couches et des couches de pièges. Impressionnant…, » dit Mutsumi, et Fuuga acquiesça.

« Si Souma a Hakuya et Julius, alors j’ai Hashim et Lumière. »

« Hee hee. Ce sera aussi l’une de tes célèbres citations. » Mutsumi rit et lui lança un sourire malicieux.

◇ ◇ ◇

C’est ainsi que l’image de la capitale encerclée avait également été diffusée dans la forteresse de Jamona.

Cette vision plongea Jeanne dans le désarroi. Elle donna plusieurs coups de poing sur le mur de la forteresse. Luttant contre l’envie de se demander si tout cela pouvait être réel, elle secoua la tête et se résolut à faire quelque chose.

« Bon sang ! Il faut que j’aille sauver ma sœur tout de suite ! »

« Calme-toi ! » hurla Gunther, provoquant l’arrêt de Jeanne et de tous les soldats qui se trouvaient à proximité.

Lorsque le général, habituellement taciturne, élevait la voix, tout le monde s’arrêtait et prêtait attention.

Gunther posa ses mains sur les épaules de Jeanne. « Si tu perds ta présence d’esprit, nos forces s’effondreront sur place ! L’ennemi en face de nous ne permettra pas à nos forces d’abandonner la forteresse et de retourner à la capitale ! Ils nous attaqueront par-derrière. Même si nous arrivons avant que la ville ne tombe, il nous sera impossible de les sauver si nous sommes ensanglantés par ce genre de bataille ! »

Jeanne sursauta. La sensation de la poigne de Gunther sur ses épaules la ramena à la raison.

« Mais si nous n’agissons pas, ma sœur est condamnée… Que pouvons-nous faire ? »

« Eh bien… »

Voyant que Jeanne s’était un peu calmée, et rassuré sur le fait qu’elle n’allait pas se mettre à courir tout d’un coup, Gunther lui lâcha les épaules.

Puis, regardant l’image de la capitale impériale, il déclara : « Sauver la capitale sera impossible. Nous ne pourrons jamais arriver à temps. Si Sa Majesté Impériale pouvait s’échapper et venir nous rejoindre, nous aurions des options… »

« Jamais ! Ma sœur ne pourrait pas abandonner les habitants de la capitale… »

Jeanne se passa la main sur le front et baissa la tête. Elle ne pouvait imaginer Maria, avec sa sainte bonté, abandonner les citoyens de la capitale alors qu’ils étaient sur le point d’affronter les feux de la guerre. Au contraire, Maria serait prête à sacrifier sa propre vie pour éviter que les gens ne soient pris dans le conflit. Voilà le genre de femme qu’elle était.

Les soldats commencèrent à faire du bruit. Jeanne leva les yeux et vit l’image de Fuuga projetée.

« Ceci est un message pour la Sainte Marie de l’Empire ! » commença l’image de Fuuga. « La capitale impériale est déjà encerclée. La plupart de vos forces sont à la forteresse de Jamona et ne reviendront probablement pas ici à temps. D’un simple mouvement de bras, mes forces prendront d’assaut la capitale, réduisant en cendres son paysage urbain historique et ses citoyens. Ce n’est pas ce que vous voulez, Maria ! Ouvrez les portes et rendez-vous courageusement ! Je jure sur mon propre nom, Fuuga Haan, que les gens désarmés s’en sortiront indemnes ! »

C’était un ultimatum de la part de Fuuga.

« Il est inutile de chercher à savoir qui a raison et qui a tort. Cette guerre a eu lieu parce que nous avons deux points de vue irréconciliables. Vous voulez protéger le présent, tandis que j’essaie de nous faire gagner un avenir. Et mon camp est sur le point de gagner ce combat ! Beaucoup de vos concitoyens qui n’ont pas pu accepter votre point de vue sont avec moi. Ma présence ici en ce moment même est leur réponse à vous ! Ils nous soutiennent ! »

Au moment où Fuuga déclara cela, les forces du Royaume du Grand Tigre devant la forteresse se mirent à applaudir à tout rompre. Ils devaient être certains de leur victoire.

Les soldats impériaux de la forteresse, quant à eux, étaient silencieux, comme si on leur avait coupé le souffle. Ils commençaient à sentir que, même s’ils luttaient, ils ne pourraient pas renverser la situation.

« Je compte sur vous pour faire le bon choix — ! »

Alors que Fuuga terminait son ultimatum, son image disparut. Le décor changea, et une femme fut projetée à la place. Une belle femme vêtue d’une robe qui se tenait sur une sorte de balcon dans les hauteurs du château.

☆☆☆

Partie 3

« Ma sœur ! » s’écria Jeanne malgré elle. Il s’agissait bien d’elle, l’impératrice Maria Euphoria.

« D’abord, au général Jeanne, qui, j’en suis sûre, regarde ceci… J’ai un ordre à vous donner, ainsi qu’aux soldats de la forteresse de Jamona. S’il vous plaît, mettez une boule d’eau pour que vous puissiez m’entendre clairement. »

Dès que Jeanne l’entendit, elle donna l’ordre.

« Que nos mages d’eau préparent une boule d’eau immédiatement ! »

« »" Oui, madame ! »" »

C’était probablement au cas où les forces de Fuuga dissiperaient la boule d’eau dans leur camp.

La sœur est sur le point de nous dire quelque chose d’important… pensa Jeanne. Les soldats se dépêchèrent d’obéir à son ordre, et bientôt une boule d’eau se forma au-dessus des murs de la forteresse de Jamona. La boule soulevée par les forces de Fuuga et celle soulevée par les Impériaux montraient toutes deux l’image de Maria.

Après un court délai, Maria poursuit.

« Le Royaume du Grand Tigre a utilisé la diffusion pour envoyer un message exigeant la reddition dans tout l’Empire. Cela étant, ce message devrait également parvenir à tous les habitants du pays. Je demande à tous les habitants de l’Empire, et du Royaume du Grand Tigre, de me prêter leurs oreilles un instant. »

Maria les regardait droit dans les yeux en parlant.

« On peut dire que j’ai été passive dans mon approche du domaine du Seigneur-Démon. C’est à cause de la grande perte subie par les forces combinées de l’humanité il y a plus de dix ans. C’est mon père, l’ancien empereur, qui était à la tête de cette force, et nous étions tous persuadés qu’avec une telle puissance accumulée, nous pourrions écraser n’importe quel ennemi. Cela s’est traduit par l’anéantissement de nos forces combinées. Nos forces étant considérablement affaiblies, nous n’avons pas pu résister aux monstres venus du sud. De nombreux pays ont été détruits, créant des réfugiés. »

Maria parlait calmement et avec éloquence, et les soldats de l’Empire, et même ceux du Royaume du Grand Tigre, l’écoutaient sans chahuter. Puis Maria réunit ses mains devant sa poitrine, comme si elle priait.

« Lorsque l’inertie est de notre côté, nous avons tendance à penser que nous pouvons tout faire. Nous pensons qu’avec le vent dans le dos, aucun ennemi ne peut se mettre en travers de notre chemin. Plus notre pays est puissant, plus cette tendance se renforce. Mais cela nous tend un piège. Nous n’avons aucun moyen de savoir jusqu’où cette inertie va durer. On ne peut jamais savoir quand les vents de l’époque vont tourner. Car nous ne sommes pas des dieux. Et pourtant, si nous partons du principe que tout ira bien, nous sommes assurés de nous faire piéger à un moment ou à un autre. Oui, comme les forces combinées l’ont fait… »

Maria s’était interrompue, laissant à ceux qui la regardaient le temps d’absorber ses paroles.

« C’est pourquoi je n’ai pas attaqué activement le Domaine du Seigneur-Démon… Je me suis plutôt attachée à créer un cadre permettant à l’ensemble de l’humanité de coopérer pour le combattre. Je voulais m’assurer que plus aucun pays ne soit détruit, plus aucun réfugié ne soit créé. Il est vrai que mes méthodes n’ont pas résolu le problème de fond. On peut parler de négligence de ma part. »

« Non ! » s’écria Jeanne malgré elle. « Tu as essayé de changer la situation ! Tu as cherché à trouver un chemin pacifiquement — en coopérant avec d’autres pays — et à l’emprunter régulièrement, pas à pas ! Tu n’as pas été négligente ! »

Cette situation était particulièrement frustrante pour Jeanne. Ayant tenu des réunions de diffusion avec le Premier ministre Hakuya du Royaume de Friedonia et pris la responsabilité de leur diplomatie avec le Royaume, Jeanne savait tout ce que Souma et Maria avaient fait ensemble. Aujourd’hui, des gens qui ne savaient rien de tout cela qualifiaient Maria de négligente, et elle estimait qu’elle ne pouvait pas leur en vouloir.

Maria continua, sans se préoccuper des sentiments de Jeanne à ce sujet.

« Je vois d’ici que Lumière, qui m’a soutenue en gérant notre nation à l’intérieur, Krahe, le commandant de nos escadrons de griffons, et de nombreux seigneurs et chevaliers du nord de l’Empire collaborent tous avec le Royaume du Grand Tigre. »

Les mots de Maria provoquèrent un murmure inquiet dans les troupes.

« Non, pas Lumière… »

« Monsieur Krahe ! Je n’arrive pas à croire qu’il puisse faire cela… »

Jeanne et Gunther étaient également choqués. Jeanne savait que Lumière était ambitieuse, mais la considérait toujours comme une amie, et Gunther connaissait l’amour fou et le respect de Krahe pour Maria, si bien qu’aucun des deux ne pouvait cacher sa surprise face à ces défections. Et pourtant, en même temps, ils comprenaient. La capitale était complètement encerclée parce que ces deux-là, ainsi que les chevaliers et les seigneurs du nord, s’étaient ralliés à la bannière de Fuuga. Il en était de même pour les gens de tout l’Empire qui regardaient la retransmission.

« Lady Maria ! Oh… »

« Ah… C’est… Ce n’est pas possible. »

« Que quelqu’un, n’importe qui, la sauve ! »

Les téléspectateurs se lamentèrent de désespoir.

Parmi les chevaliers et les nobles, certains ne voyaient pas d’un bon œil la maison d’Euphoria, mais Maria était aimée du peuple. Tout le monde regardait, confus et paniqué, se demandant comment ils pourraient la sauver. Mais, désarmés comme ils l’étaient, ils ne pouvaient rien faire. Rien d’autre que pleurer.

Malgré cela, Maria continua à parler avec un visage courageux.

« Vous avez demandé des mesures concrètes contre le Domaine du Seigneur-Démon, mais je n’ai jamais acquiescé. Quelle que soit l’étendue du domaine de l’Empire, nous n’avons pas la force de faire tout et n’importe quoi. Si nous repoussons nos limites, nous n’aurons aucune marge de manœuvre, et tout imprévu pourrait nous paralyser. Cela peut arriver à tout moment, comme avec le tremblement de terre et l’éruption volcanique dans les régions du nord. C’est ce qui m’a fait peur. Ne pas pouvoir tendre une main secourable à ceux qui en ont besoin. C’est pourquoi, même si c’était possible, je ne voulais pas aller trop loin en avançant dans le Domaine du Seigneur-Démon. C’est ce qui a conduit les gens autour de la capitale à perdre espoir. Si je n’ai pas réussi à les garder de mon côté, c’est une erreur de ma part. C’est peut-être la volonté du Ciel qui dit que je ne suis plus nécessaire. »

« Qu’est-ce que tu dis, ma sœur ? »

Pendant que Jeanne regardait, l’image de Maria porta une chaise à proximité de la balustrade. Puis, de manière incroyable, elle grimpa sur la balustrade en utilisant la chaise. Jeanne resta sans voix. Si Maria se penchait le moindrement vers l’avant, elle tomberait tout droit.

La robe de Maria battait au vent, indiquant à quel point sa situation était précaire.

« Ça pourrait mal tourner… », murmura Hashim dans le camp situé à l’extérieur de la forteresse de Jamona.

« Quelque chose ne va pas, Messire Hashim ? » demanda Gaten, qui l’avait entendu.

Hashim fronça les sourcils et répondit : « Sir Gaten, et vous autres. Préparez vos forces à combattre immédiatement. »

« Mais pourquoi ? La capitale semble prête à s’écrouler à tout moment. »

« Maria a peut-être l’intention de mourir », dit Hashim en fixant l’image de la jeune femme debout sur la balustrade. « Si Maria meurt maintenant, les forces impériales de la forteresse de Jamona risquent de se transformer en véritables monstres. Ils pourraient venir à nous comme des martyrs, prêts à mourir pour la venger… Si nous les affrontons directement, nous subirons des pertes considérables. »

Hashim avait prédit qu’une fois la capitale encerclée, Maria capitulerait à coup sûr. Il avait calculé que Maria, l’âme douce qu’elle était, ne supporterait pas de voir la capitale impériale brûler et son peuple piétiné. C’est pourquoi elle se rendrait.

Cependant, si elle se tuait à la télévision, sous les yeux de toute la nation, les choses changeraient. Ses partisans se battraient tous pour se venger. Non seulement les soldats de la forteresse de Jamona, mais aussi chacun de ses concitoyens en viendraient à haïr Fuuga. Les révoltes allaient être incessantes, et le pays resterait agité même après la guerre.

Tu as trouvé le moyen le plus efficace de nous harceler, Maria Euphoria, pensa Hashim.

« Nous… n’avons peut-être plus besoin d’impératrice. Si ce titre — si mon existence même — est à l’origine de cette guerre… Alors… Je jetterai ma vie aux oubliettes. »

Hashim jeta un regard noir à Maria qui continuait à parler.

« N’y a-t-il personne qui puisse arrêter ma sœur ? » Jeanne avait crié en suppliant alors qu’elle se rendait compte que sa sœur était sur le point de mourir. Elle pria, quelqu’un, n’importe qui, sauvez là !

Et avec un regard paisible, Maria dit : « Je donnerais ma vie pour que les gens qui vivent dans cet empire ne soient pas blessés… J’ai toujours été prête à le faire, et je le suis encore. C’est le genre d’impératrice que je suis. S’il vous plaît, restez tous en bonne santé… »

Sur ce, Maria se pencha lentement vers l’arrière. Pour Jeanne et les autres, elle semblait se déplacer beaucoup plus lentement qu’elle ne le faisait. Son corps se pencha, puis elle fut entraînée vers le bas par la gravité. Alors qu’elle disparaissait, Jeanne cria.

« Noooooonnnnnnnnnn !! »

◇ ◇ ◇

Elle tombait. Le vent grondait à ses oreilles, et elle avait l’impression qu’il tirait sur elle depuis l’intérieur de son propre corps.

Oh… C’est plus désagréable que ce à quoi je m’attendais, pensa Maria, qui semblait encore avoir les idées claires alors qu’elle tombait.

Depuis qu’elle était devenue impératrice, elle avait connu des moments difficiles. Certains soirs, elle s’endormait complètement épuisée. La pression était presque écrasante, et il y avait des jours où elle vomissait parce que les louanges et les critiques excessives rendaient les repas difficiles à garder. Il y avait même eu des moments où elle avait eu envie de se jeter du balcon de son bureau.

Cela dit, elle n’était jamais allée jusqu’à passer à l’acte, et elle apprenait donc pour la première fois à quel point l’expérience était désagréable.

Dans quelques instants, son corps s’écraserait sur le sol, l’éclaboussant de son sang rouge. Et pourtant, Maria y pensait comme si elle regardait quelqu’un d’autre vivre cette expérience. C’était probablement similaire à l’état mental dans lequel Souma s’était retrouvé pendant la guerre d’Amidonia. Elle avait compris son rôle et ne sentait plus le poids de la vie. Pourtant, le poids de la vie de Maria se rapprochait rapidement du sol.

« Même si j’ai échoué… J’ai fait ma part..., » murmura Maria en fermant les yeux.

« Je ne laisserai pas cela se produire ! »

Maria sentit un choc latéral. Elle ouvrit lentement les yeux, et vit le visage du roi Souma de Friedonia juste devant elle. Lorsque leurs regards se croisèrent, il y eut un soulagement momentané, qui se transforma rapidement en colère, et il frappa son front contre le sien.

« Aïe ! »

Après ce coup de tête, Maria s’attrapa le front alors que des larmes remplissaient ses yeux. C’est alors qu’elle réalisa qu’elle était bercée dans les bras de Souma et qu’ils étaient sur le dos d’une énorme créature noire. C’était probablement la reine dont elle avait entendu parler, Naden la ryuuu. Maria comprit que Souma avait utilisé un coup de tête parce que ses mains étaient occupées à la tenir.

« Ton saut n’était pas dans le script ! » déclara Souma en lui jetant un regard de colère et d’exaspération.

Maria le regarda avec une stupéfaction sans nom. « Oh… ! Je suis désolée. »

« Ah… Eh bien, tout s’est arrangé à la fin… Dieu merci. »

Lorsque Souma déclara cela, en se détendant en le faisant, Maria sentit enfin la peur de mourir. C’était étrange qu’elle ne l’ait pas ressentie en sautant, ni en tombant, mais maintenant qu’elle avait été sauvée de la mort.

Maria jeta ses bras autour du cou de Souma et se mit à pleurer : « J’ai eu tellement peur ! »

Lorsque ses véritables sentiments furent dévoilés, Souma soupira.

« Bien sûr… Naden, tu peux nous monter ? »

« Euh, oui. Bien reçu. »

Après avoir ordonné à Naden de monter, Souma déclara avec gentillesse à Maria : « Ça suffit comme ça. Je vais prendre le relais, comme nous l’avions prévu. »

« Oui… S’il te plaît, fais-le. »

Les larmes aux yeux, Maria enfouit son visage dans son épaule.

Souma la serra dans ses bras avec plus de force.

☆☆☆

Chapitre 8 : L’alliance maritime devient sérieuse

Partie 1

« Non… Ma sœur… » Jeanne tomba à genoux en voyant sa sœur sauter.

Le paysage derrière elle était familier à Jeanne : c’était le balcon du bureau de Maria. Connaissant l’emplacement et la hauteur du balcon, Jeanne était absolument certaine de la mort de sa sœur. Gunther, quant à lui, regardait toujours avec incrédulité.

« … Hein !? Qu’est-ce qu’il y a ? », souffla Gunther.

C’était une réaction étrange, et Jeanne, qui était devenue très pâle, leva les yeux vers lui.

« Messire Gunther ? »

« À l’instant, quelque chose de grand et de noir est passé dans la projection. »

« Quelque chose de… noir ? »

Jeanne regarda où Gunther pointa la boule d’eau. Elle montrait le ciel de Valois, maintenant que Maria n’était plus là. Et sur cette image, une créature noire et enroulée montait soudainement vers le ciel. Ses yeux s’écarquillèrent en voyant la silhouette — celle d’un dragon, mais différente de la normale.

Je sais ce que c’est, pensa-t-elle. Et si c’est… qui je pense que c’est...

Avant que sa tête ne trouve la réponse, quelqu’un sauta de l’arrière de la créature, sa cape noire se balançant dans le vent alors qu’il descendait vers le balcon. Maria, qui était tombée, se tenait dans ses bras.

« Sœur ! »

Jeanne se pencha sur le bord du mur de la forteresse sans le vouloir. Elle loucha sur l’image, mais elle ne vit aucune trace de blessure sur Maria. L’impératrice avait enroulé ses bras délicats autour du cou de son sauveur. Jeanne prononça un nom qu’elle connaissait très bien.

« Messire Souma… »

Le personnage affiché sur la projection était le roi Souma A. Elfrieden de Friedonia.

Il ajusta sa prise sur Maria avec un grognement, et elle resserra ses bras autour de son cou. Avec ce geste, tous ceux qui regardaient la projection comprirent que Maria avait survécu. Cette fois, une acclamation éclata du côté impérial, et ce fut au tour des forces du Royaume du Grand Tigre d’être silencieuses.

Puis, Souma s’adressa à l’impératrice qu’il tenait dans ses bras. « Fière et noble impératrice Maria, il est absolument faux de dire que l’époque dans laquelle nous vivons n’a pas besoin de vous ! J’en veux pour preuve que lorsque j’ai appris votre péril, j’ai traversé tout ce continent pour vous. »

Sa prestation était un peu théâtrale, mais cela avait pour effet de détendre et d’enchanter les gens de l’Empire qui l’observaient. Souma, qui n’avait pas pu voir leurs réactions, se retourna et s’adressa aux spectateurs.

« Écoutez-moi, ô soldats de l’Empire du Gran Chaos et du Royaume du Grand Tigre de Haan ! Nous, les trois nations de l’Alliance Maritime, avons entamé une intervention pour stopper l’invasion de l’Empire par le Royaume du Grand Tigre ! »

◇ ◇ ◇

« C’est donc ici que tu fais ton apparition, tortue lente ! »

Au même moment, Fuuga se trouvait dans le camp principal de l’armée qui encerclait Valois, fixant la projection. Malgré la dureté de son regard, sa voix était emplie de joie. Il était excité, comme s’il assistait à l’apogée d’un film.

Lumière, quant à elle, s’était montrée immédiatement choquée et en colère.

« Le roi de Friedonia !? » cria-t-elle. « Pourquoi est-il ici ? Pourquoi maintenant ? »

Oui, pourquoi maintenant… ? Fuuga avait l’impression que quelque chose ne tournait pas rond.

L’apparition de Souma semblait bien trop opportune. Il était apparu au moment où Maria avait sauté du balcon et il avait fait une entrée fracassante après l’avoir sauvée. Cette émission était diffusée dans tout l’Empire dans le cadre du plan d’Hashim. Les personnes qui aimaient Maria étaient probablement en train de pleurer de gratitude en ce moment même.

Pourtant, cela semblait un peu étrange à Fuuga. Si tout cela suivait le scénario de Souma, cela ne lui ressemblait pas. Même s’il avait prévu de la sauver, il n’aurait pas laissé Maria se jeter du balcon. Il aurait eu trop peur de ce qui se passerait s’il ne parvenait pas à la rattraper. Un homme prudent comme Souma ne l’aurait jamais laissée prendre un tel risque.

Cela signifie que ce script est celui de quelqu’un d’autre…

Peut-être que Hakuya, le Premier ministre à la robe noire, ou Julius, le nouveau venu, auraient proposé quelque chose de ce genre. Mais ils étaient les subordonnés de Souma. Même s’il était capable de déléguer les choses à ses camarades de confiance, Souma ne pouvait que rejeter un plan aussi risqué que celui-ci.

Eh bien, qui était-ce alors... se dit Fuuga. Soudain, les mots que Souma lui avait dit ce jour-là revinrent à Fuuga. « Êtes-vous sûr que vous ne prenez pas Maria Euphoria trop à la légère ? » Oh ! C’est donc ça ! J’ai compris maintenant !

Fuuga frappa le sol.

« Tu m’as bien eu, Maria Euphoria ! »

Fuuga regarda le ciel au-dessus de Valois et vit les parachutes des dratroopers qui tombaient s’ouvrir comme des fleurs. Ils avaient été transportés et largués par la cavalerie-wyverne. Les innombrables parachutes descendirent vers le château, flottant dans le vent comme du coton.

◇ ◇ ◇

« Argh… C’est terrible. »

Au même moment, dans le camp avant la forteresse de Jamona…

Hashim grinça amèrement des dents. Il était l’un des rares à avoir compris immédiatement la situation.

Gaten regarda Hashim avec méfiance.

« Pourquoi cet air sinistre, Monsieur le Conseiller ? » demanda Gaten. « Il ne semble pas s’être présenté avec autant de renforts… Le seigneur Fuuga ne va-t-il pas écraser Souma et ses troupes ? »

« Ce n’est pas si simple… » Hashim secoua la tête. « Souma a dit qu’il intervenait non seulement auprès de l’armée friedonienne, mais aussi auprès de l’Alliance maritime. Cela signifie que la République de Turgis et le Royaume de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes vont s’impliquer sérieusement. Il ne s’est présenté qu’avec un petit nombre de soldats, mais ceux qu’il a encore en réserve sont bien plus nombreux. Ils vont passer à l’action sur tout le continent et nous frapper de partout. »

« C’est… effrayant. » Gaten déglutit quand il comprit enfin ce que cela signifiait.

Il n’était pas difficile d’imaginer que les forces de Souma étaient déjà en mouvement dès son apparition. Hashim était certain que le Souma projeté là-bas ne tarderait pas à le dire. Car c’est ce qu’il ferait lui-même pour briser le moral des forces du Royaume du Grand Tigre.

Et, comme il l’avait prédit, la projection de Souma prit la parole.

« Ce que vous voyez ici n’est qu’une des pièces que j’ai jouées. J’ai laissé à Hakuya, le Premier ministre à la robe noire, le soin de déployer le reste des troupes du royaume. Je vais lui laisser le soin de vous expliquer la situation dans toutes les régions. Si vous avez l’intention de poursuivre cette guerre après avoir entendu tout cela, alors… Je vous affronterai avec tout ce que nous avons », affirma Souma, haut et fort.

◇ ◇ ◇

Au même moment, dans une ville fortifiée du sud de Zem…

« Qu’est-ce que c’est ? » cria l’un des mercenaires qui faisait le guet du haut des murailles sud.

Les montagnes qui délimitaient la frontière avec la République de Turgis semblaient se tortiller. De loin, on aurait dit que les arbres tombaient. Le soldat pensa à une avalanche, mais ce n’était pas la saison pour que la neige s’accumule, et les choses qui se tortillaient étaient brunes. Ce qui se passait était assurément anormal.

Il se dépêcha d’aller chercher un télescope et découvrit que la masse se tordant était constituée de milliers de numoths, un animal dressé comme bête de somme dans la République de Turgis.

« C’est la République ! La République arrive ! »

Au cri du mercenaire, les autres se précipitèrent.

La forteresse ne comptait plus que 8 000 hommes. La forteresse avait été construite comme premier mur de défense contre une attaque de la République. Même si quatre-vingts pour cent de leurs forces avaient été envoyées rejoindre celles de Fuuga, ils disposaient encore d’une garnison importante ici.

Pourtant, les forces de la République qui déferlaient semblaient encore plus nombreuses. S’il y avait des milliers de numoths, cela signifiait qu’il y avait des dizaines de milliers de soldats républicains à proximité.

Le commandant mercenaire de la ville fortifiée donna immédiatement l’ordre.

« Envoyez un messager au roi des mercenaires, Messire Moumei, qui accompagne les forces de Fuuga ! Nous ne sommes pas de taille face à une telle force, et il y a de fortes chances qu’ils frappent au plus profond de Zem ! Il doit revenir avant qu’il ne soit trop tard ! »

« Oui, monsieur ! »

Une fois l’ordre donné, le commandant mercenaire lança un regard vers les forces de la République.

« Nous n’aurons peut-être pas d’autre choix que d’abandonner cette ville. La République se bat bien dans la neige, mais elle ne sait pas tenir les territoires qu’elle capture. Si nous les obligeons à étendre leurs lignes de ravitaillement, ils seront plus faciles à frapper, et reprendre ce qu’ils ont pris sera plus simple. »

Alors que les mercenaires couraient dans tous les sens, le bruit du grondement augmenta progressivement.

Des milliers de numoths dévalaient les flancs des montagnes surplombant la ville forteresse. Il s’agissait de la cavalerie numoth, une catégorie de troupes équivalente aux éléphants de guerre de l’ancien monde de Souma. Ils avaient beaucoup plus de puissance pour percer l’ennemi que la cavalerie ordinaire, mais ils étaient plus petits et pouvaient faire des virages plus serrés que les rhinosaurus. En tant que créatures originaires d’une région glaciale, les numoths étaient capables de traverser la glace et la neige. Cependant, ils s’affaiblissaient au fur et à mesure qu’ils se déplaçaient vers le nord et que la température augmentait.

Ces numoths étaient accompagnés de 50 000 soldats hommes-bêtes appartenant aux cinq races des plaines enneigées. C’était l’ensemble des forces dont disposait Kuu Taisei, le chef de la République.

Kuu chevauchait un numoth à l’avant de la charge, criant à ses hommes.

« Ookyakya ! Très bien, nous sommes assez près pour que le son les atteigne ! Bande, donnons-leur un vrai spectacle ! »

Sur les ordres de Kuu, le groupe monté sur un howdah à l’arrière de l’un des numoths principaux commença à jouer de ses instruments. Ils ne se soucient guère de l’harmonie, se contentant de faire beaucoup de bruit.

Ils jouaient aussi fort qu’ils le pouvaient, afin de ne pas être noyés par le son des pattes de leurs numoths, afin de montrer la grandeur des forces de la République.

« Urgh... Ça me fait mal aux oreilles… »

La seconde épouse de Kuu, Leporina, qui l’accompagnait dans le même howdah, couvrit ses oreilles de lapin. Elle avait pu apporter des bouchons d’oreille, car Kuu l’avait informée à l’avance du plan, mais l’excellente ouïe de sa race rendait la cacophonie insupportable.

Kuu tint la tête de Leporina contre sa poitrine.

« Qu… ! Maître Kuu ? »

« Si je ne le fais pas, tu ne pourras pas m’entendre, n’est-ce pas ? »

« Ohh… »

Serrée contre elle, son mari lui chuchotant à l’oreille, Leporina devint rouge vif.

« Pourquoi flirtez-vous tous les deux alors que nous sommes en marche… ? » gémit Nike, l’air exaspéré.

Il avait sauté agilement sur leur numoth à un moment donné et était assis sur le bord de leur howdah. Leporina s’agita lorsqu’elle réalisa qu’ils étaient observés et essaya de se lever, mais Kuu ne la laissa pas partir.

Ricanant comme un singe, Kuu déclara alors : « Ça a l’air amusant, n’est-ce pas ? Pourquoi ne te trouves-tu pas toi aussi une femme ? »

« Oui, oui, je suis jaloux », dit Nike sans ambages. « Tu as aussi ton autre jolie femme Taru qui t’attend à la maison. »

 

 

Kuu sourit ironiquement. « Je suis étonné que tu puisses dire cela. J’ai entendu dire que tu étais encore plus populaire que moi auprès des femmes. Je parie que tu as plus de choix que tu ne sais quoi en faire, n’est-ce pas ? »

Nike était réputé pour être un jeune et beau lancier dans l’Union des Nations de l’Est, et de nombreuses femmes de différentes races l’avaient regardé avec affection depuis qu’il était arrivé dans la République. Kuu était devenu jaloux lorsqu’il l’avait remarqué, et ses femmes l’avaient réprimandé, Taru avec une fureur silencieuse et Leporina avec une leçon de morale avec les yeux pleins de larmes. Toutes deux avaient appris à garder leur homme sous leur coupe pendant leur séjour dans le royaume.

☆☆☆

Partie 2

« Je préfère être celui qui fait les offres, pas celui qui les reçoit », déclara Nike tout en haussant les épaules. « S’il y avait quelqu’un de bien tempéré et digne comme ma sœur Mutsumi, je pourrais bien m’en prendre à elle. »

C’était maintenant au tour de Kuu de regarder Nike avec consternation.

« Ils ont un mot pour les gens comme toi dans le monde du frangin, tu es un siscon. »

« Siscon ? Qu’est-ce que c’est ? Une sorte de titre ? »

« Tu sais quoi, laisse tomber… Plus important encore, tu sais ce que nous allons faire ensuite, n’est-ce pas ? » demanda Kuu, reprenant son calme de chef de la République.

Nike redevint sérieux tout en déclarant : « Oui. Nous continuons à les intimider à mesure que nous nous rapprochons de la ville, non ? En faisant tout ce qu’on peut pour les impressionner. »

« Oui. Zem a quelque chose comme 100 000 soldats au total, mais la plupart d’entre eux sont en train de soutenir Fuuga. Si l’on considère qu’ils doivent aussi avoir des troupes à la frontière avec Friedonia, même si cet endroit est l’une de leurs principales positions défensives, ils ne peuvent pas avoir laissé plus de 10 000 hommes là-bas. »

« Et c’est pourquoi nous pourrons les intimider — en donnant l’impression que nous pourrions les écraser facilement sous nos pieds tout en les laissant s’enfuir ? Si nos ennemis sont intelligents, ils reculeront probablement leurs lignes de défense pour concentrer leurs forces. »

« … C’est ça en gros. » Kuu laissa échapper un petit rire malicieux. « Frangin et son Premier ministre nous ont seulement ordonné de les intimider. Si l’ennemi là-bas dit à ses hommes qui soutiennent Fuuga que leur patrie est attaquée, ils deviendront nerveux et voudront rentrer chez eux. Ce sera notre mission accomplie. »

« Alors, est-il nécessaire de forcer l’attaque ? »

« Que veux-tu dire par là ? Si je fais tout ce chemin, il n’y a pas de problème à avoir une ville ou deux pour démontrer notre succès. »

Avec un sourire d’enfant, Kuu continua.

« Appelons Taru pour qu’elle transforme les villes que nous prenons en forteresses imprenables. Elle a toutes ces idées qu’elle a dû abandonner à cause de l’opposition qu’il y aurait si nous les faisions dans l’une des villes de la République. Mais une ville que nous avons prise à l’ennemi ? On peut la remodeler autant qu’on veut et ils ne pourront pas trop se plaindre. Cet endroit a aussi l’air d’avoir du potentiel pour l’agriculture… Oh, je sais ! Nous allons percer un tunnel à travers cette montagne et le relier à la République ! Ça facilitera l’entretien de nos lignes d’approvisionnement ! »

Les yeux de Nike s’écarquillèrent lorsqu’il réalisa que, malgré l’air innocent de son visage, Kuu réfléchissait constamment à la façon dont il gouvernerait la région après la guerre. Aussi insouciant qu’il puisse paraître, Kuu était digne d’être à la tête d’une nation, et Nike était désormais à son service.

« Je n’y vois pas d’inconvénient », répondit Nike en resserrant inconsciemment la poignée de sa lance. Il était trop fier pour que cela se voie sur son visage, aussi resta-t-il délibérément distant dans sa réponse. « Je sais que je préférerais être dans un endroit moins froid. Cette ville a l’air de faire l’affaire. »

« C’est sûr. Si les mercenaires qui défendent l’endroit font de la résistance, je compte sur toi pour nous montrer ce que tu sais faire. Faisons la course ensemble contre les murs et envoyons-les balader. »

« Vas-tu aussi au front, Maître Kuu ? Si tu ne te retiens pas un peu plus, Dame Taru va s’énerver, tu sais ? »

« Ookyakya ! Eh bien, garde ça secret pour elle ! »

Au milieu de leurs échanges amicaux…

« Bon sang ! Vous allez arrêter de parler comme si je n’étais pas là !? » protesta Leporina, toujours dans une position embarrassante.

◇ ◇ ◇

Au même moment, à l’extrémité est du Royaume du Grand Tigre, d’innombrables navires étaient apparus en pleine mer, à côté d’une ville portuaire sur la côte…

Ces navires de tailles diverses, tractés par des dragons de mer et des doldons cornus, appartenaient à la flotte du Royaume de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes. En réponse à l’évolution de la guerre navale, le Royaume de l’Archipel collaborait avec le Royaume de Friedonia pour compléter sa flotte de navires en bois et en fer par des cuirassés en acier comme l’Albert II. Ces nouveaux navires pouvaient transporter de gros canons et des lance-carreaux antiaériens à répétition.

D’ailleurs, Shabon avait dit à Souma : « Je voudrais un transporteur de type insulaire. Je paierai pour cela, alors pourriez-vous nous en donner un ? », mais sa demande fût rejetée. Cependant, Shabon avait appris à négocier avec Kuu, et était bien plus persévérante que Souma et les autres ne le pensaient. À cette fin, ils avaient convenu qu’une fois que suffisamment de nouveaux transporteurs seraient construits et qu’il serait temps de retirer les originaux, elle pourrait en avoir un. Shabon était en train de devenir une reine déterminée et têtue.

La reine Shabon, dragon à neuf têtes, se trouvait sur la passerelle du plus grand et du plus impressionnant des cuirassés de sa flotte, le Nouveau Roi Dragon.

« Ils sont bien trop sans défense… N’ont-ils jamais pensé que nous pourrions attaquer par la mer pendant l’absence de Sire Fuuga ? » demanda Shabon à Kishun, son consort royal et Premier ministre. Elle regardait les soldats de la ville portuaire courir dans tous les sens en réponse à l’arrivée de la flotte.

« Qui peut les blâmer ? » répondit Kishun. « Le peuple de Messire Fuuga est originaire des steppes, maître de la guerre sur terre. Ils n’ont jamais été attaqués par la mer, on ne peut donc pas s’attendre à ce qu’ils se méfient d’un tel événement. Je suis sûr qu’il a simplement laissé la tâche de gouverner cette ville portuaire à son ancien seigneur lorsqu’ils se sont soumis à lui. »

« Alors c’est bien comme Sire Souma nous l’a dit ? »

Au cours des deux dernières années, Souma avait expliqué à Shabon l’importance de la puissance maritime, ainsi que l’ignorance présumée de Fuuga à ce sujet. Cela signifiait que le seul pays de ce continent autre que le Royaume de Friedonia et le Royaume de l’Archipel à avoir une bonne compréhension de la puissance maritime était l’Empire du Gran Chaos. Et il l’avait expliqué à Shabon qui, de par la composition géographique de son pays, en comprenait le mieux l’importance et était capable de construire ses forces pour en tirer parti.

S’il avait gardé le secret, il aurait pu faire des forces navales du royaume une puissance inégalée par les autres pays, mais cela aurait entraîné des pressions et probablement la rupture de l’Alliance maritime. Si le Royaume de l’Archipel devenait hostile à son égard et commençait à se livrer à la piraterie, ce serait incroyablement difficile à gérer.

Au lieu de cela, Souma et Hakuya avaient décidé qu’il était préférable de lui expliquer dès le début et d’arranger les choses de manière à ce qu’ils en profitent tous les deux. Même si la flotte du Royaume n’était pas absolue, tant qu’ils disposaient de la flotte la plus puissante de l’Alliance maritime, ils pouvaient maintenir la paix en mer.

Shabon esquissa un sourire audacieux et royal. Après avoir donné naissance à deux enfants, elle développa une présence digne qui rivalisait avec celle de Juna ou d’Excel.

« Dans ce cas, nous devrons leur montrer ce que signifie se battre en mer. »

« En effet. » Kishun acquiesça. « Nous leur apprendrons qu’il est important de pouvoir prendre des décisions et d’y donner suite immédiatement. »

Shabon agita son bras en direction de la ville portuaire. « Comme prévu, notre première cible est la batterie d’artillerie du port. Notre deuxième cible est les navires militaires dans le port. Neutralisons-les avant qu’ils ne sortent. À tous les navires, ouvrez le feu. »

« Roger. À tous les navires, ouvrez le feu ! »

Boum ! Sur les ordres de Shabon et de Kishun, les canons du Nouveau Roi Dragon rugirent.

À ce signal, le reste de la flotte commença à bombarder le port avec ses canons, ses canons à chien-lion et ses autres armes à poudre. Les innombrables obus se heurtèrent tous à la batterie construite pour protéger l’entrée du port. Il ne s’agissait pas d’obus explosifs, mais d’obus à force cinétique pure, et il n’y avait donc pas de piliers de flammes ou de fumée.

Cependant, l’effondrement des bâtiments de la batterie d’artillerie montrait clairement qu’elle avait été neutralisée. C’est alors que les navires quittèrent le port, peut-être pour les intercepter, ou peut-être pour fuir.

« Beaucoup trop lents. Ils manquent de formation. »

Shabon ordonna à sa flotte de continuer à tirer, et le canon principal du Nouveau Roi Dragon rugit à nouveau. Son boulet frappa de plein fouet le plus grand cuirassé ennemi — probablement leur vaisseau amiral. Même à distance, ils pouvaient clairement voir son pont s’effondrer et tomber comme une tour en ruine.

 

 

« Excellent. » Shabon fit un signe de tête satisfait. « Nos artilleurs sont superbes. »

« En effet. Les nôtres ont bien plus d’expérience que les leurs, après tout… Maintenant, Lady Shabon. Le Premier ministre du royaume nous a demandé de “détruire les vaisseaux militaires de Fuuga”, et il s’attendait à ce qu’ils soient rassemblés ici, n’est-ce pas ? »

Hochant la tête, elle répondit : « Oui. Ainsi que la destruction de tous les navires de guerre en construction. Même s’ils ne comprennent pas la puissance maritime, messieurs Fuuga et Hashim ne verraient pas d’un bon œil que nous prenions le contrôle des mers. Ils devaient donc être en train de construire une flotte dans leur ville portuaire de la côte est. Nous avons reçu l’ordre de nous en emparer ou de la détruire. »

« Et ne devons-nous pas également prendre cette ville ? »

« Cela ne sert à rien. Ils ont un lien terrestre avec elle. Nous aurions du mal à la tenir lorsque Sire Fuuga reviendra », dit Shabon avec un haussement d’épaules avant de pointer vers l’ouest. « Plus important encore, cette ville est proche de la patrie de Sire Fuuga dans les steppes, alors maintenant que nous l’avons menacée… »

« Je vois. Cela devrait servir à secouer les vieux routiers parmi les forces de Fuuga. » Kishun laissa échapper un gémissement d’admiration. « Qu’allons-nous faire maintenant ? Leurs défenses sont neutralisées, si nous n’occupons la ville, devrions-nous au moins détruire leurs entrepôts ? »

« Non… Il ne serait pas judicieux de s’attirer les foudres des partisans de Sire Fuuga. Si nous n’attaquons que leurs installations militaires, la réaction émotionnelle des militaires et de la population civile sera différente. Les traiter de la même manière ne fera qu’unir notre ennemi. »

« C’est tout à fait vrai. »

« Il serait préférable de ne pas toucher à leurs réserves de nourriture, de peur que les gens ne meurent de faim. J’interdis également tout pillage visant les civils, bien entendu. Veillez à ce que tout le monde ait des ordres stricts à cet effet. »

« Oui, madame ! Ce sera fait. »

« Cependant… » Shabon tira la langue et sourit malicieusement. « Servons-nous des armes et des munitions qu’ils ont sans doute stockées ici. Si possible, j’aimerais aussi ramener les vaisseaux de guerre en construction, ainsi que ceux qui ont été neutralisés. Et aussi toutes les ressources qu’ils ont pour en construire d’autres. »

Kishun la regarda dans le vide pendant un moment avant de sourire ironiquement.

« Tu es devenue assez impitoyable… »

« Cela nuit-il à l’image que tu as de moi ? »

« Non, elle correspond parfaitement. »

« Hee hee, bien, alors. Je pense que nous aurons de beaux souvenirs pour Sharan et Sharon. »

« Viens-tu te dire que tu vas offrir des navires de guerre aux enfants… ? » Kishun haussa les épaules, exaspéré.

Leurs enfants, la princesse Sharan et le prince Sharon, étaient actuellement confiés à l’ancien roi dragon à neuf têtes, Shana, qui s’était vu confier la direction des îles jumelles. Ils avaient d’ailleurs tous deux souri ironiquement en voyant le visage sévère de l’ancien monarque s’adoucir et devenir un grand-père attentionné.

Shabon frappa dans ses mains et dit : « Maintenant, faisons comme une flotte de pirates, et servons-nous de tout ce que nous pouvons. »

Devenue reine et mère de deux enfants en bas âge, Shabon était devenue très fiable.

☆☆☆

Partie 3

Alors que l’État mercenaire de Zem et la ville portuaire de l’est du Royaume du Grand Tigre étaient plongés dans le chaos, une grande confusion régnait dans l’État pontifical orthodoxe lunarien…

Trente mille soldats de la Force de défense nationale de Friedonia étaient apparus à leur frontière. Les gens criaient et couraient dans tous les sens, terrorisés, et tous les signes de vie disparaissaient des villes et villages voisins. Tous étaient terrifiés par les forces du Royaume et ils s’étaient réfugiés dans la ville sainte de Yumuen.

Envahi par les nouveaux arrivants, Yumuen n’était plus en mesure d’envoyer à la frontière les défenseurs qu’il lui restait.

Pendant ce temps, la source de ce chaos — l’armée friedonienne composée de 30 000 soldats provenant principalement de la Force de Défense nationale — ne tentait pas de franchir la frontière. Ils n’avaient pas tiré le moindre éclair magique ou la moindre flèche sur le pays. Ils avaient agi comme s’ils « passaient par là » alors qu’ils se rassemblaient pour montrer leur puissance à l’État pontifical orthodoxe. Pourtant, ce qui terrifie le peuple — la véritable source de ce pandémonium — c’est le général à la tête de cette force.

Ils criaient son nom en courant.

« C’est Julius ! Julius est là ! »

« Le maudit prince Julius !? Il faut fuir, vite ! »

Tous, du simple citoyen au simple soldat, avaient été ébranlés par la nouvelle de son arrivée, et les choses avaient dégénéré à partir de là. Les gens avaient tout laissé tomber et s’étaient mis à courir comme des gens paniqués par la rencontre d’un ours dans les montagnes.

Avec une expression indescriptible sur le visage, Julius regardait cela se dérouler depuis le camp principal des forces du Royaume. C’était comme s’il avait mordu dans un aliment désagréable… mais avec un regard lointain comme s’il s’était résigné à quelque chose.

« Le peuple de l’État pontifical orthodoxe a terriblement peur de vous, Messire Julius », appela une voix enjouée venant de derrière lui.

Julius se retourna lentement pour voir Mio Carmine qui se tenait là, dans son armure. Étant donné qu’ils utilisaient principalement la Force nationale de défense terrestre, ils avaient fait appel à Mio et l’avaient désignée comme commandante en second de Julius.

D’ailleurs, lorsqu’elle avait reçu l’ordre, elle et son fiancé Colbert avaient eu cet échange :

« Enfin, une chance de servir à nouveau en tant que guerrière ! Il faut que je participe ! »

« Attends, Madame Mio ! Et le domaine des Carmines !? »

« Je te laisse le soin de le faire, Sire Bee, mon fiancé bien-aimé ! »

« Depuis quand “fiancé” signifie-t-il “esclave” ? »

« J’entends tout le temps des gens parler d’être esclave de l’amour ».

« Non, ce n’est pas très spirituel, d’accord ! »

Julius regardait Mio avec des yeux de poisson mort.

« Oh, c’est toi… Lady Mio. »

« Mince ! Tu as l’air encore plus mort à l’intérieur que d’habitude. Qu’est-ce qui s’est passé ? »

« Oh, ce n’est rien. Je me rends juste compte à quel point ça fait mal de se ramasser en pleine figure des trucs du temps où j’étais moins expérimenté… » Julius soupira et regarda en direction de l’État pontifical orthodoxe lunarien. « C’était après avoir succédé à mon défunt père sur le trône d’Amidonia… J’ai réprimé sans pitié les croyants que l’État pontifical orthodoxe poussait à la rébellion contre moi. Mon infamie a dû faire son chemin jusqu’à l’État pontifical orthodoxe proprement dit. »

« Ah… Oui, ça expliquerait leur peur. » Mio frappa ses mains l’une contre l’autre en faisant le rapprochement.

Julius soupira. « Je pensais que c’était ma seule option à l’époque, et je ne pense toujours pas m’être trompé, mais… ensuite, le visage de Tia défile dans mon esprit. Je l’imagine attristée par le sang de tous ceux que j’ai piétinés. »

« Peut-être… Mais elle n’est pas aussi simple que ça, n’est-ce pas ? » Avec un sourire délibéré, Mio tapota Julius dans le dos. « Tia a l’air innocente, mais elle a la tête sur les épaules. Même si elle a appris ta mauvaise réputation, elle a la capacité de l’accepter et de la garder près de son cœur. Elle ne va pas rester assise à être triste. »

« Lady Mio… Héhé. » Julius finit par se fendre d’un sourire. « Je n’aurais jamais pensé qu’une fille de la maison Carmine me dirait cela… Quand je pense que je me suis battu contre eux dans le passé. »

« Eh bien, nous, les militaires, devons prendre le bon avec le mauvais. C’est ce que mon père m’a toujours dit. Si tu avais laissé les rebelles agir à leur guise, quelqu’un d’autre aurait été blessé à leur place, alors on ne peut pas dire que tes actions étaient toutes mauvaises. Et, écoute. Grâce à ton infâme réputation, nous avons pu remuer l’État pontifical orthodoxe sans combattre. »

« En utilisant tout ce qu’il a, y compris ma mauvaise réputation… Le Premier ministre a de vilaines idées. »

 

 

C’est Hakuya qui avait ordonné à Julius de conduire 30 000 soldats à la frontière avec l’État pontifical orthodoxe. Compte tenu de la répression qu’il avait exercée par le passé sur les croyants, Hakuya avait jugé que cela suffirait à les ébranler, et c’est la raison pour laquelle il avait donné l’ordre ferme de ne pas faire franchir la frontière aux troupes. Parce qu’il n’était pas nécessaire d’envahir, tout le monde — à l’exception de Julius et d’un certain nombre de soldats comme Mio qui avaient été envoyés pour le protéger — ils n’étaient que de faibles troupes qui auraient tout aussi bien pu être des silhouettes en carton. Mio le regarda d’un air perplexe.

« Mais es-tu sûr que nous ne devrions pas y aller ? Le plan prévoit que la République attaque par le sud, le Royaume de l’Archipel par l’est et nous par le sud-est. Pendant ce temps, Sa Majesté dirige une unité pour rejoindre l’Empire à l’ouest, n’est-ce pas ? Si les quatre volets de notre attaque étaient sérieux, les forces de Fuuga ne tomberaient-elles pas en lambeaux ? »

« Cela se terminerait en un bourbier sans nom… » répondit Julius en croisant les bras d’un air pensif. « Si l’Alliance maritime lançait une attaque sérieuse au moment où Fuuga s’apprête à détruire l’Empire, nous pourrions sans doute lui porter un coup paralysant. Cependant, si nous faisions cela, les partisans de Fuuga en voudraient profondément à Souma. Ils le verraient comme la pire des personnes, épousant la sœur de Fuuga d’une part, puis entravant activement le rêve de son beau-frère d’autre part. »

« C’est une interprétation plutôt égoïste, surtout quand ils sont allés détruire eux-mêmes les rêves de Madame Maria. »

« Eh bien, c’est ainsi que les gens sont. Fuuga et Hashim feraient sans doute beaucoup de bruit pour dire à quel point le royaume a été injuste avec eux. Et à partir de là, ça se transformerait en bourbier — une guerre sans fin qui durerait jusqu’à ce qu’une faction ou l’autre soit détruite. Bien que Hashim ait probablement détourné toutes ses forces vers l’Empire en supposant que Souma ne ferait jamais quelque chose d’aussi stupide… »

« Je vois… » Julius laissa échapper un soupir.

« C’est probablement là que le véritable défi commence pour le Premier ministre à la robe noire. »

◇ ◇ ◇

« Ce dont nous avons besoin dans cette guerre, ce n’est pas la victoire. En fait, ce serait inutile. »

À ce moment-là, le Premier ministre Hakuya se trouvait dans le château de Parnam, devant une carte du continent, et expliquait sa stratégie à Tomoe, Ichiha et Yuriga. « Si nous empêchons Sire Fuuga de conquérir l’Empire tout en lui portant un coup majeur, cela nous vaudra l’inimitié de ceux qui le vénèrent. Une fois que cela sera arrivé, même si nous prenons une ville, elle ne sera pas stable, et Sire Fuuga pourra facilement se montrer pour la reprendre. Et pour empêcher Sire Fuuga de nous envahir, l’Alliance maritime devra constamment envoyer des troupes dans les zones où Sire Fuuga ne se trouve pas, le forçant ainsi à les reprendre à plusieurs reprises dans un jeu de tac-tac. »

Cela ressemblait presque aux dernières étapes de la période des trois royaumes en Chine. Pour éviter d’être détruits par les Wei, plus peuplés et plus puissants, Shu et Wu les avaient attaqués à tour de rôle, les obligeant à répartir leurs forces entre l’est et l’ouest. Certains pensent que c’est pour cette raison que Zhuge Liang et Jiang Wei avaient poursuivi les expéditions du Nord malgré le peu de force de Shu en tant que nation.

« Ce serait un bourbier. L’époque s’arrêterait, et toutes les factions seraient épuisées. Si une vague démoniaque venait alors du domaine du Seigneur-Démon, aucun de nos pays ne pourrait s’en remettre. Il serait impossible pour nos nations épuisées d’absorber les nouvelles vagues de réfugiés tout en menant une guerre défensive. Nous devons donner aux gens… l’impression que Sire Fuuga a gagné. »

« Est-ce pour cela que vous ne leur avez pas ordonné de prendre une seule ville, n’est-ce pas, monsieur Hakuya ? » demanda Ichiha.

« Exactement », répondit Hakuya en hochant la tête. « C’est peut-être bien de prendre une ville, mais si nous en atteignons d’autres, cela donnera l’impression que nous avons été victorieux face à Sire Fuuga. Ce que nous cherchons, c’est à donner aux forces de Fuuga une victoire à la Pyrrhus. L’équivalent de sa victoire par décision. »

Hakuya pointa du doigt l’empire sur la carte.

« Ce que le royaume du Grand Tigre veut maintenant plus que tout, ce sont les bureaucrates de l’Empire. Ce sont les gens qui savent comment diriger une grande nation. S’il peut mettre la main sur eux, les vastes terres de l’Empire ne seront qu’un bonus supplémentaire. C’est pourquoi je m’attends à ce qu’il utilise un initié pour prendre rapidement d’assaut la capitale impériale et forcer Madame Maria à se rendre. En fait, ce serait un problème pour lui si Madame Maria mourait. Si cela devait arriver, il invoquerait la colère de ses partisans et l’Empire nouvellement acquis serait indiscipliné, ce qui l’empêcherait d’affecter ses nouveaux administrateurs à des postes dans le Royaume du Grand Tigre. Il voudra prendre les citoyens de la capitale en otage pour forcer Madame Maria à se rendre. Cependant, tous ceux qui connaissent Madame Maria savent que c’est un vœu pieux. Parce qu’elle est du genre à choisir sa propre mort plutôt que de se rendre si elle pense que c’est ce qu’il y a de mieux pour le peuple de l’Empire. »

« C’est aussi ce qu’a dit le grand frère », interrompit Tomoe. « Il a dit que c’est le genre d’individu qu’elle est ».

Hakuya acquiesça. « Oui. Si cela arrive, Sire Fuuga et son peuple ne pourront pas obtenir ce qu’ils veulent. Le royaume du Grand Tigre et l’Empire seront tous deux lésés, et personne n’en tirera profit. »

« Oui. C’est pourquoi j’ai décidé de coopérer avec Sire Souma », dit Yuriga en croisant les bras et en se grattant la joue. « J’ai dit à mon frère : “Si je dois épouser Sire Souma, je dois faire passer les intérêts du Royaume en premier”, mais je ne veux pas qu’un des deux pays en pâtisse. Je veux faire tout ce que je peux pour que les deux parties en profitent. Cela dit, après avoir écouté monsieur Hakuya, je pense que mon frère ne devrait pas détruire complètement l’Empire tout de suite. »

« Yuriga… Es-tu d’accord avec ça ? » Tomoe demanda, inquiète, mais Yuriga acquiesça.

« Mon frère a besoin d’apprendre. Il y a des choses qu’on ne peut pas obtenir en gagnant tout le temps. »

« Il se peut que nous ayons intérêt à ce que leurs deux pays s’effondrent… Avec l’Empire détruit et les graines de l’agitation semées dans le royaume du Grand Tigre, cela servirait à élever l’importance de l’Alliance maritime. »

Lorsque Hakuya déclara cela, Tomoe cligna des yeux.

« Non… ! Nous abandonnerions alors Maria et Jeanne. Toi et Grand Frère avez été amis avec elles pendant tout ce temps, n’est-ce pas ? »

« C’est vrai. Mais même en tant que Premier ministre, il arrive que je sois poussé à prendre de telles décisions. Madame Jeanne le comprend. C’est sans doute pour cela qu’elle m’a dit que je n’avais pas à me fatiguer pour elle. Je… n’ai pas trouvé le moyen de sauver l’Empire dans son état actuel. Ceci étant, je ne peux pas faire passer mes propres sentiments en premier et envoyer notre peuple intervenir dans une guerre à cause de mon affection personnelle pour elle. »

« Monsieur Hakuya… »

En voyant l’air peiné sur le visage de Tomoe, Hakuya sourit soudainement.

« Mais un mot de Sa Majesté a complètement changé les conditions ».

Le jour où Jeanne avait rejeté son aide…

« Il est impossible de protéger ce pays et de maintenir l’Empire. Si nous essayons imprudemment de défendre les deux, cela se transformera en bourbier. J’ai beau y réfléchir… je n’arrive pas à trouver la réponse que je souhaite. »

Alors qu’Hakuya baisse la tête, Souma lui dit ceci : « Il n’est pas nécessaire de garder l’Empire parfaitement intact. Maria veut que l’Empire rétrécisse. »

En entendant cela, Hakuya releva la tête, les yeux écarquillés de surprise. Souma poursuit.

« Maria est épuisée par la situation actuelle où elle est la seule personne à soutenir un empire bien trop massif. Pendant tout ce temps, elle a voulu trouver un moyen de le démanteler pacifiquement. Elle s’est ouverte à moi à ce sujet lors de notre rencontre à Zem. »

« Je n’arrive pas à croire que la Sainte de l’Empire puisse dire ça… »

« Écoute, Hakuya. Tu as dit qu’il était impossible de maintenir l’Empire, mais s’il n’y a pas besoin de le faire, alors nous pouvons choisir un avenir un peu meilleur, non ? Après tout, nous avons Fuuga, qui veut plus de terres et de gens, et Maria, qui veut se débarrasser de certaines terres et de certains gens. Je parie que tu pourrais trouver un moyen d’arranger les choses de façon à sauver Maria et Jeanne, n’est-ce pas ? »

Puis, se déplaçant à un autre endroit et lui montrant les préparatifs qu’il avait faits, Souma déclara ceci à Hakuya : « Je veux que tu utilises ta tête pour concevoir un avenir optimal pour nous ».

☆☆☆

Après deux ans de dur labeur

Partie 1

Souma posa Maria et regarda en direction des téléspectateurs.

« Voici la situation sur tous les fronts. À l’heure où je vous parle, 150 000 soldats du royaume de Friedonia débarquent dans le port occidental de l’Empire. Avec le réseau de transport de l’Empire et la capacité d’expédition de ma propre nation, ils se seront rassemblés à la capitale impériale dans environ deux jours. Si vous insistez pour continuer cette guerre, alors comme je l’ai déjà dit, nous vous affronterons. Réfléchissez bien à cela avant de prendre votre décision. »

À la suite de ses paroles, l’image de Souma disparut. Par cette diffusion, Souma avait informé tout l’empire de la situation actuelle de la guerre. Les partisans de Maria applaudissaient à chacun de ses propos, tandis que les partisans de Fuuga étaient envahis par un sentiment de frustration. Et plus que ces deux groupes, il y avait ceux qui doutaient que cela puisse vraiment se produire dans tout l’Empire. Cependant, ceux qui connaissaient le genre d’individu qu’était Souma, le genre de nation qu’était devenu le royaume de Friedonia et ce que signifiait exactement l’Alliance maritime, pouvaient dire qu’il disait la vérité.

Devant la forteresse de Jamona, Hashim grinçait des dents.

« À croire… qu’il s’impliquerait autant dans cette histoire… »

« Qu’est-ce qu’on fait ? Les soldats de Zem et de l’État orthodoxe papal exigent que nous les laissions rentrer chez eux. »

Hashim avait reniflé à la question de Gaten.

« Laisse partir ceux qui souhaitent rentrer chez eux. Tant que nous ne baissons pas la garde, nous pouvons affronter la forteresse de Jamona avec les seules forces du royaume du Grand Tigre. S’ils veulent battre en retraite sans permission, alors nous pourrons leur en faire porter la responsabilité après la guerre. »

Voyant le sourire en coin d’Hashim, Gaten pencha la tête sur le côté.

« Après la guerre… ? Est-ce bien de commencer à y penser déjà ? »

« Cette guerre se termine ici… Par excès de prudence, le seigneur Fuuga et moi avons discuté de ce qu’il fallait faire si l’Alliance maritime se présentait. Je doute que Souma ou le Premier ministre à la robe noire veuillent se lancer dans une guerre sérieuse avec nous. Il n’y aura rien de plus que des escarmouches mineures. »

« Hmm… Si vous le dites, alors je suis sûr que vous avez raison », dit Gaten en haussant les épaules. Hashim lança un regard en direction des camps de Zem et de l’État papal orthodoxe.

« Le seigneur Fuuga a décrit Souma comme une tortue montagneuse avec d’innombrables serpents en guise de queue. J’ai aussi pensé que c’était un monstre, mais c’est le destin d’un monstre d’être tué par un grand homme. J’étais sûr que le seigneur Fuuga terrasserait facilement Souma, mais… aussi grand que soit le seigneur Fuuga, il ne peut pas le faire avec une coalition hétéroclite de racailles. Ce n’est qu’une fois qu’il sera lui-même capable de bouger toutes les parties de notre corps national qu’il pourra vraiment devenir un grand homme. »

En voyant le sourire intrépide sur le visage d’Hashim, Gaten comprit qu’il allait bientôt pleuvoir du sang dans l’État papal orthodoxe et à Zem. Cette prise de conscience lui fit passer un frisson inhabituel dans le dos.

◇ ◇ ◇

Pendant ce temps, dans le camp de Fuuga à l’extérieur de Valois…

« C’est la fin de cette guerre… » se murmura Fuuga. À ces mots, les yeux de Lumière s’écarquillèrent.

« Pourquoi ? Si c’est comme l’a dit le roi Souma, il nous reste deux jours avant que les forces friedoniennes n’arrivent ici ! Même avec les troupes supplémentaires qui viennent de tomber à Valois, ce n’est pas un changement significatif ! Si nous attaquons avec les forces dont nous disposons, nous pouvons abattre Maria et Souma en un seul coup ! »

« Ce n’est pas la question, » dit Fuuga en se grattant la tête tandis que Lumiere fulminait. « Souma est loin d’être téméraire ou hasardeux. Contrairement à moi, il n’aime pas vivre à la limite de la vie et de la mort. Si Souma lui-même est ici, c’est qu’il a une chance de nous battre. Une qui est suffisamment bonne pour qu’il ne soit pas facile de la renverser. »

« Malgré tout… »

« En plus, à ce qu’il paraît, si on recule maintenant, Souma va nous laisser repartir avec une victoire. »

« Hein ? »

« Madame Lumiere, essayez de vous souvenir de ce qu’a dit Sire Souma, » commença à expliquer Mutsumi tandis que Lumiere les fixait d’un regard vide. « Sire Souma a dit que si nous continuions la guerre, il s’en prendrait à nous. Cela signifie qu’il ne veut qu’une cessation des hostilités — et non pas que nous nous retirions complètement de l’Empire. En d’autres termes, nous pouvons garder les territoires que nous avons déjà pris. Nous aurons quand même vaincu l’Empire. Cependant, si nous continuons à nous battre, nous sommes confrontés à un pari tout ou rien contre Sire Souma. »

« Et qu’est-ce qu’il y a de mal à cela !? Pourquoi êtes-vous si prudent ? Ça ne vous ressemble pas, Sire Fuuga ! »

Malgré les paroles passionnées de Lumiere, Fuuga se contenta de rire avec une pointe d’autodérision.

« Être un peu prudent, c’est juste ce qu’il faut. Contre un adversaire comme Souma, en tout cas. Il n’est pas si facile que je veuille l’affronter en même temps que Maria. »

Lumiere ne pouvait pas accepter cela et rétorqua : « Alors, attaquez avec seulement les forces de l’Empire qui se sont soumises à vous ! Nous prendrons la capitale tout seuls ! »

« Madame Lumière ! » Mutsumi s’apprêtait à la réprimander, mais Fuuga leva la main pour que Mutsumi s’arrête.

« Je n’y vois pas d’inconvénient. Laissez-les essayer. »

« Qu’est-ce qu’il y a ? Seigneur Fuuga !? »

« Merci. » Lumiere le salua avant de s’éloigner.

Mutsumi fixa le visage de Fuuga. « Est-ce que ça va vraiment… ? Ils ne peuvent probablement pas gagner. »

« Je parie que non. » Fuuga croisa les bras et gloussa. « Considère ça comme une leçon. Les gars qui se sont rendus pourraient apprendre à quel point il est difficile de se battre contre Souma. Je suis sûr qu’un peu de douleur leur permettra de mieux écouter plus tard. »

« Oui, tu as raison… Et le fait qu’ils attaquent la capitale impériale rendra plus difficile leur retour dans l’Empire plus tard… c’est ce que dirait sûrement Grand Frère Hashim. »

« Ha ha ha, sans aucun doute… Et d’ailleurs… » dit Fuuga en caressant sa courte barbichette tout en regardant vers Valois. « J’ai un peu envie de voir ce que Souma va faire. Il a sûrement un truc secret auquel on ne penserait jamais. On se détend un peu et on profite du spectacle. »

En attendant…

« Heh heh heh… »

Krahe, qui s’était tenu prêt avec ses forces personnelles, tremblait de joie.

« Ha ha ha… Ah ha ha ha ha ! »

Au début, il s’était retenu de rire, mais finalement, il atteignit ses limites et éclata d’un rire franc.

« Je… J’ai reçu un signe des cieux ! »

Krahe brandit ses poings en l’air en criant.

« Je savais que j’avais raison ! C’est mon rôle ! En devenant l’ennemi de Maria, je lui ai rendu son rayonnement de sainte ! L’amour des cieux lui est revenu ! Vous avez vu, les hommes ! Mes amis amoureux et admirateurs de Lady Maria ! Elle s’est jetée du haut du balcon ! Normalement, elle aurait dû s’écraser contre le sol en contrebas, une fleur sanglante s’épanouissant à l’endroit où elle a frappé ! Mais Lady Maria n’est pas morte ! Le roi Souma est arrivé sur son dragon noir pour la sauver ! »

Les yeux de Krahe brillaient d’extase et de folie.

« Le roi Souma est un serviteur divin, envoyé par le ciel pour sauver Lady Maria ! Son salut ici est la preuve qu’elle est une véritable sainte ! Et c’est nous qui l’y avons conduite ! Nous qui nous tenons ici comme ses ennemis ! C’est parce que nous nous sommes opposés à Lady Maria qu’elle a pu briller en tant que sainte ! Nous sommes les ennemis de la sainte ! Nous nous sommes opposés à elle comme le Seigneur-Démon et, ce faisant, nous avons fait apparaître une sainte et une héroïne sur cette terre ! Nous avons joué un rôle véritablement céleste ! »

Krahe dégaina sa rapière et la pointa vers Valois.

« Maintenant, mon cœur est dégagé ! Avec ce signe des cieux, j’affronterai la sainte comme son ennemi de toutes mes forces ! Plus mon mal sera grand, plus Lady Maria brillera ! Quelle plus grande joie pourrait-il y avoir ! »

Au moment où il disait cela, un messager accourut vers lui.

« J’ai un message ! Madame Lumiere dit d’attaquer la capitale ! »

« Ce sera fait ! »

Sur cette réponse, Krahe bondit sur le dos de son griffon.

Debout devant ses troupes personnelles, il leva sa rapière au-dessus de sa tête et cria : « Maintenant, battons-nous ! Jusqu’à la fin de nos vies ! »

☆☆☆

Partie 2

« Tu as admirablement fait ton travail, Piltory », déclarai-je à Piltory Saracen, mon ambassadeur auprès de l’Empire, à la suite de l’allocution radiodiffusée depuis le balcon du château de Valois. C’est lui qui dirigeait les mages qui contrôlaient le joyau de diffusion depuis le début de l’émission de Maria. Un détail aussi fin illustrait vraiment à quel point tout cela était planifié entre le Royaume et l’Empire. J’avais pu arrêter la chute de Maria parce que j’étais déjà à portée de main.

« Tu es resté dans la capitale impériale, travaillant alors même que les feux de la guerre approchaient. Je t’en remercie. »

Lorsque je lui avais dit cela, Piltory joignit les mains devant sa poitrine et s’inclina.

« Non, je n’ai fait que mon devoir de sujet. Comme aucun ordre de retour n’était arrivé, j’étais certain que vous défendriez la capitale impériale, Messire. »

« Merci… Je suis heureux que tu aies cru en moi. »

J’avais regardé Maria, que je venais de sauver. Mon sourire présentait une pointe de colère.

« N’est-ce pas, madame Maria ? »

« C-C’est vrai… »

« Pourquoi as-tu sauté ? Cela ne faisait pas partie du plan. »

« Euh… Quand j’étais debout là-bas, je me suis retrouvée submergée par mes émotions…, » Maria laissa échapper un rire troublé. « Et c’est ainsi que beaucoup de mes vassaux m’ont quittée, notamment Lumière et Krahe. Mon nom de sainte de l’empire est ruiné à présent. Cela ne me manquera pas, mais si je voulais réconforter et unir ceux qui ont quand même décidé de rester avec moi, j’avais besoin d’un peu de cette aura divine — comme de survivre miraculeusement contre toute attente. »

« Oh-hoh… Était-ce donc une comédie ? »

« Oui…, » marmonna-t-elle en détournant les yeux.

J’avais posé mes mains sur ses épaules et je lui avais souri doucement.

« Hum ? Monsieur Souma ? » L’expression de Maria se figea.

Je l’avais regardée dans les yeux, j’avais tiré la tête en arrière et… Bonk !

« Aïe ! »

Je lui avais donné un bon coup de tête.

Maria se tenait le front meurtri et ses yeux se mirent à pleurer. « Aïe, ça fait mal. Tu es affreux. »

« Hmph, c’est ce qui arrive aux menteurs ! » déclarai-je, ma voix s’élevant sous le coup de la colère. Je ne pouvais pas me retenir en ce moment. « Ne me raconte pas de conneries après avoir eu l’air de ne pas avoir le moindre souci pour ta propre vie ! Si je n’étais pas arrivée à temps, ça ne t’aurait pas dérangé ! Ta vie aurait mis fin à la guerre, et tu aurais été libérée de tes responsabilités d’impératrice ! »

« Argh… Tu me comprends bien… »

« Je suis moi-même passé par là à plusieurs reprises. »

Être obligé de jouer un rôle de par ma position, puis que ce rôle prenne le contrôle de moi. J’en avais fait l’expérience à plusieurs reprises. Cela avait déjà failli tuer mon cœur.

« Tu l’as toi-même dit, n’est-ce pas ? “Je veux être une personne, et je veux être aimée en tant que personne !”. »

« Ah… ! »

Maria en avait déjà parlé dans le passé.

« Je suis peut-être une impératrice, mais je ne suis encore qu’un être humain. Au lieu d’être adorée comme une sainte, je veux rester un individu, et être aimée comme une personne. »

C’était une déclaration selon laquelle elle ne fuirait pas dans son rôle d’impératrice et ne perdrait pas son humanité.

« As-tu la moindre idée du nombre de personnes qui seraient affligées si tu venais à mourir ? Toi qui as vécu en tant que personne et qui es aimée en tant que personne. Bien sûr, les gens qui te vénèrent comme une sainte peuvent penser que de finir en martyre ne fera que te rendre encore plus sainte, mais ceux d’entre nous qui t’aiment en tant que personne — ceux que tu as aimés en tant que personnes — ne voudraient jamais cela pour toi ! »

De grosses larmes coulèrent des yeux de Maria. Sans avoir le temps de laisser sortir sa voix ou le besoin de réfléchir à la raison de sa tristesse, les larmes débordèrent d’une partie naturelle et inconsciente de son être. Maria elle-même fut visiblement surprise lorsqu’elle remarqua qu’elles coulaient sur ses joues.

« Hein ? C’est étrange… Pourquoi ne s’arrêtent-elles pas… ? »

Maria les essuya plusieurs fois, mais le flux ne s’arrêtait pas.

Ses canaux lacrymaux étaient ouverts maintenant, après avoir été maintenus fermés par la force de sa volonté pendant si longtemps. Comprenant l’ampleur du fardeau qu’elle portait, j’avais renouvelé ma décision de l’assumer avec elle à partir de maintenant. Évidemment, je n’étais pas moi-même très fort, mais j’impliquerais aussi mes amis et ma famille, et nous le porterions tous ensemble.

« Souma ! Les traîtres des forces impériales sont en mouvement ! » rapporta Hal, tombant des cieux depuis le dos de Ruby, le dragon rouge. Ils étaient également venus à la capitale.

Hal et ses hommes, les dratroopers, surveillaient la réaction des forces du royaume du Grand Tigre.

J’avais pensé qu’en montrant ma confiance, les instincts sauvages de Fuuga percevraient le danger et qu’il n’attaquerait pas, mais on dirait que ce sont les chevaliers du nord et les nobles de l’Empire qui ont agi. Ou peut-être les avait-il laissés faire pour voir ce que nous ferions.

« Alors nous répondrons simplement à leur attaque comme prévu. Madame Maria. »

« Oui. »

« Je sais que je t’ai envoyé les instructions par l’intermédiaire de Piltory, mais as-tu pu préparer les choses que j’avais demandées ? »

« Bien sûr…, » Maria répondit en reniflant. Elle essuya les larmes qui coulaient de ses yeux et me regarda droit dans les yeux. « Quand le tremblement de terre et l’éruption se sont produits dans le nord, j’ai fait placer “les choses que tu as envoyées avec les secours” là où tu me l’as demandé. Elles sont prêtes à être utilisées à tout moment. »

« D’accord. »

J’avais acquiescé, puis je m’étais adressé à toutes les personnes présentes.

« Alors maintenant, montrons à Fuuga et à son peuple ce que nous avons. Le fruit de deux années de recherche. »

 

◇ ◇ ◇

 

Lumiere envoya des forces aux portes nord, sud, est et ouest de la ville afin d’attaquer Valois. Comme le royaume de Friedonia n’avait envoyé qu’un petit nombre de renforts et que les forces de Fuuga étaient encore beaucoup plus nombreuses que les défenseurs, elle pensait qu’une attaque venant de quatre directions prendrait facilement la ville.

Alors que les quatre armées étaient en position et que leur attaque était imminente, le bruit d’un coup de canon se fit entendre à l’intérieur de Valois.

Boum ! Boum ! Boum !

Lumiere et ses hommes se préparèrent à recevoir des tirs, mais les sons étaient trop sporadiques pour qu’il s’agisse de cela. On ne voyait pas non plus de fumée s’élever vers les quatre directions.

« Qu’est-ce… qu’est-ce que c’était que ça ? »

Alors que Lumiere s’interrogeait, un messager se précipita vers elle.

« J’ai un rapport ! Quelque chose tombe lentement en provenance de Valois ! » relaya le messager.

Lumiere regarda à travers un télescope et vit quelque chose voler depuis la capitale, avant qu’un parachute ne s’ouvre au-dessus de lui en plein vol et qu’il ne commence à voltiger jusqu’au sol.

Elle le reconnut comme similaire à l’équipement que le royaume de Friedonia avait utilisé pour amener des soldats dans la capitale. Cette fois, cependant, le parachute ne transportait pas une personne, mais un objet cristallin entouré d’objets métalliques.

« Qu’est-ce que c’est… ? Eh bien, cela n’a que peu d’importance. Dites-leur d’abattre immédiatement ce que c’est ! »

« Oui, madame ! »

Sur les ordres de Lumiere, les mages allaient attaquer… du moins, c’est ce qu’elle pensait. Cependant, contrairement à ses attentes, aucune attaque ne toucha l’objet mystérieux.

Que font les mages ? pensa-t-elle.

Alors que Lumiere la regardait avec une irritation croissante, le même messager que précédemment accourut précipitamment vers elle.

« Dame Lumiere ! »

« Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi n’ont-ils pas commencé l’attaque !? »

« J’ai un rapport ! Ils ne peuvent pas utiliser la magie ! Pas seulement les mages, mais tous nos soldats ! »

« Quoi ? Comment une chose aussi absurde a-t-elle pu se produire !? »

Incrédule, Lumiere tenta d’utiliser sa propre magie du vent. Cependant, alors qu’elle avait l’impression que sa puissance était aspirée, elle ne parvenait pas à créer ne serait-ce qu’une légère brise.

« Non… ce n’est pas possible ! »

« Madame Lumiere. Les choses se sont un peu gâtées. »

Alors que Lumiere se remettait de son choc, Krahe s’approcha.

« Qu’y a-t-il, monsieur Krahe ? Retournez à votre poste ! »

« Les griffons sont agités depuis l’apparition de cet objet. Comme s’ils voulaient décoller, mais n’y arrivaient pas. Nous ne pouvons pas utiliser notre force aérienne comme ça. »

« Non… ! Est-ce que ça pourrait avoir un rapport avec le fait que la magie ne fonctionne plus ? »

S’agit-il d’une attaque non identifiée du royaume de Friedonia ? Au moment où cette pensée lui vint à l’esprit, Lumiere se souvint de ce que Fuuga lui avait dit.

« Être un peu prudent, c’est ce qu’il faut. Contre un adversaire comme Souma, en tout cas. Il n’est pas si facile que je veuille l’affronter en même temps que Maria. »

Est-ce que c’est de cela que parlait Sire Fuuga… ? Comprenant enfin ce qu’il voulait dire, Lumiere grinça des dents de frustration. Elle n’avait pas prévu de se rendre sur un champ de bataille où toute magie était complètement hermétique.

Son bon sens lui disait que c’était impossible. Cependant, ce dont elle était témoin défiait le bon sens. C’est ce que Lumiere, qui avait l’esprit plus vif que la plupart des gens, considéra.

« Il est probable que l’objet fasse obstacle à notre utilisation de la magie. Mais ils ne devraient pas pouvoir bloquer notre magie tout en étant capables d’utiliser la leur. Nous devrions donc supposer que cette chose rend toute magie inutilisable. Il nous a perturbés, mais les conditions sont égales pour les deux parties. »

Lumiere renonça à utiliser la magie et décida de donner l’ordre d’assiéger le château en n’utilisant que des attaques conventionnelles. Si l’ennemi ne pouvait pas non plus utiliser la magie, cela allait être une corvée, mais ils pourraient prendre la ville avec un nombre écrasant et des engins de siège conventionnels. Cependant…

Pop ! Pop ! Pop ! Pop ! Pop ! Pop !

Avant même qu’elle n’ait pu donner l’ordre, d’innombrables bruits d’éclatement se firent entendre dans le château, chacun d’entre eux ressemblant à une version plus petite du canon de tout à l’heure. Les sons s’étaient ensuite superposés à tel point qu’on aurait pu croire qu’il y en avait des milliers. Lumiere eut un mauvais pressentiment lorsqu’un nouveau messager se précipita vers elle.

« J’ai un rapport ! Nos forces ont subi de lourdes pertes lorsqu’ils ont tiré sur nous de petits boulets de fer du haut des murs de la ville alors que nous attaquions ! »

« Pas possible ! Peuvent-ils utiliser la magie ? Attendez, ces sons… Ne me dites pas… ! » En réalisant cette possibilité, Lumiere frémit. Des armes à poudre.

La poudre à canon avait déjà été découverte dans ce monde, mais son utilisation était limitée. La magie étant très affaiblie en mer, le canon avait été mis au point pour la remplacer. Le canon étant devenu la norme pour les combats navals, le développement d’armes légères avait finalement été relégué au second plan.

Si le roi Souma prévoyait une bataille dans des conditions où dès le départ la magie était inutilisable, il est évident qu’il viendrait armé d’un équipement similaire à celui utilisé dans les batailles navales. Nous n’avons jamais eu l’occasion de nous battre correctement dès le départ ! Bon sang !

Lumiere enfonça son épée dans la terre avec frustration.

 

◇ ◇ ◇

 

Boum ! Boum ! Boum ! Boum !

Je pouvais entendre notre artillerie tirer depuis les murs de la capitale impériale. À l’heure qu’il est, les forces de Fuuga devaient attaquer les murs sans magie et se retrouver bloquées face à 2 000 canons chiens-lions. J’avais passé une commande massive auprès de Shabon, en prévision d’une bataille comme celle-ci. J’étais content de les avoir envoyés à l’Empire en même temps que les secours.

Dans ce monde sans fusils, le canon chien-lion était l’arme à poudre la plus maniable. Ils avaient l’air ridicules, mais s’étaient révélés exceptionnellement fiables dans les batailles en mer, qui étaient similaires aux conditions auxquelles nous faisions face maintenant. Et il avait fallu un capital important pour les acheter au royaume de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes.

Les forces de Fuuga furent déstabilisées, car elles se retrouvèrent soudain sans magie et exposées à une grêle de projectiles de la taille d’un poing. La prochaine fois, ils trouveront des contre-mesures. Cette stratégie était du genre à fonctionner que sur quelqu’un qui ne l’avait pas vue, mais c’était suffisant pour briser leur volonté de se battre pour l’instant.

« Argh, ça fait bizarre. »

J’avais regardé Naden, qui se comportait comme si elle avait la gueule de bois. Naden et Ruby avaient commencé à se sentir mal à chaque fois qu’elles étaient présentes lors d’un tir de canon. C’était probablement parce qu’elles utilisaient du magicium pour prendre leur forme de dragon ou d’humain.

« Désolé, Naden. Peux-tu tenir encore un peu ? »

« Ngh… »

Alors que je lui tapotais la tête, Naden me lança un regard qui disait : « Très bien, s’il le faut. »

« Monsieur Souma. Qu’est-ce que tu nous as fait tirer au canon ? Nous l’avons préparé pour toi parce que tu as dit que cela rendrait la magie inutilisable… » demanda Maria en pointant du doigt l’extérieur des murs.

Oui, elle voudrait savoir ça, n’est-ce pas ? J’avais réfléchi, puis j’avais dit : « Il est fabriqué à partir de minerai maudit, la source d’énergie que nous utilisons pour la foreuse, seulement compressée pour concentrer son effet. Lorsqu’elle est activée, elle annule ou affaiblit toute magie. La machine aspire toute l’énergie utilisée pour manifester des effets magiques. Je suppose qu’on peut l’appeler un annulateur de magie. »

« Aspire l’énergie… Alors elle ne l’annule pas comme l’armure magique de nos soldats ? »

« Tout à fait. Tu as compris l’idée », dis-je en hochant la tête.

Si la magie était de l’eau, leur armure magique serait comme une combinaison étanche, tandis que notre annuleur de magie serait comme un morceau de terre diatomée, aspirant tout en un instant. Mais ce que cette chose aspirait n’était pas de l’eau inoffensive — c’était de l’énergie.

« Donc si tu continues à essayer d’utiliser la magie près de lui, tu finiras par dépasser sa capacité et —»

Ka-boom !

Avant même que je puisse terminer, il y eut une forte explosion, suivie d’un impact qui fit trembler le sol. En regardant par-dessus, j’avais vu un énorme panache de fumée noire s’élever depuis un coin des troupes de Fuuga.

« Ça va exploser comme ça… »

J’avais eu droit au rare spectacle de la Sainte de l’Empire qui me fixait d’un air confus. Il avait probablement été détruit par une attaque des forces de Fuuga qui avaient compris que l’annulateur de magie rendait la magie inutilisable. Étant donné que les soldats de ce monde améliorent leurs attaques grâce à la magie, avec la magie annulée, on aurait pu croire qu’ils s’acharnaient sur un morceau de métal avec des épées ordinaires — mais sans le savoir, ils avaient déversé de l’énergie magique dans l’annuleur. C’est alors que ça atteignait le maximum de sa capacité et qu’il explosait.

« La raison pour laquelle le minerai maudit est si détesté n’est pas seulement parce qu’en le trouvant dans les mines, tu ne peux plus utiliser la magie, mais aussi parce que si tu continues à essayer d’utiliser la magie, il explose et provoque des effondrements. Nous avons conçu l’annulateur de magie en gardant à l’esprit cet aspect négatif du minerai maudit. »

Avec mon idée que les magicium étaient des nanomachines et que le minerai maudit était composé de nanomachines non fonctionnelles, Genia, Merula et Trill avaient passé les deux dernières années à faire des recherches sur le minerai maudit. L’annulateur de magie était un produit dérivé de ces recherches.

Lorsque j’avais appris que le minerai maudit annulait la magie et explosait, j’avais d’abord pensé qu’il pouvait être dispersé comme une arme. Mais j’avais abandonné l’idée parce qu’il resterait ensuite dans le sol, causant des dommages aux gens longtemps après, comme les armes à sous-munitions ou l’uranium appauvri. Cependant, avec la mise au point de l’annulateur de magie, qui interdit l’utilisation de la magie sur une large zone sans la disperser, je pouvais obliger mes ennemis à se battre sans magie.

D’ailleurs, celui qui venait d’exploser avait délibérément vu sa capacité abaissée. C’était l’idée d’Hakuya.

« Lorsque nous utilisons l’annulateur de magie, nous devrions délibérément en inclure un certain nombre dont la capacité est réduite. Si nous leur montrons très tôt qu’il va exploser, nous pouvons réduire les attaques de l’ennemi sur l’annulateur. Il est également peu probable qu’ils le ramènent ainsi après la guerre. Personne ne veut emporter quelque chose de dangereux dans son propre camp, après tout. »

Je pense que c’est ce qu’il a dit. Mon Premier ministre était fiable et méchant. Mais bon, ce n’est pas purement avantageux pour nous… car c’était comme une attaque EMP. Si nous utilisons l’annulateur de magie, l’ennemi ne pourra pas utiliser la magie, mais nous non plus. À proximité d’un annulateur de magie, Naden et les wyvernes ne pouvaient pas voler, et nos options d’attaque à distance se limitaient à de simples arcs et canons. De plus, lorsque l’annuleur de magie était utilisé, il n’y avait aucun moyen de lancer une magie de guérison sur les blessés. Nous devions mener une bataille défensive sans magie. Cette fois, nous avions préparé un grand nombre d’armes à poudre, mais leur préparation et leur utilisation coûtaient une somme incroyable.

Selon toute vraisemblance, nous avions dépensé une somme incomparablement plus importante pour cette bataille que les forces de Fuuga. Il y avait aussi le simple fait que nous ne pouvions pas produire en masse des annuleurs de magie. Ce n’était tout simplement pas une méthode que nous pouvions utiliser à chaque fois. Cependant, lors de ses débuts, elle s’était avérée extrêmement efficace.

Lorsque les forces de Fuuga virent l’énorme explosion, elles perdirent toute volonté de continuer à se battre et s’éloignèrent des murs de Valois comme une marée descendante. On peut dire que la crise dans la capitale est terminée pour le moment.

Une fois que le corps principal de la Force de défense nationale de Friedonia arriverait de l’ouest, il serait impossible pour les forces de Fuuga d’anéantir l’Empire, alors je m’attendais à ce que Fuuga doive accepter la victoire que je lui offrais.

« Une fois que les forces de Fuuga auront battu en retraite, je veux que vous récupériez et que vous éteigniez les annuleurs de magie. Ne baissez pas la garde », avais-je ordonné à mes subordonnés.

Peu de temps après, le messager était venu apporter la nouvelle que Fuuga avait accepté notre cessez-le-feu.

 

◇ ◇ ◇

 

Pendant ce temps, à la même heure, Jeanne pleurait à la forteresse de Jamona.

Jeanne avait tout vu par elle-même lors de la diffusion, la façon dont Souma avait sauvé sa sœur. Elle avait entendu de ses propres oreilles l’état de la guerre sur tout le continent. Et que celui qui avait conçu le plan était Hakuya, le Premier ministre à la robe noire. Bien qu’elle ait refusé son aide, et malgré la situation difficile dans laquelle cela mettait le royaume de Friedonia, il lui avait tout de même tendu une main secourable.

« Je ne te laisserai pas mourir. »

Jeanne aurait juré avoir entendu sa voix.

Merci… Monsieur Hakuya…

Jeanne se serra la poitrine en versant silencieusement des larmes. Afin de lui laisser un moment pour se ressaisir, son second, Gunther, observait silencieusement les forces de Fuuga à l’extérieur de la forteresse.

☆☆☆

Chapitre 10 : Verser des larmes

Partie 1

Cette nuit-là, à Valois…

J’avais enlevé mon uniforme et enfilé une chemise avant de prendre un appel radio avec quelqu’un.

« Fuuga a envoyé un émissaire qui indique qu’il accepte le cessez-le-feu », déclara Liscia à l’autre bout du fil, l’air soulagé.

« Je vois. Nous pouvons nous détendre pour l’instant. »

Elle était actuellement avec Excel, à la tête du corps principal de la Force de Défense Nationale Friedonienne qui avait débarqué sur la côte ouest. Si nous avions utilisé au maximum nos capacités de transport et le réseau de transport de l’Empire, ils seraient arrivés ici plus tôt. Cependant, bien que nous ayons annoncé sur les ondes que les Friedoniens étaient des alliés de l’Empire, nous étions toujours une force de plus de 10 000 soldats étrangers surgissant de nulle part. Les villes et villages situés sur leur route tremblaient sans doute de peur. Nous devions en tenir compte, ce qui les ralentissait un peu.

Si les citoyens impériaux décidaient que nous étions un ennemi face à qui ils devaient résister, cela entraînerait des pertes inutiles. Pour éviter cela, nous devions envoyer des gens devant nous pour expliquer la situation et calmer les citoyens au fur et à mesure que nous avancions. Cela limitait notre marche à une vitesse prudente.

« Malgré tout, je pense que nous serons là demain. Mais ne baisse pas la garde d’ici là. »

« Oui. Je veux aussi voir ton visage bientôt, Liscia. »

« Hee hee, merci… Attends, ce n’est pas le moment de penser à moi. » Liscia pointa un doigt vers moi depuis l’autre côté de l’émission. « Souma, tu dois être avec Madame Maria maintenant… Je suis sûre qu’elle doit se sentir écrasée comme tu l’as été ce jour-là. »

« Oui… »

Bien que nous ayons surmonté la crise actuelle, Maria était restée enfermée dans sa chambre. Son sort, et celui de l’Empire, dépendait des négociations entre Fuuga et moi. Même si l’Empire ne serait pas détruit, il était le vaincu d’une guerre. Je ne pouvais même pas imaginer ce qu’une impératrice vaincue comme Maria devait ressentir en ce moment. Liscia craignait sans doute qu’elle ne tente à nouveau de mettre fin à ses jours…

« Je l’ai réprimandée, alors je ne pense pas qu’elle se jettera à nouveau du balcon…, » avais-je dit.

« C’est toujours plus que ce qu’une personne peut supporter seule. La seule personne qui peut être avec Madame Maria en ce moment… le seul qui comprend le fardeau qu’elle portait… c’est toi, n’est-ce pas ? Tu es celui qui peut protéger son cœur. »

Bien sûr que je le ferais, avais-je pensé. J’avais bien l’intention d’essayer d’aider Maria. « Mais qu’est-ce que je peux faire… ? »

« Va la gâter. »

« La gâter ? »

« Fais ce qu’elle veut. Madame Maria a porté une nation à elle seule pendant tout ce temps. En tant que femme et en tant que membre de la famille royale, je la respecte. Alors… libère-la. Accepte ses souhaits, sa perte, son désir, ses regrets et sa douleur. En tant que première reine, tu as ma permission de faire tout ce que tu as à faire. »

« Ha ha ha… » Liscia était vraiment géniale. Je devais me préparer. « D’accord. Je vais gâter Maria pour de bon. »

Dès que j’avais terminé ma conversation avec Liscia, j’étais allé directement dans la chambre de Maria. Devant la porte de Maria, il y avait un dratrooper que j’avais laissé pour la protéger, et un garde impérial. Je les saluai rapidement, puis me plaçai devant la porte, reprenant ma respiration avant de frapper.

« Madame Maria, c’est Souma. Puis-je entrer ? »

« Monsieur Souma… ? Je t’en prie », dit la voix de Maria depuis l’intérieur de la pièce.

J’avais ouvert la porte et j’étais entré. Ma première impression : il faisait sombre. Les bougies étaient éteintes et seul un pâle clair de lune entrait par la fenêtre. J’étais content que le ciel ne soit pas nuageux ce soir. Sans ce clair de lune, il aurait probablement fait trop sombre pour que nous puissions avoir une bonne conversation.

En refermant la porte derrière moi, j’avais regardé les meubles et autres décorations qui avaient l’air chers. Dans l’ensemble, le ton de la pièce était léger et féminin.

Maria se tenait près de la fenêtre. Lorsque je m’étais approché suffisamment pour que nous puissions voir nos expressions respectives, elle me sourit faiblement.

« … Cela me rappelle notre rencontre à Zem. »

« Maintenant que tu le dis… la lune était aussi brillante cette nuit-là. »

Maria s’esclaffa. « Oui, et nous avons fait une promesse au clair de lune. C’est pour cela que tu es ici avec moi maintenant. »

« Cependant, je ne suis toujours pas sûr… si c’est quelque chose dont on peut se réjouir », dis-je en haussant les épaules.

 

◇ ◇ ◇

Ce jour-là, lorsque nous nous étions rencontrés pour la première fois à Zem, en échange de l’aide de l’Empire pour l’Union de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes (à l’époque), Maria m’avait proposé de lui promettre quelque chose en échange. À l’époque, c’était quelque chose qui semblait impensable.

Voici ce que Maria m’avait dit…

« Si à un moment donné dans le futur… l’Empire semble se désagréger, j’ai l’intention de le diviser sans hésitation. »

J’étais resté bouche bée. J’avais douté de mes oreilles, et je n’avais rien pu dire en réponse.

Ne se laissant pas arrêter par ma réaction, Maria continua.

« Notre pays est devenu trop grand. La population est trop importante pour que nous puissions la gérer. J’ai accepté ma position à la tête de la Déclaration de l’Humanité jusqu’à aujourd’hui parce que je comprenais la nécessité d’une nation puissante comme soutien émotionnel dans la confrontation contre le Domaine du Seigneur-Démon… Mais aujourd’hui, le Royaume de Friedonia s’est fermement établi comme une nation puissante à l’est, et la faction de Messire Fuuga s’est également développée. L’époque où les gens comptaient sur la Déclaration de l’humanité pour assurer leur survie touche à sa fin. »

Elle secoua la tête.

« Non, ce n’est pas ça, » se corrigea Maria. « C’est un vieux système ossifié dont il faut se débarrasser. Si tout ce qui reste dans le cœur des gens de mon Empire est leur fierté d’être à la tête de la Déclaration de l’Humanité, ce n’est pas un endroit sain pour nous. Je ne peux pas permettre que l’orgueil fasse couler le sang. Pour cela, je pense que je vais commencer à me préparer. »

Les yeux de Maria étaient remplis de conviction pendant qu’elle parlait.

« Afin de couper l’herbe sous le pied des irréductibles qui sont obsédés par l’idée que l’Empire était autrefois la plus grande de toutes les nations et qui veulent s’impliquer activement dans la lutte contre le Domaine du Seigneur-Démon, je vais lentement les rassembler dans le nord en y déplaçant leurs domaines. Il leur sera ainsi plus facile de se séparer de l’Empire lorsqu’ils m’auront abandonné. »

« Allez-vous leur faire exercer leur droit à l’autodétermination !? »

« Oui. La faille dans la Déclaration de l’Humanité dont vous m’avez parlé, Sire Souma. Comme la déclaration respecte le droit des groupes culturels et raciaux à l’autodétermination, nous n’avons aucun moyen de les empêcher de partir. Les règles disent que nous n’avons pas le droit de le faire. Je vais leur faire “profiter” de cela ».

Je m’étais pris la tête dans les mains, car j’avais compris que Maria voulait vraiment démanteler l’Empire. L’éclatement d’une grande puissance et la modification de l’équilibre des pouvoirs entre les pays voisins allaient certainement provoquer de grandes vagues qui allaient engloutir les pays voisins. Notre pays n’y échapperait pas non plus.

Je dois me préparer, avais-je pensé de toute urgence.

Puis, d’une voix calme, Maria déclara : « J’ai une demande à vous faire… quand ce moment viendra. »

« Une demande ? »

« Oui. Quand cela arrivera, la Déclaration de l’Humanité ne sera plus. L’Empire cessera d’être la nation la plus puissante, et je pense qu’il nous sera difficile de soutenir l’État par nous-mêmes. Même si nous en arrivons là… je veux toujours protéger ceux qui croient en moi. Je veux démanteler le pays, pas le détruire. Alors, le moment venu… »

D’un air résolu, elle exposa sa requête.

« Je veux former une alliance non secrète avec le Royaume. »

Submergé par diverses pensées, j’avais réussi à dire : « Vous ne devriez pas dire des choses aussi inquiétantes… »

« Il est important de se préparer, » déclara Maria en riant.

J’avais été surpris de voir qu’un chef pourrait se préparer à ce genre de choses. Cela m’avait permis d’apprécier à sa juste valeur la personne qui avait soutenu seule la dignité de cette grande nation.

En même temps, j’avais compris qu’elle avait atteint ses limites et qu’elle me tendait la main en quête de salut.

« D’accord… » avais-je dit en lui prenant la main.

Je ressentais à la fois le désir rationnel, en tant que roi, d’empêcher l’effondrement de l’Empire et ses effets sur mon pays, et le désir personnel de sauver la femme que je voyais devant moi. Comme ils avaient tous les deux la même réponse, je n’avais pas hésité.

« Si ce moment arrive, le Royaume fera ce que vous souhaitez. »

« J’ai confiance en vous, Sire Souma. »

C’est la promesse que nous avions faite.

 

◇ ◇ ◇

« L’Empire s’est brisé… » dit Maria.

En l’entendant, j’avais repris mes esprits.

Elle parlait de l’éclatement de l’Empire comme quelqu’un qui était déçu que sa tasse préférée ait été cassée. Mais… je savais qu’il ne fallait pas croire que la façon dont elle parlait correspondait à ce qu’elle ressentait à l’intérieur. Elle portait des masques depuis tout ce temps. Le masque de l’impératrice de la plus grande nation du monde. Le masque du chef de la Déclaration de l’humanité et de toute l’humanité. Et le masque d’une sainte qui était gentille avec tout le monde, mais dont le cœur se brisait toujours.

Elle avait beau vouloir être une personne ordinaire, ces masques la poursuivaient partout. Tantôt elle les utilisait, tantôt ils l’utilisaient. Au point qu’elle avait oublié ce qu’elle était vraiment à l’origine.

Maria sourit doucement en continuant.

« J’ai passé beaucoup de temps à me préparer lorsque ce jour arrivera. J’ai pris ceux qui voulaient que je devienne une sainte, ceux qui voulaient prendre des mesures proactives vers le Domaine du Seigneur-Démon, ceux qui me vénéraient aveuglément, et je les ai concentrés dans les régions du nord. Je l’ai fait lentement, pour qu’ils ne le remarquent pas. J’y ai même inclus Sire Krahe, qui aurait donné sa vie pour moi, et l’ancienne amie de Jeanne, Lumière. »

J’avais écouté attentivement ses paroles.

« J’ai fait en sorte qu’il soit facile de les détacher. Ainsi, lorsque mes pouvoirs ne suffiraient plus, je pourrais me défaire de ces terres et réorganiser l’Empire pour en faire quelque chose de plus facile à gouverner… Non, on ne peut plus parler d’empire. Je peux enfin abandonner le titre d’impératrice. »

Avec un sourire qui aurait pu être interprété comme de l’amusement ou de l’autodérision, Maria passa une main sur sa poitrine.

« Pourtant, maintenant que j’en suis arrivée là, mes émotions sont à fleur de peau. Bien que j’aie voulu l’écarter pendant tout ce temps, j’ai même parfois souhaité le briser purement et simplement. Maintenant qu’il est brisé, je me sens pathétique. Je suis envahie par un sentiment de regret que je ne m’attendais pas à ressentir. Héhé héhé… Je suis une souveraine sans espoir. »

« Madame Maria… »

Je m’étais approché en prononçant son nom. Mais elle continua à parler.

« Héhé… La vérité, c’est que je me sens très mal de vous avoir entraînés, toi, le Royaume de Friedonia, et même le reste de l’Alliance Maritime, dans cette histoire. Je suis désolée, mais je dois compter sur vous pour prendre les choses en main. Je sais que tu peux être un souverain plus sain que moi, un souverain que le peuple ne transformera pas en idole. Alors… »

« Maria ! »

Je l’avais saisie par les épaules et je l’avais regardée dans les yeux, comme pour lui dire : « Regarde-moi. » Bien qu’elle ait souri en parlant, elle ne me regardait pas du tout. On aurait dit qu’elle avait tué son cœur au point de ne plus voir le visage de son interlocuteur.

« Aïe… ! Ça fait mal. »

Le sourire qu’elle avait affiché sur son visage se tordit de douleur. J’avais enfin réussi à lui arracher son masque.

J’avais serré plus fort. Ses bras étaient si minces que même ma prise — qui, malgré tout l’entraînement qu’Owen m’avait donné, était à peine meilleure que celle d’un vulgaire grognard — lui faisait mal. Pourtant, ces épaules minces avaient supporté le poids d’une nation massive. A quel point cela avait-il dû peser sur son cœur ?

« Ça suffit, Maria… »

Quelque chose coula de mes yeux, le long de ma joue. L’instant d’après, je pleurais avant elle.

Maria me regarda, interloquée. Bien sûr qu’elle le serait. C’était elle qui voulait vraiment pleurer, mais je l’avais devancée.

« Monsieur… Souma ? »

« Ça suffit, Maria. Tu n’as plus besoin de te retenir. »

L’instant d’après, une grosse larme coula sur le visage de Maria. Elle la toucha, surprise, puis baissa les yeux sur sa propre main.

« Ah… »

Son visage, si calme auparavant, se crispa.

« Ah… Ahhhhhhhhhhhh !!! »

Elle se mit à crier.

Une fois que j’eus relâché ma prise sur ses épaules, elle essaya à plusieurs reprises d’essuyer ses larmes. Mais c’était impossible. Elle renonça et enfouit son visage baigné de larmes contre ma poitrine.

J’enlaçais doucement son corps délicat.

☆☆☆

Partie 2

Le jour où mon père est mort, moi, Maria Euphoria, je suis devenue impératrice.

Pendant le règne de mon père, les distorsions de la nation causées par la politique expansionniste des empereurs précédents avaient alimenté les troubles, conduisant l’Empire du Gran Chaos à entrer dans une ère de déclin. Père était un homme tempéré, et cela ne le dérangeait probablement pas. Cependant, avec l’émergence du Domaine du Seigneur-Démon, les gens se sont tournés vers notre empire en déclin pour qu’il devienne le porte-drapeau de l’humanité, et notre autorité commença à se redresser. C’est ainsi que les forces combinées de l’humanité avaient lancé une incursion dans le domaine du Seigneur-Démon… et qu’elles avaient été complètement vaincues.

Père était accablé de chagrin à la pensée de tous ceux qui étaient morts, et cela avait ruiné son cœur, son corps, et cela avait fini par lui coûter la vie. Malgré tout, j’avais hérité d’un immense empire. Ce furent des jours sombres.

Les villes étaient pleines de voix incertaines… Les réfugiés étaient chassés de chez eux et n’avaient nulle part où aller. Ceux qui vivaient à la frontière craignaient d’être les prochains. Les dirigeants se méfiaient les uns des autres. Des frictions avec les réfugiés, et mon propre peuple qui luttait contre la mauvaise économie.

« Que va-t-il se passer maintenant… ? »

« Il n’y a rien que nous puissions faire. L’attaque du domaine du Seigneur-Démon a été un fiasco… »

« Ça ne fera qu’empirer à partir de maintenant. »

Ils avaient tous baissé la tête, aucun d’entre eux n’étant capable d’envisager un avenir radieux.

Ceux qui possédaient une certaine aisance, craignant qu’on ne la leur retire, étaient incapables de faire preuve de compassion envers les autres. Les réfugiés, les pauvres et les autres opprimés de la société avaient donc souffert. C’était une époque sans espoir. Je voulais faire le peu que je pouvais pour changer cela.

Tout d’abord, j’avais mis en place la Déclaration de l’humanité, en tant que principal signataire du pacte, et j’avais montré au monde que les choses n’allaient pas devenir pires qu’elles ne l’étaient. En même temps, j’avais utilisé ma position d’impératrice d’une superpuissance pour garder les autres pays dans le droit chemin, en empêchant les guerres entre toutes les autres nations de l’humanité. Je voulais être l’espoir qui permettrait aux gens de relever la tête.

Alors que je faisais tout cela, l’expansion du domaine du Seigneur-Démon augmenta la pression des attaques de monstres qui se répartirent plus largement. Cela créa une impasse, et l’Empire et les autres pays commencèrent à se calmer. Puis, lorsque le calme revint, ils en étaient venus à m’appeler la Sainte de l’Empire.

Si j’étais heureuse d’être devenue une source d’espoir pour les gens, j’étais en revanche détestée par l’Église orthodoxe lunarienne. Mais je l’avais accepté.

Revêtant le masque d’un souverain pacifique, je leur souriais harmonieusement. Les dirigeants qui, malgré leur méfiance à l’égard de mon pays, demandaient notre aide et cherchaient toutes les occasions d’en profiter. Le peuple appauvri, qui aspirait à être sauvé de son niveau de vie misérable. Mes propres serviteurs, ossifiés par leur fierté d’appartenir au plus grand des pays et appelant à la vengeance contre le Domaine du Seigneur-Démon… Je devais agir pour que tous ces gens me considèrent comme un bon souverain.

+++

La seule personne à qui je pouvais montrer ma vraie nature était ma sœur, Jeanne. J’allais dans sa chambre, je m’asseyais à son chevet et je discutais avec elle de bêtises, tandis qu’elle me regardait avec exaspération.

« Jeanne… je suis fatiguée. Puis-je t’emprunter tes genoux comme oreiller ? »

« Oh, pour l’amour du ciel. Et tu agis avec tant de dignité devant tous les autres… »

Malgré ses soupirs, elle cédait toujours et me laissait reposer ma tête sur ses genoux. En y repensant maintenant… je portais peut-être déjà un masque à l’époque. Le masque de la grande sœur indisciplinée de Jeanne.

J’agissais ainsi pour que Jeanne ne s’inquiète pas, je la laissais me réprimander pour qu’elle pense que j’avais encore un peu de souplesse. En réalité, j’avais atteint mes limites depuis longtemps et j’agissais seulement comme les gens l’exigeaient de moi. Je pouvais même jouer à être une lorelei. Mais… il me restait une petite lueur d’espoir : Sire Souma Kazuya, le héros invoqué par le royaume d’Elfrieden de l’époque.

J’avais proposé au royaume d’effectuer le rituel d’invocation du héros comme alternative, car je savais qu’ils ne pourraient pas nous verser de subventions de guerre. Je n’aurais jamais cru que cela marcherait… Et je n’avais jamais imaginé, dans mes rêves les plus fous, que Sire Souma reconstruirait le royaume en déclin, annexerait la principauté d’Amidonia — bien qu’avec l’aide de la princesse Roroa — et deviendrait la plus grande puissance de l’Est.

J’avais enfin trouvé quelqu’un qui pouvait porter les fardeaux du monde avec moi. Souma, contrairement à moi, ne deviendrait l’idéal de personne. Il garderait les yeux fixés sur la réalité et mettrait en œuvre sa vision politique avec constance, même s’il devait se montrer cruel pour y parvenir.

À partir du moment où il était apparu, petit à petit, j’avais pu montrer de plus en plus mon vrai moi, la Maria Euphoria qui n’était ni une impératrice ni une sainte, mais un être humain ordinaire.

« Toi et lui, c’est comme l’huile et l’eau… J’ai l’impression que vous êtes tous les deux tournés dans des directions complètement différentes… »

À bien y réfléchir, c’est ainsi que Jeanne avait vu Sire Souma au début. Qu’est-ce que j’ai répondu ? Hmmm… Oh, oui !

« Mais si nous sommes tous les deux tournés dans des directions différentes, ne penses-tu pas que nous pourrions éliminer nos angles morts si nous coopérions ? »

C’est ce que j’ai dit. N’est-ce pas, Jeanne ? Ce que j’ai dit à ce moment-là. Ce que j’ai ressenti à ce moment-là. Peut-être le comprends-tu maintenant ?

Avoir un roi dans un pays lointain, un roi avec une perspective différente, qui était prêt à être mon fidèle allié. Un roi qui me tendait la main alors que mon pays tombait en ruine et que j’étais au bord de la mort. Et qui, aujourd’hui encore, me prêtait sa poitrine pour que je m’y appuie alors que mon cœur se sentait prêt à se déchirer en deux.

Tu vois comme c’est merveilleux d’avoir quelqu’un comme ça ?

+++

« Wahhhhhhhh !! »

Je braillais maintenant sans vergogne contre la poitrine de Sire Souma. À quand remonte la dernière fois où j’avais pu montrer mes vrais sentiments comme ça ?

Souma m’enlaça doucement comme j’étais, en me caressant le dos.

« Je… ! Je — »

« Oui… »

« Je ne voulais pas être juste gentille avec tout le monde ! » Je balbutiai en reniflant. « La vérité, c’est que je voulais juste protéger ceux à qui je tiens — les gens qui tiennent à moi ! Je voulais faire du favoritisme ! »

« Oui… »

« Ceux que je voulais vraiment protéger, c’étaient les gens normaux de la ville… les gens qui luttent dans leur vie ordinaire… Les réfugiés chassés de leur pays… Je voulais être leur espoir ! Mais si je n’étais que gentille avec ces gens, j’étais sûre de rencontrer de la résistance ! Pour les gens qui voulaient que je libère le Domaine du Seigneur-Démon, pour montrer que l’Empire était la plus grande nation du monde… je devais agir comme si j’étais une bonne souveraine. »

« Oui… »

« Dans mon cœur… je ne me souciais pas de cela… Si les gens pouvaient vivre en paix, cela me suffisait… Mais j’ai été obligée de porter le masque de la souveraine sereine et puissante. Je… je ne veux plus faire ça… »

« Oui… je sais. »

Les bras de Sire Souma s’étaient resserrés autour de moi. J’étais assez proche maintenant pour sentir les battements de son cœur, et il pouvait très probablement aussi sentir les miens. C’était comme une preuve que je lui révélais tout.

Sire Souma me chuchota à l’oreille.

« Le monde est plus fort maintenant grâce à tous tes efforts désespérés. Le royaume de Friedonia, la république de Turgis et le royaume de l’archipel du dragon à neuf têtes se sont tous imposés. Et même si je sais que c’est bizarre de dire ça à propos d’une personne qui vient d’essayer de détruire l’Empire, Fuuga est un grand homme. Le monde ne sera pas détruit facilement. Ce n’est plus une époque où tout le monde doit garder les yeux baissés. Et celle qui nous a permis de sortir de cette époque… c’est toi, Maria. N’en doute jamais. »

« Oui… »

Retenue dans les bras de Sire Souma, j’avais tourné les yeux vers lui.

« Mais je ne l’ai pas fait toute seule. C’est parce que tu étais là aussi. »

« Ah ha ha… Je suis honoré d’entendre ça. Eh bien, j’ai des alliés comme Kuu et Shabon, ainsi qu’une famille et des amis qui me soutiennent. Et même un ennemi puissant comme Fuuga. Si l’un d’entre eux manquait à l’appel, je ne sais pas si j’aurais pu aller aussi loin. Alors… »

Sire Souma m’éloigna avant de poser doucement sa main sur ma joue.

« Il n’est plus nécessaire que tu assumes tout. Nous porterons le fardeau avec toi. »

« Sire Souma… »

« Je suis impuissant tout seul, mais j’ai toute l’aide dont j’aurai besoin, de la famille, des gens et des alliés à foison. Nous sommes nombreux à porter le monde sur nos épaules, alors attaquons-le avec une vague humaine. »

« Hee hee… Tu te défausses sur eux tous. »

Entendre la façon dont Sire Souma en parlait me fit finalement sourire.

« Il n’y a rien de mal à cela. Dans mon pays, notre style est de déléguer les choses à des personnes en qui nous pouvons avoir confiance pour les faire. Alors… » La main toujours posée sur ma joue, Souma me sourit doucement. « Tu peux aussi faire ce que tu veux à partir de maintenant ».

Ces mots avaient fait voler en éclats tous les masques que je portais depuis tout ce temps.

Le fardeau tomba de mes épaules, la tension s’estompa, et j’avais même eu l’impression de flotter en apesanteur dans les airs. Je devais avoir une vraie tête de linotte alors que j’étais libérée de tout ça.

J’avais tendu la main, touché la joue de Sire Souma… et je l’avais pincée.

« Aïe… »

« J’ai cru que je rêvais. »

« Ne dois-tu pas te pincer la joue pour tester ça ? »

« Je peux ressentir la douleur dans mes propres rêves. »

« Je ne sais pas trop quoi répondre à ça. »

Alors nous étions en plein milieu d’un échange aussi stupide, les larmes s’envolèrent.

« Est-ce que c’est vraiment… normal que je fasse ce que je veux ? »

« Je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas le cas. Je suis sûr que tu te refoules depuis un sacré bout de temps. »

« Je vois… » J’avais souri à Souma et lui avais déclaré : « Il y a quelque chose que je veux faire tout de suite. Ça te dérange ? »

« Hm ! Bien sûr, si c’est quelque chose que je peux faire. Liscia m’a dit de te gâter, après tout. »

« Charmant. »

J’avais saisi durement le visage de Sire Souma avec mes deux mains. Alors qu’il me regardait avec surprise, je m’étais mise sur la pointe des pieds et… l’instant d’après, mes lèvres s’étaient accrochées aux siennes.

 

 

Quelques secondes plus tard, lorsque nos visages se sont séparés, ses yeux étaient écarquillés. J’avais gloussé devant son expression loufoque.

Puis, alors qu’il me fixait d’un air hébété, je lui déclarai :

« À partir de maintenant, je pense que je ferai ce que je veux sans me retenir. Alors… accepte-moi pour tout ce que je suis ».

☆☆☆

Chapitre 11 : Soeurs

Partie 1

J’avais appris une chose.

« Ronronne… »

Maria était au fond comme un chat lorsqu’il est pourri gâtée.

La Sainte de l’Empire ronronnait, la tête posée sur mes genoux. Elle murmurait de contentement chaque fois que je passais mes doigts dans ses cheveux brillants. Je me frottai les yeux tandis que le soleil matinal entre par la fenêtre.

La nuit dernière avait été… difficile.

Maria avait probablement atteint ses limites sur le plan émotionnel. Sa culpabilité d’avoir divisé le pays et d’avoir jeté les autres au profit de ceux qu’elle voulait aider, l’incertitude sur la façon dont les gens allaient considérer son action, et le soulagement d’être libérée de tous ses fardeaux… Toutes ces pensées et tous ces sentiments tourbillonnaient en elle, l’empêchant de dormir. Et les rares fois où elle parvenait à s’endormir, elle se réveillait tout de suite après.

Et chaque fois, je la serrais contre moi.

Fidèle à ma parole, quand j’avais dit que je la gâterais, j’avais fait tout ce qu’elle m’avait demandé. Si elle n’arrivait pas à dormir, je discutais avec elle de toutes sortes de choses sans importance, et si elle se réveillait d’un cauchemar, je la serrais fort et lui murmurais que j’étais à ses côtés. Si elle pleurait, je la caressais doucement, et si elle frissonnait, je partageais la chaleur de mon corps. En gros, je répondais à tous ses désirs et les acceptais afin d’alléger son cœur. Tout cela m’avait mené jusqu’à maintenant, avec sa tête sur mes genoux.

Je portais une chemise et un pantalon, tandis que Maria portait un déshabillé, mais je ne me souvenais pas quand nous nous étions changées… En fait, j’étais tellement fatigué que tous mes souvenirs étaient plutôt vagues.

Il va falloir que j’aille voir un psychiatre, ou un conseiller, ou… quelque chose. J’avais réfléchi avec la partie de mon cerveau qui fonctionnait encore.

Même si je savais quel genre de travail ils faisaient, je n’avais aucune connaissance spécialisée dans ce domaine. C’est pourquoi je rassemblais actuellement des personnes intéressées par l’esprit à l’école professionnelle de Ginger et leur faisais collecter des cas médicaux. Dans ce monde où la foi était profondément liée à la vie des gens, de nombreuses questions relatives à la psyché étaient portées devant l’église. Ainsi, j’avais fait coopérer l’archevêque Souji et les salles de confession de l’Église avec eux.

« Sire Soumaaa… Caresse-moi encore… »

« Très bien, très bien. »

Je m’étais remis à caresser la tête de Maria. J’avais un peu peur qu’elle soit revenue à un état enfantin.

« C’est le matin… »

« Mais euh… Je ne veux pas aller travailler. »

« Oui… je pense que tu peux te reposer un peu. Les discussions auront probablement lieu dans l’après-midi. »

La situation était encore tendue, mais Liscia et Excel arriveraient bientôt avec la force principale, et Hakuya était censé passer prendre Jeanne à la forteresse de Jamona en venant ici. J’avais également dit à Fuuga d’appeler Hashim depuis la forteresse de Jamona. Il faudrait probablement attendre jusqu’à midi pour que tout le monde arrive.

Je voulais dormir un peu pour m’y préparer, mais…

« Hee hee, Sire Soumaaa. »

Maria me prit la main, frottant sa joue contre le dos de celle-ci. Elle avait l’air d’aller mieux maintenant qu’elle avait dormi un peu, mais allait-elle me laisser partir de sitôt ?

◇ ◇ ◇

Pendant ce temps, alors que l’aube se lève, Hakuya le Premier ministre à la robe noire arriva à la forteresse de Jamona. Alors qu’il descendait de la nacelle de la wyverne, Jeanne — qui avait été prévenue et l’attendait — lui sauta dans les bras.

« Monsieur Hakuya ! »

« Ah ! Madame Jeanne… » Hakuya l’enlaça tandis qu’elle se blottissait contre sa poitrine. « Je suis… tellement content que tu ailles bien. »

« Urkh... Désolée. Je t’avais dit que tout irait bien, mais regarde ce triste étalage… Nous vous avons entraînés, toi et le royaume, dans cette histoire. »

« Non. Je suis ici aux ordres de Sa Majesté, à la recherche de l’issue optimale pour nous. »

Sur ce, Hakuya lâcha Jeanne et essuya les larmes qui coulaient de ses yeux.

« Si je t’avais perdue, je n’aurais plus été capable d’imaginer le meilleur avenir possible. »

« Monsieur Hakuya… »

Jeanne avait essayé de les retenir à cause de tous les soldats qui l’observaient, mais elle n’avait pas pu retenir le flot de larmes. Gunther et les soldats de l’Empire écarquillèrent les yeux en voyant Jeanne brailler. C’était la première fois qu’elle montrait autant d’émotion.

Elle avait toujours été sur les nerfs. En tant que sœur cadette de l’impératrice, et en tant que générale de l’Empire, Jeanne n’avait pu compter sur personne en raison de ses propres talents incomparables, ce qui l’avait obligée à rester forte et digne pendant tout ce temps. Mais elle avait maintenant quelqu’un sur qui s’appuyer. Les soldats qui l’avaient compris pleuraient avec elle — même le général taciturne Gunther.

Hakuya attendit que Jeanne se calme avant de prendre la parole.

« Après cela, je me rendrai à Valois pour les négociations de l’armistice. Madame Jeanne, j’aimerais que tu m’accompagnes. »

« Sniff… Tu veux bien ? » Jeanne essuya ses larmes et leva les yeux vers Hakuya. « Bien sûr. J’aimerais bien t’accompagner. Cependant… Je ne suis pas sûre de pouvoir laisser nos défenses ici… »

« Allez-y, madame Jeanne », dit Gunther, interrompant son objection. Il donna un coup de poing sur sa poitrine protégée par une armure. « Laissez-nous défendre cet endroit. Même si les forces du Royaume du Grand Tigre attaquent une fois que vous serez partis, nous les enverrons promener autant de fois qu’il le faudra. J’ai raison, les gars ! »

« »" Ouaiiiiiiiiss !!! »" »

Les soldats impériaux applaudirent bruyamment en réponse.

Il fallait s’y attendre avec autant d’amoureux de la Maison de l’Euphoria rassemblés ici. Gunther offrit à Jeanne ce qui était sans aucun doute un sourire, même s’il était difficile de le reconnaître comme tel en raison de sa nature brusque.

« Nous nous occupons de tout ici. Allez donc soutenir Sa Majesté Impériale. Je suis sûr qu’elle voudra voir votre visage. »

« Messire Gunther… »

« Premier ministre à la robe noire de Friedonia. S’il vous plaît, veillez sur Lady Jeanne pour nous. »

Gunther inclina la tête devant lui, et Hakuya fit un signe de tête ferme à l’homme.

« C’est ce que je ferai. »

Et c’est ainsi qu’ils montèrent tous les deux dans la nacelle à wyverne d’Hakuya et s’envolèrent dans les cieux.

Dans la gondole à wyverne, Hakuya regarda avec inquiétude Jeanne, qui était assise en face de lui. Comme elle avait le visage tourné vers le bas, Hakuya, qui était plus grand et dont le siège était plus haut, ne pouvait pas voir son expression.

« Qu’adviendra-t-il de l’Empire… et de ma sœur ? » murmura Jeanne. Hakuya hésita, mais décida d’être franc avec elle.

« Je suis sûr qu’il ne pourra plus rester un empire. Madame Maria ne sera plus non plus une impératrice. »

« Oh… vraiment ? »

« Oui. Mais c’est ce que madame Maria a souhaité. »

« Hein… ? »

Hakuya expliqua à Jeanne les événements qui avaient conduit à cette situation. La façon dont Maria souhaitait rétrécir l’empire. Les petits changements qu’elle avait apportés aux domaines de ses vassaux. Les ouvertures qu’elle avait faites à Souma pour avoir le soutien de l’Alliance maritime le moment venu. Et enfin… la façon dont elle avait exécuté son plan pour se séparer d’une partie de son territoire lorsque les forces de Fuuga sont passées à l’attaque.

Lorsque Jeanne entendit tout cela, elle se couvrit le visage de ses deux mains.

« J’ai encore fait porter tout le fardeau à ma sœur… ! »

« Je dois admettre que Madame Maria est incroyable d’avoir pu planifier tout ce scénario toute seule, » dit Hakuya, la voix calme. « Cependant, elle a eu besoin de l’aide de nombreuses personnes pour mettre son plan à exécution, et pour nettoyer après. Ce n’est pas le fruit de ses seuls efforts. En fait, c’est peut-être la première fois qu’elle demande de l’aide aux autres. »

« Demandé… de l’aide ? »

Hakuya acquiesça en silence.

« Et Sa Majesté lui a pris la main. Il s’est tourné vers de nombreuses personnes pour sauver madame Maria. Sa Majesté n’est peut-être pas le genre de souverain qui se fait remarquer, mais il a le sérieux nécessaire pour demander l’aide des autres, et le pouvoir de leur donner envie de lui prêter leur force. C’est ainsi qu’il a pu mobiliser non seulement le Royaume de Friedonia, mais aussi la République de Turgis et le Royaume de l’Archipel du Dragon à Neuf Têtes. Quand je lui ai proposé mes services, je lui ai dit qu’il avait un sacré potentiel en tant que roi. »

« Est-ce que c’est censé être un compliment… ? »

« C’est le plus grand éloge que je puisse faire. »

La façon dont Hakuya avait dit cela avec une expression nonchalante avait fait rire Jeanne.

« Messire Souma doit être extraordinaire pour être capable de soutenir ma sœur. »

« Je te l’ai dit, n’est-ce pas ? Sa Majesté a le don d’inciter les autres à l’aider. Sans les autres, cela n’aurait pas été possible. Évidemment, cela inclut aussi toi et ton peuple. »

« Nous aussi ? »

« En retardant les forces du royaume du Grand Tigre, tu nous as donné le temps dont nous avions besoin pour y arriver. S’ils avaient pu prendre plus que les terres du nord, les négociations auraient été bien plus difficiles. »

« Je vois… » Jeanne se mit à pleurer un peu et sourit légèrement. « Penses-tu que j’ai pu aider ma sœur, ne serait-ce qu’un peu. »

« Oui. Et… »

« Et ? »

« Il semble probable… que le moment où nous aurons vraiment besoin de ton pouvoir est sur le point d’arriver, Madame Jeanne. »

« Mon pouvoir ? »

Jeanne le regarda en clignant des yeux. Hakuya hocha la tête.

« Quel que soit le résultat… cette guerre sera une défaite pour l’Empire. Même si tout s’est déroulé comme Madame Maria le souhaitait, c’est toujours un armistice avec les territoires du nord volés. Madame Maria devra prendre ses responsabilités en tant que chef de l’armée vaincue. »

« Ah… ! »

« De toute évidence, sa vie ne sera pas en danger. En tant que parties aux négociations, nous ne permettrions pas cela. Cependant, dans le nouveau pays, plus petit, il sera impossible pour Madame Maria de rester impératrice. Je ne sais pas si ce sera une reine ou une impératrice qui gouvernera, mais ce titre devra revenir à quelqu’un d’autre. Et quant à savoir qui est cette personne… »

Hakuya regarda attentivement Jeanne. Soudain, elle comprit.

« Hein !? Moi !? »

« Pensais-tu que ton autre sœur, la princesse Trill, en est capable ? »

« Oh, non ! Je suis sûre que c’est impossible… Mais je n’aime pas non plus la politique ! Je ne pourrai jamais être une souveraine comme ma sœur… »

« Il n’est pas nécessaire que tu endosses tout comme l’a fait Madame Maria. Tu peux prendre quelqu’un qui s’y connaît en politique comme consort royal, et travailler avec lui pour gouverner le pays. »

« Un consort royal… ? Mais… »

☆☆☆

Partie 2

En fait, Hakuya lui disait de prendre un mari. Jeanne avait été poussée au silence en entendant ces mots de sa bouche, choquée. Les sentiments qu’elle avait accumulés pour Hakuya pendant leurs conférences télévisées hurlaient à l’intérieur d’elle. Mais cela ne dura qu’une seconde.

Hakuya se leva lentement, puis tomba à genoux devant Jeanne.

« S-Sire Hakuya ? »

« Je te soutiendrai. Pas au travers d’une communication par joyaux, mais à tes côtés à partir de maintenant », déclara-t-il en lui tendant la main droite.

Il lui offrait — lui proposait — d’être son consort royal.

Jeanne cligna rapidement des yeux.

« Hein ? Vas-tu venir m’épouser !? Toi, Sire Hakuya !? »

« Oui. »

« Et le Royaume ? Tu es leur Premier ministre, n’est-ce pas !? »

« J’ai déjà reçu la permission de Sa Majesté. Cela signifie que je vais devoir exercer les fonctions de Premier ministre des deux pays pendant un certain temps, mais j’ai l’intention de vivre dans l’Empire. Je suis sûr que mes fonctions dans le Royaume seront lentement assumées par mon successeur, Sire Ichiha. »

 

 

Hakuya prédisait que le nouvel empire serait en union personnelle avec le royaume de Friedonia. Si vous regardiez la proximité de la relation entre Souma et Maria, il était tout à fait possible de prédire qu’elle l’épouserait maintenant qu’elle n’était plus impératrice. Cela signifierait que Souma se verrait confier le titre impérial comme il avait le titre princier d’Amidonia. Mais contrairement à la Principauté, qui avait été leur voisine, l’Empire n’était pas lié à eux géographiquement, il serait donc difficile de l’annexer. Cela signifiait qu’il y aurait une union personnelle dirigée par Souma pour renforcer les relations entre les deux pays, tandis que le gouvernement proprement dit serait assuré par leur nouvelle souveraine Jeanne. Dans cette situation, Hakuya pourrait être le Premier ministre des deux pays.

Jeanne le regarda, confuse.

« Es-tu sûr ? Ça va être difficile, tu sais ? »

« Je suis prêt pour cela. Sa Majesté m’a dit de m’y préparer aussi. »

« Es-tu vraiment d’accord pour venir dans l’Empire ? »

« J’ai hâte d’y être, c’est assez surprenant… » Hakuya arbora un léger sourire auquel on ne se serait jamais attendu de sa part en temps normal. « J’ai entendu dire que la Grande Bibliothèque de Valois est encore plus merveilleuse que les archives que nous avons dans le Royaume. »

« Murgh… Ta première raison, ce sont les livres ? »

« Heh, certainement pas. Ma première raison, c’est toi, bien sûr. »

« Eh bien, c’est très bien ainsi. » Jeanne prit la main de Hakuya. « Je suppose que… Je vais pouvoir te toucher quand je veux à partir de maintenant. »

« Aussi longtemps que je vivrai. »

« Je commence à sentir que je peux donner le meilleur de moi-même. Mais cela signifie que je vais devoir m’habituer à te donner des ordres… »

Sur ce, Jeanne lâcha la main d’Hakuya et tapota le siège à côté d’elle.

« D’abord, j’aimerais que tu t’assoies à côté de moi. »

« Par ta volonté. »

Hakuya s’assit à côté de Jeanne comme on le lui avait demandé. Jeanne continua.

« Voyons voir. Je crois que je vais te demander de mettre ton bras autour de moi ensuite. »

« Héhé, est-ce un ordre ? »

Quand Hakuya posa cette question de manière pointue, Jeanne sourit timidement.

« Non. C’est une jolie demande de la part de celle qui va devenir ta femme. »

◇ ◇ ◇

Vers deux heures de l’après-midi, les forces de défense nationale de Friedonia arrivèrent à Valois.

Fuuga ne semblait pas intéressé par la poursuite de la guerre, et les forces du Royaume du Grand Tigre avaient brisé le siège de la capitale impériale, c’est pourquoi la Force de défense nationale s’était déployée en face d’eux, intentionnellement, au cas où les forces de Fuuga souhaiteraient continuer à se battre.

Pendant que les forces de défense nationale dirigées par Excel et Ludwin tenaient en échec les forces du Royaume du Grand Tigre, Liscia vint au château de Valois avec Aisha. Naden et moi les avions rencontrées dans le bureau des affaires gouvernementales du château.

« Souma, ça va ? Tu n’es blessé nulle part, n’est-ce pas ? » sont les premiers mots qui sortirent de la bouche de Liscia alors qu’elle commençait à me toucher partout, à la recherche de blessures. J’avais l’impression que maintenant qu’elle était la mère de deux nourrissons et qu’elle aidait aussi les autres reines avec les leurs, elle avait encore plus tendance à s’occuper de moi.

J’avais souri ironiquement et j’avais posé une main sur l’épaule de Liscia.

« Je te l’ai dit, je vais bien. Tu as vu l’émission, n’est-ce pas ? Depuis, je suis au château. »

« Mais tu as attrapé Madame Maria au moment où elle tombait, n’est-ce pas ? Personne ne m’avait dit qu’il y aurait un spectacle comme ça, alors j’ai eu des frissons. »

« Oui… moi aussi, » dis-je. En y repensant… Parce que Maria avait elle-même choisi de faire ce coup, je frémissais à l’idée de ce qui se serait passé si je n’étais pas arrivé à temps.

Liscia fit signe à Aisha, qui réagit avec une joie évidente. Elle remuait sa queue métaphorique en s’approchant pour avoir son tour avec moi.

« Votre Majesté ! Tu m’as tellement manqué ! »

« Oh, voyons, cela ne fait que quelques jours, n’est-ce pas ? »

« Mais tu ne m’as pas emmenée quand tu allais dans un château assiégé », se plaignit-elle, les joues gonflées. « Cela m’a fait me sentir si seule en tant que reine et garde du corps. Si j’avais été avec toi, j’aurais pu faucher les hordes de soldats du royaume du Grand Tigre qui arrivaient en trombe. »

C’est terriblement violent de dire cela avec des joues si joliment gonflées…

Je souris ironiquement en tapotant la tête d’Aisha.

« Je suis désolé. Mais j’ai dû envisager la possibilité que si Fuuga décidait de ne pas être raisonnable, il pourrait y avoir un combat entre nos forces. Je voulais que tu sois aux côtés de Liscia si nous devions en arriver là. »

« Hrmm… Eh bien, oui, je veux aussi protéger Liscia… »

« Hee hee, merci d’être toujours là, Aisha, » dit Liscia.

« Oui, madame ! Tu es trop gentille ! »

Aisha fit un salut en réponse au sourire de Liscia.

Elles s’entendaient très bien grâce à tous les fardeaux qu’elles avaient partagés et à l’expérience d’élever des enfants ensemble. Mais on pourrait dire la même chose de n’importe laquelle de mes deux femmes.

Liscia sourit ensuite à Naden.

« Merci d’avoir pris soin de Souma, Naden. »

« Hé, c’est mon travail. Je ne suis pas vraiment un dragon, mais il reste mon chevalier », répondit-elle avec un grognement suffisant. Pendant ce temps, la queue écailleuse de Naden se balançait d’avant en arrière, frappant le sol derrière elle.

Elle est si facile à lire. Cela m’avait toujours fait sourire de voir mes femmes interagir.

« Hee hee ! Au fait, Souma ? »

Liscia me regarda d’un air soupçonneux.

« Hm ? »

« C’est resté au coin de mon œil tout ce temps, alors je me suis demandé… qu’est-ce que c’est ? »

Liscia regardait les rideaux qui recouvraient les fenêtres à côté de la porte qui donnait sur le balcon. L’un d’entre eux s’était gonflé de façon anormale, s’enroulant sur lui-même.

« Oh, ça… » Je m’étais gratté la joue. « … serait l’impératrice de ce pays. »

« Peux-tu répéter ? » Liscia me regarda de travers. Je pouvais pratiquement voir le point d’interrogation flotter au-dessus de sa tête.

« Ah… Madame Maria ? Veux-tu bien maintenant sortir ? »

La bosse dans les rideaux tressaillit lorsque je prononçais son nom. Puis, tournoyant pour se détendre, elle émergea rouge vif, ses longs cheveux aériens un peu ébouriffés et ses yeux quelque peu larmoyants.

Liscia regarda fixement, abasourdie de voir la Maria normalement calme et pleine d’assurance dans cet état.

« Qu’est-ce… qui lui est arrivée ? »

« Je l’ai gâtée comme tu l’as dit, et bien… voilà le résultat. »

La veille, j’avais cédé à tous les caprices de Maria. Qu’il s’agisse de paroles ou de non-dits. Maria avait donc miaulé comme un chaton jusqu’à l’aube. Contrairement à moi, qui m’étais occupé d’elle toute la nuit, le teint de Maria avait été grandement amélioré par un bon repos. Elle était donc plus consciente que moi.

Oui, ayant repris ses esprits, Maria se souvenait de tout ce que nous avions fait la nuit dernière. Tout, depuis le moment où elle m’avait embrassé, jusqu’aux choses que nous avions faites par la suite — et surtout le temps qu’elle avait passé à se comporter comme un chaton. Alors…

« Souma, caresse-moi davantage. »

« Mrrow… Je ne veux pas travailler. »

Elle se souvenait de toutes les fois où elle m’avait parlé avec cette voix ronronnante.

Quand elle s’était réveillée dans son lit, appuyée sur mon bras, et qu’elle m’avait trouvé endormi à côté d’elle (j’avais manifestement atteint ma limite), un flot de souvenirs de la nuit précédente lui était revenu en mémoire. Lorsque je m’étais réveillé, Maria était trop gênée pour me regarder en face. Au lieu de cela, elle se débattait dans tous les sens, le visage enfoui dans un oreiller. C’était plutôt mignon.

« Et est-ce comme ça qu’on en est arrivé là ? » demanda Liscia après avoir entendu mon explication, et je hochai la tête.

« Oui, c’est ça. »

« Pour que Madame Maria soit si embarrassée… Qu’est-ce qu’elle a fait ? »

« Tu aurais dû voir comment elle ronronnait — ! »

« Ne lui dis pas ! » s’écria Maria en me couvrant la bouche pour me faire taire.

Puis, essayant de dissimuler sa gêne, Maria s’éclaircit la gorge.

« Hum… ça fait un moment, n’est-ce pas ? Lady Liscia. »

« Hein ? Ohh, oui. Depuis la réunion des dirigeants au royaume des chevaliers dragons, je crois ? »

« C’est bien ça. Environ deux ans, non ? »

« À l’époque, je n’aurais jamais deviné que notre prochaine rencontre se déroulerait ainsi. » Liscia regarda Maria dans les yeux. « Mais tu t’y préparais déjà à ce moment-là. »

« Oui, je m’y préparais…, » dit Maria avec un sourire un peu désolé. « Le chef d’une nation, se préparant à la briser. C’était lâche de ma part, n’est-ce pas ? »

« Non… en fait, je te respecte pour cela. Tu es restée fidèle à toi-même, tu as défendu ceux que tu voulais défendre — même si cela signifiait que le pays se brisait et que les gens te le reprochaient. En tant que moi-même, personne née dans une famille royale, et en tant que femme, c’est tellement impressionnant que j’en suis jalouse. »

« Oh… ! Merci, Lady Liscia. » Maria sourit, les yeux humides de larmes. Elle avait trouvé une autre personne qui la comprenait.

Liscia, elle, gémissait, une expression complexe visible sur le visage.

Maria la regarda d’un air perplexe et lui demanda : « Y a-t-il un problème ? »

« Hakuya m’a raconté ce qui se passera ensuite. Tu ne seras probablement plus impératrice. Et une fois que tu seras libre, tu voudras venir épouser Souma, n’est-ce pas ? »

« Eh bien… oui. Si c’est possible, j’aimerais bien », dit Maria en rougissant et en jetant un coup d’œil dans ma direction.

Les yeux de Liscia, d’Aisha et de Naden s’étaient plantés dans les miens. Elles ne me faisaient pas de reproches en soi, mais je me sentais quand même coupable. C’était comme si je dormais sur un lit d’aiguilles.

Liscia poussa un soupir. « Serai-je capable de faire du bon travail en me plaçant au-dessus de toi en tant que première reine primaire… ? »

« Je ferai en sorte que tu sois plus belle. Contrairement à moi, qui ai tout jeté, tu as courageusement porté le fardeau que ton sang a placé sur tes épaules, n’est-ce pas ? » Maria sourit légèrement à Liscia. « Et je ferai le peu que je peux pour te soutenir dans cette démarche, bien sûr. »

« Madame Maria… »

« Hee hee. Bien que, maintenant que je ne serai plus impératrice, j’ai trouvé quelque chose que j’ai envie de faire, alors je pense que j’aimerais faire passer cela avant tout travail au château. »

« Et qu’est-ce que c’est ? » demanda Liscia.

Avec un sourire malicieux, Maria se contenta de poser un doigt sur ses lèvres.

« C’est encore un secret pour l’instant, » dit-elle. « Nous en parlerons quand je serai redevenue “juste Maria”. »

Maria était si belle quand elle déclarait cela. Qu’est-ce qu’elle veut faire ? Elle ne me l’avait pas non plus dit, mais il était clair qu’elle avait un bel avenir tout tracé. Cela me rend plus heureux que tout.

☆☆☆

Partie 3

Alors que nous étions en train de discuter, un messager arriva en trombe pour nous informer que Hakuya et Jeanne étaient arrivés. Nous nous étions tous précipités dans la cour du château de Valois.

Jeanne était justement en train de sortir de la gondole quand nous étions arrivés.

« Jeanne ! »

« Hein !? Ma sœur ! »

Maria s’était précipitée et plongea dans les bras de sa sœur.

Jeanne avait d’abord eu l’air surprise, mais elle versa rapidement d’énormes larmes en la serrant dans ses bras, heureuse de voir que sa sœur était saine et sauve.

En voyant les sœurs Euphoria réunies, j’avais senti une chaleur dans ma poitrine. Je dois protéger ces deux-là. Cela brûlait suffisamment pour que je me le jure à moi-même.

◇ ◇ ◇

« Franchement, ma sœur ! As-tu la moindre idée des problèmes que tu as causés à tout le monde !? »

« Oui… »

Une fois réunies, Maria et Jeanne demandèrent aux autres de leur laisser un peu de temps seul, et elles se retirèrent dans la chambre de Maria. Maria était maintenant obligée de s’agenouiller sur le lit pendant que Jeanne lui faisait la morale.

Maria se rétrécissait comme une petite fille, bien qu’elle soit une femme d’une vingtaine d’années.

« Quand je t’ai vu sauter… ça m’a presque déchirée ! Les soldats de la forteresse de Jamona criaient tous aussi ! Tu as toujours été comme ça ! Tu n’as pas assez d’estime pour toi-même ! C’est tout simplement insupportable pour tous ceux qui te regardent ! »

« Oui… Je suis désolée. »

« Oui… Tu… as intérêt à l’être…, » dit Jeanne, sa voix s’élevant sous l’effet de la colère. Mais peu à peu, elle s’étouffa tandis que ses yeux se remplissaient de larmes. « Grande sœur… »

« Jeanne… »

« Je suis… Je suis tellement… tellement contente… que tu ailles… bien… Wahhhhh ! » Jeanne serra Maria contre elle en pleurant. Maria enroula ses bras autour de Jeanne et lui caressa doucement le dos.

« Jeanne. Tu me donnes un peu de mal à respirer. »

« Ohhh… Supporte-le juste un peu… » dit Jeanne en reniflant.

« Heehee ! D’accord. »

Maria continua d’enlacer doucement Jeanne pendant qu’elle pleurait.

Quelque temps plus tard, une fois que Jeanne s’est calmée, Maria cessa de s’agenouiller et fit asseoir Jeanne à côté d’elle. Les deux sœurs s’étaient assises côte à côte sur le lit. Maria tapotait la tête de Jeanne lorsqu’elle évoqua un sujet dont elles devaient parler.

« Hé, Jeanne. Il y a quelque chose que je voulais te demander. »

Jeanne renifla avant de demander : « Qu’est-ce que c’est… ? »

« C’est quelque chose que je ne peux pas bien faire moi-même, alors je voulais te le demander », dit Maria avec un doux sourire.

« Es-tu sûre de cela, ma sœur ? » demanda Jeanne, hésitante, en se plaçant derrière Maria, qui était assise sur une chaise.

Maria, elle, était complètement détendue.

« Oui. Coupe ! » dit-elle d’un ton enjoué. Jeanne s’était alors préparée à ce qu’elle allait devoir faire.

« D’accord… alors je vais commencer à couper ! »

Avec ces mots pour se motiver à agir, Jeanne serra les ciseaux qu’elle tenait.

 

 

Coupe ! Les ciseaux claquèrent, et une mèche des magnifiques cheveux dorés de Maria tomba et s’éparpilla sur le sol.

« Ahhh ! » s’écria Jeanne, surprise, en faisant un bond en arrière.

Jeanne avait affronté sans crainte Nata Chima, un homme qui était comme l’incarnation de la violence. Pourtant, maintenant, elle réagissait comme une paysanne qui aurait soudainement rencontré une grenouille.

Maria gloussa en pensant à l’étrangeté de la situation. « Hee hee, pourquoi cries-tu ? »

« Mais ! Tes cheveux ! »

« Ne fais pas tout un plat d’une petite coupe de cheveux », déclara Maria en jouant avec sa frange. « Depuis que j’ai entendu l’histoire de Liscia qui s’est coupé les cheveux pour montrer sa détermination, j’ai envie de faire la même chose. J’ai l’impression que cela m’aidera à prendre un nouveau départ. »

Jeanne cligna des yeux à plusieurs reprises.

« Fais-tu ça à la légère !? Mais tu te laisses pousser les cheveux depuis toujours, n’est-ce pas ? »

« Je l’ai fait parce que je pensais que cela aiderait à donner l’impression d’une impératrice digne, mais… c’est lourd, tu sais ? Et difficile à entretenir. Je commence à avoir l’impression que c’est l’incarnation de mon titre d’impératrice. »

« Ne dis pas des choses aussi critiquables si facilement. »

« C’est pour cela que je voulais prendre le risque de les couper. Mais je ne suis pas sûre de pouvoir les couper aussi proprement que Liscia, c’est pourquoi je voulais que tu m’aides. »

« C’est juste… Cela se passerait probablement très mal si tu essayais de le faire toi-même. »

Maria était plutôt maladroite quand il s’agissait de faire autre chose que d’être charismatique ou de s’occuper de son travail administratif. Il était facile d’imaginer que même si elle se contentait d’égaliser sa frange toute seule, elle la couperait bizarrement et viendrait de toute façon pleurer auprès de Jeanne pour lui demander de l’aide.

Lorsque Jeanne imaginait sa sœur en train de faire une telle gaffe, les sentiments forts qu’elle avait éprouvés en coupant les cheveux de sa sœur se refroidirent rapidement.

Maria fit signe à sa sœur.

« Viens, Jeanne. Le travail n’est pas encore terminé. Si tu me laisses comme ça, j’aurai l’air bizarre, avec une partie de mes cheveux en moins. Je serais trop gênée de laisser Souma et les autres me voir comme ça. »

« D’accord, d’accord… » Jeanne soupira et se remit à couper les cheveux de Maria.

Coup de ciseaux, coup de ciseaux. Chaque fois que les ciseaux s’enfonçaient dans les cheveux de Maria, des mèches d’or s’éparpillaient sur le sol.

« N’est-ce pas dommage de faire ça ? Tu as de si jolis cheveux. »

« Une fois que tu auras fini de les couper, pourquoi ne pas les rassembler et créer une sorte de commerce ? On pourrait vendre des perruques faites avec les cheveux de la Sainte de l’Empire, ou peut-être de la ficelle. »

« Il y a certains maniaques qui apprécieraient… »

« Je te parie que Krahe paierait cher, tu ne crois pas ? »

« Rien de ce que cela me fait imaginer n’est agréable, alors s’il te plaît, arrête… »

Coup de ciseaux, coup de ciseaux.

« Et si je l’offrais à Sire Souma ? Comme premier cadeau de sa nouvelle femme. »

« Son premier cadeau de ta part, ce sont tes cheveux ? C’est beaucoup trop lourd ! »

« Je ne pense pas qu’il y en ait assez pour que ça gêne ? »

« Je parle du poids émotionnel ! »

« Quoiiiii… » Maria avait l’air mécontente. « J’ai pensé que c’était une bonne idée. Son uniforme noir a beaucoup de broderies dorées, alors je ne pense pas qu’il remarquerait si j’y tissais quelques uns de mes cheveux. »

« Tu allais le faire sans le lui dire !? D’accord, peut-être qu’il ne le remarquerait pas, mais c’est quand même lourd ! Lui faire porter tes cheveux sur lui en permanence ? C’est le genre de chose que l’on fait pour quelqu’un qui est décédé ! Pour se souvenir de lui ! »

« Oh, mais ne serait-ce pas bien qu’il se souvienne toujours de moi ? »

« Non… Ton manque d’expérience romantique t’a donné des idées étranges. »

Coup de ciseaux, coup de ciseaux.

« Oh, et tu l’as déjà dit avec désinvolture, mais… »

« Oui ? »

« Sa nouvelle femme ? Vas-tu épouser Sire Souma ? »

« Oui… c’est ce que l’on espère. Il faudra quand même qu’on en parle. »

« Euh… félicitations. C’est normal de dire ça, non ? »

« Hee hee, merci, Jeanne. Mais… »

« Hm ? »

« Toi aussi, tu as un partenaire avec qui tu veux partager le reste de ta vie, n’est-ce pas ? »

« Hein !? Ah, c’est vrai… »

« C’est Sire Hakuya ? »

« Oui. Il va venir ici… hum… dans ce pays pour m’épouser. »

« Oh, mon Dieu ! »

« Argh… Tu me mets dans l’embarras… »

Coup de ciseaux, coup de ciseaux.

« Désolée, Jeanne… Je sais que je vais te faire porter un lourd fardeau à partir de maintenant. »

« Non, ne t’inquiète pas pour ça. Tu as porté un fardeau encore plus lourd pendant tout ce temps, alors je me débrouillerai. Je ne serai pas seule, après tout. »

« Hee hee, parce que tu auras Sire Hakuya avec toi ? »

« Ne remets pas ça sur le tapis ! »

« Avec un peu de chance, Trill pourra aussi trouver quelqu’un de bien. »

« Ah… Elle se comporte actuellement comme la belle-sœur fouineuse de Sire Ludwin et de Madame Genia… Si Sire Ludwin voulait bien l’épouser… Non, ce ne serait pas juste pour lui, elle lui donnerait des ulcères en raison du stress. »

« Hee hee, la princesse foreuse serait à la hauteur de sa réputation en lui faisant un trou en plein dans l’estomac, n’est-ce pas ? »

« Ce n’est pas une blague drôle si tu es Sire Ludwin… Quoi qu’il en soit. »

Coup de ciseaux…

« Nous avons terminé, ma sœur », dit Jeanne en tendant un miroir à Maria.

En se regardant dans le miroir, le propre visage de Maria se reflétait dans ses cheveux courts et soignés. Elle avait perdu la dignité que lui conféraient ses longs cheveux, mais en échange, le visage de Maria en tant que femme individuelle ressortait d’autant plus.

Maria pencha la tête, inspectant tout autour d’elle, puis hocha la tête. « Oui, je pense que les cheveux courts me vont bien aussi. »

« Tu vas le dire toi-même… ? » Jeanne soupire d’exaspération.

Voyant l’expression de sa sœur, Maria sourit et dit : « Merci, Jeanne. Je me suis enfin débarrassée de ce poids sur mes épaules. »

Maria montra ses nouveaux cheveux à Souma et aux autres plus tard. Leurs yeux s’étaient écarquillés de surprise au début, mais une fois qu’ils s’étaient repris, elle reçut tout un tas de compliments.

En entendant tous ces commentaires positifs, Maria fit un signe de paix triomphant à Jeanne.

« On a réussi, Jeanne ! »

☆☆☆

Chapitre 12 : Résolution

Partie 1

Ce soir-là, j’avais reçu un rapport indiquant que Hashim était arrivé avec la cavalerie-wyverne que Fuuga avait envoyée pour aller le chercher.

Nous commencerons immédiatement les pourparlers de paix entre le Royaume de Friedonia, l’Empire du Gran Chaos et le Royaume du Grand Tigre. Afin d’éviter toute confusion, nous établirons un camp entre les forces de Friedonia et celles du Royaume du Grand Tigre, et nous limiterons les délégations de chaque côté.

Les deux camps étaient sur les dents, et il était clair qu’ils étaient prêts à charger dès qu’il arriverait quoi que ce soit à l’un de leurs dignitaires. Dans cette situation tendue, voici qui avait été choisi pour chaque délégation : Le Royaume de Friedonia m’avait envoyé, ainsi que Hakuya et Aisha. L’Empire avait envoyé Maria et Jeanne. Le royaume du Grand Tigre avait envoyé Fuuga, Mutsumi, Hashim et la traîtresse Lumière. Le vieux général Gaifuku était également venu, en tant que garde du corps.

Comme le Royaume et l’Empire étaient déjà considérés comme étant du même côté, l’équipe du Grand Tigre avait la taille de nos deux équipes réunies. J’avais d’ailleurs dit à Fuuga de laisser Krahe en dehors de tout ça, car il ne ferait que compliquer les choses.

« Lumière… » murmura Jeanne en apercevant son ancienne camarade de l’autre côté.

Jeanne avait considéré Lumière comme une amie proche, alors Jeanne ne savait pas comment se sentir par rapport au fait qu’elle avait pris le parti de Fuuga plutôt que celui de sa sœur. Hakuya posa sa main sur le dos de Jeanne, la soutenant doucement.

Lumière, quant à elle, n’avait pas sourcillé. En fait, elle avait une expression si sérieuse sur le visage qu’on aurait pu croire qu’elle réprimait ses propres sentiments. Elle avait fait cela pour insister fièrement sur le fait qu’elle n’avait rien fait de mal.

À l’intérieur du camp, nous avions été répartis dans nos équipes respectives, et tout le monde avait pris place, sauf Aisha et Gaifuku. De là où j’étais assis, Hakuya était en face d’Hashim, Jeanne était en face de Lumière à ma gauche, et il y avait une carte de l’Empire entre les deux.

« J’aimerais passer directement à la détermination des frontières pour après la guerre », commença Hashim, et Hakuya hocha la tête.

« Très bien. Madame Jeanne, madame Lumière, ça va ? »

« “Oui.” »

Et c’est ainsi qu’ils commencèrent tous les quatre à discuter de nos domaines respectifs. Je faisais confiance à Hakuya pour négocier à ma place, tandis que Fuuga faisait négocier Hashim pour lui. Ils étaient tous les deux intelligents, alors ils trouveraient probablement un compromis décent. Ils allaient intégrer les régions de l’Empire qui avaient fait défection dans le Royaume du Grand Tigre. Ensuite, il s’agirait de régler les moindres détails.

Pendant que les personnes les plus intelligentes de la pièce négociaient, Maria, Fuuga, Mutsumi et moi avions discuté de ce qui allait se passer à partir d’ici dans un sens plus large.

« Je ne comptais pas sur ton intervention maintenant », déclara Fuuga, l’air exaspéré, mais j’avais simplement haussé les épaules.

« Mon alliée était en danger. Je ne pouvais pas la laisser à l’abandon. »

« Même si tu aurais pu obtenir le monde entier si tu l’avais fait ? ».

« Contrairement à toi, je ne veux pas le monde. »

« Hum… » Mutsumi, qui avait écouté, leva la main. « Vous l’avez appelée votre alliée, mais quand le royaume et l’empire ont-ils formé une alliance ? ».

« L’alliance secrète s’est faite peu de temps après mon arrivée dans ce monde, donc… depuis 1546, je crois ? ».

« Hein ?! C’était il y a si longtemps… ? »

Alors que les yeux de Mutsumi s’écarquillèrent, Maria gloussa.

« Oui. Souma a été un allié fiable depuis lors. »

« Ha ha ha, vous avez vraiment réussi à m’avoir. J’ai sous-estimé la force des liens entre le royaume et l’empire. » Fuuga se gratta la tête. Cela faisait un moment que je ne l’avais pas vu sans son casque.

Puis il jeta un regard combatif à Maria.

« Attendez… Vous vous êtes coupé les cheveux ? Ça a l’air bien. »

« Merci. Ils étaient lourds. J’ai l’impression d’être soulagé d’un poids. »

« Est-ce que vous avez coupé les gars du nord de la même façon ? »

« Hee hee, je n’ai aucune idée de ce que vous voulez bien vouloir dire ».

Fuuga fit une grimace, tandis que le sourire de Maria était détendu, mais avait une intensité mystérieuse. Mutsumi et moi avions observé, avec des sueurs froides, ces deux personnages massivement charismatiques qui s’affrontaient. C’était comme être jeté dans une cage avec un lion et un ours.

Je dois servir de médiateur entre ces deux-là… ? J’avais l’impression que j’allais être submergé par la position dans laquelle je me trouvais, mais je devais me ressaisir.

Soudain, Fuuga prit la parole, interrompant le fil de mes pensées.

« Alors, comment comptes-tu régler les choses ? » demanda Fuuga en posant sa joue sur la paume d’une main. « Nous pouvons les laisser discuter des frontières, mais qu’adviendra-t-il de l’Empire à partir de maintenant ? La Déclaration de l’humanité est pratiquement morte à ce stade. Maria… ou dois-je plutôt demander à Souma ? Quels sont tes projets pour l’Empire ? »

« C’est sans doute à Maria de le dire. »

Je regarde Maria. Elle acquiesça en silence.

« Tout d’abord, je dissous la Déclaration de l’humanité. Vous aurez le contrôle du nord du continent, tandis que l’Union maritime s’étendra au sud. Notre pays participera également à l’Union maritime, de sorte que l’ère stagnante qui nécessitait la Déclaration de l’humanité est déjà révolue. Dans le même temps, mon pays abandonnera complètement nos anciens États vassaux que sont la République fédérale de Frakt et le Royaume de Meltonia. »

« Vous vous retirez de la représentation de l’humanité ? Souma, Maria, vous avez tous les deux la force de vous emparer du monde. Pourquoi êtes-vous si passives dans la recherche de la gloire ? Je n’arrive pas à comprendre », dit Fuuga avec mépris, les sourcils froncés.

Maria esquissa un petit sourire et répondit : « Il n’est pas bon de laisser votre portée dépasser votre emprise. Mes souhaits sont plus petits, mais pas moins importants. »

« Les souhaits que vous avez non pas en tant qu’impératrice Maria, mais en tant que Maria tout court ? »

« Oui. »

Maria acquiesça fermement et Fuuga laissa échapper un rire franc.

« Vous avez des yeux inébranlables comme ceux de Mutsumi. Je ne peux pas désapprouver cela. »

« Merci. »

« Alors, qu’en est-il de l’Empire lui-même ? »

« Les gens qui se sont soumis à vous et les terres qu’ils gouvernent ne reviendront pas vers nous, j’en suis sûre… Avec la fin de la Déclaration de l’humanité, mon pays est grandement diminué. Je ne pense plus qu’il soit approprié de l’appeler l’Empire du Gran Chaos. Désormais, nous serons le royaume d’Euphoria. J’abdiquerai le trône, et ma jeune sœur Jeanne me remplacera en tant que reine. »

« Quoi… ? »

Le démantèlement d’un empire, la fondation d’un nouveau royaume, l’abdication de Maria, le couronnement de Jeanne… Même Fuuga devait être surpris, en recevant tout cela en même temps.

« Le royaume d’Euphoria ? N’était-ce pas le nom du pays détruit par l’empereur Manas ? » demanda Mutsumi.

« Oui », répondit Maria en hochant la tête.

L’Empire du Gran Chaos avait été fondé lorsque Manas Chaos, le roi Chaos, avait annexé la patrie de sa femme, le royaume d’Euphoria. J’avais entendu dire qu’il se sentait peut-être coupable de l’avoir fait parce que Manas avait hérité du nom Euphoria de la terre qu’il avait détruite. Est-ce pour cette raison que les empereurs suivants avaient utilisé le nom d’Euphoria ?

En fait, Maria avait l’intention de restaurer le royaume d’Euphoria. L’ancien royaume était situé au nord-ouest de l’Empire, il ne s’agissait donc d’une restauration que de nom. Mais ce serait suffisant pour conserver les nobles et les chevaliers qui suivaient les traditions de ce pays.

Hakuya, Jeanne et moi avions tous été surpris lorsque nous avions entendu cela. À quel point Maria s’était-elle préparée à une telle conclusion ?

« Que se passera-t-il pour vous après votre abdication ? Vous vous retirez pour prendre la responsabilité de cette guerre, c’est ça ? ».

« Eh bien… »

« Je la prendrais sous mon aile », avais-je répondu à Fuuga au nom de Maria. « Pendant que Madame Maria se retire pour prendre des responsabilités, c’est nous qui prendrons sa garde. Je ne laisserai personne poser la main sur elle, Fuuga. Pas même toi. »

Fuuga et ceux qui s’étaient soumis à lui voulaient probablement capturer Maria et la persécuter politiquement afin de rendre les terres qu’ils avaient prises plus faciles à gouverner. S’ils la soumettaient à un tribunal, en se vantant bruyamment de la justesse de leurs propres actions, cela ferait une excellente propagande. Mais je n’allais pas les laisser faire.

« Je suis d’accord pour que ce soit une victoire pour toi sur le papier, au moins. Le royaume du Grand Tigre a pu s’assurer des ressources humaines, et moins les morts pendant les escarmouches, vous n’avez rien perdu. Mais si vous comptez exiger la garde de Maria, des réparations ou quoi que ce soit d’autre, cela changera. »

« Tu crois que tu pourrais gagner un combat contre moi… ? » Fuuga me lança un regard noir. Il était effrayant, mais j’avais tenu bon.

« Parfaitement. Ou forcer une égalité qui ne ferait que nous blesser tous les deux si je n’y parvenais pas. Tu perdrais ta “victoire” si cela arrivait. Cela devrait être un coup douloureux pour toi, alors que la victoire constante est ce qui te permet de rassembler les gens. »

« Oui, tu marques un point. »

Oh, il l’a donc compris lui-même ? C’est un soulagement.

☆☆☆

Partie 2

Fuuga regarde Maria. « Pourquoi allez-vous au Royaume ? Pour épouser Souma ? »

« J’espère bien. »

« Mais vous savez que ma sœur Yuriga est là aussi ? »

« Eh bien, d’après ce que j’ai entendu, nous nous entendrons à merveille. J’ai entendu dire que Mlle Yuriga avait décidé que vous ne pouviez pas vaincre Sire Souma comme vous le faites maintenant. Je pense que nous nous entendrons bien. »

Voyant le sourire sur le visage de Maria, Fuuga haussa les épaules d’un air exaspéré.

« Il y a trop de femmes coriaces de nos jours. Elles n’arrêtent pas de défier mes attentes. »

« Je l’ai découvert il y a longtemps…, » murmurai-je.

« Je n’en doute pas, » déclara Fuuga avec un sourire ironique.

 

◇ ◇ ◇

Alors que Souma, Maria, Fuuga et Mutsumi avaient une discussion étonnamment détendue sur ce qui allait se passer après la guerre, Hakuya le Premier ministre à la robe noire et Hashim, la sagesse du tigre, se livraient à une intense guerre de mots.

Hashim fit claquer sa main sur la carte qui les séparait.

« Nous tenons actuellement l’est de l’Empire jusqu’à la forteresse de Jamona, » dit-il. « Cette terre est un lien important entre Zem et l’État papal orthodoxe. Nous la conserverons. »

Hakuya rétorqua : « Si vous nous rendez une partie des terres du nord de l’Empire, le long de la côte, je serai prêt à l’accepter. »

« Ces terres nous sont déjà échues. »

« Alors vous devriez échanger d’autres terres contre elles. Il y a un certain nombre de maisons de chevaliers et de nobles dans les territoires du nord qui ont choisi la loyauté envers la maison d’Euphoria bien qu’elles se retrouvent entourées de membres de la faction Fuuga. Nous en prendrons la garde, afin que vous puissiez redistribuer leurs terres. »

« Mais les domaines qui ont des ports ont de la valeur. »

« Et nous concéderons des territoires importants pour la navigation terrestre, c’est donc un échange égal. Madame Maria a de toute façon déplacé la majeure partie de la marine impériale vers le sud. Si nous devions forcer les choses avec notre flotte, pensez-vous pouvoir défendre ce territoire ? »

« Peu probable… Très bien, alors nous prendrons quelques terres au nord de la forteresse de Jamona. »

« C’est inévitable, je suppose… Discutons des trois villes dont la République s’est emparée sur Zem. »

« Vous n’allez pas les rendre même si nous vous le demandons, n’est-ce pas ? »

« C’est vrai. Bien qu’ils fassent partie de l’Alliance maritime, la République est une nation indépendante, j’aimerais donc négocier cette question séparément. »

« Heh, ce n’est pas une grande douleur pour nous si Zem perd un territoire, mais… Celui-ci, près du centre, ils devront le rendre. S’ils le font, ils pourront garder les deux autres. »

Il veut qu’ils rendent la ville qui sera la plus difficile à défendre en cas d’attaque, c’est ça ? pensa Hakuya. « Je transmettrai le message à Messire Kuu. »

Tous deux étaient des esprits brillants, ils comprenaient donc ce qui était important pour leur propre pays, ce qui ne l’était pas, où il serait facile de se défendre et où il serait difficile d’attaquer. Ils avaient vu où se trouvaient les points de compromis dans ces négociations, alors ils n’avaient pas perdu de temps à tenir bon pour essayer de maximiser la quantité de territoire qu’ils gagnaient. Ils avaient décidé de la répartition des territoires après la guerre de façon appropriée et en peu de mots.

À côté d’eux, Jeanne et Lumiere étaient assises.

Jeanne avait une expression peinée sur le visage, tandis que Lumière la regardait avec frustration.

Elles avaient été de bonnes amies, mais finissaient souvent par être en désaccord sur la politique de Maria, et Lumiere avait choisi Fuuga plutôt que Maria.

« Lumiere… »

« Ne le dis pas, Jeanne. J’ai choisi ma voie. »

Lumiere la repoussa d’abord, puis elle fixa le plafond.

« Non… Je pensais avoir choisi ma voie, mais en y regardant maintenant, j’ai peut-être simplement dansé dans la paume de la main de ta sœur. Maintenant que je vois les résultats, je peux dire que ta sœur avait prédit que nous perdrions confiance en elle et qu’elle s’était préparée à nous couper les vivres à l’avance. Il est difficile de dire qui a abandonné qui à ce stade. »

Lumiere laissa échapper un rire effacé avant de regarder Jeanne.

« Ce que je ne comprends pas, en revanche, c’est pourquoi vous avez apporté votre soutien à la reconstruction du Nord. Si vous aviez l’intention de nous couper les vivres, pourquoi nous avoir soutenus ? Si vous ne l’aviez pas fait, cela aurait été un coup financier contre Fuuga lorsqu’il a acquis le territoire. »

« Je pense que… ma sœur était déchirée sur ce qu’elle devait faire », dit Jeanne en jetant un coup d’œil à Maria, qui discutait avec Souma et les autres à proximité. « Jusqu’à présent, elle a toujours essayé d’être l’impératrice en qui les gens croyaient. Mais elle a atteint ses limites. Je pense que si tu avais continué à croire en elle, elle aurait continué, mais si vous décidiez de l’abandonner, alors c’était fini… C’est pour ça qu’elle a continué à travailler pour le bien des territoires du Nord jusqu’à peu de temps avant la fin. »

« Si elle avait une telle détermination, j’aurais aimé qu’elle s’en serve pour libérer le domaine du Seigneur-Démon ! »

Jeanne plaignait Lumiere, en voyant la frustration qui se lit sur son visage.

En fin de compte, elles n’avaient pas les mêmes objectifs. Mais Maria et Lumiere avaient chacune leur propre position à prendre en compte, si bien qu’un grand nombre de personnes s’étaient retrouvées prises dans le désaccord, et la faille s’était transformée en un conflit dont on ne pouvait pas revenir.

Malgré tout, je suis heureuse que les choses se soient passées ainsi. Parce que ma sœur va enfin être libre, pensa Jeanne.

Assez rapidement, les négociations entre Hakuya et Hashim prirent fin.

« Est-ce que tu dirais que cela suffit pour l’instant ? » demanda Hakuya.

« Je suppose que oui… », acquiesça Hashim.

Hakuya et Hashim échangèrent une poignée de main tout à fait formelle.

 

◇ ◇ ◇

Voici un aperçu de ce qui avait été décidé lors des pourparlers :

1) Aucune réparation ne devait être payée par l’une ou l’autre des parties.

2) Le Royaume du Grand Tigre ne tiendrait pas Maria pour responsable de la guerre et n’en demanderait pas la garde.

3) L’Empire renoncera aux territoires du nord et à la partie orientale de l’Empire.

4) Les seigneurs des territoires cédés décideront à quel pays ils veulent appartenir. (La plupart des seigneurs et des chevaliers du nord changeraient d’allégeance pour le Royaume du Grand Tigre).

Toute cette guerre sera connue sous le nom d’armistice de Valois. Les gens considéreront sans doute cela comme une victoire pour le royaume du Grand Tigre. Bien qu’il n’ait pas pu obtenir de réparations, il avait gagné des terres et des ressources humaines, et n’avait été désavantagé que lors d’une escarmouche contre le royaume de Friedonia à la toute fin.

Pendant ce temps, l’Empire, qui avait perdu des terres et des hommes, était considéré comme le perdant du conflit. Ses forces terrestres avaient été particulièrement réduites, et le noyau de son armée de l’air était parti pour le Royaume du Grand Tigre avec le général Krahe, de sorte que sa capacité à mener une guerre sur le terrain avait été réduite de moitié. Cependant, avec leurs forces navales pratiquement intactes et la décision prise de rejoindre l’Alliance maritime, ils étaient encore une force avec laquelle il fallait compter.

Maria s’était abstenue d’assumer la responsabilité de la crise et avait annoncé la dissolution de l’Empire du Gran Chaos. Avec la fondation du nouveau royaume d’Euphoria, sa jeune sœur Jeanne monterait sur le trône à sa place. Jeanne annonça immédiatement l’intention du royaume d’Euphoria de rejoindre l’Alliance maritime.

Désormais, le continent était divisé en deux : entre le nord et le sud, entre Fuuga et Souma.

L’ère de l’affrontement à trois avait pris fin, et une nouvelle ère de contestation nord-sud avait commencé. Le royaume du Grand Tigre retira ses troupes du territoire du royaume d’Euphoria, et une fois que les forces friedoniennes les auraient vus partir, elles rentreraient elles aussi chez elles.

« Fuuga. Qu’est-ce que tu comptes faire à partir de maintenant ? » demandai-je alors que nous nous apprêtions à nous retirer. « Le royaume du Grand Tigre est assez grand. Tu as aussi le personnel nécessaire pour diriger une grande nation maintenant. Que reste-t-il d’autre ? »

« Le domaine du Seigneur-Démon, évidemment », dit Fuuga, le feu de l’ambition brûlant dans ses yeux. « Ce que les gens attendent de moi, c’est un monde sans la menace du Domaine du Seigneur-Démon. Le monde est divisé entre toi et moi pour l’instant. Une fois que j’aurai consolidé mon soutien sur le front intérieur, je pourrai enfin lever une armée pour la libération finale du Domaine du Seigneur-Démon. Je vais porter le coup de grâce au cœur de ce qui a provoqué cette ère de troubles. »

Fuuga était enthousiaste. Ce devait être ce qui attirait les gens vers lui.

« Je vois… Est-ce que ça se passera aussi bien ? » J’étais mal à l’aise.

C’était en partie parce que j’avais vu ce cube massif dans la chaîne de montagnes du Dragon des étoiles. Je soupçonnais qu’il y avait quelque chose au nord que les connaissances de ce monde ne pourraient pas gérer. Fuuga ne pouvait pas simplement entrer dans le château du Seigneur-Démon, tuer le Seigneur-Démon et avoir une fin heureuse comme s’il s’agissait d’un vieux jeu vidéo. Il y avait beaucoup à penser entre la relation entre les monstres et les démons, le message du mystérieux cube « Va au nord », et le nom « Seigneur-Démon Divalroi », qui me semblait familier d’une manière ou d’une autre…

Cependant, Fuuga ne semblait pas s’en préoccuper.

« Nous sommes devenus le plus grand pays sur terre. Toi, tu domines la mer. Nous allons nous diriger vers le nord par terre et par mer. Changeons l’époque de nos propres mains. »

« D’accord… »

Je n’avais pu donner que cette réponse sans engagement.

☆☆☆

Épilogue : C’est sa façon de vivre

– Quelque temps après la signature de l’armistice de Valois —

Lorsque les forces de Fuuga s’étaient entièrement retirées des frontières nouvellement décidées du royaume d’Euphoria et que le monde était à nouveau en paix, Souma et Maria étaient apparus ensemble sur des récepteurs de diffusion installés sur des places de villages dans leurs deux pays.

« Hé ! Regardez les cheveux de Lady Maria ! »

« Oui. Mais elle a l’air si paisible maintenant, comme si elle avait été libérée de quelque chose qui la possédait. »

« Elle est si jolie… J’aimerais être comme elle. »

Dans la foule, beaucoup avaient été surpris par les cheveux courts de Maria. Cependant, il n’y avait plus d’ombre sur son expression à présent. En voyant l’air paisible présent sur son visage, ils étaient soulagés de voir qu’elle n’avait pas été forcée de les couper. Pour les citoyens de l’ancien Empire qui l’avaient regardée se jeter du balcon avec désespoir, c’était un soulagement de la voir en vie et sourire si paisiblement.

« Nous avons quelque chose à dire à tous les habitants du royaume de Friedonia et du royaume d’Euphoria aujourd’hui », commença Souma, puis Maria s’avança.

« Cela concerne ce qui s’est passé jusqu’à présent, et l’avenir de nos pays ».

Tous deux avaient ensuite expliqué l’armistice de Valois au peuple des deux royaumes. Les territoires du nord de l’ancien Empire feraient partie du Royaume du Grand Tigre, tandis que Maria abdiquerait le trône pour assumer la responsabilité de leur perte dans la guerre, et que sa sœur Jeanne régnerait en tant que nouvelle reine d’Euphoria. Ils avaient également expliqué que le royaume d’Euphoria rejoindrait l’Alliance maritime.

Souma avait préparé une nouvelle carte du continent, montrant que l’Alliance maritime rivalisait en taille avec le Royaume du Grand Tigre. Le fait qu’il leur ait montré une carte physique au lieu de se contenter de leur dire, avait mis les gens des deux royaumes à l’aise. Pour les habitants du royaume d’Euphoria qui avaient échappé de peu à la destruction aux mains de Fuuga, le fait de voir leur sécurité garantie dans l’immédiat les incitait à accueillir favorablement cette alliance.

« Maintenant… Jeanne. »

« Oui. »

Lorsque Maria appela le nom de sa sœur, Jeanne apparut à l’émission et s’agenouilla devant elle. Elle plaça le diadème qui l’avait marquée en tant que reine sur la tête de Jeanne, en disant : « À partir de maintenant, je te confie l’avenir de ce pays. »

« Oui ! Je travaillerai avec toute la diligence requise pour ne pas jeter l’opprobre sur ton nom, ma sœur. »

La passation de pouvoir officielle terminée, Maria annonça que pour renforcer les liens de leur pays avec le royaume de Friedonia et aussi pour s’assurer que son influence dans le royaume d’Euphoria ne serait pas un obstacle pour Jeanne, elle épouserait le roi Souma, le chef de l’Alliance maritime. En même temps, ils annoncèrent que Hakuya, le Premier ministre à la robe noire, épouserait la nouvelle reine Jeanne en tant que consort royal.

Parce que Souma avait sauvé Maria pendant la guerre et sorti l’Empire de sa détresse, les habitants des deux pays avaient soutenu le mariage.

Bien que le royaume de Friedonia et le royaume d’Euphoria soient deux nations distinctes, ils ne feront plus qu’un. Les gens appelleraient officieusement la combinaison de ces deux pays l’Empire Gran Friedonia. Et Souma, qui allait devenir Souma Euphoria Friedonia, serait appelé Empereur Friedonia.

◇ ◇ ◇

Le rideau tombant sur le conflit, nous avions laissé Hakuya, qui était maintenant Premier ministre des deux nations, avec Piltory et sa famille dans le royaume d’Euphoria et nous avions ramené Maria au royaume de Friedonia avec nous.

Une montagne de travail m’attendait à mon retour au château de Parnam. Maintenant que nous travaillions avec deux pays dans le cadre d’un seul système, la quantité de travail qui m’attendait avait augmenté.

Liscia et moi avions tous deux regardé les hautes piles de paperasse avec consternation.

« Tu sais, cette vue me rappelle des souvenirs », dit Liscia, et je suis tout à fait d’accord.

« Oui… et nous n’avons pas Hakuya avec nous cette fois-ci. Par contre, nous sommes plus nombreux qu’à l’époque. »

« C’est vrai ! Je ferai de mon mieux pour t’aider ! »

Je jetai un coup d’œil latéral à Ichiha, qui serrait sa main avec enthousiasme.

Dès mon retour, je l’avais nommé, lui, le protégé d’Hakuya, pour assurer l’intérim du Premier ministre en l’absence de son professeur. Il avait le sceau d’approbation d’Hakuya, et il reprendrait le rôle d’Hakuya dans le royaume à l’avenir.

« Hein ? » Liscia pencha la tête sur le côté. « Maintenant que j’y pense, où est Madame Maria ? Elle serait d’une grande aide… »

C’était vrai, vu que Maria avait soutenu une grande nation à elle toute seule, qu’avoir ses capacités administratives serait d’une grande aide. Sans parler de son charisme. Elle pourrait largement combler le trou laissé par Hakuya.

« Ah… je ne compterais pas sur l’aide de Maria », avais-je prévenu Liscia. « Je veux dire, si nous ne pouvons vraiment pas nous débrouiller, elle pourrait nous donner un coup de main de temps en temps. »

« Hm ? Pourquoi pas ? »

« Dès que nous sommes arrivés ici, elle s’est enfuie en disant qu’elle avait des choses à faire. »

« Des choses qu’elle veut faire, hein ? On ne peut pas la forcer si elle ne veut pas le faire à ce moment-là. » Liscia soupira et haussa les épaules.

Maria s’était démenée jusqu’à l’os pour son peuple et son pays avant aujourd’hui. Nous pensions tous que puisqu’elle était enfin libre, elle devait faire ce qu’elle voulait pendant un certain temps.

J’avais tapé dans mes mains et j’avais essayé de changer de rythme.

« Alors, si on se mettait au travail ? Liscia, appelle Roroa et Colbert… Il va falloir qu’il supporte ça un moment avant d’assister Mio. »

« D’accord. Je vais envoyer un messager au domaine des Carmins. »

« Ichiha, envoie-moi tous les documents qui nécessitent l’assentiment royal. »

« Je le ferai, sire. »

+++

Quelque temps après, Roroa et le ministre des Finances Colbert se sont retrouvés au bureau des affaires gouvernementales pour discuter du budget.

Bang ! Les portes du bureau s’étaient ouvertes d’un coup sec.

« Qu-Qu’est-ce qui se passe ?! » Roroa s’exclama alors que cet invité imprévu entra sans même frapper à la porte.

Colbert et moi avions été surpris. Nous avions regardé vers la porte pour voir une Maria « habillée de façon décontractée » qui portait une salopette et une chemise. Le chapeau blanc qu’elle portait était à peine à la mode, mais tout ce qui se trouvait en dessous n’aurait pas dépareillé sur un fermier.

Derrière elle se trouva Naden, qui avait l’air épuisée.

« Souma ! »

Maria s’était approchée à grands pas, passant devant Roroa et Colbert pour se placer devant mon bureau. Ensuite, elle posa devant moi une carte du pays avec un tas de marques dessus.

« Il y a eu plusieurs mauvaises récoltes dans le village d’Osahl, à mi-chemin entre la Cité du Dragon Rouge et la Cité Lagoon. Il semblerait que les insectes nuisibles et le manque de soleil en soient responsables. Cela pourrait entraîner une famine là-bas si nous ne faisons rien. » Nous avions tous regardé la carte pendant qu’elle parlait. « Je te demande d’envoyer des gélines agricoles pour éradiquer les nuisibles et une aide alimentaire pour soutenir la population pour le moment. »

« C’est vrai. J’ai compris. Je m’en occupe tout de suite. »

« Aussi, Roroa. »

« Quoiiiii ?! »

« Le village de Ryan, au nord-ouest, est un centre de commerce et a une grande population. Je veux y installer une école. Avons-nous le budget nécessaire ? »

« Euh, écoute, si tu me demandes ça tout d’un coup, je ne vais pas pouvoir te dire quoi que ce soit… » Roroa parla, esquivant la question, mais Colbert fit un signe et il intervint.

« Nous avons les bénéfices du récent événement des Loreleis, n’est-ce pas ? Ne pourriez-vous pas les utiliser ? »

« Non, non, j’avais l’intention de les utiliser pour le prochain événement… »

« Je crois bien que je t’ai aidée pour l’événement des Loreleis, n’est-ce pas ? » dit Maria en s’adressant à Roroa avec un sourire agréable.

Son beau et intense sourire intimida Roroa… je pourrais comprendre.

« Tu as utilisé ma publicité pour gagner cet argent, n’est-ce pas ? En appelant ça une collaboration de rêve entre la Prima Lorelei et l’ancienne impératrice chanteuse et danseuse ? Vas-tu me dire que je ne peux pas utiliser cet argent ? »

« Augh, très bien ! Prends l’argent, sale voleuse ! »

« Oh, bonté divine, une voleuse ? Ce n’est pas très gentil d’appeler quelqu’un ainsi. » Maria rit.

Elle tenait Roroa là où elle le voulait. Ce n’est pas facile de déjouer les plans de la femme qui a dirigé l’Empire dans ce genre de négociations. Je suis sûr que je ne pourrais pas…

Est-ce ce qu’elle veut faire, hein ? me dis-je en regardant le sourire de Maria.

La nuit où j’étais arrivé à Valois pendant la guerre, elle m’avait dit, les larmes aux yeux…

« Je ne voulais pas juste être gentille avec tout le monde ! »

« Je ne voulais surtout pas faire du favoritisme ! »

Et c’est justement ce que Maria avait choisi de faire. Elle avait commencé à aider les personnes qu’elle voulait vraiment, celles laissées pour compte par la société sans soutien. Peu de temps après son arrivée au Royaume, elle avait harcelé Naden pour qu’elle l’emmène partout en vol afin qu’elle puisse enquêter sur la situation dans ce pays. Maintenant qu’elle avait trouvé toutes ces graines potentielles de mécontentement futur, elle allait y remédier une à une.

Au fond, elle voulait faire de la philanthropie. C’est aussi la raison pour laquelle elle avait coupé ses cheveux longs.

Parce qu’aller dans l’arrière-pays signifie généralement se salir, les cheveux longs risquaient de la gêner. Sans la pression qu’elle subissait auparavant, Maria était devenue incroyablement agressive pour faire avancer les choses.

Ayant atteint le résultat qu’elle souhaitait, Maria déroula à nouveau la carte et sourit.

« D’accord, je vais partir pour un moment. Et j’emprunte encore Naden. »

« Attends ! Tu m’as chevauchée comme tu voulais, mais la seule personne qui est normalement censée me chevaucher, c’est mon partenaire ! »

« La partenaire de ton partenaire est ta partenaire. Allez, on y va. »

Maria avait convaincu Naden, puis l’avait entraînée hors du bureau par la main. Jeanne avait déjà dit que Maria était comme une tempête, et bien… c’est exactement ce qu’elle était.

Alors qu’elle était presque sortie, Maria s’était arrêtée et s’était tournée vers moi. « Oh ! Je reviendrai pour notre mariage. Je t’aime, Souma. »

En disant cela, Maria souffla un baiser dans ma direction.

 

 

◇ ◇ ◇

Après cela, Maria avait refusé de devenir une reine primaire parce qu’elle ne voulait pas des restrictions, et elle avait continué à faire de grandes choses en tant que notre troisième reine secondaire, une Lorelei, une praticienne médicale, une philanthrope, et dans une variété d’autres rôles.

Elle avait construit des places de fontaine dans des régions où l’on ne pouvait qu’écouter les émissions, et avait déployé des équipements pour que l’on puisse les écouter dans des régions où cela n’avait même pas été possible. Elle avait construit des écoles là où il n’y en avait pas à proximité et avait soutenu l’industrie dans des régions qui souffraient de la pauvreté. Maria avait même plaidé en faveur de l’amélioration de notre système médical, et avait obtenu que la motion visant à augmenter les impôts pour améliorer la couverture médicale soit finalement adoptée par l’assemblée nationale, alors qu’elle avait été rejetée auparavant.

« C’était plus rapide que je ne le pensais… »

« C’est sûr. »

Roroa et moi avions été sidérés en entendant cela.

Et avec les fonds qu’elle s’était procurés, nous allions construire des hôpitaux et des cliniques dans tout le royaume. Parfois, elle organisait des concerts de charité avec Juna et les autres Loreleis, et utilisait l’argent récolté pour aider les plus démunis.

C’est ainsi qu’on l’appela l’ange de Friedonia.

« Attends, c’est un rang supérieur à celui de Sainte ! »

« Hee hee, je me demande pourquoi ».

☆☆☆

Histoires courtes en bonus

Partie 1

Maria rend visite aux reines seniors (version Liscia)

Bonjour à tous. Je suis la Maria dont les gens disaient qu’elle était mariée à son pays. Maintenant que j’allais me marier avec Souma, je voulais discuter davantage avec mes sœurs-épouses seniors pour que nous puissions vivre heureuses ensemble. Cet après-midi, je m’étais rendue à la garderie pour apprendre ce qu’était la garde d’enfants auprès de la première reine primaire, Liscia.

Liscia tirait par la main une paire de jumeaux qui avaient la même couleur de cheveux qu’elle.

« Voici Cian, et voici Kazuha. Mes enfants avec Souma. Ils ont quatre ans maintenant. »

« Wôw, quels jolis jumeaux ! »

Je m’étais penchée pour les regarder. Kazuha me regardait avec intérêt, tandis que Cian se cachait derrière Liscia. Ils étaient tous les deux adorables.

Kazuha me montra du doigt avant de pencher la tête sur le côté.

« Maman. Est-ce aussi ma maman ? » demanda-t-elle.

« Hein ? Suis-je ta maman ? »

Alors que j’étais encore surprise d’être soudainement appelée maman, Liscia se tapa le front en signe de consternation et laissa échapper un soupir.

« J’ai accouché avant les autres reines, alors nous nous sommes toutes attachées à ces deux-là. Roroa s’est emportée et a commencé à dire “Maman est là”, et les jumeaux ont commencé à penser que nous étions toutes leurs mamans. »

« O-Oh, vraiment ? »

« Oui. Une fois que même ma propre mère a commencé à leur dire “Maman est là”, j’ai tout fait pour l’arrêter pourtant. »

« Je… comprends pourquoi tu te sens comme ça. »

Cian, qui s’était caché jusque-là, dit « Maman ? » à voix basse et se dirigea vers moi en souriant.

Oh, wow, cet enfant est vraiment trop mignon, m’étais-je dit. « Lady Liscia… Puis-je l’avoir ? »

« Non ! Pourquoi dis-tu des choses folles qui sortent de nulle part !? »

« Je veux dire, il avait peur de moi il y a un instant, mais dès qu’il pense que je suis sa maman, il me sourit sans aucune méfiance ! Je veux le materner ! »

« Calme-toi », dit Liscia en ponctuant son propos d’un léger coup de la main sur ma tête.

« Aïe aïe aïe… Ah ! Qu’est-ce que je disais ? »

« Je vois que tu as repris tes esprits. Cian, Kazuha, allez jouer avec tout le monde. »

Les jumeaux répondirent par un énergique « D’accord ! » et partirent, main dans la main.

Mais euh, je voulais leur parler davantage… Alors que je pensais cela, une fille aux cheveux bleus d’environ trois ans s’approcha avec un garçon aux cheveux châtains qui devait avoir deux ou trois ans. Oh ! Ils sont mignons aussi !

« Cette fille aux cheveux bleus est Enju, la fille de Souma et Juna, tandis que le garçon aux cheveux châtains est Léon, le fils de Souma et Roroa. Ils ont tous les deux environ deux ans. »

« Bonjour, Enju, Léon. »

Je m’étais mise à leur hauteur pour les saluer, comme je l’avais fait avec Cian et Kazuha.

« Hewwo, » dit Enju d’une manière un peu tirée par les cheveux, en m’offrant le sourire d’une future jolie fille. Pendant ce temps, Léon s’agitait timidement.

« Oh… Ils sont mignons aussi. »

« Hee hee, ils le sont vraiment. Enju est intrépide, comme on peut s’y attendre de la part de la fille de Juna, tandis que Léon est introverti, contrairement à Roroa. Il doit tenir cela de Souma. »

Enju et Léon avaient tous deux serré Liscia dans leurs bras.

« Maman Cia ! »

« Maman Ciaaa. »

Ils voulaient de l’attention. J’avais regardé fixement Liscia.

« Tu fais en sorte qu’ils t’appellent aussi maman. »

« Je ne vois pas le problème », balbutie Liscia, qui commença à rougir. « Elles font ça à mes enfants. »

J’avais rigolé en voyant à quel point elle s’énervait. Lady Liscia confia ensuite Enju et Léon à une dame aux oreilles de loup (j’ai appris plus tard qu’il s’agissait de la vraie mère de Tomoe) et m’apporta à leur place un bébé de moins d’un an.

Ce bébé aux cheveux faiblement bleus suçait son index en me regardant tandis que Liscia le tenait dans ses bras.

« Voici le deuxième enfant de Souma et Juna, Kaito. Veux-tu le prendre dans tes bras ? »

« Oui. J’aimerais beaucoup. »

J’avais senti le poids de l’enfant que j’avais accepté de Liscia, ainsi qu’une chaleur dans l’air autour de lui. Kaito me regarda et me sourit.

Submergée par l’émotion, j’avais regardé Liscia. « Vous élevez tous les enfants ensemble et vous avez une communauté de femmes qui se soutiennent mutuellement dans l’éducation des enfants. C’est le genre de chose qui pourrait servir de principe directeur à un État-nation. »

« C’est un peu compliqué ce à quoi tu penses là. Je vois que tu as été impératrice », fit remarquer Liscia, l’air d’être impressionnée.

Je m’étais esclaffée. « Et maintenant, je veux aussi avoir mes propres enfants. »

« Une fois que tu les auras… Je les adorerai de toutes mes forces. Comme les autres. »

Nous nous étions regardées et nous avions souri.

 

 

Maria rend visite aux reines seniors (version Aisha)

Bonjour à toutes et à tous. Je suis la Maria qui s’inquiète un peu de prendre du poids maintenant qu’elle a été libérée de son intense charge de travail en tant qu’impératrice. Maintenant que j’allais me marier avec Souma, je voulais discuter davantage avec mes épouses seniors pour que nous puissions vivre ensemble heureuses. Aujourd’hui, je regardais la deuxième reine primaire Aisha s’entraîner.

« Hngh ! Hah ! Ahhhh ! »

À chaque cri d’effort, Aisha déplaçait son épée vers le bas, faisant ruisseler des cheveux argentés derrière la belle et puissante guerrière elfe sombre. Ma propre petite sœur, Jeanne, était une guerrière compétente, mais les arts martiaux d’Aisha avaient une puissance visible que n’avait pas Jeanne. Elle avait une intensité naturelle et des techniques affinées par un entraînement quotidien. Aucun guerrier de l’Empire n’aurait pu l’égaler.

« Tu es vraiment forte, Aisha », déclarai-je depuis l’endroit où je m’étais assise dans un coin de la salle d’entraînement.

Aisha laissa échapper un rire gêné, tout en continuant à déplacer son épée.

« Avec mes capacités si concentrées dans les arts martiaux, c’est la seule façon pour moi d’être au service de Sa Majesté. »

La peau brune de ses joues rougit. Oh, mon Dieu ! Elle est si mignonne qu’on a du mal à croire qu’elle brandit une épée massive comme ça.

« Tu continues à faire des efforts même maintenant que tu es une reine, à ce que je vois. »

« Oui… ! C’est vrai. Au départ, je me suis imposée à Sa Majesté en tant que garde du corps, alors je ne voudrais pas négliger ce devoir maintenant que je suis devenue reine. »

« Mais tu es la deuxième reine primaire, n’est-ce pas ? Ne t’a-t-il pas demandé d’arrêter de faire des choses dangereuses ? »

« Dans ce pays, on utilise les gens qu’on a, même s’il se trouve que ce sont des membres de la royauté. Il n’y a pas que moi — Lady Liscia et les autres reines font toutes encore le travail qu’elles faisaient avant le mariage. Eh bien, à part Liscia, qui porte le sang de la maison royale d’Elfrieden, et Roroa, qui porte le sang de la maison princière d’Amidonia, le reste d’entre nous n’a pas besoin d’être aussi rigide. »

Je trouve cela étrange pour une famille royale… Les reines ont toutes élevé leurs enfants ensemble, et chacune avait son propre travail. Souma essayait lui aussi de s’occuper des enfants autant qu’il le pouvait, et j’avais vu Liscia lui donner un coup de pied aux fesses en lui disant : « Ça suffit, va maintenant travailler », plusieurs fois déjà.

Le roi et les reines avaient chacun un travail précieux, et comme ils en étaient très occupés, ils se partageaient le travail d’éducation des enfants. Il n’en résultait pas une situation où, après le mariage, il ne restait plus qu’à lutter pour le pouvoir au sein de la famille. C’était si inhabituel… et en même temps si réconfortant pour moi.

Cela me permet de faire ce que j’ai toujours voulu faire, après tout. J’avais regardé Aisha pendant que je pensais cela. Tout comme j’avais des choses à faire, Aisha avait son désir de protéger Souma.

« Souma a de la chance d’avoir une femme comme toi pour le défendre. »

« Je me demande… »

Aisha s’arrêta de s’entraîner. Y a-t-il un problème ?

« Ai-je dit quelque chose qui t’a offensée ? » avais-je demandé.

« Non, pas du tout. Il est vrai que je défends Sa Majesté dans les situations où mes capacités martiales me le permettent. Si Fuuga Haan devait attaquer Sa Majesté, je ferais durer le combat au moins dix coups. Et pourtant… dans toute autre situation, le plus souvent, c’est lui qui me protège. En tant que roi, Sa Majesté a un grand nombre de personnes à sa disposition, et en plus, il fait une nourriture si savoureuse. »

Oui… Je suppose que c’est vrai. Il y avait des moments où tu avais besoin de prouesses martiales pour protéger les autres, mais le monde n’était pas si simple que tu puisses tout résoudre par la seule force des armes.

Aisha poussa un petit soupir. « Je me sens si pitoyable dans ces moments-là. Je ne sais pas comment je dois réagir quand la personne que j’espère protéger doit me protéger… »

Le visage d’Aisha était celui d’une jeune fille amoureuse. Malgré sa force incroyable, elle avait aussi un côté délicat. Cela devait faire partie de son attrait.

« Je pense que c’est simple, vraiment. »

« Madame Maria ? »

J’avais souri alors qu’elle penchait la tête sur le côté en signe de confusion.

« Tu devrais simplement dire “merci” quand il te protège. Ça te rend heureuse quand Souma te remercie après que tu l’as protégé, n’est-ce pas ? »

« Merci d’avoir toujours été là, Aisha. »

« Désolé pour les ennuis. Tu m’as vraiment sauvé là, Aisha. »

Aisha acquiesça comme si elle se souvenait des fois où il l’avait remerciée.

« Tu as raison. Ça donne l’impression que ça en valait la peine. »

« Oui. C’est la même chose pour moi. Jeanne m’aidait toujours, alors quand elle me remerciait pour quelque chose, ça faisait disparaître tout l’épuisement de mon dur labeur. Je suis sûre que Souma est pareil. »

« Merci, Madame Maria », dit Aisha en souriant, puis elle ramassa une épée en bois qui traînait sur le sol. « Ça doit être ennuyeux pour toi, de ne faire que regarder. Viens transpirer avec moi. »

« Euh… À propos de ça… Euh… »

J’avais essayé d’objecter puisque je n’étais pas très athlétique, mais si je devais voyager dans le royaume, il serait peut-être sage d’apprendre à me défendre. C’était le moment ou jamais.

« Pourrais-tu y aller doucement avec moi, s’il te plaît ? »

☆☆☆

Partie 2

Maria rend visite aux reines seniors (version Roroa)

Bonjour à toutes et à tous. Je suis la Maria que l’on ne peut que qualifier de « chômeuse » en ce moment. Maintenant que j’allais me marier avec Souma, je voulais discuter davantage avec mes épouses aînées pour que nous puissions vivre ensemble heureuses. Cet après-midi, j’avais été appelée par la reine de la troisième primaire, Roroa, qui avait une requête à me faire.

Lorsque j’étais arrivée dans une salle de travail pour les bureaucrates du ministère des Finances, Roroa me remarqua et se mit à parler d’une voix cajoleuse.

« Hé, hé, grande sœur Mari. J’ai un petit service à te demander. »

« grande sœur Mari !? » Je n’avais jamais été appelée ainsi auparavant.

Roroa joignit ses mains dans un geste de supplication, les posa contre sa joue droite et pencha la tête sur le côté. C’était une pose calculée et mignonne.

« En dehors de nos positions, j’aime que les personnes plus âgées me considèrent comme leur petite sœur honoraire. J’appelle déjà les autres grande sœur Cia, grande sœur Ai et grande sœur Juna, alors ça fait de toi grande sœur Mari. »

« Oh, je vois… Hein ? Et Naden ? »

En tant que membre d’une race à longue durée de vie, Naden était probablement plus âgée qu’elle, ainsi que toutes les autres reines.

« Nya ha ha… » Roroa laissa échapper un rire ironique. « Tu vois, avec son apparence, ce serait étrange que j’aille l’appeler ma grande sœur. Même Tomoe et Ichiha ont l’air plus âgés qu’elle en ce moment. »

Désolée, Naden… Je ne peux pas réfuter ce qu’elle dit.

« Bon, ceci mis à part, ta mignonne petite sœur a une faveur à te demander. »

« Je vois que l’histoire de la petite sœur est déjà une affaire réglée. »

« Notre pays va s’unir à ton ancien pays dans le cadre d’une sorte d’accord entre deux pays, une seule nation, n’est-ce pas ? Alors, il a aussi été question d’unir nos programmes de radio et de télévision, tant qu’on y est. »

« Ohh, oui, ce serait pratique. »

Chaque pays avait un nombre limité de joyaux de diffusion, ce qui signifiait un nombre limité d’émissions. Avec nos deux pays travaillant ensemble, nous pourrions nous permettre des budgets plus importants. Il n’y avait que des avantages à cela, mais…

« Il y a près d’une demi-journée de différence entre les fuseaux horaires de nos pays. »

« Eh bien, nous ne pouvons rien y faire. Nous pourrions chacun faire la moitié du contenu et montrer les mêmes choses deux fois — le matin et le midi dans chaque pays. Nous trouverons des solutions de contournement. »

« Donc pour les programmes musicaux, ce serait comme avoir plusieurs représentations. Cela semble raisonnable. »

Roroa était toujours rapide avec ce genre d’idées. En tant que grande nation, nous pouvions faire fonctionner la plupart des choses dans l’Empire, et il n’y avait pas beaucoup d’appel à la créativité. Cela avait conduit beaucoup de bureaucrates à devenir inflexibles. Ils n’auraient pas pu trouver des idées comme les siennes.

« Alors, passons à la question principale. Tu étais une Lorelei dans l’Empire, n’est-ce pas, grande sœur Mari ? »

« Hm ? Oui. J’ai essayé une fois, et beaucoup de gens m’ont demandé de continuer. »

« Mm-hm, j’ai entendu dire que tu étais assez populaire. Alors, pour notre première émission dans le nouveau programme unifié, j’espérais faire un festival de musique du Parnam dirigé par une équipe de rêve composée de la Grande Soeur Juna, notre Prima Lorelei — la fierté du Royaume de Friedonia — et toi, l’Impératrice chanteuse et danseuse de l’Empire. »

Un programme musical ? Et un programme dans lequel je collaborerais avec Juna ? m’étais-je dit. « Je ne suis plus l’impératrice, tu t’en rends compte ? »

« Tu n’as plus besoin d’être impératrice, mais ce n’est pas une raison pour renoncer à être une Lorelei, n’est-ce pas ? Grande sœur Juna travaille toujours dur malgré son mariage et ses deux enfants. Si les gens apprennent que toi et Grande Soeur Juna — qu’ils aiment tous — organisez un spectacle de musique ensemble, ils parleront. Je suis sûre que ceux qui ont le sens du profit, comme les gens de Lucy à la compagnie Evans, seront ravis d’apporter les fonds nécessaires pour faire de la publicité pour leur entreprise. »

« Nous ferions cela pour l’argent, n’est-ce pas ? »

Je savais que Roroa avait un sens aigu des finances. Mais je devais m’interroger sur son obsession à gagner de l’argent, surtout quand elle utilisait des membres de sa famille comme moi ou Juna pour y parvenir…

« Tu veux aider les faibles, n’est-ce pas, grande sœur Mari ? »

Ayant peut-être remarqué mon hésitation, Roroa laissa tomber son sourire niais et prit un air sérieux. C’était sans aucun doute le visage d’une reine.

« L’important avec l’argent, c’est où tu le gagnes et à qui tu l’utilises. Si tu gagnes de l’argent pour l’argent, c’est de l’exploitation. Si tu donnes de l’argent aux gens sans qu’ils le gagnent, tu les rends décadents. Tu dois gagner de l’argent, l’utiliser, le distribuer et faire durer ce cycle vertueux aussi longtemps que tu le peux. Tu ne crois pas ? »

« Tu marques un point… »

Mes oreilles brûlaient un peu sous l’effet de l’embarras. Pourtant, l’idéaliste que j’étais me rendait reconnaissante d’avoir quelqu’un qui me mettait la réalité sous le nez. C’était le cas de Souma et de Roroa.

« D’accord… Je vais le faire. »

« Tu le feras ? Ouf, tu me sauves la vie. »

Le sourire amical était revenu sur les lèvres de Roroa. Elle utilisait vraiment beaucoup d’expressions différentes. Mais je ne perdrais pas contre elle sur ce plan. J’avais le sourire que j’avais cultivé à l’époque où j’étais impératrice.

« Mais tu vas détourner les bénéfices pour mes œuvres de charité, n’est-ce pas ? »

« Hein ? Euh, j’espérais en utiliser une partie pour financer le prochain événement… »

Roroa détourna les yeux. Je n’allais pas laisser passer ça.

« Tu te feras de l’argent sur mon dos. Tu me laisseras décider de son utilisation, n’est-ce pas ? »

Je lui avais souri. Roroa céda finalement.

« Ah, d’accord ! J’ai compris ! Cette fois-ci, ce sera un événement caritatif ! »

« Hee hee, merci. »

Je m’étais peut-être trouvé un bon bailleur de fonds.

Maria rend visite aux reines seniors (version Juna)

Bonsoir à toutes et à tous. Je suis la Maria qui a décidé de vivre pour le peuple et sa famille bien-aimée. Maintenant que j’allais me marier avec Souma, je voulais discuter davantage avec mes épouses séniors pour que nous puissions vivre ensemble heureuses. Ce soir, je participais en tant qu’invitée à une émission musicale avec la première reine secondaire Juna.

C’est Roroa qui avait eu l’idée d’organiser un festival de musique où Juna Doma, la Prima Lorelei — la fierté du royaume de Friedonia — et moi, l’impératrice chanteuse et danseuse de l’Empire, nous produirions ensemble sur scène. Elle est maligne, n’est-ce pas ? Je portais ma robe de Lorelei — que Jeanne avait gentiment envoyée du château de Valois — pour la première fois depuis longtemps.

La gemme de diffusion projetait toujours des images du présent, alors nous n’avions qu’une seule chance de bien faire les choses.

« Maria ? » Juna m’appela alors que j’attendais dans les coulisses, sentant la pression.

La beauté aux cheveux bleus portait une tenue avec un voile fin qui parvenait à équilibrer à la fois l’élégance et le sexy. Elle était à la fois gracieuse et sensuelle. Même si nous étions toutes les deux des femmes, je m’étais retrouvée un peu essoufflée en voyant à quel point elle était belle.

Juna me sourit.

« Tu te sens tendue ? »

« Oui. Cela fait un moment que je n’ai pas chanté devant des gens. »

« Je comprends. J’ai entendu dire que ton emploi du temps était toujours incroyablement chargé. »

Son regard était compatissant, ses paroles pleines de compassion. Il n’y avait probablement personne qui rivalisait avec sa capacité à lire dans le cœur des gens. Souma m’avait dit que Juna avait été là pour le réconforter et le soutenir lorsqu’il était en difficulté plus de fois qu’il ne pouvait le compter.

Juna me fit un doux sourire.

« Tu aimes chanter, Maria ? »

« Hein ? Euh… oui. J’aime bien. J’avais l’habitude de chanter pour Père et Jeanne quand j’étais petite. »

C’était un souvenir lointain, avant que le poids de l’impératrice ne pèse sur moi. À l’époque, j’aimais simplement chanter et je voulais que les gens m’entendent.

« Je pense… que c’est pour cela que je me suis autant amusée à être une Lorelei. »

« Hee hee, alors ça va aller. » Juna appuya ses deux mains sur sa poitrine, à l’endroit où se trouvait son cœur. « Les chansons ne font qu’un avec le cœur. D’abord, elles viennent du cœur du chanteur, puis elles s’arrêtent dans le cœur des auditeurs. Et elles sont transmises et répandues. »

La main gauche toujours sur son cœur, Juna tendit la main et toucha ma poitrine de sa main droite.

« Il te suffit de faire ce que ton cœur te commande, en chantant comme tu l’aimes. Ce ne sera peut-être pas une chanson que tout le monde aimera, mais une chanson que tu aimes fera bouger plus de cœurs qu’une chanson que tu n’aimes pas. C’est ce que je crois. »

« Tu as raison », approuvai-je avec hésitation, en posant ma main sur celle de Juna, sur ma poitrine. « C’est toi la Prima Lorelei, après tout. Je me souviendrai de tes conseils et je chanterai de toutes mes forces. »

« Hee hee ! C’est gênant quand tu donnes l’impression que c’est une grosse affaire. »

Quel sourire mature ! J’avais du mal à croire qu’elle avait un an de moins que moi. Je commençais à me sentir un peu en compétition.

« Désolée si je te vole la place de Prima Lorelei. »

« Je me suis déjà retirée de cette bataille. Je ne me préoccupe pas de la façon dont les gens nous classent. »

« Oh, et si je te volais ta popularité auprès de Sire Souma ? »

« Ça, ça m’énerverait. »

Juna gonfla ses joues avec colère. J’étais satisfaite d’avoir obtenu d’elle une expression plus adaptée à son âge. Très vite, son visage se transforma en un sourire intense.

« Je comprends. Je t’affronterai avec tout ce que j’ai. »

« Oui, battons-nous à la loyale. En tant que Loreleis et en tant que reines. »

Nous avions échangé des sourires harmonieux.

« Hum, c’est moi qui me sens le plus inquiète ici, tu sais ? » déclara une voix timide derrière nous.

Je m’étais retournée pour voir une jolie fille en costume de Lorelei.

« Juna ? Qui est-ce ? »

« C’est Mlle Komari Corda. Elle est actuellement la première Lorelei en termes de popularité et de capacités. »

Lorsque Juna déclara cela, Komari la regarda avec des larmes dans les yeux.

« Ohh… Quand tu dis ça, Juna, le fait d’être numéro un parmi les Loreleis actives me pèse vraiment. Tu es toujours incroyablement populaire auprès des gens après avoir pris du recul par rapport aux projecteurs, et je vais me retrouver à côté de cette dame qui a aussi été impératrice. Essaie d’imaginer ce que ça fait, d’être à côté de vous deux et d’être présentée comme l’actuelle numéro un des Loreleis. »

Oui, je voyais bien où elle voulait en venir.

« Vraiment ? » avais-je demandé.

« Maria ? »

C’est vrai que Komari ressemblait moins à un produit fini que Juna. Mais j’avais l’impression que cette incomplétude pouvait aussi attirer les gens.

« Il n’est pas possible d’éprouver de l’empathie pour quelqu’un que tu vénères, parce que tu l’as placé à une place différente de la tienne. Juna et moi pouvons émouvoir le cœur des gens, mais les auditeurs ne peuvent pas s’insérer émotionnellement dans nos spectacles. Si quelqu’un ici peut leur permettre de le faire, c’est toi, qui es au même niveau qu’eux. »

« Oui. Je pense que cela fait partie de ton charme, Komari », dit Juna en hochant la tête et en prenant la main de Komari. « Ton caractère incomplet rend les gens enthousiastes à l’idée de voir ce que tu leur montreras à l’avenir. C’est quelque chose que nous, qui avons atteint un certain niveau d’achèvement, ne pouvons pas faire. »

« Dame Juna, Dame Maria… »

Alors que Komari se mettait à nouveau à pleurer, Juna et moi lui avions tendu la main.

« Allez, on y va, Komari. »

« Tout le monde nous attend. »

Avec un reniflement, elle déclara : « D’accord ! »

Maintenant, que le festival de musique commence.

Maria rend visite aux Reines seniors (Version Naden)

Bonjour à toutes et à tous. Je suis la Maria qui vient de perdre le poste qu’elle occupait depuis de nombreuses années. Maintenant que j’allais me marier avec Souma, je voulais discuter davantage avec mes épouses aînées pour que nous puissions vivre ensemble heureuses.

En début de journée, la reine secondaire Naden avait dit qu’elle descendrait à la ville du château, alors je l’avais rejointe.

« Souma m’a dit que tu t’occupais des prévisions météorologiques et que tu étais aussi une sorte de touche-à-tout dans la ville du château ? »

« Eh bien, oui, c’est comme ça que ça a fonctionné », répondit Naden en se grattant maladroitement la joue alors que nous marchions sur une route pavée de Parnam. « Quand je tuais le temps en ville, j’ai aidé une vieille dame qui avait des problèmes. Puis j’ai fait un tas d’autres choses, comme livrer des affaires qu’un client avait laissées derrière lui ou déplacer une charrette abîmée hors de la route. Ça s’est répété au point que les gens me demandent maintenant simplement des faveurs. »

Naden était une ryuu noire de la Chaîne de Montagnes de l’Étoile du Dragon. Elle avait de la force et de la mobilité, ce qui la rendait probablement d’une grande aide pour les habitants de la ville.

« Tu prêtes l’oreille aux gens du peuple. C’est charmant ! »

« Ce n’est pas si important que ça. »

J’étais sérieuse, mais Naden l’avait balayé d’un revers de main.

« Ah ! Naden. Merci pour la livraison de tout à l’heure. »

« Hé, Lady Naden ! J’ai de bons légumes en stock, vous en voulez pour les ramener à la maison ? Votre mari adore cuisiner, il vous en sera reconnaissant ! »

« Dame Nadeeen, jouons à cache-cache. »

La femme du boulanger, le marchand de légumes et un enfant qui marchait sur la route avaient tous appelé Naden comme des amis proches. Naden s’était retournée et avait répondu à chacun d’entre eux.

« Vos enfants sont encore petits, n’est-ce pas ? Si vous avez besoin d’autre chose, faites-le moi savoir. »

« Je passerai sur le chemin du retour, alors gardez-les pour moi ! »

« Je fais visiter la ville à quelqu’un aujourd’hui, alors c’est impossible ! On jouera la prochaine fois ! »

Elle jouait donc aussi à cache-cache, hein ? Le nombre de personnes qui l’interpellent ne faiblissait pas. Mes yeux s’écarquillèrent de surprise.

« Tu es vraiment populaire, Naden ! »

« Ils ont tous oublié que je suis une reine. »

Quand les choses s’étaient un peu calmées, Naden déclara : « Ils respectent Souma, Liscia et les autres comme ils sont censés le faire. Je suis la seule qu’ils traitent avec autant de désinvolture. Ton peuple t’aimait et te respectait aussi, n’est-ce pas ? »

« Oui, ils l’ont fait, mais… ce n’est pas toujours une bonne chose, tu sais ? »

« Hm ? Vraiment ? »

« Tout à fait. Les gens respectent les rois ou les reines parce qu’ils ne les voient pas. Évidemment, ils voient nos visages à la télé, mais ils ne sont pas étroitement liés à nous. C’est pourquoi les gens du peuple craignent et respectent la royauté. »

« C’est… peut-être vrai. »

Naden avait l’air quelque peu, mais pas tout à fait convaincue. Je lui disais pourtant ce que je ressentais vraiment.

Lorsque j’étais impératrice, je disais que je faisais des choses « pour le peuple », mais je n’avais jamais eu l’occasion d’entrer en contact avec ce peuple. Je ne leur avais jamais parlé directement, alors pouvais-je vraiment garder la tête haute et dire que j’étais une bonne souveraine ?

« Je pense que leur relation avec toi est saine, Naden. À la limite, je la vois comme proche de l’idéal, la façon dont tu es capable d’entendre directement les voix des citadins. »

« Ce n’est pas si grave. Mais ça ne me dérange pas de t’entendre dire ça », dit Naden en souriant. C’est alors que j’eus une idée.

« Je sais ! », m’étais-je exclamée en frappant mes mains l’une contre l’autre.

« Hein !? De quoi s’agit-il ? »

Naden me jeta un regard dubitatif. Je n’avais pas laissé cela me déranger. J’avais attrapé l’une de ses mains avec les deux miennes.

« Tu as beaucoup de temps libre, n’est-ce pas ? Utilisons ce temps pour parcourir le pays ensemble ! Nous pourrons ainsi rencontrer des gens dans tout le royaume ! »

« Voyager !? Qu’est-ce que c’est que cette annonce surgit de nulle part !? »

« Si tu me laisses te monter, je pourrai entendre des gens de tout le royaume. Des faibles et des opprimés, dont les voix parviennent rarement à ceux qui sont au sommet. Avec toi, nous n’aurons plus besoin de gardes du corps. Naden ! Allons écouter des tas de gens, et améliorons ensemble ce pays ! »

« A -Attends ! » Naden s’était empressée de me libérer les mains. « Je respecte l’idée, mais le seul qui est censé me monter est mon partenaire, Souma, tu sais !? Je ne peux pas te laisser monter seule et m’emmener partout… »

« Le partenaire de ton partenaire est ton partenaire. Alors c’est bon ! »

« Vraiment ? Sur quelle base… ? »

« Maintenant que c’est décidé, allons chercher la permission de Souma ! »

J’avais pris la main de Naden et j’avais commencé à marcher.

Naden avait commencé à protester : « Écoute-moi ! »

Mais… ce n’est pas grave ! Nous allions nous entendre à merveille !

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Illustrations

Carte à la fin du tome :

 

 

Fin du tome.

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