Bienvenue au Japon, Mademoiselle l’Elfe – Tome 8

Table des matières

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Chapitre 14 : Aimez-vous les feux d’artifice d’été ?

Partie 1

Le tube de bambou se renversa avec un bruit sourd.

Remarquant le bruit, une paire d’yeux violets se dirigea vers la source.

La vapeur et une légère odeur de soufre remplissaient l’air. La lumière du soleil était faible. Il se faisait tard et il n’y avait personne d’autre dans les environs.

Se demandant pourquoi le tube de bambou avait été placé à un tel endroit, Mariabelle le toucha du doigt, mais ne trouva pas de réponse. Le dispositif, fait de bambou ordinaire, semblait simplement conçu pour basculer une fois qu’il était rempli de suffisamment d’eau. Toujours troublée par cet objet déroutant, elle laissa échapper un petit rire.

Les habitants du Japon avaient quelque chose d’étrange en eux. Il s’agissait d’un groupe de personnes qui recherchaient en fin de compte l’efficacité et qui avaient une profonde admiration pour la diligence. Pourtant, les objets conçus pour le culte religieux faisaient partie de la vie quotidienne et ils passaient leur temps libre après le travail à faire ce qu’ils voulaient. En fait, beaucoup considéraient le fait de ne rien faire comme une vertu.

Mariabelle retira son doigt du tube de bambou, le faisant basculer sous le poids de l’eau et produisant un autre bruit sourd satisfaisant. Elle décida d’oublier ces cultures étrangères énigmatiques et posa une main sur un rocher humide tandis qu’elle s’abaissait dans les sources d’eau chaude, un doux soupir s’échappant de ses lèvres.

« L’eau est aussi bonne que je l’imaginais. »

Un sourire satisfait s’étendit sur son visage, et ses épaules pâles s’enfoncèrent bientôt dans l’eau.

Elle avait visité plusieurs sources d’eau chaude au cours de son séjour au Japon. Qu’il s’agisse de sources locales ou de sources isolées à Aomori, c’était un peu étrange pour une elfe mystique de se rendre dans de tels endroits au Japon. Il était plus courant pour les elfes de son espèce de se baigner dans l’eau claire d’un ruisseau, mais elle se rendit compte qu’elle se fichait éperdument de ces traditions elfiques. Elle soupira lentement et posa sa tête sur un rocher.

Le ciel s’assombrit et le bruit sourd du bambou contre la roche se fit à nouveau entendre.

Malgré sa vision floue, l’elfe avait l’impression d’être dans une sorte d’utopie. L’absence de vêtements, la vapeur qui emplissait sa vision et la chaleur de l’eau qui imprégnait sa peau ne faisaient qu’ajouter à l’illusion.

Mariabelle avait accumulé beaucoup de fatigue au cours de son long voyage. Ses paupières s’alourdirent, mais elles s’ouvrirent au son familier et creux du bambou. Elle se retourna et fixa le tube de bambou, se demandant s’il était censé servir de réveil, mais il ne répondit pas. Quel était l’intérêt de cette chose, de toute façon ? Peut-être n’était-ce qu’un jouet pour les enfants et n’avait-il aucune signification profonde. Les questions se multiplièrent tandis qu’elle se trempait confortablement dans l’eau chaude.

Elle avait vécu au Japon du printemps à l’été, et connaissait donc très bien les bons et les mauvais côtés de cet endroit. Son expérience de la vie ici lui avait appris que le tube de bambou avait une certaine fonction, mais elle ne savait pas laquelle.

Mariabelle jeta un coup d’œil autour d’elle pour s’assurer qu’il n’y a personne, puis elle défit la serviette qui lui entourait la tête. D’un simple mouvement de tête, elle défit ses cheveux d’un blanc pur. Elle y passa les doigts, révélant des oreilles en forme de pointes de lance.

Elle ferma les deux yeux, posa les mains sur ses cuisses et attendit.

Les elfes étaient réputés pour leurs sens aiguisés. Ils pouvaient sentir des esprits indétectables par le commun des mortels et les contrôler grâce à leurs sens surnaturels. Elle cachait normalement ses longues oreilles pour garder son identité secrète au Japon, mais il lui fallait absolument découvrir le secret du tube de bambou.

Le bambou résonna à nouveau, mais la jeune fille elfe resta immobile. Au bout d’un long moment, le son résonna à nouveau dans les sources chaudes.

Après avoir écouté le son deux fois, puis trois fois, un changement se produisit chez Mariabelle. Sa respiration s’était calmée et sa tête avait lentement basculé sur le côté. Quelques instants avant que sa tête ne s’enfonce dans l’eau, elle reprit connaissance en sursaut.

« Ah, j’ai failli m’endormir ! »

Le bruit sourd et monotone qui résonnait à intervalles égaux aurait pu endormir n’importe qui. Mariabelle essuya la sueur de son visage avec une expression sévère, comme si elle affrontait un ennemi redoutable dans un labyrinthe.

« S’agit-il d’une sorte d’appareil de sommeil complexe ? Non… Je suis en train de contredire ce que j’ai pensé tout à l’heure. Je devrais me calmer et me débarrasser de ce brouillard cérébral. »

Elle trouvait inconvenant pour un elfe de s’endormir en essayant de trouver la vérité derrière le tube de bambou. Il n’y avait pas de tels enseignements dans son village, c’était simplement une question personnelle liée à sa fierté. Elle se leva de la chaleur de l’eau et s’assit sur la surface lisse d’un rocher voisin.

Elle attacha ses cheveux avec ses mains encore humides, et de l’eau goutta sur sa peau pâle. En dehors du Japon, certaines légendes prétendaient que les elfes étaient si beaux que ceux qui en étaient témoins les voyaient dans leurs rêves, et si quelqu’un l’avait vue en cet instant, il aurait su que ces légendes étaient vraies.

« Peut-être que ce n’est qu’un jouet après tout. Oh, le vent est agréable ici. »

Une légère brise était présente en ce moment. Le vent du soir semblait avec fraîcheur contre la peau chaude de Mariabelle, qui regardait distraitement au-delà de la clôture. Ayant grandi dans une forêt, cette vue lui semblait pleine de mystère. La vue de l’horizon sans fin englouti par la nuit lui fit prendre conscience de l’immensité du monde.

Elle était perdue dans la présence de la mer, source de toute vie, lorsqu’elle entendit à nouveau le bambou. En écoutant les vagues et en sentant le vent frais, elle comprit enfin le sens de ce bruit.

De l’eau s’écoulait de ses cheveux tandis qu’elle dirigeait ses yeux mauves et pâles vers l’arrière. Son regard était fixé sur le tube de bambou au loin qui frappait doucement le rocher. Le silence avait empli l’air pendant un bref instant.

« Serait-ce… ? »

Elle parla à dessein pour accentuer le silence. Le grondement de la mer et du vent demeurait, mais en insérant ce son monotone entre les deux…

« Peut-être est-ce pour ajouter un moment de sérénité ? » se dit-elle en regardant les arbres plantés autour d’elle de façon ordonnée.

Pour une raison inconnue, le bruit de la mer toute proche et le souffle du vent l’empêchaient de dormir, même s’ils étaient toujours présents. Le bruit de l’eau qui coulait et celui des bambous qui frappaient la roche étaient étonnamment agréables et lui procuraient un sentiment de soulagement malgré le fait qu’elle se trouvait dans un endroit inconnu. L’elfe voulait écouter plus longtemps, mais il était temps. Elle saisit sa serviette et s’en servit pour couvrir ses oreilles et ses cheveux blancs, puis entendit une porte coulissante s’ouvrir.

« On dirait que tu t’amuses bien, Mariabelle. »

Wridra se tenait là, avec ses cheveux noirs qui contrastaient fortement avec les cheveux blancs de l’elfe. Sa beauté physique donnait presque l’impression d’une tricherie, et elle n’avait manifestement pas l’intention de la cacher.

Mariabelle s’était à nouveau bouché les oreilles après les avoir exposées aux esprits, mais une amie de longue date comme Wridra connaissait forcément son secret. Il n’était pas nécessaire de cacher ses oreilles, mais elle pouvait déraper un jour si elle n’était pas toujours en alerte, et elle devait montrer l’exemple à Wridra pour ce genre de choses. Elles devaient garder à l’esprit que Wridra était un être extraordinaire connu sous le nom d’Arkdragon.

« Oui, je faisais l’expérience de ce que l’on appelle le “wabi-sabi”. En as-tu entendu parler ? »

« Haha, haha, c’est le pays de l’élégance, comme toujours. Je suppose que je vais aussi me lâcher pour une fois, vu que même toi, tu as exposé tes oreilles malgré ta nature trop sérieuse. »

Mariabelle porta une main à sa poitrine en signe de surprise, mais il était trop tard. Wridra posa une main sur sa hanche galbée, puis elle fit surgir une queue écailleuse.

 

 

« Hé ! » s’exclama la fille elfe.

« Hm, je sais que tu as envoyé tes esprits pour t’assurer qu’il n’y a personne dans les parages. Je suis certaine que si quelqu’un vient dans les parages, une elfe amicale me préviendra. Alors, si cela ne te dérange pas… »

Mariabelle écarquilla les yeux, inquiète de ce que Wridra allait faire. Des cheveux dorés sortirent du corps de l’Arkdragon, suivis d’une paire d’yeux bleu ciel. La tranquillité qui régnait dans l’air empêchait de croire que cet être avait été un monstre qui régnait sur le deuxième étage de l’ancien labyrinthe, et l’elfe ne put s’empêcher de sursauter à cette vue.

« Shirley ! Veux-tu aussi te baigner dans la source ? »

Vêtue d’une robe de chambre un peu vieillotte, Shirley flottait dans les airs au-dessus des sources d’eau chaude. Elle observait son environnement, une main sur le menton, d’une manière qui n’était pas très éloignée du comportement d’un enfant. Bien qu’elle ait vécu bien plus longtemps que n’importe quel humain, cette terre était totalement nouvelle pour elle, et elle apprenait tout depuis le début.

Wridra se massa la nuque, puis s’approcha lentement et s’assit sur une chaise en bois. Il semblait qu’elle avait l’intention de suivre les règles des humains et de se laver avant de s’immerger dans les sources d’eau chaude.

« Celle-là a un sacré appétit. Cela n’a pas beaucoup d’effet sur moi, mais cela doit être assez épuisant pour un humain. Ne trouves-tu pas étrange que Kitase ne soit pas affecté, à part un peu de faim ? »

Mariabelle était plutôt troublée, puis elle regarda l’Arkdragon. Elle décida d’oublier Shirley, qui tripotait l’appareil en bambou appelé shishi-odoshi, et se rapprocha de Wridra, qui se lavait les cheveux.

« Ça doit être important pour toi de le mentionner comme ça. J’ai entendu dire qu’il s’était promené dans le hall du deuxième étage alors que Shirley était encore sous sa forme terrifiante de “dieu de la mort”. On aurait dit qu’elle voulait montrer son jardin », dit-elle.

« En effet, elle était censée être un horrible monstre qui aspire les âmes des hommes, mais elle agissait complètement différemment avec Kitase et avec nous. Peut-être que son attitude décontractée était contagieuse », répondit Wridra.

Mariabelle faillit en rire, puis s’arrêta. Elle se souvint que lorsqu’elle l’avait rencontré pour la première fois, elle l’avait mis en pièces en l’attaquant avec ses esprits. Elle se rendit compte qu’elle avait peut-être été encore plus violente que Shirley alors qu’elle se savonnait la serviette.

« Haha, haha, vas-tu me laver ? On dirait que ton penchant pour la propreté est devenu encore plus fort au Japon », dit Wridra en riant.

« Oh, non, c’est juste que les autres ne s’intéressent pas assez à la propreté. Le manque d’hygiène peut entraîner des maladies, tu sais. C’est l’une des raisons pour lesquelles les Japonais et moi pensons de la même façon. »

Wridra montra ses dents blanches en signe d’approbation. Il y avait de nombreuses installations où les gens du peuple pouvaient se rendre pour prendre un bain, et il y avait même des bains dans leurs maisons. C’était plutôt difficile à croire, mais Wridra appréciait aussi les coutumes de ce pays. Elle pouvait facilement se nettoyer avec la magie, mais elle préférait en fait se baigner comme le faisaient les gens du peuple.

Ou peut-être était-elle simplement heureuse d’être lavée par une fille aussi charmante. Même si Wridra était la toute-puissante et redoutable Arkdragon, Mariabelle aimait s’occuper d’elle lorsqu’elle était sous sa forme de chat noir. La belle aux cheveux noirs détourna son visage de l’elfe pour cacher le sourire que lui inspirait la joie inexplicable que lui procurait Mariabelle en la frottant.

« Les émotions ne sont peut-être pas visibles, mais elles peuvent être ressenties par les autres… et elles entraînent des changements, comme une pierre jetée dans une rivière. C’est aussi vrai pour moi. Même un monstre terrifiant peut changer. »

Wridra faillit dire à Mariabelle qu’elle la considérait comme une amie, mais elle se retint. Bien qu’elle ait vraiment ressenti cela, c’était exactement ce qu’elle venait de dire : de tels sentiments pouvaient être compris sans être exprimés à voix haute.

***

Partie 3

Elle avait l’air un peu gênée, mais je ne pouvais pas lui en vouloir. L’odeur de la sauce soja sur les assiettes chaudes ouvrait l’appétit et les clients affluaient vers les étals. Un homme à l’étal accueillit les clients avec bonne humeur, jeta des yakisobas garnis de nombreuses algues séchées dans un récipient et s’empressa de le refermer avec un élastique pour le donner à un autre client. Cet échange avait attiré l’attention de Marie, qui s’était arrêtée sur place avant d’atteindre sa destination initiale. À en juger par son visage, je pouvais dire que la faim l’avait vaincue. Me demandant ce qu’il en était, je lui ai dit : « Tu peux prendre les deux, si tu le veux. »

« Argh… Tu vas aussi me tenter, n’est-ce pas ? Mais nous avons encore un dîner à l’auberge, alors je sais que je le regretterai si je mange trop maintenant. Et pourtant, c’est si difficile de résister ! »

En la voyant lutter entre la raison et l’appétit, j’avais compris son dilemme. Il serait dommage de ne pas manger lors d’un festival. Il n’y avait qu’une solution à notre problème.

« Et si on partageait ? Comme ça, nous pourrions tous les deux manger une portion…, » j’avais commencé, mais Marie m’avait interrompu.

« Alors, allons-y ! Il y a déjà une longue file d’attente. Nous devrions nous dépêcher avant qu’il n’y en ait plus ! »

Elle pivota de quatre-vingt-dix degrés et me tira dans une autre direction. Le chat noir était déjà devant nous, miaulant comme pour dire : « Dépêchez-vous ! » Apprendre les langues d’autres mondes était un de mes hobbies, mais il semblerait que j’avais appris à parler le chat en cours de route.

Nous avions franchi un rideau et le propriétaire de l’échoppe avait semblé un peu surpris par notre apparence. Il avait sûrement déjà eu affaire à des étrangers, mais n’importe qui serait surpris par une fille en yukata asiatique, un chat noir à la main, disant « Cela sent si bon ! » dans un japonais parfait.

Ses cheveux blancs comme du coton, sa belle peau pâle et ses yeux d’améthyste devaient être très frappants. Ses mains s’arrêtèrent un instant de cuisiner, puis Marie prit une bouffée de l’arôme présent dans l’air, et le chat qu’elle tenait dans ses bras imita le mouvement. Le propriétaire de l’échoppe éclata alors de rire.

La plaque chauffante grésilla bruyamment et l’homme afficha un sourire accueillant.

« Bienvenue ! Ma cuisine est aussi bonne que son odeur. Je dirige un restaurant de teppanyaki juste à côté. »

Ce n’est pas qu’il méprisait les autres commerces, mais il avait confiance en sa cuisine. Les yeux de Marie s’étaient écarquillés lorsqu’il avait fait cuire habilement les nouilles dorées sur la plaque chauffante à l’aide de spatules métalliques. Je pouvais comprendre d’où venait cette confiance. Il avait fait cuire une grande quantité de porc avec du sel et de l’ail, ce qui le rendait un peu différent des autres étals. L’odeur stimula notre appétit de manière impitoyable.

« Pour des beautés comme vous deux, je vais devoir donner tout ce que j’ai. J’ai le devoir de vous montrer ce qu’est la vraie bonne nourriture d’Izu. » La propriétaire du magasin sourit à Marie et au chat qu’elle tenait dans ses bras. Marie sembla flattée et lui rendit un sourire timide.

Je l’avais toujours su, mais les Japonais étaient vraiment sans défense face aux jolies filles. J’étais moi-même coupable de cela, donc je ne pouvais pas vraiment dire grand-chose. Ou peut-être que ce n’était pas un truc de Japonais, mais quelque chose que tous les hommes avaient en commun. Alors que je réfléchissais à tout cela, l’homme fit couler de la sauce soja aigre-douce sur l’assiette en grésillant bruyamment.

Cette odeur était certainement l’un des meilleurs aspects du yakisoba, car à elle seule, elle atteignait mes narines et me donnait l’impression d’en avoir déjà mangé une bouchée. J’avais ensuite remarqué l’étincelle dans les yeux de Marie, qui fixait la nourriture. Elle mourait d’envie de goûter, et de la bave coulait presque de sa bouche, mais elle ne pouvait pas l’essuyer avec le chat dans ses bras.

L’homme avait mis le yakisoba dans un récipient, puis l’avait garni d’algues séchées pour compléter le plat. Marie affichait un sourire heureux.

« Voici un yakisoba spécial. Savourez-le avec votre petit ami. »

« Wôw, merci ! Nous n’avons commencé à sortir que récemment ! Oh, Kazuhiro-san, peux-tu l’attraper pour moi ? Je dois m’occuper de Wridra. »

Le commerçant m’avait regardé comme s’il disait : « Attendez, vraiment ? » Il semblait plaisanter sur le fait que j’étais son petit ami et ne pouvait pas imaginer que je sortais avec une fille aussi mignonne. C’est compréhensible. Je n’arrivais pas non plus à y croire.

Quant à Marie, elle était bien trop absorbée par la nourriture pour remarquer la gêne qui régnait dans l’air. « Allons manger ! » dit-elle en me prenant par la main.

Le commerçant sembla se ressaisir et s’écria : « Merci d’être venu ! » Une fois de plus, nous étions entourés par le son des flûtes et des tambours.

Il n’y avait rien de tel que l’atmosphère animée d’un festival.

§

La vue d’une jeune fille elfe portant un masque de renard nostalgique et marchant joyeusement sur le sentier était vraiment étrange.

Pourtant, la porte torii vermillon qui se trouvait devant attira la curiosité de Mariabelle. Le chat noir marchait devant le couple comme pour ouvrir la voie, et les pas de Marie étaient encore plus sautillants, car elle marchait sans hésitation.

Une jeune fille elfe issue d’un monde imaginaire et vêtue à l’ancienne avait quelque chose d’extraordinaire. Elle attirait tous les regards sur son passage, à tel point qu’on se demandait si elle n’était pas une hallucination de la nuit.

Kitase, qui la suivait de près, était tout à fait différent de Mariabelle. Il portait un yukata assorti à celui de Mariabelle et tenait à la main divers objets qu’il avait achetés dans les échoppes, mais son apparence était plutôt banale.

Pourtant, il était étrangement calme pour quelqu’un qui guidait une elfe, un ancien dragon et l’ancien maître du deuxième étage. Certains auraient pu penser qu’il était égoïste en raison de sa nature décontractée, mais c’était tout le contraire. Au contraire, il s’efforçait de s’assurer que ses invitées d’un autre monde appréciaient leur séjour au Japon.

On entendait le bruit des geta qui s’entrechoquaient sur le chemin inégalement pavé. On dit que les apparitions trompent les humains et les égarent… Qui savait où la fête se terminerait ce soir ?

Au bout du chemin isolé se trouvait un banc en bois où se tenait une beauté aux cheveux noirs, un éventail à la main. Wridra les attendait comme prévu, et son visage était étonnamment joyeux.

« Vous avez certainement pris votre temps », dit-elle. « Le feu d’artifice est sur le point de commencer. »

« Wridra ! As-tu gardé cette place pour nous ? » demanda Marie.

Wridra se contenta de sourire et de leur tendre la main tandis que le chat noir sautait sur ses genoux. Il va sans dire qu’elle ne demandait pas une poignée de main, mais les objets qu’ils avaient apportés : yakisoba, okonomiyaki, takoyaki, et autres plats de stands de nourriture dont on ne peut se passer lors d’un festival.

« Nous t’avons aussi apporté de la bière », déclara Kitase.

« Hah, hah, c’est tout à fait louable de ta part. Je comprends pourquoi une certaine elfe difficile à satisfaire te garde dans les parages. Inutile de me remercier de vous avoir gardé cette place. La nourriture et les boissons suffiront. »

Wridra portait un yukata noir orné de pétales de fleurs, et ses cheveux étaient attachés au lieu de pendre comme d’habitude. Peut-être était-ce son décolleté découvert ou la façon dont elle souriait derrière son éventail, mais il y avait quelque chose de différent chez elle ce soir.

Le clair de lune lui convenait et leur rappelait que les dragons étaient des créatures assez mystiques et libres d’esprit. Certains d’entre eux aimaient amasser des trésors, tandis que d’autres, comme Wridra, ne vivaient que pour satisfaire leur appétit de bonne chère. Peut-être que tout avait commencé lorsque Kitase lui avait offert son repas maison, mais sa nature désinhibée n’avait pas changé depuis le jour où ils s’étaient rencontrés.

« Voilà, c’est ton tour », dit Wridra. « Il serait dommage de passer à côté d’une nourriture aussi délicieuse. »

« Hm ? Qu’est-ce que tu… »

Avant que Kitase ne puisse terminer sa phrase, il se figea. La main de Wridra était sur sa cuisse, et à travers elle, il sentit quelque chose entrer dans son corps. Il reconnut immédiatement la présence de Shirley.

Les lèvres rouges de Wridra formèrent un sourire sournois.

« Voilà, maintenant Shirley et moi pouvons profiter du repas. »

Shirley savourant un repas, elle vidait les nutriments et la saveur du corps de celui qu’elle hantait. L’Arkdragon afficha un sourire radieux, car elle pouvait désormais goûter pleinement sa nourriture.

Kitase n’avait pas l’air de s’en préoccuper et commença à distribuer des récipients de nourriture aux autres.

« Hé, Shirley. T’es-tu bien amusée à visiter le festival avec Wridra ? » demande-t-il.

Il la sentait hocher la tête en lui. Grâce au lien formé par Shirley qui le hantait, il savait qu’elle était aussi étourdie que Mariabelle et qu’elle avait été surprise par cette coutume étrangère.

Shirley avait été la gardienne d’une forêt avant d’être liée à l’ancien labyrinthe en tant que maître des lieux. Elle considérait que la vie et la mort avaient la même valeur et accordait une grande importance à leur cycle dans la nature. Cependant…

« Merci d’avoir patienté. La deuxième partie du concours de feux d’artifice va maintenant commencer. À nos mécènes, à nos nombreux invités présents aujourd’hui, et… »

L’annonce avait résonné dans toute la zone, indiquant aux participants que l’événement principal était sur le point de commencer. Immédiatement, les femmes se préparèrent à manger en vitesse.

« Ah, ça va commencer ! Dépêche-toi, Wridra ! » déclara Marie, avant de se tourner vers Kitase. « Tu ne devrais pas boire. Et si Shirley se soûle ? Tu devrais comprendre que ce n’est pas la meilleure idée. Je vais devoir confisquer ceci, mais ce n’est pas parce que je veux le boire moi-même. »

Avant qu’il ne puisse répondre, elle lui avait tendu un paquet de takoyaki à la place. Il pensa que c’était un geste aimable de sa part d’y planter un cure-dent, mais elle poursuivit en disant que la moitié d’entre eux étaient pour elle.

Kitase avait vraiment hâte de goûter à l’alcool et avait toléré tout ce qui se passait jusqu’à présent. Mais sa réaction choquée lorsque Mariabelle lui retira son verre, avait presque fait éclater Shirley de rire.

« Shirley, c’est de la nourriture de l’Asie de l’Est », explique-t-il. « C’est très bon marché, mais les gens diront que tu manques quelque chose si tu n’en manges pas au Japon. Essayons donc. »

Bien que Shirley n’ait appris que récemment à goûter en empruntant le corps des autres, Kitase wtit. On peut apprécier un repas avec les yeux et la langue, mais il aidait aussi à apprécier la nourriture avec les oreilles.

Il souffla sur un morceau de takoyaki et en absorba le délicieux parfum en l’approchant de sa bouche. Dès qu’il le croqua, la saveur de la sauce se répandit dans ses papilles.

Il était difficile d’imaginer son goût à partir de son apparence ronde et mignonne. Le takoyaki était croustillant à l’extérieur et moelleux à l’intérieur, et la saveur des algues lui passa sous le nez tandis que les yeux de Shirley s’écarquillaient de surprise. L’umami éclatait à chaque bouchée de ce poulpe moelleux. Les filles entendirent alors quelque chose pétiller dans le ciel nocturne.

« Ah, c’est parti », nota Wridra. « Une tradition annuelle pour le repos des âmes. Je n’aurais pas accepté moins que les meilleures places pour cela. »

Les nombreuses explosions consécutives qu’ils avaient entendues s’étaient transformées en anneaux de lumière dans le ciel. Ils avaient illuminé la grande mer d’Izu en descendant en arc de cercle et avaient coupé le souffle de Shirley avec la vue magnifique du feu d’artifice.

Nombreux étaient ceux qui pleuraient la mort des autres. Malgré le cycle constant de la vie et de la mort, l’ancienne gardienne de la forêt en était venue à croire qu’elles étaient toutes deux précieuses. Pour elle, le chagrin de la mort et la joie de la naissance étaient désormais tout à fait équivalents.

***

Partie 5

Je m’étais dit qu’elle était peut-être une adepte de la nourriture naturelle. Les sashimis étaient si frais que l’on pouvait dire qu’ils dégageaient l’essence de la vie. Je ne savais pas si c’était vraiment le cas, mais étant donné qu’elle était responsable du cycle de la vie, ce genre de plat était probablement tout à fait dans ses cordes. Cela ne me dérangerait presque pas de ne jamais goûter quoi que ce soit si cela signifiait qu’elle serait si heureuse à chaque fois que je mangerais.

Soudain, Wridra m’attrapa le bras.

« Qu’est-ce que c’est que ce poisson ? Ce n’est pas le poisson que je connais ! Il devrait sentir plus le poisson et être rempli de petites arêtes. Ce n’est pas simplement du poisson en tranches, n’est-ce pas ? », demanda-t-elle.

« Hm ? Ce ne sont que des tranches de poisson. Mais le poisson doit être de très bonne qualité et le chef doit être compétent pour lui donner un tel goût. J’ai entendu dire qu’il fallait plus de dix ans de formation avant d’être considéré comme un véritable chef sashimi », avais-je expliqué.

« Vraiment ? » dit-elle, surprise. « Hm… Il faut le nombre d’années nécessaires à un enfant pour devenir adulte juste pour apprendre à couper du poisson ? Je savais que les Japonais étaient très particuliers en matière de nourriture, mais je n’avais pas réalisé que c’était à ce point. Hm, c’est une sacrée découverte. »

Quelque chose dans son commentaire m’avait fait peur. Mon portefeuille avait ses limites, je ne pouvais donc pas acheter un tas de son nouveau plat préféré. À moins qu’elle n’ait réorganisé le deuxième étage… Je veux dire, même Shirley ne pouvait pas créer des fruits de mer, n’est-ce pas ?

J’avais fixé mon attention sur la boisson gazeuse qui se trouvait devant moi. Une règle universelle dans toutes les cultures voulait que l’on boive de la bonne bière après avoir mangé du bon poisson. Marie était déjà habituée à cette pratique et elle buvait la sienne d’un trait.

« Oh, c’est vrai… Shirley…, » dis-je en m’arrêtant, mais une main semi-transparente émergea de la mienne et elle me fit signe d’aller de l’avant et de boire.

Les images étaient plutôt effrayantes, mais j’avais décidé d’accepter le geste de Shirley, car c’était une nuit de fête. J’avais essayé de calmer ma poitrine battante en buvant une gorgée de bière.

Il n’y a rien de tel qu’une boisson froide après une viande grasse de grande qualité. L’amertume de l’orge et la carbonatation rafraîchissante étaient extrêmement satisfaisantes au fur et à mesure qu’elles descendaient dans ma gorge. Au même moment, je m’étais rendu compte que Shirley m’avait rendu mes papilles gustatives pour que je puisse apprécier la bière. Je n’avais aucune raison de me retenir si nous pouvions partager mon sens du goût de cette manière.

+++

Comme c’était la première fois que nous séjournions dans ce type d’hébergement, j’avais peut-être fait quelques folies. Je voulais que Marie s’amuse et je ne considérais pas que c’était du gaspillage, car cela constituerait une bonne référence pour le deuxième étage.

Je ne m’attendais vraiment pas à ce que les tempuras, les sashimis et les hot pot se marient aussi bien avec les boissons. Les nombreuses bouteilles de bière s’étaient vidées les unes après les autres, et alors que nous les avions presque toutes épuisées, Wridra avait tendu la main vers la bouteille de saké local. J’avais pensé que l’alcool n’aurait pas beaucoup d’effet sur la grande Arkdragon, mais son visage était rouge et ses yeux d’obsidienne étaient mi-clos.

En la voyant ainsi, je m’étais souvenu d’un vieux conte japonais. Si je me souvenais bien, il s’agissait de tuer un serpent légendaire à huit têtes et huit queues à Izumo en le nourrissant d’alcool jusqu’à ce qu’il s’évanouisse, mais je n’étais pas Susanoo. L’Arkdragon ivre m’avait attrapé et m’avait demandé : « Bois-tu ? »

« La première fois que tu as travaillé en équipe, c’était très bien », avait-elle poursuivi. « C’était intéressant de voir l’anticonformiste Kitase et la capricieuse Shirley travailler ensemble. Je m’attendais à ce que vous mourriez plusieurs fois en affrontant Kartina. »

Normalement, un compliment de la part de mon maître à l’épée m’aurait fait grand plaisir, mais je fus quelque peu déçu lorsqu’elle termina sa phrase par un rot bruyant qui empestait l’alcool. De la sueur perlait sur ses cuisses et son décolleté entre les bords de son yukata partiellement ouvert, et je devais consciemment détourner les yeux.

« Est-ce que tu m’écoutes ? » demanda Wridra en me touchant la joue et en rapprochant son joli visage du mien.

Ce qui est troublant, c’est que Wridra était, de manière objective, vraiment séduisante, ivrogne ou non. Ses yeux noirs me fixaient entre les rideaux de ses cheveux tout aussi sombres.

« Hmm ? » dit-elle en penchant légèrement la tête.

Ce geste me rappela en quelque sorte la façon dont un chat noir fixait sa proie.

« Je serais mort plusieurs fois sans Shirley », avais-je répondu. « Et encore plus de fois si je n’avais pas eu l’aide de Marie. En fait, j’ai apprécié l’ancien labyrinthe parce qu’il y a tant d’adversaires redoutables. »

C’était sans doute évident. Wridra gloussa, amusée. Elle plaça une coupe de saké dans ma main et me versa un verre, ce qui me fit penser qu’elle m’avait peut-être reconnu en tant qu’homme, dans une certaine mesure.

« Hah, hah, pour te dire la vérité, j’ai toujours pensé que les épéistes étaient une classe assez superficielle. Je pensais qu’ils ne pouvaient pas faire grand-chose. Mais après t’avoir beaucoup observé, je me suis rendu compte que j’avais tort. »

Les paroles de l’Arkdragon me déconcertèrent un peu, mais il ne semblait pas qu’elle allait s’en moquer et les retirer. J’avais réfléchi un instant, puis j’avais décidé de boire ma tasse. Peut-être que, comme beaucoup d’adultes en activité, elle avait besoin de boire quelques verres avant de pouvoir se défouler. Je l’avais regardée en face, et ses yeux s’étaient rétrécis en souriant.

« Les épéistes doivent affronter leurs adversaires de front et se battre dans des espaces si étroits qu’ils en ont à peine le temps de respirer. En revanche, les lanceurs de sorts doivent écraser leurs adversaires comme des insectes avant de les connaître, de peur qu’ils ne se rapprochent de nous. »

Il était de notoriété publique que les sorciers étaient faibles en combat rapproché, et qu’ils devaient donc abattre leurs adversaires de loin… Sauf exception, comme Wridra. Je me demandais ce qu’elle essayait de me dire. J’attendis sans l’interrompre, puis elle sourit à nouveau et se leva. Elle posa alors sa main sur ma tête.

« Tu as rengainé ton épée quand Kartina s’est présentée devant toi. Même si les autres épéistes se moquent de toi, sache que je suis fière de toi », dit-elle.

La gentillesse de son ton me rendit curieux de savoir si elle avait seulement fait semblant d’être ivre jusqu’à présent. Je me demandais quel genre d’expression mon maître d’épée et légendaire Arkdragon avait sur son visage à ce moment-là. Mais comme elle me tapotait la tête comme si j’étais un enfant, je n’avais aucun moyen de le savoir.

« Tu n’es pas l’épéiste par excellence. Tu accordes plus d’importance à tes loisirs qu’à ton gagne-pain. Une vie consacrée à l’entraînement ne te conviendrait pas. Mais je crois que tu es très bien comme tu es. »

Sur ce, Wridra s’était retournée et s’était éloignée. Elle me salua sans me regarder et se dirigea vers Marie, évanouie, d’un pas joyeux.

« Maintenant, il est temps pour nous de dormir. Nous devons bientôt procéder à la construction du deuxième étage, et je crois que tu dois encore inviter Eve sur l’île d’été », dit-elle.

Elle avait raison. Avec tout ce qui s’est passé pendant nos vacances, j’avais oublié que j’avais fait une promesse à Eve.

Marie était étendue sur le sol et dormait confortablement, ses cuisses dépassant de ses vêtements. J’étais content qu’elle ait l’air heureuse, mais j’aurais aimé que son yukata soit conçu de manière à la couvrir un peu mieux. J’avais passé mon bras autour de son dos et l’avais facilement soulevée.

 

 

La chambre était sombre, les lumières éteintes, et le faible bruit de la respiration de Marie pouvait être entendu parmi les vagues au loin. Manger à sa faim, s’amuser et dormir confortablement, c’est la bonne façon de passer ses vacances, mais j’étais gêné d’admettre que je ne l’avais appris que récemment.

Je m’étais dit qu’il en allait de même pour Marie, qui s’était redressée sous la couette. Elle avait profité d’une journée de voyage, de repas et de visites touristiques avant de prendre un air ahuri à la vue de cette chambre inconnue. Elle semblait encore à moitié endormie, mais poussa un soupir de soulagement lorsqu’elle réalisa que j’étais à côté d’elle et se blottit plus près de moi, puis posa sa tête sur mon bras. Comme si elle était satisfaite, ses yeux améthyste entrouverts s’étaient complètement fermés et elle s’était rendormie. De manière adorable, sa main s’accrochait toujours à ma chemise malgré sa perte de conscience.

Wridra devait également être fatiguée de sa première expérience en mer et d’un festival nocturne. Elle avait fait glisser la porte et était entrée dans la pièce lorsqu’elle avait réalisé que j’étais encore éveillé. Elle laissa échapper un bâillement et referma la porte.

« Je m’excuse pour l’attente », avait-elle murmuré à mon oreille pour ne pas réveiller Marie. Cela semblait plus intime que d’habitude avec ses lèvres si proches, ce qui faisait battre mon cœur un peu plus vite.

J’avais entendu un froissement de vêtements, puis elle s’était glissée sous la couette. Malgré l’été, la chambre était confortable, car l’air conditionné était en marche. Wridra venait de rentrer d’un court bain aux sources thermales et laissa échapper un bâillement.

« Je suis devenu trop familier avec les coutumes humaines. Je n’aurais jamais imaginé que je détesterais l’idée de m’endormir en sentant l’alcool. Si les autres dragons savaient que je ressens cela, ils tomberaient de rire », avait-elle déclaré.

« Je ne me moquerais pas de toi. Je ne voudrais pas non plus dormir dans un lit empestant l’alcool », avais-je répondu.

Elle avait gloussé et m’avait chuchoté « imbécile » à l’oreille. Je pouvais sentir la chaleur de son souffle.

« Il n’y a rien de mal à ce qu’un dragon aime la propreté », avais-je poursuivi. « Nous sommes dans une station thermale. Nous pourrons faire trempette le matin et profiter de la vue sur la mer d’Izu pendant qu’il fait encore clair. Si tu veux te détendre, tu peux utiliser les sources d’eau chaude du jardin. N’est-ce pas amusant ? »

Elle m’avait entouré de ses bras par derrière, et j’avais senti qu’elle gloussait. Elle était mariée et n’aurait normalement pas été aussi tactile avec quelqu’un, mais c’était le seul moyen pour nous d’entrer ensemble dans le monde des rêves.

« Oui, j’ai hâte d’y être », avait-elle répondu. « Je ne peux tout simplement pas attendre… Hmph. Tu dis toujours des choses pareilles. Je soupçonne que tu aimes secrètement nous voir heureuse. Je ne peux pas dire que ce soit un passe-temps pervers, mais peut-être devrais-tu t’abstenir un peu. »

Il est vrai que je l’avais fait uniquement parce que j’aimais tellement ses réactions. Le simple fait de la voir s’amuser m’avait aussi rempli de bonheur.

Wridra me serra dans ses bras et poussa un profond soupir avant de se taire. Quand je l’avais sentie se détendre complètement, j’avais compris qu’elle s’était endormie. Elle avait parlé très lentement, ce qui signifiait qu’elle devait être épuisée. Peut-être m’avait-elle parlé pour me remercier d’être resté debout à l’attendre.

« Bonne nuit. J’espère que demain sera encore plus amusant », avais-je chuchoté, même si personne n’était réveillé pour m’entendre.

J’écoutais les vagues au loin et les filles qui respiraient doucement dans leur sommeil. Les sons réconfortants avaient commencé à m’endormir et, fatigué par les événements de la journée, j’avais tout de suite perdu connaissance.

Alors que je m’apprêtais à quitter le monde des rêves, j’avais cru entendre le son léger de quelqu’un qui me souhaitait bonne nuit, mais peut-être l’avais-je simplement imaginé. C’était une voix aimable, comme celle d’une déesse qui veille sur les forêts.

J’avais alors sombré dans un profond sommeil.

***

Partie 4

La foule avait applaudi tandis que les feux d’artifice illuminaient le ciel, l’un après l’autre. Ce n’est pas qu’ils se réjouissaient de la mort, mais Shirley avait été surprise de voir à quel point les participants étaient stimulés par l’événement.

« Au fait, n’étions-nous pas censés utiliser les choses que nous avons vues pendant ce voyage comme référence pour le deuxième étage ? As-tu vu quelque chose qui pourrait être utile ? » demanda Kitase. « Il n’y a pas autant de nature ici qu’avant, et nous n’avons pas fait grand-chose d’autre que de manger. »

Shirley lui avait dit que ce n’était pas vrai. Elle appréciait vraiment la nourriture et avait appris beaucoup de choses grâce au paysage.

« C’est une bonne chose », avait-il déclaré. « Je pense que cet endroit est si paisible aujourd’hui parce qu’il a connu la guerre. Nous sommes encore en train de traverser l’ancien labyrinthe. Quand tous les combats seront terminés, ce serait bien si nous pouvions retourner dans un endroit paisible pour nous reposer. »

Les feux d’artifice continuaient à pleuvoir et à illuminer le ciel pendant que Kitase parlait. Shirley pensait que c’était une idée merveilleuse et ressentait une chaleur intérieure à l’idée que le deuxième étage devienne un tel endroit. Le maître de l’étage qui avait été craint comme la faucheuse n’était plus et ne drainerait plus la vie des autres pour contribuer à l’ancien labyrinthe. Elle était libre de faire ce qu’elle voulait.

Kitase approcha un morceau d’okonomiyaki de sa bouche et en prit une bouchée. Le goût était sucré et légèrement salé, mais le porc cuit débordait d’umami. La fille elfe afficha un beau sourire. Elle avait l’habitude de demander si quelque chose était bon, ce qui était étrangement charmant.

Shirley s’était dit qu’elle n’oublierait probablement jamais ce spectacle. Elle sourit pour elle-même, écoutant le son des acclamations et des applaudissements de la foule. Elle voulait retourner au deuxième étage et recréer cette belle image dans son esprit, avec les gentils amis qu’elle avait rencontrés dans les profondeurs du labyrinthe.

§

La porte coulissante s’était ouverte pour révéler une employée gracieusement vêtue, assez jeune, peut-être une employée à temps partiel, à l’extérieur de notre chambre. Je m’étais rendu compte qu’il s’agissait de la même femme qui nous avait conduits ici auparavant.

« Je vais maintenant vous apporter votre repas. Faites comme chez vous », dit-elle avec un sourire avant de tendre la main pour que nous entrions pour rejoindre la nourriture.

Mes invitées venues d’un autre monde avaient dû être surprises. Une montagne de nourriture était empilée sur un plateau qui occupait la majeure partie de la table.

Les homards et autres poissons locaux de Kitagawa étaient joliment disposés sur un gigantesque récipient en forme de bateau qu’il fallait tenir à deux mains. Avant même que nous ayons pu réagir à cette présentation colorée, un assortiment de tempuras de saison et de daurades mijotées, ainsi que d’autres plats, nous avaient été présentés. Nous avions regardé, bouche bée, la table se remplir de nourriture.

Mes compagnons n’étaient pas tout à fait habitués à la culture d’ici, comparée à celle de leur monde. En ouvrant le récipient à riz, on découvrit du riz fumant mélangé à divers ingrédients. Tout le monde s’était ensuite tourné vers le saké et la bière locaux. Elles semblaient occupées à regarder de-ci de-là, mais les sourires sur leurs visages me disaient qu’elles étaient très excitées à l’idée de dîner.

« Surprise, Marie ? » demandai-je.

Ses yeux violets rencontrèrent les miens. Encore un peu abasourdie, elle jeta un coup d’œil aux plats sur la table avant de me faire un signe de tête tardif.

« Oui, je le suis », dit-elle. « Je ne m’attendais pas à ce qu’on apporte autant de nourriture. Peut-être qu’elle nous prend pour des gens importants ou quelque chose comme ça. »

Ce n’était pas le cas, bien sûr. J’avais entendu dire que ces temps-ci, les auberges de sources thermales surprenaient les voyageurs avec des repas luxueux, comme une sorte de tradition. Il s’agissait de divertir non seulement avec des plats savoureux, mais aussi avec des images. D’autres voyageurs entendaient parler de ces histoires et se rendaient à l’auberge pour en faire l’expérience. Ce type de service à la clientèle magistral existait depuis longtemps dans ce pays. De nos jours, il suffisait d’appuyer sur un bouton pour obtenir des informations, mais rien n’était plus fiable que la recommandation d’un ami.

Wridra, qui avait revêtu un yukata plus confortable, se trouvait à côté de nous, son cou pâle exposé de manière séduisante. Elle était suffisamment belle pour captiver tout le monde dans la pièce rien qu’en restant assise, ce qui rendait son expression relâchée d’autant plus choquante.

La marmite en ébullition emplissait la pièce d’une odeur appétissante. La bave menaçait de couler de la bouche de la légendaire Arkdragon, si bien que même le membre du personnel, bien plus jeune que Wridra, la regardait en souriant.

« Je vous en prie, profitez-en », dit la femme avant de faire glisser la porte, et Wridra éleva immédiatement la voix.

« Ceci ! C’est exactement ce qu’il nous faut au deuxième étage ! » s’exclame-t-elle. « Une magnifique demeure ne suffit pas, elle doit être remplie d’un contenu alléchant. On ne peut pas être considéré comme un vrai maître sans avoir de somptueux repas dans sa demeure ! »

Nous l’avions regardée d’un air absent.

Je pensais que la station thermale avec vue sur la mer était une bonne référence pour la construction d’un manoir, mais je ne voyais pas comment il serait possible d’apporter des repas raffinés dans l’autre monde. En tout cas, je n’avais pas envie d’emporter un tas de nourriture de ce monde et de l’amener là-bas. Il était hors de question que je dorme avec des boîtes en carton et en polystyrène remplies de nourriture.

Pendant que je réfléchissais, Marie s’était levée pour faire face à Wridra. Je fus soulagé de voir qu’elle allait empêcher l’Arkdragon de déraper. Marie se frappa la poitrine du poing comme pour dire : « Laisse-moi faire ! » et elle m’adressa un sourire rassurant.

« Bien sûr que tu as raison, Wridra, » dit-elle. « La nourriture est très importante ! Même si j’étais logée dans un endroit épouvantable, je pourrais le laisser passer tant qu’il y a de la bonne nourriture. »

« Oui, exactement… Attends, quoi ? » J’ai bégayé. « Marie ? Es-tu du côté de Wridra ? Mais réfléchis, comment on s’arrangerait pour la nourriture et les cuisiniers ? Hé ? Vous m’écoutez toutes les deux ? »

J’avais eu beau protester, mes paroles n’avaient pas semblé parvenir à leurs oreilles. Je les avais regardées, sidéré, ouvrir de la bière et la verser dans des verres.

« Des sources d’eau chaude à portée de main et des repas délicieux ! Ajoutez à cela une vue magnifique, et que demander de plus ? » se réjouit Marie.

« Ah, rien que d’y penser, j’ai le cœur qui chante », dit Wridra d’un air rêveur. « Ce serait entièrement gratuit pour nous, bien sûr. Le Yamamoto-tei que nous avons visité est une bonne référence. Une vue splendide irait de pair avec un repas délicieux. »

Elles semblaient s’imaginer un paradis. Je n’avais pas pu m’empêcher de sourire à leur enthousiasme, mais j’avais été complètement oublié dans leur conversation.

À ce moment-là, j’avais ressenti une sensation semblable à celle d’un carillon. Shirley semblait s’amuser de l’échange entre les deux femmes et gloussait en hantant mon corps. Même si j’avais envie de discuter, je ne pouvais m’empêcher de ressentir de l’allégresse au fond de moi. Je devais admettre qu’une partie de ce sentiment venait peut-être de moi. Ce n’était pas tous les jours que je partais en vacances avec tout le monde, entouré d’un repas luxueux.

Après avoir réfléchi, j’avais finalement pris la parole.

« Vous avez mon soutien. Quoi qu’il en soit, il serait bon que le deuxième étage devienne un endroit confortable pour tout le monde. »

Je m’étais assis sur un siège vide, puis une bouteille de bière avait été présentée à côté de moi. J’avais souri à Marie, qui débordait de joie, et elle m’avait servi un verre.

+++

Nous avions continué à faire la fête jusque tard dans la nuit. J’avais porté un toast à mes amis qui avaient parcouru le labyrinthe ensemble et qui avaient décidé de faire ce voyage avec moi.

« Nous n’avons pas encore terminé le troisième étage, mais célébrons notre victoire sur Kartina et les bandits du labyrinthe. Le plus surprenant, c’est que tu aies participé directement au combat, Wridra. D’habitude, tu te contentes de regarder. »

« Haha, haha, je n’appellerais même pas cela un combat. Je n’ai fait que repousser un parasite qui bourdonnait autour de moi. Cependant, cela faisait un certain temps que je n’avais pas assisté à une bataille d’une telle ampleur. J’ai été heureuse de voir l’équipe Améthyste faire plus que le travail nécessaire parmi tous les participants. J’attends avec impatience de voir ce que vous ferez à l’avenir. À présent, bravo ! »

Avant même que je m’en rende compte, Wridra s’était emparée de mon toast. Cela ne me dérangeait pas, étant donné que j’étais le membre le moins doué de l’équipe Améthyste.

Avec mes baguettes, j’avais attrapé du chutoro, ou thon moyennement gras. Marie avait goûté aux sashimis dès le premier jour de son arrivée au Japon, mais c’était la première fois pour Wridra. Pourtant, l’Arkdragon se saisit d’un morceau sans hésiter.

« Qu’est-ce que c’est que ce regard ? Ce n’est que du poisson cru. Ce n’est peut-être pas mon plat préféré, mais il en faudra plus pour me surprendre. »

Elle expira par le nez d’un air dérisoire et porta le morceau de poisson à sa bouche. Une seule bouchée suffit à lui faire écarquiller les yeux.

Les tranches de viande rouge gorgées d’umami et de graisse de haute qualité rendent le chutoro exquis. Elles fondaient à chaque bouchée, emplissant la bouche d’une saveur délicieuse. J’avais supposé que le poisson était vraiment frais puisque la mer était juste devant nous, bien que je n’aie pas demandé au personnel où il avait été pêché.

Les lèvres de Wridra formèrent une ligne serrée et elle s’était tellement penchée en arrière que j’avais cru qu’elle allait tomber. Je trouvais qu’elle exagérait un peu, mais le sashimi était connu pour choquer les touristes par son goût rafraîchissant. Et quel que soit le pays d’où l’on vient, manger de la bonne nourriture nous fait sourire pour une raison inconnue.

« Oho », s’esclaffa Wridra en se couvrant la bouche de ses doigts fins. On aurait dit qu’elle n’avait jamais vécu une telle expérience, et elle me regarda avec des yeux écarquillés, puis elle regarda Marie, et de nouveau elle me regarda. Elle était comme une petite fille mignonne, même si elle était bien plus âgée que nous.

« Je ne demanderai plus jamais rien, mais puis-je avoir le reste pour moi ? » demanda Wridra.

« Bien sûr que non ! Je n’ai pas souvent l’occasion de manger des sashimis aussi chers, tu sais. Hmph, c’est effrayant d’imaginer sa langue s’habituer au luxe », dit Marie en mettant un morceau de chutoro dans sa bouche. Ses sourcils étaient froncés pendant qu’elle parlait, mais son expression s’adoucissait à chaque bouchée. « Hm, ça fond dans la bouche ! Ah, c’est si bon ! »

Marie se couvrit également la bouche. Ses yeux violets s’étaient écarquillés d’incrédulité et avaient brillé comme des joyaux. Pendant ce temps, j’appréciais son apparence éblouissante lorsqu’elle dégustait des plats fantastiques.

« Ne reste pas là à regarder fixement », répliqua Marie. « Wridra inhalera tout si tu la laisses faire. Allez, mange. »

Elle avait raison. Par habitude, je regardais les deux autres manger, mais il y avait une autre personne que j’étais censé divertir.

Je m’étais demandé si le chutoro conviendrait au palais de Shirley. J’avais donc pris un morceau avec mes baguettes, je l’avais trempé dans un peu de sauce soja et je l’avais mis dans ma bouche. Il n’avait aucun goût puisque mon sens du goût allait à Shirley, mais j’avais senti un torrent de joie se déchaîner en moi. C’était un peu anormal. Je l’imaginais porter une main à sa joue en souriant. En fait, c’était probablement sa réaction exacte, même si je ne pouvais pas la voir.

***

Partie 2

« Tout doit être nouveau pour elle maintenant qu’elle a été libérée de l’ancien labyrinthe. Je ne suis pas trop surprise qu’elle ait rejoint l’équipe de raid humaine et qu’elle ait commencé à chasser les monstres qui y habitent. »

« Oh, mais c’était une surprise pour moi », répondit Mariabelle. « Le livre de Shirley peut sceller les monstres et les placer sous son contrôle, n’est-ce pas ? La dernière fois que j’ai vu Kartina, j’ai été surprise de constater qu’elle était devenue un chevalier bien élevé. Cependant, elle semblait détester vous-savez-qui comme d’habitude. »

« Cette dernière a une personnalité assez stricte. Je suppose qu’elle ne voit pas d’un bon œil que Kitase traite cet endroit comme un terrain de jeu. Haha, ce n’est pas que nous soyons très différents. »

Mariabelle s’apprêtait à répondre à l’accusation de ne pas être elle-même une personne agissant selon les standards, mais elle referma la bouche. Elle s’était souvenue qu’elle avait dit que l’ancien labyrinthe serait parfait pour faire de l’exercice tout en visitant la ville.

Wridra afficha un sourire amusé, puis se versa de l’eau sur les épaules pour rincer les bulles. Elle pointa ensuite son doigt mouillé vers le dos de Mariabelle.

« Il est maintenant temps de profiter des sources d’eau chaude. C’est l’endroit idéal pour se reposer et discuter. Shirley, n’hésite pas à me hanter si tu es également intéressée. J’ai entendu dire que la qualité de l’eau était excellente. Tu le regretteras sûrement si tu manques cette occasion. »

Wridra prit une serviette et traversa la zone de baignade, ses pieds nus se posant sur le sol mouillé. Son dos exposé était magnifique, même du point de vue d’une femme, bien que sa queue se balançant d’un côté à l’autre soit quelque peu distrayante. Mariabelle la suivit, se plaignant intérieurement de ne pas pouvoir se détendre alors qu’il s’agissait d’un lieu de guérison.

La nuit était tombée et des voix joyeuses résonnèrent dans les sources thermales. Des lanternes s’allumèrent bientôt comme pour agrémenter leurs conversations.

D’innombrables étoiles illuminaient la nuit et le ciel était parfaitement dégagé pour la compétition de feux d’artifice à venir.

§

Tenant un sac à cordon avec un motif de poisson rouge, Mariabelle regarda ses chaussures en bois inhabituelles. Elles produisent des claquements satisfaisants lorsqu’elle marchait. Elle afficha alors un sourire de satisfaction.

« Le son qu’ils font est si mignon. Ce sont donc des geta », dit-elle en se retournant.

Honnêtement, c’était injuste de voir à quel point elle était mignonne dans cet élégant yukata violet clair. Ses cheveux rayonnants étaient attachés sur le côté, ornés d’une épingle à cheveux en forme de fleur. Un homme ordinaire comme moi n’aurait pas pu résister à son beau sourire alors qu’elle me faisait lentement face. Lorsqu’elle prononça les mots « Allez, dépêche-toi ! », j’avais jeté la serviette blanche et je m’étais approché d’elle comme elle me l’avait demandé.

« Veille à marcher lentement. Je ne voudrais pas que tu te fasses mal aux pieds en les portant pour la première fois », avais-je dit.

« Même toi, tu penses que je suis une personne facile à vivre comme toi ? Pourtant, ces vêtements me vont si bien que je n’ai pas d’autre choix que de marcher lentement », répondit-elle. Elle posa un doigt sur son menton et réfléchit un instant. C’est alors qu’elle tendit la main vers moi pour me tenir le coude et conclut : « Cela devrait m’aider. Ta vitesse de marche est bonne aussi. Et je suis sûre que tu prendras soin de moi si j’ai mal aux pieds. Pas d’objection, je suppose ? »

Elle semblait assez fière de son idée et plissa les yeux juste à côté de mon visage. Bien entendu, j’étais plus qu’heureux de l’escorter si nécessaire.

« Bien sûr, ce serait un honneur. Si c’est un ordre de Mme l’Elfe, je donnerais ma vie pour…, » J’avais fait une pause en me souvenant de notre voyage. « Attends, je suis mort bien trop souvent pour que cette phrase ait un sens. »

Elle avait gloussé et m’avait traité d’idiot, en tapotant légèrement ma poitrine avec sa main.

Nos geta claquaient tandis que nous marchions dans la ruelle où peu de voitures passaient tard dans la nuit. Il était difficile de voir le sol, mais nous avions réussi à éviter de trébucher en faisant preuve d’un peu de prudence. Les gens qui marchaient autour de nous se dirigeaient tous vers la même destination, il y avait donc peu de chances que nous nous perdions. Soudain, j’avais senti qu’on me tirait par le bras.

« Écoute, Wridra a fait ce yukata pour moi. Elle dit qu’il est de bien meilleure qualité que ceux que nous avons pu emprunter à l’auberge. Il faudra que je pense à la remercier plus tard. »

Je n’avais pas pu m’empêcher de sourire en la voyant relever ses manches du bout des doigts pour montrer sa tenue.

Si je me souvenais bien, la dernière fois qu’elle avait porté un yukata, c’était lors d’un voyage à Chichibu. Cela l’avait marquée, car elle préférait habituellement les vêtements occidentaux, mais elle avait souri radieusement en portant le yukata japonais qu’elle affectionnait tant. Ses joues étaient roses d’excitation, et c’était assez adorable de la voir si pleine de joie enfantine.

« Au fait, où est Wridra ? » demandai-je.

Wridra était une grande fan des événements bruyants et énergiques. C’était étrange qu’elle soit absente alors que le concours de feux d’artifice était sur le point de commencer. Mais c’était de ma faute si je l’avais oubliée depuis que nous avions quitté l’auberge. Pour ma défense, j’étais préoccupé par l’éclat de la tenue de Marie.

J’avais alors entendu un petit miaulement, comme s’il s’agissait d’un reproche à mes pensées. J’avais baissé les yeux et j’avais réalisé qu’un chat noir marchait silencieusement à côté de nous, mais il faisait trop sombre pour que je le remarque.

« Oh, tu sors sous cette forme ce soir, Wridra ? Mais nous allons assister à un concours de feux d’artifice », fit remarquer Marie.

Elle avait fait signe au chat, qui s’était approché pour que Marie le prenne dans ses bras. Le chat me jeta un regard comme pour me dire : « Il t’a fallu beaucoup trop de temps pour remarquer mon absence. »

Marie pencha la tête en signe de confusion.

« C’est étrange. Je pensais que tu aimais ce genre d’événements, alors pourquoi y aller sous ta forme de chat ? » se demanda-t-elle à voix haute.

« Hmm… Peut-être qu’elle est prévenante à notre égard », avais-je supposé.

« Peut-être, mais… il y a quelque chose de louche. Je veux dire, nous avons choisi un yukata ensemble tout à l’heure. Ce n’est pas possible qu’elle soit enfermée dans sa chambre en ce moment. »

Compte tenu de ces détails, il semblait peu probable que Wridra soit satisfaite de sortir sous sa forme de chat ce soir. Pendant ce temps, le chat en question se léchait les pattes comme s’il ne nous entendait pas. Il y avait vraiment quelque chose qui n’allait pas.

Les divergences semblaient tirailler l’esprit de Mariabelle, mais on entendit quelque chose battre au loin, et elle se retourna, le chat noir toujours dans ses bras. On entendait des tambours et des flûtes dans le bruit de la mer qui grondait.

« Vous entendez aussi ça ? Se passe-t-il quelque chose !? »

C’est ce qu’on appelle les festivals d’été. La chanson enjouée d’une femme se joignit au groupe, soutenue par les voix de plusieurs autres femmes. Le plus astucieux, c’était le tempo qui nous remplissait d’énergie, comme s’il nous invitait à rejoindre le groupe. Le yukata que nous portions ne faisait qu’ajouter à l’ambiance festive, et j’avais remarqué que les pas de Marie s’accéléraient.

La musique était célébrée partout dans le monde, et il existait un certain type de son commun à tous les pays lorsqu’il s’agissait de festivals. Ils véhiculent tous un message clair : « Amusez-vous ! »

« C’est parti ! Nous allons être en retard pour le festival ! »

Les joues de Marie étaient rouges d’excitation, et je m’étais senti sourire à nouveau largement tandis qu’elle me tirait avec impatience par la main. C’était plus fort que moi. Le festival avait commencé et se poursuivrait jusque tard dans la nuit, elle n’avait donc pas à s’inquiéter.

« Y a-t-il aussi des festivals dans ton village ? » avais-je demandé.

« Il y en a, c’est certain. Nous nous réunissons tous à la fin de l’hiver et à l’arrivée du printemps. Chaque famille sert ses spécialités, puis nous exécutons tous les chants et les danses que nous avons répétés. Tu as quitté le village pendant l’hiver, alors tu n’étais pas là pour le voir », avait-elle répondu.

« J’aurais aimé être là pour ça. Comme c’est encore l’été, je n’aurai pas d’autre occasion avant des mois. »

« Tu vas adorer ! Tu seras aux premières loges quand je chanterai pour tout le monde. Profitons de ce festival à Izu pour l’instant. »

J’avais acquiescé et nous avions recommencé à marcher. Lorsque nous avions atteint un endroit vide près d’un champ, nous avions entendu le souffle de quelque chose qui s’envolait dans les airs. Nous avions levé les yeux et vu une ligne de lumière qui montait dans le ciel étoilé.

Cela avait dû être une sacrée surprise pour Marie. Elle avait penché son cou pour suivre la lumière tout droit et l’avait vue jaillir comme une fleur s’épanouissant avec un grand bruit ! Elle poussa un cri et me serra le bras.

C’était la deuxième fois que nous regardions un feu d’artifice ensemble. La première fois, c’était dans un grand parc d’attractions de Tokyo, mais là, c’était tout à fait différent.

Pendant Obon, les pyrotechniciens mettaient leur honneur en jeu. Leur rôle était d’honorer nos ancêtres et d’illuminer magnifiquement le ciel nocturne afin que les défunts puissent reposer en paix. Cet endroit était une destination touristique populaire où nous avions la responsabilité de nous immerger dans l’expérience et de nous amuser.

Marie était restée silencieuse alors que la phosphorescence s’estompait et disparaissait. Elle resta bouche bée, émerveillée. Elle restera muette encore un peu. Plusieurs autres feux d’artifice s’élevèrent à l’est pour s’aventurer dans le ciel nocturne. J’avais senti une autre pression sur mon bras alors que les anneaux de lumière éclataient avec plusieurs autres explosions.

La rue était encore sombre quelques instants plus tôt, mais elle était maintenant lumineuse comme en plein jour. Tout le monde avait le même regard de fascination. Devant un tel spectacle, je n’avais qu’une chose à dire.

« Bienvenue aux festivals d’été japonais. La règle veut que l’on ne soit pas réservé pendant les festivals. Je dois aussi te dire qu’il y a de la nourriture savoureuse partout, alors tu as de quoi te réjouir. »

Marie semblait encore hors d’elle, mais ses yeux mauves pâles avaient finalement rencontré les miens. À ce moment-là, elle avait souri avec éclat et avait dit : « D’accord ! » Le festival était destiné à divertir nos ancêtres, mais j’espérais que l’elfe s’amuserait aussi pleinement.

Des feux d’artifice géants ont envahi le ciel tandis que Marie et moi nous promenions, main dans la main.

Le bruit des geta qui s’entrechoquaient me remplissait également le cœur d’excitation. Je pensais avoir perdu tout intérêt pour les festivals d’été en vieillissant, mais j’avais recommencé à me sentir comme un enfant.

Au loin, quelqu’un jouait d’un instrument, le vent de la mer portant le son du shamisen, et j’avais entendu le claquement d’un geta juste derrière moi. Je m’étais retourné et j’avais découvert Marie portant un masque de renard à l’ancienne, teinté d’orange à la lumière des lanternes. Ce spectacle mystique m’avait laissé pantois et je m’étais demandé si j’étais vraiment au Japon. J’espérais que cette jolie fille-renarde me pincerait les joues pour m’en assurer.

« Qu’en penses-tu ? C’est l’homme de l’étal là-bas qui me l’a donné. »

Marie l’avait montré du doigt et un homme avec une serviette autour de la tête lui avait répondu par un signe de la main. Il avait l’air effrayant à première vue, alors j’avais été un peu surpris par ce cadeau attentionné.

Je comprenais un peu ce qu’il ressentait. Lorsque les Japonais rencontraient de jolies étrangères, ils avaient tendance à être gentils avec elles… Ou peut-être que c’était juste moi qui me faisais remarquer. Nous nous étions tous deux inclinés devant l’homme de l’échoppe.

« Allons là-bas. Il y a un magasin que je veux visiter », dit Marie.

Elle souriait largement, et mes yeux rencontrèrent les siens, même s’ils étaient sous le masque de renard, tandis qu’elle me prenait la main pour nous montrer le chemin. Nos geta claquèrent tandis que nous reprenions notre marche.

Un sanctuaire portatif bien éclairé, qui était transporté juste à côté de nous, avait fait retentir des sons rythmés à nos oreilles. Marie laissa échapper un doux « Wow ».

« Je me sens si énergique en ce moment. Il y a de la bonne musique tout autour de nous, et cette délicieuse odeur… »

L’estomac de Marie gronda, rivalisant avec le son des flûtes et des tambours de la fête. Elle se couvrit rapidement l’estomac avec ses mains.

 

***

Chapitre 15 : En route pour les îles d’été

Partie 1

Lorsque j’avais ouvert les yeux, je m’étais retrouvé dans une tente qui semblait dater du Moyen-Âge. Et par là, je voulais dire qu’elle avait l’air plutôt délabrée. La peau d’animal dont elle était faite avait jauni à cause du vieillissement et du manque évident d’entretien.

J’étouffai un bâillement et regardai autour de moi, mais il n’y avait personne. Il y avait des traces de quelqu’un qui avait retourné les édredons en sortant du lit, alors j’avais supposé que Marie et les autres avaient déjà quitté la tente.

« Hmm, je suppose que tout le monde est déjà debout. »

À en juger par la luminosité extérieure, le matin était déjà bien avancé. J’avais trouvé amusant d’avoir dormi trop longtemps dans mes rêves et j’avais décidé de commencer ma journée de la même façon.

Il y avait environ une demi-journée de décalage horaire entre le Japon et ce monde. Le décalage horaire variait probablement selon les régions, mais je m’étais couché tard dans l’autre monde hier soir. C’était peut-être pour cela que le soleil était déjà si haut dans le ciel.

Cette tente était soutenue par une poutre centrale, et elle était juste assez grande pour accueillir environ six personnes allongées. Mais cela aurait été assez inconfortable, alors la moitié serait juste suffisante. Nous l’avions achetée pour nous permettre de tenir jusqu’à ce que nous ayons notre propre logement dans le deuxième étage, mais nous ne savions pas combien de temps nous allions l’utiliser. Tout dépendait de la rapidité avec laquelle Wridra et Shirley travaillaient, je suppose.

Il s’était passé beaucoup de choses la nuit dernière, et le long trajet en voiture avait certainement contribué à me faire dormir si longtemps. J’entendais des marmonnements à l’extérieur et je me disais que les autres étaient prévenants en essayant de ne pas me réveiller. J’avais donc laissé échapper un gros bâillement et j’avais décidé de quitter la tente.

« Wôw ! », m’exclamai-je.

Lorsque j’étais sorti, j’avais eu une surprise. Un lézard géant… non, un homme-lézard me fixait, sifflant en expirant. Mais ce n’était pas un monstre terrifiant, car ses lèvres écailleuses formaient un sourire amical. En fait, c’était plutôt ses lèvres qui se séparaient pour laisser apparaître des dents dentelées.

« Bonjour, Monsieur Kazuhiho. Les dames ont déjà commencé à travailler à la construction du manoir », déclara-t-il.

« Oh, tu es l’homme-lézard qui était au labyrinthe de l’Arkdragon. Maintenant que j’y pense, elle a mentionné qu’elle avait fait appel à de l’aide. »

Je me souvenais lui avoir parlé la première fois que j’avais exploré la maison de Wridra. J’avais presque oublié, car c’était il y a longtemps, et les visages des hommes-lézards étaient particulièrement difficiles à distinguer. Pour être honnête, je n’étais pas sûr que ce soit le même.

J’avais jeté un coup d’œil autour de moi pour voir que d’autres personnes comme lui se promenaient dans les environs. Ils plissaient les yeux vers le soleil, des lances artisanales à la main. Leurs mouvements étaient empreints d’une langueur caractéristique des reptiles qui prenaient un bain de soleil. C’est alors que j’avais compris. C’était exactement comme les alligators que j’avais vus au parc Banana Wani.

« Alors, qu’est-ce que vous faites ici ? » avais-je demandé.

« On nous a dit de nous promener et de nous habituer à notre nouvel environnement pour l’instant. Nous pouvons gérer les grottes et les déserts sans problème, mais il faut un peu de temps pour s’adapter. »

L’homme-lézard avait fait un geste du doigt, une invitation à faire une promenade ensemble. J’avais enlevé mes chaussures et j’en avais tenu une dans chaque main pour traverser la rivière. L’eau était froide, mais pas assez profonde pour me mouiller les genoux. L’homme-lézard m’avait jeté un coup d’œil.

« Ce n’est pas pratique de le faire tous les matins. Nous ferons un pont ici plus tard. Nos doigts peuvent ressembler à cela, mais nous savons travailler la corde et le bois. »

Il me montra fièrement sa main. Les doigts étaient à peu près aussi longs que ceux d’un humain, mais la main brutale les faisait paraître relativement courts et trapus.

« Je m’en doutais, à en juger par ces lances faites à la main. Penses-tu pouvoir t’habituer à vivre ici ? » avais-je demandé.

« Oui, il y a ici de bonnes eaux et beaucoup de poissons. Et ils sont étonnamment délicieux. Les autres qui sont restés dans la grotte sont d’ailleurs jaloux de la qualité du poisson ici… Oh, j’ai tendance à m’éloigner du sujet. Il y a des choses qui me trottent dans la tête. »

Sur ce, l’homme-lézard s’était approché à pas lents et m’avait englouti dans son ombre. Un spectateur aurait probablement pensé que j’étais sur le point d’être mangé. Bien sûr, il n’en avait pas l’intention puisqu’il s’était simplement accroupi pour me chuchoter à l’oreille.

« Je ressens quelque chose d’étrange depuis le sol. C’est comme l’air… ou l’atmosphère… Même Dame Wridra reconnaît que je suis doué pour sentir ce genre de choses », dit-il.

« L’atmosphère ? Qu’est-ce que tu veux dire ? » avais-je demandé.

L’homme-lézard fit un bruit de réflexion et regarda le ciel. Il était censé pouvoir sentir quelque chose dans l’air, mais il n’en connaissait pas les détails à cause de son manque de connaissances sur le monde de la surface. Néanmoins, cela lui paraissait suffisamment important pour en prendre note mentalement pour le moment.

Après avoir traversé la rivière et gravi une pente douce, nous avions aperçu un manoir partiellement construit. La plus grande partie du vaste chantier n’était pas terminée, et il y avait des tonnes de bois partout. Des hommes-lézards les affinaient et les transportaient, et certains d’entre eux polissaient également des pierres. J’avais pensé qu’il s’agissait d’ouvriers travaillant gratuitement pour Wridra.

Une jeune fille assise sur une chaise nous avait vus approcher et nous avait fait signe. C’était Mariabelle, qui se trouvait dans une tonnelle ombragée près du centre du bâtiment, où les vignes aux fleurs épanouies accentuaient sa beauté. L’elfe aux longues oreilles portait habituellement sa robe de sorcière, mais elle était assise dans une robe de soleil blanche, ses pieds se balançant d’avant en arrière.

L’homme-lézard me salua et s’en alla. Il semblait juste vouloir me guider jusqu’ici, et je me disais que les monstres pouvaient être plus gentils que les humains de nos jours. Je continuai d’avancer, puis m’adressai à Marie lorsque je fus à portée de voix.

« Bonjour… J’ai peut-être fait la grasse matinée trop tard pour appeler ça un matin. »

« Ne t’inquiète pas, c’est notre jour de congé. C’est moi qui devrais m’excuser de m’être endormie si tôt à Izu », répondit Marie.

J’avais ri et je lui avais dit que c’était bon. Il n’y avait rien de mieux que de dormir après avoir bien mangé et bien bu.

« On dirait que la construction se déroule bien. Les hommes-lézards sont des alliés très fiables », avais-je noté.

« Ils le sont vraiment. Et ils ne se relâchent pas et ne se plaignent pas comme les humains. Oh, j’ai entendu dire qu’ils allaient faire un lac de l’autre côté du manoir », répondit-elle.

J’avais peut-être mal entendu. L’idée de créer un lac dans l’ancien labyrinthe tristement célèbre et terrifiant était déjà scandaleuse. Cet endroit n’était pas assez grand, et où trouveraient-ils toute cette eau ?

En y réfléchissant, j’avais remarqué quelque chose d’étrange. Au-delà de la forêt dense, je ne pouvais pas voir le mur qui marquait les limites extérieures de la zone.

« Attends un peu… », avais-je murmuré.

« Oui, cela m’a aussi surprise. Shirley avait dit qu’elle s’agrandirait parce qu’elle avait rassemblé beaucoup d’âmes lors de notre dernière bataille. On ne peut certainement plus appeler cet endroit un hall. »

Une perle de sueur roula sur mon front. Cet endroit était énorme maintenant. Il était déjà assez grand pour contenir plusieurs dômes de Tokyo, mais à présent, je ne pouvais plus en voir le bord à moins d’essayer très fort. Même le ciel artificiel que Shirley avait créé semblait plus éloigné, comme s’il s’étendait jusqu’au premier étage.

« Shirley est assez étonnante, n’est-ce pas… ? »

Dès que je l’avais dit, j’avais entendu quelqu’un me crier dessus.

« C’est Lady Shirley pour toi, imbécile ! »

J’avais tressailli, puis je m’étais rapidement retourné pour voir une femme en armure se diriger vers moi avec colère.

Le blanc et le noir de ses yeux étaient inversés. Ses cheveux dorés étaient teints en noir à l’arrière de la tête et taillés autour de ses oreilles, sans doute pour ne pas la gêner dans ses déplacements. Son armure cliquetait à son approche et elle adopta une position large lorsqu’elle arriva sur l’aire de repos, comme pour me bloquer le passage.

Sa voix m’était familière…

« Attends… C’est toi, Kartina ? » avais-je demandé.

« C’est Lady Kartina pour toi ! En tout cas, j’ai toujours su que tu étais un lâche vu ta façon de te battre. Tu devrais affronter tes ennemis de face et te faire découper comme un vrai homme ! » répliqua-t-elle.

« Mais alors je mourrais. Oh, je vois… Tu aides Shir — je veux dire, Lady Shirley maintenant. »

Je m’étais corrigé pour qu’elle ne me lance pas un regard noir, mais elle m’avait quand même fixé du regard.

« Je ne l’aide pas ! J’ai enfin trouvé la maîtresse que je devais servir. Elle est parfaite… C’est comme si elle était sortie tout droit de mes rêves. Belle comme une déesse, son sourire apaisant et doux… et elle me tapote la tête si gentiment pour le moindre travail… » Kartina s’arrêta de divaguer. « Ah ! non, je n’ai aucune arrière-pensée ! J’ai simplement trouvé ma juste voie de chevalier ! »

En regardant Kartina balancer son bras tout en parlant, je m’étais rendu compte qu’elle n’était pas vraiment l’outil le plus aiguisé de la cabane. Marie et moi avions échangé des regards complices et hoché la tête.

« Oui, Shirley n’a eu que de bonnes choses à dire sur toi. J’ai entendu dire que tu étais un chevalier très loyal et compétent », dit-elle.

« Quoi ? Vraiment ? Oh mon, ehe heh heh ! » ricana Kartina.

« Oui, je crois qu’elle t’a appelé son bras droit de confiance. Elle a même dit qu’elle voulait que tu la considères comme une grande sœur. Il n’y a pas beaucoup de gens qui reçoivent de telles louanges de la part d’une maîtresse de donjon comme elle », avais-je ajouté, bien que Shirley n’ait jamais dit une telle chose.

Kartina s’était entourée de ses bras et avait frissonné, ne réalisant pas que nous plaisantions. Elle s’effondra ensuite sur le sol avec un bruit sourd, comme un boxeur qui aurait reçu un coup en plein menton.

« T-T-Tu es un imbécile ! Je ne me permettrais jamais de traiter Lady Shirley comme une sœur… Ah, je saigne du nez ! »

Marie et moi nous étions rapidement précipitées vers Kartina avec un mouchoir. Elle prétendait aller bien, mais elle était toujours incapable de se lever. Il était difficile de croire que la femme qui essuyait son nez ensanglanté avec un large sourire était la même que celle que j’avais combattue à l’époque. Auparavant, elle m’avait semblé bien plus démoniaque…

***

Partie 2

Kartina désigna une table voisine, ce qui était une invitation à discuter.

Marie et moi l’avions aidée à s’asseoir sur une chaise. Nous avions versé du thé d’Arilai et un parfum agréable avait envahi l’air. Kartina prit une gorgée de thé et respira profondément, son expression s’adoucissant. Ses yeux démoniaques rencontrèrent les nôtres.

« Je vous dois une fière chandelle pour notre précédente rencontre, elfe et humain. J’ai de la chance d’être ici en vie, compte tenu de la façon dont tous mes camarades ont péri. Cependant, je n’ai pas l’intention de divulguer des informations sur ma patrie. Je voulais juste mettre les choses au clair », dit-elle.

« C’est tout à fait normal. D’ailleurs, c’est… Lady Shirley qui t’a sauvé, pas nous. Ce que tu feras à partir d’ici ne dépend que de toi. Personne ne t’en empêchera », répondis-je.

Ses yeux s’écarquillèrent légèrement et sa bouche forma un léger sourire. Lorsqu’elle but une nouvelle gorgée de son thé, il sembla que toute la tension avait quitté son corps.

« Ce que je veux faire… Avec le recul, j’ai l’impression de n’avoir poursuivi que des idéaux toute ma vie. Et à chaque fois, j’ai fini par servir de pion à quelqu’un. C’est pourquoi je ne peux toujours pas faire confiance à ma propre volonté. »

Kartina semblait fatiguée et se massait les sourcils avec ses doigts. Elle n’avait pas donné de détails, mais ses émotions étaient palpables. J’avais l’impression qu’elle avait vécu des horreurs indicibles avant d’obtenir ses bras de démon.

« J’ai l’intention de passer un peu de temps ici et de réfléchir à ce que je ferai une fois que les choses se seront calmées. Au moins, je ne suis pas du genre à poignarder quelqu’un qui m’a montrée de la gentillesse », dit Kartina en nous touchant les bras.

En la regardant dans les yeux, j’avais su qu’elle disait la vérité. Le sourire qu’elle nous avait finalement montré était l’image même d’un preux chevalier. Peut-être que la paix finirait par l’atteindre après avoir passé un certain temps dans ce pays tranquille.

Alors que j’étais soulagé de voir ça, une idée m’était venue à l’esprit.

« Au fait, as-tu vu Wridra ? » demandai-je.

Kartina se retourna lentement, puis pointa du doigt le manoir en construction. L’expression de son visage me disait qu’elle était perplexe quant au fait qu’un manoir était en construction dans le labyrinthe, mais il y avait aussi un soupçon d’excitation pour ce qui allait suivre.

§

« Hup. »

J’étais sorti dans une ruelle d’Arilai. Bien qu’il ne soit pas encore midi, il faisait un peu sombre en raison de la proximité des bâtiments. Derrière moi se trouvait un abîme bien plus sombre que la vue qui s’offrait à nous, certains le trouveraient même terrifiant.

Malgré son aspect inquiétant, il n’avait rien d’effrayant. Une beauté aux cheveux noirs émergea de l’étang de ténèbres, suivie d’une jeune fille elfe qu’elle menait par la main. Nous étions arrivés ici depuis le deuxième étage en un clin d’œil, ce qui témoigne de la puissance de la magie de l’Arkdragon.

« Merci de nous avoir amenés ici, Wridra. On se sépare pour l’instant ? » demandai-je.

« Haha, haha, ce n’était rien. Oui, nous allons faire des travaux au deuxième étage pendant que vous sortez tous les deux. »

Il va sans dire que Wridra portait sa robe noire au lieu d’un yukata. Bien qu’il s’agisse de styles complètement différents, les vêtements japonais et occidentaux lui allaient très bien.

Elle avait ensuite tenu un chat noir par le ventre et nous l’avait donné. Il avait l’air mignon avec son corps allongé, mais c’était son familier plutôt qu’un chat ordinaire. Il servait d’yeux, d’oreilles et parfois de langue à l’Arkdragon pour goûter ce que nous mangions. Le chat n’avait pas protesté et Marie l’avait accepté.

« On se reverra plus tard. Au revoir, Wridra », dit Marie.

Nous nous étions salués tandis que Wridra s’enfonçait dans les ténèbres. Le portail disparut, ne laissant d’autre trace que la faible odeur de l’Arkdragon.

+++

Marie et moi marchions côte à côte. Elle avait opté pour une tenue essentiellement blanche avec des manches longues pour se protéger du soleil, et ses longues oreilles dépassaient de la capuche qui lui couvrait la tête. On aurait dit qu’elle s’était habituée à voyager par rapport à avant. Elle remarqua que je la fixais et me sourit.

« Wridra était vraiment déterminée à faire construire ce manoir. Au Japon, on appelle les gens qui travaillent les jours de congé des “charpentiers du week-end”, n’est-ce pas ? » demanda-t-elle.

« Je suis surpris que tu le saches. Son travail est d’une tout autre ampleur. Peut-être que l’auberge d’Izu l’a incitée à faire quelque chose de spécial », avais-je dit.

« Je n’en doute pas. La vue, l’atmosphère et la nourriture étaient toutes incroyables. Nous avons séjourné dans plusieurs manoirs à Arilai, mais le Japon m’a fait comprendre que l’habitabilité n’est pas seulement une question d’espace. »

J’avais un peu compris ce qu’elle voulait dire. Il n’y a pas beaucoup de terrains disponibles au Japon, et les bâtiments y étaient donc inévitablement plus petits que ceux que l’on trouve en Europe ou en Amérique. J’avais compris qu’elle voulait dire que la vue imprenable qui s’offrait aux fenêtres donnait l’impression que les pièces étaient plus spacieuses qu’elles ne l’étaient en réalité. C’est peut-être pour cela que Wridra avait eu l’idée de créer un lac.

« Quand le lac sera terminé, tu pourras peut-être y pêcher », proposa Marie.

« Maintenant, tu as éveillé mon intérêt. Je vais peut-être enfin pouvoir te montrer mes talents de pêcheur », avais-je répondu.

« Oh, oh ! Je veux que tu attrapes de l’anguille pour moi. Ah, j’aimerais bien manger à nouveau de l’anguille grillée. »

Marie se souvenait de l’anguille grillée que nous avions mangée auparavant avec une expression rêveuse, balançant le chat, dont les yeux brillaient en signe d’accord, dans ses bras d’un côté à l’autre. Mais il y avait une si grande différence de goût entre les anguilles du Japon et celles de ce monde que j’avais choisi de ne pas mentionner. Le fait que Marie ne connaisse pas cette différence lui donnait une raison de soutenir mon activité de pêche. Je ne voulais pas leur donner une excuse pour annuler le projet de construction de ce lac.

Notre joyeuse conversation s’était poursuivie jusqu’à ce que nous atteignions la rue principale. Le soleil brûlant était de mise dans un pays désertique, et les gens autour de nous étaient habillés en conséquence.

« Voyons voir… Tout d’abord, nous devrions présenter nos respects à Aja le Grand et confirmer si cette restriction de voyage sera un problème. Elle était censée rester en vigueur jusqu’à ce que ces bandits soient éliminés, et ce problème a déjà été résolu, alors…, » dit Marie.

J’avais alors remarqué un visage familier lorsque nous nous étions engagés dans la rue principale. Eve était assise sur une vieille caisse en bois, puis elle sauta sur le trottoir en pierre dès qu’elle nous remarqua.

« Vous voilà. Et juste à temps. La magie de Wridra doit être bien pratique pour une telle rencontre », dit-elle en s’approchant de nous.

Marie et moi étions restés là, les yeux écarquillés.

Même si elle me dépassait d’une tête dans ma forme d’adolescent, ce qui nous laissait pantois, c’était sa tenue vestimentaire. Elle portait une sorte de déshabillé fin avec des bretelles, apparemment sans se soucier du soleil infernal. Je pouvais voir son nombril, et son short était si serré que l’intégralité de ses cuisses était exposée. Elle ne semblait pas du tout préparée au désert, à tel point que j’avais été surpris que personne n’ait essayé de la draguer en passant à côté d’elle.

« Hé, Eve. C’est une tenue terriblement décontractée. On dirait que tu es prête à profiter de tes vacances », avais-je dit.

« Bien sûr que oui ! Nous nous sommes enfin débarrassés de ces bandits, alors cette restriction de voyage va être levée, non ? » dit-elle.

Les bandits avaient été enfermés dans le labyrinthe et projetaient d’introduire clandestinement des pierres magiques dans le pays voisin de Gedovar. Arilai avait décrété une restriction interdisant à quiconque de quitter son territoire jusqu’à ce que les traîtres aidant les nations ennemies soient éliminés.

« C’est dommage que cela nous ait empêchés de faire notre voyage », déclara Marie.

« Hee hee, c’est comme ça. Quoi qu’il en soit, allons déjà voir Aja le Grand. Oh, j’ai hâte de voir la plage ! Je suppose qu’on y va vraiment, hein ? »

Contrairement à Marie qui faisait la moue, Eve ouvrait joyeusement la marche d’un pas léger. Ses fesses n’étaient pas assez couvertes de tissu, alors quand ses pieds passaient d’un côté à l’autre… Euh, je ne devrais pas regarder ça.

Le plan était de parler à Aja le Grand, de faire des provisions de riz et d’autres aliments, et de visiter la plage.

La mer d’Ord, à l’est, était connue pour être un paradis au milieu de l’été, et il fallait normalement plusieurs mois pour s’y rendre à pied. Mais Trayn, le guide du voyageur, pouvait facilement nous y emmener — une compétence parfaite pour un passionné de voyage comme moi.

Nous avions encore la mission de rang S de nettoyer le troisième étage, nous ne pouvions donc pas y rester longtemps, mais messire Hakam et Aja le Grand avaient donné leur feu vert pour que nous prenions quelques jours de repos. Je ne pense pas qu’il y ait de problèmes.

J’avais levé les yeux vers le ciel bleu. C’était aussi le milieu de l’été dans ce monde.

+++

Whoosh…

Nous étions entourés d’une obscurité totale, avec des poches de lumière qui passaient de temps en temps à cause de la vitesse à laquelle nous allions. Nous avions l’impression d’être dans un métro, mais c’est exactement ce à quoi ressemblait ma technique de voyage longue distance, Trayn, le guide du voyageur, en action. Heureusement, le vent était relativement calme. Mariabelle avait été distraite un instant par le spectacle qui s’offrait à nous, mais elle s’était vite remise à vérifier notre sac.

« On dirait que tout est prêt. Le riz et les légumes, les assaisonnements et la viande que nous avons apportés du Japon, les restes de la veille et les jouets sont tous là », dit-elle.

« J’aurais aimé pouvoir préparer des boîtes à lunch, mais nous sommes au milieu de notre voyage à Izu. Cela dit, c’est peut-être l’occasion de cuisiner en plein air. Cela a toujours été populaire pour de bonnes raisons », avais-je répondu.

Le chat noir dans les bras de Marie miaulait comme pour exprimer son excitation. Mon seul souci était que je ne savais pas encore combien l’Arkdragon était capable de manger, et je n’étais donc pas sûre que nous ayons apporté assez de nourriture.

Nous nous étions ensuite rendus à la plage de la mer d’Ord.

L’interdiction de quitter le pays avait été levée juste pour nous récemment. Sans cela, nous n’aurions même pas pu activer ma compétence de voyage. Notre combat contre les bandits avait pris beaucoup plus d’ampleur que prévu, même si tout s’était arrangé pour que nous puissions partir en vacances à la plage.

***

Partie 3

Mais depuis que nous avions parlé à Aja le Grand, nous avions du mal à comprendre la situation particulière dans laquelle nous nous trouvions. Marie avait gémi, plongée dans ses pensées, et s’était finalement tournée vers moi pour me faire part de son désarroi.

« Je ne comprends pas pourquoi il nous a donné l’autorisation spéciale de franchir la frontière sans lever la restriction de voyage. La menace a été traitée, n’est-ce pas ? Cela n’a pas de sens », avait-elle déclaré.

Notre projet initial d’excursion sur la plage avait été retardé à cause de la restriction. On nous avait dit que la restriction serait levée une fois que les bandits auraient été éliminés, mais cela ne semblait pas près de se produire.

« Oui… Peut-être que cela signifie qu’il y a toujours une menace. Quelque chose d’autre que des bandits qui essaient de faire passer des pierres magiques en contrebande ou des traîtres qui se cachent », avais-je fait remarquer. « Étant donné que la défaite des bandits n’a jamais été annoncée au public, ce n’était peut-être qu’une excuse. »

L’imposition d’une restriction aux déplacements présente des inconvénients évidents pour l’ensemble du pays. Elle mettait un terme au commerce, ce qui signifiait que l’économie stagnerait. La restriction devait présenter d’autres avantages pour que les aspects négatifs en vaillent la peine.

« Sans compter qu’Aja le Grand nous a demandé si nous voulions la nationalité arilai. Même si je suis attachée à cet endroit depuis un certain temps, c’était si soudain », souligna Marie.

« Oui, il a même proposé de rembourser les pénalités que tu aurais à payer pour quitter la Guilde des Sorciers. Je suis content qu’il nous fasse confiance, mais j’ai eu l’impression qu’il était pressé ou quelque chose comme ça », avais-je acquiescé.

Il est possible que cette invitation et la restriction de voyage apparemment sans rapport soient en fait liées d’une manière ou d’une autre. En l’absence d’informations pertinentes, nos suppositions pouvaient être tout à fait erronées. Nous avions décidé de ne pas trop y penser et de passer à autre chose pour profiter de nos vacances comme nous l’avions prévu à l’origine.

J’avais jeté un coup d’œil au chat noir, qui restait tranquillement assis.

« Une fois arrivés à la plage, nous nous regrouperons avec toi », dis-je au chat noir pour communiquer avec Wridra. « C’est tellement pratique de pouvoir se téléporter où l’on veut à condition d’avoir les coordonnées. Moi, je ne peux voyager qu’entre des endroits précis, comme les gares, donc ce n’est pas très souple. »

« Oh, Wridra, ça te dérangerait d’amener Eve avec toi quand tu nous rejoindras ? Elle a dit qu’elle allait dire à l’équipe Diamant qu’elle sortait, puis qu’elle retournerait à l’endroit où elle se trouvait plus tôt. »

Le chat avait miaulé comme pour dire qu’il n’y avait pas de problème.

Comme la compétence de mouvement que j’utilisais maintenant avait une limite de poids, elle pouvait à peine nous transporter, nous et la nourriture que nous avions apportée. D’un autre côté, l’Arkdragon pouvait facilement voyager jusqu’à sa destination sans se soucier des limites de poids. Je l’enviais vraiment.

Marie s’esclaffa.

« Je me demande si Eve parviendra à convaincre Puseri de la laisser sortir sans lui parler de nous », dit-elle.

« On dit qu’elle est passée maître dans l’art de cacher des informations parce qu’elle est ninja. Sais-tu comment cela s’appelle au Japon ? »

« Héhé, oui. On appelle ça un “drapeau”, non ? »

J’avais applaudi, impressionné par ses connaissances, et Marie s’était contentée de sourire fièrement.

Depuis qu’elle avait appris le japonais, Marie lisait toutes sortes de divertissements japonais, comme les mangas. L’apprentissage d’une nouvelle langue ne permettait pas seulement de converser avec les autres, il permettait aussi d’absorber des cultures très différentes de la sienne.

« L’apprentissage du japonais m’a été très utile, car il y a tellement de choses à savoir, et cela rend chaque jour plus gratifiant. Eve est plus prévenante qu’elle n’en a l’air, et je suis sûre qu’elle veut vraiment aller au Japon. Elle semblait envieuse chaque fois que nous parlions de notre voyage à Izu. »

Je n’en avais aucune idée. Pourtant, je m’étais dit que si c’était vrai, ce serait peut-être une bonne idée de l’inviter dans mon quartier. Mais j’avais entendu dire qu’elle s’occupait de l’ancien candidat héros Zarish avec son anneau, donc nous devrions confirmer si cela poserait un problème.

Soudain, nous avions senti le sol trembler sous nos pieds, signalant que nous approchions de notre destination. Une lumière vive s’était approchée de nous, comme si nous étions sur le point de sortir d’un long tunnel. Nous avions plissé les yeux contre le soleil, puis nous nous étions retrouvés sur une île de la mer d’Ord.

Nous pouvions voir l’étendue bleu cobalt de la mer depuis la colline sur laquelle nous nous trouvions. Marie poussa un joyeux « Wôw ! » en voyant la pente douce de la plage de sable blanc. Elle s’était mise à courir vers le merveilleux spectacle qui s’offrait à elle, oubliant complètement notre promesse de retrouver les autres.

§

Evelyn, également connue sous le nom d’Eve, était une experte en gestion de l’information et un ninja, ce qui était plutôt rare. Les ninjas étaient connus pour leur capacité à déstabiliser l’ennemi et à faire basculer une bataille en leur faveur grâce à leur agilité, mais l’information était en fait leur meilleur outil.

Elle maîtrisait les recherches sur le labyrinthe, le désarmement des pièges et l’espionnage. Cependant, la particularité d’Eve en tant qu’elfe noire l’avait amenée à renoncer aux déguisements. Bien qu’elle soit plutôt du genre intellectuel, on la prenait souvent pour une brute ignorante à cause de son physique bien entraîné.

Eve grogna et serra les poings devant la salle de réception.

Elle devait parfaitement exécuter son plan pour faire son rapport à Puseri, le chef de l’équipe Diamant. La magie de transport de Wridra était trop pratique, et les choses risquaient de se compliquer si quelqu’un l’apprenait. Le groupe de Kitase n’aimant pas se faire remarquer, ils avaient accepté qu’Eve se joigne à leur voyage à condition qu’elle garde leur secret.

« Il ne me reste plus qu’à obtenir la permission de Puseri. C’est aussi simple que de dire : “Je vais passer la nuit chez un ami”. Ce sera du gâteau pour un ninja intellectuel comme moi. »

Le sourire qu’elle arborait ne pouvait être qualifié d’intellectuel, mais elle se redressa et frappa à la porte. Une voix de l’autre côté l’invita à entrer. Dès qu’elle franchit le seuil, Eve se raidit. Plusieurs personnes étaient assises autour d’une table dont la surface était couverte de documents.

Il y avait Doula, la commandante de l’alliance, et son fiancé, Zera, de la maison des Milles. Gaston, l’épéiste d’élite âgé qui avait rejoint la conquête à la recherche d’une bataille digne de ce nom pour y mourir, était également présent. Puseri, le maître d’Eve, portait une robe plus raffinée que d’habitude. Ses yeux crépusculaires rencontrèrent ceux d’Eve.

Leur discussion avait dû s’envenimer juste avant qu’Eve n’entre, car elle sentait la tension dans l’air. C’est alors que son instinct de ninja lui déclara de faire demi-tour et de partir.

« Qu’y a-t-il, Eve ? Nous sommes au milieu d’une réunion importante », dit Puseri.

« Ah… Aha ha, désolé de vous déranger. Je ne savais pas qu’il y avait autant de monde ici. Je vais sortir avec des amis, alors je voulais juste vous prévenir. Eh bien, à bientôt ! »

Elle avait dit ce qu’elle avait à dire. Elle n’avait peut-être pas précisé qu’elle partait loin, très loin, ni qu’elle y passerait la nuit, mais Puseri finirait par s’en rendre compte. Eve n’aurait qu’à lui donner un souvenir du voyage, et tout serait pardonné.

S’étant convaincue que son travail ici était terminé, Eve fit instinctivement demi-tour, puis elle sentit une main lui saisir l’épaule. Elle ne savait pas trop comment la distance s’était réduite si vite alors qu’elle était si loin de la table. Eve ne put s’empêcher de pousser un cri en sentant la main glacée sur sa peau et en entendant une masse de cheveux onduler derrière elle. C’était certainement bien plus terrifiant que le film d’horreur qu’elle avait regardé avec Kazuhiro.

« Puis-je te demander où tu vas exactement avec autant de bagages ? »

« Je vais aller m’entraîner dans les montagnes ! Parce que, tu sais, je suis un ninja ! »

Eve parvint à répondre d’une voix aiguë avant de se débarrasser de la main qui l’enserrait et de courir vers la porte. Elle ne pouvait pas expliquer pourquoi un ninja s’entraînait dans les montagnes puisqu’elle venait de débiter la première chose qui lui était venue à l’esprit. L’image d’un ninja intellectuel s’était évanouie à ce moment-là… ou l’aurait fait, si elle avait déjà existé.

« Je vois… Est-il courant de s’entraîner dans des tenues aussi jolies de nos jours ? Cela ressemble plus à quelque chose que tu porterais lors d’un voyage d’agrément… En y repensant, j’ai entendu dire que tu avais eu la permission de traverser la frontière tout à l’heure. Ha ha ha, je suis très curieuse de savoir vers quelle montagne tu te diriges, » dit Puseri.

La sueur coula sur le visage d’Eve qui se retourna lentement. Peut-être n’aurait-elle pas dû regarder. Là, elle vit un groupe d’hommes et de femmes qui la regardaient avec une profonde curiosité. Elle entendit le son de son projet de voyage à la plage s’effondrer devant elle.

« Je veux aller à la plage ! Je veux aller à la plage ! »

Malheureusement, elle avait divulgué des informations vitales sans même avoir été soumise à la torture.

Sa crise de larmes était un dernier effort de résistance qui ne semblait pas fonctionner. Il y avait une distance immense entre Arilai et la mer, et pourtant Eve s’apprêtait à s’y rendre comme si elle se rendait dans un parc local. Naturellement, les autres voulaient savoir comment elle comptait s’y rendre.

Le visage de Puseri se rapprocha, son sourire intense rappelant celui d’un loup devant sa proie. À chaque claquement de ses talons contre le sol, Eve laissait échapper un « Eep » étouffé et reculait. Ses genoux avaient cédé depuis longtemps et les badauds la plaignaient alors qu’elle tentait vainement de faire claquer la porte. Puseri avait comblé l’écart, son visage se plaçant dans l’ombre de celui d’Eve, et un cri résonna dans le manoir aux roses noires.

***

Partie 4

La plage de sable blanc s’étendait à perte de vue et le ciel au-dessus de nous était d’un bleu saisissant.

Nos yeux avaient été attirés par les belles teintes des vagues qui passent du bleu marin au blanc. Marie n’avait pas pu s’en empêcher et avait dévalé la pente sablonneuse en poussant des cris d’encouragement, une sandale dans chaque main.

Le chat noir ne tarda pas à suivre. Bien qu’il passait habituellement le plus clair de son temps à dormir, il rattrapa Marie en un rien de temps. Le soleil éblouissant dans les yeux, ils atteignirent le rivage au moment où les vagues se retiraient.

Étonnamment, il n’y avait que nous deux et un chat. Nous pouvions être aussi bruyants que nous le voulions, et personne ne nous entendait. Avec une si belle vue pour nous seuls, même un adulte comme moi avait envie de courir comme un enfant. Mais en y repensant, Marie avait mentionné qu’elle avait plus de cent ans.

J’avais suivi les traces de Marie et du chat, notre sac sur l’épaule. Avec cet endroit tout entier pour nous, nous pouvions installer notre parasol où bon nous semblait. Au Japon, il y avait du monde partout, mais les filles seraient probablement ravies malgré la foule.

« Wôw, regardez la mer ! Elle est si belle ! »

Marie montra l’horizon, ses pieds clapotant dans l’eau. Son visage était rose d’excitation et elle était beaucoup plus enfantine que d’habitude. Pour moi, son sourire était bien plus beau que la plage.

J’avais résisté à l’envie de sourire et j’avais marché vers elle.

« J’ai finalement pu t’amener ici, même si cela fait un moment que nous nous sommes fait la promesse », avais-je dit.

« Héhé, ça ne me dérange pas. Même si j’étais de mauvaise humeur, cette vue me remonterait le moral », répondit-elle.

Au moment où Marie écarta les bras, ses pieds furent happés par une vague. Elle poussa un glapissement et s’agrippa à ma manche, ses cuisses pâles étant maintenant complètement nues. Le sable sous ses pieds la chatouillait et la faisait glousser joyeusement tandis que les vagues se retiraient.

« Ah, c’est tellement agréable. Je n’arrive pas à croire qu’il existe un endroit aussi beau et aussi spacieux. Je pensais que tu étais bizarre de voyager dans ce monde comme un passe-temps, mais peut-être que je devrais revoir mon jugement », dit-elle.

« J’aime voyager pour satisfaire ma curiosité. C’était plus une affaire personnelle, mais je suis content d’avoir pu te le montrer. Bien que je sois presque sûr qu’il y avait plus de monde la dernière fois que je suis venu ici. »

Les moyens de transport n’étaient pas pratiques dans ce monde, mais cette plage était suffisamment belle pour être une attraction touristique. Il était assez perplexe de voir qu’il n’y avait pas une seule âme aux alentours.

Marie avait également regardé autour d’elle et avait cligné des yeux.

« Vraiment ? Mais c’est bien que nous ayons cet endroit pour nous seuls », avait-elle déclaré.

« Peut-être que nous sommes venus un jour sans. Bon, je crois que ça ne sert à rien d’y penser. Nous devrions juste préparer un peu d’ombre pour quand Wridra et Eve arriveront. »

J’avais regardé le chat noir en parlant, qui avait miaulé en réponse. Le chat n’était pas seulement là pour s’amuser. Il permettait à Wridra de nous localiser.

Et bien sûr, les parasols n’existaient pas dans ce monde. Si nous voulions quelque chose, nous devions le fabriquer avec le bois et les feuilles de la région. La vue était peut-être belle, mais la chaleur intense nous obligeait à nous reposer à l’ombre.

« Je suis surpris que tu prennes ces choses au sérieux. Je savais que tu étais comme ça au Japon, mais je pensais que tu passais ton temps à t’amuser, à combattre des monstres ou à te faire manger dans ce monde. »

J’avais failli lui répondre qu’elle avait tort, mais elle n’était pas loin de la vérité. Je veux dire, qui voudrait travailler même dans ses rêves ?

« Je n’ai pas besoin de travailler autant », avais-je dit.

« Oh ? Que veux-tu dire ? »

La réponse était simple. J’étais un spécialiste de la mobilité, capable de me téléporter où je voulais et de rassembler des objets en un rien de temps. Et grâce à la compétence pratique que j’avais apprise, la Surcharge, je ne serais pas gêné même si je portais un peu de poids.

« Je n’arrive pas à croire que tu utilises tes compétences pour devenir charpentier le week-end », dit Marie, exaspérée.

« Au moins, c’est utile, non ? J’aime être efficace, pour le travail comme pour les loisirs. »

Une vague s’était retirée, laissant une tache d’un noir absolu sur la plage de sable blanc. J’avais tout de suite compris qu’il s’agissait de la magie de l’Arkdragon, même sans voir le chat noir courir vers ce spectacle inquiétant ou Marie pousser un cri d’encouragement.

J’étais resté bouche bée lorsque j’ai vu qui était sorti de l’obscurité.

Pour être honnête, je m’attendais à moitié à ce qu’il se passe quelque chose. J’avais pensé qu’il y avait une chance qu’Eve ne puisse pas venir, mais je ne pensais pas que Puseri, Doula, Zera, et même Gaston se montreraient. C’était comique à ce stade.

« Aha ha ha ! À quel point es-tu mauvaise pour garder des secrets ? » avais-je lâché en riant.

« Désolé ! Kazu-kun, Marie, je suis vraiment désolée ! Je suis une terrible ninja ! » s’exclama Eve avec honte.

Wridra éclata de rire à la vue d’Eve qui nous suppliait, nous, les enfants, de lui pardonner. Bien qu’elle ait un caractère un peu difficile, elle semblait avoir accepté les membres de l’alliance comme ses amis.

C’est ainsi que nos vacances chaotiques et rêveuses avaient commencé.

§

J’avais tiré une corde — que j’avais tressée avec de l’écorce d’arbre et d’autres matériaux que j’avais récupérés dans la région — autour d’un morceau de bois et je l’avais fixée en place. J’avais une bonne dose de compétences en matière de survie, si j’ose dire. Me faire déchirer les vêtements par les monstres faisait partie de mon quotidien, il était donc nécessaire que j’apprenne à fabriquer des vêtements et des armes à partir de ce que je pouvais trouver. Le résultat final n’était pas comparable au travail d’un professionnel, bien sûr, mais j’avais réussi à faire quelque chose d’assez bien pour que nous puissions l’utiliser pendant notre séjour ici.

« Voilà, tout se met en place », dis-je en essuyant la sueur de mon front.

Je n’étais pas fan de travailler pendant mes jours de congé, mais il y avait quelque chose de satisfaisant et d’amusant à créer quelque chose de tangible et de décent sans dépenser un centime.

Cela n’avait rien à voir avec un jour de congé au Japon. Je m’étais retourné pour voir un magnifique ciel bleu, des plages de sable et un horizon à perte de vue. Peu de gens pouvaient se vanter d’avoir une telle vue au travail.

L’eau de mer claire avait gardé un instant la couleur du sable avant de se transformer en un bleu marin profond. Et la végétation qui ressemblait à des palmiers me donnait l’impression d’être à Hawaï, même si je n’y avais jamais mis les pieds. Lire un livre en se balançant dans un hamac devait être un pur bonheur. Alors que j’appréciais l’air vivifiant de l’endroit, j’avais entendu quelqu’un crier pour une raison inconnue.

« Naaagh ! La plage, la plage, la plage ! Yahoo ! » hurla joyeusement Eve.

L’elfe noire enleva les chaussures de ses pieds et partit en sprintant tout en continuant à crier à tue-tête. Je pouvais entendre un son bien audible tandis qu’elle filait au loin. Je ne savais pas quoi dire, à part « Elle a l’air excitée. »

« Elle est comme un chiot agité. J’ai entendu dire que sa patrie est près de la mer, alors peut-être qu’elle a ça dans le sang. »

Une voix s’était fait entendre à côté de moi, et j’avais regardé pour découvrir une femme qui utilisait un parasol. C’était Puseri de l’équipe Diamant, une amie de notre alliance qui nous avait permis de séjourner dans son manoir à plusieurs reprises par le passé. Je m’inclinai, notant que les habitants des pays désertiques faisaient attention au soleil.

« Hé, Puseri. Parcourir le labyrinthe ensemble était une chose, mais je n’aurais jamais imaginé que nous partirions en vacances ensemble », avais-je dit.

« Il semblerait que je me sois imposée à vous sans invitation. Je dois dire que j’ai été assez surprise de découvrir que vous pouviez vraiment vous téléporter jusqu’à un endroit comme celui-ci. J’étais très sceptique quand Eve me l’a dit. Vous avez vraiment une excellente équipe. »

Elle fit une pause, semblant résister à l’envie de nous inviter à rejoindre l’équipe Diamant. C’était un jour de congé où nous pouvions profiter de la plage, et il semblait qu’elle avait décidé que ce serait une situation grossière. Au lieu de cela, elle déplaça ses lèvres rugueuses en un sourire.

« Je suppose que vous avez tous obtenu la permission de traverser la frontière ? » avais-je demandé en changeant de sujet.

« Bien sûr, » répondit Puseri. « Aja le Grand ne semble peut-être pas… Eh bien, je suppose qu’il en a l’air. Il est devenu plus doux au fil des ans. Autrefois, il était si strict que tous ses disciples le quittaient l’un après l’autre. »

J’avais été surpris d’entendre cela. Il avait toujours regardé chaque personne comme s’il s’agissait de son petit-enfant préféré.

J’avais remarqué que Puseri regardait quelque chose. Son regard était chaleureux, et j’avais suivi son regard pour découvrir Eve qui courait au loin. Son ton avait changé lorsqu’elle reprit la parole, et je décelai ce qui ressemblait presque à de l’envie.

« Je comprends ce qu’elle ressent. Mon cœur bat la chamade à cause de l’excitation de voir la mer pour la première fois… Même si moi-même, je n’allais pas courir comme un chiot », dit-elle.

J’avais gloussé. « Tu devrais peut-être essayer de temps en temps. Personne ne se moquerait de toi si tu courais ou si tu allais te baigner. Je pense qu’Eve finira par t’entraîner dans la mer de toute façon. »

Les yeux crépusculaires de Puseri s’étaient tournés vers la mer, comme si elle y réfléchissait. Elle cachait ses lèvres souriantes derrière son éventail, et quelque chose me disait qu’elle ne serait pas si opposée à une invitation à la baignade.

« Je suppose que je vais aller profiter du paysage en attendant. Il n’y aura pas beaucoup d’occasions comme celle-ci, alors j’en profiterai tant que je le pourrai. »

Sur ce, elle m’avait salué et s’était éloignée en faisant tourner ses doigts dans ses cheveux qui ressemblaient à des lianes de roses ondulantes. Je la regardai s’éloigner dans sa robe qui dévoilait le haut de ses bras, ce qui me fit penser qu’il était étrange qu’une femme mince et polie, à l’éducation apparemment classe, puisse se vanter d’avoir la plus grande puissance de feu et les meilleures capacités défensives de l’équipe Diamant. On ne peut jamais juger un livre à sa couverture, semblait-il.

***

Partie 5

Soudain, j’avais senti quelque chose se resserrer autour de mon cou. Je m’étais rendu compte qu’il s’agissait d’un bras massif et j’avais levé les yeux pour découvrir un visage robuste qui me regardait à l’envers.

« Zera ! » dis-je.

« Hé ! Cette Wridra, c’est vraiment quelque chose, hein ? Elle nous a tous envoyés ici comme si de rien n’était ! Je n’arrive toujours pas à croire que je me trouve sur la plage en ce moment même ! »

Eh bien, c’était un être assez puissant pour nous souffler dessus d’un simple souffle.

Wridra et Marie étant parties se changer plus tôt, je me retrouvais seul ici. Une autre silhouette sortit de derrière Zera : un homme d’un certain âge, tout aussi grand que lui.

« Comment a-t-elle pu faire ça ? Je suis dans le coin depuis longtemps, et laissez-moi vous dire que c’est bizarre qu’elle ait réussi à faire de la magie comme ça et qu’elle ait eu l’air d’aller très bien après. Je ne sais pas pourquoi, mais cette femme n’a pas l’air d’une humaine ordinaire », dit Gaston.

J’avais senti mon cœur battre la chamade, mais je ne l’avais pas laissé paraître sur mon visage. Si quelqu’un découvrait qu’elle était une Arkdragon, on ne pouvait pas savoir ce qui se passerait. Je m’attendais à d’autres questions, mais aucune ne vint.

À en juger par leur curiosité, je m’attendais à ce qu’ils veuillent en savoir plus. J’avais levé les yeux vers eux et j’avais remarqué qu’ils fixaient quelque chose au loin. Ils avaient un regard sévère, comme s’ils étaient sur un champ de bataille. Qu’est-ce qu’ils pouvaient bien regarder ? J’avais suivi leur regard et j’avais découvert des visages familiers.

« Toutes mes excuses pour l’attente, Kitase. J’aime beaucoup cet endroit et son absence d’humains. Je vois que tu as passé beaucoup de temps à faire des excursions dans la solitude la plus totale », dit Wridra.

« Oh, tu te promènes tout seul dans tes rêves ? Désolée pour l’attente », poursuit Marie.

« Ne vous inquiétez pas, je m’occupais. Au fait, vous êtes toutes les deux superbes dans vos maillots de bain », avais-je répondu.

« Wôw… », avais-je entendu d’en haut.

Je m’étais alors rendu compte que la vue des deux femmes — l’une en bikini noir, l’autre en maillot de bain une pièce — devait être assez rafraîchissante pour eux. Le temps que j’avais passé avec les filles à la piscine m’avait quelque peu habitué, mais les réactions des hommes étaient compréhensibles devant tant de peau exposée et la silhouette voluptueuse de Wridra. Malgré tout, je sentais mon visage s’échauffer au fur et à mesure que je passais du temps avec elles.

« J’ai enfin trouvé mon paradis », déclara Zera.

« Quoi ? » avais-je demandé, confus.

« Nous avons traversé beaucoup d’épreuves, et j’ai même pensé à te tuer, mais j’ai fini par t’apprécier. En fait, je te considère maintenant comme une âme sœur », déclara Gaston.

« Tuer ? Hein ? De quoi parles-tu ? Ai-je fait quelque chose de mal ? »

Les deux hommes m’avaient tenu par les épaules, ce qui n’avait fait qu’accroître ma confusion, et m’avaient tiré pour former un cercle. Ils avaient ensuite crié : « Profitons de cet été ! » « Ouais ! »

C’est alors que je remarquai enfin une présence qui se tenait de manière imposante derrière eux. La femme qui les fixait d’un air amer était Doula, la chef de l’équipe de raid. Il y avait une colère silencieuse dans ces yeux, et j’avais désespérément envie de lui dire que je n’avais rien à voir avec tout ça.

Peut-être était-ce la nature des hommes de reluquer les femmes avec un regard intense, comme des animaux sauvages attendant l’occasion de frapper. Le terme « modeste » avait une tonalité plutôt agréable, alors que ces carnivores avaient l’air inconvenants en comparaison.

Eve remarqua le changement d’humeur et se mit à courir vers nous. On aurait dit qu’elle trottinait lentement, mais il ne lui fallut pas longtemps pour nous rejoindre. Elle s’arrêta en dérapant, projetant du sable dans son sillage.

« Wôw, c’est quoi ces tenues ? Ça s’appelle des maillots de bain ? Je veux essayer ! » dit-elle, les yeux pétillants de curiosité.

Wridra gloussa. Ce dragon avait un passe-temps assez particulier, la confection de vêtements, et elle était heureuse lorsque les gens complimentaient ou enviaient ses créations.

« Hah, hah, ce serait un gâchis de passer une journée à la plage dans des vêtements ordinaires. Je peux vous préparer un maillot de bain si vous le souhaitez », dit-elle.

« Oh, super ! Hé, Puseri, on devrait aussi porter un de ces trucs ! Nous pourrions alors nager avec eux. Ce sera génial ! » s’écria Eve.

Puseri, qui marchait au bord de l’eau, se retourna à l’appel d’Eve. Malgré son grognement, elle souriait et semblait ravie de l’invitation d’Eve. Lorsqu’elle arriva à notre hauteur et qu’elle vit les tenues de Wridra et Marie, ses yeux s’écarquillèrent.

« Vous êtes tous les deux magnifiques. J’espère que cela ne vous dérange pas si je profite de la vue. »

Sur ce, elle se pencha pour regarder de plus près, et Mariabelle se couvrit le corps de ses bras. Mais ce geste ne fit que piquer davantage l’intérêt de Puseri, à en juger par son regard.

« Je ne vous forcerai pas, bien sûr. Je vous propose simplement…, » Wridra commença, mais elle fut rapidement interrompue.

« Je veux en porter ! » s’écria Eve.

« J’en serais ravie ! » s’exclama Puseri.

Les deux femmes avaient été emmenées dans les vestiaires, et lorsqu’elles étaient revenues…

« Ta-daaa ! Regardez-moi ! »

Le sourire d’Eve était aussi éclatant que le soleil et elle écartait les bras avec une joie enfantine. À partir du cou, elle n’avait rien d’une enfant. Peut-être était-ce dû à son physique impressionnant, mais sa poitrine avait un rebond qui la distinguait de Wridra. Je pouvais entendre des commentaires tels que « Incroyable » et « Je suis si heureux d’être en vie » de la part des vieux hommes sales qui se trouvaient à proximité.

Il va sans dire qu’Eve est une femme d’âge mûr qui n’hésitait pas à mettre son corps en valeur. Le tissu blanc qui mettait en valeur sa peau foncée ne la couvrait évidemment pas beaucoup, et ses cheveux blonds ondulés étaient comme un ornement à part entière. Les hommes avaient essayé d’être discrets jusqu’à présent, mais ils étaient visiblement émus par ce spectacle.

Leurs commentaires tels que « Wow » et « Je n’arrive pas à y croire » s’étaient poursuivis. J’aurais voulu qu’ils arrêtent, car j’étais toujours côte à côte avec eux. Ils avaient des regards solennels, des regards de gentleman, mais il y avait une intensité étrange dans leurs regards.

Je m’étais dit que c’était une bonne chose.

« Elle a l’air si jeune, mais c’est un corps de femme », fit remarquer Zera.

« Je dois dire que c’est un corps remarquable. Je lui donne quatre-vingt-dix points », déclara Gaston.

« Attends, mon vieux. Ne compte pas avec ça avec Puseri. Les robes qu’elle porte toujours ne le laissent pas deviner, mais elle a la taille bien serrée. On dirait qu’elle va se casser en deux si on met un bras autour d’elle. »

J’aurais aimé qu’ils arrêtent de chuchoter leurs commentaires juste à côté de moi. Non seulement c’était inconfortable, mais cela m’empêchait de faire des compliments à Eve. Je me demandais aussi comment ils pouvaient être si concentrés sans remarquer que Doula leur jetait des regards furtifs pendant tout ce temps.

Alors que je criais intérieurement, j’avais remarqué que Puseri serrait les bras d’Eve. Le geste était presque celui d’une dame escortée par un homme, et elle avait même une expression timide sur son visage, ce qui n’était pas son comportement habituel. Son dos était toujours droit comme une flèche, ce qui lui ressemblait beaucoup.

« J’ai aimé les regarder, mais je ne me sens pas très à l’aise lorsque j’en porte un. La légèreté du tissu me rend anxieuse », déclara Puseri.

« Oh, mais tu es si mignonne ! Il n’y a pas lieu d’être si timide », répondit Eve.

Elle tenta de dégager son bras, mais Puseri l’étreignit à nouveau, agacée. Rouge de colère, elle lança un regard furieux à Eve, puis détourna le nez.

« J’apprécie les compliments, mais le plus important, c’est que tu m’apprennes à nager. Ensuite, je jouerai avec toi aussi longtemps que tu le voudras », dit-elle.

« Héhé, alors allons-y ! Je ne suis pas un très bon professeur, alors tu devras apprendre par toi-même. Oh, je suis si heureuse de pouvoir nager avec toi ! » s’exclama Eve avec enthousiasme.

Elle prit ensuite Puseri par la main et courut le long de la plage de sable. Puseri fut déconcertée, mais sa surprise se transforma rapidement en un rire joyeux. « Nous sommes partis ! » s’écria-t-elle en nous faisant signe comme un enfant qui vient de commencer ses vacances d’été.

Le spectacle réconfortant avait été gâché par le « À plus tard ! » des deux hommes à la mâchoire molle qui leur firent signe de la main.

Je pensais qu’ils finiraient par s’en remettre. Ces maillots de bain étaient provocants, mais j’avais supposé qu’ils ne pourraient pas être excités par eux pour toujours, alors j’avais observé leur comportement tranquillement.

Mais la situation n’avait fait qu’empirer à partir de là.

Eve sortit de l’eau avec un grand bruit, l’eau de mer scintillant sur sa peau bronzée. Le maillot de bain blanc lui collait au corps et accentuait ses contours, mais les filles étaient trop plongées dans leur plaisir pour s’en apercevoir.

Seules de fines ficelles retenaient leurs courbes voluptueuses et elles rebondissaient sans se rendre compte de la précarité de ce soutien. Elles gambadaient comme des enfants, mais la vue de leur cou était une véritable bombe visuelle.

« BONTÉ DIVINE ! »

« Gaaah ! Est-ce que vous voyez ça, les garçons ? »

J’aurais voulu qu’ils cessent de s’accrocher à moi, cela me donnait l’impression d’être l’un d’entre eux ! Malgré ma résistance, leur excitation ne faisait que croître et me donnait presque honte d’être un homme.

« Attendez un peu. Si elles continuent comme ça, quelque chose pourrait leur échapper…, » dit Zera.

« Oui, c’est très possible. En fait, j’y compte bien. J’ai l’instinct pour ces choses-là. Quand je ferai mon signal, gardez les yeux ouverts », ajouta Gaston.

Quel genre d’instinct était-ce ? Je pensais que c’était un combattant expérimenté, mais il avait l’air d’être un vrai excité en ce moment.

« Je ne suis pas vraiment intéressé par ce genre de choses », avais-je dit.

« Argh, les enfants. Tu ne comprendras jamais le genre d’opportunité que tu rates. Tu le regretteras dans quelques années quand tu seras un adulte. Je te le garantis. »

Je ne pouvais pas lui dire que j’étais déjà un homme adulte, et ils étaient trop occupés à reluquer les femmes pour m’écouter de toute façon.

***

Partie 6

« Alors, tu choisis qui, mon vieux ? Si nous choisissons la même fille, nous ferons le jeu de pierre-papier-ciseaux pour l’avoir », dit Zera.

« Oh, mon choix est assurément… »

Nous avions entendu un fwoosh et quelque chose avait traversé l’air. Un frisson nous parcourut l’échine tandis qu’une aura meurtrière dépassant tout ce que nous avions ressenti dans le labyrinthe souterrain nous entourait.

Je m’étais lentement retourné et j’avais vu Doula se tenir debout, imposante dans sa camisole à fleurs. Le contraste était saisissant avec le fléau qu’elle tenait à la main et qui semblait pouvoir aplatir un monstre d’un seul coup. Elle pencha la tête sur le côté et son cou émit un craquement terrifiant.

« Tout ce que je vois, c’est Doula », dit Zera.

« Quelle coïncidence, c’est la même chose ici ! Jouons à pierre-papier-ciseaux pour voir qui l’affrontera…, » répondit Gaston.

Doula s’était avancée avec un bruit sourd et les hommes avaient reculé d’un pas. J’aurais aimé qu’ils cessent de se servir de moi comme d’un bouclier, car elle me fixait d’un air menaçant, comme pour me dire : « Ne t’approche pas de moi ou je t’écrase la tête. »

Où me suis-je trompé ? Je pensais que nous étions là pour profiter de nos vacances. Je m’étais retrouvé dans une situation de vie ou de mort qui n’était même pas de ma faute. Et Zera n’était-il pas fiancé à Doula ? Pourquoi était-il acculé, comme s’il regardait la mort dans les yeux ?

Soudain, j’avais senti une main se refermer sur mon poignet. Je m’étais rapidement retourné et j’avais vu Marie qui se tenait là, l’air renfrogné, et qui fixait Zera et Gaston d’un air furieux.

« Allez-vous cesser d’avoir une mauvaise influence sur lui ? » dit-elle sévèrement.

Elle donnait l’impression qu’ils m’invitaient à quitter l’école ou quelque chose comme ça, mais j’avais décidé de me taire pour ne pas jeter de l’huile sur le feu. J’avais laissé les choses se dérouler d’elles-mêmes et j’étais resté discrètement derrière Marie en poussant un soupir de soulagement.

« Allez, ce n’est pas comme ça. C’est juste des garçons qui sont des garçons…, » déclara Zera dans une tentative désespérée de trouver une excuse.

« Ne me dis pas ça. Ton comportement est dégoûtant et inacceptable. »

Marie lui tira la langue, puis me prit par la main et s’éloigna. Elle leur jeta un dernier regard par-dessus son épaule et murmura : « Allons-y. » Pour être honnête, j’étais soulagé du fond du cœur. Je ne la remercierai jamais assez de m’avoir sauvé d’une mort certaine.

Plus j’y pense, c’est peut-être la première fois que je vois un regard aussi sévère sur son visage. Je pouvais voir la colère dans sa posture lorsqu’elle marchait, surtout lorsqu’elle se tournait vers moi, les joues gonflées par l’irritation.

« Il ne faut pas suivre des gens comme ça. Si tu n’aimes pas quelque chose, tu dois le leur dire », avait-elle déclaré.

« Je l’ai fait, mais ils n’ont pas écouté », avais-je dit. « Je suppose que je ne suis pas doué pour ce genre de choses. »

« Voilà ce qui ne va pas avec les employés de bureau japonais. Il n’y a rien de bon à fréquenter des gens comme eux, et cela m’a beaucoup contrariée. Quelle impolitesse, alors que nous lui avons sauvé la vie ! »

Marie m’avait serré le bras, visiblement encore bouleversée. J’avais senti quelque chose de doux et de mou m’effleurer et j’avais senti mon visage s’échauffer. Elle était trop préoccupée par ses plaintes pour remarquer qu’il y avait beaucoup moins de tissu sur elle que d’habitude.

À ce moment-là, j’avais entendu un cri à glacer le sang derrière nous. Pourtant, nous avions continué à marcher comme si de rien n’était.

+++

Le temps de nos vacances d’été tant attendues, connues sous le nom d’Obon, était maintenant arrivé. Et en plus, nous les passions sur une belle plage, dans un monde imaginaire. Il n’y avait pas mieux, puisqu’une autre vue de la mer nous attendait à notre réveil de l’autre côté.

Il n’y avait pas de foule ni de sauveteurs ennuyeux en vue. Je comprenais qu’on avait besoin d’eux en cas de danger, mais il était parfois difficile de se détendre lorsqu’ils nous surveillaient en permanence. De plus, les personnes présentes aujourd’hui étaient des membres de haut niveau des équipes de raid et n’avaient pas besoin d’être sauvées.

Quoi qu’il en soit, j’avais continué à travailler sur l’aire de repos en transportant des troncs d’arbre pour en faire des tables. Celles-ci étaient bien trop lourdes pour que je puisse activer mes compétences, j’avais donc dû le faire à l’ancienne.

Une femme marchait à mes côtés, m’observant de ses yeux bleus. Wridra était avec nous, ce qui signifiait que la construction du deuxième étage était en suspens. Shirley avait donc décidé de participer aux vacances, mais elle portait un vêtement rose à capuche au lieu d’un maillot de bain comme les autres filles. Elle portait un short en guise de bas, ce qui dévoilait ses cuisses pâles, contrairement à ses tenues habituelles avec de longs ourlets.

Shirley me suivait avec curiosité pendant que je travaillais sur l’aire de repos. J’avais alors réalisé qu’elle m’avait hanté pendant toute la durée de notre voyage à Izu, et que nous étions restés ensemble tout le temps depuis.

« Ne veux-tu pas aller te baigner, Shirley ? Tu pourrais rejoindre les autres. »

J’avais fait cette suggestion parce que je pensais qu’il était ennuyeux de me regarder travailler, mais elle avait secoué la tête. Elle s’était alors approchée suffisamment pour que nos épaules se touchent, ce qui signifiait qu’elle préférait être ici.

« Oh, alors ce n’est pas grave. Je suis sûr qu’elles t’accueilleront, alors n’hésite pas à aller jouer si tu en as envie. Je suis du genre à travailler sur quelque chose jusqu’à ce que je sois satisfait, alors ça va probablement prendre un certain temps. »

Elle regarda fixement, cligna des yeux, puis pencha la tête. C’était peut-être inhabituel de travailler dur sur une aire de repos alors que nous étions ici pour jouer, mais je trouvais que la construction pouvait être amusante en soi. Une partie de moi avait envie de surprendre tout le monde en construisant quelque chose d’impressionnant.

La construction elle-même était assez simple. J’avais érigé un pilier pour le soutenir, j’avais ajouté une armature, j’avais recouvert le tout de feuilles de palmiers et j’avais attaché le tout avec des cordes rudimentaires.

« Pas mal pour un amateur, si je puis dire. Je trouve que c’est bien adapté à une plage », me suis-je dit, satisfait.

J’avais alors regardé autour de moi et j’avais trouvé étrange qu’il n’y ait personne. L’absence de moyens de transport modernes signifie qu’il y avait évidemment moins de touristes qu’au Japon, mais je n’avais jamais vu cet endroit complètement désert lorsque j’y étais venu auparavant.

Une autre chose avait attiré mon attention : les deux hommes enterrés sur la plage, la tête dépassant à peine du sable. Ils me regardaient fixement, mais ce n’était pas comme si je les avais trahis. Gaston avait l’air de vouloir m’assassiner, et je m’étais demandé ce qu’il était advenu de nos « âmes sœurs ».

J’avais entendu quelqu’un couiner et j’avais regardé pour voir les femmes s’amuser. Elles s’amusaient à se disputer le flotteur en forme de dauphin que Lady Arkdragon avait rapporté de la piscine japonaise.

Leurs rires étaient agréables à entendre et me rendaient heureux d’être venu, même si tout ce que j’avais fait jusqu’à présent était de travailler à la construction de l’aire de repos. Eve, qui avait grandi près de la mer, était la plus bruyante du groupe, au point que je l’entendais d’ici.

« Elles sont pleines d’énergie, n’est-ce pas ? Je suppose que ce n’est pas une surprise, étant donné que nous avons parcouru le labyrinthe ensemble. Tu ne trouveras pas de gens comme ça dans le Japon moderne. »

 

 

Shirley me regarda avec une expression étrange. Elle devait trouver étrange que moi, celui qui aimait le plus se battre, soit assis sur une chaise et se détende. J’aimais bien me battre avec mon épée, mais il n’y avait rien de mieux que de se détendre quand j’étais en vacances. Quand je lui avais expliqué cela, elle avait hoché la tête, même si je n’étais pas sûr qu’elle ait bien compris. Elle suivit mon exemple et s’assit sur le siège à côté du mien.

« Honnêtement, cela m’a plus intéressé que la mer. »

Sur ce, j’avais sorti de mon sac un objet enveloppé dans un tissu. J’avais retiré le tissu avec précaution, révélant une gemme du même bleu cobalt que la mer. Bien qu’elle soit assez grande et de grande qualité, il y avait malheureusement une fissure en son centre.

« C’est… Eh bien, il vaut peut-être mieux que tu le vois par toi-même. Elle s’appelle Roon, et c’est une pierre magique très importante. »

J’avais lancé la pierre en l’air en décrivant un arc de cercle, et il semblait qu’elle allait atterrir sur le sable. Mais de la lumière s’en était échappée en plein vol et une rafale s’était levée tout autour de nous. Nous avions cligné des yeux, puis nous avions vu devant nous quelque chose qui ressemblait à un avion.

Son corps avait la couleur du sable sec, et les plumes au bout de ses ailes flottaient sur place. C’était la pierre magique Roon que nous avions obtenue dans l’ancien labyrinthe. Elle avait déjà flotté dans les airs avec un équilibre parfait, mais à présent, elle vacillait de façon précaire.

Alors que Shirley s’agenouillait et me regardait, je dus détourner les yeux de ses cuisses nues. Cette brève vision m’avait rappelé qu’elle avait pour une raison ou une autre un jour posé ma tête sur ces cuisses pour s’en servir d’oreiller. J’étais peut-être obligé de détourner les yeux parce que je savais la sensation que ses cuisses procuraient à ma tête.

Ses yeux bleus rencontrèrent les miens et je lui fis un petit signe de tête.

« Oui, cette blessure est due à notre combat contre Kartina. Mewi le Neko l’a soignée du mieux qu’il a pu, mais il faudra sans doute un certain temps pour qu’elle se rétablisse complètement », dis-je.

Pour l’anecdote, j’avais aussi invité Mewi à notre voyage. Malheureusement, il avait dit qu’il détestait l’eau et avait refusé, même si j’avais essayé de le convaincre.

J’avais pris des nouvelles de Roon de temps en temps, même si cela prendra du temps avant qu’il ne puisse voler à nouveau. Le bout de ses ailes était recouvert de plusieurs couches de plumes translucides, dont certaines présentaient de petites fractures ou étaient complètement ébréchées.

Shirley sembla avoir fini d’observer, car elle se leva soudainement. Elle s’approcha ensuite de Roon et posa sa main sur son corps. Mes yeux s’étaient écarquillés lorsqu’une brume blanche était apparue de sa main et que les fissures avaient commencé à se cicatriser sous mes yeux. Le temps que j’élève la voix de surprise, Roon était complètement guéri.

« Tu peux même guérir les pierres magiques ? Je savais qu’on pouvait contrôler le cycle de la vie et de la mort, mais je ne pensais pas que ça s’appliquait aussi à Roon. C’est bien plus puissant que tout ce que peut faire un guérisseur. »

Elle avait également soigné mes blessures par le passé. Wridra avait expliqué quelque chose à propos de la circulation de la vie et des âmes, mais je n’avais pas compris grand-chose, car je n’avais pas de connaissances en matière de magie ou de miracles. Une chose était sûre : la guérison de Shirley ne s’appliquait pas qu’aux personnes.

Shirley avait souri, ravie de ma réaction de surprise. La vue sur la mer avait dû la mettre de bonne humeur, et même Roon avait fait entendre son son roon caractéristique.

« On pourrait peut-être aussi jouer avec », m’étais-je dit.

« Jouer comment ? » demanda une voix.

« Eh bien, les sports nautiques, comme… Wôw, Eve ! Depuis combien de temps es-tu là ? »

Je m’étais retourné, surpris, et Eve se tenait là, trempée. À en juger par l’eau qui dégoulinait de ses cheveux blonds, elle devait sortir de la mer. J’avais regardé au-delà d’elle, et tous les autres étaient au loin. C’était assez impressionnant qu’elle ait remarqué Roon d’aussi loin. Ses sens aiguisés ne cessaient de m’étonner.

« Alors, qu’est-ce que les sports nautiques ? » demanda-t-elle en inclinant son visage vers moi et en affichant un sourire.

***

Partie 7

Deux sièges en cuir avaient été fixés à Roon à l’aide de simples sangles.

J’avais fait un vol d’essai plus tôt sans aucun problème, alors nous avions décidé que Marie et moi allions faire des vols d’essai pour tout le monde. Tous les autres étaient occupés à jouer à pierre-papier-ciseaux pendant que Marie et moi étudiions une carte et discutions de la trajectoire de vol offrant la meilleure vue.

« Heh heh, je suis le premier ! »

Sortie victorieuse, Eve sautilla, la main toujours en forme de ciseaux.

Elle était vraiment forte dans ce genre de situation. Eve se précipita vers nous, toujours avec un sourire jusqu’aux oreilles. Elle salua les autres qu’elle avait laissés derrière elle et les provoqua d’un « Dommage, c’est triste ! »

Eve sauta alors dans les airs et atterrit gracieusement sur Roon, montrant ainsi ses capacités acrobatiques de ninja. Dommage qu’elle ne soit pas aussi experte dans le maniement de l’information.

Il m’était difficile d’ignorer le manque de couverture de son maillot de bain lorsqu’elle se tenait devant moi, son dos directement sous mon nez. Je ne pouvais m’empêcher de m’inquiéter de la voir porter quelque chose qui n’était soutenu que par ces minces petites bretelles.

« Tu devrais t’asseoir. Je ne pense pas que ça va beaucoup trembler, mais c’est plus sûr que de rester debout », avais-je dit.

« Oh, ne t’inquiète pas. Je préfère monter debout, et je m’en sortirai même si je tombe ! » dit Eve, confiante, en faisant le signe de la paix avec ses doigts.

Il n’y avait pas de lois sur les ceintures de sécurité dans ce monde, alors je lui avais fait promettre de s’asseoir si les choses devenaient difficiles. Nous avions salué les autres tandis que Roon s’élevait lentement dans les airs.

Peut-être qu’il avait acquis une force de levage grâce aux minuscules vibrations de ses plumes translucides. Au fur et à mesure que nous prenions de l’altitude, j’avais ressenti une étrange sensation au creux de l’estomac, alors qu’Eve ne s’était pas du tout souciée de la hauteur. Elle s’était promenée un peu sur les ailes, puis s’était accroupie et avait regardé la plage.

« Cette chose est si silencieuse. Qu’est-ce qu’il mange ? » demanda-t-elle.

« Tu veux dire Roon ? Hm, je ne suis pas sûr. Mewi a dit qu’il faisait circuler quelque chose, mais je ne sais pas trop quoi ni comment », avais-je répondu.

« Oh, d’accord », dit-elle en hochant la tête, semblant déjà se désintéresser de la question. Elle aurait probablement réagi de la même manière même si j’avais connu la réponse.

Roon, roon…

Nous avions de nouveau entendu ce bruit alors que nous continuions à nous élever dans les airs. Nous avions tous deux sursauté à la vue de la mer éclatante qui s’étendait au loin sur l’île du milieu de l’été. Le domaine des récifs coralliens était d’un bleu marin éclatant, et l’océan bleu profond s’étendait loin au-delà.

Le bruit des ailes coupant le vent suivit, et même le soleil brûlant semblait insignifiant à présent.

« Alors, à quelle vitesse veux-tu aller ? » avais-je demandé.

« Aussi vite que tu le veux ! Mais seulement jusqu’à ce que je me mette à crier, d’accord ? » répondit Eve en affichant son charmant sourire.

Cela m’avait semblé être un défi. Je n’étais pas sûr de pouvoir la faire crier, mais j’avais fait en sorte que Roon prenne progressivement de la vitesse. Eve sentit le vent tropical de tout son corps et poussa un cri de joie.

« Ah ! Wôwaa ! C’est génial ! »

Nous avions volé en ligne droite, puis en arc de cercle, et Eve avait pris naturellement une position de surfeuse. Elle s’équilibrait avec ses bras et ses jambes, en s’appuyant sur ses muscles abdominaux bien entraînés.

Il semblerait qu’elle pouvait vraiment y faire face. J’avais reculé lorsqu’elle avait pointé son postérieur plutôt dodu juste devant mon visage et l’avait bougé d’un côté à l’autre. Comme elle n’avait pas l’air de risquer de tomber, j’avais rapidement baissé notre altitude et nous avais fait voler en décrivant des arcs de cercle. Non seulement elle n’avait pas eu peur de ce mouvement soudain, mais elle avait poussé un cri d’excitation en réussissant sans problème les difficiles ajustements d’équilibre.

« Ya-haa ! J’adore ça ! », s’écria-t-elle.

« Hé, ne t’emballe pas trop maintenant. Et Eve, peux-tu rentrer un peu tes fesses ? Je l’ai en pleine figure. »

« Recommence ! C’était génial ! Et l’eau était si proche ! »

Elle ne m’écoutait pas du tout. Elle s’était mise à taper du pied et à scander : « Encore, encore ! » Il ne semblait pas que j’allais la faire crier après tout.

« C’est moi qui ai dit que tu pouvais faire ce que tu voulais », avais-je répondu.

« D’accord, c’est plutôt ça ! Alors on y va ! »

C’était difficile de dire non quand elle souriait comme ça. Cela me donnait envie de répondre à ses attentes, mais peut-être que tous les hommes étaient comme ça. Le seul problème était que la majeure partie de ma vue était bloquée par ses fesses devant moi. Outre la gêne, je ne voyais littéralement rien devant nous. J’aurais aimé qu’elle soit un peu plus réservée à cet égard.

Pourtant, je voulais lui donner ce qu’elle désirait.

Je nous avais fait faire un piqué rapide, puis remonter juste au moment où nous allions toucher l’eau. Roon avait accéléré en montant, ce qui avait fait jaillir une colonne d’eau de la mer en dessous de nous. Eve avait été surprise et s’était écriée : « Ahh ! »

J’avais souri, mais un instant plus tard, elle avait atterri sur moi avec un bruit sourd. Ses fesses couvertes de maillot de bain étaient juste sur mon visage, et je m’étais figé.

« Ah ! Ahh ! Eve ! Tes fesses ! Ton cul est sur mon visage ! » J’avais crié.

« Oh, je me suis fait avoir. Quoi qu’il en soit, peux-tu refaire cela ? La façon dont tu as fait jaillir l’eau ! C’était génial ! »

Elle avait fait sa demande avec ses fesses toujours sur mon visage !

« D’accord, nous retournons au rivage maintenant », avais-je dit après une brève pause.

« Quoi ? Non, non, non ! Je vais bouger mes fesses, alors s’il te plaît ! »

Elle avait plaidé encore et encore, et nous avions fini par voler pendant une demi-heure environ jusqu’à ce qu’elle soit satisfaite. En conséquence, j’avais appris des mouvements de vol inutilement avancés, comme les montagnes russes.

Puseri était la suivante, mais son visage était pâle et elle avait carrément refusé après nous avoir vus voler comme ça.

§

Zera et Gaston marchaient sur un petit sentier, le sable crissant sous leurs pieds.

Ils avaient échappé à l’ensevelissement dans le sable jusqu’au cou… Ou plutôt, notre chef d’alliance Doula avait permis qu’ils soient déterrés. En échange de leur libération, ils avaient eu l’opportunité de se procurer de la nourriture dans un village voisin.

« Bon sang… J’ai envie d’en finir pour pouvoir à nouveau me délecter de ces maillots de bain », grommelle Zera.

« Ce que tu dis est tout à fait juste. Je sentais mon espérance de vie s’allonger rien qu’en les regardant — surtout cette Wridra. C’était quelque chose d’autre. Sa peau pâle et ses gros seins fermes…, » répondit Gaston.

Au début, ils étaient très opposés à l’idée d’être envoyés comme des garçons de courses, mais ils avaient en fait apprécié le voyage. Après tout, ils pouvaient parler de ces choses sans avoir à se méfier des femmes.

Zera imagina Wridra jouant sur le rivage dans son bikini noir, puis secoua la tête.

« Bon sang de bonsoir ! Je ne peux pas croire qu’elle ait caché ces choses sous les robes qu’elle porte habituellement ! »

« Oui, le décalage entre ces tenues et leur apparence habituelle est ce qui me tue. Au début, je me moquais de l’idée d’une alliance avec une bande de femmes et d’enfants, mais si j’avais su que je pourrais vivre cette expérience, j’aurais payé pour les rejoindre. »

Les deux hommes se regardèrent, puis éclatèrent de rire.

En tant qu’hommes au service de leur pays, ils n’avaient jamais vraiment eu de vacances. Même pendant leurs jours de repos, ils étaient tous deux en train de s’entraîner ou d’entraîner leurs hommes. Cela faisait un certain temps qu’ils n’avaient pas eu à se soucier de leurs responsabilités et qu’ils avaient pu parler d’absurdités avec quelqu’un à qui ils pouvaient s’identifier.

Ils étaient les maîtres de deux équipes différentes, sans aucune interaction préalable. La dernière fois qu’ils avaient travaillé ensemble ne remontait pas à très longtemps, mais ils étaient devenus amis pour la première fois ce jour-là. Les femmes pourraient fermer les yeux sur des conversations comme celles qu’ils avaient, mais les hommes avaient tendance à être des créatures simples.

Pourtant, ils devaient se dépêcher d’acheter de la nourriture pour ne pas manquer ce beau spectacle. Leurs pas s’accélérèrent jusqu’à ce qu’ils atteignent le rythme qu’ils avaient l’habitude d’adopter lors de leurs entraînements, mais aucun d’eux ne se plaignit. C’était étrange de constater que cela ne les dérangeait pas du tout lorsqu’une carotte leur pendait au nez.

Ils arrivèrent enfin à un village, mais restèrent un moment sidérés par ce qu’ils voyaient.

L’endroit était pratiquement désert, avec peu d’habitants. L’endroit avait dû être un village de pêcheurs dans le passé, mais les bateaux et les outils étaient complètement délabrés. Il y avait bien une sorte d’auberge pour les touristes, mais ses portes étaient fermées et il n’y avait pas d’ouvriers en vue.

« Zera, pourquoi cet endroit est-il si délabré ? Il fait beau et je n’ai pas vu un seul monstre, sans doute parce que c’est une île isolée. On pourrait penser qu’il y a plus de monde ici. »

« Il n’y a que les riches qui viennent faire du tourisme de loin. D’après Kazuhiho, cet endroit était plutôt animé avant », répondit Zera.

« C’est bien ce que je pensais », dit Gaston en se frottant le menton.

Dans un endroit aussi beau et chaud, les habitants auraient dû pouvoir profiter d’une pêche abondante et d’un nombre incalculable de touristes. Pourtant, les gens ne vivaient manifestement pas bien.

Zera pencha la tête en signe de confusion, puis décida de s’adresser à un homme qui se trouvait à proximité.

+++

Après avoir acheté de la nourriture, les deux hommes se mirent à sprinter encore plus vite qu’avant. Après leur conversation avec le villageois, leurs expressions étaient devenues sinistres, comme celles qu’ils arboraient dans l’ancien labyrinthe.

D’après le villageois, une ancienne créature connue sous le nom de bête marine était apparue à cet endroit. L’endroit que tout le monde croyait être un paradis estival était devenu une zone dangereuse. Personne ne pouvait s’en approcher, ni pêcher, et aucun touriste n’osait y mettre les pieds. Telle était la réponse à la question que Kazuhiho se posait.

Cela fait presque deux ans que l’armée nationale avait été envoyée pour protéger la région, notamment en raison des revenus qu’elle en tirerait. Il fallait abattre le monstre rapidement, puisqu’ils avaient engagé leurs forces, sous peine de nuire à l’intérêt et à l’autorité du pays. De solides combattants avaient été rassemblés pour la cause, mais le fait qu’ils aient abandonné l’île en disait long sur la façon dont la bataille s’était déroulée.

Les villageois avaient également déclaré que le monstre se cachait dans la mer et frappait lorsqu’il détectait de la vie. Ils avaient vivement conseillé aux deux hommes de s’éloigner de la plage, mais ces derniers n’avaient aucun moyen de contacter les autres.

« Quelles foutaises ! S’il te plaît, sois en sécurité, Doula ! » cria Zera.

« C’est grave, cela fait un moment qu’ils jouent dehors. Le monstre se dirige peut-être déjà vers eux ! » dit Gaston.

Même eux ne pensaient pas aux silhouettes séduisantes des femmes dans un tel moment. Ils s’élancèrent aussi vite qu’ils le purent dans un sentier bordé d’arbres tropicaux, le désespoir dans les yeux. Ils n’allaient pas tarder à atteindre la plage.

+++

Quelque chose fit du bruit au fond de la mer.

Le son se répéta, puis un grand nombre de bulles furent déversées dans la mer indigo. Si quelqu’un de l’ère moderne l’avait vu, il aurait probablement dit qu’il ressemblait à un sous-marin. Mais sa taille était d’une tout autre ampleur, et contrairement aux sous-marins, la créature avait d’innombrables yeux sur toute sa surface.

Le monstre avait senti quelque chose au loin, dans le creux d’un rocher où il vivait. Une forme de vie était en train de ravager son territoire.

Le monstre bouillait d’une rage véhémente. Il piétina un rocher voisin avec un bruit sourd et dispersa du sable partout en remontant à la surface. Son corps noir se durcit immédiatement, accumulant couche sur couche de sa protection, et il activa sa capacité : Indestructible. Cette compétence était incontestablement puissante, étant donné que l’ancienne créature avait survécu jusqu’à présent.

C’est ainsi que la bête marine s’était réveillée. Elle éradiquerait tous ceux qui oseraient pénétrer dans ses eaux, et lorsque le silence reviendrait, elle se rendrait à un profond sommeil.

Ses nombreux yeux luisants s’ouvrirent d’un seul coup.

***

Chapitre 16 : La bête antique Charybde

Partie 1

L’eau qui flottait dans l’air s’était transformée en glace avec un fort bruit de pétillement.

Cela aurait été un spectacle choquant si cela s’était produit au Japon. Mais dans le monde des rêves, entouré d’un paysage éblouissant, cela ne m’avait pas vraiment fait tomber des nues. Puisque Marie commençait à s’habituer à manipuler des esprits même au Japon, elle pourrait peut-être réussir à faire la même chose là-bas.

L’elfe en maillot de bain tenait un bâton dans une main et faisait quelques ajustements mineurs en tapotant la glace avec son autre main, même si je n’avais aucune idée de comment cela fonctionnait.

« Pourquoi me regardes-tu comme ça ? Ce n’est que de la magie de glace de base », dit-elle.

« Vraiment ? Tu utilises à la fois des esprits d’eau et de glace, ce qui ne me semble pas très facile… Oh, c’est joli. »

Même la glace de ce monde avait un aspect fantastique. Son design ressemblait à un diamant taillé en forme de dirigeable, la partie inférieure pointant vers le bas.

Le poisson bleu clair qui faisait des bruits de gouttes d’eau flottait autour d’une méduse familière. C’étaient les esprits de Marie, et j’avais pensé qu’elle leur demandait de geler l’eau de l’intérieur. Les esprits de l’eau et de la glace avaient collaboré pour nous offrir un beau cadeau.

« Je crois que je vais me charger de la suite », avais-je dit.

« Oui, s’il te plaît. Tu es doué pour le travail physique, n’est-ce pas ? » demanda Marie.

En fait, je déteste le travail physique en général, mais j’étais content de faire quelque chose comme ça.

J’avais pris le tesson de glace terminé et l’avais placé sur la machine que Wridra avait créée, puis j’avais tourné la poignée pour le transformer en glace pilée. De la glace en flocons s’empilait sur l’assiette qui se trouvait en dessous. Il ne restait plus qu’à l’arroser de sirop pour compléter le plat. Nous avions acheté plusieurs parfums, comme fraise, melon et pêche, dans l’autre monde et les avions apportés ici. Ne demandez pas pourquoi le melon était vert ni pourquoi vous ne pourriez pas distinguer les différents parfums en fermant les yeux.

Où que l’on aille, les gens étaient fascinés par la nouveauté. Puseri avait pris l’assiette dans sa main, puis avait mis une cuillerée de glace dans sa bouche sans hésiter.

« Oh là là, je ne savais pas que la glace pouvait être aussi douce ! » s’exclama-t-elle.

« Il se passe de bonnes choses quand je te suis, hein ? Au fait, c’est quoi un melon ? Je n’en ai jamais entendu parler », déclara Eve en souriant.

J’aurais préféré qu’elle ne demande pas cela devant tout le monde, car ce n’était pas comme si je pouvais leur dire que c’était un fruit du Japon. Je lui avais rendu son sourire, mais elle avait encore plus souri. Puis, sans lire l’ambiance, elle avait demandé à nouveau : « Qu’est-ce qu’un melon ? » Bien sûr, j’avais souri une fois de plus sans rien dire.

Une ombre était tombée sur moi et je m’étais retourné pour voir Doula debout. Ses cheveux roux étaient attachés derrière elle et sa camisole à fleurs lui donnait un air plus féminin que d’habitude.

J’avais toujours trouvé qu’elle avait des traits bien dessinés et je savais qu’elle avait quelques admirateurs, mais je ne pouvais pas oublier la vue de son coup de poing sur Zera et Gaston et de leur enfouissement dans le sable. J’avais du mal à croire qu’elle était le membre le plus bas de l’échelle.

« Tu fais toujours les choses les plus étranges. Je me suis demandé si je devais te crier dessus quand tu as sorti ce poêle dans le labyrinthe », dit Doula en goûtant sa glace pilée. « Oh, c’est bon et doux. Je l’aime bien. »

« Fais attention de ne pas le manger trop vite, ou tu auras une… Oui, tu finiras comme Eve là-bas », avais-je dit.

Doula pencha la tête vers Eve, qui se serrait la tête à cause de la congestion cérébrale.

Je savais que je n’aurais pas dû laisser cela me déranger, mais il était difficile de savoir où regarder avec Wridra et Eve qui mangeaient de la glace pilée l’une à côté de l’autre. Elles mangeaient toutes les deux de façon assez négligée, et leur nourriture dégoulinait jusqu’à leur décolleté. Et quand elles avaient ouvert la bouche pour manger la glace pilée colorée… Non, c’était suffisant pour moi.

Après avoir vécu dans ce monde pendant si longtemps, je savais que beaucoup de gens ici avaient un gros penchant pour les sucreries. En me souvenant de l’enthousiasme de Marie pour les biscuits lorsque nous vivions dans la forêt, j’avais pensé que les femmes avaient particulièrement cette tendance. Pourtant, les filles avaient joyeusement mangé leurs desserts à l’ombre, se laissant rafraîchir par le soleil. La magnifique étendue bleue qui s’offrait à nous rendait notre pause d’autant plus luxueuse.

J’avais senti qu’on tirait sur mon bras et j’avais remarqué que Marie regardait avec curiosité autour d’elle.

« Où sont passés Zera et Gaston ? Je ne les vois nulle part », dit-elle.

J’avais regardé autour de moi et j’avais réalisé qu’elle avait raison. Je m’étais éloigné d’eux pendant qu’ils faisaient du bruit et je ne m’étais même pas rendu compte qu’ils avaient disparu. En fait, je ne voulais pas avoir affaire à eux.

« J’ai envoyé ces idiots faire des courses, » déclara une voix d’en haut. « J’ai pensé que vous n’auriez pas assez de nourriture avec tous ceux qui nous rejoignent sans crier gare. »

C’est Doula qui a répondu, et elle avait pointé du doigt deux trous dans le sable. J’espérais qu’ils ne feraient plus de bêtises après avoir été enfin libérés. Un peu de nourriture supplémentaire serait aussi très appréciée.

« Eh bien, commençons à préparer la nourriture. Comme nous sommes nombreux et qu’il n’y a pas beaucoup de vent, je pense qu’il serait préférable d’utiliser une plaque chauffante. Nous n’aurons plus qu’à cuisiner une fois que le reste de la nourriture sera arrivé. Nous pouvons mettre une chaise à l’ombre et… » J’avais commencé à parler, mais j’avais été rapidement interrompu.

« Ralentis ! Tu parles très vite quand il s’agit de nourriture. Est-ce que Monsieur le Dormeur est toujours comme ça, Marie ? » demanda Doula.

Marie avait alors hoché la tête maladroitement, ce qui était honnêtement un peu choquant. Je pensais avoir parlé normalement, mais il semblerait qu’elles me considéraient comme une sorte de geek de la nourriture.

« Mais il n’y a rien de mal à cela. Sa cuisine est délicieuse et saine, et ce sera beaucoup de travail de cuisiner pour autant de personnes. Il peut me fixer intensément pendant que je mange, mais cela ne le rend pas bizarre ou quoi que ce soit d’autre », avait-elle ajouté.

Oof. J’avais secrètement apprécié la vue de Marie en train de manger, mais je n’avais aucune idée qu’elle le savait. En y repensant, j’aurais peut-être dû être plus prévenant.

Eve avait émis un son indistinct, puis avait tourné la poignée de la machine à glace pilée pendant quelques secondes en me regardant de ses yeux bleus. Elle portait un bikini avec une jupe, donc je n’avais pas trouvé très approprié qu’elle fasse cela avec les jambes grandes ouvertes. Si j’avais été son parent, j’aurais probablement eu une ou deux choses à lui dire.

« À ce propos, “il” aimait aussi cuisiner. Il était particulièrement doué pour utiliser la sauce afin de donner du goût à la viande, même si elle était bon marché. Je me souviens que les autres filles étaient très gênées après y avoir goûté », dit Eve.

« Oui, il était bien plus compétent que n’importe quel cuisinier ordinaire. As-tu reçu des rapports depuis, Eve ? »

Eve secoua tristement la tête en réponse à la question de Puseri. Je m’étais dit qu’ils parlaient de Zarish, l’ancien candidat héros. Il était en captivité dans un château, et il faudrait du temps avant qu’il ne puisse revenir parmi eux.

Une chose n’était pas claire pour moi : il avait commis un crime grave en aidant un pays ennemi, alors pourquoi n’avait-il pas été exécuté ? Cela peut sembler cruel, mais je suis sûr que la famille royale savait qu’il y avait un risque qu’il la trahisse à nouveau. En fait, Zarish savait probablement que c’était une issue probable lorsqu’il s’était rendu. Il devait y avoir une raison de le garder en vie, ou peut-être qu’ils ne savaient tout simplement pas comment gérer quelqu’un qui avait dépassé le niveau 100.

Wridra, qui s’était rafraîchie à l’ombre, avait entendu notre conversation et nous avait fait signe de nous approcher. Nous avions obtempéré, puis elle avait pris la parole, un récipient vide à la main.

« Hm, la situation de l’équipe Diamant est assez compliquée. Zarish est peut-être détesté par la plupart des autres membres de l’équipe, mais il semblerait qu’ils ne puissent pas fonctionner pleinement sans lui », nota-t-elle.

« Je le pense aussi », avais-je acquiescé. « Puseri s’est mise en danger en prenant la tête la dernière fois, et elle est bien plus adaptée à un rôle défensif. Ils sont généralement positionnés au centre ou à l’arrière de l’escouade. Je suis sûr qu’elle a pensé à la façon dont le combat se serait déroulé si Zarish avait été là. »

Le fait que Puseri ait essayé de nous recruter à plusieurs reprises montrait qu’elle savait qu’il y avait un problème avec leur organisation actuelle. L’équipe Améthyste était peut-être reconnue depuis quelque temps, mais il y avait des enfants dans nos rangs.

J’avais raconté tout cela à Wridra sans me plaindre lorsqu’elle m’avait pris la glace pilée des mains.

J’avais eu l’intuition que Zarish convenait parfaitement à l’équipe Diamant, en termes de combat. C’est lui qui avait fondé l’équipe, il n’était donc pas surprenant qu’il soit compatible.

Soudain, je m’étais souvenu de quelque chose qui s’était passé quand Eve avait parlé à Puseri de ce voyage.

« Quel était l’objet de la réunion que tenait Puseri ? Si c’était pour conquérir le troisième étage, ils nous auraient aussi invités. »

« Zera m’a raconté quelque chose d’intéressant », répond Marie. « D’après lui, le pays de Gedovar est enfin… »

Elle avait fermé la bouche pour une raison inconnue. Ses yeux mauves pâles avaient suivi l’horizon, puis elle avait commencé à s’éloigner de nous, son bâton toujours à la main. Ses longues oreilles pointaient comme si elle cherchait quelque chose…

« Qu’est-ce qui ne va pas, Marie ? » demandai-je.

« Peut-être que je l’imagine. J’ai cru sentir quelque chose… »

Elle regarda par-dessus son dos, tenant son bâton d’Arkdragon. L’ourlet de son maillot de bain une pièce était assez court, dévoilant ses cuisses pâles.

Marie était l’une des rares sorcières spirituelles, c’est-à-dire qu’elle pouvait contrôler à la fois la sorcellerie et la magie spirituelle, mais en échange il lui avait fallu beaucoup de temps pour développer ses compétences. Depuis qu’elle s’était équipée de ce bâton et qu’elle avait aiguisé son imagination, ses compétences étaient devenues indispensables dans l’ancien labyrinthe.

Je me demandais ce qu’elle avait vu. Elle fixait l’horizon en nous tournant le dos, et j’avais l’impression qu’elle ne se contentait pas d’imaginer des choses. Moi aussi, je m’étais tu. Puis, plusieurs points lumineux avaient clignoté à l’horizon. Je m’étais frotté les yeux, pensant d’abord qu’il s’agissait du reflet du soleil. Mais ils s’étaient multipliés de façon inattendue. En un rien de temps, il y en avait presque assez pour couvrir tout l’horizon.

Le sol trembla.

Marie avait dû prendre cela pour un tremblement de terre et s’était agrippée à moi en criant, mais ce n’était pas un tremblement de terre naturel. De fortes détonations s’étaient succédées et nous avions réalisé qu’une présence s’approchait de nous.

***

Partie 2

Mais il y avait quelque chose d’encore plus troublant. Marie m’avait serré aussi fort qu’elle le pouvait, les yeux fermés. Les hommes deviennent incapables de bouger lorsqu’ils sont placés dans ce type de situation. Je savais que le danger approchait, bien sûr, mais qu’étais-je censé faire quand elle couinait si adorablement ?

Une énorme éruption d’eau s’éleva dans les airs, et une masse noire géante émergea de l’océan. Tout le monde changea d’expression à la vue des innombrables yeux, des tentacules qui se tordaient et de l’hostilité intense. L’air joyeux de nos vacances devint sinistre en un instant, mais tout le monde ici était un membre expérimenté de l’équipe de raid du labyrinthe et ne ressentait aucune peur. Doula se tenait debout, défiant le regard de l’étrange créature.

« C’est un gros morceau. Nous pourrions envisager de battre en retraite une fois que Zera et Gaston se seront regroupés avec nous. Que tout le monde s’arme au mieux de ses capacités. »

Tout le monde bougea en même temps pour répondre aux ordres calmes de Doula.

J’étais du genre à garder mon arme sur moi en permanence, même en vacances. C’était si important pour moi, et dire « j’ai oublié » n’était pas une excuse si nous devions avoir des ennuis. L’armure était une autre question sur laquelle je ne pouvais pas faire grand-chose.

Pendant que je fouillais dans mes affaires pour trouver mon épée, Doula m’avait donné des ordres plus détaillés.

« Je suppose que tu peux toujours utiliser la pierre magique de tout à l’heure, non ? Je veux qu’Eve et toi la montiez pour partir en éclaireur et attaquer la bête. Votre priorité est de connaître la puissance, les caractéristiques et le niveau de la créature. Si elle semble dangereuse, battez en retraite immédiatement. Marie, installe le Gardien vigilant aussi vite que possible. »

J’avais été impressionné par la rapidité et la précision de ses décisions. C’est Doula qui avait le plus progressé, non seulement en termes d’aptitudes individuelles, mais aussi en devenant une meilleure commandante. Elle comprenait les caractéristiques de son équipe, ne s’écartait pas de sa stratégie défensive et ne manquait jamais l’occasion de frapper lorsqu’une opportunité se présentait — le genre de personne sur laquelle on peut compter.

Mariabelle se plaça devant elle.

« Je les suis aussi sur la pierre magique. Ce sera sans risque avec le corps astral que j’ai essayé avant, et je peux les soutenir avec mes compétences de sorcière spirituelle. Quant au Gardien vigilant… »

Quelque chose scintillait sur son doigt fin. C’était le butin qu’elle avait obtenu de Shirley, la Larme de Thanatos, qui lui permettait de sceller un type de magie ou de capacité. Une tour s’érigea immédiatement sur la plage lorsqu’elle relâcha le Gardien vigilant. Sa portée de détection était augmentée en réduisant sa zone de recherche à une forme d’éventail, ce qui valut à Doula un hochement de tête approbateur.

« Si je me souviens bien, ton corps est sans défense lorsque tu es en corps astral. Wridra, puis-je compter sur toi pour la protéger ? » demanda-t-elle.

L’Arkdragon haussa les épaules comme pour dire que ce ne serait pas un problème. Non pas qu’elle soit prétentieuse, au contraire, il y avait chez elle un air qui montrait clairement à quel point elle était puissante et fiable. Mais le visage de Doula avait une expression tirée, comme si elle essayait de se retenir.

La confiance inconditionnelle pouvait obscurcir le jugement et entraîner des regrets en cas de problème. La jeune commandante le savait déjà, et j’étais sûr qu’elle grandirait encore à l’avenir.

J’avais entendu un cheval hennir près du maître de l’équipe Diamant, Puseri. Elle monta le cheval d’ombre qu’elle avait invoqué, couvrit la moitié de son corps avec le grand bouclier qu’elle avait apporté, et brandit la lance qui semblait trop grande pour sa taille.

L’expression de Puseri était loin de son attitude habituelle, cachée sous son casque que je n’avais pas pu voir auparavant. Elle exhalait un nuage blanc, et ses cheveux crépusculaires ondulaient comme les épines des roses noires. Mais j’avais remarqué que le bas de son bikini violet dépassait de sa camisole, ce qui rendait l’observation difficile.

« Kazuhiho et Eve iront en éclaireur, Mariabelle les soutiendra. Je veux que Wridra se concentre sur la défense de notre bastion. Puseri, apporte ton soutien en fonction de l’évolution de la situation. Shirley et moi soignerons tous les blessés, alors revenez vers nous si quelque chose se passe. »

Chacun avait confirmé sa compréhension, et le combat contre la bête inconnue avait commencé. C’était un peu bizarre que tout le monde soit encore en maillot de bain.

+++

Il existe de nombreuses légendes sur la créature marine connue sous le nom de Charybde, un être redoutable et ancien qui avait survécu depuis les temps les plus reculés. D’un tempérament extrêmement violent, la catastrophe s’abattait sur quiconque posait imprudemment le pied sur son territoire. La bête était inarrêtable dès qu’elle se mettait en mouvement, et l’on ne pouvait espérer vivre qu’en se dispersant. Les membres d’équipage ne pouvaient que prier pour ne pas rencontrer Charybde au cours d’un voyage, et lorsque leurs prières n’étaient pas exaucées, ils finissaient au fond de l’océan. C’était comme une catastrophe naturelle.

Marie m’avait enseigné les connaissances qu’elle avait puisées dans les textes anciens pendant que nous volions sur la pierre magique. Elle avait une forme lumineuse et translucide, et la façon dont elle me tenait doucement par les épaules me rappelait Shirley. C’était le corps astral dont elle avait parlé plus tôt.

« Il est énorme. Il doit faire plus de cent mètres de haut », avais-je noté.

Même une baleine mesurait moins de trente mètres de long, et cette chose semblait carrément colossale dans l’eau. Je n’en croyais toujours pas mes yeux.

Nous avions maintenu notre altitude élevée sur Roon en décrivant des cercles au-dessus et en observant en toute sécurité, comme Doula nous l’avait demandé. Nous étions restés bouche bée devant la taille de la créature. Même les habitants du monde imaginaire avaient été choqués lorsqu’ils avaient jeté un coup d’œil pour mieux voir Charybde.

« Regardez la taille de cette chose ! Je n’ai jamais vu un monstre aussi gros. Il y a aussi un tas de tentacules noirs sous l’eau », dit Eve.

Pour une raison qui leur échappait, Eve et Marie répètent les mots « grand » et « énorme » comme si elles ne pouvaient pas s’en empêcher.

Eve s’était complètement habituée à chevaucher Roon depuis notre balade de tout à l’heure et se promenait à pas légers. Marie lui déclara avec nervosité de faire attention, mais Eve ne s’en préoccupait pas. Au bout d’un moment, Marie renonça à la convaincre de s’asseoir.

Après avoir vu la bête en personne, j’avais compris pourquoi les marins avaient si peur de Charybde. La masse noire qui ondulait dans l’eau bleue et se dirigeait vers le rivage était tout simplement terrifiante. Heureusement, notre position en hauteur nous avait permis de l’analyser en toute tranquillité et de ne pas la considérer comme si effrayante.

« De cette hauteur, on ne peut pas dire qu’il se déplace », note Marie. « Sa taille doit limiter sa mobilité et le rendre très lent. D’après ce que je vois, il utilise ses tentacules pour nager. »

« Même moi, je n’ai jamais vu de monstre aussi gros. D’après la biologie, il doit y avoir une raison pour qu’il devienne aussi gros, comme pour intimider les prédateurs ou manger beaucoup de proies », avais-je ajouté.

« Les monstres peuvent parfois défier les connaissances communes, alors je n’y réfléchirais pas trop », répondit Marie. « Les seules choses qui pourraient égaler sa taille seraient probablement les dragons anciens, dont on dit qu’ils sont grands pour pouvoir contenir une quantité massive de puissance spirituelle. »

J’aimerais moi-même pouvoir voir un dragon ancien. J’avais entendu dire que, même de loin, leur intensité était comparable à celle d’un typhon en approche. Cela m’avait rappelé la fois où la personne dont j’avais dit qu’elle m’enviait pour en avoir vu un en personne m’avait donné un coup de poing.

« Qu’en penses-tu en tant qu’utilisatrice qualifiée d’esprit ? » avais-je demandé à Marie.

« Voyons… Je n’ai entendu parler de dragons anciens que dans les légendes, mais je ne ressens pas une telle intensité ici. Les esprits dans son corps sont un peu différents, mais rien d’extraordinaire. J’essaie d’avoir une meilleure lecture avec le gardien que j’ai installé sur la plage, mais il le bloque d’une manière ou d’une autre. »

Je pouvais sentir son intelligence dans ses yeux mauves, alors qu’elle regardait tranquillement dans l’eau. Son désir de résoudre l’inconnu n’avait pas changé depuis que je l’avais rencontrée. Je voulais évidemment résoudre cette situation moi aussi, mais nous n’avions pas beaucoup de temps, et je devais donc adopter une approche différente. Alors que j’étais plongé dans mes pensées, Eve se retourna pour nous faire face.

« Hmm, que diriez-vous d’aller voir de plus près ? Ça a l’air sympa, non ? »

Je voulais lui faire remarquer qu’il ne s’agissait pas d’une attraction dans un parc d’attractions, mais voyant l’excitation dans ses yeux, je lui avais dit : « Bien sûr. »

« Nous ne pouvons pas rester là à nous tourner les pouces indéfiniment. Doula, nous allons nous approcher de la cible pour l’observer davantage et essayer de la toucher », avais-je indiqué par le biais du chat de liaison mentale, et Doula m’avait répondu par l’affirmative en retour.

Le « coup » que j’avais mentionné était une attaque à distance avec mon arme, l’Astroblade. De cette façon, nous pouvions attaquer à une distance sûre sans manquer une cible aussi massive. Je m’étais dit que cette attaque à distance était l’une des raisons pour lesquelles elle m’avait envoyé en éclaireur.

« Laisse-moi le pilotage. Concentre-toi sur ton attaque », dit Marie.

Marie et moi étions tous deux des utilisateurs enregistrés de Roon, et j’étais heureux qu’elle m’ait accompagné pour que nous puissions nous répartir les tâches de cette manière. Si les choses tournaient mal, je me disais que nous pourrions gagner assez de temps pour que je puisse nous téléporter en lieu sûr.

Nous avions donc volé en arc de cercle tandis que je préparais mon Astroblade. L’épée émettait un vrombissement aigu tandis qu’elle absorbait goulûment mon énergie. Sa puissance augmentait au fur et à mesure qu’elle drainait mon énergie, et au bout d’un certain temps, le son était devenu celui d’un météore grondant.

Alors que nous glissions juste au-dessus de la surface de l’eau, une pensée me vint à l’esprit. Une créature de cette taille devait être d’un niveau incroyablement élevé, mais Wridra nous avait laissés nous débrouiller seuls sans intervenir. Cela signifiait probablement qu’elle pensait que nous pouvions affronter le monstre sans elle et qu’elle avait confiance dans les capacités de notre équipe.

« Nous devrons alors nous assurer que nous répondons à ses attentes. Voyons comment cela se passe. »

J’avais saisi mon arme à deux mains et j’avais visé soigneusement. La lumière traversa la lame comme une étoile filante tandis que l’énergie s’accumulait en elle. Puis, je l’avais libérée d’un seul coup.

Boooooom !!

Le projectile vola en ligne droite, perça la surface de l’eau et éclata en une gigantesque colonne d’eau. La pression du vent qui en résulta fut suffisante pour faire dévier Roon de sa trajectoire de vol, mais Marie parla calmement par-dessus le bruit.

***

Partie 3

« Vous avez vu ça ? Le corps de Charybde s’est illuminé pendant une seconde ! Il a dû répartir l’impact d’une manière ou d’une autre car il n’a pas bougé face à une telle attaque. Doula, le monstre est indemne et n’a pas ralenti son allure. »

J’étais complètement choqué. J’avais déjà vu les dégâts qu’Astroblade pouvait causer à maintes reprises et je n’arrivais pas à croire que la créature ait continué à nager sans même perdre un instant. Soudain, la voix amusée de Wridra résonna dans ma tête.

« Hah, hah, je vais te dire une chose. Cette chose a une caractéristique connue sous le nom d’Indestructible. Tu dois trouver un moyen de la contourner, ou tu ne parviendras pas à lui laisser la moindre égratignure. »

« Qu’est-ce que c’est ? » Marie et moi avions crié en même temps. Qu’est-ce que c’est que l’Indestructible ? J’avais envie de me plaindre que c’était plutôt injuste s’il pouvait ignorer tous les dégâts.

« Ne perds pas ton temps à te plaindre, imbécile », réprimanda Wridra. « Les êtres tels que moi s’affrontaient constamment dans l’ancien temps. Le fait qu’il ait survécu en dit long sur sa puissance. »

J’avais du mal à imaginer que de multiples monstres comme Wridra se baladaient dans les environs, et je n’en avais pas envie. J’aimais peut-être le monde des rêves, mais je n’avais pas envie de visiter le monde d’alors.

Il semblerait maintenant que mon attaque précédente ait alerté la bête de notre présence. La masse noire sous-marine s’assombrit jusqu’à ce qu’elle émerge, projetant de l’eau un peu partout, et elle se dévoila enfin.

C’était quelque chose qui sortait tout droit d’un film de kaiju. Il ressemblait à une tortue avec d’innombrables tentacules qui sortaient de son corps, couvert de motifs dégoûtants qui lui donnaient un air loin d’être amical. Le bruit des innombrables yeux qui s’ouvraient et se fermaient me fit frissonner. Même un grand navire moderne n’aurait aucune chance en étant attaqué par cette chose.

« C’est donc Charybde… Il n’est pas étonnant que même les flottes armées la craignent », avais-je dit.

Mais ce n’était pas le moment de se laisser impressionner. Nous pensions être à l’abri du fait de notre hauteur, mais des tentacules étaient apparus de sous l’eau et s’étaient approchés de nous de manière menaçante, l’un après l’autre.

J’avais rapidement échangé ma position avec Marie et j’avais fait pivoté Roon sur le côté, en accélérant rapidement. J’avais cru entendre quelqu’un applaudir derrière moi, mais ce devait être mon imagination, n’est-ce pas ?

« Wôwaa, c’est trop cool ! On se croirait à Grimland ! »

Je m’étais retourné pour dire que je n’avais jamais vu un tel manège, puis j’avais vu Eve qui souriait d’une oreille à l’autre.

D’habitude, Marie aurait dit à Eve de s’asseoir, mais sa vision tournait. Elle avait mentionné qu’elle n’était pas affectée par l’environnement lorsqu’elle était dans son corps astral. Elle flottait autour d’elle et n’était pas très influencée par la gravité. Mais il semblait qu’elle criait dans mon oreille tout en s’accrochant à moi pour survivre. D’une certaine manière, elle était adorable, même sous la contrainte. Eve s’en aperçut et un autre sourire se dessina sur son visage.

« Aha ha ha, tu es une vraie peureuse, Marie. Amuse-toi bien ! »

« Comment puis-je trouver cela amusant ? Et comment es-tu si… Ahh ! En avant ! Regardez, regardez, regardez ! Les tentacules ! »

J’avais regardé dans la direction indiquée par Marie, et des tentacules géants s’approchaient de nous. Le dessous des tentacules était couvert de petites choses frétillantes qui servaient à capturer les proies, ce qui était la principale raison pour laquelle Marie était si effrayée.

Je n’allais pas nous laisser prendre si facilement. Après tout, j’étais un épéiste spécialisé dans la mobilité et j’avais réussi à traverser l’ancien labyrinthe sans que les monstres ne m’attrapent une seule fois… Ou peut-être m’avaient-ils attrapé plusieurs fois. Quoi qu’il en soit, j’avais l’habitude de m’échapper. Je me faufilai donc entre les tentacules, les laissant dans mon sillage à toute vitesse.

Les tentacules avaient claqué sur l’eau avec un bruit de tonnerre. On aurait dit que le monstre était frustré de nous avoir manqués et qu’il piquait une colère.

« Woo-hoo, l’eau est belle et fraîche ! » s’exclama Eve. « On se croirait vraiment en été, hein ? Maintenant, c’est la fête ! »

Elle était encore toute souriante et il y avait un joli arc-en-ciel derrière elle. Je n’avais pu m’empêcher de glousser devant cette vue si peu digne de notre vol mortel.

« Je suis heureux que cela te plaise, mais pourrais-tu t’asseoir ? Je ne voudrais pas que tu tombes », avais-je dit.

J’avais surveillé Marie du coin de l’œil en disant cela, mais Eve avait secoué la tête. De l’eau coulait de sa chevelure dorée et rayonnante.

« Nah. Voler, c’est trop bon…, » dit-elle.

Personne n’avait remarqué le tentacule qui s’approchait d’elle par-derrière. Il s’était approché de notre angle mort et avait attaqué.

Le tentacule couvert de mucus s’était enroulé autour de son corps athlétique à une vitesse fulgurante. Le temps que je me retourne, il s’était déjà enroulé autour de son abdomen.

« Ahh ! Eve ! Ne tombe pas, Eve ! Tiens bon ! » cria Marie.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? Non, non, non, ça va… dans mon bikini ! »

Eve s’était mise à quatre pattes pour tenter de ne pas tomber, mais elle baissait maintenant la tête en poussant des cris étouffés. Elle tremblait et j’entendais des bruits humides derrière elle. Il n’y avait pas de temps à perdre, mais je ne pouvais pas saisir mon épée pour l’aider. Marie était complètement paniquée, mais je devais piloter Roon pour qu’Eve ne tombe pas.

Je ralentissais notre vitesse et décrivais un arc de cercle pour tenter d’éloigner les tentacules, mais plusieurs d’entre eux se rapprochaient pour essayer de nous attraper. Je ne pouvais pas relâcher ma concentration, ne serait-ce qu’une seconde, et il semblait qu’il n’y avait aucun moyen de se débarrasser d’eux. Alors que je me sentais comme un poisson accroché à un hameçon, j’avais remarqué quelque chose dans le coin de ma vision et je m’étais retourné.

 

 

« Reste forte, Eve ! L’aide est… »

Je n’en croyais pas mes yeux. Eve était à quatre pattes, empêtrée dans des tentacules jusqu’au cou. Elle le supportait à peine, respirant difficilement et trempée de sueur. Incapable de l’aider dans son corps astral, Marie ne savait pas quoi faire, ses yeux me suppliaient de faire quelque chose.

« Tiens bon, Eve ! »

J’avais tendu le bras et sa main avait saisi la mienne. Elle était luisante de sueur et semblait vouloir se dérober à tout moment, mais elle s’y accrocha de toutes ses forces. Ses muscles s’étaient tendus en tirant, puis elle avait réussi à m’enlacer par-derrière. Elle était vraiment couverte de sueur. Je m’étonnais que les tentacules l’aient mise dans un tel état alors qu’elle semblait avoir une résistance à toute épreuve.

« Ah… Ah, non, non, non… »

Eve avait gémi près de mon oreille. Elle s’accrochait désespérément à moi, mais sa respiration était superficielle et chaude.

Je me demandais pourquoi les tentacules n’essayaient pas de m’attacher alors qu’ils se tordaient à côté de moi en faisant des bruits de bave. En fait, pourquoi ne l’ont-ils pas simplement détachée de moi alors qu’ils pouvaient facilement le faire par la force ?

Alors que je pensais à cela, Eve grimaça et des larmes coulèrent de ses yeux. Elle gémit à plusieurs reprises « Non », puis frémit comme si elle était épuisée.

Elle me serra aussi fort qu’elle le pouvait, m’empêchant de respirer. Mes yeux s’écarquillèrent devant la sensation de pression dans mon dos. Sa transpiration s’était intensifiée et je la sentais se convulser contre moi.

Soudain, son corps perdit toute sa force. Elle perdait connaissance. Comprenant que je devais faire quelque chose, j’avais crié : « Conduit pour moi ! » et je m’étais levé sans attendre de réponse.

Au moment où j’avais dégainé mon épée, j’avais été choqué par l’état d’Eve. Son visage était rose et sa respiration superficielle avait quelque chose d’étrange. Les tentacules avaient alors levé ses deux bras et avaient commencé à lui enlever son bikini… C’est alors qu’une idée m’était venue à l’esprit : serait-ce un de ces monstres ?

Non, ce n’est pas possible. Un monstre légendaire ancien ne peut pas faire quelque chose d’aussi ridicule. Je dois me faire des idées. Ha ha ha…

J’avais entendu des bruits sourds venant d’en bas et j’avais regardé pour découvrir un cheval galopant sur l’eau. Le maître de l’équipe Diamant, Puseri, chevauchait son cheval fantôme noir et pointait sa lance géante dans notre direction.

« Puseri, le monstre a eu Eve ! Charge à la base des tentacules ! »

Puseri acquiesça et tourna son regard acéré sur le côté. Elle accéléra ensuite en décrivant un arc de cercle, pulvérisant de l’eau derrière elle et exhalant un nuage blanc glacial. Elle disparut alors que d’épais tentacules l’enveloppaient, mais quelques secondes plus tard, son coup de lance déclencha un boom tonitruant.

« Il est affaibli ! Marie, vas-y à fond ! » criai-je.

« Hein ? Est-ce que ça va si j’accélère progressivement ? J’aurais peur et j’aurais le vertige si nous allions trop vite », avait-elle répondu.

« Oh, euh, bien sûr. Alors, accélère un peu, merci. »

J’avais saisi Eve par la taille et nous avions finalement réussi à nous échapper de la zone d’influence de Charybde. L’épuisement me gagna d’un seul coup. Le monstre était bien différent de ce à quoi je m’attendais, mais j’avais aussi l’impression de le comprendre.

La taille de la bête marine m’avait surpris, mais je ne sentais rien de typique des monstres normaux. Elle n’avait pas l’intensité d’un ennemi puissant, ni la présence imposante qui fait qu’on s’apprête à mourir pour la combattre. Il n’essayait même pas de nous tuer.

« C’est donc pour cela que Wridra n’a pas essayé de s’impliquer… »

Charybde n’avait survécu aussi longtemps que parce qu’il avait utilisé toutes ses ressources pour sa masse terrifiante et sa terrible compétence Indestructible. À en juger par son attaque de tout à l’heure, la créature n’était probablement pas très forte. Il serait presque comique si son niveau n’atteignait même pas le niveau 100, même s’il était difficile de déterminer si c’était le cas.

J’avais jeté un coup d’œil à Eve, qui m’entourait de ses bras, puis je repositionnai tranquillement son bikini pour la recouvrir.

§

« J’en ai marre ! Je ne peux pas faire ça ! Ecoutez-moi, nous devons nous éloigner de cette chose et -ack ! »

Doula avait interrompu Eve au milieu de sa phrase en lui donnant un coup de poing au visage, sans que son expression ne change le moins du monde. Marie et moi avions laissé échapper un souffle terrifié.

Je ne m’attendais pas à ce qu’Eve soit la première à être mise hors d’état de nuire. Elle avait complètement perdu la volonté de se battre après le premier contact avec le monstre et s’était affaissée comme si elle n’avait plus de force dans les jambes. Nous n’avions pas eu d’autre choix que de la renvoyer dans notre bastion pour qu’elle soit accueillie par un coup de poing au visage au lieu d’une main qui la soigne.

Du sang avait coulé du nez d’Eve sur le sable. Nous nous étions précipités pour l’aider, mais Doula nous avait arrêtés. Encore épuisée par la lutte précédente, Eve chancela avant de tomber à genoux. Doula lui jeta un regard froid.

***

Partie 4

« Je soupçonne ce monstre d’avoir causé d’importants dégâts dans les environs. Des dizaines de milliers de victimes ont pu tomber sous ses coups, vu qu’il existe depuis les temps anciens. Trouves-tu acceptable de laisser mourir les gens ici juste parce qu’ils viennent d’un autre pays ? Pourquoi veux-tu que les gens meurent ? »

« Non, je n’ai pas… », protesta Eve.

« Vas-y, fuis. Je n’ai pas besoin de toi ici si tu te plains et si tu baisses le moral des autres », cracha Doula.

Marie et moi avions laissé échapper un « Eep » involontaire. Nous ne nous attendions pas à ce que les choses prennent une tournure aussi grave. Marie et moi préférions la tranquillité, c’est pourquoi nous choisissions toujours des titres sains à la bibliothèque et dans les magasins de location de DVD. Comme on peut s’en douter, nous n’étions pas fans de situations militantes comme celles-ci.

Marie déclara en silence : « Je veux rentrer à la maison » et j’avais pensé la même chose. J’étais empli de regrets… Quelles vacances d’été cela avait été !

« Tu as prétendu vouloir retrouver l’honneur de ton espèce souillée, elfe noir. Dis-moi, ressens-tu toujours la même chose ? »

Eve tressaillit. Les mots de Doula avaient touché un point sensible et ravivé son esprit combatif. Je pouvais presque voir les flammes brûler en elle.

« Argh ! Bien sûr que si, idiote ! Quand est-ce que je me suis plainte, hein !? Je ne perdrai pas face à cette chose ! » hurla Eve.

« Alors, lève-toi et bats-toi, elfe noire ! Combats et retrouve ton honneur ! »

Cela tournait au drame sportif. Marie était complètement déconcertée et s’était cachée derrière moi pour une raison inconnue. Je m’étais alors rendu compte qu’elle se cachait pour qu’ils ne puissent pas voir son expression et je n’arrivais pas à croire ce qu’elle faisait, car faire une tête comme la sienne aurait été la fin pour nous. Elle marmonnait même « Je veux déjà retourner à Izu », ce qui était exactement ce que je ressentais. Cependant, nous ne pouvions pas nous en aller, car cela signifiait que les choses seraient encore pires demain.

À ce moment-là, j’avais levé les yeux et j’avais vu que le soleil commençait à se coucher. Nous devions faire face à cette capacité indestructible et nous n’avions toujours aucune idée de la façon de procéder. La bataille allait être longue.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? » demanda Marie.

« Si nous nous éternisons, nous ne pourrons pas profiter d’Izu demain matin. Nous n’avions même pas prévu de rester aussi longtemps avec autant de monde », avais-je expliqué.

On disait que la vue du bain intérieur au lever du soleil était absolument magnifique. Nous n’avions pas pu voir le coucher de soleil depuis l’Izu de l’Est en raison de l’emplacement, mais la vue du matin compense largement.

Je me sentais mal de dire cela à Marie et de lui donner de l’espoir, mais nous ne pouvions pas dire aux autres que nous allions rentrer à la maison à ce stade. Nous ne pouvions pas les laisser sans le vol de ma pierre magique, mon attaque à distance et, surtout, la capacité de Marie à observer l’ennemi.

Alors que je poussais un soupir intérieur, j’avais entendu un curieux « Hmm ». Malheureusement, il semblerait que nous devions annuler nos projets de la matinée dans l’autre monde…

« Il serait dommage de gâcher ces vacances d’été », dit Wridra en posant ses mains sur mes épaules.

Je n’avais même pas réalisé qu’elle était derrière nous. La simplicité du maillot de Wridra mettait sa beauté en valeur, tout comme ses cheveux noirs qui contrastaient avec sa peau blanche comme la neige. On pourrait dire qu’elle avait une silhouette de femme idéale. Son agitation était la seule chose qui gâchait l’air mystique qui l’entourait, mais je suppose que cela faisait partie de son charme.

« Mais je ne pense pas que nous puissions faire quoi que ce soit. Cela pourrait prendre un certain temps, mais Charybde est active et totalement indemne. Sans compter que Doula serait furieuse si nous partions », dis-je.

« Exactement. Zera et Gaston ne sont pas non plus revenus, alors on ne peut pas partir avec ton pouvoir de téléportation. Je suis sûre qu’ils trouveraient un endroit sûr, mais quand même », ajouta Marie.

« Oui, je sais que vous n’avez pas beaucoup d’options. Disons qu’un Arkdragon passe par là… » fit remarquer Wridra.

Immédiatement après qu’elle ait dit cela, j’avais entendu des battements d’ailes au-dessus de ma tête. En levant les yeux, j’avais failli enfouir mon visage dans ses seins et je m’étais rapidement détourné. J’avais détourné les yeux avant de voir sa vraie forme, mais j’avais vu les yeux de Marie s’illuminer. Ses maigres espoirs de retourner à Izu commençaient à ressembler à une possibilité.

« Ha ha… Et disons qu’il y a un endroit où je peux reposer mes ailes. Ah, ce monstre là-bas semble être l’endroit idéal. »

+++

Nous avions entendu le cri d’un monstre au loin. On aurait dit un appel à l’aide, ou peut-être qu’il pleurait le désastre qui venait de lui arriver. L’Arkdragon atterrit dans un bruit sourd, laissant le monstre aplati contre le fond de la mer et complètement immobile.

Wridra se retourna alors et parla à voix haute : « Doula, Eve, je ne veux pas interrompre votre discours d’encouragement, mais il est temps de faire une pause. Attendez que nous vous rejoignions, nous partons en vacances — je veux dire, nous nous reposerons pour nous battre un autre jour. »

Ils restaient bouche bée, et je ne pouvais pas leur en vouloir. Un Arkdragon géant était apparu de nulle part et avait commencé à toiletter ses ailes sur Charybde. Il s’était ensuite blotti contre elle et semblait sur le point de s’endormir.

Mais je n’allais pas me plaindre. Pas aujourd’hui. Marie avait tapoté le dos de Wridra comme pour lui dire bon travail, et voir leurs sourires secrets m’avait mis d’humeur joyeuse.

Doula et Eve étaient encore figées sur place lorsque Wridra leur souhaitait une bonne journée et se détournait. J’étais content qu’on ne nous ait pas crié dessus. Nous avions décidé de prendre Shirley en chemin et de rentrer à Izu. Nous ne voulions pas manquer le petit déjeuner, après tout.

§

L’air était frais à cette époque de l’année, malgré l’été. Au loin, le ciel s’était transformé en un dégradé d’indigo plus profond que l’océan, alors que le soleil était sur le point de se lever à l’horizon.

Même si l’obscurité empêchait de voir le sol et qu’il était un peu trop tôt, c’était en fait le moment idéal. Le seul bruit autour de nous était le chant réconfortant de la mer et du vent tandis que nous avancions un peu plus loin dans le jardin. Devant nous, nous pouvions apercevoir un faible éclairage à travers la vapeur.

J’avais plongé ma main dans l’eau chaude et j’avais su qu’elle me ferait un bien fou après un long et fatigant voyage, car la température était juste ce qu’il fallait. Peut-être était-ce dû à mes origines japonaises, mais je trouvais l’odeur du soufre réconfortante. En y réfléchissant bien, je savais que l’elfe qui venait de s’installer serait du même avis.

Pour une fois, nous ne respections pas l’étiquette du spa. Marie, vêtue du maillot de bain qu’elle avait prévu de porter à la plage, leva les deux bras et étira tout son corps.

« Ahh, c’est tellement agréable et tranquille. C’est ce que j’aime au Japon… La façon dont ils peuvent créer des lieux de confort comme si tout avait été calculé. »

« Est-ce ce que tu penses ? Je n’y ai jamais pensé. Moi, je ne peux pas m’empêcher d’imaginer des gens entassés dans des trains comme des sardines », avais-je répondu.

Même les plages débordaient de monde et j’admirais les vacances élégantes que les gens passaient dans les pays occidentaux. Mais ce n’était que l’image que j’avais en regardant les programmes de vacances, je n’y étais jamais allé moi-même, et je ne savais donc pas à quoi elles ressemblaient réellement.

« Héhé, c’est comme ça. Tu ne pensais pas que les villages elfiques étaient si ternes, n’est-ce pas ? Je parie que tu n’avais jamais imaginé que nous mangions principalement des haricots. »

Marie avait serré ma main de ses doigts un peu froids en parlant, souriant comme pour dire qu’elle avait hâte d’aller faire trempette. Ses longues oreilles, habituellement couvertes, étaient aujourd’hui à l’air libre.

Nous nous étions alors enfoncés dans l’eau sans mot dire, la regardant déborder. Marie posa sa tête sur le rebord de la surface près d’elle et poussa un soupir de satisfaction.

« Voilà ce qu’est un voyage, » dit Marie. « Puisque tu es le seul ici, peut-être que je n’aurai pas à me préoccuper autant des bonnes manières. »

Je m’étais demandé où étaient Wridra et Shirley, puis j’avais vu une jambe nue et pâle émerger de l’eau et se poser sur le bord de l’autre côté. Elle avait raison de dire qu’elle ne pouvait pas faire ça s’il y avait quelqu’un d’autre autour d’elle.

Le sourire de Marie s’était élargi en me regardant. Peut-être appréciait-elle le fait qu’elle faisait quelque chose d’impudique et que personne n’allait la réprimander pour cela. Ses longs cheveux étaient tressés derrière sa tête et de la sueur perlait sur son beau visage.

« Je ne sais pas pourquoi je m’amuse autant. Je ne pensais pas prendre un bain avec toi, et j’adore Izu. Le jardin Banana Wani était super aussi. Regardons les photos que nous avons prises plus tard et voyons si elles sont bonnes », dit-elle.

Elle faisait des gestes en même temps qu’elle parlait, produisant des bruits d’éclaboussures qui se répercutaient autour de nous. Sa joie enfantine m’avait fait sourire, et la gêne que j’avais ressentie en voyant son maillot de bain de si près s’estompa naturellement. Je voulais lui dire que le tissu devenait presque transparent lorsqu’il était mouillé et qu’il ne couvrait que très peu de sa peau.

« Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup d’elfes qui aimeraient Izu », avais-je dit.

« Je n’en suis pas sûre », répondit Marie. « Je suis sûre qu’il y aurait beaucoup de fans parmi mes amis si je les invitais. Les elfes sont de bien plus grands partisans de ça que tu ne le penses. Surtout ceux qui ont grandi dans la forêt. »

Dans ce cas, je serais ravi de les recevoir pour découvrir Izu, pensai-je. J’avais tendu la main vers la lampe qui se trouvait à proximité et je l’avais éteinte.

La nuit n’était pas tombée pour autant. Le soleil était sur le point de se lever, et l’horizon était d’une couleur bleu marine très agréable à regarder. Le vent qui soufflait dans cette direction depuis l’horizon lointain était rafraîchissant, et j’avais l’impression qu’il allait me débarrasser de tous mes soucis.

Les étoiles à peine visibles s’estompèrent au fur et à mesure que l’aube se leva, créant un dégradé de bleu foncé dans le ciel. Marie leva le cou et murmura : « Le monde est si grand. » Elle s’était ensuite installée confortablement et posa sa tête sur mon épaule.

« Wridra s’est plainte que les sources d’eau chaude étaient trop petites pour elle. Héhé, elle est étonnamment prévenante alors qu’elle est habituellement si incontrôlable », dit-elle.

« Wridra est gentille. Tous les dragons le sont. Ceux que j’ai rencontrés étaient tous gentils, en tout cas », répondis-je.

« Oh ? De quoi as-tu parlé aux dragons ? Te connaissant, je parie que tu leur as donné de la nourriture savoureuse pour être de leur côté. »

« Je parie que tu serais surprise d’apprendre que si tu dis “bonjour”, la plupart des dragons intelligents te répondront après avoir réfléchi un moment », lui avais-je dit. « Certains d’entre eux gloussent même avant de te répondre. Quand j’y pense, les méchants me transforment en cendres avant que je puisse dire un mot, alors peut-être que je n’ai rencontré de gentils dragons que par élimination. »

***

Partie 5

Marie avait rit, puis elle déclara : « C’est drôle. Je pense que tu es la seule personne qui risquerait sa vie juste pour dire bonjour. Mais c’est difficile de juger. »

« Hm ? Qu’est-ce que tu veux dire ? »

Le sourire de Marie s’agrandit et ses yeux violets se fixèrent dans les miens. Elle posa ses bras sur mes épaules et son menton sur son bras, pour continuer à me regarder. Je commençai à me sentir agité.

« Ta théorie ne fonctionne pas. Wridra nous a incinérés au premier regard, ce qui ferait d’elle un dragon maléfique. Comment cela pourrait-il être vrai alors qu’elle est si gentille ? »

« Hm ? Hmmm… C’est vrai, je suppose que c’est vrai. Elle avait l’air terriblement satisfaite de nous réduire en cendres, mais elle ne pouvait pas être méchante », avais-je convenu.

Marie s’était serré l’estomac en riant de ma déclaration ridiculement contradictoire. Il semblerait qu’elle ait vraiment trouvé cela hilarant, car elle s’était mise à me taper sur l’épaule. Une fois qu’elle se calma, elle poussa un soupir de satisfaction.

« J’adore ce voyage à Izu. Le jardin Banana Wani a été un vrai plaisir, et la vue sur l’océan est tellement plus paisible dans ce monde. Je me demande pourquoi ils sont si différents, même s’ils sont tous les deux si beaux. »

« Mais l’apparition de Charybde était complètement inattendue. Je suis désolé, j’aurais dû faire plus de recherches sur cet endroit. Cela fait des années que je ne l’ai pas visité », avais-je dit.

Toute cette situation avait été un véritable casse-tête. Je l’avais emmenée pour qu’elle s’amuse, mais les choses s’étaient transformées en une gigantesque chasse au kaiju. C’était tout le contraire des vacances que j’avais en tête.

Marie, qui se sentait étourdie, sortit de la baignoire et s’assit sur le bord. Des gouttes d’eau glissaient sur sa peau et l’illuminaient sous le soleil matinal, la rendant encore plus féminine et plus belle que d’habitude. Peut-être était-ce dû à l’étoffe qui lui collait au corps et qui accentuait sa silhouette.

« C’est tellement frustrant. S’il n’y avait pas eu cette chose, nous aurions pu nous amuser davantage. Les monstres qui ruinent le bel océan sont le vrai mal ! »

Marie fit la moue et serra son genou. On aurait dit qu’elle s’était laissée distraire par les pensées du monstre et qu’elle avait oublié ce qu’elle portait. Son maillot de bain remontait le long de son corps et sa cuisse nue faisait battre mon cœur plus vite.

J’avais l’impression de trahir sa confiance en me laissant distraire par sa tenue. Pourtant, j’aurais aimé qu’elle tienne compte de son apparence puisqu’elle était si séduisante. J’avais plongé dans l’eau et j’avais fait des bulles sous la surface, sachant que c’était un peu trop.

À ce moment-là, Marie s’était penchée vers moi.

« Et si on battait cette chose ? Nous pourrons alors recommencer à jouer sans être interrompus. De plus, grâce à Wridra, nous pourrons aller sous les tropiques quand nous le voudrons. »

Elle devait vraiment aimer cette plage. C’était une idée étonnamment combative venant d’elle, mais cela n’allait évidemment pas être facile.

« La capacité Indestructible va être difficile à gérer. Nous n’avons pas réussi à l’endommager », avais-je dit.

« Oui, et nous devrons aussi surmonter sa puissante capacité de perturbation. J’ai installé le Gardien, mais nous ne savons toujours pas à quel niveau il se trouve. Je ne pense pas qu’il soit impossible à vaincre. Tu te souviens que Wridra a dit que nous n’arriverions pas à lui laisser la moindre égratignure si nous ne trouvions pas un moyen de contourner sa capacité ? »

J’avais acquiescé à l’explication de Marie, qui s’était fait passer pour Wridra. Wridra savait tout et devait nous laisser entendre que nous pourrions endommager Charybde si nous savions comment nous y prendre, mais nous avions une tonne de problèmes devant nous. Tout d’abord, nous ne connaissions qu’une partie des capacités de notre ennemi, et la créature n’avait probablement pas considéré notre premier contact comme une bataille. En fait, elle n’avait fait que jouer avec Eve.

Marie laissa échapper un « Hm » et plongea son doigt dans l’eau. J’avais regardé pour voir ce qu’elle allait faire, puis elle commença à parler lentement.

« Il est possible qu’il y ait des moyens d’obstruer l’information puisque je n’ai pas pu analyser son intérieur. Mais j’ai eu un visuel direct sur lui et quelques informations sur tout le reste, comme sa forme. »

Elle leva la main et de l’eau gicla dans l’air. Cela aurait pu être un simple exploit pour un utilisateur d’esprit comme elle, mais j’avais été pris par surprise. Elle avait changé la forme de l’eau pour former un mini Charybde. Je m’étais alors rendu compte qu’il y avait une sorte de créature semi-transparente sur son épaule. Elle avait quatre pattes, une longue queue et faisait un bruit de croassement qui me faisait penser à un triton. C’était peut-être l’esprit des sources chaudes.

« Regarde. Il est court et solide, mais il a flotté à la surface dès que nous nous sommes approchés. Comment a-t-elle pu faire cela alors qu’elle semblait si lourde ? »

Elle avait touché la miniature avec son doigt et j’avais réagi. La vue spectaculaire m’avait plongé dans l’hébétude.

« D-D’accord. Si je devais le comparer à quelque chose de ce monde, je pense que ce serait un sous-marin. Ils peuvent contrôler leur flottabilité en aspirant ou en repoussant l’eau de mer. Ils sont loin d’être aussi gros, alors je ne sais pas si c’est une bonne comparaison. »

Je m’étais dit qu’il valait mieux lancer ce qui me venait à l’esprit plutôt que d’abandonner la réflexion. Marie était de toute façon plus douée pour l’analyse, il me suffisait donc de lui donner des informations qui pouvaient être utiles. Au travail, cela faisait durer les réunions plus longtemps que nécessaire, mais Marie était très douée pour repérer les détails importants.

« Je te montrerai une vidéo plus tard, mais ils sont fabriqués avec des structures doubles, et ils peuvent cracher de l’eau de mer avec de l’air sous pression. Te souviens-tu si le courant a changé quand le monstre est remonté à la surface ? » demandai-je.

J’avais entendu quelque chose de fort lorsque Charybde remontait à la surface. La surface de l’eau n’aurait pas été autant perturbée si elle avait utilisé la magie pour flotter. Il y avait de fortes chances que quelque chose dans sa conception physique ait un rapport avec son mouvement.

Marie porta un doigt à son menton et laissa échapper un bruit pensif.

« Peut-être que ces tentacules avaient une structure cylindrique. Et s’ils pouvaient absorber de l’air de l’extérieur pour réguler la flottabilité ? »

L’esprit semi-transparent s’était lentement enfoncé dans les sources chaudes. J’avais été impressionné par les compétences de Marie, qui avait réalisé une reconstitution visuelle en faisant absorber de l’air à la miniature par son tentacule.

« Hmm ! Mais cela signifierait qu’il ne pourrait pas remonter s’il s’enfonçait trop profondément. Je suis sûr qu’il peut marcher sur le fond de la mer, mais il y a des rumeurs selon lesquelles il serait apparu soudainement au milieu de l’océan », avais-je répondu.

La figurine s’était ensuite enfoncée dans l’eau, comme si Marie avait dit que cette idée était abandonnée. J’aurais aimé que Charybde disparaisse aussi facilement.

« Je n’ai pas eu l’impression qu’il utilisait des esprits, et je n’ai pas senti beaucoup de magie », dit Marie. « Ce qui veut dire qu’il y a de fortes chances que tu aies raison et qu’il manipule l’eau de mer comme un… sous-marin ? »

« Même si c’est vrai, je ne sais pas si cela nous aide », avais-je dit.

« Je suis surprise de t’entendre être négatif. Bien sûr que cela nous aidera. Peut-être que ce ne serait pas utile à la plupart des gens, mais je suis une sorcière spirituelle rare et précieuse. »

Marie s’esclaffa en portant une main à sa bouche. À en juger par son expression, elle avait peut-être trouvé un indice sur la façon de gagner. Elle avait l’air d’être de meilleure humeur que tout à l’heure, car elle éclaboussait l’eau avec ses orteils.

« Héhé, c’est amusant de faire de la stratégie comme ça », poursuit-elle. « J’ai toujours eu le nez plongé dans les livres, mais avant même de m’en rendre compte, j’étais en première ligne dans l’ancien labyrinthe, et maintenant je réfléchis à la façon de vaincre Charybde. Cette fois-là, nous avons aussi fini dans le jardin Banana Wani. Je me surprends toujours. » Marie parlait tranquillement, les yeux fermés, et j’avais envie de continuer à l’écouter pour toujours.

« Pour être franc, je dirais que c’est la même chose de mon côté, », avais-je dit. « J’ai toujours rêvé jusqu’à ce que je commence à vivre avec toi. Je ne peux blâmer personne de m’appeler Dormeur. »

Ce commentaire avait choqué Marie et lui avait donné l’air de vouloir me demander pourquoi je dormais tout le temps dans un pays aussi heureux que celui-ci, même si j’aurais aimé qu’elle comprenne. Il y avait du monde partout, et tous les bons endroits étaient chers. On perdait de l’argent en vivant simplement, et beaucoup de gens seraient d’accord pour dire que les voyages à l’intérieur du pays n’en valaient tout simplement pas la peine.

« Je n’aurais jamais pensé être aussi à l’aise en vivant avec quelqu’un d’autre. En y repensant, je me suis tellement amusé pendant tout le temps où j’ai vécu dans ton village. »

Marie avait de nouveau eu l’air surprise, mais avec un mélange de bonheur cette fois. Elle s’était approchée de moi et m’avait touché la tête, puis avait commencé à me caresser les cheveux. Il y avait de l’amour dans son contact qui me remplissait de bonheur.

« Je ressens la même chose, Monsieur le Dormeur. Je pensais détester les humains, mais avant même de m’en rendre compte, tu étais ma personne préférée. Je suis désolée d’avoir essayé de te tuer il y a si longtemps. Cela va sans dire, mais je ne suis pas méchante, tu sais. »

Ses paroles auraient pu sembler inquiétantes, mais nous avions commencé à rire. Peut-être était-ce l’atmosphère paisible qui régnait ici, mais la crise d’avant n’était plus qu’un souvenir amusant. Même mon point de vue sur le Japon avait changé, car il me semblait maintenant que c’était un endroit amusant et agréable à vivre. Il m’arrivait même de me réveiller tôt de mes rêves pour revenir ici ces jours-ci.

« Tu sais, j’ai été surpris que tu puisses fabriquer des miniatures avec des esprits et les utiliser pour ton analyse. C’était comme regarder une enquête dans un drame étranger. Oh, en parlant de drames étrangers… »

« Oui, je les regarde pour étudier le japonais, mais ce n’est pas comme si je les copiais. J’aimerais faire progresser mes techniques pour pouvoir faire des bruits électroniques et recréer des trajectoires de balles. Mais pas pour les copier, bien sûr. »

Attends, elle voulait aller aussi loin tout en prétendant qu’elle ne copiait pas les séries policières ? Je l’avais regardée avec surprise, mais j’avais éclaté de rire quand j’avais vu qu’elle essayait de se la jouer cool. Ma réaction l’avait fait éclater de rire et elle m’avait serré le bras. Je n’avais pas réalisé qu’elle s’était mise à regarder des séries dramatiques elle aussi, et j’avais supposé que c’était elle qui me recommanderait des séries télévisées. C’est alors que j’avais réalisé quelque chose.

***

Partie 6

« D’accord, voici une récompense pour une petite elfe qui veut résoudre le problème qui nous préoccupe. Dans ce pays, il y a une longue tradition de récompenser les enfants qui travaillent bien, alors je vais m’y conformer. »

« Oui, c’est très important », dit Marie. « Cela a l’air génial et j’ai hâte de découvrir la récompense. Alors, qu’est-ce que c’est ? Te connaissant, je suis sûre que je ne devrais pas en attendre trop. »

Malgré son commentaire, elle m’avait fixé comme si elle était impatiente de savoir ce qu’il en était. J’adorais ses manières et je devais faire un effort conscient pour ne pas sourire comme un idiot. Ses lèvres étaient vives comme une fleur épanouie, et sa peau était absolument sans défaut. Elle plissa ses yeux mystiques d’un violet pâle et m’observa silencieusement. Comment pouvais-je résister à son charme ?

J’avais tendu la main et pris le verre transparent posé sur la petite table derrière elle. Peu après, j’y avais jeté quelques glaçons et y avais versé une boisson transparente et gazeuse.

« Voilà. C’est agréable et froid. »

J’étais également sorti de l’eau et m’étais assis à côté de Marie. Lorsque je lui avais proposé la boisson, elle s’était penchée pour la sentir. Bien sûr, il n’y avait pas d’alcool, puisque nous étions dans une source d’eau chaude.

Elle accepta le verre et en prit une gorgée. Dès qu’elle le fit, ses yeux s’illuminèrent. Il n’y avait rien de tel que de boire un soda quand on a soif. La carbonatation rafraîchissante lui passa par le nez, laissant une subtile douceur sur la langue. Elle laissa échapper un soupir ravi et sourit.

« Héhé, c’est délicieux. »

Le simple fait de l’entendre dire cela m’avait fait sourire. J’avais ressenti une envie inexplicable de lui tapoter la tête.

Lorsque nous avions reposé nos verres vides, le monde s’était éclairci. Marie avait posé ses deux bras sur le bain et avait appuyé son menton sur ses bras. Elle regarda l’océan qui s’étendait au loin et soupira lentement.

« Le vent est si agréable. Je me demande si Wridra et Shirley s’amusent autant que nous. Elles ont dit qu’elles voulaient modeler le deuxième étage sur cet endroit, mais je doute qu’elles puissent le recréer. Ce n’est pas comme si on pouvait faire un océan. »

Elle avait raison, seul un dieu pouvait faire une chose pareille. Je m’apprêtais à le dire, mais les mots restèrent bloqués dans ma gorge pour une raison ou une autre. Nous parlions du légendaire Arkdragon et de Shirley, qui existaient depuis le soi-disant Âge de la Nuit et qui absorbaient l’énergie vitale dans l’ancien labyrinthe depuis peu. Il était difficile de dire ce qu’il était possible de faire lorsque ces deux forces se combinaient. Rétrospectivement, Wridra n’avait pas renoncé une seule fois à reproduire ce que nous avions vu au cours de nos voyages.

Marie m’avait regardé avec curiosité et m’avait demandé ce qui n’allait pas, mais je lui avais dit que ce n’était rien.

« Il y a encore une chose qui est indispensable dans les salles de bains », avais-je dit. « Cela pourrait probablement aussi être utilisé au deuxième étage. En fait, à nous deux, nous pouvons facilement le faire. Qu’est-ce que c’est, à ton avis ? »

Certains auraient dit le ping-pong, mais je n’étais pas du genre à avoir envie de faire de l’exercice le matin. Je préférais passer mes voyages à me détendre.

J’avais tendu la main à Marie, qui l’avait serrée en souriant. L’eau tombait en cascade sur elle et elle était superbe sous le soleil du matin.

« Tu essaies encore de me gâter, n’est-ce pas ? Mais comme je l’ai dit, je sais qu’il ne faut pas trop en attendre. J’essaierai de ne pas être trop déçue, quoi qu’il en soit. »

Son sourire était suffisamment éclatant pour illuminer notre environnement. Elle semblait inquiète, comme si elle mourait d’envie de savoir ce que je lui réservais. C’était peut-être la femme la plus mignonne du monde.

Peut-être était-ce la chaleur, mais je me sentais étourdi lorsque je raccompagnais Marie par la main à l’intérieur.

+++

Marie avait poussé un étrange gémissement. Elle était couchée sur le ventre et faisait un bruit différent chaque fois que j’exerçais une pression avec mes doigts. J’avais l’impression de jouer du piano. Elle semblait particulièrement sensible au niveau du bas du dos, car elle faisait un bruit de « Hnng » lorsque j’appuyais sur son coccyx.

« Comment cela se passe-t-il ? Se faire masser après un bain est une pratique courante, mais il est préférable de le faire le soir. Ainsi, tu dormiras bien et tu te réveilleras en pleine forme », avais-je dit.

Marie me regarda avec des yeux mi-clos, l’air déjà endormi malgré son réveil récent. Elle prit quelques respirations avant de répondre.

« Je… je crois que j’aime bien. Pas mal. Pour ton information, les massages ne sont pas courants dans mon monde. C’est différent quand je me sens détendue après un bain… Ah ! Oui, juste là, au niveau de l’épaule… »

Elle n’avait pas de nœuds fous ou quoi que ce soit d’autre, mais elle avait fondu en une flaque lorsque j’avais exercé une pression sur le haut de son dos. J’étais content qu’elle aime ça, mais son yukata se froissait à mesure qu’elle se tortillait. Ses cuisses et sa poitrine étaient encore plus distrayantes qu’elles ne l’avaient été dans les sources thermales, et j’avais une fois de plus regretté que nous n’ayons pas fait cela la nuit.

« Nous pourrions peut-être amener ce genre de tradition au deuxième étage », avais-je suggéré.

« Hm ? Oui, ce n’est pas une mauvaise idée… Mais il faudrait d’abord créer un joli bain avec une vue magnifique. Nous devrions faire quelques demandes à Wridra et Shirley plus tard. Et puis, j’aimerais bien reprendre un peu de cette boisson gazeuse sucrée. C’était délicieux », répondit Marie.

Je ne savais pas si nos souhaits se réaliseraient, mais nous ne le saurions pas si nous ne le demandions pas.

C’est alors que Wridra et Shirley étaient revenues. Elles étaient encore fumantes, et je pouvais voir à leur expression qu’elles avaient adoré leur bain.

Il semblerait que Wridra ne s’était pas beaucoup essuyé les cheveux avant de sortir. Elle se souciait peu de son apparence, au point que ses vêtements étaient largement ouverts au niveau de la poitrine, et je me demandais si je devais le lui faire remarquer ou non.

« Les bains du matin sont tout simplement les meilleurs », dit-elle, avant de nous regarder et de laisser échapper un « Ah » d’étonnement.

« Vous ne devez jamais vous lasser de la présence de l’autre. Je comprends que vous vous entendiez bien, mais vous passez tous les jours et toutes les nuits ensemble. Il se peut qu’un jour vous fusionniez et que vous deveniez Marihiho », avait-elle ajouté.

L’image d’une Marie à l’air endormi m’était venue à l’esprit, mais la vraie Marie n’était pas très différente puisqu’elle avait également l’air endormie. Elle s’était redressée, les joues gonflées, et avait expiré fortement par le nez.

« Tu devrais enseigner cette culture à Wridra », avait-elle suggéré. « C’est tellement agréable, elle est en train de rater quelque chose. Je suis sûre que ça lui sera utile au deuxième étage. »

On aurait dit qu’elle était prévenante, mais elle m’avait chuchoté à l’oreille : « Ne te retiens pas. » Je ne savais pas trop quoi dire, car je n’étais pas un masseur professionnel.

« Ha ha, je vois que vous complotez pour me faire tomber, » dit Wridra. « Très bien. Ce corps n’est qu’une partie de ma véritable forme, et il est soumis à certaines des limitations de ce monde. Je suppose que vos chances sont supérieures à zéro… »

Wridra s’allongea sur le futon, pleine d’assurance. La position dans laquelle elle se trouvait mettait encore plus en valeur ses courbes et son épaisseur que d’habitude. J’hésitais à la toucher ou non, souhaitant que le tissu de son yukata soit un peu plus épais.

« Vas-y, et désespère. Un simple enfant de l’homme n’a aucun espoir de me vaincre », avait-elle raillé.

C’était étrange de l’entendre se vanter comme une sorte de boss final alors que ses fesses étaient dirigées vers moi. Pourtant, en termes de puissance pure, elle était sans aucun doute assez forte pour en être un. Tout héros qui la défierait se ferait probablement souffler en une seconde.

Wridra m’avait jeté un regard provocateur. Cela semblait lui plaire. J’avais donc décidé de suivre les ordres de Mme l’Elfe et de relever ce défi.

« Je n’essaie pas de te battre, Wridra », avais-je dit. « Le massage après le bain est une tradition très appréciée, et beaucoup de gens l’utilisent même à des fins thérapeutiques. C’est différent de la capacité de Shirley, comme une forme de guérison qui utilise le corps humain. »

Sur ce, j’avais tendu la main. Au moment où je l’avais touchée, j’avais presque gémi. Sa peau était lisse et souple, et elle était humide au toucher à cause des sources chaudes.

J’avais pris mon air impassible et j’avais commencé à lui masser le cou. Les mouvements étaient monotones et peu excitants, mais je sentais une chaleur sous sa peau. Lorsque j’exerçais une pression sur son dos, la belle aux cheveux noirs poussa un gémissement étouffé. En la touchant, j’avais été stupéfait de voir à quel point sa taille était fine. Mes doigts avaient défait ses nœuds et étaient montés et descendus le long des pentes de son dos. Elle avait un corps sain, mais ses épaules étaient très sollicitées, pour des raisons évidentes. Les lèvres de Wridra s’écartèrent lentement lorsque je commençai à lui masser le cou et les épaules en même temps.

« Hm, c’est… plutôt agréable. Je dois dire qu’il est assez satisfaisant que tu me serves de cette façon. Mais peut-être as-tu oublié que tu me caresses toujours lorsque je suis sous ma forme de chat. »

Elle avait raison, car je m’étais souvenu que je lui avais tapoté le dos et le ventre lorsqu’elle était un chat. Je ne pouvais pas m’en empêcher, sa fourrure duveteuse était douce au toucher. Je ne ferais évidemment pas une telle chose lorsqu’elle était sous sa forme humanoïde, cependant. Alors que je réfléchissais, Wridra me fixa de ses yeux d’obsidienne. « Imbécile », dit-elle, mais le mouvement langoureux de ses lèvres m’indiqua qu’elle commençait déjà à s’assoupir.

Dommage pour elle, Marie m’avait dit de ne pas me retenir. J’avais donc posé mes mains sur sa taille galbée et j’ai appuyé sur son coccyx tout en lui massant la nuque. La bouche de Wridra restait légèrement entrouverte, mais elle semblait résister à l’envie de réagir. Pourtant, le léger tremblement que je ressentais avec mes doigts m’indiquait que je touchais les bons endroits.

Marie nous observait attentivement jusqu’à ce qu’elle remarque le changement de Wridra. C’est à ce moment-là qu’elle eut un sourire malicieux.

 

 

« Tu es devenue terriblement silencieuse et tu as l’air de t’amuser », dit-elle. « Comme c’est mignon. Tu me rappelles comment tu es sous ta forme de chat. Cela me donne envie de te caresser la tête tout de suite. Viens ici. » Marie plaça alors la tête de Wridra sur ses genoux.

Shirley dut trouver étrange la vue de l’Arkdragon se faisant caresser les cheveux par Marie tout en se faisant masser, car elle cligna ses yeux bleus ciel. Le moyen le plus rapide de comprendre ce qui se passait aurait été pour elle de hanter le corps de Wridra, mais elle se serait transformée en flaque d’eau.

Une brise légère entrait par la fenêtre, emportant avec elle le bruit de la mer. Le sourire sur les lèvres de Wridra indiquait qu’elle appréciait la façon dont Marie et moi la caressions.

« La coutume veut que l’on récompense ceux qui travaillent dur dans ce pays. Je sais que tu n’as pas fini tes rénovations, mais parfois j’ai envie de gâter notre Lady Arkdragon », dis-je.

« Tout à fait d’accord », déclara Marie. « C’est grâce à toi que nous avons pu profiter de la belle matinée d’Izu. Merci d’avoir été si prévenante tout à l’heure, Mlle Arkdragon au grand cœur. »

« Imbéciles », dit Wridra, mais elle se retourna et enfouit son visage dans les cuisses de Marie. Elle était vraiment comme un chaton gâté. Le seul problème, c’est que lorsqu’elle se déplaçait ainsi dans son yukata…

Soudain, mes yeux s’étaient écarquillés de stupeur. On aurait dit que cette femme ne portait pas de sous-vêtements. Je savais qu’elle se plaignait toujours de son inconfort, mais elle ne pouvait pas être aussi négligente… N’est-ce pas ?

Je repositionnai secrètement ses vêtements pour la couvrir, comme je l’avais fait dans le monde des rêves. Je ne pouvais pas espérer que l’Arkdragon apprenne la pudeur, mais j’espérais au moins qu’elle apprenne le bon sens.

La pièce fut bientôt remplie du bruit de Wridra respirant confortablement dans son sommeil. Marie et moi nous étions regardés dans les yeux, puis nous avions essayé de ne pas faire de bruit en riant. Il s’est avéré que le boss final était hilarant et facile à vaincre.

Il était encore bien avant l’heure à laquelle la plupart des gens se réveillent, et nous avions encore beaucoup de temps avant de devoir bouger, alors nous avions décidé de la laisser dormir pour l’instant. Marie, qui étouffait encore ses rires, m’avait aidé à mettre une couette sur Wridra.

Peu après, on entendit le bruit d’une porte coulissante que l’on ferma doucement.

***

Chapitre 17 : Bataille contre Charybde

Partie 1

J’avais regardé le ciel s’éclaircir en marchant lentement le long du rivage. Il n’y avait personne autour de moi, mais j’appréciais l’atmosphère sauvage qui régnait dans la nature. J’avais ressenti une certaine satisfaction à voyager dans un pays lointain et j’avais poussé un soupir de contentement.

« Ce mugitoro était parfait pour le petit déjeuner. C’était léger et agréable, et c’était si bon avec la sauce soja », déclara Marie en marchant à côté de moi. Elle semblait ne pas partager mon sentiment et se remémorait notre séjour à l’auberge.

J’avais alors remarqué le rebondissement dans sa démarche et j’avais réalisé qu’elle savourait le voyage après tout. Mais contrairement à moi, elle semblait avoir apprécié davantage notre séjour à Izu que cet endroit.

Il faisait encore sombre dehors, nous devions donc faire attention à ne pas trébucher, même si le sable fin de cette plage ne posait pas de problème. J’avais pris la main de Marie avant même de m’en rendre compte, afin de pouvoir la soutenir même si elle trébuchait. Contrairement à tout à l’heure, ma ligne de mire rencontrait la sienne, mais j’étais encore bien plus athlétique qu’elle.

La mer était en perpétuel mouvement et, étrangement, j’avais l’impression de sentir le souffle de la nature dans ces vagues. J’avais regardé la mer en parlant.

« C’était juste la bonne quantité de nourriture, étant donné que nous avions eu un dîner si copieux la veille. Le riz d’orge est un aliment de santé populaire, mais il est généralement réduit en farine dans ce monde. »

L’orge est une culture polyvalente qui était cultivée au Japon depuis longtemps. Elle était également très efficace, car elle pouvait être plantée comme deuxième culture pour laisser reposer les champs. C’était une culture saine, comme je viens de le mentionner, mais étrangement, la pratique de la cuisson n’était pas très répandue. Il était beaucoup plus courant de le moudre et de le faire sécher.

« La raison en est qu’il a mauvais goût », avais-je ajouté.

« Quoi ? Je pensais que c’était simple, mais quand même bon », répondit Marie.

« Oui, il peut avoir bon goût grâce à un élevage sélectif. On peut faire ressortir sa vraie saveur en le cuisant ou en le faisant cuire à la vapeur, mais cela accentue aussi son odeur désagréable. »

Il était donc beaucoup plus pratique de l’utiliser dans le pain. Au Japon, on trouvait facilement du riz, qui ne sentait pas mauvais et que l’on pouvait facilement préparer en le faisant cuire, de sorte que la plupart des gens le préféraient au pain. Chaque région avait sa méthode de cuisson préférée.

« J’ai déjà essayé dans un pays étranger, mais je l’ai regretté. Ce jour-là, j’ai appris que je ne devais pas toujours laisser ma curiosité guider mes actions ».

Marie avait dû imaginer que je faisais une grimace de dégoût, car son rire avait retenti sur la côte déserte après une brève pause. Le bruit lointain de battements d’ailes m’avait fait croire qu’un oiseau avait été surpris par ce bruit soudain. J’avais regardé autour de moi, mais je n’avais pas vu d’où il venait.

Au lieu de cela, j’avais trouvé un point lumineux. C’était le feu de quelqu’un au coin de la plage, de la fumée s’en échappant faiblement et vacillant dans le vent.

« Ce doit être Eve. J’espère que nous ne les avons pas fait attendre trop longtemps », dis-je.

« Ça devrait aller », répondit Marie. « C’est bien mieux ici que de dormir dans l’ancien labyrinthe, et l’Arkdragon veille sur eux. »

Je lui avais dit qu’elle avait raison et j’avais jeté un coup d’œil vers la côte, où j’avais aperçu une créature géante au loin. Un Arkdragon géant sommeillait, les ailes repliées, et sous lui se trouvait Charybde, dans le même état que lorsque nous nous étions séparés des autres.

Le dragon, plus sombre que le noir de la nuit, nous avait remarqués et avait lentement levé la tête. Il déploya ensuite ses ailes sans se presser, poussa un cri sourd et s’envola dans les airs. Charybde avait rempli son rôle de point d’appui, mais il ne semblait pas encore se réveiller. Elle restait complètement immobile, comme si elle faisait semblant d’être une île jusqu’à ce que son prédateur naturel ait disparu à coup sûr.

Nous considérions certainement Charybde comme un adversaire digne de ce nom, mais je voulais trouver un moyen de le vaincre avec Marie.

La femme qui se tenait au loin se tourna vers nous. Il faisait trop sombre pour en être sûr, mais à en juger par la longueur de ses cheveux, il devait s’agir d’Eve. L’obscurité ne gênait en rien sa vision, car, eh bien, c’était un ninja.

« Bonjour ! On dirait qu’il va faire beau aujourd’hui », dit Eve d’un ton enjoué.

Le monstre avait eu raison d’elle hier, mais il semblait qu’elle l’avait déjà complètement repoussé. Peut-être que la crise de peur de Doula l’avait aidée d’une manière ou d’une autre.

« Bonjour, Eve. Tu n’as pas beaucoup dormi, n’est-ce pas ? » avais-je demandé.

« Ce n’est pas grave ! Le fait d’être de surveillance ne dérange pas un ninja expert comme moi. En fait, je suis heureuse d’être utile. J’espère juste que tout le monde a pu se reposer. »

Eve écarta les bras et ne semblait pas épuisée. Elle accéléra le pas et s’approcha de nous, s’approchant finalement assez près pour que nous puissions voir son visage souriant. Puis son expression s’assombrit soudain.

« Hé, j’ai fait une grosse connerie hier. J’ai été vraiment secouée par ce que ce monstre m’a fait, tu sais ? Je suis contente que tu sois un enfant. Sinon, je serais morte d’embarras », avait-elle déclaré.

Elle avait retrouvé son sourire, mais une prise de conscience l’avait frappée. J’avais peut-être l’air d’un enfant, mais j’étais en fait un adulte qui travaillait. Le visage d’Eve était resté souriant, mais il était devenu plus rose, et ses épaules s’étaient mises à trembler. Bien que je n’aie rien dit, elle s’était accroupie et avait caché son visage avec ses mains.

« C’est vrai, tu es un adulte ! Ahh, je veux mourir ! »

Son cri désespéré m’avait fait sursauter, Marie m’avait regardée et m’avait demandé : « Qu’est-ce qu’elle veut dire ? » Mais je ne pouvais pas le lui expliquer.

Pourtant, je comprenais qu’elle soit gênée d’avoir été attaquée par ce monstre grossier, puisque nous avions tous été témoins de la scène. La situation n’avait pas semblé aussi grave lorsqu’elle avait supposé que nous étions des enfants, mais les dommages mentaux la frappaient maintenant d’un seul coup.

« N-Non, tout le monde fait des erreurs… J’ai déjà été avalé tout entier par une chose ressemblant à une grenouille. Oh, et j’ai aussi fini complètement nu après avoir déchiré mes vêtements », dis-je, essayant de la réconforter dans l’énervement.

Il valait mieux faire comme si rien d’indécent ne s’était produit. Après tout, ce genre de monstre ne pouvait pas exister. Charybde était tout simplement bizarre.

Pendant ce temps, l’Arkdragon battait des ailes dans le ciel de l’aube. Après avoir poussé un puissant rugissement, elle s’était envolée quelque part. J’avais eu l’impression que le dragon nous disait de prendre le relais.

Nous avions alors remarqué que le monstre recommençait à bouger maintenant que le danger était écarté. Ses tentacules géants se déplaçaient comme s’il faisait ses étirements matinaux. Nous avions entendu un profond grondement, puis il avait recommencé à se diriger vers la plage.

« On dirait qu’il est prêt pour le deuxième round. Cette chose est persistante », avais-je fait remarquer.

Eve chassa les larmes de ses yeux et se leva. Son visage était encore rouge de honte, mais en tant que membre de l’équipe Diamant, c’était face à l’adversité que son véritable talent brillait. Sentant la bataille qui s’annonçait dans l’air, elle se piqua le nez avec son pouce et expira.

« Allons-y. Nous verrons bien qui gagnera cette fois-ci. »

Eve fixa le monstre géant et fit un geste de la main, alors qu’elle ne portait qu’un bikini. Les autres combattants, eux aussi habitués à affronter des bêtes comme celle qui nous précédait, se réveillèrent aussitôt.

« Tout le monde, préparez-vous au combat ! Oh, la bande des somnambules est de retour », dit Doula, les yeux déjà en mode combat. Derrière elle, Zera et Gaston, deux guerriers costauds, prenaient leurs épées. Tout le monde était prêt à partir, mais Doula avait une idée derrière la tête.

« Cela signifie que nous pouvons nous retirer en utilisant le pouvoir de Wridra si nous le souhaitons. »

« Quoi ? Bon sang, non ! Il est hors de question que je fuis cette chose ! » protesta Eve.

« Oui, bien sûr, nous l’abattrons », avait répondu Doula. « Je dis seulement que je ne veux pas risquer la vie de tout le monde au nom de l’entêtement. »

Elle fixait l’horizon lointain tout en parlant. Ses yeux étaient sereins, et elle ne semblait pas aussi impatiente de se battre que les autres, probablement parce qu’il n’y avait pas encore de chemin clair vers la victoire. L’Indestructible de l’adversaire allait être extrêmement difficile à gérer, aussi l’idée de battre en retraite devait-elle être assez séduisante dans son esprit.

Marie, qui observait silencieusement jusqu’à présent, avait fait un pas en avant depuis derrière moi. Voyant que la situation n’avait pas changé par rapport à l’obstacle que nous avions rencontré hier, elle s’était éclairci la gorge et avait commencé à parler.

« J’aimerais suggérer quelque chose, si vous le voulez bien. Nous avons réfléchi à un moyen de gagner cette bataille. Nous n’avons pas l’impression de gagner grand-chose dans ce combat, mais je pense que nous en sortirons plus forts. Alors, s’il vous plaît, écoutez-moi. »

Marie avait une volonté de vaincre assez intense. À bien y penser, le chef de la guilde des sorciers de la région d’Alexei lui avait fait suffisamment confiance pour lui confier une mission. Elle avait l’air frêle, mais c’était une combattante émérite qui avait tué d’innombrables monstres, ce qui donnait beaucoup de poids à ses paroles.

Doula avait tout de suite acquiescé. Tout le monde forma un cercle sur la simple aire de repos de la plage, impatient d’entendre le plan de Marie.

+++

Les vagues s’écrasaient sur le rivage.

Le soleil brillait sur la plage blanche, mais l’abomination qui s’approchait gâchait ce qui aurait été une belle expérience touristique. Pourtant, personne n’avait réussi à la vaincre. C’était une situation lamentable pour les habitants de la région.

Peut-être que Marie ressentait la même chose. Ses sourcils étaient froncés lorsqu’elle s’était retournée, alors je lui avais souri dans l’espoir de l’aider à se détendre un peu. Après tout le temps que nous avions passé ensemble, je savais qu’elle était plus performante lorsqu’elle pouvait s’amuser un peu sans être aussi tendue. L’imagination et les idées issues de l’inspiration étaient essentielles pour une sorcière spirituelle. Mes efforts furent récompensés par le sourire de Marie, dont les cheveux blancs se balançaient dans le vent.

« Es-tu prêt, Monsieur le Dormeur ? » demanda-t-elle.

« Oui, c’est bon. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis excité à l’idée d’affronter un monstre géant. En fait, j’apprécie cette opportunité. Mais la question la plus importante est de savoir si tu es prête », avais-je répondu.

« Oh ? » dit-elle, puis elle sourit. Elle brandissait son bâton d’Arkdragon, et malgré son maillot de bain sans prétention, elle était vraiment une force avec laquelle il fallait compter. L’un après l’autre, des esprits émergèrent de la surface de la mer, tandis que Marie gloussait. Il y en avait tellement que je n’aurais pas pu les compter si j’avais essayé, et je n’avais ressenti qu’un frisson lorsque leurs nombreux globes oculaires m’avaient regardé tous en même temps.

« Oui, tu es une sacrée sorcière spirituelle », avais-je fait remarquer. « Cela me rappelle les résidents du royaume des ombres que nous avons affrontés il y a longtemps. Tu te souviens d’eux lorsque nous avons combattu Shirley ? »

« Bien sûr. C’est ce qui m’a inspirée ce sort. L’ancien labyrinthe contient trop de références utiles, mais j’ai peur de ne pas pouvoir toutes les utiliser », répondit Marie.

La fille que j’avais autrefois protégée était désormais une combattante compétente, ce qui me mettait un peu mal à l’aise. Après tout, la plupart des hommes rêvaient d’être les protecteurs de femmes délicates.

***

Partie 2

C’est alors qu’une autre femme vaillante fit son apparition. Je ne savais pas trop où elle l’avait trouvé, mais Eve portait un bandeau sur lequel était écrit le kanji de « victoire certaine », et elle se tapait les joues à deux mains. J’avais failli lui demander pourquoi elle était habillée de façon aussi ridicule, mais je m’étais arrêté.

« Tu as l’air d’être prête à y aller », avais-je dit à la place. « Affronter un titan comme ça, ça t’excite aussi, hein ? »

« Hein ? Je ne sais pas de quoi tu parles », répondit Eve. « Mais oui, bien sûr que je suis prête à y aller. J’ai l’intention de gagner n’importe quel combat, et nous sommes censés mener la charge dans l’ancien labyrinthe. Nous ne pouvons pas nous contenter de reculer. »

J’étais déçu qu’Eve ne partage pas mon sentiment, mais ce n’était pas grave. Le simple fait d’avoir des amis qui se battent à vos côtés rend les choses tellement plus amusantes. Je me sentais probablement ainsi parce que je voyageais toujours seul. Eve et moi travaillions très bien ensemble, et elle pouvait réagir habilement à tout ce que je faisais sans que je dise quoi que ce soit à voix haute.

« Alors, tu comprends le plan de Marie ? » avais-je demandé.

« Oui. Pas tellement les parties confuses, mais en gros, il faut juste le bousiller de l’intérieur, non ? Il n’est invincible qu’à l’extérieur, pas à l’intérieur. »

Je n’étais pas sûr qu’elle comprenne, mais comme elle était du genre intuitif, j’avais l’impression qu’elle pouvait s’en tirer en prenant des décisions à la volée. Trop réfléchir pourrait finir par l’affecter négativement… Non pas que je la trouve stupide ou quoi que ce soit d’autre.

« Tu as juste pensé que j’étais stupide, n’est-ce pas ? » déclara Eve.

« Quoi ? Non ! »

Elle m’avait jeté un regard, et j’avais senti la sueur perler sur mon visage. Il semblerait que son intuition était si aiguisée qu’elle pouvait sentir mes moindres pensées. J’avais donc tendu mon poing vers elle, elle savait exactement ce que ce geste signifiait. Elle avait souri, puis avait frappé mon poing avec le sien.

« Faisons-le. Nous allons battre cette chose et nous aurons du bon saké ce soir », avait-elle déclaré.

« D’accord, mais ne fais rien d’imprudent. Assure-toi de suivre mes ordres, d’accord ? » avais-je répondu.

Eve avait souri comme un chat amical. Son caractère aimable était l’une des choses qui la rendaient si sympathique. J’avais pensé qu’elle serait pénible à gérer lors de notre première rencontre, mais nous étions devenus des amis proches sans le savoir. Notre lien s’était peut-être naturellement développé à partir de notre expérience commune de la mort après que Zarish nous ait poignardés.

Soudain, la voix pleine d’entrains de Doula retentit. « Dormeur, Marie, Eve, tout le monde ! Vous êtes tous prêts à y aller ? »

Nous avions tous les trois confirmé que nous étions prêts, et les autres avaient également répondu par le biais du Lien mental.

Le corps titanesque de Charybde émergea de la mer avec une énorme éruption d’eau, signalant le début du combat.

« Commençons la bataille ! Puseri, Kazuhiho, prenez la pointe et approchez la cible ! »

Nous avions confirmé les ordres de Doula et nous nous étions mis en route. Puseri enfourcha son destrier noir, prépara sa lance géante et s’élança sur les flots. Eve et moi avions sauté sur Roon, qui s’était mis à battre des ailes avant de s’envoler.

Mariabelle nous avait fait un signe de la main pendant que nous nous envolions. Elle ne pouvait pas nous accompagner puisque nous allions voler à une vitesse vertigineuse, mais la sorcière spirituelle avait un rôle bien plus important. Prendre un point peut sembler important, mais nous n’étions que des pions dans cette opération.

Nous volions en arc de cercle juste au-dessus de la surface de la mer, le bout des ailes de Roon projetant de l’eau dans notre sillage. Le corps du géant se rapprochait de plus en plus, et nous devions rester attentifs aux tentacules qui se cachaient sous nos pieds. Je devais avouer que je ne détestais pas ce genre de situation tendue. Je me léchai les lèvres, puis Eve me tapota l’épaule.

« Alors, comment allons-nous servir d’appât ? Nous ne sommes que des insectes bourdonnants pour cette chose », avait-elle fait remarquer.

C’était une question à laquelle il était difficile de répondre. Je ne pouvais pas lui dire qu’il suffisait d’être avec moi puisque Charybde aimait les filles en maillot de bain pour une raison inconnue, même si cela semblait ridicule. Eve était sans aucun doute très attirante, comme l’avait prouvé la réaction des autres garçons hier, il était donc peu probable que nous soyons ignorés. Alors que je réfléchissais à tout cela, quelque chose se passa dans l’eau.

« Tentacules en vue ! Je vous envoie les images ! » annonça la voix de Marie.

C’était ça, le frisson d’une bataille où l’on ne peut pas baisser la garde un seul instant. Comme je l’avais dit plus tôt, je ne détestais pas ce sentiment. Des tentacules géants avaient émergé de chaque côté comme pour nous prendre en sandwich, mais j’avais incliné Roon sur le côté et j’avais accéléré vers l’avant. À ce moment-là, j’étais vraiment content que Shirley ait soigné la pierre magique pour qu’elle soit en parfait état, me permettant ainsi de ressentir l’exaltation de ce moment.

« Wôw, whoa ! Attention, tu as esquivé de très peu ces choses ! » s’écria Eve.

« Ça me rappelle quelque chose », avais-je dit. « Tu te souviens quand tu m’as dit de voler jusqu’à ce que je te fasse crier ? »

« Euh, je… suppose ? Peut-être que oui. Qu’en est-il ? » demanda-t-elle.

« Je n’ai pas l’intention de m’arrêter même si tu cries, alors je voulais juste m’excuser maintenant », avais-je répondu.

Eve avait cligné des yeux, puis je nous avais dirigés directement vers le haut. Notre trajectoire nous avait amenés juste au-dessus des tentacules, puis nous étions retombés en chute libre après avoir atteint le sommet. Les tentacules avaient foncé vers l’avant et en dessous de nous, et j’avais entendu Eve déglutir de façon audible.

Ne me blâme pas si tu te pisses dessus.

Tandis que cette pensée méchante me traversait l’esprit, j’avais fait des embardées, zigzaguant dans tous les sens à une vitesse fulgurante. Je ne me contentais plus de piloter. C’était le moment de faire briller les visions de Marie et mes capacités en tant que spécialiste de la mobilité.

« N’est-ce pas amusant, Charybde ? » avais-je dit. « Je vois une mauvaise fin à chaque coin de rue. Nous allons voir lequel de nous deux est le plus persévérant. Je pense que je peux te donner du fil à retordre, si je puis dire. »

J’avais frôlé un tentacule du bout de l’aile de Roon, j’avais plongé et j’avais foncé juste au-dessus de l’eau. L’énorme créature emplissait ma vision et des tentacules nous entouraient. Je ne pouvais m’empêcher de rire, non pas de nervosité, mais de défi face à la difficulté.

Toutes les extrémités des tentacules s’ouvrirent en même temps, révélant de nombreuses choses qui se tortillaient à l’intérieur. Eve poussa un cri, puis j’avais accéléré en direction de l’ouverture de la grotte qui se trouvait devant nous. Je m’étais écarté juste au moment où nous étions assez près pour sentir la puanteur de sa salive, laissant ma passagère aussi blanche qu’un drap.

« C’était bien ! Quelle note lui donnerais-tu sur cent, Eve ? » demandai-je en me tournant vers elle. « Je dirais qu’il mérite au moins un quatre-vingts. »

« A-AAAHHHHH !! »

Eve était habituellement sans peur, mais elle avait finalement atteint sa limite en criant et en m’entourant de ses bras par-derrière. Sa luette était entièrement exposée, la bouche grande ouverte, et elle criait sans cesse « Non », au bord des larmes, alors qu’elle s’était déclarée prête à gagner il n’y a pas si longtemps. Elle n’avait qu’à s’accrocher encore un peu pour remporter la victoire, et je voulais la soutenir sur ce chemin.

« Ton cri sera utile pour attirer l’attention de Charybde », notai-je. « Puseri, c’est l’occasion ou jamais. »

« Il est clair que tu n’es pas un enfant ordinaire », répondit Puseri. « Mais c’est évident, vu que tu as dirigé les élites de l’équipe Améthyste. »

Je n’avais pas la force de lui dire que j’étais en fait un employé de bureau ordinaire. Le compliment était flatteur, bien sûr, mais la culpabilité que j’éprouvais à faire hurler son équipier était plus importante en ce moment. Mais ce n’était pas comme si je m’amusais juste pour le plaisir.

Un bruit sourd retentit de l’autre côté de Charybde. C’était un coup puissant de Puseri, qui possédait les plus grandes capacités offensives de l’équipe Diamant, qui avait frappé directement. Je n’arrivais pas à croire qu’une telle force massive ne soit qu’une simple frappe physique. Sans compter que son destrier noir était d’une rapidité surnaturelle et qu’il s’était déjà éloigné au galop lorsque les nombreux yeux du titan s’étaient tournés vers son agresseur.

« J’ai oublié de préciser qu’il ne s’agit pas d’un combat. Nous jouons juste avec toi. Pour ta gouverne, tu ne m’attraperas jamais à moins d’avoir un atout dans ta manche. » Ce n’était pas comme si Charybde pouvait me comprendre, mais le trash-talking rendait les choses plus excitantes pour moi. C’était agréable, même si j’avais l’air endormi.

« Derrière nous ! Ils arrivent ! » hurla Eve, m’entourant toujours de ses bras.

J’avais alors replié les ailes de Roon, ce qui nous fit tomber tout droit, le vent hurlant à nos oreilles. Nous avions accéléré en descendant en spirale, puis nous avions viré à l’horizontale le long de l’eau, évitant les tentacules qui s’approchaient de nous.

« Les tentacules modifient leur mouvement. D’après ce qui s’est passé la dernière fois, il devrait préparer une attaque à distance ! » avertit Marie.

« Très bien, il est temps de passer à l’étape suivante », avais-je dit.

Les tentacules dirigés vers nous s’étaient tous contractés en même temps. Bien sûr, c’était un spectacle effrayant, mais c’était comme si un groupe de mouches bourdonnant au-dessus de nos têtes se mettait soudain en colère contre nous. Je nous avais arrêtés en plein vol pour provoquer davantage l’ennemi, et puis lorsqu’ils avaient tous tiré une ligne d’eau pressurisée sur nous, je nous avais manœuvrés pour nous mettre à l’abri.

Je savais par expérience à quel point cela pouvait être ennuyeux. Rien n’était plus frustrant qu’un moustique qui apparaît soudainement alors que vous essayez de dormir, mais maintenant que c’était moi qui le faisais, c’était plutôt amusant. C’était assez drôle de voir les tentacules frapper l’eau avec colère, mais ma passagère n’avait pas l’air de le penser.

« Gyaaaaaa !! »

Eve m’avait entouré de ses bras en gémissant à pleins poumons. Je me sentais mal pour elle et je voulais la convaincre qu’il n’y avait aucune chance que nous nous fassions prendre. Grâce au Lien mental, je pouvais entendre les commentaires inquiets de tout le monde, comme « Putain de merde » et « Eve est-elle en vie ? » Mais j’aurais aimé qu’ils aient un peu plus confiance en moi. De plus, le fait que Charybde se concentre sur moi signifiait qu’elle ne remarquerait pas le bruit des sabots approchant par-derrière.

Boum ! Boum !

Les impacts incroyablement lourds d’une lance retentissaient l’un après l’autre. Puseri frappa dès que l’occasion se présenta, puis recula immédiatement. Malgré les innombrables jets d’eau sous pression qui lui tombaient dessus, elle s’en tirait sans qu’aucun n’atteigne sa cible.

La capacité Indestructible de l’ennemi était toujours en vigueur, et même Puseri n’était pas en mesure de laisser une trace. Nous n’avions pratiquement infligé aucun dégât pendant tout ce temps, et la bataille n’était pas prête de s’arrêter. Une seule erreur pouvait nous coûter cher. Alors que je réfléchissais à cette situation désastreuse, la voix familière de Wridra me parvint à l’esprit.

« Hah, hah, on dirait que tu t’amuses bien. Je soupçonne que tu es heureux d’avoir acquis la capacité d’agir rapidement en l’espace d’une seconde grâce à l’Accélération. »

« Wridra ! » avais-je dit. « Tu peux le dire. C’est grâce à cette capacité que je peux me frotter à cette ancienne bête. »

En tant que spécialiste de la mobilité, les compétences dont je disposais me permettaient de me retirer facilement des ennemis. La Surcharge, que j’avais développée lors de mon combat contre le candidat héros, et l’Accélération, que j’avais apprise en m’entraînant avec l’Arkdragon, étaient inégalées. Les attaques des monstres étaient faciles à éviter en termes de timing et de direction, car je pouvais les esquiver automatiquement après les avoir vues une seule fois. Honnêtement, je ne voyais pas comment je pourrais perdre contre Charybde, mais je ne pensais pas non plus pouvoir gagner.

Soudain, j’avais entendu la voix confiante de Marie dans ma tête.

 

 

« Tu peux dire que c’est grâce à toi que j’ai élaboré ce plan, Wridra. »

« Oh ? Je ne pensais pas vous avoir donné beaucoup d’indices », répondit l’Arkdragon.

« C’est tout à fait logique. Si Indestructible rendait Charybde invincible, il n’aurait eu aucune raison de craindre l’Arkdragon. Puisqu’elle essayait tant bien que mal de ne pas se faire remarquer, il devait y avoir une faille dans sa défense… une faille qui devrait être assez évidente. »

***

Partie 3

Elle n’avait pas tort. Si sa faiblesse n’était pas évidente, Charybde n’aurait pas agi avec autant de peur hier. Et cela allait sans dire, mais personne au monde ne tuerait cette bête si rien ne pouvait la blesser. L’Indestructible avait une faiblesse flagrante, et tout l’enjeu de ce combat était de la découvrir.

« Hé, concentrons-nous sur le monstre, d’accord ? » interrompit Eve. »Regarde, tous ces tentacules sont dirigés vers nous ! S’il te plaît, dis quelque chose ! »

Désolé, Eve, mais peux-tu m’accorder une minute ? J’avais réfléchi. Nous avions besoin d’un plan pour gagner, et franchement, je n’avais pas vraiment envie d’affronter ce monstre effrayant de face. J’espérais qu’elle comprendrait.

« Hah, hah, vous essayez d’élaborer une stratégie contre une bête ancienne comme s’il s’agissait d’un jeu », déclara Wridra. « Regardez, cela devrait être encore plus excitant avec un public. »

J’avais regardé autour de moi comme on me l’avait suggéré et j’avais vu plusieurs personnes se rassembler sur la plage. Le public dont elle parlait semblait être les villageois de cette île, portant des vêtements anciens. Le vent portait leurs voix jusqu’ici, et je les entendais faiblement nous encourager. Ils avaient plus d’enjeux que nous, qui n’étions là que pour les vacances.

« Nous représentons Arilai ici, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre. Es-tu prête, Marie ? » avais-je demandé.

« Je suis prête », répondit-elle. « C’est dans des moments comme celui-ci que je suis vraiment contente d’avoir appris à contrôler plusieurs esprits à la fois. »

Comme lors de notre combat contre Kartina, Marie avait privilégié la quantité à la qualité pour submerger l’adversaire d’une masse d’esprits à la fois. Mais cette fois-ci, elle était au cœur de l’opération au lieu de jouer un rôle de soutien. Avec une vue d’ensemble du terrain depuis le haut, j’avais vu que Marie était prête à s’engager. Une masse de choses translucides, semblables à des méduses, dérivait tout autour de Charybde. Toute personne souffrant de trypophobie aurait pu être effrayée par ce spectacle. Les esprits qui avaient fait de la glace pilée hier nous aidaient maintenant à abattre cette monstruosité, les vacances avaient donc dû être bien remplies pour eux aussi.

« Cela a été un énorme problème, mais le vent devrait bientôt tourner. Ce jour-là, ton combat, qui dure depuis des temps immémoriaux, prendra enfin fin. Imaginons que toute l’eau contenue dans ton corps s’épuise… Que penses-tu qu’il se passera alors ? » dis-je.

Le flanc du monstre, qui avait la forme d’une branchie de poisson et semblait servir à absorber de l’eau de mer, s’était ouvert en grand. Je me demandais si ce cancre de monstre remarquerait le nombre impressionnant d’esprits dans cette eau de mer ou le fait que plusieurs d’entre eux étaient rouges comme du sang.

À Arilai, on disait que le sang de la prestigieuse Maison des Milles était vivant et qu’il s’était réveillé après des générations de combats brutaux. Charybde était sur le point de goûter à ce sang.

« Doula, il a mordu à l’hameçon », avais-je rapporté.

« Nous allons maintenant passer à la deuxième phase de l’opération. Que toutes les unités se tiennent prêtes à recevoir des ordres. Dormeur, n’oublie pas de préparer ton Astroblade, » dit Doula.

C’est alors que je m’étais souvenu que j’avais un travail à faire autre que de voler pour faire diversion. Dans l’idéal, le combat serait terminé avant que je n’aie à intervenir, mais cela ne faisait jamais de mal d’être préparé.

J’avais donc chargé de l’énergie dans mon Astroblade tout en évitant les tentacules qui arrivaient. Puseri, l’autre unité de distraction, patrouillait toujours dans la zone sans baisser sa garde. Son comportement était intense, mais il semblerait qu’il y ait une raison à cela.

« Je ne veux absolument pas subir la même humiliation qu’Eve ! » s’écria-t-elle.

Eve grogna, mais je ne pouvais pas en vouloir à Puseri. Il serait désastreux qu’elle se fasse attraper par ces tentacules alors que nous sommes si près de la ligne d’arrivée. Cela pourrait même affecter sa dignité de maître.

Cela avait pris deux jours entiers, mais la fin de la bataille était en vue. Si vous me demandiez ce qu’il faut pour combattre un monstre géant, je vous répondrais… Eh bien, Doula était sur le point de le dire à ma place.

« Maintenant ! Déclenchez ! »

Sur l’ordre de Doula, un grondement étouffé retentit à l’intérieur de Charybde. Les innombrables esprits avaient gelé l’eau à l’intérieur du monstre, le faisant grossir d’un seul coup. La créature titanesque s’agrandissait encore.

Tout adversaire serait en difficulté si une énorme quantité d’air était pompée en lui après avoir absorbé autant d’air qu’il le pouvait. Soudain, le cri de l’esprit de Zera retentit à travers la mer.

« Voici un aperçu des arts secrets de ma lignée. Mille éclats ! »

Au moment où Zera serra le poing, une masse de lames sanglantes déchira le corps du monstre. La partie la plus effrayante de cette capacité était qu’elle utilisait le sang de l’adversaire comme catalyseur pour causer encore plus de destruction. Après avoir recherché le sang de guerriers de plus en plus puissants pendant des générations, sa maison avait accumulé ce pouvoir d’une manière qui ressemblait au processus d’une réaction chimique. C’est pourquoi on disait qu’aucun homme ne pouvait égaler leurs prouesses, y compris la façon dont ils avaient accompli des exploits sans fin sur le champ de bataille.

À ce stade, une chose était sûre : comme nous l’avions soupçonné, la capacité Indestructible ne protégeait pas l’intérieur de Charybde. Nous avions bel et bien infligé des dégâts à la créature. La masse gargantuesque avait basculé et s’était posée sur le fond marin avec une force qui avait fait trembler le sol.

Pourtant, il semblerait que nous n’avions pas réussi à tuer la bête. Elle se releva lentement pour retrouver son équilibre, et notre commandant ordonna : « Deuxième équipe, déployez-vous ! » Il était temps pour Eve et moi de passer à l’action.

Non, il y avait encore une personne que je n’avais pas mentionnée : un solide épéiste de niveau 100 qui cherchait un combat digne de mourir. Gaston s’était habilement détaché d’un tentacule pour s’élever dans les airs. Il prépara son épée au niveau de la taille, puis leva les yeux vers moi pour une raison inconnue.

« Laisse-moi te remercier de m’avoir montré quelque chose d’intéressant, petit. Si tu aimes ce que tu vois, je peux t’apprendre à le faire », déclara-t-il.

Il ne parlait pas des filles en maillot de bain, n’est-ce pas ? Est-ce ça ?

Je l’avais regardé avec curiosité, puis je m’étais penché sur le bord de Roon pour le regarder avec stupéfaction. Sa lame se scinda en une dizaine de copies qui volèrent vers le monstre. L’Indestructible de Charybde aurait pu être réduit à néant par les nombreux trous dans son corps, mais je fus stupéfait par la façon dont les lames projectiles tranchaient les tentacules de la taille d’un tronc d’arbre et laissaient un trou béant près de sa base. Pendant un instant, je m’étais demandé s’il s’agissait d’un personnage de manga.

« J’aimerais bien apprendre à faire ça », avais-je dit. « Très bien, maintenant, finissons-en. »

Je fis accélérer Roon alors que nous volions juste au-dessus de la surface de l’eau et préparai mon Astroblade en position large. L’épée émettait un vrombissement aigu tandis que je la dirigeais vers le trou géant dans Charybde. J’avais l’impression que l’épée était sur le point de drainer chaque once d’énergie en moi, mais il était presque l’heure de manger de toute façon.

J’avais enduré l’impact massif qui avait failli m’arracher les bras alors que je lâchais le projectile météorique dans la bouche caverneuse de la cible. Cela avait explosé à plusieurs reprises à l’intérieur du corps de la créature, infligeant des dégâts à tout son intérieur percé jusqu’à ce que…

Boom, bang ! BOOOOOOM !

Une explosion éclata dans une colonne qui semblait assez haute pour engloutir les nuages. Après un moment de stupeur devant ce spectacle cinématographique, les gens se mirent à applaudir joyeusement. Le problème, c’est qu’Eve, Gaston et moi étions toujours projetés dans les airs. J’étais bien content que Marie ne nous ait pas accompagnés. Après tout, les unités d’avant-garde étaient essentiellement des pions jetables.

C’est ainsi que l’ancienne bête Charybde avait été réduite en poussière.

La défaite du monstre qui terrorisait la région marqua un avenir meilleur pour le village de pêcheurs. Au coucher du soleil, la musique instrumentale résonna sur la plage.

Je n’arrivais toujours pas à croire qu’une telle nuisance puisse exister. Une chose était sûre : je n’allais pas dire aux villageois quel genre de monstre effrayant était Charybde, car ils seraient aussi déçus que moi.

§

Une femme parée de nombreux ornements jouait de son instrument à cordes.

Elle jouait une mélodie unique, aux sonorités étrangères, alors que deux jeunes filles, qui semblaient être ses filles, chantaient, créant une musique agréable au fur et à mesure que le soleil se couchait.

Leur chant était grave et semblait venir d’une époque révolue. Peut-être était-ce l’épreuve de la bête qu’ils avaient finalement surmontée, mais quelque chose dans leurs voix claires touchait les émotions de l’auditeur. Des boissons locales avaient été servies et les villageois avaient souri avec tendresse en écoutant les chants nostalgiques de leur peuple.

Ce lieu avait pour tradition de divertir les visiteurs, et ceux-ci avaient donc pu apprécier une musique qui évoquait des sentiments de bonheur. La belle mélodie était restée inchangée même après l’attaque qui avait dévasté la plage.

Le cadavre montagneux de Charybde était visible à l’horizon et l’on pouvait entendre les gens rire et trinquer à sa disparition. Ce n’est que longtemps après ces événements que j’avais appris qu’il s’agissait du début d’un festival annuel au cours duquel les villageois se réunissaient sur la plage et faisaient la fête. Ils chantaient, dansaient et regardaient l’étoile du soir pour remercier la paix.

Les villageois buvaient, écoutaient de la musique et exprimaient leur gratitude à l’égard du groupe qui avait tué leur ennemi. Marie, elle aussi, appréciait la musique d’un air rêveur, profitant de l’hospitalité différente de celle d’Izu. Elle sortit ensuite de sa rêverie et porta son assiette à une table pour manger. Les villageois avaient même fourni la vaisselle, le festin et tout ce qui était utilisé pour les célébrations sans qu’on le leur demande.

Alors qu’un feu de joie était allumé, la musique devint plus joyeuse. Il s’agissait également de divertir les invités, mais cette nuit était remplie de la joie débordante des villageois. Maintenant que la bête ne les hanterait plus, ils ne cessaient d’exprimer leur gratitude par des sourires et des remerciements sans fin. D’après les villageois, le gouvernement avait envoyé plusieurs milliers de combattants pour vaincre Charybde, et la bataille avait fait rage pendant plus de soixante-dix-sept jours. Bien qu’il n’y ait pas eu beaucoup de pertes, leurs terres avaient été désolées par ce long conflit, ce qui leur avait fait perdre le moral après avoir été incapables d’infliger le moindre dommage à leur ennemi. Ils avaient fini par se retirer, laissant au gouvernement une dette considérable, et Charybde avait profité d’une période de tranquillité dans le pays tropical.

Les conversations portaient principalement sur la bataille contre le monstre, mais beaucoup d’entre eux admiraient également les beautés étrangères. Ils décoraient les maillots de bain et les vêtements d’extérieur des femmes avec de nombreuses fleurs et les couvraient de compliments sur leur charme inoubliable. Les femmes ne semblaient pas gênées par ces compliments, bien qu’elles aient été troublées au début, elles finirent par sourire et acceptèrent joyeusement les compliments.

J’observais cette scène paisible, mais le tablier que je portais signifiait que je n’étais pas un héros ce soir, juste un simple cuisinier. Une chose était sûre : je ne voulais pas laisser à quelqu’un d’autre le soin de préparer les plats que j’avais ramenés du Japon. Il y avait beaucoup trop d’ingrédients et beaucoup trop de gens pour qui cuisiner, je ne pouvais donc pas non plus boire.

J’étais entouré d’une marmite qui mijotait, d’un récipient à riz en bambou qui bouillonnait et d’une montagne d’aliments qui nous avaient été offerts. D’après Marie, j’avais l’air très vivant malgré mon activité intense.

« Oui, s’il te plaît, occupe-toi de ce poisson pour moi ! Marie, peux-tu surveiller cette marmite pour moi ? Veille à ce qu’elle ne déborde pas. Bon, tout le monde, apportez vos assiettes ! » J’avais appelé.

Les habitants et moi-même nous étions bousculés dans l’espace de cuisson simple que l’on pouvait difficilement qualifier de cuisine. Près du feu, quelque chose qui était enveloppé dans une feuille était cuit à la vapeur et l’odeur des fruits cuits commençait à se répandre sur la plage. Quelqu’un d’autre cuisinait avec de l’huile à quelques pas de là, et l’arôme qui s’en dégageait était tout aussi appétissant.

J’avais la tête qui tournait à cause du travail trépidant que nous avions effectué, mais les assaisonnements que j’avais apportés du Japon m’avaient été d’une aide précieuse. Il suffisait d’en broyer un peu sur un plat pour en rehausser la saveur et, une fois mélangés aux aliments, ils dégageaient un parfum épicé qui attisait les sens.

***

Partie 4

Attirée par l’odeur, Marie se tourna vers moi. Elle huma l’air, puis me regarda avec ses beaux yeux violets.

« Je le savais. Tu fais du curry », dit-elle. « Je l’ai vu aux ingrédients que tu as apportés. »

« C’est un classique de la cuisine en plein air. Facile à faire, délicieux, et tout le monde mange jusqu’à ce que la marmite soit vide », avais-je dit. « Oh, le riz devrait être prêt maintenant. Quelqu’un peut-il t’aider à l’enlever du feu ? Ah, Zera ! C’est le bon moment. S’il te plaît, verse un peu de curry pour les personnes qui ont apporté leurs assiettes. Nous n’en aurons plus si tu ne le répartis pas correctement, alors fais attention. »

« Es-tu sérieux ? J’ai du mal à marcher droit après avoir perdu autant de sang », répondit Zera. « Et cette odeur me fait mourir de faim. Ça te dérange si je mange d’abord ? C’est bon, non ? »

Je l’avais regardé avec un sourire, comme pour dire : « Bien sûr que ça me dérange. » Bien qu’il semblerait que mon expression ait été plus intense que je ne l’aurais voulu.

Zera, qui était beaucoup plus grand que moi, avait juste dessiné une ligne serrée sur sa bouche et avait dit : « D-D’accord ». Il avait ensuite grommelé : « Pourquoi est-il si têtu quand il s’agit de nourriture ? » Mais j’avais fait semblant de ne pas l’entendre, car seule la nourriture m’intéressait.

Alors que je me promenais sur la plage et que j’observais le site, j’avais remarqué qu’Eve me faisait signe.

« Hé, la plaque chauffante est prête ! » s’écria-t-elle.

« Merci, Eve. On est bien ici, alors tu peux aller manger avec les autres », avais-je répondu.

Eve portait un sweat à capuche aux couleurs vives, maintenant que le soleil se couchait. Elle aussi était ornée de nombreuses fleurs de fête, ce qui lui donnait l’air d’être la fiancée de quelqu’un. Au moins, ici, elle n’avait pas l’air d’être mal vue parce qu’elle était une elfe noire.

Elle semblait s’amuser et ne se rendait pas compte qu’elle avait provoqué un miracle ici. Hypothétiquement, si un autre elfe noir venait à visiter cette terre, il s’y ferait des souvenirs heureux sans être chassé. Elle s’était battue avec acharnement pour retrouver son honneur et avait changé l’avenir d’une petite manière.

Je m’étais souvenu de quelque chose alors qu’Eve me saluait et se tournait pour partir, et je l’avais appelée.

« Oh, tu ne devrais pas trop boire ce soir. Ils nous montrent beaucoup d’hospitalité, et je pense aussi que tu es jolie, alors il vaudrait mieux ne pas ruiner ton image jusqu’à la fin. »

Peut-être n’avait-elle pas l’habitude d’être appelée « jolie », car sa peau bien bronzée avait rapidement viré au rose. Elle avait regardé autour d’elle comme si elle n’était pas sûre de ce qu’elle devait dire, alors je lui avais demandé si elle avait compris ce que j’avais dit. Mais son visage était devenu encore plus rose, jusqu’à ce qu’elle me traite d’idiot et s’en aille.

J’avais fini par la contrarier, mais il fallait que je dise quelque chose, car cette nuit-là à Izu était chaotique. Ce n’était peut-être pas mon affaire, mais je pensais que les femmes ne devaient pas boire plus que ce qu’elles pouvaient supporter.

Il était temps de ressortir un autre classique de la cuisine en plein air. J’avais versé un filet d’huile sur une plaque de fer chauffée, puis j’avais jeté dans l’huile des nouilles frisées et démêlées que j’avais déjà lavées. Je les avais ensuite fait cuire jusqu’à ce que le dessous devienne croustillant et je les avais retournées. J’avais versé de la sauce sur le dessus, ce qui avait rempli l’air d’un arôme acidulé. Enfin, j’avais ajouté de la viande et des légumes, comme je l’avais toujours fait pour ce plat.

« Oh, ça sent bon le yakisoba ! » Marie parla. « Celui que nous avons mangé avec Wridra et Shirley quand nous avons regardé le feu d’artifice était si savoureux. Au fait, où sont-elles passées ? Je pensais qu’elles seraient les premières à prendre une assiette. »

J’étais tellement concentré sur la cuisine que je n’avais même pas réalisé qu’elles manquaient jusqu’à ce qu’elle le mentionne. J’avais regardé sur le côté et j’avais remarqué que Marie était penchée et qu’elle m’observait en balançant ses longues oreilles. Ses cheveux et ses vêtements étaient couverts de fleurs, ce qui lui donnait encore plus l’air d’une fée que d’habitude.

« Il faut manger des yakisobas quand on est à la plage. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression que c’est du gâchis si on ne le fait pas », avais-je dit.

« Je suis d’accord », dit Marie. La lumière du feu dansait sur son visage et elle souriait chaleureusement. Ses yeux brillaient comme le ciel étoilé, pleins d’intelligence et d’amour. Elle était si belle que je laissai échapper un léger soupir pour qu’elle ne l’entende pas.

Elle tendit ensuite l’assiette en bois qu’elle tenait contre sa poitrine, comme si elle voulait du yakisoba. Mais ce n’était pas pour me dire de me dépêcher. Elle me regarda avec un doux sourire, et ses lèvres légèrement colorées semblaient plus rouges que d’habitude à cause de la lumière du feu. Je m’étais soudain rendu compte que j’avais été captivé par ses yeux et j’avais sursauté avant d’accepter son assiette.

Même si je savais qu’elle était mignonne, je ne pouvais m’empêcher d’être stupéfait par ses yeux lorsque nous étions seuls comme ça. Je n’étais qu’un cuisinier ce soir, et j’avais donc le devoir de rendre son plat aussi délicieux que possible.

« Voilà. Je ne l’ai pas surassaisonné, tu devrais donc pouvoir apprécier la saveur naturelle du yakisoba… Qu’est-ce qui ne va pas ? »

Pour une raison que j’ignore, Marie n’acceptait pas mon assiette, car elle avait les mains derrière le dos. Puis son sourire s’était élargi et j’avais été déconcerté de voir que ses joues étaient un peu rouges. J’avais cligné des yeux, perplexe, jusqu’à ce qu’elle s’approche d’un pas et pose inopinément ses doigts sur ma taille au lieu de l’assiette. Alors que je ne voyais plus que son sourire, j’avais senti quelque chose de mou se presser contre moi. Je ne pouvais plus bouger ni respirer. La sensation de ses lèvres douces au contact des miennes avait failli me faire lâcher l’assiette que je tenais dans la main.

Les deux mains tenant la nourriture et n’ayant nulle part où fuir, le baiser m’avait complètement pris par surprise. Lorsqu’elle s’éloignait, le parfum des fleurs resta dans l’air.

Mariabelle poussa un soupir chaleureux, puis ouvrit ses yeux mauves pâles.

« Demandons à quelqu’un d’autre de distribuer la nourriture et allons nous promener », proposa-t-elle. « L’odeur et l’atmosphère délicieuses ne te rappellent-elles pas les festivals d’Izu ? Ce serait un gâchis si tu ne faisais que cuisiner ce soir. »

Sur ce, j’avais tout posé et elle m’avait tendu sa main libre. J’étais resté un moment abasourdi par l’invitation de la belle fille ornée de fleurs, puis j’avais fini par lui prendre la main. Depuis quand est-ce si naturel et réconfortant de tenir sa main comme ça ? Voyager seul était autrefois ce que je préférais, mais j’avais tellement changé depuis notre rencontre dans son village elfique et après qu’elle se soit réveillée au Japon.

« J’ai vu de la nourriture intéressante là-bas. Ils faisaient frire une sorte de poisson », souligna Marie.

« Oh, il faut qu’on vérifie ça. Il existe toutes sortes de plats où l’on fait frire des aliments sans pâte à frire. Cela ne me dérangerait pas d’échanger avec eux s’ils ont de l’huile de haute qualité. Nous économiserions aussi de l’argent sur notre budget alimentaire », avais-je dit.

Marie avait gloussé et j’avais ressenti une joie inexplicable. J’étais un homme simple, et le simple fait d’entendre sa voix et son rire me rendait heureux.

Soudain, je m’étais souvenu de quelque chose : Puseri avait organisé une réunion dans son manoir, où Eve avait été capturée. Ils nous avaient ensuite rejoints pour nos vacances et s’étaient également battus contre la bête géante. Mais quel était le sujet de leur réunion ?

Je m’étais dit que je pourrais le leur demander plus tard, alors j’avais serré à nouveau la main de Marie et j’avais commencé à marcher. En écoutant les sons uniques des instruments folkloriques, nous nous étions dirigées vers l’endroit où tout le monde était rassemblé.

C’est alors que nous avions entendu des applaudissements nourris venant de la plage. J’avais vu que la foule louait la façon dont la carcasse de Charybde était devenue blanche comme le sel et s’était effondrée. Pourtant, j’avais l’impression d’avoir déjà vu quelque chose de semblable. L’ancienne maîtresse de donjon, Shirley, et son livre de monstres m’avaient traversé l’esprit, mais ce n’était probablement rien. Il n’y avait aucune chance qu’il puisse absorber cette énorme créature ancienne. Plutôt que de m’y attarder, j’avais dégusté des plats étrangers au son des applaudissements des villageois.

Pourtant, j’étais curieux de savoir pourquoi je n’avais pas vu Wridra. Où avait-elle pu aller sans même laisser son chat noir derrière elle ?

§

Une forte rafale passa.

La lune pâle dans le ciel brilla dans les yeux de Doula.

La brise nocturne était encore fraîche, même sur l’île de l’éternel été, et elle se frotta les bras par-dessus sa veste. Elle se tourna vers le faible bruit des applaudissements au loin, peut-être par désir instinctif de chaleur. Voyant ce geste, la femme qui accompagnait Doula prit la parole.

« Tu peux y retourner si tu le souhaites. Je ne t’en voudrais pas après tout ce que nous avons vécu aujourd’hui », déclara Puseri.

« Non, je ne peux pas m’amuser quand j’ai autre chose en tête. Et puis, je ne veux pas qu’ils entendent notre conversation et gâchent la fête », répondit Doula.

Son expression et son ton étaient plutôt graves pour avoir réussi à vaincre la bête antique, comme si quelque chose de bien plus terrible pesait lourdement sur son esprit. Elle se remit à marcher, ses cheveux roux dansant dans la brise marine. Elle marchait comme si elle n’avait pas de destination particulière en tête, mais qu’elle voulait s’éloigner des autres.

Les deux femmes avaient déjà changé de tenue. Malgré le sentiment amusant et libérateur que procure le port d’un maillot de bain, il était toujours embarrassant pour une femme d’exposer sa peau. Doula avait continué à se tenir à l’écart de l’agitation, et Puseri l’avait suivie.

Soudain, Doula s’arrêta dans son élan et parla dans l’obscurité apparemment vide.

« Wridra, tu es libre d’écouter si tu es curieuse », dit-elle.

« Je ne pensais pas que tu étais consciente de ma présence. Il semblerait que tu ne sois plus à sous-estimer. »

Puseri frissonna à cette réponse venue de nulle part. Sa fierté avait peut-être été blessée, vu qu’elle avait été décontenancée par le commentaire soudain de Doula et l’apparition abrupte de la femme vêtue d’une robe. Pour cette raison, sa voix était un peu dure lorsqu’elle parlait.

« Comment osez-vous nous espionner ? Plus important encore, comment savais-tu que Wridra était ici, Doula ? »

« Ha ha, c’est simple. Je ne suis peut-être pas douée pour la magie, mais je me suis dit qu’elle nous suivrait. Je n’étais pas sûre qu’elle soit là jusqu’à ce qu’elle réponde. »

Wridra se sentait mal à l’aise de savoir qu’elle avait été démasquée par son seul instinct, mais elle ne le montrait pas sur son visage. Pour une raison inconnue, elle avait perdu son expressivité lorsqu’elle était séparée de Kitase et de Marie, ce qui la rendait aussi mystérieuse que la lune au-dessus d’elle. Le regard du dragon mystique et son faible sourire firent se raidir Puseri.

À ce moment-là, le bracelet de bijoux au bras de Puseri brilla.

Les trois ne montrèrent aucune surprise, comme si elles savaient que cela allait arriver. Elles s’étaient rapprochées, fixant le bracelet et écoutant attentivement.

Certains objets n’étaient donnés qu’aux membres de la famille royale et à quelques membres de la classe supérieure comme Puseri. Il s’agissait d’outils magiques, dotés du pouvoir du dieu de la terre de recevoir des messages longue distance, utilisés pour transmettre des informations confidentielles concernant le pays. Tout cela était nécessaire, car une crise sans précédent menaçait Arilai.

Sous le ciel étoilé, les deux membres de l’équipe Diamant informèrent Wridra qu’une guerre avait éclaté avec le pays de Gedovar. De telles rumeurs circulaient depuis un certain temps, et les militaires s’étaient même préparés à la bataille. Les maîtres tels que Puseri avaient participé à ces préparatifs à de nombreuses reprises, et la confirmation n’était donc pas vraiment une surprise.

Doula, quant à elle, serra les poings jusqu’à ce qu’ils deviennent blancs. Les pensées d’une guerre impliquant humains, démons et monstres autour de l’ancien labyrinthe tourmentaient son esprit. Personne ne savait comment cela se terminerait, mais la commandante regardait le ciel comme si elle comprenait la gravité de la catastrophe à venir.

Elle expira lentement tandis que la brise lui coupa le souffle.

– Fin du Chapitre sur l'Été —

***

Chapitre 1 : Ciel d’automne et préouverture du deuxième étage

Partie 1

Arilai était le pays du désert brûlant tandis que Gedovar était le pays des démons…

Maintenant que la guerre était officielle, les pays de Toshgard et de Ninai s’étaient ralliés et avaient immédiatement renforcé la faction d’Arilai, leur allié. En matière de nombre d’hommes, les forces de l’alliance dépassaient largement les soldats démons.

Les citoyens d’Arilai étaient en émoi. Gedovar avait fait entrer une grande armée dans leur pays, et les gens craignaient que l’ennemi ne frappe immédiatement avec une tactique de guerre éclair. Ils pensaient que l’ennemi choisirait de prendre leur forteresse le plus rapidement possible, puisqu’ils se trouvaient en territoire inconnu. Cependant, contrairement à leurs attentes, l’armée de Gedovar prit les forteresses de l’extérieur vers l’intérieur, dans une marche lente et stratégique.

Néanmoins, les membres de la famille royale s’y attendaient. Tous les villages frappés par les démons étaient déjà vides, et les provisions qu’ils espéraient mettre à sac avaient déjà été transportées, ou brûlées. Cela s’expliquait principalement par le fait que les espions à l’intérieur du pays n’avaient pas pu transmettre d’informations en raison des restrictions frontalières.

Hakam, qui dirigeait l’équipe de l’ancien labyrinthe, et Aja avaient ordonné la restriction des frontières, interdisant totalement aux personnes, aux ressources et même aux informations de quitter le pays. Par conséquent, les informations que les démons avaient pu obtenir dataient de dix-sept jours et étaient totalement obsolètes. Hakam et Aja avaient mobilisé efficacement le pays et s’étaient préparés à affronter l’ennemi en si peu de temps.

Malgré tout, comme il y avait l’impossibilité de se procurer de la nourriture, les démons n’avaient pas précipité leur invasion. Après tout, ils étaient des démons et avaient besoin d’un peu de temps pour s’adapter au pays brûlant. Mais les traces de sang de monstre qui coulaient dans leurs veines les rendaient plus résistants, de sorte qu’ils ne se desséchaient pas sous l’effet de la chaleur. Ils attendaient leur heure avant de lancer une attaque de grande envergure, et la famille royale s’y attendait également.

Telles étaient les raisons pour lesquelles Arilai avait eu du temps avant d’être sérieusement envahie, mais les pays de la triple alliance étaient encore loin d’être en phase les uns avec les autres. En fait, il s’agissait d’un problème que le temps seul ne pouvait pas résoudre. Parce qu’Arilai avait développé l’ancienne technologie des pierres magiques, les autres pays essayaient constamment de leur soutirer des informations. Pourtant, Arilai continuait à défendre les secrets de sa nation. Hakam pensait qu’il s’agissait là du nuage sombre qui planait sur cette guerre.

Ce n’était qu’une question de temps avant que les deux forces ne s’affrontent. Cependant, de nombreuses personnes ignoraient encore les raisons de l’invasion des démons, y compris le jeune homme qui voyageait entre le Japon moderne et le monde fantastique.

§

Où se situe la frontière entre l’automne et l’été ? C’était une question à laquelle on pouvait répondre en regardant le coucher de soleil. Au fur et à mesure que les jours raccourcissaient et que l’air se rafraîchissait, nous nous rendions compte que l’été était derrière nous.

Le printemps était plein de vie et l’été plein d’enthousiasme. Une fois qu’ils étaient passés, le monde devenait silencieux. Alors que la chaleur retombait, les animaux et les insectes se préparaient à l’hiver, et les humains avaient l’impression d’être laissés pour compte. C’est ainsi que se résumait l’automne.

L’elfe d’un autre monde avait levé les yeux alors qu’elle marchait sur le chemin de ville de Koto, l’air sombre.

Elle m’avait serré la main, mais cela n’avait pas suffi à faire disparaître l’humeur mélancolique. Elle avait soulevé mon bras, était passée en dessous et m’avait serré dans ses bras. Ma main était restée suspendue, mais elle l’avait guidée jusqu’à sa taille de l’autre côté, ce qui m’avait permis de la serrer dans mes bras.

« Pas mal, » dit-elle. « Il fait chaud et c’est un peu plus facile de marcher quand tu me soutiens. C’est quelque chose que nous ne pouvons faire qu’au Japon, car il y a une différence de taille ici. »

Elle mesurait une tête de moins que moi, si bien qu’il ne me semblait pas anormal de la tenir par la taille. Elle avait mis sa main dans la poche opposée à la sienne, et un bonnet de tricot brun orné d’oreilles d’ours entra dans mon champ de vision. Mais elle le portait pour dissimuler ses longues oreilles elfiques, même s’il me gênait pour l’instant.

Par un étrange retournement de situation, ma compagne Mariabelle était apparue dans le monde réel depuis mes rêves. Depuis, ma vie ennuyeuse avait radicalement changé.

« C’est un peu plus difficile de marcher comme ça. Est-ce toi qui l’as inventé ? » avais-je demandé.

« Oui, ce n’est peut-être pas le meilleur. Je me sens mal à l’aise pour toi, mais j’ai plus chaud en échange, alors tu devras t’en accommoder », avait-elle dit.

Il n’y avait vraiment aucune raison pour qu’elle se sente mal. Je ne pouvais pas être plus heureux avec son corps doux qui me serrait fort, mais je n’avais pas besoin de le mentionner. Elle savait très bien que cela me plaisait, comme en témoignait son beau sourire. Ce sourire ne manquait jamais de me couper le souffle, même après que nous ayons passé une demi-année ensemble.

Ses cheveux d’un blanc éclatant se balançaient au gré de la brise d’automne. Il n’y avait rien que j’aimais plus que de toucher ses cheveux soyeux et doux chaque fois que nous allions dormir ensemble.

Les passants la regardaient comme s’ils avaient vu une fée, ce qui n’était pas si loin de la vérité. Elle avait une peau impeccable, des yeux d’améthyste et une voix réconfortante qui enchantait ceux qui l’écoutaient.

Pourtant, elle m’avait donné de l’amour et de l’affection pendant tout ce temps, et il était impossible qu’un simple employé de bureau comme moi puisse résister à ses charmes. J’étais fou de joie et mon regard suivait Marie en permanence.

C’était dimanche, et Marie avait choisi de porter un tricot brillant sur une chemise à col et une jupe couleur chocolat. Je ne savais pas si elle aimait les couleurs naturelles par préférence personnelle ou si c’était quelque chose que les elfes aimaient… Peut-être que c’était les deux.

Nous pouvions entendre le ruissellement de la rivière tandis que nous marchions le long du sentier qui longe la rivière. L’air y était plus froid, ce qui expliquait peut-être pourquoi Marie s’était enroulée autour de moi.

« On a l’impression qu’il fait plus froid cette année. La température baisse rapidement depuis la fin de l’été », avais-je constaté.

« C’est ma première année au Japon, alors je ne sais pas. Je suis sûre que nous dirons la même chose l’année prochaine », répondit Marie.

J’avais été ravi de l’entendre dire clairement qu’elle serait toujours à mes côtés l’année prochaine. Je voulais qu’elle soit avec moi pour toujours, mais j’avais le sentiment qu’elle réaliserait mon souhait sans que je le dise à voix haute.

Quoi qu’il en soit, il faisait chaud. La sensation de froid et de mélancolie de tout à l’heure avait complètement disparu à force de se promener si près l’un de l’autre.

« Il s’est passé beaucoup de choses cet été, n’est-ce pas ? » demanda Marie. « On peut se sentir un peu seul maintenant que les choses se calment. »

« L’été finit toujours par être mouvementé. C’était aussi la première fois que j’allais à la piscine depuis longtemps. À bien y penser, les choses ont été plutôt mouvementées depuis que tu es arrivé ici », avais-je répondu.

Marie m’avait regardé sous le bord de son chapeau comme pour me demander ce que je voulais dire par là. Il y avait une étincelle de joie dans ses yeux, et je sentais qu’elle pensait la même chose. Les six derniers mois avaient dû être les plus animés de sa longue vie elfique, rendant son quotidien encore plus agréable.

L’un de ces changements était le fait que nous sortions officiellement ensemble. En tant que personne timide, il m’avait fallu beaucoup de courage pour lui demander d’être ma petite amie. Heureusement, elle avait accepté et nous avions été plus intimes que jamais.

En repensant au temps que nous avions passé ensemble, les yeux de Marie avaient dérivé de moi vers le ciel d’automne. La couleur commençait à s’estomper et le ciel semblait plus froid à l’approche du soir.

« Dirais-tu qu’il y a une certaine tristesse à l’automne au Japon ? La guilde des sorciers de l’autre monde s’empresse de ramasser du bois de chauffage en ce moment même. Une fois que ce sera fait, ils devront faire des réserves de nourriture, alors ils n’ont pas le temps de se laisser aller à la nostalgie », dit Marie.

« Je n’en suis pas sûr », m’étais-je dit. « Ici, on dit que l’automne est synonyme de sport, de nourriture, de lecture et de sommeil… Mais je crois que j’aime bien dormir, quelle que soit la période de l’année. Je ne suis plus aussi occupé depuis que je suis adulte, et je pense que c’est une saison assez confortable en général. »

Lorsque je grandissais à Aomori, cette période de l’année était celle de la récolte des pommes. Je travaillais généralement à temps partiel en transportant des montagnes de pommes lourdes. Je devais travailler du matin au soir sans me reposer, même s’il pleuvait ou qu’il y avait du vent, et c’était donc un travail assez difficile.

« Les habitants d’Aomori sont très sérieux lorsqu’il s’agit de s’occuper des fruits », avais-je expliqué. « Par exemple, les pommes ne deviennent rouges que si elles absorbent la lumière du soleil, alors ils les tournent toutes face au soleil. Ils placent également des coussins sous les pommes pour qu’elles ne s’abîment pas, et ils affinent les sacs pour couvrir les pommes encore et encore… Hm ? C’est quoi ce regard ? »

« Je suis tout simplement abasourdie par l’artisanat japonais. Je comprends enfin pourquoi la différence entre les fruits d’ici et ceux de l’autre monde est comme le jour et la nuit », déclaré Marie.

Son raisonnement était logique, car dans l’autre monde, la culture se faisait principalement en laissant les fruits tranquilles. Il s’agissait essentiellement d’une différence dans la quantité d’amour et d’efforts consacrés à ces fruits. Je me souvenais m’être plaint de la difficulté du travail à l’époque et de ne pas avoir voulu manger de pommes pendant un certain temps après avoir été entouré de leur doux parfum pendant si longtemps.

« Étrangement, j’ai envie de pommes quand l’automne arrive ces jours-ci », avais-je dit.

« Aomori me manque, » dit Marie. « Des champs et des vergers à perte de vue, et un magnifique château à quelques encablures en voiture. Les nuits y étaient aussi si calmes et si agréables. »

« Aomori serait mieux que la ville pour s’imprégner de l’automne. Oh, et il reste encore un peu de temps avant l’hiver, mais se baigner dans des sources d’eau chaude avec vue sur la neige, le ski et le réveillon du Nouvel An sera également très amusant. Il y a aussi la tradition de visiter les sanctuaires au début de la nouvelle année… En y réfléchissant, je pense qu’il se passe toujours quelque chose au Japon », avais-je dit.

Tout comme l’automne, l’hiver pouvait être une période solitaire de l’année, mais il y avait beaucoup d’événements amusants pendant cette période. Marie avait les yeux qui pétillaient, comme si elle était impatiente de les vivre. C’était peut-être parce qu’elle avait grandi dans une forêt, mais Marie aimait les choses à la mode, ce qui lui permettait d’apprécier d’autant plus son séjour au Japon. Et grâce à elle, je redécouvrais chaque jour les bons côtés du Japon.

« Nous, les elfes, sommes comme ça. Nos oreilles se dressent quand nous entendons quelque chose d’amusant, et nous ne pouvons pas nous empêcher de nous demander ce qui se passe. C’est pourquoi il y a tant d’elfes comme moi qui quittent la forêt alors que nous ne sommes pas censés le faire. »

« Et si je disais à une certaine elfe qui aime les festivités qu’elle devrait attendre l’hiver à Aomori ? » avais-je demandé.

***

Partie 2

Après un moment de pause, Marie avait enfoui son visage contre ma poitrine. Je pouvais sentir sa chaleur lorsqu’elle hochait la tête dans cette position. Cela me chatouillait, mais me faisait oublier la mélancolie de l’automne.

Lorsqu’elle releva la tête, son visage était encore plus joyeux qu’auparavant.

« Héhé, cela me rend si heureuse. Tu te souviens quand ton grand-père nous envoyait des pommes ? Ce parfum aigre-doux m’a toujours fascinée. J’ai hâte de découvrir à quoi ressemble la fin de l’année au Japon », dit-elle.

« Alors nous devrions y aller », avais-je répondu. « Il nous a donné de l’argent pour les frais de voyage et il avait toujours voulu que je le voie à la fin de l’année. Maintenant, nous pouvons faire une vraie visite à la maison. »

En tant qu’employé de bureau, j’avais toujours été très occupé à la fin et au début de l’année, il m’était donc très difficile de rentrer chez moi. Je préférais me reposer, même si je me sentais coupable de refuser des visites. Mais l’idée de passer les fêtes de fin d’année avec ma petite amie à la campagne me semblait très amusante. J’étais sûr qu’elle adorerait passer du temps dans un kotatsu, manger du mochi et visiter des sanctuaires au début de la nouvelle année. Je l’imaginais très bien s’émerveiller, les yeux écarquillés, de voir de la neige assez épaisse pour s’y enfouir.

Soudain, quelque chose attira l’attention de Marie. Elle s’éloigna rapidement de moi, puis regarda l’ombre d’un arbre au loin. Un jeune chat familier au pelage tigré apparut, poussa un grand bâillement et s’approcha de nous.

« Oh, te prépares-tu aussi pour l’hiver ? » demanda Marie. « Regarde-toi, toute ronde et toute pelucheuse. Viens ici et laisse-moi te toucher, petite boule de poils. »

Le chat s’était retourné et avait levé ses pattes avant comme pour dire : « Non, ne fais pas ça ! » Mais il semblait apprécier l’attention. Il plissa les yeux et poussa un miaulement, ce qui fit sourire Marie.

Les chats et les chiens devenaient plus bouffis en hiver lorsqu’ils avaient de nouveaux poils. C’est peut-être pour cette raison que la bouche du chat s’était ouverte de plaisir en laissant Marie le gratter à sa guise.

« Regarde toute cette fourrure qui s’est détachée », fit remarquer Marie.

« Sa fourrure s’allonge pour lui permettre de se réchauffer pendant l’hiver. Il a aussi l’air plus gros. Les animaux grandissent vite », avais-je répondu.

Le chat s’était vautré sur le sol pendant que Marie lui touchait le corps. Il n’avait pas l’air gêné quand elle lui touchait les pattes et miaulait même pour en avoir plus. Il semblait avoir encore grossi depuis notre dernière rencontre au printemps, mais il aimait toujours autant recevoir de l’attention et semblait adorer qu’on lui enlève ses poils.

« Il est encore un peu tôt, mais pourquoi ne pas t’acheter des vêtements le week-end prochain ? Ce serait bien d’avoir des choses que tu peux enfiler pour plus de chaleur, comme des écharpes », avais-je suggéré.

« Mais nous sommes allés faire du shopping récemment. Tu devrais arrêter d’être aussi protecteur. Je suis bien plus âgée que toi, petit Kazuhiho », répondit Marie.

Elle m’avait écrasé le nez avec un doigt, et j’avais trouvé le geste adorable. Ça m’avait chatouillé, mais je n’avais pas pu m’empêcher de sourire.

« Il fera encore chaud dans la journée, mais il fera plus froid dans l’après-midi. Et il va continuer à faire froid. Je pense que ce serait une bonne idée de se préparer avec des vêtements chauds, Madame Marie », avais-je répliqué.

« Oh, eh bien… Je suppose que tu as raison. Au fait, j’aime bien quand tu m’appelles comme ça. Peux-tu le refaire ? »

L’elfe et le chat me regardèrent avec impatience. Je n’avais aucune idée que cela lui ferait plaisir, mais elle m’avait redemandé de le dire, et je n’avais pas pu refuser.

« Euh… Madame Marie, comment fais-tu pour être toujours aussi mature ? » avais-je demandé.

« Héhé, voilà le truc. Tu ne le comprends peut-être pas, mais quand tu arrives à mon niveau, la maturité suinte de toi sans aucun effort de ta part. Il suffit de me regarder pour savoir que je suis une femme calme et posée, n’est-ce pas ? » dit-elle en faisant bouger les pattes du chat dans un geste mignon. « Si tu veux avoir l’air mature comme moi, la première chose à faire est de ne pas faire la fine bouche. Comme les poivrons verts, par exemple. Ils sont peut-être amers, mais tu dois les supporter. Tu dois aussi manger tous tes légumes. »

« Mais tu as toujours du mal à les manger », avais-je fait remarquer.

« Tais-toi, Kazuhiho. Tu dois écouter tes aînés, d’accord ? À partir d’aujourd’hui, tu pourras manger ma part pour moi. Tu seras alors aussi mature que moi », dit-elle.

J’avais fait un « x » avec mes doigts pour refuser cette idée, et elle avait froncé les sourcils. Je ne pouvais pas la laisser faire la fine bouche après tout.

Cela m’avait donné une idée pour le dîner de ce soir. Je ne pouvais pas rester sans rien faire alors qu’il y avait des choses qu’elle n’aimait pas manger. Je n’imposerais à personne de manger du poisson cru, car certaines personnes ne pouvaient pas le supporter, mais les légumes et certains aliments comme les poivrons verts font partie intégrante d’une alimentation saine. Si elle vivait avec moi, je devais m’assurer qu’elle mangeait bien.

J’avais donc commencé mes préparatifs dès notre retour à la maison. J’avais coupé un poivron vert en deux, tandis que mon assistante, Marie, faisait la moue à mes côtés. Elle n’était manifestement pas contente, mais le menu de ce soir était déjà fixé. Elle ne pouvait pas s’échapper, mais la chatte noire gardait ses distances et laissait échapper un énorme bâillement en se pelotonnant sur le lit.

Le chat était en fait le familier de l’Arkdragon et lui servait d’yeux et d’oreilles dans ce monde… mais surtout de langue. Il semblait que le chat ne s’intéressait pas non plus aux poivrons et dormait avec une vue sur le soleil couchant à travers la fenêtre.

« Ne fais pas cette tête, Marie. Je vais te faciliter la tâche pour manger », dis-je.

« Bien sûr, je n’aime pas les poivrons… On pourrait même dire que je les déteste. Tu n’étais pas obligé de me les faire manger en entier comme ça ! » se plaignit-elle.

Elle semblait sur le point de pleurer, mais je les avais coupés en deux et je ne lui donnais pas le poivron entier. De plus, il s’agissait d’un plat populaire, je ne faisais pas cela juste pour être méchant.

Marie avait enlevé son bonnet lorsque nous étions rentrés de notre promenade. Ses longues oreilles tombantes étaient une caractéristique des elfes, et elle les avait cachées pendant son séjour au Japon. Cette elfe détestait les poivrons et je voulais m’assurer qu’elle surmonte son dédain pour ces petits fruits verts.

J’avais enlevé les graines des poivrons coupés en tranches, je les avais alignés et je les avais saupoudrés de farine. J’avais ensuite ajouté des oignons finement hachés, des miettes de panko, du lait et de l’ail haché au bol de bœuf haché que nous avions préparé. Les yeux violets de Marie s’étaient illuminés lorsqu’elle avait vu la viande qui ressemblait à un steak haché.

« Je me fais peut-être des idées, mais ça commence à être bon. Au fait, la sauce est-elle bonne ? »

« Oh, oui, ça a l’air bon. Tu es vraiment douée pour assaisonner les plats, Marie », avais-je répondu.

Le bol qu’elle tenait contenait un mélange de sauce soja, de mirin et de ketchup. Une fois le plat cuit, nous le faisions mijoter un peu et l’utilisions comme sauce. Après tout, la sauce soja se marie parfaitement avec les poivrons et le riz blanc. Marie regarda avec étonnement la viande que j’avais préparée et dont j’avais farci les poivrons coupés en deux. Ses sourcils étaient froncés par la confusion. Pourtant, elle avait tendu les mains et avait écrasé la viande dans les moitiés de poivrons, comme demandé.

« Est-ce que c’est vraiment en train de se passer… ? », murmure-t-elle. « Cette viande appétissante est en train de fusionner avec quelque chose que je méprise. Le plus incroyable, c’est que je t’aide à le faire. »

« Vraiment ? J’espère que cela t’aidera à surmonter ta haine des poivrons », avais-je répondu.

Elle m’avait jeté un regard noir comme pour dire « C’est impossible », et je l’avais repoussé d’un hochement de tête. Voir, c’est croire, et il n’y aurait pas moyen de la convaincre tant que nous n’aurions pas terminé le plat.

Mon esprit s’égarait tandis que nous poursuivions la tâche subtile consistant à farcir des poivrons avec de la viande. Il semblerait que ce soit aussi le cas de Marie, qui ouvrit la bouche pour parler.

« Alors, que penses-tu qu’il va se passer avec la guerre qui s’annonce ? »

« Hmm… Je ne suis pas sûr », avais-je répondu. « Il n’y a pas encore eu de grandes batailles, donc nous n’avons pas une idée de la force de chaque camp. Si la guerre se déroulait dans ce monde, nous en saurions au moins un peu grâce aux images diffusées à la télévision. »

Mais dans les journaux télévisés, il fallait composer avec les réglementations et les préjugés. Par exemple, il y avait toutes sortes de règles, comme l’interdiction de montrer un tireur et la personne qui se fait tirer dessus dans le même cadre.

En ce qui concerne la partialité, il est difficile de la déceler à moins d’être bien informé sur l’état des choses avant et après le début de la guerre. Mais à condition d’être au courant de ces détails, il était possible de recueillir un certain nombre d’informations à partir de la télévision. Lorsque j’avais expliqué cela, Marie s’était tournée vers le lit et avait demandé : « Wridra, pourrais-tu nous montrer des images de la guerre comme le journal télévisé ? »

Le chat noir s’était assoupi, mais il releva la tête à cette question soudaine. Il réfléchit ensuite en balançant la tête de gauche à droite, puis il miaula. Nous avions passé tellement de temps ensemble que je pouvais à peu près comprendre ce que le chat disait d’après le ton de sa voix. Ce miaulement signifiait probablement qu’il était possible de trouver une solution.

« C’est bien approprié pour un Arkdragon », dis-je. « En y pensant, la magie de visualisation que Wridra t’enseignait s’est perdue dans le temps, non ? Je me demande si elle va l’utiliser avec le familier. »

« Peut-être… Il y a des inconvénients à utiliser un familier, donc je n’en ai pas. De plus, je n’aime pas l’idée de devoir m’occuper d’un animal de compagnie. Oh, mais je ne te considère pas comme un animal de compagnie, Wridra », dit Marie.

***

Partie 3

Le familier n’était vraiment pas un chat ordinaire. Il ne déféquait même pas. La queue du chat s’agita et frappa l’édredon comme pour dire : « Bien sûr que non. »

Je m’étais rendu compte que Marie jouait beaucoup avec les chats, mais qu’elle n’avait jamais dit qu’elle en voulait un comme animal de compagnie. De toute façon, je n’aurais pas accepté, car je ne serais pas capable de m’occuper d’un animal de compagnie dans mon sommeil. Curieux, j’avais demandé à Marie pourquoi elle ne voulait pas d’animal, et elle m’avait regardé dans les yeux avant de répondre.

« Les elfes pensent que l’idée de posséder des animaux de compagnie est contraire à la nature. Je pense que si un oiseau s’échappait d’une cage, il ne saurait même pas comment trouver de la nourriture. Je ne peux pas avoir d’animaux de compagnie, car je les plaindrais en sachant qu’ils ne pourraient pas vivre sans leur maître. »

Cela me paraissait logique, car c’était la responsabilité d’un propriétaire de prendre soin de son animal, même si un sort cruel attendait les animaux abandonnés. Quand je repense à l’époque où je vivais dans le village elfique, je me rendis compte qu’ils n’élevaient même pas de bétail. Il semblerait qu’ils étaient conscients de la nécessité de prendre soin des animaux parce qu’ils vivaient si près d’eux.

« Si tu le dis comme ça, je comprends. As-tu vérifié ce chat si souvent parce que tu es inquiète ? » avais-je demandé.

« Non, je trouve juste ce chat adorable. Tu as vu comme cette boule de poils sourit quand tu la caresses ? Et comment ne pas aimer ces grands yeux ronds ? »

« Ah, » dis-je, me sentant déçu. J’avais cru qu’elle s’inquiétait pour le chat par bonté d’âme.

Il me semblait qu’elle créait ses propres limites, tout comme elle avait des règles personnelles à respecter à la maison. Elle ne laissait jamais de vêtements jetés par terre, Marie veillait toujours à ce que ses chaussures soient bien rangées et bien entretenues — des petites choses comme ça. Pourtant, elle n’avait jamais essayé de m’imposer ces règles, et je m’étais dit qu’elle n’imposait pas aux autres son point de vue sur la possession d’animaux de compagnie, car il s’agissait plutôt d’un choix de vie personnelle.

Le visage de Marie se détendit en un sourire, probablement parce qu’elle pensait au chat avec lequel elle avait joué plus tôt. Ses yeux s’ouvrirent alors comme si elle sortait d’un rêve.

« C’est vrai, nous parlions de la guerre. Juste pour confirmer, allons-nous rester en dehors de ça ? » demanda-t-elle.

« Je pense qu’il serait plus juste de dire que nous devons rester en dehors de tout cela. Nous ne sommes pas originaires des pays concernés, donc je ne pense pas que nous soyons autorisés à intervenir. C’est probablement la raison pour laquelle Aja le Grand a tant insisté pour que nous obtenions la citoyenneté d’Arilai », avais-je répondu.

Marie poussa un soupir de soulagement.

Après avoir passé tant de temps à Arilai et s’y être fait de nombreux amis, c’était devenu comme une seconde maison pour elle. Pourtant, elle était fermement opposée à toute participation à la guerre.

Sans parler de ce qui se passerait si l’Arkdragon finissait par entrer en guerre ? Je n’ose même pas imaginer les conséquences d’un tel événement. J’aimerais penser que cela n’arrivera jamais, mais l’avenir est plein d’inconnues. Pendant ce temps, le familier de l’Arkdragon en question s’assoupissait à nouveau, et je n’arrivais pas à lire son expression.

« Cela ne me dérangerait pas de rejoindre le raid du labyrinthe à la place », dit Marie. « J’ai l’impression qu’ils devraient se préoccuper davantage de la guerre. Pourquoi ne pas remettre le labyrinthe pour après la guerre ? »

« Je me suis posé la même question. Peut-être que le labyrinthe est lié à cette bataille d’une manière ou d’une autre. Quelque chose me dit que tous les événements qui ont précédé sont liés. »

Nous avions fini de farcir les poivrons, j’avais pris le plateau et je m’étais levé de table. Le cuiseur de riz avait émis un bip au même moment pour nous indiquer que le riz était prêt. Je m’étais alors dirigé vers la cuisinière pendant que Marie allait cuire le riz à la vapeur.

« Oui, en parlant de ces événements…, » dit Marie à côté de moi. « Nous avons capturé Zarish et réduit considérablement l’ampleur du raid dans le labyrinthe. Il y a aussi eu cette mission de rang S que nous avons fini par refuser, et Gaston a rejoint l’escouade. »

« N’oublie pas les restrictions frontalières », avais-je ajouté. « Je pense que c’est à cette époque que les discussions sur la guerre ont commencé à prendre de l’ampleur à Arilai. »

« Oh, c’est donc pour cela qu’ils ont réduit le nombre de soldats déployés ! Hmm, c’est logique… Ils ont reçu des informations de Zarish, puis ont commencé à se préparer à la guerre. Ils ont dû réduire l’effectif des raids pour pouvoir transférer ces troupes afin de soutenir l’effort de guerre. C’est pourquoi ils ont préparé cette mission de rang S et nous ont laissé le soin de mener le raid… C’est sûrement ça ! » dit Marie.

Au fur et à mesure que nous décomposions les choses, une question restait en suspens. Comme Marie l’avait mentionné plus tôt : pourquoi Arilai n’a-t-il pas annulé le raid dans le labyrinthe ?

La viande grésilla sur la poêle à frire, emplissant la pièce d’un arôme délicieux. La guerre n’était pas vraiment un sujet plaisant, mais notre objectif était de percer des secrets. Nous avions l’impression d’avoir les indices nécessaires pour résoudre cette énigme.

L’épaule de Marie heurta la mienne et elle s’en excusa rapidement. Ses yeux s’étaient ensuite posés sur la poêle à frire pleine de poivrons, elle grimaça, puis elle retourna à ce qu’elle faisait.

Elle savait déjà comment préparer une soupe miso et elle commença à couper du tofu et des oignons verts avec ses mains expérimentées. Le bruit d’un couteau de cuisine tapant de manière rythmique contre la planche à découper avait quelque chose de réconfortant. Tout en travaillant, elle se concentrait sur la résolution du mystère.

« Cela te dérange si je te dis ce que j’ai deviné ? » demanda-t-elle.

J’avais haussé les épaules et Marie avait commencé à parler tout en mettant les ingrédients dans la soupe miso.

« Je soupçonne que l’ancien labyrinthe est lié à la raison pour laquelle la guerre a éclaté. Il y a des rumeurs selon lesquelles les bandits que nous avons rencontrés venaient de Gedovar. Et si l’ancien labyrinthe était à l’origine de la guerre ? » déclara-t-elle.

« Tu sais, je pense que nous sommes sur la même longueur d’onde. Qu’y a-t-il donc dans le labyrinthe qui suscite tant de convoitises ? J’ai entendu dire qu’à Gedovar, il y a beaucoup de démons qui ont du sang de monstre dans les veines », répondis-je.

La viande semblait bien chauffée, j’avais donc retourné les poivrons farcis et j’avais mis un couvercle sur la poêle. Il ne restait plus qu’à attendre que la partie poivron soit chauffée, puis à la faire cuire à la vapeur.

« Nous devrions demander à Kartina ce qu’il y a dans les profondeurs du labyrinthe. C’est une démone qui a le sens du devoir. Même si elle ne nous le dit pas franchement, son visage sera comme un livre ouvert », suggéra Marie.

« Oui, faisons-le. Elle a dit qu’elle ne divulguerait rien, mais j’ai l’impression qu’elle va nous aider. » C’était juste une intuition, je peux me tromper.

Kartina était une survivante du groupe de bandits envoyé par Gedovar. Elle avait acquis un grand pouvoir en portant l’armure ancienne connue sous le nom d’Armes du Démon, mais l’équipe de raids d’Arilai avait fini par la vaincre. Pourtant, elle vivait au deuxième étage depuis que Shirley l’avait sauvée. Elle avait dit qu’elle ne trahirait pas son pays d’origine, mais elle avait une bonne opinion de Shirley et de Wridra. D’après ce que j’avais pu voir, je doute qu’elle fasse quoi que ce soit pour nous faire du mal.

Une fois les poivrons bien chauds, je les avais placés dans une grande assiette. Enfin, j’avais fait mijoter la sauce que Marie avait préparée plus tôt et j’en avais badigeonné les poivrons farcis. J’espérais que cela aiderait Marie à surmonter sa haine des poivrons.

Une odeur appétissante dominait maintenant la pièce, et le chat noir était déjà assis à la table, dans l’expectative. J’avais posé l’assiette contenant une montagne de poivrons verts farcis sur la table, côté viande vers le haut, et le chat avait miaulé comme pour dire : « Je veux déjà manger ! »

« On dirait que Wridra n’a rien contre les poivrons », avais-je noté.

« Qui aimerait quelque chose d’aussi amer ? » objecta Marie. « Elle est juste prévenante puisque tu as fait l’effort de cuisiner. N’est-ce pas ? »

Le chat hocha la tête, puis me donna un coup de patte comme pour me dire : « Dépêche-toi pour que je puisse manger. »

L’ancien labyrinthe était encore plein de mystères, mais j’allais bientôt savoir si Marie allait surmonter son aversion pour les poivrons.

Alors que nous nous saluions avant le repas, Marie m’avait jeté un regard quelque peu réprobateur. Elle semblait vouloir se plaindre d’avoir fait des poivrons le plat principal, mais je n’avais rien dit pour l’instant.

Le poivron farci est un plat intéressant, car les ingrédients s’équilibrent mutuellement. Il combinait la texture moelleuse de la viande hachée avec la texture satisfaisante des poivrons, qui devenaient aqueux et amers lorsqu’ils étaient cuits. En les combinant, on obtenait une viande juteuse à la consistance agréable et ferme lorsqu’on la mordait. Les poivrons étant épais et charnus, ils devenaient encore plus succulents en absorbant le jus de la viande. Marie mordit dans la viande avec un croquant satisfaisant, et ses yeux s’écarquillèrent devant la profondeur de la saveur rehaussée par la pointe d’amertume du poivron.

Elle souriait, réalisant que le goût n’était pas du tout celui qu’elle avait imaginé. Elle cacha sa bouche avec ses doigts et ses jolis yeux avaient rencontré les miens.

« C’est tellement bon ! La texture, le jus… et la sauce soja la complète si bien. Oh, le riz serait un accord parfait avec ce plat ! »

Les baguettes de Marie s’entrechoquèrent contre son bol tandis qu’elle enfourna le riz dans sa bouche. La sauce, qui contenait de la sauce soja et du ketchup, se mariait à merveille avec le riz. Ses yeux s’illuminèrent de joie lorsque la saveur alléchante des poivrons farcis, la douceur du riz et la sauce se mélangèrent en parfaite harmonie.

« Mm-mmm ! » Elle avait gémi, puis m’avait jeté un coup d’œil plein d’espoir.

J’avais instinctivement pensé… non, je savais ce qu’elle voulait. J’avais pris une canette de bière dans le frigo et Marie avait hoché la tête à plusieurs reprises. Elle avait serré un verre dans sa main comme pour dire : « Vite, verse-moi un verre s’il te plaît ! Je ne peux pas te remercier maintenant parce que je suis occupée à mâcher, mais j’ai besoin d’un verre ! »

***

Partie 4

Elle avala sa bouchée de nourriture, puis ce fut le tour de la bière glacée. Elle souleva son verre de liquide doré, l’avala goulûment et poussa un soupir de satisfaction.

« J’adore ça ! Quel mariage parfait ! Tu sais, je crois que j’aime un peu les poivrons maintenant. Je n’aime pas que tout se soit déroulé comme tu l’avais prévu, mais je te pardonne puisque c’est si délicieux. »

Marie prit un autre morceau de poivron vert farci et l’observa sous un nouvel angle. Elle ouvrit ensuite sa jolie petite bouche et prit une bouchée.

Le chat semblait également satisfait du plat et était occupé à grignoter pendant tout ce temps. Il mangeait dans la petite assiette, l’air plutôt satisfait. Mais je ne l’avais laissé manger que parce qu’il était un familier et que les propriétaires de chats ne devraient pas donner ce plat à leurs animaux.

 

 

« On dirait que tu ne détestes plus les poivrons », avais-je noté.

« Ce n’est pas vrai », objecta Marie. « J’aime les poivrons farcis. On peut même dire que je les adore. Mais s’ils ne sont pas farcis à la viande, c’est une autre histoire. »

Ah…

À bien y penser, elle ne s’était jamais plainte des morceaux de poivrons finement hachés que j’avais mis dans le riz frit. En fait, elle avait dit qu’elle aimait la texture. Je m’étais rendu compte qu’il n’était pas facile de se débarrasser d’un goût que l’on n’aime pas. Je m’étais senti comme un parent lorsque j’avais réfléchi à la manière d’élargir son répertoire de plats qu’elle aimait.

Après avoir pris mon bain, j’étais sorti et j’avais trouvé Marie en train de lire tranquillement un livre.

Elle s’était assise sur une chaise en pyjama, la télévision étant éteinte pour éviter toute distraction. Voyant qu’elle voulait se concentrer, j’avais changé de direction et m’étais dirigé vers le réfrigérateur.

Je m’étais arrêté un instant, puis j’avais décidé de faire du café au lait. J’avais donc pris la tasse préférée de Marie, la plus mignonne avec l’image d’un chien tirant la langue.

J’avais versé une tasse de café au lait fumant, puis je m’étais assis à côté de Marie. Elle remarqua l’odeur, leva les yeux et me prit au dépourvu en m’embrassant sur la joue. Le plus surprenant, c’est qu’il m’avait fallu une dizaine de secondes pour réaliser qu’elle l’avait fait, car cela nous était devenu si naturel. Marie s’était rapprochée de moi lorsque j’avais touché ma joue.

« J’ai lu le livre que tu m’as recommandé, et c’est mon passage préféré. La fille a toujours voulu vivre en paix après un long tourment, mais elle a subitement sorti les crocs quand sa colère a enfin été provoquée. C’est tellement excitant ! »

« Oui, c’est à ce moment-là que les sentiments qu’elle ressentait à l’intérieur d’elle-même ont enfin pris forme. Je pense que tu ne pourras pas t’arrêter de lire à partir de là », avais-je répondu.

L’histoire était comme une montagne russe qui s’accélérait vers la fin. Les personnalités des personnages, l’environnement dans lequel ils étaient placés et les conflits qui planaient sur leur monde comme de sombres nuages avaient été soigneusement illustrés au fil de longues pages.

L’association de la reine et du diable donnait à ce livre un côté fantastique, ce qui était tout à fait dans les cordes de Marie. Mais il s’agissait d’un monde où des désirs profonds et sombres étaient mis à nu, de sorte que l’âge recommandé pour les lecteurs était plutôt élevé. À certains moments, tout semblait désespéré, mais le protagoniste finissait par trouver une solution qui touchait le cœur du problème comme un couteau tranchant. Ils avaient frappé à plusieurs reprises, chassant les nuages sombres… ou du moins, c’est ce qu’il semblerait, jusqu’à ce que le plus grand défi soit finalement révélé.

Des développements aussi palpitants étaient totalement étrangers à Marie. Elle regardait les pages avec ferveur, la sueur se formant dans ses paumes tandis qu’elle tournait soigneusement les pages l’une après l’autre. J’avais pris un livre à mon tour et j’avais lentement pénétré dans un monde qui m’était propre.

La pièce était silencieuse, à l’exception du bruit des pages que l’on tournait, des gorgées que l’on buvait dans les tasses et des bâillements du chat. Une monotonie sereine régnait dans l’air, mais l’esprit de Marie bouillonnait comme une marmite en ébullition. Il semblerait qu’elle soit enfin arrivée au moment où le protagoniste résolvait le conflit, et elle poussa un soupir rêveur.

« Ah… C’était incroyable. Je veux lui ressembler », déclara-t-elle.

« Oui, cela fait longtemps que j’attends la sortie d’un nouveau volume », avais-je répondu.

« Quoi ! » Marie s’exclama, choquée, puis elle pinça ses lèvres en signe de mécontentement. Elle semblait être prise par la ferveur du protagoniste et voulait savoir ce qui allait se passer ensuite. « Ce n’est pas juste. Elle a fait tout ça et on ne nous montre même pas ce qui se passe après. Je ne vais pas pouvoir m’arrêter d’y penser. »

« C’est peut-être mieux ainsi. Les bonnes histoires comme celles-ci ne sont pas toujours suivies d’une suite. Je pense toujours à des choses comme ce qui se passe après ou si un certain personnage finit avec la personne qu’il aimait. Laisser libre cours à son imagination est une façon de s’amuser, mais on ne peut s’empêcher de se demander ce qui se passe vraiment », avais-je répondu.

Marie avait gloussé en signe d’approbation. C’était agréable d’avoir quelqu’un qui partageait mes loisirs et comprenait ce que je ressentais. Après avoir affiché un sourire satisfait, Marie m’avait pris la main et avait murmuré : « Allons nous coucher maintenant. »

Je n’avais pas réalisé à quel point il était déjà tard. Pour la plupart des gens, c’était encore tôt, mais nous avions largement dépassé l’heure du coucher parce que…

À ce moment-là, je m’étais souvenu d’une chose importante.

« Aujourd’hui, c’est censé être la préouverture du deuxième étage, n’est-ce pas ? » avais-je demandé.

« Tu as raison ! Je suis désolée, Wridra. C’est sûrement pour cela que tu miaulais tant tout à l’heure ! Je pensais que tu avais simplement faim », déclara Marie.

En y repensant, j’avais entendu beaucoup de miaulements pendant que nous lisions tout à l’heure.

Le chat se recroquevilla sur le lit et poussa un soupir. Il posa ensuite sa queue sur la couette à deux reprises, comme pour dire : « Dépêchez-vous, ça a déjà commencé. »

Comme le laissait entendre le familier, Marie et moi avions la possibilité de voyager entre le Japon et le monde des rêves lorsque nous dormions. L’heure de la journée entre les deux mondes était directement opposée, de sorte que 22 heures correspondaient à 10 heures du matin dans l’autre monde, même si cela variait selon les régions. Le monde des rêves était complètement différent de celui-ci, car les épées et la magie y étaient monnaie courante. Mais nous nous amusions, quel que soit le monde dans lequel nous nous trouvions.

Le soi-disant monde des rêves n’était pas un simple rêve, mais un endroit complètement différent. En fait, Marie était à l’origine une habitante de ce monde imaginaire, il serait donc plus juste de dire que je l’avais invitée ici.

J’avais soulevé la couette et m’étais glissé sous les draps soyeux. Marie attendait déjà là, et elle avait levé la tête pour que je puisse passer mon bras sous elle. Et comme ça, mon bras s’était transformé en son oreiller.

Il régnait dans la pièce une atmosphère douillette et automnale, bien qu’elle ne soit éclairée que par la lumière du jour. Marie s’était déplacée pour ajuster la position de sa tête pendant qu’elle me parlait.

« Voilà pourquoi on dit que l’automne est la saison de la lecture. Je l’aime bien. J’ai l’impression de lire dans une bibliothèque sereine, et les mots coulent des pages jusque dans ma tête. »

« Qu’est-ce qu’on fait ce soir ? » demandai-je. « Devrions-nous laisser tomber les livres d’images pour l’instant ? »

Marie avait enroulé ses lèvres en un sourire, puis avait chuchoté à mon oreille comme si elle avait un secret à me confier. J’avais senti mon oreille se faire chatouiller en écoutant son adorable demande.

« Alors je suppose qu’il faut que l’équipe Diamant se distraie un peu », avais-je dit.

« Oui, je suis sûre qu’ils s’amusent suffisamment sans nous, et ce serait un gâchis de ne pas profiter de la saison de la lecture. Voyons voir… Celui-ci est le prochain. »

Marie s’était approchée et avait pris un nouveau livre d’images que nous avions emprunté à la bibliothèque.

Pour une raison ou une autre, elle m’avait souvent attaqué en douce ces derniers temps. Alors que je me concentrais pour attraper le livre, je sentis quelque chose de mou se presser contre moi. Une odeur florale avait envahi mes sens et, tandis que mes yeux s’écarquillaient de surprise, Marie avait tiré la langue dans un geste mignon et stupide. On aurait dit qu’elle était heureuse que son petit jeu ait fonctionné.

La fille elfe qui était venue chez moi était toujours pleine de surprises. Elle s’était recouchée sur mon bras et je n’avais pas pu dire non lorsqu’elle m’avait incité à me dépêcher de lire le livre. Je ne me lassais pas de son doux parfum, et elle était incroyablement douce au toucher lorsqu’elle se rapprochait de moi. Je ne savais pas combien de temps je pourrais me concentrer sur la saison de la lecture dans cette situation, mais il semblait qu’elle avait au moins pris goût à l’automne.

Alors que je tournais les pages et commençais à lire le livre, le chat qui s’était blotti entre nous poussa un soupir de résignation. L’Arkdragon devait se plaindre de nous de l’autre côté.

§

Tout cela s’était passé il y a plusieurs jours.

Il existe un endroit connu sous le nom de manoir des roses noires, où s’était déroulée une nuit tout droit sortie d’un film d’horreur. Il abritait un groupe de combattants d’élite connu sous le nom d’équipe Diamant.

Les membres de l’équipe étaient toutes de belles femmes aux yeux distinctement colorés comme des pierres précieuses que Zarish, le candidat héros, avait recrutées. Un spectacle inhabituel se déroulait entre elles : le maître du groupe, Puseri, et l’elfe noire Eve étaient assis par terre, les jambes repliées sous elles, l’air mal à l’aise.

Autour d’elles, les femmes autrefois appelées « la collection ». Elles avaient depuis été libérées de leur vie de servitude et avaient retrouvé leur véritable personnalité. Pourtant, elles se tenaient désormais toutes debout, dans une attitude large qui manquait quelque peu de raffinement.

Cela faisait peu de temps que l’équipe Diamant s’était reformée, et ils n’accordaient pas beaucoup d’importance à la hiérarchie structurelle. Ils étaient donc en train de dénoncer les soupçons qui pesaient sur leur maître. Puseri et Eve avaient passé la nuit quelque part sans prévenir le reste de l’équipe, à en juger par leur attitude joyeuse à leur retour. Cette absence avait provoqué chez les autres un torrent de suspicion, de doute et de jalousie. Devenue la cible de ces émotions, Puseri leva la tête pour parler, ses cheveux crépusculaires se balançant sous l’effet du mouvement.

« Il semble que vous ayez toutes mal compris ce qui s’est passé. Vous voyez, nous avons reçu une mission importante pour tuer un monstre… »

Une main se leva, lui coupant la route. Elle appartenait à la plus grande du groupe, une barbare à la force herculéenne. Son corps était composé de muscles épais, et elle ne portait qu’un tissu à motif de vache qui couvrait les parties importantes. Sa taille minuscule contrastait avec sa musculature et ses cuisses étaient bien plus grosses que celles des autres personnes présentes. Le tissu qui recouvrait sa poitrine faisait saillir ses seins, et les autres se demandaient comment elle pouvait avoir un tel charme féminin malgré sa corpulence.

***

Partie 5

« Alors, comment expliquer ces légères lignes de bronzage ? On dirait que ce que vous portiez couvrait peu de votre peau alors que vous étiez au soleil. Ne me dites pas que vous vous promeniez dans le désert en sous-vêtements ? »

« Je ne l’ai certainement pas fait. C’est ce qu’on appelle un maillot de bain, et c’est une tenue parfaitement appropriée pour jouer à la plage-mgff ! » dit Puseri en se faisant couper la parole au milieu de sa phrase.

Eve, assise à côté d’elle, se couvrit la bouche en vitesse. Puseri avait réagi par réflexe à la remise en question de son sens de la mode, mais elle en avait trop dit. Les yeux bleus d’Eve s’écarquillèrent et elle regarda lentement les autres, mais il était trop tard. Maintenant que les mots « plage » et « jeu » étaient sortis, le chat était sorti du sac.

« Attends, tu viens de dire “plage” ? Comme le lieu proche de l’océan bleu et salé ? Vous n’êtes pas juste allés vous amuser, c’est tout un programme de vacances ! » s’exclama la femme barbare, puis une femme aux cheveux bleus et aux cornes enroulées s’approcha.

Cette femme s’appelait Isuka, une épéiste magique dont le sang démoniaque coulait dans les veines. Elle avait combattu en première ligne lors de la dernière bataille et gagnait progressivement en réputation au sein de l’alliance grâce à son calme et à sa maîtrise de l’épée.

« Alors, vous avez décidé de nous laisser ici et d’aller à la plage. Je ne vais pas me fâcher, alors dites-moi. Quelle sorte de nourriture avez-vous mangée ? Hm ? »

« Vraiment ? Tu ne te mettras pas en colère ? » demanda Eve à plusieurs reprises, et Isuka hocha la tête à chaque fois.

+++

Eve savait déjà qu’elles devaient s’excuser puisqu’il était vrai qu’elles étaient sorties jouer. Sottement, elle pensait que c’était une bonne occasion de s’expliquer sans se faire gronder.

« Il y a un plat qui s’appelle le curry, et c’est tellement délicieux que je ne l’oublierai jamais. C’est épicé, mais il y a aussi une pointe de douceur. Quand on le mange avec du riz… Heh heh, c’était tellement bon que j’en ai avalé trois bols. »

Comme promis, Isuka ne se mit pas en colère. Même lorsque Eve lui fit un signe de paix, elle se contenta de hocher la tête et de dire « Je vois ». Cependant, l’elfe noire pâlit lorsqu’elle vit les autres la regarder avec les sourcils froncés par la colère.

Lorsqu’il s’agissait de rancune, celle qui concernait la nourriture était souvent en tête de liste. En fait, c’était un fait connu dans certains pays. « Huh. » « Mm-hm. » « Vraiment ? » « Délicieux, n’est-ce pas ? » Les voix autour d’elle prononçaient ces phrases, pleines de ressentiment.

Puseri retira la main qui couvrait sa bouche et tenta désespérément de s’expliquer. L’expression de son visage montrait qu’elle ne pouvait pas rester assise sur un navire en train de couler sans rien faire.

« Je n’ai eu qu’un seul bol ! » s’exclama-t-elle. « Je me suis éloignée de la nourriture parce que je pensais à vous toutes ! »

« Quo… Puseri, comment peux-tu me jeter aux lions alors que nous avons nagé avec ce flotteur ensemble ? » se plaignit Eve. « Mentais-tu quand tu disais à quel point cette liqueur était bonne ? Et quand tout le monde te félicitait et t’appelait jolie-mmf ! »

Tout était terminé. Non seulement tous leurs secrets avaient été dévoilés les uns après les autres, mais elles les avaient avoués à tour de rôle, de leur propre chef. L’équipe Diamant était en train de risquer sa vie pour le raid du labyrinthe, alors la colère montait en eux face à cette nouvelle révélation. Puseri et Eve s’étreignirent sans réfléchir, la sueur coulant sur leurs visages.

C’est cette série d’événements qui conduisit à des vacances impromptues pour mettre tout le monde à l’aise.

Dans le même temps, le hall du deuxième étage était en cours d’achèvement. Lorsque Wridra apprit ce qui s’était passé, elle offrit le deuxième étage fraîchement rénové et déclara : « Ce serait l’occasion parfaite de mettre le confort de cet endroit à l’épreuve. » Venant de la part d’une beauté aux cheveux noirs non identifiée, on ne savait pas encore si c’était une bonne chose ou non.

Pourtant, les membres de l’équipe avaient piqué une crise en criant : « Je veux y aller, je veux y aller ! »

Elles avaient entendu des rumeurs selon lesquelles le deuxième étage avait été complètement réaménagé. Il était censé être incroyablement beau, et certains membres étaient sceptiques, tandis que d’autres attendaient la visite avec beaucoup d’espoir et de rêves.

C’est ainsi que la préouverture du deuxième étage commença.

§

Le vent hurlait tandis qu’un homme regardait le ciel.

Il n’y avait pas un seul nuage au-dessus de nos têtes et l’air était comme en feu. Une simple rafale était suffisamment chaude pour éliminer toute humidité et rendre les cheveux secs et cassants.

Ses cheveux, autrefois rouges comme des flammes, étaient décolorés et attachés derrière la tête. Bien que les années aient creusé de profondes rides sur son visage, sa présence imprégnait l’air comme une lame fraîchement dégainée.

Derrière lui, plusieurs panaches de fumée noire s’élevaient dans le ciel. Les villages qui s’y trouvaient avaient été brûlés avec de l’huile sale, ce qui signifiait que ces terres ne pourraient plus jamais être habitées. Il y avait déjà peu d’endroits où l’on pouvait vivre dans ce pays désertique, et où que l’homme conduise son armée démoniaque, ils finiraient par être noyés dans le sable.

C’était le but de cette guerre. Ils allaient faire en sorte que cette terre ne soit plus jamais habitée par des humains.

L’homme se pinça les lèvres et un cheval s’approcha de lui par-derrière. Étrangement, il n’y avait pas de cavalier sur son dos, et il traversait facilement les dunes dans une lourde armure qui semblait plus adaptée à un dragon. Le cheval ouvrit alors grand la bouche, et sa forme défigurée révéla qu’il s’agissait en fait d’une sorte de démon.

« Général Hyzoska Behemoth, nous avons reçu des informations selon lesquelles les cent deux membres de l’équipe d’abattage ont terminé leurs préparatifs. Nous avons également terminé nos préparatifs pour marcher sur la terre brûlante. »

Le grand homme qui écoutait le rapport restait immobile au soleil. Il enroula une bande de cuir noir sur une partie de son visage, prit une profonde inspiration et expira. Sentant une odeur familière d’il y a longtemps, il ouvrit enfin ses lèvres sèches.

« Le gardien d’antan est enfin parti. C’est ce qu’il souhaitait… mais il a péri avant que nous ayons pu exécuter notre attaque en tenaille. C’est vraiment dommage que cela se termine ainsi alors qu’il a vécu pendant mille ans. »

Le cheval baissa la tête, silencieux et immobile.

Le « gardien » dont il parlait faisait référence à un homme qui avait combattu les soldats d’Arilai dans l’ancien labyrinthe. Il savait pourquoi le gardien était tombé. Ils avaient mis trop de temps à préparer le début officiel de la guerre, retardant ainsi considérablement leur arrivée. L’ordre de restriction des frontières avait empêché la mise en œuvre de leur plan initial, qui consistait à déclarer la guerre. S’ils avaient donné l’assaut à ce moment-là, ils auraient pu entrer dans le pays, mais n’auraient pas pu en sortir. Cela aurait été une bataille où la retraite n’aurait pas été possible et où ils n’auraient pas pu se réapprovisionner en provisions.

Bien sûr, ils savaient déjà que la fermeture des frontières était une option possible. Cependant, ils ne s’attendaient pas à ce qu’Arilai prenne cette option, compte tenu de leur cupidité et de leur amour-propre démesuré. Après tout, restreindre les frontières avait un prix élevé. Hyzoska était donc impressionné par le fait que l’ennemi était prêt à le faire sans savoir avec certitude si cela en valait la peine.

« La bataille a officiellement commencé, et il est temps de reconquérir cette terre. Envoyez ce garçon dans l’ancien labyrinthe comme prévu. Mais avant qu’il n’arrive, il est temps pour l’équipe qui se cache parmi eux de passer à l’action. »

Il avait clairement confirmé qu’il n’y avait pas un mais plusieurs traîtres parmi les forces d’Arilai travaillant pour Gedovar.

Leur plan consistant à se coordonner avec le gardien et à attaquer Arilai de part et d’autre n’aboutirait pas, mais ils avaient bien d’autres stratégies en réserve.

Hyzoska ramassa l’outil magique, puis donna l’ordre de frapper l’ennemi dans ses rangs.

§

Pendant ce temps, une femme s’appuyait contre un mur et prenait une bouchée d’un fruit rouge dans le hall du deuxième étage du labyrinthe. Elle l’avait reçu d’un jeune garçon nommé Kazuhiho et avait supposé qu’il aurait un goût aussi absurde que le nom du garçon. Mais elle fut surprise par sa fraîcheur juteuse, sa texture et son arrière-goût pur.

Le fruit était censé s’appeler une pomme. Un nectar sucré s’écoulait à chaque bouchée, et son corps en redemandait lorsqu’elle avalait. Elle savait déjà qu’elle ne pourrait pas s’arrêter de manger dès l’instant où elle planterait ses dents dans la peau du fruit.

La femme aux taches de rousseur vêtue d’une armure blanche s’appelait Kartina. Ses cheveux, un mélange de brun et de noir, étaient négligemment coupés autour de ses épaules, mais ce look lui allait étrangement bien.

Elle avait déjà affronté les troupes d’Arilai dans un combat à mort au troisième étage et aurait dû périr avec l’armure connue sous le nom de Bras du Démon. Pourtant, elle s’était retrouvée ici, à se détendre dans le hall. Si elle avait tué de nombreux soldats lors de cette bataille, les choses auraient pu être différentes pour elle. Pourtant, Kartina devait admettre qu’elle se sentait frustrée d’être considérée comme une édentée.

Elle mâcha sa pomme avec un craquement audible. Étrangement, la rancœur qui l’habitait s’estompait au fur et à mesure qu’elle savourait la délicieuse douceur de la pomme.

« Eh bien, je me serais battu contre Miss Wridra et Lady Shirley. »

Elle ne le savait pas à l’époque, mais l’expérience lui avait appris qu’elle n’aurait pas fait le poids face à elles. Le paysage verdoyant qu’elle voyait par la fenêtre avait été créé par l’ancien maître du deuxième étage, Shirley. Elle avait fait circuler d’innombrables âmes de monstres, et la région était si belle à présent qu’il était difficile de croire qu’elle faisait partie du labyrinthe. De plus, le mystère de Wridra était impressionnant.

Lorsque Kartina l’avait défiée, Wridra l’avait réduite en bouillie à mains nues. Elle était scandalisée par le résultat, mais elle ne serait pas là aujourd’hui à manger une pomme si Wridra l’avait combattue sérieusement.

Le garçon qui lui avait donné la pomme était lui aussi une véritable plaie. Elle s’était vantée d’avoir l’avantage lorsqu’ils avaient commencé à se battre, mais elle s’était retrouvée acculée au fur et à mesure que le temps passait. Sa capacité d’analyse était une chose, mais il était devenu très polyvalent lorsqu’il s’était associé à cette elfe sorcière spirituelle.

En considérant la différence de niveau entre eux, Kartina était certaine de pouvoir le battre en un contre un, mais elle sentait que ce ne serait pas si simple. Elle n’arrivait pas à comprendre pourquoi, mais elle n’arrivait pas à imaginer un scénario où elle aurait été victorieuse.

***

Partie 6

Kartina croqua sa pomme aigre-douce en regardant l’escalier de pierre en colimaçon. L’escalier reliant le premier et le deuxième étage avait fini par être étonnamment haut avant qu’elle ne s’en rende compte. Il y avait également un chemin séparé qui menait à l’entrée du troisième étage, si bien que presque personne n’utilisait le chemin qu’elle empruntait.

Elle avait reçu les ordres de sa patrie de Gedovar, mais elle continuait à mâcher sa pomme comme si elle était complètement désintéressée.

« J’aurais dû en demander plus », se dit-elle. « Non, je ne devrais pas être trop gourmande. Je suis un chevalier, après tout… Ou plutôt, je l’ai été. »

Kartina aurait dû être retenue captive dans le labyrinthe souterrain pour l’éternité, mais elle avait été sauvée par cette femme au grand cœur. Elle avait été libérée de ces chaînes maudites et pouvait désormais vivre librement. Elle ne pouvait donc que rejeter l’ordre de trahir son sauveur qui lui avait été donné par son pays d’origine. Elle aurait peut-être obéi dans une certaine mesure si l’ordre avait été de divulguer des informations, mais elle aurait également ignoré une telle demande si on lui avait demandé des renseignements vitaux.

Alors qu’elle réfléchissait à ces pensées, elle entendit un bruit provenant de l’escalier en colimaçon. À en juger par les voix qui résonnaient, il s’agissait probablement de l’équipe Diamant qui avait annoncé sa visite à l’avance.

Le manoir étant situé à environ un kilomètre, Kartina avait proposé de guider les nouveaux visiteurs. Cependant, il s’agissait plus d’une mission pour un serviteur que d’une étape pour devenir un véritable chevalier.

Kartina jeta le trognon de pomme par la fenêtre et il s’envola en décrivant un arc de cercle. Elle s’était dit qu’il finirait par se décomposer dans la terre, puis se demanda si quelque chose allait pousser à partir des pépins. Mais elle se débarrassa de cette pensée et se redressa, comme un ancien chevalier se doit de le faire.

Finalement, les huit membres de l’équipe Diamant avaient jeté un coup d’œil par là.

« Salut, Kartina. Bon sang, tu portes toujours cette armure ? N’as-tu pas chaud ? » demanda Eve.

« Hm. Si vous voulez mon avis, je ne comprends pas comment vous pouvez vous promener dans ces sous-vêtements. Vous devriez apprendre à avoir honte. Vous n’avez pas oublié qu’il s’agit de l’ancien labyrinthe, n’est-ce pas ? » demanda Kartina.

« Je n’ai pas oublié », dit Eve, dubitative.

Le maître Puseri apparut derrière Eve, et Kartina inclina poliment la tête.

« Merci d’être venus, Mlle Puseri et les membres de l’équipe Diamant. Mon maître, Lady Shirley, et Miss Wridra vous souhaitent la bienvenue. S’il vous plaît, par ici. »

« Merci de nous recevoir. Mais il n’y a pas besoin de formalités avec moi. Nous attaquons tous ensemble l’ancien labyrinthe…, » dit Puseri en s’arrêtant. « Mes excuses. J’avais oublié que ce n’était pas ce que vous faisiez. Vous semblez si capable que j’ai cru que vous faisiez partie de l’équipe de raid. Pourtant, j’aimerais vous traiter en amie. »

Puseri avait ses longs cheveux couleur crépuscule gracieusement attachés, et son accueil était celui d’une jeune femme de classe. Sa présence était celle d’un redoutable démon sur le champ de bataille. Mais son apparence était empreinte d’une certaine dignité qui montrait clairement qu’elle avait grandi dans une bonne famille. L’expression de Puseri était éblouissante pour Kartina, qui était plus à l’aise au combat.

« Allons-y, nous ne pouvons plus attendre. »

« Est-il vrai que même les monstres vivent en paix dans cette zone ? »

Deux filles passèrent la tête de chaque côté et l’expression de Puseri s’adoucit lorsqu’elle les regarda.

L’une était une fille ordinaire avec des nattes brunes, tandis que l’autre était une adorable jeune fille aux cheveux roses et duveteux. Toutes deux sourirent à Puseri, puis regardèrent leur guide, Kartina.

« Alors, le deuxième étage est par là », déclara Kartina.

Elle ouvrit la porte du couloir et l’air frais pénétra dans la zone.

La brise fraîche sentait la verdure fraîche avec un soupçon de douceur. La lumière arrivait d’en haut, donnant aux visiteurs l’impression d’être entrés dans un autre monde.

Il n’y avait plus aucun vestige de l’endroit où la femme connue sous le nom de Roi immortel ou de Faucheuse s’était assise dans la solitude. La verdure poussait en abondance dans le couloir, et les visiteurs restèrent bouche bée devant les petits oiseaux qui volaient au-dessus d’eux.

« C’est une blague ! »

« Incroyable. »

« Tout cela sous un désert ? »

Kartina avait ressenti de la joie dans son cœur en entendant les commentaires élogieux du public. Elle se couvrit la bouche et sourit secrètement de fierté pour son maître. Elle marcha ensuite lentement le long d’un sentier bien entretenu et commença sa visite.

« Nous prévoyons de cultiver des légumes dans le champ là-bas, mais il n’est pas encore tout à fait prêt. Ici, le sol semble bien s’enraciner, les cultures devraient donc pousser assez rapidement. »

En regardant, elles découvrirent un sol nu sur lequel s’étendaient des vignes en pente douce. Les cultures vertes étaient un spectacle inhabituel pour le groupe, et toutes s’accroupirent pour mieux voir.

« Comme vous le voyez, cet endroit est géré par ces hommes-lézards. Je ne comprends pas encore leur langue, mais nous proposons des conférences sur les langues des monstres reptiliens le soir. N’hésitez pas à vous joindre à nous si vous le souhaitez », expliqua Kartina.

Puseri leva les yeux, inquiète. Elle ne l’avait pas remarqué parce qu’il était resté immobile, mais un grand homme-lézard était assis sur une souche voisine et prenait un bain de soleil les yeux fermés.

« Les hommes-lézards… ? Il paraît que ce sont des monstres vicieux. Ils s’occupent des champs ? » demanda Puseri.

« Oui, ils travaillent dur et sont étonnamment pratiques. Les poissons ici sont aussi très savoureux », répondit Kartina. « Ozo ! Nous avons des invitées ! »

La bulle de morve qui sortait du nez de l’homme-lézard éclata et il se réveilla brusquement. Il se tourna alors vers la foule et les salua. Ses mouvements étaient lents et apparemment amicaux, et rien n’indiquait qu’il envisageait de les attaquer. L’homme-lézard travaillait pour Wridra, mais Kartina avait choisi de ne pas mentionner cette information, car elle ne voulait pas que cela se sache.

Les visiteuses avaient l’impression de se trouver dans une sorte de parc d’attractions lorsqu’ils voyaient la terre fertile et les serviteurs monstrueux. La verdure leur paraissait éblouissante après avoir vécu si longtemps dans le désert. Après une courte marche le long du sentier, elles poussèrent des cris de joie en entendant une rivière couler et en constatant que l’eau était claire. C’était assez rare pour eux de voir de l’eau comme ça, plutôt que de la voir colorée par le sable.

Bien qu’il y ait des monstres partout, ils n’avaient pas du tout l’air méchants. Les visiteuses ne manquaient pas de sujets de discussion lorsqu’elles étaient entourées de paysages magnifiques. Les femmes touchaient les arbres, les feuilles et les fleurs le long des sentiers, tout en contemplant la roue hydraulique encore en construction. Il était étrange pour elles de voir une foule d’hommes-lézards y travailler, et le groupe se demandait si tout cela n’était pas un rêve.

« Je n’aurais jamais cru voir des hommes-lézards gérer une roue à eau. Ils doivent manger beaucoup vu leur taille. N’allez-vous pas manquer de légumes ? »

« Ha ha, ces légumes deviennent incroyablement délicieux lorsqu’ils sont cuits. Les hommes-lézards le savent, alors ils laissent les cultures tranquilles. Comme il y a beaucoup de poissons ici et de gibier à chasser dans la forêt, la nourriture ne sera pas un problème », expliqua Kartina.

Les assaisonnements que le garçon à l’air endormi avait apportés, et surtout le liquide noir, avaient tous une odeur et un goût extraordinaires. Les légumes s’imprégnaient de leur saveur, et même Kartina ne pouvait s’empêcher de les manger sans réfléchir. Récemment, elle avait entendu dire qu’il n’y avait pas assez de mains pour aider à la préparation des repas, mais malheureusement, Kartina ne savait pas cuisiner.

Le groupe marcha encore un peu et arriva à un espace dégagé avec une zone réservée à l’apprentissage et recouverte d’un toit.

+++

Contrairement aux autres zones, celle-ci était aménagée en carré parfait. Kartina avait vu le magicien Aja enseigner les arts secrets à l’elfe Mariabelle, tandis que le superviseur des raids, Hakam, enseignait les tactiques de combat à l’équipe de Doula. Elle avait également vu le vieux Gaston et le grand Zera entraîner le garçon de temps à autre. Lorsqu’elle avait observé leur entraînement, Kartina avait été étonnée par la force du vieil homme et n’était pas certaine de pouvoir le vaincre dans un combat acharné.

Elle avait entendu dire que les membres de l’équipe Diamant qui l’accompagnaient faisaient partie de l’élite des combattants d’Arilai. Il était difficile de l’imaginer à la façon dont elles bavardaient joyeusement, mais elle savait avec certitude que Puseri était une puissante guerrière lorsqu’elle se déchaînait à cheval sur le champ de bataille.

Qu’est-ce qui m’a pris d’essayer d’affronter cette coalition ? se dit Kartina. Si elle devait les affronter à nouveau, elle aurait besoin d’au moins trois Bras de Démons de plus à ses côtés. Wridra et Shirley devraient rester sur la touche pour qu’elle ait une chance.

En y réfléchissant, Kartina se mit soudainement à rire. On lui avait dit de poignarder ces gens, mais elle avait envie de répondre : « Pourquoi n’essayez-vous pas ? » Elle savait qu’elle aimait de plus en plus le deuxième étage. Peut-être qu’un jour, elle s’y sentirait chez elle.

Au même moment, elle prit conscience de la situation. Alors que les femmes de l’équipe Diamant discutaient avec enthousiasme, Kartina remarqua que la fille aux cheveux bleus et aux cornes enroulées était un démon tout comme elle.

« Veux-tu que je t’apprenne à parler le démoniaque ? » demanda-t-elle à la grande fille à l’allure barbare.

« Non, pas intéressée », répondit la jeune fille. Il semblait que la femme aux cheveux bleus n’essayait même pas de cacher son identité.

Kartina pouvait sentir que la fille qui tenait la main de Puseri avait du sang divin qui coulait dans ses veines. La femme aux oreilles de chat, qui fixait le poisson et remuait lentement la queue, n’était probablement pas non plus humaine.

Elle réfléchit un instant, puis se souvint que Zarish, le candidat héros emprisonné, était censé trahir Arilai avec elle. Il n’était donc pas étonnant qu’il y ait des démons dans son équipe. Mais ces femmes n’avaient-elles pas elles aussi reçu des ordres d’en haut ? Cela ne concernait plus Kartina.

« Tant pis, » se dit-elle. « Maintenant, suivez-moi et faites attention où vous mettez les pieds lorsque nous traversons le pont. »

Le groupe arriva enfin au centre de la salle. Le chemin était maintenant pavé de pierres et de gravier, ce qui le rendait facile à parcourir. Elles étaient préoccupées par le craquement satisfaisant de chaque pas lorsque la vue changea soudain de façon spectaculaire.

Les arbres plus courts qui avaient été coupés et taillés en rond étaient placés les uns au-dessus des autres pour couvrir la pente. La lumière du soleil brillait à travers les arbres au-dessus de la tête, tandis que l’air était empreint d’une confortable sérénité. Puseri avait l’impression que son cœur était purifié à chaque pas sur le sentier et regardait autour d’elle avec émerveillement.

***

Partie 7

« Je n’avais jamais imaginé un tel endroit dans mes rêves les plus fous », souffla-t-elle.

« Oui, l’aménagement du jardin est très différent de tout ce que l’on peut trouver à Arilai », déclara Kartina. « Miss Wridra et Lady Shirley jardinent comme un hobby et ont travaillé sur cet endroit pratiquement tous les jours. J’ai pris l’habitude de tailler moi-même. Je n’en ai pas l’air, mais je sais voler, ce qui peut être utile pour ce genre de travail. »

Elle rit sèchement, mais cela avait été une véritable épreuve pour elle, car elle avait même pleuré devant la pléthore de demandes compliquées qu’on lui avait adressées. Wridra et Shirley étaient étonnamment méticuleuses, au point de prétendre qu’un jardin n’était pas vraiment un jardin s’il n’était pas harmonieux sous tous les angles, peu importe ce que cela signifiait. Il n’était pas étonnant que Kartina ait été désespérée par toutes leurs exigences déraisonnables.

L’origine de leur passion restait un mystère. Leurs instructions étaient extrêmement précises, comme si elles avaient vu de leurs yeux le jardin idéal. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était suivre leurs ordres à la lettre, et avant qu’elle ne s’en aperçoive, le magnifique paysage était achevé. Elle ne comprenait toujours pas comment cela s’était produit. Alors qu’elle essayait de comprendre, le groupe arriva enfin à la résidence de son maître.

Au même moment, le général Hyzoska pencha la tête, confus, devant l’absence totale de réponse à son message. Il avait d’abord pensé que l’outil magique fonctionnait mal. Après tout, il ne pouvait pas imaginer qu’aucun de ses contacts n’ait répondu à son ordre. Avec une pointe de tristesse, le général ordonna à ses troupes de se mettre en marche.

Il s’apprêtait à déclencher une guerre intestine, mais il sentit sa motivation s’effriter un peu.

§

Le hall du deuxième étage se trouvait dans une situation compliquée.

Bien que le pays d’Arilai ait réussi à s’en débarrasser, un jeune garçon, participant d’un pays étranger, avait vaincu le maître d’étage. De plus, le deuxième étage s’était couvert d’une végétation luxuriante grâce au maître d’étage qui aurait dû être enfermé.

En temps normal, il n’y aurait jamais eu de dispute pour savoir à qui appartenait le labyrinthe. Un labyrinthe est un labyrinthe, et il devient inutile une fois que tous les trésors ont été revendiqués. Cependant, un trésor d’un tout autre genre avait été créé : une terre à la verdure abondante qui était soudainement et de façon inattendue devenue l’envie du pays désertique.

Le bâtiment situé au centre du hall était un autre trésor inestimable à leurs yeux. Le sol en marbre apaisant, le plafond étonnamment haut et le léger parfum qui flottait dans l’espace donnaient aux visiteurs l’impression d’être entrés dans une auberge japonaise de luxe.

Les champs étaient en train de s’étendre et, à en juger par le goût et la croissance des récoltes, leur valeur augmentait de jour en jour. Le superviseur du raid labyrinthique, Hakam, en avait fait l’expérience et il s’était senti troublé.

« Cet endroit est bien trop confortable. Je n’ai jamais entendu parler d’un labyrinthe plus relaxant que mon propre pays », grommela Hakam, avant de s’esclaffer pour lui-même. Le corps musclé du vieux guerrier à la peau sombre était soutenu par un revêtement en cuir.

Dès l’entrée dans le bâtiment, un hall d’accueil était meublé de canapés confortables. Un pays situé à l’extrême nord fabriquait de tels articles en cuir de luxe, mais ils étaient extrêmement rares dans cette région.

« Hah, hah, bien sûr. C’est à l’endroit où les clients sont accueillis pour la première fois qu’il faut faire le plus d’efforts. Cela en dit long sur les capacités du propriétaire, après tout. »

L’oratrice, une belle femme aux cheveux noirs assise en face de lui, croisa les jambes en parlant. Wridra était habillée un peu plus légèrement que d’habitude, vêtue d’une chemise à col et d’un gilet noir par-dessus. Sa tenue avait un design sophistiqué et était modérément ornée de multiples rubans.

Tout comme le canapé, il était difficile de savoir comment cette femme avait pu se procurer de tels vêtements dans un endroit comme celui-ci. Hakam croisa les bras et réfléchit un instant, puis ouvrit la bouche pour parler. Il y avait des sujets bien plus importants que les meubles dont il fallait parler.

« Comme je le disais… Le problème, c’est que ce sol autrefois inutile a été complètement réhabilité. Les membres de la famille royale doivent mourir d’envie de mettre la main dessus », avait-il déclaré.

Le deuxième étage s’était transformé en terre fertile sans qu’on s’en rende compte. Dans des circonstances normales, cela aurait pu déclencher un conflit pour savoir qui en possédait les droits, mais le pays était en pleine guerre contre l’armée de démons qui envahissait le nord.

« Pour l’instant, c’est à moi de décider, puisque je suis responsable du labyrinthe », dit Hakam. « Je ne dirai rien aux supérieurs, car je n’ai pas envie d’avoir affaire à eux. Si vous nous permettez d’utiliser cet endroit comme quartier général pour le raid, nous pourrons parler de gouvernance mutuelle. »

Les sourcils de Wridra se froncèrent. Rien ne laissait présager l’évolution de la situation une fois la guerre terminée. Hakam avait promis qu’il ne se passerait rien d’ici là, mais il savait que cette femme ne se contenterait pas de cela.

Hakam se pencha vers l’avant pour aborder le sujet principal.

« Écoutez. Après être resté ici un moment, je sais que je ne pourrai pas gouverner cet endroit. Le maître d’étage qui a été enfermé… celui qui se trouve dans les profondeurs de la forêt semble stabiliser cet endroit, mais je ne comprends même pas comment tout cela fonctionne. »

Les maîtres d’étage étaient des êtres complètement différents selon le labyrinthe, et il était donc très difficile pour les humains de les comprendre. De plus, le labyrinthe n’avait pas encore été entièrement exploré et la guerre rendrait les choses difficiles. Ce n’était pas comme s’il pouvait faire des recherches sur cet endroit et rédiger un rapport détaillé.

« C’est pourquoi je veux vous répéter ce que je vous ai déjà dit », poursuit Hakam. « Finissez d’explorer ce labyrinthe pendant que la guerre fait rage. Celui qui y parviendra deviendra un héros pour Arilai. Si quelqu’un tente de confisquer cet endroit, le public ne le verra pas d’un bon œil. »

En d’autres termes, il lui demandait d’accomplir quelque chose qui leur donnerait une juste cause.

Si cet endroit était utile au pays et à ses habitants, même les membres de la famille royale auraient du mal à l’utiliser à leur guise. Son message se résumait à « Si vous voulez quelque chose, prenez-le ». Wridra acquiesça. Elle s’attendait à ce que Hakam dise quelque chose de ce genre et décida d’essayer d’en savoir plus. Elle voulait savoir ce que le pays essayait désespérément de cacher et ce qui avait déclenché la guerre.

« Haha, haha, vous parlez comme si vous ne saviez pas ce qui se cache dans les profondeurs du labyrinthe. Croyez-vous vraiment que vous pouvez nettoyer cet endroit ? » demanda-t-elle.

« Aucun labyrinthe n’est impénétrable. Nous allons réussir et sauver Arilai du péril, peu importe qui se trouve sur notre chemin », répondit Hakam.

Le coin des lèvres de Wridra se retroussa naturellement devant le regard sinistre de l’homme. Il semblait connaître la véritable nature de ce labyrinthe de malheur et s’était résolu à poursuivre le combat malgré tout.

Elle avait déjà écarté l’idée qu’il n’était rien de plus qu’un humain chétif.

Leur niveau et leur force étaient peut-être insignifiants, mais ces personnes avaient la volonté de continuer à se battre vers la lumière. Ils utilisaient diverses stratégies pour compenser leur manque de puissance et finissaient par ouvrir la porte qu’il était impossible de franchir. Elle avait dû en venir à penser ainsi parce qu’elle observait l’humain et l’elfe depuis si longtemps. Ils lui avaient tendu la main sans crainte et avaient défié de front des ennemis de niveau supérieur à 100. Wridra trouvait leur franchise si amusante qu’elle ne pouvait s’empêcher de sourire.

C’est alors que l’autre propriétaire du manoir arriva, un plateau à la main. La femme aux yeux bleu ciel portant une coiffe fleurie s’inclina devant Hakam, puis échangea son verre vide contre un nouveau.

« Ah, merci », dit-il. « Vous êtes la femme qui a rejoint le groupe de Kazuhiho, Shirley, n’est-ce pas ? Il y avait un maître d’étage du même nom juste avant que vous ne nous rejoigniez. C’était toute une lutte à l’époque, mes hommes mouraient les uns après les autres. »

Hakam gloussa, et Shirley pencha la tête en signe de confusion. C’était le maître d’étage qui avait tué ses hommes, mais elle avait l’air de ne pas savoir si elle devait s’excuser ou se taire. Wridra, qui comprenait toute la situation, luttait désespérément pour retenir son rire.

Soudain, une cloche retentit, signalant l’arrivée de visiteurs. Wridra se leva du canapé, et une lueur sembla briller dans ses yeux.

« J’accepte votre offre, bien sûr », dit-elle. « Nous donnerons accès à l’équipe du raid. Commençons par accueillir ces femmes, voulez-vous ? »

« Ah, elles sont là ! Je vais aussi aller les saluer », répondit Hakam.

Ils avaient regardé vers l’entrée et avaient trouvé les visiteurs debout. Il était assez cocasse de voir Puseri, la fille d’une famille prestigieuse, regarder le vaste hall d’entrée les yeux écarquillés et ébahis. Sa réaction était cependant compréhensible. Le style architectural présenté était très différent de celui d’Arilai et comprenait un immense hall d’entrée tout simplement inconcevable.

La lumière douce du soleil passait à travers les fenêtres. Des canapés confortables et une odeur de bois frais donnaient l’impression que le bâtiment venait d’être construit. Tout cela avait manifestement étonné le groupe.

Les huit beautés remarquèrent enfin l’homme responsable du raid dans le labyrinthe, Hakam, qui leur faisait signe de la main, et leurs yeux s’écarquillèrent encore plus. Puseri baissa la tête en signe d’agitation, et les autres suivirent.

« Nous n’avions pas réalisé que vous étiez ici, monsieur ! » dit-elle.

« Ha ha, j’ai appris que vous étiez toutes en visite, mais je ne m’attendais pas à ce que vous vous présentiez en tenue décontractée sans votre armure. Maintenant, je suis sûr que vous pourrez mieux vous détendre sans moi, alors je vais retourner au travail », répondit Hakam.

Il leur disait d’un ton aimable de bien se reposer, puis s’en alla. Il leur avait toutefois laissé en cadeau un peu d’alcool, qu’elles pourront consommer en accompagnement de leur repas.

Au moment de partir, Hakam se souvint de quelque chose et se tourna vers Wridra.

« Ah, notre ligne d’approvisionnement sera bientôt coupée. Si vous avez besoin de quoi que ce soit d’ici là, faites-en la liste pour moi. Pas besoin de payer, ce sera une gracieuseté de la famille royale. »

En d’autres termes, l’armée de démons arriverait bientôt dans l’ancien labyrinthe. Malgré les implications inquiétantes, Wridra répondit : « Alcool, feuilles de thé, sel, assaisonnements et… »

Hakam et l’équipe Diamant la regardèrent avec incrédulité tandis qu’elle énumère sa commande. Wridra commençait à ressembler à ce garçon à l’air endormi.

Remarquant qu’elle était devenue le centre d’attention, Wridra parut plutôt perplexe.

« Quoi ? » demanda-t-elle.

***

Partie 8

Les invitées avaient d’abord été conduites dans le salon pour y déposer leurs bagages.

Elles marchaient bruyamment pieds nus sur les tatamis, ce qui les intriguait. Kartina avait ouvert la porte coulissante en papier à la tête du groupe, et toutes s’étaient retrouvées à court de mots.

En face du salon se trouvait un jardin très vivant. Bas à l’avant et hauts à l’arrière, les arbres étaient bien alignés, mais débridés et pleins de vie. Les yeux du spectateur étaient naturellement attirés par ce jardin, comme par un beau tableau.

Selon Kartina, l’immobilité et le mouvement étaient essentiels. Le jardin avait été conçu pour créer une atmosphère sereine et paisible, mais des poissons vermillon nageaient dans l’étang, ce qui contrastait avec cette tranquillité. Kartina expliqua que cela représentait le cycle propre de la nature.

Les femmes de l’équipe Diamant n’avaient jamais vu un spectacle aussi harmonieux. Eve, l’elfe noire, les regarda avec une excitation débordante, puis jeta ses bagages de côté sans se soucier des convenances.

« Wôw, c’est trop cool ! La passerelle d’où nous venions était aussi jolie, mais elle a l’air complètement différente d’ici ! »

« Je n’en crois pas mes yeux. Ce jardin a été préparé juste pour cette pièce », dit Puseri à Eve. « Ils ont dû y consacrer beaucoup de temps et d’efforts. Kartina, aimerais-tu devenir la jardinière officielle de mon manoir ? »

Kartina se retourna en réponse, l’air mécontent. Elle était un ancien chevalier, pas un jardinier. Lorsqu’elle était entrée dans la pièce plus tôt, elle avait enlevé son armure connue sous le nom d’Arme du Démon et portait maintenant quelque chose comme un yukata.

« Vous allez voir, » dit Kartina. « Il y a des portes shoji de chaque côté de cette pièce. Vous pouvez donc profiter de l’une ou l’autre vue, selon votre humeur. Je suppose qu’il serait plus facile de vous montrer… »

Alors que tout le monde la regardait avec confusion, Kartina ferma la porte coulissante en papier qui donnait sur le magnifique jardin. La pièce qui sentait le tatami s’assombrit légèrement et elle ouvrit la porte shoji de l’autre côté.

C’est alors qu’un monde complètement différent se révéla à eux. Au-delà de la vitre transparente, on pouvait apercevoir un lac qui scintillait sous les rayons du soleil. Les membres de l’équipe Diamant ne purent s’empêcher de se rassembler autour de la porte et d’élever la voix en signe d’admiration.

« Il y a beaucoup de verdure ici, on peut se baigner et pêcher. Veillez à ne pas attraper d’hommes-lézards pendant que vous pêchez. »

Les invitées étaient trop occupées à contempler la vue pour remarquer le commentaire amusant de Kartina. Elles semblaient à la fois stupéfaites et choquées par le design incroyablement luxueux.

Soudain, elles remarquèrent une sorte d’île blanche au milieu du lac, qui s’élevait lentement et projetait de l’eau tout autour d’elle. Un arc-en-ciel se forma sous l’angle de la lumière du soleil, et Kartina gloussa.

« Ha ha, bon timing. Il aime prendre un bain de soleil toutes les heures. Mon maître l’a amené ici, il n’y a pas très longtemps, et je n’étais pas sûre de lui au début, mais il est étonnamment scrupuleux. Il est heureux de gérer la qualité de l’eau du lac pour nous, alors… Qu’est-ce qui ne va pas, Eve ? Tes épaules tremblent. »

« C’est… c’est… c’est ! C’est le monstre que nous avons vu à la plage ! » s’écria Eve.

Tout le monde semblait intéressé par ce spectacle inhabituel, à l’exception d’Eve et de Puseri, qui pâlissaient. Bien que la couleur et la taille soient différentes, le monstre semblait identique à celui qu’ils avaient vaincu sur l’île d’été.

« C’est Charybde ! » s’exclama Puseri, les genoux tremblants. « Bien qu’il soit plus petit et de couleur différente, je n’oublierai jamais ces tentacules ! »

Elles étaient certaines qu’il s’agissait du même monstre que précédemment. Eve en particulier avait été incapable de se tenir debout lors de leur précédente rencontre, et le simple fait de voir la créature lui donnait une sensation étrange. « Qu’est-ce qui se passe ici ? » demandèrent les deux femmes, rouges de colère.

Après avoir réfléchi un moment, Kartina leur tendit des serviettes en souriant. D’une certaine manière, elle était bien placée pour le service à la clientèle. Lorsqu’elle était confrontée à un client gênant, il valait mieux attirer son attention sur autre chose. Il était assez facile de les distraire de cette façon.

« Le bain en plein air offre une vue encore meilleure », déclara Kartina. « Vous avez tout pour vous aujourd’hui, mesdames, alors n’hésitez pas à utiliser tout ce que vous voulez. Vous pouvez également y choisir votre propre yukata. Voulez-vous me suivre ? »

Les yeux du groupe s’illuminèrent de curiosité en entendant les termes peu familiers de « bain en plein air » et de « yukata », et elles s’empressèrent de crier : « Oui ! » Elles avaient complètement oublié la bête antique Charybde dans l’agitation.

 

 

D’abord, les invitées devaient se débarrasser de toute la saleté qu’elles avaient accumulée en marchant dans le désert et le labyrinthe. Kazuhiho et les autres arriveraient bientôt, et ils pourraient tous profiter d’un bon dîner après leur bain. Si tout se passait comme Kartina l’avait prévu, ils oublieraient ce monstre.

La bande de chahuteurs quitta le salon alors que la pièce était enveloppée d’une chaude lumière solaire.

§

Habituée à vivre dans le manoir des roses noires, Puseri n’avait pas l’habitude d’utiliser des vestiaires communs ou d’exposer sa peau devant les autres. Bien qu’issue d’une famille prestigieuse, elle n’était pas vraiment considérée comme une femme d’un statut social élevé. En d’autres termes, elle et ses coéquipières avaient travaillé comme des domestiques après que le candidat héros ait tué sa famille. Puseri défit l’un des boutons de son col, puis regarda autour d’elle sans bouger.

« C’est assez déconcertant », marmonna-t-elle.

Insatisfaite, elle pinça les lèvres et jeta un léger coup d’œil aux étagères en bois en treillis. Il y avait des rangées d’étagères à hauteur de poitrine, qui devaient servir à ranger les vêtements pendant que l’on prenait un bain. Elle ne pouvait s’empêcher de craindre que quelqu’un ne lui vole ses affaires.

Bien sûr, les membres de l’équipe Diamant étaient les seuls présents ce jour-là, elle n’avait donc pas à s’en inquiéter. Peut-être utilisaient-ils ce système apparemment vulnérable parce qu’ils n’avaient pas encore réussi à mettre au point quelque chose de mieux, ou parce qu’ils accordaient une grande confiance à leurs invités.

Alors que Puseri y réfléchissait, elle sentit une main se poser sur son épaule. La barbare, Darsha, et l’elfe noire, Eve, se tenaient là, leurs corps bien entraînés exposés sans vergogne.

« Quoi, es-tu gênée ? Nous sommes toutes des femmes ici, alors qui s’en soucie ? » déclara Eve.

« Oui, il n’y a pas lieu de s’en préoccuper », acquiesça Darsha. « Nous sommes des invitées. Il n’est pas nécessaire d’agir de manière aussi réservée. »

Elles gonflaient leur poitrine en parlant, mais comme ces mots venaient des femmes les mieux dotées du groupe, Puseri avait l’impression de perdre dans un sens différent.

Ce qu’elle ne comprenait pas, c’est comment elles pouvaient être aussi féminines alors qu’elles avaient des abdominaux aussi durs que le roc. Une ligne remontait au centre de leur nombril et, plus haut, des seins galbés et pleins.

« Je ne suis pas gênée. C’est juste que je n’ai pas l’habitude de ce genre de choses », dit Puseri en rougissant.

Elle n’avait pas souvent l’occasion de le faire, et elle ne pouvait s’empêcher de la regarder. Leurs muscles grands et petits pectoraux semblaient soutenir fermement leurs seins, ce qui était peut-être le secret de leur volupté.

Darsha et Eve avaient l’air confuses tandis que Puseri les fixait ouvertement. « Nous vous verrons plus tard », dirent-elles en faisant un signe de la main, puis elles sortirent, toutes nues. Puseri les regarda s’éloigner en se déhanchant et se trouva bien en peine de décider de ce qu’elle devait faire. Elle ne pouvait pas se résoudre à sortir dans cet état.

Se promener sous le soleil sans vêtements était un obstacle trop important, même pour un vétéran aguerri comme elle. Elle n’avait pas imaginé qu’elle serait non seulement vue par les autres, mais qu’elle sortirait aussi. Et pourtant, elle ne ferait qu’inquiéter ses coéquipières si elle passait trop de temps ici. Elles avaient déjà l’air inquiètes alors qu’elle se tenait entre deux filles. En voyant ces yeux marron et bleu clair si amicaux, elle put enfin se calmer.

« Ah, vous allez vous changer vous aussi ? Alors, allons-y ensemble, d’accord ? » dit-elle.

Les expressions des filles s’illuminent de sourires comme des fleurs qui éclosent. Elles sont adorables ! pensa Puseri qui sentit son cœur tressaillir sous l’effet de leur beauté.

Les deux filles, Hakua et Miliasha, étaient restées aux côtés de Puseri depuis qu’elle était devenue le maître de l’équipe Diamant. Elles n’avaient pas de famille et on les entendait parfois pleurer dans leur lit. C’est pourquoi Puseri dormait avec elles lorsqu’elles se sentaient seules la nuit. Toutes les trois étaient comme des sœurs… Ou peut-être étaient-elles plus proches que des parents de sang, mais seule Puseri n’en était pas consciente. Elle avait toujours été insensible au combat comme à l’amour, et avait donc du mal à réaliser que les filles s’étaient entichées d’elle.

« Bon, il est temps de se déshabiller. Il n’y a pas lieu d’être gêné. Il vaut mieux ne pas se laisser déranger dans ce genre de situation », déclara Puseri.

Elle commença à défaire les attaches de sa robe, comme pour montrer l’exemple. Son dos se dénuda et elle ressentit une pointe de gêne lorsque ses clavicules furent exposées à l’air libre. Peut-être avait-elle acquis un peu de tolérance en portant un maillot de bain auparavant.

Les vêtements bruissent, et lorsque Puseri ne porta plus que ses sous-vêtements, elle sentit le regard de quelqu’un se poser sur elle. Elle réalisa alors que Hakua et Miliasha la fixaient intensément des deux côtés.

Hakua était issue d’une lignée de devins et avait la capacité de prédire l’avenir. La façon dont ses nattes brunes se balançaient et dont ses yeux restaient fixés sur la peau nue de Puseri était un spectacle singulier.

« Tu es si belle, Mlle Puseri », dit-elle dans un murmure rêveur.

Puseri ne savait pas comment réagir. Elle avait l’habitude de recevoir des compliments, mais c’était différent lorsqu’ils venaient d’une fille qu’elle aimait comme sa petite sœur.

Elle sentit alors Miliasha toucher délicatement sa colonne vertébrale, et elle frissonna par réflexe.

« Ta peau est si parfaite. Puis-je la voir de plus près ? » demanda la jeune fille.

Puseri estimait qu’elles étaient déjà assez proches, mais les filles la fixaient avec des yeux suppliants, et elle acquiesça sans réfléchir. Elle ne pouvait pas résister quand elles clignaient leurs yeux de chiots en larmes. Puseri sentit ses joues brûler et s’avoua qu’elles lui donnaient envie de les prendre dans ses bras et de les protéger.

« Nous allons défaire le dos pour toi. Si tu veux bien nous excuser…, » dit Miliasha.

« Oh, attendez. Je peux le faire moi-même… » protesta Puseri.

« Laisse-nous nous occuper de ces questions, Mlle Puseri. Je suis gênée de l’admettre, mais c’est le moins que nous puissions faire pour te remercier de nous avoir toujours protégées. »

Son refus ayant été doucement repoussé, elle avait laissé les filles défaire ses sous-vêtements des deux côtés sans opposer de résistance. Pourtant, elle avait du mal à supporter la façon dont elle se mettait lentement à nu, comme si elles savouraient ce moment. Leurs regards sur elle étaient déjà trop intenses.

« Mlle Puseri, nous ne voyons pas bien de derrière. Veux-tu bien ouvrir les bras ? »

***

Partie 9

Puseri ne comprenait pas pourquoi c’était nécessaire. Mais, une fois de plus, elle ne pouvait pas dire non à leurs yeux. Elle écarta lentement et timidement les bras, exposant sa douce zone des aisselles aux jeunes filles. Pourtant, elle sentit son visage s’échauffer sous l’effet de ce simple mouvement et des regards brûlants qu’elles posaient sur elle.

Elle ne pouvait plus supporter ce regard et les joues rougies, ferma les yeux. De ce fait, elle n’avait pas pu voir que ce geste était bienvenu pour les deux filles et que leurs yeux s’illuminaient d’excitation tandis qu’elle dévoilait lentement de plus en plus de peau.

« Ne bouge pas. Le tissu pourrait laisser une égratignure s’il frotte contre ta peau. »

« Oui, ta peau est très sensible, Mlle Puseri. Oh, elle est si belle. »

Leur souffle chaud effleura la peau de Puseri, qui frissonna.

Maintenant qu’elle était complètement exposée, elle se sentait chatouillée par leurs exhalaisons sur sa poitrine et son dos. Peut-être était-ce parce qu’elle fermait les yeux, mais sa peau était très sensible et se réchauffait sous l’effet de leur respiration.

Puseri ouvrit un œil, puis le referma immédiatement. À ce moment-là, elle avait vu les deux filles la regarder attentivement, le visage rougi, si près d’elle qu’elles la touchaient presque.

Cependant, Puseri n’était pas elle-même tout à fait sans souillure. En voyant les filles partiellement déshabillées, la pensée qui tournait en boucle dans son esprit était : elles sont si mignonnes ! Elle n’était pas différente d’elles, mais elle ne l’avait pas réalisé.

Sa respiration devint de plus en plus chaude et superficielle à mesure que cette pensée se répétait dans son esprit. Puis, une voix retentit comme de l’eau froide jetée sur leurs têtes.

« Que se passe-t-il ici ? »

« Gah ! Ah, D-Doula ! »

Doula se tenait là, jetant un regard dubitatif sur le trio, son corps de paladin bien tonique enveloppé dans une serviette. Voyant Puseri se détourner pour se cacher, elle poussa un soupir exaspéré.

« Tu ne leur as pas dit que j’étais arrivée en avance, Kartina ? » demanda Doula.

« Toutes mes excuses. Je me suis dit que vous finiriez par les voir, de toute façon. Mlle Puseri, comme je l’ai dit plus tôt, la zone des sources thermales offre une vue spectaculaire. Voulez-vous vous joindre à nous ? » dit Kartina.

Puseri soupira de soulagement à cette invitation, se ressaisit et décida de se déshabiller et de sortir. Les deux jeunes filles à l’air innocent eurent un regard comme si elles se disaient : nous étions si près du but. Mais personne n’était là pour les voir.

+++

La vue sur le lac scintillant au-delà de la vapeur montante était en effet spectaculaire. La vue étonnante du lac s’étendait à perte de vue, à l’exception de la haie qui était juste assez haute pour garder la zone privée. Puseri resta bouche bée devant ce spectacle à la fois audacieux et délicat.

Les vagues ondulaient à la surface de l’eau, et le vent atteignait sa peau de très loin. La vapeur dansait dans l’air, puis s’installait à nouveau dans la tranquillité. C’est du moins ce qu’ils pensaient jusqu’à ce qu’ils remarquèrent le gazouillis incessant des oiseaux et qu’ils aperçurent au loin des cerfs en train de manger de l’herbe.

Puseri frissonna, une serviette à la main, ressentant l’harmonie qu’elle avait ressentie dans le jardin plus tôt. Elle comprenait enfin ce que signifiait une terre véritablement bénie.

« Incroyable… Je pensais que ce n’était qu’un établissement de bains…, » dit-elle, hébétée, et même sa propre voix semble lointaine.

Personne n’aurait pu prévoir un tel spectacle stellaire.

Il était d’usage d’utiliser une bassine pour se laver avant d’entrer dans un bain, mais personne dans ce pays désertique n’utilisait beaucoup d’eau. Les coéquipières de Puseri, qui avaient déjà profité de l’utilisation luxueuse de l’eau chaude, se tournèrent vers elle. Elles affichaient toutes un large sourire, comme si elles avaient été au paradis pendant tout ce temps.

Puseri poussa un profond soupir pour la énième fois. Les filles qui s’accrochaient à elle de part et d’autre partageaient son sentiment, la bouche encore ouverte.

« Hé, Puseri, combien de temps vas-tu rester là toute nue ? »

Elle reprit finalement ses esprits au son des rires des autres.

Puseri réalisa ce que signifiait être vraiment à l’aise. Sa bouche se retroussa en un sourire devant l’inexplicable sentiment de libération, et elle sentit son stress se dissiper dans le vent.

Elle se lava selon les instructions de Kartina, puis plongea lentement ses orteils dans l’eau chaude et frissonna. L’eau était tiède et, à en juger par sa consistance légèrement épaisse, elle ne semblait pas être de l’eau chaude ordinaire.

D’une manière ou d’une autre, elle savait que son corps avait envie de cette eau. Elle se trempa jusqu’à la poitrine, jusqu’aux épaules, et expira en extase. Puseri n’était pas sûre de pouvoir partir un jour.

« C’est à se demander si nous devrions nous détendre ainsi alors qu’il y a une guerre en cours », dit Eve en étirant ses membres. Malgré son commentaire, elle avait l’air plutôt euphorique maintenant qu’elle était temporairement libérée des poids qui rendaient ses épaules raides.

Les huit membres de l’équipe Diamant, Kartina et Doula étaient assis en cercle. Il y avait encore de la place, mais ils étaient assis côte à côte, ce qui montrait à quel point ils étaient proches les uns des autres en tant qu’équipe.

Puseri attacha ses cheveux couleur de crépuscule en répondant au commentaire d’Eve. Bien sûr, les deux filles de chaque côté d’elle avaient les yeux rivés sur elle pendant tout ce temps.

« Nous avons l’air de nous détendre, mais cela fait partie de nos préparatifs en vue du nettoyage du labyrinthe. Sire Hakam et Aja le grand auront pour mission de protéger le labyrinthe, alors nous profitons de cet endroit pour reprendre notre entraînement. N’est-ce pas, Doula ? »

« C’est vrai », reconnut Doula. « Notre équipe doit donner des ordres depuis l’arrière, alors nous avons la vie dure, en particulier. Les choses sont peut-être encore plus difficiles pour Kazuhiho et Mariabelle, mais Aja le grand semblait heureux d’avoir enfin un disciple pour hériter de ses arts secrets. »

Eve avait eu l’air surprise. Les arts secrets d’Aja permettaient de créer des enregistrements du labyrinthe à l’aide d’outils magiques et de contrôler les informations entre les membres de chaque équipe. De plus, il était très inhabituel qu’il transmette son savoir à une simple sorcière, et à une jeune elfe.

« Est-elle si intelligente que ça, hein ? Donc Sire Hakam entraîne ton équipe, et Aja le Grand entraîne Mariabelle. Alors que fait Kazu ? » demande-t-elle.

« Zera et Gaston l’entraînent. Du matin au soir », répondit Doula.

« Je lui ai aussi enseigné les arts martiaux à l’épée. En échange, il me donne des cours sur les monstres », dit Kartina en s’étirant et en se tournant vers eux.

Eve grimaça. S’entraîner avec eux trois semblait être un véritable enfer. Elle avait entendu dire que Kazuhiro était également formé au contrôle de l’énergie, mais elle ne voulait pas prendre part à quelque chose d’aussi douteux.

Les corps et les lèvres du groupe se sentirent plus souples après avoir pris un bain, mais ce n’était pas la seule raison. Mais Isuka, la femme au sang de démon, fit pivoter son cou et ouvrit la bouche pour parler.

« Gedovar m’a contacté tout à l’heure. Ils veulent que je travaille pour eux. »

« Ah, maintenant que tu le dis, j’ai aussi reçu un message de ce genre. Mais j’étais manipulée à l’époque, alors je ne m’en souviens que vaguement. »

Elles avaient ri en disant qu’elles l’avaient presque oublié, mais une personne dans le groupe avait eu une réaction différente. Doula, la commandante de l’alliance, avait cligné des yeux. « Quoi ? » dit-elle, sidérée.

Eve, qui se prélassait sur ses coudes, leva la tête. Elle déclara alors : « Alors, qu’est-ce que tu vas faire ? Ne me dis pas que tu vas nous trahir, Isuka. »

« Hm ? Il n’y aurait aucun intérêt à ce que je fasse défection de mon propre chef. Je ne fais que rapporter ce qui s’est passé », répondit Isuka.

Les démons semblaient avoir une faible tolérance à l’eau chaude, car elle se leva avec une éclaboussure et s’assit sur un rocher lisse à proximité. Une brise agréable soufflait, et elle dut résister à l’envie de s’allonger et de faire une sieste sur place.

Ce qui était troublant, c’est que dans le coin de sa vision, il y avait un banc qui serait parfait pour s’allonger. Elles étaient au milieu d’une conversation impliquant l’équipe Diamant et leurs deux pays, mais Isuka jetait des coups d’œil au banc. Pour l’instant, la tentation de s’allonger était plus angoissante que de tourner le dos à son pays d’origine.

Soudain, Kartina prit la parole.

« Tu as donc été contactée toi aussi. Je n’ai pas répondu parce que j’étais occupée, mais qu’est-ce que tu leur as dit ? »

« Hm ? Oh, c’était un général pompeux, alors je n’ai rien dit. Cassey, Milia, et vous deux ? » demanda Isuka.

Les deux filles inclinèrent la tête d’un air absent. Elles se rendirent compte que personne n’avait répondu au général et le silence s’installa dans les bains. Puseri envisagea de rire à gorge déployée, mais il s’agissait d’une affaire qui l’affecterait grandement. Après avoir réfléchi pendant un certain temps, elle prit finalement la parole.

« Je voudrais éviter toute décision hâtive. Comme vous le savez toutes, le précepte familial de ma lignée est “Nous n’avons pas de maître”. Je ne pourrais jamais servir Gedovar en me cachant à Arilai. »

« Je le sais », acquiesça Isuka. « Et j’aimerais continuer à vivre avec vous toutes ici. Je n’ai pas de famille à Gedovar. Mais si quelqu’un veut rentrer, je ne vous en voudrai pas. »

Tout le monde regarda autour de soi, se demandant qui voudrait y retourner.

Maintenant qu’elle était libérée du candidat héros, l’équipe Diamant vivait une période des plus agréables. Elles pouvaient partir en vacances ensemble, et elles faisaient preuve d’un meilleur esprit d’équipe au combat que jamais. Une minute entière s’écoula sans que personne ne dise rien, et le regard collectif du groupe se posa à nouveau sur la démone.

« Personne ? » demanda Isuka. « C’est très bien, mais si vous voulez faire défection, il faut le dire. Il vaut mieux être franc pour ce genre de choses. »

« D’accord ! » répondent-elles toutes, à l’exception de Doula, qui se sentait étourdie par la situation. Il n’y avait absolument aucun indice que quelqu’un ait même envisagé de faire défection.

Elle comprenait ce qu’elles ressentaient. Cela dépendrait de l’évolution de la guerre à venir, mais il n’y avait aucun avantage à faire défection dans l’état actuel des choses. Pourtant, en tant que responsable de l’alliance, Doula avait envie de crier : « Si vous voulez parler de secrets, faites-le quand je ne suis pas là ! » Il semblerait que le moment était passé sans que rien ne se passe, mais Doula se sentait complètement épuisée.

Après le bain, le groupe continua à profiter de ses vacances.

Les locaux étaient bien équipés avec des installations telles que divers bains et saunas, et il y avait même des massages à l’huile dispensés par des hommes-lézards. Elles avaient bu du thé frais, fait une sieste, s’étaient détendues dans un sauna en pierre parfumé et étaient allées se faire masser. Elles avaient poussé un cri d’excitation en découvrant le café au lait et ne pouvaient pas être plus heureuses.

Cependant, Kitase, Mariabelle et Wridra savaient que l’invitation ne se limitait pas à cela. Ils l’auraient peut-être compris s’ils avaient su ce dont ce manoir avait le plus besoin à ce moment-là. Cependant, ils s’étaient complètement détendus après s’être tellement amusés qu’ils avaient dansé juste au-dessus du piège qui leur avait été tendu.

C’est ainsi que le garçon et l’elfe se réveillèrent dans ce monde.

***

Chapitre 2 : Bienvenue, Équipe Diamant

Partie 1

Voilà qui est rafraîchissant.

Lorsque je m’étais réveillé, j’avais vu des portes shoji éclairées par le soleil qui donnaient l’impression que le monde était devenu blanc.

En tant que Japonais, je ne pouvais m’empêcher de me sentir chez moi avec les tatamis et les futons disposés dans la chambre de style japonais. Même si je n’avais jamais vécu dans ce type de chambre, j’avais l’impression que je m’y sentirais bien.

L’Arkdragon avait vraiment le sens de la forme. Même dans mon hébétude matinale, j’étais très impressionné par le fait qu’elle ait atteint une telle compréhension de l’harmonie en si peu de temps.

J’avais entendu un adorable bâillement et je m’étais retourné pour voir Mariabelle, en pyjama, qui s’étirait les bras et les jambes. Elle s’était frotté les yeux, puis remarqua les portes shoji comme je l’avais fait.

Nous nous étions couchés exceptionnellement tard hier soir, ce qui expliquait sans doute pourquoi elle avait encore l’air endormit. Ses vêtements étaient légèrement décousus et ses clavicules lisses étaient attirantes à regarder. Marie cligna des yeux plusieurs fois, puis réalisa enfin que nous étions dans le hall du deuxième étage et se redressa lentement.

« Bonjour… Je suppose qu’il est vrai que l’automne est la saison de la lecture. Je me suis complètement endormie », dit-elle.

« Ça ne fait pas de mal de faire la grasse matinée de temps en temps. Ce sera aussi drôle d’entendre Doula traiter quelqu’un comme toi de dormeur », avais-je répondu.

Elle s’était plainte qu’elle ne voulait pas d’un tel surnom pendant que nous rangions la literie. Nous avions plié le futon en trois, l’avions mis dans le placard, y avions placé les oreillers et avions ouvert la porte shoji. L’air frais qui soufflait vers nous nous avait immédiatement réveillés.

« Oh, tu attendais qu’on se réveille, Wridra ? » demanda Marie.

Je m’étais retourné et j’avais vu un chat noir qui se pelotonnait au soleil sur un coussin bien placé dans la véranda. Il y avait aussi un petit lac, et cela semblait être l’endroit idéal pour se détendre.

Le chat se retourna en réaction à la voix de Marie et miaula quelque peu en grognant. Il n’y avait pas de chats dans ce monde, et malgré les apparences, ce n’était pas vraiment un chat. C’était un familier de l’Arkdragon, mais Marie et moi étions à peu près les seuls à connaître sa véritable nature.

Il semblerait que le familier n’attendait pas que nous nous réveillions, mais qu’il monopolisait la véranda pour que nous ne prenions pas notre temps ici. En effet, lorsque Marie s’était approchée pour ramasser la créature, celle-ci s’était dérobée à ses mains et s’était rapidement dirigée vers le jardin. Puis il avait miaulé à nouveau, comme pour dire : « Dépêchez-vous de rejoindre le bâtiment principal. »

« Peut-être que l’équipe Diamant est arrivée bien avant nous. Nous devrions y aller », avais-je suggéré.

« Oui, nous devrions », acquiesça Marie. « J’ai hâte de marcher jusqu’au bâtiment principal. J’adore le paysage ici. »

Notre chambre était un peu éloignée du bâtiment principal. Wridra avait eu la délicatesse de nous y installer pour que nous puissions nous reposer sans être dérangés, ce que j’avais beaucoup apprécié. Cela faisait un certain temps que nous n’avions pas eu à nous soucier d’être vus lorsque nous allions au Japon et en revenions.

J’avais enlevé mes sandales en cuir et j’avais marché dans le jardin bien entretenu, où j’avais entendu un clapotis provenant de l’étang, qui aurait pu être le poisson qui avait cru par erreur que c’était l’heure de se nourrir. J’avais regardé et j’avais vu un reflet de moi à peu près de la même taille que Marie. Les traits de mon visage semblaient beaucoup plus jeunes que d’habitude, mais ce n’était pas un effet de la lumière.

Au lieu de cela, je vieillissais beaucoup plus lentement dans ce monde et j’avais l’air d’avoir une quinzaine d’années. Je ne comprenais toujours pas comment cela fonctionnait, mais je devinais que je ne vieillissais ici que lorsque j’étais physiquement dans ce monde.

Lorsque j’avais jeté un coup d’œil sur le côté, Marie était beaucoup plus proche de moi que d’habitude. Le simple fait de voir ces yeux qui ressemblaient à des cristaux violets clignoter de si près me donnait l’impression d’avoir de la chance. Elle avait souri, peut-être dans le même état d’esprit. Ou peut-être y avait-il une pointe d’espièglerie dans ses yeux, avec l’anticipation de ce qui allait suivre.

« Héhé, c’est aujourd’hui que ça se passe », dit-elle. « C’est l’heure de l’opération : Recrutement de l’équipe Diamant. »

« Oui. Nous manquons cruellement de personnel, et il s’agit d’un groupe de professionnels qui portent régulièrement des tenues de femme de chambre. J’aimerais beaucoup qu’elles travaillent pour nous. »

Kartina et les hommes-lézards s’étaient étonnamment bien occupés du jardin. Mais l’intérieur du manoir n’avait pas été correctement géré en raison de sa taille. La nourriture était également un problème. Heureusement, nous avions accès à d’excellents ingrédients, mais le temps et les efforts nécessaires pour les cuisiner à l’avenir m’inquiétaient.

Une femme aux cheveux noirs qui nous attendait au bout du chemin ramassa le chat noir qui trottait devant nous. C’était Wridra : le maître du familier, celui qui avait créé la majeure partie de ce manoir, et le légendaire Arkdragon. Ses sourcils étaient quelque peu froncés de mécontentement, mais je ne savais pas exactement pourquoi.

« Imbéciles, nous avons passé tant de temps à élaborer méticuleusement notre plan, et vous perdez votre temps à lire. Si vous aviez au moins regardé un anime ou un film, j’aurais aussi pu en profiter », se plaignit-elle.

Wridra serra les dents de frustration, mais je trouvai le geste charmant. Lors de notre première rencontre, elle n’avait pas beaucoup d’expérience sous sa forme draconienne et n’avait pas l’habitude d’exprimer ses émotions. Je trouvais qu’elle avait développé un charme féminin depuis le temps que nous vivions ensemble.

« Désolé pour l’attente », avais-je dit. « Tout se passe-t-il comme prévu jusqu’à présent ? »

« Bien sûr… J’aimerais bien le croire, mais ils se désintéresseront vite de nous si nous ne leur proposons que des bains et des massages. Nous devons préparer la nourriture tout de suite », répondit Wridra.

Ses longs cheveux noirs sur les côtés du visage couvraient ses oreilles, mais l’arrière était attaché avec une ficelle, ce qui faisait ressortir sa nuque pâle. Le kimono lui allait bien, même avec ses traits uniques et bien définis.

Marie lui tendit la main, et Wridra réajusta son bras pour tenir le chat noir d’une seule main, tandis qu’elle tenait la main de l’elfe avec celle qu’elle avait ouverte. Avec le temps, elles étaient devenues très proches et étaient maintenant comme des sœurs. Curieusement, si quelqu’un voulait savoir qui ressemblait à la sœur aînée, ma réponse changeait selon le moment où la question était posée.

« Je n’arrive pas à croire que vous vous êtes permis de veiller tard », grommela Wridra.

« Je suis désolée, Wridra. Je suis sûre que tu comprendras, mais l’automne est parfait pour s’absorber dans les livres parce que c’est si tranquille. On se croirait presque dans une bibliothèque… »

Wridra s’apprêtait à dire quelque chose lorsque Marie parla de l’attrait de se coucher tard, mais elle finit par refermer la bouche. Ses yeux d’obsidienne rencontrèrent alors les miens, et elle me lança un regard qui disait : « Tu feras attention à partir de maintenant. » J’avais acquiescé, bien sûr, mais cela allait dépendre de l’humeur de Marie, donc ma réponse n’était pas digne de confiance.

Le problème auquel nous étions confrontés était que nous avions besoin de plus de travailleurs pour faire fonctionner le manoir.

Si nous pouvions recruter l’équipe Diamant, nous pourrions non seulement faire fonctionner le manoir, mais aussi améliorer considérablement les services offerts. Le problème, c’est qu’ils sont plus riches que nous et que nous ne pourrons donc pas les séduire avec de l’argent. Nous devions donc les séduire par le confort, l’habitabilité et la nourriture délicieuse. Nous devions leur donner envie de vivre ici en leur montrant à quel point cet endroit était formidable.

« Alors, comment s’en sortent-elles jusqu’à présent ? » avais-je demandé.

« Hm, je vais vous le montrer », dit Wridra.

Sur ce, elle lâcha la main de Marie et pointa le doigt vers le haut. Nous avions entendu un étrange bourdonnement, puis une image visuelle était apparue dans les airs.

Cette magie de visualisation était l’atout de notre manche. Elle nous avait permis d’écouter leurs conversations et d’obtenir un retour d’information direct sur les installations. Nous n’avions pas à craindre d’être remarqués et nous avions un avantage écrasant grâce aux informations dont nous disposions. Mais l’image qui était apparue montrait les femmes en train de prendre un bain, et Marie avait utilisé ses mains pour couvrir mes yeux de la quantité choquante de peau exposée dans l’image.

« Mon Dieu ! » s’écria Marie. « Te rends-tu compte que le voyeurisme est un crime ? »

« Je suis désolé ! Wridra, plus de projections d’images s’il te plaît ! » dis-je.

« Hm, très bien. Dans ce cas, je me contenterai de l’audio », dit Wridra. « Mais je dois dire que cela va nuire à l’immersion. »

Elle avait grommelé, mais il n’était pas question que nous regardions secrètement ces gens se baigner. Mes yeux s’étaient alors écarquillés lorsque j’avais entendu le son.

« Ahh, c’est si bon ! Ce massage est incroyable… Là, mm-hmm, plus fort ! »

Nous avions entendu ce qui ressemblait à la voix érotique d’Eve et nous avions paniqué. Marie s’était empressée de se boucher les oreilles, mais dans sa précipitation, j’avais senti quelque chose se presser contre mon dos. Je n’avais pas pu m’empêcher de sentir mon cœur battre plus vite à cause de la sensation douce contre mon dos et de la voix qui se faisait entendre. Marie, bien sûr, n’était pas amusée.

« Arrête ! Plus d’audio non plus ! Tu dois faire preuve de plus de bon sens ! », gronda-t-elle.

Quelques instants après le début de notre mission, tous nos atouts étaient devenus inutilisables. Nous n’avions obtenu aucune information et nous avions douloureusement pris conscience de l’ampleur de notre tâche.

***

Partie 2

Je coupais quelques légumes verts sur la planche à découper.

La cuisine était bien plus spacieuse que celle que j’avais chez moi, mais il y avait quelques différences dans ce monde. Par exemple, un esprit de lézard de feu se trouvait à l’emplacement du brûleur à gaz et me regardait avec ses yeux de fouine, comme pour me dire : « Es-tu prêt ? »

Ces derniers temps, ils avaient été convoqués uniquement pour cuisiner, alors ils semblaient y être habitués. Lorsqu’il avait été invoqué, son visage disait : « Ouais, ouais… Pour la marmite, c’est ça ? » Les lézards de feu ne pouvaient pas parler, mais c’était ce que je pensais.

Le problème, c’est que nous avions dû rassembler une tonne de nourriture, ce qui nous avait obligés à faire plusieurs voyages pour remplir le réfrigérateur. Le réfrigérateur était également étrange, et il utilisait une sorte de technique pour empêcher la nourriture de se gâter sans refroidir l’air à l’intérieur. Je n’aurais pas compris comment cela fonctionnait même si je l’avais demandé, alors je n’y avais pas vraiment réfléchi.

Cette forêt était riche en terre et en eau, avec des légumes et du poisson en abondance. J’attribuais cela à l’ancien maître d’étage, Shirley, qui faisait circuler les âmes ici. La forêt était devenue encore plus stable ces derniers temps, si bien qu’ils avaient commencé à chasser les cerfs et les sangliers qui se faisaient de plus en plus nombreux. D’après Wridra, leur viande était de très bonne qualité, car elle n’avait pas été contaminée par la matière démoniaque. Le sol avait été souillé lors d’une ancienne bataille, ce qui expliquait pourquoi la nourriture avait si mauvais goût dans ce monde. La nourriture de cet endroit se vendrait probablement à un prix élevé si elle était exportée, mais il y aurait aussi des problèmes si d’autres marchands s’en apercevaient, c’est pourquoi nous voulions réserver les produits à la consommation locale.

C’est pourquoi nous n’avions heureusement pas à nous soucier d’acheter de la nourriture au deuxième étage. Si nous avions besoin de quoi que ce soit, il nous suffisait de nous rendre quelque part avec Wridra et de l’acheter.

Il y avait des ingrédients simples, comme de la viande de sanglier, des légumes sauvages, quelques légumes verts et des champignons. Je n’avais apporté du Japon que du miso, des œufs, des flocons de bonite et des oignons verts, ce qui était beaucoup plus rentable que d’apporter des plats en boîte — en termes de dépenses au Japon, bien sûr.

« Je me demande si nous allons finir par faire des siestes pour manger dans ce monde », avais-je dit.

« Non, merci. Je veux manger japonais quand je serai là-bas. La cuisine n’est pas encore très variée ici. Mais le poisson est bon, bien sûr. »

Sur ce, Marie commença à nettoyer la terre des légumes à côté de moi. Le lézard de feu qu’elle avait invoqué prouvait que son niveau de compétence en tant qu’assistante culinaire était bien plus élevé dans le monde imaginaire. Mais la jeune fille elfe, vêtue d’une blouse kappogi et d’un foulard triangulaire sur la tête, était trop mignonne pour être qualifiée de fantastique.

J’étais d’accord avec Marie pour dire que le poisson avait bon goût. Les fruits de mer n’étaient pas seulement une question de saveur, la fraîcheur était également essentielle. Les crustacés perdaient particulièrement leur douceur naturelle et acquièraient une saveur particulière au fil du temps, bien qu’il n’y ait pas de mer pour les trouver dans les environs.

« De toute façon, le sanglier, c’est pénible à cuisiner, hein ? Je ne savais pas qu’il y avait autant d’étapes de préparation », avais-je dit.

« Oui, ce n’est pas facile. Il faut choisir un sanglier femelle à la bonne période de l’année pour qu’il soit de bonne qualité, l’éviscérer, le saigner, enlever la peau et faire durcir la viande avant de pouvoir la cuisiner complètement. On ne se rend pas compte du travail que cela représente si on achète toujours de la viande au supermarché », expliqua Marie.

En tant qu’elfe ayant grandi dans une forêt, Marie était bien mieux informée qu’une personne des temps modernes comme moi. Les hommes-lézards avaient déjà effectué toutes les opérations décrites par Marie. J’étais soulagé de n’avoir qu’à les regarder s’occuper de ça.

+++

L’automne était certainement bien choisi, car nous avions obtenu une viande de haute qualité avec beaucoup de graisse. De plus, j’avais appris à la bibliothèque des techniques telles que le vieillissement à froid. Cela ne faisait pas de mal de savoir, mais je ne m’attendais pas à ce que ces informations soient utiles alors que je n’étais pas chasseur.

Il ne me restait plus qu’à découper la viande de sanglier en fines tranches et à les disposer sur une assiette comme je l’avais déjà vu faire. J’avais appris à connaître ce type de plats en regardant des vidéos pendant les pauses au travail, car c’était un bon moyen de tuer le temps. L’utilisation de viande fraîchement coupée rendait les choses un peu plus compliquées que la préparation d’un hot pot à la maison, mais j’avais hâte d’en découvrir le goût.

J’avais pris la poignée et j’avais transporté la marmite avec le Lézard de Feu qui s’était endormi. Il serait probablement surpris de voir l’équipe Diamant l’entourer lorsqu’il se réveillerait.

Les femmes ne devraient pas tarder à sortir de la zone de baignade. Alors que nous disposions les assiettes sur la longue table et que nous mettions les flocons de bonite dans la marmite, l’équipe Diamant revint bruyamment.

L’écran coulissant s’était ouvert avec fracas et les femmes que nous connaissions dans le labyrinthe se tenaient là, vêtues de yukata aux couleurs vives. Eve expliquait avec passion à quel point son massage était merveilleux, jusqu’à ce que ses yeux bleus s’écarquillent en nous voyant.

« Bienvenue à tous. Avez-vous apprécié votre bain ? »

« Oh, c’est Kazu et Marie ! Quoiiiiiiiii, est-ce qu’on va vraiment manger de la nourriture japonaise après notre bain ? Oh, oh, vous avez de la bière ? » Eve était de très bonne humeur dès qu’elle vit la nourriture.

Elle avait passé ses bras autour des épaules de Marie et des miennes dans un geste négligé, mais ce n’était pas une bonne idée de distraire quelqu’un pendant qu’il cuisinait. Il y avait de la bière, bien sûr, des bières spéciales de la ville portuaire d’Ozloi. Dès que je le lui avais dit, Eve avait fait une petite gigue et s’était écriée : « Oui ! »

Tous les autres regardaient avec des expressions vides, mais Marie et moi souriions, complotant pour leur faire passer le meilleur moment de leur vie. Grâce à ce dîner, ils connaîtraient les charmes de ce manoir, et nous pourrions même les recruter pour travailler ici si cela les intéressait.

Cependant, leur chef Puseri trouvait toute cette hospitalité inquiétante et s’agenouilla sur le tatami tout en redressant son col.

« Je ne peux m’empêcher de me sentir mal à l’aise lorsque tu cuisines pour nous alors que nous faisons partie de la même équipe de raid », déclara-t-elle.

« Non, non, ne t’inquiète pas. Tu nous as offert l’hospitalité au manoir des roses noires. Nous serions heureux que tu apprécies ton séjour ici », répondis-je. N’hésite pas à vivre ici si tu le souhaites, heh heh… Cependant, je cachais mes pensées intérieures derrière une façade épaisse, comme l’employé de bureau que j’étais. Il semblerait que l’expérience de la société soit parfois utile.

Une douce atmosphère avait empli la pièce tandis que je préparais la marmite avec du miso, du saké et du mirin. Il était facile de préparer une marmite, mais l’arôme si intense était inhabituel pour elles. Elles s’étaient assises autour de la table de style horigotatsu, leur regard collectif étant fixé sur les marmites contenant des produits étranges.

Nous avions besoin d’environ trois marmites pour servir les huit femmes, alors Marie et moi avions rapidement apporté les ingrédients et ajusté le feu. En nous voyant travailler si activement, Puseri avait murmuré : « Vous êtes tous les deux adorables dans vos tenues assorties. Vous avez l’air d’un petit couple de mari et femme. Tu as dit que ces blouses s’appelaient kappogi ? »

« Regarde, elle devient rouge. Ne me dis pas que vous voulez vous marier ou quelque chose comme ça. Ah ha ha, maintenant ils sont tous les deux rouges. Comme c’est mignon ! »

Eve n’avait vraiment pas mâché ses mots. J’avais regardé de mon côté et j’avais vu que Marie était devenue rouge vif jusqu’à ses longues oreilles. Elle s’était caché la bouche avec le plateau qu’elle tenait et m’avait jeté un coup d’œil… et j’étais trop gêné pour croiser son regard. Nous étions censées divertir les invitées ce soir, mais j’avais l’impression qu’elles étaient déjà sur le point de m’épuiser avec leur énergie. Je fis une expression maladroite, et tout le monde se mit à rire d’un air amusé.

« Je suis stupéfaite par l’exotisme de toutes les parties de ce manoir. Le paysage et la qualité de l’eau du bain étaient tous deux exquis », déclara Puseri.

« Oui, c’était fou. Mais la vue est tellement dégagée que je m’inquiète de savoir si quelqu’un peut nous voir. Ce n’est pas que ça me dérange, mais je me sentirais mal pour les petites », répondit Eve.

« En y repensant, tu te souviens quand Charbydis a commencé à faire des siennes ? Il a peut-être surpris quelqu’un en train de nous espionner. Si c’est le cas, ils ont probablement goûté à ses tentacules. »

 

 

« Pas question ! Ha ha ha ! »

J’avais ri avec elles et j’avais rejeté cette idée ridicule, mais plusieurs membres d’élite masculins de l’équipe de raid avaient respiré bruyamment dans la forêt à ce moment-là. Ils étaient à moitié nus dans leurs vêtements trempés et en lambeaux après avoir été complètement vaincus dans une bataille féroce.

Mais ils se tenaient bras dessus bras dessous et se promettaient de triompher un jour, leur esprit combatif brûlant. Charybde était une ennemie puissante avec sa capacité Indestructible et ne pouvait être vaincue par des moyens normaux. Cependant, le feu dans leurs yeux montrait clairement qu’ils n’avaient pas abandonné. Après tout, ils étaient de vrais pervers… ou plutôt des guerriers.

***

Partie 3

Aujourd’hui était un jour de repos pour la divertissante équipe Diamant. Mais ces hommes étaient pleins d’énergie et n’avaient pas le temps de se reposer. Leur grand groupe de dix-huit membres s’était réuni pour répondre à un appel à un entraînement aussi intense qu’un vrai combat. La mission s’était avérée bien plus rigoureuse que prévu, et leur fatigue était plus grande qu’à l’accoutumée. Sans compter qu’ils n’avaient eu aucun succès jusqu’à présent. Pourtant, leur volonté n’avait pas diminué. Ils s’étaient battus en partant du principe qu’aucun rêve n’était inaccessible, mais tout ce que je pouvais penser, c’était qu’ils étaient stupides.

Au-delà de la vitre se trouvait un jardin japonais verdoyant. Les femmes de l’équipe Diamant discutaient joyeusement de ce spectacle inhabituel et du yukata coloré qu’elles portaient pour la première fois.

Finalement, leurs conversations s’étaient tues, car la vedette du spectacle était arrivée sur un grand plateau.

De fines tranches de viande de sanglier de haute qualité étaient disposées comme des pétales de fleurs sur l’assiette. La présentation du plat n’était pas tout à fait parfaite puisqu’il s’agissait d’un amateur, mais le groupe avait applaudi dès qu’il l’avait vue. Nous avions jeté la viande dans les marmites une par une, mais la viande de sanglier était très différente de celle du porc ou du bœuf. Bien qu’elle soit moelleuse et très robuste, son goût s’améliorait au fur et à mesure que nous la faisions cuire dans le bouillon.

Nous avions ajouté de la racine de bardane pour atténuer l’odeur, puis nous avions ajouté des légumes verts, des champignons et un bouquet d’oignons verts au bout d’un certain temps. C’est alors que l’odeur appétissante du miso s’était répandue dans l’air. Après avoir transpiré et dépensé de l’énergie dans le bain, elles n’avaient pu s’empêcher de déglutir devant le festin qui s’offrait à elles.

« Argh, ça sent tellement bon… Je commence à avoir faim ! »

Nous étions heureux d’entendre le désespoir dans leurs voix.

Le hot pot de sanglier est un plat très apprécié depuis l’antiquité. On disait qu’il existait depuis la période Jomon et que quiconque le mange avec de la viande de qualité supérieure est sûr d’être accro à sa saveur profonde. Heureusement, la viande utilisée aujourd’hui était de première qualité.

L’arôme du miso mélangé au jus de viande et à la douceur des légumes nous mettait en appétit. L’odeur des aliments était très importante et influençait en partie notre sens du goût. Elle permettait au cerveau de savoir quand la nourriture serait savoureuse et à la langue de se préparer automatiquement à manger.

J’entendais d’autres personnes déglutir de manière audible.

Comme nous l’avions dit, la viande de sanglier devient plus tendre et plus savoureuse au fur et à mesure qu’elle est cuite. Une odeur délicieuse s’échappait de la marmite bouillonnante, et tout le monde avait cessé de parler pour attendre la nourriture avec impatience.

Enfin, Marie commença à sortir les bouteilles de bière, et il était enfin temps de dévoiler le somptueux repas. J’avais enlevé le couvercle d’une des marmites et de la viande de sanglier bien grasse recouvrait la surface du ragoût.

« Oui, ça a l’air prêt », avais-je confirmé. « Je vous en prie, mangez tous. Aujourd’hui, c’est pour les femmes, alors pourquoi ne pas en prendre aussi, Marie ? »

« Oh ! Je peux ? Ça sent tellement bon… Je ne pense pas pouvoir dire non ! » déclara Marie.

Je fis signe à tout le monde de commencer à manger, car j’avais encore la mission de recrutement à faire. Tout le monde s’était rassemblé autour des marmites. Marie et moi avions mis de la nourriture dans de petites assiettes pour les plus jeunes, et elles avaient commencé immédiatement à mordre dans la viande de sanglier.

La viande de sanglier semblait très grasse, mais sa teneur en graisse était en fait très différente de celle des autres viandes. Par exemple, elle ressemblait à de la cire dure lorsque je la coupais avec un couteau de cuisine. Mais une fois cuite, elle était devenue extrêmement onctueuse et tendre, avec une texture ferme facile à mâcher grâce à son long temps de cuisson. Les yeux des femmes s’étaient illuminés grâce à la saveur du miso et à l’arrière-goût sucré.

« Hmmm !! »

Le goût donnait l’eau à la bouche au point de faire mal, et l’on avait du mal à formuler des mots. Le jus de la viande et des légumes s’échappait à chaque bouchée. Étrangement, la nourriture ne semblait pas trop grasse. Chaque bouchée était délicieusement sucrée, mais laissait un arrière-goût rustique de noisette. À en juger par leurs expressions, il semblait vrai que la graisse de sanglier ne pesait pas lourd dans l’estomac, quelle que soit la quantité consommée.

La viande rouge était incroyablement tendre, car elle se détachait facilement, et il faut répéter à quel point elle était sucrée. Sur le plan gustatif, elle se situait quelque part entre le porc et le bœuf. Il y avait encore un peu de piquant, mais le goût était doux sur la langue.

La chambre d’amis éclairée par le soleil s’était animée au son des rires. Je savais que c’était le moment idéal pour recommander une bière glacée.

Même les vétérans de l’équipe Diamant n’avaient aucune chance de résister à une boisson fraîche accompagnée d’une délicieuse nourriture grasse, surtout après un bain chaud. Elles engloutirent les bières aux bulles rafraîchissantes et poussèrent un soupir de satisfaction, comme lorsqu’elles s’étaient plongées dans l’eau du bain.

« Qu’est-ce que c’est ? C’est trop bon ! Je veux vivre au Japon si vous avez des trucs comme ça ! »

Eve secoua la tête en signe d’incrédulité, mais le hot pot à la viande de sanglier n’était pas courant, même au Japon. C’était assez cher dans un restaurant de qualité, et j’aurais aimé qu’elle arrête de dire « Japon » alors que nos voyages entre les mondes étaient censés être secrets.

Je lui avais offert une autre bière pour la faire taire. Son verre s’était mis à tinter lorsque la bouteille l’avait touché et l’avait rempli du breuvage doré.

Le corps de chacun recherche la bonne nourriture. On peut manger plus que d’habitude quand la bonne nourriture est là, et le corps en redemande même quand l’estomac est plein.

Une fois que tout le monde avait mangé à sa faim, il y avait un joli jardin japonais à contempler pendant que l’on se frottait la panse. L’espace harmonieux qui s’offrait à eux offrait un luxe différent de celui d’un dîner alors que le soleil s’éclipsait lentement.

« Le luxe », c’est ainsi que l’on pourrait le qualifier. Même après avoir comblé tous leurs désirs, la chambre d’hôtes leur offrait encore plus. Elles mangèrent et burent à satiété. Le repas était remarquablement simple, mais il leur donnait une vitalité qui ne pouvait venir que de la viande sauvage.

Le groupe transpirait à cause de la marmite fumante et leurs vêtements s’étaient défaits au fil du temps, à force de boire. Je devais m’abstenir de regarder, car les femmes du monde imaginaire étaient trop séduisantes. Leurs cuisses se frottaient l’une contre l’autre sous l’effet de la chaleur et, dans leur état d’esprit, leurs yukata étaient plus ouverts au niveau de la poitrine. Je m’étais détourné, car il semblait qu’elles n’étaient pas sur leurs gardes puisque j’avais l’air d’un enfant.

Plusieurs femmes étaient allongées sur le tatami, et l’une d’entre elles marmonnait : « Ahh, il n’y a aucune chance que je défaille de ce côté… » Je n’ai pas compris de quoi elle parlait, alors j’ai simplement penché la tête en signe de confusion.

Il n’avait pas fallu longtemps pour que les marmites soient vides et que de nombreuses personnes soient à terre, mais l’événement principal n’avait pas encore commencé. Nous avions mis du riz lavé dans chaque marmite pour faire de la bouillie. Le riz avait commencé à absorber la saveur et le bouillon de la viande et des légumes dès que nous l’avions ajouté. C’était absolument délicieux. À la télévision, un invité s’écriait toujours : « Délicieux ! » Le moment aurait été bien choisi pour le faire.

J’avais mélangé quelques œufs dans la casserole et j’avais testé le goût, et je n’avais pas pu m’empêcher de sourire. Une grande quantité d’umami était concentrée dans le riz, ce qui était la manière parfaite de terminer le dîner.

Tout le monde était déjà rassasié, mais après une bouchée, leur corps en réclamait davantage, les laissant dans une lutte entre les gémissements de satiété et la saveur délectable. Il semblerait que les invitées aient beaucoup apprécié leur séjour. Lorsque nous avions nettoyé et quitté la pièce, elles étaient toutes allongées sur les tatamis, le sourire aux lèvres. Nous étions peut-être allés un peu trop loin, mais ce n’était pas de ma faute. Si quelqu’un avait des plaintes à formuler, il devrait les adresser à Wridra et Shirley pour avoir préparé des ingrédients de si grande qualité.

C’est ainsi que j’avais quitté la chambre d’hôte de l’équipe Diamant avec Marie, dont le ventre avait été rempli à ras bord de nourriture.

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J’avais décidé de me promener avec Marie le soir, après avoir fait la vaisselle. Les insectes chantèrent en un rien de temps et il y avait dans l’air une impression d’automne que l’on ne pouvait pas vraiment ressentir en ville.

Nous avions marché le long d’un petit sentier jusqu’à ce que la vue se dégage et révèle un vaste lac. Nos pieds s’étaient arrêtés involontairement, les feuilles bruissant autour de nous.

« Ah, c’est tellement beau », déclara Marie. « Je n’arrive pas à croire que nous avons participé à la création de cet endroit. »

« Oui, je pense que personne ne nous croirait même si on leur disait. Je veux dire, c’est censé être un ancien labyrinthe. Oh, il y a une aire de repos là-bas, alors allons-y et regardons le coucher de soleil ensemble », avais-je répondu.

Marie s’était réjouie. Son yukata léger, aux couleurs de fleur de cerisier, était orné d’un motif de papillon qui voltigeait. Lorsque je lui avais tendu la main, elle ne s’était pas envolée comme un vrai papillon, mais ses doigts s’étaient enroulés autour des miens. Nous avions ensuite marché ensemble, ses pas étant vifs et joyeux.

Pourtant, je n’avais pas pu m’empêcher de penser au recrutement de l’équipe Diamant.

« Je doute que nous puissions les faire travailler pour nous tout de suite, alors peut-être devrions-nous attendre quelques jours, puis parler à Puseri. Je ne sais pas cependant si elle sera prête à accepter quand elle aura sa mission », avais-je dit.

Pour une raison que j’ignore, Marie pencha la tête. Elle m’avait alors demandé de quoi je parlais, et je m’étais demandé si elle n’avait pas oublié nos projets pendant le dîner.

« Tu sais, à propos de l’intégration d’un plus grand nombre de personnes dans le manoir », avais-je dit.

« Hm ? Oh, c’est vrai », répondit Marie. « Je n’ai pas oublié, bien sûr. Oui, nous aurons peut-être besoin d’un peu plus de temps. »

« Ils ont un grand manoir dans leur pays, ce qui pourrait être difficile à gérer. Je suppose que nous ne le saurons jamais tant que nous n’aurons pas posé la question. »

Nous n’étions pas pressés, j’avais donc décidé d’être patient. Il y avait beaucoup d’options, même si cela ne fonctionnait pas. Nous pouvions engager quelqu’un d’autre, mais il était peu probable que nous trouvions quelqu’un de plus fiable que l’équipe Diamant.

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