Wortenia Senki – Tome 9 – Prologue

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Prologue

Le rideau de la nuit tombait lourdement sur la ville de Lentencia. Il était un peu plus de 22 heures. Un horaire bien trop tardif pour être considéré comme le soir, mais bien trop matinal pour être considéré comme la fin de la nuit selon les normes japonaises. Mais ce monde ne possédait pas la puissance de l’électricité, et selon leurs normes, c’était vraiment la nuit.

La plupart des gens n’avaient pas les moyens de garder des bougies et des lampes à huile allumées en permanence. Même pour les gens issus de la noblesse et de la royauté, le coût de l’éclairage permanent était loin d’être négligeable. Et pourtant, comme le maintien des apparences faisait partie de leur manière de vivre, ils laissaient les bougies allumées, bien que ce soit certainement une charge financière, même pour eux.

Et pourtant, dans ce monde, il y avait des exceptions à cette règle. À savoir, les quartiers de plaisir des villes. Fidèles à leur surnom, « les villes sans nuit », ces quartiers étaient éclairés toute la nuit.

Cela dit, cette illumination ne s’étendait qu’aux rues principales et aux entrées des échoppes. Dès que l’on s’engageait dans les ruelles, l’obscurité régnait en maître, et la seule lumière que l’on pouvait trouver était due au scintillement des étoiles et de la lune.

Tandis que les ivrognes pénétraient dans ces ruelles, ne laissant que des cris d’ivresse dans leur sillage, un groupe de personnes plus sobres se mêla à eux. Les membres de ce groupe avaient tous des couleurs de peau différentes. Certains avaient la peau claire et les cheveux dorés typiques du nord, tandis que d’autres étaient des hommes barbus d’âge moyen à la peau sombre rappelant une origine arabe. Et à leur suite se trouvait un vieil homme aux yeux bridés. Un homme d’origine asiatique.

Un véritable melting-pot de races et d’âges différents. Ils étaient vêtus de vêtements banals. Ils ne portaient pas d’armes, ni d’armures ou de vêtements noirs qu’un ninja pourrait porter pour se faufiler. Leurs vêtements étaient faits de coton et de lin, comme il était d’usage dans ce monde.

Personne ne leur avait prêté une attention particulière alors qu’ils avançaient dans la ruelle baignée par l’obscurité. Ils avaient fini par s’arrêter devant un immeuble résidentiel. Devant leurs yeux se trouvait une sorte de statue, faite d’innombrables pierres plates empilées ensemble.

Le fait d’appeler ça une statue était une exagération. Cela ressemblait plutôt à un jeu d’enfants, une forme instable et fragile qui pouvait s’effondrer si quelqu’un la frappait avec la semelle de sa chaussure.

Mais quelques rares personnes pouvaient voir cette forme pour ce qu’elle était, et ils savaient que ce n’était en aucun cas le résultat d’un jeu d’enfant.

Les membres du groupe sortirent leurs cartes de guilde de leurs poches et les montrèrent devant la sculpture de dragon placée contre la porte du bâtiment. Pour faire simple, ce n’était pas différent de la sécurité que l’on pouvait voir dans une grande entreprise. C’était une sorte de carte-clé. Quelqu’un dans l’Organisation avait dû travailler dans une telle entreprise auparavant, et avait utilisé son expérience pour reproduire ce système en utilisant la magie.

Les yeux de la sculpture du dragon s’illuminèrent un bref instant, puis la porte s’ouvrit sur l’extérieur, signalant ainsi qu’elle avait été déverrouillée. Le groupe entra dans le bâtiment, où ils virent un homme assis, dos à eux.

« Ils sont tous là maintenant », chuchota quelqu’un à l’oreille de Zheng, qui hocha la tête.

Zheng s’était alors retourné. C’était un homme d’âge moyen, aux cheveux noirs. Les cheveux de l’homme étaient balayés en arrière, et il était vêtu d’une queue de pie sans un seul pli et d’un nœud papillon.

Il se tenait debout, le dos bien droit, donnant l’impression d’être un individu strict. Il se comportait comme le majordome ou l’assistant d’un noble ou d’un marchand influent. En mettant de côté quant à qui il pouvait servir, ce n’était sûrement pas le genre d’homme que l’on pourrait rencontrer dans la ruelle d’un quartier de plaisir. C’était comme si on agissait pour sortir les poubelles et qu’on tombait par hasard sur un homme en smoking.

Bien sûr, ce n’était pas comme s’il était interdit de se promener dans une telle tenue, mais il y existait une chose qui se nomme bon sens. Certains styles vestimentaires s’adaptaient à certaines situations, tout dépendait de l’occasion. Il n’y avait pas de lois en la matière et personne ne serait puni pour avoir choisi de ne pas suivre ce raisonnement.

Mais même si la loi ne l’interdisait pas, cela ne voulait pas dire qu’il n’y avait pas de forces en place pour empêcher quelqu’un de le faire. Le regard des autres avait une manière invisible et pourtant brutale d’empêcher quelqu’un de se distinguer. Et à cet égard, cet homme s’était certainement distingué comme un pouce endolori.

Néanmoins, personne ne s’était moqué de Zheng pour son apparence. Chaque personne présente ici savait à quel point il était redoutable.

« Je vous remercie d’être venu si rapidement. Liu Daijin nous a donné des ordres urgents. », dit Zheng.

À ces mots, tous les autres hommes présents s’étaient visiblement crispés, mais ils avaient aussitôt hoché la tête. À en juger par leurs expressions raides, Zheng pouvait dire qu’ils avaient été informés de la situation dans une certaine mesure.

C’est logique… Cette pensée traversa alors l’esprit de Zheng. Ce n’est pas souvent que Liu Daijin convoque des gens à ses côtés comme ça…

Pendant les cinq années où Zheng avait servi Liu, les fois où le vieil homme avait donné des ordres aussi urgents étaient très rares. Mais à chaque fois que de telles exceptions se produisaient, il s’agissait toujours d’une situation où quelque chose de critique s’était produit pour l’Organisation.

Dans ce cas, les expressions sévères sur les visages de ces agents étaient à prévoir. Mais le fait de savoir comment cet incident allait tourner était encore en suspens.

C’est un cas assez inhabituel…

Le travail de Liu Daijin consistait à gérer et à administrer la division sud-ouest de l’Organisation sur le continent occidental, tout en étant chargé du renseignement et du contre-renseignement contre leur ennemi juré, l’Église de Meneos. Et si Lentencia était la base d’opérations de Liu, il n’avait jamais vraiment participé à la gestion de la ville elle-même.

Dans la plupart des cas, quelque chose de cette nature tombait sous la juridiction de Ruqaiya Redouane, l’agent chargé de gérer les affaires de cette ville. Et bien que Ruqaiya ait approché Liu pour obtenir des conseils concernant la familiarité de l’homme mystérieux avec les codes de l’Organisation, elle ne lui avait pas réellement demandé son aide.

D’après ce que Zheng savait de Liu, il respecterait normalement la position de Ruqaiya et ne ferait pas de démarche de son propre chef. Le rang de Ruqaiya au sein de l’Organisation était inférieur à celui de Liu, mais elle faisait tout de même partie des échelons supérieurs.

Quelle que soit la façon dont on examinait cette situation, cela n’avait aucun sens.

Et malgré cela, Liu avait ordonné à son serviteur et garde du corps, Zheng, de réquisitionner une force de frappe. Il devait y avoir une raison précise pour qu’il fasse cela.

Pour autant que je puisse le dire, aucune des informations que nous avons ne devrait être si alarmante…

Cette pensée fit naître une très légère ondulation dans le cœur ferme de Zheng. Ce n’était pas quelque chose dont il se vanterait, mais toutes les informations qui parvenaient à Liu étaient filtrées par lui. Les informations livrées à Liu chaque jour provenaient de tout le continent, et leur volume même signifiait que quelqu’un devait les filtrer pour que chaque élément d’information atteigne le département concerné.

Cela signifiait que la quantité d’informations que Zheng possédait sur l’homme mystérieux était égale ou supérieure à ce que Liu savait.

Si quelque chose me vient à l’esprit, c’est l’incident où Misha Fontaine et son mari ont été tués… ? Mais…

Ils avaient été informés que la mage de la cour du royaume de Beldzevia, l’un des royaumes du sud, était morte, tuée par quelqu’un. Tout comme son mari, capitaine de la garde royale. La mort de personnes d’un tel rang était une grande nouvelle dans ce monde.

En effet, le royaume de Beldzevia utilisait toute son autorité pour empêcher que cette information ne devienne publique, sachant que cela plongerait son régime dans le chaos. Les pays environnants recueillaient des renseignements de manière sérieuse, et l’ensemble du sud du continent était dans un état très douteux.

Mais inversement, il s’agissait d’une situation limitée aux royaumes du sud. Comparée à l’échelle de l’échiquier qu’était le continent occidental, la situation à Beldzevia équivalait effectivement à la perte d’un seul pion. Et bien que la perte d’un pion soit un coup douloureux en soi, même l’Organisation comprenait que parfois les choses ne se passaient pas comme elles le voulaient.

De la même manière qu’un joueur professionnel ne se lamenterait pas sur la perte de chaque pion, la mort des Fontaine, et en fait l’existence de Beldzevia dans son ensemble, n’était pas si importante à leurs yeux.

Au moins, je doute que l’incident de Beldzevia ait quelque chose à voir avec ça… Mais même si c’est le cas, qu’est-ce qu’il compte faire… ?

En tant qu’aide de confiance de Liu, Zheng avait loyalement exécuté les ordres du vieil homme, car il comprenait, au moins dans une certaine mesure, ce que Liu pensait. Mais cette fois, Zheng n’avait pas la moindre idée de ces intentions.

A-t-il une idée de qui pourrait être cet homme ? Peut-être que c’est quelque chose qui s’est passé avant que j’entre à son service ?

Zheng avait servi Liu pendant des années, et une grosse partie de son travail consistait à comprendre naturellement ce que le vieil homme pensait. Un aide qui refusait d’agir à moins d’en recevoir l’ordre explicite n’avait pas sa place aux côtés de Liu Daijin. Il devait savoir ce que son maître pensait, et commencer les préparatifs à l’avance.

Mais depuis qu’il avait reçu ses ordres jusqu’à aujourd’hui, Zheng s’était efforcé de parvenir à une conclusion sur ce que Liu prévoyait, et il n’était toujours pas près de le savoir. Honnêtement, il souhaitait pouvoir retourner auprès de Liu et le lui demander. Malheureusement, il avait reçu des ordres explicites, et Zheng devait les exécuter.

Il m’a placé à la tête d’une force d’attaque, ce qui signifie qu’il est assez prudent pour se préparer au pire…

Même maintenant, Zheng était un serviteur au service de Liu, mais son véritable rôle était celui d’un officier commandant à la tête de la force d’élite de l’Organisation, les Chiens de chasse. Ses prouesses martiales et ses capacités stratégiques lui permettaient de rivaliser avec les généraux de Qwiltantia, Helnesgoula et O’ltormea, les trois plus grands pays du continent occidental. Ce n’était pas pour rien qu’il avait survécu aux champs de bataille de ce monde fou et assoiffé de sang.

À vrai dire, il était probablement le plus fort de tous les agents de Lentencia, à part Liu lui-même. C’était pour cela qu’il était le majordome personnel de Liu Daijin, l’une des douze têtes de dragon, les dirigeants de l’Organisation. Le fait qu’un homme de son statut et de ses capacités ait été envoyé sur cette mission signifiait que Liu estimait que cet étranger était exceptionnellement compétent.

Je ne sais toujours pas ce qu’il pense, mais… Je ferai simplement ce qu’on m’a ordonné de faire.

Zheng expira lourdement, comme pour évacuer tout l’air de son corps, puis prit une profonde inspiration. Et à ce moment-là, tous les doutes avaient disparu de son cœur, comme s’il avait changé de vitesse dans son esprit.

Il avait utilisé une méthode d’autosuggestion qui lui avait été inculquée lors de son entraînement dans les forces spéciales du GIGN. À ce moment-là, Liu s’était transformé en un instrument de précision qui n’existait que pour atteindre un objectif unique.

« Nous sommes face à une seule cible. Sa force est actuellement inconnue. Il pourrait s’agir d’un espion envoyé par un pays ou par l’Église. Liu Daijin ordonne de tester ses capacités et de vérifier son affiliation. »

L’une des silhouettes qui le suivaient leva la main.

« Avez-vous une question ? », lui demanda Zheng.

« En supposant que la cible soit compétente, devons-nous donner la priorité à sa capture ? Ou… ? »

Zheng considéra la question avec un hochement de tête satisfait. Aussi minutieux qu’ils aient été, ils ne pouvaient pas être sûrs de leur succès. Surtout compte tenu du peu d’informations qu’ils avaient sur leur cible. Ce genre de situation était sujet à des développements inattendus.

Et cela soulevait la question de savoir comment ils étaient censés réagir face à une situation inattendue. Le fait que la question ait été soulevée était la preuve que les personnes réunies ici prenaient cette mission au sérieux.

« Dans le pire des cas, si la cible s’avère trop difficile à gérer, Liu Daijin nous a donné la permission de l’éliminer. Cependant, peu importe ses compétences, ce n’est qu’un seul homme. Et étant donné notre force et notre nombre, les chances que nous échouions à le capturer sont minces. »

Un sourire vicieux s’était alors glissé sur les lèvres de Zheng.

« Bien sûr, en supposant que votre travail quotidien ne vous ait pas fatigué… »

Les autres silhouettes haussèrent les épaules et sourirent amèrement. Peut-être s’agissait-il d’un rire ironique face à ce défi lancé à leurs compétences martiales, ou peut-être d’une réaction glaciale à la tentative d’humour de leur supérieur. Quoi qu’il en soit, l’air oppressant qui accompagnait le briefing de Zheng s’était quelque peu dissipé.

Les personnes réunies ici étaient des agents travaillant à Lentencia, notamment ceux qui étaient les plus spécialisés dans le combat. Cela ne signifiait pas pour autant qu’ils étaient des aventuriers ou des mercenaires. Seules trois des dix personnes réunies ici avaient affiné leurs compétences martiales grâce à ce genre de travail. Les sept autres exerçaient des professions qui, du moins en apparence, n’avaient rien à voir avec une telle violence.

Un boucher, un boulanger, un messager, un serveur de pub… Et même aussi un mendiant. Toutes ces professions étaient très éloignées de la violence et des conflits. Mais ces quatre-là étaient tous assez puissants pour être considérés comme des combattants de niveau quatre selon les normes de la guilde, ce qui signifiait qu’ils étaient des guerriers de première classe. Avec leurs prouesses, ils pouvaient aller dans n’importe quel pays du continent et s’y voir accorder une affectation en son sein.

Ainsi, les personnes que Zheng avait rassemblées ici étaient fortes.

Et même s’ils étaient quelque peu fatigués, comme l’avait suggéré Zheng en plaisantant, les chances qu’ils échouent dans cette mission étaient extrêmement faibles.

« Tu n’as pas à t’inquiéter, Zheng. Nous n’échouerons pas à un ordre qui nous a été donné par Liu Daijin. En fait, j’ai des affaires à régler demain, alors je préfère qu’on en finisse rapidement… », répondit l’une des silhouettes.

Les neuf autres gloussèrent.

« Je vais prendre cela en compte et en informer Liu. Je suis sûr qu’il sera prêt à ajouter un petit supplément à votre compensation. »

« Heheh, c’est gentil de ta part. Gérer la boulangerie est devenu un peu difficile ces derniers temps », dit la silhouette sans se gêner.

Zheng hocha légèrement la tête en réponse.

Bien, bien… Ils sont suffisamment tendus pour la situation, mais suffisamment calmes. Merveilleux.

S’ils étaient trop stressés avant un travail comme celui-ci, il y avait une chance pour qu’ils se figent sur place lorsque cela serait important. Donc, même s’il ne pouvait pas les laisser se débarrasser complètement de la tension que cette situation nécessitait, il ne pouvait pas non plus les laisser être trop nerveux.

Un fil sur lequel on exerce trop de tension finira par se rompre.

*****

Quelque temps plus tard, un homme s’approcha des portes du bâtiment depuis la rue principale. À en juger par sa coiffure et sa tenue, il était probablement le gérant d’un des commerces de ce quartier de plaisir. Il avait l’apparence soignée et ordonnée typique d’un homme dont les affaires tournent autour des plaisirs de la nuit.

« Monsieur Zheng, le client que vous avez mentionné est en mouvement. Nous avons quelqu’un du magasin qui le suit. »

Apparemment, c’était l’un des membres de l’Organisation.

« Je vois… commençons, alors. Vous êtes tous au courant du plan, non ? », dit calmement Zheng.

Les silhouettes hochèrent la tête et disparurent dans la nuit noire, l’une après l’autre.

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Un commentaire :

  1. merci pour le chapitre

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