Chapitre 2 : Le premier obstacle
Table des matières
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Chapitre 2 : Le premier obstacle
Partie 1
Environ un mois avant que l’armée d’invasion O'ltormean, dirigée par la Première Princesse Shardina, ne commence ses préparatifs précipités de retraite, une rencontre eut lieu. Elle s’était produit le soir du jour suivant la première rencontre de Ryoma Mikoshiba avec la reine d’Helnesgoula, la Renarde du Nord, Grindiana Helnecharles.
Elle s’était déroulée dans la ville-citadelle de Memphis. C’était à l’origine une importante position défensive pour le royaume de Xarooda, qui fut ensuite occupée par l’armée d’Helnesgoula. Dans un coin d’un bâtiment qui était autrefois le centre de l’administration de la ville, trois individus étaient assis autour d’une seule carte.
Ils n’avaient qu’un seul objectif, trouver un moyen de repousser Shardina et l’armée d’invasion O'ltormean. Car même avec Helnesgoula, l’un des pays les plus forts du continent à leurs côtés, les trois royaumes de l’est avaient des options limitées.
Le général Arios Belares était mort dans la bataille des plaines de Notis, et l’armée d’invasion de Shardina avait déjà pris racine dans le territoire de Xarooda. Ils avaient établi une tête de pont solide en construisant le Fort Noltia dans le bassin d’Ushas, ce qui leur permettait d’empiéter plus profondément dans leur territoire.
En vérité, si l’héritier du général Berlares, Joshua, n’avait pas perturbé à plusieurs reprises leurs lignes de ravitaillement par des techniques de guérilla, O’ltormea aurait déjà divisé le territoire de Xarooda en deux, les livres d’histoire l’auraient déjà sûrement écrit.
La lutte miraculeuse de Joshua était en grande partie la raison pour laquelle Xarooda s’accrochait encore à la vie en tant que pays. Mais ce miracle n’allait pas durer longtemps. O’ltormea puisait déjà dans sa vaste puissance nationale pour rassembler des troupes expérimentées dans les combats en terrain montagneux. De grandes quantités de nourriture et de fournitures étaient entassées dans le fort Notis, puis livrées petit à petit dans le fort Noltia.
L’armée d’invasion passera donc à une offensive de grande envergure dans très peu de temps. L’alliance n’avait alors que deux options. La première était de laisser l’armée d’Helnesgoula marcher sur le bassin d’Ushas et de joindre ses forces à celles de Xarooda et des deux autres pays, formant ainsi une armée alliée qui pourrait être capable de repousser la force d’invasion d’O’ltormea.
L’autre option était de faire en sorte que Helnesgoula lance une attaque-surprise sur les frontières nord de l’Empire d’O’ltormea, les forçant à consolider leurs forces à cet endroit. Ce faisant, ils allégeraient la pression sur le front de Xarooda.
Les deux idées avaient cependant leurs défauts.
Avec la première, il n’était pas certain que les forces d’Helnesgoula puissent arriver au bassin d’Ushas à temps avant le début de la bataille. Et même si elles arrivaient avant le début des combats, il était difficile de dire si l’armée alliée nouvellement formée serait capable de combattre correctement en tandem.
Pire encore, Xarooda avait une topographie montagneuse unique qui rendait le terrain difficile à traverser. Helnesgoula disposait d’un vaste réseau de renseignements et connaissait dans une certaine mesure le terrain du pays, mais tout de même, déployer une armée dans un autre pays comportait des risques.
Mais l’autre choix, lancer une invasion surprise à la frontière nord d’O’ltormea, était tout aussi risqué. Si Helnesgoula le faisait, les premiers à agir seraient les armées du front nord d’O’ltormea, rassemblée par le prince héritier. Cette armée était réputée être une force d’élite, capable d’égaler la garde d’élite de l’empereur Lionel Eisenheit.
Un affrontement direct avec ces forces ne se déciderait pas facilement, et il n’y aurait aucune chance d’armistice. Les deux pays devraient engager toutes leurs forces restantes dans la bataille. Cela obligerait l’armée de la princesse Shardina à se retirer, mais les cadavres des deux pays s’empileraient sur le sol et des rivières de sang couleraient.
Cela marquera alors le début d’une guerre d’usure sans fin entre O’ltormea et Helnesgoula. Et qui pouvait dire que d’autres pays n’essaieraient pas de tourner la situation à leur avantage ? Il n’y avait aucune garantie que le Saint Empire Qwiltantia n’essaierait pas de tirer profit de la guerre. Et cela transformerait cette manœuvre militaire, destinée à aider Xarooda, en début d’une grande guerre pour l’ensemble du continent.
Et même si Helnesgoula était intéressé à aider Xarooda, c’était toujours le problème d’un autre pays. En tant que reine d’Helnesgoula, Grindiana n’avait pas besoin de prendre ce genre de risque.
Mais malgré cela, un homme avait courageusement suggéré d’attaquer la frontière nord d’O’ltormea. Il s’appelait Ryoma Mikoshiba, c’était un baron de Rhoadseria et une personne venant de Rearth, qui avait renversé la position d’infériorité de la reine Lupis Rhoadserians lors de la récente guerre civile, lui faisant ainsi gagner la couronne.
Il s’est fait passer pour une sorte de génie, mais il montre enfin son vrai visage… Arnold Grisson, l’un des généraux d’Helnesgoula et commandant du front oriental, soupira de déception. Je me demande même si cet homme a pu faire l’offre qu’il nous a faite hier.
Lors de leur première rencontre la veille, Ryoma avait impressionné Grindiana, la souveraine que Grisson admirait et à laquelle il était dévoué, en voyant avec précision ses intentions et en lui faisant une offre qui avait dépassé ses attentes. Et cela avait choqué Grisson au plus haut point. Et bien qu’il ait plus de deux fois son âge, Grisson était envahi par la crainte et l’admiration envers Ryoma Mikoshiba.
Mais à présent, Grisson ne ressentait plus rien de tel. Il faudrait que Ryoma soit un imbécile pour ne pas remarquer à quel point la suggestion qu’il venait de faire était téméraire et dangereuse. Et s’il la disait en sachant à quel point elle était insensée, il ne serait rien d’autre qu’un serpent qui essayait clairement de les tromper.
« Êtes-vous… sérieux ? »
Ryoma avait acquiescé calmement : « Oui… Je veux que vous ordonniez aux armées d’Helnesgoula de commencer à se préparer à attaquer la frontière nord d’O’ltormea. »
Voyant son attitude, Grisson laissa échapper un autre soupir exaspéré et secoua la tête. En vérité, si Grindiana n’avait pas été présente dans cette pièce, Grisson aurait été enclin à enfoncer son poing dans le visage de Ryoma.
Ils avaient convenu la veille qu’Helnesgoula s’unirait à l’alliance orientale et agirait en tant que leader de l’union. Et l’on s’attendait à ce que le leader d’une union soit prêt à faire quelques dégâts pour aider les pays sous son aile. Mais cela ne signifiait pas qu’il devait prendre un risque assez grand pour potentiellement entraîner sa propre destruction. Cette suggestion frise la folie.
En tant que telle, l’exaspération de Grisson était à prévoir. Cependant, contrairement à son attitude, Grindiana regardait Ryoma, qui était assis en face d’elle, avec des yeux brillants. Son regard était comme celui d’un enfant innocent à qui l’on venait de montrer un tour de magie.
« Tu ne comprends pas, Arnold », dit Grindiana avant d’élever la voix dans un rire agréable.
« Mais, Votre Majesté… »
Grisson ne pouvait qu’incliner la tête d’un air étonné devant l’attitude de sa maîtresse.
Ordonner aux armées d’Helnesgoula de commencer à se préparer à une attaque sur les frontières nord d’O’ltormea signifiait entrer en guerre totale avec l’Empire. Grisson ne voyait pas d’autre interprétation à ce que Ryoma venait de dire. N’importe quel général d’Helnesgoula aurait probablement supposé la même chose.
Pourtant, Grindiana voyait les choses différemment.
« Tu es un petit imbécile, Arnold… Ryoma Mikoshiba n’aurait pas élaboré ce plan s’il ne pensait pas qu’une guerre totale avec O’ltormea était parfaitement évitable. »
Grindiana sourit en parlant, une lueur dansant dans ses yeux.
« Ce n’est pas votre intention… N’est-ce pas, Mikoshiba ? »
Elle ponctua ses paroles en regardant Ryoma avec un regard de côté envoûtant.
Un tel regard sensuel aurait fait frissonner la plupart des hommes à qui il était adressé. Mais il semblait inefficace contre Ryoma.
« Bien sûr que non, Votre Majesté »
Ryoma acquiesça calmement en désignant une zone spécifique sur la carte étalée devant eux.
« Fort Notis… Qu’en est-il ? », dit Grisson en penchant la tête.
Ryoma désigna les plaines de Notis, qui se trouvaient désormais fermement sur le territoire d’O’ltormea. Grisson ne comprenait pas où Ryoma et Grindiana voulaient en venir.
« C’est cet endroit que nous allons viser », dit Ryoma.
« Quoi ? ! », s’exclama Grisson, se levant sur ses pieds avec surprise.
*****
Un peu plus tard dans la nuit, Arnold Grisson s’enfonça dans le canapé, ses yeux regardant le plafond. Il n’y avait que lui et Grindiana dans la pièce.
« Je n’arrive pas à croire qu’il ait pu inventer un truc pareil… », marmonna Grisson.
Ryoma Mikoshiba avait détaillé les grandes lignes de la façon dont ils allaient offrir leur aide à Xarooda. Et pour Grisson, un soldat expérimenté qui avait survécu à d’innombrables batailles, c’était un plan qui semblait trop absurde.
Qui pourrait inventer quelque chose d’aussi absurde… ?
Le cœur de Grisson était inondé d’émotions. Il était vrai qu’il était fautif, qu’il aurait dû écouter l’idée de Ryoma jusqu’au bout. Il ne pouvait s’empêcher de se maudire à regret d’avoir élevé la voix malgré sa position de commandant suprême du front oriental d’Helnesgoula.
Mais tout cela était bien évidemment rétrospectif. Qui aurait pu lire dans les intentions de Ryoma à l’avance ? Aucun des collègues de Grisson à Dreisen n’aurait pu également le prédire. Et bien qu’ils soient tous des généraux doués, ils avaient été formés pour prendre le commandement sur le terrain. En d’autres termes, c’étaient des tacticiens. Mais ceci était une question de stratégie. Cela ne voulait pas vraiment dire que la stratégie était plus importante que la tactique, mais elles différaient en termes de perspective. Très peu de personnes pouvaient planifier des opérations militaires à l’échelle nationale.
Arnold Grisson était salué comme l’un des meilleurs tacticiens d’Helnesgoula. Il en était fier, mais à présent, cet éloge lui semblait trop creux. D’autant plus qu’il y avait un autre monstre dans cette pièce, capable du même niveau de réflexion.
« Ça t’a vraiment surpris à ce point ? », demanda Grindiana avec son habituel sourire posé tout en prenant une boule de gomme dans un bocal sur la table et en la mettant dans sa bouche.
Voir l’attitude de sa maîtresse ne fit que faire soupirer Grisson à nouveau.
« Pour sûr, je n’aurais certainement pas été capable d’imaginer quelque chose comme ça. Utiliser notre armée pour secouer les frontières nord de l’Empire, et profiter de cette chance pour traverser les montagnes et attaquer Fort Notis… »
Le corps de Grisson frissonna tandis qu’il parlait.
Cet homme est un monstre… Il est d’un tout autre niveau.
Grisson était saisi d’une terreur totale face à Ryoma Mikoshiba. Il avait une haute opinion de Ryoma depuis qu’il avait suggéré d’établir l’union des quatre pays. Mais il semblait que même cette évaluation n’était pas tout à fait juste. En tant que général d’Helnesgoula, les choses allaient dans une très mauvaise direction pour lui.
Tout se passe bien pour l’instant, mais…
Au moins, une partie de son anxiété provenait du fait qu’il avait été mis à mal devant Grindiana plusieurs fois ces derniers jours, mais ce n’était pas tout.
Combien de personnes à Helnesgoula sont capables de faire face à cet homme… ?
La peur qu’il avait ressentie l’autre jour s’était à nouveau installée dans son cœur. Pour l’instant, Helnesgoula était dans une relation de coopération avec Ryoma. Et avec le traité commercial liant les quatre pays, il était peu probable que cette relation s’envenime de sitôt.
Mais qui pouvait dire que cette relation durerait indéfiniment ? Et si ce n’était pas le cas, Helnesgoula aurait-elle les moyens fiables de résister à cet homme ? Grisson savait au moins très bien qu’il n’était pas l’égal de cet homme. Ce qui s’était passé plus tôt était un coup dur pour l’esprit de Grisson. Cet homme voyait le monde d’une manière totalement différente de la sienne.
Son sens de la stratégie et de la tactique est d’un tout autre niveau que le mien… Il est bien plus capable que moi.
Les mots de Ryoma tournaient en boucle dans l’esprit de Grisson. Sa suggestion était tout simplement inhabituelle. Pour être exact, Grisson avait déjà considéré l’option d’attaquer le Fort Notis. Attaquer le point faible de l’ennemi était aussi efficace dans une guerre entre pays que dans une bagarre de taverne.
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Partie 2
Après tout, les provisions rassemblées dans le Fort Notis étaient la ligne de vie de l’armée d’invasion. C’était la force vitale de l’armée de Shardina. Attaquer la ligne d’approvisionnement de l’ennemi n’était en aucun cas une démonstration impressionnante de stratégie. Et même si l’occupation pure et simple de la forteresse n’était pas possible, brûler les réserves pouvait faire pencher la balance en leur faveur.
Mais discuter de cette option et la mettre en œuvre étaient deux choses différentes. Le plus gros problème était que Fort Notis se trouvait au cœur du territoire d’O’ltormea. Si l’armée d’Helnesgoula devait monter un assaut sur cette base, elle n’aurait que deux possibilités pour le faire. La première était d’attaquer à travers le territoire de Xarooda, et la seconde était de traverser les montagnes escarpées qui longent la frontière entre O’ltormea et Helnesgoula.
Étant donné la mauvaise position de Xarooda dans la guerre, traverser leur territoire était une idée plutôt risquée. Et maintenant qu’Arios Belares était mort, l’ennemi avait construit une importante tête de pont à Fort Noltia, à l’ouest du bassin d’Ushas. Le roi Julianus Ier de Xarooda perdait rapidement son pouvoir unificateur. Bien sûr, il y avait un nombre considérable de nobles qui avaient conduit leurs armées à Peripheria pour se tenir aux côtés du roi dans la guerre acharnée à venir.
Mais il y avait aussi un certain nombre de nobles opportunistes qui cherchaient à préserver la stabilité et la gloire de leur nom. Ils restaient nichés dans leurs terres, et bien qu’ils se préparaient extérieurement à combattre les forces d’O’ltormea, ils pouvaient très bien attendre la bonne occasion pour retourner leur veste. Honnêtement, parlant, on ne pouvait pas faire confiance à ces nobles.
Ce qui se passerait si Helnesgoula faisait défiler une armée sur ces terres était clair. Les forces d’invasion O'ltormean seraient immédiatement averties, et leur plan aurait immédiatement échoué.
Mais l’idée de traverser la frontière par les montagnes était encore plus insensée. O’ltormea et Helnesgoula surveillaient attentivement les routes de montagne qui étaient assez larges pour permettre le passage d’une armée. Si l’armée d’Helnesgoula montrait le moindre signe d’intention de se diriger vers le sud, les forces du nord d’O’ltormea interviendraient pour verrouiller la route. Ils seraient arrêtés bien avant d’atteindre Fort Notis.
Mais essayer de sortir de la route pour traverser les montagnes était encore plus absurde.
Dans ce monde, les villes et les routes étaient protégées par des barrières destinées à éloigner les monstres. Sortir de la route signifiait entrer dans des territoires infestés de monstres. Essayer de se frayer un chemin en sortant de la route, c’était s’exposer à de douloureuses représailles. Et même avec des guides compétents, faire passer une armée par là était problématique.
Il était donc pratiquement impossible d’essayer de monter une force de dix mille hommes. Compte tenu de la nécessité d’apporter des provisions, le maximum qu’ils pouvaient avoir était une force de 2 500 chevaliers. Et même dans ce cas, il était peu probable que tous ces chevaliers atteignent Fort Notis en vie.
Il était vrai que les monstres qui se reproduisaient sur la route étaient loin d’être aussi nombreux et puissants que les bêtes qui infestaient la terre déserte qu’était la péninsule de Wortenia. Et certains aventuriers et mercenaires puissants s’aventuraient intentionnellement hors de la route pour traverser les frontières.
Mais là, c’était différent. Faire marcher une armée à travers une région montagneuse infestée de monstres ? Même s’ils étaient gratifiés de la meilleure chance imaginable, seuls 70 ou 80 % de leurs hommes survivraient au voyage. Et si le sort s’acharnait sur eux, ils pourraient très bien être anéantis avant même d’atteindre leur destination.
En outre, en supposant que les 2 500 chevaliers parviennent à Fort Notis sans encombre, une force de cette taille serait bien trop faible pour organiser une attaque réussie. D’après la taille du fort, il pouvait accueillir environ 10 000 hommes. En raison des raids répétés de Joshua Belares sur leurs lignes d’approvisionnement, les hommes du fort avaient été envoyés en garde et en patrouille, et l’ordre de la princesse Shardina visant à monter une offensive avait également influencé leurs effectifs. Tout bien considéré, il était difficile de croire que le fort avait un effectif complet. Au mieux, il devait avoir 50 à 60 % de sa capacité.
Cela signifierait tout de même que la forteresse aurait une garnison de 5 000 à 6 000 soldats.
Ainsi, même si les 2 500 soldats parvenaient à traverser les montagnes sans encombre, ils ne seraient pas en mesure de renverser la forteresse. Pour vaincre une forteresse, il faut trois fois plus d’hommes que la garnison. Et un seul ordre de chevaliers n’était pas suffisant pour le faire. D’un point de vue réaliste, monter une charge sur le Fort Notis avec ces effectifs serait imprudent.
Sans compter qu’ils partaient du principe qu’ils n’auraient à faire face qu’aux troupes de Fort Notis. Plus il faudrait de temps pour percer la forteresse, plus ils recevraient de renforts des villes situées à l’arrière. Ils devaient submerger Fort Notis dans un temps limité, ou ils seraient bloqués par les soldats O'ltormean de tous les côtés.
Avec tout cela à l’esprit, il était logique, d’un point de vue militaire, de supposer que l’attaque de Fort Notis était impossible. Mais alors que même Grisson, tant loué pour son ingéniosité tactique par ses collègues, la jugeait impossible, Ryoma avait trouvé une stratégie viable pour conquérir Fort Notis.
C’est comme si le dieu de la guerre le favorisait…
La seule personne qu’il connaissait qui pouvait probablement égaler l’intellect monstrueux de Ryoma était sa reine, Grindiana.
« Es-tu si anxieux ? », dit Grindiana tout en mettant une autre boule de gomme dans sa bouche et en regardant le visage de Grisson.
« Ne vous rend-il pas anxieux, Votre Majesté ? »
Il avait répondu à sa question par une question.
« Eh bien… Je ne peux pas dire qu’il me rende très anxieuse. »
Grindiana porta la tasse de thé posée sur la table à ses lèvres. Elle fronça les sourcils en signe de mécontentement devant le thé tiède. Si elle avait une quelconque appréhension, elle était dirigée vers tout le monde, sauf vers Ryoma.
Cet homme sait se satisfaire de son sort dans la vie… Au moins, il ne laissera pas une ambition insensée le pousser dans une guerre inutile.
On dit que le monde est fait de toutes sortes de gens. Certains recherchent la stabilité et la sécurité, tandis que d’autres brûlent d’ambition et cherchent à élever constamment leur condition. Grindiana portait la responsabilité de diriger l’un des trois plus grands pays du continent pendant de nombreuses années, et grâce à cela, elle avait été dotée d’un œil avisé sur la nature des gens.
D’après ses observations, Ryoma avait un équilibre parfait entre ambition et stabilité. Selon les circonstances, il pouvait présenter l’un ou l’autre de ces traits. Mais en outre, elle l’avait jugé comme étant le type plus enclin à rechercher la stabilité.
Fondamentalement, il n’interfère pas avec les autres. Mais cela signifie seulement qu’il déteste que les gens interfèrent avec lui… Tant que quelqu’un a un rang supérieur au sien, il n’a pas l’habitude de montrer les crocs, à moins qu’il n’essaie bêtement de le coincer.
C’était un homme raisonnable, qui s’en tenait à la foi et à la confiance. Et il n’aspirait pas à plus de richesse ou d’autorité. Si Ryoma avait été le genre d’homme qui ne reculait devant rien pour atteindre la gloire ou l’autopréservation, il aurait vendu la péninsule de Wortenia à Grindiana lorsqu’ils s’étaient rencontrés pour discuter de l’union. En échange, il lui aurait fait accorder un titre de noblesse à Helnesgoula. Et même s’il n’avait pas fait quelque chose d’aussi flagrant, il aurait pu essayer de faire une autre sorte d’accord douteux.
Et cela serait, bien sûr, un acte de trahison flagrant contre Rhoadseria et une traîtrise envers Xarooda.
Pourtant, les nobles qui vendaient leurs seigneurs pour améliorer leur propre position étaient loin d’être rares dans ce monde impitoyable. En fait, la plupart des nobles tombaient dans cette catégorie. Le fait qu’il n’ait jamais tenté quelque chose de ce genre rendait Ryoma plus digne de confiance aux yeux de Grindiana que la plupart des nobles d’Helnesgoula.
Mais plus que tout, si quelqu’un me rend anxieuse ici, ce n’est pas lui… C’est toi, Arnold.
Son fidèle serviteur était resté assis sur le canapé, levant les yeux au plafond. Et tandis que Grindiana fixait son visage, ses yeux se remplirent de malaise. Elle n’avait pas l’intention de condamner Arnold pour la peur qu’il ressentait.
Elle ne doutait pas que Ryoma avait un esprit et un œil stratégique pour égaler le sien, dont la sagacité lui avait valu le titre de Vipère du Nord. En tant que général chargé de la défense nationale d’Helnesgoula, ordonner à Grisson de ne pas ressentir une certaine prudence et une crainte saine envers cet homme n’était pas judicieux.
Mais craindre et fuir quelqu’un produira également la crainte et le malaise de l’autre partie. Et même si de telles émotions n’étaient jamais exprimées par des mots, les autres avaient une façon de les capter, et c’était encore plus vrai pour Ryoma. Si toutes les informations qu’elle avait déterrées sur cet homme s’avéraient vraies, Grisson aurait beau essayer de cacher ses sentiments, il le remarquerait quand même.
Pour l’instant, la peur qui bourgeonne dans le cœur d’Arnold n’est encore qu’une petite pousse. Mais…
Mais avec le temps, cette petite pousse grandira, fleurira, et deviendra un arbre de suspicion et de peur. Et il arrivera un temps où cet arbre deviendra plus grand que les capacités du cœur d’Arnold Grisson, devenant ainsi une tumeur maligne infectant tous ceux qui l’entourent.
La question en suspens était de savoir comment Ryoma réagirait si cela se produisait.
Naturellement, il agira pour éliminer la menace…
Mais si Grindiana lui faisait part de ses doutes directement, cela ne ferait qu’accroître la peur et l’aversion de Grisson. Le mieux que Grindiana peut faire était d’essayer périodiquement d’arranger les choses entre les deux.
Il est possible que je m’inquiète pour rien, pourtant…
Avec cette pensée à l’esprit, Grindiana sonna la cloche sur la table pour faire remplacer son thé tiède, priant pour que l’hypothétique hiver qui pourrait arriver ne soit qu’une inquiétude inutile de sa part…
*****
Au petit matin, une atmosphère suffocante s’était installée dans une certaine pièce de l’une des auberges de Memphis.
« Seigneur Mikoshiba, êtes-vous vraiment sérieux ? »
Sur ces mots, Orson Greed, le capitaine de la Garde du Monarque de Xarooda, dirigea un regard interrogateur vers l’homme assis calmement sur le canapé en face de lui.
« Oui, je me suis déjà assuré que tout est prêt », dit Ryoma en prenant une gorgée d’une bouteille de vin.
Une sensation de brûlure surgit de l’intérieur de son corps.
« Vous n’avez pas confiance en mon plan ? », ajouta-t-il.
« Non, je ne dirais pas ça. Pas à ce stade, en tout cas. Ce plan est un pari, et un mauvais pari en plus. Mais je réalise que vos chances ne sont pas nulles, et je sais aussi que nous n’avons pas d’autres options. », dit Greed en secouant la tête.
Tout en détournant le regard, Greed tourna ses yeux vers le bâtiment administratif qui se dressait devant la fenêtre.
« La Renarde du Nord ne s’est pas opposée à ce plan… Et Sa Majesté m’a ordonné de tout vous confier, Seigneur Mikoshiba. Je ne pense pas être en position de trouver une faille dans votre plan. »
Sur ces mots, Greed poussa un profond soupir. En le regardant, Ryoma fit un subtil signe de tête.
Je peux comprendre son anxiété…
Le destin de son pays était dans la balance. S’ils échouaient, Xarooda serait littéralement rayé de la carte. Et c’était le capitaine de la Garde du Monarque, un homme qui avait confié des années de sa vie à Xarooda. Il ne pouvait pas détourner les yeux de cette crise.
En effet, il devait retourner à Peripheria et annoncer la nouvelle de l’union des quatre royaumes à Julianus I. Ensuite, il devait transmettre un message qui constituait le cœur de l’opération à venir à Grahalt et Joshua, qui étaient actuellement à l’affût à Fort Ushas.
C’étaient deux tâches cruciales, qui ne pouvaient être confiées qu’à quelqu’un digne de la confiance nécessaire. Mais une fois ces tâches accomplies, il devait prendre le relais de Grahalt dans la défense de Julianus Ier.
Avec le capitaine de la garde royale, Grahalt, sur le champ de bataille, Greed et la garde du monarque ne pouvaient pas se permettre de quitter les côtés du roi. C’était inévitable, et Greed n’était pas mécontent de la tâche qui lui avait été confiée.
Mais tout de même, comme le sort de son royaume étant décidé dans un endroit loin de sa vue, son anxiété était compréhensible.
Pourtant, ces inquiétudes étaient les mêmes que les caprices d’un enfant. Après tout, Ryoma avait élaboré ce plan alors qu’il n’était que le simple commandant d’une escouade de renfort. C’était lui qui portait le plus lourd fardeau en ce qui concernait la survie de Xarooda, même s’il ne faisait pas partie de ce royaume.
Honnêtement, de tous les participants à cette guerre, Ryoma était sans aucun doute celui qui avait tiré la plus courte paille. Pire encore, son habile tacticien, Lione, et Dilphina, la fille du démon fou Nelcius, étaient loin de cet endroit, ainsi que la plupart de ses soldats. Ses espions, le clan Igasaki, étaient restés derrière avec Genou et Boltz pour assurer la défense de la péninsule de Wortenia.
***
Partie 3
Les seuls membres du clan Igasaki aux côtés de Ryoma étaient Sakuya et quelques ninjas triés sur le volet par Genou, et il les avait envoyés en reconnaissance de la structure interne de Fort Notis. Ils étaient actuellement en route pour le territoire d’O’ltormea.
Greed étant retourné faire son rapport à Julianus I, les seuls soldats restants sous le commandement de Ryoma étaient un ordre unique de 2 500 chevaliers que Grindiana avait déployé pour lui. En plus d’eux, il y avait ses aides : les jumelles Malfist, les vassaux personnels de la Maison Mikoshiba (un groupe de dix soldats dirigés par Kevin), et quinze ninjas Igasaki que Sakuya avait laissés derrière lui pour servir de guides à travers les montagnes et de gardes du corps.
Les forces totales de Ryoma étaient de 2 528 soldats, lui-même inclus.
En termes de force brute, c’était l’équivalent d’un seul ordre de chevaliers organisé. Mais la plupart de ses vassaux, aux côtés desquels il avait l’habitude de travailler, étaient absents. Ryoma allait devoir monter une attaque sur Fort Notis avec des soldats qui ne ressentaient aucun sentiment d’unité ou d’intérêt commun avec lui.
C’était comme essayer de jouer une partie d’échecs alors que son camp n’avait que des pions.
Greed a raison. C’est vraiment un mauvais pari…
Ryoma ne pouvait s’empêcher de penser ainsi. Mais étant donné la situation dans laquelle se trouvait Xarooda, ils avaient dépassé depuis longtemps le point où les moyens conventionnels pouvaient les aider. Aussi risqué que cela puisse être, ils n’avaient aucun autre moyen de sauver Xarooda que de recourir à ce plan téméraire.
Même Ryoma devait reconnaître que cette stratégie était risquée au point d’être un pari. Tout d’abord, ils devaient éviter les guetteurs d’O’ltormea et se frayer un chemin à travers une région montagneuse grouillant de monstres. Ensuite, ils devront trouver un moyen d’enfumer les soldats de la forteresse et de s’y faufiler. Ils devront ensuite tuer l’officier chargé de la défense du fort et brûler les vivres et les fournitures qui étaient probablement stockés dans leurs entrepôts.
La probabilité que chacune de ces étapes se déroule selon le plan de Ryoma était extrêmement faible. Néanmoins, aussi faibles que soient leurs perspectives, ils récolteraient d’autres récompenses s’ils sortaient victorieux. Et pour s’assurer que cette victoire hautement improbable se produise, Ryoma s’était préparé et avait essayé de planifier méticuleusement chaque étape.
Malgré cela, des regrets et des doutes firent surface dans son esprit. N’y aurait-il pas eu une meilleure solution ? Avait-il négligé quelque chose ? Des questions sans réponses tourbillonnaient dans son esprit comme un labyrinthe.
Ce fut alors que deux petites paumes se posèrent sur les épaules de Ryoma. Des mains petites et douces. Ryoma savait, sans même regarder, ce que cette sensation signifiait.
Oui… J’ai fait tout ce que j’ai pu. La seule chose qui reste à faire maintenant est de continuer à y croire et d’aller de l’avant.
Ryoma s’était levé du canapé.
« Bien, commençons… Appelle-les. Et aussi… »
Laura et Sara avaient acquiescé sans mot dire aux vagues instructions de Ryoma.
*****
La ville-citadelle de Memphis était une ville située à l’extrémité de la frontière entre Xarooda et Helnesgoula. C’était également le foyer de nombreux aventuriers qui gagnaient leur vie en explorant la forêt dense et les falaises abruptes près de la frontière.
Au-delà de la portée des piliers de la barrière se trouvait un monde infesté de monstres. Mais ce danger se traduisait aussi par une opportunité de profit. Les peaux des monstres pouvaient être utilisées pour fabriquer des armures ou des vêtements en cuir. Leurs crocs et leurs griffes pouvaient être transformés en armes. Leur ichor, leurs fluides corporels et leurs organes internes pouvaient avoir des propriétés médicinales, ce qui signifiait qu’ils pouvaient être vendus pour une jolie somme.
La présence de monstres était une menace pour l’humanité, bien sûr, mais ces créatures pouvaient aussi servir de source de revenus.
Memphis abritait de nombreux aventuriers rusés qui gagnaient leur vie en chassant les monstres. Parmi eux se trouvait un groupe d’aventurières appelé les « Pétales du vent du nord », un groupe de trois femmes nommées Olivia, Abby et Tia. Elles étaient assez jeunes, entre la fin de leur adolescence et le début de leur vingtaine. Et pourtant, elles étaient affiliées à la guilde depuis cinq ans et avaient déjà atteint le rang C. Elles étaient suffisamment compétentes pour être reconnues par les autres membres de la guilde.
Les Pétales du Vent du Nord étaient en train d’escalader les crêtes des montagnes au sud de Memphis dans le cadre de leur travail de guides d’un certain groupe. C’était un travail qu’elles avaient accepté en dehors de la guilde, dans un pub souterrain de la ville.
C’est mauvais… Je pensais que nous étions juste censés être des guides ici.
Olivia, la chef du groupe, regarda la file de personnes qui la suivaient en essayant de reprendre son souffle. Cela faisait dix jours qu’ils étaient partis, menant ce groupe à travers les montagnes. Derrière elle marchaient le chef du groupe, Ryoma Mikoshiba, et ses deux assistantes, Laura et Sara. Ils étaient vêtus de leur armure noire habituelle et avançaient en silence.
Je savais que ce n’était pas une demande ordinaire, mais… Je ne m’attendais pas à quelque chose comme ça.
Elle avait maintes fois maudit sa propre naïveté pour avoir sauté sur un accord qui semblait trop beau pour être vrai. Pourtant, elle n’avait pas d’autre choix que de l’accepter, normalement, elle n’aurait jamais accepté un tel travail.
Le fait qu’elle ait accepté cette mission était dû à trois facteurs. Premièrement, la demande lui avait été présentée par un bienfaiteur. Deuxièmement, la récompense offerte était assez élevée. Troisièmement, elles avaient échoué dans un travail pour la guilde, ce qui entraînait une lourde pénalité pour avoir violé leur contrat. Et si elles ne payaient pas cette pénalité à une date précise, les Pétales du Vent du Nord seraient vendus comme esclaves.
Les première et troisième raisons étaient particulièrement cruciales. Heureusement, la caution qu’elles avaient reçue pour ce travail était une somme assez importante, elles avaient donc déjà évité le risque d’être réduits en esclavage. De ce point de vue, le fait que Gran leur ait présenté ce travail était vraiment une aubaine.
Et pourtant, elles ne pouvaient pas vraiment se réjouir de ce travail.
La paie était bonne, et nous n’avions de toute façon pas le choix, mais…
Le travail consistait à mener un groupe à travers les montagnes de Memphis sur le territoire d’O’ltormea. La cliente que Gran leur avait présentée était une jeune femme blonde, qui avait informé Olivia de ces détails. Au début, Olivia pensait qu’elles faisaient simplement de la contrebande, mais la vérité était bien plus sombre que cela.
Elle n’imaginait pas qu’ils puissent diriger une unité militaire d’Helnesgoula.
Se souvenant du grand homme barbu qui dirigeait la Brigade du Vent du Nord, Olivia se mordit les lèvres. C’est vrai, Gran était leur bienfaiteur. Elles lui devaient une dette trop importante pour être exprimée en mots. Ils étaient tous deux originaires de la Rhoadseria du Sud, et bien que Gran ait deux fois son âge, ils venaient tous deux du même petit village. Ils se considéraient même comme parents.
Gran était en fait le fils du chef du village, et avait aidé à changer les couches d’Olivia lorsqu’elle était encore bébé. Et pendant que leurs parents travaillaient aux champs, c’est lui qui s’occupait d’Olivia et des deux autres filles. Gran était devenu un jeune homme en bonne santé et avait commencé à travailler comme mercenaire, mais le destin avait de sombres plans en réserve pour Olivia et ses deux amies.
Cela s’était passé il y a six ans. Le village où Gran et les filles vivaient se trouvait dans le sud de la Rhoadseria, près de la frontière avec l’un des royaumes du sud, le Royaume de Britirnia. En d’autres termes, c’était une terre très disputée.
Naturellement, les nobles qui contrôlaient la Rhoadseria méridionale demandaient aux paysans de s’enrôler pour combattre dans le conflit, et les impôts étaient assez lourds. Dans cette situation, ils ne semblaient pas se soucier beaucoup du maintien de l’ordre public au sein du domaine.
Et comme on pouvait s’y attendre, le village de Gran fut attaqué par un groupe de bandits. Beaucoup de villageois furent tués ou vendus comme esclaves. Parmi tous, les trois filles avaient miraculeusement échappé à l’emprise des bandits. Mais n’ayant nulle part où aller, elles n’avaient plus que deux options : mourir sur le bord du chemin ou se vendre comme esclaves.
Ce fut alors que Gran, qui avait commencé à se distinguer en tant que jeune mercenaire et chef de la Brigade du Vent du Nord, revint au village. Il recueillit les trois filles, qui se cachaient dans une maison délabrée, et leur appris à manier une arme et à vivre par leurs propres moyens.
Depuis que les trois filles commencèrent à mener leurs opérations à Memphis, leurs relations avec Gran étaient devenues un peu plus distantes. Mais ils étaient encore assez proches pour que, à chaque fois que Gran acceptait un travail dans le nord de Xarooda, il passe à Memphis pour prendre de leurs nouvelles.
C’était en raison de cette proximité qu’elles avaient accepté l’offre qu’il leur avait faite, même si cela n’offrait pas la garantie d’un travail associé à la guilde. Mais si Olivia avait connu les vrais détails à l’avance, elle n’aurait jamais accepté. Les Pétales du Vent du Nord tentaient de gagner leur vie en tant qu’aventuriers, et se retrouver mêlés à une guerre entre deux pays était la dernière chose qu’elles souhaitaient.
Pourtant, le fait que les aventuriers et les mercenaires utilisaient tous deux la bataille comme moyen de profit était vrai. Mais c’est que les aventuriers combattaient surtout des monstres, tandis que les mercenaires combattaient des gens, c’était donc ce qui les différenciait. Pourtant, ce n’était pas une différence majeure ni une règle absolue. Vaincre et poursuivre des bandits nécessitait des capacités de traque, et les aventuriers étaient souvent déployés pour s’en occuper, bien que les bandits soient humains. À l’inverse, les mercenaires étaient souvent engagés par des gouverneurs pour garder leur domaine, et il arrivait qu’on leur ordonne de tuer des monstres.
La différence entre un aventurier et un mercenaire était parfois extrêmement vague. C’était pourquoi la guilde gérait à la fois les mercenaires et les aventuriers et servait d’intermédiaire pour les deux. Olivia, par exemple, se disait aventurière, mais avait de l’expérience dans la chasse aux bandits.
Cela ne signifiait pas qu’Olivia et les filles aimaient activement se battre contre d’autres êtres humains, ou qu’elles voulaient être sur un champ de bataille. Elles éprouvaient une grande colère indignée envers les bandits, compte tenu de ce qui leur était arrivé dans le passé, mais elles détestaient toujours les mises à mort, et étaient hantées par la culpabilité chaque fois qu’elles devaient le faire.
Ressentir cela me fait peut-être paraître naïve, mais… quand même.
Olivia resserra la prise sur son épée. C’était un cadeau que Gran lui avait offert lorsqu’elle était devenue aventurière. Elle avait toujours pensé qu’elle maniait cette épée pour le bien des impuissants et des faibles, pour ceux qui étaient victimes de bandits comme sa famille et ses amis. Ses deux camarades pensaient la même chose.
Elles savaient, bien sûr, que lorsqu’il s’agissait de survivre sur ce continent, de telles pensées n’étaient rien d’autre que des paroles en l’air. Mais même si elles ne servaient que de guides, elles ne voulaient pas prendre parti dans une guerre.
« Vas-tu bien, Olivia ? »
Une de ses camarades, Tia, était soudainement apparue à côté d’elle.
« Tu as l’air abattue. »
Son visage était rempli d’inquiétude. Elle n’était probablement pas non plus partante pour cette mission, mais elles avaient déjà accepté l’avance pour le travail. Elles ne pouvaient en plus pas la rendre, puisqu’elle avait servi à payer leur pénalité à la guilde.
Et même si elles parvenaient à trouver un moyen d’obtenir ces fonds, elles ne pourraient probablement pas s’en sortir en rendant simplement ce qu’elles avaient reçu. Et leur bienfaiteur, Gran, leur avait spécifiquement demandé d’accepter ce travail. Elles ne pouvaient pas dire non.
Non, non, je dois rester concentrée… Tout ce que nous devons faire, c’est les guider, c’est tout.
Si Olivia, leur chef, laissait transparaître son mécontentement sur son visage, cette émotion se propagerait à Tia et Abby. Et si cela devait arriver, elles ne seraient pas en mesure de faire leur travail. Leurs sentiments refoulés déborderaient, et elles abandonneraient définitivement leur travail. Et si elles faisaient ça, le groupe qui les suivait ne pourrait pas traverser la chaîne de montagnes.
Bien sûr, comme il ne s’agissait pas d’un travail obtenu par la guilde, elles n’auraient pas à payer de pénalité pour l’avoir abandonné. Mais il ne s’agissait pas seulement d’argent. Renoncer à ce travail reviendrait à ternir quelque chose de plus important que l’argent : leur dignité et leur réputation. Et cela ne concernait pas seulement le groupe d’Olivia, mais aussi Gran, qui les avait présentés au client.
Nous ne pouvons pas faire ça à Gran…
Ces émotions serrèrent le cœur d’Olivia.
***
Partie 4
« Je vais bien, Tia. Nous devrions bientôt arriver au sommet, nous pourrons y faire une pause », dit Olivia en pointant le sommet du doigt pour chasser l’ambiance lourde.
Ce fut alors qu’elle remarqua ce qui ressemblait à un point noir au sein du soleil.
Qu’est-ce que… ?
La lumière du soleil étant trop vive, il était difficile de reconnaître ce point. Olivia leva une main pour bloquer la lumière du soleil et regarda attentivement dans sa direction.
Il est de plus en plus gros…
Au début, il était minuscule, mais le point grandissait progressivement.
« Oh, non ! »
En réalisant ce qu’était le point noir, Olivia se mit à crier : « Tout le monde, baissez-vous ! »
Cela ne donnerait pas grand-chose, mais honnêtement, c’était mieux que rien. Après tout, ils étaient confrontés au monstre le plus puissant des montagnes du sud de Memphis, en fait, le roi de cette région.
Un Aigle Royal… Oh, non.
Olivia les avait intentionnellement conduits de manière à éviter son territoire, mais ils l’avaient quand même croisé. Le continent occidental abritait des monstres qui étaient en fait des versions géantes des créatures de Rearth. Comme les calamars et les pieuvres dans la mer, ainsi que d’autres animaux terrestres et aviaires. Les plus grands d’entre eux étaient les dragons, qui faisaient des dizaines de mètres de haut. Leur souffle pouvait faire fondre les armures comme du beurre, et leurs écailles déviaient facilement les armes.
Ils étaient comme des bombardiers avec la robustesse d’un tank. En termes de jeu, ce serait le boss final. Mais malgré tout, aussi puissants que soient les dragons, ce n’était pas l’espèce la plus puissante de ce monde. Aussi puissants qu’ils soient, ils avaient des ennemis naturels.
L’Aigle Royal était l’une de ces créatures. Semblable au Roc des contes de Sinbad dans les Mille et Une Nuits, il égalait les dragons en termes de taille et de vitesse de vol. Le battement de ses ailes était capable d’emporter une personne.
Et donc, Olivia leur demanda de se baisser, mais les simples humains n’avaient aucun moyen de s’opposer à cette créature.
« Alors c’est un Aigle Royal… C’est difficile à dire de loin, mais apparemment il est aussi grand qu’on le dit. »
Alors que les soldats se plaçaient dans une formation circulaire et brandissaient leurs boucliers, une personne présente sur le côté d’Olivia parla. Les monstres massifs comme celui-ci étaient considérés comme une sorte de calamité naturelle. Et parmi ces monstres, l’Aigle Royal était considéré comme une classe proche des monstres les plus puissants qui existent. Si la Guilde devait demander l’élimination d’une de ces créatures, seuls des mercenaires ou des aventuriers de rang A pourraient y participer, et seul un groupe de grande taille pourrait éventuellement y parvenir.
« Alors, que faisons-nous ? », demanda Ryoma en levant sa propre main.
Il avait les yeux rivés sur le ciel et regardait l’Aigle Royal qui tournait au-dessus d’eux. Apparemment, il avait jugé que la chose la plus sage à faire était de demander l’avis de la guide. Mais honnêtement, Olivia ne savait pas non plus comment gérer cette situation.
Après tout, l’Aigle Royal tournait simplement dans le ciel au-dessus d’eux. Les avait-il reconnus comme des proies ? Se préparait-il à descendre en piqué pour les attaquer ? Ou peut-être avait-il les yeux rivés sur autre chose ? C’était une situation où ils pouvaient être attaqués à tout moment. Ils ne pouvaient pas rester assis sans rien faire et attendre.
Est-ce qu’on s’enfuit ? Ce n’est pas comme si on pouvait… Cette crête est trop étroite. S’il n’y avait que nous trois, on pourrait peut-être y arriver, mais autant de personnes ? C’est impossible… Et même si nous essayons de nous cacher…
Le sol était parsemé de rochers, et le chemin était seulement assez large pour accueillir deux ou trois personnes. Normalement, Olivia se serait enfuie de cet endroit sans hésiter. Mais avec 2 500 personnes derrière elle, les faire fuir toutes en même temps était la recette d’un accident mortel. Selon la situation, il pourrait en résulter plus de pertes que l’Aigle Royal n’en infligerait.
Tout de même, attendre dans l’ombre que le danger les dépasse n’était pas non plus une option. Il n’y avait pratiquement pas de gros rochers sur la crête, encore moins d’arbres. Il n’y avait donc aucun endroit pour cacher tous ces gens.
Et cela laisse…
Olivia avait admis, bien malgré elle, que la seule option restante était de répondre à leur agresseur par un assaut de leur côté. Mais bien sûr, étant donné l’exiguïté du terrain, ils ne pouvaient espérer employer une quelconque tactique de groupe.
« Qu’il nous attaque ou non, nous ne pouvons pas l’ignorer… Mais ça veut dire… »
Olivia s’était tue.
Rester les bras croisés afin que ce monstre puisse les dévorer était absurde, mais agiter aveuglément leurs armes ne les aiderait pas non plus. D’un point de vue réaliste, une petite force devrait distraire l’Aigle Royal pendant que les autres s’enfuyaient rapidement de la zone. C’était la suggestion la plus efficace et la plus raisonnable, mais Olivia ne pouvait pas se résoudre à la dire à voix haute.
J’imagine qu’il est difficile pour elle d’en parler…
Ryoma remarqua avec justesse l’hésitation dans ses yeux. Dire que quelqu’un devrait attirer l’attention de l’Aigle Royal aurait pu sembler assez inoffensif, mais la réalité était que ceux qui servaient de leurres seraient essentiellement abandonnés à leur propre sort. Olivia avait tenu sa langue parce qu’elle craignait qu’on lui ordonne de prendre cette place.
Les chevaliers que Grindiana lui avait confiés n’obéissaient à Ryoma que temporairement, parce que leur reine le leur avait ordonné. Ils avaient quitté Memphis dès que Ryoma avait reçu le droit de les commander, il n’y avait donc aucune confiance entre Ryoma et les soldats. Si Ryoma leur ordonnait de donner leur vie maintenant, les chevaliers se révolteraient contre lui.
Cela dit, ordonner au groupe d’Olivia de le faire était honnêtement une décision difficile à prendre. Ils avaient la position la plus faible de toutes les personnes présentes, et étaient sans doute les plus sacrifiables. Mais Ryoma devait admettre amèrement que sans elles, leurs chances de traverser avec succès cette région montagneuse étaient d’autant plus minces.
Pour ce qui était de savoir où se trouvent les points d’eau et les raccourcis, une carte ne suffirait pas. Se faire guider par le groupe d’Olivia réduirait également les risques de tomber sur des monstres, car elles connaissaient les zones peuplées par ces créatures.
Il était vrai qu’ils avaient rencontré un Aigle Royal, mais ces créatures se reproduisaient en très petit nombre et étaient une race rare. Les chances de rencontrer un Aigle Royal dans cette région étaient inférieures à un pour cent. Cela pourrait être difficile à croire, étant donné qu’ils avaient eu la malchance d’en croiser un.
Oui, on est tombé sur cette chose, mais c’est juste une poisse de plus sur la liste…
À cet effet, se débarrasser de leurs guides compétents ici était en fait assez risqué. Il ne restait donc plus que le ninja d’Igasaki qui l’escortait, ainsi que l’unité de Kevin. Étant donné leur loyauté, ils accepteraient volontiers de jouer le rôle de leurres si Ryoma le leur demandait. Mais si Ryoma le faisait, ils mourraient certainement.
S’il n’avait pas d’autre choix, Ryoma leur ordonnerait de mourir si nécessaire, mais il ne pensait pas que ce soit le moment.
Il n’y a pas d’autre choix, hein…
Cette décision ne l’enthousiasmait pas. Pourtant, c’était le choix qui garantissait que le plus de gens s’en sortiraient vivants, y compris les leurres. Il ne pouvait pas arrêter l’opération pour quelque chose comme ça, surtout si tard dans la partie. Greed devrait déjà avoir transmis son message à Joshua et Grahalt.
Les mains de Ryoma effleurèrent Kikoku, l’épée rengainée à sa taille, comme pour confirmer sa présence.
C’est un peu plus tôt que prévu, mais je vais devoir te mettre au travail… Tu es prête ?
La lame de Kikoku trembla très légèrement, comme pour répondre à la question de Ryoma par une affirmation. Un frisson implorant, comme si la lame l’avait incité à se laisser gorger du sang d’une victime.
Ce fut pourtant à ce moment-là que quelqu’un arrêta Ryoma.
« Maître Ryoma… Nous restons derrière. »
Laura sépara silencieusement ses lèvres, et Sara, qui se tenait à ses côtés, hocha silencieusement la tête. Elles étaient probablement arrivées à la même conclusion que Ryoma.
Je suppose que ça ne sert à rien d’essayer de les arrêter… Elles parviendraient probablement mieux à le distraire qu’un arc…
En vérité, Ryoma ne voulait pas mettre les sœurs en danger. Étant donné que c’était son rôle de diriger les autres, ce sentiment aurait pu passer pour de la lâcheté. Mais les sœurs étaient avec lui depuis qu’il avait été appelé dans ce monde. À présent, il ressentait autant d’attachement pour elles que pour sa famille.
Étant donné leurs prouesses, elles étaient les premières personnes qu’il aurait dû nommer pour cette tâche. Mais il les avait intentionnellement exclues du compte. Le problème était que Sara et Laura ressentaient exactement la même chose pour lui.
Était-ce de l’affection romantique, ou de la loyauté envers l’homme qui les avait sauvées de l’esclavage ? Quoi qu’il en soit, elles ne voulaient pas exposer Ryoma au danger. De plus, Ryoma n’étant pas un adepte de la magie verbale, elles étaient plus fiables pour lancer des attaques à longue portée qui distrairaient l’Aigle Royal. Et s’ils devaient le vaincre, l’utilisation de cette méthode serait sans doute nécessaire.
Quand même, je ne peux pas laisser ces deux-là gérer ça…
Elles avaient affronté un monstre qui n’avait rien à envier à un dragon. Le fait qu’elles pouvaient toutes les deux s’en sortir était certain, mais il voulait s’assurer qu’il y avait une autre couche de sécurité.
« Très bien. À mon signal, lancez le sort le plus puissant que vous ayez », dit Ryoma.
Puis il se tourna vers Olivia, qui n’avait toujours pas compris la situation.
« C’est donc comme ça. Nous serons les leurres et le distrairons. Vous, les gars, retournez par où nous sommes venus et essayez de trouver un moyen de contourner cette zone. On se regroupera au campement prévu pour ce soir. »
Ces gens… Sont-ils fous ? Olivia était abasourdie.
Quel genre de commandant irait délibérément vers sa propre mort ?
« Êtes-vous… sérieux à ce sujet ? », demanda Olivia.
Ryoma répondit par un sourire enjoué. Et puis, il prit une profonde inspiration et permit aux chakras de son corps de s’ouvrir.
« Allez-y ! »
De toute façon, il avait décidé de le faire, il ne pouvait pas se permettre de perdre plus de temps. Avec ce mot comme signal, Ryoma et les jumelles quittèrent le groupe et dévalèrent la crête, utilisant la vitesse surhumaine que leur conférait la magie martiale. Le vent rugissait dans leurs oreilles tandis que le paysage défilait à toute allure.
Trouvant peut-être leur mouvement soudain irritant, l’Aigle Royal qui tournait autour commença à descendre. En réponse, Ryoma scanna rapidement l’environnement, et en repérant un espace relativement ouvert, sortit Kikoku de son fourreau.
« Maintenant ! », dit-il aux jumelles.
Sur l’ordre de Ryoma, les deux jumelles commencèrent à chanter.
« “Ô grand vent, souffle des dieux qui balaie tout ! Obéis à la volonté de tes enfants et ramène toute la création aux côtés des dieux !” »
Leur chant était un signe avant-coureur de la mort. Les cinq chakras des sœurs Malfist s’ouvrirent, et leurs membres se remplirent de prana. En concluant leur chant, elles levèrent les mains vers les cieux.
« Tornade tonitruante ! »
C’était l’un des sorts les plus puissants que les sœurs Malfist avaient dans leur arsenal. Et dès que le sort avait été déclenché, des nuages noirs commencèrent à se former dans le ciel. L’air gronda alors que petit à petit, deux tornades se formèrent, accompagnées du roulement du tonnerre.
« “Prends ça !” »
Ce qu’elles avaient conjuré était une lance des dieux, capable de trancher et de déchirer tout ce qui existait dans la création. Les deux paires de mains levées vers le ciel se tournèrent vers l’Aigle Royal, et les deux tourbillons reliant le ciel et la terre s’enroulèrent autour de l’énorme oiseau.
Le cri de l’Aigle Royal résonna dans toute la région. C’était comme s’il venait d’être pressé et haché par deux mixeurs. Le sort écrasa et déchiqueté le corps de l’Aigle Royal, faisant jaillir une pluie de sang et de fragments d’os. Et finalement, son cri s’évanouit dans le ciel.
« Maître Ryoma ! Terminez-le ! », cria Laura.
Et alors qu’elle le faisait, les tourbillons se calmèrent et le corps en lambeaux de l’Aigle Royal s’écrasa sur le sol.