Wortenia Senki – Tome 7 – Chapitre 3 – Partie 1

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Chapitre 3 : Le fossé entre les idéaux et la réalité

Partie 1

La ville de Sirius grouillait d’activité et de vie. De nouveaux enfants esclaves avaient été transportés dans la ville au cours des derniers jours, et ils balançaient désespérément leurs épées, pour ne pas lâcher l’heureux destin dans lequel ils étaient tombés. Les enfants qui avaient terminé leurs longs mois d’entraînement et gagné leur liberté travaillaient dur pour construire leur nouvelle ville natale.

Chacun mettait toutes ses forces pour construire cette ville petit à petit. Leur dignité leur avait été volée lorsqu’ils étaient devenus des esclaves, et le fait qu’ils avaient eu la chance de regagner leur respect à force d’efforts les rendait fiers.

Mais ils ne savaient pas que l’ombre de la guerre se rapprochait de plus en plus d’eux depuis le sud-ouest.

Tout comme l’autre jour, une réunion d’urgence avait été convoquée. La présence d’un invité qui n’aurait pas dû être là crispa toutes les personnes assises autour de la table ronde.

« C’est tout… Je souhaite entendre vos opinions. »

Après que Ryoma ait lu à haute voix la lettre qu’Helena lui avait envoyée de la capitale, l’atmosphère de la pièce changea. La date de la lettre indiquait qu’elle avait été écrite il y a trois jours, ce qui signifiait qu’elle était arrivée ici assez rapidement, étant donné la distance entre la capitale et la péninsule de Wortenia. Comme il s’agissait d’un ordre secret de la plus haute importance, elle avait été expédiée via un coureur, qui avait changé de cheval à chaque point de contrôle pour s’assurer d’arriver à destination le plus rapidement possible.

« Tu nous avais déjà dit que ça arriverait, Garçon, mais la façon dont les choses semblent toujours se passer exactement comme tu le dis n’est plus drôle », dit Lione avec un sourire terriblement sardonique sur les lèvres.

Tous les autres semblaient penser la même chose, leurs visages étaient remplis d’étonnement. En vérité, ils n’avaient pas d’autre choix que de rire ironiquement de la situation. La seule personne dans la pièce avec un sourire vraiment posé sur les lèvres était Ryoma.

« L’expansion de la ville est en bonne voie, et j’ai pensé que nous pouvions enfin commencer à mettre les choses en marche… La reine Lupis Rhoadserians a vraiment le chic pour s’immiscer dans nos plans », murmura Genou tout en plissant les yeux et en regardant l’activité tumultueuse à l’extérieur de la fenêtre.

« Je suppose que oui. Mais au final, nous n’avons pas d’autre choix que d’y aller, et c’est mieux s’ils nous appellent. S’ils avaient insisté pour ne pas nous demander de l’aide et s’ils avaient perdu parce qu’ils avaient envoyé leurs renforts sans nous, nous aurions été pris de toute façon dans cette guerre », dit Ryoma en ricanant.

Ses mots étaient aussi affreux qu’ils pouvaient l’être. Il affirmait presque carrément que les personnes en charge du palais étaient terriblement incompétentes. Tout le monde dans la pièce hocha la tête.

« Même avec Dame Helena à leur tête… ? », demanda Genou, ce à quoi Ryoma avait répondu en secouant la tête.

« Ils ne perdraient pas si Helena dirigeait l’armée entière. Et même si elle perdait, les pertes qu’elle subirait ne seraient pas trop importantes. Mais… »

Ryoma tourna son regard vers Lione, comme pour lui demander si elle comprenait.

« Je comprends… Oui, je peux imaginer que ça arrive. »

On disait que trop de cuisiniers pouvaient gâcher le bouillon. En termes simples, cela signifiait que le fait de placer trop de personnes dans une position de leadership faisait basculer les choses dans des directions inattendues. Il était important de discuter au fur et à mesure que les choses évoluaient, en utilisant les opinions de chacun pour corriger les problèmes qui surgissaient. Il s’agissait d’une logique de base que même les enfants étaient capables de comprendre — un mode de pensée efficace et effectivement démocratique.

Mais d’un autre côté, cette méthode n’était pas toujours optimale. Avoir trop de personnes ayant l’autorité d’un commandement absolu pouvait être particulièrement problématique. Malgré ses accomplissements passés qui lui avaient valu le poste de Général de Rhoadseria, la position d’Helena Steiner n’était en aucun cas stable. Non, compte tenu des complots de la reine Lupis, Helena marchait probablement sur des œufs.

Dans cette situation, si Helena était envoyée pour commander les renforts à Xarooda, son autorité serait très faible. Les choses iraient encore bien si son adjoint était coopératif. Mais si on lui confiait un imbécile qui se disputerait avec elle le droit de commander, le pire scénario se produirait et leur armée se diviserait avant même d’avoir engagé l’ennemi.

C’était, bien sûr, le pire résultat imaginable. Les chances que les choses deviennent aussi mauvaises étaient minces, mais même si les choses ne dégénéraient pas en une véritable révolte, le moral des soldats en souffrirait. Et comme ils étaient déjà largement inférieurs à l’armée d’O’ltormea, ce serait un coup fatal.

« Cela signifie que tu dois partir, n’est-ce pas, Garçon ? » demanda Boltz.

« En tout cas, c’est ce que disait la lettre d’Helena, » dit Ryoma en haussant les épaules.

« Il semble que nous ayons tiré la proverbiale courte paille », remarqua Genou.

« Oui, c’est à peu près ça. Et quelle courte paille c’est… ! », soupira Ryoma.

Même quand une demande était faite avec une explication appropriée, on pouvait toujours refuser. Mais ce n’était certainement pas aussi facile, car il y aura des conséquences. Le Royaume de Rhoadseria était essentiellement un navire en perdition. Il n’y avait aucun doute là-dessus. La structure de pouvoir que Lupis était en train de construire allait agir contre elle, notamment à cause de son manque d’esprit de décision.

Il était naturel pour la maison royale de s’attendre à construire une administration dont le monarque serait le centre. Après tout, Hodram et Gelhart avaient volé son autorité aussi longtemps qu’ils l’avaient fait. Mais les idéaux ne s’alignaient pas toujours avec la réalité. Et le problème était la personnalité de Lupis Rhoadserians.

Ce n’est pas une mauvaise personne. Non, je peux même l’appeler une bonne personne, et elle n’est pas non plus idiote. Elle est bien informée et s’occupe de ses sujets. Normalement, elle ferait un bon souverain.

L’évaluation de Ryoma sur Lupis n’était en aucun cas négative. Ses aides, Meltina et Mikhail, avaient leurs défauts, mais étaient des personnes compétentes. Ils étaient loyaux envers la maison royale, et leurs prouesses martiales étaient parmi les meilleures du pays. Ce n’était pas des érudits, mais ils savaient lire et écrire et étaient capables de faire des calculs de base. En tout cas, ils n’étaient pas incompétents.

Mais en fin de compte, son défaut est qu’elle ne se connaît pas assez bien…

Une certaine citation de l’Art de la guerre de Sun Tzu m’était venue à l’esprit.

Si vous connaissez l’ennemi et que vous vous connaissez vous-même, vous n’avez pas à craindre le résultat de cent batailles.

Il s’agissait d’un proverbe bien connu de la plupart des gens, même s’ils n’avaient jamais lu L’art de la guerre, mais il avait une suite.

Si vous vous connaissez vous-même, mais pas l’ennemi, pour chaque victoire remportée vous subirez aussi une défaite. Si vous ne connaissez ni l’ennemi ni vous-même, vous succomberez dans chaque bataille.

En d’autres termes, il était important de recueillir des informations avant la bataille, mais il était également important de se connaître soi-même. En connaissant ces deux aspects, on pouvait gagner. Et une fois que l’on pouvait dire si l’on pouvait gagner une bataille, le reste était facile. Si, par contre, on jugeait qu’on ne pouvait pas gagner, on savait qu’il fallait l’éviter ou chercher un autre moyen de résoudre les choses.

Mais à l’inverse, que se passerait-il si l’on ne maîtrisait ni l’ennemi ni ses propres prouesses ? Cela reviendrait à demander à un amateur de jouer une partie d’échecs les yeux bandés. On perdrait avant même que la bataille ne commence.

Ce qui comptait, c’était de savoir quel genre de personne on était. Quelles étaient ses forces et où se trouvaient ses faiblesses ? Et si Lupis avait compris ses faiblesses, elle n’aurait pas essayé de construire un système politique avec elle au centre.

Le rôle d’un monarque était de prendre des décisions et d’assumer la responsabilité des affaires. Mais si son cœur était bon et chaleureux, cela signifiait aussi qu’elle manquait d’esprit de décision. Ryoma pensait qu’une meilleure forme de gouvernement pour elle serait de renforcer l’autorité du Premier ministre et des autres ministres tout en introduisant un système parlementaire. De cette façon, elle conserverait son droit de veto tout en se conformant aux décisions de ses ministres.

Il y avait bien sûr un risque de despotisme comme dans le cas de Gelhart, mais tant que la garde royale et les chevaliers responsables de la sécurité de la Reine s’assureraient de l’autorité militaire, cela ne poserait pas trop de problèmes. Et en effet, si Lupis avait consulté Ryoma sans recourir à des complots mesquins, il lui aurait dit d’en faire autant.

« Nous ne voulons pas nous laisser entraîner dans cette histoire, mais devons-nous vraiment y aller quoi qu’il arrive ? Je vais être franc, Garçon. Je ne suis pas en faveur de ça. »

Lione parlait aussi légèrement que d’habitude, mais ses yeux étaient sérieux.

Lione et Boltz ne pouvaient pas faire comme si cela ne les concernait pas. À eux deux, ils étaient chargés d’enseigner et d’élever des enfants qui avaient été vendus comme esclaves. Ces enfants seraient ceux qui seraient envoyés en cas de guerre et ceux dont la vie serait mise en danger.

Bien sûr, si c’était pour protéger Sirius, Lione leur ordonnerait de mourir si nécessaire. Mais elle ne pourrait pas se contenter de le faire pour le bien d’un pays aussi stupide que la Rhoadseria.

Lione avait après tout un fort sens du devoir…

Cette femme mercenaire à la crinière rouge avait en fait un tempérament de grande sœur. Elle était à la tête d’un groupe de mercenaires composé presque exclusivement d’hommes rudes, malgré le fait qu’elle soit une femme, ce qui était une preuve de son calibre. Elle était fondamentalement une personne amicale et extrêmement fiable, mais elle avait un défaut majeur.

Elle mettait l’accent sur les obligations de chacun avant tout.

C’était logique à sa façon. Lorsque l’on menait une vie où les combats à mort étaient quotidiens, personne ne voulait confier ses arrières à quelqu’un qui manquait à ses devoirs sociaux. Et c’était pourquoi Lione méprisait profondément Lupis Rhoadserians, qui les avait forcés à s’installer dans cette zone neutre qu’était la péninsule de Wortenia après qu’ils l’aient servie pendant la guerre.

Ce n’était évidemment pas une émotion qu’elle mettait en mots. Elle devait prendre en compte la position de Ryoma, qui était encore en surface un noble qui considérait Lupis comme sa reine. Ryoma pouvait comprendre ses sentiments à travers son expression et ses manières. Mais il ne pouvait pas se permettre de donner la priorité à son opinion cette fois-ci.

« Je suis désolé, Lione, mais je ne peux pas céder sur ce point. J’ai dit que nous avons tiré la courte paille, mais nous ne partons pas en guerre pour Lupis ou Rhoadseria ici. Nous nous battons pour survivre. On ne peut pas éviter ça si on veut continuer à vivre et atteindre une plus grande puissance. »

« Nous faisons cela pour empêcher O’ltormea d’envahir… N’est-ce pas ? », demanda Genou.

Ryoma acquiesça.

« Cela va sans dire, mais si Xarooda tombe, Rhoadseria est le prochain à être sur le billot. Compte tenu de la taille de leurs territoires et de leur puissance nationale, les trois royaumes orientaux ne pourront retenir O’ltormea que s’ils sont unis. Myest et Rhoadseria seuls ne pourront que les ralentir, mais pas les arrêter. »

« J’imagine bien », répondit Lione en secouant la tête.

Elle comprenait également la situation, mais l’idée de sauver Lupis dans le processus ne lui plaisait pas.

« Donc, voici où nous en sommes… Pourtant, je ne vais pas laisser cette femme m’utiliser comme elle le souhaite. Je vais profiter de cette occasion pour la presser à sec », dit Ryoma.

Ses lèvres se retroussèrent vicieusement.

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Un commentaire :

  1. merci pour le chapitre

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