Chapitre 2 : Le messager du territoire voisin
Table des matières
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Chapitre 2 : Le messager du territoire voisin
Partie 1
Le château qui surplombait la capitale de Pireas était rempli d’un air lourd et anxiogène. Les bureaucrates de haut rang se précipitaient à leur poste, le visage pâle, et les responsables militaires étaient tous réunis de force dans une salle de conférence, qu’ils soient commandants ou non. Même les chevaliers avaient été appelés à la caserne sans se soucier de savoir s’ils étaient en service ou non et avaient reçu l’ordre de s’assurer que leur équipement était révisé et prêt au combat.
Tout le monde se déplaçait dans le palais à la hâte. La plupart d’entre eux faisaient simplement ce qu’on leur disait, et seuls quelques-uns avaient une idée de la situation. Non… Même eux ne comprenaient pas vraiment ce qui se passait. Alors qu’ils passaient tous devant une certaine série de portes du palais, ils s’étaient éloignés rapidement tout en jetant un regard inquiet à l’entrée de cette pièce. Ces portes en fer hermétiquement fermées…
« Oui… Je comprends ce que dit la lettre, mais… Je ne pense pas que nous puissions nous permettre de faire ça… », dit la reine Lupis avec un profond soupir.
L’explication de Meltina n’avait fait qu’assombrir davantage son humeur. Les visages de toutes les personnes présentes dans cette pièce étaient empreints de chagrin et d’inquiétude. C’était le cas de la reine Lupis et de ses aides, Mikhail et Meltina. La représentante et responsable de l’armée était Helena. Le comte Bergstone était à la tête de plusieurs autres nobles influents qui représentaient les fonctionnaires civils.
« Mais Votre Majesté, ignorer cette demande maintenant signifierait… », intervint Meltina.
« Je le sais… Mais notre pays a-t-il actuellement le pouvoir de faire cela ? », demanda Lupis avec une voix chargée de résignation.
La reine Lupis n’avait pas l’intention d’ignorer cette question. Bien au contraire, sa conclusion était que ce n’était pas une situation qu’ils devaient ignorer. Mais si elle avait le défaut de laisser ses émotions prendre le dessus, elle n’était en aucun cas une idiote. En tant que membre de la famille royale, elle avait reçu la meilleure éducation possible dans ce monde. Tant qu’elle gardait son sang-froid, elle était une souveraine capable de voir la réalité des choses. Et elle voyait bien que le problème que détaillait cette lettre entraînait le Royaume de Rhoadseria dans une situation dont il ne pouvait se sortir.
« Non, c’est impossible… Surtout maintenant, alors que nous devons rester prudents et surveiller les mouvements de la faction des nobles… Cependant… », dit Meltina en hésitant.
« Mais nous ne pouvons pas non plus nous permettre d’ignorer cet appel. Si cette lettre était arrivée peu après que nous ayons réprimé le soulèvement, les choses auraient été différentes, mais la guerre civile dure depuis près d’un an. Il faudra encore du temps pour que notre puissance nationale se rétablisse, bien sûr, mais nous ne pouvons plus utiliser cela comme justification… Et d’ailleurs, cette fois-ci… », poursuivit le comte Bergstone
Le regard du comte Bergstone se posa sur deux lettres posées sur la table. Ayant basculé du côté de la faction de la princesse pendant la guerre civile, le comte Salzberg avait été choisi comme l’un des assistants de la reine Lupis pour ses prouesses politiques supérieures. Il était parfaitement conscient de l’équilibre du pouvoir politique dans le royaume, et était assez sage pour surveiller les autres pays voisins.
S’il avait gagné la confiance de la Reine Lupis, il aurait sûrement été nommé Premier Ministre. Et il pouvait dire que le dilemme que les autres royaumes leur imposaient maintenant était une invitation à entrer dans un labyrinthe sans issue.
Il est probable que, peu importe ce que nous choisissons de faire, les perspectives de ce pays soient sombres… pensa-t-il.
Deux lettres étaient posées devant la Reine Lupis. L’une était une lettre qu’ils recevaient assez régulièrement depuis que l’Empire d’O’ltormea avait lancé son invasion du Royaume de Xarooda. C’était une demande de renforts par le Roi Julianus I, souverain de Xarooda.
Le Royaume de Xarooda avait perdu contre O’ltormea lors de la bataille des plaines de Notis, qui avaient repoussé leur ligne défensive à l’intérieur de leurs territoires. Pour sortir de cette impasse, ils avaient naturellement demandé des renforts à leurs compatriotes de l’est, Myest et Rhoadseria.
O’ltormea régnait sur les régions centrales du continent occidental, possédant un vaste territoire et une population importante. Xarooda seul n’était pas capable de retenir sa puissance militaire. Mais les trois pays constituaient la partie orientale du continent occidental : Rhoadseria, Myest et Xarooda. S’ils s’alliaient, ils auraient été capables de s’opposer à O’ltormea.
Et en effet, lors des guerres passées, une alliance entre les trois avait permis de contenir les ambitions d’O’ltormea. Mais cette alliance n’avait pas été formée par camaraderie ou amitié entre les pays. Les trois pays étaient simplement dans un état de dépendance mutuelle.
Sans Xarooda pour servir de brise-lames, les vagues de la guerre s’abattraient sur Rhoadseria. Et si Rhoadseria tombait, les vagues de la guerre s’abattraient ensuite sur Myest… Et donc, au nom de leur propre intérêt et bien-être, les deux pays avaient dû envoyer des renforts à Xarooda.
Mais au cours de l’année passée, la reine Lupis avait refusé les demandes de renforts de Julianus Ier, car elle avait besoin de stabiliser la puissance nationale et le climat politique de Rhoadseria. Et le fait douloureux était que, même sans tenir compte de cela, Rhoadseria manquait tout simplement de troupes à envoyer.
Le général Albrecht avait tenu le commandement de l’armée pendant des années, et le supprimer signifiait que les ordres des chevaliers devaient être réorganisés. La puissance militaire de Rhoadseria avait donc fortement diminué. Avec l’élimination des chevaliers des familles établies, de nombreux soldats qui avaient été écartés et empêchés d’être promus s’étaient battus pour obtenir les postes vacants. De nombreux chevaliers s’étaient même battus en duel pour les obtenir.
Helena avait travaillé dur pour atténuer cette situation, mais les flammes de l’ambition étaient difficiles à éteindre. Et avec des gens qui les attisaient constamment, il était logique qu’elle ait eu du mal à les éteindre.
Avec tout cela à l’esprit, envoyer leurs troupes à l’étranger avec la faction des nobles qui commençait à s’agiter était effectivement un suicide.
Nous aurions vraiment dû rejeter l’offre de fidélité du comte Gelhart… et l’éliminer à l’époque… Avoir son rang à la cour abaissé ne le dérange pas. Après tout, il a accepté ces termes trop facilement.
Même avec son rang abaissé de comte à vicomte, Gelhart avait une grande influence sur la noblesse. Pire encore, depuis que la princesse Radine avait été officiellement reconnue comme un membre de la famille royale, les nobles mécontents de la reine Lupis commençaient à s’unifier sous sa bannière.
Afin de construire une structure de pouvoir dont elle serait le centre, la reine Lupis avait chassé de nombreux nobles du palais après la fin de la guerre civile. Il était donc naturel qu’ils se tournent vers Gelhart et la princesse Radine. Du point de vue de Lupis, il était logique d’éliminer ceux qui avaient soutenu Gelhart dans le passé. Mais ceux qui avaient été chassés n’allaient pas simplement accepter d’être traités de cette façon.
Tuer Gelhart n’aurait pas dissipé le mécontentement des nobles, mais il aurait été beaucoup plus difficile pour eux de s’unir contre la reine Lupis. Gelhart avait du pouvoir, et la princesse Radine pouvait servir de cause juste. Et maintenant, ils se tenaient comme un obstacle à la Reine Lupis.
Nous aurions dû arrêter cette négociation, même si cela signifiait laisser Mikhail Vanash mourir. Bien que dire cela maintenant n’a pas vraiment d’importance, hein… ?
Le regard du comte Bergstone se tourna vers Mikhail, qui se tenait les bras croisés aux côtés de Meltina. Un sentiment amer emplit son cœur. Une victoire parfaite aurait dû être à leur portée lors de la guerre civile. Si seulement ils n’avaient pas accepté l’offre de fidélité de Gelhart…
Nous n’aurions peut-être pas eu le choix, mais le Seigneur Mikoshiba aurait pu trouver un moyen…
Le comte Bergstone avait parfaitement compris la position dans laquelle ils se trouvaient à l’époque. Il faisait partie de cette réunion, et Helena le lui avait également expliqué. Il n’y avait pas grand-chose à faire. Mais quand même, il ne pouvait s’empêcher d’en vouloir à Ryoma d’avoir simplement acquiescé et permis à la Reine Lupis d’accepter la proposition de Gelhart.
Il savait que c’était une rancune mal placée, mais le fait était que s’ils avaient refusé Gelhart et exécuté Radine pour usurpation d’identité, la moitié de leurs problèmes actuels n’auraient pas existé. Toutes les forces subversives du pays seraient encore obligées d’obéir à la reine Lupis, du moins en apparence. Et dans ce cas, peut-être auraient-ils pu envoyer des soldats à Xarooda plus tôt.
Au moins, il connaît sa place maintenant. C’est la seule lueur d’espoir ici…
Dans le passé, Mikhail Vanash se contentait de débiter des absurdités sur la chevalerie et la voie du chevalier et ne servait qu’à semer le désordre dans les réunions. Mais aujourd’hui, il avait gardé sa bouche fermée. Cela avait provoqué un petit soupir de la part du comte Bergstone. L’idée que la croissance de Mikhaïl en tant que personne devait se faire au prix de la situation actuelle de Rhoadseria ressemblait à une triste plaisanterie.
Avec cette pensée en tête, le comte Bergstone ramena la conversation à son sujet principal.
« Notre plus gros problème est les agissements de Myest. Ils ont déjà rassemblé leurs renforts le long de notre frontière orientale, ils pourraient donc être en route dès que nous les autoriserons à passer. Et nous ne pouvons pas refuser leur demande, ou ils pourraient nous déclarer la guerre. Et puis, c’est notre dernière chance de sauver Xarooda. »
Le regard de tous fut posé sur la seconde lettre sur la table.
Myest ne reculera pas, quoi qu’il arrive…
Le Comte Bergstone avait facilement remarqué la colère et la résolution que Myest avait au moment où ils écrivirent cette lettre. Il était clair que laisser Xarooda à son sort signifierait qu’O’ltormea déferlerait sur les régions orientales comme une avalanche, et qu’aucun des trois pays ne pourrait s’y opposer seul. En fait, il était surprenant que Myest ait supporté l’attitude de Rhoadseria jusqu’à présent.
« Cette lettre ne le dit pas directement, mais la demande de Myest est claire… Avez-vous l’intention que nous entrions en guerre avec eux, Votre Majesté ? »
Quoi qu’il advienne, ne pas laisser Myest traverser leur territoire n’était pas une option. La question était de savoir s’ils les laisseraient simplement traverser seuls ou s’ils enverraient leurs propres renforts pour les rejoindre.
Non, on n’a pas non plus trop le choix…
Que se passerait-il s’ils laissaient les militaires de Myest traverser sans aider Xarooda eux-mêmes ? Les hostilités n’éclateraient peut-être pas immédiatement contre O’ltormea, mais cela créerait un fossé entre les trois pays — un fossé profond, irréparable.
Un fossé qui pourrait se manifester par une attaque de la Rhoadseria à la fois par l’est et par l’ouest, menant à sa destruction. Ni Xarooda ni Myest ne toléreraient qu’une nation amie ne leur envoie pas d’aide dans une telle situation d’urgence.
« On n’a pas d’autre choix que d’envoyer nos troupes… ? », dit-elle, la voix emplie d’une amertume totale.
Mais ils n’avaient pas d’autre choix.
Elle comprend donc cela… Mais la question demeure…
Le comte Bergstone tourna son regard vers Meltina.
« Combien pouvons-nous en déployer ? »
« Nos forces sont en grande partie réorganisées, grâce aux efforts de Lady Helena… Mais vu l’état du pays, le plus que nous puissions épargner est un seul ordre de chevaliers. Nous pourrions demander aux nobles de nous prêter leurs forces, bien sûr, mais si nous ne devions compter que sur nos propres forces… »
Une vague de découragement s’était installée dans la pièce.
« L’existence du royaume est en jeu, et nous ne pouvons envoyer que deux mille cinq cents hommes… », murmura Le comte Salzberg, choqué.
Il représentait bien les pensées de toutes les personnes présentes.
Cela ne pourrait même pas être vu comme un renforcement venant d’un autre pays. Il leur faudrait au moins cinq mille hommes, et la situation exigeait effectivement dix mille hommes. Bien sûr, ils ne pouvaient pas envoyer tous leurs chevaliers pour cela, mais ils ne pouvaient pas non plus espérer l’aide des nobles.
***
Partie 2
Tout le monde était conscient de l’atmosphère d’agitation qui planait sur Rhoadseria, et surveillait prudemment les mouvements de Gelhart. Dans ce cas, ce n’était cependant pas une question de factions. Le comte Bergstone, le comte Zeleph et les autres nobles alliés de la reine Lupis ne pouvaient pas non plus envoyer de troupes.
En effet, il était évident que s’ils envoyaient les soldats de leur territoire hors du pays, ces territoires seraient incapables de résister et seraient réduits en cendres si une révolte éclatait à nouveau. Si c’était à l’intérieur des territoires du royaume, les choses étaient différentes, mais ils ne pouvaient pas se permettre d’envoyer leurs soldats aider dans la guerre d’un autre pays.
« Les nobles ne bougeront pas. Notre seule autre option est d’enrôler les roturiers, mais… honnêtement, nous ne pouvons probablement pas nous attendre à ce qu’un grand nombre de personnes le veuille. Bien sûr, si nous les menaçons, les choses seront différentes, mais… », dit Meltina.
« Mais cela ne fera que nous faire reculer. »
La reine Lupis secoua la tête et soupira.
Les enrôler leur permettrait de rassembler jusqu’à vingt ou trente mille personnes. Même cent mille n’étaient pas impossibles. Mais les roturiers ayant été conscrits ne valaient pas grand-chose en termes de puissance militaire. Au contraire, ils étaient un handicap.
Le problème était que cette guerre n’était pas une invasion d’un autre pays. Une invasion signifiait qu’ils seraient autorisés à piller les villes et les villages, à violer les femmes et à vendre les villageois survivants comme esclaves.
Mais cette fois, ils envoyaient des renforts. Ils ne seraient pas autorisés à piller et violer à leur guise. Après tout, qui accepterait des renforts qui semaient le chaos dans leur propre pays ? Et même s’ils recevaient de la nourriture et un logement, ce serait le strict minimum. Les choses pourraient changer s’ils prenaient la tête d’un commandant sur le champ de bataille, mais ils ne pouvaient pas se fier à ce genre de coup de chance.
La plupart des soldats recevraient simplement une somme d’argent dérisoire en paiement de leurs services par le gouvernement, et ce sera tout. La récompense ne justifiait pas que l’on mette sa vie en danger. Le moral des soldats serait bas, et ils contesteraient probablement la plupart des ordres qu’on leur donnera.
Le pire scénario possible était que les conscrits mécontents se retournent contre les villes de Xarooda et les pillent. S’il s’agissait d’une courte opération dans un pays voisin, les choses seraient peut-être différentes, mais ils ne pouvaient pas les envoyer en renfort.
« Dans ce cas… Nous devrons envoyer un commandant dont les deux pays seront satisfaits. »
Tout le monde acquiesça aux paroles du comte Zeleph.
Ils ne pouvaient pas se permettre de perdre cette guerre. Une défaite signifierait que Rhoadseria serait le prochain pays à être menacé par les ambitions d’O’ltormea. En plus de cela, ils devaient accomplir des exploits qui feraient que Xarooda et Myest ne les regardaient pas de haut. S’ils devaient envoyer une poignée de soldats après avoir esquivé leurs demandes de renforts aussi longtemps, les autres pays auraient la pire impression possible de Rhoadseria.
S’ils ne contribuaient pas aux combats de manière importante, Xarooda et Myest ne le leur pardonneraient jamais. Ils exigeraient que Rhoadseria fasse de grandes concessions commerciales pour compenser, en supposant qu’ils ne déclaraient pas carrément la guerre au pays.
« Je vais y aller », dit Helena, écartant les lèvres pour la première fois pendant ce conseil.
La salle entière était devenue silencieuse suite à sa déclaration.
« Es-tu sûre, Helena ? », répondit finalement la reine Lupis après une pause.
Son visage était plein de doutes et de culpabilité. Les seuls renforts qu’ils pouvaient envoyer de manière fiable étaient deux mille cinq cents chevaliers, et ils n’allaient pas simplement sortir et offrir un peu d’aide. Ils devaient accomplir une performance admirable et remporter des victoires retentissantes qui convaincraient les autres pays. Faire cela, c’était, en toute honnêteté et à toutes fins utiles, tirer sciemment la courte paille.
Helena, cependant, n’avait pas hésité.
« Bien sûr, Votre Majesté. »
Helena hocha la tête, ses yeux brillaient d’une forte volonté.
Elle ne reculerait devant rien pour sauver le Royaume de Rhoadseria, et Helena était également la seule personne présente à cette réunion qui pouvait commander les renforts. Ce n’était pas tant une question de capacités d’Helena, mais plutôt de sa renommée et de ses réalisations passées. Meltina et Mikhail étaient également des aides de la reine Lupis, mais leurs noms n’étaient pas connus dans les autres pays.
Si leurs deux mille cinq cents hommes étaient dirigés par un blanc-bec inconnu, personne ne les prendrait au sérieux et cela ne ferait que créer davantage de frictions. Les autres pays seraient, cependant, bien plus accueillants envers la déesse blanche de la guerre de Rhoadseria.
« Alors nous demanderons à Dame Helena de servir de commandant pour nos renforts. Nous aurons, cependant, besoin d’un commandant en second », dit Meltina après avoir confirmé que tout le monde était d’accord avec l’offre d’Helena.
Les accomplissements d’Helena étaient uniques et légendaires, mais elle ne les avait pas réalisés toute seule. Et puisqu’ils étaient envoyés dans un autre pays, personne ne pouvait dire ce qui pouvait arriver. Ils avaient besoin d’un vice-commandant qui pourrait remplacer Helena si nécessaire.
« Cela va de soi… Nous aurions besoin d’une aide compétente… Mais qui cela devrait-il être ? Le Seigneur Mikhail, ou peut-être Dame Meltina ? Ce sont les deux premiers qui nous viennent à l’esprit parmi les effectifs que nous pouvons actuellement déplacer. Mais pouvons-nous sans risque les faire sortir du royaume pendant un temps extrêmement long ? », demanda le comte Zeleph.
C’était une question naturelle. Il n’y avait pas beaucoup d’officiers militaires connus et importants en Rhoadseria pour le moment, et la plupart d’entre eux avaient des rôles qui les rendaient difficiles à remplacer. Toute force envoyée à Xarooda ne reviendrait que six mois plus tard au plus tôt, et peut-être même des années plus tard, selon la façon dont la guerre se déroule. Ces officiers n’avaient pas le loisir de faire ça.
Pourtant, ils ne pouvaient pas envoyer Helena sur un champ de bataille mortel toute seule. Tout le monde resta silencieux, jusqu’à ce qu’un seul homme prenne enfin la parole.
« Ne pourriez-vous pas demander au Seigneur Mikoshiba ? »
Le son de quelqu’un avalant nerveusement sa respiration résonna dans la pièce bien plus fortement qu’il n’aurait dû. Ce nom était un tabou que tout le monde avait envisagé, mais dont personne n’osait parler. Un silence momentané tomba sur la pièce, qui fut suivie par le cri de colère du comte Bergstone.
« Espèce d’idiot ! Que proposes-tu, Mikhail ? ! As-tu la moindre idée de ce que tu viens de dire ? ! »
Le comte Bergstone lui cria dessus, jetant aux orties toutes les notions de politesse et de cérémonie. Sa colère était claire. Mais personne n’avait jugé le comte Bergstone pour avoir appelé Mikhail directement par son prénom. Les mots de Mikhail étaient simplement si effrontés et inattendus.
Cet idiot… J’avais pensé qu’il serait devenu un peu plus docile après la levée de son assignation à résidence…
En voyant Mikhail tenir sa langue pendant toute la réunion jusqu’ici, le comte Bergstone avait supposé qu’il avait su où était sa place et savait quand ne pas interférer. Cette impression, cependant, semblait avoir été erronée.
« Seigneur Mikhail… Qu’essayez-vous de faire, précisément ? »
Le comte Zeleph expira lentement un profond soupir en tournant un regard interrogateur vers Mikhail.
Ses mots étaient empreints de prudence envers Mikhail.
La majeure partie du territoire de la Rhoadseria était constituée de plaines plates et ouvertes. Leur population était vaste et leurs terres étaient propices à l’agriculture grâce à d’abondantes sources d’eau. Mais d’un autre côté, cela signifiait aussi que la topographie de leur pays avait peu de défenses naturelles. Et lorsqu’il s’agissait de combattre dans des plaines ouvertes, le nombre de troupes de chaque armée était le facteur décisif.
Une fois qu’ils seraient envahis, ils ne pourraient probablement pas attendre de renforts de Myest. Si O’ltormea devait franchir la chaîne de montagnes occidentale qui sert de frontière entre Rhoadseria et Xarooda, le royaume serait probablement écrasé rapidement par la force écrasante de l’Empire.
Donc, au vu de la situation actuelle de Rhoadseria, la suggestion de Mikhail avait du sens. Ses paroles étaient basées sur la situation et la puissance nationale actuelles de Rhoadseria. Même l’atout le plus fort ne valait rien s’il n’était pas joué au moment le plus critique du jeu.
Mais s’ils pouvaient simplement demander de l’aide à Ryoma, ils ne seraient pas dans cette situation critique. Il était naturel que les mots du comte Bergstone soient aussi empreints de ressentiment, car Mikhail Vanash était la cause de leurs problèmes. C’était à cause de sa volonté de gagner des mérites à la guerre qu’ils n’avaient pas pu appréhender Gelhart — ce qui avait mené directement à la position difficile dans laquelle ils se trouvaient.
« Et la conformité du Seigneur Mikoshiba n’a pas d’importance. Nous devons seulement lui donner l’ordre. Et, s’il refuse, nous le traiterons simplement comme n’importe quel hors-la-loi et le tuerons. Quel noble refuserait un ordre royal quand l’existence du royaume est en danger ? »
Il n’y avait aucune trace d’émotion dans la voix de Mikhail. Elle se répercutait froidement, presque mécaniquement dans la pièce.
« C’est absurde… Ta santé mentale t’a-t-elle complètement abandonné ? » dit le comte Bergstone tout en oubliant qu’il était en présence de la reine Lupis.
Mikhail, cependant, le regarda simplement avec une expression qui semblait presque surprise.
« Eh bien… Comte Bergstone, ai-je dit quelque chose d’étrange ? Quel intérêt y a-t-il à garder un noble qui manque de loyauté envers la maison royale ? »
« Que dis-tu ? Si tu prétends que c’est le devoir de la noblesse, alors tu peux aussi bien passer au fil de l’épée la plupart des nobles de ce pays. »
« En effet. Et c’est pourquoi nous devons faire bon usage du Seigneur Mikoshiba. »
Leurs voix s’étaient élevées et elles affichèrent une nette inimitié l’un envers l’autre. La plupart des nobles de Rhoadseria ne faisaient pas preuve d’une loyauté inconditionnelle envers la maison royale. S’ils l’avaient été, ils n’auraient pas été aussi peu coopératifs, même en présence de la bannière qu’était la princesse Radine.
Il en allait de même pour les nobles présents ici. Le comte Bergstone était profondément loyal envers la reine Lupis, bien sûr, mais sa fidélité n’était pas inconditionnelle. Il ne la servait aussi loyalement que parce qu’elle l’avait placé à un poste clé après la fin de la guerre civile. C’était la différence entre recevoir la faveur d’une personne et recevoir un service.
Il y a un an, le comte Bergstone faisait partie de la faction neutre, et avait refusé de prêter son aide à la faction de la princesse malgré les demandes répétées de Meltina. C’était parce que Meltina attendait de lui qu’il l’aide par pure loyauté envers le trône.
L’idée de la loyauté envers le trône avait certainement une résonance agréable, et certains auraient donné leur vie pour cela. Mais la plupart des gens ne le feraient pas. Les gens avaient besoin de savoir que quoi qu’ils fassent, ils en tireront un avantage quelconque.
Mikhail le savait très bien. Presque personne n’avait pris le parti de la Reine Lupis il y a un an… Jusqu’au jour où Ryoma Mikoshiba était apparu.
« Pourquoi êtes-vous si paniqués ? »
Helena coupa dans leur dispute, après l’avoir observée en silence pendant un moment.
« Quoi, tu le demandes ? N’est-ce pas évident ? Il ne nous reste plus beaucoup de temps. Exécuter le baron Mikoshiba et unifier la volonté des nobles n’est-elle pas notre option la plus rapide ? »
Mikhail fut pris au dépourvu par la question, et laissa involontairement échapper ses véritables intentions. Le regard d’Helena s’était aiguisé.
« Je vois… Donc c’est ce que tu voulais vraiment dire », dit-elle.
« N-Non… »
Le visage de Mikhail se déforma.
« Je n’ai pas… Je n’ai rien dit… »
Ses mots avaient fait prendre conscience à Mikhail qu’il venait de dire quelque chose qu’il valait mieux ne pas dire. Il était vrai que faire de Ryoma un exemple aurait pu unifier le pays. Mais il n’y avait pas besoin de faire de Ryoma une cible spécifique. Il y avait beaucoup d’autres personnes sacrifiables.
***
Partie 3
Et bien qu’il ait qualifié Ryoma d’atout, Mikhail avait suggéré qu’ils ne l’utilisaient pas contre leur ennemi, mais qu’ils s’en débarrassent plutôt pour se faire valoir auprès de leurs autres alliés. Ses paroles et ses intentions étaient manifestement deux choses différentes.
Je le savais… Il en veut toujours au Sieur Mikoshiba…
Le comte Bergstone s’en était immédiatement rendu compte.
À première vue, les affirmations de Mikhail semblaient raisonnables, mais une fois qu’il avait compris ses véritables intentions, il était difficile de ne pas le juger sévèrement.
« Haïs-tu le Seigneur Mikoshiba ? », demanda le comte Bergstone.
« Je n’ai aucune idée de ce dont vous parlez », répondit Mikhail d’un ton posé, en essayant de masquer sa confusion.
Apparemment, il avait choisi de feindre l’ignorance, mais il semblerait qu’il était bien trop tard pour cela. Son attitude d’il y a quelques instants avait clairement montré à toutes les personnes présentes quelles étaient ses intentions. Et pourtant, il essayait de les cacher maintenant.
Le Comte Bergstone répéta la question : « Haïs-tu à ce point le Seigneur Mikoshiba ? Cet échec est entièrement dû de ta faute. Lui en vouloir serait une erreur. »
« Je n’ai pas la moindre idée de ce que vous voulez dire. »
Mikhail répéta cette farce une fois de plus. Mais en le voyant prononcer ces mots une seconde fois, le comte Bergstone avait senti un frisson lui parcourir l’échine.
Ces yeux… !
Ils étaient remplis d’une obscurité profonde, sans fond. Le regard de Mikhail était rempli de flammes de haine et d’obsession. Aussi loin que le Comte Bergstone pouvait voir, le Mikhail Vanash qu’il connaissait n’était pas là. Certes, il avait toujours su qu’il était myope, mais il n’avait jamais vu Mikhail ignorer complètement les apparences et considérer une autre personne avec un antagonisme aussi clair et flagrant.
Le Comte Bergstone pouvait comprendre pourquoi il détestait Ryoma du plus profond de son cœur. Il était peut-être tout à fait naturel pour lui de souhaiter la disparition de cet homme. Mais c’était une rancune injustifiée. Et il ne pouvait pas laisser ces désirs personnels plonger Rhoadseria dans un plus grand chaos.
Je te plains, mais…
Des étincelles jaillirent entre les deux.
« Arrêtez ça ! »
Le cri de la reine Lupis résonna dans la pièce.
« Cela suffit… Je vais donner un décret royal. Tout d’abord, Helena. Contactez le baron Mikoshiba et informez-le qu’il est convoqué de toute urgence à la capitale. Il ne refusera pas forcément, nous allons donc pour l’instant lui expliquer notre situation. Nous pourrons décider de ce qu’il faut faire s’il refuse par la suite… Compris ? »
« Votre Majesté… », murmura Meltina, atterrée.
Mais la reine Lupis donna rapidement ses ordres, ignorant les paroles de son aide. Ils n’avaient pas de temps à perdre en bavardages inutiles. Malgré les doutes qui la rongeaient, la reine Lupis prit sa décision.
Non… C’était plus que cela. Elle avait senti les regards froids fixés sur Mikhail par tous les autres dans cette pièce, et avait voulu l’en protéger. Ou peut-être était-ce parce qu’elle avait vu sa main atteindre l’épée rengainée à sa taille pendant un instant.
« Informez Xarooda que nous allons leur envoyer des renforts. Dites-leur que cela nous prendra du temps pour nous préparer, et que nos forces partiront dans un mois. Et informez les forces de Myest qui attendent à la frontière qu’elles sont libres de passer. Compris, comte Bergstone ? Nous devrons être prêts dans un mois. »
« Un mois, vous dites… Ce sera difficile. Et vous êtes sûre qu’on doit les laisser entrer ? »
Bien qu’ils partageaient un ennemi commun, les circonstances n’avaient pas changé. Il y avait une chance infime que le groupe de Myest se soit déjà impatientée et ait décidée de supprimer Rhoadseria en premier. À cette fin, il aurait peut-être été plus sage d’attendre que l’armée de Rhoadseria soit prête avant de lui donner la permission de passer.
C’était le raisonnement derrière la question du comte Bergstone, mais la reine Lupis secoua la tête en signe de dénégation.
« Nous n’avons pas le choix. L’impression que les deux pays ont de nous est déjà mauvaise puisque nous n’avons pas bougé jusqu’à présent. Et ne les laisser passer qu’une fois que nous sommes prêts signifierait les laisser attendre trop longtemps… Si Xarooda finit par tomber à cause de cela, ça ne servirait à rien d’envoyer des renforts de toute façon. »
Déplacer une armée prenait du temps, surtout lorsqu’il s’agissait de l’envoyer à l’étranger. Il faudrait préparer des provisions et des armements de rechange. Les craintes du comte Bergstone n’étaient pas infondées, mais ils étaient effectivement à court de temps. Et Xarooda aussi. Le contenu de leur lettre le montrait clairement.
« Est-ce que tout le monde sait ce qu’il doit faire ? », demanda la reine Lupis.
Quelles que soient ses raisons, le monarque avait fait son choix, et ses vassaux ne pouvaient qu’acquiescer.
« « « Par votre volonté, Votre Majesté ! » » »
Tout le monde se leva de son siège et se courba à la taille en signe d’obéissance. Tout cela au nom de la protection du royaume de Rhoadseria.
Alors que le conseil touchait à sa fin, la plupart de ses participants étaient partis, ne laissant que trois personnages dans la pièce.
« Pourquoi as-tu dit cela ? », demanda la reine Lupis.
« En tant que votre vassal, j’ai offert ce que je pensais être la meilleure solution possible », répondit calmement Mikhail, sans une once d’hésitation.
Sa voix était plus froide qu’elle ne l’avait jamais entendue auparavant.
« Est-ce… vraiment l’intégralité de tes intentions ? », demanda-t-elle prudemment.
« Que voulez-vous dire ? Trouvez-vous ma loyauté si difficile à croire ? »
Même avec le regard interrogateur de Lupis sur lui, l’expression de Mikhail ne changea pas.
Il était inébranlable, comme une poupée qui aurait perdu ses émotions.
« Seigneur Mikhail ! Vous ne pouvez pas parler à Sa Majesté de cette façon ! »
Meltina réprimanda son attitude avec colère.
Peut-être était-elle encore irritée par son attitude pendant le conseil, qui aurait bien pu justifier le fait qu’elle devait dégainer sur lui selon les circonstances.
« C’est bon, Meltina. », cependant la reine Lupis l’avait retenue.
« Mais, Votre Majesté ! »
Même si Mikhail était un vassal qui la soutenait depuis de nombreuses années, son attitude ces derniers temps était irrespectueuse. L’ignorer ne ferait qu’affecter grandement l’autorité de Lupis en tant que reine, et c’était quelque chose que Meltina ne pouvait pas permettre. Mais en voyant l’émotion qui remplissait les yeux de la reine Lupis, Meltina ravala ses mots.
« S’il vous plaît… »
Quelle détermination se cachait derrière ces mots ?
« Mes excuses, Votre Majesté. »
Voyant le frisson dans les épaules de la reine Lupis, Meltina inclina la tête et se retira contre le mur. En lui faisant un signe de tête, la reine Lupis s’était retournée vers Mikhail avec un regard triste.
« Eh bien, bon travail aujourd’hui. Tu peux te retirer. »
« Compris. Je vais donc partir. »
Milkhail inclina sa tête et se retourna pour partir. La vue de son dos se retirant disait tout ce qu’il y avait à dire. Une obsession profonde et sombre se tenait dans le cœur de Mikhail Vanash. Deux paires d’yeux attristés l’avaient regardé sortir de la pièce sans broncher.
« Qu’est-ce qui l’a poussé à faire ça… ? »
La reine Lupis murmura une question à laquelle Meltina n’avait pas pu répondre.
La raison était néanmoins claire. Mais ni l’une ni l’autre ne pouvait la formuler avec des mots. Cela briserait le cœur de la reine Lupis comme du verre.
« Vous n’avez rien fait, Votre Majesté. »
Meltina ne pouvait rien dire d’autre.
*****
Dans la chambre attribuée à Mikhail dans le château, deux hommes discutaient, éclairés par une seule lampe posée sur la table. L’un était le propriétaire de cette pièce, et l’autre était une personne qui n’aurait pas dû se trouver dans cette pièce.
« Il semble que l’envoi ait été décidé comme prévu », déclara Akitake Sudou de manière inattendue, suscitant une grimace de Mikhail qui était assis sur le canapé en face de lui.
« Comment sais-tu cela ? Cela n’a pas encore été rendu public. »
La décision d’envoyer des renforts au Royaume de Xarooda avait été prise le midi de ce jour. Les personnes en position d’officier public en avaient été informées, mais l’homme assis devant lui n’occupait pas ce genre de position.
En apparence, la position de Sudou était celle d’un serviteur envoyé par le Vicomte Gelhart pour servir la Princesse Radine. Il aurait peut-être appris cette nouvelle un jour ou l’autre, mais Mikhail aurait dû se méfier si cette nouvelle lui était parvenue le jour même où elle avait été décidée.
Sudou, cependant, sourit simplement en s’amusant des soupçons de Mikhail.
« Vous pouvez tous essayer de cacher la nouvelle, mais plus vous vous efforcez d’obscurcir quelque chose, plus la nouvelle se répand rapidement… Et elle se répand vite, en effet… »
Mikhail s’était moqué de l’attitude condescendante de Sudou.
« Ton ouïe est toujours aussi fine, Sudou », dit-il.
À première vue, cela pouvait sembler être un compliment, mais Mikhail regardait clairement Sudou de haut. Il le voyait comme un vulgaire roturier se faufilant dans le château comme un rat. Il ne l’avait pas exprimé avec des mots, mais la façon dont il regardait Sudou l’indiquait clairement.
« C’est très dur de votre part… Malheureusement, je n’ai pas d’autres talents à offrir. »
Sudou haussa les épaules, ne montrant aucune préoccupation pour le mépris de Mihkail.
« Hmph. Je n’ai aucune idée de la raison pour laquelle tu es l’assistant de la princesse Radine… »
Mikhail grimaça avec une pointe d’agacement devant l’attitude pantouflarde de Sudou.
« Ce serait parce que, tout comme vous, Seigneur Mikhail, je suis apprécié pour ma loyauté sans faille envers la maison royale », dit Sudou avec un sourire.
« Balivernes… Tu n’as pas la moindre loyauté pour Rhoadseria. », cracha Mikhail, mécontent.
Quel homme complètement stupide… Tu ne peux même pas garder ton calme sans toute cette bravade, se dit Sudou d’un air moqueur.
La réputation de Mikhail était en chute libre depuis la guerre civile de l’année dernière. À vrai dire, ce n’était pas seulement aussi bas que la position d’une personne pouvait l’être — c’était allé au-delà et directement dans les valeurs négatives, si une telle chose était même possible.
Et ta stupidité t’a fait foncer droit dans le mur… Il ne reste plus qu’à t’achever. J’ai hâte de voir à quel point tu vas t’écraser et brûler…
Étant l’épéiste numéro un de Rhoadseria et le très loyal et proche assistant de la Reine Lupis, le nom de Mikhail Vanash était autrefois associé à la gloire et aux louanges. Sa loyauté était considérée par le royaume comme un trésor. Il n’était pas sans défaut, bien sûr, mais Mikhail était considéré comme un jeune homme digne de confier l’avenir du royaume.
Et tout cela n’était plus qu’une relique. Sa quête du mérite l’avait conduit à se constituer prisonnier de façon honteuse, et à sa libération, il avait été condamné à plusieurs mois d’assignation à résidence. L’opinion que tout le monde avait de lui s’était considérablement dégradée en conséquence.
Après la levée de son assignation à résidence, la reine Lupis avait profité de la réorganisation de son gouvernement pour le nommer capitaine de la Garde royale, ce qui avait suscité l’ire de ses subordonnés et de ses collègues. Il se disait même que la reine Lupis renverrait Helena afin de l’élever au rang de général, ce qui n’avait fait qu’aggraver sa position.
Il était logique pour la reine Lupis de placer des vassaux en qui elle avait confiance à des postes proches d’elle, mais tout le monde ne comprenait pas cela. Pour eux, Mikhail s’attirait les faveurs de la reine tout en agissant activement pour la miner.
***
Partie 4
Et grâce à Sudou qui répandait des rumeurs à l’extérieur du palais, mélangeant habilement vérité et mensonge, la réputation de Mikhail s’effondrait de plus en plus. Ses collègues et subordonnés le méprisaient tandis que les nobles se moquaient de lui. Pour un fier chevalier comme Mikhail, cette situation était un véritable enfer.
S’il était vraiment un idiot, il ne prêterait pas attention à ces opinions. Et s’il était vraiment si vil et méprisable, il ajusterait sa position un peu plus intelligemment. Mais malheureusement, Mikhail Vanash était un homme bien trop simple et honnête. Et c’était parce qu’il pouvait distinguer le bien du mal, qu’il savait comment le monde fonctionnait et qu’il restait fier et honnête malgré cela, qu’il ne pouvait tolérer ce résultat.
Il y avait un fossé entre les idéaux et la réalité, et la plupart des gens qui tombaient dans ce fossé perdaient de vue leur cœur. Pour échapper à la souffrance qu’ils avaient sous les yeux, ils tourmentaient et maudissaient ceux qui les entourent. Sans savoir que cela ne faisait que resserrer encore plus l’étau autour de leur cou…
Et, bien conscient de cela, Sudou avait versé un doux poison dans le cœur de Mikhail. Un poison qui ravagerait davantage son cœur et le priverait de la capacité de raisonner. Et finalement, toute la vérité serait drainée de son cœur, ne laissant que la fiction pratique à utiliser.
« Cela va sans dire. Je ne suis pas de taille face à toi, Seigneur Mikhail, mais la princesse Radine est une fille illégitime. Elle a peut-être été officiellement reconnue comme un membre de la famille royale, mais elle a peu de vassaux qui croient en elle du fond de leur cœur. Ainsi, même un homme humble et modeste comme moi a l’honneur d’avoir sa confiance. »
« Je vois. »
Mikhail avait souri avec satisfaction à la réponse de Sudou.
Le poison dans les mots de Sudou avait chatouillé le sens de la suffisance de Mikhail. Il pouvait le voir à travers la flatterie transparente que l’homme souriant devant ses yeux essayait de lui faire avaler. Mais après avoir été bombardé de mépris et de moqueries par ses subordonnés et ses collègues pendant si longtemps, ces mots étaient la seule source de guérison qui lui restait. Il s’y accrochait, même s’il savait que c’était un mensonge…
« Par ailleurs… J’ai fait cette proposition pendant le conseil, comme tu me l’as dit. Es-tu cependant sûr que c’était sage ? », dit Mikhail tout en prenant un verre plein de vin sur la table et en posant un regard interrogateur sur Sudou.
« Bien sûr. Mes excuses, Seigneur Mikhail, mais avez-vous eu une meilleure idée ? », dit Sudou en acquiesçant calmement à cette question.
Mikhail perdit tous ses mots à la vue de cette attitude confiante.
« Eh bien, non… Mais je ne peux pas imaginer qu’il va simplement obéir sans discuter. »
« Non, il ne le fera probablement pas. Mais dans ce cas, cela vous donnera simplement un prétexte pour le faire exécuter. »
« Oui, je comprends cela. Je l’ai aussi expliqué pendant le conseil. Mais honnêtement, cet homme a une façon d’être extrêmement imprévisible. Qui peut dire ce qu’il pourrait tenter. »
L’affirmation de Mikhail était une analyse plutôt pondérée de la situation. Aussi obsédé qu’il était par sa haine pour Ryoma, il gardait toujours autant de jugement. Ces mots n’avaient cependant fait qu’exaspérer Sudou.
Tu te contredis…
En effet, c’était une contradiction. Il avait dit que Ryoma n’accepterait jamais ces demandes de son plein gré, et qu’il ne savait pas quel genre de complot il pourrait inventer pour se venger d’avoir essayé de le forcer.
Mais même en sachant cela, tu l’as quand même proposé pendant le conseil. À quoi pense cet homme... Je sais que les gens ont tendance à agir de manière imprévisible lorsqu’ils sont au pied du mur, mais… Oh et bien. Il fait une marionnette utile.
Étouffant le rictus moqueur qui menaçait de se dessiner sur son visage, Sudou regarda Mikhail avec un doux sourire. Sudou avait beau être celui qui lui avait ordonné de le faire, la pensée de Mikhail manquait à présent de cohérence et de cohésion. Il ne restait plus que de la tristesse devant la situation dans laquelle il se trouvait et le ressentiment envers Ryoma, qu’il percevait comme la source de ses problèmes.
Impatience, haine, envie, dégoût. Ces émotions faisaient rage dans le cœur de Mikhail, le privant de la capacité de raisonner sainement.
« En soi, ce serait un résultat satisfaisant. Un vassal déloyal serait écarté du parti de Sa Majesté, et ta cote en tant que fidèle serviteur augmenterait. »
« Mais… ! »
« Tu ne dois pas abhorrer les effusions de sang si tu veux faire respecter la justice », souligna Sudou, les yeux brillants d’une lueur dangereuse.
« Mais… est-ce que ça va vraiment se passer aussi facilement ? »
L’expression de Mikhail était remplie d’anxiété.
« Seigneur Mikhail, vous ne devez pas redouter cela. Tout le monde finira par se rendre compte à quel point vous avez raison. Vous ne serez pas en mesure de guider ce pays si vous vous laissez envahir par une culpabilité mesquine. »
Sudou fit taire Mikhail avec des mots puissants.
« Parfois, il faut même être irrationnel si l’on veut défendre son pays. Et le seul qui peut le faire maintenant, c’est vous, Seigneur Mikhail. S’il vous plaît, protégez le Royaume de Rhoadseria. Sauvez Sa Majesté, la Reine Lupis ! »
Une minute passa. Puis une autre. Les regards des deux hommes étaient fixés sur la table.
« Bien… Je vais te faire confiance. »
« Splendide. Alors tout le reste devrait se dérouler comme prévu », dit Sudou avant d’incliner la tête et de quitter la pièce.
Mikhail le regarda partir sans mot dire.
*****
Après avoir quitté la chambre de Mikhail, Sudou se dirigea silencieusement vers sa propre chambre, s’assurant d’éviter les regards indiscrets.
Cela a pris un certain temps pour mettre cela en place… Mais je devrais peut-être le féliciter pour son travail bien fait.
Un sourire sombre se dessina sur les lèvres de Sudou alors qu’il repensait à la conversation qui venait d’avoir lieu. Les gens avaient tendance à ne croire que ce qu’ils voulaient bien croire. Depuis la fin de la guerre civile, les capacités et le caractère de Mikhail avaient été niés par tous ceux qui l’entouraient. Et grâce à cela, les mots d’affirmation de Sudou s’étaient facilement glissés dans son cœur.
Ce qui remplissait le fond du cœur de Mikhail, comme une lie sombre et répugnante, c’était la haine et la rancune envers Ryoma Mikoshiba. Une rancune mal placée, bien sûr. Mais pendant toute cette année, Sudou avait réussi à déformer ces émotions, plaçant cette rancune sans fondement là où le sens de la justice de Mikhail aurait dû se trouver. Son désir d’apporter la justice et de défendre Rhoadseria.
Mais plus il aime son pays et plus il est loyal envers la maison royale, plus cela le ronge… Heh heh, un homme si tragique.
La confiance que la reine Lupis avait mise dans Mikhail s’était retournée contre elle. Plus elle essayait de le couvrir, plus les regards de son entourage faisaient reculer Mikhail et lui faisaient commettre des erreurs. La Reine Lupis l’avait alors à nouveau couvert, complétant ce cercle vicieux. Bien sûr, tout cela était dû à Sudou lui-même qui répandait des rumeurs dans le château.
Un lien entre un seigneur et son vassal peut être dangereux quand il est poussé trop loin…
C’était vraiment ironique. Aussi farouchement loyal qu’il fût, Mikhail n’avait pas le pouvoir de changer ce pays, mais Ryoma Mikoshiba — qui n’avait aucune loyauté envers la reine — était chargé de décider de son sort.
Il ne reste plus qu’à voir comment le jeune M. Mikoshiba va agir… Il est vraiment imprévisible. Mais c’est la troisième fois qu’il se mêle de mes affaires… Il est temps qu’il disparaisse. Maintenant, comment les choses vont-elles se passer… ?
Cela faisait presque deux ans que Ryoma Mikoshiba était arrivé dans ce monde. Il avait tué le thaumaturge de la cour de l’Empire d’O’ltormea, Gaius, et avait interféré dans la guerre civile de Rhoadseria. Et maintenant, il était sur le point d’interférer avec les intentions de Sudou pour la troisième fois.
Nous préférerions qu’il ne participe pas du tout à cette affaire, mais les chances sont faibles. Et donc…
Si on lui demandait s’il voulait participer aux renforts, sa réponse serait probablement non. Mais l’état actuel des choses ne le permettait pas. S’il refusait, Ryoma Mikoshiba serait placé dans une position dangereuse, indépendamment de ce qui pourrait arriver aux forces envoyées. S’il se préparait réellement à rompre et à devenir indépendant avant que la guerre n’éclate, les choses seraient peut-être différentes, mais raisonnablement parlant, c’était impossible.
Dans ce cas, la question n’était pas de savoir s’il allait participer, mais plutôt quelles seraient ses conditions de participation. S’il le faisait en n’attendant rien en retour, ou s’il négociait pour essayer de gagner quelque chose. Étant donné la personnalité de Ryoma et les actions de la Reine Lupis jusqu’à présent, il semblerait probable qu’il poserait une sorte de condition.
Chercherait-il de l’argent, ou plus de territoire… ? Peut-être voudrait-il que son titre de noblesse soit élevé…
Le développement de la péninsule de Wortenia étant toujours en cours, recevoir plus de terres maintenant ferait que l’empêcher de tout gérer correctement. Il serait peut-être capable de gérer les terres directement adjacentes à Wortenia, mais si on lui donnait des terres détachées à gouverner, il ne pourrait pas les surveiller correctement.
Si je me souviens bien, la terre la plus proche de la péninsule est le territoire du comte de Salzberg, Epirus… Mais c’est proche de la frontière avec Xarooda, et le comte a consolidé son contrôle sur les nobles du nord et agit comme leur chef. Même si le ciel devait tomber, ils ne placeraient pas un nouveau Baron à sa place…
Ce qui signifie qu’il devrait choisir entre un titre de noblesse ou de l’or, et étant donné sa personnalité, je ne peux pas imaginer qu’il se soucie d’un titre. Il a probablement l’intention de quitter Rhoadseria à un moment donné, il se soucie donc peu des titres.
La situation aurait peut-être été différente si Ryoma avait eu l’intention de rester à Rhoadseria jusqu’à la fin de ses jours, mais Sudou pensait que c’était hautement improbable. Sudou avait lui-même fait en sorte que cela arrive, mais étant donné la façon dont la reine Lupis avait traité Ryoma après la guerre civile, il était peu probable qu’il souhaite rester dans ce pays.
Dans ce cas, les options étaient assez limitées. Il devait soit essayer de former son propre pays, soit se mettre sous la protection d’un autre pays. Et, quel que soit son choix, un titre de noblesse accordé par la maison royale de Rhoadserian ne vaudrait rien. Et en plus de cela, le développement de la péninsule de Wortenia coûterait une grande quantité d’argent.
Il demandera donc de l’argent… Je me demande combien il exigera.
Le fait de savoir combien il demandera permettra de mieux prévoir ses actions futures.
S’il demande des dizaines de millions, alors cela prendra plus de dix ans. Mais s’il demande plus… Nous devrons peut-être avancer le calendrier de notre côté.
Sudou était absolument bourdonnant d’impatience. Lorsqu’il avait été appelé pour la première fois dans ce monde, il avait déploré la disparité de la qualité de vie, mais il s’était avéré qu’il était en fait plus adapté à ce monde qu’au Japon.
Manipuler les gens… mette en place des complots… Cela l’avait comblé d’une telle manière que sa vie tiède au Japon ne l’avait jamais fait. Surtout dans des moments comme celui-ci, quand ses stratagèmes décidaient de l’issue des guerres. Et d’autant plus quand sa victoire était déjà assurée.
Qu’est-ce qui va donc se passer ensuite… ?
Sudou sourit. C’était le sourire d’un homme confiant dans sa victoire.