Wortenia Senki – Tome 6 – Chapitre 3

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Chapitre 3 : L’invasion de l’Est

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Chapitre 3 : L’invasion de l’Est

Partie 1

Alors que Ryoma Mikoshiba campait dans la périphérie d’Epire et s’entraînait à acquérir la magie, des nuages de guerre couvaient le royaume voisin de Xarooda. L’empire O’ltormea, qui dominait le centre du continent, avait montré ses crocs contre Xarooda. Ce faisant, il commença son invasion des régions orientales du continent occidental.

Un pays se battait pour étendre ses frontières et développer son pays. L’autre se battait pour maintenir ses propres frontières et assurer la stabilité de son régime. Les plaines de Notis, situées le long de la frontière de ces deux pays, allaient servir de théâtre à une bataille qu’aucun des deux camps ne pouvait se permettre de perdre.

Shardina commandait la bataille depuis son quartier général, à l’arrière de la formation de leurs forces. Elle jeta un coup d’œil sur une grande carte de la région lorsqu’elle commença à parler à Saitou, qui était assis en face d’elle.

« Qu’en est-il du statut de nos unités ? »

De multiples pièces de jeu, colorées en noir et rouge, étaient disposées le long de la carte en fonction des formations de chaque armée.

« Oui, madame. D’après les coureurs, notre force principale avance comme prévu », dit Saitou, traînant un groupe de pions rouges de la capitale à la frontière est.

« Nous avons également reçu des informations selon lesquelles les unités que nous avons envoyées en éclaireur dans les plaines de Notis sont actuellement en train de combattre l’armée des chevaliers de Xarooda située à l’extrémité est. »

Chacune de ces pièces de jeu représentait une unité amie ou ennemie. Les pièces rouges représentaient les forces d’O’ltormea, tandis que les pièces noires étaient celles de Xarooda. Il y avait quinze pièces rouges près de la position des plaines de Notis sur la carte. Il y avait cinq autres pièces, des unités détachées de la force principale, chacune au nord et au sud.

Chaque pièce représentait un millier de soldats, ce qui signifiait que leur force globale s’élevait à vingt-cinq mille hommes.

« Et combien de troupes l’ennemi a-t-il ? », demanda Shardina.

À sa question, Saitou commença à déplacer les pièces noires vers la région montagneuse adjacente aux plaines. Au total, vingt pièces se dressèrent pour bloquer le chemin de la force principale d’O’ltormea.

« Leur corps est entièrement composé de chevaliers, et compte vingt mille hommes. », répondit Saitou.

Les lèvres de Shardina s’enroulèrent vers le haut, formant un rictus. C’était le sourire d’un chasseur, confiant que leur proie insensée avait marché dans un piège.

« Bien. Xarooda s’empressa de mobiliser toutes ses forces pour nous abattre… Splendide. Exactement comme nous l’avions prévu. », proclama Shardina avec satisfaction.

« Eh bien, nous avons fait pression sur eux d’une telle manière qu’ils n’ont pas eu d’autre choix. », Saitou haussa les épaules.

« Cela fait seulement cinq jours que nous avons déclaré la guerre. Ils n’ont donc pas eu assez de temps pour enrôler leurs roturiers. », Shardina acquiesça.

O’ltormea avait réussi à bloquer complètement les renseignements de l’ennemi, et grâce à cela, le camp de Xarooda était complètement aveugle sur leurs mouvements. Le territoire de Xarooda était une forteresse naturelle protégée par des montagnes escarpées. Mais maintenant, alors qu’ils étaient totalement aveugles aux mouvements de l’armée d’invasion, cette forteresse entravait en fait leurs mouvements.

Les montagnes escarpées qui divisaient leurs terres leur procuraient un trésor de gisements minéraux, mais étaient en même temps un terrain pauvre pour le déploiement des soldats. Si elles n’étaient pas préparées pour une invasion et si on leur donnait le temps de tirer parti de ces fortifications naturelles, les montagnes devenaient une entrave qui retenait Xarooda. Cela rendait particulièrement difficile le déploiement d’une force importante.

« Vous avez intentionnellement fait fuir la taille de notre force principale vers l’ennemi, trompant la famille royale de Xarooda en lui faisant croire que la mobilisation de sa garde royale la mettrait sur un pied d’égalité avec nous. En faisant cela, vous avez attiré leurs forces sur un terrain dégagé… Parfaitement joué, Votre Altesse. »

Saitou complimenta la tactique de Shardina avec une pure honnêteté. C’était cette ingéniosité qui lui avait permis de diriger les armées tout en agissant en tant que princesse royale. C’était quelque chose que Saitou ne connaissait que trop bien.

Les forces totales de Xarooda comptaient soixante-dix mille hommes, mais ce nombre comprenait leurs roturiers enrôlés et les soldats attachés à leur noblesse. La seule force que Xarooda était capable de déployer à tout moment était les chevaliers appartenant à la maison royale, un total de vingt-cinq mille hommes.

Bien sûr, il y avait une raison pour laquelle Xarooda n’avait pas pu rassembler toute son armée, malgré le fait que le sort du pays était en jeu. Compte tenu de son échec à capturer Ryoma Mikoshiba, il ne serait pas exagéré de dire que l’existence même de Shardina dépendait de sa victoire dans cette guerre.

Elle avait mobilisé l’ordre des chevaliers sous son commandement direct, les Chevaliers Succubes, pour brouiller leurs mouvements et couper toute intelligence concernant ses mouvements du côté xaroodien. Elle s’assurerait ainsi le mérite de sa victoire dans cette guerre.

L’objectif de Shardina était double. Le premier était de minimiser le temps entre leur déclaration de guerre et le moment où les combats éclataient. Cela ne laisserait pas à Xarooda le temps de consolider ses forces. Le second était de divulguer de faux renseignements à l’ennemi, ce qui les tromperait en leur faisant croire que les forces d’O’ltormea étaient plus petites que prévu. Cela leur donnerait l’idée qu’en faisant marcher leurs forces sur les plaines, ils auraient une chance de mettre fin à la guerre rapidement.

C’était un acte qui n’était pas viable dans le cadre d’une stratégie normale. D’un point de vue stratégique, il était toujours préférable que les combats éclatent en marchant en terre ennemie. En effet, les industries et les conditions économiques environnantes seraient affectées négativement, faisant pencher la balance en faveur de l’armée d’invasion.

Mais Shardina avait choisi de traîner l’armée de Xarooda dans les plaines.

Pour l’instant, tout se passe comme prévu. Il ne reste plus qu’à…

L’armée de Xarooda était tombée dans le panneau. Le royaume avait été pris au dépourvu et n’avait pas eu le temps d’envoyer des messagers à ses nobles, leur demandant d’envoyer des forces pour les aider à repousser l’invasion. En d’autres termes, la famille royale avait été contrainte de n’envoyer que ses chevaliers pour s’acquitter de cette tâche.

Sachant cela, les autorités militaires de Xarooda avaient probablement été prises de panique, ce qui les avait poussées à rechercher toute information pertinente sur l’ennemi qui pourrait les aider à sortir de cette situation. Le nom du général de l’armée ennemie. La taille de l’armée. Son itinéraire prévu. D’innombrables informations qui, bien analysées, pourraient leur permettre de prendre une contre-mesure.

Et le résultat de cette course aux renseignements était qu’ils avaient réalisé que les forces de Shardina n’étaient pas aussi vastes qu’ils l’avaient imaginé. S’ils devaient rassembler toutes les forces sous le commandement du roi, ils avaient une chance de se battre.

Si des soldats ennemis entraient dans le royaume, Xarooda prendrait un coup fatal même s’ils gagnaient cette guerre. Au début, les autorités militaires de Xarooda étaient prêtes à risquer quelques pertes et à entraîner l’armée d’O’ltormea dans leur pays, mais si les effectifs de Shardina étaient faibles, alors les choses étaient différentes. Un combat près de la frontière ne causerait que des dommages négligeables au royaume.

Personne ne laisserait volontiers de grands dégâts sur son territoire. Et s’ils pouvaient choisir une option beaucoup plus sûre et éviter ce scénario, ils seraient enclins à la choisir. Ainsi, l’armée de Xarooda ne laissa que cinq mille chevaliers pour garder la capitale et envoya le reste de son armée en première ligne.

Mais tout cela était le piège de Shardina. La victoire certaine qu’ils envisageaient n’était qu’une carotte sur un bâton en guise d’espoir, qu’on faisait pendre devant leurs yeux comme un appât. Et même s’ils réalisaient le complot de Shardina, cela ne changerait pas le résultat final. Le poison mortel rongeait déjà le cœur de Xarooda.

« Et les détachements au nord et au sud ? Est-ce que tout se passe comme prévu de leur côté ? » Shardina dirigea un regard perçant sur Saitou.

Jusqu’à présent, leur piège avait fonctionné comme prévu. Mais l’expérience passée lui avait appris que le moindre signe d’inattention pouvait faire basculer la situation et les désavantager. Elle ne laissera donc aucune place à la négligence. Son expérience et son talent de commandant se mêlaient à son échec à capturer Ryoma et aux précieuses leçons qu’il lui avait enseignées. Cela l’avait aidé à mûrir et à devenir un commandant audacieux, rusé et même idéal.

« Oui, les deux unités ont envoyé des messagers nous informer qu’ils sont en position, » répondit Saitou.

Shardina était probablement satisfaite de cela, puisqu’elle le regardait avec un sourire et un léger hochement de tête.

« Bien… Vous êtes au courant du plan, oui ? »

« Bien sûr. Je vais m’en occuper, Votre Altesse. »

Le ton de Saitou était aussi recueilli et poli que jamais. Il s’était ensuite incliné devant Shardina et partit. Il était plus calme qu’on ne l’aurait jamais imaginé pour un homme sur le point de se lancer dans une bataille sauvage. Mais Shardina pouvait facilement sentir l’esprit combatif qui se cachait en Saitou. En le regardant par-derrière, elle pouvait presque voir le feu de la détermination brûler autour de lui.

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Partie 2

« Tout le monde, êtes-vous prêt ?! »

Saitou appela ses aides après être monté à cheval.

« Prêts ! » Leur réponse, rapide, mais vigoureuse, lui avait secoué les tympans.

Dix mille chevaliers lourdement protégés suivirent Saitou. C’était la totalité de leur force principale, sans compter les trois unités envoyées en avant. Une petite force de deux mille hommes restait derrière pour défendre Shardina à l’arrière de leur formation.

Laisser une force minimale pour défendre leur commandant et charger avec la quasi-totalité de leurs forces était l’image même d’un assaut tout ou rien. Le sort de cette bataille, et du reste de cette campagne, reposait sur les soldats de Saitou.

Le regard de Saitou était fixé sur la vue de leur force avancée, qui engageait maintenant les chevaliers de Xarooda.

« Vos ordres, vice-capitaine ? » Un de ses aides demanda à Saitou de donner l’ordre.

Saitou dégaina l’épée de sa taille et la brandit vers le ciel.

Maintenant, je dois finir ce travail pour la Princesse Shardina…

En surface, il devait gagner cette bataille pour assurer la position de Shardina Eisenheit. Et en effet, cela permettrait également de faire avancer les intentions de ses maîtres cachés. Mais aucune de ces raisons n’importait à Saitou à ce moment-là. Son cœur était animé par un désir ardent. Tout le monde restait muet, attendant qu’il donne son ordre. Ils étaient tous ivres, ivres de la soif de sang silencieuse de Saitou.

Cela fait si longtemps que je n’ai pas ressenti le frisson de la bataille… et j’ai l’intention d’en profiter.

Sentant la soif de sang des soldats dans son dos, Saitou descendit silencieusement son épée, la dirigeante vers les soldats ennemis devant lui.

« “‘Ooooooooooooooooooooooh !’” »

Les soldats s’étaient précipités aux côtés de Saitou, élevant comme eux leurs voix dans un cri de guerre retentissant. Ils s’étaient déchaînés, comme une flèche qu’on aurait encliquetée et tendue jusqu’à sa limite absolue. Les chevaliers étaient vêtus d’une armure complète et brandissaient la bannière d’un lion chargeant vers l’ennemi.

Même leurs chevaux étaient couverts d’une armure, ce qui faisait d’eux l’équivalent d’un char d’assaut dans ce monde. La magie augmentant à la fois leurs prouesses physiques et la force de leurs chevaux, ils piétinaient les fantassins et s’élançaient, leurs lances perçant l’ennemi.

« Tuez-les ! Abattez-les ! »

« Tenez bon ! Ne tournez pas le dos à ces chiens d’O’ltormea ! »

« Aaah, bon sang ! Mon bras ! Mon bras… ! »

« Taisez-vous ! Si vous avez le temps de crier, utilisez-le pour abattre quelqu’un ! »

Des cris et des malédictions sauvages résonnaient sans cesse sur le champ de bataille. Les cavaliers de l’empire s’élançaient sur un champ de bataille dominé par les escarmouches des fantassins, piétinant les soldats de Xarooda. Mais les chevaliers de Xarooda n’allaient pas se laisser accabler par un seul côté.

« Chevaliers à pied, en formation ! Arrêtez leurs cavaliers ! »

« Vous entendez ? ! Ignorez vos pelotons et mettez-vous en formation, vite ! »

Les commandants avaient rapidement pris conscience de la situation et avaient commencé à donner des ordres. Plutôt que de faire charger leurs propres cavaliers contre ceux d’O’ltormea, ils avaient choisi de disposer leurs fantassins en formation qui bloquerait l’avance des chevaux. La chaîne de commandement étant bouleversée, les chevaliers de Xarooda s’étaient rapidement pliés aux ordres de leurs officiers et avaient modifié leur formation.

« Fantassins, avancez ! »

Sentant que les commandants ennemis se remettaient de la confusion de la charge de ses cavaliers, Saitou ordonna aux cavaliers de se replier et à l’infanterie de pousser en avant. Les chevaux de cette Terre étaient plus grands et plus puissants que les chevaux que l’on pouvait trouver au Japon. Mais même ainsi, leur endurance avait ses limites. Même avec des harnais imprégnés de magie qui augmentaient la vitesse des chevaux et freinaient leur épuisement, les chevaux étaient toujours sujets à la fatigue.

Le poids et la vitesse étaient les principaux avantages de la vie à cheval. Mais en d’autres termes, un cheval qui ne pouvait pas se déplacer librement n’était rien d’autre qu’une grande cible. D’une certaine manière, les soldats possédaient un équilibre des forces qui n’était pas sans rappeler celui de pierre, feuille, papier et ciseaux. Il n’y avait pas de soldat parfait.

« Maintenant, écoutez-moi ! »

Le commandant des chevaliers de Xarooda éleva la voix après avoir confirmé que ses hommes étaient prêts.

« Nous allons chasser les envahisseurs O'ltorméens ! Il n’y a pas de retour en arrière ! À l’attaque ! »

Debout en formation organisée, les chevaliers de Xarooda avancèrent à pas synchronisés. Dignes de chevaliers au service d’un pays guerrier, ils excellaient tant dans les prouesses de combat individuelles que dans leur organisation en tant qu’armées.

Mais bien sûr, on pourrait dire la même chose des forces d’O’ltormea. Les soldats d’élite d’un puissant empire qui avait consolidé le centre du continent occidental étaient rassemblés en ce lieu. Les officiers qui commandaient en première ligne s’adaptaient avec justesse aux courants changeants de cette bataille tumultueuse.

« Vous ne devez pas faiblir devant les soldats de Xarooda ! Nous sommes les fiers chevaliers d’O’ltormea ! Dispersez-les ! »

Les chevaliers avaient été envoyés au front les uns après les autres sur ordre des officiers. Les colonnes ordonnées de la formation avaient commencé à vaciller alors que les chevaliers des deux camps s’affrontaient. Les deux côtés étaient constitués de chevaliers vêtus d’armures faites de plaques de métal, armés d’épées et de lances et renforcés par la magie. Chaque chevalier n’était pas plus fort qu’un autre. Pour chaque chevalier Xaroodien tombé au combat, un chevalier O'ltormean mourait également. Cela semblait être une bataille d’attrition infructueuse.

 

***

Et pourtant, le vainqueur de cette bataille avait déjà été choisi. La différence dans la capacité des officiers à commander fit la différence. L’objectif de Shardina était d’anéantir la force principale de Xarooda. Une fois les chevaliers du palais détruits, il ne resterait plus à Xarooda que les forces personnelles des nobles du pays. Ainsi, les forces d’O’ltormea supprimeraient rapidement Xarooda.

Oui, nous devons occuper le territoire de Xarooda le plus rapidement possible. Avant que la bête du nord ne se réveille…

Et pour cela, Shardina avait employé quelques tactiques, grâce à cela, la victoire était à sa portée.

Mais… vraiment…

Shardina se tenait à l’intérieur d’une grande tente au centre de son quartier général, regardant la carte sur la table. L’image du visage d’un seul homme lui traversa l’esprit.

J’étais négligente à l’époque… J’ai parfaitement anticipé les mouvements de Mikoshiba, mais au tout dernier moment, je l’ai laissé prendre le dessus… Mais d’une certaine manière, c’était une leçon que je devais apprendre. Cela m’a appris à me protéger. Que peu importe la position avantageuse que j’avais, la moindre négligence pouvait me mettre en danger de mort…

Ce garçon à l’air mature. À première vue, il avait donné une impression amicale et recueillie, mais son vrai visage était celui d’une bête sauvage et impitoyable. Ses yeux étaient froids et cruels lorsqu’il s’était retrouvé face à elle et à Saitou. C’était un homme dont la force était comme de l’acier. La seule personne à avoir échappé à son filet et à avoir trouvé refuge dans un autre pays.

Et s’il était le commandant ennemi…

Cette hypothétique pensée vide de sens s’était imposée à l’esprit de Shardina. Elle avait réfléchi à cette tactique, à maintes reprises, et l’avait menée à bien de façon impeccable. Mais l’ombre de cet homme, qui n’était même pas présent à cette bataille, s’enroulait autour de son cœur comme une manille.

« Votre Altesse, le moment est presque venu. Ne devrions-nous pas envoyer le signal ? »

Les mots de son assistant sortirent Shardina du bourbier de ses pensées.

« O-Oui… Tu as raison… Qu’ils envoient le signal, » dit-elle, tout en étouffant l’hésitation qui la rongeait pour qu’elle ne soit pas vue par ses subordonnés.

Pas bon… J’ai failli répéter la même erreur. Je dois rester concentrée sur la bataille.

Cette bataille était pratiquement gagnée d’avance. Elle s’était préparée et avait travaillé dur pour y arriver. Mais le moindre manque de prudence risquait de renverser le cours de la bataille. Elle ne pouvait pas supposer qu’elle gagnerait tant que la bataille n’était pas terminée. La leçon que le passé lui avait apprise lui ordonnait de rester vigilante.

Je ne perdrai pas ici… ! Je ne perdrai absolument pas !

Shardina était prête à gagner cette bataille. Elle avait conspiré et organisé cette victoire, et avait tout fait parfaitement jusqu’à présent. Il ne lui restait plus qu’à faire le dernier geste, et pourtant son cœur vacillait.

 

***

« Vice commandant ! Le signal ! Le quartier général a envoyé le signal ! »

Un des aides de Saitou leva la tête, captant le son d’un gong qui résonnait au loin.

Saitou hocha la tête et écouta attentivement. Il était difficile d’entendre les rugissements des chevaliers et le bruit du métal qui s’entrechoquait, mais il pouvait distinguer le son du gong.

« Oui, c’est ça… Le signal sur lequel nous nous sommes mis d’accord. Vous savez tous ce qu’il faut faire ensuite ? » demanda Saitou, dirigeant un regard perçant vers ses subordonnés.

« Oui, tout de suite ! »

Les hommes s’étaient immédiatement dispersés dans toutes les directions.

« Oyez ! Nous nous replions ! Sonnez la cloche et faites reculer tout le monde ! »

Saitou cria, et bientôt la cloche informant les soldats de se replier retentit d’une voix stridente à travers le champ de bataille.

« Allons-y ! Nous nous replions ! »

« Souvenez-vous, pas de panique ! Couvrez-vous les uns les autres pendant que vous bougez ! »

Même si une force ne doit pas être trop attentive à sa formation, il n’était pas acceptable d’agir de sa propre initiative sur le champ de bataille. Les hommes de Saitou avaient commencé à battre en retraite de manière désordonnée, en se protégeant mutuellement tout au long du chemin. Ils étaient attentifs à leur environnement, et tout soldat ami qui semblait risquer d’être tué était immédiatement protégé par un chevalier proche.

Ils n’avaient pas besoin de tuer l’ennemi pour l’instant. Dès que l’ordre de retraite fut donné, les deux armées avaient été clairement définies comme une armée de défense et une armée d’attaque. L’armée d’O'ltormean qui battait en retraite n’avait qu’un seul objectif : battre en retraite tout en ramenant le plus grand nombre possible de ses alliés.

En revanche, les chevaliers xaroodiens avaient l’intention de tuer tous les chevaliers ennemis sur lesquels ils pouvaient mettre la main. Réduire leur nombre, aussi peu que ce soit, était crucial. Ainsi les chevaliers des deux camps portaient leurs armes, chaque armée essayant d’atteindre des objectifs opposés.

« Général Belares ! La force d’invasion O'ltormean a commencé à battre en retraite ! »

Au moment où le messager envoyé du front fit irruption dans la tente et cria ces mots, le tumulte qui régnait jusqu’alors s’était momentanément calmé. Mais dès que le sens de ces mots s’était installé, les habitants de la tente avaient recommencé à parler.

« Quoi ? Vous êtes sûr ?! »

Toutes les personnes présentes étaient bien conscientes que le sort de leur pays dépendait de cette bataille. Et Xarooda était bien conscient de la différence qu’O’ltormea avait sur eux en termes de pouvoir national. À leurs yeux, ils étaient dans une situation extrêmement désavantageuse. Et pourtant, l’ennemi avait choisi de battre en retraite ? Une chance en or inattendue leur était-elle tombée dessus ?

Les aides du général étaient tous en train de le dire, croyant que s’ils ne pariaient pas sur cette opportunité, ils n’auraient pas d’autre chance de gagner.

« Les soldats d’O'ltormean battent en retraite ! Si c’est vrai, c’est notre chance ! Nous devons les poursuivre et les abattre ! »

« Général Belares, s’il vous plaît, donnez-nous l’ordre de frapper ! C’est la preuve que les dieux sont toujours de notre côté ! »

Les aides avaient été enthousiasmés par cette évolution. Alors même qu’il acquiesçait aux paroles de ses hommes, Arios Belares, le commandant suprême des forces de Xarooda, caressait sa longue barbe blanche en contemplation. Malgré les voix qui le pressaient de donner la parole, lui seul restait immobile et pensif.

***

Partie 3

« Vieux… Qu’est-ce que tu vas faire ? »

Une voix, au ton légèrement différent de celle des autres aides, le lui demanda.

Cette personne ne souhaitait pas tellement que son opinion soit exprimée, car il voulait entendre la position du général. C’était un homme d’une vingtaine d’années qui était l’image éclatante du général Belares dans sa jeunesse. Et au moment où cet homme parla, le bruit dans la tente s’était à nouveau atténué pendant un moment.

Mais ce silence n’était pas arrivé pour de bonnes raisons. Les assistants s’étaient tus et avaient regardé le jeune homme d’un air amer et poignardant. Le jeune homme était l’objet de mépris, de moqueries et de toutes sortes d’émotions négatives.

Toute personne de sensibilité ordinaire s’éloignerait de ces regards, mais ce jeune homme était audacieux, et pas nécessairement dans le bon sens. Même lorsqu’ils le regardaient, il ne bronchait pas. Non, il manifestait encore plus de mépris que les gens autour de lui.

« Que crois-tu que je devrais faire, Joshua ? »

Le général regarda son troisième fils, qui était assis sur le siège le plus bas de la table.

« Hmph ! Je ne devrais pas avoir à expliquer cela », répondit Joshua, portant à ses lèvres un rouleau de cigarettes qu’il avait pincé entre ses doigts.

« Vieux, si tu as vraiment l’intention de les poursuivre… Tu devrais y aller à fond pour les exterminer, et réclamer la tête de Shardina. Tu ne crois pas ? »

« « « Hein ?! » » »

Les aides s’étaient tous exclamés de manière stupéfaite.

Les paroles de Josué étaient apparues comme tout à fait inattendues. Mais contrairement à la surprise sur le visage des aides, les lèvres du général Belares se fendirent d’un sourire satisfait lorsqu’il hocha la tête. Pendant ce temps, Joshua alluma un petit feu sur le bout de ses doigts et alluma la cigarette. Il se laissa aller à une longue bouffée, malgré le fait qu’il était interdit de fumer pendant les conseils de guerre. Le fait qu’il était si calme ne faisait qu’accentuer l’extrémité de sa suggestion.

« Hmph… Et que ferais-tu, à ma place ? Battre en retraite ? », demanda le général Belares de manière provocatrice.

« Je me retirerais si je voulais m’assurer notre survie… »

Joshua haussa les épaules en réponse à la question de son père.

« Si nous nous replions sur nos frontières, nous pouvons transformer cela en une guerre prolongée. De cette façon, nous garantissons que le pays ne tombera pas immédiatement. »

Joshua s’éloigna alors et regarda autour de lui avec un regard perçant. L’attitude léthargique que l’on pouvait ressentir dans ses gestes avait maintenant disparu. A sa place, il y avait un esprit de combat passionné et une soif de sang.

« Mais si nous voulons vraiment défendre Xarooda… je dirais que nous devrions aller de l’avant. Nous devons gagner cette bataille. »

Le bruit de quelqu’un avalant nerveusement remplissait la tente. Les aides du général, expérimentés comme ils l’étaient dans d’innombrables batailles, étaient accablés par ce jeune homme.

« Seigneur Joshua… Si je peux me permettre, pouvez-vous expliquer ce que vous voulez dire ? », demanda timidement le plus âgé des aides.

Jusqu’à présent, Joshua Belares n’était qu’une nuisance dans leurs conseils de guerre. Il ne montrait aucun honneur à ses aînés, et tous ceux qui vivaient dans la capitale avaient entendu parler de ses habitudes de boisson et de son maniement de l’argent sale. Nuit après nuit, il fréquentait les bars des bidonvilles, créant ainsi une nouvelle histoire épique de jeu ou de bagarre. Bien souvent, les choses s’étaient gâtées à cause d’une personne qui prétendait que Joshua lui avait volé sa femme ou vice versa.

Il pourrait très bien être considéré comme un criminel latent. D’où la question : que faisait un hooligan aussi grossier dans un conseil de guerre ? Il n’était là que par la volonté de son père, Arios Belares.

Les collaborateurs savaient tous que le général Belares avait ordonné à son fils Joshua de se joindre à eux pour cette campagne. Mais ils pensaient que c’était simplement sa façon, en tant que père, de faire peser un certain poids sur son fils grossier et de le redresser. Pour cela, ils n’avaient jamais prêté attention à son opinion lors du conseil. Après tout, ils le considéraient simplement comme une nuisance.

Et ce n’était pas comme si Joshua avait fait beaucoup pour encourager la confiance. Non seulement il ne tenait pas compte de l’opinion des autres, mais il s’endormait ou fumait au milieu des réunions. Le fait de le voir parler pour la première fois dans ces réunions avait pris les assistants par surprise.

« Ne le vois-tu pas ? C’est un piège… Ils attirent intentionnellement notre armée dans une attaque en tenaille. C’est le plus vieux truc du monde, mais c’est seulement parce que c’est un truc qui marche. Très bien, laissez-moi vous demander ceci », dit Joshua, en regardant les assistants avec mépris.

« Le commandant ennemi auquel nous faisons face ici est Shardina Eisenheit. Bras droit du grand méchant Lion empereur, Lionel Eisenheit. La première princesse, une célèbre générale. Et vous allez sérieusement poursuivre son armée ? »

« C’est insensé… Quelle base pourriez-vous avoir pour… »

« Vous réfléchissez trop ! »

« Général, c’est un amateur qui n’est pas habitué aux aléas du champ de bataille. Ignorez ses absurdités. Allez-vous ignorer une telle chance en or ? »

Les aides s’étaient tournés vers le général Belares. Certains d’entre eux avaient commencé à soupçonner la possibilité d’un piège d’O'ltormean à cause des paroles de Josué, mais l’admettre était difficile. Ils ne voulaient pas croire une personne dont ils s’étaient constamment moqués jusqu’à présent. Ils avaient insisté sur la nécessité de poursuivre l’attaque, non pas pour vaincre O’ltormea, mais au nom de leur dignité personnelle.

« Silence, vous tous… Joshua. »

Le général Belares avait fait taire ses aides.

« Tu as parlé de deux choix tout à l’heure. De quoi s’agissait-il ? Pourquoi nous suggérer de continuer si tu penses qu’il y a un piège en place ? »

S’il y avait vraiment un piège, il n’y avait pas de choix à faire ici, leur seule option était de battre en retraite et de se regrouper dans leur quartier général. Et pourtant, Joshua avait donné des conseils contradictoires, et avait même laissé entendre de façon inquiétante que c’était nécessaire pour défendre Xarooda. On ne pouvait pas s’empêcher d’être attiré par ces mots.

« Vieux… Tu n’as pas vraiment besoin que je le dise, n’est-ce pas ? Tu le sais aussi bien que moi. »

Joshua secoua la tête dans ce qui ressemblait à un geste exaspéré.

« Je vais le redire. Explique à tout le monde ce que tu voulais dire. »

Le général Belares dirigea un regard intense vers son fils.

Joshua soupira.

« Bien… Tu vois, c’est simple. D’un point de vue stratégique, nous avons déjà perdu cette bataille contre O’ltormea. »

Les paroles de Joshua alourdirent encore le silence dans la tente. Personne ne pouvait croire ce qu’il venait de dire.

« Comment osez-vous ! Avez-vous une idée de ce que vous venez de dire ?! »

Un des assistants avait rompu le silence en élevant la voix avec colère.

Il s’était levé, renversa la chaise sur laquelle il était assis, et mit de côté tout le faux respect qu’il avait jusque-là envers le fils du général. Les lignes de front étaient déjà tachées de sang. Leurs hommes avaient mis leur vie en danger pour protéger leur patrie face à l’armée d’invasion. Dire qu’ils avaient déjà perdu la bataille était une insulte aux soldats qui avaient risqué leur vie pour cette victoire. Il était peut-être naturel que la main de l’aide saute sur son épée gainée.

« Attends, qu’est-ce que tu fais ?! Nous sommes en pleine réunion ! »

Voyant la main de l’homme s’agripper à la poignée de son épée, les autres assistants avaient rapidement saisi ses bras et les avaient coincés derrière son dos. Bien sûr, ils avaient tous compris sa colère, mais ils ne pouvaient pas rester là à le regarder abattre un allié en plein conseil de guerre.

D’autant plus que c’était, malgré son insolence, le fils du général. Ils avaient tous gardé la bouche fermée, sachant que s’ils parlaient, la seule chose qui leur resterait sur les lèvres serait des insultes envers Josué.

Le seul à ne pas avoir bougé d’un pouce lors de la proclamation de Josué fut le général Belares. Il avait simplement fait un petit signe de tête satisfait.

« Hmm… Tes mots manquent d’étiquette, mais tu n’as pas tort », murmura-t-il.

Pourtant, ses paroles résonnaient trop clairement dans la tente silencieuse. Comme s’il venait de proclamer la mort de quelqu’un…

La couleur disparut des visages de tous les assistants. Aucun d’entre eux ne s’attendait à entendre le commandant suprême de cette opération admettre qu’ils étaient vaincus.

« Seigneur…, » marmonné l’un des aides, tremblant de choc.

La guerre dans ce monde était centrée sur des engagements de combat physique au corps à corps, et le moral des soldats était un facteur crucial qui décidait de la victoire ou de la défaite. Avoir confiance en son commandant était essentiel pour maintenir ce moral. Les soldats ne pouvaient se jeter dans la bataille et mettre leur vie en jeu uniquement parce que le commandant croyait que la victoire était possible. Et inversement, peu de gens mettraient leur vie en jeu pour un général qui ne pourrait pas gagner.

De plus, le général Belares était le plus haut responsable militaire de Xarooda. La victoire ou la défaite dépendait beaucoup de son point de vue. Une armée pouvait perdre n’importe quel nombre de soldats, mais tant que son commandant croyait que la victoire était possible, elle ne sera pas vraiment vaincue. On pouvait perdre une bataille, mais tant que la volonté de se battre subsistait, la guerre ne se terminait pas.

En d’autres termes, quel que soit le nombre de soldats restants, une bataille était perdue dès le départ dès que la volonté de se battre faisait défaut. Un commandant militaire devait avoir une force de volonté inébranlable. Son talent en matière de stratégie ou son manque de stratégie pouvait être renforcé par un choix de subordonnés compétents. Mais le véritable courage d’un commandant résidait dans sa capacité à maintenir la volonté de se battre dans le cœur de ses hommes.

À cet égard, le général Belares était un commandant comme aucun autre. L’Empire d’O’ltormea était le souverain du centre du continent occidental, et le Royaume d’Helnesgoula était son égal, régnant sur le nord.

Et l’homme qui avait tenu en échec les ambitions de ces deux grands pays pendant de nombreuses années était Arios Belares. Un général chevronné qui avait mené Myest et Rhoadseria à la coalition, formant une alliance à l’est qui avait repoussé les aspirations des grandes puissances à maintes reprises. Il était considéré comme l’égal de la déesse blanche de la guerre de Rhoadseria, Helena Steiner.

C’était la divinité tutélaire de son pays.

En entendant cet homme admettre qu’ils étaient vaincus, les aides s’étaient retrouvés pris de désespoir. Toute idée de blâmer Joshua pour ses paroles arrogantes les avait quittés.

« Seigneur… Ne pensez-vous pas que dire cela est exagéré ?! » s’exclama l’un des assistants, le visage rouge d’émotion.

« Nous avons des chevaliers sur la ligne de front, qui risquent leur vie pour la victoire… Vous ne pouvez pas admettre la défaite ici ! »

Un tel débordement serait normalement tout à fait inacceptable, mais personne ne l’avait blâmé pour cela. Les autres aides avaient tous ressenti la même chose. Le général Belares l’avait simplement réduit au silence en levant la main droite, et avait jeté un regard intense sur tous les autres.

« Quand ai-je admis que nous avons perdu la guerre ? » demanda-t’il d’une voix calme.

Son ton était plein de fierté et de dignité d’un guerrier qui avait gagné d’innombrables batailles, et était totalement dépourvu de peur et de doute. Sa volonté était inébranlable.

« Hein ? Mais, monsieur, à l’instant même, vous… »

« Je n’ai rien dit sur le fait que nous ayons perdu cette guerre… Et Joshua non plus. »

Aucun des assistants ne pouvait comprendre ce que disait le général. Ils l’avaient certainement entendu affirmer qu’ils avaient perdu. Ils n’imaginaient pas cela.

***

Partie 4

« J’ai simplement dit que nous avons perdu cette bataille en termes de stratégie… Même si perdre à ce niveau fait pencher la balance du côté de l’ennemi. La conclusion de cette bataille pourrait très bien être déjà gravée dans la pierre. »

Le général soupira, un sourire d’autodérision se répandant sur ses lèvres.

« O’ltormea a employé de nombreuses tactiques dans cette bataille, et a réussi à restreindre nos options… Comprenez-vous comment ils ont fait ? »

Personne ne s’était levé pour répondre à sa question. Ils attendaient tous sa réponse. Peut-être qu’on ne pouvait pas leur reprocher de ne pas connaître la réponse. Le rôle d’un chevalier était de donner sa vie sur le champ de bataille, et on ne s’attendait pas à ce qu’ils pensent à une stratégie au niveau national. Comprenant cela, le général Belares poursuivit son explication.

« Pour commencer, quelle est la raison pour laquelle nous avons choisi de nous rendre sur le champ de bataille ? »

« Eh bien… Parce que les forces d’O’ltormea étaient plus petites que prévu, et nous avons supposé que les chevaliers royaux seraient suffisants pour les égaler. »

« Précisément. Alors, O’ltormea a-t-il déjà combattu notre pays seul ? »

Tout le monde secoua la tête. Dans le passé, O’ltormea n’avait combattu Xarooda que lorsqu’il était en coalition avec ses voisins. Dans toutes les guerres qu’ils avaient eues avec l’empire, ils avaient toujours été soutenus par des renforts d’autres pays. Xarooda avait peut-être excellé dans la défense grâce à son terrain, mais l’écart de puissance nationale était trop grand.

« Dans ce cas, pourquoi n’avons-nous pas appelé les autres pour des renforts maintenant ? »

À ces mots, les aides avaient évoqué une possibilité. Avec les mots de leur général, ils étaient arrivés à une seule conclusion.

« Aaah ! »

« Ça ne peut pas être… La guerre civile de Rhoadseria… »

L’un des assistants jeta un regard interrogateur sur le général Belares.

« Exactement. Bien sûr, on ne peut pas faire cette affirmation avec certitude. Et pourtant, cette invasion semble pencher beaucoup trop en faveur d’O’ltormea. Ils avaient probablement planifié cela depuis des années… Tout ça pour s’assurer qu’aucun renfort ne pourrait être envoyé dans notre pays. »

La taille de leur territoire, leur population, leur économie. O’ltormea était largement au-dessus de Xarooda à tous égards. Mais Xarooda avait conservé son indépendance jusqu’alors grâce à son alliance avec les autres pays de l’Est.

Le fait qu’ils puissent compter sur des renforts de Rhoadseria et de Myest en cas de besoin avait permis à Xarooda de survivre aussi longtemps qu’elle l’avait fait. Bien sûr, leur aide n’était pas le fruit de la bonne volonté. Ils n’avaient aidé Xarooda que parce qu’ils savaient qu’au moment où elle tomberait, les flammes de la guerre se répandraient rapidement sur leurs territoires, et qu’ils seraient les prochains à être envahis.

« Les conséquences de la guerre civile empêchent Rhoadseria d’envoyer de l’aide à un autre pays. Même s’ils sont enclins à aider, ils n’ont physiquement pas les moyens de le faire. Et avec le chaos en Rhoadseria, les troupes de Myest ne peuvent pas non plus traverser leur territoire pour nous rejoindre. Cela dit, traverser la mer pour nous rejoindre est également dangereux. Essayer de nous atteindre depuis le sud serait trop long, et s’ils devaient prendre la route maritime du nord, ils devraient traverser la péninsule de Wortenia… Je ne sais pas qui a pensé à cette stratégie, mais en paralysant Rhoadseria avec la guerre civile, elle a rendu nos deux alliés incapables d’agir… C’est impressionnant. »

Tout le monde ici s’était rendu compte que les pays voisins ne pouvaient pas leur envoyer de renforts. Mais si tout cela était vraiment dû au complot d’O’ltormea… Les aides ne pouvaient qu’avaler nerveusement ce que le général Belares leur suggérait. Cela montrait clairement à quel point la position dans laquelle ils se trouvaient était vraiment dangereuse.

« Donc, la vérité à laquelle Seigneur Joshua faisait référence plus tôt est… ? », demanda l’un des assistants d’une voix fine et craintive.

Il avait réalisé que peut-être Joshua ne se contentait pas de tirer profit du nom de son père. Peut-être que les paroles de ce jeune homme qu’ils avaient tant méprisé étaient vraies.

« Croyez-vous vraiment qu’un ennemi qui a tout planifié si méticuleusement allait simplement battre en retraite ? Ils nous cachent leurs forces, c’est certain… Tout cela au nom de l’étouffement de notre armée. »

Personne ne s’était opposé à ses paroles. La perspective d’une chance en or qui se présenterait à eux avec les forces d’O’ltormea en retraite les aveuglait. Mais une fois qu’ils avaient retrouvé leur calme, ils n’avaient pas été stupides au point de ne pas se rendre compte du piège qui leur était tendu.

« Alors nous n’avons plus aucune chance… Vous voulez dire que toute cette bataille est inutile… ? » dit l’un des assistants, la voix lourde d’un profond désespoir.

Ils ne pouvaient se battre que parce qu’ils pensaient qu’ils pouvaient gagner. Ils ne pouvaient donner leur vie que parce qu’ils pensaient que cela permettrait de protéger ceux qui leur étaient chers. Ils avaient cru que le général les guiderait vers la victoire, et donc la vérité que lui et Joshua avaient lancée devant eux les blessait profondément. L’assistant qui avait murmuré ces mots avait probablement eu le cœur brisé.

Mais le général Belares secoua la tête.

« Que périsse cette pensée. Je n’ai fait que parler de qui avait l’avantage. Mais si la situation est à la limite du désespoir, nous avons encore une chance de victoire. »

« Vraiment ?! »

« Que voulez-vous dire ?! »

Les personnes désespérées pouvaient être très sensibles à la douce séduction de l’espoir. Ils avaient réalisé à quel point la situation était sombre et s’étaient soudainement vu offrir une chance de survivre. Personne ne pouvait leur reprocher de s’être précipités vers elle. Mais le chemin vers cet espoir avait été celui d’une mort amère.

« Nous devons réclamer la tête du commandant suprême de l’armée ennemie, Shardina Eisenheit… »

Le général Belares prononça une phrase qui gela l’air dans la tente.

Sa suggestion avait peu de chances de réussir. C’était une opération qui frisait le suicide. En effet, si Xarooda revendiquait la tête de Shardina, ils seraient capables de gagner. Ils avaient subi une cuisante défaite stratégique, et avaient besoin de la grande victoire stratégique que constituait la mise à mort du commandant ennemi pour la compenser.

Théoriquement parlant, les paroles du général Belares étaient correctes.

« Mais monsieur… N’est-ce pas trop imprudent… ? »

L’un des plus anciens aides avait pris son courage à deux mains et le lui avait demandé.

Les troupes d’embuscades étaient généralement positionnées sur les flancs ou à l’arrière de la formation ennemie. Et lorsqu’une embuscade commence, le chaos s’installe et la chaîne de commandement s’effondre. Mais les choses étaient différentes si l’on s’attendait à l’embuscade. Si les soldats devaient pousser la poursuite et percer l’encerclement, ils pourraient être en mesure d’atteindre l’arrière de la formation ennemie et de tuer Shardina.

Ainsi, à cet égard, pousser en avant et essayer de percer les lignes ennemies par la force brute n’était pas un mouvement purement stupide, mais un jeu à haut risque et à forte récompense. Sauf que renverser les rôles sur un piège ennemi et réclamer la tête de leur commandant était beaucoup plus facile à dire qu’à faire. C’était aussi délicat et minutieux que d’essayer d’enfiler une aiguille.

Mais malgré tout cela, les aides avaient senti la détermination du général Belares et s’étaient tues.

« Je sais… Si nous devons briser le piège de l’ennemi par la force, l’ennemi pourrait très bien nous anéantir. Mais cela nous donne une petite chance de sauver ce pays… Si toute notre armée devait se replier et se regrouper maintenant, O’ltormea n’en serait pas du tout gêné. Ils utiliseraient simplement leurs forces de réserve pour envahir et former une base dans le royaume. Compte tenu de leur puissance nationale accrue, s’ils formaient une base de première ligne sur notre territoire, nous ne pourrions probablement jamais la reprendre. »

Xarooda était protégé par des montagnes escarpées qui formaient des forteresses naturelles. Leur terrain faisait obstacle à l’invasion d’un autre pays. Mais si l’Empire devait former une base de première ligne sur leur territoire, ce même terrain ferait obstacle aux tentatives de Xarooda. Et si cette base était dotée d’un grand nombre de gardes, le royaume ne pourrait plus rien faire.

On disait souvent que pour assiéger un bastion ennemi, il fallait une force trois fois plus importante que la garnison. Mais Xarooda étant inférieur à O’ltormea à bien des égards, il était probable qu’ils ne seraient pas en mesure de rassembler ces effectifs. Et ce ne serait qu’une question de temps avant que l’ensemble de Xarooda ne s’effondre comme un château de sable balayé par une vague déferlante.

« Le stratagème d’un tacticien est un piège dans lequel il est très facile de s’égarer. Jusqu’à présent, tout s’est déroulé selon leurs plans, et aussi méfiants qu’ils puissent être, ils devraient être sûrs d’avoir gagné… Et nous devons utiliser leur confiance excessive à notre avantage. »

Les aides avaient acquiescé à son explication. Ils n’avaient pas d’autre choix que de s’accrocher à cette seule lueur d’espoir.

« Monsieur… Vous êtes déjà résolu à le faire ? »

« Oui. Mes excuses, mes amis. Vous allez peut-être tous devoir mourir pour ça… » murmura froidement le général Belares.

Il leur avait juste ordonné d’adopter une stratégie qui avait peu ou pas de chances de survie. Et pourtant, aucun d’entre eux n’avait montré la moindre crainte en acceptant son ordre. Au début, ses aides étaient accablés de désespoir. Personne ne voulait jouer sa vie sur une bataille dont la défaite était garantie. Mais le général Belares avait réussi à utiliser leurs émotions à bon escient.

Rien n’était plus dangereux qu’un homme qui se battait tout en étant prêt à mourir.

« Très bien… Nous allons maintenant donner la chasse à l’ennemi en utilisant toutes les unités à notre disposition. Pas de repli ! Est-ce que c’est clair ?! »

« Oui, monsieur ! »

Leurs corps brûlaient d’un esprit de combat tragique et héroïque. C’était la manifestation de la détermination d’hommes qui avaient pris conscience de leur situation, mais qui avaient choisi de donner leur vie au nom de leur pays plutôt que de mourir en vain.

L’Empire d’O’ltormea et le Royaume de Xarooda. La bataille entre ces deux pays approchait maintenant de son point culminant…

« « « Chaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaargez ! » » »

Les cavaliers avaient élevé la voix dans un cri de guerre alors qu’ils chargeaient les uns après les autres dans les rangs d’O’ltormea, lances en main. Les fantassins les suivaient, utilisant leurs lances pour élargir le fossé créé par la cavalerie.

« Qu’est-ce que vous faites ? Tenez vos lances ! Encerclez-les et tuez-les ! Ne les laissez pas s’échapper ! »

Le commandant O'ltormean responsable des forces de la ligne de front avait élevé la voix avec colère.

Il donna des ordres explicites à ses soldats confus, leur permettant de penser rationnellement même face à la charge de la cavalerie ennemie. Son ordre avait été transmis aux officiers de la ligne de front par l’intermédiaire des coureurs.

« Encerclez-les ! Ne les laissez pas se désengager ! »

Ayant pris conscience de la situation, les officiers réprimandèrent leurs subordonnés, et les soldats tournèrent leurs lances pour faire face aux cavaliers xarodiens.

« Ces imbéciles ne connaissent même pas les bases de la bataille ! »

Un des officiers ricana en coupant la route de la cavalerie pour s’échapper.

« La vraie valeur d’un cavalier réside dans sa mobilité et sa charge ! Un cheval immobile n’est rien d’autre qu’une grande cible bien visible ! »

Si les cavaliers excellaient en mobilité et en attaque, ils manquaient d’endurance. Devoir transporter un chevalier vêtu d’une armure de métal et maniant des armes lourdes était assez pénible pour même épuiser un cheval. Les chevaux étaient après tout des êtres vivants, et leur endurance n’était pas sans limites.

***

Partie 5

De plus, non seulement ils plongeaient dans les lignes ennemies, mais ils choisissaient de rester où ils étaient afin de tenir bon. Ce n’était en aucun cas un choix judicieux. Et en effet, au fur et à mesure que les cavaliers se battaient, ils tombaient progressivement de leurs chevaux. Même ceux qui restaient à cheval ne pouvaient pas obtenir la distance nécessaire pour se battre à bout portant, et se contentaient de rester immobiles et de brandir leurs lances.

Le coût d’une telle charge imprudente serait grave. Les fantassins qui suivaient les cavaliers étaient submergés par la taille de l’ennemi et réduits à la moitié de leur nombre initial.

« Bien ! Continuez comme ça et écrasez-les ! Le mérite de cette victoire nous revient ! »

Le commandant O'ltormean sourit avec avidité.

Comme on pouvait s’y attendre, seuls les chevaliers de haut rang étaient autorisés à monter à cheval. La revendication de la tête de ces chevaliers ennemis distingués aurait sans doute joué un rôle dans le choix au moment où les chevaliers se verraient conférer des honneurs après la guerre.

Mais son désir et son aspiration seraient étouffés dans l’œuf dès le moment suivant.

« Monsieur, une autre vague d’ennemis approche ! »

« Quoi ?! »

Les pensées du commandant s’étaient figées un instant en entendant l’avertissement de son subordonné.

C’était trop inattendu.

« Que devrions-nous faire, monsieur ? À ce rythme, ils vont nous attaquer des deux côtés ! »

Le commandant n’avait pas besoin qu’on lui dise ça. Il avait bien compris à quel point leur position était dangereuse. Pour combattre cette nouvelle vague d’ennemis, ils devaient faire demi-tour et les attaquer. Mais s’ils le faisaient, ils se laisseraient prendre par les chevaliers Xaroodiens qu’ils encerclaient.

Je n’ai pas le choix… Je vais devoir diviser notre unité…

Il n’y avait que peu de choses que l’on puisse faire quand on est encerclé de deux côtés, et le jugement du commandant n’était pas mauvais en soi. Mais il n’avait ni le temps ni la stratégie pour renverser la dureté de la réalité.

Au moment où il fut distrait par les paroles de son subordonné et qu’il essaya de trouver une solution, il commit une erreur fatale.

Il avait senti quelque chose de froid lui pénétrer l’estomac. La cacophonie de la bataille dans ses oreilles s’était complètement tue, et il sentit quelque chose de chaud couler sur sa peau depuis son flanc. Il n’avait ressenti aucune douleur. Seulement la surprise, et le sentiment que toute sa force l’abandonnait.

« Espèce de… bâtard… »

L’instant d’après, une lance avait été enfoncée dans son estomac. Sa conscience coupée, la dernière chose qu’il vit fut les yeux remplis de haine d’un soldat xaroodien, couvert d’éclaboussures de sang de la tête aux pieds, alors qu’il était attaqué par les subordonnés du commandant.

 

***

Une force de mille hommes s’était jointe à la bataille contre les forces d’O'ltormean. Ils s’étaient joints à la première unité et avaient commencé à charger contre les soldats O’ltormea désorientés. Contrairement aux attentes de Saitou, ils n’étaient pas venus à la rescousse de la première unité.

« Kuh ! Pourquoi ne retirent-ils pas leurs hommes ? ! À quoi pensent-ils ?! Est-ce qu’ils veulent mourir ?! »

Les chevaliers de Xarooda avaient simplement continué à pousser leurs lances vers l’avant, comme s’ils n’avaient aucune considération pour la suite. Ils continuaient à avancer à l’aveuglette, comme des sangliers assoiffés de sang. Peu importe le nombre de blessés ou de morts, ils restaient implacables.

Dans des conditions normales, une unité qui avait déjà chargé une fois se replierait et réorganiserait ses forces. Bien sûr, un scénario où cela n’était pas possible puisqu’ils étaient encerclés était possible, mais choisir volontairement de ne pas battre en retraite n’était pas possible dans la plupart des cas. Et cela était particulièrement vrai lorsqu’on mobilisait des troupes à cheval.

Mais bien sûr, en temps de guerre, la victoire était tout ce qui comptait. Les moyens auxquels il fallait recourir pour prétendre à la victoire importaient peu. Mais aux yeux de Saitou, cette opération n’était rien d’autre qu’un acte de violence aberrante. C’était comme si le commandant de Xarooda avait complètement écarté la perspective de la victoire et avait plutôt choisi de massacrer sans réfléchir les soldats d’O’ltormea.

« Qu’est-ce qui se passe ici… ? Pourquoi la vitesse de leur charge ne diminue-t-elle pas ? À ce rythme, le plan de la Princesse Shardina va mal tourner ! »

Saitou regarda amèrement en avant.

Sa tâche était d’attirer les forces de Xarooda au point que ses forces se retrouvent en embuscade. Et s’il devait simplement engager modérément l’ennemi tout en les gardant occupés, il devait néanmoins préserver ses effectifs autant que possible.

Il devait frapper l’ennemi sans éveiller les soupçons, et l’amener à l’endroit désiré sans provoquer de mêlée. Et malgré cela, l’armée de Xarooda avait réussi à attirer Saitou dans le bourbier du combat au corps à corps.

L’armée d’O’ltormea avait tenté de se retirer, mais l’armée xaroodienne lui fermait la voie de sortie et refusait de lâcher prise.

Et le problème le plus troublant était que Xarooda n’avait pas encore mobilisé toute son armée. L’armée de Xarooda se tenait en formation horizontale, mais seule environ quatre mille de ses hommes du centre les attaquaient de façon répétée. Les unités des deux côtés n’avançaient pas pour engager l’ennemi, mais les maintenaient plutôt coincés.

« Vice-capitaine Saitou ! »

L’un des chevaliers de la Succube cria vers Saitou, après avoir reçu des messages de messagers s’approchant des lignes de front.

« Nos ailes gauche et droite sont sous pression ! Non seulement ils ont dit qu’ils ne pouvaient pas envoyer de renforts au milieu, mais ils nous ont demandé d’envoyer des renforts à la place ! Les forces de Xarooda n’avancent pas, mais chaque fois que nous essayons de nous replier, elles chargent en avant et refusent de lâcher. C’est comme s’ils essayaient de nous garder ici à tout prix ! »

« Argh, qu’est-ce qu’ils essaient de faire ici… ?! », chuchota Saitou.

Toute cette situation était apparue comme totalement anormale pour Saitou. L’unité centrale de Xarooda avait simplement maintenu sa charge suicidaire. Ils avaient continué à appuyer sur les ailes gauche et droite de leur armée pour ne pas les laisser s’échapper. L’armée d’O’ltormea était forcée de se mettre en formation en V, tandis que l’armée de Xarooda prenait une formation en chevrons pour la contrer.

Ce n’est pas possible… Est-ce qu’ils en ont… ? Saitou avait émis une hypothèse. Sont-ils à la recherche de Son Altesse… ?!

L’idée fit frémir le corps de Saitou. Il réalisa à quel point l’esprit combatif de Xarooda était désespéré et ferme.

Sont-ils fous ? Poursuivre Son Altesse… C’est vrai, s’ils peuvent tuer la Princesse Shardina, cette bataille se terminera par une victoire pour Xarooda. Mais leurs chances de le faire sont minces, et qu’elles réussissent ou non, ces troupes seront décimées… Et ils ont quand même pris le pari ? Pourquoi ? Non… La raison n’a pas d’importance. Je dois d’abord réorganiser nos lignes de front…

Saitou se débarrassa de ses doutes et commença à penser à une contre-mesure. Quelles que soient les raisons, la charge folle de l’armée de Xarooda avait forcé la formation de Saitou à s’écarter d’une ligne droite pour prendre la forme d’un V. S’il ne réorganisait pas ses forces rapidement, le centre de la ligne serait brisé, et le camp de Shardina serait exposé au danger.

Ayant déduit tout cela, Saitou avait rapidement pris ses décisions.

« J’ai une directive ! Nous changeons notre plan. Nous interceptons l’armée de Xarooda juste ici. Messagers, informez immédiatement la Princesse Shardina de cette situation ! Compris ? ! Informez la Princesse Shardina que cette armée en a après sa vie ! »

Leur point de regroupement avec leurs alliés se trouvait à trois kilomètres à l’ouest, le long d’un chemin qui contournait les extrémités sud et nord de ces plaines. Il y avait de petites collines au nord, au sud et à l’ouest de cette région, ce qui en faisait un endroit idéal pour une embuscade. La tâche de Saitou était d’y attirer l’armée ennemie, et s’il y était parvenu, la force ennemie aurait été massacrée.

Mais étant donné la situation, Saitou avait abandonné ce plan. Ce qui aurait dû être une fausse retraite où ils prétendaient être pressés par l’ennemi avait évolué en une situation où ils étaient en fait obligés de se replier. Le camp de Shardina se trouvait à l’arrière de leurs forces, et si leur formation devait s’effondrer, le danger s’étendrait à elle. Bien sûr, Shardina avait des soldats d’élite qui la gardaient, mais il n’y avait aucune garantie qu’ils ne seraient pas percés non plus.

Saitou n’avait donc plus qu’un seul choix : annuler l’ordre de retraite et arrêter l’offensive xarodienne.

Si nous en informons la princesse Shardina, elle enverra certainement les détachements pour attaquer Xarooda… Il suffirait qu’elle les fasse attaquer l’armée ennemie depuis un autre endroit… Mais cela dit, nous avons subi plus de pertes que prévu… Qu’ils soient maudits, eux et leur résistance futile !

Ils n’avaient pas seulement besoin de gagner cette bataille, mais aussi de minimiser les pertes d’O’ltormea. S’ils y parvenaient, l’Empire serait prêt à affronter son véritable ennemi. Saitou en était bien conscient, et maudit le commandant xaroodien dans son cœur.

« Informez toutes les unités de réserve qui attendent au centre que nous allons intercepter l’armée de Xarooda ici ! Et faites leur envoyer des renforts ici ! Jusqu’à ce que les renforts arrivent, nous ne devons pas laisser l’ennemi nous transpercer ! Quoi qu’il arrive ! », cria Saitou tout en abandonnant son calme habituel.

La situation était tout simplement tendue, et son ton le montrait clairement à ses hommes. Ils s’étaient tous raidis nerveusement.

« Nous les arrêtons ici ! A tout prix ! » cria Saitou.

« Oui, monsieur ! »

Ses hommes avaient tous acquiescé et s’étaient mis en position.

Le conflit entre les forces d’O’ltormea et de Xarooda s’était alors transformé en une guerre totale.

 

***

« Ils y vont vraiment… »

Shardina claqua sa langue en recevant le rapport de Saitou, et avait crié en regardant fixement la carte étalée devant elle.

« Je suppose que j’aurais dû attendre cela du général Belares. Je vais envoyer un messager aux détachements. Une heure… D’accord ? Dites à Saitou de tenir le coup aussi longtemps ! »

Dès qu’elle entendit le message du messager, Shardina avait immédiatement deviné les intentions du Général Belares.

Comme l’a dit Saitou, ils en ont après ma vie… Non, c’est probablement plus que ça. Ce que Belares essaie vraiment de réaliser ici pourrait être…

« Tout de suite, Votre Altesse ! »

Le messager s’était élancé hors de la tente comme un lapin surpris, accablé par la colère de Shardina.

« Quelqu’un ! Envoyez des messagers aux détachements, et faites-les marcher pour qu’ils se regroupent immédiatement avec les forces de Saitou ! » cria-t-elle.

« N’ayez pas peur, Votre Altesse. J’ai déjà fait partir les messagers. »

La voix calme d’un homme résonnait à travers la tente.

Quand était-il arrivé ? Shardina tourna son regard vers l’entrée de la tente, son regard tombant sur le visage souriant de Sudou. Ses complots à Rhoadseria étant pour la plupart terminés, Sudou prit part à cette guerre en tant qu’escorte de Shardina. Son talent pour les complots et les subterfuges lui avait permis de jouer le rôle de tacticien pendant cette guerre.

Sudou et Saitou. Le fait que Shardina ait amené ces deux talentueux Japonais de l’autre monde avec elle dans cette guerre prouvait à quel point elle était désespérée de gagner cette fois-ci.

« Sudou… Hmm, vraiment ? Merci. »

***

Partie 6

« N’y pensez plus. Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour vous aider, Votre Altesse. »

Sudou haussa les épaules avec la même expression plaisante que d’habitude.

Il avait sûrement réalisé la gravité de la situation, mais ses manières n’avaient pas changé.

« Hmph… N’êtes-vous pas un peu trop calme, Sudou ? »

Shardina savait très bien que ce qu’elle insinuait ici était une fausse accusation, mais elle ne pouvait pas s’empêcher de laisser transparaître son sarcasme. Plus elle était consciente de la gravité de la situation, plus elle se sentait anxieuse et pressée.

« Eh bien, paniquer ne servirait à rien ici… Bien que je comprenne parfaitement votre anxiété, Votre Altesse. »

Sudou était resté plutôt imperturbable face aux sarcasmes de Shardina. En fait, son ton semblait encore plus détendu qu’auparavant.

« Je suppose qu’on peut simplement résumer en disant que l’armée de Xarooda n’était pas du tout stupide… Je crois qu’elle est dirigée par le général Belares. Un véritable héros chevronné. Je l’ai pris pour un homme trop influencé par les positions du roi et des ministres, mais il a finalement choisi cette approche… Haha, j’avoue que je suis impressionné. »

« Je vous rappelle que vous êtes impressionné par leur décision de venir me prendre la tête. », dit Shardina, jetant un regard perçant dans la direction de Sudou.

Sudou avait simplement enroulé ses lèvres en un sourire.

« Cela avait été dit en plaisantant, Votre Altesse… Je ne faisais que louer la suite. Après tout, je doute que Belares ait ordonné cette charge en croyant qu’ils réussiront à vous tuer. »

La réponse de Sudou rendit Shardina confiante en la justesse de ses soupçons.

« C’est comme je le pensais… Donc vous pensez que c’est aussi leur point de vue ? »

« Oui… à en juger par leur façon de se battre, ils espèrent nous faire tomber avec eux. Je ne les vois pas essayer de faire de cette bataille une bataille d’usure. Xarooda ne devrait jamais choisir de le faire, car notre puissance nationale est bien plus grande que la leur. Le fait qu’ils aient choisi de le faire de toute façon par leurs propres moyens… »

« Un pays tiers… Ils veulent que le royaume d’Helnesgoula rejoigne le giron. »

« Oui, selon toute vraisemblance… »

À ce moment-là, Sudou ne souriait plus. Son regard était comme une lame froide et aiguisée, portant une intensité que seul un homme ayant survécu à d’innombrables champs de bataille pouvait dégager.

« Ils ont probablement réalisé qu’ils ne pourront pas surmonter leur infériorité stratégique, et ont décidé de tout risquer sur cette charge. Si imprudent… »

« C’était probablement la décision unilatérale du général Belares. Les ministres de Xarooda n’accepteraient jamais de prendre un pari aussi dangereux. », conclut Sudou.

« Oui, j’ai tendance à être d’accord… »

Shardina acquiesça amèrement.

« Aucun roi n’approuverait un plan aussi téméraire. Cela voudrait dire attirer Helnesgoula sur leur territoire juste pour qu’ils se battent contre nous. »

« La suite dépend de la façon dont nous pouvons minimiser nos pertes… Si nos effectifs tombent en dessous de la moitié de nos forces d’origine… »

« Oui, je sais. Si nous perdons autant de soldats, notre conquête de Xarooda prendra plus de temps. »

« Et j’imagine qu’Helnesgoula ne restera pas sans rien faire… Ils vont envahir Xarooda et profiter de notre invasion pour servir leurs propres intérêts. Ou peut-être que Xarooda ira leur demander de l’aide. Helnesgoula se fiche de ce qu’il adviendra de Xarooda, tant qu’ils s’opposeront à nous. »

Occuper Xarooda n’avait en fait pas été si difficile. Vu la force de l’Empire d’O’ltormea, on pourrait même dire que c’était simple. Même si Rhoadseria et Myest envoyaient leurs renforts, l’Empire gagnerait probablement.

« Que pensez-vous que la mégère Helnesgoula va choisir ? », demanda Shardina.

« Eh bien… Elle est de celles qui saisissent la victoire sans se salir les mains… » répondit Sudou, l’image de la jeune reine du royaume d’Helnesgoula faisant surface dans son esprit.

Son apparence était, honnêtement parlant, au mieux moyenne. Elle était une femme très ordinaire, comparée à la princesse Shardina ou à la reine Lupis de Rhoadseria. Sudou ne dirait pas que la disparité était comme le jour et la nuit, mais la comparaison n’était certainement pas favorable.

Mais les apparences étaient, dans ce cas, assez trompeuses. La reine d’Helnesgoula était une présence terrifiante. Une femme froide et cruelle. Une souveraine née qui sacrifierait volontiers sa propre famille si cela pouvait promouvoir ses objectifs.

En fait, Grindiana Helnecharles, la reine du royaume d’Helnesgoula, avait gagné la couronne qui reposait sur sa tête en tuant ses propres parents, y compris ses frères et sœurs de sang. Bien sûr, à l’époque, la situation à Helnesgoula nécessitait que cela soit fait. Mais même aujourd’hui, ce choix extrême était encore un acte impardonnable dans l’histoire du pays.

Sudou n’avait rencontré cette femme que deux fois auparavant, mais l’intensité de sa personnalité lui avait laissé une impression durable dans le cœur. Cette reine sage, rusée et intrigante était connue comme la mégère du Nord. Et elle ne manquerait pas cette occasion parfaite de porter un coup à O’ltormea.

« Je ne doute pas qu’elle fera entrer des troupes à Xarooda. Elle ne nous permettra pas d’être les seuls à annexer plus de territoire… Bien que je ne puisse pas dire si elle le fera comme une invasion ou dans le cadre d’un accord de médiation avec Xarooda. », déclara Sudou.

« Et dans le processus, nous nous heurterons sûrement à l’armée d’Helnesgoula, et cela donnerait à Xarooda la chance de négocier avec eux… Franchement, ils sont tellement obstinés…, » chuchota Shardina avec colère.

« Même les pays faibles ont leurs propres moyens d’assurer leur survie. »

Sudou secoua la tête en silence.

« Très bien, ainsi soit-il. Pour l’instant, nous devons gagner cette bataille. Tout le reste dépend de cela. »

Pour l’instant, ils devaient battre l’armée de Xarooda. Toutes leurs spéculations n’auraient aucun sens s’ils ne faisaient pas cela.

« Oui, aussi improbable que cela puisse être, il y a toujours une chance que nos forces soient écrasées par l’armée de Xarooda, » déclara Sudou.

Et c’était là que résidait leur plus grande inquiétude. La charge fervente de Xarooda percera-t-elle leurs lignes ou non ?

« Je… prendrai aussi le front. », dit Shardina tout en dirigeant un regard vers Sudou.

Son expression était raidie par le suspense et la peur. Elle n’avait pas besoin qu’on lui dise à quel point ce choix était stupide. Si l’ennemi en voulait à sa vie, pourquoi s’exposerait-elle à l’ennemi ? Mais malgré cela, Sudou ne s’était pas opposé à sa décision. Il avait senti sa ferme volonté, et avait également réalisé les avantages que sa proposition leur offrait.

« Je vois… Vous êtes donc prête à faire ce pari. »

« Si je vais en première ligne, les deux mille chevaliers qui me protègent rejoindront aussi le combat. Et en plus, ma participation à la bataille servira aussi à remonter le moral de nos soldats. »

Les forces d’O’ltormea en première ligne étaient déjà à la hauteur de celles de Xarooda, et il ne pouvait donc y avoir qu’une seule raison pour qu’ils soient débordés. Les chevaliers de Xarooda brûlaient d’un grand moral et ne craignaient pas la mort. Ce moral pouvait être décrit comme un sentiment d’exaltation, mais pour être plus concis, c’était aussi une sorte de frénésie, ou peut-être une soif de sang. Le fait de savoir qu’ils n’avaient pas d’autre choix et leur sens du devoir envers leur pays dominaient leur cœur.

Le cœur d’abord, puis la technique, puis le corps. Il était vrai qu’en matière de combat, l’état émotionnel était le facteur le plus critique. Et si le cœur se brisait, peu importe le niveau de compétence ou la force du corps. Shardina n’avait plus qu’un seul moyen de battre Xarooda, et c’était d’allumer le feu du moral dans les esprits défaillants de ses soldats.

« Je suis sûr que le moral des soldats s’améliorera si vous rejoignez leurs rangs. Et avec vos gardes participant à la bataille, ils devraient pouvoir tenir jusqu’à l’arrivée des détachements, mais… »

Sudou était à la traîne. En termes de probabilité, ils étaient susceptibles de gagner. Avec l’entrée de leur commandant au front, les chevaliers d’O’ltormea allaient combattre avec une vigueur renouvelée. Mais du point de vue d’un officier de terrain, l’offre de Shardina n’était que trop dangereuse.

Le principal risque se trouvait au niveau de sa sécurité, et peu importe ce qu’elle choisirait, cela n’offrirait pas de garanties absolues. C’était une situation où l’on ne pouvait pas discerner si elle allait absolument gagner ou perdre cette bataille.

« Je réalise le danger que cela représente… » a dit Shardina.

Ces mots poussèrent Sudou à se préparer à ce qui pourrait arriver en tant que tacticien.

C’est l’un de ses points forts en tant que personne… Ainsi que pour toute l’Organisation et même O’ltormea, perdre ici est un petit revers… Je suppose que je devrais me préparer à toute éventualité.

S’ils remettaient cette décision, ils finiraient par perdre avant d’avoir décidé quoi que ce soit, et ce serait une conclusion insensée. Il ne restait plus qu’à croire au choix de Shardina comme commandant suprême.

« Très bien, compris. Je vais rapidement faire envoyer vos escortes sur le front, » dit Sudou tout en inclinant la tête devant Shardina.

C’était le plus grand honneur qu’il avait pu manifester envers le choix courageux de son commandant.

Ce jour-là, la bataille des plaines de Notis s’était terminée par une victoire o'ltorméenne lorsque leurs détachements avaient pris les chevaliers xaroodiens dans une attaque-surprise et avaient décimé leurs forces. Cependant, on ne pouvait pas parler de victoire absolue pour l’Empire d’O’ltormea.

O’ltormea avait remporté la victoire en réclamant la vie du général Xaroodian, Belares, mais ce n’était que le résultat des stratagèmes de Shardina. L’armée xarodienne perdit 16 000 hommes, tandis que les forces d’O’ltormea perdirent 17 000 hommes. Leurs pertes furent à peu près égales, mais les pertes obligèrent l’Empire d’O’ltormea à interrompre temporairement son invasion du royaume de Xarooda.

Ayant pris le contrôle des territoires nobles le long de la frontière xarodienne, Shardina fit de la région son fief, où elle espérait reconstituer ses forces, mais elle ne put immédiatement recommencer son invasion du royaume. Comme elle l’avait d’abord soupçonné, le royaume d’Helnesgoula, également connu sous le nom de monstre du nord, avait franchi les frontières nord de Xarooda, montrant ses crocs aux forces de l’empire.

Ce fut le début d’une bataille à trois entre les trois pays d’O’ltormea, Xarooda et Helnesgoula.

Le fait que le royaume de Xarooda soit devenu un creuset de troubles allait donner à Ryoma Mikoshiba le temps dont il avait tant besoin. Un temps précieux qui allait assurer sa survie…

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