Chapitre 4 : Ceux qui luttent
Partie 1
« Sudou… Je vous en supplie, aidez-moi… »
Alors que la lueur rouge du coucher de soleil illuminait la pièce du château d’Héraklion, le duc Gelhart baissa la tête devant un homme dont le visage était masqué par une cagoule.
« Veuillez lever la tête, Seigneur Duc », une réponse digne vint de sous la capuche.
« Je ne suis pas digne d’avoir quelqu’un d’aussi haut placé que vous se prosternant devant moi… »
Cela dit, toute la courtoisie dont cet homme avait fait preuve n’était certainement que pure hypocrisie.
« S’il vous plaît ! Vous êtes le seul vers qui je peux me tourner ! »
C’était une attitude que l’on n’attendait pas du Duc Gelhart. Mais Sudou se moquait de lui sous sa capuche, car il savait exactement pourquoi le Duc Gelhart maintenait une approche aussi modeste.
La raison pouvait se trouver dans les événements de ce matin-là.
« Vous me demandez de vous confier le commandement de l’armée de toutes les factions de la noblesse ? Qu’est-ce qui vous prend, Hodram ? Êtes-vous devenu fou !? »
Le cri du duc Gelhart résonnait dans la salle alors qu’il regardait le général Albrecht avec des yeux injectés de sang. Et ce n’était pas sa colère habituelle, qui était souvent empreinte d’ironie. C’était une colère véritable, imprégnée d’une intention meurtrière, qui émanait du corps du duc comme du feu.
Mais cette colère était naturelle. La demande du général Albrecht était tout simplement absurde. Le général, cependant, ne montra aucun signe d’impatience. En dépit de son statut d’invité, il exigeait avec force que le duc Gelhart lui remette le commandement de l’armée, qui était au cœur de sa puissance et de son autorité, mais ses yeux étaient aussi calmes qu’une source d’eau paisible.
« Bien sûr. Avec votre commandement, nous finirions par perdre une guerre que nous devrions, au dire de tous, gagner. Ne comprenez-vous pas cela, Duc Gelhart ? »
« Espèce de salaud ! Je vous ai abrité après votre fuite, et c’est comme ça que vous me remerciez !? »
Cette réunion devait leur permettre de décider de leur future ligne d’action, mais elle était désormais devenue une arène où le duc et le général devaient se battre pour le droit de diriger.
« Mais nous gagnerons sans aucun doute si je prends le commandement. Désolé de le dire, mais vous n’êtes pas l’homme qu’il faut pour ce rôle, Duc Gelhart. Bien que mes compétences soient réduites, ne serait-il pas préférable que les rênes me soient confiées ? »
Le duc Gelhart avait d’abord pensé lui donner le droit de commander une partie de ses soldats, et d’en faire bon usage. Le général Albrecht, cependant, ne voyait pas l’intérêt d’avoir à sa tête une personne sans expérience réelle. Prendre le commandement seul serait plus efficace.
Peu après le début du conseil, le général Albrecht rejeta la proposition du duc Gelhart, ce qui avait compliqué la réunion.
« Balivernes grotesques ! Il y a beaucoup de guerriers expérimentés sous le commandement du Duc Gelhart ! Il n’est pas nécessaire de vous céder le commandement, Général ! »
« Oh ? C’est la première fois que j’entends parler de guerriers aussi expérimentés. Mais j’ai entendu parler de… Quel était son nom déjà ? Celui qui a perdu malgré le fait d’avoir quatre fois de soldats que l’ennemi… ? Oh, oui, Kael. Je le connais très bien. »
Le visage du général Albrecht était empreint de moquerie. L’assistant qui avait appelé le général ne savait plus quoi dire. Il était vrai que le Duc Gelhart n’avait pas de commandant plus compétent que Kael.
« C’est… C’est… »
« Tout d’abord, je pense que le fait que le duc Gelhart ait placé un commandant aussi incompétent à la tête de son armée remet en question ses propres capacités. N’est-ce pas le cas ? »
« Quoi !? »
« Quel culot ! »
Le duc Gelhart et ses collaborateurs s’enflammèrent en entendant la déclaration audacieuse du général Albrecht.
« Oh ? Je ne fais que dire la vérité, et vous vous mettez quand même en colère ? Cela ne fait que prouver à quel point vous êtes pathétique, très cher duc Gelhart », déclara le général Albrecht, dont le ton était empreint d’un mépris absolu pour le duc.
Courtoisie hypocrite ? Non… Ce n’était rien d’autre que du mépris pur et simple.
« Espèce de salaud… À quoi pensez-vous ? », demanda le duc Gelhart.
Pourquoi ? Comment peut-il se permettre d’agir avec autant d’assurance… ? Il n’a que deux mille chevaliers sous son commandement. J’en ai vingt mille, bien qu’ils soient actuellement en bonne posture… Pourquoi ?
Il était vrai que sa situation était défavorable à cause des actions de Ryoma Mikoshiba, mais il ne voyait pas comment le général Albrecht pouvait justifier une telle agressivité.
« Je veux gagner cette guerre, et je ne fais que ce qui est nécessaire pour assurer ce résultat. »
Je comprends ça… Mais ça ne peut pas être tout!
En toute impartialité, les affirmations du général Albrecht étaient justifiées. Il ne faisait aucun doute qu’en termes de capacités, le général Albrecht était le meilleur homme pour ce travail. Mais…
« Je suis d’accord avec l’opinion du général Albrecht ! »
Les pensées contradictoires du Duc Gelhart avaient été troublées par un appel provenant d’un des coins de la pièce.
« Quoi !? »
Tous les yeux dans la pièce s’étaient concentrés sur un seul homme.
« Ne m’avez-vous pas entendu ? Alors je vais le redire ! Je suis d’accord pour que tous les droits de commandement reviennent au général Albrecht ! »
La salle de conférence était devenue complètement silencieuse. Personne n’avait pu trouver les mots pour comprendre ce qui venait de se passer.
« Quelle est la signification de tout cela ? Est-ce que vous me trahissez... Kael !? » grogna le Duc Gelhart d’une voix froide et calme.
Entre toutes les personnes possibles, c’était Kael, celui qui avait donné à Albrecht le prétexte de délégitimer le duc, qui s’était prononcé en faveur du général. Il était impossible pour le duc Gelhart de réprimer sa colère.
« Que dites-vous, seigneur ? J’agis simplement pour que mes devoirs soient remplis de la meilleure façon possible ! »
« Quoi… ? »
Le Duc Gelhart avait été surpris par les propos agressifs de Kael.
« Pour commencer, vous ne m’avez accepté que parce que vous respectiez mon talent pour le commandement, et je n’ai pas les compétences nécessaires pour vous assurer de gagner cette guerre, seigneur ! »
Kael s’était ensuite arrêté, regardant tous les nobles assis dans la salle de conférence.
« Donc, si nous devons nous battre contre un ennemi que je n’ai même pas pu vaincre, nous n’avons pas d’autre choix que de confier le commandement à un général plus expérimenté que moi ! »
« K-Kael... Comment osez-vous ! »
Le duc Gelhart avait compris les intentions de Kael.
Ce salaud essaie de frapper tant que le fer est chaud afin de s’attirer les faveurs d’Hodram ! Je me suis fait avoir… Je n’aurais pas dû le laisser assister à cette réunion !
Il avait réalisé que le Duc Gelhart ne lui faisait pas confiance après sa défaite précédente et avait agi par instinct de conservation.
C’était vraiment une erreur imprudente. Le Duc Gelhart avait décidé de renoncer à Kael en apprenant sa défaite, mais il ne pensait pas que Kael en serait conscient. La tendance du duc à se servir le plus possible de lui avait donné à Kael la possibilité de tourner les choses en sa faveur.
Bordel ! Pourquoi ai-je appelé Kael ici !?
Le regard du Duc Gelhart se posa sur l’assistant assis à côté de lui. Mais il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. Quand son assistant avait proposé de punir Kael, il avait dit qu’il s’occuperait de lui plus tard, mais il n’avait jamais donné l’ordre de lui retirer son autorité. Et qu’était-il advenu de cela ?
Bien qu’il avait été traité comme ayant été puni, il avait reçu le même traitement qu’auparavant. Il était donc naturellement présent lors de cette importante discussion avec le général Albrecht concernant leur politique future.
« Oh ! Si le Seigneur Kael le dit… ! Je suppose qu’il ne faut pas forcément se fier aux rumeurs. Je ne m’attendais pas à ce que vous ayez une telle capacité à évaluer la situation ! »
« De telles paroles aimables ne sont pas dignes de m’être accordées. »
Auparavant, le général Albrecht n’avait fait que se moquer de Kael, mais maintenant son ton était tout le contraire. Et bien qu’il ait entendu le général dire du mal de lui, Kael ne semblait pas s’en soucier.
« Je vois… Si Seigneur Kael le dit, je n’ai pas d’autre choix que de me rallier à ses paroles. »
« Quoi ! »
« Quelle est cette folie... Comte Adelheit ! Qu’est-ce que vous dites !? »
Un autre des hommes du duc Gelhart s’était prononcé en faveur de la prise de commandement de l’armée par le général Albrecht.
Le visage de son assistant était devenu livide. Ce n’était pas surprenant. Le comte Adelheit était le deuxième homme le plus important de la faction des nobles. En d’autres termes, l’homme qui avait été le bras droit du duc Gelhart pendant des années approuvait l’opinion du général Albrecht.
« Mes excuses. Duc Gelhart… S’il vous plaît, ne pensez pas du mal de nous à ce sujet. Nous sommes responsables de nos vassaux… Nous ne pouvons pas nous permettre de rester les bras croisés et de laisser la mort nous réclamer. »
Son ton avait fait comprendre que c’était un choix grave qu’il devait faire avec amertume, mais il n’avait rien fait pour faire taire le Duc Gelhart. L’homme avait ignoré la Rhoadseria pendant des décennies. La responsabilité de ses vassaux ? Le Duc Gelhart savait très bien qu’Adelheit ne ressentait rien de tel.
Mais le fait qu’il apparaisse comme un vieil homme au grand cœur, tout désolé de la situation et qui devait prendre une décision douloureuse avait certainement fait taire tout le monde autour de lui.
Tout… est déjà fait…
Alors que son cœur bouillonnait d’inimitié et de rage, son esprit percevait clairement la situation. Le deuxième homme le plus puissant de la faction des nobles étant en faveur du général Albrecht, l’opinion du duc ne valait rien.
Et en effet, les autres membres de la faction se précipitaient pour soutenir le général, comme si un barrage s’était rompu.
« Il semble donc que nous soyons d’accord. Je vais prendre le commandement de nos troupes ! »
Le général Albrecht conclut ainsi la réunion par ces mots, laissant le duc Gelhart assis sur sa chaise, tout seul, en état de choc.
« S’il vous plaît, Sudou… ! Vous êtes le seul en qui je peux avoir confiance ! Je vous en supplie ! »
Sudou considéra la requête du duc Gelhart avec des yeux froids, et le duc s’accrochait à lui, pensant que sa requête était ignorée.
Était-ce l’idée de Kael, ou celle du général Albrecht ? Qu’importe la personne étant derrière ce complot, le résultat final avait été que le contrôle du Duc Gelhart sur sa faction avait été arraché. Il était déjà à bout de nerfs devant l’arrivée imminente de la princesse Lupis avec ses forces.
Quand on pense que c’était le premier ministre de Rhoadseria… Ce n’est qu’un déchet qui a perdu dans cette lutte pour le pouvoir…
Sudou considéra le Duc Gelhart avec mépris.
Toute personne influente redevient une personne normale une fois qu’elle a perdu le pouvoir… Je suppose que c’est vrai pour tout politicien, néanmoins…
Mais Sudou ne pouvait pas abandonner le Duc Gelhart s’il voulait atteindre son but. Du moins pour l’instant.
Selon les ordres de l’empire, l’invasion de Xarooda ne commencera que dans six mois… Je suppose que tant que je le maintiens en vie, j’aurai encore une certaine marge de manœuvre pour prendre des mesures…
« Soyez assuré, Duc Gelhart. Je vous aiderai. »