Wortenia Senki – Tome 2 – Chapitre 3

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Chapitre 3 : La déesse blanche de la guerre

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Chapitre 3 : La déesse blanche de la guerre

Partie 1

« J’attends beaucoup de votre loyauté et de vos efforts dans les jours à venir. »

La voix de la princesse Lupis résonnait clairement dans la salle d’audience, et les cinq hommes debout devant le trône inclinèrent la tête à l’unisson.

Habituellement, ces hommes ne venaient que pour des visites de courtoisie et insistaient pour rester dans l’expectative, mais l’occasion était différente. Ils étaient tous venus à la tête de centaines de soldats enrôlés sur leurs territoires et avec tous les biens qu’ils pouvaient transporter. Plus que tout, le fait qu’ils aient amené leur famille avec eux démontrait qu’ils étaient sérieux lorsqu’il était question de la guerre à venir.

Les nobles de la faction neutre se rassemblaient sous la bannière de la princesse Lupis. C’était un spectacle qui avait vraiment inspiré beaucoup de gens. On voyait une nouvelle aube se lever sur le royaume de Rhoadseria.

Dans une pièce du château, trois hommes étaient assis, bavardant agréablement pendant que le chaud soleil de l’après-midi affluait dans la pièce. Deux d’entre eux étaient vêtus de vêtements de soie extravagants qui indiquaient clairement qu’ils étaient nobles, mais l’autre était un jeune homme volumineux vêtu de noir. Aussi soigné et propre qu’il fût, on pouvait facilement dire qu’il n’était pas un noble.

Dans cette société hiérarchique de ce monde, et en particulier dans Rhoadseria, où le statut social était strictement appliqué, un roturier aurait rarement le droit de partager un siège avec des aristocrates. Mais il était non seulement là, mais ce jeune homme avait même pris l’initiative dans la conversation.

« Tout semble bien se passer pour l’instant. »

Bien que ses paroles n’aient pas été impolies, son ton n’était certainement pas celui qu’un roturier devait avoir lorsqu’il s’adressait aux nobles. Et malgré cela, les deux nobles ne semblaient pas bouleversés ou fâchés par ses paroles. Ils hochaient simplement la tête, et avaient des visages souriants.

« Oui, j’ai réussi à convaincre trois autres nobles de venir à nos côtés dès aujourd’hui. Comment ça s’est passé pour toi, Elnan ? »

« J’en ai convaincu quatre jusqu’ici. »

Le comte Zeleph répondit à la question du comte Bergstone en faisant tourner sa moustache.

« Et il y en a trois autres qui ont juste besoin d’un autre petit coup de pouce avant de se tourner vers nous. »

Le comte Bergstone répondit à ces paroles avec un sourire ironique et un signe de la tête.

« Je suppose que tu as gagné ce pari… »

« Oui, c’est ce qu’il semble. »

« Compris. Je ferai verser pour toi le vin le plus précieux de mon domaine. »

« J’ai hâte d’y être. Je viendrai chercher ma femme quand nous le pourrons, je suis sûr qu’elle a hâte de revoir sa sœur. », dit le comte Zeleph en souriant.

Cet homme qui parlait au comte Bergstone avec une approche un peu facile, grâce à des années de liens filiaux, était le comte Elnan Zeleph. Il était dans la trentaine tardive, avec un ventre déjà proéminent qui commençait déjà à augmenter au fil du temps. C’était l’image même d’un noble d’âge mûr. Si l’on imaginait son apparence, on pourrait dire qu’il ressemblait davantage à un bonhomme de neige portant une perruque blonde.

Mais contrairement à son apparence morose, c’était en fait un esprit fort. Si le comte Bergstone devait être comparé à une lame tranchante, le comte Zeleph était une lourde hachette.

Comme le comte Bergstone, feu le marquis Ernest avait reconnu ses talents et lui avait offert la main de l’une de ses filles en mariage. Après le renversement du marquis, il avait dû subir la colère du duc Gelhart, l’obligeant à vivre tranquillement dans son territoire pendant des années. Mais une rancune contre le duc qui l’avait contrarié toutes ces années devait probablement brûler avec force dans son cœur.

Avec le comte Bergstone, il avait rendu visite à des nobles neutres avec lesquels il avait de l’amitié, et en avait rassemblé un bon nombre sous la bannière de la princesse au cours du mois dernier.

« Je savais que vous seriez fiables, mais je ne pensais pas que nous verrions nos efforts porter leurs fruits si tôt. »

Bergstone et Zeleph répondirent aux paroles de Ryoma en échangeant un regard et en souriant, comme pour dire que c’était un résultat évident.

Cela ne faisait pas un mois que le comte Bergstone avait juré fidélité à la princesse Lupis. Même s’ils n’avaient fait que raviver les rancunes contre la faction des nobles qui couvaient déjà sous la surface, la performance des comtes avait donné des résultats impressionnants, de l’avis de Ryoma. Mais de leur point de vue, il fallait s’y attendre.

« C’est uniquement parce que vous nous avez fait confiance, Sire Mikoshiba… Si nous étions accablés par des limitations inutiles, même nous ne pourrions pas trop bouger. »

« Elnan dit la vérité… En fin de compte, même l’épée la plus raffinée et la mieux forgée serait aussi insignifiante qu’une montagne de lames rouillées si elle n’est pas utilisée. »

Ryoma écouta leurs paroles avec silence et en ayant un sourire ironique. Se qualifier de lames raffinées… Ryoma avait l’impression qu’ils avaient une confiance exagérée en lui, mais comme ils avaient réussi le grand exploit d’amener les nobles de la faction neutre dans les rangs de la faction de la princesse, Ryoma ne pouvait pas trop se plaindre.

Et en plus, leur perception n’était pas fausse. Quelle que soit la quantité de pouvoir dont on disposait, cela ne signifierait rien à moins qu’on ne lui donne une chance d’être utilisé à bon escient. Certaines puissances ne pouvaient s’épanouir que dans un monde déchiré par la guerre. Et certaines personnes ne peuvent pas montrer leur valeur en temps de paix. Cao Cao, héros de la romance des Trois Royaumes, avait déjà été décrit comme « un ministre compétent en temps de paix et un héros sans scrupules en temps de chaos », mais tout le monde ne pouvait pas prospérer en temps de paix comme en temps de guerre. Ryoma Mikoshiba en était un exemple, jusqu’à ce qu’il soit appelé dans ce monde, il n’avait été qu’un lycéen ordinaire.

« Eh bien, regarde juste pour l’instant. De plus en plus de nobles vont jurer leur fidélité à la princesse Lupis. »

« Elnan a raison. »

Le comte Bergstone hocha la tête, renforçant les paroles du comte Zeleph.

« Beaucoup de nobles de la faction neutre sont rancuniers envers la faction des nobles. S’ils apprennent l’escroquerie du duc Gelhart, ils ne resteront pas les bras croisés et alignés sur la faction des nobles. »

Les nobles de la faction neutre avaient de fortes rancunes parce qu’ils avaient été éloignés du centre du pouvoir pendant de nombreuses années. Par conséquent, quand ils se rendirent compte qu’ils pourraient être ceux qui prendraient le pouvoir politique dans le royaume de Rhoadseria une fois la faction des nobles purgée, ils s’étaient précipités dans la capitale avec un sérieux auquel on ne s’attendait normalement pas pour prêter allégeance à la Princesse Lupis.

Rancune et profit. Ces deux émotions pousseraient les nobles de la faction neutre à se précipiter aux côtés de la princesse Lupis.

« Sur un autre sujet, il semblerait qu’on ait beaucoup de mal à faire amener la faction des chevaliers de notre côté. »

Le comte Bergstone changea de sujet, car la conversation précédente n’avait que trop duré.

« Oui, je suis bien au courant. »

Ryoma répondit par un soupir, tandis que Bergstone envoyait un regard indiscret dans sa direction.

Alors que l’intégration des nobles se déroulait bien, les tentatives pour convaincre les chevaliers de changer de camp avaient, franchement, mal tourné.

« C’est un problème… Nous devons éviter la division de la faction des chevaliers si l’on veut que la princesse Lupis puisse garder le contrôle du pays une fois que nous aurons renversé le général Albrecht. Maintenir la défense du pays avec les forces que nous avons actuellement est impossible. Votre performance semble être un peu juste, Seigneur Mikoshiba. »

En contournant du doigt sa moustache bien entretenue, le comte Zeleph accusa Ryoma de négligence.

« Je suis entièrement d’accord avec Elnan. Si nous ne transformons pas les chevaliers en allié, nous ne pourrons pas garder le trône, même si nous nous débarrassons du général Albrecht. »

Ils étaient parfaitement synchronisés, presque admirablement. Il semblerait que ces deux-là avaient une idée de la situation avant la réunion. Ryoma ne pouvait accepter leur réprimande qu’avec un signe de tête silencieux. Même sans que cela ait été signalé, Ryoma réfléchissait frénétiquement à ce problème.

Quelques problèmes devaient être résolus pour que Lupis Rhoadserians puisse gouverner le royaume, en nom et en pratique, et l’un d’entre eux était de reprendre le contrôle des chevaliers du général Albrecht.

Les chevaliers étaient des guerriers capables de manier la magie. Ils servaient des nobles ou des membres particuliers de la famille royale. Pour que vous puissiez le comprendre plus facilement, on pourrait dire que les chevaliers étaient des employés permanents, alors que les mercenaires étaient des temporaires. Le potentiel de combat que leur avait conféré la magie leur avait permis de devenir la colonne vertébrale de la force armée. Les chevaliers étaient la plus forte organisation armée de Rhoadseria et, s’ils ne pouvaient pas devenir des alliés, le trône de la princesse Lupis serait aussi fragile qu’un château de cartes.

Cela va sans dire, cependant…

C’était un âge tumultueux, et on pourrait dire que la règle de survie du plus fort régnait sur ce monde. Tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, de nombreuses personnes montraient leurs crocs avec avidité dans l’intention de s’emparer de morceaux de terres, et protéger le pays de ces loups affamés ne serait pas une tâche facile.

La puissance militaire était nécessaire pour attaquer d’autres pays, mais elle était également nécessaire pour défendre son propre pays, et cela était vrai même s’ils évitaient les hostilités par des négociations. Un pays ayant une armée faible serait désavantagé à la table des négociations.

Je ne peux pas assumer la responsabilité de la façon dont Lupis dirigera ce pays après la guerre… Mais je ne peux pas prétendre que ce n’est pas un problème. Ce ne serait pas juste.

S’ils ne voulaient pas être pointilleux sur les moyens avec lesquels ils allaient remporter leur victoire, Ryoma pourrait créer autant de projets que nécessaire. S’il poussait les choses à l’extrême, il serait prêt à massacrer les chevaliers si c’était la solution la plus facile. Mais une fois que l’on envisageait l’avenir de Rhoadseria sur le long terme, la gamme des options disponibles était devenue beaucoup plus étroite.

« Donc, ces deux-là ne pourraient pas le supporter… Bien que je suppose que tout cela corresponde à nos attentes. »

Bergstone poussa un soupir insatisfait.

« Je ne m’attendais pas à grand-chose d’eux pour commencer… »

Cela ne servait à rien de demander de qui ils parlaient à l’heure qu’il est. Réalisant l’intention dans le regard du comte Bergstone, Ryoma haussa les épaules et secoua la tête.

Il ne pouvait pas traiter Meltina et Mikhail d’idiots. Ils étaient nés dans des familles de chevaliers de haut rang et avaient reçu une éducation appropriée. Mais leur fierté et leur conviction d’être chevaliers étaient trop fortes, et ils étaient presque étonnamment mauvais quand il s’agissait d’écouter l’autre partie, les prenant même parfois de haut. Leurs convictions entravaient leur capacité à prendre en compte et à respecter les positions des autres.

« Mais nous ne pouvons pas laisser les choses telles qu’elles sont. Je crois que je n’ai pas besoin d’en expliquer la raison, Seigneur Mikoshiba. »

Le comte Bergstone fixa le visage de Ryoma avec un soupçon de reproche dans ses yeux.

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Partie 2

« C’est exactement comme vous l’avez dit, comte. Mais y a-t-il quelqu’un d’autre que ces deux-là qui puisse diviser les forces de la faction des chevaliers ? Ils n’écoutent même pas ce que la faction des nobles a à dire. »

Les paroles de Ryoma incitèrent le comte Bergstone à se taire dans l’expectative. Comme l’avait fait remarquer Ryoma, les chevaliers considéraient les nobles clairement comme des ennemis. Et comme les nobles pensaient exactement la même chose des chevaliers, c’était devenu un grand facteur de restriction dans des moments comme celui-ci.

Même si Bergstone venait personnellement pour tenter de les convaincre, la plupart des chevaliers refuseraient très probablement par sentimentalisme. Au pire, ils pourraient même ne pas se présenter aux négociations. À cet égard, malgré leur manque d’aptitude à la négociation et à la persuasion, Meltina et Mikhail avaient au moins de meilleures chances de ne pas se voir refuser l’entrée.

Après un long silence, le comte Bergstone ouvrit les lèvres pour parler.

« Je vois… Oui, je comprends ce que vous essayez de dire, Seigneur Mikoshiba. Je ne vois personne de plus approprié que ces deux-là… »

Il savait très bien que cette tâche dépassait les capacités de Meltina et de Mikhail, mais il avait besoin de quelqu’un de digne de confiance pour mener les négociations avec la faction des chevaliers, de préférence une personne ayant un certain degré de popularité.

Tous deux étaient extrêmement loyaux envers la princesse Lupis et avaient leurs propres réalisations respectives en tant que vice-capitaines de la garde royale et comme l’une des épéistes les plus prometteuses du pays. Plus importants encore, ils étaient descendants de familles de chevaliers qui avaient servi depuis la fondation du royaume.

Capacités, confiance et gloire. Personne d’autre qu’eux ne remplissait ces conditions préalables dans la faction de la princesse, qui était déjà désavantagée par le nombre. Il n’y avait personne d’autre à choisir, et Ryoma ne pouvait utiliser efficacement que les effectifs dont il disposait.

« Mais quand on considère l’état d’après-guerre, laisser à ces deux-là le soin de s’occuper de ça me préoccupe un peu… »

Ils hochèrent la tête en silence en entendant le comte Zeleph. En termes de compétences individuelles, Meltina et Mikhail avaient certainement ce qu’il fallait, mais un commandant de soldats ne pouvait pas nécessairement diriger d’autres généraux. Du point de vue de Ryoma, il doutait même de leur capacité à commander des soldats normaux.

« C’est mauvais… À ce rythme, au moment où nous renverrons le général Albrecht, les pays voisins tourneront leur regard vers nous. »

Le comte Bergstone secoua la tête en soupirant.

« Xarooda et Myest sont une chose, mais Tarja au sud-est particulièrement dangereux. Nos escarmouches avec eux à la frontière sud ont été incessantes. »

« Elnan… si je me souviens bien, la femme du général Albrecht est la fille d’un noble tarjien influent. »

Le comte Zeleph examina les paroles du comte Bergstone et hocha la tête.

« Oui, si je me souviens bien, c’était sous les ordres de l’ancien roi. »

Les mariages politiques étaient souvent célébrés entre membres de familles royales de pays différents. Mais dans les cas où ils n’étaient pas majeurs, où le couple était trop incompatible ou s’il n’y avait pas de célibataire à offrir, quelqu’un d’une autre lignée influente était envoyé comme représentant à la place.

« Dans ce cas, nous devrions considérer le fait que le général Albrecht puisse mourir. Dans le pire des cas Tarja pourrait ouvrir des hostilités contre nous… » continua Bergstone, soupirant à nouveau fortement.

La situation semblait s’aggraver au fur et à mesure que l’on y pensait, et le temps passait.

« Peut-être devrions-nous simplement considérer que ces deux-là ne sont peut-être pas faits pour servir comme généraux. Bien sûr, il y a toujours une chance qu’ils puissent jouer leur rôle, mais cela prendrait du temps… Et c’est quelque chose qui nous manque. »

« Mais n’y a-t-il personne d’autre à qui nous pouvons confier ce rôle ? Est-ce que l’un de vous a une idée ? »

Les paroles de Ryoma poussèrent le duc Bergstone au silence. La conversation était repartie à zéro. C’était comme une boucle de moebius, un labyrinthe sans issue.

Les ambitions du général Albrecht constituaient un obstacle de taille qu’il fallait lever pour faire de la princesse Lupis la souveraine de Rhoadseria. Mais s’ils se débarrassaient d’Albrecht, ils seraient attaqués par les pays voisins s’ils n’avaient pas quelqu’un qui pourrait prendre sa place et unir les chevaliers.

Mais il était évident pour eux que Meltina et Mikhail, les aides les plus dignes de confiance de Lupis, étaient inaptes à diriger. Même s’ils avaient le potentiel pour le faire, ils n’auraient réussi à retirer l’opposition de la faction des chevaliers qu’environ après un mois d’efforts.

Un profond silence tomba sur la pièce. Mais finalement, le comte Zeleph l’avait cassé.

« Je crois que je connais peut-être une personne qui pourrait convenir… »

Ryoma et le comte Bergstone échangèrent leurs regards. Il semblait que Bergstone manquait lui-même d’idées.

« Qui ça pourrait être, Elnan ? »

Le comte Bergstone tourna les yeux vers le comte Zeleph, la tête penchée.

« Vous n’êtes pas au courant, beau-frère ? »

Le comte Zeleph répondit à l’expression douteuse du comte Bergstone par un murmure. « Lady Helena Steiner. »

« Elnan... Vous êtes sérieux ? Elle est… »

La voix du comte Bergstone fut inondée de surprise, c’était sûrement le dernier nom qu’il s’attendait à entendre.

La femme assise sur le canapé, sirotant élégamment une tasse de thé, semblait avoir une cinquantaine ou une soixantaine d’années. Ses cheveux ondulés, d’une nuance dorée avec de petites taches blanches, avaient probablement été très beaux dans sa jeunesse. Ses vêtements étaient faits de soie élégante et bien faite, mais ils n’étaient pas du tout voyants.

Elle avait l’air d’être une roturière légèrement aisée. Du moins, c’était l’impression que Ryoma avait eue de la femme assise devant lui.

Elle s’appelait Helena Steiner. C’était celle qui avait servi comme Général du Royaume de Rhoadseria une douzaine d’années auparavant. C’était le prédécesseur d’Hodram Albrecht.

 

 

Alors, comment puis-je en parler… ?

Ryoma fixa ses yeux sur le visage d’Helena, tandis qu’elle lui souriait calmement.

« Je… Je dois vous remercier d’être venu nous rencontrer aujourd’hui ! »

Meltina réussit à bégayer, s’inclinant devant elle à plusieurs reprises tout en trébuchant sur ses paroles.

Elle devait être très excitée, car son salut était loin d’être digne. Son visage était très rouge et ses épaules étaient raides comme une planche à cause de la tension.

« Dame Helena… C’est vraiment un grand honneur d’être honoré de votre présence aujourd’hui. »

Mikhail avait suivi son exemple, inclinant la tête respectueusement devant Helena, assise sur le canapé.

Heureusement, Mikhail n’avait pas trébuché sur ses paroles. Il parla plutôt avec un ton courtois, dépourvu de toute trace de son orgueil habituel.

Je suppose qu’ils n’auront pas le loisir de se mettre le sujet principal sur la table s’ils sont aussi nerveux…

Tandis qu’il portait sa tasse de thé sur ses lèvres, Ryoma regarda les deux avec un regard frais, car ils agissaient de façon tout à fait inhabituelle. Cela dit, on ne pouvait pas leur reprocher d’être nerveux, car Helena Steiner était littéralement une légende vivante dans le royaume de Rhoadseria.

Dans la semaine qui s’était écoulée depuis que le comte Zeleph avait mentionné son nom, Ryoma avait recherché des informations concernant Helena Steiner. Bien que cela n’avait pas exigé beaucoup d’efforts de sa part, car on ne se tromperait pas s’ils prétendaient qu’un citoyen qui n’avait pas entendu parler d’elle n’existait pas dans le Royaume de Rhoadseria. N’importe quel enfant dans la rue pouvait raconter ses exploits.

Les récits d’Helena, qui avait gravi les échelons jusqu’au grade de général malgré son passé de roturière, étaient aussi nombreux que connus. Son plus grand exploit héroïque fut la bataille des plaines de Notis.

Il y a trente ans, l’Empire d’O’ltormea commença une invasion du royaume de Xarooda, soutenu par son importante puissance nationale et stimulé par son ambition d’unir le continent occidental. Avec seulement un tiers du territoire de son ennemi, et avec l’Empire qui tenait le centre du continent, Xarooda n’avait d’autre choix que de demander l’aide de ses voisins pour repousser l’invasion.

Rhoadseria choisit d’accepter cette demande. Il envoya quatre ordres de chevaliers, soit dix mille troupes d’élite au total pour venir à leur aide. Et le général qui dirigea cette force était Helena Steiner. Aux côtés du Général Vereness du royaume de Xarooda, ils s’installèrent dans les plaines de Noctis, en pariant sur une contre-attaque nocturne contre les forces O’ltormea, repoussant ainsi l’invasion.

Le commandant O’ltormea tomba lors du raid, Xarooda ne tomba finalement pas sous le contrôle d’O’ltormea. Ce faisant, Helena était perçue comme une héroïne patriotique.

« Heh heh… Il n’y a pas besoin d’être aussi nerveux. Prenez du thé et calmez-vous, et pour l’amour de Dieu, Mikhail, asseyez-vous. »

Helena offrit une tasse de thé à Meltina et pressa Mikhail, qui était resté debout, de s’asseoir sur le canapé.

« Oui ! Je vous demande humblement pardon ! »

Comme on le lui demandait, Meltina remua son thé et, l’instant d’après, se pencha vers l’avant pour porter la tasse sur ses lèvres.

Mais comme le thé était encore fumant et qu’elle essayait de le boire sans se soucier de la température, elle avait failli se brûler les lèvres dessus.

« Eh bien, ne nous occupons pas d’elle pour le moment… Lady Helena, merci d’être venue nous rencontrer aujourd’hui. »

Ryoma fit avancer la conversation, ignorant consciemment Meltina, qui pleurait maintenant à cause de son erreur passée.

« J’ai été assez surprise quand j’ai reçu votre lettre l’autre jour. Cela fait après tout plus de dix ans que j’ai pris ma retraite en tant que chevalier… »

« Je vous remercie encore une fois d’avoir prêté l’oreille à notre demande scandaleuse d’audience. »

Ryoma avait de nouveau exprimé sa gratitude.

« Eh bien, bien que retraitée, je ne pouvais pas m’empêcher de venir et de respecter une lettre de Son Altesse, la princesse Lupis elle-même », déclara Helena, un sourire léger se répandant sur ses lèvres.

« Oui, en effet. Si vous le dites, ça valait alors le coup d’avoir fait que la princesse vous écrive une lettre personnellement. »

Les paroles de Ryoma firent que Helena l’observe avec méfiance. Alors, il « avait » fait écrire une lettre à la princesse d’un pays, hein…

« Maintenant que j’y pense, je ne crois pas connaître votre nom », dit Helena. Ryoma semblait avoir piqué son intérêt.

« Oh, mes excuses. Je m’appelle Ryoma Mikoshiba. »

« Non… »

Le visage d’Helena se remplit de surprise.

« Je vois. Vous… ne m’avez pas vraiment donné l’impression d’être un tacticien. »

C’était une réaction naturelle, l’imposante musculature de Ryoma lui donnait définitive l’apparence d’un homme costaud. À cause de cela, la première impression que l’on aurait serait que c’était le type qui résoudrait les problèmes avec ses poings, plutôt que sa tête.

« Êtes-vous au courant pour moi ? »

Ryoma inclina la tête devant sa réaction surprise.

« Eh bien, bien sûr que je le sais. Je suis peut-être à la retraite, mais j’aime profondément ce pays. Je suis au courant de la plupart des problèmes qui se posent à Rhoadseria. Même dix ans plus tard, à ce jour, il y a encore des gens qui se souviennent de moi… Et ils me rapportent souvent de tels événements. »

Un coup d’œil sur le visage d’Helena fit comprendre à Ryoma qu’elle restait en contact avec des gens de la faction des chevaliers.

Je vois… Je suppose que c’est approprié venant d’un ancien général comme vous. Cela nous évite d’avoir à tout expliquer… C’est une véritable aubaine.

***

Partie 3

Dans l’état actuel des choses, la faction des chevaliers n’avait pas une loyauté absolue envers la famille royale, mais c’était surtout parce que le général Albrecht était assis à la tête du mouvement, regardant le trône avec avidité. Les chevaliers étaient normalement ceux qui juraient fidélité au royaume et au trône et servaient de frein aux ambitions indépendantes des nobles.

Bien qu’ils se soient conformés au général Albrecht pour des raisons liées à leur position et à leurs moyens de subsistance, il pourrait y avoir plus de chevaliers avec des doutes dans le cœur que Ryoma l’avait imaginé, et Helena avait été le réceptacle de leurs préoccupations.

« Je vois. C’est un honneur pour moi que la déesse blanche de la guerre de Rhoadseria connaisse mon nom. »

« Non… Vous vous souvenez de ces vieilles histoires. »

Le visage d’Helena s’était déformé, dissimulant à peine l’ennui dans son expression.

« Je n’ai pas été appelée par ce titre depuis des siècles… »

« Vous n’appréciez pas ce titre ? »

« C’est du passé pour moi maintenant… Au fait, puis-je savoir pourquoi vous m’avez convoqué ici ? »

Apparemment, d’après la façon dont elle avait changé de sujet, Helena préférait ne pas en parler.

« Je vais aller droit au but. Nous voulons que vous nous prêtiez votre force à la princesse Lupis et que vous repreniez la place du général de ce pays. »

L’expression d’Helena s’était raidie. Elle ne s’attendait probablement pas à ce que Ryoma soit aussi direct.

« Non… Comme vous le dites, vous allez droit au but. »

Helena se tut un instant, mais ses lèvres se mirent à sourire.

« Mais cela rend certainement les choses faciles à comprendre. J’admire les garçons comme vous. »

Vu son ton et son regard, elle semblait apprécier Ryoma.

« Pourquoi ces remerciements ? Alors, quelle est votre réponse ? » répondit Ryoma tout en fixant son regard.

« Oh, je vais devoir déduire quelques points pour celle-là. Je suis peut-être vieille, mais je suis toujours une femme. Un homme qui essaie de convaincre une femme d’obéir à ses ordres ne doit jamais insister pour obtenir une réponse comme celle-ci. »

Ryoma sourit ironiquement et inclina la tête en s’excusant devant l’expression taquine d’Helena.

« Oh, désolé pour ça. Oui, vous presser comme ça va à l’encontre des bonnes manières… Pourtant, perdre du temps est un luxe que l’on ne peut pas se permettre. »

Ryoma fixa alors un regard aiguisé sur le visage souriant d’Helena, et la pression silencieuse dans ses yeux la fit reculer pendant une seconde.

« Mon discours sur les bonnes manières et l’étiquette était une plaisanterie, bien sûr… »

Helena commença sa réplique après avoir repris ses repères.

« Mais je pense qu’on ne peut pas attendre de moi que je réponde sans rencontrer Son Altesse en personne d’abord. Pas vrai ? »

Mais les mots suivants de Ryoma avaient remis l’initiative entre ses mains, tout simplement parce qu’ils étaient tout à fait inattendus.

« Oh, donc vous souhaitez rencontrer Son Altesse, Lady Helena… ? Je vais donc être honnête. Franchement, on n’a pas de temps à perdre là-dessus. »

« Quoi !? »

La déclaration de Ryoma était allée bien au-delà de l’impolitesse. On aurait dit que Lupis Rhoadserians n’était qu’une marionnette. Helena, Meltina et Mikhail s’exclamèrent tous en même temps.

« Imbécile ! Avez-vous l’intention d’insulter Son Altesse ? »

Meltina se leva de son siège en colère, mais Ryoma la regarda d’un air froid.

Son regard intense semblait dire froidement : « Tais-toi ou je te tue là où tu te tiens », et ses yeux ne transmettaient que trop clairement ce message à tous ceux qui faisaient face à cet éclat.

Clouée au sol par le regard menaçant de Ryoma, Meltina s’enfonça de nouveau dans son siège.

« Mes excuses… Elle n’arrive pas à s’habituer aux négociations mettant sa vie en jeu… »

Ryoma rendit son regard à Helena après s’être assuré que Meltina se soit calmée.

« Je suis surprise… Vous avez un très bon état d’esprit pour quelqu’un d’aussi jeune. »

« Merci beaucoup. Mais notre survie est en jeu ici. »

Helena prit une grande respiration et son expression s’inversa complètement. Le regard qu’elle portait sur Ryoma montrait clairement qu’elle ne lui pardonnerait pas un seul mensonge.

« Alors ? Pourquoi est-ce impossible pour moi de rencontrer la princesse Lupis ? »

Ryoma rencontra son regard de face avec un haussement d’épaules.

« Si rencontrer la princesse Lupis est tout ce qu’il vous aurait fallu pour que vous rejoigniez sa faction, vous auriez déjà approché le château de votre propre gré… Ai-je tort ? »

Cette femme était à la retraite depuis dix ans et on lui demandait maintenant de retourner au service. Les conditions de sa coopération devaient être extraordinaires, et Helena n’en voyait pas l’utilité en termes d’argent ou de notoriété. Ayant atteint le grade de général, elle n’avait probablement pas eu de problèmes financiers, et il n’y avait pas eu d’offre qu’on puisse lui faire qui est supérieure à sa réputation actuelle de héros national.

Et la loyauté envers la maison royale n’était pas non plus une option. Cette femme était passée du rang de roturière à celui de général. Si cela avait pu la convaincre, elle aurait déjà choisi le camp de la princesse Lupis ou de la princesse Radine.

Mais elle ne l’avait pas fait. Elle avait caché sa position jusqu’à présent, comme pour dire qu’elle ne pouvait pas juger quel côté avait le plus de légitimité. Peut-être qu’elle s’en fichait dès le départ.

« Je vois. Votre raisonnement est assez solide… Mais la question mérite d’être posée. Si vous en savez autant, pourquoi me rendre visite ? »

« Parce que nous avons besoin de votre aide à tout prix », dit Ryoma en soupirant face à ses paroles.

« Oh ? Insinuez-vous que vous allez me forcer à coopérer contre ma volonté ? Je ne peux m’empêcher de conclure que vous me traitez avec condescendance. », l’expression d’Helena s’était assombrie.

Si ni le gain ni le raisonnement ne l’influençaient, le recours à la force le ferait peut-être. Le visage d’Helena était déformé par le mépris.

« Je m’attendais à ce que la princesse Lupis ait un tacticien à ses côtés, mais je vous ai jugé trop favorablement. »

« Épargnez-moi vos mauvaises blagues. »

Ryoma secoua la tête devant le regard déçu d’Helena.

« L’idée de faire quelque chose d’aussi grossier ne m’a jamais traversé l’esprit. »

« Alors, qu’aviez-vous l’intention de faire ? »

Ryoma avait répondu à sa question avec le sourire.

« L’argent et la gloire ne vous toucheront pas. Mais vous avez accepté la lettre de la princesse Lupis et êtes venue nous rencontrer ici au château. Cela signifie qu’il y a place à la négociation, pas vraie… ? Vous avez probablement quelque chose que vous voulez. Quelque chose que vous ne pouvez pas réaliser seule… Ai-je tort ? »

Ryoma contrôlait parfaitement l’atmosphère de la pièce. Étonnement, personne n’osait parler.

« C’est vrai… Je vois. »

Helena avait fini par chuchoter. : « Tu es un malin. »

Ce murmure avait confirmé que la conjecture de Ryoma était correcte.

« Alors, pourquoi ne me dites-vous pas ce que je souhaite… ? Selon votre réponse… »

Helena regarda Ryoma avec des flammes noires dans les yeux.

« Très bien, alors. Je prêterai ma force à la princesse Lupis. »

« Compris… Honnêtement, j’ai une idée de ce que vous aimeriez. »

Meltina et Mikhail avaient réagi avec surprise à ce que Ryoma dit, mais l’expression d’Helena donnait l’impression qu’elle en attendait autant.

« Comme il se doit… Il n’y a aucun espoir pour vous si on ne peut pas s’attendre à ce que vous compreniez autant. »

« Quoi qu’il en soit, je n’ai pas encore de preuve. »

« Hmph… Il est difficile de dire si vous êtes prudent ou juste un lâche… »

Alors qu’elle posait une main sur son menton, faisant semblant d’être enfouie dans ses pensées, Helena fixa son regard sur Ryoma, comme si elle essayait de voir dans les profondeurs de son cœur…

Si son cœur trahissait ne serait-ce qu’un soupçon de peur ou d’hésitation, elle ne lui pardonnerait jamais, mais Ryoma rencontra le regard d’Helena avec calme. Tout ça pour qu’elle reconnaisse sa valeur…

« Mais je suppose que si nous mettons votre ingéniosité à l’épreuve, ce genre de prudence est un mal nécessaire… Très bien. Je vous accorde un peu de temps pour réfléchir, et vous aurez alors votre réponse. »

Helena avait vu la volonté dans les yeux de Ryoma, et cela l’avait incitée à parier dessus. Parier sa propre vie…

Ce garçon… Est-il ce que j’attendais… ? La dernière pièce du puzzle que j’attends depuis plus de dix ans… ?

Cela faisait plus d’une décennie qu’elle avait pris sa retraite en tant que chevalier, mais elle ne l’avait pas fait de son propre gré. Elle avait été forcée de prendre sa retraite par cet homme…

Par Hodram Albrecht et ses plans.

La déesse blanche de la guerre de Rhoadseria ? Un titre si pompeux… Comme c’est risible… Quelle déesse de la guerre ne protégerait-elle même pas sa propre famille… ?

Les lèvres d’Helena se tordaient de mépris. Oui, on l’avait vraiment appelée déesse de la guerre. Ce nom était bien sûr répandu dans Rhoadseria, mais il était même chanté par les pays voisins. Helena avait été célébrée par tous.

Mais Helena ne savait pas. Elle ne savait pas que la lame de l’assassin rampait dans son ombre, sa pointe était fixée contre sa famille. Elle ne savait pas que plus son nom gagnait en gloire, plus elle gagnait la colère des autres.

Si ce garçon peut voir à travers mon souhait… S’il a autant de prévoyance et de sagesse… Alors mon souhait… Mon vœu pourrait encore être exaucé !

L’attente et l’anxiété se mêlaient dans ses yeux. L’attente qu’elle puisse voir son souhait exaucé, et l’anxiété que le moment n’était pas encore venus.

Ryoma pouvait sentir l’agitation dans le cœur d’Helena. Elle attendait beaucoup de lui, et c’était lui qui dirigeait cette discussion. Restait à savoir s’il pouvait y répondre ou non.

Ryoma fit correspondre les informations qu’il avait trouvées sur elle et ce qu’il avait appris. Et grâce à leur signification, il pourrait reconstituer son hypothèse.

Elle veut probablement se venger d’Hodram Albrecht…

Malgré les dix années qu’elle avait passées à la retraite, la volonté et la vigueur dans le corps d’Helena étaient toujours celles d’un commandant actif, et elle avait toujours une certaine influence sur les chevaliers. Ryoma pensait que le motif le plus probable de ses actes était la vengeance. À cela s’ajoutait son expression lorsqu’il l’appelait la déesse blanche de la guerre de Rhoadseria, Ryoma voyait clairement le mépris qu’elle avait pour son propre titre.

Mais… Je n’ai aucune preuve.

La raison pour laquelle elle avait pris sa retraite en tant que générale de Rhoadseria et s’était évanouie dans l’obscurité était restée inconnue. Quiconque connaissait les circonstances de l’époque était borné et refusait d’en dire un mot.

Je suppose que je vais devoir parier dessus…

Ryoma fit preuve de détermination. Son hypothèse n’était que conjecture et rien de plus, et peu importe le nombre de théories qu’il empilait les unes sur les autres, les preuves n’apparaîtraient pas toutes seules. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était de faire confiance à la réponse qu’il avait recueillie en reconstituant ce qu’il avait étudié jusqu’alors avec ses impressions de cette réunion.

« Voulez-vous… vous venger d’Hodram Albrecht ? »

« Et pourquoi voudrais-je ça ? »

Helena donna sa réponse avec un sourire sombre.

« Je l’ai senti quand on s’est rencontrés. Vous n’êtes pas à la retraite en tant que chevalier. Vous n’avez pas négligé votre entraînement, et vous êtes toujours au courant de ce qui se passe dans la faction des chevaliers. Mais en pratique, vous avez pris votre retraite il y a plus d’une décennie… Ce qui veut dire que vous n’avez pas pris votre retraite de votre plein gré. Et après votre retraite, le général Albrecht a pris votre poste. Je l’ai rencontré moi-même l’autre jour, et il m’a tout de suite semblé être une personne convaincue de son propre privilège. J’espère que vous ne le prenez pas mal, mais… Lady Helena, vous êtes née roturière. Vous ne venez pas de la maison de nobles ou de chevaliers, mais d’une famille de roturiers. Et d’après ce que j’ai compris, Albrecht ne vous reconnaîtrait jamais. »

Ryoma s’arrêta pour respirer et dirigea un regard compatissant sur Helena. L’expression douloureuse sur son visage lui disait que son hypothèse était correcte.

***

Partie 4

« Après avoir entendu parler de vous, j’ai regardé qui vous étiez, mais je n’ai presque rien trouvé sur ce qui s’est passé pendant la période de votre retraite. Selon toute vraisemblance, quelqu’un a supprimé l’information pour qu’elle ne soit pas connue. Dans ce cas, la personne la plus suspecte est le général qui a pris votre poste, Albrecht. »

Le silence était tombé sur la pièce. Meltina et Mikhail étaient devenus subitement silencieux par ce que Ryoma venait de dire. Leur foi en la Déesse Blanche de la Guerre de Rhoadseria était trop grande pour qu’ils avalent facilement cette histoire.

« Oui, si vous pouviez rassembler autant… Vous êtes vraiment un homme intelligent. »

Sa voix était remplie d’agonie. Elle semblait résonner des profondeurs de la terre.

La haine qu’elle n’arrêtait pas de garder en elle s’échappait enfin.

« Je veux la tête d’Hodram Albrecht sur une pique… Cet homme… a tué mon mari et ma fille… »

Il y a une dizaine d’années, Helena Steiner était général de Rhoadseria. Elle était passée de roturière à chevalier, et de chevalier à général… Ses talents et ses réalisations inhabituelles l’avaient propulsée aux plus hauts échelons de l’armée, et elle était admirée de tous dans le royaume.

Mais il y avait quelqu’un qui méprisait son passé de roturière. Et ce qui avait commencé par des soupçons de ressentiment s’était épaissi en proportion directe avec son succès. Tout comme la lumière intense projette une ombre sombre… Cet homme s’appelait Hodram Albrecht.

Hodram était doté d’un physique exceptionnel et talentueux avec les prouesses martiales attendues d’un chevalier. Il était né fils aîné de la maison Albrecht, qui avait produit de beaux chevaliers pendant des générations, et on lui avait promis le rôle de chef de famille. Hodram était l’image même du chevalier idéal, mais il ne lui manquait que d’une seule chose : la retenue.

Bien qu’il soit supérieur à la plupart des gens, Hodram n’avait jamais été satisfait. Il avait atteint le sommet de ce qu’un chevalier pouvait espérer accomplir, dirigeant un ordre de chevaliers, mais il en désirait davantage.

Oui, il voulait la plus haute position possible dans l’armée rhoadérienne. Le grade de général.

Celui qui contrôlait tous les ordres des chevaliers du royaume, à l’exception des deux qui se consacraient à la défense du monarque, les Gardes Royaux. Cependant, selon la situation, le roi pourrait même accorder le commandement général sur les gardes royaux et, à cet égard, le général pourrait être considéré comme détenant le pouvoir absolu sur les armées rhoadériens.

Traditionnellement, un général était finalement nommé par le roi, mais pour obtenir le poste, il fallait aussi être désigné par l’ancien général au moment de sa retraite. Après tout, c’était une position qui consolidait le pouvoir des armées d’un pays. Il est évident qu’il faudrait les réalisations et les compétences nécessaires pour occuper ce poste. Les candidats avaient été sélectionnés en fonction de leur caractère, de leur idéologie et même de leurs lignées, avec l’approbation finale du roi.

Mais ce qui importait le plus, c’était la popularité et l’influence que la personne avait sur ceux qui l’entouraient. La question de la confiance que les chevaliers accordaient à ce candidat était de la plus haute importance.

Lorsque le général Helena se retira, Hodram mit en place de nombreux plans et stratagèmes pour rehausser son rang parmi les chevaliers. Corruption, menaces et promesses de promotion. Dans les coulisses, son complot ne connaissait aucune limite dans ses efforts pour arriver à ses fins.

Et pourtant, Helena avait été choisie comme successeur. Sa nature sociable lui avait valu le titre de déesse blanche de la guerre de Rhoadseria. Le peuple salua son attitude juste et impartiale comme l’image même de ce qu’un chevalier rhoadsérien devrait aspirer à être. Il était naturel que le général à la retraite la nomme comme son successeur.

Mais Hodram n’abandonna pas facilement. Son ego démesuré et sa notion d’être une personne supérieure ne pouvait pas tolérer l’idée qu’une roturière comme Helena soit au-dessus de lui. Il mit au point de nombreux plans pour la faire tomber de cette position. Qu’il s’agisse d’assassinat ou de preuves de corruption fabriquées de toutes pièces, il avait essayé toutes les idées imaginables pour qu’Helena se soumette.

Helena coupa à travers tous ces plans, avec l’aide de ses collègues et amis parmi les chevaliers. Mais au fur et à mesure qu’Hodram perdait son sang-froid, les crocs de sa malice atteignirent finalement Helena.

Ce jour-là, Helena était rentrée chez elle après une campagne de deux mois pour réprimer une révolte déclenchée par un petit gouverneur d’un territoire à la périphérie du pays. Mais quand elle ouvrit la porte de sa maison, personne n’était venu la saluer. Bien qu’elle avait été une roturière, Helena était toujours responsable de l’armée du pays, et afin de maintenir les apparences diplomatiques, elle avait reçu un manoir respectable avec plusieurs domestiques.

Mais le plus étrange, c’est qu’on ne voyait pas sa fille bien-aimée de dix ans, qui courait toujours la saluer. Suspicieuse, Helena s’installa dans le salon, où sa famille se trouvait habituellement. Et quand elle ouvrit la porte…

« La première chose que j’ai vue était la tête de mon mari… »

Ce qu’elle avait vu, c’était une pièce éclaboussée de cramoisi et la tête fraîchement coupée de son mari reposant sur la table. Il avait probablement été tué après avoir été sauvagement torturé, parce que son expression était une expression d’agonisante.

L’esprit d’Helena n’acceptait pas la réalité de ce qu’elle voyait, semblait-il, parce qu’elle ne se souvenait que de s’être réveillée sur un lit dans la maison de son assistant quelques jours plus tard. Être général n’était pas du tout un rôle facile, et un commandant sur le champ de bataille avait une montagne de travail à faire. Même sans guerre à mener, un général veillait sur les résultats de l’entraînement des chevaliers et gardait une attention méfiante sur les mouvements des pays voisins.

Ainsi, au jour où elle avait pu se reposer de la campagne, c’était le jour même où elle était retournée à son manoir. Le lendemain, elle aurait besoin dû rédiger et travailler sur une montagne de documents. Heureusement, alors qu’elle n’était pas allée au quartier général pendant des jours, son assistant avait eu des soupçons et visita sa maison.

Quand son assistant la découvrit, Helena était accroupi dans le salon de son manoir, serrant la tête de son mari contre sa poitrine. Au milieu de l’odeur de sang rouillé et de la puanteur de cette tête en décomposition, elle était assise, les yeux complètement vides.

Son aide avait emmené Helena, qui avait perdu la raison, chez lui, et il amena ses collègues pour inspecter sa maison. C’était une scène de crime, mais laisser les gardes s’en occuper était trop dangereux. D’après ce que l’aide avait vu, il soupçonnait qu’il ne s’agissait pas d’une attaque hasardeuse de brigand.

Il avait été rapidement prouvé qu’il avait raison.

« Ils… ont laissé une lettre derrière eux. Disant qu’ils avaient ma fille. Ils m’avaient demandé de me retirer de mes fonctions de chevalier. »

La frustration avait dû être exaspérante. Chaque mot qui sortait des lèvres d’Helena était empreint d’une rancune toxique.

« Je… J’ai travaillé si dur pour atteindre le grade de général malgré le fait d’être née roturière… Pouvez-vous l’imaginer ? Les sacrifices que j’ai dû faire pour atteindre ce rang. Après tout, les chevaliers sont essentiellement des hommes… »

Il s’agissait moins d’une question de sexisme que d’une question d’aptitude. En termes de force musculaire, les hommes avaient un avantage sur les femmes, même si la magie pouvait aider à l’atténuer. Il va sans dire que le baptême d’Helena dans une société dominée par les hommes avait été douloureux. Mais elle avait utilisé sa féminité à son maximum, faisant preuve d’une force qui surpassait celle des hommes.

Non pas sur le plan de la valeur individuelle, mais sur la force d’un groupe. Lorsque les chevaliers se retrouvaient sur le champ de bataille, ils savouraient l’esthétique des batailles en tête-à-tête et détestaient combattre un seul ennemi dans un groupe. Mais si l’orgueil chevaleresque avait une sonorité douce, elle était inefficace. C’était ainsi qu’Helena proposa aux chevaliers de se battre en formation.

Même ceux qui étaient obsédés par leur fierté et qui s’y opposaient au début furent peu à peu influencés par le charisme d’Helena et ses exploits sur le champ de bataille, et en vinrent à apprécier ses idées. Et c’était une victoire qu’Helena avait remportée par ses efforts.

« Pouvez-vous imaginer devoir jeter tout ça ? »

Ryoma secoua la tête devant sa question. Il pouvait l’imaginer, mais il n’était pas assez effronté pour le dire à haute voix. Seul quelqu’un dans la même position pouvait vraiment comprendre.

« Mais quand même, si c’était pour elle, je rejetterais mon titre de général… Si ça pouvait ramener ma fille… »

C’était la fille dont elle avait eu la chance d’avoir reçu à l’âge de quarante ans. Helena ne pouvait se marier qu’après l’âge de trente ans, en raison de son travail de chevalier, et avait presque abandonné l’idée d’avoir un enfant.

Contrairement au Japon moderne, les techniques médicales sur cette Terre n’étaient pas très évoluées et la naissance à un âge avancé frisait l’impossible. Alors, quand elle avait appris qu’elle avait conçu, Helena avait été enchantée.

« J’ai donc ignoré les paroles de mes amis et collègues et j’ai pris ma retraite en tant que chevalier… Rétrospectivement, je peux reconnaître que cette décision était naïve, mais je n’avais pas d’autre choix… »

« Et ils ne l’ont jamais rendue, n’est-ce pas… »

Helena acquiesça silencieusement à l’affirmation de Ryoma.

« J’ai demandé à mes amis et collègues de garder cette affaire secrète, afin de ne plus attirer l’attention du coupable. Heureusement que ça n’avait pas été signalé aux gardes… Mais un mois s’était écoulé, puis deux mois, et elle ne m’avait pas été rendue… Et pendant ce temps, cet homme avait pris le siège de général. »

Si la victime avait caché les détails de l’affaire elle-même, il était évident qu’elle ne serait pas connue du public.

« Comment a-t-il fait ça ? Hodram n’aurait-il pas besoin de la recommandation du général sortant pour revendiquer le titre ? », demanda Ryoma.

Du moins, il en aurait besoin à titre officiel. Mais Helena secoua la tête.

« Fondamentalement, il… Mais parfois un ancien général peut mourir sans avoir la chance de nommer un successeur, et dans ces cas-là, il serait soumis au vote des chevaliers… »

Attristée par l’inquiétude pour sa fille, Helena ne pouvait pas remplir ses fonctions, et la nomination d’un successeur était la chose la plus éloignée de son esprit. Et c’était à cette époque que les intrigues d’Hodram montrèrent leur effet.

L’aide d’Helena et ses amis s’y étaient opposés, mais ils avaient rapidement été réduits au silence. La lignée d’Hodram avait travaillé en sa faveur dès le début, l’élevant au rang de général de Rhoadseria.

« Cinq ans passèrent alors que j’attendais le retour de ma fille… J’avais déjà abandonné à ce moment-là… Même si je voulais venger la mort de mon mari, je devais savoir qui était responsable, et je ne pouvais pas la chercher sans indices… Vivre n’était que douleur. »

C’était compréhensible. Un enfant était le trésor d’un parent… Non, c’était la vie des parents eux-mêmes.

« Vous ne soupçonniez pas le général Hodram ? »

« J’avais mes soupçons, mais… »

« Aucune preuve ? »

Helena hocha la tête en silence.

À l’époque, de nombreux pays voyaient Helena comme une nuisance. Peu de monarques resteraient les bras croisés et laisseraient un autre pays renforcer ses forces militaires sans entrave. Cela s’appliquait même pour Xarooda, qu’ils avaient aidé à repousser O’ltormea dans le passé, et à leur voisin Myest.

« Peut-être avez-vous entendu comment, il y a cinq ans, un marchand d’esclaves opérant secrètement dans le pays a été exécuté ? »

Helena posa soudainement une question à Meltina, qui était stupéfaite.

« Hein ? Oui… ! Mais je ne connais pas tous les détails… »

La traite des personnes n’était généralement pas illégale sur cette Terre, mais n’était permise que pour les prisonniers de guerre d’autres pays et ceux qui avaient des dettes qu’ils ne pouvaient rembourser. À tout le moins, aucun pays ne tolérait que ses citoyens soient arrachés à la rue et vendus.

Mais on pouvait trouver un imbécile n’importe où, n’importe quand, et il y en avait qui faisaient leurs affaires ouvertement, même s’ils auraient fermé les yeux s’ils avaient agi avec modération. Le marchand d’esclaves décapité il y a cinq ans en était un.

***

Partie 5

« Cet homme achetait et vendait n’importe qui, tant qu’il en tirerait un profit. Et même des gens de la capitale s’il pouvait mettre la main dessus… Et c’est ce qui l’a conduit à sa mort. »

L’enlèvement d’un parent lié par le sang à un noble éminent, qui avait des relations avec la famille royale, avait coûté la vie au commerçant.

Il semblerait que sa confiance effrontée venait du fait qu’il avait soudoyé un individu affilié aux gardes royaux, mais s’en prendre à un noble encore plus influent l’avait mené à une fin plutôt prévisible.

« Ce sont les chevaliers qui l’ont arrêté. Il avait une milice privée assez importante, voyez-vous… C’est probablement pour ça que les gardes ne pouvaient pas le toucher. »

« Et est-ce comme ça que vous avez compris ce qui est arrivé à votre fille ? »

« Oui… Il y avait beaucoup de rumeurs autour de cet homme, alors les chevaliers l’ont soumis à beaucoup de tortures afin d’obtenir des informations de sa part. »

Elle répondit calmement à la réponse de Ryoma, mais il y avait beaucoup de mélancolie dans son ton.

« Et finalement, la torture lui a desserré la langue, et il a parlé de l’assassinat de ma famille… »

En vérité, le marchand avait joué le rôle de médiateur pour trouver un assassin pour faire le travail, mais en ce qui concernait Helena, il était quand même coupable.

« Le chevalier chargé de sa torture était un de mes anciens subordonnés, et grâce à cela, j’ai pu le rencontrer face à face. »

Elle avait fait semblant d’être simple, mais c’était un acte imprudent. Cela n’aurait pas été aussi inquiétant si Helena avait toujours été général, mais cela faisait cinq ans qu’elle avait pris sa retraite à ce moment-là. En dépit de son poste antérieur, elle était une simple civile à l’époque, donc rencontrer un criminel était du jamais vu…

« Je vois… C’est comme ça que vous avez découvert qu’Hodram était derrière tout ça… »

« Oui. »

Ce petit mot disait tout ce qu’il y avait à dire.

« Alors, pourquoi avoir attendu si longtemps ? »

« C’est simple… cette histoire n’a jamais été rendue publique. Et même si elle était exposée, elle serait effacée, et nous serions ensuite assassinés. Depuis que j’ai pris ma retraite, l’influence d’Hodram n’a fait que croître. Le témoignage du marchand d’esclaves ne suffirait pas à le faire tomber… »

Le silence remplissait la pièce. Aucun d’entre eux n’avait imaginé que la rancune était si profonde. Mikhail et Meltina étaient à court de mots.

« C’est donc ce qui s’est passé… »

Les mots de Ryoma étaient lourds aussi.

Il avait eu ses soupçons, mais le ressentiment était trop profond.

Eh bien, ce n’est pas bon… Ça pourrait être pire que de laisser Meltina s’occuper de la faction des chevaliers.

Une rancune peut être un puissant facteur de motivation pour émouvoir les gens, mais ceux qui en étaient trop emplis finiraient par se détruire. Et alors qu’Helena était libre de s’autodétruire, Ryoma ne voulait pas se laisser entraîner là-dedans.

« C’est très bien. Ce n’est pas à vous de vous en inquiéter… »

Helena devina l’inquiétude de Ryoma d’après l’expression de son visage.

« Ce que je veux, c’est Hodram et sa famille. Rien de plus. »

C’était ainsi qu’elle avait mis son désir en mots.

D’accord… Elle comprend donc nos doutes… Ses capacités et sa sensibilité sont toutes vérifiées, c’est sûr… Et je suppose que nous devrons serrer les dents pour le reste.

Le fait est qu’Helena était la seule personne dont ils avaient besoin pour ce travail. Personne ne pouvait égaler ses capacités et ses réalisations. Ils n’auraient plus qu’à réaliser son souhait et à lui remettre Hodram et sa famille.

La vengeance était perçue comme un mal aux yeux de la loi, et cela était vrai même dans les lois de ce monde. Mais Helena le savait assez bien, d’où la raison pour laquelle elle l’avait planifié depuis de nombreuses années. Pour se donner l’occasion de se venger.

Helena avait fait connaître son prix. Restait à savoir si Ryoma pouvait le payer.

Je suppose que je n’ai pas d’autres options ici… Je me sens mal pour la famille du général Albrecht, tout bien considéré, mais… Je suppose qu’il n’y a pas d’autre solution.

Il ne voyait là qu’une horrible tragédie de vengeance, mais Ryoma avait facilement tourné le dos à Hodram Albrecht et à sa famille. Le fait était que personne d’autre qu’Helena n’était digne de ce rôle. Ryoma n’avait aucun désir de condamner sa volonté de vengeance ou de vérifier si c’était juste. Il n’y avait qu’une seule question ici : laquelle des voies lui serait la plus utile ?

Je me contenterai peut-être de cela… Mais le problème est de savoir si la princesse Lupis serait…

Ryoma pourrait fermer les yeux, mais la princesse Lupis devrait aussi l’approuver. Cela faisait environ un mois depuis qu’il avait rencontré la princesse Lupis, ce qui lui laissait amplement le temps de se faire une idée de son caractère et de sa sensibilité.

Pour le meilleur ou pour le pire, elle poursuivait trop d’idéaux… Quelqu’un comme elle approuverait-elle une vengeance contre Hodram en compensation… ? Jamais… Mais qu’est-ce que je fais ? Si je la refuse ici, Helena ira directement se joindre chez les nobles…

S’il en parlait à la princesse Lupis, elle insisterait sans aucun doute pour que la question soit réglée par la loi, mais cela ne résoudra pas la rancune d’Helena. Son principe directeur était la vengeance. Certes, elle était loyale au trône de Rhoadseria, mais son ressentiment était plus fort que cela.

Si la faction des nobles s’approchait d’elle en premier et acceptait son prix, elle prendrait leur parti sans hésiter. Le plus important pour elle était de tuer Hodram de ses propres mains… Ou pire, selon toute probabilité.

Pas le choix… Je vais devoir en supporter le poids…

Ryoma se prépara. Il devrait accepter sa demande de vengeance sans consulter la princesse.

« Très bien… nous acceptons votre demande. »

« Quoi!? », s’exclamèrent Meltina et Mikhail, mais Ryoma les fit taire d’un regard.

Les négociations avaient le moyen de changer. S’ils demandaient du temps pour consulter la princesse, les intérêts d’Helena faibliraient. Ils devaient prendre leur décision ici.

« Êtes-vous sûr? Ne devriez-vous pas vérifier auprès de Son Altesse en premier? », demanda Helena avec conviction.

« Oui. Elle m’a confié le traitement de ces affaires et j’excède peut-être mon autorité… Mais je vais m’en occuper. Vous pouvez être sereine. »

Helena écouta ses mots puis le regarda fixement dans ses yeux. Elle ne lui pardonnerait pas s’ils trahissaient même un bout de mensonge. Mais après l’avoir observé pendant un moment interminable, l’expression d’Helena s’assouplit.

« Très bien. Je vais vous faire confiance, Seigneur Mikoshiba. »

Elle fit référence à Ryoma avec un titre respectueux pour démontrer sa confiance.

« Merci beaucoup, Lady Helena. »

« Alors, que dois-je faire pour aller de l’avant? Aider à diviser la faction des chevaliers? »

Ryoma réfléchit un instant à sa question.

« Je suppose que la grande question est de savoir combien de personnes sont mécontentes du général Albrecht. »

La réponse à cela pourrait changer les choses de manière significative. Bien sûr, étant donné sa personnalité hautaine, il était probable que peu de gens respectaient le général Albrecht du fond de leur cœur, mais cela ne voulait pas nécessairement dire qu’ils le détestaient.

Les inquiétudes de Ryoma s’avéreraient sans fondement.

« Eh bien, je crois qu’environ deux tiers d’entre eux sont mécontents de lui… au point d’être prêt à tuer pour ça. »

« Deux tiers !? »

Il n’avait pas pu retenir sa surprise à son évaluation.

Hodram n’aurait pas pu rester le chef de la faction tout ce temps si la majorité de ses membres étaient mécontents de lui.

« Il ne peut pas y en avoir autant, n’est-ce pas ? »

Helena répondit à sa question avec le sourire.

« Oui, je suppose que dans des circonstances normales, il n’aurait pas pu… Mais il y est parvenu. Il l’a fait en demandant aux chevaliers de s’observer mutuellement. »

« Que voulez-vous dire par là ? »

« En termes simples, il les encourageait à l’informer de leurs mouvements respectifs. »

Il y avait des pays dans le monde de Ryoma qui utilisaient aussi cette tactique. La sphère communiste l’utilisait largement avant l’effondrement de l’Union soviétique, et il y avait encore des gouvernements qui comptaient sur elle pour maintenir leur pouvoir.

En termes simples, il s’agissait d’un système qui encourageait la trahison parmi les gens. En échange du signalement de toute dissidence de la part d’un collègue ou d’un membre de la famille, ils seraient récompensés par un mouvement ascendant dans leur entreprise ou leur société, ou par des récompenses monétaires.

Il avait tendance à semer la méfiance. Naturellement, tout le monde avait tendance à se plaindre de ne pas aimer sa vie actuelle. D’une manière ou d’une autre, il n’y avait probablement pas une personne en vie qui n’était pas mécontente de son train de vie.

Mais que se passerait-il si quelqu’un entendait cette plainte et que celui-ci allait le dénoncer afin d’être tué ? On garderait son cœur fermé à ses collègues et amis, et même à sa propre famille.

« Je vois… Dans ce cas, il serait facile de les faire changer de camp. »

Aussi ferme que soit ce système, son principal défaut résidait dans sa fragilité, même une seule personne ayant le courage de résister le ferait s’effondrer. L’appeler à la fois ferme et fragile était peut-être une expression étrange, mais elle était pertinente.

Le problème principal était que les gens avaient du mal à faire preuve de ce courage au départ. Tout le monde était anxieux, mais personne n’osait parler, car cela mettait sa vie en jeu. C’était ce qui rendait le système solide.

Mais que se passerait-il si une personne partageait ses angoisses avec une autre ? Bien sûr, il faudrait choisir à qui on le dirait avec sagesse, mais il était fort probable qu’ils partageraient ces angoisses avec quelqu’un un jour ou l’autre. Ce faisant, ils s’agiteraient davantage, ce qui provoquerait le débordement de leur mécontentement et leur ferait atteindre le point de rupture. Et une fois qu’ils en seraient arrivés là, personne ne pourrait les arrêter. L’anxiété refoulée éclaterait d’un seul coup, comme la lave d’un volcan en activité.

La personne la plus apte à lancer la première étincelle dans ce baril de poudre était assise juste devant lui. Le héros admiré de Rhoadseria serait l’appât, ce qui ferait sûrement jaillir les flammes du mépris.

Meltina et Mikhail, aussi lents soient-ils, ne comprenaient pas bien les implications, mais Ryoma pouvait facilement l’envisager.

« Très bien. Je vous en laisse l’exécution. À une condition… assurez-vous de nous tenir au courant de la situation. »

« Oui, vous pouvez compter sur moi à cet égard. Aussi vieille que je sois, je suis toujours un ancien général. »

Helena acquiesça de la tête, pour répondre à la confiance que Ryoma lui accordait.

« Puis-je vous demander une seule chose ? » demanda Ryoma à Helena alors qu’elle se levait et se préparait à partir.

« Mon Dieu, n’êtes-vous pas tout d’un coup réservée. Qu’est-ce que c’est ? »

Il savait que ce serait délicat, mais il ne pouvait s’empêcher de le demander.

« Votre fille… »

Helena se tut à la demande de Ryoma. Il semblerait que c’était un sujet sur lequel elle ne voulait pas parler. Ryoma regretta immédiatement son manque de réflexion.

« Ma fille… a été violée et ravagée cruellement peu après son enlèvement, et a été poussée à la folie… Puisqu’elle n’était pas à vendre… ce marchand d’esclaves l’a tuée. »

« Je suis vraiment désolé. Je n’aurais pas dû demander. »

Ryoma ne pouvait que baisser la tête devant les mots qu’Helena crachait.

Il s’en doutait déjà, mais entendre ces paroles de la bouche du parent endeuillé était extrêmement pénible.

Je suis une telle idiote… J’aurais mieux fait de ne rien lui demander…

Il l’avait demandé par pure curiosité, mais il aurait été tout de même mieux de ne pas l’avoir dit.

« C’est bon… Ne vous inquiétez pas pour ça. Mais… c’est pour ça que je ne peux pas laisser tomber… Quoi qu’il arrive ! »

Ryoma ne pouvait que rester immobile, sans mot dire. En quittant la pièce, Helena pouvait clairement voir les flammes de la haine tourbillonner violemment dans sa foulée.

***

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