Chapitre 3 : La déesse blanche de la guerre
Partie 2
« C’est exactement comme vous l’avez dit, comte. Mais y a-t-il quelqu’un d’autre que ces deux-là qui puisse diviser les forces de la faction des chevaliers ? Ils n’écoutent même pas ce que la faction des nobles a à dire. »
Les paroles de Ryoma incitèrent le comte Bergstone à se taire dans l’expectative. Comme l’avait fait remarquer Ryoma, les chevaliers considéraient les nobles clairement comme des ennemis. Et comme les nobles pensaient exactement la même chose des chevaliers, c’était devenu un grand facteur de restriction dans des moments comme celui-ci.
Même si Bergstone venait personnellement pour tenter de les convaincre, la plupart des chevaliers refuseraient très probablement par sentimentalisme. Au pire, ils pourraient même ne pas se présenter aux négociations. À cet égard, malgré leur manque d’aptitude à la négociation et à la persuasion, Meltina et Mikhail avaient au moins de meilleures chances de ne pas se voir refuser l’entrée.
Après un long silence, le comte Bergstone ouvrit les lèvres pour parler.
« Je vois… Oui, je comprends ce que vous essayez de dire, Seigneur Mikoshiba. Je ne vois personne de plus approprié que ces deux-là… »
Il savait très bien que cette tâche dépassait les capacités de Meltina et de Mikhail, mais il avait besoin de quelqu’un de digne de confiance pour mener les négociations avec la faction des chevaliers, de préférence une personne ayant un certain degré de popularité.
Tous deux étaient extrêmement loyaux envers la princesse Lupis et avaient leurs propres réalisations respectives en tant que vice-capitaines de la garde royale et comme l’une des épéistes les plus prometteuses du pays. Plus importants encore, ils étaient descendants de familles de chevaliers qui avaient servi depuis la fondation du royaume.
Capacités, confiance et gloire. Personne d’autre qu’eux ne remplissait ces conditions préalables dans la faction de la princesse, qui était déjà désavantagée par le nombre. Il n’y avait personne d’autre à choisir, et Ryoma ne pouvait utiliser efficacement que les effectifs dont il disposait.
« Mais quand on considère l’état d’après-guerre, laisser à ces deux-là le soin de s’occuper de ça me préoccupe un peu… »
Ils hochèrent la tête en silence en entendant le comte Zeleph. En termes de compétences individuelles, Meltina et Mikhail avaient certainement ce qu’il fallait, mais un commandant de soldats ne pouvait pas nécessairement diriger d’autres généraux. Du point de vue de Ryoma, il doutait même de leur capacité à commander des soldats normaux.
« C’est mauvais… À ce rythme, au moment où nous renverrons le général Albrecht, les pays voisins tourneront leur regard vers nous. »
Le comte Bergstone secoua la tête en soupirant.
« Xarooda et Myest sont une chose, mais Tarja au sud-est particulièrement dangereux. Nos escarmouches avec eux à la frontière sud ont été incessantes. »
« Elnan… si je me souviens bien, la femme du général Albrecht est la fille d’un noble tarjien influent. »
Le comte Zeleph examina les paroles du comte Bergstone et hocha la tête.
« Oui, si je me souviens bien, c’était sous les ordres de l’ancien roi. »
Les mariages politiques étaient souvent célébrés entre membres de familles royales de pays différents. Mais dans les cas où ils n’étaient pas majeurs, où le couple était trop incompatible ou s’il n’y avait pas de célibataire à offrir, quelqu’un d’une autre lignée influente était envoyé comme représentant à la place.
« Dans ce cas, nous devrions considérer le fait que le général Albrecht puisse mourir. Dans le pire des cas Tarja pourrait ouvrir des hostilités contre nous… » continua Bergstone, soupirant à nouveau fortement.
La situation semblait s’aggraver au fur et à mesure que l’on y pensait, et le temps passait.
« Peut-être devrions-nous simplement considérer que ces deux-là ne sont peut-être pas faits pour servir comme généraux. Bien sûr, il y a toujours une chance qu’ils puissent jouer leur rôle, mais cela prendrait du temps… Et c’est quelque chose qui nous manque. »
« Mais n’y a-t-il personne d’autre à qui nous pouvons confier ce rôle ? Est-ce que l’un de vous a une idée ? »
Les paroles de Ryoma poussèrent le duc Bergstone au silence. La conversation était repartie à zéro. C’était comme une boucle de moebius, un labyrinthe sans issue.
Les ambitions du général Albrecht constituaient un obstacle de taille qu’il fallait lever pour faire de la princesse Lupis la souveraine de Rhoadseria. Mais s’ils se débarrassaient d’Albrecht, ils seraient attaqués par les pays voisins s’ils n’avaient pas quelqu’un qui pourrait prendre sa place et unir les chevaliers.
Mais il était évident pour eux que Meltina et Mikhail, les aides les plus dignes de confiance de Lupis, étaient inaptes à diriger. Même s’ils avaient le potentiel pour le faire, ils n’auraient réussi à retirer l’opposition de la faction des chevaliers qu’environ après un mois d’efforts.
Un profond silence tomba sur la pièce. Mais finalement, le comte Zeleph l’avait cassé.
« Je crois que je connais peut-être une personne qui pourrait convenir… »
Ryoma et le comte Bergstone échangèrent leurs regards. Il semblait que Bergstone manquait lui-même d’idées.
« Qui ça pourrait être, Elnan ? »
Le comte Bergstone tourna les yeux vers le comte Zeleph, la tête penchée.
« Vous n’êtes pas au courant, beau-frère ? »
Le comte Zeleph répondit à l’expression douteuse du comte Bergstone par un murmure. « Lady Helena Steiner. »
« Elnan... Vous êtes sérieux ? Elle est… »
La voix du comte Bergstone fut inondée de surprise, c’était sûrement le dernier nom qu’il s’attendait à entendre.
La femme assise sur le canapé, sirotant élégamment une tasse de thé, semblait avoir une cinquantaine ou une soixantaine d’années. Ses cheveux ondulés, d’une nuance dorée avec de petites taches blanches, avaient probablement été très beaux dans sa jeunesse. Ses vêtements étaient faits de soie élégante et bien faite, mais ils n’étaient pas du tout voyants.
Elle avait l’air d’être une roturière légèrement aisée. Du moins, c’était l’impression que Ryoma avait eue de la femme assise devant lui.
Elle s’appelait Helena Steiner. C’était celle qui avait servi comme Général du Royaume de Rhoadseria une douzaine d’années auparavant. C’était le prédécesseur d’Hodram Albrecht.
Alors, comment puis-je en parler… ?
Ryoma fixa ses yeux sur le visage d’Helena, tandis qu’elle lui souriait calmement.
« Je… Je dois vous remercier d’être venu nous rencontrer aujourd’hui ! »
Meltina réussit à bégayer, s’inclinant devant elle à plusieurs reprises tout en trébuchant sur ses paroles.
Elle devait être très excitée, car son salut était loin d’être digne. Son visage était très rouge et ses épaules étaient raides comme une planche à cause de la tension.
« Dame Helena… C’est vraiment un grand honneur d’être honoré de votre présence aujourd’hui. »
Mikhail avait suivi son exemple, inclinant la tête respectueusement devant Helena, assise sur le canapé.
Heureusement, Mikhail n’avait pas trébuché sur ses paroles. Il parla plutôt avec un ton courtois, dépourvu de toute trace de son orgueil habituel.
Je suppose qu’ils n’auront pas le loisir de se mettre le sujet principal sur la table s’ils sont aussi nerveux…
Tandis qu’il portait sa tasse de thé sur ses lèvres, Ryoma regarda les deux avec un regard frais, car ils agissaient de façon tout à fait inhabituelle. Cela dit, on ne pouvait pas leur reprocher d’être nerveux, car Helena Steiner était littéralement une légende vivante dans le royaume de Rhoadseria.
Dans la semaine qui s’était écoulée depuis que le comte Zeleph avait mentionné son nom, Ryoma avait recherché des informations concernant Helena Steiner. Bien que cela n’avait pas exigé beaucoup d’efforts de sa part, car on ne se tromperait pas s’ils prétendaient qu’un citoyen qui n’avait pas entendu parler d’elle n’existait pas dans le Royaume de Rhoadseria. N’importe quel enfant dans la rue pouvait raconter ses exploits.
Les récits d’Helena, qui avait gravi les échelons jusqu’au grade de général malgré son passé de roturière, étaient aussi nombreux que connus. Son plus grand exploit héroïque fut la bataille des plaines de Notis.
Il y a trente ans, l’Empire d’O’ltormea commença une invasion du royaume de Xarooda, soutenu par son importante puissance nationale et stimulé par son ambition d’unir le continent occidental. Avec seulement un tiers du territoire de son ennemi, et avec l’Empire qui tenait le centre du continent, Xarooda n’avait d’autre choix que de demander l’aide de ses voisins pour repousser l’invasion.
Rhoadseria choisit d’accepter cette demande. Il envoya quatre ordres de chevaliers, soit dix mille troupes d’élite au total pour venir à leur aide. Et le général qui dirigea cette force était Helena Steiner. Aux côtés du Général Vereness du royaume de Xarooda, ils s’installèrent dans les plaines de Noctis, en pariant sur une contre-attaque nocturne contre les forces O’ltormea, repoussant ainsi l’invasion.
Le commandant O’ltormea tomba lors du raid, Xarooda ne tomba finalement pas sous le contrôle d’O’ltormea. Ce faisant, Helena était perçue comme une héroïne patriotique.
« Heh heh… Il n’y a pas besoin d’être aussi nerveux. Prenez du thé et calmez-vous, et pour l’amour de Dieu, Mikhail, asseyez-vous. »
Helena offrit une tasse de thé à Meltina et pressa Mikhail, qui était resté debout, de s’asseoir sur le canapé.
« Oui ! Je vous demande humblement pardon ! »
Comme on le lui demandait, Meltina remua son thé et, l’instant d’après, se pencha vers l’avant pour porter la tasse sur ses lèvres.
Mais comme le thé était encore fumant et qu’elle essayait de le boire sans se soucier de la température, elle avait failli se brûler les lèvres dessus.
« Eh bien, ne nous occupons pas d’elle pour le moment… Lady Helena, merci d’être venue nous rencontrer aujourd’hui. »
Ryoma fit avancer la conversation, ignorant consciemment Meltina, qui pleurait maintenant à cause de son erreur passée.
« J’ai été assez surprise quand j’ai reçu votre lettre l’autre jour. Cela fait après tout plus de dix ans que j’ai pris ma retraite en tant que chevalier… »
« Je vous remercie encore une fois d’avoir prêté l’oreille à notre demande scandaleuse d’audience. »
Ryoma avait de nouveau exprimé sa gratitude.
« Eh bien, bien que retraitée, je ne pouvais pas m’empêcher de venir et de respecter une lettre de Son Altesse, la princesse Lupis elle-même », déclara Helena, un sourire léger se répandant sur ses lèvres.
« Oui, en effet. Si vous le dites, ça valait alors le coup d’avoir fait que la princesse vous écrive une lettre personnellement. »
Les paroles de Ryoma firent que Helena l’observe avec méfiance. Alors, il « avait » fait écrire une lettre à la princesse d’un pays, hein…
« Maintenant que j’y pense, je ne crois pas connaître votre nom », dit Helena. Ryoma semblait avoir piqué son intérêt.
« Oh, mes excuses. Je m’appelle Ryoma Mikoshiba. »
« Non… »
Le visage d’Helena se remplit de surprise.
« Je vois. Vous… ne m’avez pas vraiment donné l’impression d’être un tacticien. »
C’était une réaction naturelle, l’imposante musculature de Ryoma lui donnait définitive l’apparence d’un homme costaud. À cause de cela, la première impression que l’on aurait serait que c’était le type qui résoudrait les problèmes avec ses poings, plutôt que sa tête.
« Êtes-vous au courant pour moi ? »
Ryoma inclina la tête devant sa réaction surprise.
« Eh bien, bien sûr que je le sais. Je suis peut-être à la retraite, mais j’aime profondément ce pays. Je suis au courant de la plupart des problèmes qui se posent à Rhoadseria. Même dix ans plus tard, à ce jour, il y a encore des gens qui se souviennent de moi… Et ils me rapportent souvent de tels événements. »
Un coup d’œil sur le visage d’Helena fit comprendre à Ryoma qu’elle restait en contact avec des gens de la faction des chevaliers.
Je vois… Je suppose que c’est approprié venant d’un ancien général comme vous. Cela nous évite d’avoir à tout expliquer… C’est une véritable aubaine.
merci
Merci pour votre travail 😁
Merci pour le chapitre.