Chapitre 1 : Assaillant
Partie 1
Trois personnages se déplaçaient dans la forêt sombre, essayant d’étouffer leurs pas au fur et à mesure qu’ils avançaient. Il s’agissait de la zone forestière qui s’étendait au nord de Pherzaad, la plus grande ville commerciale du continent occidental. Cet endroit était loin de la route principale, à plusieurs jours du village le plus proche.
Je n’aurais jamais pensé que les techniques que grand-père m’a enseignées seraient utiles ici…
Se frayant un chemin à travers les arbres tout en essayant de cacher sa présence du mieux qu’il le pouvait, cette pensée traversa l’esprit de Ryoma quand il sentit la présence des sœurs Malfist dans son dos.
Les arts martiaux japonais anciens étaient un ensemble complet et systématique de techniques développées pour assurer la survie des soldats sur le champ de bataille, et ne se limitaient pas simplement aux méthodes pour tuer l’ennemi. Ils enseignaient aussi comment atténuer sa présence et sentir la présence des autres, ce qui était impératif pour le scoutisme, comment nager en portant une armure et un casque, quelles herbes indigènes pouvaient être utilisées en médecine et autres techniques nécessaires à la survie.
À l’époque, je n’arrêtais pas de me demander quand j’allais mettre ces compétences à profit. C’était plutôt ironique… Des compétences qui étaient inutiles au Japon sont devenues tellement plus significatives une fois que j’ai été convoqué ici.
Quand les gens entendaient les mots « anciens arts martiaux japonais », les premières choses qui venaient à l’esprit étaient le jujitsu et le kendo, et ces associations n’étaient techniquement pas incorrectes. La plupart des courants d’arts martiaux qui avaient persisté depuis l’époque des États guerriers jusqu’à l’ère moderne s’étaient systématisés et finirent par devenir spécialisés et raffinés pour un monde pacifique.
Par conséquent, le jiu-jitsu et l’art du sabre avaient été sublimés respectivement en judo et en kendo, éliminant ce qui était jugé inutile dans le processus. Il y avait beaucoup de techniques qui, bien qu’écrites dans le manuel, n’étaient pas pratiquées par la plupart des gens.
Mais même à cette époque, le grand-père de Ryoma Mikoshiba lui avait enseigné toutes les traditions familiales transmises depuis l’Antiquité, sans en oublier une seule, et parmi elles, il y avait des compétences qu’on ne pouvait pas, ou plutôt ne pouvait pas, mettre à profit à l’ère moderne.
Cette méthode de marche que Ryoma avait transmise aux jumelles Malfist était une de ces techniques qui avait été perdue à travers les âges. Marcher en étouffant le bruit de ses pas était une technique évidente pour ceux qui passaient leur vie dans la forêt et qui vivaient de la chasse. Ne pas le faire entraînerait non seulement l’évasion de proies, mais mettrait aussi sa vie en danger.
Cela dit, à l’ère moderne, où la plupart des gens vivaient en ville, cette technique n’était probablement utilisée que par les Matagi, la petite population de chasseurs autochtones qui vivaient dans la région de Tohoku, ou par ceux qui suivaient une formation spéciale de guérilla dans l’armée.
Quoi qu’il en soit, ces techniques de survie en forêt avaient été jugées inutiles dans la vie moderne. La nature, cependant, était différente. Elles étaient peut-être inutiles au Japon, l’un des pays les plus développés du monde de Ryoma, mais elles étaient immensément utiles sur cette Terre, qui avait de nombreuses régions qui n’étaient ni développées ni impactées par l’homme.
Ces compétences étaient inutiles pour la vie au Japon, mais ici dans ce monde, elles lui servaient de bouée de sauvetage, et Ryoma n’avait pas pu s’empêcher de prendre un air d’autodérision devant l’ironie de tout cela.
Debout en tête, Ryoma s’arrêta soudainement et leva la main droite.
C’est devant nous… Comme toujours, j’agirai comme appât et attirerai son attention. Vous deux, vous chercherez une opportunité pour lui tomber dessus… Allez !
Sans se retourner, Ryoma fit signe en silence aux sœurs Malfist, puis s’accroupit et sortit un chakram d’un de ses sacs en cuir. Suivant son signal, les présences des sœurs disparurent derrière lui.
C’était leur tactique pour obtenir une victoire certaine, une tactique qu’ils avaient déjà pratiquée et qu’ils avaient déjà réussie un nombre incalculable de fois. Au bout de la ligne de mire de Ryoma, une seule mante religieuse rôdait. Elle avait un corps mince et vert et deux faux massives à la place des mains. Mais une chose la distinguait du type de mante religieuse que Ryoma avait l’habitude de voir, sa forme massive mesurait cent quarante centimètres de haut.
Une mante géante.
Infamement connu sous le nom de Bouchère des Bois, c’était un type de monstre redouté même par les aventuriers chevronnés. Dans l’ancien monde de Ryoma, les mantes religieuses ne dépassaient jamais une douzaine de centimètres, mais celle qui se tenait devant lui semblait maintenant se moquer ouvertement de l’idée du bon sens.
Ryoma ne pouvait voir que son dos de là où il se tenait, mais la grande mante semblait actuellement occupée à manger. La moitié inférieure coupée d’un loup gisait à ses pieds.
En pliant son corps comme un arc, Ryoma lança le chakram, qui traversa le vent et s’envola vers la mante religieuse. Malgré des yeux composés capables de voir dans toutes les directions, elle n’était toujours pas capable de capter la vue d’un chakram qui volait dans l’air dans cette forêt épaisse.
L’instant d’après, le chakram s’enfonça profondément dans le dos sans défense de la grande mante. Il ne savait pas si cette chose pouvait ressentir de la douleur, mais la grande mante se retourna sans même émettre un gémissement d’agonie, jetant la carcasse qu’elle portait dans ses pattes avant, et faisant face à Ryoma, ses ailes s’étendant pour intimider celui qui lui faisait obstacle pendant son repas.
Ses yeux semblaient inorganiques et froids, des yeux sans émotion, en forme de perles de verre, comme ceux d’un insecte. Mais Ryoma pouvait dire qu’elle était furieuse d’avoir été attaquée et blessée par surprise.
C’est vrai. Garde les yeux fixés sur moi, mon grand ! Ton ennemi est juste là.
Tenant ses pattes avant devant son visage comme un boxeur, la grande mante s’approcha tout en resserrant sa défense, à la recherche d’une ouverture.
Sa bouche aiguisée était teinte en rouge avec du sang de loup, et ses deux faux en forme de scie brillaient dans l’attente du sang d’une nouvelle proie.
Le prendre par l’avant est impossible…
Ryoma jeta deux autres chakrams avec l’intention de la garder sous contrôle, mais la mante les détourna avec ses pattes avant. C’était vraiment des armes menaçantes, capables de déchirer des proies en morceaux, et pourtant les chakrams forgés de fer n’avaient aucun effet.
Ryoma avait silencieusement dégainé son épée, la tenant sous son côté droit tout en cachant la lame derrière son dos.
Une position de flanc.
C’était une position qui permettait de s’adapter ad hoc en observant les mouvements de l’adversaire. Et Ryoma n’avait pas détourné son regard de la mante pendant un instant. Parce que s’il détournait les yeux ne serait-ce qu’une seconde, la grande mante couvrirait d’un seul bond les dix mètres qui les séparaient et l’attaquerait. Les animaux et les insectes se ruaient sur leurs ennemis dès qu’ils voyaient une ouverture.
Bon garçon… Reste concentré sur moi !
Leurs regards ne restèrent connectés qu’une dizaine de secondes. Toujours sur le flanc, Ryoma avait parcouru la distance d’un bond et la mante avait balancé ses pattes avant comme si elle relevait le défi. Voltigeant de ses ailes, son corps vert s’éleva dans les airs.
Une masse violente s’écrasa sur le corps de Ryoma. Ses muscles tempérés gonflèrent, s’opposant à l’armature massive de la grande mante. Son visage était rougi par l’effort et sa respiration s’était arrêtée dans sa gorge. La mante n’arrêtait pas de presser vers le bas, dans l’intention d’écraser Ryoma.
L’épée et les faux s’étaient verrouillées et poussèrent l’une contre l’autre. Si Ryoma devait relâcher ses forces ne serait-ce qu’un instant, il serait immédiatement projeté contre le sol. Étant instinctivement conscientes de cela, les pensées de la grande mante étaient entièrement fixées sur l’achèvement de la proie sous ses yeux. Et cela rendrait insignifiante la large portée de ses yeux composés.
Sa conscience était entièrement concentrée sur Ryoma, ne sachant pas que cela ne ferait qu’accélérer son voyage vers la tombe, la grande mante s’approcha lentement du visage de Ryoma, ouvrant ses mâchoires pointues en même temps.
« Maintenant ! »
Avec le cri de Ryoma en guise de signal, les sœurs Malfist sautèrent des buissons, leurs lames sifflant dans les airs alors qu’elles descendaient en piqué sur la mante.
Le prana des sœurs Malfist coulait vers leur premier chakra, le chakra Kundalini1 situé dans le périnée, remplissant leur corps d’une force surhumaine. Leurs lames étaient dirigées vers les quatre pattes postérieures supportant le buste massif de la grande mante.
Même cette créature, qui se vantait de sa vitalité et de son agilité, n’aurait pas pu bloquer une attaque-surprise des deux côtés, et les frappes des sœurs, renforcées par une magie martiale, avaient creusé dans ses articulations et les avaient sectionnées.
« Sara, continue de lui couper les autres jambes. Laura, vise son torse ! »
Coupant les pattes avant de la mante, qui s’était effondrée parce qu’elle avait perdu la capacité de supporter son propre poids, Ryoma recommanda la prudence. C’est au moment où l’on avait le plus confiance en sa victoire qu’on était le plus vulnérable.
Ryoma était déterminé à en finir avec la vie de l’ennemi. Certains pouvaient qualifié cela de lâcheté anormale, mais Ryoma savait instinctivement que ceux qui n’en avaient pas ne pourraient jamais survivre dans ce monde.
« Tuons-la d’un seul coup ! », cria Ryoma, voyant les jambes coupées de la mante se contracter sur le sol au bord de son champ de vision.
« Ces enfoirés tenaces ont la mauvaise habitude de ne pas rester morts quand ils le devraient ! »
Quel que soit le monde, les insectes avaient la plus grande vitalité de tous les êtres vivants. Même avec leurs têtes envoyées en l’air, ils étaient capables de se battre continuellement jusqu’à ce que leurs signes vitaux soient complètement disparus.
Cela dit, il faudrait qu’il arrive quelque chose de vraiment inattendu pour renverser la victoire de Ryoma. Même avec une épée plongée dans son corps, la mante aurait riposté sans relâche, mais ayant perdu ses membres en forme de faux qui lui servaient d’arme principale, elle avait perdu ses moyens de riposter.
Il était temps d’en finir. Ryoma plongea son épée dans la tête de la mante, aggravant sa blessure. Au début, la mante se débattait désespérément, mais ses mouvements s’émoussèrent peu à peu jusqu’à ce que son grand corps devienne complètement immobile.
Quel sentiment ! Je n’avais jamais pu goûter à ça dans ma vie paisible au Japon… Mais…
Un échange de vies. Ryoma regarda les restes de la mante, un sourire sauvage sur ses lèvres. Il s’était senti si vivant, comme s’il était en train de se prélasser dans la lueur d’un moment exaltant. C’était la preuve que Ryoma Mikoshiba s’adaptait à ce monde.
Mais d’un autre côté, Ryoma avait l’impression qu’il y avait une partie de son cœur qui ne voulait tout simplement pas partir.
Qu’est-ce que je vais faire à partir de maintenant ?
Le plaisir et le néant étaient dos à dos. Avec ces deux émotions contradictoires dans le cœur, Ryoma commença à démembrer habilement sa proie.
Après avoir quitté Mireish, Ryoma et son groupe s’étaient dirigés vers le royaume de Myest, où Pherzaad, le plus grand port de commerce du continent occidental, attendait.
Selon le livre qu’ils avaient emprunté à Annamaria, Ryoma avait appris que la possibilité qu’il avait de retourner au Japon était essentiellement proche de zéro. Il avait donc décidé d’abandonner l’idée de trouver un moyen de revenir chez lui, il se concentra plutôt sur sa survie dans ce monde.
Aucun pleur ne changerait la situation, et une fois qu’il s’en était rendu compte, le cœur de Ryoma avait subi un grand changement. Ce changement avait été profondément influencé par la grande dévotion et l’affection des sœurs Malfist pour Ryoma.
Pourtant, s’il vivait dans ce monde, il aurait besoin d’un but ou d’un objectif. S’il était un héros appelé à sauver le monde, les choses seraient plus simples et son objectif serait rendu évident assez tôt. Mais en l’état, Ryoma n’avait aucune raison d’en parler.
Bien sûr, même si l’environnement dans lequel il vivait avant d’être appelé sur cette Terre était un peu inhabituel, il avait une vie de lycéen assez normale, et il avait naturellement des rêves et des aspirations comme tout le monde.
Mais ces aspirations se limitaient au cadre de vie au Japon, et dans cette Terre, inférieure au Japon en termes de développement culturel et sociétal, ce n’était que des rêves irréalisables.
S’il devait penser à un seul but, ce serait de se venger de l’empire d’O’ltormea, qui l’avait convoqué sur cette Terre. Mais il avait déjà tué celui qui l’avait convoqué directement, Gaius, et n’avait pas le pouvoir de se venger du pays lui-même. Et même si, sur le plan individuel, il tuait l’empereur, il ne tuerait pas le système qui faisait fonctionner cet empire.
Notes
Merci pour le chapitre.
Je signale un mot en double : et parmi elles, il y avait des compétences qu’on ne pouvait pas, ou plutôt ne pouvait (voulait ?) pas, mettre à profit à l’ère moderne.