Une vie en prison est facile pour une Vilaine – Tome 1 – Chapitre 6

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Chapitre 6 : La jeune demoiselle entend quelque chose de merveilleux

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Chapitre 6 : La jeune demoiselle entend quelque chose de merveilleux

Partie 1

C’était arrivé quelques semaines avant que Rachel ne soit jetée dans le donjon.

Alors qu’il balayait la porte cochère le soir, le gardien de la maison ducale de Ferguson vit revenir un carrosse. Il appela à l’intérieur en disant : « La jeune demoiselle est revenue ! »

Les serviteurs s’empressèrent de l’accueillir, et le garde-barrière courut à son poste. Il ouvrit à peine les portes que le carrosse portant les armoiries de la famille passa sans ralentir. Rachel, la fiancée du prince héritier et future reine du pays, revenait tout juste de ses leçons particulières au palais.

Les serviteurs, menés par le majordome et la femme de chambre en chef, se tenaient de part et d’autre du hall, la tête baissée. Rachel marchait, souriante. Et lorsque le majordome lui demanda comment s’étaient passées ses études, elle lui donna alors une brève auto-évaluation, puis elle déclara à la femme de chambre qu’elle prendrait le dîner deux heures plus tard, comme elle en avait l’habitude.

Rachel monta le grand escalier, saluant joyeusement chacune des servantes et des domestiques qui la saluaient, et se dirigea vers sa chambre, où elle s’effondra promptement sur le lit.

« Oh… Je suis épuisée. »

Sofia et ses autres servantes personnelles la déshabillèrent sans mot dire, ignorant les plaintes de leur maîtresse. Ses leçons au palais étaient apparemment assez difficiles, comme en témoignait la façon dont elle s’effondrait toujours dès qu’elle rentrait chez elle. Pendant les deux heures qui suivirent, les préposés de Rachel s’en occupèrent, lui firent prendre un bain et la rendirent présentable pour le dîner avec le duc.

Le fait qu’elles étaient capables de rendre leur maîtresse complètement nue alors qu’elle était encore allongée sur le ventre pouvait paraître incroyable, mais ces servantes étaient effectivement capables de le faire. Depuis que Rachel avait commencé à prendre des leçons au palais, elles avaient travaillé dur pour perfectionner leurs talents afin de la soutenir. Elles pouvaient facilement enlever ses vêtements pendant qu’elle était allongée afin d’alléger le fardeau de leur maîtresse. Il n’y avait personne pour poser des questions parfaitement logiques, comme « Ne pourraient-elles pas la déshabiller quand elle est debout ? ». Ce que Rachel choisissait de faire était prioritaire.

Une fois que les servantes finirent de la déshabiller, elles étendirent un drap fin sur elle et se retirèrent. Sofia s’avança alors et utilisa ses index pour masser rapidement tout le corps de Rachel, de la tête aux pieds.

En se basant sur la tension des muscles de Rachel, Sofia demanda : « C’était quatre heures de cours assis, et deux heures de danse, suivies par… les manières de table, et une inspection des environs, correct ? »

Le visage toujours enfoui dans son oreiller, Rachel réussit habilement à secouer la tête.

« Non. C’était trois heures de conférences assises, deux de danse, une de marche, et deux sur la façon de regarder élégamment une pièce de théâtre — ainsi que l’apprentissage des bonnes manières pour un événement social auquel ne participent que des dames. Tout cela m’a laissé les épaules raides. »

« Comment regarder élégamment une pièce de théâtre ? », demanda Sofia.

« Tu te pavanes pompeusement tout en regardant attentivement la scène avec un sourire. Ou du moins, tu en donnes l’impression. Ces sorcières m’ont fait m’entraîner en regardant une scène vide pendant qu’elles me disaient que ma posture était mauvaise et que je devais montrer la dignité d’un roi. Puis elles m’ont dit que mes yeux étaient morts et qu’il fallait les faire briller d’hilarité. Il est certain que personne ne peut être passionné par une scène sans interprètes. »

« D’un point de vue extérieur, cela semble être une leçon idiote. »

« Du point de vue d’une initiée, c’est stupide. »

Au signal de Sofia, huit autres servantes entourèrent Rachel. Puis Sofia la réconforta en disant : « Oh, ma pauvre. Laissez-nous faire tout ce que nous pouvons pour soulager ton corps fatigué, jeune demoiselle. »

« Je sais que je dis toujours ça, mais allez-y doucement avec moi… »

« Certainement », dis Sofia en hochant la tête.

Elle regarda alors les autres servantes et ordonna : « Aujourd’hui, je veux que vous vous concentriez sur les épaules, et la zone allant de ses tibias à la plante de ses pieds ! Elle semble assez raide, alors soyez minutieuses ! Tout le monde, c’est parti ! »

« Je vous ai dit d’y aller doucement avec moi, n’est-ce pas ? ! Gyaaaaaah ! »

Neuf servantes, dont Sofia, s’abattirent sur Rachel à l’unisson. Elles massaient et pressaient les points vitaux avec le plus grand zèle. Leur travail était également professionnel. Elles n’utilisaient pas seulement le bout de leurs doigts, mais aussi les secondes articulations, ainsi que des bâtons d’acupression. Elles travaillèrent sur tout son corps en même temps. En tant que chef des serviteurs personnels, Sofia a eu l’honneur de masser la zone la plus raide de Rachel, la plante de ses pieds.

« Haugh ?! Gwagh ! Engyaaaah ! Oww ! Ça fait maaaaal ! »

On disait souvent qu’un massage pouvait aider à trouver un sommeil réparateur, mais celui-ci n’avait rien d’aussi apprivoisé. C’était un assaut absolu sur le corps de Rachel. Les servantes la maintenaient au sol alors qu’elle se débattait dans la douleur, décontractant ses muscles de toutes leurs forces.

« Je sais que je demande ça à chaque fois, mais pourquoi devez-vous faire tout mon corps en même temps ?! », dit Rachel.

« Et j’explique à chaque fois que nous n’avons pas le temps de nous concentrer sur chaque point individuellement. Je suis désolée, mais c’est comme ça. »

« On dirait que ça te plaît beaucoup pour quelqu’un qui est désolé ! »

« Une petite pression de ma part fait bondir ma maîtresse de douleur. Comment ne pourrais-je pas être amusée ? », plaisanta Sofia.

« Si tu as des problèmes avec ta situation professionnelle, fais la grève, d’accord ?! »

« Nous faisons tout cela pour vous, jeune maîtresse. Oh, mon Dieu. Tes reins… »

« Agaaaaaah ! »

« Tu sembles assez épuisée », remarqua Sofia.

« Gyaaaah ! »

« Hmm, si ton yongquan te fait sauter autant, alors tes jambes doivent aussi être assez tendues. Lisa, Mimosa, faites particulièrement attention à son chengshan et à son zusanli. »

(NdT : points d’acupuncture situés sur le pied et la jambe)

« Oui, m’dame. »

« Arrêteeeeeeeeeeez ! »

*****

Elles portèrent délicatement leur maîtresse à demi conscientes jusqu’à la baignoire et la laissèrent mijoter à feu doux. Une fois que sa peau blanche comme neige prit une belle teinte rosée, elles la sortirent du bain, l’enveloppèrent dans un peignoir et lui firent un massage doux pour soulager les douleurs musculaires de la séance précédente. Une fois qu’elles lui donnèrent un verre de limonade froide à siroter, Rachel reprit finalement ses esprits.

« Jour après jour, j’assiste à des cours fatigants sur la façon d’agir en tant que reine, et puis ce tourment arrive comme faisant partie d’un décor. Ma vie est un enfer. Je n’aurais jamais dû me fiancer au prince. »

« Mais grâce à cela, nous pouvons nous amuser tous les jours », remarque Sofia.

« Évacuez le stress du travail en faisant du shopping ou en mangeant, c’est ça ? »

« Ce genre de choses est dur pour le portefeuille, et je préfère éviter les passe-temps qui me font prendre du poids. De plus, penses-tu qu’il existe un divertissement plus grand que les cris d’une jeune demoiselle aisée ? »

« Oui ? Il doit y avoir beaucoup de choses. »

Alors que Rachel s’installait, regardant les servantes préparer les vêtements et le maquillage qu’elle porterait pour le dîner, Sofia sortit pour elle un résumé des rapports de la journée.

« Il y a beaucoup de choses à noter, mais l’une d’entre elles est d’une grande urgence », l’informa Sofia.

« Oh, mon Dieu. Qu’est-ce que ça peut être ? Nos voies de transmission de messages secrets à travers le palais ont-elles été compromises ? »

Rachel prit une gorgée de limonade, hochant la tête alors que Sofia lui tendait silencieusement le rapport.

« Voyons voir… “E complote pour mettre fin à ses fiançailles avec le patron.” Hein ? »

Elle fit une pause, l’air abasourdi.

« Il est même dit, “Il a déjà pris sa décision et prend des mesures concrètes pour mettre en place un plan.” »

Alors que Rachel se taisait et fixait le papier, Sofia expliqua : « Nous avons déjà rapporté que la jeune fille d’un baron s’est installée au palais récemment, et que les hommes de main du prince se sont tous entichés d’elle. Il semblerait qu’ils aient finalement décidé de la faire reine. Ils vont donc prendre des mesures pour t’écarter de l’équation. Malheureusement, le jeune maître George est l’un d’entre eux. Pour preuve, il a participé à leur réunion, il n’en a pourtant fait aucune mention à la maison. »

Ayant terminé son explication, Sofia baissa la voix et demanda : « Que devons-nous faire ? ».

Si Rachel déplaçait ceux qui lui étaient fidèles, il serait simple de faire échouer les plans du prince, voire le prince lui-même. Les agents qu’elle avait formés avaient assez de pouvoir pour le faire.

Rachel rendit le papier à Sofia.

« Eh bien… Je pense que nous devons utiliser plus de mots codés. On sait que trop bien qui est le patron dans ce message, hein ? »

« Je suis terriblement désolée. Lorsque nous avons créé notre code, nous n’avions évidemment pas prévu une situation comme celle-ci. »

Sofia mit le rapport dans sa poche, regarda sa maîtresse les yeux tournés vers le haut, et demanda : « Alors, qu’est-ce qu’on fait ? »

« Hmm. C’est vraiment un développement inattendu… »

Alors que Rachel se taisait, fixant l’air devant elle, Sofia continuait à l’observer tranquillement.

Le prince Elliott, l’homme que la maîtresse bien-aimée de Sophia devait épouser, était séduisant et populaire, surtout auprès des jeunes filles. Mais il y avait un certain nombre de rumeurs désagréables à son sujet. S’il avait une histoire sombre, ce serait une chose, mais il était simplement enclin à des gaffes incroyables.

Cela n’irait pas.

Évidemment, c’était une chance qu’il soit beau, mais si ce qui se cachait derrière cet extérieur ne pouvait pas se mesurer à l’esprit prodigieux de Rachel, leur vie de couple se détériorerait rapidement. Il n’était pas rare que des petits nobles soient dans un mariage sans amour maintenu uniquement pour les apparences, mais si le couple en question était le futur roi et la future reine du pays… Eh bien, il ne fallait pas être un des serviteurs de Rachel pour voir le danger.

S’il était un simplet qui faisait tout ce que Rachel lui disait, les choses seraient encore gérables, mais l’incompétence d’Elliott était inacceptable. Les gens disaient que, malgré son ineptie, il était exceptionnellement orgueilleux. Si Rachel lui disait de faire ceci ou cela, il s’indignerait forcément et s’opposerait à elle sur tout, et même s’il n’avait aucun talent. En fait, d’après ce que Rachel, et ses agents qui s’étaient infiltrés dans le palais lui avaient dit, ce prince débraillé ne s’entendait pas avec Rachel à cause de sa conduite irréprochable. Lorsque Rachel lui disait de se reprendre, il s’énervait et refusait d’écouter ce qu’elle disait.

Penser qu’un simple prince puisse défier la jeune demoiselle…

Sofia ressentit une rage meurtrière pour cet impertinent royal qui aurait dû savoir rester à sa place. Dès que Rachel lui en donnera la permission, elle prévoyait d’arracher un à un les membres de ce prince stupide, sans talent, tricheur, insensé et ordurier.

Sofia, d’ailleurs, n’avait jamais rencontré Elliott. Son estimation de sa valeur était entièrement basée sur des rumeurs. Et bien qu’elle essayait d’être impartiale, quand quelque chose était au désavantage de sa jeune demoiselle, Sofia avait tendance à perdre la tête, mais seulement un peu. Elle pensait que c’était un de ses petits défauts.

***

Partie 2

Rachel posa son verre vide et se tourna vers Sofia.

« Alors, qu’ont-ils l’intention de faire exactement ? »

« Ils prévoient de te condamner lors de la fête du mois prochain qui ouvre la saison des événements sociaux. Et, après avoir déclaré tes fiançailles nulles et non avenues, la fille du baron prendra ta place. »

« C’est logique. Seuls les jeunes nobles seront là. Il n’aura pas à s’inquiéter que nos parents ou des politiciens influents interviennent pour l’arrêter. Cela doit être l’idée de George. », pensa Rachel.

« Tu le penses vraiment ? »

Rachel haussa les épaules : « Le prince Elliott viendrait juste me le dire le lendemain de sa décision, sans jamais prendre la peine de préparer le terrain. »

« C’est un sacré idiot », commenta Sofia.

« On dit que tous ses gènes sont allés exclusivement à son physique, ne laissant rien pour son cerveau. Quoi qu’il en soit, le roi et la reine seront absents, car ils vont inspecter la région minière du sud et tenir une conférence de haut niveau avec les dirigeants d’une principauté. Le moment était bien choisi, du moins pour quelque chose que George a inventé. »

« Pourrait-il y avoir un autre comploteur… ? »

« Les autres assistants de Son Altesse comprennent un homme avec des muscles à la place du cerveau, qui ne s’intéresse qu’à compter les calories, et sept ou huit lèche-culs que je n’ai jamais été capable de distinguer. »

« Même si tu n’étais pas impliquée, cette liste te rendrait inquiète pour l’avenir du royaume. »

« Ce doit être pour cela que Sa Majesté ne voulait pas qu’il prenne le pouvoir. »

En se levant du canapé, Rachel laissa son peignoir tomber sur le sol. Les servantes virent que sa peau n’était plus rougie et commencèrent à l’habiller avec des vêtements frais.

« Maintenant, Sofia, si je suis condamnée à cette fête et que la jeune fille du baron prend ma place en tant que fiancée du prince… que compte faire Son Altesse de moi après cela ? Il a l’intention de me condamner en public, il ne me fera donc pas poignarder quand il n’y a personne ? »

« Ces enfants pensent que leur plan va fonctionner, je doute qu’ils aient réfléchi aussi loin. Ils ont l’intention de te forcer à admettre que tu as brutalisé la fille du baron et à t’excuser. Puis, au retour de Sa Majesté, ils vous traîneront devant lui et vous feront avouer vos crimes pour que le changement de fiancée se passe en douceur. Cela semble être leur plan. »

« Laisser à mon père et à Sa Majesté la responsabilité de s’occuper de moi. Attends, ils n’ont donc pas pensé aussi loin ? »

« Précisément », confirma Sofia.

Rachel, à présent vêtue d’une simple robe à porter dans la maison, s’était assise sur un tabouret. Les servantes chargées de la maquiller drapèrent un foulard autour de son cou et commencèrent à lui poudrer le visage. Rachel préférait un maquillage léger, aussi n’en utilisaient-elles qu’une petite quantité. Elles avaient rapidement échangé les houppes de poudre contre des pinceaux et commencèrent à appliquer du rouge à lèvres.

« Il y a environ une semaine entre la fête et le retour de Sa Majesté, non ? Il ne leur est pas venu à l’esprit que même si je m’excusais docilement, je pourrais me rétracter une fois rentrée chez moi ? », demanda Rachel.

« Je ne peux pas t’imaginer t’excuser si docilement, jeune demoiselle. Mais… ils doivent supposer que s’ils font suffisamment d’efforts pour te dénoncer devant tout le monde à la fête, il n’y aura aucun moyen de revenir sur ce fait. »

« Tu ne peux pas l’imaginer ? Je te ferai savoir que je suis célèbre à la cour pour être une jeune femme douce et modeste. »

« Un loup est un loup même s’il ne hurle pas. Je ne peux que rire de la faiblesse de tous les membres de la société distinguée. Ha ha ha ha ha. »

Se souvenant d’une information qu’elle avait jusqu’ici négligé de dire à sa maîtresse, qui semblait pour une raison quelconque contrariée, Sofia rapporta : « Oh, c’est vrai. Au cas où tu refuserais obstinément d’admettre tes crimes, ils ont l’intention de te jeter dans le donjon jusqu’à ce que tu viennes pleurer auprès d’eux. »

Rachel la regarda d’un air absent.

« Le donjon… ? »

« Oui. Ils ont l’intention de t’enfermer dans le donjon. »

« Il y en a un dans le palais ? »

La surprise de Rachel était compréhensible. Quelque chose d’aussi sombre qu’un donjon de palais ne semblait pas à sa place dans ce royaume facile et paisible. Ce n’était pas comme si les nobles ne commettaient jamais de crimes, mais on n’avait jamais entendu parler d’un noble emprisonné à l’intérieur du palais.

« Je l’ai confirmé par moi-même après avoir reçu cette information. Le bâtiment qui fait face au jardin arrière, qui est utilisé pour le stockage ainsi que pour l’hébergement d’urgence des courtisans, contient une prison à moitié souterraine. Elle semble avoir été construite par le roi il y a sept générations afin qu’il puisse tourmenter les traîtres. »

C’était une relique de l’époque des conflits sanglants à la cour. En d’autres termes…

« Cela signifie qu’il date d’environ un siècle, non ? Est-il encore utilisable ? », demanda Rachel.

« La pièce n’a que des murs de pierre et des barres de fer. Tout l’intérieur a été enlevé, mais il semble que l’eau courante ait été conservée. Ou plutôt, elle fonctionne encore toute seule. En de très rares occasions, un fonctionnaire passe pour vérifier les installations. »

À ce stade, l’homme chargé de patrouiller dans la zone devait encore jouir d’une vie heureuse et ordinaire.

« Ils ne doivent pas avoir beaucoup de monde à mettre là-dedans. Je suppose qu’ils doivent avoir beaucoup d’espace supplémentaire dans le château. », remarqua Rachel

En regardant le rapport que Sofia lui avait remis, Rachel fut choquée par la taille du donjon qui y était esquissé. Si l’on en croit les dimensions, les deux pièces réunies faisaient à peu près la taille d’un court de tennis.

« Le donjon était destiné à emprisonner les membres importants de la noblesse. Ils ont peut-être été généreux dans leurs estimations de l’espace de vie nécessaire ? », expliqua Sofia

« Peut-être que les murs et les piliers ont été construits pour se conformer à la forme des étages supérieurs. »

On ne savait pas trop ce qui avait attiré l’attention de Rachel, mais elle commença à faire les cent pas en fixant le papier. La femme de chambre en charge des accessoires la suivait, essayant de passer le collier autour de son cou.

Rachel s’était arrêtée. La servante s’était empressée de lui remettre son bijou.

« Sofia, la fête en question a lieu dans trois semaines ? »

« En effet. », dit Sofia tout en penchant la tête.

Elle était sûre que Rachel était sur le point d’écraser les plans du prince des ordures, alors qu’est-ce que cela avait à voir avec le donjon ?

« Pourrais-tu me montrer le rapport sur les marchandises de la Compagnie du Chat Noir de tout à l’heure ? »

« Huh ? Oui, jeune maîtresse. »

Sofia était de moins en moins sûre de ce dont parlait sa maîtresse.

La Compagnie du Chat Noir était une façade pour les Chats Noirs de la Nuit, un groupe d’agents que Rachel entretenait pour elle-même, séparément de ceux de la maison ducale. Utilisant les affaires liées au commerce intérieur et extérieur comme couverture, la Compagnie du Chat Noir collectait des fonds pour ses activités et maintenait le contact avec un réseau de renseignement qui opérait partout. Bien sûr, même si la compagnie était une façade, Rachel avait construit l’organisation. Ils géraient leurs affaires correctement.

Rachel regarda la liste des produits récents, s’arrêtant pour parcourir attentivement certaines pages. Elle gardait normalement une expression faciale apathique et prudente, mais elle éclata en un sourire sincère quand elle déclara : « C’est bon… »

« Hein ? Qu’est-ce que… ? »

« Sofia. »

« Oui, jeune demoiselle. »

« Si mes fiançailles prennent fin à la fête, alors je ne serai plus la prochaine reine ? »

« Oui, c’est vrai, mais… Je ne vois pas Sa Majesté l’accepter. Je n’ai jamais rencontré l’homme moi-même, mais il ne peut pas être aussi stupide que son fils. »

C’était un sérieux crime de lèse-majesté là, Mlle Sofia, pensa Rachel. Non pas que cela la dérange.

« Ce n’est pas un problème. Il ne sera après tout pas à la fête. », répondit Rachel.

Non, il n’y aura personne pour arrêter le Prince Elliott.

« Quand il rompra nos fiançailles à la fête, je démentirai ses accusations. »

Sofia hocha la tête.

« Bien… »

« Ensuite, je vais l’obliger à me jeter dans le donjon. »

« Tu vas “l’obliger à”… ? »

Rachel brandit le manifeste des marchandises et déclara fièrement : « Je pars en vacances pour une durée indéterminée ! »

Sofia et les servantes étaient toujours en parfaite synchronisation avec Rachel, mais toutes s’étaient figées. Sofia fut la première à reprendre suffisamment ses esprits pour parler.

« Jeune demoiselle, je ne suis pas sûre de ce que tu veux dire par là. »

« Oh, mon Dieu, Sofia. Si même toi tu ne comprends pas, alors personne ne peut. »

« Oui, tu peux en être certaine. »

Rachel fit gaiement glisser son doigt sur la liste.

« Une fois que mes fiançailles avec Son Altesse seront terminées, je ne serai plus sa fiancée. Tu me suis jusque-là ? »

« Oui. »

Comme Sofia et les autres servantes avaient hoché la tête, Rachel continua.

« Cela signifie que je ne serai plus la prochaine reine. Je ne serai donc plus obligée de suivre les leçons pour le devenir. »

« Oui, je suppose que c’est vrai », avait convenu Sofia.

« Par conséquent, j’aurai du temps libre. »

« C’est effectivement logique. »

Les servantes s’étaient regardées, sentant quelque chose de mauvais augure.

« Alors ! Je pense que je vais utiliser tout le temps que je n’ai pas eu à cause de ces leçons pour me la couler douce et m’adonner à mes hobbies ! »

« Je comprends maintenant ton raisonnement », reconnut Sofia.

« Qu’est-ce que tu veux dire par mon “raisonnement” ? », demanda Rachel en gonflant ses joues.

Au nom des servantes, Sofia commença à travailler sur la logique de Rachel.

« Je comprends que tu veuilles utiliser le temps libre généré par la rupture de tes fiançailles pour prendre des vacances. »

« Oui », confirma Rachel.

« Cependant, je ne vois pas le rapport entre cela et le donjon. Ne pourrais-tu pas simplement suivre le cours des choses, puis te dépêcher de retourner au manoir et de partir dans un endroit plus pittoresque ? »

« Mais non, Sofia, ça ne va pas le faire. »

Rachel donna une légère tape sur le front de Sofia, comme on le ferait à un enfant qui avait eu une mauvaise note.

« Si je ne mets pas tout en œuvre pour tenter de m’échapper, ces vieilles sorcières dégoûtantes vont me ramener ici en un rien de temps. »

Sofia, qui était restée sans voix, s’était maintenant reprise.

« En résumé, ton objectif est d’utiliser l’emprisonnement comme une excuse pour échapper aux leçons de la duchesse Somerset et de tes autres tutrices ? »

« Oui !!! »

Rachel leva les deux bras en l’air et tourna sur elle-même. Elle semblait absolument ravie.

« N’est-ce pas génial ? Non seulement mes fiançailles avec cet ignorant seront annulées, et c’est lui qui en sera responsable, mais je vais aussi pouvoir échapper à la duchesse Somerset et aux sorcières pour des vacances où je n’aurai rien à faire ! C’est merveilleux ! »

Malheureusement pour Rachel, qui était tout à fait heureuse de son plan, il y avait un trou dans celui-ci.

Sofia secoua la tête.

« Jeune maîtresse, quand Sa Majesté reviendra, les bêtises de ce prince pouilleux seront toutes balayées. Mais même avant cela, il est impossible qu’un bon à rien comme Sa Majesté puisse tenir tête à la duchesse Somerset et aux autres dames de la cour, non ? »

« Sofia, tu ne devrais vraiment pas parler de Sa Majesté comme ça en public, d’accord ? », réprimanda Rachel.

Ignorant le coup de Rachel, Sofia continua : « Ce que je dis, c’est que même si on te jette en prison, on t’en sortira le lendemain. »

Cela n’avait rien changé au sourire de Rachel.

« Eh bien, je vais donc juste devoir m’assurer qu’ils ne peuvent pas me sortir de là. »

« Pardon ?! »

Il n’y avait aucune incertitude dans les yeux de Rachel alors qu’elle expliquait : « Je dois juste verrouiller la prison de l’intérieur. »

« De l’intérieur ? »

« C’est ça. »

Est-ce que c’était encore une prison si le verrou était à l’intérieur ?

« Maintenant que c’est réglé, il est temps de se préparer pour des vacances amusantes ! »

« Des vacances… amusantes… ? », marmonna Sofia.

Il semblerait que Rachel avait une idée différente de ce qu’était la prison par rapport à la plupart des gens.

« Maintenant, si nous supposons que je serai là pendant trois mois, j’aurai besoin de conserves et d’autres choses pour tenir tout ce temps. Il y existe maintenant de différents types de conserves. Demandons à la Compagnie du Chat Noir de me trouver de bonnes choses ! Nous nous préparerons en apportant des choses petit à petit pour ne pas alerter le gardien de prison, et nous nettoierons la cellule. Nous devrons aussi chercher des moyens de rester en contact et d’échapper à la sécurité du palais ! Et comme elle est à l’intérieur, je n’aurai pas besoin de tente, mais que dois-je faire pour la literie ? Oh, on a si peu de temps, et tant de choses à préparer ! »

Le cœur de Rachel battait la chamade, comme si elle se préparait pour un voyage en camping. Sofia et les autres servantes s’étaient regardées, voyant à quel point leur maîtresse s’amusait. Mais quand elles avaient réalisé que Rachel était sérieuse, elles avaient toutes incliné la tête à l’unisson.

« Compris », déclara Sofia.

Pour Sofia et les autres servantes, Rachel passait toujours en premier. En ce qui les concernait, tout ce que la jeune maîtresse décidait, même si c’était en décalage avec le monde qui l’entourait, était juste. Si elle devait fuir la dure réalité de ses leçons de future reine, tant qu’elle s’amusait, cela leur suffisait.

« Dans ce cas, jeune demoiselle, comme le donjon est souterrain, nous devrons préparer un grand nombre de lampes et un peu de répulsif pour les insectes. »

« Je pense également que tu devrais apporter plus que la quantité minimale de nourriture. Tu voudras aussi des bonbons et du thé, non ? »

« Si tu ne peux pas te promener, alors tu devras apporter des romans et des recueils de poésie. »

« Oh, mon Dieu. Vous vous y mettez toutes aussi ! », s’exclama Rachel.

Aucune d’entre elles n’avait essayé d’arrêter Rachel alors que son plan de vacances amusant était en marche.

*****

Dans la salle à manger…

« Hé, mais que peut donc faire Rachel ? Ça fait déjà quatre heures qu’elle est rentrée », demanda le duc.

« Elle a dit que ça ne faisait que deux heures… »

« J’ai faim », grommela le duc.

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