Chapitre 11 : La jeune demoiselle vole son dîner
Alors que le prince Elliott marchait dans le couloir, il remarqua un jeune homme qui traversait les arbres des jardins arrière en direction de la porte intérieure. Il y avait un certain nombre d’hommes, mais celui-ci n’était pas habillé comme les autres courtisans.
« Hé, n’est-il pas étrange ? Il ne ressemble pas à l’un des serviteurs du palais. », demanda Elliott.
Sykes regarda l’homme, qui était presque à la porte intérieure maintenant.
« On dirait un employé d’un des restaurants du centre-ville », suggéra Sykes.
« Que ferait quelqu’un de cet acabit au château ? », demanda George avec exaspération
Il y avait quelque chose dans l’étrange suggestion de Sykes qui faisait qu’Elliott ne pouvait s’empêcher de rire.
« Qu’est-ce que c’est ? Il y a quelque chose qui cloche avec ce… Ah ?! »
Elliott réfléchit un moment… puis il partit en courant en réalisant ce que c’était.
« On va au donjon ! », cria Elliott derrière lui.
« Huh ? Qu’est-ce qui ne va pas, Votre Altesse ?! »
George et Sykes s’étaient empressés de le suivre.
Elliott désigna la porte en fer qui était maintenant en vue devant eux.
« Pensez à la direction d’où il est venu ! Rachel doit être impliquée dans cette affaire ! »
« Ah ! », s’exclama Sykes.
*****
Quand ils étaient arrivés tous les trois, essoufflés, au donjon, leurs mâchoires touchèrent le sol.
« Vous pouvez regarder tout ce que vous voulez, mais je ne vous en donne pas… », insista Rachel.
Elle était assise devant une assiette fumante, couteau et fourchette en main. Le plat était manifestement bien trop avancé pour qu’elle l’ait fait toute seule dans le donjon. L’arôme délicieux de la nourriture fraîchement cuite flottait dans la pièce.
« T-Toi ! Qu’est-ce que c’est ?! », demanda le prince d’une voix aiguë.
Rachel baissa les yeux sur la table.
« Qu’est-ce que c’est ? Votre Altesse, je suis sûre que tu as dû manger toutes ces choses toi-même. Tourte aux rognons, pigeonneaux frits aux herbes, potage au potiron et gelée de menthe. C’est un menu très commun. »
« Je ne demandais pas le menu ! Que fais-tu avec de la nourriture préparée à l’extérieur ?! »
Rachel, qui avait ignoré Elliott, commençait à manger, avala une bouchée de pigeonneau avant de demander : « Y a-t-il un problème ? »
« Bien sûr qu’il y a un problème ! J’ai dit que je ne te donnerais pas de nourriture ! »
« Oh, oui. Serait-ce le moment où tes jambes ont lâché et où le Seigneur Sykes a dû pousser ton pauvre cul hors d’ici ? »
« Urgh… »
S’essuyant dignement la bouche avec une serviette, Rachel inclina son verre de vin et en prit une gorgée.
« C’est vrai. Tu m’as dit que tu ne me donnerais pas de nourriture, et que je pouvais y aller et mourir de faim, oui. »
« Oui ! », se réjouit Elliott.
« Mais tu ne m’en as pas donné, hein ? »
« Huh ? »
Rachel prit son couteau et commença à couper la tarte en tranches.
« On m’a informée que je ne recevrais pas de nourriture en prison, mais tu n’as jamais dit que je n’aurais pas le droit de commander des repas de ma propre poche. »
« Qu… ? ! Ne sois pas ridicule ! Je n’ai jamais entendu parler d’un prisonnier commandant de la nourriture de l’extérieur avant ! »
« Dis-moi, quel article de quelle loi interdit à un prisonnier de commander de la nourriture ? Quel article, et quelle clause ? »
« J-Je ne sais pas ! Mais c’est du bon sens ! »
« Tu as rompu un engagement entériné par le roi en t’appuyant sur des preuves bancales. Es-tu vraiment du genre à parler de bon sens, Votre Altesse ? »
Elliott était sans voix.
« Mais au fait, quel est le genre de bon sens consistant à emprisonner une personne sans lui donner à manger ? »
« Urgh. Veux-tu que je te fasse accuser de lèse-majesté et exécuter pour ces déclarations ? »
« Il faudrait d’abord me traîner hors d’ici jusqu’au lieu d’exécution pour ça, non ? »
« Urgh… »
Rachel continua à déguster élégamment son déjeuner tandis que le prince gémissait, incapable de rassembler une autre réponse.
*****
« Grr, il m’a interdit de commander plus de nourriture. »
Le prince avait donné l’ordre au gardien de la prison de ne laisser passer aucun travailleur. Les livreurs devaient être refoulés à la porte.
En tant que personne qui aimait chercher les failles dans la loi, le fait qu’il ait changé les règles pour elle lui semblait injuste, mais… Eh bien, ce qui est fait est fait.
« Son Altesse est aussi idiote que jamais. Et mon stupide frère aussi. On aurait pu penser que s’il allait m’interdire de commander de la nourriture, il m’aurait d’abord fait cracher les détails sur la façon dont je contactais l’extérieur. »
Ce serait la logique normale. Mais Elliott ne pouvait pas en arriver là. Pourtant…
« Un repas fraîchement cuisiné ne peut pas être battu. J’aimerais avoir de la viande fraîche à nouveau », dit Rachel tout en repensant au repas qu’elle venait de se faire livrer.
« Oh, ça ne va pas le faire. Je ne peux pas revenir aux conserves sans avoir quelque chose pour combler le vide. »
Elle n’était pas en position d’exiger de tel luxe, mais l’impact d’un repas frais avait été grand. Elle voulait en avoir un peu plus.
Soudainement, elle eut un éclair d’inspiration.
« Oh, je sais. L’un des principes de base de la vie tranquille est de vivre de la terre. Non ? »
Rachel regarda vers l’étroite fenêtre à barreaux qui laissait entrer l’air frais.
*****
Dans les jardins arrière, qui n’étaient pas très bien entretenus, un homme âgé vêtu d’une tenue luxueuse se promenait. À côté de lui se trouvait un homme plus jeune qui semblait avoir la trentaine ou le début de la quarantaine.
« Pourtant, je ne sais pas quoi faire avec Elliott. Penser qu’il pourrait causer un incident comme celui-ci alors que Leurs Majestés sont absentes pour une longue période. », dit l’homme âgé.
« Bien que vous ayez été chargé de vous occuper du palais, vous devez demander la permission avant d’agir sur un incident causé par le prince lui-même », répondit le plus jeune homme.
Le grand-duc Vivaldi, conseiller royal et oncle du roi, et le marquis August, Premier ministre, se consultaient sur des sujets d’actualité. En fait, ils ne faisaient que se plaindre l’un à l’autre dans un endroit isolé.
Le Premier ministre August regarda autour de lui.
« Tout de même, Votre Grâce, vous avez choisi un endroit inhabituel pour notre promenade. »
Les jardins arrière n’avaient pas été entretenus et, bien qu’ils soient spacieux, ce n’était pas le genre de jardins soigneusement sculptés que les nobles aimaient voir.
Le grand-duc, gras et bon vivant, baissa la tête et sourit comme s’il avait été pris en flagrant délit de malice.
« Ha ha ha ha. Cet endroit a ses propres charmes, différents de ceux d’un jardin plus soigné. »
Le grand-duc écarta l’herbe longue de ses mains, regardant tranquillement au loin.
« Regardez, monsieur le Premier ministre. Étant plus proche de la nature que les jardins de devant, cet endroit attire beaucoup plus d’oiseaux sauvages. Regardez, mon favori récent est ce canard qui vient de se poser près de l’étang. »
Le Premier ministre, qui était également caché dans l’herbe, était impressionné.
« Oh-ho ! Il est assez grand, n’est-ce pas ? Et il a un beau plumage. »
« Oui. Je l’appelle Enrique, et c’est la chose la plus chère à mes yeux. »
Mais au moment où le grand-duc commença à parler de son oiseau préféré…
Thock !
« Squaaaaaawk ! »
« Qu’est-ce que c’était ?! »
Alors que les deux hommes l’observaient, Enrique remarqua manifestement quelque chose et essaya de s’envoler, mais il laissa échapper un grand cri et tomba au sol. Et tandis que les oiseaux s’envolaient dans la panique la plus totale, les hommes se précipitèrent sur le bord de l’étang pour voir…
Glisse
Glisse
Enrique s’agitait, agonisant, alors qu’il se déplaçait lentement dans une direction qu’il n’aurait pas pu prendre par lui-même. En y regardant de plus près, Enrique s’était pris une flèche barbelée dans la poitrine, et quelqu’un le remontait à l’aide d’une fine corde attachée au bout de celle-ci.
Le grand-duc et le Premier ministre suivirent la longue corde et atteignirent le mur décrépit d’un bâtiment voisin. Il y avait une longue fente difficile à voir, à environ dix centimètres du sol, et ils y arrivèrent au moment où Enrique était tiré à l’intérieur. Aucun des deux n’avait dit un mot.
Et alors qu’ils se regardaient en silence, la voix jubilatoire d’une jeune femme heureuse était sortie du trou.
« Wôw, j’ai fait une sacrée prise ! Superbe ! Vraiment super ! Ça va franchement être quelque chose de génial à manger ! »
Ayant plus ou moins deviné qui elle était à sa voix, le Premier ministre s’accroupit et demanda : « Excusez-moi, si vous le voulez bien, pourriez-vous nous dire ce que vous faites exactement ? »
« Qui ? Moi ? »
La jeune fille hésita un instant, puis s’expliqua.
*****
Tandis qu’Elliott et ses associés marchaient dans le hall, son grand-oncle arriva en courant, braillant comme un enfant. Le Premier ministre le suivait de près, essayant de le consoler.
« Hm ? »
Elliott s’arrêta pour regarder, incertain de ce dont il était témoin.
Le grand-duc le remarqua et l’attrapa par les revers, toujours en train de pleurer.
« Elliott, petit malheureux ! »
« Hein ? Moi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?! »
« C’est… C’est de ta faute… »
« Quoi ? ! Grand-oncle, qu’est-ce que, excusez-moi, qu’est-ce que j’ai fait ?! »
Il aurait été facile de se libérer de l’emprise du vieil homme malsain, mais il ne pouvait pas maltraiter le plus haut rang royal pendant que le roi et la reine étaient absents. Sykes et George ne pouvaient pas non plus poser la main sur l’oncle du roi. Ils se regardèrent donc les uns les autres comme s’ils se demandaient quoi faire.
« Urrrgh… C’est de ta faute si Enrique… Enrique est… »
« E-En — Qui ?! »
« Mlle Rachel a mangé Enrique !!! »
« Racheeeel !!! »
*****
Le temps qu’Elliott se précipite au donjon, le gardien de prison était assis à l’entrée, semblant ne pas savoir quoi faire. Il s’était rapidement levé, de la fumée s’élevant à côté de lui.
« Hé ! Qu’est-ce que ça veut dire ?! », demanda Elliott.
Le garde regarda piteusement la fumée qui s’échappait de la porte : « Eh bien… La jeune demoiselle a allumé un feu de camp. »
« Un feu de camp ?! Dans le donjon ?! »
« Elle a ajusté le niveau des flammes afin de ne pas mourir asphyxiée. »
« Je m’en fous de ça ! Allumer un feu de camp dans le donjon ? ! À quoi pense-t-elle !? », cria Elliott.
Le gardien de prison se gratta la tête.
« Elle a mis la main sur du canard frais et voulait le faire griller. »
« Qu’elle soit maudite ! »
Quand Elliott atteignit les barreaux de la cellule, il put voir la fumée s’accumuler près du plafond, s’échappant par la porte qui menait aux escaliers, ce n’était donc pas vraiment si enfumé dans le sous-sol lui-même. À l’intérieur de la cellule, le sol en carreaux de pierre avait fait sa réapparition, et Rachel y avait allumé un petit feu de camp en cassant quelques boîtes vides pour s’en servir comme bois de chauffage. Il y avait une plaque de fer au-dessus du feu et de la viande grésillant dessus. Sykes, qui ne pouvait pas lire la situation, reniflait l’air avec avidité.
Ignorant les nombreuses choses qu’il aurait aimé crier, Elliott pointa un doigt vers Rachel, qui retournait la viande d’un air sérieux, et dit : « Rachel ! Pas de feux de camp, et pas de barbecues dans le donjon ! »
Sans même le regarder, Rachel répondit brièvement : « Il n’y a pas de règle de ce genre. »
« Parce que c’est évident ! Dans quel monde quelqu’un ferait-il un feu de camp dans un donjon ?! » cria Elliott tout en tapant du pied avec colère.
Trouvant un moment pour détourner le regard de la viande, Rachel le regarda et dit : « Eh bien. Tu dois évaluer ces choses au cas par cas. Puis-je suggérer que toute personne affamée et privée de nourriture ferait de même ? »
« Je n’ai jamais entendu dire que cela se produisait quelque part. »
« Eh bien, il est rare que quelqu’un ait un arc et des flèches dans une prison. »
« En d’autres termes, il n’y a que toi ! Il n’y a que toi pour faire une chose pareille ! »
Avec un regard de grand mécontentement, Elliott baissa sa voix et dit : « Je suis amené à croire que tu as dit à mon grand-oncle que je ne t’ai pas nourri. »
« Oui, je crois bien que je l’ai fait », répondit Rachel tout en mettant joyeusement un morceau de viande de canard salée dans sa bouche.
En la pointant du doigt, Elliott déclara : « Si je te donne à manger, tu vas donc arrêter ces bêtises ! »
C’est la plus grande concession que je puisse faire !
Elliott était furieux de ne pas pouvoir faire plier cette méchante femme à sa volonté, pas même le moins du monde. Mais après tous les cris hystériques de son grand-oncle, il décida qu’il allait devoir briser le siège pour éviter que cela ne se reproduise, même si cela le faisait souffrir.
Maudite sois-tu, Rachel. Tu peux dire ce que tu veux pour le moment. Mais quand papa reviendra, je t’inculperai pour tous tes crimes, y compris le radotage égoïste que tu viens de cracher.
Elliott commençait à penser qu’il serait d’accord pour que Rachel soit exécutée à ce stade. Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’elle n’était pas encore sérieuse.
Au début, Elliott voulait simplement forcer Rachel à se soumettre à lui, mais lorsqu’elle commença à faire ce qu’elle voulait, tous les dégâts finirent par être de son côté, sur son bien-être mental en particulier.
Je vais devoir me contenter de l’isoler pour le moment. Si ça lui permet de rester tranquille, un peu de vieux pain est un petit prix à payer.
Le prince Elliott avait fait une proposition généreuse, même si elle l’irritait. Mais après avoir terminé son délicieux repas, Rachel, qui ne se souciait pas de ce qu’il ressentait, s’était tournée vers lui et dit : « De la nourriture de ta part, Votre Altesse ? Comme je n’ai aucun moyen de savoir ce que tu pourrais y mettre, je n’en aurai pas besoin. »
merci pour le chapitre
Pauvre canard…