Chapitre 4 : Le secret qui leur était caché
Partie 6
Cependant, elle ne pouvait pas se tenir debout, et s’était effondrée sur ses genoux. Quelque chose n’allait pas. En essayant de supporter la nausée, l’elfe ouvrit les yeux et, quand elle le fit, ce qu’elle vit l’époustoufla. Ce qui était en dessous d’elle n’était pas la falaise sur laquelle elle était il y a à peine une seconde, mais un sol en pierre brillant et poli. Paniquée, Rem avait jeté un coup d’œil autour d’elle et s’était retrouvée à l’intérieur d’une bâtisse. Un manoir en pierre sombre et peu éclairé. La pièce dans laquelle elle se trouvait actuellement était un large hall d’entrée avec un haut plafond.
« Quand suis-je arrivée ici… ? Et comment… ? » demanda Rem.
« Rem… ? »
Toujours confuse sur ce qui s’était exactement passé, Rem entendit la voix de quelqu’un encore à moitié endormi qui l’appelait. Cette voix appartenait à Alferez, maintenant allongée sur le sol. Le chariot n’était pas visible. Amita non plus. D’après ce qu’elle voyait, seules les deux filles avaient été transportées ici. Rem s’était précipitée vers la jeune humaine et l’avait soulevée dans ses bras. Bien que sa chaleur semblait s’être légèrement dissipée, le fait d’avoir été transportée dans un endroit inconnu l’avait rendue assez effrayée. En serrant la main, elle avait saisi les bras de l’elfe et ne voulait pas lâcher prise.
« C’est très bien. Je suis ici avec toi…, » déclara Rem.
Rem était aussi anxieuse qu’elle. Néanmoins, elle s’était forcée à agir courageusement et avait saisi les épaules de la jeune fille. Quand elle l’avait fait, Alferez avait poussé son corps contre le sien, et peu après avait cessé de trembler. Il semblerait qu’elle avait réussi à se calmer. Maintenant qu’il n’y avait plus rien à faire, il était temps de savoir où elles se trouvaient.
« Il y a quelqu’un ici ? » demanda Rem.
« Tu ne devrais pas faire de bruit dans la maison d’un autre. »
À peine Rem avait-elle posé la question qu’on y avait répondue. En haut de grands escaliers de la salle centrale se dressaient une petite silhouette, appartenant à une vieille dame penchée par l’âge en robe en lambeaux. Avec une canne courbée à la main, elle était descendue.
« C’est une combinaison assez inhabituelle. Une demi-elfe et une humaine, » déclara la vieille.
Des cheveux blancs, secs étaient présents sous le capuchon de la femme. Vu son accoutrement, c’était logique de supposer que c’était une sorcière. Bien que l’apparition soudaine de quelqu’un d’aussi mystérieux ait mis Rem sur ses gardes, elle s’était vite rendu compte qui c’était vraiment.
« Serait-ce... Vous êtes Galina du mont Kedros ? Écoutez, nous deux, nous sommes…, » déclara Rem.
La vieille dame fronça les sourcils, peut-être irritée par la précipitation de l’elfe.
« Oui, je suis au courant. Je vous ai entendu, c’est pour ça que je vous ai amené ici. Bon sang, faire tant de bruit dans mon jardin…, » déclara la vieille.
C’était vraiment la sorcière qu’elles cherchaient. Cependant, ce n’était même pas la chose la plus déroutante pour Rem. Pour elle, le manoir était à mi-chemin de la montagne, loin de là où elles venaient de se trouver. Et pourtant, la femme n’avait apparemment pas seulement entendu la conversation entre elle et Amita, mais l’avait même trouvée bruyante.
« Merde, en parlant d’avoir des oreilles pointues…, » murmura Rem.
« J’ai entendu ça ! » déclara la vieille.
Encore une fois. Elle avait entendu Rem se chuchoter à elle-même. Que ce soit par magie ou autre, l’ouïe de la femme était vraiment excellente.
« Je sais pourquoi vous êtes là. Il s’agit de la princesse qui se transforme en chat, n’est-ce pas ? » demanda la vieille.
« O-Oui ! S’il vous plaît, je vous en supplie ! S’il vous plaît, levez sa malédiction ! » demanda Rem.
Rem n’avait pas de plan, pas de tour dans son sac. Les bras serrés autour d’Alferez, toujours assise sur le sol, elle avait fait la seule chose qu’elle pouvait : mendier.
« C’est impossible, » répondit froidement la sorcière.
« Pourquoi !? N’est-ce pas vous qui l’avez lancé en premier lieu !? » demanda Rem.
« Bien que ce soit vrai, on m’a demandé de faire en sorte que même moi, je ne puisse pas le casser. J’espère que vous ne le prenez pas personnellement, » déclara la sorcière.
« “Demandé”… ? » demanda Rem.
C’est vrai. C’était la première question que Rem voulait lui poser quand elle avait appris que la sorcière savait pour Alferez, pourquoi l’a-t-elle maudite ?
« Keh keh keh keh. Ah, ces yeux. Ce sont les yeux de celui qui ne comprend rien. Très bien, l’air idiot que vous avez sur votre visage m’a conquise. Permettez-moi de tout vous expliquer, » dit la vieille dame en secouant sa canne. Quand elle l’avait fait, un banc s’était glissé depuis l’autre côté du mur. Elle fit signe aux filles de s’asseoir, avant de préparer un autre canapé face à elles. Bien qu’abasourdie par la magie qui se produisait devant elle, Rem s’assit rapidement, tout comme Alferez. Elle semblait complètement épuisée et avait rapidement posé sa tête sur les genoux de l’elfe.
La sorcière attendit qu’elles soient en place, avant de se pencher contre sa canne et de laisser échapper un petit rire.
« Maintenant, par où commencer... Peut-être de la part de vos parents, à moitié elfe et humain ? » déclara la sorcière.
« Tout ce que je sais d’elles, c’est qu’elles étaient une humaine et une elfe, deux femmes… On ne m’a rien dit de plus, » déclara Rem.
Exactement. Elle n’avait jamais vraiment pensé à qui était sa mère humaine. Bien qu’elle ait parfois eu du mal à croire qu’elle était née de deux femmes, sa situation avait été remplie de bien trop de malheurs pour qu’elle ait le temps de réaliser la vérité.
« Est-elle... La mère d’Alferez ? » demanda Rem.
« En effet. Je ne sais pas exactement comment elles sont entrées en contact, si l’humaine s’est perdue dans les bois ou si l’elfe curieuse est allée jouer dans le village humain, mais c’est sans importance. Ce qui compte, c’est que ces deux membres de races différentes se soient rencontrées et soient tombées amoureuses, » déclara la sorcière.
La vieille dame sourit et gloussa, se moquant clairement de cette histoire d’amour entre femmes. Bien que cela ait rendu Rem furieuse, elle avait voulu entendre le reste et avait décidé de réfréner sa colère.
« C’est ici que le problème apparaît. L’humain et l’elfe étaient tous les deux des femmes. Dans des circonstances normales, il aurait été impossible pour les deux d’avoir un enfant. Alors, comment êtes-vous nées, vous et la princesse ? » déclara la sorcière.
« Avec… des arts elfiques secrets ? » demanda Rem.
C’est ce que sa tante avait dit à Rem, mais elle n’était pas sûre de ce que c’était. Cette réponse avait apparemment été très amusante, et la vieille dame avait eu une crise de rire avant de répondre.
« Bon sang… La suffisance des elfes n’a vraiment aucune limite… Est-ce qu’ils avaient vraiment l’intention de vous le cacher ? C’est une blague. Je ne peux m’empêcher de rire ! » déclara la sorcière.
Rem ne riait pas. Au lieu de cela, elle avait gonflé ses joues et avait regardé fixement la femme devant elle. Cependant, étant une sorcière, la colère d’une jeune fille n’avait évidemment aucun effet sur elle.
« Demi-elfe. Il y a un arbre appelé “arbre des origines” dans votre village, exact ? » demanda la sorcière.
Comment le savait-elle ? Même au pays des elfes, le village de Rem n’était qu’une petite ville rurale. Malgré son nom grandiose, l’arbre des origines était probablement quelque chose que seuls les locaux connaissaient. Alors comment, comment la vieille dame l’avait-elle su ?
« Derrière cet arbre, il y a une entrée, vers une source cachée, où réside le pouvoir d’un dieu, » déclara la sorcière.
« La… source avec le pouvoir d’un Dieu ? » demanda Rem.
« En effet. On dit qu’il a le pouvoir de réaliser n’importe quel souhait, » répondit la sorcière.
C’était la première fois que Rem en entendait parler. Elle ne savait pas quoi dire. L’arbre qu’elle avait été forcée de garder tenait un tel secret ?
« J’ai entendu dire qu’à l’origine, seuls les anciens étaient au courant. Cependant, comme il est finalement devenu une légende parmi les sorcières, certains elfes normaux ont fini par également en entendre parler. Le secret, destiné à être gardé pour toujours, a fui, et… je suis sûre que vous pouvez comprendre ce qui s’est passé ensuite, » déclara la sorcière.
Une fois de plus, la dame gloussa.
« En d’autres termes, mes mères ont utilisé le pouvoir de la source pour devenir enceintes…, » déclara Rem.
« D’après ce que j’ai entendu, il y a d’autres procédures que vous devez d’abord compléter, mais oui, en effet. La jeune elfe a amené une humaine à la source secrète de son peuple. Non seulement ces deux femmes sont tombées amoureuses, mais elles ont brisé le tabou et ont eu des enfants. Et, ce qui s’est passé après ça… Hihihihi ! Vous le savez probablement déjà, » déclara la sorcière.
Elle le savait. Deux femmes, tombées amoureuses. De plus, l’une d’entre elles — l’humaine — était une princesse. Elles avaient été séparées, pour ne plus jamais pouvoir se revoir.
« L’elfe vous a donné naissance, et l’humaine à eu la princesse. En d’autres termes, des jumelles nées de mères différentes. Le roi humain et les anciens elfes étaient naturellement outrés, et ils ont promis de ne jamais laisser les deux couples de mères et de filles entrer en contact. C’était censé être la fin, mais ce n’était pas le cas, » déclara la sorcière.
Rem comprit maintenant pourquoi elle n’avait pas été autorisée à quitter le village. Mais, était-ce vraiment tout ce qu’il y avait à faire ? Avaient-ils fait tout ça juste parce qu’ils ne voulaient pas qu’elle rencontre Alferez ? Un regard de suspicion se leva sur son visage, que la vieille sorcière vit et rit de bon cœur.
« Les anciens de votre village m’ont demandé mon aide. Ils m’ont demandé de faire du corps de la princesse humaine un corps qui ne lui permettrait jamais de se marier ! » déclara la sorcière.
« Pourquoi !? Ma mère n’a pas enfreint les règles comme Alferez ? » déclara Rem.
« Étant eux-mêmes elfes, ils pensaient peut-être que la femme humaine avait corrompu leur cher jeune enfant. Ou ça aurait pu être un acte de vengeance pour avoir appris l’existence de la source secrète. De toute façon, leur mobile n’a pas d’importance. La Reine est devenue furieuse dès qu’elle l’a su, et par une série de rumeurs — certaines vraies et d’autres fausses — elle a réussi à convaincre son peuple afin qu’ils craignent et haïssent les elfes, » déclara la sorcière.
« Et ils l’ont crue !? » demanda Rem.
Était-ce ce qui avait causé le fossé entre les humains et les elfes, et la raison derrière le malheur que Rem avait souffert ? Remplie de tristesse, elle se rapprocha de la femme.
« Les elfes et les humains n’avaient jamais vraiment interagi, du moins pas publiquement. Sans personne dans le monde humain pour dissiper ces rumeurs, ces rumeurs se sont répandues comme un feu de forêt. Cela n’a même pas pris deux décennies, » déclara la sorcière.
« Pas possible… »
Rem se rapprocha encore plus d’elle, incapable de croire ce qu’elle entendait.
« Vous comprenez, n’est-ce pas ? Ces jeunes filles qui enfreignent les règles sur un coup de tête, c’est ce qui a conduit les deux races à se détester. C’est un péché que vous devez porter. La princesse s’est transformée en chat, et vous, à moitié elfe… comment comptez-vous vous racheter ? S’il vous plaît, je serais très intéressée de l’entendre, » déclara la sorcière.
La sorcière gloussa. « Peut-être un chien, » dit-elle en riant, « ou peut-être une chenille. » Le jeune elfe, cependant, n’écoutait pas.
« Sur un caprice… Maman… m’a eu sur un coup de tête ? » demanda Rem.
Non, c’est impossible. Sa mère avait toujours eu l’air triste quand elle parlait de la mère humaine de Rem, mais aussi heureuse. Son sourire avait été calme et doux, pas celui d’un pécheur.
C’est exact… Ces deux-là ne faisaient pas que jouer. Elles s’aimaient vraiment.
C’est pour cette raison qu’elles avaient voulu des enfants au point d’enfreindre les règles. Elles savaient probablement que des puissances supérieures allaient bientôt les séparer, et elles voulaient laisser une preuve de leur amour avant cela. Rem comprenait bien ce sentiment, douloureusement. En ce moment, elle aimait Alferez.
Et pourtant, une inconnue se moquait de ses sentiments. Rien que l’idée l’avait rendue furieuse. Ses poings serrés, et bien qu’elle ne savait pratiquement rien, elle ressentait une haine sincère envers la vieille dame qu’elle venait de rencontrer.
« Miaou… Rem… »
À ce moment-là, comme si elle avait senti sa soif de sang, Alferez poussa un petit gémissement.
C’est vrai. Ce n’est pas le moment de perdre patience. Je dois sauver Al... !
L’elfe ouvrit ses poings serrés et caressa les cheveux de la jeune fille allongée sur ses genoux, pour la calmer autant que pour se calmer. Elle s’était ensuite tournée vers la sorcière et lui avait demandé quel était l’état actuel de la princesse.
Merci pour le chapitre.