Chapitre 3 : Le Bouffon se souviens
Partie 2
Pour être franc, la mission de surveillance était ennuyeuse.
Kojou Akatsuki, inscrit fin avril, n’avait rien fait pour contrer la première impression de Yaze à son sujet. Rien ne s’écartait du modèle d’un garçon tout à fait ordinaire vivant une vie de collégien tout à fait ordinaire, jour après jour.
Malgré cela, Yaze avait fidèlement continué sa surveillance comme l’avait ordonné la famille.
Une des raisons pour lesquelles Yaze avait fait ça était pour la mère qu’il vénérait, qui faisait partie de cette famille. Elle n’avait pas de parents puissants pour la soutenir. De plus, elle était malade et avait peu d’importance dans le clan. Yaze devait donc démontrer ses propres capacités pour protéger son gagne-pain.
L’autre raison était le simple fait qu’il avait appris à apprécier Kojou.
Kojou Akatsuki avait toujours l’air paresseux et peu fiable, mais quand il devenait sérieux, ce qui n’était pas souvent le cas, ses instincts destructeurs prenaient le dessus. En le voyant de près, Yaze s’était intéressé de près à la maîtrise de soi et aux prouesses de prise de décision dont le garçon faisait preuve de temps en temps.
La source de cet intérêt était peut-être le fait que la nature sous-jacente de Kojou donnait à Yaze un sentiment de danger, lui disant de ne pas le quitter des yeux.
À un moment donné, au cours des deux années qui avaient suivi sa rencontre avec Kojou, Yaze avait oublié son devoir d’observateur et avait fini par considérer Kojou comme son meilleur ami, même si quelque part, au fond de lui, il savait qu’il violait l’avertissement de son demi-frère…
« — Hé, Kojou ! »
C’était une belle journée d’automne. Yaze rentrait de l’école quand il avait vu Kojou et l’avait appelé.
Kojou se trouvait dans un terrain vague près de la gare la plus proche de l’Académie Saikai, face à un panier de basket de rue délabré, s’entraînant silencieusement à faire des lancers francs.
« Qu’est-ce que tu fais par une journée aussi stupidement chaude ? Fais ces trucs dans le gymnase. Les étudiants de première année vont t’adorer pour ça. »
Remarquant que Yaze s’approchait, Kojou avait paresseusement secoué la tête. « Je ne veux pas. Pourquoi dois-je entraîner tous ces gars gratuitement ? »
Kojou et Yaze étaient des coéquipiers de basket. En tant que troisième année, ils avaient techniquement pris leur retraite après le tournoi d’été. Mais Kojou et Yaze allaient directement du collège de l’Académie Saikai au lycée. Les élèves qui ne s’attendaient pas à passer des examens externes n’étaient pas censés se plaindre d’avoir à se présenter aux entraînements du club.
Cependant, Kojou avait repris son entraînement en solo.
L’été éternel de l’île d’Itogami signifiait que les températures diurnes dépassaient trente degrés Celsius même en « automne ». L’uniforme scolaire de Kojou était trempé de sueur.
Yaze s’était assis sur un escalier voisin et l’avait regardé tirer des ballons de basket vers le panier.
« Hé, tu as vraiment fini avec le basket-ball… »
« Il n’y a pas assez de personnes dans le club des seniors, donc il est en pause, non ? Igarashi et Yanagi ont aussi démissionné. Bien, je vais juste me reposer pendant un moment. »
La réponse de Kojou citait les noms de deux seniors qui l’avaient aidé il y a quelque temps comme s’il s’agissait d’excuses.
Yaze soupira d’exaspération et posa son menton dans ses mains.
« Es-tu vraiment d’accord avec ça ? Si tu arrêtes le basket, tu vas dire adieu à ta seule qualité. »
Une balle complètement hors trajectoire avait rebondi sur le mur et Kojou lança à Yaze un regard plein de ressentiment.
« Oh, tais-toi ! Et ne t’en prends pas à toutes mes possibilités dans la vie tout d’un coup ! »
Depuis les examens finaux du collège, Kojou avait brusquement cessé de s’approcher du gymnase. Il plaisantait encore avec ses camarades de club s’il les croisait, mais il évitait délibérément le sujet du basket. Pourtant, il était là, incapable de se défaire de son attachement, continuant à s’entraîner au tir en secret.
Ça faisait mal de le voir comme ça, mais Yaze ne pouvait pas rire. Il savait de quoi Kojou avait vraiment peur.
C’était arrivé lors de la finale du tournoi qu’ils avaient perdu — .
Kojou se concentrait toujours beaucoup plus que d’habitude pendant un match, assez pour qu’il soit difficile de lui dire un mot, mais tout ce qu’il avait fait ce jour-là était bizarre. Sa capacité de saut et son temps de réaction étaient inhumains. Il avait fait des tonnes de tirs bizarres. Beaucoup de ses passes avaient été perdues, mais c’était parce que ses coéquipiers ne pouvaient pas suivre la vitesse de ses lancers.
À partir du milieu du match, c’était devenu le show de Kojou, et c’est là que c’était arrivé.
Kojou courait vers le panier lorsqu’il était entré en contact avec un joueur de l’équipe adverse qui tentait de l’arrêter par une faute. Le joueur adverse avait été gravement blessé, au point que le match avait été suspendu le temps d’appeler une ambulance.
Ce n’était pas une erreur de la part de Kojou, mais l’incident l’avait fortement secoué. Ce qui l’avait choqué davantage, c’était l’attention de ses camarades de classe. Ils l’avaient tous regardé avec la peur dans leurs yeux. Lorsque Kojou s’était assis sur le banc pour récupérer, ses coéquipiers n’avaient plus d’énergie pour continuer le match. Tout ce que Kojou pouvait faire était de s’asseoir sur le banc et de regarder son équipe glisser vers la défaite — et il n’avait plus jamais remis les pieds sur le terrain.
Sur le ton de la plaisanterie, en essayant de ne pas le faire se sentir plus mal, Yaze avait dit. « Mec, tu étais aussi une si bonne source d’informations pour être gentil avec les filles des autres écoles… »
« Est-ce ce que tu faisais !? » Kojou avait montré ses dents. « Laisse-moi tranquille. »
Yaze avait sifflé avec un regard d’innocence visible. Le basket lui avait apporté de la bonne nourriture et même des petites amies. Quoi qu’il en soit, Yaze devait écrire des rapports détaillés contenant toutes sortes de données relatives à Kojou. Même s’il avait utilisé ces informations à ses propres fins ici et là, il n’en demeurait pas moins que sa conscience s’en ressentait douloureusement.
Avec tout ce qui s’était passé, pourquoi Kojou s’entraînait-il encore aux lancers francs ? Dès que cette simple question avait traversé l’esprit de Yaze, il avait entendu une voix venant de derrière, celle d’une collégienne tape à l’œil qui descendait les escaliers en courant. Elle portait un uniforme de collégienne très élégant et tenait une canette de jus de fruits dans chaque main.
« Désolée, Kojou. T’ai-je fait attendre ? Je devais parler au professeur. La discussion de Shiromori s’est éternisée. J’ai pris ça pour me rattraper. »
Yaze avait cligné des yeux en signe de surprise et avait levé les yeux vers son amie d’enfance.
« Oh ? Asagi ? »
À ce moment-là, elle avait remarqué Yaze, ce qui, pour une raison quelconque, avait fait augmenter l’intensité de sa voix.
« Que diable fais-tu ici, Motoki ? »
« Err… bien, ah… Attends, aviez-vous rendez-vous ici ? Huh… Mon, mon, mon Dieu. »
Yaze n’avait pas répondu à la question d’Asagi et avait agi avec une surprise exagérée. Sa réaction avait fait rougir les joues d’Asagi.
« T... t... tu as tout faux, stupide Motoki ! »
« Bwoah !? »
Yaze laissa échapper un gémissement sonore alors que son estomac prit un coup de la canette de jus qu’elle avait lancée.
« Hé ! Est-ce que les gens normaux jettent des canettes de jus de fruits ? Tu pourrais tuer quelqu’un !? »
Yaze avait crié d’angoisse alors qu’Asagi lui tapait dans le dos et lui faisait des excuses.
« C’est parce que tu as dit quelque chose de bizarre ! Kojou m’a dit qu’il allait voir Nagisa à l’hôpital, alors je me suis dit que j’allais l’accompagner, c’est tout ! »
Yaze endura désespérément l’assaut en levant les yeux vers Kojou. « Une visite ? Nagisa est encore malade ? »
« Un peu, ouais… C’est arrivé pendant le week-end, » marmonna Kojou.
Yaze savait à quel point Kojou s’inquiétait pour sa petite sœur. Son traitement médical était la raison pour laquelle Kojou était venu sur l’île d’Itogami, mais il n’avait jamais dit un mot à ce sujet. Même jouer au basket était apparemment quelque chose qu’il faisait dans l’idée de remonter le moral de sa petite sœur.
Cependant, la dévotion de Kojou pour sa petite sœur était soulignée par un profond sentiment de culpabilité. Sans doute se reprochait-il encore de ne pas l’avoir protégée lors de l’incident qui l’avait conduite à l’hôpital.
Mais ses souvenirs lui avaient été enlevés, et il ne savait plus à quel point il avait été en danger lors de cet incident.
Kojou avait invité Yaze à venir faire un tour, et il n’avait pas l’air de plaisanter. « Yaze, si tu as le temps, pourquoi ne pas venir avec nous ? Nagisa va probablement parler comme une folle avec n’importe qui. Ça aiderait d’avoir un agneau sacrificiel de plus. »
Yaze avait instinctivement émis un rire tendu. L’un des rares défauts de la jeune Nagisa Akatsuki était son débit de paroles, bien plus important que la norme. Alors qu’elle s’ennuyait à mourir dans une chambre d’hôpital, « les agneaux sacrificiels » étaient vraiment une métaphore appropriée pour les personnes qui lui parlaient.
« Oui, je peux l’imaginer. Eh bien, si c’est comme ça… »
Yaze s’apprêtait à accepter négligemment l’invitation quand il ravala ses mots, sentant soudain un regard perforant. Quand il avait tourné la tête, il avait vu Asagi détourner rapidement les yeux comme un enfant qui faisait la moue. Asagi avait maladroitement essayé d’étouffer l’affaire.
« Qu-Quoi ? »
L’air renfrogné de son visage disait : c’est peut-être plus facile avec Yaze, mais je ne serai pas seule avec lui.
Ce n’était pas par égard pour Asagi, mais Yaze s’était levé et avait dit. « Ahh, désolé, je vais devoir passer mon tour pour aujourd’hui. J’ai quelques courses à faire. »
À plus tard, il l’avait ajouté avec un signe de la main, regardant Kojou et Asagi partir dans le soleil couchant vers la gare.
Puis Yaze avait silencieusement levé les yeux vers le panier de basket.
« … »
L’analyse du sang après le match n’avait rien révélé d’inhabituel. Kojou Akatsuki était, sans aucun doute, un être humain normal. Peut-être Kojou avait-il inconsciemment réalisé la source de l’incroyable performance qu’il avait réalisée lors de la finale de basket du collège…
Il avait déjà fait son rapport, mais la famille n’avait pas donné de nouveaux ordres.
Yaze tenait son flanc, encore endolori par le bombardement de canettes de jus de fruits, tout en avançant péniblement. Tout ce qu’il pouvait faire était de continuer à surveiller son meilleur ami… et prier pour que Kojou n’endure pas plus de souffrance.
Il était pleinement conscient que c’était une prière qui ne serait pas exaucée.
merci pour le chapitre