
Chapitre 69 : Le festin sanglant de minuit
Partie 5
En vérité, c’était une décision qui avait été prise par Selva. Comparés à d’autres familles nobles, les Fables disposaient d’un personnel réduit, mais Alus n’avait aucun moyen de le savoir.
Pendant qu’Alus réfléchissait à ces choses, Selva ordonna au chambellan de s’occuper du reste du nettoyage. Il regarda Alus. « Vous devez vous demander pourquoi », dit-il en omettant le sujet, mais Alus pouvait deviner à quoi il faisait allusion. C’était exactement ce à quoi il avait pensé. « Même le sang le plus noble ne peut rester pur dans ce monde. Il est difficile de dire que c’est un monde où ceux qui accordent de l’importance à la justice se hisseront toujours au sommet. De plus, on ne peut pas dire qu’être juste soit toujours la bonne chose à faire. La famille Fable a sa propre part d’ennemis. »
« Je vois ce que vous voulez dire. Mais je suis impressionné que Fia… » ait tourné comme elle l’a fait, voulait dire Alus.
Il était resté vague, mais Selva avait compris ce qu’il voulait dire. « La jeune demoiselle n’a pas été mise au courant. C’est pourquoi je leur ai demandé d’éviter tout contact inutile avec elle. »
C’est pourquoi elles n’étaient pas apparues pendant le dîner. En y repensant, il n’y avait eu que des servantes normales autour de Tesfia. C’était normal, car Sithaima mise à part, les deux autres servantes avaient une noirceur que même un amateur pouvait sentir. C’était le côté obscur de la famille Fable.
« J’aimerais donc que vous gardiez ce que vous avez vu et entendu éloigné de mademoiselle. Bien qu’elles soient servantes aujourd’hui, elles vivaient autrefois des vies dont elles ne pouvaient parler à personne. J’ai profité de la gentillesse de maître Frose pour les faire venir », lui dit Selva avec un sourire, comme s’il avait pitié des deux servantes.
« Si c’est ce qui est nécessaire, alors c’était une sage décision ».
« En effet. Elles font de leur mieux, veillant toujours sur la famille Fable depuis l’ombre. Oh, je crois que vous vouliez savoir autre chose ? »
Alus acquiesça, alors Selva commença à parler. « Ce n’est pas quelque chose que vous pouvez dire aux autres, mais cet homme était un de mes anciens “collègues”. C’était en quelque sorte une punition pour mes actes passés. »
En d’autres termes, il s’agissait d’un collègue assassin de l’époque. Alus comprit. Il y avait quelque chose entre Selva et lui qui leur permettait de se comprendre sans mots… peut-être comme des gens qui vivaient dans les ténèbres, des gens qui portaient un autre masque. « Pourquoi est-il venu ici ? »
« Pour moi. Pour ce qui s’est passé dans le passé. Je crois qu’il faut d’abord que j’en parle. Si vous avez regardé depuis le début, vous saurez qu’il s’agit de Vector qui était autrefois membre d’Aferka. »
« Aferka…, » Marmonna Alus en fouillant dans ses souvenirs. C’était un terme qu’Aile avait mentionné pendant leurs négociations l’autre jour. À l’époque, il avait suggéré que Lilisha avait un lien avec eux.
« Aferka est une armée privée qui était utilisée lorsque le conflit entre les nobles était le plus féroce. Son but premier était l’assassinat de personnes importantes dans les coulisses. Elle a commencé par être un groupe de combat entraîné par une certaine famille noble. »
Alus pouvait sentir l’hésitation de Selva. Le passé était pour lui un souvenir amer, quelque chose qu’il préférait garder sous clé. C’est pourquoi il ne voulait pas que Tesfia le sache.
« Quoi qu’il en soit, il était normal que les autorités s’en aperçoivent lorsque de puissantes familles étaient écrasées par la force. C’est ainsi qu’Aferka a été réorganisée en tant qu’unité exécutive sous l’autorité du dirigeant. »
Le conflit avait été réglé par l’intervention du souverain, mais ce n’était que la raison superficielle. Ceux qui ne s’intégraient pas avaient été purgés par la nouvelle lame du souverain… Aferka. Ainsi, presque toutes les familles nobles qui existaient encore aujourd’hui étaient celles qui avaient survécu à la période d’oppression du souverain.
Cependant, les critères de ces purges n’étaient toujours pas clairs. Aferka avait été mise en action contre bien plus que des factions hostiles.
« Bien sûr, détruire complètement une puissante famille noble était difficile. Alors, au lieu de cela, leur détermination serait ébranlée par un coup de lame pendant les négociations. Les familles anéanties servaient d’exemple lors de ces négociations. »
Alus ne s’intéressait pas beaucoup à la politique, mais maintenant qu’il s’était retrouvé pris dans un problème entre nobles, il écoutait attentivement ce que Selva avait à dire.
« Et en conséquence, la noblesse est devenue plus rusée et plus intelligente. Ils ont ciblé les faiblesses des uns et des autres. En apparence, les conflits se sont éteints, mais chaque famille a pris des mesures pour se protéger, et la famille Fable n’a pas fait exception. Aferka subsiste toujours, mais l’organisation a subi une transformation majeure, si bien que la souveraine actuelle n’a plus le pouvoir d’intervenir par la force. »
En réalité, cependant, Cicelnia avait une garde royale. Mais pour autant qu’Alus le sache, il n’y avait personne d’important dans le groupe, à part Rinne. Mais la spécialité de Rinne était la détection, ce qui était le résultat de la concentration des forces d’Alpha dans l’armée.
Alors peut-être que Cicelnia essayait de s’impliquer davantage auprès d’Alus à cause de sa position de faiblesse. Elle ne voulait pas d’un soldat, mais d’un garde fiable comme Rinne. On dirait que je suis assez populaire. Tout en marmonnant ces absurdités pour lui-même, Alus continuait d’écouter Selva.
D’après Selva, il semblait qu’Aferka était chargée de capturer ou d’éliminer les éléments instables au sein de la nation. Mais il semblait en avoir acquis la conviction il y a seulement quelques instants. « Il n’y a pas non plus qu’Aferka. Vector avait l’air d’avoir été en prison jusqu’à récemment. Son apparence émaciée le confirme. Pourtant, le fait qu’il se soit présenté ici suggère… »
« Qu’il s’est échappé ».
« Oui. J’en suis presque convaincu ».
« Ce qui pose la question de savoir d’où il s’est échappé ? » Il y avait beaucoup de prisons à Alpha auxquelles Alus pouvait penser. Il y avait aussi eu beaucoup d’incidents majeurs ces derniers temps. Le monde intérieur n’était paisible que si on le compare au monde extérieur. Les criminels normaux mis à part, il y avait eu des cas de criminels magiques causant des centaines de morts. « Au moins… je n’ai pas entendu parler de quelque chose comme ça à Alpha ».
« Moi non plus », dit Selva. « Je crois que je me pencherai sur la question plus tard ».
Alus et lui avaient échangé un regard. Ils avaient beaucoup de choses en commun et pouvaient plus ou moins comprendre ce que l’autre pensait.
Si cela ne se passait pas dans le monde intérieur… Selon les rumeurs, il y aurait une sorte de boîte de Pandore, secrète et cachée par un voile, contenant le côté obscur des sept nations. Je pensais que c’était possible, mais… une prison spéciale qui existe dans le monde extérieur ? Je ne sais pas.
Lorsque d’odieux criminels magiques tels que les cadres de Kurama étaient capturés, il y avait un problème quant à l’endroit où les garder. Il y avait un danger à les garder au sein de la nation. Il pouvait y avoir des évasions ou ils pouvaient être libérés par des alliés. Dans le cas improbable où ils seraient libérés, ils pourraient commencer à s’adonner à la magie.
Alus se frotta la nuque, tandis qu’il s’adressait à Selva avec une expression sérieuse. « Les choses commencent à être inquiétantes. »
« Je m’excuse de vous avoir impliqué dans cette affaire, Sire Alus ».
« C’est bon. Comme le Tenbram, j’ai décidé d’observer le combat par moi-même. À ce propos, qui était cet homme blond ? »
« Au minimum, il n’était pas dans l’armée ».
« Oui, s’il était dans l’armée, il ne manquerait pas à ce point de discipline ».
Selva avait légèrement ri à la remarque d’Alus. « Ha ha, en effet. Mais cet homme était fort. Il savait quand se retirer… et ses yeux en disaient plus long que sa bouche. »
« Je vois. » Alus voulait s’enquérir de la relation de l’homme blond avec Selva. Il connaissait à la fois le nom de Selva et une sorte de pseudonyme passé. Et puis il y avait la « conseillère » qu’il avait mentionnée.
Mais Selva n’avait rien dit à ce sujet. Alus ne reçut de lui que de vagues déclarations, comme pour éluder la question. « Je ne peux pas vous causer d’autres ennuis, Sire Alus. De plus, il s’agit de quelque chose qui s’est passé sur le domaine de Fable, alors s’il vous plaît, laissez-nous nous occuper du reste. » Il parlait poliment, mais en réalité, il voulait dire qu’il ne pouvait pas lui en dire plus.
« Je comprends. Alors ce n’est pas à moi de m’incruster dans la fête. » Alus laissa faire Selva, car il avait un certain degré de confiance en lui. Et ce n’était pas seulement parce qu’ils s’étaient parlé à coups de poing. Ils avaient tous deux vécus dans les bas-fonds de la société et se respectaient mutuellement.
Par-dessus tout, Selva soutenait la voie difficile que Tesfia avait choisie. Leurs intérêts étaient alignés, et en ce sens, il était plus digne de confiance que Frose.
Selva marchait tranquillement vers le manoir, les bras derrière le dos, tandis qu’Alus marchait derrière lui. Soudain, la marche précise comme un métronome de Selva fut perturbée, et il marmonna d’une voix basse que même Alus pourrait avoir du mal à entendre. « Sire Alus, peut-être voudriez-vous écouter ce vieil homme radoter tout seul ».
Il ralentit un peu. Son atmosphère était douce, comme s’il racontait une histoire à un petit-enfant. « Il s’agit de la magie héritée de la famille Fable dont il a été question hier ».
« — ! » Alus sursauta à l’idée que le majordome de la famille Fable se mette à parler des secrets de la famille. C’était sans doute un sujet qui irait à l’encontre de la volonté du chef de famille. Sachant cela, il avait appelé ça « Radoter tout seul ».
De son pas mesuré, Selva leva les yeux vers le manoir qui se trouvait devant eux. « Je dirai ceci parce que c’est vous ».
« Je croyais que vous vous parliez à vous-même ? »
« Ha ha, c’est ce que j’ai fait. Mais avant de le faire, sachez que Maître Frose n’a pas dit de mensonges. »
Comme Frose était à la tête d’une grande famille noble, Alus n’avait pas pu obtenir d’elle des informations précieuses sans passer de marché, mais il éprouvait du respect pour elle. Mais maintenant, Selva dépassait ses intentions pour dire à Alus quelque chose qui serait sûrement pour le bien de Tesfia. Comprenant cela, Alus se tint tranquille et attendit qu’il continue.
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