Chapitre 12 : Cuisine Yamano
Partie 4
Au moins, je me suis amusée, pensait-elle. Je vais jeter cette pièce d’or dans une de mes poches profondes. Après tout, elle a plus d’importance que l’or que j’ai gagné en vendant des lunettes.
Sabine avait pris goût à servir les clients, alors elle allait parfois au « Paradis » pour donner un coup de main. Elle servait les clients gratuitement — à moins que vous n’incluiez les repas du personnel — mais recevait suffisamment de pourboires des clients pour mettre de côté une bonne somme d’argent. La princesse était extrêmement douée pour demander des choses.
De plus, elle était toujours sous l’œil attentif de ses gardes pendant les heures de travail. Certains se déguisaient en clients, tandis que d’autres se faisaient passer pour de simples citoyens se promenant ou rôdant à l’extérieur du bâtiment.
Une fois leur contrat terminé, les deux femmes mercenaires étaient retournées à leur groupe, ayant gagné un joli pactole grâce à leurs pourboires et au travail lui-même. Elles auraient pu choisir une carrière confortable de serveuses, mais que feraient alors les pauvres hommes de leur groupe ?
C’est vraiment une question de visage ! Quoi ? Je n’ai pas eu de pourboires parce que j’étais dans la cuisine tout le temps ? OK, je suis soulagée.
◇ ◇ ◇
« Je vois que nous ne savons presque rien d’elle », dit le roi.
« Effectivement », répondit le chancelier.
Les deux hommes se trouvaient dans le bureau du roi au palais royal. Saar se tenait debout et écoutait attentivement le souverain lire un rapport.
« Elle est apparue de nulle part dans le comté de Bozes. Peu après, elle tua seule une meute de loups afin de sauver une villageoise, cette rencontre lui laissa de graves blessures dont elle se remit rapidement. Elle fit ensuite la connaissance de la famille Bozes et ouvrit un curieux magasin dans la capitale.
De plus, les marchandises qu’elle vend ont des origines inconnues, ses connaissances sont exceptionnelles et elle a fait preuve d’un talent exceptionnel en tant qu’animatrice du bal des débutantes de la jeune fille Ryner. J’ai du mal à croire qu’elle ne soit qu’une jeune femme noble venant d’un petit pays lointain. »
« L’archiprêtresse de la foudre, hein ? Un vrai personnage. Elle semble au moins ne pas vouloir faire de mal au royaume. Nous nous sommes rencontrés lors de la dissolution d’un réseau de trafic d’êtres humains, et d’après ce que j’ai entendu, elle aide beaucoup les gens. Elle a même sauvé Sabine, qui s’est beaucoup attachée à elle. Et vous devez aussi la remercier pour ces lunettes. »
« C’est vrai… »
« De toute façon, je ne vois aucun problème avec elle. Nous devrions même travailler pour la rapprocher de nous. Après tout, elle est… »
« Très intéressante, Votre Majesté. »
« En effet, elle l’est ! »
Leurs rires résonnèrent dans tout le bureau.
◇ ◇ ◇
« Hein ? Une invitation du roi ? », demanda Mitsuha.
« Oui. » Sabine fit un signe de tête.
« Mon frère aîné revient de son entraînement pour les campagnes avec la garde royale, et ma sœur revient de sa mission diplomatique dans un autre pays. Il veut te les présenter au cours du dîner. »
Franchement, c’est vraiment une douleur de niveau royale.
Mitsuha n’avait aucune idée de la raison pour laquelle elle devait être présentée à l’autre prince et à la princesse. Alors qu’elle et Sabine étaient en bons termes, les autres lui étaient fondamentalement étrangers. Elle ne comprenait pas pourquoi cela devait changer. Même le roi lui-même n’était pour elle que le « père d’une amie. »
Les pères qui se soucient trop des amies de leur fille sont des cinglés. Mais c’est le roi… Ce sera probablement bien pire pour moi si je dis non. Je suppose que je dois donc y aller.
◇ ◇ ◇
« Je suis là ! »
« Elle est là ! »
Mitsuha arriva au palais pour trouver Sabine qui l’attendait à la porte.
Je suppose qu’elle est très excitée à l’idée qu’une amie vienne visiter sa maison. C’est mieux que d’être accueillie par des soldats à l’air sinistre. J’aime les vieux hommes raffinés, pas les vieux pets sales.
La princesse conduisit Mitsuha dans une pièce relativement simple, et il lui fallut un moment pour réaliser que c’était la même que la dernière fois.
Peut-être que le palais a moins de pièces que je ne le pensais.
Le roi et sa femme étaient déjà à l’intérieur. La reine était belle, mais son silence minimisait sa présence dans la pièce.
Oh, j’ai compris. Elle laisse juste les projecteurs focalisés sur son mari. Bien joué, madame, pensa Mitsuha
En plus des deux parents, il y avait un prince qui avait peut-être un peu plus de vingt ans, et une princesse qui semblait avoir la vingtaine.
Attendez, elle a la vingtaine et vit toujours chez ses parents ? Dans ce genre de monde ? Vous savez, ça fait d’elle une vieille fille, enfin peu importe. Je ne voulais pas dire ça, d’accord, alors ne me regardez pas comme ça ! Et vous venez de lire dans mes pensées ? Est-ce que le professeur X est votre père ou quelque chose comme ça ?!
Au final, il y avait une princesse à la fin de son adolescence — dix-sept ou dix-huit ans, devinait Mitsuha — et les deux petits membres de la royauté qu’elle connaissait déjà, Sabine et Leuhen.
Toute la famille était présente, et leurs regards conjugués avaient donné à Mitsuha l’impression d’être évaluée tout au long du dîner. Les regards du frère et de la sœur aînés étaient particulièrement sévères. Ils ne semblaient cependant ni malveillants ni hostiles, et Mitsuha supposa qu’ils ne faisaient qu’évaluer l’étrangère dont leur plus jeune sœur était soudainement devenue si friande.
Ce n’est pas comme si j’avais voulu que cela se produise. Ahh, Sabine, ne t’avise pas de parler des DVD !
Quand le dîner s’était finalement terminé, Mitsuha fut heureuse de partir. Bien qu’elle ait d’abord appréhendé de se joindre à eux, leurs discussions sur les spécialités et les états économiques des différents territoires du pays avaient rendu l’affaire intéressante. Cependant, le roi lui avait également parlé des pays environnants. L’aînée des princesses avait même demandé son avis.
Pourquoi ? Je ne suis qu’une marchande ! Je me fiche que les voisins aient des soupçons. Et pourquoi le prince parle-t-il autant d’épées ? Est-il taillé dans le même tissu que Théodore ?
◇ ◇ ◇
En une occasion particulière, Mitsuha prit un jour de congé. Elle le faisait quand elle en avait envie, mais préférait réserver ces jours pour ses affaires au Japon. Cette fois, cependant, elle prit d’autres dispositions.
Elle s’était rendue dans la forêt où elle avait campé avec le groupe de Sven il n’y a pas si longtemps. Son but, vous demandez-vous ? Eh bien, le capitaine des mercenaires sur Terre l’avait invitée à un barbecue, et elle voulait trouver un cadeau pour lui et le reste de son équipage.
Oui, en fait, je suis devenue très amie avec le groupe des mercenaires, et pas seulement avec le capitaine. Il y avait chaque fois un nouvel instructeur, et on se mettait toujours à discuter. De plus, ils viennent tous de pays différents et je pouvais parler la langue maternelle de chacun, ce qui m’a aidée à marquer des points avec eux.
Maintenant que j’y pense, Sven et son groupe sont aussi des mercenaires. C’est fou que je puisse connaître des mercenaires de deux mondes complètement différents, et ce sont tous des gens bien.
Elle s’était tournée vers des cibles potentielles pour sa chasse. Tout d’abord, un sanglier serait trop pour elle. Ce n’était pas comme si elle ne pourrait pas en abattre un, mais parce qu’elle ne pourrait tout simplement pas le porter. Elle avait choisi de s’attaquer aux lapins à la place. Les oiseaux étaient également une option viable, mais arracher toutes les plumes aurait été un processus fastidieux.
Si j’avais plus de temps, je ferais un oiseau farci de légumes ou d’herbes… Tant pis.
Au final, elle avait réussi à avoir quatre lapins. Voulant s’entraîner, elle avait choisi d’utiliser son lance-pierre plutôt qu’une arbalète.
Je vais en prendre deux dans chaque main et… Et ben, ils sont lourds. Ahh, ow ow ow ow! Une des cornes vient de s’enfoncer dans ma jambe ! Hein ? Ai-je oublié de mentionner que les lapins ici ont des cornes ? Mon cerveau les traite juste comme des « lapins », pas comme des « lapins à cornes » ou quoi que ce soit d’autre, cela m’apprendra.
Une fois son objectif atteint, Mitsuha s’était rendue dans une partie vide de la base des mercenaires. Les flammes faisaient rage sous les nombreuses grilles de barbecue de fortune, que les mercenaires avaient assemblées à l’aide de barils de métal découpés.
Elle devrait bientôt arriver, pensa le capitaine.
Quelques secondes plus tard, il la vit, ainsi que les objets étranges qu’elle tenait dans ses mains.
« Je suis là ! », dit-elle d’une voix chantée.
« Euh, je vois ça », répondit maladroitement le capitaine.
Il fut surpris par son apparence.
Les vêtements qu’elle portait lui rappelaient immédiatement les hobbits. À sa ceinture, elle avait équipé un 93R, un revolver, un couteau, un poignard et une fronde. Une arbalète était placée dans le dos. Tout son ensemble, combiné à ses cheveux noirs soyeux et à son visage jeune, lui donnait l’air d’une sorte d’elfe ou de fée.
Maintenant que j’y pense… Elle a payé en yens la première fois. Les employés d’hôtel et les hommes d’affaires appellent parfois les Japonais des « fées », non ? Je suppose que c’est logique. Ce sont de petites créatures polies qui sont toujours occupées, qui ont toujours le sourire et qui font prospérer les lieux. Et si quelque chose de mal leur arrive, elles ne se plaignent pas, elles disparaissent et ne reviennent jamais. Une fois que l’une d’elles est partie, les autres suivent, et quand elles sont toutes parties, l’endroit part en couille. C’est ce qu’on m’a dit, en tout cas.
Un de mes garçons a dit qu’elles étaient comme une sorte de créature appelée… c’était quoi, un « zashiki warashi » ? Mais ce type s’en prenait toujours au Japon. Qui sait de quoi il parlait.
Bien que Mitsuha soit étrange à bien des égards, le capitaine l’appréciait en tant que partenaire commercial. Elle payait bien, ne causait jamais d’ennuis et n’était généralement qu’une fille amusante et intéressante, bien que de petite taille.
Cependant, il ne savait que faire des choses qu’elle avait apportées cette fois-ci. Vous pouvez continuer à dire que ce sont des lapins autant que vous le voudrez, mais savez-vous que les lapins n’ont pas de cornes ? Ouais, je les ai quand même mangés ! Et oui, ils avaient un goût génial, bon sang !
Un des jeunes hommes du groupe mit en ligne des photos de Mitsuha et des animaux étranges sur Internet, avec la légende suivante : « Une princesse est venue à notre barbecue. Elle a apporté des lapins à cornes avec elle. #justmercthings »
Allez, mec, as-tu déjà entendu parler de la vie privée ? pensa le capitaine.
Quelques jours après leur barbecue, ils reçurent la visite d’un certain nombre d’excentriques. L’un d’eux se disait érudit et voulait voir les lapins à cornes. Les mercenaires l’avaient informé qu’ils les avaient déjà mangés et avaient enterré les restes. En réponse, il les avait rapidement déterrés, leur remit sa carte de visite et partit.
Mais qu’est-ce qui se passe ? Et non, vous n’allez pas voir ou prendre des photos de la fée, bande d’idiots ! Foutez le camp et occupez-vous de vous !
Et donc, les jours paisibles continuèrent pour moi, même si ce n’était pas le cas pour les autres, pensa Mitsuha. Hein ? Ce n’est pas la vraie paix, alors ? Oups.
merci pour le chapitre
Merci pour le chapitre
Merci pour le travail. Barbecue avec des mercenaires, cela, je ne m’y attendais pas 🤣