Chapitre 12 : Cuisine Yamano
Partie 2
À neuf heures ce soir-là, un groupe de cinq personnes se réunissait dans le restaurant familial de la jeune fille, le « Paradis ». Une seule lumière brillait sur leur table, et y étaient assis Bernd et Stella, le couple propriétaire de l’établissement, Aleena, leur fille, Anel, l’apprenti, et bien sûr Mitsuha. Elle venait de finir de leur expliquer tout ce qu’elle avait dit à Aleena plus tôt dans la journée.
« C’est impossible ! Tout d’abord, regardez mon bras ! Anel peut très bien faire le travail de préparation, mais il ne peut pas gérer la cuisine tout seul. Tout ce qu’Aleena peut faire à ce stade, c’est aider pour les choses simples, et si nous avons trois personnes dans la cuisine, Stella va devoir se charger de l’accueil et du service toute seule. Elle ne peut pas travailler dans la salle à manger et à la caisse ! », déclara Bernd.
Il semblait catégorique.
« Bernd, vous comprenez pourquoi les apprentis ont besoin d’années pour devenir de vrais chefs ? », lui demanda Mitsuha.
« Quoi ? Eh bien, c’est parce qu’ils commencent par les bases, regardent les autres chefs travailler, s’entraînent pendant leur temps libre… »
« Exactement ! Personne ne s’assied pour leur apprendre. Ils doivent utiliser le peu de temps libre dont ils disposent pour s’entraîner par tâtonnements, ce qui fait beaucoup de désastres culinaires. Est-ce que j’ai raison ? »
« Oui, c’est comme ça qu’on devient chef. »
« Alors, imaginez que vous passiez la journée entière à apprendre à Anel comment préparer un seul plat. Il maîtrise déjà la préparation, non ? Si vous le martelez dans sa tête, il finira par le connaître assez bien pour le réussir à au moins 90 %, vous ne croyez pas ? Il n’aura pas à être parfait. »
« Vous n’avez pas tort pour la formation, mais en cuisine, les dix pour cent restants sont difficiles à atteindre. Si 90 % suffisent, Anel pourra probablement déjà faire quelques plats. »
« Je veux que vous passiez une semaine à entraîner Anel et Aleena. Ne vous inquiétez pas, vous pouvez les surveiller et les aider à réussir, même pendant qu’elles travaillent. Un bras cassé ne vous en empêchera pas, non ? »
« Uhh, je suppose… »
Anel pouvait à peine croire ce qu’il entendait. Dans le domaine de la cuisine, les seuls qui pouvaient apprendre directement de leur maître étaient soit leurs successeurs directs, soit des employés suffisamment fiables pour hériter de l’établissement, et même dans ce cas, cela n’arrivait généralement qu’à la fin de la carrière du chef. Un apprenti cuisinier recevant une semaine entière de formation était tout simplement inédit.
« Mais le goût manquerait encore, et ce n’est pas comme si notre restaurant avait une sorte de spécialité. Je ne pense pas que les clients qui sont allés ailleurs pendant notre fermeture à court terme reviendraient assez vite, et les habitués remarqueront la baisse de qualité… et comme je l’ai déjà dit, Stella ne peut pas s’occuper des clients seule. »
« Ne vous inquiétez pas ! J’ai un plan ! Je vais en faire une vraie promenade dans le noir ! », dit Mitsuha en souriant.
« Ce n’est pas du tout rassurant ! »
◇ ◇ ◇
Une semaine plus tard, le « Paradis » était de nouveau en activité.
« Une commande d’omelette de riz pour vous, et un udon pour vous ! Bon appétit ! »
« Steak spécial de Hambourg, ça vient tout de suite ! »
La salle était pleine d’activité. Quatre serveuses prenaient les commandes et distribuaient les plats aux clients. Outre Stella, il y avait les deux mercenaires féminines Gritt et Ilse, ainsi qu’une autre employée à temps partiel.
Mitsuha leur avait proposé ce travail. Attirées par l’idée d’un bon salaire, de la nourriture gratuite et d’une chance de faire une pause dans la chasse, elles n’avaient pas hésité à accepter. Le salaire et les repas du « Paradis », ainsi que la commission et la réputation qu’elles allaient gagner après avoir terminé le travail, constituaient une offre qu’elles ne pouvaient pas refuser. Mitsuha avait cependant choisi de n’engager que les femmes, estimant que les mercenaires masculins étaient inutiles dans cette situation.
Dans la cuisine, Anel et Aleena se mirent au travail en suivant les instructions de Bernd et Mitsuha. Bernd leur apprit à préparer les plats du menu standard du « Paradis », tandis que Mitsuha les guida dans l’art de la cuisine Yamano.
Oui, la cuisine Yamano. C’était le nom du mystérieux style culinaire qui était récemment devenu un sujet brûlant chez les nobles. On disait que c’était incroyablement délicieux, et on pensait qu’elle était préparée avec des méthodes inimaginables et des ingrédients impossibles.
De nombreux cuisiniers avaient essayé d’imiter cette nourriture en se basant sur le peu d’informations dont ils disposaient, mais aucun n’y était parvenu. Les seules exceptions étaient les individus qui avaient demandé l’aide du chef cuisinier d’une certaine maison noble.
Tout en apprenant sous ses ordres, ils lui avaient demandé comment l’appeler, ce à quoi il avait répondu : « Cuisine Yamano. »
Chaque plat avait son propre nom, bien sûr, mais c’était le nom qu’il avait donné à l’ensemble du style. La cuisine Yamano n’était pas le nom d’un seul plat, mais de tous les plats qui utilisaient les techniques Yamano. Elle s’apparentait à un art martial secret.
Les autres chefs le louaient pour la nourriture, mais il secouait toujours la tête en réponse, disant qu’il n’avait rien créé de tout cela — il l’avait simplement appris de son maître, puis l’avait honoré en mettant son nom sur la nourriture. C’était l’histoire de la cuisine de Yamano.
Lorsque le nom s’était répandu parmi les riches, il avait naturellement atteint leurs serviteurs, et à travers eux, les roturiers. De même, Mitsuha s’était efforcée d’utiliser les ouï-dire à son avantage. Elle avait demandé aux servantes des Ryners, ainsi qu’à Sven et Szep, de répandre la rumeur selon laquelle le « Paradis » servait la cuisine Yamano. Elle n’avait même pas pris la peine d’utiliser des prospectus cette fois-ci, car, en fait, la plupart des gens étaient illettrés.
C’est pour ça les prospectus n’ont rien donné quand j’ai ouvert mon magasin ! Bon sang !
Mitsuha avait tiré les leçons de cette erreur, et elle s’en tenait désormais au seul bouche-à-oreille pour faire de la publicité. Elle avait pris soin de ne pas en faire trop, car elle ne voulait pas que le restaurant reçoive plus de clients qu’il ne pouvait en accueillir.
L’objectif ne consiste pas à obtenir le plus grand nombre de clients possible le premier jour — il faut une stabilité à long terme !
Au « Paradis », la Cuisine Yamano suivait le modèle commercial de Mitsuha : « Gros profits, lents retours ». Après tout, le restaurant pouvait accueillir qu’une quantité limitée de clients. Elle avait choisi de cibler les personnes fortunées, les roturiers qui désiraient goûter au luxe, les hommes qui voulaient bien paraître devant des femmes, les vieux couples qui avaient économisé et voulaient célébrer une occasion spéciale, etc.
Bien sûr, la cuisine Yamano, qui était bon marché et facile à réaliser, avait des prix plus bas que les autres. Un bol de nouilles udon, par exemple, ne coûtait que cinq ou six petites pièces d’argent. C’était le genre de plats qui n’était pas considéré comme de la haute gastronomie, donc leur donner un prix élevé n’aurait pas été une bonne idée. Mais comme ils étaient assez populaires, Mitsuha était satisfaite.
Même les plats les plus chers n’étaient pas au même niveau que les arnaques de son magasin général. Aucun plat ne coûtait plus de deux pièces d’argent, soit environ 1 800 yens japonais. Et, comme on pouvait s’y attendre, le menu original du restaurant avait maintenu ses prix habituels.
Le premier jour après la réouverture du « Paradis », la plupart des tables étaient occupées pendant presque toute la journée. Le restaurant n’était pas complet, mais il avait tout de même connu un grand succès, montrant ainsi un exemple de la puissance des commérages. Dans l’après-midi, Stella avait brièvement surpris un homme qui regardait par la fenêtre, avec une expression amère. D’après ce qu’elle avait dit à Mitsuha, ce visiteur était le propriétaire du restaurant, un escroc qui essayait de les faire tomber.
J’ai envie d’ajouter que Marcel avait envisagé d’utiliser « Cuisine Mitsuha » au lieu de « Cuisine Yamano », mais je l’ai supplié de ne pas le faire. C’était difficile de trouver quoi utiliser à la place. « Cuisine japonaise » n’était pas tout à fait correcte, et cela m’embrouillerait aussi. « Cuisine de la Terre » ne fonctionnait pas bien non plus. Finalement, nous en avons parlé et nous nous sommes mis d’accord pour l’appeler « Cuisine Yamano ». Ça ne me dérangeait pas parce qu’il n’y a pas beaucoup de gens ici qui connaît mon nom de famille.
Quoi qu’il en soit, les employés à temps partiel du « Paradis » avaient été engagés sur la base d’un contrat de sept jours. Pendant cette période, Anel et Aleena avaient pour objectif de devenir suffisamment compétents pour gérer la cuisine par eux-mêmes, ce qui permettrait à Bernd de s’en tenir au travail de directeur. Il n’avait pas besoin de ses deux mains pour gérer la nourriture ou les paiements.
Le deuxième jour, Mitsuha commença à remarquer parmi ses clients des personnes d’apparence plus riche et de possibles nobles. Comme ces personnes avaient probablement une réputation à maintenir, elles ne voulaient pas que d’autres membres de la haute société sachent qu’elles avaient visité un restaurant aussi banal. C’était pour cette raison qu’ils portaient tous des vêtements simples et modestes.
Ce plan aurait été intelligent si cela n’était pas aussi évident, pensait Mitsuha. Non pas que cela m’importe qu’ils viennent dans cet endroit — cela faisait en fait partie de mon plan ! Si le menu unique du « Paradis » fait venir des nobles et des gens influents, tous ceux qui veulent s’en prendre à cet endroit — comme le propriétaire du restaurant — perdront un temps fou. Les clients puissants sont de puissants alliés !
Mais il semblerait qu’ils soient beaucoup trop nombreux. Nous avons même une file d’attente à l’extérieur. Je n’ai pas vraiment vu ça venir. Est-ce que ça va s’atténuer dans une semaine, je me le demande ?
Attends, Aleena, ce n’est pas comme ça qu’on fait du katsudon !
Au troisième jour, les affaires étaient florissantes. La formation en cuisine se déroulait également à merveille. Anel et Aleena commencèrent à exceller dans leur travail.
Mitsuha avait longuement réfléchi au type de cuisine Yamano à mettre au menu. Il était essentiel que les plats soient bon marché pour le dîner et ne dépendent pas de sa puissance de téléportation dans son monde, d’autant plus qu’elle n’était pas entièrement convaincue que c’était permanent. Il n’y aurait pas de tricherie avec les épices ou autres, et la nourriture devait être assez simple pour que même les débutants puissent la préparer rapidement et avec un minimum d’instructions. Dans ces conditions, elle avait choisi des choses comme le riz frit à l’omelette, le steak de Hambourg et les nouilles udon.
Je leur ai aussi appris à faire de la mayonnaise. C’est juste un mélange d’œufs, d’huile, de vinaigre et d’autres choses. Il n’y a pas de mal à faire progresser leur cuisine, non ? Ce n’est pas comme si je popularisais les micro-ondes ou autre chose. J’en ai cependant un pour moi, j’en ai besoin pour les aliments surgelés.
merci pour le chapitre
Merci et bon appétit 😎
Un mot oublié dans le paragraphe en italique suivant : C’est pour ça ….. les prospectus n’ont rien donné quand j’ai ouvert mon magasin ! Bon sang !