Chapitre 10 : Naissance de l’archiprêtre de la foudre !
Partie 2
Je ne reconnais pas ce plafond, pensa Mitsuha, pleinement consciente d’avoir déjà répété cette blague plusieurs fois.
Elle venait d’arriver au château et se sentait un peu déçue. Une partie d’elle s’attendait à être transportée dans une voiture tirée par un nombre excessif de chevaux blancs — sûrement l’équivalent d’une limousine dans ce monde — alors imaginer donc sa déception quand elle vit qu’elle devait marcher comme la roturière qu’elle était.
Le soldat âgé resta à ses côtés, même dans la salle d’attente. Mitsuha passait le temps en réfléchissant à son penchant personnel pour les types du genre « vieux monsieur raffiné » comme lui.
Il y a ce type, le comte Bozes, Stefan le majordome… Dans une dizaine d’années, le vicomte Ryner sera probablement lui aussi sur la liste.
Ses pensées furent interrompues lorsque quelqu’un l’appela.
« Je suppose que vous êtes Mitsuha ? »
Aussitôt après avoir vu l’homme qui avait parlé, Mitsuha avait été contrainte de faire la révérence. Oui, c’est bien le roi !
« S’il vous plaît, levez la tête. Venez ici et prenez un siège. Il n’est pas nécessaire que la sauveuse de ma fille s’embête avec les formalités. Moi-même, je ne m’embêterai pas avec une attitude terriblement “royale”. Traitez-moi comme un égal. », dit le roi.
Oh, donc il n’est pas ici en qualité de « roi », hein ? Mitsuha avait compris que même les rois se comportaient différemment selon la société environnante. Ils avaient des familles, par exemple, et ce n’était pas comme s’ils avaient tous commencé leur vie en tant que rois. Certains avaient même reçu le titre sans s’y attendre.
La salle dans laquelle ils se réunissaient était loin d’être une salle du trône pleine de ministres, et elle ne contenait que peu de monde pour que cela soit traité comme une affaire officielle. Il s’agissait simplement d’une réunion informelle où un père voulait la remercier d’avoir sauvé sa fille.
Réalisant qu’elle avait été nerveuse pour rien, Mitsuha jeta son premier vrai regard dans la salle. Il s’agissait d’un espace relativement modeste abritant une table et quelques chaises. Tout était luxueux, bien sûr, mais c’était la norme dans un palais. Mitsuha aurait été plus surprise si la pièce avait été décorée avec une table pliante et des chaises bon marché.
Le roi était accompagné d’une dame mûre et digne — la reine, sans doute — ainsi que de la princesse et d’un garçon à l’allure princière. Il semblerait être plus jeune que la princesse. Si Mitsuha devait le deviner, elle lui aurait donné huit ans. Il semblait s’intéresser particulièrement à elle.
La princesse lui a-elle dit quelque chose ? se demanda-t-elle.
Derrière eux, il y avait un homme âgé qu’elle supposait être le grand chambellan, derrière elle se tenait le soldat raffiné qui l’avait accompagnée jusqu’ici.
Je ne vais pas m’enfuir, bon sang !
« Très bien, Mitsuha l’archiprêtresse de la foudre… », commença le roi.
« Mitsuha la propriétaire du magasin général », corrigea-t-elle.
« Mitsuha l’archiprêtresse de la foudre. »
« Mitsuha la propriétaire du magasin général. »
« Mitsuha l’archiprêtresse de la foudre. »
« Mitsuha la propriétaire du magasin général. »
« Mitsuha l’archiprêtresse de la foudre. »
« Mitsuha, la propriétaire du magasin général. »
« Mitsuha la… propriétaire du magasin général. »
Il avait enfin cédé.
Mitsuha était consciente que c’était une occasion en or de renverser sa réputation et d’insister sur le fait qu’elle était, en fait, l’archiprêtresse de la foudre, mais elle avait finalement décidé de s’y opposer. Une fois qu’ils s’étaient mis d’accord sur la manière de l’appeler, elle expliqua ce qui s’était passé plus tôt dans la journée.
« Après que la princesse ait acheté quelques articles dans ma boutique, je l’ai raccompagnée. C’est alors que j’ai remarqué qu’un homme à l’air suspect la suivait. Cela m’a inquiétée, alors j’ai couru après eux. Vous ne pouvez pas croire ma surprise quand j’ai trouvé un groupe d’hommes qui essayaient de la kidnapper ! J’ai rassemblé mon courage et je les ai appelés, mais comme je ne suis qu’une petite fille, je ne pouvais rien faire. C’est alors que les soldats sont venus et ils nous ont sauvées toutes les deux. »
« Hmm. On m’a raconté une histoire différente », dit le roi.
« Après que la princesse ait acheté quelques articles dans mon magasin, je l’ai raccompagnée. C’était alors… »
« Je comprends ! Pas besoin d’en rajouter ! »
Heehee. J’ai encore gagné !
Mitsuha continua à traiter l’affaire de « l’archiprêtresse » comme une sorte de conte de fées ou comme un produit de son imagination, le roi s’était donc rendu. Ce qui s’était réellement passé n’était pas clair.
Selon certains rapports reçus au cours de leur conversation, l’enlèvement n’avait pas de motivation politique — les auteurs étaient des trafiquants d’êtres humains qui voulaient simplement enlever et vendre une belle fille. La princesse avait entendu parler du magasin général de Mitsuha par l’une des servantes. Par la suite, elle s’était échappée du château, s’était débarrassée des gardes qui la poursuivaient et avait attiré l’attention des trafiquants, qui ne savaient pas qu’elle était de la royauté.
L’industrie locale de la traite des êtres humains était secrètement soutenue par quelques nobles influents, de sorte que même le roi ne pouvait pas faire grand-chose pour l’arrêter. Cependant, quelles que soient les circonstances, une tentative d’enlèvement de la princesse avait été faite. Quel que soit le pouvoir qu’ils détenaient, tout noble qui s’opposerait à une enquête officielle sur cet incident serait qualifié d’allié des trafiquants et de traître du royaume. Par conséquent, les trafiquants et ceux qui les soutenaient étaient dans une situation très difficile.
Wôw, la princesse a fait quelque chose de grand pour le pays, pensa Mitsuha.
Elle apprit que la princesse, Sabine, avait dix ans, et le jeune prince, Leuhen, huit. C’était les plus jeunes de leurs cinq enfants, et les autres — deux sœurs et un frère — étaient un peu plus âgés qu’eux. Sabine et Leuhen étaient donc plus proches l’un de l’autre que les autres. Les frères et sœurs plus âgés les aimaient, bien sûr, mais ils avaient choisi de ne pas participer aux jeux des plus jeunes.
« J’espère que vous vous entendrez bien avec mes enfants », lui dit le roi avec Sabine à ses côtés, tous deux rayonnants.
« Pareil pour moi », répondit Mitsuha avec maladresse.
Attendez, « les enfants » ? Vous avez des projets pour moi ? Attendez, le plus important…
« Votre Majesté, avez-vous l’impression de ne plus voir aussi bien qu’avant ? », demanda Mitsuha.
« Oui, en fait. Depuis un moment, j’ai du mal à lire les petites lettres, alors j’ai commencé à utiliser une lentille. »
Hein ? Vous avez ça ? ! Vous êtes plus âgé que je ne le pensais !
Elle se demanda brièvement pourquoi elle n’avait vu personne porter de lunettes, mais se souvint que sur Terre, les lentilles convexes utilisées pour la presbytie s’étaient répandues bien avant les lentilles concaves utilisées pour la myopie. Les premières lentilles utilisées pour soutenir la vue étaient soit des loupes, soit des lunettes de nez — pas du type Groucho, mais plutôt pince-nez.
Contrairement aux myopes, les presbytes n’avaient pas besoin d’utiliser des lentilles tout le temps. Les lunettes Pince-nez étaient défectueuses et pouvaient tomber facilement, de sorte qu’elles étaient surtout portées pendant la lecture, et non pas lors de promenades en ville.
Je ne sais pas si les lunettes sont populaires en ce moment, mais ça ne sert à rien d’y penser ! Quoi qu’ils aient, cela ne fera pas le poids face aux merveilles de la Terre modernes !
« Pourriez-vous essayer ça pour moi, s’il vous plaît ? » demanda Mitsuha.
Elle présenta alors au roi cinq séries de lunettes de son sac.
« Essayez de les mettre comme ceci. Chaque paire est légèrement différente, alors trouvez celle qui vous aide à mieux voir. »
« Hmm, comme ça ? », demanda-t-il, en mettant la première paire.
« Oh, mon Dieu ! Elles sont si légères ! Et je peux voir si clairement ! Elles aident mes deux yeux, et mes mains sont complètement libres. Elles ne bougent pas quand je regarde en bas ou quand je secoue la tête, je n’ai donc pas besoin de les ajuster sans cesse ! »
Il essaya ensuite les autres lunettes.
Ils ont donc des lunettes pince-nez. Mais on ne dirait pas qu’elles sont du genre à avoir une lanière.
« Saar ! »
Le roi appela le vieil homme derrière lui, qui vint en chercher une paire pour lui.
« Oh ? Ohhh ! »
« Eh bien ? Tu as dit que tu n’aimais pas utiliser une lentille ou tes lunettes. Que penses-tu de cela ? »
« Tout est si clair… Ces lunettes sont meilleures que tout ce que je n’ai jamais connu ! Elles sont légères et robustes, et je suis libre d’utiliser mes deux mains. Cela rendra les longues heures de travail beaucoup plus faciles ! »
Le vieil homme était encore plus heureux que le roi. Mitsuha n’avait pas prévu ce résultat, mais ne voyait pas d’inconvénient à s’entendre avec le grand chambellan. Le roi l’apprécierait sûrement aussi.
« Maintenant, il faudra encore quelques années avant que ce vieux chien ne cesse d’être chancelier », dit fièrement le vieil homme.
Oh, c’est donc lui le chancelier, pensa Mitsuha en remettant les paires de lunettes restantes dans son sac.
Avec ces deux paires comme publicités ambulantes, elle allait gagner encore plus de clients, surtout parmi les élites du pays — un groupe avec lequel elle comptait gagner beaucoup d’argent.
Quoi ? Vous pensez que c’est une manière de faire de la vente agressive ? Que voulez-vous dire ? Je ne fais que vendre quelque chose à un prix exorbitant, c’est tout !
« Avez-vous d’autres marchandises de cette qualité ? S’il vous plaît, ne vous retenez pas. L’argent n’est pas un problème ! », demanda le roi.
« Eh bien, je fais ça pour vivre. Tant que vous me payez, je peux vous vendre n’importe quoi. Sauf les filles, bien sûr. »
« Pas de filles, vous dites ? »
« Non. »
« Je vois. Hahaha ! »
Le chancelier et Mitsuha avaient rejoint le roi dans son rire. Bien que la plaisanterie avait pu sembler un peu sombre vu l’échec de l’enlèvement de la princesse, c’était aussi la façon de Mitsuha de dire : « Vous ne pouvez pas me contrôler, peu importe l’argent que vous avez. »
Le roi l’avait compris, tout comme le chancelier. La reine, en revanche, n’avait probablement pas compris.
Bien que cela lui aurait plu, le roi n’avait pas fourni à Mitsuha de calèche pour rentrer chez elle. Elle avait donc dû repartir comme elle était venue, à pied. Elle pensait cependant que c’était pour le mieux. Le fait d’être raccompagnée à son magasin par une calèche portant les armoiries de la famille royale aurait pu lui causer des ennuis inutiles.
merci pour le chapitre