Mushoku Tensei (LN) – Tome 11 – Chapitre 4

***

Chapitre 4 : Les sentiments d’un frère

***

Chapitre 4 : Les sentiments d’un frère

Partie 1

J’avais pris connaissance de la situation alors que je me rendais à l’école avec Sylphie un matin.

Linia et Pursena m’attendaient devant le portail. Dès qu’elles nous virent nous approcher, elles avaient accouru et m’avaient expliqué que Norn s’était enfermée dans sa chambre la veille et qu’elle refusait d’en sortir.

« Je vais aller jeter un coup d’œil ! »

Sylphie était partie en courant vers le dortoir des filles presque instantanément.

De mon côté, j’étais figé sur place. J’aurais probablement dû suivre ma femme, mais la nouvelle m’avait fait paniquer. Je suppose que le mot enfermé avait des connotations très lourdes pour moi.

« Tu n’y vas pas aussi, patron ? »

« Vas-tu ignorer ça ? »

Je ne savais pas quoi dire.

Qu’est-ce que j’allais faire ? Qu’est-ce que j’étais censé faire ? J’avais l’esprit vide. Dans mon cas, tout était fini à la minute où je m’étais enfermé dans ma chambre. J’étais resté enfermé toute ma vie.

Pourquoi n’en étais-je jamais sorti ? Parce que je pensais que le monde extérieur était un endroit dangereux, plein de gens qui voulaient me faire du mal. Je pensais que je serais à nouveau malmené si je retournais à l’école. Oui, tout avait commencé par de l’intimidation. Je savais qu’ils me rendraient malheureux encore une fois si j’essayais de sortir de mon isolement.

Je devais m’attaquer à la cause du comportement de Norn si je voulais qu’elle change. Avant d’essayer de l’amadouer, je devais trouver la raison pour laquelle elle se cachait dans sa chambre.

Un souvenir de mon passé m’avait traversé l’esprit. J’étais à la cafétéria de mon ancienne école, faisant patiemment la queue. Mais alors que c’était enfin mon tour, une bande de voyous effrayants avait fait irruption devant moi. Empli d’une juste colère, j’avais stupidement décidé de me défendre. Je les avais sermonnés assez fortement pour que tout le monde entende, même s’ils me ricanaient et me disaient d’aller me faire foutre.

Je pouvais voir d’autres étudiants commencer à nous regarder. De plus en plus fier de moi, je m’étais entêté, exigeant des excuses. Au lieu de cela, ils m’avaient battu vicieusement. Quand ça s’était terminé, je pensais qu’ils m’avaient estropié à vie.

Cette seule erreur avait transformé ma vie en un véritable enfer.

S’il y avait une chance que Norn traverse quelque chose de similaire en ce moment, je devais l’aider. Je battrais les brutes qui la harcelaient jusqu’à ce qu’elle se sente à nouveau en sécurité.

Leurs amis ou parents pourraient s’en prendre à moi plus tard, mais je m’occuperais d’eux aussi si je le devais. Je me fichais qu’ils soient de riches aristocrates, ou même de la royauté. Je les combattrais avec tout ce que j’ai. Je m’assurerais qu’ils vivent en regrettant de m’avoir contrarié.

Il y avait une possibilité que Norn ait déclenché le conflit initial. Mais quoi qu’ils lui aient fait en réponse, ils avaient manifestement dépassé les bornes.

Norn était ma sœur. Cela n’avait pas d’importance si elle nous détestait Aisha et moi, ou si elle ne voulait pas vivre avec nous. Elle faisait toujours partie de ma famille. C’était bien le travail du grand frère que de protéger ses frères et sœurs, non ?

Quelques minutes plus tard, j’avançais dans le couloir vers les salles de classe des premières années, suivi de près par Linia et Pursena. J’avais envisagé de faire ça tout seul, mais je ne pensais pas que mon visage était particulièrement intimidant. Au moins, avec ces deux-là à mes côtés, tout le monde devrait savoir que j’étais sérieux.

« Euh, patron… »

« Ne fais pas ça, Linia. Tu ne vois pas à quel point il est en colère ? C’est plutôt effrayant. »

Les deux filles semblaient un peu dubitatives à ce sujet. C’était compréhensible. Je les entraînais dans une situation sérieusement embarrassante. Mais pour l’instant, je n’allais pas laisser mon sentiment de honte m’arrêter. En ce moment, j’étais en mode parent surprotecteur.

Peu de temps après, nous avions atteint la classe primaire de Norn. La leçon était déjà en cours.

« Excusez-moi », avais-je dit tout en ouvrant la porte et en entrant directement.

« Euh, M-Monsieur Greyrat ? Nous sommes au milieu de… »

« J’aimerais que vous me laissiez un peu de temps, si vous le voulez bien. »

« Mais… »

« Ce ne sera pas long. »

En écartant le professeur, j’avais pris sa place derrière l’estrade.

Avant de commencer, j’avais regardé la classe. Tout le monde me regardait avec surprise. Mais quelque part dans cette foule, il devait y avoir une brute qui s’en prenait à ma petite sœur.

L’avaient-ils frappée ? Lui donner des coups de pied ? Peut-être qu’ils l’avaient seulement insultée pour le moment. Peut-être s’étaient-ils juste moqués d’une petite fille triste et seule, isolée dans une ville inconnue.

« Comme la plupart d’entre vous le savent, un membre de cette classe était absent hier. »

Personne n’avait rien eu à dire à ce sujet.

« Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que c’est ma petite sœur. »

Ça avait fait réagir. J’avais entendu des murmures tout autour de la classe.

« Je n’ai pas encore entendu les détails de ma sœur, mais il n’y a pas beaucoup de raisons pour qu’une enfant de son âge arrête de venir en classe. Je pense que quelqu’un dans cette salle est probablement responsable. »

J’avais balayé la salle du regard en parlant, à la recherche d’une réaction. Un certain nombre d’élèves avaient baissé les yeux sur leur bureau lorsque j’avais établi un contact visuel avec eux. La plupart d’entre eux étaient des enfants à l’allure plus dure qui commençaient déjà à faire quelques entorses au code vestimentaire. Avaient-ils mauvaise conscience, peut-être ?

En regardant de plus près, j’avais réalisé que l’un d’entre eux était ce délinquant que j’avais rencontré quelque temps auparavant. Je n’arrivais pas à me souvenir de son nom. Cela pourrait-il être lui ?

Ralentis. Il est trop tôt pour commencer à sauter aux conclusions.

« Je n’attends pas grand-chose de ces responsables. Peut-être qu’ils ne faisaient que s’amuser, ou qu’ils essayaient d’apprendre à connaître ma sœur, et que les choses ont pris une tournure bizarre. Peut-être qu’elle les a en quelque sorte provoqués. », avais-je dit.

Je regardais tous les visages de la classe très attentivement maintenant.

Qui était-ce ? Qui la harcèle ? Est-ce ce gosse de riche là-bas ? Ou peut-être cet enfant démon renfrogné ? Non, ça pourrait tout aussi bien être une fille ordinaire. Les enfants ordinaires peuvent être parfois les plus méchants de tous les tyrans.

« J’apprécierais beaucoup que toutes les personnes impliquées se manifestent et l’admettent. Je ne vais pas vous crier dessus. Je veux juste que vous reconnaissiez ce que vous avez fait et que vous vous excusiez auprès de ma sœur. »

Et après ça, je vous réduirai en purée.

Certains des enfants dans cette pièce étaient à peu près aussi jeunes que Norn, mais la majorité était plus âgée. Certains étaient même à la fin de leur adolescence. Il y en avait probablement au moins quelques-uns qui avaient détourné le regard. Il y avait même une chance qu’ils aient tous été dans le coup. Plus j’y pensais, plus j’étais en colère.

Pendant quelques longs moments, personne n’avait dit un mot. Tout le monde me fixait, les yeux écarquillés par la surprise.

« Uhm… »

Finalement, une fille du groupe hésita à lever la main. Il m’avait fallu beaucoup de volonté pour m’empêcher de lui tirer dessus avec un canon de pierre.

C’était une homme-bête, âgée de treize ans, peut-être, qui ressemblait un peu à un chien viverrin. Elle avait un visage rond, des yeux timides, et une coupe de cheveux au carré. Ce n’était sûrement pas le type d’enfant qui aurait pu faire des brutalités. C’était plus facile de l’imaginer se faire intimider.

« J’étais en train de parler à Norn l’autre jour, et… »

« Tu lui as accidentellement dit quelque chose de méchant ? »

Tant que ce n’était que quelques mots méchants, peut-être que j’irais doucement avec elle.

« Non, non ! C’est juste que, euh… J’ai entendu beaucoup d’histoires sur vous, M. Greyrat. Mais Norn est plus une fille ordinaire, non ? J’ai juste fait remarquer que vous étiez assez différents l’un de l’autre, et elle s’est mise en colère contre moi… »

Ça n’avait aucun sens. Pourquoi Norn se serait-elle énervée pour ça ? Elle ne voulait pas être comme moi. Elle ne m’aimait même pas.

« Oh… »

La professeur qui se tenait sur le côté de la pièce semblait s’être souvenue de quelque chose. J’avais tourné mon attention vers elle. À première vue, la femme ressemblait à une magicienne ordinaire d’âge moyen. Il ne m’était même pas venu à l’esprit qu’un professeur pouvait être le coupable, mais les adultes pouvaient évidemment aussi être des brutes.

« Quelque chose vous est venu à l’esprit, Mademoiselle ? »

« Eh bien, je rendais à Norn ses devoirs hier, et… »

« Elle ne pouvait pas finir tous les devoirs que vous lui aviez donnés, alors vous l’avez fait se tenir nue dans le bureau de la faculté pendant une heure ? »

« Quoi ? N-Non, non ! Elle n’a pas très bien réussi son devoir, alors je lui ai dit d’apprendre de votre exemple et de faire un peu plus d’efforts la prochaine fois. »

« … »

« J’ai cru qu’elle allait pleurer pendant un moment, mais elle hocha ensuite la tête et dit qu’elle ferait de son mieux. »

Attendez, quoi ? Elle a failli pleurer ?

« Oh, attendez, je me souviens que… »

Tout d’un coup, il y eut plusieurs personnes qui s’exprimèrent de partout dans la classe. Et tous avaient des histoires similaires à partager.

Après avoir laissé la classe derrière nous, nous nous étions dirigés tous les trois vers le réfectoire. À cette heure de la journée, il était totalement désert.

***

Partie 2

J’avais pris un siège au hasard et m’étais effondré sur la table. Cette fois, ça faisait vraiment mal.

Pour faire court, tout m’était revenu. Chaque fois que Norn avait perdu son sang-froid, c’était parce que quelqu’un avait mentionné mon nom ou l’avait comparée à moi.

La plupart des élèves de sa classe savaient que nous étions frères et sœurs. Ce n’était pas trop étrange en soi. Nous avions les mêmes parents, et nous nous ressemblions. Mais chaque fois que quelqu’un le mentionnait, Norn réagissait mal. Elle détestait être comparée à moi, mais elle était tout aussi contrariée lorsque quelqu’un faisait référence à moi pour la complimenter.

Ses camarades de classe n’étaient pas à blâmer pour tout cela. Aucun d’entre eux n’essayait délibérément de la contrarier. Certains d’entre eux essayaient même d’être gentils en lui disant qu’elle n’avait rien à voir avec son effrayant frère.

Le vrai problème était que presque tout le monde dans cette école me connaissait. Et donc, même sans le vouloir, ils avaient tendance à parler de moi quand ils étaient avec elle. Cela avait toujours été difficile pour Norn. Dans son ancienne école, elle était constamment comparée à Aisha, et jamais d’une bonne façon. Elle était la sœur la moins douée, et ils lui avaient mis le nez dedans tous les jours.

Elle était enfin dans une nouvelle école, vivant seule, sans Aisha pour lui faire de l’ombre. Mais avant qu’elle ait eu la chance de reprendre son souffle, tout le monde commença à la comparer à moi. Où qu’elle aille, elle avait été forcée de faire face au fait qu’elle était la membre la moins talentueuse de sa famille.

Ça avait dû être dur en soi. Et puis, pour couronner le tout, il y avait eu l’incident de la culotte.

Heureusement, personne n’avait été traumatisé par cette histoire. Ariel avait fait un excellent travail de suivi avec les victimes, et maintenant, la plupart d’entre elles pouvaient y repenser et en rire. D’après ce que j’avais compris, Linia n’avait pas forcé les filles à se déshabiller contre leur gré, mais les avait plutôt harcelées pour qu’elles échangent leurs sous-vêtements. Il semblerait que quelqu’un avait vu cela de loin et avait donné au conseil des élèves une version exagérée des événements.

Pourtant, je ne pouvais qu’imaginer ce que Norn avait ressenti quand elle l’avait appris. C’était déjà difficile de se sentir inférieur à son frère, mais se sentir inférieur à son frère totalement pervers doit être dix fois pire.

« Soupir… »

Mais c’était quoi mon problème au fait ? J’avais tiré des conclusions hâtives et fait irruption dans sa classe comme un idiot. Je n’étais pas un parent surprotecteur, j’étais un idiot surprotecteur.

« Désolé de vous avoir entraînées là-dedans, les gars. Je suppose que j’ai été un peu stupide. », avais-je marmonné en regardant mes fidèles subordonnées.

« Ce n’est pas vrai. Ce n’est jamais stupide d’essayer d’aider sa famille. »

« Elle a raison, patron. »

« Si la petite reste dans cette chambre trop longtemps, son cerveau va fondre en bouillie. »

« C’est vrai, miaou. »

« Elle pourrait même devenir aussi stupide que Linia. »

« Ouais, elle pourrait…rrrrrr !! »

Je n’avais même pas pu esquisser un sourire alors que Linia et Pursena se livraient à leur comédie habituelle. Je savais à quel point ce genre de situation pouvait être délicate. Les gens n’arrêtaient pas de sortir parce que c’est amusant. Il y avait toujours une raison pour laquelle ils ne pouvaient pas se résoudre à sortir, et les faire sortir de force de leur chambre n’y changeait rien. En fait, cela ne faisait qu’aggraver le problème.

Cela dit, ce n’était pas le genre de chose que nous pouvions simplement ignorer. Si Norn restait là trop longtemps, elle finirait par le regretter. Même un mois ou deux gaspillés pouvaient avoir de graves conséquences.

Je savais malheureusement tout cela par expérience. Mais ce n’était pas quelque chose que vous pouviez expliquer à un enfant qui était au milieu de tout ça.

Finalement, même les cas les plus têtus commençaient à souhaiter pouvoir revenir en arrière et faire les choses différemment. Mais il fallait beaucoup de temps pour en arriver là. Le vrai regret ne vous frappait pas avant qu’un an — ou deux, ou même dix — se soient écoulés. Et à ce moment-là, il était trop tard pour revenir sur les choix que vous aviez faits.

Je suppose que c’était en partie pourquoi tant de parents poussaient leurs enfants si fort. Tout le monde avait des regrets. Parfois, on reportait ces regrets sur les autres.

« Dites-moi, vous deux. Disons que vous êtes moins doués que vos frères et sœurs, et que les gens ne cessent de vous le rappeler. Quelle est la meilleure chose que vous puissiez faire pour y remédier ? »

Linia et Pursena s’étaient regardées et avaient haussé les épaules.

« Je ne sais pas, patron. On est de base toutes les deux assez douées. »

« Oui. On est douées pour tout. »

Attendez, je croyais que vous aviez été envoyées ici parce que vous étiez trop bêtes et paresseuses pour diriger votre tribu. Pas vrai ? Genre, ils voulaient vous remettre en forme avant de vous donner du pouvoir ?

Eh bien, peu importe. Leur manque total de conscience de soi ne leur avait pas fait de mal. Cette approche n’allait cependant pas fonctionner pour Norn. Ce n’était qu’une petite fille sensible, pas une narcissique à fourrure.

« Oh, je connais quelqu’un comme ça, pourtant ! Tante Ghislaine ! C’était une voyou qui passait tout le temps à se battre. Mais ensuite, elle a commencé à s’entraîner, et elle a fini par devenir un roi de l’épée ! », dit fièrement Linia.

« Hmm. Ok, ce n’est pas un mauvais exemple… »

Ghislaine était un cas exceptionnel, mais il y avait certainement une chance que Norn ait un talent inattendu que nous n’avions pas encore découvert. Il n’y avait aucune raison pour qu’elle soit en compétition avec moi ou Aisha dans les domaines où nous étions bons. Si elle ne voulait pas être comparée à nous, elle pouvait simplement faire quelque chose qu’aucun de nous n’avait essayé. Je n’étais pas sûr de ce que ce quelque chose pouvait être, mais le monde était grand. Elle pourrait sûrement trouver un domaine qui l’intéressait, en dehors de la magie ou de l’épée.

Il y avait un risque qu’elle ne soit pas particulièrement douée dans ce qu’elle déciderait de faire de sa vie. C’était aussi arrivé à Zanoba. Mais malgré son manque de talent en tant qu’artisan, le prince semblait quand même profiter de la vie. Il pouvait fabriquer ses propres figurines, les collectionner et les apprécier. C’était suffisant pour le rendre heureux, et c’était tout ce qui comptait vraiment.

Néanmoins, il serait probablement difficile de convaincre Norn de cela. Aucun de ces arguments n’aurait fonctionné sur moi à l’époque.

« Mais comment suis-je censé lui parler de tout ça ? »

« Ne réfléchis pas trop, Patron. Fais irruption là-dedans et dis-lui franchement ! »

« Oui. Dis-lui juste de ramener ses fesses en classe. »

Elles avaient fait en sorte que ça paraisse simple… mais peut-être que je passais trop de temps à essayer de penser à tous ces détails. Norn n’avait après tout que dix ans. Peut-être qu’elle était juste en train de bouder.

Je voulais dire, c’était seulement son deuxième jour dans sa chambre, non ? Il était bien trop tôt pour la qualifier d’enfermée à ce stade. Passer quelques jours seul quand on se sentait mal n’avait rien d’inhabituel.

Cela dit, il était évident qu’elle avait du mal en ce moment. Je m’étais dit qu’elle avait probablement juste besoin d’espace, mais était-ce vraiment vrai ? Peut-être que j’avais juste évité le problème.

En tant que grand frère, j’aurais pu au moins essayer de soutenir activement Norn et l’aider à s’adapter. L’approche passive était peut-être plus facile, mais cela ne signifiait pas que c’était le meilleur choix. Ce serait peut-être une autre histoire s’il s’agissait d’un lycéen, ou même d’un collégien, mais Norn n’avait que dix ans. Lui donner plus d’attention qu’elle n’en voulait était probablement la bonne décision.

Avant que je ne le sache, j’avais établi un plan d’action.

« Bon, très bien. Je vais aller lui parler. »

« C’est l’esprit, Patron ! »

« Ouais. Va lui donner une petite claque sur la tête. »

Bien sûr, étant la cause directe des problèmes de Norn, il était donc très possible qu’elle n’écoute pas un mot de ce que j’avais à dire. Mais je n’allais pas me rendre fou en pensant à ça. Chaque chose en son temps : je devais aller la voir et entendre ce qu’elle avait à dire.

« Oh. Je ne sais pas trop comment je vais réussir à faire pour aller la voir… »

La chambre de Norn était dans le dortoir des filles. Je pouvais passer devant en toute sécurité ces jours-ci, mais cela ne signifiait pas qu’ils allaient me laisser me promener à l’intérieur.

« Tu vas juste te faufiler à l’intérieur, évidemment. »

« Il est temps de faire une opération secrète, patron. Laisse-nous nous occuper de la planification ! »

***

Partie 3

« L’opération secrète » ne s’était heureusement pas avérée trop difficile. J’avais beaucoup d’amis à l’intérieur : Sylphie et Ariel étaient aussi dans ce dortoir. Lorsque j’avais expliqué la situation à la princesse, elle avait immédiatement accepté de m’aider. Bien sûr, Goliade et les autres membres de son équipe d’autodéfense n’allaient pas se laisser convaincre aussi facilement, et la visite devait donc rester secrète.

Linia, Pursena et Sylphie s’occuperaient du soutien opérationnel réel. Sylphie était prête à aider, mais elle semblait un peu abattue par la situation.

« Je suis désolée, Rudy. Je t’ai promis que je garderais un œil sur Norn, mais elle ne veut même pas me parler… »

« Ce n’est pas ta faute, Sylphie. Je suis le seul à blâmer ici. »

J’avais expliqué ce que j’avais appris sur la situation, notamment le fait que la dépression de Norn avait beaucoup à voir avec moi.

Sylphie avait écouté en silence, mais elle avait finalement froncé les sourcils et secoué la tête.

« Rien de tout cela ne semble être de ta faute, Rudy. »

« Quoi ? Mais je… euh… »

Hm. Maintenant que j’y pensais, peut-être que je n’avais pas vraiment fait quelque chose de mal. Mais ce n’était pas comme si j’avais très bien géré la situation.

Ça n’avait de toute façon pas d’importance. J’avais toujours besoin de réparer ça.

*****

Ce soir-là, j’avais attendu l’heure du dîner, puis je m’étais dirigé vers le dortoir.

La majorité des résidents étaient à la cantine en ce moment. La rumeur s’était répandue qu’Ariel allait y faire un discours impromptu, et elle attirait toujours une grande foule.

Cela ne voulait cependant pas dire que les dortoirs seraient totalement déserts. Le réfectoire ne pouvait pas contenir tous les étudiants, même si on essayait. Pourtant, j’avais compris que les membres de l’équipe d’autodéfense étaient encouragés à y assister.

Je m’étais glissé le long du bâtiment aussi furtivement que possible, à la recherche d’une pièce spécifique. Après quelques instants, je l’avais repérée : une fenêtre avec une seule fleur posée sur le rebord.

J’avais attrapé un petit caillou et l’avais jeté sur la fenêtre. Un instant plus tard, elle s’était ouverte en glissant. Après cela, il ne me restait plus qu’à me soulever du sol avec le sort Lance de Terre et à grimper à l’intérieur.

« … Hm. »

Je m’étais retrouvé à l’intérieur d’une pièce sombre ayant une forte odeur animale. L’odeur ne me dérangeait pas tant que ça. Peut-être était-ce parce que les bêtes en question étaient aussi des jeunes femmes. Les animaux avaient tendance à être plus tolérants envers les odeurs émises par des compagnons potentiels, non ?

« Merci pour ton aide. »

« De rien, patron. »

Linia m’attendait ici depuis un moment. Ses yeux de chat scintillaient légèrement dans l’obscurité.

Mes yeux commençaient à s’ajuster, j’avais donc jeté un coup d’œil à l’endroit. La disposition était parfaitement typique. Il y avait un lit superposé à deux niveaux, quelques bureaux et chaises, et un placard commun.

C’était un peu difficile à dire, mais la chambre avait l’air d’être un peu en désordre.

« Ne regarde pas trop autour de toi, patron. C’est embarrassant, tu sais ? »

« C’est vrai. Désolé. »

J’avais fait quelques pas prudents en avant et j’avais tâtonné, à la recherche de la poignée de porte. À la place, ma main s’était refermée sur quelque chose d’étrangement doux.

« Ooh. C’est un des soutiens-gorge de Pursena. »

« … »

Je n’étais pas sûr de son tour de poitrine, mais au toucher, ça devait être impressionnant.

« Nyheh. N’hésite pas à l’emporter chez toi, patron. »

« Je ne pense pas que tu puisses décider de ça. »

J’avais jeté le soutien-gorge avec un soupir. En temps normal, j’aurais pu en profiter pour le presser contre ma bouche et prendre quelques grandes respirations, mais il n’y avait pas de temps à perdre pour le moment.

Linia s’était glissée devant moi et avait frappé à sa porte de l’intérieur. Quelques secondes plus tard, un autre coup avait répondu de l’extérieur.

« On dirait qu’on est bon. »

Nous avions tous les deux fait pivoter la porte, et je m’étais rapidement glissé dans le chariot à linge qui attendait juste devant, me terrant sous une pile de draps.

Rien qu’à l’odeur, je pouvais dire qu’ils venaient du lit de Sylphie. Il y avait aussi des couvertures et des chemises pour donner un peu plus de volume, et tout cela sentait comme elle. Je n’arrivais cependant pas à trouver l’énergie pour m’exciter.

Norn était la seule chose à laquelle je pensais en ce moment.

Ma petite sœur souffrait. Elle était toute seule dans cette pièce, totalement isolée, se cachant du monde. Et je devais l’aider. J’étais après tout son frère.

« OK. On y va. »

Et alors que le chariot avançait dans les couloirs, je pensais au problème en cours.

Si c’était juste une crise de colère, ce ne serait pas grand-chose. Mais si c’était quelque chose de plus sérieux ? Serais-je utile ici ? Jusqu’au jour où mes frères m’avaient jeté à la rue, je n’avais jamais réussi à sortir de chez moi. S’il y avait un argument qui aurait pu me faire sortir, je ne le connaissais pas.

« On arrive, patron. »

Le chariot avait atteint sa destination avant que je puisse tirer de véritables conclusions.

Nous étions devant la chambre de Norn.

J’avais poussé la porte aussi silencieusement que possible et j’étais entré.

La pièce était totalement sombre, je m’étais donc arrêté pour allumer une des bougies dans le coin.

Dans sa faible lumière, je pouvais voir Norn assise sur son lit, tenant ses genoux contre sa poitrine. Ses yeux étaient ouverts, et elle me fixait.

« … »

Je m’étais approché lentement d’elle et j’avais pris place sur la chaise la plus proche.

Mais au fait, qu’est-ce qu’on était censé dire dans des moments comme ça ? Qu’est-ce que j’aurais voulu que quelqu’un me dise ? Je n’arrivais pas à me souvenir. Tous les mots que j’avais répétés à l’avance s’étaient évaporés de mon esprit.

Je pouvais au moins me souvenir des choses que je détestais entendre. Principalement les clichés faciles. Au moins, je n’allais pas tomber dans le schéma « c’est comme ça ou rien ». Pas de « tu retournes à l’école tout de suite ». Pas de « je paie tes frais de scolarité pour une raison, jeune fille ». Et pas de « arrête de faire une telle nuisance de toi-même ».

Ce genre de phrases ne ferait que se retourner contre moi.

Dans un sens, Linia et Pursena avaient peut-être raison : une claque sur la tête serait plus simple. Norn n’avait que dix ans, cela pourrait suffire à lui faire faire ce que je voulais. Mais ce serait le contraire d’une solution à long terme. Une autre crise surviendrait bien assez tôt, et elle deviendrait de plus en plus rebelle.

Et en plus de tout le reste, elle se cachait ici par ma faute. Quel droit avais-je de lui faire la morale, et encore moins de la frapper ? Au moins, je lui devais des excuses.

Mais ce n’était pas comme si mes excuses allaient changer quoi que ce soit. Les rumeurs sur moi n’allaient pas disparaître, et Norn allait continuer à être comparée à moi.

« Norn, je… »

« Uhm, Rudeus — »

Nous avions tous les deux parlé exactement au même moment.

Je m’étais coupé au milieu de la phrase pour que Norn puisse continuer. Mais elle s’était tue elle aussi. C’était une sensation désagréable. J’avais eu l’impression d’avoir raté ma seule chance.

Je devais cependant croire que ce n’était pas vraiment le cas. Je m’étais donc forcé à entamer la conversation.

 

« Je suis désolé, Norn. Ça n’a pas été facile pour toi ici, n’est-ce pas ? »

J’avais fait une pause pendant un moment, mais elle n’avait rien dit en réponse.

« Tu as finalement été acceptée dans une nouvelle école, mais maintenant tout le monde te harcèle à mon sujet. Je ne sais même pas quoi dire, honnêtement… », avais-je continué.

Norn n’avait pas répondu.

« Je suppose que je ne te comprends pas vraiment… si bien que ça… »

Toujours pas de réponse. Et malgré toute la réflexion que j’avais faite en venant ici, je m’étais retrouvé à court de mots. Je ne savais rien d’elle. J’avais gardé mes distances avec elle, me disant de ne pas être indiscret. Je n’avais même pas essayé d’apprendre à la connaître.

« … Je sais que cela doit être difficile pour toi, mais je ne suis pas sûr de ce que je dois faire », avais-je essayé à nouveau.

Norn était toujours silencieuse. Je ne pouvais pas commencer à dire ce qu’elle pensait. Je ne savais même pas si elle m’écoutait.

Est-ce que c’était en fin de compte une cause perdue ? Devrais-je simplement reculer et attendre que Paul arrive ? Peut-être que je devrais prendre du recul et chercher de l’aide auprès des gens que je connais. Nanahoshi pourrait peut-être m’aider à comprendre ce qu’une jeune fille pouvait penser. Peut-être qu’Elinalise pourrait trouver une façon intelligente de l’amadouer. Il n’y avait aucune raison pour que j’essaie de résoudre ce problème tout seul, non ?

« … Oh. »

Soudainement, je m’étais souvenu d’une chose à laquelle je n’avais pas pensé depuis longtemps.

Quand j’avais commencé à me couper du monde, un de mes frères venait me voir dans ma chambre. Il me regardait toujours droit dans les yeux et m’assénait toutes sortes d’arguments qui semblaient raisonnables.

« La vie a toujours des hauts et des bas, tu sais ? Mais il y a des gens qui ont plus de mal que toi. Les choses sont peut-être difficiles en ce moment, mais si tu fuis tous tes problèmes, tu continueras à fuir pour toujours. C’est bien pire à long terme. Tu n’es pas obligé de retourner à l’école tout de suite, mais pourquoi ne viens-tu pas au moins déjeuner avec moi ? »

Dans mon esprit, j’avais répondu à ces mots en lui crachant au visage. Et en réalité, je l’avais ignoré.

Malgré cela, il restait là un certain temps après avoir prononcé ses discours. Il me regardait attentivement, comme s’il avait quelque chose de plus à dire. Mais je continuais à l’ignorer, persuadé qu’il ne pouvait pas comprendre mes sentiments.

Peut-être que c’était ce qu’il avait ressenti à l’époque.

Nous restions assis comme ça pendant des heures, parfois dans un silence total, avant qu’il ne se lève et ne parte. Au bout d’un moment, il avait cessé de venir. Je ne pouvais que deviner ce qu’il pensait. Et bien qu’il ne soit plus venu, un tas d’autres personnes avaient commencé à me rendre visite à la place. Peut-être qu’il avait arrangé ça.

Finalement, je n’avais pas non plus prêté attention à ce que ces gens disaient.

Cela pourrait être un tournant crucial. Si je me retirais maintenant, j’avais le sentiment que Norn pourrait rester dans cette pièce pour toujours.

Je ne pouvais pas simplement me retourner et fuir. Pas cette fois.

Pendant un long moment, j’avais étudié ma sœur tranquillement dans l’obscurité.

***

Si vous avez trouvé une faute d’orthographe, informez-nous en sélectionnant le texte en question et en appuyant sur Ctrl + Entrée s’il vous plaît. Il est conseillé de se connecter sur un compte avant de le faire.

Laisser un commentaire