Chapitre 1 : Cœur pur et émotions contradictoires
Table des matières
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Chapitre 1 : Cœur pur et émotions contradictoires
Partie 1
Nous étions maintenant dans un hôtel. Étant donné que nous étions encore assez éloignés de notre destination, nous n’avions donc pas le choix. Hokkaido était une grande préfecture.
Réalisant qu’un blizzard s’annonçait, nous avions choisi l’endroit le plus proche possible. Ces conditions étaient trop dangereuses pour voyager.
Mais nous avions immédiatement rencontré un problème. La chambre que nous avions réservée était grande, mais elle était destinée à une famille de quatre personnes. Il n’y avait que deux lits doubles pour moi, Carol, Sewatari, Nattyan et Destiné.
« Peut-être aurions-nous dû réserver deux chambres », avais-je dit tout en poussant une chaise dans le coin de la pièce et en m’asseyant.
Nous étions tous étalés sur les lits, discutant, y compris Destiné. Elles s’étaient alors toutes tournées pour me fixer.
« Vous êtes toujours en train de parler de ça ? Nous avons convenu que c’était plus sûr de ne pas se séparer. De plus, c’est moins cher », déclara Sewatari.
« C’est amusant d’être avec tout le monde ! », dit Carol.
« Ne me dis pas que tu as des pensées impures, Yoshiocchi ? »
Les filles s’étaient liguées contre moi, ignorant mon malaise. Fort heureusement, Carol ne comprendrait pas où Nattyan voulait en venir.
Destiné ! Ne te contente pas de hausser les épaules ! Pourquoi tu as l’air si déçu par moi ? Écoute, ce n’est pas comme si j’avais une quelconque peur !
Je savais très bien qu’il pouvait y avoir des gens jouant des dieux corrompus à nos trousses en ce moment précis. Nous ne pouvions pas être trop prudents. Sewatari n’avait pas besoin de me faire remarquer le problème de sécurité. Il ne serait pas facile de nous pourchasser dans ce blizzard, mais nous ne savions pas quels puissants miracles ils avaient à leur disposition. Ils avaient peut-être la capacité de contrôler le temps, comme moi, ou une autre méthode pour traverser la tempête.
J’étais juste préoccupé par le fait qu’un homme partage une chambre avec deux femmes. Mais ce n’était pas comme si je prévoyais de faire quelque chose de bizarre, j’avais un certain niveau de retenue. Honnêtement, je m’inquiétais davantage pour Sewatari, qui serrait Carol dans ses bras avec un sourire étrange sur le visage.
« Tu veux juste rester dans la même pièce que Carol, n’est-ce pas ? », avais-je demandé.
« Oui ! », répondit-elle avec un sourire angélique.
J’aurais éloigné Carol si elle avait l’air mal à l’aise, mais elle souriait, elle aussi. De plus, Sewatari ne tenterait rien si Nattyan la regardait ?
« On va prendre un bain ? Ils ont un énorme bain public ici ! »
« Un grand bain ? Oui ! Allons-y ! Allez, Seri ! Nattyan ! »
« Je vais te laver. D’accord, Carol-chan ? Senpai n’a pas le droit. »
« Pourquoi pas ?! »
Le trio rassembla des vêtements de rechange et partit au bain. Je les avais accompagnées à mi-chemin, avant de me diriger vers le bain des hommes.
Je m’étais faufilé sous le tissu marquant les bains masculins et j’étais dans le vestiaire vide. Soit il était un peu tôt dans la soirée pour se baigner, soit cet endroit n’avait pas beaucoup de réservations.
« Les filles sont probablement en train de s’amuser sans moi. »
Seul, j’avais parlé à voix haute par habitude.
J’avais dézippé mon sac avec mes vêtements de rechange, et Destiné sortit sa tête de l’interstice. J’avais pensé à le laisser, ainsi que le livre, dans notre chambre, mais cela ne semblait pas sûr. De plus, Destiné pourrait me protéger si quelque chose arrivait.
« Attends-moi dans le casier, d’accord ? Je ne vais pas le verrouiller. Si quelque chose arrive, fais beaucoup de bruit pour me prévenir. »
J’avais gratté son menton pendant que je parlais.
Destiné me fixa de ses grands yeux, puis hocha lentement la tête. Je me sentais beaucoup plus en sécurité avec mon lézard de garde dans les parages.
J’avais fermé le casier et ouvert la vitre de la baignoire. La vapeur me frappa d’un seul coup, enveloppant mon corps. Les douches et la baignoire elle-même étaient si grandes que je me sentais gêné de les avoir pour moi tout seul. Je m’étais rincé avant d’entrer dans l’eau.
« La chaleur retire donc bien la fatigue, hein ? »
Mon corps et mon esprit étaient tellement fatigués que je me sentais encore mieux que d’habitude. J’aurais pu rester des heures, mais je ne voulais pas que Destiné reste trop longtemps dans ce casier.
« Ça ne peut pas faire de mal de prendre un peu de temps. »
J’avais essayé de faire le vide, mais mon cerveau refusa de me laisser faire, tournant en rond. Des pensées d’Habatake et du punk. Des pensées de Sewatari et Nattyan.
Je savais que Habatake et son groupe étaient dans le camp opposé, et j’étais presque sûr que Sewatari et Nattyan étaient de mon côté. Il était possible qu’elles finissent par me trahir, mais j’en doutais. Qu’est-ce qu’elles auraient à y gagner ? Elles auraient pu facilement intervenir et prendre Carol et le livre à l’extérieur de la station sans prétendre me défendre. Non, elles étaient définitivement mes alliées. Pour je ne sais quelle raison, Sewatari me fit sentir… en sécurité.
Malgré cela, je restais sur mes gardes. J’avais utilisé le livre pour surveiller les deux femmes plus tôt, lorsqu’elles nous avaient laissées, Carol et moi, mais elles n’avaient rien fait de suspect. Je ne serais pas aussi paranoïaque s’il n’y avait que moi en danger, mais Carol, Destiné et même les autres villageois étaient concernés. Je ne pouvais pas laisser de place à l’erreur.
Je m’étais enfoncé dans l’eau jusqu’à ce qu’elle arrive à mon menton et j’avais fixé le plafond.
« Peut-être que si j’étais plus intelligent, je pourrais trouver une sorte de plan. »
*
Avant de mettre la main sur Le Village du Destin, je n’avais jamais utilisé mon cerveau pour quelque chose de plus complexe que de battre un jeu vidéo. J’avais gâché mes journées sans prendre la peine d’accumuler des connaissances ou de me connecter à la réalité. J’avais dû réfléchir davantage au cours de ces deux derniers mois que pendant le reste de la décennie.
« Penser est vraiment fatigant, hein ? », avais-je demandé au lézard doré qui nageait dans la baignoire devant moi, sa queue ondulant à travers les…
« Attends, qu’est-ce que tu fais là ?! »
Il était censé être dans le casier !
J’avais regardé autour de moi, l’air fort troublé, mais il n’y avait personne d’autre ici. Mon Dieu, imaginez si l’un des autres clients avait vu un énorme lézard dans les bains publics. J’avais sauté hors de l’eau, attrapé un seau, et jeté Destiné à l’intérieur.
« Pourquoi es-tu venu ici ? Je pensais t’avoir dit de rester dans le casier ! »
Je l’avais regardé fixement. Ce dernier cligna des yeux vers moi et tira la langue innocemment.
« Non, tu ne t’en sortiras pas en te comportant comme un lézard ordinaire ! »
J’avais alors soupiré.
« OK, je suis désolé. Je suppose que tu voulais venir aussi, hein ? »
Je ne pouvais pas rester en colère quand il me regardait comme ça. Je voulais dire, je l’avais laissé dans un casier pendant que j’allais profiter d’un bon bain chaud tout seul.
« Très bien. Tu peux rester avec moi, mais nous devons partir dès que quelqu’un d’autre entre, d’accord ? »
J’avais caressé doucement la tête de Destiné, ses yeux s’étaient rétrécis de plaisir. Il n’y avait aucun moyen qu’il ne puisse pas comprendre ce que je disais.
J’avais donc décidé que nous ne nous baignerions que quelques minutes de plus. Je ne voulais pas laisser les filles m’attendre. Une fois que nous avions terminé, j’avais remis Destiné dans le seau. Le vestiaire était encore vide, et quand j’avais vérifié notre casier, j’avais constaté qu’il était scellé par une couche de gel.
« Oh, c’était intelligent. Bon travail. », dis-je à Destiné
Il avait fait en sorte que le livre saint et le reste de nos affaires soient en sécurité. On s’était tous les deux rapidement séché, puis je l’avais remis dans mon sac. Il y aurait une humidité inconfortable à l’intérieur vu que Destiné venait de sortir du bain, mais c’était la seule véritable option.
Nous avions quitté les bains et nous étions assis sur un banc pour attendre les filles. Elles devaient être encore en train de se baigner. N’ayant rien d’autre à faire, j’avais sorti mon téléphone et cliqué sur l’application Village du Destin. Elle s’était ouverte sur la zone autour des bains avec une vue d’ensemble.
« Voir dans des bâtiments comme celui-ci ne devrait pas être possible avec notre technologie actuelle. »
Même chose pour les personnages du jeu. Ils étaient censés être animés par une IA performante, mais j’avais du mal à y croire. Je veux dire, j’avais des doutes depuis le début, mais maintenant il n’y avait pas d’autre explication. Cela signifiait que le jeu était lié à un autre monde, et… cela ne semblait pas non plus très probable.
En jouant avec l’application, j’avais réalisé que ce téléphone pouvait regarder dans les bâtiments, et en ce moment, il me montrait juste l’extérieur des bains publics. Si je zoomais… je pourrais voir dans les bains eux-mêmes, non ?
J’avais vraiment besoin de savoir si Carol était en sécurité.
« Je plaisante. Je ne ferais jamais quelque chose d’aussi sordide. »
« Qu’est-ce qui est sordide ? », me chuchota une voix dans mon oreille.
« Gah ! »
Je m’étais aussitôt mis debout.
Les filles étaient là, les joues rouges.
Depuis combien de temps sont-elles là ?!
« Tiens. »
Sewatari me passa une bouteille de boisson fraîche.
Je la pris avec reconnaissance, j’étais desséché après le bain. J’avais bu tout en essayant d’effacer mes pensées indécentes.
Le trio portait un yukata fourni par l’hôtel. La tenue convenait particulièrement bien à Sewatari. Sa beauté était mise en valeur par le vêtement traditionnel. Nattyan ressemblait à… une lycéenne allant à un festival. Tout ce dont elle avait besoin, c’était de la barbe à papa dans une main et des calmars séchés dans l’autre. Carol ressemblait simplement à une touriste, mais la façon dont ses cheveux blonds s’harmonisaient avec le yukata la rendait encore plus mignonne.
Apparemment, elles s’entendaient bien toutes les trois.
« Tu avais l’air un peu anxieux là. Ne le sois pas. Il n’y a plus de raison de s’inquiéter pour le jeu. Tu dois parler directement aux développeurs. Ce ne sera plus très long maintenant. », dit Sewatari.
« Oui ! »
Nattyan était d’accord.
« Ça ne sert à rien de stresser en ce moment. »
« Oui, vas-y doucement. »
Comme elles avaient raison, j’avais hoché la tête, même si ce n’était pas du tout ce qui m’angoissait. Mais elles n’avaient pas besoin de le savoir.
***
Partie 2
« Vous avez raison. Je vais arrêter d’être obsédé par ça. Il est plus important de se concentrer sur l’arrivée à bon port. », dis-je.
« Tu as tout compris ! Maintenant, allons prendre un dessert ! »
« Oui ! »
Carol jeta un poing triomphant en l’air. Geste qui fut aussitôt repris par Nattyan. Et bien qu’elles ne se connaissent que depuis une demi-journée, elles étaient totalement à l’aise ensemble. Je ne serais pas surpris si elles étaient proches en âge, du moins, mentalement.
J’avais regardé Carol sourire, laissant Nattyan et Sewatari la tenir par les mains. J’avais eu l’envie soudaine de tendre la main et de la tirer en arrière. Carol allait bien, mais elle était encore une enfant. Sa mère devait lui manquer, ce qui la poussait à s’habituer très vite à toute présence féminine. Je le comprenais, mais je me sentais quand même un peu exclu.
« Je me demande si nous allons bientôt terminer ce voyage. »
Si tout allait bien, nous devions rencontrer les développeurs demain.
C’est peut-être la dernière soirée que je passe avec Carol.
La solitude serra mon cœur, mais, pour son propre intérêt, je ne pouvais pas le laisser paraître.
J’avais fini ma bouteille de thé, m’étais levé et étais allé les rejoindre.
Au moment où je m’étais réveillé à l’hôtel, je trouvais une femme qui dormait à côté de moi.
Je plaisantais. Je m’étais réveillé avec Destinée. Il roupillait confortablement dans mes bras, mais n’offrait pas beaucoup de chaleur. Destinée dormait habituellement avec Carol, mais Nattyan et Sewatari lui tinrent compagnie la nuit dernière. Je m’étais assis pour m’assurer qu’elles étaient toutes présentes. Et fort heureusement, ce fut le cas. Elles dormaient même encore profondément. Comme Sewatari et Nattyan avaient porté leur yukata au lit, j’avais eu des aperçus séduisants de leurs poitrines et de leurs jambes. Et même si j’aurais aimé continuer à regarder, je m’étais forcé à détourner mon regard.
Les laisser dormir me paraissant bizarre, j’avais ainsi pris mon téléphone et mis l’alarme. Elles s’étaient réveillées en sursaut. J’avais attendu dans le hall le temps qu’elles se changent, puis j’étais entré pour me changer moi-même, avant que nous ne nous dirigions tous vers la réception pour régler nos comptes.
Le ciel était clair aujourd’hui. D’après les prévisions météorologiques, nous allions avoir des conditions de conduite parfaites toute la journée. J’espérais qu’elles étaient exactes.
Nous avions quitté l’hôtel en pensant atteindre notre destination avant midi, mais lorsque j’avais regardé le paysage, l’anxiété m’envahit. Nous n’avions vu que des arbres depuis un certain temps déjà. La route que nous avions empruntée n’était même pas goudronnée, et c’était un miracle que notre voiture soit arrivée jusqu’ici. Et malgré le temps qu’il faisait, l’épais feuillage bloquait la lumière du soleil, rendant le monde lugubre. La route était si cahoteuse que je n’arrêtais pas de me cogner la tête contre le plafond de la voiture.
« Tu es sûr que c’est le bon chemin ? », avais-je demandé.
« Bien sûr ! C’est plus rapide que l’autoroute. »
« Oui. C’est ce que je voudrais dire, mais Senpai n’a aucun sens de l’orientation. Ça ira tant qu’on suit le GPS. Technologie moderne, non ? »
L’assurance de Nattyan a eu l’effet inverse de celui escompté. Aujourd’hui, c’était Sewatari qui conduisait, et si elle avait l’air confiante, je ne l’étais pas.
J’avais jeté un coup d’œil sur le GPS. La route de montagne sur laquelle nous nous trouvions n’était même pas indiquée. Pourquoi aucune des deux n’était-elle inquiète ? Mais comme c’était elle qui vivait dans la région, et pas moi, je devais donc leur faire confiance. Je n’avais même pas de permis de conduire.
J’essaierai peut-être d’en obtenir un une fois de retour chez moi…
Je m’étais accroché à ma ceinture de sécurité et j’avais regardé par la fenêtre. La voiture tanguait tellement qu’on avait l’impression qu’on allait sortir de la route à tout moment. Oh, avais-je mentionné qu’il y avait un gros précipice à gauche du chemin ? C’était si raide que la probabilité qu’on en sorte vivant en y tombant n’était pas totale.
« Ah, oups. J’ai failli déraper un peu là ! »
« Bordel, c’est intense ! »
J’allais à tous les coups obtenir mon permis si je rentrais à la maison sain et sauf. Je l’avais ajouté à ma liste de moyens pour remettre de l’ordre dans ma vie.
« Il y a tellement d’arbres ici ! C’est comme au village ! », dit Carol avec enthousiasme.
Elle avait le visage collé à la fenêtre et regardait la nature abondante qui défilait.
Je n’avais pas fait le lien avant, mais elle avait raison. Le village était entouré d’arbres comme celui-ci.
Je me demande comment vont mes villageois…
J’avais vérifié l’application. Mes points de destin continuaient à augmenter. Je m’étais décidé à prendre ça comme une indication que mes villageois étaient en vie. J’avais pourtant besoin de les voir de mes propres yeux avant que cela ne devienne autre chose qu’une spéculation pleine d’espoir. J’évitais autant que possible de parler du village, afin de ne pas contrarier Carol. La tristesse assombrit ses yeux alors qu’elle regardait par la fenêtre. Il était clair que ce qu’elle avait à l’esprit.
« Nous allons bientôt rencontrer les dieux, Carol. Ils seront en mesure de t’aider. »
« Oui ! Je sais que tout le monde est en sécurité ! »
« C’est vrai. Ils sont sains et saufs. »
J’avais injecté autant de certitude dans ma voix que je le pouvais. Ils allaient bien. J’en étais sur.
« Nous serons bientôt hors des montagnes ! On va bientôt arriver. », annonça Nattyan.
Carol et moi avions redressé le dos. Une brèche s’était ouverte entre les arbres sur la route devant nous, laissant passer la lumière du soleil.
« Après ça, nous serons à l’air libre », dit Sewatari.
Soulagé par le fait que nous ayons enfin laissé ces routes terrifiantes derrière nous, j’avais regardé à travers le pare-brise la clarté qui nous attendait. J’avais instinctivement serré mes paupières, et quand je les avais rouvertes, je vis alors une ligne de chemin de fer. Nous roulions sur une route parallèle à la voie ferrée qui s’incurvait sur la droite. Au lieu des vastes champs typiques d’Hokkaido, cette zone était dominée par plusieurs grandes usines.
« Cette voie ferrée longe la zone industrielle. Beaucoup de grandes entreprises ont leurs lignes de production ici, c’est donc une zone assez animée même si elle est éloignée de toute grande ville. », expliqua Sewatari.
« Oui, il y a une zone résidentielle non loin des usines. », acquiesça Nattyan.
J’avais repéré une petite gare en amont, avec un rond-point devant elle, et quelques magasins et restaurants sur une bande à proximité. J’avais également vu quelques chaînes de magasins, mais la plupart d’entre eux ressemblaient à des magasins locaux. Il y avait peut-être même plus de magasins ici que là où je vivais à la campagne.
« Avoir tous ces restaurants et magasins autour doit être pratique », avais-je dit.
« Oui ! Tu dois seulement conduire quelques minutes pour trouver la plupart des choses. »
C’est vrai, ça… attendez. Comment Nattyan pourrait-elle savoir ça ?
« Ow ! »
J’avais inhalé brusquement quand la voiture s’arrêta, me cognant la tête contre le siège du conducteur devant moi. J’avais levé les yeux pour me plaindre, mais j’avais constaté que les deux avaient défait leur ceinture de sécurité et me regardaient avec impatience.
« Nous sommes arrivés, Yoshio-kun. »
« C’est la société qui développe Le Village du Destin : Isekai Connection », dit Nattyan.
J’avais suivi leurs regards. Un immeuble de quatre étages à occupation mixte se tenait à côté de nous. Je l’avais reconnu sur l’image satellite que j’avais vue en cherchant l’adresse. Il était encore plus miteux dans la réalité qu’il ne l’était en ligne. Les murs extérieurs étaient d’un gris terne, et le bâtiment semblait vieux de plusieurs décennies. Cela ne ressemblait peut-être pas à la demeure des dieux, mais qu’est-ce que les promoteurs pouvaient bien être d’autre ?
« Est-ce ici qu’ils ont fait le jeu ? »
J’étais sorti après Nattyan et Sewatari. L’immeuble à côté d’Isekai Connection abritait une petite boutique et un café, dessinés à partir du même design ancien. Les piétons déambulaient dans les rues.
Incapable de croire que la société à l’origine d’un jeu aussi impossible se trouvait juste à l’extérieur, j’avais consulté le répertoire à l’extérieur du bâtiment. Le premier étage abritait une agence de voyage. Les deuxième, troisième et quatrième étages appartenaient tous à Isekai Connection. Maintenant que j’étais enfin là, ma nervosité augmentait.
Si on comparait mes expériences actuelles à un jeu vidéo, tout ce qui s’était passé jusqu’à présent n’était que le prologue. C’était ici que le vrai jeu commençait. Il était temps de parler avec les développeurs et de trouver un moyen de renvoyer Carol chez elle.
« Tu as l’air un peu raide », remarqua Sewatari.
« Je deviens nerveux en pensant à ce qui nous attend. »
« Oh, à propos de ça. Nous devrions probablement nous excuser. »
Sewatari se gratta la tête maladroitement et détourna son regard.
« La vérité est que… »
« Vous travaillez ici, non ? En tant que développeurs. »
Ses yeux s’arrondirent et elle me fixa. Elle ne s’attendait clairement pas à ce que je dise ça. Nattyan, qui jouait avec Carol à côté, entendit et regarda avec surprise.
« Tu… le savais ? »
« C’était évident. Je veux dire, vous n’arrêtiez pas de me faire des allusions, non ? »
D’après la conversation qu’on avait eue dans la voiture, ce n’était pas trop dur à comprendre. Elles connaissaient trop bien la région, elles parlaient comme des gens du coin. Tout le monde pouvait s’en rendre compte.
« Eh bien, oui, tu as raison. On a pensé que ce serait plus facile pour toi si tu le découvrais au lieu qu’on te le dise tout d’un coup. »
Je devrais être reconnaissant pour ça. C’était comme elle avait dit. Puisque j’avais déjà tout compris, je pouvais accepter cette révélation sans broncher.
« Attends, vraiment ?! »
Nattyan avait l’air choquée. Apparemment, elle n’avait pas été dans le plan de Sewatari.
Carol et Destinée avaient l’air de s’en moquer, regardant à travers la grande fenêtre de l’agence de voyages au premier étage. Ils remarquèrent alors que je regardais, je leur avais fait signe de revenir vers nous.
Sewatari attendit que nous soyons tous regroupés, puis sourit : « Bienvenue, joueur Suenaga Yoshio. Bienvenue, villageoise de l’autre monde, Carol. Et bienvenue, Destinée le basilic. Je suis l’un des développeurs du jeu. Je suis le Dieu du destin. »