Chapitre 1 : Amie d’enfance, sœur, lézard et moi
Au moment où j’étais rentré, j’avais couru dans ma chambre pour voir Destinée avant même de jeter un coup d’œil à mon PC. Il était en train de manger un fruit que papa ou Sayuki lui avait vraisemblablement donné, mais son dîner n’était pas le problème. Il était avec moi la nuit dernière. Peut-être qu’il avait rampé dans mon sac à dos à la recherche d’un endroit pour rester au chaud ?
« Destinée, as-tu fait… ce que tu as fait hier soir ? »
Je l’avais regardé droit dans ses énormes yeux ronds.
Il m’avait fixé pendant une brève seconde avant de retourner son attention sur le fruit.
« Bien… A quoi je pense ? Les lézards ne peuvent pas faire ce genre de choses. Hé, Destinée, je suis désolé de ne pas t’avoir prêté assez d’attention, mais ça te dérangerait de ne pas te cacher dans ce genre d’endroit ? Sayuki a dit que je devais te mettre à l’abri du froid. »
Laissant Destinée à son fruit, je m’étais assis devant mon ordinateur. Mes villageois travaillaient dur, et tout semblait paisible. Murus ne laissait pas transparaître ses émotions sur son visage, mais je la surprenais parfois à regarder le ciel ou à se perdre dans la forêt avec nostalgie. La guérison prendrait du temps.
J’avais regardé dans l’historique pour voir si quelque chose s’était passé pendant mon absence, mais je n’avais rien trouvé d’intéressant. Comme l’incident de la traque m’avait tellement perturbé que j’avais eu peur d’avoir oublié quelque chose d’important, j’avais repensé à ce qui s’était passé dans mon village la veille.
Mes villageois étaient allés au village de Murus et avaient rencontré Dordold, le marchand. Ils avaient collecté une tonne de produits de première nécessité qui pouvaient les aider à passer l’hiver. Rodice disait qu’ils avaient assez de provisions pour toute la saison maintenant, même s’ils finissaient par accueillir d’autres personnes.
J’avais accompli tellement de miracles dernièrement que la gratitude des villageois à mon égard avait augmenté, ce qui signifiait que j’avais beaucoup de PdD de côté. J’en avais utilisé une bonne partie pour contrôler cette petite statue, mais cela n’avait pas coûté aussi cher que les 1 000 PdD de l’invocation du golem de taille normale. Je ne savais pas si c’était parce qu’il était plus petit ou parce que ça coûtait moins cher la deuxième fois. Quoi qu’il en soit, ce n’était toujours pas bon marché. Je devais vraiment dépenser avec parcimonie.
« Si seulement j’étais assez riche pour utiliser les miracles quand je le veux. Désolé, les gars. Votre Dieu est fauché. »
Avoir moins d’argent le rendait d’une certaine façon plus précieux. Mon jeu était important, mais je voulais aussi verser une partie de mon salaire à ma famille. C’était ce qui m’avait empêché de spammer des miracles jusqu’à ce que mon porte-monnaie soit à sec. Je ne voulais pas non plus prendre l’habitude de faire constamment des microtransactions. J’avais juste besoin de suffisamment de PdD pour sauver mes villageois des problèmes qu’ils rencontraient.
J’avais soupiré et regardé l’écran. Carol aidait Lyra et Chem à faire quelques tâches ménagères, tandis que Rodice examinait les objets qu’ils avaient collectés dans le village de Murus et achetés à Dordold. Murus et Gams étaient en train de patrouiller dans la région. Comme toujours, mes villageois travaillaient durs pour leur survie. Je ne pouvais m’empêcher de penser qu’en ajoutant des PdD à mon portefeuille virtuel, je pourrais les aider à vivre plus confortablement.
« Dordold a dit qu’il reviendrait dans quelques semaines, et qu’il pourrait avoir avec lui quelqu’un qui veut rejoindre le village. Je me demande qui ils sont. »
Dans n’importe quel autre jeu, j’aurais accueilli une sorcière légèrement vêtue ou une femme chevalier sexy, mais mon village avait vraiment besoin de plus de combattants et de main-d’œuvre. Ce jeu ressemblait moins à un passe-temps qu’à une responsabilité, et je ne pouvais pas me permettre d’être égoïste quand il s’agissait de la survie de mon village. Ce dont j’avais vraiment besoin, c’était d’un puissant combattant ou d’un artisan spécialisé. Mes villageois l’avaient mentionné lorsque Dordold leur avait demandé quel genre de personnes ils recherchaient.
« Ce sont nos préférences. Mais nous sommes prêts à accepter toute personne qui a perdu sa maison et qui fera sa part. Si vous donniez la priorité à toute personne venant de notre village, nous vous en serions incroyablement reconnaissants. Oh, et le village de Murus, aussi. », dit Rodice.
Cela signifiait que nous pourrions avoir quelques personnes inutiles ajoutées à nos rangs, bien que je ne voulais pas que cela soit aussi dur que cela puisse paraître. J’étais aussi d’accord avec la proposition de Rodice. Le meilleur scénario serait que mes villageois connaissent déjà les nouveaux arrivants.
Mon premier choix serait une femme compétente, belle et puissante, même si cela signifiait ajouter une autre personne à la querelle entre Chem et Carol. Pauvre Gams. La popularité était une malédiction.
« Yoshio ! »
Maman m’appela d’en bas.
Comme papa et Sayuki étaient restés à la maison aujourd’hui par souci pour moi, tout le monde était donc là un jour de semaine. J’avais aussi vérifié l’heure, il était encore trop tôt pour déjeuner.
« J’ai peut-être reçu un paquet. »
J’étais descendu pour trouver Okiku-baachan et Seika en train de boire du thé sous le kotatsu dans le salon. Okiku-baachan portait un kimono, et Seika était habillée de façon plus décontractée avec des lunettes à monture noire et un col roulé blanc. Cela lui allait bien. Elle avait un beau corps, et ce pull mettait sa poitrine en valeur. Je veux dire, comme tous les vêtements bien ajustés qu’elle portait. J’avais réalisé que je la fixais et j’avais rapidement détourné le regard. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle se présente un jour de semaine.
« Tu ne travaille pas aujourd’hui ? »
« Oh, Yoshio-kun. Sayuki-chan m’a dit que tu avais des problèmes, alors je suis venue voir comment tu allais. J’ai pris un jour de congé. »
Si elle ne travaillait pas pour une entreprise aussi importante et prospère, je doutais que ce soit une raison suffisante pour qu’elle prenne congé.
« En effet. Eh bien, je suis sûr qu’elle t’a tout dit, mais tu n’as pas besoin de t’inquiéter. Je vais bien. »
Je m’étais assis en face de Seika et j’avais fait un signe de tête poli à Okiku-baachan.
Elle m’avait souri, les rides de son visage se froissant, et m’avait offert un bonbon. Elle faisait cela à chaque fois que nous nous rencontrions, et ce depuis que j’étais enfant. Apparemment, c’était une coutume dans le Kansai, où elle avait grandi. Je l’avais remerciée et l’avais mis dans ma bouche. C’était mon préféré… C’était une coïncidence, ou elle s’en souvenait ?
« Okiku-san, j’ai des problèmes avec ma couture ! Tu peux m’aider, s’il te plaît ? »
« Bien sûr, ma chère ! J’arrive tout de suite ! »
Okiku-baachan alla rejoindre maman dans l’autre pièce, laissant Seika, Sayuki et moi sous le kotatsu.
« Hé, où est papa ? », avais-je demandé.
« Il a été rappelé au travail. C’était apparemment urgent », dit Sayuki.
« Ça a l’air ennuyeux. »
J’étais vraiment maladroit. Je ne savais plus comment parler à Seika. Au moins, elle et Sayuki se voyaient encore régulièrement et avaient une bonne relation. J’espérais que cela rendrait les choses plus faciles pour moi.
Mais elles ne comprenaient pas le message. Elles sirotaient leur thé en silence.
Que quelqu’un dise quelque chose !
Peut-être que je devrais dire quelque chose. Je m’étais creusé la tête pour trouver un sujet de conversation.
« Alors, euh… Seika. Est-ce que Sayuki t’a tout raconté à propos de la nuit dernière ? »
« Plus ou moins. Ce type était son ancien harceleur, non ? Et il allait la kidnapper ou quelque chose comme ça, mais ensuite tu es arrivé, Yoshio-kun, et… »
« Tu peux m’appeler Yoshi si c’est plus facile. »
« Kun » était un peu trop, puisque nous avions tous les deux plus de trente ans, mais je n’allais pas insister.
« Vraiment ? Oh, merci. »
Comme elle souriait timidement, je m’étais retrouvé à la fixer à nouveau.
Seika était bien trop mignonne pour une femme de son âge. Peut-être qu’elle paraissait plus jeune qu’elle ne l’était, ou peut-être que c’était juste ses manières qui me rendaient nostalgique.
« Désolée de casser l’ambiance, mais toute cette histoire de harcèlement est terminée maintenant, non ? »
Sayuki s’était penchée en avant sur le kotatsu.
Elle avait l’air un peu agacée, nous éloignant des surnoms pour nous ramener au danger bien réel qu’elle courait. Je savais que cela avait pesé sur son esprit pendant un long moment.
« Tu devrais aller mieux maintenant. Le type est à l’hôpital, mais la police a dit qu’il irait directement en prison dès qu’il sortirait. Apparemment, il avait des messages concernant son plan sur son téléphone. Ajouté à l’enregistrement que j’ai pris, cela fait beaucoup de preuves. »
Il m’avait poignardé quand il avait treize ans et n’avait donc jamais été jugé ni n’avait eu de casier judiciaire. Mais comme lui et sa bande sortaient tous de l’institution, la police m’avait assuré qu’ils seraient punis. La façon exacte de le faire restait à voir. Quoi qu’il en soit, Yoshinaga ne ferait plus de mal pendant un bon moment.
« Je pense que nous pouvons compter sur la police pour faire son travail cette fois-ci. »
L’un des jeunes inspecteurs du commissariat avait été très gentil avec moi, nous avions donc fini par discuter pendant un moment. Il m’avait dit qu’il avait un parent qui avait été harcelé et qu’il pouvait compatir. Il avait même promis de me contacter au cas où l’affaire évoluerait.
« C’est un grand soulagement. »
Sayuki s’était effondrée sur le kotatsu. Elle était le genre de personne qui faisait toujours de son mieux pour sourire, mais je pouvais dire qu’un poids avait été enlevé de ses épaules.
« Écoute, si quelque chose comme ça se reproduit, tu me le fais savoir, d’accord ? »
« Je le ferai. Merci, Oniichan. »
« Aww, c’est comme au bon vieux temps ! »
Seika gloussa et sourit chaleureusement.
Nous avions l’habitude de jouer ensemble tout le temps. Seika considérait aussi Sayuki comme sa sœur. Elle semblait vraiment ravie que nous soyons à nouveau en bons termes.
« Le bon vieux temps, hein ? »
Sayuki me lança un regard gêné.
« J’aimerais le croire », avais-je dit.
« O-oui. Moi aussi. »
Sayuki hocha la tête deux fois, comme si elle essayait de se convaincre elle-même.
Elle était gênée, mais j’étais soulagé qu’elle soit d’accord. Et le fait que Sayuki et moi ayons arrangé les choses la rendait heureuse.
Je ne pouvais pas effacer ces années perdues où ma sœur et moi nous méprisions, mais j’avais arrêté de me complaire dans les regrets. Tout ce qui m’importait était d’aller de l’avant, même si mes progrès étaient lents.
« Et nous, Yoshi ? Veux-tu revenir à ce que nous étions ? »
J’avais senti une petite traction sur ma manche et je m’étais retourné pour trouver Seika qui me regardait en clignant des yeux. Comment diable étais-je censé dire non à un tel visage ? !
« Bien sûr. Je veux dire, c’est moi qui devrais te le demander. Je suis désolé pour ce que j’ai dit. J’aimerais qu’on reprenne là où on s’est arrêtés. »
J’avais posé mes mains sur le kotatsu et j’avais baissé la tête.
Seika avait trouvé un excellent emploi dans une entreprise décente presque immédiatement, alors que je me débattais avec des refus successifs. J’en étais devenu jaloux et je m’en étais pris à elle. Je lui avais dit quelque chose d’horrible.
Si je pouvais remonter le temps, je reviendrais en arrière juste pour me frapper au visage.
Je suppose que c’était un autre regret, hein ?
« Ne t’inquiète pas ! Je te pardonne ! »
J’avais levé les yeux au ciel, surpris par la note joyeuse de sa réponse. Elle m’avait fait un sourire avec une lueur d’espièglerie dans les yeux.
« Tu es vraiment très exigeante, non ? »
« Je suis désolée. Je pensais vraiment que tu me détestais. »
« Bien sûr que je ne te déteste pas. Mais j’ai été transféré et j’ai dû déménager, et même quand je suis revenue, j’étais toujours en déplacement professionnel. Et, pour être honnête, je… Attends, laisse tomber. »
Elle m’avait rendu curieux, mais c’était déjà assez embarrassant avec Sayuki ici. Elle n’appréciait clairement pas d’être ignorée.
J’avais peur que Seika m’ait abandonné depuis longtemps, mais la voilà qui me tendait la main pour se racheter. Il n’y avait pas que ma famille que je considérais comme acquise ces dix dernières années, dans le temps où je faisais tout pour protéger ma fragile fierté. D’autres échecs m’attendaient certainement à l’avenir, mais je ne laisserais pas cela m’effrayer.
« Peut-être que nous devrions aller quelque part, et… »
Soudainement, Seika poussa un cri et se retourna vers la fenêtre. La couleur avait disparu de son visage. Je m’étais retourné pour voir ce qui l’avait tant effrayée.
« Tu es encore sorti ? »
J’avais pris Destinée dans mes mains et l’avais posé délicatement sur le kotatsu.
Seika secoua la tête frénétiquement, des larmes se formant dans ses yeux.
C’est vrai, elle n’aime pas les reptiles.
J’avais repris Destinée et j’avais pointé le lézard dans sa direction avec un sourire.
« Arrête ça, Yoshi ! Nous ne sommes plus des enfants ! Tu sais que je déteste les serpents, les lézards et tout ça ! »
Oups. Elle était super énervée.
merci pour le chapitre