Chapitre 3 : Miracle oublié et confusion
Je ne m’attendais pas à trouver quelqu’un ici, j’avais d’ailleurs failli me lever d’un bond par surprise. Lentement, je m’étais assis sur mon siège. Heureusement, mes villageois n’étaient pas encore là. J’avais le temps de m’occuper de ça.
Dans un premier temps, j’avais bien regardé ce groupe d’hommes. Je pensais qu’il s’agissait de survivants du village de Murus, mais leur apparence m’avait vite fait comprendre le contraire. Leurs oreilles étaient arrondies au sommet et, pour ne pas dire plus, ils n’étaient pas vraiment d’une beauté renversante. L’homme devant était rond et d’âge moyen, et bien qu’ils soient tous armés, il portait des vêtements de voyageur. Des manteaux épais et des bottes en cuir, simples mais bien faites.
L’homme fronça les sourcils en voyant la désolation qui l’entourait. Il était accompagné de deux hommes en armure de cuir qui me faisaient penser à Gams, ainsi que d’une femme en tenue légère, armée d’une épée courte et d’un arc. Une petite silhouette cagoulée se cachait derrière eux, un capuchon tiré bas sur son visage, ne me laissant aucun indice sur son identité, mais le grand bâton qu’elle portait suggérait qu’il pouvait s’agir d’un sorcier.
« À part le type à l’avant, ils ont l’air d’aventuriers typiques des univers fantasy. Je me demande s’ils sont des chasseurs. »
Le fait que le mot « aventurier » soit considéré comme une profession dans les milieux de la fantasy me paraissait bizarre. La plupart de leur argent semblait provenir de l’acceptation de demandes de chasse de monstres et de la vente de leurs corps après les avoir tués. Dans ce monde, « chasseur » était probablement un bien meilleur terme. Chem et Gams entreraient également dans cette catégorie.
Et qu’importe l’endroit où ils se trouvaient, les aventuriers m’avaient toujours paru sous-payés par rapport au risque qu’ils prenaient. En tenant compte du danger, un monstre mort devrait permettre de vivre confortablement pendant au moins un mois. Sans une énorme incitation financière, le fait que quelqu’un veuille devenir aventurier ne me paraissait pas logique, et pourtant cela semblait être une profession courante.
De toute façon, ce n’était pas important pour le moment. Je devais découvrir qui était ce groupe. J’avais essayé de cliquer sur eux, mais tout ce que j’avais eu, c’est « ??? ». C’était totalement inutile. J’avais zoomé pour essayer de voir ce qu’ils disaient. Leurs bouches bougeaient, mais il n’y avait aucune zone de texte.
« J’aurais dû le voir venir. »
J’étais curieux de savoir quand les boîtes de texte apparaissaient et quand elles n’apparaissaient pas, et j’avais récemment fait des recherches. D’après le résultat de mes recherches, je pouvais voir les conversations se dérouler à une certaine distance du livre saint. Lorsque le groupe s’était rendu sur le territoire des gobelins, toute leur conversation avait été enregistrée, mais je n’avais rien obtenu de la famille de Rodice à la grotte. D’autres éléments avaient aussi des restrictions de distance. Au camp des gobelins, je contrôlais la petite poupée que Carol avait sculptée, mais je ne pouvais pas activer le golem à la grotte. En d’autres termes, tout ce que je pouvais faire dans le jeu tournait autour de ce livre.
Je ne pouvais accomplir des miracles qu’à proximité de celui-ci. C’était une information importante à retenir pour éviter les erreurs fatales. En fait, c’était l’une des raisons pour lesquelles je voulais que la famille de Rodice vienne au village. Je ne pouvais pas compter sur l’utilisation du golem pour les protéger s’ils restaient dans la grotte.
« Ugh, je me laisse encore distraire ! »
Qui étaient ces gens ? Probablement juste un groupe de chasseurs qui étaient tombés sur le village en même temps que nous. L’homme d’âge moyen avait l’air faible, mais il pourrait très bien être entraîné aux arts martiaux. Les personnages de manga et de LN avaient souvent l’air normaux, mais cachaient des talents extraordinaires. Il semblerait qu’il ait engagé ce groupe de chasseurs et qu’ils aient suivi ses ordres.
La femme prenait la tête, vérifiant chaque maison avant de revenir et de faire savoir aux autres qu’ils pouvaient entrer en toute sécurité. L’un des hommes armés restait toujours à côté du chef.
« Peut-être un marchand et sa garde ? »
C’était une supposition raisonnable, compte tenu de l’énorme sac à dos du chef. Le groupe fit probablement un détour par ici quand il vit que le village avait été détruit. J’avais zoomé sur cet homme d’âge moyen et j’avais trouvé qu’il avait un visage plutôt amical. Il avait même joint ses mains et prié respectueusement avant d’entrer dans chaque maison.
J’aurais craint qu’il fasse semblant s’il avait su qu’il était surveillé, mais ce n’était pas le cas. J’avais donc supposé que c’était sa vraie nature.
« Devrais-je envoyer une prophétie pour faire savoir à mes villageois qu’ils ne sont pas seuls ? Peut-être pas, car cela épuiserait mes munitions s’il y avait une vraie crise. »
Je serais en train de taper une prophétie à l’instant si je pensais vraiment que ces étrangers étaient dangereux.
Je devrais peut-être en préparer un, juste au cas où…
Aucun des deux groupes ne connaissait l’existence de l’autre, mais mes villageois s’en approchaient rapidement.
« Ça me rend dingue ! »
J’espérais que mon groupe le remarquerait en premier. J’avais continué à regarder, oubliant presque de respirer.
« C’est le village dans lequel j’habitais. Pourriez-vous attendre ici une seconde pendant que je continue ? », dit Murus lorsqu’ils atteignirent l’entrée.
Même s’il n’y avait plus de cadavres ou de monstres, Murus était consciente que mes villageois avaient déjà été témoins de ce genre de destruction. Il ne voulait pas qu’ils le voient à nouveau.
« Ne vous inquiétez pas pour nous. Carol est peut-être un peu bouleversée, mais nous devrons bien finir par y faire face. », dit Rodice.
« C’est vrai. Qui peut dire que nous ne nous réveillerons pas demain avec quelque chose d’encore pire ? », ajouta Lyra.
Le monde de l’autre côté de l’écran était un endroit totalement différent du havre du Japon. Ils protégeraient donc naturellement leurs enfants, mais, dans un endroit aussi dangereux, ils ne pourraient pas faire grand-chose. S’ils ne désensibilisaient pas Carol à tout cela, elle pourrait se figer au moment critique et se faire tuer.
« Je suis super forte ! Vous n’avez pas à vous inquiéter ! »
Carol les rassura, bien que ses petits poings tremblaient.
Gams comprit immédiatement sa peur et lui prit la main. Carol fit alors un petit sourire de soulagement. J’avais jeté un coup d’œil curieux à Chem, mais elle semblait reconnaître que toute jalousie en ce moment serait enfantine. Elle s’était contentée de sourire gentiment. Pourtant, ses doigts s’enfonçaient dans son livre saint. Je pouvais très bien faire semblant de ne pas l’avoir remarqué.
J’avais survolé le clavier alors que mes villageois entraient dans la colonie détruite. Nous étions dans la section sud, tandis que le groupe mystérieux était au nord-est. Les deux groupes convergeaient vers le centre de la ville. Ils ne tarderaient donc pas à se repérer.
« Chem ! Va derrière cette maison, maintenant. Murus ! Par ici ! »
« Il y a quelqu’un là-bas. Ça pourrait être des monstres ou des pillards. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas les laisser s’échapper. »
Gams sortit ses épées tandis que Murus préparait son arc. Chem était silencieuse tandis qu’elle menait les chevaux et la famille de Rodice derrière les ruines d’une maison. L’autre groupe nous avait également remarqués, envoyant la femme et l’un des hommes armés en avant. Les trois autres suivaient à distance. N’ayant aucune idée de comment cela allait se terminer, ma paume devenait moite là où je la tenais au-dessus de la souris.
« Que viens-tu faire ici… Dordold ?! », dit Murus en baissant son arc.
« Murus ! Tu es en vie ! Tout le monde, rengainez vos armes ! »
Les deux gardes firent ce que leur chef leur ordonnait, et Gams rangea ses épées. « Dordold » alla vers Murus et la prit chaleureusement par la main.
« J’étais terrifié quand j’ai trouvé le village dans cet état ! Je suis si heureux de voir que tu vas bien ! », soupira Dordold tout en essuyant les larmes de ses yeux.
J’étais soulagé d’avoir eu raison, il n’avait pas du tout l’air d’une mauvaise personne.
« Je vais bien, oui, mais je crains que tous les autres n’aient pas eu cette chance. N’ayez crainte, mes amis. Voici Dordold. C’est un marchand ambulant qui passait par notre village pour vendre ses marchandises de temps en temps. J’ai une confiance totale en lui, tout comme mon peuple. »
Chem et les autres réapparurent de derrière les ruines. J’avais aussi raison sur le fait qu’il était un marchand. Wôw, deux en un jour. Vu mes antécédents, c’était plutôt bon. De plus, les elfes tenaient cet homme en haute estime, ce qui n’était pas peut dire vu leur méfiance générale envers les humains. C’était peut-être l’influence de Dordold qui avait fait hésiter Murus à traiter mes villageois en ennemis lors de leur première rencontre.
De plus, un marchand était exactement ce dont nous avions besoin. Mes villageois pourraient lui vendre des peaux et des os de monstres, et peut-être même une partie du minerai de la grotte. Ce marchand avait sûrement son propre stock, mes villageois pouvaient donc acheter des choses qui les aideront à passer l’hiver. Rodice avait déjà commencé à marchander.
« Je suppose que je n’ai plus besoin de cette prophétie. »
J’avais rapidement effacé le message que j’avais préparé plus tôt. Je ne voulais pas l’envoyer par accident et rendre les choses plus difficiles. Dordold avait vraiment l’air d’un type bien, même s’il était un peu larmoyant. Il se tamponnait encore les yeux avec un mouchoir et regardait Murus comme pour s’assurer qu’elle était bien là.
« C’est un plaisir de vous rencontrer tous. Je serai heureux d’acheter tout ce que vous souhaitez vendre. Une fois que vous aurez terminé vos affaires ici, pourrais-je vous accompagner jusqu’à votre grotte ? »
« Bien sûr ! Vous nous rendriez un grand service », dit Rodice.
En tant que marchand, il semblait s’être pris d’affection pour Dordold. J’avais décidé de lui laisser le soin de faire du troc.
Ainsi, mes villageois se mirent au travail pour rassembler ce qu’ils pouvaient.
Avec la permission de Murus, ils cherchèrent des produits de première nécessité et des objets de valeur que Dordold pourrait être disposé à acheter. La plupart des charrettes de la ville étaient trop endommagées pour être réparées, mais mes villageois avaient démonté et rassemblé les pièces utilisables et avaient réussi à les rassembler en une seule charrette entièrement fonctionnelle qu’ils avaient rapportée chez eux.
« Je suis content que tout se soit bien passé. Je n’ai même pas activé d’événements ou quoi que ce soit ! »
Je m’étais soudainement souvenu de quelque chose.
« Attends… »
Au moment où Murus avait rejoint mon village, j’avais activé un miracle : « Faire apparaître un marchand ambulant. » L’apparition de Dordold était donc entièrement de mon fait ! Mais comme c’était il y a trois jours, on dirait bien que certains miracles n’étaient pas instantanés. Mais bon, j’avais au moins appris quelque chose de nouveau.
Au bout de quelques heures, mes villageois avaient fini de fouiller les décombres.
Chem se mit à prier devant les tombes des défunts.
« Reposez en paix. »
Carol déposa sur les tombes des fleurs qu’elle avait cueillies avec les gardes de Dordold. J’avais regardé tout le monde prier. Je m’étais décidé à contribuer à ma façon, en accomplissant un autre miracle. J’avais activé le ciel bleu de façon à ce qu’un seul rayon de lumière soit projeté sur les tombes. Les particules de poussière dans l’air étincelèrent, comme si j’appelais les morts au ciel.
« C’est peut-être un peu exagéré, mais c’est vraiment joli… »
Murus regardait les tombes de ses amis baignées par la lumière du soleil, des larmes coulant de ses yeux.
merci pour le chapitre