Chapitre 1 : La réunion des villageois et ma fierté
« L’évènement bonus commence maintenant ! »
C’était ce que j’attendais.
J’avais tout ce dont j’avais besoin sur mon bureau : beaucoup de jus de fruits, plusieurs en-cas et des fruits du Village du Destin. Je m’étais dit que je pouvais manger mes fruits en même temps que les villageois mangeaient les leurs. J’avais également pris soin d’aller aux toilettes. J’étais prêt à aller jusqu’au bout de cet événement, quelle que soit sa durée.
Après le Jour de la Corruption, mes villageois étaient partis en exploration. En conséquence, une zone beaucoup plus large de la carte était désormais visible pour moi. Je l’avais étudiée attentivement, pour me familiariser avec la disposition des lieux avant que les choses ne commencent.
Devant la grotte se trouvait une barrière faite de rondins, conçue pour empêcher les monstres d’entrer. Pendant le Jour de la Corruption, cette clôture avait joué un rôle important dans la sécurité de mes villageois.
Juste à l’intérieur de la clôture se trouvaient une tour de guet en bois, ainsi qu’une rangée de rondins laissés à sécher. J’avais l’intention de les utiliser pour clôturer des terres agricoles. Un espace avait déjà été dégagé à cet effet, juste de l’autre côté de la clôture.
Heureusement, il n’y avait pas beaucoup d’arbres dans les parages. Les gens qui vivaient ici avant nous avaient donné une longueur d’avance. Tout ce qui restait, c’était quelques souches parsemées, donnant aux villageois une vue claire des environs.
Au loin se cachait une forêt sombre et noire. Un sentier menait aux souches clairsemées, à environ trois minutes de marche d’une large rivière. Un pont cassé était présent dans un affaissement permanent contre la rive.
Mes villageois avaient conduit leur charrette depuis le sud, ce qui signifiait que la majeure partie de la section sud de la carte était visible. Et comme les monstres venaient du nord, mes villageois avaient tendance à éviter cette zone du mieux qu’ils pouvaient.
« Je me demande quel genre d’événement c’est… »
J’avais envisagé d’innombrables scénarios dans ma tête, mais j’avais abandonné quand j’avais réalisé qu’il était inutile d’essayer de résoudre une énigme sans aucun indice. Lorsque j’avais envoyé ma prophétie détaillant l’événement, je n’avais pas pris la peine de donner une heure exacte à mes villageois. Aucun d’entre eux n’avait de montre. Malheureusement, cela avait laissé mes villageois agités toute la matinée. Je me sentais mal, j’aurais dû au moins leur dire que ça commencerait quelques heures avant le déjeuner.
« Tout est calme pour le moment, mais je ne peux pas baisser ma garde. »
Mes villageois s’étaient rassemblés juste à l’intérieur de la clôture. Gams, l’épéiste et le seul à savoir se battre, se tenait au sommet de la tour de guet, surveillant de près les environs. J’avais agrandi la mini-carte autant que possible, mais il n’y avait aucun… Attendez une seconde.
Y avait-il du mouvement au nord à l’instant ? J’avais zoomé pour trouver une silhouette qui se dirigeait vers la grotte, c’était une personne. Ce ne fut qu’au moment où il sortit de la forêt et s’était retrouvé dans la lumière que je l’avais reconnu. Il était assez beau pour être pris pour une femme, et avait un arc sur le dos.
« Murus est de retour ? »
Murus était le médecin qui avait quitté mon village juste avant le Jour de la Corruption. Je l’avais plus ou moins vu venir, mais ça m’avait quand même déstabilisé au moment où je fus mis devant le fait accompli. Mais comme je voulais aussi qu’il parte, je n’avais pas été bouleversé.
Gams fut le premier à repérer Murus. Il lui fit signe.
« Murus ! »
Murus répondit par un signe de la main, mais il n’avait pas l’air particulièrement heureux. Mes villageois, cependant, semblaient soulagés d’entendre ce nom familier. Carol avait même grimpé l’échelle pour se tenir à côté de Gams, agitant les bras avec enthousiasme. Le visage de Murus s’était assombri pendant une fraction de seconde, puis s’était éclairci. Il lui sourit à son tour.
« Alors, quoi, il est comme… un personnage bonus pour l’événement ou quelque chose comme ça ? Ce serait bien qu’il rejoigne enfin notre village. »
À en juger par l’expression du visage de Murus, c’était un vœu pieux. De plus, le récupérer serait un prix plutôt ennuyeux. J’avais déplacé mon curseur sur lui, mais la plupart de sa bio était toujours cachée. L’événement principal était clairement à venir.
Gams descendit de la tour de guet et courut jusqu’à la barrière en bois. La latte à l’extrémité ressemblait aux autres à première vue, mais elle avait une porte cachée. Gams l’ouvrit pour le laisser entrer. Les autres villageois se rassemblèrent avec excitation pour l’accueillir.
« Bon retour, Murus ! »
Carol s’accrochait à sa taille et il lui tapotait affectueusement la tête.
« C’est bon d’être de retour, et je suis heureux de vous voir tous en si bonne forme. Je suis désolé d’arriver à l’improviste comme ça après m’être enfui de façon si égoïste. »
Murus s’inclina en signe d’excuse, mais personne n’avait l’air mécontent de le voir.
« N’importe quoi. Tu nous as beaucoup aidés. Nous avons beaucoup de raisons d’être reconnaissants, n’est-ce pas, mon cher ? »
« C’est vrai. Nous sommes heureux que tu sois là. », dit Rodice.
« En effet. Ton retour doit être un cadeau du Seigneur lui-même ! », ajouta Chem.
Cet échange était exactement la raison pour laquelle j’aimais tant mes villageois, et l’une des meilleures choses de ce jeu. Chacun de mes villageois était une personne gentille et attentionnée. Bien que les apparences soient plus subjectives, je ne pouvais pas croire que quelqu’un n’aimerait pas leur personnalité.
« Merci aussi pour ton aide le jour de la Corruption », dit Gams.
Il devait parler des flèches qui avaient abattu plusieurs monstres pendant le combat. Si je les avais remarquées, il n’était pas surprenant que Gams les remarque aussi.
« Pas du tout. Je m’excuse de ne pas avoir pu faire plus. Je réalise que je ne suis pas en position de demander de l’aide, mais j’ai besoin de votre aide… »
Soudainement, Murus s’était mis à genoux et baissa la tête.
Chem se précipita immédiatement pour le remettre sur ses pieds. Cette pose devait être l’équivalent de se mettre à quatre pattes dans le monde réel.
« S’il te plaît, lève ta tête, Murus. Non seulement tu as sauvé mon frère, mais tu nous as aidés de bien d’autres façons. Nous t’aiderons de toutes les manières possibles. N’est-ce pas, Gams ? »
« Oui. Nous t’en devons une, alors fais-nous savoir ce dont tu as besoin. »
Les autres villageois hochèrent la tête en même temps que le frère et la sœur. Depuis que je connaissais la véritable identité de Murus, j’étais plutôt partagé. Mais comme il n’avait juste besoin que d’une faveur personnelle, je m’étais dit que ça devrait aller. Je voulais croire que Murus lui-même était un bon élément. Et du point de vue du jeu, c’était une occasion évidente de l’ajouter à mon village une fois l’événement spécial terminé.
« Tout d’abord, je veux mettre les choses au clair. Je ne suis pas simplement un médecin voyageur qui est tombé par hasard sur votre village. J’appartiens à un groupe de colons vivant dans la Forêt interdite. », commença Murus.
Tout le monde, à part Gams et Carol, eut l’air surpris. Gams avait probablement déduit qu’il y avait autre chose à propos de Murus pendant le temps que les deux avaient passé ensemble. Carol, quant à elle, n’avait probablement aucune idée de ce dont il parlait.
« Je vois. Cela signifie-t-il que tu savais déjà à quel point le Jour de la Corruption représentait un danger pour ceux qui vivent ici ? »
La question de Chem était inhabituellement directe. Ce n’était pas étonnant, étant donné les blessures que son frère bien-aimé avait subies pendant l’attaque. Elle se pencha en avant avec une lueur d’accusation dans l’œil, mais Gams tendit un bras d’avertissement devant elle. Apaisée, elle laissa échapper une toux maladroite et fit un pas en arrière.
« Je suis désolé. J’en savais un peu. Cependant, je n’avais pas prévu à quel point c’était dangereux. Les attaques sont arrivées plus régulièrement que d’habitude, et le comportement des monstres était particulier. »
Cela m’avait rendu curieux. Puisqu’il s’agissait d’un jeu vidéo, les vagues d’attaques régulières étaient logiques, mais il y avait peut-être quelque chose dans la tradition pour l’expliquer aussi.
« J’ai aussi trouvé ça étrange. Au village, les monstres n’attaquaient pas en groupes mixtes. Je n’ai jamais vu différentes espèces coopérer comme ça auparavant. », dit Gams.
« Hm, vous avez raison. J’avais l’habitude de m’aventurer dehors pour vendre mes marchandises plusieurs fois par an, et j’ai entendu des histoires d’attaques de monstres de toutes sortes de gens. Mais je n’avais jamais entendu parler de hordes de monstres attaquant un village entier. Quand ils travaillaient ensemble, ce n’était jamais plus d’une poignée à la fois. », ajouta Rodice.
J’avais repensé aux scènes d’ouverture du jeu, où ces gobelins chevauchaient des sangliers. Apparemment, c’était inhabituel dans ce monde. À l’époque, j’avais juste supposé que les gens montaient des sangliers ici de la même façon qu’ils montaient des chevaux.
« Bref, pourquoi as-tu besoin d’aide ? », demanda Gams.
Cela nous tira, moi et les villageois, hors de nos pensées.
« Mon village a été… détruit le jour de la Corruption. »
J’avais entendu un souffle, mais je ne savais pas si cela venait de moi ou de l’un des villageois. Quoi que je m’attende à ce que Murus dise, ce n’était pas ça. À en juger par ces paroles, son village semblait exister depuis longtemps. En tout cas, suffisamment longtemps pour savoir comment gérer les attaques de monstres.
« Comme je l’ai déjà dit, cette attaque était différente. Elle était plus importante que toutes celles auxquelles nous avons été confrontés, avec différentes espèces de monstres travaillant ensemble. Un survivant m’a dit que c’était comme s’ils étaient contrôlés par une force extérieure. Le chef du village m’a envoyé dans la forêt pour garder un œil sur vous, c’est ainsi que j’ai pu échapper au danger. »
Murus détourna son regard. Ses épaules tremblaient, probablement à cause de la culpabilité d’avoir été incapable d’aider son village.
« Et les survivants ? Pourquoi ne pas les amener ici ? Nous avons un abri, sans parler de la protection du Dieu du destin. »
Malgré le fait que Murus ait admis avoir espionné, aucun de mes villageois n’avait réagi avec colère. Et ce n’était pas tout, ils l’avaient invité à faire venir un groupe d’étrangers dans leur maison. Ils étaient peut-être naïfs, mais c’était ce que j’aimais chez mes villageois. Je devais juste être méfiant en leur nom.
J’étais également favorable à ce que le village gagne en population. L’union fait la force, etc. Et Murus pourrait les garder sous contrôle, non ?
« Je ne peux pas vous remercier assez pour votre offre généreuse, Gams. Mais j’ai bien peur qu’ils aient tous perdu la vie dans l’attaque. Quand je suis revenu, il n’y avait qu’un seul survivant… et il a finalement succombé à ses blessures. »
Wôw, c’était un scénario sinistre, même pour un jeu. Si la demande de Murus était de rejoindre le village, j’accepterais volontiers.
« Le problème est que… le nombre de corps ne correspond pas à la population. Je suis sûr que certains ont pu être mangés, mais tout de même, il manque des dizaines d’enfants, et plusieurs adultes. Je crains que les monstres ne les aient entraînés vers leurs tanières et leurs nids. »
Murus marmonnait tout cela la tête baissée, ce qui rendait impossible de lire son expression.
Je ne pouvais pas imaginer être laissé derrière comme seul survivant, forcé de cataloguer tous ces cadavres, chaque pièce brisée de l’endroit où j’avais grandi. Le cœur de Murus devait être brisé. J’avais la chance de vivre dans un pays où cela n’était pas arrivé.
« S’il y a la moindre chance qu’ils soient encore en vie, il n’y a pas de temps à perdre. Allons-y. »
« Je vais aller chercher des armes », dit Chem.
« Nous aurons aussi besoin de nourriture et d’eau, légères et faciles à transporter. Lyra, prépare-nous des gourdes, s’il te plaît. »
« Je le ferai ! Oh ! Tu me donnes un coup de main, Carol ? »
« Uh huh ! Tout le monde s’entraide, non ? »
Les villageois ne perdirent pas de temps à se préparer. Ils avaient eu leur lot de problèmes et savaient exactement quoi faire. Leur esprit indomptable donnait envie à un bon à rien comme moi de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour les protéger.
Murus les fixa, choqué qu’ils aient accepté sa demande si facilement.
« Après tout ce que je vous ai caché… merci. Merci beaucoup ! »
Retombant à genoux, Murus se mit à sangloter.
« C’est dire à quel point mes villageois sont merveilleux », murmurai-je à voix haute.
J’étais vraiment fier d’eux. Entendre Murus leur parler avec tant de gratitude me fit chaud au cœur. C’était comme s’il me remerciait lui aussi. J’avais décidé de faire tout ce que je pouvais pour les aider… comme l’un des leurs.
merci pour le chapitre