Monster no Goshujin-sama (LN) – Tome 4 – Chapitre 4

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Chapitre 4 : Le pire des scénarios

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Chapitre 4 : Le pire des scénarios

Partie 1

Un groupe de plus de vingt chevaliers était apparu à l’endroit où Lily avait vaincu la faucheuse. Ils s’étaient approchés avec une vitesse à laquelle on ne s’attendait pas de la part d’hommes en armure et s’étaient arrêtés à une courte distance de nous. Je n’avais même pas eu le temps de cacher Ayame ou Asarina.

Le couloir était bordé d’un mur à l’autre de grands boucliers prêts à l’emploi et d’acier nu pointé dans ma direction. Ils portaient l’armure des chevaliers de l’Alliance à laquelle Shiran était affiliée. Comme on pouvait s’y attendre de la part des élites sélectionnées pour affronter les monstres jour après jour dans les Terres forestières, leurs mouvements ne montraient aucune ouverture par laquelle se glisser.

« … Que faisons-nous, Maître ? » chuchota Lily en approchant son visage du mien.

« Attendons de voir pour l’instant, » avais-je répondu tranquillement.

Dans le même temps, j’avais serré Ayame contre moi pour l’apaiser alors que ses poils se hérissaient et j’avais ordonné à Asarina de se retirer par le biais de notre cheminement mental alors qu’elle grognait contre les chevaliers. Même s’ils pointaient leurs lames vers nous, ce n’était pas le moment de leur rendre immédiatement leur hostilité. Toute tentative de conversation se détériorerait immédiatement si je le faisais. Bien que, je n’étais pas sûr qu’ils me laisseraient dire quoi que ce soit pour commencer.

« Qu’est-ce que ça veut dire, monsieur ? Expliquez-vous tout de suite ! Pourquoi avez-vous des monstres à vos côtés !? » hurla l’un des chevaliers, le sang bouillonnant.

Même les autres chevaliers étaient furieux et semblaient prêts à me charger à tout moment. Si je n’avais pas été reconnu comme l’un de leurs sauveurs, cela aurait déjà tourné à la bataille. Cette réaction était tout à fait normale. Ces gens avaient combattu des monstres toute leur vie.

« Ce n’est pas possible… Un sauveur est-il responsable de cette attaque… !? »

J’avais déjà envisagé cette issue, et en effet, j’étais maintenant soupçonné d’être le meneur de l’attaque de la forteresse. Les choses n’avaient pas encore dégénéré jusqu’au pire cas possible, vu qu’ils ne faisaient que m’accuser, mais ce n’était qu’une question de temps à ce rythme. Je devais faire quelque chose avant que les choses n’empirent.

« Répondez-moi ! En fonction de votre réponse, même si vous êtes un sauveur… ! »

« Laissez-moi vous dire maintenant. Je n’ai rien à voir avec cette attaque. Je ne pourrais pas faire une telle chose même si je le voulais. »

« Avez-vous l’intention de feindre l’ignorance ? Les monstres à vos côtés sont une preuve indiscutable ! Les sauveurs de l’équipe d’exploration l’ont aussi dit, que c’était peut-être l’œuvre de l’homme ! Et dire que c’est vrai ! »

J’avais essayé de ne pas trop les stimuler, mais ils avaient repoussé mes explications avec une clameur hystérique. J’avais même l’impression d’avoir aggravé la situation. Voyant qu’ils ne risquaient pas d’écouter ce que j’avais à dire, j’avais plissé les yeux. Cela devenait rapidement le pire des scénarios.

Tout se passe exactement comme prévu, mais… Je n’avais pas été trop perturbé par ce résultat. Je m’étais préparé à cette situation dès que j’avais révélé mon pouvoir. L’animosité qu’ils me portaient, la malice qu’ils me lançaient, et la répulsion qu’ils me déversaient étaient toutes supportables tant que je m’y préparais. Il y avait aussi une autre chose que j’avais envisagée : l’énorme difficulté de prouver mon innocence ici.

Peu importe ce que je disais, il était douteux qu’ils m’écoutent. Les gens qui avaient le sang qui leur montait à la tête à cause de la peur et de la colère risquaient de nier promptement toute explication que je pourrais leur donner. Ma tentative précédente était en fait inutile. En fait, elle avait eu l’effet inverse. Essayer de les convaincre ne suffisait plus.

Leurs soupçons n’étaient pas en premier lieu fondés sur de vraies preuves. Ce dont j’avais besoin en ce moment, c’était d’une confiance cultivée sur une longue période. Je ne pouvais rien faire à ce sujet, puisque je venais d’arriver à la forteresse. Sans l’attaque en cours, j’aurais peut-être pu les convaincre qu’il s’agissait d’un malentendu. Mais je n’avais pas le temps de prendre les choses à la légère.

Je ne pouvais pas m’en sortir par la parole. Quoi qu’il en soit, je refusais d’être attaqué ou retenu, et combattre des gens qui pointaient leurs épées sur moi pour un malentendu n’avait aucun sens. Ce serait une vraie farce si nous nous épuisions les uns les autres et étions anéantis par les monstres envahisseurs.

Mon seul choix était de m’enfuir. Je pouvais me débarrasser des chevaliers qui me précédaient, traverser la forteresse pleine de monstres et m’échapper dans les bois. Si je pouvais aller aussi loin, je pourrais retrouver Rose et Gerbera. Cela semblait faisable si Lily et moi étions seuls. Les chances n’étaient pas grandes, cependant…

Même en mettant de côté mon propre bien-être, j’avais un parasite rampant qui poussait dans ma main gauche et je tenais un renard souffleur serré dans mes bras. Sans contexte, il était naturel de supposer que j’étais de connivence avec les monstres. En bref, notre groupe entier semblait suspect. Je devais au moins dissiper le malentendu concernant Mikihiko et Kei.

Heureusement, à en juger par ce qu’ils avaient dit, ces chevaliers avaient récemment parlé avec l’équipe d’exploration. Si j’arrivais à les convaincre d’accepter Mikihiko et Kei, je pourrais au moins assurer leur sécurité. C’était à peu près mon plan. Cependant, je n’avais pas été en mesure de le mettre en action.

« Arrêtez de débiter ces conneries irresponsables ! » Avant que je puisse faire quoi que ce soit, un rugissement de colère avait résonné dans le couloir. « Attaquer la forteresse !? On ne ferait pas une telle connerie ! »

Mikihiko s’était renfrogné et avait marché vers l’avant.

« M-Mikihiko… ? »

Je pouvais voir l’agitation se répandre parmi les chevaliers. Mikihiko, qui était fou de la commandante des Chevaliers de l’Alliance, avait certainement beaucoup d’occasions de socialiser avec ses subordonnés. Beaucoup de chevaliers ici présents connaissaient son caractère. Face à son ire alors qu’il niait frontalement leurs accusations, la pointe des lames des chevaliers commençait à vaciller.

« Mais, même si c’est le cas pour vous, monsieur, cet homme est… »

« Takahiro est le même, bon sang ! Il ne ferait jamais ça ! »

« C’est vrai. » Même Kei, qui était toujours agrippée à l’ourlet de mes vêtements, avait interrompu la conversation entre ses aînés. « Takahiro n’est pas ce genre de personne. »

« Kei… »

Elle tremblait de peur à cause de l’atmosphère imposante, mais il y avait un feu dans ses yeux. Je la protégeais il y a quelques instants, mais maintenant c’est elle qui me protégeait. J’étais déconcerté par le changement de flux ici et j’avais perdu mon timing pour dire quoi que ce soit. Mon camarade de classe à lunettes et la jeune fille encore dans son jeune âge regardaient fixement un mur de chevaliers à l’allure robuste.

L’impasse avait alors été brisée par la voix d’une femme venant de l’autre côté de la formation des chevaliers.

« Cette voix… C’est toi, Mikihiko ? »

« C’est dangereux, commandante ! »

« Ça ne me dérange pas. Faites place. »

Les chevaliers s’étaient séparés, et une grande femme en armure s’était avancée. Elle avait des cheveux courts argentés et une musculature tendue quelque peu atypique pour une femme. Je l’avais déjà rencontrée une fois. C’était la femme qui servait de commandant de la troisième compagnie.

« C-Commandante ! Vas-tu bien ? » hurla Mikihiko avec joie, incapable de cacher son bonheur avec son expression franche d’affection.

« Je vois que tu es également en sécurité, Mikihiko, » avait-elle répondu en haussant les épaules.

C’était une femme peu loquace, mais j’avais senti comme un soupçon de soulagement dans sa voix. Cependant, cela n’avait duré qu’un instant. Elle avait déplacé son regard vers moi avec des yeux aigus comme ceux d’un aigle.

« Et vous êtes… Majima Takahiro, c’est ça ? »

Elle m’avait sondé avec ses yeux. Elle était clairement méfiante à mon égard. Cependant, contrairement aux autres chevaliers, elle avait gardé assez de sang-froid pour avoir une conversation calme. Elle avait commencé à s’adresser à moi avec un ton prudent.

« C’est une apparence assez particulière. On dirait que vous avez caché des choses. »

« … Je m’en excuse, mais je n’avais pas vraiment le choix. »

« Je suis sûr que non. Une bénédiction pour manipuler les monstres est assez étrange. Elle deviendrait clairement problématique si elle était exposée au grand jour, et c’est en fait ce qui s’est passé. »

« Je suis heureux que vous compreniez ma situation, mais puis-je vous corriger sur un point ? Je ne manipule pas ces filles. Mon pouvoir ne fonctionne pas comme ça. »

« Est-ce la raison pour laquelle vous prétendez ne pas être à l’origine des monstres qui attaquent la forteresse ? »

Elle avait plissé les yeux, mesurant mon caractère. La conversation ne semblait pas aller dans mon sens. Il était clair comme le jour que mes mots ne résonnaient pas avec elle.

En nous voyant nous fixer l’un l’autre, Mikihiko avait ouvert la bouche en signe d’agitation.

« S’il te plaît, crois-moi, Commandante ! Takahiro nous a sauvés ! »

C’est à ce moment-là que ses yeux s’étaient mis à hésiter. Mikihiko avait apparemment déjà gagné sa confiance. Son plaidoyer pour mon innocence avait assez de force pour la faire vaciller, mais ce n’était toujours pas suffisant. Même si ces mots l’avaient ébranlée, ils n’avaient pas réussi à convaincre ses chevaliers.

C’est vraiment sans espoir… Je ne m’étais pas trompé dans mon évaluation de la situation. Au rythme actuel, Lily et moi n’aurions d’autre choix que de fuir. Ce qui nous avait empêchés de le faire immédiatement, cependant, c’était les bruits de pas accompagnés de cliquetis d’armures venant de derrière nous. J’avais fait claquer ma langue et je m’étais retourné pour leur faire face.

J’avais vraiment merdé. Nous aurions dû nous enfuir plus tôt. Maintenant que nous étions bloqués à l’avant et à l’arrière, s’échapper ne serait plus une mince affaire. C’était la même chose que lorsque nous étions pris en sandwich par des monstres. Nous devions avoir recours à au moins une bataille.

Cependant, je voulais éviter de combattre les humains autant que possible… Je m’étais retourné, rempli de tels regrets, et un petit soupir s’était échappé de mes lèvres.

« Aah... »

Plusieurs chevaliers de l’ Alliance couraient dans notre direction. Parmi eux, il y en avait un qui portait un casque blanc.

« … Shiran ? » Kei avait murmuré.

Le chevalier avait retiré son casque blanc, révélant une elfe avec ses longs cheveux attachés en queue de cheval. Même de loin, je pouvais voir son beau visage et l’identifier comme étant Shiran.

« Qu’est-ce que ça veut dire ? »

Shiran, son armure blanche tachée de ce que je supposais être le sang des monstres, avait placé son casque sous son bras et avait marché d’un pas vif sur notre chemin. Elle avait regardé le chevalier tombé qui avait été tué par le croc de feu et avait froncé les sourcils tristement, mais elle n’avait pas arrêté son pas.

« … ? »

Shiran n’avait apparemment pas vu Kei s’accrocher à moi ni mon apparence actuelle, à cause des ombres. Lorsqu’elle s’était approchée à quelques mètres, ses yeux bleus avaient saisi la situation. Un regard de perplexité s’était répandu sur ses jolis traits.

« Takahiro… ? »

Ses lèvres tremblantes avaient appelé mon nom. Ses yeux s’étaient promenés sur Asarina, qui sortait de ma main gauche, et Ayame, serrée dans mes bras. Le désarroi était clairement écrit sur son visage.

C’est une réunion bien pire que celle à laquelle je pouvais penser… Avant de m’en rendre compte, j’avais serré les dents avec force. Son expression traduisait la surprise et la perplexité. Ensuite viendraient l’animosité et la pointe de sa lame dégainée. C’était ma prédiction. Elle n’était pas une étrangère pour moi. Nous avions une certaine affinité et je la tenais en bonne estime. Même si je m’étais résolu, l’idée qu’elle en vienne à me haïr me faisait mal au cœur. Cependant, c’était inévitable à ce stade.

J’étais un maître des monstres. J’avais dit à Lily la veille au soir que je n’avais pas l’intention de rejeter cet aspect de moi. Je ne mentais pas. En tant que tel, c’était le résultat de ma décision. Tout ce que je pouvais faire était de lever les yeux, même si je voulais les détourner, serrer les dents et aller jusqu’au bout. C’était tout ce qu’il y avait à faire.

Shiran avait quitté Ayame et Asarina des yeux et avait vérifié l’état de Kei pendant quelques secondes. Puis, elle m’avait finalement regardé. C’était le moment du jugement. J’avais durci ma résolution et rencontré ses yeux.

Elle portait une expression franche. En voyant un homme accompagné de monstres devant elle, ses yeux bleus transparents… ne nourrissaient aucune suspicion ou hostilité.

« … Shiran ? » avais-je murmuré sans le vouloir.

Un changement de situation s’était alors produit juste devant moi. Je ne sais pas ce qu’elle avait vu en regardant Kei s’accrocher à moi, mais tous les signes d’agitation avaient disparu du visage de Shiran. Ses pas hésitants étaient devenus fermes. Les chevaliers qui l’accompagnaient s’étaient arrêtés, mais Shiran s’était approchée toute seule. Elle n’avait pas dégainé sa lame. Elle n’avait pas préparé son bouclier. Elle s’était simplement tenue à mes côtés comme si c’était tout à fait naturel. Elle avait ensuite regardé sa commandante avec détermination.

***

Partie 2

« Et pourquoi exactement pointes-tu ta lame sur Takahiro, commandante ? »

« … Comme c’est abrupt de ta part, » répondit la commandante après avoir dégluti, puis elle grimaça. « Ne peux-tu pas le voir en regardant ? Il a des monstres sous ses ordres. »

« Et alors ? Tu ne veux pas dire qu’il a planifié cette attaque, n’est-ce pas ? »

Choqué, j’avais regardé le beau profil de Shiran. Elle avait clairement l’intention de me défendre.

« D’après ce que je peux voir, Takahiro était engagé dans un combat avec les monstres ici, » dit Shiran en désignant du regard le croc de feu mort dans le couloir et mon épée tachée de sang. « S’il menait l’attaque de la forteresse, il n’y a aucune chance qu’il se soit retrouvé coincé à devoir en combattre un. »

« Cela… peut certainement être le cas, mais… » La commandante fronça les sourcils en réfléchissant à la question, mais elle secoua immédiatement la tête. « Cet argument est un peu faible. Son pouvoir unique est bien trop suspect au vu de la situation anormale dans laquelle nous nous trouvons. Même si c’est un sauveur, je ne peux pas ignorer un tel… »

« Peu importe qu’il soit un sauveur ou non. »

« … Quoi ? »

La commandante avait écarquillé les yeux. Les mots de Shiran étaient empreints d’une telle conviction que sa réaction était compréhensible.

« Takahiro a protégé Kei. À cette fin, il a exposé le pouvoir qu’il avait caché à tous les autres, même s’il savait que cela arriverait. La noblesse de son acte ne contient pas un seul soupçon de mal. » Elle avait fixé la commandante d’un regard puissant. « Majima Takahiro est un homme digne de respect. »

« Shiran… »

C’est ce qu’elle m’avait dit quand on s’était séparées juste avant cet incident. Même après avoir appris ma véritable identité, elle avait répété les mêmes mots. Elle avait jeté un coup d’œil sur le côté alors que j’étais sous le choc et que je restais sans voix, sa bouche s’était courbée en un petit sourire. C’était une expression si charmante que je m’étais senti complètement attiré par elle.

« … Je n’aurais jamais cru que tu dirais une telle chose, » dit la commandante, incapable de cacher qu’elle était tout aussi choquée que moi, sinon plus. « Peu importe qu’il soit un sauveur ou non, dis-tu ? »

« Oui, » répondit Shiran sans hésiter. Elle débordait de détermination pour blanchir mon nom. « Faire de Takahiro un ennemi est hors de question. Nous devrions unir nos forces aux siennes pour nous sortir de cette situation difficile. À cette fin… » Et à ce moment-là, pour une raison inconnue, Shiran s’était arrêtée de parler. Ses sourcils bien dessinés s’étaient froncés en signe de confusion. « … Commandante ? Y a-t-il un problème ? »

Son regard interrogatif était fixé sur sa commandante, dont les épaules tremblaient peu à peu.

« Non, ce n’est rien. Je vois. J’ai compris… Heh. Heheh. » Elle étouffait un petit rire, mais ça n’avait pas duré longtemps. Elle ne pouvait plus le retenir. La commandante avait éclaté de rire. « Je vois ! C’est donc ça ? Ça n’a pas d’importance qu’il soit un sauveur ou non ? Toi ? De tout le monde ? C’est incroyable ! »

Elle avait l’air tout à fait joyeuse.

« C-Commandante… ? »

Shiran avait été déconcertée et m’avait jeté un regard en coin. Je me sentais mal de ne pas pouvoir répondre à son appel à l’aide, mais je ne savais pas non plus pourquoi la commandante s’était soudainement mise à rire. Cependant, je pouvais sentir tangiblement son rire repousser l’atmosphère désagréable qui nous avait engloutis.

« Hahahahahah ! Tu as raison, Shiran, c’est exactement ce que tu dis, » poursuit la commandante en riant. « L’acte de se sacrifier pour sauver une personne faible est loin d’être mauvais. Il est difficile d’imaginer que quelqu’un puisse se débarrasser d’une position sûre au milieu de ses propres combines. C’est vraiment comme tu le dis. Il n’y a aucune raison de le suspecter. De plus, avec toi et Mikihiko qui craquez comme ça… Il semble que je me sois trompée. » Elle finit par retenir son rire, puis balança son bras dans les airs. « Rengainez vos épées ! Cet homme n’est pas notre ennemi ! »

Une voix digne avait frappé mon tympan. À son ordre, les chevaliers avaient rangé leurs épées avec des mouvements synchronisés. Ils n’avaient pas hésité un seul instant. Pas un seul n’avait même grogné de mécontentement. Son leadership était impressionnant.

« Veuillez pardonner notre manque de courtoisie pour avoir jeté des soupçons sur un sauveur tel que vous et avoir retourné nos lames contre vous, » dit la commandante en me faisant face sincèrement. « Et si possible, comme l’a suggéré le lieutenant Shiran, pourriez-vous nous accompagner ? Nous envisageons d’emprunter les pouvoirs des hommes de l’équipe d’exploration pour commencer notre contre-offensive. Dans la mesure du possible, il serait rassurant de vous voir combattre à nos côtés. »

J’étais resté là à regarder les choses se dérouler avec une stupéfaction aveugle, échangeant par réflexe des regards avec Lily. J’avais l’impression que nous allions devoir nous enfuir et peut-être en venir aux mains. Je n’avais jamais pensé qu’ils demanderaient notre coopération.

C’était une heureuse erreur de calcul, bien sûr. Ou peut-être était-il plus approprié de dire que c’était le précieux fruit du travail de Shiran et Mikihiko. Il aurait été difficile pour nous de nous échapper de la forteresse par nos propres moyens. J’avais besoin d’aide pour survivre. Je n’avais aucune raison de refuser l’offre de la commandante.

J’avais fait un signe de tête à Lily puis j’avais accepté la proposition de la commandante. Mikihiko et Kei avaient applaudi, tandis que Shiran avait poussé un soupir de soulagement. Et juste comme ça, avec les efforts de Mikihiko, Kei et Shiran, nous avions réussi de justesse à éviter d’avoir à nous entretuer inutilement.

 ◆ ◆

Après avoir rejoint les chevaliers de l’Alliance, nous avions commencé à nous diriger vers la section la plus profonde de la forteresse. Notre groupe se déplaçait en trottinant. Lily, la commandante, Kei et Mikihiko étaient près de moi. Les autres chevaliers qui nous accompagnaient étaient un peu plus loin, sécurisant nos alentours.

J’avais obtenu un résumé simple de la situation actuelle pendant que nous courions. Premièrement, les élèves autres que nous étaient tous proches du centre de la forteresse au moment de l’attaque et étaient en sécurité. Ils avaient eu de la chance… ou plutôt, Mikihiko et moi n’avions pas eu de chance, car nous étions à l’extrémité de la forteresse. En tout cas, il y avait de quoi être heureux.

La compagnie de chevaliers de la commandante était apparemment concentrée sur la défense de la section intérieure de la forteresse où se trouvaient les étudiants. Cependant, la situation était devenue désavantageuse en un clin d’œil, et elle avait donc demandé à Shiran, à contrecœur, de prendre la tête d’une force séparée pour commencer à combattre les monstres qui s’étaient infiltrés à l’intérieur. Les deux monstres que nous avions rencontrés étaient ceux qui avaient réussi à passer à travers leur filet.

Quelque temps après le départ du groupe de Shiran, les deux gars de l’équipe d’exploration avaient proposé une stratégie de contre-offensive. Ils voulaient aller combattre les monstres. Mais avec une si grande armée face à eux, le pire pouvait arriver, même aux tricheurs. La décision avait été prise de rassembler toutes les forces, et la commandante était allée chercher Shiran. En chemin, ils avaient fini par nous croiser juste après que nous ayons vaincu les monstres que le groupe de Shiran avait manqués.

Ayant largement saisi la situation, j’avais demandé quel était le plan de contre-offensive, si important. La stratégie de l’équipe d’exploration impliquait qu’environ trois cents élites de l’armée et des chevaliers opposaient une résistance dans toute la forteresse. L’idée était de commencer par sécuriser les remparts intérieurs qui avaient été attaqués par des monstres volants. Ensuite, l’équipe d’exploration utiliserait ses meilleures magies du haut du mur sécurisé pour abattre la majorité des monstres. Enfin, il ne resterait plus qu’à éradiquer les monstres restants qui auraient pénétré à l’intérieur de la forteresse. C’était assez simple.

Le plan reposait en grande partie sur la force brute de l’équipe d’exploration, mais s’il était bien exécuté, il permettrait d’éliminer la majorité des monstres perchés sur les murs extérieurs. L’opération de nettoyage prévoyait également que les membres de l’équipe d’exploration prennent les devants et que les soldats et les chevaliers les soutiennent afin qu’ils ne soient pas écrasés par la masse de monstres qui les entourait. En tant qu’allié des chevaliers de l’ Alliance, je leur donnais un coup de main pour cette tâche.

« … »

« Y a-t-il un problème ? » demanda la commandante après avoir terminé son explication. « Vous avez une expression très curieuse. »

« Eh bien… Je n’aurais jamais pensé pouvoir travailler avec les gens de ce monde après avoir révélé ma capacité. »

« J’ai bien peur qu’il ne s’agisse que d’une collaboration temporaire, » dit la commandante en secouant la tête. « Comme je l’ai déjà dit, j’aimerais que vous gardiez votre capacité cachée autant que possible. Nous ne pouvons pas nous permettre d’inviter un chaos inutile. »

« Je le sais. »

La troisième compagnie des Chevaliers de l’Alliance suivait la volonté de sa commandante sans poser de questions. Cependant, l’armée impériale et les chevaliers impériaux étaient une autre affaire. Elle m’avait prévenu que nous ne saurions pas ce qui se passerait s’ils voyaient mon pouvoir. De leur point de vue, ce serait comme si le dieu vivant qu’ils vénéraient était en fait le diable. Dévoiler une telle chose au mauvais moment pourrait provoquer l’effondrement de tout le front de guerre.

Pour cette raison, j’avais demandé à Ayame et Asarina de se cacher une fois de plus. Cela avait bien sûr fait chuter mon potentiel de combat, et mon aide dans la défense de la forteresse n’avait été que dans la mesure de ce dont j’étais capable. Mais selon la tournure que prendront les événements, je ne pourrai pas rester ainsi…

C’était honnêtement un peu pénible, mais on ne pouvait rien y faire. Même si les soupçons qui pesaient sur moi avaient été levés, cela ne changeait rien au fait que j’étais capable de dompter des monstres. J’étais toujours un élément étranger à ce monde. Je devais en être pleinement conscient.

Les chevaliers qui nous accompagnaient n’avaient plus fait preuve d’hostilité à mon égard, mais ils étaient restés méfiants. J’étais quelque peu agacé par leurs regards gênés. Cela dit, même si j’avais des opinions sur leur comportement, le simple fait de pouvoir combattre côte à côte vers un objectif commun était bien mieux que ce que j’avais supposé. Tout cela provenait des ordres qui leur avaient été donnés par une seule femme.

« Commandante, avez-vous vraiment l’intention de vous battre à mes côtés ? »

« Doutez-vous de moi ? »

« … Pour être honnête, un peu. »

« Haha. Quelle prudence de votre part. Mais c’est une bonne chose. Protéger ce qui est important pour vous demande de la prudence et de l’audace à parts égales, » dit-elle avec un rire ravi.

Son attitude à mon égard était favorable. Contrairement aux autres chevaliers, je ne sentais aucune réserve. C’était assez mystérieux.

« Pourquoi me faites-vous confiance ? » avais-je demandé, ce à quoi elle avait répondu en haussant les sourcils.

« Il n’y a rien dont je doive vous soupçonner. Je crois l’avoir dit plus tôt. »

« Vous l’avez fait, grâce à Mikihiko et Shiran qui vous ont persuadé pour moi. Je vous en suis vraiment reconnaissant… Mais ce n’était qu’une raison pour ne plus me soupçonner d’être votre ennemi, non ? »

Ne pas être un ennemi n’était pas la même chose qu’être un allié. En tant que personne accompagnée de monstres, j’étais un être détesté dans ce monde. Pour se battre côte à côte, il fallait d’abord faire face à cette répulsion psychologique.

« Ooh. Je vois. C’est là que se situent vos doutes, » répondit la commandante en hochant la tête, comprenant apparemment pourquoi j’avais des doutes. « C’est une question simple. Vous avez sauvé quelqu’un en qui j’ai confiance. »

« … Je ne me rappelle pas l’avoir fait. »

Voyant ma perplexité, la commandante avait gloussé joyeusement. « Je suppose que non. Je ne suis pas sûre que la personne en question en soit consciente non plus. »

Elle avait jeté un coup d’œil en arrière pendant qu’elle parlait. Ses yeux pointaient vers l’unité qui surveillait les attaques à l’arrière, là où se trouvait Shiran.

« Shiran… ? » avais-je demandé.

« Oui. C’est une fille au caractère pur. J’ai connu son père et son frère, je l’ai donc connue dès son plus jeune âge. Elle avait des idéaux supérieurs à tous les autres. En tant que telle, elle s’appliquait pleinement à ses études. Elle a enduré toutes les difficultés. Elle a grandi et est devenue un splendide chevalier avec de la dévotion dans son cœur. Je lui ai confié mes arrières au combat, et elle m’a sauvée de nombreuses fois. Au cours de ce processus, j’ai appris à lui faire confiance et je lui ai confié le devoir d’être mon lieutenant. »

***

Partie 3

Il y avait de la chaleur dans ses paroles. Les sentiments entre ces deux-là étaient sûrement plus qu’un supérieur et son subordonné. J’avais pu constater par moi-même à quel point les liens tissés dans les dures régions forestières étaient importants.

« … Cependant, elle a souffert précisément parce qu’elle est un splendide chevalier. Abattue par des réalités contre lesquelles elle ne pouvait rien, mais toujours incapable d’abandonner, elle a fini par s’impatienter, frôlant la folie, en attendant l’arrivée d’un sauveur. Il n’y avait rien que je puisse faire pour aider. »

En entendant la commandante parler comme si elle se repentait de ses péchés, je m’étais rappelé la vue de Shiran pleurant sur sa propre impuissance.

« Ce n’est pas suffisant. J’ai beau entraîner ce corps, les camarades que je suis incapable de protéger continuent de mourir les uns après les autres. »

Cette femme avait probablement veillé sur Shiran pendant tout ce temps. Elle la considérait comme une précieuse camarade d’armes, alors voir Shiran souffrir avait dû être douloureux pour elle.

« La foi dans les sauveurs estimés qui nous apporteront un jour le salut réside dans tous nos cœurs, nous soutenant pour vivre jour après jour. Nous sommes ici aujourd’hui grâce aux exploits accomplis par les sauveurs du passé. Pour cette raison, nous sommes toujours conscients d’eux, nous leur témoignons du respect et nous accordons notre grâce à ceux qui ont apporté le salut à notre présent et à notre avenir. C’est naturel qu’il en soit ainsi. »

« … Accorder la grâce ? »

Leur sens des valeurs était tellement ancré dans la croyance religieuse que j’avais du mal à en comprendre certains aspects en tant que citoyen japonais moderne. En résumé, je suppose qu’elle disait quelque chose comme « Remercions ceux qui ont risqué leur vie pour nous dans le passé ». Je pouvais comprendre cela.

« Les sauveurs soutiennent notre vie quotidienne. Ainsi, je ne peux nier que mon propre cœur a également souhaité le salut. Cependant, il ne faut pas laisser de tels espoirs aller trop loin. La foi, poussée à l’extrême, trouble la vision. Nous ne pouvons pas laisser nos illusions dissimuler ce que nous voyons sous nos yeux. »

J’avais ressenti un certain sentiment de conviction en regardant la commandante parler.

« En ne regardant que ce qui ne possède ni ombre ni forme, on ne peut plus voir ce qui est vraiment là. C’est un acte extrêmement dangereux qui laisse la possibilité de commettre de graves erreurs. Alors, Takahiro… » La commandante avait prononcé mon nom d’un ton clair. « Vous avez toute ma gratitude. En faisant dire à Shiran, “Peu importe qu’il soit un sauveur ou non”, vous l’avez assurément sauvée d’un tel danger, » dit-elle avec un sourire.

Je vois. Alors c’est la femme dont Mikihiko est tombé amoureux, hein ?

« Qu’est-ce que tu en penses, Takahiro ? » Mikihiko avait demandé fièrement après avoir remarqué mon regard en coin.

Je pouvais comprendre pourquoi il voulait se vanter. Malheureusement, elle était loin d’être son amante à ce stade.

« … Ce sera probablement un chemin épineux, mais tiens bon. »

« Je le sais ! »

Alors que nous parlions de ces choses, nous étions arrivés au point de rendez-vous pour l’opération de contre-offensive. C’est là qu’un problème était apparu. Les membres de l’équipe d’exploration n’étaient pas là.

 

 ◆ ◆

« L’opération a-t-elle déjà commencé !? »

Le cri incrédule de la commandante résonna dans la salle. Il ne restait plus que quelques soldats dans la grande salle qui servait de point de rendez-vous. Le vieil homme laissé ici pour la gestion avait pâli devant son attitude menaçante.

« O-Oui, m’dame. C’était l’ordre du Général Greene. »

« A-t-il commencé l’opération sans nous attendre ? Essaie-t-il impétueusement de s’approprier la gloire ? Ce satané individu. Comprend-il vraiment la situation… ? »

Il y avait apparemment eu une sorte de dérapage. La commandante avait gémi quand l’un des chevaliers s’était approché d’elle.

« Commandante. Maintenant que j’y pense, ces derniers temps, le général a été… »

« … Ah, oui. C’est vrai. Il a aussi été poussé dans ses retranchements, n’est-ce pas ? Mais ça ne change rien au fait que c’est irritant. »

« Que faisons-nous ? »

« Nous ne pouvons que donner la chasse. Je ne sais pas si nous arriverons à temps pour l’opération, mais nous ne pouvons pas nous permettre de perdre les sauveurs si le pire se produit. Les troupes les plus fortes de la forteresse doivent se rassembler. »

Je l’avais regardée parler avec son subordonné à une courte distance, quand Shiran, qui avait protégé l’arrière pendant tout ce temps, était arrivée en courant.

« Takahiro, on dirait qu’il y a un problème. »

« On dirait bien… Le général Greene est l’homme qui nous a accueillis à notre arrivée à la forteresse, non ? »

« Oui, c’est le chef des unités de l’armée impériale stationnées dans cette forteresse. »

« Qu’est-ce que la commandante a voulu dire en disant qu’il était acculé dans un coin ? »

« La défense de la forteresse relève de la compétence de l’armée. »

Je m’étais arrêté un moment, puis j’avais demandé. « N’est-ce pas un peu cruel de faire porter la responsabilité de l’effondrement de la forteresse sur ses épaules, compte tenu de la situation ? »

Vu le nombre de monstres impliqués, peu importait qui était le responsable. Personne n’aurait pu faire quoi que ce soit pour éviter une telle crise. Bien que, dans un sens, prendre des responsabilités était l’une des tâches des responsables.

« C’est certainement comme vous le dites… Mais même en considérant cela, il est vrai qu’il y a eu une ineptie dans la réponse défensive. »

« … Vous voulez dire l’incident du pont-levis ? »

« Oui. »

La vingtaine de chevaliers de l’Alliance qui s’apprêtait à pénétrer dans les Régions forestières avaient sacrifié leur vie pour gagner quelques secondes, le temps que le pont-levis se lève complètement. Mais il s’était arrêté à mi-chemin. Sans cela, les soldats sur les murs auraient pu gagner du temps pour que le reste de la forteresse se mette en position défensive. L’armée, qui était responsable de la défense de la forteresse, pouvait facilement être tenue responsable de cela.

Shiran avait une expression très amère. « En vérité, il a subi beaucoup de pression de la part des Chevaliers Impériaux. »

« … Est-ce vraiment le moment de se disputer ? »

« Votre évaluation est correcte. J’ai honte, je ne peux pas le nier. »

« Vous n’avez pas à vous excuser, Shiran. Si c’est le cas, alors… quoi ? Il essaie d’obtenir tous les succès qu’il peut pour restaurer son honneur et a laissé les chevaliers de l’Alliance dehors exprès pour s’accaparer toute la gloire ? »

« Non seulement cela, mais il a amené plus de soldats avec lui que ce que le plan prévoyait. Il est certainement en train de paniquer. Il a après tout vu sa responsabilité remise en cause juste devant les sauveurs. »

« Donc même s’il survit à ça, il est fichu. »

Les Chevaliers de l’Alliance étaient censés être les élites parmi les élites lorsqu’il s’agissait de tuer les monstres dans les Terres forestières. De ce fait, les Chevaliers Impériaux, qui avaient la même tâche, leur imposaient beaucoup de travail, et leur position politique n’était pas très forte. Inversement, cela signifiait aussi qu’ils avaient beaucoup plus d’expérience au combat. Exécuter un plan en laissant cette force entièrement de côté montrait un manque évident de jugement. Ou peut-être avait-il une raison de penser qu’il pouvait gagner à coup sûr ?

Ses si grands sauveurs, je suppose… ?

« Selon le plan, Watanabe Yoshiki, de l’équipe d’exploration, utilisera une magie de grade 5 pour anéantir les monstres, non ? » avais-je demandé.

« Oui. »

Je m’étais souvenu de l’écolier de petite taille qui était armé d’un bâton. Watanabe était apparemment un guerrier dont la tricherie penchait fortement vers l’utilisation de la magie, même parmi tous les guerriers qui possédaient d’énormes capacités physiques et magiques. Naturellement, même pour un tricheur, utiliser la plus grande échelle de magie qu’il pouvait rassembler demandait une bonne dose de concentration et de temps. C’était le travail des soldats et des chevaliers qui le soutenaient de gagner ce temps. En d’autres termes, ils avaient décidé que les forces qu’ils avaient réussi à rassembler seraient capables de le faire, même sans les chevaliers de l’ Alliance.

« … Attendez. Et les autres élèves ? Il est impossible qu’ils les aient laissés derrière eux dans un endroit peu défendu, non ? »

« Non, c’était hors de question, » répondit Mikihiko en revenant avec la commandante.

« Il s’avère que les deux hommes de l’équipe d’exploration ont amené les sauveurs avec eux, » ajouta la commandante.

« … Vous voulez dire qu’ils ont été emmenés sur un champ de bataille ? »

« Oui. C’était apparemment l’idée de Juumonji. Pour commencer, beaucoup n’aimaient pas l’idée d’être séparés de l’équipe d’exploration, donc même sans cette décision, la plupart d’entre eux auraient suivi de toute façon. »

« C’est surprenant de voir à quel point ils ont été formés comme de bons petits idiots, hein ? » Mikihiko avait ajouté avec son amertume habituelle en haussant les épaules. « Eh bien, je suppose que de penser que l’endroit le plus sûr est juste à côté de l’équipe d’exploration n’est pas faux. »

« Takahiro, nous allons partir à la poursuite de nos forces alliées. Voulez-vous venir avec nous ? »

« Compris. Dans ce cas, nous devrions nous dépêcher. » Je hochai la tête et commençai à courir avec les chevaliers, mais à ce moment-là, Lily attrapa mon poignet et m’arrêta. « … Lily ? »

« Attends, » dit-elle quand je me retournai. Son expression était sévère, et elle tenait sa lance noire dans sa main. « Il m’a fallu du temps pour trouver le bon… Hop ! »

Lily avait soulevé sa lance, et avant que quiconque puisse l’arrêter, elle avait jeté son arme.

« Hein !? »

La lance vola dans l’air avec une force terrifiante qui contredisait sa silhouette élancée, perçant le crâne de l’un des soldats présents dans la salle. Sa tête éclata comme une tomate, et l’impact projeta son corps en arrière, le laissant s’écroulé sur le sol, les membres écartés.

Pendant un instant, la salle entière était restée abasourdie.

« Espèce de monstre ! »

Une série de hurlements de colère et de dégainages d’épées résonnait dans l’air tandis qu’un tourbillon d’hostilité engloutissait la salle. Et puis…

« Baissez vos armes ! »

La réprimande de la commandante couvrait tous les autres sons, atténuant en un instant l’hostilité rampante des chevaliers.

« C-Commandante… ? »

Les chevaliers regardèrent leur commandante avec perplexité. Elle fixait le soldat au sol avec une grimace.

« Merci de les avoir arrêtés, » dit Lily en haussant les épaules. « J’aurais pu dire quelque chose avant, mais je pensais qu’il y aurait des victimes s’il se déchaînait en étant exposé. »

Les chevaliers suivirent le regard de leur commandante et commencèrent à élever la voix en signe de choc les uns après les autres. Le soldat que Lily avait tué s’était transformé en un monstre qui ressemblait à l’ombre solidifiée d’un humain sans jambes.

 

 ◆ ◆

Je n’avais jamais rencontré ce type de monstre par moi-même, mais j’avais appris pendant les conférences de Kei qu’il s’agissait d’un monstre des Franges appelé doppelgänger. Quiconque avait joué à un jeu de rôle pouvait probablement le deviner, mais ce monstre avait la capacité de copier l’apparence de ses ennemis. Cela signifiait que quiconque devenait la proie d’un doppelgänger mourait de la main de quelque chose qui lui ressemblait.

Dans un sens, c’était similaire au mimétisme de Lily, mais il y avait de nombreuses différences. Premièrement, elle n’avait pas besoin d’être antérieure à sa cible. Deuxièmement, la copie était parfaite en apparence seulement, elle ne copiait aucune capacité. Et surtout, elle n’avait pas de volonté comme Lily, elle ne pouvait donc pas se mêler aux humains. Il était bien sûr impossible pour une copie de se faufiler dans une forteresse. Jusqu’à maintenant, c’est-à-dire…

« Je n’avais pas du tout remarqué… » Shiran avait gémi avec découragement.

« L’esprit ne détecte rien à moins que ce soit hostile, non ? On ne peut rien y faire, » avais-je dit pour la réconforter. « En tout cas, cela explique l’incident du pont-levis. »

« … Dès que la porte a été franchie, les monstres ont avancé jusqu’aux soldats qui surveillaient le pont-levis. Ainsi, si un monstre s’était caché parmi les soldats et avait empêché de relever le pont-levis, personne n’aurait pu survivre. Ils nous ont vraiment eus. »

Maintenant que nous savions que des doubles étaient mélangés parmi les soldats, la possibilité que la même chose se soit produite à tous les points clés des défenses de la forteresse était assez élevée. En plus de cela, ils pouvaient également se trouver parmi les soldats prenant part à la contre-offensive tout ou rien centrée sur l’équipe d’exploration. La situation était devenue assez sérieuse.

***

Partie 4

Après avoir confirmé avec Lily qu’il n’y avait plus de sosies parmi les chevaliers et les soldats de l’Alliance laissés derrière, nous avions immédiatement commencé à nous déplacer. Heureusement, l’équipe d’exploration avait déjà éliminé les monstres en chemin, et notre déplacement se déroulait donc sans encombre. Nous devions atteindre le site de la contre-offensive aussi vite que possible. Si nous ne le faisions pas, le plan qui portait tout le destin de la forteresse pourrait subir un revers majeur.

« Qu’est-ce qui ne va pas, Maître ? » demanda Lily en courant à mes côtés. Elle me regardait avec une expression anxieuse. « Tu fais une drôle de tête. »

« Ce n’est rien. C’est juste que je n’aime pas ça. »

« N’aime pas quoi ? » demanda Lily, en penchant la tête et en clignant des yeux avec curiosité.

« Nous sommes sur la défensive en ce moment. L’incident avec le sosie est une chose, mais toute la situation donne l’impression que nous sommes toujours en train de rattraper le temps perdu. Il serait préférable de supposer qu’au moins, tout ce qui s’est passé jusqu’à présent se déroule exactement comme notre “ennemi” le voulait. »

« C’est logique. »

« Dans cette hypothèse… N’as-tu pas l’impression que le timing est un peu trop bon pour que ce genre de crise se produise juste après notre arrivée à la forteresse ? »

« Attendez une minute, Takahiro, » avait coupé Shiran en nous entendant. « Voulez-vous dire que la visite des sauveurs a été le déclencheur de cette attaque ? »

« Je dis juste que c’est possible. »

En bref, c’était la même chose que lorsque Kei avait disparu. C’était la toute première fois que cela arrivait, et cela s’était produit lorsque nous, les étudiants, étions arrivés à la forteresse. Là, nous avions eu une attaque par une grande armée de monstres, également un événement sans précédent. Il n’était pas si étrange de soupçonner une relation entre notre arrivée et l’attaque.

« Tant qu’il y a des doubles infiltrés dans la forteresse, la possibilité que ce ne soit que des monstres en liberté est quasi nulle. Il y a un cerveau derrière cette attaque, un “ennemi”. Si tout se passe exactement comme ils l’avaient prévu, le cours actuel des événements pourrait être assez mauvais. »

« Qu’est-ce que ça veut dire ? »

« S’ils prennent de telles mesures à cause de notre arrivée à la forteresse, alors ils savent manifestement que l’équipe d’exploration est là aussi. »

« Vous ne pouvez pas dire… ! Ils s’attendent déjà à ce que nous nous reposions sur le pouvoir des sauveurs !? » Shiran avait écarquillé les yeux en réalisant où je voulais en venir.

« Il est impossible qu’ils n’anticipent pas la plus forte force de combat de la forteresse pour participer à cette bataille. »

« … En d’autres termes, la situation est devenue plutôt grave. »

« Oui. C’est un bon plan d’utiliser l’équipe d’exploration comme pivot pour lancer une contre-offensive — dans des circonstances normales, du moins. Mais si l’ennemi connaît la présence de l’équipe d’exploration, son efficacité devient quelque peu suspecte. Ils auront absolument une contre-mesure prête s’ils ont commencé tout ça en sachant que les gars de l’équipe d’exploration étaient là. »

« Ce n’est pas possible… »

« J’ai peut-être trop réfléchi. »

J’avais ajouté ça parce que ça semblait être un choc pour Shiran. En vérité, une grande partie de ce que je disais n’était rien d’autre que des suppositions. Tout était basé sur l’hypothèse que tout ceci était dû à l’arrivée des élèves à la forteresse. J’avais encore des doutes sur la façon dont ils pouvaient traiter avec l’équipe d’exploration. De toute façon, ce sont des tricheurs qui possèdent d’énormes pouvoirs dans ce monde.

J’avais l’habitude de théoriser le pire des scénarios en raison de mes expériences jusqu’à présent, donc cela pourrait n’être rien de plus qu’une anxiété inutile. Néanmoins, je pensais qu’il était préférable d’être prêt à affronter le pire. « Être prudent est une bonne chose, » m’avait dit la commandante. J’étais tout à fait d’accord.

Mes pensées s’étaient mises en marche alors que je m’élançais vers l’escalier menant au sommet des remparts intérieurs aux côtés des chevaliers. Si c’était moi, comment ferais-je face aux tricheurs ? D’après ce que j’avais pu voir du comportement des monstres, l’auteur de cet incident possédait probablement une capacité similaire à la mienne. En tant que tel, il n’y avait pas de personne plus apte à penser comme lui.

Et après avoir réfléchi, et réfléchi… la conclusion à laquelle j’étais arrivé était : c’était impossible.

C’est une chose à laquelle j’avais déjà pensé concernant ma propre capacité. Utiliser les monstres comme force était un pouvoir bien trop faible par rapport aux tricheurs ordinaires, et ce, de toutes les manières possibles et imaginables. S’il n’y avait qu’un seul tricheur, il était théoriquement possible d’envoyer des dizaines ou des centaines de monstres contre lui sans se soucier des pertes. Cependant, ces sauveurs du monde avaient de nombreux alliés au Fort de Tilia. Les vaincre dans de telles circonstances n’était pas possible à moins de créer une situation où les sauveurs ne pourraient pas utiliser leurs tricheurs…

« … »

Non, attends. N’y a-t-il pas un seul moyen… ? Un moyen de les tuer éventuellement ? Mon idée m’avait donné un frisson dans le dos. C’était impossible. Cela ne pouvait pas arriver. Même dans le pire des cas, c’était bien trop horrible. Si j’avais raison, l’opération de contre-offensive était garantie d’échouer. Pour commencer, prendre des contre-mesures contre les tricheurs serait après tout complètement inutile.

« On y est presque ! » cria quelqu’un.

J’avais soudainement levé la tête et j’avais vu l’entrée des remparts du mur intérieur en haut de l’escalier.

« Lily, prépare-toi. »

« … C’est d’accord. »

Sa voix était raide, ayant peut-être senti ma tension. Nous nous étions placés côte à côte avec les chevaliers et avions franchi la porte. Nous nous étions mis sur nos gardes, mais il n’y avait pas de monstres.

« … ! »

J’avais dégluti. Une sensation de picotement parcourait ma peau comme si mes muscles se contractaient. Une énorme quantité de mana convergeait au-dessus des remparts. Toute personne capable de ressentir le mana pourrait dire à quel point le pouvoir exercé ici était anormal. L’ampleur de la chose aurait fait pâlir n’importe qui.

Après être montés sur les remparts, nous avions commencé à courir vers la terrifiante concentration de mana. Il était clair que les acteurs principaux de cette scène étaient présents. Le nettoyage préventif avait apparemment déjà été terminé. Nous ne pouvions pas voir de monstres. Au lieu de cela, nous avions repéré une foule de soldats et de chevaliers. Un vieil homme familier avait remarqué le groupe de chevaliers de l’Alliance et s’était tourné vers nous. C’était le général Greene, le responsable de cette forteresse. Les étudiants étaient à côté de lui.

« Oh ! Majima ! Mizushima ! »

L’élève de la classe supérieure qui semblait être le pacificateur de la classe, Miyoshi Taichi, nous avait remarqués et avait couru vers nous avec un sourire empli de soulagement. Les trois autres élèves qui faisaient partie de sa clique l’avaient suivi.

« On dirait que vous allez bien. Merci, mon Dieu. Je n’arrivais pas à vous repérer, alors j’étais inquiet. »

« Miyoshi, comment va le… Où est l’équipe d’exploration !? »

« Hein ? O-Oh. Ils sont juste là. »

Miyoshi Taichi avait désigné les deux garçons avec confusion. J’avais reporté mon attention sur eux alors qu’un énorme glyphe vert couvrait le ciel au-dessus de nous. En face d’une large ligne de soldats, je pouvais voir un écolier de petite taille se tenir sur le bord des remparts. Le glyphe s’étendait depuis le bâton qu’il tenait au-dessus de sa tête.

« Ok ! Je suis prêt ! »

C’était Watanabe Yoshiki, de l’équipe d’exploration. À côté de lui se tenait son collègue, Juumonji Tatsuya, qui avait une épée dans une main et un glyphe rouge dans l’autre.

« C’est parti ! »

 

 

Le glyphe vert rayonnait d’une lumière éblouissante. Les soldats et les chevaliers surveillaient les environs pendant que l’équipe d’exploration construisait sa magie, mais tous les yeux étaient désormais rivés sur le spectacle qui se déroulait devant eux. Cela allait de soi. Ils étaient probablement en train de penser qu’ils se trouvaient tous dans une scène tout droit sortie des légendes des sauveurs.

Même moi, je l’avais trouvée frappante, alors elle allait certainement laisser une grande impression sur les habitants. D’après ce que m’avait dit Kei, les habitants de ce monde étaient limités à ce que nous appelons la magie de grade 3, ce qui signifie que la magie de grade 5 était un saut au-delà de l’inaccessible pour eux.

Ce garçon tenait un tel miracle dans ses mains. S’il en avait envie, il pourrait réduire cette forteresse entière en ruines. En fait, même si je savais qu’il le brandissait contre les monstres, le présage de destruction était si massif qu’il me faisait craindre que la forteresse ne subisse des dommages majeurs.

« Connaissez la douleur de ceux que vous avez tués ! » Watanabe déclara triomphalement en agitant son brillant bâton.

C’était comme le marteau de Dieu. Le coup ultime qui demandait du temps à celui qu’on appelle un sauveur pour se préparer.

L’atmosphère avait tremblé.

C’était une magie du vent de niveau 5. Tout et n’importe quoi seraient emportés par le vent dans un coup de vent absolument violent.

Mais… juste avant que cela n’arrive, quelque chose s’était élevé dans le ciel.

C’était comme une balle, lancée par un enfant, qui s’arquait lentement dans l’air.

Ce n’était autre que la tête de Watanabe.

« Hein ? »

Il n’avait sans doute aucune idée de ce qui s’était passé. Une expression de stupéfaction était restée sur son visage. C’était bien trop soudain et inattendu, à un degré cruel. Tout le monde pouvait dire ce qui s’était passé en un coup d’œil, mais les pensées de chacun s’étaient complètement figées. C’était quelque chose qui n’aurait jamais dû être autorisé à se produire.

Aah… C’est vraiment le pire… Juumonji, qui venait de décapiter Watanabe, tourna à la place le glyphe qu’il était censé tirer sur les monstres vers le groupe d’humains. Il n’y avait plus le temps de s’enfuir.

« Mettez-vous à l’abri ! »

Est-ce que quelqu’un pourrait même réagir à mes cris ? Juumonji avait activé sa magie de feu de grade 4. Le glyphe cramoisi dispersa un nombre incalculable de boules de feu dans les airs. Ça ressemblait à la fois où j’avais été attaqué par une meute de plus de trente renards souffleurs, mais en termes de puissance de feu pure, ça dépassait de loin ça.

Une des boules de feu avait volé vers un groupe d’étudiants. Je pouvais voir l’enfant maltraité, Kudou Riku, debout, hébété, qui regardait le feu arriver. « Les forts font ce qu’ils veulent. » C’est ce qu’il avait dit un jour. Même lui n’aurait pas pu imaginer que sa fin serait si misérable.

Les boules de feu s’étaient déversées sur les soldats et les chevaliers qui s’étaient rassemblés pour protéger l’équipe d’exploration. Il n’y avait aucune discrimination. Il n’y avait nulle part où fuir. Plus d’une centaine de boules de feu avaient explosé, transformant les remparts intérieurs du Fort de Tilia en un enfer brûlant.

***

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