Chapitre 4 : Le pire des scénarios
Partie 3
Il y avait de la chaleur dans ses paroles. Les sentiments entre ces deux-là étaient sûrement plus qu’un supérieur et son subordonné. J’avais pu constater par moi-même à quel point les liens tissés dans les dures régions forestières étaient importants.
« … Cependant, elle a souffert précisément parce qu’elle est un splendide chevalier. Abattue par des réalités contre lesquelles elle ne pouvait rien, mais toujours incapable d’abandonner, elle a fini par s’impatienter, frôlant la folie, en attendant l’arrivée d’un sauveur. Il n’y avait rien que je puisse faire pour aider. »
En entendant la commandante parler comme si elle se repentait de ses péchés, je m’étais rappelé la vue de Shiran pleurant sur sa propre impuissance.
« Ce n’est pas suffisant. J’ai beau entraîner ce corps, les camarades que je suis incapable de protéger continuent de mourir les uns après les autres. »
Cette femme avait probablement veillé sur Shiran pendant tout ce temps. Elle la considérait comme une précieuse camarade d’armes, alors voir Shiran souffrir avait dû être douloureux pour elle.
« La foi dans les sauveurs estimés qui nous apporteront un jour le salut réside dans tous nos cœurs, nous soutenant pour vivre jour après jour. Nous sommes ici aujourd’hui grâce aux exploits accomplis par les sauveurs du passé. Pour cette raison, nous sommes toujours conscients d’eux, nous leur témoignons du respect et nous accordons notre grâce à ceux qui ont apporté le salut à notre présent et à notre avenir. C’est naturel qu’il en soit ainsi. »
« … Accorder la grâce ? »
Leur sens des valeurs était tellement ancré dans la croyance religieuse que j’avais du mal à en comprendre certains aspects en tant que citoyen japonais moderne. En résumé, je suppose qu’elle disait quelque chose comme « Remercions ceux qui ont risqué leur vie pour nous dans le passé ». Je pouvais comprendre cela.
« Les sauveurs soutiennent notre vie quotidienne. Ainsi, je ne peux nier que mon propre cœur a également souhaité le salut. Cependant, il ne faut pas laisser de tels espoirs aller trop loin. La foi, poussée à l’extrême, trouble la vision. Nous ne pouvons pas laisser nos illusions dissimuler ce que nous voyons sous nos yeux. »
J’avais ressenti un certain sentiment de conviction en regardant la commandante parler.
« En ne regardant que ce qui ne possède ni ombre ni forme, on ne peut plus voir ce qui est vraiment là. C’est un acte extrêmement dangereux qui laisse la possibilité de commettre de graves erreurs. Alors, Takahiro… » La commandante avait prononcé mon nom d’un ton clair. « Vous avez toute ma gratitude. En faisant dire à Shiran, “Peu importe qu’il soit un sauveur ou non”, vous l’avez assurément sauvée d’un tel danger, » dit-elle avec un sourire.
Je vois. Alors c’est la femme dont Mikihiko est tombé amoureux, hein ?
« Qu’est-ce que tu en penses, Takahiro ? » Mikihiko avait demandé fièrement après avoir remarqué mon regard en coin.
Je pouvais comprendre pourquoi il voulait se vanter. Malheureusement, elle était loin d’être son amante à ce stade.
« … Ce sera probablement un chemin épineux, mais tiens bon. »
« Je le sais ! »
Alors que nous parlions de ces choses, nous étions arrivés au point de rendez-vous pour l’opération de contre-offensive. C’est là qu’un problème était apparu. Les membres de l’équipe d’exploration n’étaient pas là.
◆ ◆ ◆
« L’opération a-t-elle déjà commencé !? »
Le cri incrédule de la commandante résonna dans la salle. Il ne restait plus que quelques soldats dans la grande salle qui servait de point de rendez-vous. Le vieil homme laissé ici pour la gestion avait pâli devant son attitude menaçante.
« O-Oui, m’dame. C’était l’ordre du Général Greene. »
« A-t-il commencé l’opération sans nous attendre ? Essaie-t-il impétueusement de s’approprier la gloire ? Ce satané individu. Comprend-il vraiment la situation… ? »
Il y avait apparemment eu une sorte de dérapage. La commandante avait gémi quand l’un des chevaliers s’était approché d’elle.
« Commandante. Maintenant que j’y pense, ces derniers temps, le général a été… »
« … Ah, oui. C’est vrai. Il a aussi été poussé dans ses retranchements, n’est-ce pas ? Mais ça ne change rien au fait que c’est irritant. »
« Que faisons-nous ? »
« Nous ne pouvons que donner la chasse. Je ne sais pas si nous arriverons à temps pour l’opération, mais nous ne pouvons pas nous permettre de perdre les sauveurs si le pire se produit. Les troupes les plus fortes de la forteresse doivent se rassembler. »
Je l’avais regardée parler avec son subordonné à une courte distance, quand Shiran, qui avait protégé l’arrière pendant tout ce temps, était arrivée en courant.
« Takahiro, on dirait qu’il y a un problème. »
« On dirait bien… Le général Greene est l’homme qui nous a accueillis à notre arrivée à la forteresse, non ? »
« Oui, c’est le chef des unités de l’armée impériale stationnées dans cette forteresse. »
« Qu’est-ce que la commandante a voulu dire en disant qu’il était acculé dans un coin ? »
« La défense de la forteresse relève de la compétence de l’armée. »
Je m’étais arrêté un moment, puis j’avais demandé. « N’est-ce pas un peu cruel de faire porter la responsabilité de l’effondrement de la forteresse sur ses épaules, compte tenu de la situation ? »
Vu le nombre de monstres impliqués, peu importait qui était le responsable. Personne n’aurait pu faire quoi que ce soit pour éviter une telle crise. Bien que, dans un sens, prendre des responsabilités était l’une des tâches des responsables.
« C’est certainement comme vous le dites… Mais même en considérant cela, il est vrai qu’il y a eu une ineptie dans la réponse défensive. »
« … Vous voulez dire l’incident du pont-levis ? »
« Oui. »
La vingtaine de chevaliers de l’Alliance qui s’apprêtait à pénétrer dans les Régions forestières avaient sacrifié leur vie pour gagner quelques secondes, le temps que le pont-levis se lève complètement. Mais il s’était arrêté à mi-chemin. Sans cela, les soldats sur les murs auraient pu gagner du temps pour que le reste de la forteresse se mette en position défensive. L’armée, qui était responsable de la défense de la forteresse, pouvait facilement être tenue responsable de cela.
Shiran avait une expression très amère. « En vérité, il a subi beaucoup de pression de la part des Chevaliers Impériaux. »
« … Est-ce vraiment le moment de se disputer ? »
« Votre évaluation est correcte. J’ai honte, je ne peux pas le nier. »
« Vous n’avez pas à vous excuser, Shiran. Si c’est le cas, alors… quoi ? Il essaie d’obtenir tous les succès qu’il peut pour restaurer son honneur et a laissé les chevaliers de l’Alliance dehors exprès pour s’accaparer toute la gloire ? »
« Non seulement cela, mais il a amené plus de soldats avec lui que ce que le plan prévoyait. Il est certainement en train de paniquer. Il a après tout vu sa responsabilité remise en cause juste devant les sauveurs. »
« Donc même s’il survit à ça, il est fichu. »
Les Chevaliers de l’Alliance étaient censés être les élites parmi les élites lorsqu’il s’agissait de tuer les monstres dans les Terres forestières. De ce fait, les Chevaliers Impériaux, qui avaient la même tâche, leur imposaient beaucoup de travail, et leur position politique n’était pas très forte. Inversement, cela signifiait aussi qu’ils avaient beaucoup plus d’expérience au combat. Exécuter un plan en laissant cette force entièrement de côté montrait un manque évident de jugement. Ou peut-être avait-il une raison de penser qu’il pouvait gagner à coup sûr ?
Ses si grands sauveurs, je suppose… ?
« Selon le plan, Watanabe Yoshiki, de l’équipe d’exploration, utilisera une magie de grade 5 pour anéantir les monstres, non ? » avais-je demandé.
« Oui. »
Je m’étais souvenu de l’écolier de petite taille qui était armé d’un bâton. Watanabe était apparemment un guerrier dont la tricherie penchait fortement vers l’utilisation de la magie, même parmi tous les guerriers qui possédaient d’énormes capacités physiques et magiques. Naturellement, même pour un tricheur, utiliser la plus grande échelle de magie qu’il pouvait rassembler demandait une bonne dose de concentration et de temps. C’était le travail des soldats et des chevaliers qui le soutenaient de gagner ce temps. En d’autres termes, ils avaient décidé que les forces qu’ils avaient réussi à rassembler seraient capables de le faire, même sans les chevaliers de l’ Alliance.
« … Attendez. Et les autres élèves ? Il est impossible qu’ils les aient laissés derrière eux dans un endroit peu défendu, non ? »
« Non, c’était hors de question, » répondit Mikihiko en revenant avec la commandante.
« Il s’avère que les deux hommes de l’équipe d’exploration ont amené les sauveurs avec eux, » ajouta la commandante.
« … Vous voulez dire qu’ils ont été emmenés sur un champ de bataille ? »
« Oui. C’était apparemment l’idée de Juumonji. Pour commencer, beaucoup n’aimaient pas l’idée d’être séparés de l’équipe d’exploration, donc même sans cette décision, la plupart d’entre eux auraient suivi de toute façon. »
« C’est surprenant de voir à quel point ils ont été formés comme de bons petits idiots, hein ? » Mikihiko avait ajouté avec son amertume habituelle en haussant les épaules. « Eh bien, je suppose que de penser que l’endroit le plus sûr est juste à côté de l’équipe d’exploration n’est pas faux. »
« Takahiro, nous allons partir à la poursuite de nos forces alliées. Voulez-vous venir avec nous ? »
« Compris. Dans ce cas, nous devrions nous dépêcher. » Je hochai la tête et commençai à courir avec les chevaliers, mais à ce moment-là, Lily attrapa mon poignet et m’arrêta. « … Lily ? »
« Attends, » dit-elle quand je me retournai. Son expression était sévère, et elle tenait sa lance noire dans sa main. « Il m’a fallu du temps pour trouver le bon… Hop ! »
Lily avait soulevé sa lance, et avant que quiconque puisse l’arrêter, elle avait jeté son arme.
« Hein !? »
La lance vola dans l’air avec une force terrifiante qui contredisait sa silhouette élancée, perçant le crâne de l’un des soldats présents dans la salle. Sa tête éclata comme une tomate, et l’impact projeta son corps en arrière, le laissant s’écroulé sur le sol, les membres écartés.
Pendant un instant, la salle entière était restée abasourdie.
« Espèce de monstre ! »
Une série de hurlements de colère et de dégainages d’épées résonnait dans l’air tandis qu’un tourbillon d’hostilité engloutissait la salle. Et puis…
« Baissez vos armes ! »
La réprimande de la commandante couvrait tous les autres sons, atténuant en un instant l’hostilité rampante des chevaliers.
« C-Commandante… ? »
Les chevaliers regardèrent leur commandante avec perplexité. Elle fixait le soldat au sol avec une grimace.
« Merci de les avoir arrêtés, » dit Lily en haussant les épaules. « J’aurais pu dire quelque chose avant, mais je pensais qu’il y aurait des victimes s’il se déchaînait en étant exposé. »
Les chevaliers suivirent le regard de leur commandante et commencèrent à élever la voix en signe de choc les uns après les autres. Le soldat que Lily avait tué s’était transformé en un monstre qui ressemblait à l’ombre solidifiée d’un humain sans jambes.
◆ ◆ ◆
Je n’avais jamais rencontré ce type de monstre par moi-même, mais j’avais appris pendant les conférences de Kei qu’il s’agissait d’un monstre des Franges appelé doppelgänger. Quiconque avait joué à un jeu de rôle pouvait probablement le deviner, mais ce monstre avait la capacité de copier l’apparence de ses ennemis. Cela signifiait que quiconque devenait la proie d’un doppelgänger mourait de la main de quelque chose qui lui ressemblait.
Dans un sens, c’était similaire au mimétisme de Lily, mais il y avait de nombreuses différences. Premièrement, elle n’avait pas besoin d’être antérieure à sa cible. Deuxièmement, la copie était parfaite en apparence seulement, elle ne copiait aucune capacité. Et surtout, elle n’avait pas de volonté comme Lily, elle ne pouvait donc pas se mêler aux humains. Il était bien sûr impossible pour une copie de se faufiler dans une forteresse. Jusqu’à maintenant, c’est-à-dire…
« Je n’avais pas du tout remarqué… » Shiran avait gémi avec découragement.
« L’esprit ne détecte rien à moins que ce soit hostile, non ? On ne peut rien y faire, » avais-je dit pour la réconforter. « En tout cas, cela explique l’incident du pont-levis. »
« … Dès que la porte a été franchie, les monstres ont avancé jusqu’aux soldats qui surveillaient le pont-levis. Ainsi, si un monstre s’était caché parmi les soldats et avait empêché de relever le pont-levis, personne n’aurait pu survivre. Ils nous ont vraiment eus. »
Maintenant que nous savions que des doubles étaient mélangés parmi les soldats, la possibilité que la même chose se soit produite à tous les points clés des défenses de la forteresse était assez élevée. En plus de cela, ils pouvaient également se trouver parmi les soldats prenant part à la contre-offensive tout ou rien centrée sur l’équipe d’exploration. La situation était devenue assez sérieuse.
merci pour le chapitre